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Dieu Est Parmi Nous

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DIEU EST PARMI NOUS (S.

Canals)

LA VOCATION CHRÉTIENNE
«Cet appel général à se sanctifier dans sa vie ordinaire, dans sa profession, sans abandonner son propre
milieu, comme il était clair pour ceux qui savaient lire dans l´Évangile! Pendant des siècles, pourtant, la
majorité des chrétiens ne Va pas compris. Et ainsi, l´histoire de la vie ascétique ne peut-elle nous offrir le
spectacle d’un grand nombre d’hommes recherchant la sainteté sans changer de place et par la sanctification
de leur profession, se sanctifiant eux-mêmes par leur profession. Alors bien vite, à force de ne pas la vivre,
on en vint à oublier la doctrine, et la réflexion théologique fut absorbée par l´étude d’autres phénomènes
ascétiques où se reflètent d’autres aspects de l’Évangile.» (St. Josémaria, 9.1.1932)

Un jour, parlant avec un jeune homme, tout comme je le fais en ce moment avec toi, je m’efforçais de le
convaincre de la nécessité de mener sa vie de façon chrétienne, c’est-à-dire de fréquenter les sacrements, de
devenir une âme de prière, et de donner à toutes ses actions et à toute son existence une orientation
surnaturelle. «Jésus, lui disais-je, a grand besoin d’âmes qui dans le monde, avec beaucoup de naturel et de
générosité, vivent une vie intégralement chrétienne.»

Mais toute la résistance de son âme transparaissait dans son regard, et sa volonté arc-boutée dans son refus
se défendait en accumulant les justifications. Et puis quelques instants plus tard, le voilà qui résumait en une
phrase sincère tout ce que jusqu’alors il n’avait peut-être jamais voulu avouer, fût-ce à lui-même: «Je ne
peux pas vivre comme vous me le dites... je suis très ambitieux!»

Je me rappelle encore ce que je lui ai répondu: «Regarde-moi: devant toi, tu as quelqu’un d’encore plus
ambitieux que toi... quelqu’un qui a le désir d’être saint. Mon ambition est si grande qu’aucune chose de ce
monde ne peut la contenter J’ambitionne de posséder le Christ, qui est Dieu, ainsi que le Paradis qui est sa
gloire, son bonheur et la vie éternelle.»

Laisse-moi continuer cette conversation, mais cette fois, avec toi. Ne crois-tu pas que nous tous, les
chrétiens, nous devrions être saintement ambitieux? La vocation chrétienne est une vocation à la sainteté. Il
te suffit d’être chrétien, et te voilà obligé d’être saint, et peu importe ta situation, peu importent tes
occupations, peu importe l’endroit où tu vis. Tous, tu entends, nous sommes tenus de la même manière à
aimer Dieu par-dessus toute chose: «Tu aimeras ton Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton
esprit et de toutes tes forces.»

Mais ce premier Commandement qui résume toute la loi divine et cette idée pourtant si simple et si claire, ils
ont bien perdu de leur force! De nos jours, on ne les voit plus guère marquer profondément la vie d’un grand
nombre de disciples du Christ.

Seigneur, comme l’idéal chrétien s’est appauvri, dans l’esprit des tiens! Ils ont pensé, et ils pensent encore
que cet idéal de sainteté est bien trop élevé pour eux, qu’une telle aspiration ne peut pas vraiment avoir sa
place dans le cœur de chaque chrétien.

Ah, comme on nous l’a rabâché sur tous les tons! Ça va bien pour les prêtres, ou pour les âmes qu’un appel
particulier attire vers la vie des cloîtres! Mais nous, gens du monde, contentons-nous d’une vie chrétienne
sans excessive prétention; renonçons avec humilité aux envols de l’âme, quitte à ressentir parfois une
certaine nostalgie, stérile et déprimante. Et il y en a beaucoup qui ajoutent, vaincus par les préjugés et par les
idées fausses: la sainteté, ce n’est pas pour nous. Y penser? Non! Ce serait de la présomption, de la
vantardise, un désordre, un déséquilibre, ou alors du fanatisme pur et simple! Et on jette l’éponge, avant
même d’être monté sur le ring.
Je voudrais pouvoir crier dans l’oreille de tant de chrétiens: «Prends donc conscience, chrétien, de ta
dignité!»

Libère-toi de tous ces préjugés, et laisse ton intelligence s’ouvrir avec sérénité. La vocation chrétienne est
réellement un appel à la sainteté, car les chrétiens forment tous sans distinction, comme le dit saint Pierre,
«un peuple saint, une nation élue, un sacerdoce royal, un peuple de rachetés». Voilà pourquoi les premiers
chrétiens, parfaitement conscients de leur nouvelle dignité, se désignaient eux-mêmes de ce nom de saints.

Quand finiras-tu donc de craindre ainsi la sainteté? Quand seras-tu enfin convaincu que le Seigneur te veut
saint? Du moment que tu es chrétien, quels que soient ta situation, ton métier, ta santé, ton âge, tes forces, ta
position sociale, le Seigneur te veut saint.

«Soyez parfaits comme votre Père du ciel est parfait.» C’est à tous que Jésus adresse ces paroles et le but est
le même pour tous. Les chemins pour y arriver sont, bien entendu, multiples, car il y a de nombreuses et
diverses demeures dans la maison du Père. Mais le grand projet, le but, est commun à tous les chrétiens:
c’est la Sainteté.

Nous devons alors, au bout de ces deux mille ans de christianisme, ne former qu’un seul cœur, une seule
âme, tous rassemblés en cette aspiration à la sainteté, exactement comme à l’aube de la chrétienté: «La
multitude des croyants n’était qu’un seul cœur et une seule âme.» Cette conviction robuste et lumineuse sera
encore fortifiée par ces paroles de saint Paul, adressées à tous les fidèles: «Voici la volonté de Dieu: c’est
votre sanctification.»

À combien de titres le Seigneur peut-il requérir et exiger, de toi et de moi, cette sainteté! Au titre de notre
baptême, qui nous a faits enfants de Dieu et héritiers de sa gloire; au titre de notre confirmation, qui nous a
faits soldats du Christ; en raison de la sainte Eucharistie, dans laquelle s’offre à nous le Seigneur Lui-même;
pour le sacrement de la pénitence et pour celui du mariage, si tu l’as reçu... Ce sont là des appels, des appels
répétés à la sainteté. Écoute-les.

Et une fois que sont tombés les préjugés, et que l’esprit s’est enfin éclairé d’une nouvelle lumière, il devient
facile de formuler notre résolution: faire du problème de la sainteté un problème très personnel, très concret
et bien à nous. Dieu notre Seigneur, que ceci soit ancré dans la profondeur et l’intimité de notre âme, nous
veut saints tout simplement parce que nous sommes chrétiens. Élevons le regard vers Dieu, élevons le cœur,
élevons la volonté. «Savourez les choses d’en-haut, recherchez les choses d’en-haut!» La dignité chrétienne:
voilà pour toi des horizons illimités et sereins! Respire à fond l’air riche et frais qui vient de ces vastes
étendues ouvertes, cet air qui te pénètre pour «renouveler ta jeunesse, ainsi que la jeunesse de l’aigle».

Vide nos idées mesquines! vides et bonnes à jeter, que de temps perdu avec ces craintes misérables! Mais la
sainteté désormais ne te fais plus peur j’en suis sûr. Nos cœurs trop souvent se sont effrayés sans motif
comme l’écrit le Psalmiste, «là où il y a crainte, il n’y a pas d’amour».

Il est temps de se placer avec confiance sous la protection de la Vierge Marie, «Reine de tous les saints»,
«Siège de la Sagesse», afin que cette notion de la sainteté se fasse chaque jour plus claire, plus forte et plus
agissante dans notre vie de tous les jours.

UN IDÉAL POUR TOUTE LA VIE


«... La vie courante, ordinaire, sans rien qui attire le regard, peut être notre moyen de devenir saints. Si le
Seigneur ne donne pas la vocation religieuse à quelqu’un, il ne lui est pas nécessaire d’abandonner son état
ni de se retirer du monde, pour chercher Dieu. En effet, tous les chemins de la terre peuvent fournir
l’occasion de rencontrer le Christ.» (St. Josémaria, 24.3.1930)
Si tu me le permets, j’aimerais poursuivre avec toi la réflexion sur ce thème. Je crois que le moment est venu
de rendre grâce à Dieu, avec humilité. Car «nos liens se sont détachés et nous sommes enfin libres», comme
s’exclame l’auteur des Psaumes. Les liens des préjugés et des idées fausses viennent de tomber, nous
demeurons certains que l’idée de la sainteté doit s’installer en nous comme en chaque chrétien.

Nous sommes déjà en train de marcher sur le chemin: la perle précieuse devant nos yeux a brillé, et les
richesses du trésor caché ont fait bondir notre cœur d’allégresse. Et pourtant, combien d’âmes ai-je connues
qui, arrivées là, pour telle ou telle bonne raison, ont trouvé des excuses et se sont arrêtées. Expérience
douloureuse, c’est vrai, mais féconde. Voilà des âmes qui avaient vu, mais qui ont fermé les yeux ou se sont
endormies; qui avaient commencé mais n’ont pas poursuivi; qui auraient pu donner beaucoup et n’ont rien
fait.

Toi, tu dois passer de l’idée à la conviction, puis de la conviction à la décision. Te convaincre jusqu’à la
racine de l’âme que la sainteté est bien pour toi, c’est ce que le Seigneur te demande avant tout. «Une seule
chose est nécessaire...» Garde toujours dans ces paroles divines une foi de granit. Freiner consciemment sa
marche en avant ou cesser de viser le terme: voilà les seules choses qui pour un chrétien méritent vraiment le
nom de défaite. Une vie qui n’est pas pour Dieu et pour les âmes souffre d’une terrible carence d’identité. Si
avec la vivacité de l’amour tu ne recherches pas Dieu, ta vie vaut-elle la peine d’être vécue?

Écoute bien: «À quoi sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme?» À quoi sert
une tête fourmillant d’idées si l’unique chose qui compte en est absente? À quoi sert de régler mille
questions si tu laisses pendante la plus importante de toutes? À quoi bon tous ces succès, tous ces triomphes,
cette ascension foudroyante dans ta carrière et dans la société, si ton âme fait naufrage et perd la vie
éternelle?

Parle-moi de tes gains et de tes bonnes affaires, si avec ça tu perdais le Paradis dans une faillite intérieure!

Que de belles études et de hautes spécialisations scientifiques as-tu faites, mais peut-être ignores-tu le B.A.-
BA du sens de la vie, et pour ce qui est de la science de Dieu... es-tu un zéro? Et que peuvent valoir des
plaisirs qui nous priveraient pour toujours de la jouissance de Dieu? Non, si tu ne recherches pas la sainteté
avec ardeur, avec vaillance, tu ne possèdes rien; si tu la recherches tu possèdes tout: «Cherchez d’abord le
Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît.»

Médite, sur tous ces points. Tires-en des résolutions pratiques et actuelles. Fais-le dès aujourd’hui, face aux
dangers qui menacent ton âme. Médite, pour te persuader très intimement qu’il n’y a pas d’autre chemin que
la sainteté, si on veut être très heureux dans ce monde puis dans l’autre. «Mon Seigneur et mon Dieu!»:
quelle décision, quelle fermeté dans ces paroles de l’Apôtre Thomas. Tâche de mettre de tels sentiments
dans une marche résolue vers la sainteté. Place-la au-dessus de tout autre bien. Quel exemple que celui de
sainte Thérèse d’Avila: pour aller de l’avant, cette femme sut défier lassitude, insécurité, faiblesse, mort;
«continuer... même si je m’y épuise, même si je n’en peux plus, même si je m’effondre, même si j’en
meurs». Il peut être bon de se rappeler que ce qui nous freine le plus, ce ne sont ni les difficultés ni les
obstacles réels, c’est notre manque de décision. «Ce n’est pas parce que les choses sont impossibles que
nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas qu’elles deviennent impossibles.» Une fois vaincu le
manque de décision, unique et véritable obstacle, il n’y en a plus ou plutôt les autres se laissent très
facilement surmonter. Que notre «oui» à Dieu devienne par sa grâce un «oui» décidé, de plus en plus
audacieux, entier et sans réticence.

Lacordaire disait un jour que l’éloquence était fille de la passion. Et il ajoutait: «Donnez-moi un homme
dévoré d’une grande passion et je vous en ferai un orateur.» Je pourrais te dire: «Donnez-moi donc un
homme résolu, un homme qui veuille la sainteté avec passion, je vous en ferai un saint.»

Ne supportons pas de rester à la traîne! Avec l’aide de Dieu, devenons des hommes aux désirs généreux, au
cœur dévoré en chacune de ses fibres par la passion de la sainteté, «comme le cerf convoite l’eau fraîche des
sources».
Si tu es jeune, pense à ta jeunesse. C’est l’heure de la générosité; à quoi l’occupes-tu? Tu es gonflé de sève:
qu’en fais-tu? C’est le printemps de la grâce: où sont les fleurs de ta sainteté? Vas-tu pourrir de vice en
pleine jeunesse, où vas-tu vivre pur, ardent et noble, vas-tu sentir ce qui est grand, vas-tu comprendre, vas-tu
te décider?

Et toi, pour qui cette saison est déjà passée et qui te trouves plus avant dans la vie, médite bien la parabole
des ouvriers de la vigne. Jésus t’y enseigne que c’est maintenant l’heure de te réveiller et de te mettre à
l’œuvre. La troisième, la sixième, la neuvième heure, toutes Lui sont bonnes pour appeler; cette heure qui
sonne là maintenant, elle sonne pour toi, c’est l’heure de Dieu pour toi (cf. Mt. 20, 1-16).

Tous les âges de la vie sont bons pour la grâce de Dieu, le premier, le second et le troisième. Et je te le
répète, tous les états de vie sont bons pour la grâce de Dieu, toutes les situations sociales, tous les milieux,
tous les métiers honnêtes. Tu sais bien que ta sainteté n’est ni dans les extases ni dans les autres grâces
extraordinaires que Dieu donne parfois dans la prière à certaines âmes; elle ne réside pas non plus dans des
mortifications épuisantes ou des pénitences insoutenables; elle n’est pas davantage un privilège jalousement
réservé aux solitudes du monde. Amoureux et fidèle, fais ton devoir, accomplis toutes tes obligations à la
perfection; joyeux et humble, accepte la volonté de Dieu; dans le travail de chaque jour, unis-toi à Lui; fonds
la religion et ta vie dans une harmonieuse unité: voilà ta sainteté, elle renferme encore tant d’autres choses,
petites et sans éclat extérieur, tu verras peu à peu, tu comprendras mieux chaque jour.

«Cette route qui s’ouvre sous nos pas...» Cette route est la tienne bien tracée, bien signalée. Marches-y sans
défiance et avec résolution. Sois plus concret dans tes efforts, plus pratique et précis dans ta lutte, persévère
avec amour et avec foi. Si tu lui demandes lumière et protection, la Sainte Vierge, Reine de tous les saints,
sera dans le combat ton appui et ta consolation.

VIE INTÉRIEURE
«Nous avons besoin d’une riche vie intérieure. C’est le signe très sûr de l´amitié avec Dieu et la condition
indispensable si l’on veut tant soit peu travailler pour les âmes.» (St. Josémaria, 31.5.1943)

Saint Thomas d’Aquin, qui possédait un esprit vraiment remarquable, avait vu que tous les biens de Tordre
naturel semblent n’être qu’une fumée qui se dissipe si on les compare au moindre des biens surnaturels; il
formula métaphysiquement cette pensée en disant «qu’un seul bien de la grâce est plus grand que le bien
naturel de toute la création». Un écrivain contemporain qui saisissait toute la valeur de cette intuition l’a
exprimée dans un langage plus psychologique: «Dieu notre Seigneur s’occupe davantage d’un cœur où il
peut régner que du régime naturel de tout l’univers physique et du gouvernement de tous les empires de la
terre.»

Maintenant je veux te parler de ce Royaume de Dieu où le Seigneur trouve ses délices, de ce Royaume aussi
admirable que méconnu qui se trouve en nous.

Le cœur des hommes est un berceau où Jésus vient pour naître à nouveau. Dans tous les cœurs qui ont voulu
Le recevoir, Il grandit en âge, en sagesse et en grâce, selon une mesure propre à chacun. Jésus n’a pas la
même taille chez les uns et chez les autres, cela dépend des capacités de celui qui Le reçoit. Il se manifeste
ici avec la stature d’un enfant ou d’un adolescent en pleine croissance et là avec celle d’un homme fait.

Naître, croître et régner dans le cœur et la vie des chrétiens, tel est le désir du Christ qui veut faire de nous
tous, de toi, de moi al ter Christus, «un autre Christ». Et nous devons répondre à cet appel de la grâce divine,
à cette invitation de Jésus, tout en répétant les paroles de saint Jean-Baptiste, le précurseur: «Il convient qu’il
grandisse et que moi je diminue.»

Si tu as une vie intérieure, tu te verras transformé en Jésus-Christ, uni à Dieu; cela s’étendra à toute ta vie et
en fera l’unité.
Tu goûteras intimement à cette paix, à ce confort divin, car tu connaîtras par expérience la réalité dont Jésus
nous parle dans la parabole de la vigne et des sarments: «Je suis la vigne, vous êtes les sarments: si
quelqu’un demeure en Moi et Moi en lui, il donnera beaucoup de fruits; car sans Moi vous ne pouvez rien
faire.»

Sois un sarment uni à la vigne, sois une âme de profonde vie intérieure. Tu te rendras compte bien vite que
tes pensées, insensiblement, sous l’effet de la Sagesse propre à la vie surnaturelle, se transforment; peu à peu
elles se mettent dans le ton des pensées de Dieu, et ta vision du monde prend des couleurs lorsque Dieu se
lève dans ton âme. Ton intelligence toute purifiée par ton union avec Jésus-Christ n’aura plus rien de païen.
Tu posséderas une claire vision surnaturelle des choses. Tu éviteras ce reproche du Christ: «Les païens ne
font-ils pas de même?»

Avec la vision surnaturelle, toutes tes paroles deviendront lumineuses et chaleureuses. Ta vie affective sera
irriguée par une sève d’esprit surnaturel. Alors, tu comprendras ce que voulait dire saint Paul: «Ayez dans
vos cœurs les mêmes sentiments que Jésus-Christ.» Car tous ceux qui ont été transformés en Jésus possèdent
ces sentiments du Christ, empreints de pureté et de compréhension, d’amour des âmes, et de compassion
envers celles qui perdent leur chemin.

Dans le même temps où se resserre cette union de pensée et de sentiments avec Jésus-Christ, ta vie
intellectuelle et affective se rénovent, la sève de ta vie intérieure alimente toutes tes activités extérieures. Tes
œuvres, fleurs et fruits de ta vie intérieure, se remplissent de Dieu, elles manifestent la surabondance de ton
amour pour Dieu. C’est à partir de ce moment, de ce moment seulement, qu’elles deviennent des œuvres de
grande valeur au regard de Dieu.

Mais ton union avec le Christ se doit d’être avant tout intérieure. Tes pensées, tes désirs, tes sentiments sont
la part la plus délicate et la plus intime de ta vie. Voilà dans ton holocauste ce que tu dois le plus
généreusement offrir, ce qui a le plus de prix. C’est ce monde intérieur, cette gerbe d’épis dorés de lumière
et remplis de vie, que le Seigneur demande. Car donner seulement au Seigneur les œuvres extérieures et en
même temps lui refuser ou lui mesurer chichement la part la plus intime de notre vie — les aspirations, les
affections, les idées—, c’est au fond se refuser à la vie intérieure.

Veux-tu savoir si tu es une âme de vie intérieure? Pose-toi cette question: où donc est-ce que je vis
habituellement, moi, qui pense, qui éprouve, qui désire? Si tu peux répondre: «en tout cela je suis porté vers
le Christ, tout en moi converge vers Jésus-Christ», il n’y a pas de doute qu’il y a là une vraie vie intérieure.
Mais si, en tout cela tu t’éloignes de Dieu, alors non! Tu ne peux oublier que «là où se trouve ton trésor, là
aussi se trouve ton cœur». Or l’unique trésor des âmes de vie intérieure c’est Jésus, ce Jésus, ajoutent-elles,
«que j’ai vu, que j’ai aimé, en qui j’ai cru et que j’ai préféré à tout».

Comme tu le vois, il s’étend, au devant des âmes qui aspirent à une profonde et authentique vie intérieure,
un large champ de bataille, et ce champ c’est leur propre cœur. C’est là que se gagnent ou se perdent les
batailles de Dieu. Aussi, la norme fondamentale de la vie ascétique c’est la «garde du cœur». Si les âmes le
veulent bien, si elles ne mettent pas d’entraves à l’œuvre de Dieu, Lui-même les conduit vers l’union
véritable et instaure en elles son Royaume: «Royaume de justice, d’amour et de paix».

Si tu as pu tout au long de ces considérations ouvrir les yeux sur ce Royaume- de Dieu, bien réel et tout
intérieur — «Le Royaume des cieux est en vous» — alors considère maintenant autre chose: «le Royaume
des cieux se conquiert de force». On y entre par un chemin de mortification et de purification.

Tu veux être sarment, uni à la vigne, de plus en plus étroitement? Écoute encore la voix de Jésus-Christ: «Je
suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron», «Le sarment qui en Moi ne donne pas de fruit sera coupé,
celui qui en donne sera émondé pour en produire davantage». Pour produire plus de fruit, pour voir
consolidée son union avec le Seigneur, il faut donc se laisser émonder, purifier. Ne crains pas le sécateur de
l’émondeur: «Mon Père est le vigneron.» Il va purifier ton intelligence, ta volonté, ton cœur, ta mémoire. Tu
ne pourras jamais avancer d’un pas dans la vie d’union avec Dieu sans en faire au préalable un autre sur le
chemin de la purification. Et il faut bien que tu collabores avec le Seigneur... À l’heure où survient
l’émondage... laisse-le tailler! Et quand tu verras tomber les branches et les feuilles, réjouis-toi en pensant
aux fruits à venir.

L’abondance de ces fruits dépend de ta vie intérieure, de ton degré d’union à Dieu. Entends le Seigneur qui
nous répète: «Demeurez en Moi». Rappelle-toi que la vie intérieure est l’âme de tout apostolat. Ton union à
Dieu devient-elle plus intense? Alors plus riches deviendront les fruits de ton apostolat. Je dis bien: les
fruits, et non pas les succès, ce sont deux choses totalement distinctes.

Un homme de vie intérieure sera plus efficace avec quelques paroles spontanées qu’un homme qui prie peu
avec des raisonnements admirablement élevés et complexes. Je veux aussi te rappeler que si l’apôtre devient
sensible aux mille difficultés et besoins de ses entreprises apostoliques, ce n’est pas en fonction de son degré
d’immersion dans ce travail, travail d’éternité, ni en fonction de son savoir-faire, mais en fonction seulement
d’une chose: son degré d’union avec Dieu. Et maintenant écoute encore une fois Jésus. Il nous dit:
«Demeurez en Moi».

Que ce bref entretien avec Notre Seigneur s’achève simplement sur le souvenir de son invitation: Manette in
Me...

VEILLER SUR SON CŒUR


«Nous devons enseigner à tous les hommes que c’est vraiment une très grande chose qu’être chrétien. L’âme
du croyant devient en effet le temple de Dieu, et la Sainte Trinité y réside. Mais il faut absolument batailler
sans trêve dans la vie intérieure, si du moins l’on désire atteindre à la perfection chrétienne, car le Royaume
de Dieu se conquiert seulement à la force du poignet» (St. Josémaria, 2.2.1945)

Recueillons sur les lèvres de ce grand saint que fut Augustin ces paroles profondes, si justement célèbres, cet
aveu rayonnant de joie et de paix où il rassemblait toute l’expérience de son cœur, toute cette vérité qui
l’illuminait et dont toute sa vie il témoigna: «Tu nous as fait pour Toi, Seigneur, et notre cœur n’est
qu’inquiétude avant de s’apaiser en Toi.»

Ce saint dont tu connais peut-être un peu la vie est passé par bien des chemins de la terre, assoiffé de vérité
et d’amour. Après nombre d’expériences fort douloureuses, de sa noble et grande âme enfin jaillit ce cri, cet
aveu sincère et vrai. Son cœur riche et tourmenté cherchait fébrilement le bonheur et le repos; il les chercha
longtemps en vain, jusqu’au jour où en découvrant Dieu il découvrit tout.

Cette inquiétude que nous portons tous en nous-mêmes, il faut l’apaiser, ce vide intime qui fait tant souffrir,
il faut le remplir. Tant qu’il n’est pas comblé, le cœur humain continue à désirer, à souffrir, à chercher.
L’histoire de l’homme: celle d’un pèlerin qui cherche partout le bonheur. Tous les hommes, certains
consciemment, la plupart inconsciemment, cherchent. Quoi, qui? Rien, ni personne, sinon Dieu Lui-même.

Le genre humain se divise en deux catégories. Il y a d’un côté ceux qui aiment Dieu de tout leur cœur parce
qu’ils L’ont déjà rencontré; de l’autre, ceux qui Le cherchent profondément sans L’avoir encore découvert.

Aux premiers, le Seigneur commande: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur». Aux autres II
promet: «cherchez et vous trouverez».

Si tu veux savoir ce que tu dois faire, pose-toi cette question: dans quelle catégorie suis-je, moi? Si tu as le
sentiment qu’une chose te fait encore défaut, n’est-ce pas Dieu qui te manque? Peut-être n’est-Il pas encore
présent dans ta vie, ou du moins pas autant qu’il devrait l’être.

Il y a une vérité toute simple au fond de nos réflexions présentes, c’est que le cœur humain, même quand il
se consacre à Dieu, a été créé pour la félicité, non pour la mortification; il est fait pour la jouissance et non
pour le renoncement. Cette exigence de félicité et de jouissance est une réalité précieuse ici-même, sur cette
terre; c’est une réalité magnifique qui, pour se manifester, n’attend pas que nous soyons entrés au Paradis.

Or, si notre cœur a été créé pour cette félicité et qu’elle ne se trouve entière et solide qu’en Dieu seul, force
nous est d’admettre qu’on n’y parvient que par un sentier et un seul: la vigilance du cœur.

Cet art de la vigilance du cœur se compose d’ordre, de lutte, de défense et d’attaque, de connaissance de soi
et de décision, de renoncement et de souffrance. Mais tout cela, c’est en vue de la félicité.

Veiller sur son cœur, qu’est-ce que cela veut dire? C’est le garder tout entier pour Dieu seul. C’est vivre de
telle sorte que Jésus y ait sa demeure. Tous les amours que notre état et notre condition dans le monde
éveillent y ont leur place légitime. Mais tous trouvent dans l’amour de Dieu leur fondement et leur but, tous
s’y trouvent réglés et harmonisés.

