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Dorien

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Dorien, le funambule

C’est probablement le mode mineur qu’on utilise le plus fréquemment ; sa sonorité chaleureuse,
équilibrée, est immédiatement reconnaissable ; on l’associe à des monuments du répertoire tel que So
What ou encore Time Remembered ; et pourtant c’est un mode qui nous réserve encore quelques
surprises et qui nous tend, l’air de rien, un piège fonctionnel : nous allons aujourd’hui parler du mode
dorien.
Genèse
Deuxième mode du système naturel, le dorien se caractérise par sa 6 te majeure — qui donne une
13e majeure sur un accord Xm7, soit un accord Xm13. On l’utilise dans un contexte modal ou bien
tonal. On peut éventuellement l’associer à un accord m6 ou m6/9, dans lequel la fameuse 6te dorienne
aura la part belle, mais quitte à pinailler, il nous faut préciser que l’appellation strictement dorienne est
réservée à un voicing faisant entendre le fragment modal 6te majeure / 7e mineure. Le Si et le Do, par
exemple sur un accord de Dm7. Dans la lettre, le dorien est donc réservé à un accord Xm13.
Cependant, il existe une certaine tolérance auditive, qui nous permet d’étendre assez facilement les
associations, et d’autoriser l’appellation dorienne en présence d’accords dépourvus de 7 e.

Abus d’analyse… d’association


En revanche, à l’instar du ionien, il existe une erreur fréquente qui consiste à associer le mode dorien à
tout accord mineur un peu sombre, large et paisible, comme le chaleureux m11, très prisé des « neo
soulistes », et à lui attribuer une qualification abusive. Répétons donc que pour tout mode, la présence
du ou des DCN est nécessaire pour justifier une appellation spécifique, qui correspondra à une couleur
non moins spécifique.
Il existe un autre écueil dans lequel nombre d’instrumentistes ne manquent pas de tomber : c’est de
procéder à un couplage systématique, disons une confusion, entre le degré et la fonction. Car si le
dorien est bien un mode associé au deuxième degré, il ne sera pas toujours associé à un accord du
deuxième degré. C’est même, en dépit d’une idée reçue, une exception mélodique. En effet, à l’usage,
on peut constater que le dorien est assez rarement utilisé sur un accord de sous-dominante. Pourquoi ?
Parce que la 13e majeure entraîne une couleur qui ne manquera pas de dénaturer la fonction de la sous-
dominante, d’amoindrir son côté « tempérée », préparatoire, rond et stable, en lui conférant
précisément un excès de tranchant, en le faisant saillir de la cadence. Car dans l’enchaînement
harmonique normalement attendu, c’est à la dominante qu’échoue le rôle de créer une tension devant
nous amener vers un sentiment de résolution, la tonique. Bouleverser cet ordre conditionné est
possible, mais doit se faire en toute conscience. Voilà le petit piège dont nous avons parlé en
introduction, et dans lequel l’harmoniste ne doit glisser le pied qu’en ayant parfaitement à l’esprit les
conséquences de ses choix.
Modification de la sous-dominante
De fait, lorsque les harmonistes veulent modifier la nature de la sous-dominante, le choix est en
général beaucoup plus radical : ils utilisent un accord de dominante secondaire — la fameuse « dom de
dom », qui va instantanément pousser la progression vers l’avant, dans une succession de périodes
instables, une course de déséquilibres calculés devant amener l’oreille à attendre et apprécier l’accord
conclusif avec une satisfaction redoublée. On peut aussi utiliser des conduites de voix (quitte à
suggérer éventuellement un mode, comme le ionien♭3…) ; mettre en place une pédale ; renverser son
accord ; chercher toutes sortes de positions… mais dans le cadre d’une harmonisation (l’improvisation
répondant à des critères que nous ne développons pas ici) la couleur dorienne fait rarement partie de
l’attirail employé.
Dorien et tonique : la mélodie reine
Bien sûr, il arrive d’utiliser le dorien sur un accord de sous-dominante. Il y a même un contexte
mélodico-harmonique dans lequel cette association est évidente, c’est lorsque le DCN se trouve au
chant. Dans ce contexte, quand le soprane exprime la 6te d’un accord mineur préparatoire, le mode
dorien, par défaut, s’impose de lui-même. Il nous est dicté par la mélodie.
Historiquement, l’usage le plus évident, le plus courant pour le mode dorien, demeure lié à une plage
modale. C’est le cas de So What, mais également de toute période sur laquelle l’accord aura
suffisamment d’espace pour déployer ses fragments spécifiques sans contrevenir à un ordre cadentiel.
Le début d’Invitation, nous offre par exemple un terrain de jeu idéal pour explorer la couleur dorienne,
et accessoirement les modes altérés qui lui sont associés comme le dorien♯4.

