SANKOFA N 14 Juin 2018
SANKOFA N 14 Juin 2018
SANKOFA N 14 Juin 2018
ISSN : 2226-5503
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N°14, juin 2018 ISSN : 2226-5503
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REVUE IVOIRIENNE DES ARTS ET DE LA CULTURE
COMITE DE REDACTION
ADIGRAN Jean-Pierre
NANGA-ADJAFFI Angéline
GORAN Koffi Modeste Armand
HIEN Sié
KAMATE Banhouman
KOUASSI Adack
OYOROU Benson
OUMOU Dosso
MARKETING ET PUBLICITE
INSAAC
INFOGRAPHIE/WEB MASTER
ALI Djaniklo
AMANI Yao
EDITEUR : INSAAC
3
Sommaire
Communication
DJE BI Kahou Albert 7
Le discours médiatique de l’État à propos de l’émergence à l’horizon 2020 en Côte
d’Ivoire : propagande politique ou communication publique ?
Arts
NDINGA NZIENGUI Alphonse 43
Création artistique et influence du christianisme en Afrique
subsaharienne précoloniale: rupture et évolution
Sociologie
TOUNG Nzue Jérôme 80
Enjeux et précarisation foncière au Gabon
KONE Ténon 96
Représentation du triptyque mariage-polygamie-procréation en Afrique : Cas de
Lambert Obama Ondo dans El metro de Donato Ndongo-Bidyogo
Littérature
DJERE Youetto Roger Didier 123
D’Icare à Faust ou le schéma de la tragédie d’Afitémanou dans La Bible et le fusil
de Maurice Bandaman
4
EPOUNDA Mexan Serge & BOKOTIABATO MOKOGNA Zéphirin 169
Factsand political realism in Chinua Achebe’s anthills of the savannah.
Psychologie
BOULINGUI Jean-Baptiste 187
Étude des facteurs de stress en institution hospitalière et leurs effets
sur la motivation au travail du personnel
Théâtre
KOUA Assey Félicie 233
La place du personnage féminin dans le théâtre de Giraudoux : cas de Judith,
Electre et pour Lucrèce
Sciences du langage
ANDREDOU Assouan Pierre & ALLOU Serge Yannick 245
Analyse du dérive nominal parasynthétique Dandji
Anthropologie
TOGOLA Kawélé 269
Esclavage et mobilité sociale au Mali : l’exemple de la commune rurale de Sokolo
au Mali
Culture et développement
COULIBALY Amadou Nanguin 283
Référencement des bibliothèques universitaires publiques dans les décrets
de création des universités de Côte d’Ivoire
5
Communication
6
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.7-28. ISSN : 2226-5503
Résumé :
Les autorités ivoiriennes, dans le souci de redonner une nouvelle identité politique,
économique, sociale et institutionnelle à la Côte d’Ivoire, décident de s’engager dans des
projets de (re) construction, de croissance et de développement, après la grave crise qu’a
connu le pays pendant plus de dix (10) ans, d’où le concept de « l’émergence ». Pour une
meilleure appréhension et une parfaite adoption de la lettre et l’esprit de ce projet de
grande envergure, le gouvernement va s’investir et investir dans la communication
publique tous azimuts. Communication publique qui se trouve être une branche de la
communication qui permet de répondre à l’obligation d’information du citoyen sur les
données et les actions à caractère public. Pour atteindre cet objectif, l’État va déployer
tout un arsenal de moyens et de stratégies de communication composés de textes,
d’images, de sons…, qui seront diffusés à profusion à travers les médias de service public
et certains médias privés. Au bout du compte, des années après, les signes de l’émergence
ne semblent pas très visibles, mieux, le flot de communication ne correspond toujours pas
à la réalité des faits. Les fruits n’auraient-ils pas tenu la promesse des fleurs ? L’on s’en
interroge avec raison. Tout cela donne lieu finalement à une véritable propagande
politique plutôt qu’à une communication publique de masse.
Mots clés : Discours médiatique, État, Émergence, communication publique, propagande
politique.
Abstract:
In the view to giving a new political, economic, social and institutional identity to the
country, the Ivorian authorities have decided to commit themselves in projects of
(re)construction, growth and development, after the difficult crisis that the country faced
during more than ten (10) years, hence the concept of “emergence”. For a better
understanding and perfect appropriation of the core of this important project, the
government will commit itself in sort of public communication investment. This public
communication which is an aspect of communication allows answering to the need of
information of the citizen on data and actions of public kinds. To reach this goal, the state
will deploy an arsenal of means and communication strategies made of texts, images and
sounds that are broadcasted unceasingly through media of public services but also
through some private media. Finally, some years after, the signs of emergence seem not
really visible, and worst, the flow of communication does not always correspond to the
reality of facts. Did the fruits not stand the promises of the flowers, people reasonably
wonder. All this finally leads to an actual political propaganda rather than a mass public
communication.
Key words: media discourse-State-emergence-public communication-political
propaganda.
7
INTRODUCTION
1
Plan National de Développement PND 2016-2020, Diagnostique Stratégique de la Cote
d’Ivoire sur la trajectoire de l’émergence, République de Côte d’Ivoire, Ministère du Plan et
du Développement, Tome. P. 12.
8
vont émailler notre démarche argumentative pour une bien meilleure
articulation. Il s’agit entre autres de savoir si :
- Les populations savent-elles exactement ce qu’est l’émergence ?
- Existe-t-il une relation de cause à effet entre les discours
médiatiques du gouvernement et les actions posées dans la
perspective de l’émergence ?
- La Côte d’Ivoire a-t-elle les moyens d’atteindre l’émergence à
l’horizon 2020 ?
- L’émergence tant souhaitée, concerne-t-elle toute la Côte d’Ivoire
ou la capitale économique qu’est Abidjan seulement ?
- Les discours à propos de l’émergence sont-ils à propos et
appropriés ?
- N’y a-t-il pas de manipulation des esprits à travers le discours
médiatique public pour servir d’autres causes ou ambitions
politiques?
- Ne sommes-nous pas dans une spirale de propagande à finalité
politique ?
- L’État de Côte d’Ivoire ne met-elle pas les populations dans une
sorte de spirale du silence pour atteindre d’autres
objectifs inavoués?
Autant d’interrogations auxquelles nous allons essayer de trouver
des solutions à travers des entretiens qualitatifs, des observations directes
et indirectes, des questionnaires, des revues de presse nationale et
internationale, et les méthodes d’analyse en groupe. Nous mettrons
surtout en lumière le caractère propagandiste de la plupart des discours du
gouvernement ivoirien à propos du projet de l’émergence.
Avant toute forme de spéculation, nous présentons d’ores et déjà le
contexte et la justification du choix de ce sujet de réflexion.
9
Cependant, il reste réalisable à condition que soient réunis plusieurs
facteurs qui le favorisent. Mais, avant toute chose, il faut d’abord préciser
cette notion d’émergence telle que la conçoit le Chef de l’État ivoirien.
Pour le Chef de l’Exécutif ivoirien, lors d’une interview accordée à la presse
nationale et internationale, un pays émergent : « c’est un peuple qui vit
dans un climat social serein, éduqué, qui a accès à des soins de qualité,
mange à sa faim, se développe en créant de nombreux emplois de manière
à réduire considérablement le chômage et surtout vit en harmonie, dans un
esprit de fraternité ». En tant que projet, objectif et politique
gouvernemental ; pour les atteindre et les réaliser, l’État mobilise toutes
les ressources possibles. Les médias de service public y occupent une place
de choix car, les gouvernés sont régulièrement informés des actions
menées par le gouvernement par l’entremise des canaux de diffusion de
ces médias de masse. C’est le traitement et la diffusion des informations à
propos de ce projet d’émergence qui a suscité la rédaction de cet article
car pour nous, il semble claire que la stratégie de communication à propos
de l’émergence à l’horizon 2020 frise plus la propagande politique, que la
simple communication publique faite par l’État.
1- Le discours médiatique
Le terme discours médiatique est un groupe de mot composé de la
notion de discours et du mot médiatique.
En effet, le discours est un type de message verbal de diffusion,
préparé pour la communication immédiate et directe à des auditeurs. Par
extension, le texte même du discours transcrit est diffusé par les moyens
de communication de masse. En théorie des communications, le discours
est un type de message linguistique constitué d’une séquence plus ou
moins longue de mots et de phrases susceptibles d’être transmis,
principalement par voie orale en mettant l’accent sur la continuité d’un
message long et par conséquent sur ses superstructures par rapport aux
éléments linguistiques qui le constituent : les mots, les phonèmes etc. Le
discours c’est également le flux du langage parlé, c’est son déroulé. Le but
recherché dans un discours est le transfert depuis un individu créateur ou
émetteur du discours jusqu’à l’individu récepteur, non seulement d’une
« communauté » de connaissances de base, qui sont le fondement de la
communication, mais de le faire participer à un certain nombre de valeurs,
d’attitudes, ou d’opinions, de le vaincre (discours de l’avocat), de le
convaincre (discours du politicien), ou de le séduire (discours du poète)
.C’est en fin de compte, l’idée de transmission de la conviction, c’est-à-dire
de modification de la table de valeurs et des éléments de raisonnement du
récepteur en vue de modifier ultérieurement ses comportements.
10
En ce qui concerne le terme médiatique, il est d’une construction
suffixale et préfixale. Il dérive en effet du mot « média » qui en est
le préfixe et « tique», le suffixe. Le terme média se prête à de nombreuses
acceptions et acceptations. Les médias concernent en règle générale, les
supports matériels de diffusion des messages à caractère collectif, dans le
temps et dans l’espace, réalisant une liaison entre l’individu et
l’environnement culturel. Est médiatique tout ce qui est relatif aux médias
ou à la communication par les médias. Plusieurs auteurs ont défini et décrit
les médias selon les usages et les fonctions que l’on peut leur attribuer.