Garder le cœur, c’est donc aimer avec pureté, avec passion même ceux que nous devons aimer, tout en
excluant fermement la jalousie, l’envie ou les craintes qui introduiraient de graves désordres dans nos
relations avec les autres.

Comme ils sont rares, ceux qui ont le courage d’observer en toute vérité la source intarissable et souterraine
de leur activité: leur cœur! Si nous voulions tirer tout cela vers la lumière, tu verrais quel perpétuel combat
se livrent à tout instant dans le cœur Dieu, la nature, le démon. Tu verrais que c’est dans le cœur que les
batailles de Dieu sont perdues ou gagnées.

Vois comme il est grave le reproche que Jésus adresse aux pharisiens: «Ce peuple m’honore des lèvres, mais
son cœur est loin de Moi.» Le Seigneur aime les cœurs purs. Il veut y établir son Règne. Il n’a que faire d’un
service hypocrite et tout de surface.

Une âme entraînée à cette vigilance du cœur aperçoit vite, à la racine d’un grand nombre de ses actions, une
inspiration purement naturelle ou mélangée de naturel et de grâce divine. Elle vérifie aisément, non sans
tristesse ni douleur, combien sont rares les actions totalement inspirées par la grâce et parfaitement
surnaturelles; tout risque dans son origine, son exécution ou ses effets de perdre sa pureté surnaturelle.

C’est pourquoi les âmes vigilantes surveillent leurs mouvements intérieurs. Elles sont «attentivement
présentes» à chacune de leurs actions, imaginant le cœur comme un champ de bataille, elles vivent comme
des sentinelles dans les avant-postes.

C’est vrai, ce chemin n’est pas facile! Mais quand le cœur est vraiment purifié, Dieu notre Seigneur prend
possession de l’âme et de toutes ses puissances: la mémoire, l’intelligence, la volonté; Il les comble de sa
présence et de son Amour. C’est ainsi que la pureté du cœur conduit l’homme à l’union avec Dieu; et cela,
ordinairement les autres chemins ne parviennent pas à l’obtenir.

L’âme peut alors pratiquer facilement toutes les vertus dont les circonstances de la vie requièrent l’exercice.
Elle possédera même l’esprit, l’essence pourrions-nous dire, de toutes ces autres vertus qu’elle n’a peut-être
pas l’occasion d’exercer. Voilà ce que désire notre Seigneur, À l’école du cœur, nous pouvons rapidement
apprendre bien plus de choses que ce que les maîtres de la terre mettraient un siècle à nous enseigner. Mais
si nous ne montons pas la garde, nous pouvons toujours essayer...! Jamais nous ne parviendrons à la sainteté.
Allons! un peu de décision! Il a suffi de cela pour sanctifier bien des âmes. Voilà le chemin. Suis-le. Tu
verras quelle joie, quel repos serein et profond y attendent ton cœur en Dieu.

LA VOIE ROYALE
«Si nous avons dans nos âmes les sentiments du Christ en Croix, nous parviendrons à faire de notre vie tout
entière une réparation incessante, une supplication continuelle, un sacrifice constant pour toute l´humanité.
Car le Seigneur vous donnera un instinct surnaturel qui purifiera toutes vos actions, les élèvera à l´ordre de
la grâce et les convertira toutes en instruments d’apostolat.» (St. Josémaria, 2.2.1945)

Un écrivain observait récemment que, de nos jours, on insiste presque exclusivement sur le
perfectionnement «humain» que procure un christianisme profondément et généreusement vécu, et il se
demandait si cette insistance était vraiment opportune. Il tirait ainsi une sonnette d’alarme. Il mettait en
relief ce qui aujourd’hui manque peut-être le plus au monde: le «sens théologique», le sens de Dieu.

En ce moment où tu médites, face à Dieu, seul à seul, considère ta propre expérience, tes relations, les
réactions des autres et les tiennes, considère leurs activités, les tiennes et demande-toi quel est le rapport de
tout cela avec les valeurs de l’esprit. Songe aux inévitables épreuves de l’existence, à tant d’événements qui
touchent l’Église, et où se développent des facteurs de danger pour le bien des âmes.

N’est-il pas vrai que bien des chrétiens — toi-même? — ne considèrent pas assez la grandeur infinie de Dieu
et de son Église? Ne trouves-tu pas que le sens théologique s’éteint peu à peu dans nombre d’intelligences
chrétiennes? Ces manières d’agir et de parler ne révèlent-elles pas un certain mépris du «sens de la Croix»
pourtant si étroitement lié au sens de Dieu, de la grandeur de Dieu?

Pourtant nous savons bien qu’il faut mourir pour voir Dieu! «Dieu, personne ne l’a jamais vu.» Or il se
passe une chose analogue dans notre vie intérieure: pour voir Jésus, pour le connaître, dans l’obscurité
lumineuse de la foi, pour vivre dans une intimité croissante avec Lui, il faut apprendre à mourir. Nous avons
tant besoin de ce «sens de la Croix», de ce sens théologique, car «où est la Croix, là est le Christ».

En nous révélant ce secret: «le royaume de Dieu est au milieu de vous», Jésus Lui-même, pour mieux nous
montrer la route, ajoute: «le Royaume des cieux se conquiert à la force du poignet». Si nous manquons du
sens de Dieu, du sens de la Croix, notre vie restera purement humaine, non plus vie de chrétien mais vie de
païen, de bon païen sans doute...

La Croix: notre unique espérance. N’aie pas peur de la dresser, de l’exalter dans ton intelligence, d’en
comprendre la valeur et la nécessité; cesse de réagir et déjuger comme si tu n’étais qu’un païen. Érige aussi
la Croix au centre, au sommet de ta volonté, pour l’aimer, pour l’accepter, non par résignation mais par
amour. Plante-la bien droit, enfin, sur chacune de tes œuvres et chacune en recevra un peu d’efficacité
rédemptrice.

La sainteté se parfait sur la Croix. Car la Croix, c’est la mort du péché, l’unique ennemi de la
sainteté. Écoutes la voix du Maître: «Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il
prenne chaque jour sa croix et qu’il me suive.» Le chrétien n’a d’autre chemin que le chemin de croix: c’est
là sa route royale.

Cette Croix du Christ, la sainte Croix, saisis-la, embrasse-la, chemine chaque jour avec elle. Si nous ne
sentions plus un jour son poids sur nos épaules, si nous cessions de la reconnaître quand elle vient à nous,
nous aurions cessé ce jour-là de vivre en disciples du Christ.

Contemple-la donc avec foi. Porte-la avec amour. Et ne va pas te prendre pour une «victime», jamais, même
un instant. La Croix ne fait pas de victimes, elle élève des saints. Elle ne rend pas les visages tristes, mais
joyeux. À suivre cette voie on comprend qu’il y a au monde une seule victime, une unique victime: Jésus-
Christ, qui a souffert, qui est mort pour nous tous dans l’abandon total.

Et nous, chrétiens, nous sommes heureux de porter la Croix; nous y découvrons la félicité de partager la
félicité de Dieu. Mais encore faut-il reconnaître la Croix! Ce sera, si tu veux bien, notre première résolution:
ouvrir tout grands les yeux de l’âme, et découvrir dans notre vie où doit se dresser la Croix du Christ.

Qu’est-ce qui te coûte le plus dans ta journée? C’est là pour toi qu’est la Croix du Rédempteur. Ces
tentations puissantes qui t’assaillent, ces ennuis de santé, ce travail pénible ou exténuant, ces défauts de
caractère qui t’humilient, ceux de ton entourage qui te font souffrir... Vision surnaturelle! La Croix... est là.
Propose-toi de l’étreindre, dès que tu la vois apparaître, chaque jour; demande au Seigneur de t’en révéler le
mystère, c’est à pas de géant que tu iras sur le chemin de la sainteté.

Ne va-t-elle pas devenir plus légère à porter, maintenant? Porte-la avec amour, avec joie, avec générosité;
cache-la à ceux qui t’entourent, comme on cache un trésor; dissimule-la sous un sourire généreux; le fond de
ton âme vibrera sûrement à ces mots du Seigneur: «Mon joug est doux et mon fardeau léger». Car c’est Lui,
le bon Cyrénéen de nos âmes, qui va t’aider à la porter.

Mais sans nous limiter à porter seulement notre croix, portons généreusement aussi celle de nos frères. Et
surtout, apprenons-leur ce qu’elle vaut. Prions donc le Seigneur; qu’ils sachent découvrir et aimer la croix,
dans tout ce qui les préoccupe, les angoisse, les fait souffrir.

La sainte Croix seule rendra efficace et féconde ta vie d’apôtre. «Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai
tous les hommes à moi.» Si je sais, moi aussi, être cloué sur la croix par amour comme Jésus, alors j’attirerai
vers Toi, Seigneur, toutes les âmes qui m’entourent. Je serai vraiment «co-rédempteur».

N’oublie pas que la Très Sainte Vierge Marie, Reine des Martyrs, est aussi la Reine de la Paix. Approche-toi
d’elle avec confiance pour lui tenir compagnie au pied de la Croix.

L’ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
«Nous ne sommes pas seuls! Dieu existe et II m’a appelé à l’existence! Il m’y maintient et me donne la force
d’âme. En plus II m’a choisi d’un amour de prédilection et, si je garde confiance, Il m’accordera la
constance et la fermeté tout au long de la route. Car une œuvre qu’il commence. Il l’achève Lui, Il fait
toujours tout à la perfection.» (St. Josémaria, 29.9.1957)

L’espérance, vertu théologale, vertu chrétienne. Quand elle à imprimé son cachet dans une âme, on s’en
aperçoit tout de suite. C’est une qualité qui change du tout au tout la vie et les actes.

Porté par l’espérance, l’homme est un géant nimbé de lumière; sans espérance, le voilà gisant, accablé par le
désespoir, il n’est qu’un nain. Regarde et dis-moi si chaque jour tu n’es pas le témoin étonné ou peiné de
surprenantes réductions spirituelles? Ce dont souffre notre époque, plus que toute autre peut-être, c’est d’être
privée de cette vertu. Combien de philosophies, de comportements, d’états d’âmes plongent leurs racines,
chez les hommes de notre génération, dans la désespérance de l’âme! On se débat, pris entre l’angoisse et la
crainte; mais rien n’en peut délivrer, rien ne parvient à les vaincre.

La vérité c’est que, sans espérance, l’homme ne peut pas vivre. Et qu’est cette espérance? C’est l’appel de
notre Créateur, principe et fin de notre existence; tu ne trouveras pas une seule créature qui ne tende vers ce
Tout et ne le porte dans sa nature avec la marque de cette origine. L’espérance, c’est aussi la voix de notre
Rédempteur qui désire ardemment que tous les hommes soient sauvés. Refuser dé l’écouter serait donc
risquer de perdre la paix de l’âme.

C’est une nostalgie profonde et divine; Dieu lui-même l’a déposée en nous comme un présent merveilleux,
après avoir mené à leur achèvement pour notre profit ces ineffables «œuvres de ses mains», comme les
nomment les théologiens: la Création, la Rédemption, l’élévation de l’homme à la vie de la grâce.

Peu d’hommes au long des siècles ont su autant que saint Augustin exprimer cette réalité sur un ton
profondément convaincant — le ton de la connaissance personnelle et chèrement acquise — et avec des
accents irrésistiblement émouvants, ceux de l’expérience intime. Son intuition subtile et sa richesse d’âme
surent mouler dans une seule formule ciselée notre criante vérité de voyageurs sur la terre: «Tu nous as faits
pour Toi, Seigneur, et notre cœur n’est qu’inquiétude avant de s’apaiser en Toi.»
Arrêtons-nous un instant à cette phrase. Essayons de faire la lumière sur notre malaise et sur la racine de
notre anxiété. La nostalgie que nous portons en nous est ineffaçable et enracinée dans cette nature faite pour
contempler Dieu un jour et jouir de Lui éternellement, cette nostalgie ne nous quitte jamais, compagne de
chaque jour, amie des heures sombres, amie des heures plus douces, elle ne peut et ne doit pas engendrer
tristesse ou angoisse. Tout le rôle de l’espérance est là! Si ce second souffle venait à nous manquer, sur quoi
la nostalgie déboucherait-elle: le désespoir!

Sans doute, tant que nous serons en chemin, voyageurs sur la terre, nous porterons en nous, avec cette
nostalgie de Dieu, une obscure inquiétude car nous ne sommes pas certains de persévérer jusqu’au bout. Nul
ne se sent assuré de son propre salut éternel, sauf si Dieu le lui révèle dans le secret.

Et pourtant nous, chrétiens au milieu du monde, nous avons été établis dans l’espérance. Lorsqu’elle cessera
d’être, en même temps que la foi, à la fin de notre étape sur la terre, c’est que nous aurons la joie d’une
possession sans limite, l’éblouissement d’une charité sans l’ombre d’une crainte. Au terme de nos
vicissitudes terrestres, il y aura la joie de posséder Dieu éternellement — ou le désespoir d’une privation
définitive de Dieu.

La vertu théologale de l’espérance nous fait tendre constamment vers Dieu et mettre toute notre confiance
dans l’aide qu’il nous a promise pour parvenir jusqu’à Lui. «Ayez confiance, j’ai vaincu le monde!» Le
motif formel de cette vertu, comme disent les théologiens, c’est Dieu Lui-même qui vient sans cesse à notre
secours, la toute-puissance secourable. Et pourtant il nous arrive souvent, à nous les chrétiens, de remplacer
dans notre âme et dans notre cœur (ce n’est pas la moindre des contradictions de notre vie!) cette espérance
puissante et harmonieuse — celle de Dieu et de notre fin ultime, notre glorification avec Lui — par d’autres
espérances purement humaines, qui, malgré leur attrait, ne sont que de toutes petites espérances.

Ne va pas t’imaginer après ça que nous devons renoncer aux espérances terrestres! Il en est au contraire de
belles et de nobles que notre cœur doit résolument abriter. Mais il faut qu’ici-bas dans notre «banlieue» de
l’espérance, qui touche à la cité éternelle, notre âme et notre cœur établissent parmi nos objectifs: ordre,
harmonie et hiérarchie, afin qu’aucune espérance humaine, aussi élevée ou séduisante soit-elle, ne parvienne
à obscurcir l’éclat, ou à amortir la force de cette espérance fondamentale qui vise à posséder Dieu, notre fin
ultime, pour jouir sans fin de Lui.

Aussi arrive-t-il que Dieu laisse voler misérablement en éclats, jeu mystérieux de sa Providence, quelques-
unes de ces espérances humaines que, sur notre échelle des valeurs, nous avions hissées, peut-être un peu
trop haut... C’est qu’il veut empêcher notre cœur de se laisser prendre par autre chose que la grande
espérance, celle que Lui seul peut combler. Il faut alors être bon joueur, sourire à la Providence et rétablir
une hiérarchie raisonnable, conforme à l’échelle des valeurs de l’espérance. C’est Dieu qui nous aidera
efficacement à calmer l’impétuosité de ces élans trop humains, si nous voulons sans hésiter les remettre à
leur juste place, tendant ainsi hommage à l’ordre qu’il a établi. Mais si, au contraire, devant cet
effondrement — divinement permis — de nos espérances humaines, nous réagissions en nous éloignant
délibérément de Dieu par manque d’espérance, nous nous aurions creusé, avec nos propres mains, une fosse
de rébellion et de désespoir.

Faut-il que j’énumère toutes les crises de ce genre que l’on rencontre? N’en as-tu pas fait toi-même
l’expérience quelquefois? Trop souvent on ne discernera que les symptômes externes de crises semblables
— et on parlera de «complexes», de «névrose»— mais pourtant leur nature est tout autre et appelle un
diagnostic moins purement médical, beaucoup plus spirituel et beaucoup plus profond.

Une chose en tous cas est sûre: tant que nous ne posséderons pas la véritable vertu de l’espérance chrétienne
et que nous ne la vivrons pas avec délicatesse, notre vie manquera de fermeté, souffrira d’instabilité. Nous
passerons trop facilement de la présomption (à l’heure où tout va bien, où notre vie progresse sans secousses
ni désillusions) au découragement (qui viendra se nicher dans notre âme au premier obstacle rencontré qui
contrarie nos prévisions, au premier mépris essuyé, au premier imprévu qui renversera le bel
ordonnancement de nos projets, à la première déception).
Il n’en va pas ainsi de l’homme qui espère. La vertu de l’espérance, profondément vécue, porte devant soi
une fermeté invincible unie à un abandon confiant, si l’on s’acquitte, avec constance et fidélité, de tous ses
devoirs; elle nous établit au-dessus de ces trop habituelles fluctuations. Rappelons-nous ces paroles du
Christ aux vagues déchaînées, aux eaux menaçantes du lac de Tibériade: «Silence, arrêtez!» On dirait la voix
de l’espérance imposant puissamment silence à notre tumulte intérieur fait de soulèvements et
d’affaissements «aussitôt il se fit un calme impressionnant», raconte l’Évangile. Le voilà bien le fruit de
l’espérance: le calme, la sérénité, la paix.

«L’espérance tend, en toute certitude, vers son accomplissement» affirme saint Thomas d’Aquin. Quels que
soient les échecs, les contradictions, les fautes, il faut toujours espérer en Dieu: Il a promis son aide à tous
ceux qui la lui demanderaient avec humilité, avec confiance, avec persévérance: «demandez et vous
recevrez». Toi, que recevras-tu? Les biens temporels? Certes, mais «sous condition», c’est-à-dire
dans là mesure où ils sont vraiment utiles à ton salut éternel. Et quoi d’autre? Les grâces nécessaires à ta vie,
sans condition; et non seulement la grâce divine, mais l’Esprit Saint Lui-même: «le plus grand don de
Dieu». Ces paroles de Jésus à la Samaritaine te reviennent sans doute en mémoire: «Si tu savais le don de
Dieu...», si nous connaissions vraiment, si nous comprenions pleinement le don divin, nous invoquerions
l’Esprit Saint; nous lui demanderions, avec une parfaite assurance, tout ce qui nous est nécessaire pour ne
pas dévier de la route, et atteindre sans chutes ni retards notre but définitif, notre fin ultime.

Car c’est chaque jour que nous devons livrer la bataille de l’espérance chrétienne. Comment? «Le Seigneur
guide mes pas, rien ne saurait me manquer.» L’espérance en effet ne dépend pas de nos mérites ou de nos
qualités, mais seulement de la miséricorde et de la toute-puissance divine; soyons-en pleinement conscients:
c’est capital pour bien saisir la nature de l’espérance. Dieu nous apparaît ainsi plus que jamais, «Celui qui ne
jauge pas les mérites mais dispense le pardon», ainsi que nous le redisons durant la Sainte Messe dans l’une
des oraisons préparatoires à la Communion. Tirons donc le plus grand parti de cette force que produit la
vertu théologale; dès leur apparition, attaquons ces molles tentations de découragement; réparons, aussitôt
repérées, fissures et dégradations qui pourraient couper la route sur laquelle chaque jour nous passons,
marchant vers la perfection; apprenons aussi à nous durcir un peu plus chaque jour, de sorte que si le
pessimisme voulait nous mordre, il se casserait les dents. Prends garde, en effet, ses morsures pourraient être
profondes et s’envenimer à l’occasion d’une période difficile ou sous l’effet de la monotonie des jours. De
tels états d’âme évoquent deux figures de l’Évangile, éloquentes par leur silence mélancolique: la vieille
femme toute courbée et l’homme à la main droite desséchée. Ces deux personnes ¦— figures d’abattement,
de lassitude, d’inactivité forcée — dessinent pour nous avec une remarquable précision les marques, dans
l’âme, de ces maladies morales que sont le pessimisme et le découragement. Mais que sont-elles? Des
maladies de carence. Et que manque-t-il donc? Seulement une vertu: l’espérance.

Avec une inflexible détermination, nous interdirons à ce poison du pessimisme et du découragement de


s’infiltrer aussi dévastateur, stérilisateur, dans notre vie d’apostolat. En effet, l’apostolat du chrétien exige un
effort continu, une persévérante ténacité, une foi indestructible dans les grâces de Dieu et la mission qu’il a
confiée à chaque homme. Pour qu’aucun des anneaux de la chaîne n’aille se rompre, il faut absolument cette
force d’âme issue de l’espérance chrétienne, qui enseigne à l’homme mûri dans les luttes apostoliques à
savoir recommencer sans hésiter depuis le début. Prenons exemple sur la ténacité de l’apôtre Pierre visible à
travers l’épisode de la pêche miraculeuse. Une nuit entière de travail infructueux et il n’est pas brisé, «nous
avons travaillé toute la nuit et nous n’avons rien pris». Bien au contraire, par respect pour l’injonction du
Seigneur, il manifeste fermement son intention de remettre la main à l’ouvrage, «sur ta parole, je vais jeter le
filet».

Il ne s’agit pas seulement de nous rendre maîtres de nous-mêmes par l’exercice constant de l’espérance.
Nous devons aussi transmettre aux autres cette confiance, cette sérénité, nous consacrant à un authentique
apostolat de la confiance, tels ces amis de l’aveugle dont parle saint Luc et dont nous ne savons pas les
noms. Tu vois, ce sont eux qui le stimulent par ces mots splendides, au moment où le Seigneur l’appelle,
«sois plus tranquille, lève-toi, Il t’appelle!»

Esprit d’abandon. Celui qui met vraiment son espérance en Dieu reste toujours fidèle à la volonté de Dieu,
fidélité qui fait partie intégrante de la vertu d’obéissance. Ainsi oriente-t-il délibérément ses dispositions
intérieures vers l’abandon à la Volonté toute bienveillante de son Dieu, abandon parfait qui diffère
radicalement du «quiétisme». S’il est authentique, en effet, il porte avec lui, outre l’espérance, une fidélité
ferme au devoir de chaque instant, même le plus insignifiant. L’espérance ne met pas le chrétien sur la
touche, mais l’engage à mobiliser toutes ses forces et toutes ses capacités pour persévérer dans ses
entreprises, dans les moments mêmes où tous les appuis humains semblent s’évanouir. Alors sonne l’heure
de la véritable espérance en Dieu. On la voit s’affirmer dans toute sa grandeur, quand il convient d’espérer
en dépit de tout: «j’espérais contre toute espérance», s’écriait superbement saint Paul. Ces instants sont à
Dieu, d’une façon toute spéciale. Il les réserve aux âmes qu’il aime particulièrement.

Donc, que cette espérance ne soit jamais un oreiller moelleux pour ta paresse. Deux miracles du Seigneur
t’appellent à ne pas l’oublier: d’abord celui des noces de Cana, «le premier des signes qu’il réalisa», quand
II changea l’eau en vin; ensuite le miracle de la multiplication des pains et des poissons sous le regard des
foules. Tu vois| là comment, à chaque fois, le Seigneur n’intervient avec sa toute-puissance qu’après
épuisement complet de toutes les ressources humaines, quand les hommes ont fait tout ce qui était
humainement possible. Aussi l’eau ne fut-elle changée en vin que lorsque les fidèles serviteurs eurent rempli
les amphores jusqu’à ras-bord. Avant de multiplier les pains et les poissons aussi, le Seigneur avait demandé
à ces hommes de sacrifier tous leurs moyens personnels de subsistance, ces mêmes pains et ces poissons.
Peu importait que leur quantité fût insignifiante; l’important, c’était que les disciples Lui abandonnent tout
ce qu’ils possédaient.

Pour commencer nous aussi à vivre à fond cette vertu, pas de meilleur moyen que l’appel à l’aide de notre
Mère du Ciel, «notre espérance». «Sainte Vierge, ma Mère, ma confiance!»

L’HUMILITÉ
«La vérité est dans l´entendement, disait saint Thomas d’Aquin, dans la mesure où celui-ci se conforme à l
´objet connu. On pourrait ajouter que si l´homme n’est pas humble, il lui sera bien difficile de connaître et
d’accepter la vérité telle qu’elle est, avec toute son extension et toutes ses exigences.» (St. Josémaria,
24.10.1965)

L’humilité... Cette vertu porte un nom glorieux, et renferme de nobles réalités. Mais on le lui a fait payer
cher! Y a-t-il une seule vertu qui soit méprisée, méconnue ou déformée autant que l’humilité? Cette vertu est
une... humiliée.

À vrai dire, je ne sais pas ce qui lui a fait le plus de mal. Est-ce l’oubli dans lequel le monde la laisse? Ou les
railleries et la hargne avec lesquelles elle est accueillie? Est-ce le costume ridicule dont on l’affuble trop
souvent?

Quoi qu’il en soit, il est temps que nous, les chrétiens, connaissions mieux et apprécions davantage cette
vertu. Alors, nous lutterons pour la conquérir et la vivre en toute droiture; alors seulement nous la
présenterons sous son jour véritable au regard de ce monde malade d’orgueil et de vanité. Voici l’apostolat
de l’exemple, tellement efficace et pourtant bien oublié, auquel Jésus-Christ nous invite toi et moi:
«Apprenez de Moi qui suis doux et humble de cœur».

Humbles de cœur! C’est ainsi que nous veut le Seigneur: le cœur vibrant d’une humilité jaillissante et qui se
répand sur toutes nos œuvres. L’autre humilité, celle qui naît sur les lèvres — et y meurt — n’est que
fausseté, caricature. Ces paroles convenues ces attitudes contraintes, ces manières d’être peuvent-elles forger
cette vertu? À coup sûr elles peuvent la déformer. En fait, c’est l’intelligence qui doit s’ouvrir un chemin
jusqu’à notre cœur pour y déposer comme un bon jardinier la bonne semence de l’humilité authentique, celle
qui avec le temps et la grâce divine va y plonger de profondes racines; alors le fruit sera beau et savoureux.
La véritable humilité naît en effet en ce point lumineux où l’intelligence découvre et admet une vérité,
simple, profonde, fondamentale dont la force peut faire frémir d’amour un cœur généreux: «sans Moi vous
ne pouvez rien faire».

Forçons donc nos mains orgueilleuses à rompre ce pain blanc de la vérité évangélique, et à la distribuer
partout, sous les regards offusqués, les gens tiennent en si haute estime leur «moi» et leurs qualités.

Tous nos efforts pour nous améliorer, pour croître en amour de Jésus, pour pratiquer plus intensément les
vertus évangéliques ne serviront à rien, à rien du tout si la grâce divine ne vient pas à ^votre aide. «Si le
Seigneur ne construit pas la maison, c’est en vain que s’épuisent les maçons.» La vigilance la plus constante
et la plus attentive, sans la puissance de la grâce et son aimante protection n’est que néant. Est-ce clair? «La
sentinelle monte la garde en vain, si le Seigneur ne veille sur la ville.»

