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Synthèse Manon Lescaut

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Manon Lescaut Abbé Prévost

Parcours associé « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

PERSONNAGES EN MARGE, PLAISIRS DU ROMANESQUE


(utilisation de certaines remarques de l’appareil critique de
plusieurs éditions dont « Carré classiques »)
I/ effet d’authenticité
a/ avec le récit à la première personne
Ce roman fait partie d’un roman-mémoires, une fiction présentée comme le récit
qu’un narrateur fait de sa propre vie. Le récit de Manon Lescaut est inséré dans les
Mémoires et aventures d’un homme de qualité. Le récit enchâssé et le récit-cadre
sont tous deux faits à la première personne. Dès la seconde moitié du XVIIème siècle
la narration à la 1ère pers est une mode littéraire en France. Mais ce choix crée aussi
un effet d’authenticité : le narrateur, le marquis de Renoncour est le témoin et le
garant de cette histoire et c’est aussi un homme de qualité donc il est digne de
confiance. De plus il a 53 ans et est donc doté d’une certaine expérience et sagesse.
Mais si ce récit favorise l’impression d’authenticité, il n’est pas pour autant objectif :
seul Des grieux exprime ses sentiments. Les paroles rapportées au style direct sont
rares, même pour Manon. Tout est perçu par le regard du chevalier et peut donc être
déformé.
b/ réalisme
Le roman a mauvaise réputation au XVIIIème siècle : on l’accuse non seulement
d’immoralité mais aussi d’invraisemblance, d’imagination débridée. Les romans sont
d’ailleurs souvent présentés comme des correspondances ou manuscrits retrouvés.
Prévost ne présente donc pas son texte comme un roman mais une « Histoire » (La
véritable Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut) ( = genre qui se
développe à partir de 1670 , un personnage raconte ses amours contrariées par le
destin dans un monde contemporain de celui des lecteurs) .
Sainte-Beuve affirme : « Plus on lit Manon Lescaut, et plus il semble que tout cela soit
vrai, vrai de cette vérité qui n’a rien inventé, et qui est toute copiée sur la nature ».
Fin XIX ème des érudits comme Lescure prétendent découvrir la réalité qui se cache
dans le roman :
- Les maisons de jeu tenues par de grands seigneurs comme l’Hôtel de Transylvanie
ont bien existé
- Les filles de mœurs légères qui n’appartenaient pas à un théâtre pouvaient être
enfermées à l’Hôpital à la discrétion de la police
- En 1719-1720 des convois de ces prisonnières furent envoyées au « Mississipi » :
certaines sont déportées à cause de leur débauche ou de leur ivrognerie, d’autres
sont déportées à la demande de leur famille ou d’une personne influente. Ces
femmes sont selon des témoignages assises sur des bottes de paille et enchaînées
et elles suscitent la pitié des passants, comme dans le roman (vérité historique)
- On a tenté de retrouver quelles personnes importantes se cachaient derrière les
initiales de « Monsieur de B… » , « Monsieur de G… M …» mais sans certitude
- D’autres éléments renvoient à la société du XVIIIème (de juillet 1712 à octobre
1716) : le poids de la religion (Des Grieux est destiné à l’ordre de Malte, ordre
religieux qui recrutait de jeunes nobles), la répression forte (enfermement de Des
Grieux chez son père, à Saint-Lazare, au Châtelet, et celle de Manon à la Salpêtrière).
- Le roman est un des premiers en France à insister sur les comptes des personnages :
nécessité de payer les loyers, vols.
- les personnages eux-mêmes sont réalistes : ni complètement bons ou méchants. Ce
n’est pas seulement le cas de Manon et Des Grieux mais aussi du frère, Lescaut qui
est au départ vu comme antipathique puis comme une aide et Synnelet qui semble
immoral mais demande à la fin la grâce du chevalier Des Grieux. Ils sont aussi pleins
de contradictions : c’est en Louisiane, là où sont déportés les exclus qu’ils souhaitent
vivre dans la moralité. D’ailleurs Des Grieux s’y comporte en chevalier : il se bat en
duel contre Synnelet.