Disons enfin que le dorien s’utilise aussi parfaitement, quoique plus discrètement, avec des accords
mineurs parallèles. L’anacrouse d’Autumn Leaves nous donne ainsi l’occasion de faire entendre un
D♭m13 avant l’accord de Cm7 qui marque le début du thème.

Pour résumer notre étude, on dira que le dorien :


 doit faire entendre son DCN pour mériter son appellation ;
 s’associe difficilement avec un accord de sous-dominante en dehors d’un contexte mélodique
précis ;
 est lié avec un accord de tonique mineur (dans le cadre notamment d’une plage modale) ;
 est utile dans le cadre des accords mineurs parallèles.

Voilà, en espérant que ce petit tour d’horizon vous aidera à y voir un peu plus clair. Mais, au fait,
pourquoi le « funambule » ? Eh bien, j’ai choisi ce nom — parmi de nombreux autres qui auraient pu
tout aussi bien lui correspondre —, car il se dégage une couleur résolument équilibrée du dorien, c’est
un mode qui peut donner l’impression d’être suspendu, en apesanteur. Une instable stabilité ; une
stabilité subtilement instable. Et ceci n’est pas le fruit du hasard, car le mode dorien est un palindrome,
c’est-à-dire qu’il se lit dans un sens comme dans l’autre, et que ses intervalles sont parfaitement
répartis au sein des deux tétracordes. Il est réversible. Cette caractéristique fait que l’on peut placer le
dorien au cœur du système naturel réorganisé. Mais nous reparlerons de tout cela dans un futur épisode
consacré aux miroirs harmoniques.

C’est en général le premier mode que l’on étudie en cours d’harmonie ; c’est aussi, comme nous allons
le voir, le plus mal compris et le plus vite délaissé. Parlons donc un peu aujourd’hui du mode ionien.
Genèse
S’il existe plusieurs façons d’aborder la modalité et donc plusieurs types de classifications et de
nomenclatures, on continuera ici de se référer au système mis au point par Bernard Maury — système
qui nous semble à ce jour le plus complet et le plus pertinent.
Le mode ionien est le premier mode issu du système naturel. Il est constitué, comme toute échelle
heptatonique, de sept notes conjointes de noms et de sons différents ; il contient deux degrés
caractéristiques naturels : la 4te (sous-dominante) et la 7e (sensible du ton). Cette double précaution
nous permet entre autres de le distinguer parfaitement des deux autres modes issus de la zone tonale :
le mixolydien et le lydien ; elle offre également la possibilité d’indiquer les deux fragments modaux
que l’on retrouvera dans chaque mode issu du système naturel. Pour autant, s’il fallait hiérarchiser ces
DCN[1], il est évident que le degré le plus emblématique du ionien resterait la 4 te juste.
Une première difficulté
Si l’on effectue un rapprochement mode/accord dans le cadre d’une utilisation fonctionnelle, on
associe naturellement le mode ionien à un accord Xmaj13. Toutefois, un tel accord, contrairement à
une idée reçue, ne peut pas à ce stade obtenir le label ionien. En effet, on trouve bien la 7e de
l’accord (sensible du ton et second DCN du ionien), mais on ne trouve pas le 4 te sans laquelle la
désignation ionienne est abusive.