Et si nous prétendons faire à nous seuls du bien aux âmes, nos paroles et nos actes seront de nul effet. Notre
apostolat, nos fatigues? Agitation stérile sans l’eau pure de la grâce. «Ce n’est pas celui qui plante ou qui
arrose qui est quelqu’un, mais c’est Dieu, Lui qui donne la croissance.»

Or cette grâce indispensable pour devenir meilleurs, pour résister aux tentations, pour rendre fécond notre
apostolat, le Seigneur l’accorde à ceux qui sont humbles de cœur: «Dieu résiste aux orgueilleux mais aux
humbles il donne sa grâce,»

Le Seigneur répand généreusement sa grâce, dans sa suprême bonté et sa délicate vigilance; mais il ne se
sert pas des orgueilleux pour mener à bien ses desseins. Il craindrait de les voir courir à leur perte s’il les
employait car ils trouveraient dans cette grâce — comme en tout le reste — un nouveau motif de
complaisance en soi, et cet orgueil justifierait un châtiment plus sévère.

L’humilité, comme tous les saints nous l’apprennent, ce n’est rien d’autre que la vérité. Y a-t-il besoin d’un
motif plus élevé pour l’accepter et la faire nôtre? «Que je me connaisse, Seigneur!», que je m’élève, porté
par cette connaissance intime, vers l’humilité!

Permets-moi de te dire ce que je me suis dit souvent à moi-même: tu n’es rien. Il n’y a rien que nous n’ayons
reçu de Dieu: l’existence, les talents, les dons de la nature et de la grâce car justement ce sont des «dons».
En effet, tu le sais bien, cette grâce divine n’est le fruit que des mérites acquis par notre Sauveur. Or à ce
néant que tu es, tu as par-dessus le marché ajouté le néant du péché et, par méchanceté ou par faiblesse, tu as
abusé de la grâce de Dieu.

Est-ce tout? On le souhaiterait; mais ce n’est pas tout, il y a une troisième chose, et ça c’est le bouquet... ce
petit rien du tout, qui demeure dans le péché, il est content de lui, il se plaît énormément, il se complaît en
lui-même, dans son orgueil, sa vanité... Néant, péché, orgueil; considère cela, et tu seras humble.

Entre l’orgueilleux et l’incrédule il y a plus de points communs qu’il ne semble à première vue. L’incrédule
ressemble à un aveugle. Il parcourt le monde en voyant bien toutes les choses créées et pourtant il n’y
découvre pas Dieu. L’orgueilleux, lui, peut découvrir et voir la présence de Dieu dans toutes les créatures
sauf dans une: lui-même.

Toi si tu découvres Dieu en toi-même, tu deviendras humble et tu Le verras à l’origine de tout ce qu’il y. a
de bon en toi. «Qu’as-tu que tu n’aies reçu?» Tu n’as pas à fermer sottement les yeux au spectacle des vertus
et des qualités qui existent réellement dans ton âme. Mais songe qu’elles viennent de Dieu; Il te demandera
compte, un jour, de l’usage que tu en auras fait. Aussi dois-tu t’efforcer de les faire fructifier, sans enterrer
aucun des talents reçus. Tout en gardant le mérite des bonnes œuvres accomplies, tu sauras en rendre gloire
à Dieu, «à Dieu toute la gloire!» La vaine complaisance ne trouvera plus le moindre recoin où se nicher dans
ton âme devenue sincèrement humble.

Alors tu verras entrer dans ton âme, par la porte de ton humilité, comme Jésus en a fait la promesse, la paix
de Dieu: «apprenez de Moi qui suis doux et humble de cœur et vous trouverez la paix de vos âmes». Rien ne
trouble un cœur sincère, prudent et humble. Tu peux le vérifier facilement: presque tous les troubles et les
inquiétudes proviennent du fait qu’on se préoccupe trop à rechercher combien on vaut, ou à se faire
considérer.

Une âme sincèrement humble remet tout ce qui relève de l’appréciation personnelle ou du désir d’être estimé
entre les mains de Dieu.

Son estime de soi et sa réputation y seront bien à l’abri. Dans ton humilité puise la force de dire au Seigneur,
quand on te méprise: si ma réputation ne t’est pas utile, elle ne m’intéresse pas... ce généreux abandon te
vaudra la paix des humbles.

Que l’humilité de Marie nous soit un réconfort et un modèle.

LA DOUCEUR
«Comme Don Quichotte, ils voient des géants là où il n’y a que des moulins à vent Ils se remplissent
d’humeur sombre, ils s’aigrissent, leur zèle prend un goût amer; brusques dans leurs manières, rien ne trouve
grâce à leurs yeux, ils voient tout en noir, se méfient toujours de la légitime liberté des hommes et ne savent
jamais sourire.» (St. Josémaria, 16.6.1933)

Toi qui connais la vie du Seigneur, tu sais que Jésus-Christ a voulu dans la même page d’Évangile réunir la
douceur et l’humilité. Écoute ces claires paroles, si empreintes d’amitié: «apprenez de Moi qui suis doux et
humble de cœur et vous trouverez la paix de vos âmes».

Douceur et humilité. Deux vertus à garder bien unies dans le cœur; deux sœurs qui mènent la même vie;
deux métaux précieux à fondre dans un alliage parfait, qui tire du premier sa résistance exceptionnelle et du
second son éclat sans pareil. Deux aspects d’une vie intérieure virile et positive. Par l’humilité nous gagnons
le cœur de Dieu, la douceur attire nos frères et nous donne pouvoir sur leurs cœurs.

Durant ces instants de méditation en présence de Dieu, je veux te dire que cette vertu nécessaire à chacun te
concerne aussi personnellement. Vois notre vie: toujours liée à celle des autres, occasion de mille rencontres,
elle t’oblige à connaître l’art de vivre ensemble. Et puis ta famille, tes frères et sœurs, tes amis, tes relations
professionnelles et sociales — tes collègues, tes subordonnés, tes supérieurs — voilà justement le milieu où
le Seigneur t’attend et où tu dois faire luire la douceur évangélique.

Que ton caractère sache recevoir l’onction forte et vigoureuse de ces deux vertus, et ton cœur deviendra
semblable à celui du Christ: «Je suis doux et humble de cœur.»

Un prêtre a besoin de douceur pour mettre dans tous ses rapports avec les âmes patience et charité, c’est cela
qui le rend efficace. Une mère qui s’exerce constamment à la douceur assure de cette façon chez ses enfants
la profondeur et la permanence des effets de l’éducation familiale. La paix régnera dans l’intimité du foyer si
cette vertu modèle les relations mutuelles. Et si la douceur venait à imprégner les relations sociales et
professionnelles, celles-ci seraient tout autres. Beaucoup, qui cherchent en vain à se procurer la paix par
d’autres moyens, seraient surpris de la trouver enfin.

Nous avons tous une certaine propension à imaginer que les grands cris et les oukases sont pratiques et
efficaces, que l’éducation est affaire de menaces ou de manières brutales, que le respect s’impose en élevant
la voix ou en prenant des airs autoritaires...

Quelle place laissons-nous alors à la douceur chrétienne? Était-ce bien la peine que Jésus dans l’Évangile
nous l’ait recommandée?
Et pourtant, combien de fois la vie ne nous a-t-elle pas enseigné quelle merveilleuse efficacité dérive de la
douceur du Christ! Quels sont ceux qui font du bien? Uniquement ceux qui cherchent et savent trouver des
paroles aimables et sincères, les ordonner dans un discours serein, persuasif, et les accompagner de cette
courtoisie profondément humaine sans laquelle une parole pénètre rarement jusqu’au cœur.

L’expérience prouve que les cœurs se ferment sous les corrections acerbes et sous les reproches exempts de
douceur. N’oublions donc jamais cette règle: dès que nous cessons d’être vraiment père, frère ou ami pour
notre prochain, tout ce qui sort de nos lèvres recèle fatalement en soi une cause de stérilité.

C’est toujours avec douceur, amabilité et affabilité que tu dois essayer de travailler avec ces cœurs placés sur
ton chemin par la divine Providence. Si tu perdais le cœur des hommes, tu aurais bien du mal à éclairer leur
intelligence, à obtenir de leur volonté qu’elle suive le chemin que tu leur indiques.

Toi qui te sens les bras, le cœur lourds du poids d’autres âmes et responsable de leur destinée, écoute: on
n’impose pas la confiance, on la gagne. Il te faut la confiance de ton entourage et de tes collaborateurs, sinon
ta vie deviendrait amère et ta mission inféconde!

La mère de famille comprendra tout cela très bien si seulement elle veut réfléchir un instant sur l’éducation
qu’elle donne à ses enfants; le prêtre comprendra aussi, en songeant au bien des âmes qu’il oriente et à celles
de ses confrères; le chef d’un bureau, le directeur d’une entreprise comprendra aussi parfaitement s’il
accepte de se demander une minute de quelle tranquillité jouissent ses employés ou ses subordonnés.

Tu souffres de solitude? gros égoïste, tu te sens amer, constamment insatisfait, rongé par quelque rancune...
et tu te plains de sentir autour de toi un climat d’indifférence, de froideur, de méfiance, de revendications
perpétuelles... tu préférerais un climat d’affection. Mais les causes, les causes de tout cela? Regarde-les: ton
mauvais caractère et tes manières abruptes; tu brusques les gens, tu les reçois comme un chien dans un jeu
de quilles, et tu as toujours avalé ton parapluie! Que tout cela est peu chrétien! Et en plus, tu t’étonnes!

Il te faut un bon caractère, une grande compréhension, beaucoup d’affabilité. Amalgame à toute ta vie la
douceur du Christ. Et sois heureux, rends heureux tous ceux qui t’entourent, tous ceux qui te rencontrent sur
le chemin de la vie. Tu dois laisser flottant derrière toi les effluves d’un parfum suave et délicat, le parfum
de l’Esprit de Jésus-Christ: Bonus odor Christi; ton sourire, ton calme serein, ta bonne humeur et ta joie, ta
charité et ta compréhension... c’est comme cela que tu ressembleras à Jésus «qui est passé sur la terre en
faisant le bien».

Si tu ignorais cette douceur du Christ, tu laisserais sur tes pas, comme un nuage de poussière, le
mécontentement, l’animosité, l’amertume douloureuse, des blessures à vif, un chœur de lamentations, bref
une foule de cœurs fermés — pour plus ou moins longtemps — à l’action de la grâce et à la confiance dans
la bonté des hommes.

Jusqu’ici, qu’as tu laissé derrière toi? Fais un examen de conscience très sincère et très lumineux. Ces êtres
pour qui tu as été un père, un frère ou un ami, ceux qui t’ont fréquenté comme collègue ou supérieur
hiérarchique, qu’ont-ils reçu de toi? Qu’est-il resté dans leur âme après t’avoir rencontré?

Tu as placé ta vie sous le signe de l’apostolat. Alors rappel-les-toi la promesse de Jésus dans l’une des
Béatitudes: «Heureux les doux car ils posséderont la terre.» Tu tiens dans ces paroles la condition numéro un
pour rendre gloire à Dieu et apporter la paix aux hommes. Tu veux consumer ta vie à faire le bien; mais si tu
ne sais comment acquérir la terre, t’attacher les cœurs, comment pourras-tu conduire les êtres à Dieu?

Avant de vouloir rendre saints ceux que nous aimons, il nous faut les rendre heureux, joyeux: rien ne dispose
mieux l’âme à recevoir la grâce divine que la joie et l’allégresse intérieure. Et tu le sais bien quand tu as
gagné le cœur de ceux dont tu souhaites le progrès ou la conversion, quand tu as su les attirer avec la
douceur du Christ, tu as déjà fait la moitié de ton travail d’apôtre. Ils t’aiment sincèrement, ils te font
confiance, ils sont contents à tes côtés: les voilà devenus un champ fécond pour la semence divine; leur cœur
est comme une terre fertile, prête à recevoir le blé d’une parole d’apôtre ou d’éducateur.
Apprends à parler sans blesser, sans offenser, et aucun cœur ne se repliera sur lui-même, même si tu dois
parfois reprendre ou corriger. La semence prendra bien dans la terre fertile et la récolte sera abondante. Si tu
agissais autrement, tes paroles se heurteraient à des murs de granité; la semence tomberait alors à côté du
chemin, dans l’indifférence ou la méfiance, ou bien sur la pierre d’une âme refermée, ou enfin dans les
épines d’un cœur à vif, ravagé de rancune ou d’insatisfaction.

C’est aux visages aimables et aux manières affables, cordiales, c’est aux paroles amènes et persuasives qui
forment et orientent les consciences sans jamais blesser que le Seigneur a promis d’accorder son efficacité.
Tu n’es qu’un homme, pas un ange! Les autres sont des hommes comme toi, vous restez égaux même
lorsque l’un de vous fait du bien à l’autre: ton attitude, ton sourire, ta manière d’agir jouent un rôle
important pour l’efficacité de ton apostolat.

Sainte Vierge Marie, nous ne pouvons finir notre prière sans nous adresser à toi, «Mère très aimable», pour
que tu tournes vers nous ton regard miséricordieux; ce regard maternel Si affectueux nous fera pleinement
saisir la valeur, la nécessité et l’efficacité de la douceur chrétienne.

LES HUMILIATIONS
«Dieu nous élève sur le point même où II nous a humiliés. Si l’âme se laisse conduire, si elle obéit et accepte
la purification sans s’y soustraire en rien, si elle vit de foi, il surgira en elle une lumière inattendue devant
laquelle elle pensera ensuite, émerveillée, que jusqu’alors elle était aveugle de naissance.»(St. Josémaria,
243.1931)

Si la patience mène à la paix, si l’étude conduit à la science, l’humiliation est l’unique chemin de l’humilité.

En cet instant où nous sommes seul à seul avec Dieu notre Seigneur, nous allons nous laisser guider par cette
considération.

Si nous voulons une vie spirituelle authentique, il nous faut absolument un souci d’humilité constant et
vivant. Nous nous demanderons alors comment tirer le meilleur profit, pour notre vie spirituelle, des
humiliations que le Seigneur nous fait éprouver au plus profond de notre âme et aussi de celles qu’il place au
cours de notre travail.

Il y a des moments, des périodes un peu délicates dans la vie spirituelle, où l’âme se sent durement humiliée.
Or c’est à des illuminations claires et concrètes de Dieu notre Seigneur que nous devons de découvrir, de
ressentir ce que peuvent avoir d’humiliant nos misères, nos déficiences, nos inclinations déviées, nos
imperfections, nos défauts. Les yeux de l’âme s’ouvrent sur ce que nous sommes sans le vouloir, sur ce que
nous ressentons sans le vouloir non plus, sur ce qui nous attire malgré notre répugnance. Nombre de défauts,
peut-être non repérés jusqu’alors, dévoilent leur contour net et précis sous le regard ébahi de l’âme. Les
échecs, les déficiences qui marquèrent notre vie, envahissent orageusement le champ de la conscience.

Il peut arriver que pour orienter l’âme dans cette direction, le Seigneur utilise l’ambiance de recueillement
d’une retraite ou d’une récollection. Il la fait alors croître en humilité et en connaissance de soi.

À ce moment-là, rappelle-toi ces paroles: «Le doigt de Dieu est là!» N’oublie pas l’amour que Dieu te porte.
Il est à l’origine de cette lumière qui te permet de bien te connaître, de ce sentiment de ce que tu as été ou de
ce que tu es, de cette humiliation dont l’intensité doit irrésistiblement t’entraîner sur la voie de l’humilité.
N’oublie pas non plus que le Seigneur réserve ce traitement à ceux qu’il aime le plus: «Ceux que J’aime, Je
les reprends et Je les corrige.»

Réponds à ces humiliations bénies par un acte de profonde action de grâce: «Je te rends grâce, Seigneur, de
m’avoir humilié.» Cette humiliation intérieure ou cet échec extérieur vont laisser dans notre âme l’empreinte
de l’humilité; ils vont donner à notre vie un plus haut degré de sainteté et — sans aucun doute — une
efficacité insoupçonnée à nos activités.
Ne pense pas avoir empiré. Bien sûr tu vois ce qu’autrefois tu ne percevais pas du tout; tu ressens
maintenant avec acuité ce à quoi tu restais insensible. Bien sûr tu as découvert cette déficience de ton
caractère, de ta formation, de ton comportement, mais tu n’es pas pire, tu t’es amélioré, du moins possèdes-
tu les conditions les plus favorables à ton amélioration. Tu es déjà bien parti si tu as su profiter de ces
moments-là pour repérer enfin où se trouve le mal qu’il te faut éliminer, le défaut qu’il faut combattre et les
précautions que tu dois prendre pour t’éviter d’autres mauvaises surprises.

Apprends donc à réagir de façon surnaturelle à ces humiliations intérieures comme à ces échecs extérieurs.
Ils ne doivent pas menacer la paix ou la tranquillité de notre vie intérieure.

D’abord une réaction d’humilité. Accepte cette humiliation, cette défaite, avec un cœur humble: que ton
humilité y plonge ses racines et y puise sa force. Mais il ne suffit pas d’accepter l’humiliation, il faut
l’aimer, aimer notre propre misère et rendre grâce à Dieu qui nous a donné de nous connaître tels que nous
sommes.

Nous allons surtout éviter tout ce qui serait ou inculperait de la rébellion intérieure. Quel manque d’humilité
de cœur il y aurait à se rebeller contre un état où la Bonté, la Providence divines ont placé notre âme pour lui
permettre de parvenir à plus de maturité et d’union avec Dieu!

Brise cette rébellion dès que tu entendras les premiers murmures. Évite aussi soigneusement de te justifier à
tes propres yeux comme devant les autres.

On ne manque jamais de justifications! Notre orgueil, toujours prêt à défendre la haute estime que nous nous
portons, a du génie pour en inventer. Mais elles corrompraient instantanément les fruits d’humilité que Dieu
te réservait, fruits savoureux d’efficacité apostolique! Ne te justifie pas! Refuse cette pauvre consolation à
ton âme solitaire et blessée! Étouffe ces raisonnements orgueilleux qui masquent l’entaille, sans la refermer.
Repousse bravement ces contre-attaques de l’orgueil qui cherche à reconquérir les positions perdues. Ne le
laisse pas te cajoler, fuis ses caresses insidieuses! Tu peux en être sûr, c’est l’heure de Dieu, elle sonne:
«Aime à être incompris, à être compté pour rien.»

Mais pas de découragement non plus! C’est le dernier écueil.

Si tu sais l’éviter, cette expérience ne laissera aucune trace de complexe dans ton caractère, aucune
limitation à ta capacité de travail et de service de Dieu. Le baume de l’optimisme et de la confiance va
refermer la plaie, déjà cautérisée par l’humilité, elle guérira parfaitement et ne laissera dans ton âme qu’une
cicatrice glorieuse. Le manque de confiance, le découragement causeraient des dommages irréparables à ta
lutte ascétique et à ta vie d’apôtre.

Après avoir réagi humblement, humblement aussi évité les écueils que nous venons d’évoquer, il faudra
nous relever, avec une immense confiance. Quelle bonne base pour notre confiance, que cette humiliation
acceptée avec humilité!

C’est alors que comme saint Paul tu sentiras avec quelle force, avec quel élan la vertu de l’espérance vient
gonfler ton âme. C’est le vent de la mer dans les hautes voiles de ton âme: «quand je suis faible, c’est alors
que je suis fort». Maintenant que je suis plus parfaitement conscient de ma faiblesse, je vais pouvoir
m’appuyer vraiment sur la force de Dieu. Cette espérance va réveiller l’amour qui somnolait en nous et nous
faire trouver des paroles adéquates pour l’exprimer au Seigneur. Je n’en connais point de plus appropriées à
ce moment que ces mots d’amour contrit et confiant de saint Pierre au Christ lors de leur première rencontre
après son triple reniement: «Seigneur, Tu sais tout, Tu sais bien que je t’aime.» Tu le sais, Seigneur, que je
t’aime malgré tout et par-dessus tout... et le poids qui nous oppressait disparaît. De l’humiliation il ne reste
que l’humilité, l’expérience acquise, la confiance, l’amour.

L’humilité et la confiance conduisent l’âme à la joie et à la décision. Que de ressources ne renferment-elles


pas! Nos forces augmentent, notre détermination se fait plus ferme, plus prudente. C’est cette joie de notre
âme qui y fait surgir, frémissantes, les paroles de saint Paul: «Bien volontiers je me glorifierai de mes
misères.» C’est cette détermination qui éclate dans ces autres paroles du Docteur des Gentils: «Je peux
tout!»

Nous allons spontanément parler avec la Vierge Marie, plénitude d’humilité! Mieux vaut garder secret ce
dialogue et laisser nos âmes s’y abandonner en paix avec notre Mère.

LA ROUTE DE L’ORGUEIL
«Vous avez déjà entendu dire que la meilleure affaire du monde, ce serait d’acheter les hommes pour ce
qu’ils valent réellement et de les revendre pour ce qu’ils pensent valoir. C’est difficile la sincérité. L’orgueil
trafique la mémoire et l’obscurcit; le fait s’estompe ou se trouve embelli; on invente facilement une
justification pour couvrir d’une apparence de bonté le mal que l’on a commis et que l’on n’est pas disposé à
rectifier. On accumule arguments et raisons qui étouffent peu à peu la voix de la conscience; celle-ci se fait
de plus en plus faible, de plus en plus confuse.» (St. Josémaria, 24.3.1931)

Un chemin, qui n’est pas celui de la félicité ni celui du salut, que pourtant nous empruntons avec une
souveraine facilité: celui de l’orgueil. Apprenons l’art de le reconnaître du premier coup et de toujours
l’éviter.

Son point de départ est assez triste: la route de l’orgueil s’ouvre avec la négation de Dieu dans notre âme et
dans notre vie. Quelqu’un fait remarquer à ce propos, de manière pénétrante, les points communs de l’athée
et de l’orgueilleux. L’athée, en effet, se refuse à admettre l’existence de Dieu, qu’il est pourtant possible de
reconnaître à travers les créatures; il ne saisit pas la présence de Dieu dans les choses créées. L’orgueilleux,
lui, se refuse à reconnaître la présence de Dieu dans son âme et dans sa vie; il ne distingue pas Dieu notre
Seigneur à travers ces dons de la nature et de la grâce qui enrichissent sa personnalité et rendent sa vie
féconde.

L’orgueil n’est en réalité qu’une appréciation démesurée des qualités et des talents que nous possédons. Il
réside dans l’idée gonflée, boursouflée que nous nous forgeons de nous-mêmes.

Nous cultivons soigneusement, et avec une espèce de circonspection intérieure, cette représentation
avantageuse de notre personne et nous n’admettons absolument pas qu’on y retranche quoi que ce soit. Nous
n’admettons pas non plus que l’on nous cite d’autres personnes en exemple, nous ne tolérons aucun
reproche, aucune correction. Nous nous attribuons à nous-mêmes tout ce que nous sommes et tout ce que
nous valons, en oubliant complètement Dieu notre Seigneur. Ce comportement exclut de notre vie Dieu et
les autres, seul compte le «moi». Et l’orgueilleux s’obstine. Placide, il se contemple. Présomptueux, il se
trouve tout à fait bien.

Les âmes orgueilleuses restent sourdes à ces paroles de saint Paul: «qu’as-tu que tu n’aies reçu?» Elles sont
incapables de s’incliner devant cette autre observation qui complète le raisonnement de l’apôtre: «Pourquoi
te glorifies-tu en toi-même comme si tu n’avais pas reçu tout ce que tu possèdes?»

S’il existe un chemin qui rend les âmes compliquées, c’est bien celui-là, la route de l’orgueil est un
labyrinthe; les âmes, désorientées, s’y perdent. L’orgueil détruit leur simplicité, cette manière d’être et de
paraître sans détours qui est justement le charme des personnes humbles.

Combien de méandres au contraire dans l’âme infestée d’orgueil! Ce péché capital conduit, en effet, de plus
en plus tyranniquement à se replier en permanence sur soi-même, à tourner et à retourner indéfiniment dans
sa tête la pensée de ses propres talents, de ses vertus, de ses succès, de telle ou telle circonstance où l’on a
triomphé. Et voilà qu’on s’installe dans le monde vide et mesquin de la complaisance en soi-même.
Du monde intérieur au monde extérieur, la route de l’orgueil est ainsi tracée. Tout ce que ces personnes ont
édifié à l´intérieur d’elles-mêmes, elles entendent le réaliser autour d’elles. Et quoi que le Seigneur ait dit:
«Je ne donnerai Ma gloire à personne», l’âme orgueilleuse s’approprie sans vergogne cette gloire.

Jamais cette route infernale ne passera par le Seigneur. Rien ni personne ne peut arracher cet aveu à l’âme
orgueilleuse: «C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis». Jamais un regard ni une pensée pour ce
qui est au-dessus de leurs qualités et de leurs succès personnels. Jamais elles ne parviendront jusqu’à Dieu
notre Seigneur pour lui rendre grâce de sa bonté. Regards, pensées à ras de terre! La route de l’orgueil
commence par l’exclusion de Dieu et continue par le repli sur Soi.

L’horizon de l’orgueilleux n’enferme pas de grands espaces, il s’arrête aux murs sans fenêtres de sa
subjectivité. Impossible de voir plus loin que sa personne, ses qualités, ses vertus, son talent. C’est un
horizon sans Dieu. Et dans ce panorama mesquin, les autres n’apparaissent même pas, il n’y a pas de place
pour eux.

L’âme qui s’est forgée une si haute idée d’elle-même ne demande jamais un conseil et n’en accepte aucun.
Elle croit se suffire. Agrippée avec entêtement à son jugement, à sa volonté, elle ignore volontairement,
jusqu’au mépris, toute opinion ou conviction qui ne concordent pas avec les siennes.

Le mépris du prochain est donc pour elle une attitude fréquente, souvent habituelle. Ces personnes se
transforment intérieurement en pharisiens, considérant les autres comme des publicains; dans leur existence,
constamment, se reproduit la scène de la parabole évangélique: «Je te rends grâce de ne pas ressembler aux
autres hommes.» «Les autres» n’existent que comme des réflecteurs pour l’orgueilleux. Grâce à eux il peut
s’exalter, sans pour autant leur accorder la moindre importance.

Il ne supporte aucune supériorité. Au reste, il doute qu’elle puisse seulement exister. «Les autres» ne
peuvent servir qu’à exalter celui qui est au-dessus d’eux. Leurs défauts mettront en évidence et souligneront
ses propres vertus. Leurs" erreurs mettront en relief sa sagesse et son savoir-faire. Le peu d’intelligence qu’il
trouve chez les autres fait ressortir son incomparable valeur. Voilà la racine des envies, des jalousies et des
tensions qui accompagnent toute leur vie ceux qui cheminent sur cette route de l’orgueil.