II/ Mais c’est un récit romanesque


. texte court qui raconte quatre années seulement et pourtant densité des faits :
rencontre, infidélités, réconciliations, incendie de la maison, meurtre de Lescaut et
du domestique de Saint-Lazare, vols par leurs domestiques,, vol de Des Grieux,
enlèvements ( de Des Grieux par les hommes de son père, puis du fils de M. de G…
M…) , enfermements, emprisonnements ( à Saint-Lazare pour Des Grieux, à l’hôpital
de la Salpêtrière pour Manon) , voyage et exil en Amérique, évasions, duel avec
Synnelet p 273, fuite dans le désert, mort de Manon
. tous les thèmes romanesques sont présents : passion amoureuse, périls et mise en
danger (duel, enlèvements) , exotisme et voyage
- Lien avec le roman d’aventures et exotisme (celui-ci est très à la mode au XVIIIème
siècle) p 276 , ligne 2263, avec la description des habitants d’Amérique : « J’avais
acquis assez de connaissance du pays, depuis près de dix mois que j’étais en
Amérique, pour ne pas ignorer de quelle manière on apprivoisait les sauvages. J’avais
même appris quelques mots de leur langue et quelques-unes de leurs coutumes » et
« Nous avions à traverser, jusqu’à leurs colonies [celles des Anglais] , en paraissait de
stériles campagnes si hautes et si escarpées que le chemin en paraissait difficile aux
hommes les plus grossiers et les plus vigoureux . »
Et après la mort de Manon p 279: « Mon dessein était d’y mourir ; mais je fis réflexion
au commencement du second jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à
devenir la pâture des bêtes sauvages. »
- La répétition des mêmes évènements peut sembler improbable : les trois trahisons
de Manon et la séduction de M. de G…M… père puis fils
III/ Aussi avec le choix de personnages en marge
Les premiers récits au Moyen Âge racontent les aventures de personnages idéalisés =
romans de chevalerie. Fin XVIIème et XVIII, la bourgeoisie prend plus d’importance et
le lectorat s’élargit : les lecteurs souhaitent des personnages plus communs, issus de
milieux moins élevés. La psychologie des personnages a plus d’importance avec le
recul des valeurs héroïques.
Citation de Montesquieu : « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un
fripon et l’héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes
les actions du héros, le chevalier Des Grieux, ont pour motif l’amour qui est toujours
un motif noble, quoique la conduite soit basse. Manon aime aussi, ce qui lui fait
pardonner le reste de son caractère. »
1/ Manon
a/ sa précocité en amour
cf 1ère étude linéaire p 35 « Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes
politesses sans paraître embarrassée. […]C’était malgré elle qu’on l’envoyait au
couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir , qui s’était déjà déclaré et
qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens. »
Quand il part avec elle puis se retrouve seul à l’auberge, il découvre l’amour physique
mais Manon, elle, semble moins ingénue p 42 : « Ainsi j’eus le plaisir, en arrivant à
l’auberge, d’entretenir seul la souveraine de mon cœur. Je reconnus bientôt que
j’étais moins enfant que je ne le croyais. Mon cœur s’ouvrit à mille sentiments de
plaisir dont je n’avais jamais eu l’idée. Une douce chaleur se répandit dans toutes
mes veines. J’étais dans une espèce de transport, qui m’ôta pour quelque temps la
liberté de la voix et qui ne s’exprimait que par mes yeux. Mademoiselle Manon
Lescaut […] parut fort satisfaite de l’effet de ses charmes. »
D’ailleurs la note de votre édition p 44 apporte une précision intéressante : « le
