Se Connaître Soi Même
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1 Ce thème de la philosophie comme thérapie est plus amplement développé dans un article : « Allô
docteur ? Le docteur en philosophie ou le philosophe thérapeute », que vous trouverez en ligne dans la
même rubrique (« Penser à l’envers »), sous l’onglet « Enjeux, méthodes et histoire de cette rubrique ».
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secrètement.
Il est cependant un peu rapide de dire que moi seul connais cette
carte. Il est même plutôt probable qu’on ne la connaisse pas si bien parce
qu’elle agit à l’ombre de notre propre conscience, même si c’est elle qui
nous guide. De sorte que d’autres, qui nous côtoient au quotidien, savent
parfois mieux que nous déceler nos petits points « exquis » et nous les
renvoyer en miroir. C’est donc bien qu’un travail de conscience reste à faire,
de façon à les mettre mieux au jour. Nous avons trouvé ici le lieu possible
d’une amélioration de la connaissance que nous avons de nous-mêmes...
Réalisez donc soigneusement votre carte d’acupuncture morale à
l’usage éventuel de vos nouveaux amis ou de votre (prochain) compagnon
de vie... Comment vos humeurs varient-elles, parfois sur de toutes petites
choses que vous observez ou qui vous passent par l’esprit ? Qu’est-ce que
vous vous surprenez à éviter dans la relation à l’autre ou dans le quotidien ?
Où sont vos terrains minés ? Quelles sont les petites choses qui vous
répugnent ou simplement vous mettent dans une distance expectative ?
Quels sont les gestes qui vous exaspèrent, ceux qui vous étonnent ? Quels
sont vos micro-espoirs déçus, vos attentes même les plus ridicules ? Quels
sont les regards ou les mots qui vous blessent ou vous touchent
démesurément ?
Ne regardez pas trop largement : on ne s’intéresse qu’au détail de vos
mouvements d’humeur pendant une heure ou deux, et à ce qu’ils disent de
délicat sur vous-mêmes, et que vous ignorez peut-être.
Vous êtes partis à l’exploration de vos failles, des terrains minés sur
lesquels il vaut mieux que personne ne pénètre, des sujets sensibles autour
desquels il faut tourner sans y aller directement et des petits points de
détails sur lesquels votre vie émotionnelle semble pourtant s’ancrer, bien
fragile amarre.
Laissez tomber les causes : c’est ce qui est, dans la finesse de son
grain, qui nous intéresse ici et non le pourquoi et l’origine présumée. La
connaissance n’est pas intéressée : on ne cherche pas les causes pour
maîtriser les effets et passer au-delà de ce qu’on jugerait médiocre, enfantin
ou triste. On cherche seulement à savoir mieux, plus délicatement, en
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qu’un vecteur de connaissance ; elle est aussi, dans une certaine mesure, un
obstacle à la connaissance :
« Interroger l'habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne
l'interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème,
nous le vivons sans y penser, comme s'il ne véhiculait ni question ni réponse,
comme s'il n'était porteur d'aucune information. Ce n'est même plus du
conditionnement, c'est de l'anesthésie. Nous dormons notre vie d'un
sommeil sans rêves. Mais où est-elle, notre vie ? Où est notre corps ? Où est
notre espace ? Comment parler de ces "choses communes", comment les
traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans
laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue :
qu'elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes. Peut-être
s'agit-il de fonder enfin notre propre anthropologie : celle qui parlera de
nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les
autres. Non plus l'exotique, mais l'endotique » (Perec, L'infra-ordinaire, Seuil,
1989, p. 9).
Voilà exactement ce que cherchait Lord Shaftesbury : donner une langue à
ce que nous sommes au plus quotidien, dans les comportements les plus
futiles et minuscules de notre vie, ceux que nous ne voyons plus et qui sont
portant indicateurs de ce que nous sommes.
« On croirait volontiers qu’il n’est rien de plus facile pour nous que de
connaître notre esprit et de comprendre quel est notre principal dessein ; ce
que nous visons manifestement, et ce que nous nous proposons à nous-
mêmes en guise de fin, en chaque occasion de notre vie. Mais nos pensées
tiennent en général un langage implicite si obscur que c’est la chose la plus
difficile au monde de les faire s’exprimer distinctement. Pour cette raison, la
bonne méthode est de leur donner voix et accent » (Shaftesbury, p. 28).
Donner voix et accent à nos pensées inconscientes
Comment faire ? On peut forcer ce langage replié sur lui-même à se
dire explicitement, on peut lui donner voix, selon la formule de Shaftesbury.
Allons-y simplement en nommant notre réaction : « je ris de », « je me ris
de », « je me moque de », « je regarde comme un peu ridicule », ou encore :
« j’admire », « je suis jaloux de », etc. C’est ainsi que nous saurions mieux
non ce que nous voulons, nos objectifs conscients, mais ce que nos réactions
révèlent de ce que nous éprouvons réellement.
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tribunal, nous aurons à coeur de ne plus avoir à y reconnaître les misères qui
auront été soulignées précédemment, de sorte que nous n’aurons plus la
même facilité à agir minablement2. Le meilleur vecteur de l’amélioration,
juge-t-on ici, c’est de se rendre compte qu’on s’accompagne soi-même,
qu’on a à vivre avec soi-même et que c’est peut-être ainsi un voleur, un
assassin, un menteur, ... que l’on accompagnera si l’on s’autorise à agir de
sorte à mériter ces qualificatifs. Vivre avec soi-même, s’accompagner soi-
même au quotidien : voilà en sommes la pratique de connaissance de soi
que les stoïciens vous proposent pour vous améliorer éthiquement.
Poursuivre par une lecture ?
Georges Perec, L'infra-ordinaire, Seuil, 1989.
Shaftesbury, Exercices, traduction et présentation de Laurent Jaffro, Aubier,
« Bibliothèque philosophique », 1993.
Shaftesbury, Soliloques, traduction M. Sanson, 1771, consultable en ligne :
https://books.google.be/books?
id=gqmF4yzDHbQC&printsec=frontcover&dq=shaftesbury+soliloques&hl=fr
&sa=X&ved=0CCkQ6AEwAGoVChMI2vzb-
eSHyAIVi3AaCh3N5ADG#v=onepage&q=shaftesbury%20soliloques&f=false
Poursuivre par d’autres exercices ?
Vous pouvez consulter le site de PhiloCité (www.philocite.eu) : nous
proposons chaque mois un nouvel exercice spirituel.
Si ce thème de la connaissance de soi vous intéresse, vous pouvez
également lire « Je suis un mammifère » et, prochainement, un « éloge de la
franchise » inspiré du rôle classique donné à celle-ci dans l’Antiquité pour se
connaître mieux.
Gaëlle Jeanmart3
2 Tous les exercices ne portent pas la même idéologie – ils définissent un certain rapport à soi tantôt
soutenu par la volonté de simplicité, tantôt soutenu par la recherche de la joie et du plaisir. Tantôt
ascétique, tantôt hédoniste. Tantôt stoïcien, tantôt épicurien, nietzschéen ou spinoziste. Cet exercice
s’oppose par exemple à celui intitulé « êtes-vous un saint ou un salaud ? » que nous vous proposons
dans l’article « Être quelqu’un d’autre ».
3 Avec la relecture attentive de Anne Herla.