Est-ce le terme de ce terrible trajet? Pas du tout! De la jalousie on passe à l’inimitié. Combien d’inimitiés ont
pour origine — bizarre origine — la jalousie! Il y a des personnes qui se considèrent méprisées, haïes,
combattues pour la seule raison qu’elles sont meilleures ou plus intelligentes que leurs persécuteurs. Elles se
sont rendu coupables d’un grave délit: être bonnes, intelligentes, avoir beaucoup travaillé. Ce délit sera
combattu, châtié par la froideur, l’inimitié, le silence ou la calomnie.

Pour ne rien perdre de ses acquis, ni jamais s’avouer vaincu, l’orgueilleux prendra l’habitude de recourir à
l’hypocrisie et à la fiction. Il fait semblant d’être ce qu’il n’est pas, il exagère tous ses avantages. Tout
devient licite, tout devient bon dans ce maudit chemin, pourvu qu’on se pousse au premier rang, et qu’on
occupe la meilleure place dans sa propre opinion et celle d’autrui.

Pour nous maintenir toujours éloignés de cette route, ou pour en sortir si nous nous y sommes embourbés,
demandons à la Vierge Marie, Maîtresse d’humilité, de nous éclairer: «Le commencement de tous les
péchés, c’est l’orgueil.»

LE CÉLIBAT ET LA CHASTETÉ
«... Notre chasteté est une affirmation joyeuse, une conséquence logique de notre don au service de Dieu, de
notre amour.» (St. Josémaria, 24.3.1931)

La chasteté, la chasteté parfaite dont je vais te parler maintenant, c’est l’autre face de la médaille de l’amour.
Un exemple tout simple, tiré de l’amour humain, nous aidera à comprendre et à approfondir le sens que cette
vertu doit avoir pour nous: quand, dans la vie, on aime vraiment une personne, on l’aime au point de la
vouloir pour compagne de toute la vie, cet amour doit nécessairement être exclusif. Il occupe pleinement le
cœur et la vie de la personne, il exclut logiquement d’autres amours qui seraient incompatibles avec lui.

C’est de ce même cœur, avec lequel nous aimons le monde et les personnes du monde, que nous devons
aimer Dieu notre Seigneur. Ce cœur que l’on donne aux amours nobles et limpides de la terre, c’est celui-là
qu’ont donné à Jésus ceux qui l’on suivi en renonçant joyeusement à d’autres affections qui, bien
qu’humaines, ne laissent pas d’être grandes.

Ceux qui ont couru après un amour terrestre avaient les yeux grands ouverts, et sont comblés. Nous, qui
avons couru après un amour du ciel, nous avions aussi les yeux grands ouverts et nous avons le cœur
comblé. Cet amour pour Dieu, qui se concrétise dans le célibat et la chasteté parfaite, est lui aussi exclusif de
tout autre amour qui serait incompatible avec lui.

«Il n’est rien de plus aimable que Jésus-Christ», affirmait déjà saint Paul. Ils reprennent cette parole ceux
qui, pour suivre de plus près Jésus-Christ, ont renoncé à tous les biens de la terre, même à ceux qui sont
parfaitement licites. Ils faisaient leur — et ils font leur — cette appréciation de l’apôtre sur les choses
humaines: «Toutes les choses de la terre ne valent rien quand il s’agit de gagner le Christ.»

Regardons le célibat, la chasteté parfaite comme des exigences qui découlent, pour toi et moi, de notre
amour de Jésus-Christ. Notre âme, notre cœur et notre corps lui appartiennent; nous les lui avons donnés. À
ce moment-là, les choses étaient bien claires, n’est-ce pas? Aussi, gardons bien cela présent dans l’esprit: il
ne nous manque rien, rien ne peut nous manquer: «Mon Dieu et mon tout!»

Je ne peux pas te dire, ce serait inexact, que la chasteté et la pureté constituent les premières des vertus, car
tu sais parfaitement (je veux seulement te le rappeler) que la première vertu, si on commence par la base,
c’est la Foi. Voilà le fondement de tout notre édifice spirituel. Tu sais également que la première des vertus,
si maintenant nous regardons d’en haut l’édifice de la vie spirituelle, c’est la charité, car à travers elle seule,
la reine des vertus, nous nous unissons directement à Dieu.

Mais il ne serait pas exact non plus de passer sous silence le fait que la chasteté et la pureté de vie établissent
l’ambiance, le climat véritablement propice au développement de la foi et de la charité, donc de toutes les
autres vertus.

Il n’est donc pas difficile de comprendre l’importance capitale que revêtent ces vertus pour la vie spirituelle.
Oui, nous ne serions jamais hommes de vie intérieure sans ces vertus qui assurent à la vie de l’âme son
ambiance et son climat convenables. Sans ces vertus sérieusement vécues, affirmées avec joie et avec
amour, nous ne pourrions pas posséder une vraie vie surnaturelle. L’homme sensuel est tout le contraire de
l’homme spirituel; l’homme charnel est comme aveuglé, quand il s’agit de percevoir les choses de l’âme ou
les choses de Dieu. Il est prisonnier de la terre et des sens, il ne parviendra jamais à s’élever, à goûter les
biens du ciel et les jouissances spirituelles, profondes et sereines de l’âme.

La chasteté est indispensable pour l’apostolat. Le célibat et la chasteté parfaite donnent à l’âme, au cœur et à
la vie extérieure de celui qui les professe, cette liberté tellement nécessaire à l’apôtre, qui veut pouvoir se
prodiguer pour le bien des autres âmes. Cette vertu forge des hommes spirituels et forts, libres et agiles. Elle
les habitue en même temps à voir tout autour d’eux des âmes et non des corps, des âmes qui ont besoin de
leurs paroles et de leur prière pour être irradiées de lumière, des âmes qui ont besoin de leur temps et de leur
affection pour être enflammées de charité.

Tous les chrétiens doivent aimer énormément le célibat et la chasteté parfaite, car ce sont des preuves
concrètes et tangibles de l’amour pour Dieu. Ce sont en même temps des sources d’où l’on reçoit
continuellement un accroissement de cet amour. Tu comprends mieux quelle croissance en vie intérieure et
en efficacité apostolique nous retirons de ces sacrifices remplis d’amour aras bord.
Je veux te rappeler maintenant une vérité très simple, une vérité que tu connais bien et que tu as souvent
entendue, que tu as même expliquée bien souvent: la chasteté est possible! Elle est possible, toujours et à
tout moment, à tout âge, en toutes circonstances, même lorsque font irruption les tentations et les difficultés.

Et ce qui rend la chasteté possible, ce n’est pas notre force ou notre volonté personnelles. Dieu très bon et lui
seul par sa grâce nous garde dans la chasteté. Je transcris pour toi, afin que tu te réjouisses de leur claire
lumière, ces paroles du Livre de la Sagesse (8, 21): «Comme je savais que je ne pourrais pas être chaste si
Dieu ne m’en faisait le don, je m’adressais au Seigneur et je Le suppliais de me l’accorder...»

Toutes les âmes qui prient et qui luttent pour vivre «comme des anges de Dieu» ont pu vérifier la précision
et la vérité si réconfortante de ces paroles qui furent dites à saint Paul: «Ma grâce te suffit».

Veux-tu que nous restions sur ce chemin, simple et droit, où nous rencontrons l’une après l’autre toutes ces
bonnes vérités que toi et moi nous connaissons et aimons? C’est le moment de nous arrêter un instant sur
une pensée, assez fréquente dans les intelligences où la Foi ne répand encore qu’une lumière très faible et
dans les cœurs froids et endurcis, car il y a là une bonne occasion de méditer et de s’éclaircir les idées.

Quelle tristesse de s’imaginer que parmi ceux de nos frères qui ont fait comme nous au Seigneur le don de
leur vie et de leur jeunesse, il pourrait y en avoir un seul pour penser que la chasteté parfaite est une
mutilation, un sacrifice qui laisse inachevée la personnalité.

Et pourtant j’en ai connu quelques-uns... Quelle tristesse profonde! Ces âmes portaient leur chasteté sur leurs
épaules comme un lourd fardeau, la croyaient moins belle, moins féconde que le mariage. Tu le sais, elles
n’ont pas, sur ce point, le même sentiment que notre Mère l’Église; dans cet égarement, elles n’ont pour
compagne que la tristesse d’une vie stérile.

Oui, la chasteté parfaite est un renoncement, nous le savons bien, nous ne voulons absolument pas l’ignorer.
La chasteté parfaite est un renoncement au plaisir charnel, un renoncement à l’amour conjugal, un
renoncement à la paternité.

Mais c’est un renoncement plein de lumière et d’amour.

C’est un renoncement fait d’amour. Et puisque l’amour, redisons-le, par nature est exclusif, celui qui aime
ne se prive de rien quand il se prive de tout ce qui n’est pas son amour. Quand cet amour est Dieu, quand cet
amour est le Christ, non seulement l’exclusivité ne coûte pas, mais elle nous enchante.

Le vide créé par ce renoncement se voit merveilleusement et surabondamment comblé par Dieu Lui-même.
L’amour de Dieu nous rend heureux et remplit notre vie: rien ne nous fait défaut.

La chasteté est amour, amour exclusif pour Dieu, amour qui ne pèse pas, amour qui rend léger et agile, et en
même temps nous comble d’une félicité profonde e| sereine.

Nos vies seront toujours jeunes, pleines de l’enthousiasme des amoureux. Elles rediront comme nous ces
paroles avec lesquelles s’achevaient de belles pages écrites sur cette vertu par quelqu’un qui s’y connaissait
en amour spirituel: nous avons défendu notre droit à l’amour.

Pleinement éclairés et convaincus sur le sens et la beauté de cette vertu; toujours fermement décidés à refaire
mille fois ce que nous avons fait et qui était le meilleur que nous puissions faire; notre regard et notre cœur
mis en Jésus-Christ, auquel nous avons confié notre vie; nous pourrons le redire en vérité: oui, nous avons
défendu notre droit à l’amour. Je te dirai même plus, en me servant de l’heureuse formule d’un moine poète:
nous sommes, dans le monde, les aristocrates de l’amour.

Tu le comprends très bien maintenant, la chasteté qui ne peut être vertu supportée doit être, dans notre vie,
vertu joyeusement affirmée, passionnément aimée, fermement et délicatement gardée.
Si nous voyons, ainsi, la pureté comme fruit et source de l’amour, nous la fortifierons dans notre vie, nous
l’aimerons et la protégerons dans toutes ses parties et dans tous ses détails qui sont autant de merveilles de
l’amour. Dieu notre Seigneur nous demande la pureté du corps, du cœur, de l’âme et des intentions.

Mais la pureté est une vertu fragile. Mieux encore, nous portons ce grand trésor dans «un vase d’argile»;
c’est pourquoi elle requiert une vigilance attentive, intelligente et délicate.

Pour garder et défendre cette vertu, nous avons des armes invincibles notre humilité, notre oraison et notre
vigilance.

L’humilité est la disposition intérieure nécessaire pour que le Seigneur nous accorde sa grâce, car «Dieu
donne sa grâce aux humbles». Il ne fait pas de doute qu’il existe entre ces deux vertus, l’humilité et la
chasteté, une très intime union. C’est si vrai qu’un écrivain spirituel — quel plaisir j’ai eu à le lire! — a pu
donner à l’humilité le nom de chasteté de l’esprit. Pour défendre et faire croître cette vertu, il est absolument
indispensable d’écouter et de suivre avec une extrême délicatesse le conseil de Jésus-Christ: «veillez et
priez».

Veiller, c’est fuir avec décision et promptitude toutes les occasions et tous les périls; c’est aussi ouvrir grand
son cœur, avec sincérité et esprit filial, dans la direction spirituelle; c’est apprendre à mortifier nos sens et
notre imagination.

L’oraison, l’amitié avec Jésus dans la sainte Eucharistie, le Sacrement de Pénitence, la dévotion à la Vierge
Immaculée, voilà les moyens efficaces et nécessaires qui assurent sa stabilité à notre vertu de chasteté.

VRAIES ET FAUSSES VERTUS


«Le Seigneur a coutume de mener, parfois pendant des années, ceux qui commencent à travers des eaux
moins agitées et sans bourrasques pour bien les confirmer dans leur décision initiale, sans exiger d’eux, dès
le début, ce qu’ils ne peuvent encore donner, car ils sont quasi modo geniti infantes, comme des enfants
nouveau-nés.» (St. Josémaria, 243.1931)

L’âme qui fait ses premiers pas sur le chemin de la vie spirituelle se comporte souvent comme un petit
enfant, qui ayant, aux dernières lueurs du jour, semé dans un coin du jardin un grain de blé ou un noyau
d’abricot, se précipite à l’aube du lendemain, espérant y trouver déjà un épi doré ou goûter le fruit mûr de
l’abricotier.

L’enfant se rend compte que la fécondité de la terre n’a pas répondu à ses espérances, n’a pas satisfait
l’impatience de son caprice enfantin. Il court vers sa mère, tout plein de désillusion, le cœur endolori, et lui
révèle, les larmes aux yeux, toute la tragédie de son âme blessée de voir la terre cruelle lui refuser le fruit de
son travail. Et la mère, tendrement, de sourire.

Comme cet enfant qui court recueillir les fruits de la terre après une attente d’une seule nuit, qui lui a semblé
durer un siècle, ils sont nombreux ceux qui prétendent obtenir de leur âme le fruit d’une vertu solide et
véritable sitôt qu’ils ont ensemencé leur cœur de bonnes résolutions arrosées seulement du désir de se
montrer saints et fidèles.

Dès la première difficulté, dès le premier obstacle, ces âmes constatent bien vite que leur vertu est loin d’être
aussi forte ou exubérante qu’elles s’en étaient donné l’illusion. Alors les voilà submergées de tristesse et de
découragement. Et Dieu notre Seigneur de sourire. Il les aime comme une mère aime son enfant, et elles se
révèlent si enfantines dans leur vie intérieure!

Dès les premiers pas de notre vie intérieure, il faut absolu- / ment nous habituer aussi bien à rechercher les
vertus véritables qu’à éviter les fausses.
C’est vrai, tu as commencé, tu as même bien commencé. C’est vrai que le «je commence maintenant» a
généreusement résonné dans ta vie. Mais il est vrai aussi (tu aurais parfois tendance à l’oublier) que les
vertus, ces perfectionnements de ta nature qui te rendent propre à réaliser des actes bons, requièrent du
temps et de la fatigue, de la lutte et des efforts pour devenir vraies.

Les bonnes résolutions, les désirs enflammés ne suffisent pas pour rendre tes vertus solides et authentiques.
Toutes ces ardeurs et toutes ces résolutions ne vont pas davantage par elles-mêmes modifier ta nature ou ton
caractère. Pour affermir ces vertus, pour transformer ta nature et ton caractère, il faut un effort et une lutte
prolongés tout au long de ce «de ce temps de labeur et de combat», ta vie entière.

L’ardeur et les vifs sentiments de dévotion sensible vont toujours unis aux premiers pas de la vie intérieure;
Dieu l’a établi ainsi, dans sa providentielle bonté. Cela peut inciter une âme encore dans l’enfance de la vie
spirituelle à croire que tout est déjà gagné, que ses défauts et ses tendances désordonnées ont une fois pour
toutes disparu, que tout dorénavant va lui être facile: la vie vertueuse ne va pas lui coûter le moindre effort...

Mais la Providence divine ne tarde pas à lui ouvrir les yeux. Elle utilise pour cela les mille expériences de la
vie, où elle trouve occasion et matière de lui enseigner le vrai sens de la vie spirituelle, qui apporte avec soi
la maturité de la vertu.

La vie se chargera donc de lui montrer que tous ces défauts et ces tendances n’étaient pas morts, mais
simplement endormis, et qu’il va falloir un effort persévérant, une lutte pleine de foi pour en venir
véritablement à bout.

Dieu notre Seigneur fait ainsi passer les âmes qui désirent le suivre de près de la dévotion sensible à la
dévotion aride, puis de celle-ci à la véritable dévotion spirituelle, où elles comprennent enfin ses desseins et
tous les divins stratagèmes dont Il use pour leur faire acquérir de vraies vertus et une formation solide.

Cette action divine, si délicate, demande beaucoup de temps. Le temps: voilà le grand allié de Dieu dans
l’œuvre de la sanctification des âmes. La sanctification: l’œuvre de toute une vie. Le temps est gentilhomme,
il ne faut pas l’oublier.

Je me rappelle ma joie quand j’appris d’un saint religieux ce proverbe simple et lumineux: «Les jeunes ont
l’air d’être saints, mais ne le sont pas; les vieux n’en ont pas l’air, mais ils le sont.» Les ardeurs juvéniles,
quand on se met à suivre Jésus de près, sont fleurs et promesses. Le travail serein, profond, intense au
service de Dieu est fruit gorgé de sucs et de saveurs, réalité extraordinairement efficace.

Sainteté sans effort, vertu sans épreuves ni luttes, sans batailles ni défaites: rêve de jeunesse d’une âme pas
tout à fait réveillée, au petit matin de la vie spirituelle. L’expérience dissipe les songes.

En revanche, il est des vertus qui s’affirment au milieu des difficultés, qui établissent leur règne au prix
d’efforts et de temps, et qui n’acquièrent, qu’après bien des luttes et des victoires, la promptitude, l’aisance
et la constance qui sont le propre des vraies vertus. Dans ces trois caractéristiques, jointes à un goût spirituel
pour l’exercice d’actes vertueux, se trouve la preuve, le sceau qui authentifie une vertu.

C’est précisément pour te faire atteindre ce but, que Dieu notre Seigneurie met à l’épreuve dans ton oraison,
avec toutes ces aridités; dans ton apostolat par cette apparente stérilité; dans ton humilité par toutes ces
humiliations; dans ta foi et ta confiance, avec ces difficultés; dans ta patience par ces tribulations; dans ta
charité, avec les défauts et les misères des autres et même avec la contradiction des bons.

Les difficultés, ton effort convaincu et soutenu longuement, ta patience sereine, voilà ce qui fera
nécessairement naître et se fortifier les vraies vertus. Laisse-moi insister: «par votre patience vous
posséderez vos âmes». Au prix de la patience, vous gagnerez la sainteté.

Dieu notre Seigneur ne veut pas de vertus qui soient comme des fleurs artificielles. Ce serait de fausses
vertus. Considère donc et médite avec moi le chemin qui nous mène aux vertus authentiques. Lorsqu’elles
sont vraies, les vertus possèdent une solidité intrinsèque et ne dépendent pas de stimulation ou d’appuis
extérieurs.

Elles s’acclimatent parfaitement au monde, mais ne s’y confondent pas. Elles se confirment dans le monde,
parmi les difficultés semblables aux rayons du soleil qui atteignent la boue et la sèchent sans y perdre leur
pureté.

Les vertus donnent l’unité à la vie de qui les exerce. Les fausses vertus finissent par une pénible séparation
des pratiques de piété et de la vie quotidienne. Elles mettent partout des compartiments étanches et se
révèlent trop pauvres pour irriguer l’existence entière. Ainsi y a-t-il des personnes qui ne semblent bonnes
que dans certaines circonstances ou à certains moments du jour ou de la semaine, par habitude, par
commodité ou par faiblesse.

Les fausses vertus: un vulgaire métal, doré en surface, et qui de loin peut sembler de l’or. Le prend-on en
mains, on sent tout de suite que c’est trop léger, on gratte légèrement de l’ongle et sous la dorure
superficielle apparaît la terne grisaille.

En revanche les vraies vertus sont or, or pur, débarrassé de toute scorie. Une éclaboussure de boue peut le
souiller quelquefois, mais alors le Seigneur le saisit et de ses mains divines Il essuie les tâches pour que le
précieux métal brille à nouveau de tout son éclat.

Que la Vierge Marie, Reine de toutes les vertus, nous apprenne à désirer et à exercer les vraies vertus!

LA SÉRÉNITÉ
«Lutte ascétique... Tout au long de la journée, exercer toutes ces vertus théologales qui avant d’être exposées
doivent être vécues: Foi, Espérance, Charité. Et ainsi, vous aurez la sérénité. Ce mot de sérénité, qui sur un
ton plus laïc désigne le fruit de la force d’âme, de la tempérance, de la justice et de la prudence: des vertus
cardinales.» (St. Josémaria, 31.5.1954)

Quand j’étais enfant, je faisais des châteaux de sable, comme en construisent les petits... Quelqu’un venait-il
à marcher dessus par mégarde? Quel désespoir! Quelle tragédie!

Cela m’amuse aujourd’hui, quand j’y repense. Ces tragédies enfantines je ne puis me les rappeler sans
sourire.

À juger les choses avec un esprit surnaturel, ces innombrables et terribles préoccupations qui s’emparent de
tant de personnes d’âge respectable et de jugement rassis ne sont-elles pas jeux et drames enfantins?

La sérénité, vertu précieuse et rare, nous apprend à regarder les choses sous un jour qui permet de les
apprécier à leur juste valeur. L’équilibre, le bon sens nous montrent ce qu’elles valent réellement,
objectivement. Quant à la valeur surnaturelle que ces choses doivent revêtir, l’esprit de Foi nous le révèle.

La sérénité disparaît si nous déformons la réalité et faisons une montagne d’une taupinière. Des choses qui
ne devraient pas nous troubler nous affligent cruellement. Cela se produit chaque fois que nous ne tenons
compte, dans nos jugements, ni de la divine providence ni de la lumière des vérités éternelles.

Si notre vie était imprégnée de cette vertu chrétienne, que resterait-il de tant de préoccupations,
d’inquiétudes, de tous ces bonds et rebonds de nos pauvres âmes?

Rien ou presque rien, les choses passées cessent presque toujours de nous tourmenter quand le cours du
temps les a déjà emportées bien loin. En revanche, par rapport aux choses présentes et futures, seule la vertu
peut nous assurer la sérénité.
Le temps remet bientôt chaque chose à sa place. Tel événement qui sur le moment t’avait tellement
préoccupé, tel autre qui t’avait jeté dans un si grand trouble, si tu t’arrêtes un instant de gravir le chemin de
la vie et te retournes pour les contempler de loin et de plus haut, vois, dans ce vaste panorama de ton
existence, ils ne mettent qu’une ombre imperceptible, ils sont passés.

Mais je veux te parler de cette sérénité qui se rapporte au présent et au futur. Nous avons tous besoin d’un
esprit serein, pour ne pas devenir esclaves des nerfs ou victimes de l’imagination. Nous avons besoin d’un
cœur serein pour éviter l’angoisse ou l’anxiété dévorante. Nous avons aussi besoin, de sérénité dans nos
actions, pour éviter de les gâter par un aveuglement qui nous ferait gaspiller nos forces et les appliquer au
mauvais endroit.

Les ordres que donne un esprit serein sont fermes et font agir ceux qui les reçoivent. Un esprit serein trouve
spontanément le mot juste pour éclairer, consoler; il sait voir les choses en profondeur avec le sens des
perspectives, sans oublier les détails ni les circonstances qui doivent ressortir dans une vision d’ensemble.

Il me faut te le redire: la vertu de sérénité est précieuse et rare; trop de personnes vivent sous la domination
de leurs nerfs. Que d’existences consumées en imagination et en fantasmes! Que de tempéraments qui font
tout tourner au tragique ou au mélodrame!

La personne méticuleuse — tatillonne! — se soucie seulement des détails et s’y asphyxie. L’idéologue ne
pense qu’aux problèmes généraux et se tient à l’écart de la vie concrète. Seule, une personne sereine saisit à
la fois l’ensemble et le détail pour en tirer une synthèse concrète et applicable.

L’homme rigide manque de sérénité; sa rigidité lui fait dépasser les bornes du juste et du raisonnable, de ce
qui est proportionné aux circonstances de personnes, de temps et de lieux. Il trouble les autres et les
opprime.

L’homme faible n’est pas plus serein. Il s’arrête bien avant la borne du juste et sa faiblesse porte préjudice à
lui-même et aux autres. Le faible ne trouble rien, n’opprime personne, mais il ne gouverne pas. Son action
aura un effet nul; il a choisi d’être victime et emporté par le courant.

Objectivité et sens du concret, analyse et synthèse, énergie et douceur, freinage et accélération, vision
d’ensemble et abondance des détails, tous ces éléments, parmi beaucoup d’autres, se trouvent embrassés en
une harmonieuse synthèse par la vertu chrétienne de la sérénité.

Mais sans lutte personne ne parvient à la sérénité. Les passions en effet sont bien réelles chez toi, chez moi,
en chaque individu; l’imagination peut altérer toute intelligence; en tout organisme il y a les nerfs; les
impressions ébranlent toutes les sensibilités; l’ignorance, l’erreur, l’exagération forment un patrimoine
commun à tous les esprits; dans tous les cœurs peuvent se nicher crainte et paralysie.

Maîtrise de soi, équilibre dans le jugement, pondération de la réflexion, mise en valeur des ressources de
l’intelligence, contrôle des nerfs et de l’imagination; tout cela ne va pas sans lutte, sans fermeté, sans
constance dans l’effort, prix à payer pour acquérir la sérénité.

Cette vertu ne peut faire défaut à un véritable chrétien; un baptisé pourrait-il ignorer que le don de la foi est
un principe d’harmonie et de sérénité? En effet, sur ce paysage intérieur que nous venons de considérer
maintenant, correctement défriché et soigneusement préparé par un exercice de toutes ces vertus humaines
génératrices d’équilibre, d’objectivité, de réalisme et de bon sens; la vertu de la Foi, comme le soleil sur une
campagne riche de promesses va pouvoir s’élever, vrai soleil de l’âme, et répandre sur la vie et ses
alternatives une lumière de sérénité, élargit les horizons et fait ressortir une foule de détails.

Dans cette lumière le cœur s’apaise, l’âme trouve le calme et, à la lumière de Dieu, l’intelligence comprend
le pourquoi de beaucoup de choses: ainsi se renforce la sereine tranquillité de la vie. Même ce que l’on ne
comprend pas ne parvient pas à troubler le cœur, puisque la Foi nous enseigne que la bonté de Dieu et son
affection pour les hommes sont les causes de tout ce dont le sens peut nous échapper.
La sérénité chrétienne habite la pénombre légère de la Foi. Telle une rosée qui aux premières lueurs de
l’aube vient enrichir de perles précieuses le très pur calice des fleurs, elle descend reposer sur l’âme qui
possède une vision surnaturelle. Elle est une eau vive jaillie du cœur du Rocher: «Que votre cœur cesse de
craindre et de se troubler», «ne soyez pas inquiets», «à quoi sert à l’homme de gagner l’univers entier, s’il
vient à perdre son âme?»