prénom Manon n’avait pas, semble-t-il , bonne réputation au XVIII ème siècle et était
associé aux filles de joie »
b/ son immoralité : malgré son amour elle trahit Des Grieux à chaque fois qu’ils
manquent d’argent
- P 76 Manon raconte à Des Grieux comment elle s’est laissée séduire par M. de
B… : « Elle m’apprit que l’ayant vu à la fenêtre, il était devenu passionné pour elle ;
qu’il avait fait sa déclaration en fermier général [personne chargée par le roi de
récupérer les impôts], c’est-à-dire en lui marquant dans une lettre que le payement
serait proportionné aux faveurs ; qu’elle avait capitulé d’abord, […], qu’elle s’était
laissée ébranler par degrés ».
- elle accepte de quitter M. de B… sans lui accorder ses faveurs mais veut garder ses
biens p 82 : Je veux lui laisser ses meubles[..] mais j’emporterai, comme de justice, les
bijoux et près de soixante mille francs que j’ai tirés de lui depuis deux ans ». Elle
garde les biens de M. de G…M… sans même lui accorder ses faveurs p 116 de la ligne
1808 à la fin de la page. Des Grieux, lui, a bien conscience que cela n’est pas
« justice » mais il devient complice : p 120 « Quoiqu’à mes propres yeux cette action
fût une véritable friponnerie, ce n’était pas la plus injuste que je crusse avoir à me
reprocher. J’avais plus de scrupule sur l’argent que j’avais acquis au jeu. »
- Des Grieux a bien conscience de ce goût pour les plaisirs et l’argent et s’en effraie
souvent comme à la page 88 : « Je connaissais Manon ; je n’avais déjà que trop
éprouvé que, quelque fidèle et quelque attachée qu’elle me fût dans la bonne
fortune, il ne fallait pas compter sur elle dans la misère. » Il en fait part avec humour
p 194 : « Mais c’en est un bien séduisant qu’un hôtel meublé avec un carrosse et trois
laquais ; et l’amour en a peu de si forts. » (quand M. de G… de M… lui fait des
avances)
Il l’excuse même (il semble donc lui-aussi avoir perdu son sens moral) p 99: « Jamais
une fille n’eut moins d’attachement qu’elle pour l’argent, mais elle ne pouvait être
tranquille un moment, avec la crainte d’en manquer. C’était du plaisir et des passe-
temps qu’il lui fallait. Elle n’eut jamais touché un sou, si l’on pouvait se divertir sans
qu’il en coûte. »
Elle avoue tout cela dans une lettre d’adieu à Des Grieux début p 109, ce qui
déclenche sa colère (lire jusqu’à ligne 1664).
- Elle fait preuve d’immoralité surtout quand elle le quitte pour M.de G…M…fils et
qu’elle lui envoie une jeune fille pour le consoler : son billet semble très cruel mais
elle ne s’en rend pas compte même plus tard p 199 « Elle m’assurait néanmoins
qu’elle ne m’oubliait pas dans cette nouvelle splendeur ; mais que, […] elle remettait
à un autre jour le plaisir de me voir ; et que pour me consoler un peu de la peine
qu’elle prévoyait que cette nouvelle pouvait me causer, elle avait trouvé le moyen de
me procurer une des plus jolies filles de Paris » . Elle essaie ensuite de se justifier p
215 mais lui avouera quand même : « je l’ai trouvée jolie, et comme je ne doutais
point que mon absence ne vous causât de la peine, c’était sincèrement que je
souhaitais qu’elle pût servir à vous désennuyer quelques moments, car la fidélité que
je souhaite de vous est celle du cœur. » La note de la page 217 rappelle donc que
« Manon invite Des Grieux à dissocier la fidélité de l’âme et l’infidélité du corps » .
2/ Des Grieux
-Récit d’une chute
Le roman inverse le récit d’ascension sociale fréquent à cette époque : Des Grieux est
noble par sa naissance, il est chevalier et futur ecclésiastique au début du roman ,
mais il devient fils rebelle, puis tricheur, escroc, assassin, prisonnier et complice