Pour Mc Luhan (1968), les médias constituent pour l’homme ce que
l’antenne représente pour les insectes. Il leur attribue une ambivalence
thermique : médias chaux et médias froids. Quant à Francis Balle (1988), il
catégorise les médias en deux grands groupes : médias autonomes et
médias non autonomes. Jean Cloutier (1975) à propos des médias, fait une
typologie de plusieurs ordres selon qu’ils sont audio, visuels, scripto,
scriptovisuels, audiovisuels, et audio-scripto-visuel.
En fin de compte, les médias comprennent les moyens de
communication de masse tels, la radio, la télévision, la presse écrite, le
Cinéma, les affiches, et internet avec tous ses dérivés. La liste des médias
présentée ici n’est pas exhaustive.
En fait, parler de discours médiatique, c’est parler de la
communication de masse car, seuls les médias de masse assurent et
diffusent les discours et communications des hommes politiques, des
leaders d’opinion, des gouvernants, etc. Pour Lazar Judith (1991), la
communication de masse est le processus social particulier qui se réalise en
faisant appel à la masse de l’audience, aux communicateurs et à la pratique
communicationnelle. En définitive, le discours médiatique dont nous
parlons dans cet article, est toute communication ou information que les
hommes politiques, les gouvernants, ou autres relais d’information parmi
les populations, utilisent pour entrer en relation avec les gouvernés dans le
cadre du projet d’émergence de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020.
2- Le concept de l’émergence
L’émergence est un terme difficile à cerner car lié à plusieurs réalités.
L’émergence concerne la réalité politique, économique, sociale, culturelle,
etc., d’une nation. Selon le Dictionnaire de Français Larousse, émerger
c’est sortir d’une situation difficile, confuse, etc., dans laquelle on était
comme englouti. Un pays émergent est un pays dont le PIB (Produit
Intérieur Brut) est supérieur à celui d'un pays développé. Le pays
émergent a pour caractéristique d'enregistrer une croissance rapide, avec
un niveau de vie qui tend vers celui d'un pays développé. C'est au sein
des pays en développement que sont apparus les pays émergents.
L’acronyme (BRIC) est le premier terme à désigner les quatre
principaux pays émergents que sont : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine.
Ces États sont susceptibles de jouer un rôle de premier plan dans
l'économie mondiale dans un futur plus ou moins proche.
11
Le concept de « pays émergent » apparait dans les années 80 avec le
développement des marchés boursiers dans les pays en développement.
L’un des premiers auteurs à utiliser le terme « marché émergent » est
Antonio Van Agtmael, économiste néerlandais en 1981, à la Société
Financière Internationale, pour parler « de pays en développement offrant
des opportunités pour les investisseurs »1. Dans ce contexte, trois critères
sont donc indispensables à savoir :
- la rénovation juridique et institutionnelle ;
- le passage d’un type de production grégaire à un type industriel ;
- l’ouverture au marché mondial des produits et services et aux flux
internationaux de capitaux2.
3- La notion de propagande
L’origine du mot vient de « propagation », apparu en 1622 avec
l’institution de la Sacrée Congrégation de propagation et de la foi. L’objectif
vise à diffuser la foi catholique après la Reforme. Le sens du mot a changé
mais, elle a toujours gardé l’idée d’adversité. Le mot a été utilisé dans les
régimes totalitaires pour diffuser leur idéologie.
Le phénomène commence très tôt à intéresser les chercheurs en
étude de communication. Le politologue Lasswell a été le premier
chercheur à étudier la propagande et ses techniques. Il la définit en effet,
comme « le maniement des attitudes collectives par la manipulation des
symboles significatifs3 » et affirme par la même occasion, qu’il s’agit de l’un
des plus puissants instruments dans le monde moderne. Il souligne ici,
l’immense rôle joué par les moyens de communication de masse dans la
conscience nationale et patriotique.
La propagande est une politique de communication de masse de
grande envergure. Elle apparait étroitement liée à une ambition ou à une
pratique totalitaire, ce qui conduit évidemment à sa dépréciation. Selon
Georges Henein (1969) dans l’ouvrage ‘’une petite encyclopédie politique4’’,
la propagande est « une action de persuasion agissante qui tend à
substituer l’émotivité à la raison en abolissant la ligne de démarcation
entre le vrai et le faux ». La réputation de la propagande est pire que celle
de la publicité dont il faut la distinguer. Si en apparence, la publicité se
rapporte de la promotion des produits commerciaux, et la propagande de
celle des idées, des hommes et des partis politiques, il est sans doute plus
correct de considérer que la première se situe au niveau des choix, et la
seconde à celui de la modification culturelle.
Pour Thoveron Gabriel (1990), la propagande doit nous faire changer
d’idées. Elle vise à nous faire changer de croyances ; aspirations, actes de
foi nouveaux, qui modifie nos attitudes et comportement. Dans l’histoire
1
Pays émergents, http://fr.wikipedia.org/wiki/pays%C3%A9mergent, consulté le 24 Mai
2018 à 07 H 16 mn.
2
Pays émergents, http://fr.wikipedia.org/wiki/pays%C3%A9mergent, consulté le 24 Mai
2018 à 07 H 30 mn.
3
Lasswell H. D. Propaganda Technique in theWorld War, NewWork, 1927, p. 627.
4
Paris, Seuil, coll, ‘L’histoire immédiate’, 1969.
12
de la manipulation des esprits par la propagande, l’exemple le plus probant
reste certainement la propagande Nazi à l’époque d’Hitler en Allemagne.
Eric Maigret (2007, p47), dira de la propagande que : « L’étymologie du
mot ramène à l’idée de bouture, de jeune pousse coupée et plantée pour
donner une nouvelle plante. De même, dans le vocabulaire religieux, la
propagande s’apparente à l’idée de transmission, ou de diffusion édifiante
avant qu’il ne soit doté à partir de de la fin du XVIIIème siècle d’une
connotation négative, celle d’exercer une influence sur l’opinion ».
De façon générale, la propagande existe dans l’intention de
l’émetteur, qui désire noyer toute résistance, influencer, imposer son
opinion à l’interlocuteur. Elle ne permet pas de comprendre les actes du
récepteur qui dispose des capacités de fuite et de contradiction. La
propagande en tant que technique de communication de masse, peut
« marcher » parce qu’elle entre en résonnance avec les attentes des
populations auxquelles elle s’adresse.
13
1- Les médias de service public, moyens privilégiés de la
communication institutionnelle publique
Le service public est un principe de droit qui se fonde sur le devoir
qu’a l’État de fournir à la population dont il a la charge, les services
nécessaires à son développement et à son épanouissement. Ces devoirs
pour l’État, qui sont des droits pour les citoyens, nous pouvons citer : le
droit à la santé, le droit à l’éducation ; le droit à la sécurité, au logement, et
surtout à l’information.
Dans le regard porté désormais sur la communication, l’accent est
largement mis sur les médias de masse par un effet de nouveauté évident,
ceux-ci ayant fait une bruyante irruption dans la grande majorité des
individus à partir de la fin du XIX ème siècle (Maigret E., 2007). Mais il
existe une autre raison à ce succès : les médias de masse constituent le fait
communicationnel le plus original et le plus déterminant dans les sociétés
qui se définissent désormais majoritairement par la démocratie.
En Côte d’Ivoire, la mission de service public de la RTI (Radiodiffusion
Télévision Ivoirienne) est assurée par trois chaînes de télévision (RTI1, RTI2
et la chaîne régionale de Bouaké, dénommée RTI Bouaké). La radiodiffusion
y est présente avec trois stations à savoir : Radio Cote d’Ivoire, Fréquence 2
et Radio Bouaké. Au niveau de la presse écrite, seule le quotidien
Fraternité Matin fait office de journal pro gouvernemental.
14
de la façon suivante : Le secteur des médias audio et audio-visuel, restent
l’apanage de l’État. Le secteur de la presse écrite quant à lui, est aussitôt
libéralisé et y enregistre plusieurs titres aux cotés de la presse
gouvernementale incarnée par Fraternité Matin et ses supports. Comment
sont organisés et fonctionnent les médias de service public?
1
P. Charaudeau, Le discours d’information médiatique, Paris, Ed. Nathan, 1997, p.71.
15
d’embuches. Chacun de nous doit en être pleinement
conscient et développer de nouvelles valeurs qui auront
pour noms travail, intégrité, compétence. Il nous suffit de
regarder les pays qui ont émergé ou sont sur le point de
le faire pour comprendre les efforts qui nous sont
demandés et les valeurs que doivent porter les peuples et
leurs leaders. Les pays émergents sont ceux des peuples
qui travaillent et des dirigeants qui cultivent la vertu1 ».
1
Editorial de Venance KONON, in Fraternité Matin du Mercredi 13 janvier 2016.
2
In Le Patriote, numéro 5292 du mardi 1er aout 2017, pp 3-4.
3
In le quotidien L’Expression, numéro 2432 du jeudi 21 décembre 2017, p.9.
16
images et leurs supports. Cette cohérence optimise la réceptivité, la
compréhension, et la mémorisation des messages par les destinataires.
En Côte d’Ivoire, les affiches publicitaires rivalisent de taille et de
forme. Tous les grands artères, les grands carrefours, plusieurs immeubles,
des véhicules de transport en commun, etc. sont utilisés comme supports
pour les affiches. L’affiche constitue ici, un système de communication de
masse par diffusion basé sur image commentée, plane, collée sur une
surface exposée au regard du passant. Toutes les grandes réalisations, les
projets d’infrastructures et toutes autres activités de l’État de Côte d’Ivoire
en vue de l’émergence, sont présentées sur de grandes affiches en termes
de publicité institutionnelle. De l’avis d’Abraham Moles (1969), l’image est
saisie instantanément dans l’affiche, et c’est le point fondamental. Sur
cette base de simplification s’est construit alors un nouveau code des
symboles, et, par là, un langage des images. La dimension esthétique
donne à l’affiche son autonomie psychologique. Les gouvernants l’ayant
bien compris, ne s’en privent pas.