La sérénité chrétienne vient imprégner l’âme à l’heure de l’oraison, comme la pluie arrose les sillons du
printemps: elle plonge des racines jusqu’au fond d’une âme qui apprend à embrasser et à dépasser la douleur
avec un esprit de foi; elle demeure dans l’âme qui se nourrit du Corps et du Sang du Christ; elle déborde
d’une âme qui s’ouvre, sincère et confiante, à son directeur spirituel, elle est le plus riche cadeau que Jésus
fait aux âmes simples et sans complications.

Dieu notre Père nous veut sereins au milieu des épreuves et des difficultés de la vie, «persévérants dans
l’oraison, patients dans la tribulation, joyeux dans l’espérance».

Jésus nous veut sereins devant la mort et devant la vie, «soit que nous vivions soit que nous mourions, nous
sommes de Dieu».

Le Seigneur nous veut sereins dans le travail de chaque jour, surtout s’il se fait plus dur et plus fatigant.

Dieu notre Seigneur nous veut sereins quand notre état et notre condition nous mettent en devoir
d’apporter aux autres aide et conseil.

Jésus-Christ nous veut sereins quand nous trouvons sur notre table de travail les problèmes à régler et les
décisions à prendre.

Et aussi II nous veut sereins dans notre marche vers la perfection, dans nos efforts sincères pour devenir
meilleurs: «C’est par votre patience que vous posséderez vos âmes.» Il te manque la sérénité quand tu
t’irrites contre toi-même et perds la paix devant cette lenteur de tes progrès sur les chemins du Seigneur.
Rappelle-toi alors cette lumière de la sérénité, qui te fera comprendre que «personne ne devient un saint tout
d’un coup».

Rappelle-toi aussi que tu ne rencontreras jamais le Seigneur au milieu du tumulte et des tensions intérieures,
car II visite l’âme tranquille.

Que ton oraison soit sereine dans ses considérations, ses sentiments et ses résolutions; ses effets seront alors
beaucoup plus profonds et ses fruits plus durables.

Il te faut donc remplir de sérénité ton apostolat; c’est un grand don de Dieu que de savoir inspirer sécurité et
sérénité aux âmes en route vers Dieu.

Elle est Reine rayonnante de sérénité — nous le disons avec joie — la Vierge Marie, notre Mère du ciel.

LA CRITIQUE
«Je ne me lasserai pas d’insister: qui a obligation de juger doit entendre les deux parties, écouter les deux
sons de cloche. Est-ce que par hasard notre loi condamnerait un homme avant qu’il n’ait pu être entendu et
son cas examiné? Voilà ce que rappelait Nicodème, homme droit, noble et loyal à ces prêtres et pharisiens
qui cherchaient à perdre Jésus.» (St. Josémaria, 29.9.1957)

Les personnes, les choses, les événements, tout ce qui se présente à nous doit être jugé par nous. Le Seigneur
a mis en nous une intelligence. C’est le plus noble de tous les dons qu’il a répandus sur nous en créant avec
profusion et générosité notre nature. Il est naturel que l’intelligence et la sensibilité, placées face à nous ou à
ce qui nous entoure, réagissent, c’est-à-dire mesurent et apprécient, spontanément, toute personne, toute
réalité avec lesquelles il leur est donné d’entrer en contact. Cette capacité d’évaluer et de juger augmente si
la personnalité s’approfondit, si la personne affronte la vie et les événements avec sérieux.

Une plus grande richesse intérieure, une vue plus profonde des choses, un engagement plus sérieux de notre
existence vont nécessairement de pair avec une plus grande capacité d’évaluation et de jugement. Au
contraire, la frivolité, la sottise, l’enlisement dans les détails, la vie hors de la réalité, l’inactivité ou
l’activisme s’accompagnent d’une malheureuse perte du sens de la valeur des choses, et de la justesse du
jugement.

Dieu notre Seigneur veut que tu possèdes un jugement sûr, que tu saches considérer les personnes, les
situations, les circonstances, les événements avec esprit surnaturel et sens pratique.

Tu dois savoir juger, bien juger, et vouloir toujours accroître et purifier ta puissance de jugement. Si tu es
capable de juger sereinement, objectivement, chrétiennement, tu seras à l’abri de tes ennemis et tout d’abord
de ceux de ton âme. Tu ne seras plus un danger pour toi-même. Tu perfectionneras tes actions et ton travail,
tu pourras aider tes amis à vivre et à agir.

Toutefois, cette capacité dé juger si nécessaire, qui marque toute ta conduite au coin de la gravité et de la
vigueur chrétienne, doit se tenir dans des limites précises, pour que son exercice rapproche de Dieu; si tu te
permettais de les franchir, tu perdrais la juste mesure, la mesure chrétienne, tu t’éloignerais de Dieu.

Combien de fois ne te livres-tu pas à ces critiques désordonnées qui te séparent de Dieu et des autres! Qui
mettent l’inimitié entre les autres et toi, en sorte que tout le monde t’évite! Tu connais par cœur le rôle du
«coupeur de têtes» impitoyable, et aussi celui du démolisseur cruel!

Visite avec moi la galerie des esprits critiques; devant chaque tableau, regarde si par hasard tu ne
découvrirais pas ton portrait. Il y a d’abord celui que son échec a rendu ennemi de Dieu; sa critique
n’épargne rien ni personne, il ensevelirait l’univers entier sous les décombres de ses ambitions. Puis vient
l’ironique, dont la critique mordante, légère, superficielle, sacrifiera toujours au plaisir d’un bon mot les
choses les plus sérieuses et même les plus sacrées. Le suivant, c’est l’envieux; fille du dépit et source de
craintes, sa critique en est ridicule et gonflée de vanité. La critique de l’idiot? Grossière; celle de
l’orgueilleux et du dominateur impitoyable, composée des pires ingrédients. Et l’ambitieux? Sa critique
déloyale tend à relever sa propre personne en abaissant les autres. La critique du sectaire? Bourrée d’à priori,
partiale, injuste, elle va jusqu’à se servir consciemment du mensonge, avec une passion froide. La critique
de l’offensé? Amère, acérée, elle déborde de fiel. Mais la critique de l’homme honnête est constructive, celle
de l’ami est opportune et celle du chrétien sanctifie.

Que tes critiques soient toujours celles de l’homme honnête, de l’ami, du chrétien. Rends-les aimables,
constructives, opportunes et sanctifiantes. Comment? Veille constamment à respecter la personne d’autrui et
ses intentions, ne jugeant que ce qui peut l’être objectivement, et laisse le reste à Dieu. Aussi arrête-toi
toujours avec respect à la porte du sanctuaire de la personne et de son monde intérieur: que sais-tu vraiment
de ses intentions, de ses motifs, de toute la série des circonstances subjectives? Dieu seul les connaît
parfaitement parce qu’il lit dans les cœurs. Une phrase du Christ vient au-devant de toi: «Ne jugez pas et
vous serez pas jugés».

Une telle critique, profondément humaine en ce qu’elle connaît nos limites, sera aussi profondément
chrétienne, puisqu’elle respecte ce qui appartient au Seigneur. Elle nous fait des amis et nous les conserve,
même parmi ceux qui sont opposés à nous, parce qu’elle porte devant elle un grand respect et une profonde
compréhension envers la personne d’autrui.

Un homme honnête, à plus forte raison un chrétien, évite de juger ou de critiquer ce qu’il ne connaît pas.
Exprimer un jugement, formuler une critique supposent une parfaite connaissance, dans tous les aspects, de
l’objet considéré. Faute de quoi, c’en serait fait du sérieux, de la rectitude et de la justice.
Nous nous rappelons sûrement, toi et moi, bon nombre de jugements et de critiques improvisés, formulés
sans aucune connaissance de cause: jugements d’hommes superficiels, qui parlent de ce qu’ils ne
connaissent pas; critiques du bavard qui sans prendre la peine de vérifier répète comme un perroquet, pour le
plaisir, ce qu’il vient d’entendre; conduite d’inconscients qui jugent même ce dont ils n’ont jamais entendu
parler. Et tu te rends compte comme moi de notre effrayante tendance à transformer en jugement une pauvre
impression à laquelle on fait revêtir à la hâte une apparence de solide critique. La critique de l’ignorant
s’avère toujours injuste et funeste.

La critique, la critique chrétienne, tient compte des temps, des lieux, des manières, faute de quoi elle
deviendrait aisément détractation ou diffamation. Tu te considères comme un homme parvenu à maturité,
disposant de critères raisonnables, capable de jugements sûrs; vois un peu s’il y a dans ta vie ce minimum de
prudence chrétienne qui évite le laisser-aller aux insinuations de langue ou de plume. Car parler sans penser,
écrire sans réfléchir, pourrait mettre en danger ton âme, même si tu étais alors en possession de la vérité Il
me faut encore te dire que la critique prend telle ou telle saveur selon l’animus,l’espritqu’il y a dessous,
selon la disposition intérieure qui l’engendre. Et comme il y a un bon animusil y en a aussi un mauvais.
Nous devons nous en souvenir, c’est un critère d’appréciation très utile pour porter avec sûreté un jugement
moral sur l’usage que nous faisons de notre capacité de valoriser et de critiquer.

L’aigri*, l’envieux, l’ironique, l’orgueilleux, le dominateur, le fanatique, l’amer, l’ambitieux, n’ont pas un
bon animus; il y a en eux quelque chose de tordu, cela se retrouve immédiatement dans leurs critiques.

En revanche, l’homme honnête, l’ami, le chrétien, possèdent un bon esprit. Cela transparaît aussi dans leurs
jugements. Ce bon esprit c’est la charité, le désir du bonheur d’autrui. Leurs observations en retirent toutes
les qualités qui font l’ornement d’une bonne critique. Car on ne peut rendre la critique bonne, c’est-à-dire
juste et constructive, efficace et sanctifiante, sans aimer les autres, sans aimer le prochain. S’il y a la charité,
l’exercice de la critique est toujours pour qui la fait, un acte vertueux, une aide pour qui la reçoit. «Le frère
qui est aidé par son frère ressemble à une ville forte.»

Quand on est critiqué avec injustice et malignité, savoir se défendre est normalement une vertu, presque
toujours un devoir; inversement savoir écouter et accepter une bonne critique, c’est une vertu chrétienne et
en plus une preuve de sagesse. N’est-ce pas un signe non équivoque de grandeur d’âme que de savoir se
laisser dire les choses par un autre, de les recevoir avec joie, gratitude? À coup sûr il ira très loin, il fera
merveilleusement valoir les talents qu’il a reçus de Dieu celui qui apprend à écouter et à s’interroger.
Pitoyable, en revanche, celui qui ne peut tolérer qu’on lui dise en face les choses qui l’atteignent dans son
amour-propre, s’ingénie de mille façons à blesser et à se venger d’une juste et bienveillante observation où il
ne devrait voir qu’une délicate attention de la charité. Ce que nous faisons mal, nous devons le faire bien et
ce que nous faisons bien, nous pouvons le faire mieux. Pour y parvenir la volonté ne suffit pas, il faut
compter sur la critique.

Ce n’est pas non plus une raison pour te préoccuper excessivement des critiques ou du «qu’en dira-t-on». Ça
te couperait les ailes. Tu n’oserais plus rien faire. La critique légère, envieuse, cancanière, superficielle,
mieux vaut l’ignorer.

Tu peux remarquer à ce propos comme les gens laissent tranquille celui qui n’agit pas! Je ne sais pourquoi,
ils critiquent rarement celui qui ne fait rien. Par contre, celui qui agit, celui qui en fait beaucoup a toujours
droit à la critique. Les paresseux se sentent mis en accusation par leur vie, par leur travail. Ceux qui agissent
dans un sens contraire au sien le critiquent parce qu’ils voient en lui un ennemi. Et ceux qui travaillent dans
son sens et que n’animent guère un bon esprit, le critiquent par jalousie.

Quel paradoxe! Il t’arrivera de devoir te faire pardonner ce que tu auras fait de bien et par ceux qui n’auront
jamais rien fait de bien ou qui n’auront jamais travaillé. D’autres fois, tu seras attaqué injustement et
maltraité par ceux qui s’imaginent qu’on ne peut rien faire de bon sans eux. À ces moments, que ta réponse
soit un aimable sourire... et continue à travailler. N’oublie pas de rendre grâce à Dieu pour tout ce qui t
arrive. Et surtout pour cette critique honnête et bonne, amie et chrétienne, ne cesse jamais de rendre grâce à
Dieu et à celui qui te l’a faite.
« Raté» a un sens trop objectif. Avoir échoué n’est ni un vice ni un péché par soi-même, donc ne justifie ni
le mépris ni la critique. Autre est l’esprit de qui se ronge de l’échec et s’attriste de la joie d’autrui. Il faudrait
dire: celui qui a «mal échoué».

LES TENTATIONS
«Tes pieds d’argile continueront à te porter parce que tu connais ton inconsistance; tu seras prudent; Dieu
seul, tu le sais bien, peut demander: «Lequel d’entre vous pourra m’accuser de péché?» (St. Josémaria,
24.3.1932)

Dans mes jeunes années, Seigneur, plein d’inexpérience, où mon imagination parcourait sans repos les
vallons dorés de mes rêveries, je me représentais le chemin de ma vie près de toi. Mais le chemin réel, celui
où tes disciples doivent marcher, est bien différent. Toi aussi, tu imaginais sans doute comme moi un chemin
tranquille: au-dedans le calme imperturbable, au-dehors de pacifiques triomphes... quelques batailles aussi
— il en faut —, avec leur tumulte, leurs clameurs, et pour le héros victorieux et blessé les lauriers et
l’admiration envieuse de la multitude. Nous croyions alors, Seigneur, non sans naïveté, avec fort peu de sens
surnaturel, qu’il suffisait de se décider. Te suivre, marcher généreusement à tes côtés, délaisser pour toi bien
des consolations humaines, nobles et licites, voilà ce qui allait changer radicalement notre nature. Nous
allions être comme des anges, soulagés du poids des tribulations, du trouble de la tentation.

Seigneur, tes jugements ne sont pas les nôtres; tes voies ne sont pas nos voies. Notre histoire est pareille à
une tapisserie admirable. Le chatoyant caprice des événements suit fidèlement le dessin où ta volonté a
voulu exprimer l’ineffable entrelacs de tes attributs divins, ta bonté, ta sagesse, ta toute-puissance, ta science
divine et ta miséricorde. Notre histoire nous a détrompés. Et maintenant, nous le comprenons, nous le
savourons, notre vie de chrétiens est un combat. Chacun de tes disciples doit en faire l’expérience: «La paix
dans la guerre», voilà le sort de ceux qui te servent. Le Seigneur nous a enseigné «avec douceur et fermeté»
quelles sont la valeur surnaturelle et la finalité providentielle de tentations et tribulations. Nous lui en
rendrons grâces. C’est par elles que Dieu notre Seigneur confère à nos âmes l’expérience de l’homme mûr,
la résistance et le réalisme du vétéran courageux forgé par les batailles, l’esprit d’oraison du moine le plus
contemplatif.

Les tentations... tu les auras forcément dans ta vie au service de Dieu et de l’Église. Ta vocation, l’appel
reçu, ta généreuse décision de suivre Jésus n’ont pas immunisé ton âme contre les effets du péché originel;
elles n’ont pas éteint pour toujours le feu de tes concupiscences; dans bien des domaines tu sentiras
l’aiguillon de la tentation: «C’est par sa propre concupiscence que chacun est tenté.»

Mais tu trouveras consolation à la pensée des saints, ces hommes et ces femmes de Dieu; ils ont livré les
mêmes batailles que toi et moi démontrant par là leur amour au Seigneur. Écoute crier saint Paul: «Qui me
délivrera de ce corps de mort?» Pense aux tentations que saint Jérôme a soutenu tout au long de sa vie
pénitente et austère dans le désert. À lire la vie de sainte Catherine de Sienne, tu apprendras quelles furent
les épreuves et les difficultés de cette grande âme. Et pourras-tu oublier le martyre de saint Alphonse de
Liguori octogénaire? Ou les dures tentations de saint François de Sales contre l’espérance au cours de ses
études, ou la Foi mise si durement à l’épreuve en l’âme vaillante de l’abbé Chautard, cet apôtre, ou les
tentations de toutes sortes qui assaillirent tant et tant d’autres saints?

Considérons ces choses avec esprit surnaturel; par les tentations, pourvu que tu n’ailles pas t’y exposer
imprudemment, Dieu notre Seigneur met ton âme à l’épreuve et la purifie «comme l’or dans la fournaise».
Les tentations fortifient tes vertus. Elles leur impriment un sceau d’authenticité. En effet, quelle pourrait être
l’authenticité d’une vertu, sans cette qualité qui lui vient de la victoire sur les tentations contraires? «C’est
dans la faiblesse que se forge la vertu.»
Dans la tentation, ta Foi se réveille, devient plus robuste; ton Espérance croît, devient plus surnaturelle; ton
amour, cet amour de Dieu qui te fait résister vaillamment à ne pas consentir, se manifeste ici de manière
effective et affective.

Par ailleurs, quelle riche expérience tu tireras de la lutte contre les tentations! Elle te permettra d’aider,
d’orienter et de consoler beaucoup d’âmes qui subissent la tentation ou l’épreuve. Elle t’apportera la
compréhension, et cette qualité rendra fructueux tes contacts avec les autres âmes. Tu auras fortement senti à
certains moments la nécessité de recourir à Dieu et la vie d’oraison s’enracinera profondément dans ton âme.

En voyant quelles sont tes tendances et tes inclinations, comme tu vas croître en humilité, en connaissance
de toi-même. Tes mérites seront accrus, tu trouveras la consolation — pourquoi le tairions-nous? — à la
perspective d’une merveilleuse espérance dans le ciel «celui qui sème dans les larmes moissonnera dans la
joie».

Toutes ces considérations vont augmenter ta confiance, enrichir ta vision surnaturelle. Laisse-moi cependant
en ajouter une: le découragement est le plus grave danger pour les âmes tentées ou éprouvées. Pour un peu
elles iraient penser, admettre, que la tentation est au-dessus de leurs forces, qu’il n’y a plus rien à faire, que
le Seigneur les a abandonnées, qu’elles ont déjà consenti et que le mal est sans remède. Tu dois demeurer
ferme et bien en garde contre cette tentation qui en général succède à une lutte vaillante; c’est la plus
dangereuse, la plus forte des tentations.

Aussi, écoute-moi bien: on peut toujours vaincre! «Je peux tout». Si tu luttes en prenant les moyens, la
victoire est à toi! «À ceux qui ne négligent rien de ce qui est en leur pouvoir, Dieu ne refuse pas la grâce.» Il
a fait comprendre à saint Paul, au milieu de la tentation: «Ma grâce te suffit». La grâce! N’oubliez pas la
grâce de Dieu.

Notre Seigneur sait exactement jusqu’à quel point tu peux résister; il connaît aussi, comme le potier, la
température requise pour que ses «vases d’élection» acquièrent chacun le degré de solidité et de beauté
auquel II les destine.

Garde confiance! Ne va pas te démoraliser ni te troubler. Je te le rappelle: sentir n’est pas consentir; les
inclinations sensibles, les mouvements spontanés ne dépendent pas de ta volonté. Il te suffit de leur résister
généreusement; la volonté seule peut consentir et introduire par là le péché dans l’âme. Pendant ce temps, tu
as beau être un peu secoué, le Seigneur est près de toi dans ton âme, même si tu ne sens pas sa présence,
même si tu ne peux plus goûter sa compagnie. Il est avec toi et plus que jamais en ce moment de lutte. Il te
dit: «C’est Moi, ne crains rien.»

Ouvre davantage encore les yeux de ton âme: le Seigneur permet les tentations; il se sert d’elles
providentiellement, pour te purifier, pour te rendre saint, pour mieux te détacher des choses de la terre, pour
te conduire là où II veut, par où II veut, pour te rendre heureux dans une vie qui n’est certes pas commode,
pour te donner la maturité, la compréhension et l’efficacité dans ton travail apostolique avec les âmes, et
surtout... pour te rendre humble, très humble.

Écoutes maintenant, avec un entendement nouveau que ces considérations auront peut-être éveillé en toi,
écoute ces paroles de la sainte Écriture: «Mon fils, si tu veux servir le Seigneur, prépare ton âme à la
tentation». Et toi — âme durement tentée, éprouvée —, admire la bonté de Dieu. Il te fait savourer
l’espérance du ciel; qu’il te fasse goûter ces paroles du Saint-Esprit: «Heureux l’homme qui souffre la
tentation, car après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie.»

C’est à ces tentations que tu devras ta couronne!

Il te reste à ne pas oublier de quelles armes tu as besoin pour vaincre dans cette bataille spirituelle. Les voici:
oraison continuelle, sincérité et franchise avec ton directeur spirituel; la très sainte Eucharistie et le
sacrement de la Pénitence; généreux esprit de mortification chrétienne pour fuir les occasions dangereuses,
pour éviter l’oisiveté; humilité du cœur et tendre, filiale dévotion envers la très sainte Vierge, «Consolatrice
des affligés, refuge des pécheurs». Reviens toujours à elle avec confiance et dis-lui: «Ma mère, ma
confiance!»

L’IMAGINATION
«Notre pédagogie se compose d’affirmations et non de négations; elle se résume en deux points: ‘agir avec
bon sens, agir avec sens surnaturel» (St. Josémaria, 24.3.1931)

Il n’y a pas au monde une seule personne sensée qui irait choisir un fou comme conseiller, surtout pour les
questions les plus délicates de sa vie. Celui qui se comporterait ainsi serait jugé imprudent, insensé.

Cette vérité si claire, si évidente quand il s’agit de nos affaires semble s’obscurcir, dans la pratique du
moins, quand il s’agit de notre vie intérieure, ou de gagner en sainteté. L’imagination est une folle. Sainte
Thérèse d’Avila, avec son habituelle bonne humeur l’appelait la folle du logis. Et pourtant, c’est à elle que
nous choisissons, plus ou moins consciemment, de demander conseil pour les délibérations et décisions les
plus délicates relatives aux affaires de notre âme!

Regarde-moi cette folle; ce sont mille tourbillons qui nous distraient, un verbiage qui nous dissipe. Elle nous
enveloppe d’innombrables craintes, jette en nous le trouble par des appréhensions irraisonnées; nous glisse
dans l’oreille tant de soupçons sans fondements, nous gonfle d’ambitions tyranniques ou de jalousies
mordantes; elle fait miroiter devant nos yeux des mirages extraordinaires qui nous transportent ou nous
abattent; elle verse en nous suavement le poison de la sensualité et de l’amour-propre, une folle assurément,
nous le savons par expérience, la grande ennemie de notre vie intérieure, l’éternelle alliée du monde, du
démon et de la chair.

C’est elle qui trouble ta vie d’oraison et te fait redouter la mortification; c’est elle qui fait entrer dans ton
âme la tentation de la chair et celle de l’orgueil; c’est elle qui fausse ta connaissance de Dieu et te prive du
sens surnaturel; c’est elle qui te fait tomber dans le sommeil de la frivolité ou dans la léthargie de la tiédeur;
c’est elle qui éteint le feu de la charité et allume celui de la méfiance et de la discorde.

Elle est aussi folle qu’un cheval emballé, aussi instable qu’un papillon. On ne devient jamais une âme
intérieure et surnaturelle sans la dominer et la diriger.

Si tu ne la domines pas, tu ne pourras jamais jouir de ce calme serein si nécessaire pour servir Dieu.

Tu dois lui mettre un frein, ou tu n’auras jamais ce réalisme essentiel pour une vie de sainteté. Calme,
réalisme, sérénité, objectivité: vertus qui commencent où la tyrannie de l’imagination finit. Vertus qui ne
croissent et ne se fortifient que dans l’effort ascétique pour dominer et contrôler la folle.

Vois jusqu’où veut aller cette tyrannie de l’imagination, jusqu’à mélanger les idées, obscurcir les situations
les plus claires, déranger les esprits. L’Évangile t’en donne une preuve.

Nous sommes sur le lac de Génésareth. Dans la nuit obscure et lorsque la tempête souffle, les apôtres sont
obligés de ramer durement, face à un vent violent. Les vagues ballottent leur embarcation, mais ils sont
douze hommes à lutter pour résister à la force impétueuse du vent. Jésus s’est retiré sur une colline voisine,
Il est seul, et II prie.

«À la quatrième veille de la nuit, Jésus s’approche d’eux en marchant sur la mer.»

Et les Douze... «apercevant Jésus qui marchait sur les eaux, prirent peur et se mirent à crier: c’est un
fantôme!»
Regarde bien: leur Maître vient les rejoindre, les aider, et calmer la tempête en réduisant au silence les flots
par sa parole impérieuse; leur imagination transforme la réalité de Jésus en fantôme épouvantable; loin
d’adorer, ils sont effrayés.

Combien de fois nos vies reproduisent-elles cet épisode évangélique? Combien d’occasions où, victime de
l’imagination, notre âme effrayée n’est plus que trouble!

Tant de croix imaginaires font notre tourment et nous accablent sous leur poids, qui ne sont que jeux de
l’imagination, fantasmes de la fantaisie! Je ne crois pas exagérer en te disant que, dans quatre-vingt-dix pour
cent des cas, toutes ces souffrances auxquelles nous donnons le nom de croix, faute de suffisamment
connaître la Croix du Christ, sont des tourments imaginaires, ou pour le moins agrandis et déformés sous la
cruelle domination de notre imagination. À cela seul tient que ces croix humaines et fabriquées de toutes
pièces nous pèsent tant et nous écrasent.

Ce qui te fait tant souffrir, qui t’épuise, est-ce véritablement une croix envoyée par le Seigneur? Dès qu’on a
reconnu et accepté avec Foi et Amour la Croix de Jésus, on ne devrait plus en sentir le poids ni la contrainte.
Car la Croix de Jésus, la sainte Croix, n’est une source ni de tristesse ni d’abattement, mais de paix et de
joie.

Au contraire, portons-nous sur nos épaules une croix humaine et imaginaire, une croix issue de quelque
révolte intérieure face à la véritable Croix? C’est alors que nous serons tristes et soucieux. Pour ôter de ta vie
ce poids et ce souci, il te suffit d’ouvrir bien grands les yeux de la Foi et de te décider à couper les ailes de
l’imagination.

Laisse-moi te le dire: ces croix humaines avec leur masse accablante ne font pas partie de cette grande
réalité que forme ta vie surnaturelle; elles n’existent que dans ton imagination.

Tu portes sur tes épaules un poids aussi atroce que ridicule. Ton imagination a fait une montagne d’un
fardeau qui en réalité n’est qu’un grain de sable.

Ce sont là les fantasmes de l’esprit, hauts en couleurs et, parfois, terrifiants comme ces géants des contes de
Perrault, avec leurs larges mains et leurs longues jambes, fantasmes qui te poursuivent et se noient dans
l’amertume et l’agitation.

Il suffirait de peu pour les dissiper, d’un peu de Foi vivante. Vois-tu comme un rien les effacerait?