d’évasion. Il désobéit à son père et vit dans le péché avec Manon. Son déclassement
est évident quand il rejoint Manon dans la voiture de déportation : « Je quittai mon
cheval pour m’asseoir auprès d’elle ». En descendant de cheval, il renonce à la
chevalerie et se résigne à la honte.
- Des Grieux se met à jouer et à tricher pour obtenir rapidement de l’argent et ne pas
risquer de perdre Manon p 101 : « On prétendit qu’il y avait beaucoup à espérer de
moi, parce qu’ayant quelque chose dans la physionomie qui sentait l’honnête
homme, personne ne se défierait de mes artifices. » et « Le dirai-je à ma honte ? Je
profitai en peu de temps des leçons de mon maître [Lescaut]. J’acquis surtout
beaucoup d’habileté à faire une volte-face, à filer la carte, et m’aidant fort bien d’une
paire de manchettes, j’escamotais assez légèrement pour tromper les yeux des plus
habiles, et ruiner sans affectation quantité d’honnêtes joueurs. »
- il devient menteur et immoral quand il accepte le plan de Lescaut et qu’il se fait
passer pour le frère de Manon auprès de l’amant de celle-ci (lire p 11 l 1681 jusqu’à
1723 « Par quelle fatalité, disais-je, suis-je devenu si criminel ? ») et Des Grieux joue
bien la comédie p 114 « Nous ne trouvâmes point d’autre moyen, que de prendre
devant lui [M. de G…M…] un air simple et provincial , et de lui faire croire que j’étais
dans le dessein d’entrer dans l’état ecclésiastique , et que j’allais pour cela tous les
jours au collège. » Il est aussi hypocrite dans la prison de Saint-Lazare vis-à-vis du
Père supérieur qui est pourtant bon avec lui : « Je résolus de l’augmenter ( la vision
positive que le Père a de lui] par une conduite qui pût le satisfaire entièrement,
persuadé que c’était le plus sûr moyen d’agréger ma prison.[…] Je dois le confesser à
ma honte, je jouai, à Saint-Lazare, un personnage d’hypocrite. »
- il peut donc être un manipulateur sans scrupules face au Père supérieur d’abord
puis avec son père : p 172 « Je résolus , sinon de retourner dans ma famille, du moins
d’écrire à mon père, comme il [Tiberge] me le conseillait, et de lui témoigner que
j’étais disposé à rentrer dans l’ordre de mes devoirs et de ses volontés. Mon
espérance était de l’engager à m’envoyer de l’argent, sous prétexte de faire mes
exercices à l’académie, car j’aurais eu de la peine à lui persuader que je fusse dans la
disposition de retourner à l’état ecclésiastique. […] et j’écrivais d’une manière si
tendre et si soumise, qu’en relisant ma lettre, je me flattai d’obtenir quelque chose
du cœur paternel. »
Encore une fois avec M. de G…M… père quand il est surpris dans l’appartement de
son fils : « Malgré toute ma fierté, je reconnus qu’il fallait plier sous le poids de ma
fortune et flatter mon plus cruel ennemi, pour en obtenir quelque chose par la
soumission. » p 228. Il lui fait alors un discours pour se disculper. : « Je confesse que
ma jeunesse m’a fait commettre de grandes fautes »
- il devient violent et meurtrier p 129 : il veut tuer M. de G…de M…quand celui-ci lui
a appris que Manon était à la Salpêtrière cf « Je me jetai sur lui avec une si furieuse
rage que j’en perdis la moitié de mes forces. Il devient criminel dans notre 3 ème étude
linéaire quand il tue un domestique pour s’échapper de prison et n’exprime aucun
scrupule. Ce meurtre est raconté en une phrase seulement dans laquelle il minimise
sa responsabilité : « je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine ». Toutefois cela est
un accident : il avait demandé à Lescaut un pistolet non chargé : « Je l’assurai que