Les grandes affiches de l’État de Côte d’Ivoire où il est souvent écrit
en lettre d’or « L’État travaille pour vous », en terme de message, construit
des réflexes conditionnés, des slogans, et des stéréotypes qui s’impriment
dans la culture individuelle et, par-là prennent une valeur autonome,
indépendante, de leur sujet. En stratégie de communication de masse, cela
constitue un matraquage psychologique de grande envergure.
17
2.4- Les chaînes de télévision publiques nationales, véritables
médias démonstratifs et visuels vers le peuple
Trois chaînes publiques de télévision existent en Côte d’Ivoire.
RTI 1 de son slogan, « La chaîne qui rassemble », est une chaîne
généraliste à vocation nationale et régionale. RTI 1 est diffusée par satellite
sur l’ensemble du territoire et par faisceaux hertziens à Abidjan. RTI 1
couvre près de 75% du territoire national et émet à partir de 25 émetteurs
TV repartis sur le territoire national. RTI 1, c’est 21 heures de programmes
journaliers avec un éventail de genres. Trois grandes éditions du journal
télévisé sont à distinguer : 13 heures, 20 heures et 23 heures. A celles-ci
s’ajoutent deux (2) flashs quotidiens à 10h et 18h. En termes d’audience,
RTI 1 occupe une bonne place avec 1.704.760 téléspectateurs par jour
selon un sondage en 2012 de TNS Sofres.
RTI2 qui a pour slogan « Un autre regard », est une chaîne de
télévision mini-généraliste qui couvrait environ 150 kilomètres dans le
rayon de la capitale ivoirienne Abidjan. Depuis le début de l’année 2014, la
zone de couverture de RTI2 s’est étendue peu à peu à tout le territoire
national. Aujourd’hui de l’Est à l’Ouest et du Nord au Centre de la Côte
d’Ivoire, nous retrouvons RTI 2 par réseau hertzien. Chaîne à vocation
culturelle, RTI 2 est la vitrine des valeurs traditionnelles, des faits de société
et des préoccupations quotidiennes des ivoiriens et principalement des
jeunes et des femmes. La chaîne est quotidiennement alimentée par divers
programmes composés des éditions du journal, de documentaires, de
fictions et de productions nationales. Le journal télévisé comporte deux
éditions d’une durée de 15 minutes chacune : 12h 30, 19h 30 auxquelles il
faut ajouter le JT (Journal Télévisé) en images de 6h 30 et 2 flashes
d’information, 30 minutes avant les deux éditions susmentionnées. Depuis
avril 2013, la chaine RTI 2 est reçue par satellite à l'étranger grâce à un
partenariat entre Canal Satellite et le Groupe RTI.
RTI Bouaké, « La chaîne de la nouvelle vision » est la troisième chaine
de télévision publique ivoirienne. RTI Bouaké (Radio Bouaké et TV Bouaké)
dont les activités avaient été interrompues en 2002) a recommencé à
émettre depuis le 29 décembre 2011. Pour une question de célérité, cette
station régionale est souvent sollicitée pour effectuer des reportages
d’intérêt national qu’elle traite et met ensuite à la disposition des chaînes
basées à Abidjan.
Dans le cadre de leur fonctionnement, ces médias de service et ceux qui
ont un statut privé, sont régis par des règles d’éthique et de déontologie
18
Deux instances de régulations médiatiques de l’État sont en charge
de la gestion quotidienne et de ces moyens d’information et de
communication. Il s’agit entre autres de la HACA (Haute Autorité de la
Communication Audiovisuelle) et du CNP (Conseil National de la Presse).
Parmi ces instances de régulation l’on note une instance d’autorégulation à
savoir l’OLPED (Observatoire de la Liberté de la Presse de l’Éthique et de la
Déontologie) et des organisations interprofessionnelles telles, l’UNJCI
(Union Nationale des Journalistes de Côte d’Ivoire), le GEPCI (Groupement
des Editeurs de Presse de Côte d’Ivoire), etc.
La mainmise de l’État sur les instances de régulation des médias et
les prérogatives qui leur sont assignées ne garantit pas à notre sens la
liberté de la presse surtout, la presse proche de l’opposition. Il n’est pas
rare de voir des organes de presse écrite proche des partis politiques de
l’opposition être suspendu assorti des peines d’amande pour non
observation des principes d’éthiques et de déontologie du métier de
journaliste. Paradoxalement, chaque régime adopte la même attitude. Les
manquements à travers la presse écrite en Côte d’Ivoire sont présents dans
tous les journaux. Mais, les sanctions sont souvent prises à l’encontre des
seuls journaux de l’opposition.
Les chaînes de radio et de télévision publiques ne sont pas
accessibles aux partis politiques de l’opposition en dehors des périodes
électorales, notamment les élections présidentielles. Toutes ces situations
ne permettent pas aux citoyens dans leur grande majorité de participer au
débat public à travers les médias de service public. Face au pouvoir
répréhensible des instances de régulation des médias, les instances
d’autorégulation et les associations interprofessionnelles des médias n’ont
aucun pouvoir coercitif. Mieux ils sont réduits en un tribunal moral qui ne
fait que, interpeller et rappeler la bonne conduite à tenir. Dans ces
conditions, les médias d’État sont les seuls à jouir de tous les privilèges
sans se soumettre aux règles édictées par les instances de régulation, à
telle enseigne que le traitement des informations d’utilité publique telle
que celle concernant l’émergence ne sont pas soumis à un examen critique
ou encore à d’autres appréciations de validation de son exactitude. Alors
que lorsque des médias exercent dans de telles conditions ils s’adonnent
forcément à la propagande et des abus certains.
1- Facteur politique
Le premier des facteurs les plus déterminants pouvant conduire la
nation ivoirienne à l’émergence à l’horizon 2020 reste de manière presque
19
indiscutable le facteur sociopolitique. Pour tous les observateurs de la vie
politique ivoirienne, pour atteindre l’émergence, le climat politique du pays
doit être considérablement apaisé. Mieux encore, l’État de droit ainsi que
les libertés individuelles et collectives doivent être une véritable réalité. En
Côte d’Ivoire, malgré les efforts du gouvernement, la situation politique
reste encore délétère. Les partis politiques de l’opposition rament à
contre-courant des décisions et de la gouvernance de l’État. Il n’y a pas de
véritable dialogue politique entre les gouvernants, la société civile et les
partis politiques de l’opposition. Plusieurs sujets sur le plan politique
restent des points de discorde. Nous en voulons pour preuve les récentes
élections sénatoriales. Les partis politiques de l’opposition n’ont pas pris
part à cette joute électorale qui s’est déroulée. Mieux, les partis de
l’opposition ont retiré leurs représentants de la CEI (Commission
Électorale Indépendante), instance chargée de l’organisation de toutes les
élections au plan national. Tout cela dans l’indifférence totale des
gouvernants. La presse écrite proche de l’opposition est régulièrement
sanctionnée par le CNP (Conseil National de la Presse). Les ondes de la
télévision publique ne sont pas accessibles aux partis politiques de
l’opposition en dehors des périodes de l’élection présidentielle. De l’avis de
Sonon Stéphane (2010), « La liberté de communication des pensées et des
opinions et son corollaire du droit à l’information, est l’un des droits les plus
précieux de l’Homme. Elle est le fondement de la démocratie. » En Côte
d’Ivoire, ce chantier reste en friche. Cependant, on peut être considéré
comme un pays émergent sans pour autant respecter ces critères
démocratiques. C’est le cas par exemple de la Chine ou de la Russie, pour
ne citer que ces deux nations emblématiques. La Côte d’Ivoire pourrait-elle
bénéficier de cette opportunité ? Rien n’est moins sûr.
2- Facteur économique
Aujourd’hui, l’émergence d’une nation se voit, se mesure ou se
considère essentiellement par son poids économique au niveau
international. Selon Françoise Lemoine dans «L’émergence des BRIC »
(Cahiers français n° 357 juillet-août 2010, La Documentation française), «
L’étude [de la banque américaine Goldman Sachs] montrait que la
croissance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa/Afrique du
Sud), conjuguée à l’appréciation de leur monnaie, entraînerait un
renforcement de leur poids économique et une modification des rapports de
force dans le monde d’ici 2050 ». Ce poids économique dans l’économie
mondiale donne de fait, une forme de respectabilité et de toute puissance
dans les négociations internationales, en dépit des droits humains qui ne
sont pas très souvent respectés. Alors, en Côte d’Ivoire, le gouvernement
tente tant bien que mal de mettre en place de nouveaux mécanismes et
outils de développement économique afin de favoriser les conditions de
cette émergence. La diplomatie économique mise en place par le
gouvernement semble donner de bons résultats, reste maintenant
l’épineuse question de la répartition équitable des fruits de la croissance
entre les différentes régions du pays, mieux, les différentes couches des
20
populations. La Côte d’Ivoire a abrité du 29 au 30 novembre 2017 le 5ème
Sommet Union Africaine/Union Européenne. À cette occasion, le pays a mis
en avant son embellie économique et sociale. Mais il faut dire que le
quotidien de l’ivoirien ne rime pas toujours avec ces beaux discours qui ont
été tenus à cette rencontre. Il faut signifier que le coût de la vie devient
de plus en plus cher en Côte d’Ivoire. Malgré quelques prouesses
économiques réalisées par le pays depuis la fin de la crise post-électorale,
la majeure partie de la population vit encore sous le seuil de la pauvreté.
Des ménages peinent encore à s’assurer les trois repas par jour. Dans ces
conditions, plusieurs questions restent en suspens à propos de l’effectivité
de l’émergence du pays à l’horizon 2020.