Tu permets parfois à d’autres fantasmes de venir partager ta vie... Ils ont fait du chemin pour venir à toi: ce
sont toutes les craintes relatives aux périls à venir. Ces choses ou ces dangers terrifiants n’existent pas pour
l’heure. Nous ne savons même pas s’ils existeront un jour. Mais dans notre imagination nous les voyons
présents, actuels et tragiques.

Un raisonnement surnaturel très simple t’en libérerait: ces dangers ne sont pas actuels, ces terreurs n’ont pas
encore de motif. Tu n’as pas encore la grâce de Dieu qui te permet de les accepter et de les vaincre.

Si ces objets venaient à exister, tu ne manquerais pas de la grâce divine. Or cette grâce et ta correspondance
suffiraient alors à te donner la victoire et la paix.

Il est naturel de ne pas disposer d’avance d’une grâce de Dieu destinée à vaincre des obstacles ou à accepter
des croix qui pour le moment n’existent que dans ton imagination! À la base de la vie spirituelle il faut un
réalisme serein et objectif.

Ces fantasmes ne sont pas moins dangereux dans le domaine de la charité. Combien de fois ta charité n’a-t-
elle pas eu à souffrir de ton imagination! Combien de soupçons sans fondements dont les racines plongent
seulement dans une imagination féconde? Nous prêtons au prochain mille intentions, propos, actions, alors
que rien de tout ceci ne lui est venu à l’esprit.
Ces fantasmes troublent, gâtent les rapports humains et la vie de famille.

Des petits contrastes se retrouvent nécessairement dans toute t vie en société, même parmi les saints; nous ne
sommes pas des anges; mais l’imagination les agrandit, les déforme, il en sort des états d’âme qui durent et
qui nous font souffrir énormément. Pour de petits riens, pour des choses insignifiantes, voilà des abîmes
grands ouverts; l’imagination se débride et voilà les personnes divisées, les affections détruites, les amitiés
éteintes et l’unité en grand péril.

L’imagination: une alliée puissante pour la sensualité et l’amour-propre. Que de romans elle te fait
vivre! que de songes fantastiques dont tu es le héros, le personnage triomphant, rêves enivrants pour ton
ambition, ta vanité, ton désir de commander et d’être admiré!

Regarde: à cause d’elle, que d’obstacles à ta sainteté!

Ta vie de piété — oraison, présence de Dieu, abandon entre les mains de notre Seigneur, joie robuste et
surnaturelle — toutes les murailles de ta vie intérieure, les voilà menacées ou sapées par la folle du logis.

Sois surnaturel, sois objectif. Tu vois dans quelle aventure s’étaient embarqués les Douze, sur le lac de
Génésareth. La voix de Jésus rétablit la situation, dissipe la peur: «Ayez confiance, c’est Moi, n’ayez pas
peur!»

L’EXAMEN DE CONSCIENCE
«Achève régulièrement ton examen par un acte d’Amour— douleur d’Amour — pour toi, pour tous les
péchés des hommes... — Et considère avec quel soin paternel Dieu a écarté les obstacles de ton chemin pour
que tu ne trébuches pas.» (St. Josémaria, Chemin, 246)

On trouve dans la liturgie de la Messe des Défunts des paroles que j’aime méditer et vivre à l’heure
silencieuse de l’examen de conscience. «Le livre écrit nous sera lu. Toute action y est contenue.»

Quand nous rencontrerons Jésus, toutes les pages du livre de notre vie, rapidement, vont repasser sous nos
yeux. Tout ce que nous avons fait pendant notre séjour sur la terre, nous le verrons écrit noir sur blanc.

C’est pourquoi, pour ne pas avoir de surprises le moment venu, j’aime prendre ce livre. Je suis, que je le
veuille ou non, en train de l’écrire pendant que je vis. J’aime le saisir, l’ouvrir bien grand sous les yeux de
mon âme. Il n’y a rien de plus facile au moment de l’oraison, ou au moment de l’examen de conscience!

Je m’habitue alors à cette pensée que chaque jour de ma vie est une page de ce livre; quand je commence
une journée, la feuille est blanche; beaucoup sont déjà écrites, que je survole parfois du regard; je feuillette
la rame des pages blanches sur lesquelles je n’ai rien écrit parce que le moment n’en est pas encore venu;
puis je reste en suspens, car j’ignore l’endroit où je devrai lever la plume pour la dernière fois, quand il ne
sera plus temps d’écrire, et que sera venu le moment d’être lu.

En haut de chacune de ces pages blanches, avec ma pauvre plume qui crachote, j’aime tracer ce seul mot:
serviam! «je te servirai!»; c’est mon désir; c’est mon espoir.

Mon désir: je veux sincèrement que ce titre résume le sens de toute la page; je veux effectivement servir
Dieu en écrivant droit, en écrivant ce qu’il veut.

Mon espoir: avec la grâce de Dieu, j’ai confiance; tout ce que je désire, je le ferai.
Après ce début, désir et espérance, je veux tracer des mots et puis des phrases, composer des paragraphes et
remplir la page d’une écriture claire et nette: le travail, J’oraison et l’apostolat, toute l’activité de ma
journée.

Je tâche de faire très attention à la ponctuation: c’est l’exercice de la présence de Dieu. Ces pauses qui
ressemblent à des virgules, ou si elles sont plus longues à des points-virgules représentent le silence de l’âme
et les oraisons jaculatoires par lesquelles je m’efforce de donner un contenu et un sens surnaturels à tout ce
que j’écris.

J’aime beaucoup les points, plus encore les points à la ligne. Ils me donnent le sentiment de recommencer
chaque fois à écrire; ils sont l’ébauche des gestes par lesquels je rectifie mon intention et dis au Seigneur:
«Je recommence avec la volonté ferme de Te servir et de Te consacrer ma vie, moment par moment, minute
par minute.»

Je fais aussi très attention aux accents; ce sont toutes les petites mortifications par lesquelles ma vie et mon
travail acquièrent une signification vraiment chrétienne.

Un mot non accentué représente une occasion où je n’ai pas su vivre chrétiennement la mortification que le
Seigneur m’envoyait, qu’il m’avait préparée avec amour, qu’il désirait me voir découvrir et embrasser avec
joie.

Je fais tout ce que je peux pour éviter les ratures, les erreurs, les taches, les vides... mais combien n’y en a-t-
il pas! Ce sont les infidélités, les imperfections, les péchés... et les omissions.

Je souffre beaucoup de ne voir presque aucune page qui ne porte les traces de ma maladresse, de mon
manque de savoir-faire.

Mais je me console et me tranquillise vite à la pensée que je suis un petit enfant qui ne sait pas encore bien
écrire, qui a besoin d’un calque pour ne pas écrire de travers, d’un maître pour guider sa main et ne pas
inscrire des bêtises — quel Maître que Dieu notre Seigneur, comme il est patient avec moi!

D’autres fois, je m’amuse en repassant les premières pages de ce livre, griffonnées quand je ne savais faire
que des bâtons; ou les suivantes où l’on trouve seulement tracées d’une main incertaine des lettres grandes et
difformes, et puis celles-là encore où il y a déjà des mots et des phrases; les plus récentes, avec chaque ligne
couverte d’une écriture serrée.

Je voudrais, Seigneur, apprendre à bien écrire ce livre, apprendre à laisser ta main guider ma main, pour
accomplir ta volonté à tout instant.

Je voudrais remplir chacune de ces pages d’expressions où éclate l’affection et l’amour sincère. Au moins
quand je n’ai pas su écrire ce que je devais, je voudrais y mettre des manifestations de contrition sereine et
sincère.

Dans ce jeu du livre, je trouve souffrance ou consolation. Veux-tu que nous apprenions à passer chaque jour
un bon moment à y jouer? Il y faut profondeur, sincérité, persévérance. Ce jeu est très agréable à notre
Seigneur. C’est l’exercice de l’examen de conscience.

Il te donnera une grande connaissance de toi-même, de ton caractère, et de ta vie. Il t’apprendra à aimer Dieu
et à concrétiser par des résolutions claires et efficaces ton désir de bien profiter de tes journées.

Et tu ressentiras, comme moi en ce moment, le désir intense de composer un chant d’amour à Dieu «chantez
au Seigneur un chant nouveau», un chant qui vraiment sera chaque jour nouveau, parce que tu le composeras
dans le sentiment vif de ta vocation, de ta vie de fils de Dieu, qui va se rénovant chaque jour: «Voici que Je
fais toutes choses nouvelles.»
Prends dans tes mains ce livre de ta vie. Feuillette chaque jour ses pages, et sa lecture ne te prendra pas de
court au jour du jugement particulier; tu n’auras pas non plus à rougir de honte quand il sera publié au jour
du Jugement dernier.

EN PRÉSENCE DU PÈRE
«Nous sommes des enfants devant Dieu. Si nous considérons cet aspect de notre vie quotidienne,
apparemment toujours la même, nous verrons s’animer les heures de nos journées, nous en découvrirons les
merveilles; car il n’y en a pas deux pareilles, et toutes sont belles!» (St. Josémaria, 24.3.1930)

«Tu me combleras de joie par ta présence»... L’exercice continuel de la présence de Dieu est un bon moyen
de perfection, pratique et sûr. Vivre avec Toi, Seigneur, chercher Ta Présence, travailler en se sentant suivi
par Ton regard et Te voir, Toi, dans tous les événements qui tissent la vie quotidienne. Pouvoir et devoir
toujours vivre en présence de Dieu, voilà pour le chrétien un constant motif de joie.

Seigneur, mets dans nos journées cette joie de Ta présence et dans nos difficultés quotidiennes, dans les
moments pénibles, mets la consolation de Te savoir présent. «Seules comptent pour moi les heures
sereines!» un jour, en me promenant, j’ai lu ces mots inscrits sous un cadran solaire.

L’élégance de la formule et sa grâce se trouvaient encore mises en relief par l’austérité de la vieille muraille
romaine où le cadran était fixé. Voilà bien ce que vivent et savourent les âmes qui marchent en présence de
Dieu. Elles jouissent d’une joie sereine, elles rayonnent de cette joie.

Le sens surnaturel de la vie, comme le soleil levant dissipe les brumes du matin, dissoudra préoccupations et
anxiétés quotidiennes. Ton âme forte de la Foi recevra la sérénité propre à qui voit toutes choses avec les
yeux de Dieu.

Il nous faut vivre cette présence de Dieu; le Seigneur nous la demande en ce moment de conversation avec
Lui. Elle nous permet d’orienter vers Lui chacune de nos actions, et de vivre avec une pureté d’intention
toujours croissante. «À Dieu toute gloire!»: telle doit être la règle de toute notre activité. Tu découvriras
alors avec émerveillement la grandeur et l’efficacité de cette prière de demande que l’Église notre Mère
nous fait adresser à Dieu en faveur de tous les chrétiens: «que tout dans nos paroles et nos actes ait toujours
son commencement en Toi, et que soit achevé ce qui a été commencé par Toi». Alors, et alors seulement, tu
seras tout entier au Christ, car toute ta vie sera sienne, toutes tes actions auront Jésus-Christ pour principe et
pour fin.

La pureté d’intention n’est pas autre chose que la présence de Dieu: Dieu notre Seigneur présent dans toutes
nos intentions. Comme le cœur est libre des lourdeurs terrestres, comme le regard est clair, toute manière
d’agir devient surnaturelle, lorsque sur le monde intime du cœur règne Jésus-Christ, lorsqu’il préside à tous
nos conseils et décisions!

Avec cela tu possèdes enfin le secret, la formule simple et claire de la sainteté vécue au milieu du monde, de
la perfection chrétienne cherchée dans toutes les activités de la vie; tu pourras te sanctifier à chaque instant
et tout te conduira vers Dieu notre Seigneur.

Imagine: l’égoïsme et la sensualité, l’amour-propre et la rancune, dénichés de ton âme, ne pourront plus être
les mobiles de tes actions. Jésus-Christ sera présent dans tes intentions; Il te gardera libre de toute
dépendance servile; Il arrêtera les tentatives de l’ennemi de la sainteté, toujours prêt à semer l’ivraie en
cachette. Dans une âme qui vit en présence de Dieu, il n’y a pas d’ivraie, tout est du bon grain. Avec l’aide
du Christ — but et raison d’être de notre vie —, tu pourras soustraire ton âme à ce sommeil qui laisse
l’ennemi approcher. Elle sera toute vigilante, toute attentive à la présence du Seigneur.
Pureté d’intention: le Christ présent dans chacune de nos intentions... une fois engagés sur ce chemin, nous
apprendrons aussi à vivre la vertu d’humilité. En effet, de toutes nos œuvres, de toute notre manière d’agir
s’élèvera vers Dieu cette humble requête: «Non pas à nous, Seigneur, mais à Ton Nom donne toute gloire!»

Cette présence de Dieu, recherchée avec sérénité, cultivée avec ténacité, voilà le profond, le joyeux secret de
chacune de tes journées.

«Que le Seigneur soit sur ta route!» Par ces paroles Tobie bénissait son fils. Peut-il y avoir de meilleur
augure qu’une telle bénédiction? Que peut-on te souhaiter de meilleur pour ta vie familiale et sociale, pour
tes études et ta profession, comme pour tes heures de détente ou de loisir?

Si tu marches ainsi en présence de Dieu, tu en retireras une très grande sécurité! Te sachant suivi par le
regard paternel de Dieu tu auras l’esprit de décision dans la lutte et confiance dans la victoire. Quand tu
seras assiégé de tentations, de cette sereine présence de Dieu jaillira une oraison intense, une ardente
demande, un cri plein de Foi et d’Espérance, comme celui des disciples Emmaüs: «Reste avec nous,
Seigneur, car déjà la nuit tombe.»

À vivre en présence de Dieu, tu gagneras cette sagesse précieuse et rare que l’on appelle la maîtrise de soi;
ayant appris à te dominer, à te vaincre, tu connaîtras la joie de rendre la vie agréable à tous ceux qui vivent
autour de toi.

Ce chemin va te conduire à vivre en grande intimité avec le Seigneur; tu sauras l’appeler par son Nom:
Jésus; tu auras du goût pour le recueillement. Dissipation des sens, frivolité, superficialité et tiédeur
s’évanouiront. Tu deviendras ami de Dieu. Dans ce recueillement, dans cette intimité, tu pourras savourer en
les méditant ces mots de l’Écriture: «Dieu parlait à Moïse face à face, comme un homme parle avec un
ami.» Confie-toi à la Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et notre Mère; Elle t’aidera à former une résolution
ferme et généreuse: celle de cheminer dorénavant — et toujours! — en présence de Dieu.

LE PAIN DE VIE
«Célébrer le Saint Sacrifice ou y assister: que cela ne devienne jamais pour vous une simple habitude.
Mettez-y au contraire autant de dévotion que si c’était la seule et unique Messe de votre vie: pensez que
nous y trouvons, toujours présent, le Christ, Dieu et Homme, Tête et Corps, et ainsi unie à notre Seigneur,
toute son Église.» (St. Josémaria, 28.3.1955)

Sans doute sais-tu depuis longtemps qu’Eucharistie signifie «action de grâces»; et c’est bien là, en effet, le
premier élan spontané d’une âme qui se fixe un instant pour considérer, méditer à loisir ce mystère de foi
qu’est le Sacrement de l’Amour. Des paroles nous montent du cœur, devant cette présence de Jésus-Christ
dans l’Eucharistie. Et ce sont des paroles de reconnaissance: merci, Seigneur, d’avoir bien voulu rester là
dans le Tabernacle! Merci, Seigneur, d’avoir la veille de Ta Passion à l’heure de la persécution et de
l’abandon, pensé à moi et à tous les hommes (tous, même ceux qui devraient te faire connaître aux autres et
qui pourtant te trahissent). Merci, Seigneur, d’avoir bien voulu être un médecin pour mes plaies, une force
pour mes faiblesses, un pain blanc pour mon âme affamée, un pain qui donne la Vie.

Nous savons par expérience, toi et moi, tout le bien qu’une bonne amitié peut faire à une personne: elle
maintient loin du mal. Qu’une bonne amitié nous unisse non plus seulement à un homme de bien, mais à un
saint, voilà que se multiplient les heureux effets de l’amitié; avec un saint, la fréquentation, l’échange de
nobles sentiments, vont laisser dans notre propre fond quelque chose de sa sainteté: «Auprès de saints, tu
deviendras saint.»
Et maintenant, pense à ce que peut être l’amitié et la confiance avec Jésus-Christ dans l’Eucharistie! Quelle
trace elle va nous laisser dans l’âme! Tu auras Jésus pour ami, Jésus sera ton ami! Lui, Dieu parfait et
Homme parfait, qui est né, qui a travaillé, pleuré, souffert, qui est mort pour nous, Il est resté parmi nous
dans l’Eucharistie! Et quelle amitié, quelle intimité! Il nous nourrit de son propre corps et nous désaltère de
son propre sang: «Ma chair est vraiment un aliment, mon sang est vraiment une boisson.» Jésus-Christ
s’offre à nous complètement, totalement, dans ce mystère de l’Eucharistie, avec son corps, son sang, son
âme et sa divinité. Et l’âme, en ce moment d’offrande et d’abandon, se sent porter à Lui redire ces mots de la
parabole: «Tout ce qui est à moi est à toi!»

La Communion — la communion fréquente — est vraiment le chemin le plus facile et le plus rapide pour te
mener à cette transformation en Jésus-Christ dont parle saint Paul: «Vraiment, c’est le Christ qui vit en
moi.» Ton âme a besoin de Jésus, sans Lui tu ne peux rien faire, nous ne pouvons rien faire, «sans moi vous
ne pouvez rien faire». Il désire chaque jour venir dans ton âme; Il te l’a dit, Il te le dit dans la parabole du
grand banquet: «Il en appela beaucoup». Il te le répète au moment solennel où II institue l’Eucharistie: «J’ai
désiré de toute mon âme manger cette Pâque avec vous.»

Ton âme et la mienne ont besoin de ce pain de l’Eucharistie; elles ont besoin de s’alimenter, comme nos
corps, afin de persévérer fidèlement et avec bon esprit dans le travail quotidien, afin de maintenir l’effort
pour se sanctifier et pour avancer un peu plus chaque jour dans la connaissance de Dieu et la pratique
généreuse des vertus.

Laisse-moi te dire, en confiance, que ton âme ne peut se nourrir ni se rassasier d’autre chose que de Dieu.
Tant est grande et noble une âme en état de grâce! Si nous pouvions nous en faire une idée, nous n’aurions
plus un seul regard pour quoi que ce soit d’autre! Pense que la Foi — notre foi chrétienne qui donne à notre
intelligence lumière et sérénité à notre cœur — enseigne que l’âme a été rachetée par le sang de Jésus-
Christ, et que nous devons l’alimenter de son Corps et de son Sang rédempteurs.

Ne te laisse pas tromper par des idées fausses, ou par une fausse humilité: état de grâce, rectitude
d’intention... et, après avoir pris conseil d’un prêtre prudent, approche-toi, même tous les jours, de la très
sainte Eucharistie.

J’aime à te rappeler en les appliquant à l’Eucharistie ces paroles de Marthe à Marie au moment où Jésus,
après la mort de Lazare, s’approche de la maison amie de Béthanie: «Le Maître est tout près, Il t’appelle.»
Écoute son appel, approche-toi, approche-toi avec une très grande foi de ce mystère de foi, avec la foi de la
mère cananéenne, avec la foi de l’hémorroïsse, ou, au moins, avec ce désir humble des apôtres: «Augmente
en nous la foi.»

Approche-toi de Lui avec l’espérance ferme et les paroles du lépreux. Redis à Jésus ces mots humbles et
confiants: «Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier!» Si le souvenir de tes misères venait t’assombrir,
reviens à Jésus avec les paroles du centurion: «Seigneur, je ne suis pas digne...» — mais ajoute aussitôt la
suite et savoure la confiante espérance de cet homme simple — «mais dis une seule parole et mon âme sera
guérie.»

Approche-toi de Lui avec l’amour de Madeleine dans la maison de Simon le lépreux. Comme elle, néglige
tout ce qui t’entoure, reste seul avec Jésus, entoures-le de tes attentions, offre-lui le feu de ton âme, la
ferveur de ta volonté.

Ne t’encombre pas de respect humain, de fausse humilité, Il est avec toi, Il t’aime. Profite bien de ton temps
d’action de grâce: que cette action de grâce soit l’hymne entonnée par les apôtres au cénacle, après
l’institution de l’Eucharistie, tandis qu’ils sortaient à l’air libre. Sors de l’Église avec un cœur rempli de joie
à ras bord, l’âme pleine d’optimisme. Très Souvent pendant ta journée écoute le «j’ai désiré de toute mon
âme...» de Jésus et renouvelle en réponse ton désir de le recevoir: la communion spirituelle est l’aliment qui
rend fort et réjouit une âme eucharistique.
Vierge, Mère du Bel Amour, de la Foi et de la Sainte Espérance, demande-lui de progresser dans ces vertus,
et de pouvoir ainsi t’approcher avec des dispositions intérieures toujours meilleures du très saint sacrement
de l’Eucharistie.

JE SERAI TOUJOURS AVEC VOUS


«Une oraison souvent s’exprime dans un regard. Le regarder et se sentir regardé. D’autres fois, nous
considérerons la grandeur de Dieu et notre petitesse; ou bien nous lui raconterons ce qu’il connaît très bien,
cette chose qui peut ou qui doit nous écraser, tout ce qui est pour sa gloire et ne suit pas notre intérêt. Il est
plus obstiné que nous.» (St. Josémaria 29.9.1957)

Orate fratres, «priez, mes frères!» Il convient d’écouter et de méditer ces paroles que le prêtre prononce
pendant la Messe s’adressant aux fidèles, les bras ouverts dans un grand geste de charité, la voix presque
suppliante. Avec cette même expression, ce même ton de supplication, et toute la force de cette profonde
conviction que le Seigneur a mise dans mon âme de prêtre, je veux te répéter à l’oreille en ce moment de
recueillement: prie, c’est nécessaire. Fais oraison, sauvegarde et fais grandir ton esprit d’oraison.

Un des plus grands trésors de l’Église, notre Mère, c’est l’oraison de ses fils et de ses filles. Elle compte sur
ton oraison pour refaire ses forces et pour croître. Elle a un besoin vital du silence et de la profondeur de ton
oraison. Essayons donc, toi et moi, de nous pénétrer, de nous imprégner de nos responsabilités. Réservons si
nous ne le faisons pas encore dans notre vie, au milieu de nos activités quotidiennes, un peu de temps pour le
consacrer à l’oraison mentale, si nous avons déjà inclus un moment précis de notre journée pour le consacrer
à l’intimité avec Dieu, persévérons dans cette résolution en améliorant sans cesse notre vie d’oraison.

Te rappelles-tu ce passage de la Sainte Écriture où est racontée la terrible bataille livrée par le Peuple Élu
contre les Amalécites? Tandis que l’armée des Hébreux combattait dans la plaine, Moïse, le chef d’Israël,
priait te Seigneur les bras étendus. Tant qu’il gardait les bras étendus—c’est-à-dire si son oraison montait
avec intensité et persévérance vers Dieu — la victoire souriait aux hommes d’Israël; mais si, vaincu par la
fatigue, Moïse laissait retomber les bras, la victoire s’éloignait du peuple de Dieu. Alors, les hommes qui
accompagnaient Moïse le font asseoir sur une pierre et soutiennent ses bras jusqu’à la victoire complète,
jusqu’au triomphe définitif.

Nous devons, toi et moi, nous persuader de plus en plus (c’est justement ce que nous sommes en train de
faire), que notre oraison est nécessaire à l’Église pour gagner ses batailles et à nous aussi pour gagner les
batailles quotidiennes de notre vie intérieure. Cette conviction va raffermir et revigorer nos bras étendus,
notre vie d’oraison. À méditer fréquemment sur la nécessité de l’oraison, nous nous sentirons poussés et
conduits, comme par la main, à rechercher une direction spirituelle sérieuse et régulière; une personne — le
prêtre — va de ses paroles et de ses conseils soutenir nos bras étendus quand la fatigue se fera sentir aux
moments d’aridité ou de difficulté. Nous nous sentirons aussi poussés à agir pour que beaucoup d’autres
bras se lèvent en une oraison persévérante, poussés à soutenir par un apostolat efficace beaucoup de bras
étendus, beaucoup d’autres âmes d’oraison.

Écoutons à nouveau la voix de l’Église: orate fratres, «priez mes frères», priez! Nous sentons que
maintenant s’enracine spontanément dans notre âme la résolution de prier et d’améliorer notre vie d’oraison.

Mais, attention, que l’oraison soit concrète. L’oraison concrète est celle qui influe réellement sur notre vie,
celle qui affronte courageusement les problèmes en cherchant sincèrement la lumière de Jésus; celle qui
évite soigneusement de maintenir ouvertes les blessures de notre amour-propre; celle qui accepte la volonté
de Dieu et s’efforce de l’accomplir avec amour; celle qui de sa silencieuse fertilité pénètre tous les recoins
de notre âme et tous les moments de notre journée; celle qui ne se transforme pas en froide analyse ou en
sentimentalisme vide et puéril; celle qui arrête les protestations de F amour-propre et les coups d’épingle de
l’envie, de la jalousie, du ressentiment.
Pas de rêve, sois pratique, concret dans ton oraison, quand tu viens élever l’esprit et le cœur vers Dieu pour
L’adorer, Lui rendre grâce et Lui demander lumière et force d’âme! J’ai connu des âmes désorientées et
mesquines; les pauvres, leur oraison était stérile, et tout leur malheur venait de là: leur oraison n’avait pas de
lien avec la vie; au début de leur journée, elles mettaient bien Jésus dans un petit coin de leur âme, mais elles
lui refusaient ensuite toute intervention; c’était un peu comme ces Messes de onze heures le dimanche, qui
influent si peu ou pas du tout sur la vie de tant de chrétiens.

Grâce à cette oraison fervente et concrète chaque jour tu te rénoveras et renforceras ta tendance à la sainteté:
«Dans la méditation s’allume le feu.» Tu connaîtras Jésus-Christ; sa doctrine te deviendra familière; tu te
connaîtras toi-même: «si je te connaissais, je me connaîtrais!» Ton oraison sera ta défense face à tes
ennemis, ta victoire dans toutes tes luttes: tu auras l’arme à la main et la poitrine bardée de la cuirasse du
Christ, comme nous y invite l’apôtre: «Revêtez-vous de notre Seigneur Jésus-Christ!» Ton oraison
quotidienne sera la raison d’être de ton apostolat: «Communiquer à d’autres tes méditations.» Tout ce que tu
pourras dire et conseiller dans cet apostolat d’amitié et de confidence portera le sceau des choses vécues;
c’est un sceau d’efficacité et de cohérence.