j’avais si peu dessein de tuer qu’il n’était même pas nécessaire que le pistolet fut
chargé.» p 145
- il emploie plusieurs fois des hommes de main pour enlever un rival ( et a ici un
comportement encore plus immoral que ses rivaux) : p 219 pour enlever M. de G…
M… fils d’abord « je ne pouvais me venger plus agréablement de mon rival qu’en
mangeant son souper et en couchant, cette nuit même, dans le lit qu’il espérait
occuper avec sa maîtresse ; que cela lui paraissait facile [à son ami, M. de T…], si je
pouvais m’assurer de trois ou quatre hommes qui eussent assez de résolution pour
l’arrêter dans la rue, et de fidélité pour le garder à vue jusqu’au lendemain. »
- il partage le même goût pour le plaisir que Manon : p 142 « Il est certain que notre
félicité consiste dans le plaisir [..] or le cœur n’a pas besoin de se consulter longtemps
pour sentir que, de tous les plaisirs, les plus doux sont ceux de l’amour. ». Lors de la
rupture définitive avec son père on voit bien qu’il privilégie le bonheur personnel et
les sentiments à l’ordre et aux règles.
3/ La situation se modifie dès leur arrivée en Amérique :
- En Amérique Des Grieux et Manon sont insérés dans la société et ne sont plus
considérés comme des marginaux (jusqu’à ce qu’ils annoncent qu’ils ne sont pas
mariés) : p 267 « Nous fûmes en peu de temps si considérés, que nous passions pour
les premières personnes de la ville après le gouverneur. » et « L’innocence de nos
occupations, et la tranquillité où nous étions continuellement, servirent à nous
rappeler insensiblement des idées de religion. Manon n’avait jamais été une fille
impie. Je n’étais pas non plus de ces libertins outrés, qui font gloire d’ajouter
l’irréligion à la dépravation des mœurs. L’amour et la jeunesse avaient causé tous nos
désordres. » mais cela ne durera pas. On veut encore lui prendre Manon quand on
apprend qu’ils ne sont pas mariés et Des Grieux pense avoir tué Synnelet.
- Cependant Des Grieux et Manon, complètement immoraux en France, veulent
vivre selon les préceptes de la religion et de la morale dès leur arrivée en Amérique
cf p 268 :
- transformation de Manon en Amérique p 265 : « Je sens bien que je n’ai jamais
mérité ce prodigieux attachement que vous avez pour moi. Je vous ai causé des
chagrins, que vous n’avez pu me pardonner sans une bonté extrême. J’ai été légère
et volage, et même en vous aimant éperdument, comme j’ai toujours fait, je n’étais
qu’une ingrate. Mais vous ne sauriez croire combien je suis changée. [..] Je ne cesse
point de me reprocher mes inconstances et de m’attendrir, en admirant de quoi
l’amour vous a rendu capable pour une malheureuse qui n’en étais pas digne, et qui
ne payerait pas bien de tout son sang »
-Pour Des Grieux p 268 :« Nous avons l’âme trop belle et le cœur trop bien fait, l’un
et l’autre, pour vivre volontairement dans l’oubli du devoir. Passe d’y avoir vécu en
France, où il nous était également impossible de cesser de nous aimer et de nous
satisfaire par une voie légitime ; mais en Amérique, où nous ne dépendons que de
nous-mêmes, où nous n’avons pas à ménager les lois arbitraires du rang et de la
bienséance, où l’on nous croit même mariés, qui empêche que nous ne le soyons
bientôt effectivement et que nous n’anoblissions notre amour par des serments que
la religion autorise ? »
Or c’est à ce moment que leur bonheur prend fin, c’est un paradoxe p269 : « Il
m’avait souffert [le ciel]avec patience tandis que je marchais aveuglément dans la
route du vice, et ses plus rudes châtiments m’étaient réservés :lorsque je
commençais à retourner à la vertu »