Mes premiers modes


Ci-dessus, un extrait du tableau des modes tels qu’ils étaient enseignés selon la méthode Berklee dans
les années 80. (On remarquera la précision « d4 », soit degré… à éviter !) Il s’agit d’une archive que
j’ai retrouvée dans mon premier cahier de musique consacré à l’harmonie. J’avais alors 12 ou 13 ans,
et j’étais étudiant à la Bercovitz Music School.
Rappelons que certains musiciens ont tendance à procéder à des rapprochements modaux spéculatifs,
sans tenir compte de la présence ou non des degrés caractéristiques au sein du voicing. C’est assez
fréquemment le cas du ionien que des instrumentistes peu rigoureux ont le défaut d’associer à quelque
accord majeur, alors même que les couleurs spécifiques naturelles en sont absentes.
Mais évidemment, jouer la 4te juste sur un accord majeur nous amène immédiatement au constat
suivant : ça clash avec la tierce ! Comprenez : la présence de la sous-dominante va créer un
frottement avec la médiante du ton, un intervalle que l’on jugera indésirable. Voilà pourquoi on
apprend généralement dans les cours théoriques qu’il ne faut pas utiliser ce mode sur un accord du
premier degré, sous peine d’entraîner une « dissonance » et un sentiment d’instabilité non représentatif
de la fonction tonique. Ajoutons pour être parfaitement honnête que nous n’avons pas manqué de
sacrifier à la mise en garde dans notre ouvrage En Harmonie (Éd. Outre mesure), et que nous avons
appelé le lecteur à la plus grande prudence.
Fonction tonique
Avant d’étudier les conditions de mise en œuvre du ionien, il faut comprendre la nature ontologique de
ces interdits. Dans le cadre d’une expression cadentielle, il est fondamental d’alterner les moments
de tensions et de repos afin d’insuffler un élan, une dynamique basée sur l’enchaînement de
périodes « préparatoires » et « résolutives ». Ce balancement originel, « vital », permet bien sûr de
définir un ou plusieurs centres tonals spécifiques. Voilà pourquoi on dit que l’usage du ionien, avec
son sempiternel frottement indésirable, va affaiblir l’effet conclusif de la tonique. Il viendrait, dans
cette logique, contrecarrer la sensation escomptée.
Pour autant, il existe un autre élément à prendre en compte, un élément qui pourrait nous amener à
nuancer notre jugement, à tempérer nos interdictions : il s’agit de l’éventuelle coloration que l’on
souhaite apporter à cet accord de tonique. Voire de l’ambiguïté que l’on pourrait avoir envie de
générer.
Le génome du ionien
Si l’usage du ionien est contestable, celui de la dominante sur tonique ne l’est absolument pas. Ce
procédé qui consiste à jouer (ou à répéter) la dominante en lieu et place de l’accord de tonique tout en
conservant la fondamentale de ce dernier, produit un accord « hybride », un effet un peu
schizophrénique où l’oreille perçoit la note de basse effectivement attendue, mais pas la fonction qui
lui est associée. Cette technique existe depuis Bach, au moins, et a fait son chemin jusqu’au pianiste de
jazz les plus modernes, tel que Bill Evans, qui voyait en Bach, son compositeur préféré (et
probablement, pour ce qui me concerne, sa plus grande influence harmonique).
Pourquoi ce détour par la dominante sur tonique ? Parce que ce procédé est contre toute attente
ancré au cœur du ionien, il constitue son ADN le plus intime. Cette relation s’explique aisément par
la présence au sein du mode des deux degrés caractéristiques : la 4te et la 7e, c’est-à-dire le triton de la
tonalité. Or en quoi consiste la création d’une dominante sur tonique ? En la répétition, nous-y voilà,
du triton sur le premier degré. Dans le cadre du premier mode naturel, toutefois, une nuance de taille
s’impose : l’association accord/mode laisse entendre la 3ce majeure de l’accord, ce qui range cette
sonorité plus volontiers dans la famille des accords de tonique avec note(s) d’appoggiature que dans
celle plus large des dominantes sur tonique (où la 3ce, identité objective de la tétrade, est absente).
Le choix de l’ambiguïté
Ainsi le choix d’utiliser ou non le ionien ne repose-t-il sur rien d’autre (comme pour son homologue
historique) qu’une considération esthétique, une volonté de briser le sens obvie de l’enchaînement,
de retarder l’expression trop franche de la fonction tonique — fonction qui sera tout de même
assurée par la présence répétons-le de la 3ce. En d’autres termes, le ionien participe d’une ambiguïté
assumée résultant de critères purement subjectifs, mais parfaitement licites du point de vue de la
dynamique cadentielle.
Registre et position
Finalement, plus qu’un problème de légitimité acoustique, les conditions d’expression du ionien
(comme d’autres modes de la même famille, du type ionien♭6 ou encore le ionien♭2♭6) dépendent
largement de l’esthétique globale, mais aussi du registre dans lequel il est entendu et de la position
utilisée. Le fameux clash dont nous avons parlé est avant tout lié à une mauvaise distribution des voix
au sein de l’accord. En passant par exemple la 3ce au-dessus de la 4te, on obtient un intervalle de
7e majeure entre la 4te et la 3ce qui neutralise une partie du conflit harmonique.
Le ionien, boudé par bon nombre d’harmonistes, est donc un mode qui mériterait qu’on lui accorde un
peu plus d’attention. Si sa sonorité délicate requiert plus de soin qu’un lydien brillant (parfois
pétaradant), elle offre dans certains cas des possibilités d’enrichissement que les pianistes ne devraient
pas négliger.