On doit défendre la vie d’oraison comme un trésor: l’Église en a un besoin absolu, car c’est le fondement sûr
de la sainteté personnelle, et surtout parce que notre Seigneur s’est adressé à tous les hommes quand il a dit:
«Il faut prier sans cesse...».

Les vrais ennemis de ton oraison s’appellent: ton imagination, «la folle du logis», qui te trouble et te distrait
avec ses envolées et ses pirouettes; tes sens en éveil et peu mortifiés; ton manque de préparation à l’avance
nomme-le dissipation. Si tu veux, à cause duquel tu te trouves si loin de Dieu notre Seigneur quand tu
commences à prier; ton cœur peu mortifié, peu purifié, peu détaché des choses de la terre, qui souille de
boue les ailes de ton âme et t’empêche de t’élever à une plus grande intimité avec Dieu; ton manque d’effort,
d’intérêt véritable, au moment où tu es face à face avec le Seigneur.

Il faut finir maintenant. Regarde la Vierge Marie: «Rose mystique et vase admirable de dévotion». Par sa
médiation redis à Jésus ces paroles des apôtres humbles et pleines de confiance: «Seigneur, apprends-nous à
prier!»

LA MORT ET LA VIE
«Un grand Amour nous attend dans le ciel, sans trahison, sans tromperies: tout l’amour, toute la beauté,
toute la grandeur, toute la science... et sans satiété car il nous comblera sans nous rassasier.» (St. Josémaria,
24.3.1931)

«Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière.» Et le prêtre en violet, couleur
de la pénitence, marque les fidèles au front avec un peu de cendre.

L’Église, Épouse du Christ, veut que les hommes se rappellent la mort et qu’ils vivent chrétiennement
préparés à ce passage. Mais les fils de ce monde ne veulent rien savoir de la mort. Ils préfèrent qu’elle soit
pour eux cet ennemi implacable et caché, cette visiteuse inattendue, ce malheur qui vient par surprise. C’est
pourquoi, avec les cadavres des êtres qui leur sont chers, ils s’empressent d’enterrer aussi le plus vite
possible toute pensée et tout souvenir de la mort. L’une des grandeurs de l’homme, pourtant, c’est
précisément de savoir qu’il va mourir. Le chrétien sait aussi que la mort est le salaire du péché: «La mort est
survenue à cause du péché.»
Le chrétien doit penser à la mort. Il doit méditer sereinement cette vérité jusqu’à ce qu’elle lui soit devenue
familière; il doit apprendre à traiter la mort comme une sœur pleine de lumière et d’expérience, source des
conseils les plus sûrs et les plus désintéressés. Ainsi considérée, la mort, la mort chrétienne, notre petite
sœur la mort — comme l’appelait le petit pauvre d’Assise — nous montrera un visage serein, un visage qui
n’inspire ni la terreur ni la crainte, mais la plus douce des vertus chrétiennes: l’espérance. «La vie n’est pas
détruite, elle est transformée.»

Un sentiment de joie s’éveille dans l’âme chrétienne quand elle considère cette vérité. Tes disciples,
Seigneur, ceux qui t’aiment — ou qui au moins désireraient vivre sincèrement pour Toi — savent bien que
la mort est le début de la Vie, la rencontre avec Toi, la récompense de leurs efforts, la couronne de leurs
combats. Tu parlais, Seigneur, aux apôtres de leur vie et du peu de temps qu’il leur restait à passer ici-bas; et
tu leur disais ces mots qui nous sont devenus familiers: «Votre tristesse se changera en joie». C’est
précisément ce qui arrive: la tristesse du corps et du monde se transforme dans la joie de l’âme et du ciel,
quand on vit chrétiennement et que l’on pense chrétiennement à la mort.

Enlève-moi ces voiles noirs et ces fleurs fanées dont, conduit par ton imagination maladive et peu
surnaturelle, tu recouvres la mort! Regarde-la avec joie, avec jubilation, comme l’aboutissement merveilleux
de l’aventure chrétienne. C’est le moment de la rencontre ou s’embrassent — pour toujours! — le fils et son
Père, le soldat courageux et son capitaine, l’amoureux et son Amour, le racheté et son Rédempteur, la
créature et son Créateur, le serviteur bon et fidèle et le Maître juste et généreux, l’athlète victorieux et sa
Couronne de gloire: «Dieu, récompense, destin et couronne de tes soldats.»

Pour nous, «la vie c’est Jésus-Christ» — saint Paul nous le dit — «et la mort est un gain».

Outre cette pensée et ce sentiment de joie, le rappel de la mort nous donne un merveilleux sens du
détachement: il nous enseigne à renoncer aux choses de la terre. Lorsque nous considérons notre vie et tout
ce qui nous entoure à la lumière de la mort, nous découvrons la profonde sagesse de cet art de vivre «comme
quelqu’un qui n’a rien et qui cependant possède tout». Que valent les richesses, les honneurs, les plaisirs? Ils
nous fuient entre les doigts comme l’eau; qui peut les emporter avec soi au-delà de la mort obscure?

Détachement. Vivons de telle façon que l’Ange de l’Apocalypse nous trouve le cœur et les mains vides des
biens de la terre, mais pleins de Dieu et de ses biens quand il prononcera ces paroles: «Le temps est achevé».
Apprenons à mourir un peu chaque jour en écartant de nous tout ce qui n’est pas éternel. Sais-tu pourquoi les
hommes souffrent et sont angoissés quand sonne l’heure du départ; c’est qu’après avoir vécu dans l’oubli
complet «je meurs à moi-même chaque jour», ils sont obligés de faire en une demi-heure ce qu’ils auraient
dû faire durant toute leur vie. Comme il est dur et amer, ce détachement forcé auquel nul ne peut se
soustraire! «Oh mort, ton souvenir est amer à l’homme qui a son repos et ses délices au milieu de ses biens.»

En revanche, le chrétien dont l’âme est détachée meurt en savourant la vérité de ces paroles du Psaume: «Je
me suis réjoui quand on m’a dit: nous irons bientôt vers la maison du Seigneur.»

La mort nous apprend aussi à aimer et à vivre la vérité, car elle est le moment de la grande vérité! Quel
réalisme, quel amour pour la vérité n’y aura-t-il pas dans ta vie intérieure si la pensée de la mort devient
familière à ton âme! Les tromperies de F amour-propre, les double-jeux de l’hypocrisie, les sinistres
patiences de la vengeance, comme des eaux sombres et dormantes, les pauvres prétextes de la sensualité, les
injustices et les mensonges de la vie, les fioritures de la frivolité ne résistent pas à la lumière pénétrante de la
mort. À ce moment là — et pour toujours — tu seras réellement en la présence de Dieu ce que tu es, ton
cœur à nu, et rien ne dissimulera son contenu. Si tu veux balayer de ta vie intérieure les mensonges, les
tromperies, la duplicité et l’injustice (qui sont aussi des mensonges et des mensonges dominateurs de ta vie
intime et de tes relations) pense à la mort.

Je te suggère une norme de conduite: que penserais-tu de telle personne, comment jugerais-tu telle autre,
comment résoudrais-tu ce grave problème, si tu étais au jour de ta mort et appelé à rendre immédiatement
après compte à Dieu notre Seigneur de cette pensée, de ce jugement, de cette décision?
Agis toujours comme tu agirais à ce moment-là! Pose-toi constamment à toi-même la question: << Que vaut
cela devant l’éternité?». Brève et caduque est notre vie, comme la fleur des champs, disent les Écritures,
comme une ombre qui ne fait que passer.» Quel usage faisons-nous, toi et moi, de cette vie si brève, le peu
de temps que nous avons à vivre ici-bas? Si notre dernière heure arrivait maintenant, serions-nous satisfaits
en comparant notre temps et tous les dons reçus de Dieu avec ce que nous en aurions fait?

«Apprends-nous, Seigneur, à bien compter nos jours pour que nous ayons la sagesse du cœur.» Au regard de
cette sagesse certaine, seules valent pour la vie éternelle les bonnes œuvres et le service de Dieu.

«Nous ne savons ni le jour ni l’heure!» Aussi devons-nous vivre prêts, disposés à dire au Seigneur que nous
acceptons la mort, que nous l’acceptons quand II voudra, comme II voudra, où II voudra, sûrs que le
Seigneur viendra nous chercher au meilleur moment, quand notre âme aura atteint ce degré de maturité et de
sainteté auquel elle a été appelée. Il faut donc vivre intensément avec un saint désir de bien profiter du temps
et de toutes les occasions de sanctification qui se présentent.

Que le murmure de ta vie éveille à chaque seconde un écho dans l’éternité.

En terminant nous penserons à la Vierge et à sa dormition. Demandons à Notre Dame de la bonne Mort de
nous accorder la grâce de travailler et de vivre avec la pensée de la Mort, afin de pouvoir ensuite mourir
dans la pensée de la Vie.

LA CORRECTION FRATERNELLE
«Quand vous apercevez chez l’un de vos frères une déviation, une erreur qui pourrait signifier danger pour
son âme ou frein à son efficacité, parlez-en clairement avec lui Il vous en saura gré.» (St. Josémaria,
29.9.1957)

Ce passage de l’Évangile selon saint Matthieu (18,25) où est évoquée la correction fraternelle ne peut être lu
aujourd’hui sans quelque surprise ou quelque peine. En effet, qui de nos jours accomplit ce devoir que nous
impose le Christ, de sa voix aimable? Notre époque se dit pourtant avide de franchise et de sincérité; elle
semble même désireuse d’assumer la franchise et la sincérité comme des caractéristiques propres à la définir
parfaitement. Remarque bien que ce devoir de la correction fraternelle ne tire pas toute sa force de la vertu
de sincérité. Sans doute cette vertu, jointe à celle de l’honnêteté, contribue spécifiquement à l’application de
ce précepte évangélique; mais il plonge ses racines encore plus profond, dans la charité.

C’est précisément dans la pure atmosphère de la charité que la voix du Christ nous parvient parfaitement
claire et distincte et que toute la grandeur de ce précepte évangélique se révèle à nous. Il faut absolument
aimer son prochain, lui vouloir du bien, vouloir son bien, surtout son bien éternel. Vas-tu rester indifférent,
rentrer dans ta coquille, s’il y a là quelqu’un en danger, hors du bon chemin, différent de ce qu’il devrait ou
pourrait être? Vas-tu «laisser courir», si tu remarques dans le cercle de tes familiers ou de tes connaissances
quelqu’un sur le point de briser (ou qui a peut-être déjà brisé) l’ordre et l’harmonie de la charité? La parole
du Christ t’impose de ne pas «laisser courir». Il t’appelle dans cette circonstance, comme dans tant d’autres
à ton devoir de courage. Il nous dit en effet: «Va trouver ton frère et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu
auras gagné ton frère.» Peut-on trouver commandement plus profond et plus simple, obligation plus concrète
et, en même temps, si pleine de fraîcheur?

Les pages de la Sainte Écriture nous apprennent que dans les temps anciens, Dieu s’est servi des prophètes,
aux âmes remplies de force et de charité, pour avertir les hommes, souverains compris lorsqu’ils étaient en
train de perdre leur route. Vois avec quelle fidélité, quelle charité, les prophètes ont su vivre et accomplir ce
devoir de la correction fraternelle! Dis-moi: y a-t-il de nos jours une œuvre plus urgente de miséricorde
spirituelle que de prévenir celui qui se trompe, d’enseigner la vérité au frère qui ne la connaît pas? On dirait
que ces paroles du Seigneur — «va et reprends-le» — n’effleurent même plus les consciences. Voit-on le
mal autour de soi, à côté de soi, ce mal qui pourrait être évité? On reste mou et muet. Cela veut dire que le
«prochain» n’est plus qu’un voisin, et que le «frère» n’est rien d’autre qu’un «autre».

Et pourtant tu sais bien que dans un cœur fidèle, désireux de son bien et de celui d’autrui, la parole du Christ
entre profond. Elle est comme une épée aiguisée. Elle appelle la main qui l’empoigne et l’énergie qui la met
en œuvre. «Va et reprends-le!»; l’Évangile, par ses commandements et ses conseils, nous rappelle
constamment que la vie est le temps de l’action. Il nous incite à épargner le temps, ce temps dont nous
livrons une si large part à notre paresse et à notre égoïsme. Qu’entre l’idée sereinement mûrie dans le
jugement, la résolution qui en découle et l’action qui doit l’exécuter, aucun temps mort ne se glisse.

Ce précepte du Christ peut choquer chez certains une sensibilité délicate, parfois excessive, à tout ce qui
touche à la liberté ou à la dignité de nos semblables; c’est l’esprit du temps et la conscience des chrétiens en
subit les influences. En nous instruisant de notre devoir de correction fraternelle, le Seigneur nous ordonne
pourtant bien de corriger, de dire face à face à une personne qu’elle est en train de faire quelque chose de
mal ou quelque chose qui ne va pas. Il ne s’agit pas de le dire comme s’il s’agissait d’une démarche fort
désagréable, en nous mettant hors du jeu, il ne s’agit pas d’adopter une attitude embarrassée, qui demande
excuse, compréhension, compassion presque... Il faut y mettre au contraire un sens de ses responsabilités
personnelles, assumer personnellement toutes les responsabilités et toutes les contrariétés qui peuvent
résulter de la correction reçue ou faite. Voilà qui nous aide à comprendre que l’accomplissement d’un tel
précepte évangélique dépasse — et de beaucoup — le niveau de l’esprit du monde, des conventions sociales,
ou même de l’amitié fondée sur des critères purement humains.

Il ne s’agit évidemment pas non plus d’agresser quelqu’un avec des paroles blessantes et des manières
hostiles, comme si la personne en question nous avait personnellement irrité ou avait lésé nos intérêts, nos
intérêts que l’on défend parfois sous l’appellation plus noble de «notre bonne réputation», nous n’aurions
pas alors dépassé le niveau du monde mais serions au contraire tombés au-dessous. Cela ne serait pas
pratiquer le devoir évangélique de la correction fraternelle, mais souffler sur les braises des querelles
d’amour-propre, légitimer l’esprit de vengeance et pour tout dire manquer plus ou moins gravement à la
charité.

Celui qui vit chrétiennement le précepte de la correction fraternelle ne la fait pas en pensant à lui, mais à
l’autre, qui est devenu, du fait même, son frère. Il ne tient plus compte de ses propres intérêts personnels, ni
de sa bonne réputation, mais des véritables intérêts et du bon renom de l’autre. Il a certainement laissé de
côté beaucoup de choses à ce moment là, et d’abord son amour-propre. Il a cessé de penser à lui-même pour
s’absorber totalement dans la préoccupation de l’autre, le souci du chemin que l’autre doit parcourir pour
s’unir au Seigneur. Si nous pouvions voir son âme quand il accomplit, suivant la parole du Christ, le devoir
de correction fraternelle, nous serions conquis: quelle grandeur, quelle harmonie dans les sentiments qui
occupent son cœur! Avec l’obéissance au doux commandement de la charité fraternelle, nous lirions dans
cette âme une charité ferme et délicate, une amitié profonde et limpide qui ne fait pas marche arrière devant
le devoir et la force d’âme chrétienne, cette robuste vertu cardinale.

Ce devoir de correction fraternelle nous rappelle que craindre de faire de la peine aux autres n’est pas
toujours bon. Or, malheureusement beaucoup, pour ne pas inquiéter ou attrister un malade qui vit ses
derniers jours sur terre lui cachent son état véritable et lui font ainsi un mal incalculable. Beaucoup d’autres,
en plus grand nombre encore, voient leurs amis dans l’erreur, le péché ou sur le point de se précipiter dans
l’un ou l’autre; ils restent muets, ils ne bougent pas le petit doigt pour leur éviter d’y tomber. Appellerions-
nous ami celui qui se comporterait ainsi avec nous? Certainement pas! Et pourtant, on se tait ordinairement
pour ne pas nous faire de la peine. «Pour ne pas faire de la peine», nous allons laisser notre prochain subir
un dommage important; nous allons nous rendre responsables de fautes graves, nous mériterons souvent
l’accusation de complicité. En outre, nous avons beau «nous dispenser» de la correction fraternelle «pour ne
pas faire de la peine» avec une intention honnête, délicate et sincère, nous ne laissons pas pour autant de
porter sur eux un véritable jugement qui n’est pas à leur honneur et qui la plupart du temps n’est pas un
jugement chrétien.
Pour bien faire la correction fraternelle, il faut avoir égard aux formes et à certaines circonstances bien
précises. Le Seigneur commande: «Va et reprends-le», mais il précise aussitôt «seul à seul». N’est-ce pas
fascinant? Cette précision est une invitation à être délicat, plein de tact et d’amitié. Elle nous remet en
mémoire nombre de vertus chrétiennes: la charité d’abord, cette vertu qui délie ou freine les langues selon
les circonstances et qui nous incite à parler; la prudence chrétienne ensuite, fort justement représentée par
l’image moderne et parlante de «conseil d’administration de la charité»; l’humilité aussi, plus que toute autre
vertu, peut être capable de trouver la parole juste, la manière d’agir qui ne blesse pas, car elle nous souffle à
l’oreille: toi aussi, toi aussi, tu as besoin d’être corrigé; la force d’âme enfin et la rectitude auxquelles on
reconnaît l’homme vrai et le chrétien authentique. «Seul à seul»: une précision utile, une preuve d’amitié
sincère, un gage de fidélité et de loyauté.

Parler n’est pas murmurer! Murmurer, c’est dire du mal d’une personne avec d’autres, ou raconter aux autres
le mal qu’à notre avis une personne a commis. En agissant ainsi, nous manquons à la charité, souvent même
à la justice. Par contre, faire remarquer à une personne le mal qu’elle commet, avertir avec délicatesse l’un
de nos frères afin qu’il se corrige, c’est observer le précepte du Seigneur, accomplir un acte de charité, offrir
une marque d’amitié vraie et chrétienne. Si nous sommes sur le point de murmurer contre quelqu’un,
essayons de nous retenir avec la grâce de Dieu et prenons intérieurement la résolution de prévenir cette
personne, s’il y a vraiment lieu de le faire, selon les critères qui doivent toujours présider à nos actions et
leur conférer leur valeur morale.

Mais au devoir de parler correspond naturellement l’obligation d’écouter. Pourquoi ne pas écouter?
Pourquoi se priver volontairement de l’aide d’autrui, et abandonner un droit qui vous appartient, celui d’être
averti, corrigé, en somme d’être efficacement aidé? Ce droit ne se fonde-t-il pas sur la charité? Quelle
tristesse de ne pas pouvoir écouter, d’être connu de tous comme une personne à laquelle on ne peut rien dire,
comme un chrétien — chrétien de nom seulement — qui refuse orgueilleusement toute aide de la part des
autres! L’amour propre sépare et isole des autres, installe l’homme dans la solitude, le réduit à cette
condition tragique, déplorée tristement dans les Saintes Écritures: «Malheur à l’homme seul; s’il tombe, nul
ne sera là pour le relever.» C’est pourquoi le Seigneur, qui vient d’exhorter avec vigueur à faire la correction
fraternelle, ajoute encore: «S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère!» C’est prouvé par l’expérience: si l’on
écoute, dans ces circonstances, il surgit toujours une vive amitié chrétienne ou si l’amitié existait déjà, elle
se consolide, se fait encore plus profonde et authentique. Un avertissement entendu, accepté, reçu avec
reconnaissance, unit les personnes par le lien solide d’une amitié qui s’élève au niveau d’une amitié
chrétienne. Gagner les autres, être gagné par eux, c’est avoir senti passer le souffle de l’esprit évangélique
sur nos relations et nos amitiés.

Si tu écoutes les autres quand ils viennent à toi stimulés par cet esprit évangélique, cette charité chrétienne,
tu exerceras surtout la vertu de l’humilité: plus que toute autre, elle te disposera à découvrir la vérité, elle
préparera ton cœur à jouir de la paix. Avec cette vérité et cette paix, tu verras comme c’est bien plus facile
de rectifier la trajectoire, avec l’aide de Dieu, et d’aplanir le sentier de la vie morale. De ces dispositions
intérieures, tu sentiras vite jaillir un sentiment de vive gratitude envers le frère qui prend tant à cœur tes
problèmes et la rectitude de ta vie; l’amitié s’en trouve resserrée et rénovée, nourrie de loyale sincérité et
d’une gratitude qui vient du cœur.

Nous pourrions ajouter à notre examen de conscience quotidien une question relative à notre devoir de
correction fraternelle. Pour finir, n’oublions pas de placer nos amitiés sous le signe de ce doux
commandement du Seigneur, afin qu’elles deviennent de plus en plus des amitiés, vraiment chrétiennes.

LE DANGER DES BONNES CHOSES


«Le bien surnaturel d’un seul homme a plus de valeur que le bien naturel de l’univers entier (S. Th. III, qu.
113, art. 9 ad 2). 77 faut demander à Dieu de mettre toujours dans notre intelligence cette foi et cette vision
surnaturelle, afin d’instituer dans nos idées, nos sentiments et nos œuvres, une hiérarchie établie d’après la
valeur objective des choses. Il faut demander ce critère de jugement, car c’est un don de Dieu.»(St.
Josémaria, 24.3.1931)

Parmi les passages de l’Évangile selon saint Luc lus à la sainte Messe, il en est un qui nous invite
particulièrement à la méditation: la parabole du Banquet (Le 14-15). Quel réconfort de boire ces paroles de
Jésus, d’entendre ces mots familiers: invitation, invité, dîner... qui nous incitent à approcher cette page
mystérieuse avec à la fois simplicité d’âme et vif désir d’aller plus profond.

Nous allons donc essayer, comme tout au long de ces méditations, de laisser apparaître la simple et profonde
beauté des paraboles du Seigneur; Lui-même nous y invite: «Comprenne qui peut comprendre!» Mais cette
invitation nous coûtera un effort, de l’attention dans l’esprit, un élan dans le cœur. Et elle retentit aussi
comme un avertissement. Une âme sensible à la vie spirituelle trouvera toujours en effet aux paroles du
Seigneur un accent de défi: du risque en perspective, celui d’entreprises spirituelles et apostoliques à
affronter un jour, gage d’une vie plus féconde, et en définitive plus joyeuse et sereine.

Le «grand banquet» dont il est question dans ce passage de saint Luc, c’est la rédemption du Christ: cette
image simple et familière nous présente à l’esprit les mérites infinis du Christ notre Seigneur. «Grand» est le
banquet, car en Lui abondante est la Rédemption; et ces invitations pleines de délicatesse et d’insistance
adressées à tous, il en invita «un grand nombre», ce sont les appels envoyés à tous les hommes, pour qu’ils
veuillent bien avoir part aux effets de la Rédemption et vivre de façon à obtenir l’application des mérites
infinis du Seigneur. Ce banquet si grand est pour nous, pour toi et pour moi. Et ces mérites infinis du Christ,
si nous le voulons bien, deviendront nôtres. En contemplant le Rédempteur, chacun de nous peut se redire
pour lui-même avec émotion la parole de saint Paul: «Il m’a aimé et s’est livré pour moi».

Dans cette parabole du grand banquet, le Seigneur se désigne lui-même par ces mots: «quelqu’un». Quel
réconfort procure cette remarque! Vois, le Seigneur se désigne lui-même d’un nom générique et familier qui
ne peut inspirer la crainte mais invite plutôt à l’intimité et à l’amitié. Se savoir invité à la table d’un Roi,
voilà qui pourrait intimider les invités et les empêcher de se sentir à l’aise. Mais pour que nous ne restions
pas sur le qui-vive, il se désigne comme «quelqu’un», n’importe qui, l’un d’entre nous. Celui qui nous
appelle, celui qui nous invite se nomme lui-même «le fils de l’homme»; et c’est le Fils de Dieu fait homme,
celui qui par amour pour nous «s’est anéanti lui-même, en devenant esclave».

Nous avons saisi le sens de la parabole; n’est-ce pas agréable d’entendre cette invitation adressée à tous
«afin qu’ils viennent au banquet»? Le cœur se remplit déjà de confiance; il comprend que le maître de
maison «a tout préparé». Et il devient plus facile d’accepter l’invitation, de se mettre en route; sa force et sa
grâce sont là pour nous soutenir.

Et cependant nous restons perplexes en lisant la suite. Ce sont les réponses des invités, toutes négatives; tous
refusent aimablement l’invitation apportée par les envoyés de l’hôte: «Je te prie de bien vouloir me tenir
pour excusé.» Vois celle du premier: «J’ai acheté une propriété, je suis obligé d’aller la voir.» Celle du
second est admissible — un peu moins convaincante peut être: «J’ai acheté cinq paires de bœufs je dois aller
les essayer!» Excellent à coup sûr, le motif du troisième: «Je viens de me marier, aussi ne puis-je pas venir.»

Le voile de la parabole semble devenir alors moins transparent. Peut-être même le trouvons-nous opaque et
lourd: nous avions admis, au fond, tous ces refus de se rendre à l’invitation; les justifications nous avaient
semblé valables, et voilà maintenant la colère du père de famille. Nous entendons la sévère condamnation
qu’il porte à rencontre des invités qui se sont décommandés: «Je vous le dis, aucun de ceux qui furent invités
ne goûtera de mon dîner!»

Oui, nous sommes surpris. N’y aurait-il pas une certaine disproportion entre le refus des invités,
apparemment raisonnable, en tout cas aimable et courtois, et la colère, plus encore la sévère condamnation
de Celui qui adresse l’invitation?

Cependant la surprise cesse, le voile de la parabole redevient transparent, si nous retrouvons le fil de notre
méditation: le grand banquet, c’est le salut éternel de chaque homme, de chaque invité. Un problème de fond
que celui de notre salut éternel! Les dangers qui le menacent sont innombrables et graves. Pour en prendre
conscience, il suffit de penser au désordre introduit en chacun de nous par le péché originel. Ce désordre
nous conduit très facilement à faire un mauvais usage des bonnes choses.

La parole du Christ nous incite à réfléchir sur ces faits. Les excuses présentées par les invités sont vraies (ils
ne mentent pas); leurs manières d’opposer leur refus sont aimables et courtoises; toutes les occupations qui
les retiennent sont légitimes. Et pourtant, il reste vrai qu’ils négligent le principal pour le secondaire; il reste
vrai qu’ils ont compromis et inconsidérément mis en danger leur salut éternel, représenté dans la parabole
par le grand banquet.

Voilà précisément ce que dénonce la parabole. Un danger se cache dans les bonnes choses quand elles nous
absorbent au point de nous éloigner de Dieu. Faute de respecter la manière, la mesure et le temps dans
l’usage des bonnes choses de la vie, celles-ci risquent de nous faire abandonner nos devoirs de piété, nos
engagements apostoliques, et de compromettre ainsi l’union de nos âmes avec Dieu, voire de dissiper peut-
être en nous au fil des années jusqu’au moindre sentiment et à l’idée même de Dieu.