4/ Lescaut
- Il conseille à Des Grieux de vendre sa sœur et espère bien profiter de cet argent p
91: « Une fille comme elle devrait nous entretenir, vous, elle et moi. […] Il me
confessa impudemment qu’il avait toujours pensé de même, et que, sa sœur ayant
violé les lois de son sexe, quoiqu’en faveur de l’homme qu’il aimait le plus, il ne
s’était réconcilié avec elle que dans l’espérance de tirer parti de sa mauvaise
conduite. »
-Il met d’ailleurs cela en pratique p 107 : « je donnai le temps à Lescaut d’entretenir
sa sœur, et de lui inspirer, pendant mon absence, une horrible résolution. Il lui parla
de M. de G…M…, vieux voluptueux, qui payait prodiguement les plaisirs, et il lui fit
envisager tant d’avantages à se mettre à sa solde que, troublée qu’elle était par notre
disgrâce, elle entra dans tout ce qu’il lui prit de lui persuader. »
- Il meurt d’ailleurs assassiné pour ce qui ressemble à un règlement de compte :
« Lescaut avait gagné si rapidement que l’autre s’était trouvé cent écus de moins en
une heure, c’est-à-dire tout son argent. Ce malheureux, qui se voyait sans un sou,
avait prié Lescaut de lui prêter la moitié de la somme qu’il avait perdue ; et sur
quelques difficultés nées à cette occasion, ils s’étaient querellés avec une animosité
extrême. Lescaut avait refusé de sortir pour mettre l’épée à la main, et l’autre avait
juré, en le quittant, de lui casser la tête : ce qu’il avait exécuté le soir même. » p 175
5/ Deux personnages s’opposent à ces marginaux : le père de Des Grieux et son
ami, Tiberge
- Son père exprime son désespoir face aux « désordres » de son fils : « Qu’un père
est malheureux, lorsque, après avoir aimé tendrement un fils et n’avoir rien épargné
pour en faire un honnête homme, il n’y trouve, à la fin qu’un fripon qui le
déshonore. » p 234 et p 234-235 « quel remède contre un mal qui augmente tous les
jours tel que les désordres d’un fils vicieux qui a perdu tous sentiments
d’honneur ? ». Il se montre pourtant bon et pardonne à son fils la première fois après
l’avoir fait enlever. Puis il exprimera sa « vive colère ». Ses valeurs sont l’ordre, le
respect et l’honneur. (Celles de Des Grieux sont le bonheur personnel, les sentiments
et le plaisir propre à l’amour)
Des Grieux regrettera son comportement de « fils ingrat et rebelle » à la fin du roman
à son retour en France p 287 : « J’ai appris, par la réponse de mon frère aîné, la triste
nouvelle de la mort de mon père, à laquelle je tremble, avec trop de raison, que mes
égarements n’aient contribué. »
- Tiberge est le personnage opposé à Manon. Il représente la droiture et tente
toujours de ramener Des Grieux à la raison, à la morale et à Dieu.
Tiberge ne peut que le condamner comme à la page 135 : « reconnaître, comme je le
faisais, que l’objet de mes attachements n’était propre qu’à me rendre coupable et
malheureux, et de continuer à me précipiter volontairement dans l’infortune et dans
le crime, c’était une contradiction d’idées et de conduite qui ne faisait pas honneur à
ma raison. »
C’est à lui que Des Grieux fait appel quand il est désespéré et sans argent p 170 : « le
bon Tiberge, me refusera-t-il ce qu’il aura le pouvoir de me donner ? Non, il sera
touché de ma misère ; mais il m’assassinera par sa morale. »
Celui-ci viendra d’ailleurs en Amérique pour le retrouver. L’histoire se termine avec
ce constat p 286 : « Je ne pouvais marquer trop de reconnaissance pour un ami si
généreux et si constant. » Ainsi, au début du récit il prend ses distances avec lui pour
vivre avec Manon mais à la fin il retrouve cette amitié sincère p 286 : « Je lui déclarai
que toutes mes semences de vertu qu’il avaient jetées autrefois dans mon cœur
commençaient à produire des fruits dont il allait être satisfait. Il me protesta qu’une
si douce assurance le dédommageait de toutes les fatigues du voyage.
On peut donc constater que le chevalier Des grieux est capable, à la fin de son
histoire, de reconnaître ses torts et de ressentir des scrupules. Quand l’objet de sa
passion a disparu, il retrouve une conscience morale et sa raison.
Quel est l’intérêt du choix de ces personnages marginaux ?
- Il suscite la curiosité du lecteur car ces personnages rendent compte
d’un milieu qui n’est pas celui de son quotidien
- Il sert l’objectif de l’auteur l « Avis de l’auteur des Mémoires d’un
homme de qualité » : « L’ouvrage entier est un traité de morale,
réduit agréablement en exercice. ». En effet cette passion le conduit
au malheur, à la chute et à l’exil.