3- Facteur social
Pour le Chef de l’État ivoirien, lors de l’entretien qu’il a accordé à la
presse, il a dit en substance que la notion d’émergence est aussi et avant
tout relative à un sentiment de bien-être social. Cela doit nécessairement
engendrer la réduction considérable de la pauvreté, du chômage de masse,
de la mortalité infantile, des grandes endémies, de l’illettrisme etc. Pour les
grandes institutions financières internationales qui déterminent les critères
de qualification d’une nation dite émergente, la dimension économique qui
engendre de fait le développement du pays reste le principal élément
d’appréciation. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, le facteur social qui
s’organise autour de valeurs idéologiques, religieuses, politiques et
ethniques peut jouer un rôle déterminant dans les conditions favorisant
l’émergence du pays en 2020. Au plan social, plusieurs difficultés émaillent
le chemin de l’émergence. Des revendications sociales, des mouvements
de grèves intempestives dans de la fonction publique notamment, le
secteur éducation et le corps préfectoral, les forces armées, etc. Le tissu
social reste toujours fragmenté du fait de la crise post-électorale avec son
corollaire de prisonniers politiques, d’exilés internes et externes. Tout un
décor qui rassure sur le sentiment de pessimisme par rapport à ce projet
d’émergence.
4- Facteur culturel
Quoi qu’on puisse en penser, les arts et la culture de manière
générale sont également des éléments de développement non seulement
intellectuel, moral, social et économique. Dans certains pays tels que les
USA, la France, le Canada, l’industrie créatrice ou artistique représente une
véritable force économique et de développement. En Côte d’Ivoire, ce
n’est pas encore le cas. Et pourtant, pour les Occidentaux, l’Afrique est le
berceau, la source de toute inspiration et création artistique. À nous
désormais de repenser notre conception de l’art et de la culture comme un
facteur de développement et de richesse à divers niveaux, dans la
perspective d’une émergence en 2020, de manière réjouissante et créative
à partir de nos propres richesses culturelles.
Toutes ces belles idées et bonnes intentions au sujet de l’émergence
de la Côte d’Ivoire sont présentes de façon quasi permanente dans les
21
discours de tous les gouvernants et hommes politiques proches du Chef de
l’État ou de la coalition RHDP au pouvoir en Côte d’Ivoire. Les médias de
service public dans toute leur diversité en sont le relais obligatoire vers le
peuple ivoirien et le monde entier. L’industrie culturelle dont parlent tant
les gouvernants n’existe que dans les discours politiques. La réalité des
faits est toute autre. Il n’y a pas pour l’heure une véritable politique
culturelle mise en place qui garantisse la sauvegarde et la préservation des
objets, faits, manifestations, valeurs culturelles ivoiriennes. Ce pan de
l’émergence peut faire défaut au moment venu.
22
L’État de Côte d’Ivoire utilise ce réseau de communication pour la diffusion
des informations à propos de l’émergence. Ces outils instaurent une
relation entre l’État et les populations et cette relation reste subordonnée
au respect de l’audience ; voire ceux qui lisent, écoutent, regardent et
communiquent à travers ces outils.
23
Tous ces problèmes que nous avons évoqués, causent
inéluctablement la spirale du silence chez ces populations dans la mesure
où ces personnes constatent que leur opinion ne correspond pas à
l’opinion légitime (porté par les médias). Elles quittent donc l’espace public
et se réfugient dans leur espace privé. Les médias ont une part de
responsabilité significative dans ce mécanisme non seulement parce qu’ils
représentent la source essentielle d’informations et connaissances, mais
aussi en raison de la complicité entre les journalistes et l’information à
diffuser. Au final, nous disons que cette théorie, « la spirale du silence »
établit à n’en point douter une relation complexe entre individu, médias et
opinion publique. Elle s’appuie en effet sur une base empirique élaborée,
elle a aussi marqué le retour d’une conception des médias qui leur
attribue de puissants effets.
24
société de communication etc. Le terme est ainsi polysémique et son sens
extensif. Mais ipso facto, il est sémantiquement peu explicite. Comme le
souligne Yves Winkin (1999), « Le pari est de chercher malgré tout à faire
de la notion de communication un instrument de pensée pour permettre la
recherche empirique et l’analyse de la vie sociale».
Bien sûr, beaucoup de chantiers restent en souffrance. « Le
gouvernement n’a construit que 6 885 classes sur les 25 000 promises par le
président, et nous attendons toujours la livraison des nouvelles universités
», indique Antoine Assalé Tiemoko, fondateur du bihebdomadaire
L’Éléphant déchaîné, un magazine privé indépendant. Le chemin sera
encore long avant que l’éléphant ivoirien n’atteigne la promesse de
l’émergence à l’horizon 2020. Pour calmer les impatients, les autorités
savent qu’elles doivent multiplier les prises de parole, car les bénéfices de
tous ces travaux sont loin d’être palpables pour la grande majorité des
Ivoiriens. Ces prises de parole ne manquent pas. C’est ici qu’intervient la
théorie fonctionnaliste de la communication. Cette théorie s’intéresse aux
conséquences des phénomènes sociaux. Elle met un accent particulier sur
les besoins d’une société. Bien entendu, la société est considérée et
envisagée comme un ensemble de parties liées entre elles, les médias
étant une des parties et chacune contribuant à l’ensemble, Toute chose
qui fait dire aux sceptiques que la promesse de l’émergence, plus qu’un
programme de gouvernement, est un slogan politique, mieux, une
propagande politique.
Il n’est un secret pour personne que chaque message émis est
porteur d’information et qu’en tant que tel, il tente de nous persuader,
autrement dit d’agir sur nos comportements. Dans les messages
publicitaires, cet aspect apparait de manière évidente et ne choque guère.
A l’inverse, le message politique est ipso facto frappé du sceau de la
manipulation -bien que l’objectif soit le même- Les médias quoi qu’on en
dise ne sont pas de simples véhicules d’information ; d’une part, ils
fournissent les canaux à travers lesquels des acteurs politiques peuvent
diffuser leurs messages, d’autre part, ils permettent aux éditorialistes de
choisir parmi les informations et de produire des analyses confirmant leurs
engagements politiques. Ces pratiques journalistiques mettent en cause la
neutralité et l’indépendance de ces médias. En Côte d’Ivoire, cette pratique
est légion et presque toute la presse quotidienne d’information générale
s’y adonnent aux mépris des règles d’éthique et de déontologie de la
profession journalistique.
25
CONCLUSION
1
Le Masurier J., « Vers une démocratie administrative : du refus d’informer au droit
d’être informé » RDP 1980, pp 1239-1269.
26
hypothèses mais en même temps, s’il dit quelque chose de différent du
discours des acteurs, des hommes politiques ou des journalistes, il perçoit
immédiatement une forte résistance… C’est un peu le double lien, « Aidez-
nous à mieux comprendre ce qui se passe, mais surtout ne dites autre chose
que ce que nous voulons entendre ».
La Cote d’Ivoire reste encore marquée par les stigmates de la guerre
qu’elle a connue. Elle peine à colmater les brèches. L’État fait de tout son
possible pour faire face aux nombreuses difficultés.
La situation socio politique dans la zone ouest africaine dont fait
partie la Côte d’Ivoire est précaire. Le Nigéria et le Mali sont en proie au
terrorisme, qui est aux portes de la Côte d’Ivoire. Les premiers attentats
ont déjà eu lieu, et malheureusement, ça risque de briser la Côte d’Ivoire
dans son élan. L’instabilité régionale risque d’être un frein mortel pour
l’économie ivoirienne. Dans ces conditions, la Côte d’Ivoire est-elle
susceptible de jouer un rôle de premier plan dans l’économie mondiale
d’ici à 2020 comme le stipule la définition et les caractéristiques d’un État
émergent ? Nous le disons tout net, l’émergence de la Côte d’Ivoire à
l’horizon 2020 tant prôné par les actuels gouvernants est un leurre, un
mirage, une utopie. Beaucoup trop de choses restent à faire et à parfaire.
L’émergence est un projet de grande envergure qui ne saurait se réaliser
au détour d’un propos de campagne électorale à des finalités
propagandistes.
BIBLIOGRAPHIE
27
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Armand Colin, 2ème édition.
MOLES A. (1969), L’affiche dans la société urbaine, Paris, Dunod
In: Communication et langages, n°4, pp. 73-82.
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l’heuristique, MEI, numéro 10, p. 43-51.
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Mai 2018 à 07 H 16 mn.
- http://fr.wikipedia.org/wiki/pays%C3%A9mergent, consulté le jeudi 24
Mai 2018 à 07 H 30 mn.
- http://www.lementor.net/?p=5645, site visité le jeudi 24 Juin 2018, à 9H
56 mn.
28
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.29-41 ISSN : 2226-5503
Abstract
Full digitization, quantification and commercialization of life are established, supported by
the ever-increasing power of computational data processing systems. In this context, we
question the ecosystem of connected objects and related issues; aspects of tracing,
intrusiveness and ethical aspects. The aim is therefore to capture the components of
computer tracing; to make an efficient reading of its transparency in terms of
opportunities and its opacity in the sense of occult exploitation. The literature research
and joint survey focused on the multiplicity of connecting entities, opportunities related to
products and services offered, tracing strategies, social control registers, data exploitation
guidelines, and security and social issues
Key words: entitie, tracing, transparency, opacity
29
INTRODUCTION
30
proximité en vue d'avoir des informations sur leurs pratiques d’utilisation.
Chaque strate de 2 répondants est utilisée comme échantillon élémentaire
(Miller, 2001) sur 35 strates. Les données collectées à partir des variables
retenues ont été analysées pour faire ressortir les tendances essentielles à
l'étude et organiser la réflexion articulée autour de la transparence opaque
en quatre axes : i) l'écosystème des entités communicantes et les enjeux
afférents ii) les stratégies de traçage et les registres de contrôle social iii)
l'orientation de l'exploitation des données massives iv) les enjeux
sécuritaires et sociaux.
Les enjeux liés à ces données massives sont si importants que les firmes
recourent au "traçage consenti et au reprofilage diffus, invisible et continu
des individus, usagers des espaces médiatisés" (Carré et Panico, 2010) pour
les faire mener une vie algorithmique à des fins de contrôle social.