C’est avec raison qu’on dit: une multitude travaille dans les arts, la politique, la culture, l’industrie ou le
commerce; mais un bien petit nombre travaille sérieusement à sa propre sanctification, au salut de son âme,
à «la grande affaire» du salut éternel. On sait bien que ces activités — politique, arts, culture, commerce —
n’ont rien de mauvais en elles-mêmes; bien au contraire, elles peuvent être légitimes, excellentes. C’est
l’homme qui, parfois, ne sait pas les réaliser en les faisant servir à son salut, à sa fin ultime; il finit alors,
comme les invités qui se sont décommandés, par être une victime des bonnes choses. «L’abnégation m’a fait
rater tout», voilà ce que j’ai entendu crier à une âme, inconsolable d’avoir été entraînée par les choses et les
bonnes œuvres; un cri de mauvais augure, un cri troublant.

Nous sommes tous sollicités, assiégés fréquemment par une tentation: reléguer au dernier rang le problème
et les devoirs de notre vie chrétienne, ne nous y consacrer que quand nous en avons le temps et l’envie.
Notre jugement (trop peu profond, trop peu surnaturel) vacille aisément. Il finit par considérer les devoirs
relatifs à notre fin ultime comme un simple «surplus», non comme d’indispensables devoirs d’état inhérents
à notre devoir de chrétien, et comme notre intérêt principal. Or c’est là une sottise, une imprudence. Notre
esprit, léger et superficiel, se livre néanmoins à des calculs mesquins et raisonne sur les actions à accomplir
en éliminant des principes de l’action, la considération de l’éternité et du salut de l’âme. C’est ainsi que les
grandes admonestations évangéliques: «une seule chose est nécessaire», «à quoi sert à l’homme»,
«veillez»... ne vont jouer aucun rôle — ou un rôle négligeable — dans la formulation de nos jugements et le
traitement de nos problèmes!

Ce n’est pas tout, notre volonté ne vacille pas moins souvent que notre jugement, la superficialité et la
sottise dans nos jugements trouvent un écho dans nos omissions et nos négligences, qui sont dans notre
existence ce qui contredit notre vie chrétienne. Aussi tout chrétien doit-il tenacement, attentivement
considérer chaque jour les omissions et négligences relatives à sa fin ultime qu’il a commises dans la
journée, non pour en être déprimé, mais pour récupérer ses forces. Quelqu’un sérieusement engagé dans la
vie, opiniâtrement, doit savoir réaliser chaque jour cette synthèse de tous ses devoirs; le Seigneur lui-même
le lui suggère: «Il convient de faire ceci sans omettre cela», synthèse dans laquelle aucun de nos devoirs ne
doit être négligé ou injustement sous-estimé.

Nous avons surtout besoin d’un jugement profondément chrétien, serein et équilibré. Ouvert à la
considération de l’éternité, ne perdant pas de vue notre fin ultime, il nous indiquera la véritable mesure et la
juste proportion des choses; après cela, il nous faut une volonté droite, décidée à se mettre au diapason de ce
jugement, qui sache éviter les omissions et corriger généreusement les négligences.

Voilà le chemin à suivre — et pas un autre — pour passer à travers les biens temporels et nous servir d’eux,
avec droiture, sans perdre de vue les biens éternels, ni surtout risquer de les manquer pour toujours. Voilà
l’oraison que l’Église adresse très souvent au Seigneur, dans le temps liturgique d’après la Pentecôte.
Oraison que nous Lui adresserons, aussi par le canal de Celle qui est la Médiatrice de toutes les grâces.
LE BON GRAIN ET L’IVRAIE
«Divine pédagogie des paraboles! Lumineuses et claires pour les âmes simples, inintelligibles aux âmes
compliquées et indociles. Aussi les pharisiens ne les comprennent-ils pas. Le semeur, le champ, l’ennemi,
l’ivraie... Approche-toi davantage du Christ, demande-lui de f expliquer la parabole
— edissere nobis parabolam — dans l’intimité de ton oraison.» (St. Josémaria, 24.3.1931)

En relisant ces jours-ci la parabole du bon grain et de l’ivraie j’ai été particulièrement impressionné par
certaines paraboles du Seigneur: (Mt 13,26) «quand l’herbe eut poussé et qu’elle eut produit du fruit, alors
apparut aussi l’ivraie». Un homme plein de bonté avait déjà semé du bon grain dans son champ lorsque son
ennemi survint et sema en cachette de l’ivraie au milieu du bon grain.

Puisque nous méditons en présence du Seigneur, nous pouvons nous arrêter sur ces brèves paroles que je
viens de citer; observons cette ivraie; elle jaillit au milieu du bon grain; cela t’aide déjà à découvrir comment
dans ton âme le mal pointe au milieu du bien ou s’élève au-dessus de lui. Te voilà prévenu. Le Seigneur
t’invite à rester vigilant. Pour ne pas transformer en mal le bien qu’il y a en toi, celui que tu as déjà réalisé
ou que tu es en train d’accomplir, méfie-toi au moment où le mal survient de ne pas perdre le bien que tu as
acquis.

Jésus parle d’une réalité dont nous avons tous une expérience intime. Le mal se fait jour dans l’âme et dans
la vie, comme l’ivraie dans le champ de la parabole s’insinue au milieu du blé et le recouvre. Aussi devons-
nous employer toute notre ténacité à éviter, grâce à une vigilance constante, que dans notre propre être le
mal ne détruise, ne diminue, ne corrompe le bien. À la lumière de la doctrine ascétique de l’Église,
approfondissons notre expérience personnelle, notre expérience de chrétiens voulant vivre chrétiennement,
afin de comprendre comment la douloureuse réalité décrite dans la parabole en vient à se répéter dans notre
vie.

Voici un premier exemple tiré de l’Évangile. Deux hommes montèrent au temple pour prier; voilà du bon
grain, du très bon: celui de l’oraison, adoration que la créature rend au Créateur, conversation du fils avec
son Père. Mais voilà que dans l’oraison de l’un de ces deux hommes le mal de l’orgueil se fait jour, le mal
de la complaisance de soi poussée jusqu’au mépris de l’autre; par-dessus le bien, au milieu du bien, le mal.
Au milieu du bon grain, l’ivraie. «Le pharisien debout, tout enflé, bombé, gonflé, priait ainsi en son for
intérieur: je te rends grâce, oh Dieu, de ne pas être comme les autres hommes» (Le 18,11). Dans un autre
domaine, celui de la vertu, il n’est malheureusement pas rare de tomber sur un fait bien déplaisant: au milieu
du bien, de ce grand et splendide bien de la chasteté, on rencontrera souvent le mal de l’orgueil et du mépris
des autres. Il n’est pas rare non plus — notre expérience personnelle en fait foi — de voir s’insinuer un
semblable mépris des autres au sein d’une vie honnête et mortifiée.

Aucun doute n’est permis, le jeûne est un bien, et même un grand bien, malheureusement un peu négligé
aujourd’hui. La parole de Dieu est là pour nous le rappeler: «La prière et le jeûne sont bons». Le Seigneur
nous conseille cependant de veiller à ce que n’apparaisse pas au milieu du bien, du sacrifice, le mal et la
vanité; le bien en serait anéanti. La seule récompense du vaniteux, bien ridicule, ce sera (et encore! s’il la
reçoit) cette admiration humaine qu’il recherche sottement. «Quand tu jeûnes, lave-toi le visage et parfume-
toi la tête.»

Ce qui revient à dire: veille sur la rectitude de ton intention, pour que le bien que tu réalises ne soit pas
réduit à néant, détruit par le mal qui survient par la poussée de la vanité.

C’est la même ivraie qui vient se planter, passant presque inaperçue, sur tous les dons de la nature ou de la
grâce et sur les succès que nous ont valu ces dons, lorsque nous imaginons et affirmons avec complaisance
que ces dons sont à nous, qu’ils nous appartiennent et qu’il n’y a pas lieu d’y reconnaître un cadeau de Dieu.
Pour conjurer le péril de l’ivraie, l’apôtre des Gentils nous interpelle vivement: «Qu’as-tu que tu n’aies
reçu?»

Nous savons tous que dans le domaine surnaturel, il n’y a rien de plus grand que la charité. Cette vertu, reine
de toutes les vertus, peut cependant tomber dans le piège du mal. En effet, la charité doit être ordonnée,
faute de quoi ce n’est plus vraiment la charité, une charité authentique. Cet ordre de valeurs et de priorités
nous demande avant tout d’aimer Dieu par-dessus tout, ensuite d’aimer les autres hommes — notre prochain
—, selon qu’ils sont plus ou moins proches de Dieu, et proches de nous-mêmes. Briser cette hiérarchie et cet
ordre dans nos affections consisterait à ne plus aimer avec droiture et sens chrétien. Sur le terrain fécond de
la charité le mal de l’égoïsme a germé. Aimer les autres, cela signifie bien les aimer, c’est-à-dire vouloir leur
bien, en tout premier lieu leur bien surnaturel.

Il n’est pas rare de voir surgir l’ivraie au milieu de la charité des chrétiens. Ils crient aimer les personnes et
prétendent s’en faire aimer quand ils leur donnent certains biens, qui en fait ne sont pas de vrais biens, parce
qu’ils s’opposent à leur bien véritable. Combien de fois l’égoïsme n’entre-t-il pas en contrebande sous
l’étiquette de l’amour! — un pur égoïsme, parfois un égoïsme raffiné... Dans ce cas, nous n’aimons pas les
autres pour Dieu et pour eux-mêmes, mais seulement pour nous. Voilà donc le mal de l’égoïsme qui germe
au milieu du bien de la charité, le vide et le détruit! Nul doute que l’activité développée pour le bien des
âmes, l’apostolat, ne soit un grand bien, mais il a beau être bon et saint, s’il nous amène à omettre l’oraison,
à négliger la vie de piété, à oublier nos devoirs d’état, il devient alors tôt ou tard de l’ivraie, qui pousse au
milieu du bon grain du Christ. On parlait, dans la précédente méditation, du «péril des bonnes choses», et je
rappelais cette lamentation angoissée d’une âme réalisant, trop tard, la présence de l’ivraie au milieu de son
bon grain; en voyant le champ de son âme complètement envahi elle s’exclamait: «L’abnégation m’a
perdu!» À Béthanie, pour nous prévenir contre ce danger, le Christ fait une réflexion à la sœur de Marie:
«Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses, mais une seule est nécessaire». Et puis,
quand l’amour pour les âmes, le zèle pour le bien se mélangent à la maladresse ou à l’amertume, on voit
bien comment émerge le mal au milieu du bien, comment germe l’ivraie au milieu du bon grain. Regarde
comment le Seigneur réfrène l’impatience de ces disciples appelés «les fils du tonnerre», qui voulaient faire
tomber le feu du ciel pour châtier les habitants d’une ville coupables de n’avoir pas immédiatement accueilli
la Bonne Nouvelle. À ses deux disciples trop zélés, le Fils de l’homme rétorqua: «Vous ne savez pas à quel
esprit vous appartenez!» À nous aussi quelquefois il arrive de ne pas accomplir notre devoir; puis, brûlés
d’un esprit de réparation et d’une ferveur qui passent les justes bornes, nous voulons faire bien plus que le
devoir ne commande. Nous tirons cet enseignement, semble-t-il, de la parabole de l’ivraie; puisque les
ouvriers, qui manquèrent d’abord à leur devoir en s’endormant, auraient ensuite voulu en faire trop et
arracher l’ivraie avant terme. Le maître du champ, lui, se montre prudent et modéré: «Attendez le moment
de la récolte.»

Oui, si les hommes n’y prennent garde, le mal surgit souvent au milieu du bien. Observe comme l’amour de
la vérité et du bien peut se transformer tristement en fanatisme, en esprit de caste; c’est ce qui se passe, faute
d’un amour assez surnaturel et assez charitablement disposé envers les autres; on ne sait pas alors distinguer
entre le péché et le pécheur, entre l’erreur et celui qui se trompe. Et il peut même arriver que, une fois
engagés sur cette pente dangereuse, des hommes pourtant consacrés au bien se comportent comme si le bien
n’était plus le bien quand ce n’est pas eux qui le font.

C’est une bonne chose, une chose excellente même, que la spiritualité. Pourtant si l’homme oublie qu’il
n’est pas un pur esprit, mais qu’il est aussi matière, s’il se prend presque pour un ange, il ne tarde pas à se
changer en ange rebelle, sous l’effet de l’orgueil qui l’entraîne hors de son véritable état. Les conséquences
en sont tragiques: «J’ai vu Lucifer tomber du ciel comme l’éclair.» Ces hommes, orgueilleusement, s’étaient
placés à une hauteur qui n’était pas et ne devait jamais être la leur; leur chute est vertigineuse, au point de
rappeler celle du premier ange rebelle et déchu. Combien d’exemples semblables offre l’histoire de
l’humanité? Pourtant, nous les hommes, n’arrivons jamais à en tirer une leçon définitive.

Est-il utile de rappeler qu’il convient aux subordonnés de respecter et d’honorer leurs supérieurs? Cela est
saint, très nécessaire à celui qui veut se sanctifier comme à celui qui veut servir le bien commun. Mais la
servilité dénature cette relation de subordination, parce qu’elle prive le subordonné de toute loyauté et de
toute sincérité. Elle le rabaisse au-dessous de sa dignité de personne humaine; elle l’empêche de rendre au
supérieur un vrai service, plein de droiture. La même chose arrive à l’obéissance, quand elle est mal
comprise; elle peut supprimer l’esprit d’initiative, le sens des responsabilités personnelles et dégénère en
paresse et commodité. Une fois de plus, voilà des maux qui naissent du bien et au milieu du bien nouvelles
vérifications dans l’intimité de nos âmes et dans la réalité concrète de nos vies de la parabole du bon grain et
de l’ivraie. Encore un exemple: l’amour pour l’Église. Il peut se corrompre, à cause d’une orgueilleuse
impatience, en présence des ombres humaines qui peuvent passer sur son visage d’Épouse du Christ. Il n’est
plus alors qu’un scandale pharisaïque, incapable de saisir le mystère du Corps Mystique. Les vrais fils de
l’Église, ceux pour qui elle reste «notre sainte Mère l’Église», ne prétendent jamais remplacer la sagesse de
Dieu par leur point de vue personnel; c’est pourquoi ils parviennent, en adorant le dessein de Dieu, à
pénétrer ce mystère de l’Église, dans la mesure où c’est possible pour l’homme. Tous ces exemples suffisent
à nous faire comprendre combien l’enseignement de la parabole touche de près la vie de notre âme: le mal
surgit souvent du bien et au milieu de celui-ci, comme l’ivraie au milieu du bon grain. Aussi, pour terminer,
recueillons dans cette parabole deux conseils; ils éviteront au bien d’être étouffé par le mal, dans notre âme
et dans notre vie. Le premier, c’est l’invitation du Seigneur à la vigilance. Quelle fut l’origine de tout le mal
dans la parabole? «Tandis que les hommes dormaient», le sommeil, l’inattention, la négligence, voilà ce qui
favorise l’action de l’ennemi, l’insurrection du mal, d’autant que l’ennemi, lui, ne dort pas: bien au
contraire, plus l’homme fait du bien, plus son ennemi le tente; plus l’homme s’élève haut, plus son ennemi
l’assaille. «Celui qui se tient debout, nous a averti l’Écriture sainte, qu’il fasse attention à ne pas tomber.»
«Même les cèdres du Liban s’effondrent» rappelle la Bible. Le second conseil du Christ, c’est la patience.
Patience envers nous-mêmes, patience envers les autres. «Par la patience, vous posséderez vos âmes», nous
dit-il dans un autre passage de l’Évangile; le prix ultime de notre sainteté, c’est la patience, cette patience
qui fait porter du fruit à la Parole de Dieu. Une patience toujours humble, une volonté prudente et humble de
ne jamais remplacer les plans de Dieu par nos propres plans.

DANS LA LUMIÈRE DE BETHLÉEM


«Voilà la manière divine de faire les choses: d’abord une, et puis une autre en réglant nos pas, en utilisant les
causes secondes, les médiations humaines,» (St. Josémaria, 24.1.1961)

Tous les mystères de la vie du Christ sont des mystères d’amour; même la naissance du Fils de Dieu est un
mystère d’amour. La toute-puissance divine, elle seule, mise au service d’un amour infini pour nous les
hommes, pouvait inventer une aussi admirable manière de réaliser l’antique promesse. «Toute la raison du
fait est la puissance de Celui qui le fit.» Voilà ce que l’Église fait dire à ses prêtres devant le mystère qui se
réalise dans la grotte de Bethléem.

En vérité c’est bien un mystère d’amour, celui de ce Dieu qui $e fait enfant! La toute-puissance qui se réduit
à l’extrême impuissance! Le Seigneur des cieux et de la terre n’a pas même un berceau où reposer; une
étable est tout le palais du fils de David, une crèche en guise de trône pour le Fils de Dieu.

Aujourd’hui que notre regard d’hommes se perd dans le mystère de l’Enfant-Dieu, engageons-nous à fond,
tête et cœur, dans un effort pour comprendre la valeur et la nécessité d’une vraie vie d’enfance spirituelle.
Quand II voudra indiquer l’unique chemin qui conduit en toute sécurité au royaume infini, Jésus, au cours de
sa vie publique, prononcera ces paroles d’une extrême simplicité: «Si vous ne redevenez pas comme des
petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.» À aucun autre prix nous n’avons l’assurance
d’atteindre à ce spectacle éternel de la gloire, de la beauté et de l’harmonie de Dieu. Les orgueilleux
n’auront jamais les moyens de le payer. Seuls les humbles et tous ceux qui se convertissent au prix d’efforts
soutenus, en hommes de bonne volonté, pourront y assister.

Qui de nous peut douter, en cette nuit de Noël, de la nécessité d’un effort de simplification intérieur, si,
comme le désire le Dieu-Enfant, il veut devenir «comme un petit enfant»? Cet effort se révèle d’autant plus
nécessaire que nous nous voyons immergés dans le monde d’aujourd’hui, où il est si facile de vieillir
spirituellement et de mourir, encore florissants par l’âge et la forme physique! Combien de jeunes et
d’adultes que nous connaissons sont spirituellement des vieillards! Combien de personnes à l’âme
compliquée et refermée comme un labyrinthe, au cœur bouillonnant et agité de perpétuels conflits!

La Nativité est l’heure de la simplicité, l’instant de la renaissance et de l’enfance spirituelle. Il nous faut
recueillir cet instant, profiter de cette heure: «Le Christ s’approche des enfants et s’entretient avec eux.»

Il te faut un regard simplifié, limpide, si tu veux lire avec joie et avec profit le récit évangélique afin d’entrer
de plain-pied dans le mystère qu’il nous annonce.

Le plus grand événement de toute l’histoire humaine se produit d’une manière extrêmement simple; un fait
totalement surnaturel apparaît de la façon la plus naturelle qui soit. L’édit d’un empereur païen, César
Auguste, ordonne le recensement de tout l’univers; il conduit à Bethléem Marie et Joseph. Ni l’âpreté d’un
voyage long et fatigant, ni le froid et les privations, leurs seuls compagnons fidèles, ne leur sont épargnés.

L’action de Dieu dans le monde, l’œuvre de la Providence divine dans le gouvernement de la vie humaine
échappent à T attention des hommes, et la chronique des événements ne sait rien en retenir parce que ceux
qui devraient voir, comprendre et raconter, ont rarement le cœur assez simple pour entrer dans les secrets de
la vie de foi. Trop habitués à rechercher la nouveauté extraordinaire, à nous intéresser surtout aux choses
sensationnelles ou spectaculaires, nous ne parvenons pas à comprendre la prédilection du Seigneur pour les
choses simples et ordinaires. Par combien d’autres moyens aurait-Il pu conduire à Bethléem Marie et
Joseph. Pourtant la Providence de Dieu choisit le plus simple, le plus ordinaire. Mais Dieu ne choisit certes
pas la voie la plus commode pour Joseph et Marie, «son épouse qui était enceinte». C’est à nous que
s’adresse la leçon, à nous les hommes d’aujourd’hui, toujours à l’affût de l’extraordinaire et du merveilleux,
toujours en attente de nouvelles commodités, sans cesse plus étonnantes.

Simple, humble, sans rien de spectaculaire, tel est le voyage de Marie et de Joseph vers Bethléem. Telle est
aussi la naissance du Fils de Dieu, dans l’humilité et la pauvreté d’une crèche, dans le froid et le silence de
la nuit «tandis que le silence enveloppait toutes choses». Qui pourrait affirmer qu’il chérit et apprécie le
silence et la solitude? Les aires de silence sont peu fréquentes dans nos journées. Et la lutte contre les mille
rumeurs intérieures de l’âme nous est-elle seulement connue? Et la solitude, avouons-le franchement, ne
nous inspire-t-elle pas de la crainte plutôt qu’autre chose, ne signifie-t-elle pas plus souvent pour nous
abattement ou ennui?

La pauvreté du Fils de Dieu naissant est si complète qu’elle atteint à la grandeur et si simple qu’elle
s’auréole de poésie. Celui qui revêt de beauté les fleurs, les champs et les oiseaux, possède juste de quoi
couvrir son petit corps. Beaucoup de portes se ferment, et beaucoup d’autres ne s’ouvrent pas; les deux
pèlerins au terme de leur long voyage, ont cherché en vain un toit pour la nuit. «Il n’y avait pas de place
pour eux à l’auberge.»

Une crèche, une étable, un peu de paille, deux bêtes — un âne et un bœuf—, voici le lieu, voici le temps
choisis par la Providence pour marquer le commencement de l’ère chrétienne.

Et tandis qu’ils se trouvaient là, «les temps furent accomplis», ainsi dit le texte évangélique, dans sa sublime
simplicité. Et avec eux la grande promesse: «Elle mit au monde son fils premier né, l’enveloppa de langes et
le coucha dans une crèche.» Le tableau est maintenant complet: Marie, la Mère de Dieu, Joseph, le père
nourricier de Jésus, et le Roi des Juifs nouveau-né, couché dans une crèche. Tout est simple, pauvre. Une
mère pauvre, un homme juste, de pauvres langes, un petit enfant, une étable, une crèche, nous sommes au
cœur de l’hiver, la nuit est profonde.

Contemplons Bethléem et sa pauvreté; rappelons-nous que cet enfant nouveau-né est la lumière du monde;
et demandons-nous si jusqu’à aujourd’hui nous n’avons pas ignoré, toi et moi — ou du moins pas assez
compris — que cette vertu de la pauvreté est nécessaire à notre vie chrétienne: sans elle on n’entre pas au
Royaume des cieux.
Qui de nous se contente aujourd’hui du nécessaire? Qui sait vraiment vivre avec le strict nécessaire? Qui est
capable, en ces jours que nous vivons, de tracer avec prudence chrétienne et conscience délicate la frontière
entre le nécessaire et le superflu? Qui, dans sa vie personnelle, sait se maintenir, non sans énergie ni sans
sacrifice, en-deçà de cette limite?

Combien sont-ils à franchir cette frontière et à vivre dans le gaspillage, en pleine superficialité! Le désir
d’amasser du superflu, le «toujours plus» de biens de ce monde, voilà malheureusement la règle d’action et
la mesure du cœur de beaucoup d’hommes, dont on dirait qu’ils n’ont jamais été éclairés par la lumière de
Bethléem. Il y en a aussi trop peu encore à se rappeler et à mettre en pratique cet autre précepte du Seigneur:
«Ce que vous avez en trop, donnez-le aux pauvres.»

La frontière entre le nécessaire et le superflu se déplace continuellement dans les mentalités, dans les désirs
et dans la vie de beaucoup de chrétiens, toujours dans le même sens. Et, parallèlement la sérénité et la joie
s’éloignent de leurs cœurs. Ils s’inventent chaque jour de nouvelles nécessités, de nouveaux désirs de
posséder et de jouir. Or à peine sont-ils parvenus à posséder et à jouir, la désillusion et le malaise
surviennent infailliblement, et l’on se retrouve avec le cœur aride et les mains vides. Et la course reprend,
immédiatement, dans la même direction, toujours vers les mêmes objectifs et avec les mêmes déceptions.

Arrêtons-nous devant la grotte de Bethléem. Nous allons y comprendre la vertu du détachement, la pauvreté
affective et, aussi dans le mesure où cela est possible à chacun, effective; nous pourrons savourer alors la
béatitude de la pauvreté: «bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux». Que le
cœur soit détaché des biens de ce monde et l’âme s’inonde de paix; on apprend à bien utiliser les richesses
quand on les possède, en exerçant les vertus liées à la générosité. Le détachement donne, en outre, avec la
sérénité du cœur, la parfaite liberté intérieure.

Notre regard se déplace maintenant de la crèche vers les collines voisines et la simplicité des bergers de cette
contrée nous séduit. Ils sont simples, humbles et pauvres. Ils vivent en accomplissant, ponctuels et fidèles,
leur devoir de chaque instant, «ils veillaient sur leurs troupeaux pendant la nuit». C’est justement pour cela
qu’ils sont les premiers à recevoir la bonne nouvelle. Les bergers seront les premiers adorateurs du Fils de
Dieu. Car les choix de Dieu sont toujours conditionnés par la présence dans les âmes de ces vertus au
parfum authentiquement évangélique.

Les ténèbres sont illuminées, le silence est rompu et les bergers reçoivent de l’ange la joyeuse et bonne
nouvelle: «Je vous annonce une grande nouvelle qui sera votre joie.» C’est à la mesure de notre simplicité
intérieure que nous recevrons participation à la joie de la Nativité du Christ.

En rendant gloire à Dieu, les anges promettent la paix — la paix du Christ qui vient de naître — aux
hommes de bonne volonté. Les hommes de bonne volonté: voilà vraiment la seule et unique «classe» à
laquelle tous les chrétiens devraient appartenir! S’il existait chez tous cette bonne volonté évangélique, les
classes sociales, même si elles continuaient d’exister, cesseraient certainement de se combattre et l’on
atteindrait l’unité, «la paix du Christ dans le royaume du Christ».

Rectifions notre volonté devant la crèche de Bethléem, rendons notre cœur vraiment bon, disposé à servir le
Seigneur avec fidélité. Si nous parvenons à être, dans la lumière de Bethléem, des âmes simples et des
hommes de bonne volonté, nous participerons profondément à la grandeur de ce jour «où apparut l’humanité
et la bienveillance de notre Sauveur».

Que la Vierge de Bethléem, Mère du Christ, nous enseigne cette rénovation intérieure et nous fasse
comprendre et goûter la bonté et l’humanité de notre Sauveur, du Christ qui vient de naître.

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