Avant d’étudier des marches et des enchaînements spécifiques devant nous conduire à l’harmonisation
concrète d’une mélodie, il est primordial de parfaitement connaître la tétrade, c’est-à-dire les quatre
notes qui constituent les principaux accords que nous allons utiliser. Cette maîtrise de base doit inclure
: les notes et les intervalles qui composent un accord donné ; le nom et la sonorité de cet accord.
1. Typologie de la tétrade
Si l’on considère les triades (majeures, mineures, diminuées et augmentées) auxquelles on ajoute une
7e (majeure, mineure ou diminuée) ou une 6te majeure ; et si l’on considère l’accord isolé X7(♭5), basé
sur une triade non conventionnelle, que l’on associe à l’accord de sixte augmentée[1], on obtient alors
douze types d’accords possibles, douze tétrades.

Douze tétrades

Dans cette partie nous aborderons uniquement les accords Xmaj7, X7, Xm7, Xm7(♭5), Xdim7,
accords dont nous avons besoin pour construire la cellule élémentaire d’un morceau tonal : la
cadence.
Nous étudierons différentes positions qui seront pour l’instant toujours exprimées à l’état fondamental.
Ce travail bien assimilé, nous pourrons facilement ajouter des notes d’extensions ou des doublures
choisies pour étoffer les progressions et passer à des accords de 5 sons et plus.
2. Position ① ③ ⑤ ⑦
La toute première position étudiée correspond et se confond avec la construction élémentaire de la
tétrade ; elle consiste en une triade majeure, mineure ou diminuée à laquelle on a ajouté une septième
majeure, mineure ou diminuée[2]. Cette disposition élémentaire nous servira de base pour toute la suite
de notre étude.
À ce stade, il est important que l’élève chasse les derniers doutes qui peuvent demeurer sur certains
accords ou certaines tonalités moins usuelles que d’autres. Pour ce faire, il est indispensable
de jouer les positions proposées, d’en analyser la composition, c’est-à-dire l’agencement spécifique
des voix, de les nommer entièrement et précisément, sans avoir recours à des raccourcis de langage
(on dira par exemple : « Do mineur sept bémol cinq » ou encore « Ré diminué sept »), et d’écouter le
son particulier de chaque type d’accord et de chaque position. Chanter les notes qui composent une
tétrade est en outre un excellent exercice de formation musicale.
Les notes caractéristiques générant la couleur spécifique d’un accord par rapport au précédent sont
écrites en noir.

L’exercice suivant transpose ces cinq accords en suivant le cycle des 5 tes. Il est important à ce stade de
bien respecter le doigté indiqué et de jouer l’alto et le ténor avec les pouces afin de laisser une plus
grande liberté de mouvement aux notes se trouvant aux parties extrêmes — et qu’un autre doigté aurait
le défaut de figer.
Pour faciliter l’étude, on remarquera dans ce chapitre que certaines positions excèdent les limites
d’intervalles préconisées. Ceci est dû à une volonté d’explorer le plus possible le registre central du
clavier pour se focaliser sur la composition de la tétrade.
Exercice 1
3. Position ① ③ ⑦ ⑤
Avec la position suivante, l’alto et le soprane sont inversées : on obtient une sixte, majeure ou mineure
entre ces deux voix supérieures. La basse et le ténor ne changent pas.
Il faut dès à présent prendre conscience que c’est la 5te de l’accord qui se trouve au soprane. Cette
habitude de faire l’analyse mélodique en regard de l’harmonie revêtira un rôle capital pour la suite de
l’étude.

Comme précédemment, l’exercice suit le cycle des 5 tes et l’on continuera à bien suivre les doigtés
indiqués.
Exercice 2

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