31
; mais, notre enquête révèle que 90% des citadins disposent d'un
smartphone et 98% des étudiants en possèdent. Nos investigations
montrent que certains répondants disposent de tablettes et d'autres de
montres connectées. L'essor du Wi-Fi a permis l'exploitation des objets
connectés qui, il va sans dire continue de donner naissance à des nouveaux
usages (communication enrichie, auto mesure…). Ces innovations
indiquent que des enjeux sont liés aux objets connectés. En dehors des
enjeux commerciaux et économiques qui concernent les entreprises
fabricantes, il faut ajouter les enjeux techniques et sociaux.
Les enjeux techniques réfèrent aux nouveaux savoir-faire que ces objets
connectés permettent d'acquérir, aux nouveaux moyens à maîtriser pour
une utilisation efficiente et efficace. Les enjeux sociaux renvoient aux
compétences individuelles et collectives à développer et à la culture de
réseau à intégrer. Ces enjeux sont si importants (utilité perçue et facilité
d'utilisation) que les utilisateurs se procurent ces objets, services et
s'évertuent à s'approprier techniquement les usages liés ; chacun voulant
se donner la "capacité d'être artisan de son propre contexte" (Scoble et
Shell, 2014 : 9). Soulignons que les objets connectés, munis d'une couche
d'intelligence et de capteurs collectent et fournissent des informations à
d'autres équipements qui alimentent des bases de données dans le cloud
via les réseaux informatiques de communication. Avec ces fonctionnalités,
"ils transmettent continûment aux utilisateurs des données qui élargissent
en même temps qu'elles précisent les contenus des expériences" (Scoble et
Shell, 2014 : 10).
Les informations fournies permettent aux firmes qui les gèrent
d'adapter les services ; deux enjeux, économiques et commerciaux sont
ainsi mis en exergue. Cet échange tout azimut de données pose le
problème des stratégies mises en œuvre par ces firmes et autres
organisation pour gérer les masses d'informations disponibles. C'est l'objet
de la session suivante.
32
des activités diverses. Ces activités réfèrent aux publications, partages,
rencontres, loisirs et les achats. Il leur a été demandé, pour cette étude,
d'apprécier quantitativement les types d'activités selon les dispositifs
utilisés, en les codants sur une échelle de 1 à 5 (tableau 2).
Les valeurs obtenues sont des scores pour chaque types d'activités au
regard du dispositif utilisé. Les résultats du tableau montrent que la valeur
de la moyenne de chacune des trois premières activités est supérieure à la
moitié (2,5) du plus grand score (5). Les activités font donc sens pour les
usagers. De plus, la valeur de l'écart type est inférieure à 1 ; les réponses
sont donc similaires (données homogènes) pour ce qui est des
représentations sociales que les usagers ont des trois premières activités.
Ce sont leurs principales activités sur le dispositif par rapport aux deux
dernières. Les entretiens menés ont montré que les activités des usagers
s'inscrivent dans une démarche individuelle d'appropriation des dispositifs,
des outils numériques et surtout de la visibilité sur le Net. Ils ont affirmé
profiter de ces techniques pour développer une sociabilité sur le web à
partir des outils communicationnels disponibles. Ils ont mis l'accent sur :
- l'acquisition et l'amélioration des compétences numériques ;
- l'initiation des possibilités de collaboration ;
- les choix d'amis et la construction de lien social en ligne ;
- la publication de contenu ;
- le partage de vidéos, de photos et de services ;
- l'achat de produits et services en ligne ;
- les loisirs ou jeux en ligne.
33
professionnels se constituent, échangeant des informations sensibles et
diverses pour atteindre souvent une certaines audience.
L'exposition des formes de réussite, de notoriété sont devenues des
stratégies relationnelles et de confiance. C'est un « 'soi exprimé', un 'soi
textualisé' qui se donne à lire, à écouter dans la multitude des billets postés
au travers de ces 'technologies du soi' » (Allard, 2007 : 58). Ainsi, les
gratifications résultant des services personnalisés ainsi que la
"médiatisation de soi" et la "publicisation des actions" (Carré et Panico,
2010) amènent les usagers à rendre transparentes leurs vies.
3- Les cookies
"En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation
de cookies permettant d'améliorer votre expérience utilisateur" ; phrase
récurrente sur les sites où des offres gratuites sont proposées, elle illustre
une stratégie de traçage très dissimulée. Ce sont des fichiers cachés qui
permettent à des sites de surveiller notre déplacement sur le Net. 70% des
usagers que nous avons interrogé ne savent pas ce qu'est un cookie ; ceux
qui ont vu le message se sont empressé d'accepter puisqu'ils voulaient
"améliorer leur expérience utilisateur" ou accéder au site ou encore obtenir
le document à télécharger gratuitement. L'acceptation des cookies
automatise la captation des traces des usagers sur les sites visités. L'usager
devient acteur de la production des traces sous le prétexte de gratification.
Au total, la motivation des usagers est fortement liée aux avantages
perçus principalement dans les activités telles que la publication des
contenus, la gestion des rencontres et secondairement dans les loisirs et
les achats. Au cours des entretiens, des répondants ont énuméré les motifs
suivants qui justifient la conduite de ces activités : la facilité d'utilisation,
l'autonomie, la satisfaction, la notoriété et l'utilité perçue. Il leur a ensuite
été demandé comme précédemment d'apprécier ces avantages perçus en
les codant sur une échelle de 1 à 5 (Tableau3).
34
Tableau 3 : Motivations d'utilisation des dispositifs.
Les valeurs obtenues sont des scores pour chaque type d'avantage
perçu. Les résultats du tableau montrent que la valeur de la moyenne des
motifs "satisfaction" et "utilité" est supérieure à la moitié (2,5) du plus
grand score (5). Les motifs font donc sens pour les usagers. De plus, la
valeur de l'écart type de chacun des deux motifs est inférieure à 1 ; les
réponses sont donc similaires (données homogènes) pour ce qui est de
l'importance que les usagers accordent à leurs choix. Ce sont les deux
principaux motifs ; les trois autres sont secondaires sans être négligeables.
Ces motifs réfèrent aux valeurs et croyances partagées par les usagers en
tant que groupe social. Ils ont socialement construit un savoir ordinaire
reposant sur les interactions en ligne par le biais des entités
communicantes. En privilégiant les publications, le partage, la gestion des
rencontres, ils élaborent une vision commune des pratiques d'utilisation
voire des représentations sociales de leurs pratiques. Ces représentations
sociales permettent de comprendre l'adoption des technologies et les
logiques d'usage qui s'en suivent comme mis en évidence dans le "modèle
d'adoption des technologies" (TAM). Selon les auteurs du modèle,
plusieurs variables dont "l'utilité perçue" et la "facilité d'utilisation"
déterminent l'acceptation de la technologie.
Les pratiques d'utilisation des usagers renvoient effectivement aux
"utilités perçues" et au "sentiment d'efficacité personnelle" face aux
technologies comme indiqués sur la figure 1 (page suivante). Les motifs
cités par les répondants au cours de l'entretien font partie des variables qui
déterminent l'intention d'utilisation de la technologie.
35
Figure 1 : Technology Acceptance Model 3. Venkatesh et Bala (2008).
36
recueille des informations sans recourir à la contrainte. Les stratégies mises
en œuvre font des sujets enquêtés des parties prenantes activement
contributives de ce traçage à leur corps défendant. Ce sont des modalités
cognitives et psychiques qu'utilise le contrôle social pour amener les
usagers des espaces médiatisés à un traçage consenti et un reprofilage
diffus. La production de données rendus visibles et à la portée de tous est
la transparence à laquelle les médias sociaux utilisés massivement nous
incitent tant.
Les usagers ont rendu transparente leur vie par la production de
contenus ignorant que ces "informations sont autant de sources
supplémentaires potentielles pour une surveillance" (Jeannin, 2014). C'est
fort à propos que Wilhelm Carsten (2015) estime important que la position
des dispositifs socio techniques et leurs conditions d'utilisation soient
scrutés en détail ; les utilisateurs rendent leurs vies transparentes mais
n'ont pas de transparence sur l'utilisation des données. Quelles sont ces
utilisations ?
1- Orientations économiques
Yves Citton (2014), caractérise cette orientation par deux pratiques
spécifiques : capter l'attention et vendre l'attention. Il estime que
l'attention des consommateurs est une ressource rare. La captation de
l'attention devient ainsi le premier facteur de profit ; elle s'appuie sur
l'offre gratuite de services et sur les phénomènes d'influence. Vendre
l'attention consiste à l'exploitation des identités numériques au moyen du
profilage renforcé par l'interconnexion des services. La capture des traces
et le croisement des données vont permettre aux professionnels du
marketing de reconstituer l'itinéraire de l'usager pour lui proposer des
offres ciblées. Les clients d'amazone sont bien habitués au message suivant
: "continuer les achats : les clients qui ont déjà acheté ces articles figurant
dans vos dernières commandes, ont également acheté…". Le site
amazon.com à partir des traces disponibles, sollicite régulièrement par
courrier électronique, ses clients pour leur proposer l'achat d'autres
produits susceptibles de leur plaire sur la base d'achats déjà effectués. Cet
exemple montre que les consommateurs transmettent des données sur
leurs goûts d'achat, ignorant que ces données seraient exploitées par des
entreprises pour "alimenter une chaîne de consommation". Carré et Panico
(2011) expliquent que le but escompté est d'anticiper les besoins de
chaque consommateur pour proposer une offre d'achat par courriel en
adéquation avec ce qu'il est censé recherché (Carré et Panico, 2011). C'est
un cas type de transparence opaque ou transparence à sens unique selon
les termes de Wilhelm Carsten (2015).
37
2- Orientation institutionnelle
Les services de renseignement, les entreprises privées telles que les
"Databrokers" se confondent dans leurs méthodes, leurs outils et
fusionnent de plus en plus pour disposer de données sur les usagers. Le cas
des fichiers d'abonnés aux réseaux téléphoniques en Côte d'Ivoire en est
une preuve. L'opération d'identification exigée par l'Etat est menée par les
maisons de téléphonie mobile qui exigent la fourniture d'informations
sensibles contenues sur la pièce d'identité. De plus, les abonnés à la
connexion Internet avec ces mêmes maisons de téléphonie mobile,
fournissent des informations additionnelles liées à leur identité numérique.