IV/ Critique de la société


-L’argent règne dans cette société : les valeurs bourgeoises prennent le pas sur les
valeurs aristocratiques (goût de Manon pour les plaisirs luxueux)
- Des Grieux se fait des illusions sur le Nouveau Monde : les hommes se comportent
finalement aussi mal en Amérique qu’en France. Il exprime ses illusions p 258 « Je me
supposais déjà, avec elle, dans une région inculte et habitée par des sauvages. Je suis
bien sûr, disais-je, qu’il ne saurait y en avoir d’aussi cruels que G…M…et mon père. Ils
nous laisseront du moins vivre en paix. [...]ils suivent les lois de la nature. Ils ne
connaissent ni les fureurs de l’avarice, qui possèdent G…M…, ni les idées fantastiques
de l’honneur, qui m’ont fait un ennemi de mon père. »

V/ Roman ou tragédie ?
1/ éléments propres à la tragédie
Au début du roman, l’auteur des Mémoires d’un homme de qualité présente Des
Grieux comme « un jeune aveugle, qui refuse d’être heureux, pour se précipiter
volontairement dans les dernières infortunes »
. Des Grieux est un aveugle car ne il voit pas le destin, il est vulnérable. Il est aux
prises de sa passion amoureuse et rien ne peut conjurer son mauvais sort et son
destin fatal écrit dès le premier chapitre de ce récit rétrospectif : « C’était malgré elle
qu’on l’envoyait au couvent pour arrêter son penchant au plaisir, qui s’était déjà
déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens. »
. Ce roman comporte 5 actes :
- L’exposition : rencontre Renoncour/ Des Grieux
- Actes II à IV : infidélité de Manon avec M de B…, avec le vieux G…M et
avec le fils de celui-ci avec à chaque fois une sanction (enfermement
chez M. Des Grieux, à Saint-Lazare et au Châtelet avec déportation de
Manon)
- Acte V : arrivée en Amérique avec la mort de Manon
Le dénouement est connu dès le début comme dans une tragédie classique mais si la
déportation de Manon est annoncée dès les premières pages, la mort de Manon est
une surprise à la fin du récit. »
Le ton de Des Grieux est tragique en utilisant les notions de « trahison », « fatalité »,
« malheur », « cruauté » tout au long du récit.
Notre 3 ème extrait (rupture définitive) met bien en valeur ce ton tragique.
Autre citation qui prouve encore le lien entre ce roman et la tragédie p 222 « Nous
étions dans le délire du plaisir, et le glaive était suspendu sur nos têtes. »

2/ éléments propres à la comédie


Mais les tours joués par les libertins s’apparentent plutôt à des scènes de comédie :
tour joué par Manon au prince italien (lui oppose le beau portrait de Des Grieux dans
le miroir), tour joué au vieux G…M… dans lequel Des Grieux joue le rôle du petit frère
de Manon de à M. de G… M… (puis Manon prend son argent et ses bijoux mais se
sauve avec Des Grieux au moment où il pense qu’elle va se donner à lui) et le tour
joué au fils M. de G… M… : Des Grieux le fait enlever pour coucher dans son lit avec
Manon qui était devenue la maîtresse entretenue du fils de M. de G…M…
De plus les personnages ne se comportent pas tous avec noblesse, en particulier pour
Manon, son frère Lescaut et Des grieux.
Le recul pris par Des Grieux dans ce récit rétrospectif fait qu’il utilise l’humour et
l’ironie comme à la page 192 : « La résolution fut prise de faire une dupe de G…M…,
et par un tour bizarre de mon sort, il arriva que je devins la sienne. »
Or ce mélange des tons comique et tragique reflète bien la vie réelle.

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