C'est un cas de panoptique numérique à propos duquel Byung-Chul (2015)
note que c'est une société de transparence psychopolitique. Ce nouveau
pouvoir peut lire et contrôler les pensées grâce à la surveillance
numérique. Selon l'auteur, "le psychopolitique numérique s'empare du
comportement social des masses" à leur insu. C'est une transparence
opaque. Ces nouveaux contextes ont fait "passer la transparence de
l'information vers les corps informatisés rendant ceux-ci plus visibles et
disponibles aux structures du pouvoir" (Jeannin, 2014 : 55). C'est avec
justesse que l'auteur ajoute :
« Cette transparence met toutefois à mal la notion d'identité,
et une perte de contrôle de l'individu sur soi. En effet, celui-ci
ne sait généralement pas comment, où, par qui, pendant
combien de temps, pour quelle finalité les informations
dérivées du corps seront utilisées. Il ignore les pratiques réelles
auxquelles elles donnent lieu… ». (Jeannin, 2014 : 61).
38
CONCLUSION
39
BIBLIOGRAPHIE
40
bouleversent notre environnement, objets connectés,
géolocalisation, Big Data et capteurs, Les Editions
Diateino, Paris 2014, 286 p.
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Yves Citton, L'économie de l'attention, La Découverte, Col. « Sciences
humaines », Paris, 2014, 250 p.
41
Arts
42
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.43-60 ISSN : 2226-5503
Résumé:
L’Afrique, depuis la période précoloniale, s’est toujours appuyée sur un ensemble des
valeurs et des normes s’articulant autour des mœurs, des coutumes, des traditions et des
habitudes, dont l’Art et les Croyances religieuses constituent les repères essentiels. A la
base, la religion a servi de support culturel et de source d’inspiration à l’activité artistique ;
Mais l’Art, par la même occasion, dans ses fonctions de moyen d’expression et de
communication, s’est désolidarisé progressivement des croyances religieuses ancestrales,
suite aux influences culturelles occidentales. Une telle rupture, occasionnant l’immixtion
extérieure, va davantage favoriser l’esprit d’acculturation chez les Africains face à
l’adoption des normes nouvelles de création artistique, gages d’évolution.
Mots-clés : Croyances, religion, art, Afrique, culture, norme, mœurs, coutumes, tradition.
Summary:
Since the pre-colonial period, Africa has always relied on a set of values and norms based
on customs, customs, traditions and customs, of which Art and Religious Beliefs are the
essential reference points. Basically, religion served as a cultural medium and a source of
inspiration for artistic activity; But Art, at the same time, in its functions of means of
expression and communication, has gradually dissociated itself from ancestral religious
beliefs, following Western cultural influences. Such a rupture, occasioning external
interference, will further favor the spirit of acculturation among Africans in the face of the
adoption of new norms of artistic creation, guarantees of evolution.
Keywords: Beliefs, religion, art, Africa, culture, norm, customs, customs, tradition
43
INTRODUCTION
44
toutes les Nations de la sous-région continentale. L’Art ne semble guère en
être épargné, les produits récents demeurent de véritables illustrations.
45
vie en société, mais également toutes les activités qui y sont réalisées, à
l’exemple de l’art.
En effet, la fonction principale de la religion traditionnelle
dénommée culte de l’ancêtre, dont l’art a pour mission de servir de support
et de moyen de communication, n’est rien d’autre que le bonheur des
sociétés humaines à travers les relations spirituelles, inter-cosmiques et
mystiques mettant en dialogue, de façon harmonieuse, les différents êtres,
quelle que soit leur nature véritable. Une identification personnalisée à ce
niveau est souvent très complexe, car toutes les forces de la nature ne sont
pas forcément des êtres perceptibles physiquement, beaucoup n’ont pas
de corps matériels, en parlant des esprits, même si les artistes s’efforcent
de leur attribuer une enveloppe corporelle sous l’effigie de masque
surtout, de statuette ou d’autre chose. Toujours est-il que l’artiste, en tant
que créateur, n’invente pas à son gré les personnages des œuvres qu’il
crée, sans s’imprégner préalablement du contenu
sémantique des discours extirpés des contes, mythes et légendes, datant
de plusieurs millénaires, dont l’art de transmission passe de génération en
génération. Conformément aux prérogatives religieuses, c’est la religion
qui oriente le travail de l’artiste en lui dictant la conduite à tenir, surtout la
nature des objets à créer par rapport aux rituels dont ils devront servir soit
d’habitacles pour les esprits vénérés, soit de reliques cultuelles, en tant
que support et instrument d’usage liturgique.
Ainsi en rapprochant, mieux encore, en identifiant l’art négro-
africain à la religion, l’Africain a conscience qu’à travers les innombrables
discours sacrés qui supplantent l’acte liturgique à proprement parler, dont
les différentes ramifications touchent aussi bien les questions
archéologiques qu’anthropologiques, il apprend à mieux se connaître, a
connaître son histoire et celles de son ascendance tribale et clanique. Par
l’action religieuse, l’art négro-africain devient une possibilité
d’épanouissement pour le sujet qui, comme le souligne Mveng, s’auto-
découvre à travers ce qu’il découvre sur l’histoire de sa communauté et de
son lignage. Selon E. Mveng (1966 pp. 10-11), en effet :
46
ancestrale négro-africaine, tout message émane du culte, et ce message
touche à la vie des sociétés autochtones de manière générale ; d’où, E.
Mveng (1966, p. 16) estime que « l’art nègre ne raconte pas seulement
l’histoire de nos peuples ; il ne célèbre pas seulement leurs liturgies. Il nous
découvre leur organisation et leurs structures. »
C’est à croire que n’inventant rien, en termes de contenu, l’artiste
se met donc au service de la religion, en attribuant à ses créations une
fonction liturgique de relique et de support spirituel comme on en voit
avec les statuettes Byéri des peuples Fang du Gabon et de la Guinée-
Equatoriale, ainsi que chez les Bétis du Cameroun. Il est question, en
parlant du byéri, à la fois d’un art et d’un culte ancestral à usage privé et
familial, consacré à la sollicitude des grâces d’un ancêtre bien précis, en cas
de soucis importants au sein de la communauté. Pour une compréhension
plus complète, il est préférable de ne pas dissocier l’art byéri du culte byéri,
étant donné que l’un ne va pas sans l’autre, il n’y as pas de culte sans la
statuette de l’ancêtre qui est justement le personnage principal à qui
l’hommage est voué, selon les prérogatives religieuses et traditionnelles en
vigueur en société fang. Aussi, sans le rituel de reconnaissance et de
consécration, l’Ancêtre serait simplement oublié des mémoires de ses
descendants, ce qui aurait, sans aucun doute, pour conséquence de le
bannir de l’univers des croyances locales.
En somme, si l’art a pour rôle de redonner symboliquement un
corps à l’Ancêtre décédé, au moyen de la sculpture, le culte religieux, par
ailleurs, lui redonne une âme vivante, de manière à ce qu’il retrouve
toujours sa place d’honneur auprès des siens, ne fut ce qu’en pensée ou
encore à travers la foi qui est régulièrement exprimée dans la pratique du
byéri.
2- Du culte de l’ancêtre
Pour J.B. Bacquart (2010, p. 9), le culte religieux est sans aucun
doute la preuve de l’authenticité d’une œuvre d’art africaine. Il dit
clairement ce qui suit :
47
Les religions négro-africaines ne sont nullement déistes, même si
les Africains ont toujours eu bel et bien conscience de l’existence d’un Etre
Suprême et invisible qui n’est en aucune façon différent du Dieu chrétien
ou d’Allah musulman, que les peuples nomment diversement Nyambi,
Nzambe, Nzame, etc. Il ne s’agit pas d’un héritage de la colonisation et
encore moins d’une création moderne issue du contact de l’Afrique avec
les peuples occidentaux. Le terme de « culte de l’ancêtre » signifie tout
simplement que les Africains n’adressent jamais directement leurs
doléances et leurs prières à Dieu en tant qu’Etre Suprême, ils procèdent
plutôt par système d’intermédiaires qui sont éventuellement les Ancêtres.
Ces derniers ont pour mission d’écouter les problèmes des vivants et de les
transmettre aux plus hautes sphères afin d’y espérer trouver des solutions
idoines et pérennes, puisque un rituel dans le cadre du culte religieux
ancestral, interpelle la clémence aussi bien des ancêtres que des esprits et
de toutes les potentielles forces en présence. Jugés aussi bien proches des
vivants, des morts que de la Force Suprême par excellence, les Ancêtres
semblent être les mieux situés, à l’intersection de divers univers inter-
cosmiques, ils demeurent sans nul doute de réels intermédiaires entre les
uns et les autres, quelle que soit leur différence de nature.
Loin d’être une secte païenne comme le pensent les partisans du
christianisme, le culte de l’ancêtre n’a rien d’une pratique fétichiste
rassemblant des marabouts ou autres sorciers, c’est un mode de
fonctionnement très ancien, dont la particularité est de rendre hommage
aux ancêtres et aux morts pour leurs services rendus à la communauté. En
aucun moment l’Ancêtre est pris pour Dieu, la distinction étant claire,
aucune confusion ne peut être envisageable ; pour un Fang par exemple,
un Byéri reste un Byéri, Nzame reste Nzame. Sinon, comment pourrait-il
être possible de confondre une créature de son créateur, n’est-ce point
méconnaître l’essentiel de ses propres croyances à soi ? C’est une
profanation impardonnable pour tout Africain à une quelconque forme de
culte de consécration, c’est-à-dire à une sorte de baptême cultuel,
relativement aux prédispositions déjà préétablies depuis toujours.
Par ailleurs, à titre d’exemple de culte, le culte Byéri des fangs est
très illustratif, dans le rapport qui existe entre l’art en tant que support
liturgique et le culte à proprement parler dans lequel les objets artistiques
sont utilisés en qualité de relique. En effet, quid du culte du Byéri ?
48
Figure 1 : Photographie de deux statuettes byéri surplombant deux
boites reliquaires
49
montre qu’il est bel et bien question du culte byéri, les statuettes du même
nom repésentant deux ancêtres Fang le confirment ; par contre, la seconde
photographie dont la statuette est originaire des peuples Kotas du Gabon
et du Congo, fait allusion à une obédience religieuse similaire.
En effet, les cultes religieux négro-africains nécessitant la présence
des caissons à ossements humains symboles de la présence de la personne
décédée autrefois, ont pour vocation la célébration d’un hommage
solennel et gratifiant. Le rituel occasionne un contact direct avec l’ancêtre
auprès de qui les doléances de la famille sont adressées sous forme de
prière.
1
Le Ndjobi est une société secrète relevant des croyances traditionnelles négro-africaines,
c’est une obédience appartenant aux peuples Téké du Gabon et du Congo.
50
à savoir les statuettes reliquaires et tous les accessoires de même nature
qui deviennent automatiquement, selon les adeptes du christianisme, des
fétiches voire des objets démoniaques. Cet aspect négatif émane du
rapport existant entre un culte jugé inapproprié et la création et l’usage
d’un art entièrement consacré à la célébration des rituels qui s’y
rapportent, et c’est ainsi que la statuaire traditionnelle est tout de suite
touchée. Déjà depuis la première moitié du siècle précédent, elle était la
forme d’art la plus représentative et la mieux connue de l’art négro-
africain, elle se distingue tout de suite par deux approches essentielles de
conception : la statuaire reliquaire et la sculpture du masque. La première
étant portée sur les effigies des ancêtres devant servir aux cultes religieux
de consécration, elle est délibérément considérée comme étant l’ensemble
d’objets de magie et de sorcellerie, allusion faite aux pratiques des
marabouts et d’autres guérisseurs traditionnels. Quant à la sculpture du
masque, conçue et réalisée en vue d’éduquer et d’influencer les
populations, est le véritable livre des mythologies et des légendes
ancestrales, puisqu’il est question ici de figurer les esprits de toutes sortes.
Par ailleurs, qu’il s’agisse de la statuaire reliquaire ou de la sculpture
du masque, la sentence du Christianisme demeure la même, l’éternel alibi
des objets sans foi et sans esthétique, issus des cultes démoniaques et
barbares à caractère animiste, propres à être purement et simplement
éradiqués ; d’où la nécessité d’une évangélisation urgente et totale des
peuples négro-africains, jusque dans les zones rurales les plus reculées de
l’arrière pays. C’est ainsi que dans certains villages, des prêtres catholiques
organisent au sein de leurs églises, des séances d’expiation et d’exorcisme
consistant à brûler publiquement des amulettes et certains objets d’art de
peu de valeur, sous prétexte de supprimer tout ce qui incarnerait l’esprit
du mal. Malgré la réticence et le mécontentement des premiers chefs
traditionnels depuis la colonisation face à l’implantation du christianisme
sur les terres africaines, la nouvelle religion va progressivement gagner du
terrain jusqu’à devenir une réelle menace pour les religions traditionnelles
locales. J.-M. Elelaghe (2013, p.19) écrit à ce sujet :
Le christianisme se présente comme une machine implacable pour la
destruction de la religion traditionnelle et des assises philosophiques de la
société […] Dans les écoles, on apprend aux jeunes à mépriser les pratiques
sauvages de leurs parents et de leurs ancêtres. L’administration et la
mission conjuguent leurs efforts pour la destruction des organisations
politico-militaires et du culte des ancêtres, les missionnaires sur leur terrain
s’attaquent plus spécialement à ce dernier.
Tout porte à croire que la domination du Christianisme sur le sol
africain devient une évidence, car outre la mission évangélisatrice sans
cesse utilisée comme alibi pour justifier un impérialisme barbare et sans
pitié de la religion occidentale, c’est l’Afrique tout entière qui subit
sévèrement des conséquences énormes tous azimuts. Le patrimoine
culturel est lourdement affecté, en particulier l’activité artistique, dont les
artistes, au même titre que le reste des populations, tendent à changer
leurs habitudes quotidiennes sous l’influence des enseignements
51
catholiques et des prérogatives bibliques. Ils sont interdits de pratiquer un
art de culte représentant des ancêtres et utilisés dans des rituels
traditionnels taxés d’immoraux et d’irréligieux, ils sont donc tenus, au lieu
des ancêtres, de s’inspirer de la démarche de l’art gothique, dont le
contenu et les thématiques s’articulent autour des récits bibliques.
Nouvellement reconvertis et sous la pression des autorités religieuses
catholiques, les artistes sont tenus d’obtempérer et de revoir leurs style,
technique et méthode de travail, surtout la pertinence du contenu de leurs
œuvres futures.
Il s’agit finalement pour les créateurs africains d’oublier les
mythologies, les légendes et les contes anciens au profil de la bible,
l’unique repère de prédilection, vers lequel les catholiques tiennent
absolument à orienter le regard des nègres, et par la même occasion le
travail des artistes. Sur le plan artistique, précisément, les œuvres autrefois
jugées mystiques, à savoir les statuettes ancestrales, les masques
d’incarnation spirituelle et les objets de toutes sortes à usage liturgique,
doivent disparaître au profil de la nouvelle source d’inspiration qu’est la
pensée biblique essentiellement. Cependant, les objets qui peuvent servir
dans des églises catholiques afin de faciliter et de légitimer l’inculturation,
sont récupérés et insérés dans les nouveaux cultes, ce sont en particulier
des instruments de musique, tels les tambours, des clochettes, des sifflets
traditionnels, des sonnailles et divers xylophones.
La musique est si fondamentale dans toute liturgie que J.-B. Obama
et B. Mubesala Lanza (1966, pp. 207-208), pensent que :
L’élément « parole », en tant que verbe poétique et rythmique
chanté, est si capital, si fondamental, qu’il influe sur la facture des tam-
tam, tambour, cloches à double battant, sifflet, etc., pour l’un, et au second
d’en préciser, B. Mubesala Lanza (2006, p.124), que :
Les croyances africaines sont des croyances vécues et non un
quelconque système rigide de pensée ; plus pratiques que spéculatives.
52
L’Eglise St Michel de Nkembo à Libreville, à l’instar de beaucoup
d’autres églises catholiques en Afrique subsaharienne, est une parfaite
illustration du virement opéré par les artistes africains, qui sont passés de
la création des minuscules statuettes à des œuvres surdimensionnées à
valeur architecturale. Et si autrefois le travail d’artiste n’était guère
rémunéré, étant donné qu’il était essentiellement destiné à la création
d’objets du culte de l’ancêtre, et au service donc de toute la communauté
villageoise, la nouvelle foi qu’apporte le Christianisme instaure une vision
du travail récompensé, même au sein de l’Eglise. Ce qui est loin de déplaire
à des populations rurales démunies financièrement, et c’est par ailleurs
une façon d’attirer davantage les artistes qui commencent à comprendre
que grâce à la nouvelle religion, il est possible de travailler et de tirer profil
du fruit de son labeur. Il s’agit pour l’Eglise de s’attirer toutes les bonnes
grâces des populations dont la confiance et la foi sont à conquérir à tout
prix, surtout en leur faisant croire que la nouvelle religion est nettement
mieux pour le salut que leurs croyances animistes.
En effet, les artistes africains vont davantage réaliser des œuvres
pour orner les architectures ecclésiastiques, à l’image de l’église St Michel
de Nkembo, dont la valeur esthétique et artistique relève assurément,
outre de son immensité et de sa simplicité, mais surtout de ses dix
portiques soigneusement sculptés à la main. La structure n’a véritablement
rien de moderne, son charme repose plutôt sur son entrée principale, à
cause justement de ces différents portiques sur lesquels est représenté
l’essentiel du contenu de la bible. Les sculpteurs ont pris le soin, sous le
contrôle du clergé, de faire figurer de façon symbolique chaque détail
important, dans le strict respect de la foi chrétienne.
Par ailleurs, il est nullement question de penser que de la même
façon que les créateurs d’objets négro-africains réalisaient des statuettes
d’ancêtres, ils en feraient autant pour les personnages de la bible. Ils ne
réalisent aucune statuette de Jésus ou de Marie, ce qui serait simplement
une sorte de blasphème, l’orientation de leur art vers de nouvelles sources
d’inspiration sous-entend des nouveaux repères susceptibles d’éradiquer
les normes classiques de conception négro-africaine. Autrefois, la
dimension esthétique des œuvres était secondaire face à l’usage
utilitariste, tandis que la nouvelle orientation tend à mettre en avant-
première la foi et l’idée du beau, de sorte que l’œuvre liturgique soit
attrayante et captivante. La beauté des églises dans l’Afrique
subsaharienne témoigne du sérieux des artistes locaux dans l’exécution des
tâches qui leur sont confiées, surtout le fait de savoir que leurs œuvres
participent à l’hommage aux vertus divines.
53
Figure 4 : sculptures de scènes bibliques
54
compte tenu de sa nature. Pourtant les artistes africains ont tendance à
attribuer une forme physique même à des êtres invisibles, tels les esprits,
au moyen de l’art du masque, conformément aux mythologies et aux
légendes qui reviennent quotidiennement dans la plupart des cultes
religieux et traditionnels. C’est ainsi que les Africains préfèrent simplement
se tourner du côté des ancêtres desquels ils se sentent beaucoup plus
proches, et des cultes d’hommage leur sont ainsi adressés
quotidiennement. D’ailleurs à ce sujet écrit R. Luneau (2004, p. 104):
55
toute évidence, le plus puissant face aux croyances traditionnelles locales,
et aux autorités africaines de reconnaître cette supériorité qu’elles n’ont
pas pu véritablement combattre, bien au contraire, elles ont fini par
faciliter l’impérialisme occidental à travers l’idée de la liturgie.
Toujours est-il que la domination du Christianisme ne pouvait avoir
de conséquence majeure que la rupture pour les artistes d’avec les
croyances traditionnelles négro-africaines, pour la principale raison de
mécréance, de fétichisme et de sorcellerie par opposition à la foi véritable
qu’apporte l’église. Aujourd’hui cette rupture est très évidente, mais
seulement la reconversion qui est toujours en marche ne se fait pas aussi
facilement, les artistes n’étant pas habitués aux enseignements bibliques,
n’ont pas forcément une véritable culture de la bible, dont ils sont
incapables d’en maîtriser les préceptes fondamentaux. Ils semblent agir sur
instructions et orientation du clergé et non par foi ou par conviction,
comme ce fut le cas pour les objets sculpturaux des cultes traditionnels
locaux en l’honneur des ancêtres. Généralement initiés très jeunes, ils
avaient connaissance de toutes les procédures de réalisation et les
motivations liturgiques dont ils connaissaient parfaitement l’importance
pour la famille, le clan et la tribu. Ils étaient conscients que les ancêtres
étaient là pour régler leurs problèmes, ils connaissaient parfaitement le
sens et l’orientation de chaque culte en fonction des soucis exprimés,
puisque les morts ne sont véritablement pas morts, ils sont avec nous,
selon Gwembe et Jahn (1995, p.56). Le premier pense que les morts « sont
seulement partis pour la réunion avec leurs ancêtres, ils nous ont quittés,
se sont retirés, sont allés se reposer, telle est la façon dont de nombreux
Africains l’expriment ».
Et dans la même orientation que Gwebe, Jahn (1958, p.117) écrit :
56
impasse momentanée. Cette période de crise culturelle donnera lieu à des
réalisations artistiques disparates et très désordonnées, dont les œuvres
d’art d’aéroport et autres objets diligemment créés sont mis à la
disposition des touristes et non à destinés aux cultes, quelles que soient les
obédiences. Au lieu d’un art sacré négro-africain ou encore d’inspiration
biblique, il est tout simplement question d’un art païen destiné au grand
public, susceptible de permettre aux artistes de bénéficier de quelques
avantages financiers. C’est d’ailleurs au profit des artistes, qui pourront
désormais prendre conscience de la valeur marchande de leur travail, car
sans véritablement rechercher une gloire financière proprement dite, la
vente de leurs objets auprès des touristes dont la majorité sont des
asiatiques et des occidentaux, semble nettement répondre à leurs
attentes.
L’art africain n’est plus véritablement un pur produit local, c’est-à-
dire imbibé des traditions, des mœurs et de la foi des ancêtres, l’esprit
tribal et clanique a cédé le terrain à toutes sortes de ratiocination, tant du
point de vue stylistique que technique. Le vide culturel a aussitôt entrainé
un vide artistique, d’où les objets destinés à la vente ne constituent qu’un
ensemble de pacotilles, sans intérêt esthétique ou artistique à proprement
parler, parce que fabriqués sans émotion et ni foi certaines. C’est la raison
principale pour laquelle il est destiné au grand public, en l’occurrence aux
touristes qui, généralement, n’ont guère le temps de mieux apprécier les
qualités des objets qu’ils achètent en guise de souvenir de vacances en
Afrique. Et si pour eux ce ne sont que des bibelots, leurs créateurs, par
contre, ne regrettent pas d’avoir un peu d’argent, tant qu’ils peuvent
subvenir à leurs besoins essentiels, ils continueront à créer leurs objets,
même si en réalité, ce n’est pas de l’art africain.
En effet, tous les changements opérés sur l’art africain de
manière générale est sans aucun doute dus en grande partie à l’immixtion
de la foi chrétienne sur le sol africain, la chute des repères artistiques
classiques a favorisé l’émergence d’un art prolixe et sans âme véritable.
C’est un art-charnière entre les cultures traditionnelles négro-africaines et
l’esprit créatif des mouvements artistiques occidentaux, vers lesquels le
Christianisme oriente l’Art négro-africain progressivement depuis les
années des indépendances.
57
de l’art peut désormais se pencher en toute sérénité sur
ces vestiges d’un passé révolu. Maintenant qu’elle est
bien morte, la statuaire africaine peut entrer au Musée
du Louvre par la grande porte. »
58
ceux qui ont cru bon de parler d’un art négro-africain contemporain par
comparaison à l’art occidental. Or copier et imiter ce qui existe n’est plus
de l’art ; aussi, de telles réalisations, bien que faites par les africains, n’a
aucun lien avec la culture, la pensée ou les mœurs des peuples africains. Il
est simplement inadmissible que sous l’étiquette de l’art négro-africain, il
soit créé des objets hybrides susceptibles de ternir l’image du grand art
sacré autrefois respecté. Ce qui amène Sodogandji (1966, p.469) à dire ce
qui suit :
CONCLUSION
59
environnement culturel où l’art se greffe sur les croyances traditionnelles,
le cœur principal de la vie communautaire.
En somme, malgré l’hypothèse d’évolution que certains évoquent
pour légitimer et justifier l’action du Christianisme sur le destin des
sociétés traditionnelles négro-africaines en général et de l’art en
particulier, la rupture d’avec les cultures locales est plutôt une certitude.
Par contre le prétendu art négro-africain contemporain, l’art pictural, n’est
en aucune façon un signe de progrès, l’imitation des courants artistiques
européens est davantage une pratique qui n’honore en rien les artistes
africains qui sont désormais en perte de repère, en fin de compte. Le fait
de détourner les artistes autochtones des croyances traditionnelles,
principales sources d’inspiration en tant que voie de création d’objets
sacrés de culte, à savoir les statuettes, les bracelets, les objets de
décoration, etc., ne signifie pas, non plus, que l’église a pu s’approprier
entièrement l’activité artistique locale. Elle a certes créé la rupture,
cependant elle n’a su bénéficier assez longtemps de cet avantage, les
influences extérieures ont fini par fasciner les artistes en quête de repère
et de nouvelle source d’inspiration. Du coup, la peinture européenne les
séduit et les emporte, et chacun se voit déjà dans la peau de Picasso,
Braque, Matisse, Delaunay, loin des aspirations chrétiennes et des
croyances ancestrales négro-africaines.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Bacquart (J.-B.), Art tribal d’Afrique Noire, Thames & Hudson, Paris, 2010.
Gwembe, « La piété envers les ancêtres dans la religion africaine », dans
Telema 2/95, 1995.
Hampate BA (B), « Animisme en savane africaine » in AA.V.V les religions
africaines traditionnelles, Ed. du Seuil, Paris, 1965.
Jahn (J.), Muntu, L’homme africain et la culture négro-africaine, Paris, seuil,
1958.
Louvel (R), L’Afrique Noire et la différence culturelle, l’Harmattan, Paris,
1996.
Mveng (E.), Signification africaine de l’art, Colloque sur l’Art nègre, 1er
Festival mondial des Arts nègres, Dakar, 1-24 Avril 1966,
Paris, Présence Africaine, 1966.
Mubesala Lanza (B.), in La religion traditionnelle africaine – permanences
et mutations, Paris, l’Harmattan, 2006.
Raponda (W.) et Sillans (R.), Rites et Croyances des peuples du Gabon,
Présence Africaine, Paris, 1962.
Obama (J.-B.), La musique africaine traditionnelle, Colloque sur l’art nègre,
1er Festival mondial des Arts nègres, Tome 1, Dakar, 1-24
avril 1966, Paris, Présence Africaine.
Thomas (L.V.) et Luneau (R.), La terre africaine et ses religions, Harmattan,
Paris, 2004.
Sodogandji (M), A la recherche de l’architecture négro-africaine moderne,
Colloque sur l’Art nègre. Op. cit., p. 469.
60
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.61-78. ISSN : 2226-5503
Résumé :
Les stéréotypes de l’homme et de la femme « idéal » aujourd’hui font débat face à la
montée des mouvements féministes, dans un contexte de mondialisation où les canons
esthétiques davantage se multiplient ou parfois se contredisent au nom du libéralisme de
la pensée et de la libération du corps. Le beau critère selon les normes de l’industrie, des
marques, des médias, des concours de beauté institutionnalisés (MISS) ne fait plus
l’unanimité. La beauté se démocratise et voit ses types esthétiques se diversifier ainsi que
ses critères se mêler à l’affirmation de soi, au fait d’être compétitif, et à la notion de bien-
être.
A propos, l’on assiste à l’affirmation de nouveaux codes et normes esthétiques plus ancien
et décomplexés. En clair, les canons de beauté sont divers et variables. Ils varient d’un
individu à un autre et même d’une société à l’autre au nom du relativisme de la notion de
« beauté ». Par conséquent, chaque système social a sa conception de la beauté comme
c’est le cas des abouré éhivè de Côte d’Ivoire qui célèbrent le bel homme à travers le
concours du êbé ; fait culturel plastique qui fera l’objet de cette étude.
Abstract:
The stereotypes of the "ideal" man and woman today are debating the rise of feminist
movements, in a context of globalization where the aesthetic canons are multiplying or
sometimes contradicting each other in the name of the liberalism of thought. of the
liberation of the body. The beautiful criterion according to the standards of industry,
brands, media, institutional beauty contest (MISS) is no longer unanimous. Beauty is
becoming more democratic and its aesthetic types are becoming more diversified, as well
as its criteria being mingled with assertiveness, being competitive, and the notion of well-
being.
By the way, we are witnessing the affirmation of new codes and aesthetic norms that are
older and uninhibited. Clearly, beauty canons are diverse and variable. They vary from one
individual to another and even from one society to another in the name of the relativism
of the notion of "beauty". Consequently, each social system has its conception of beauty,
as is the case with the Ivorian abodes, which celebrate the handsome man through the
help of the bishop; cultural fact that will be the subject of this study.
Key words: aesthetics, beauty, plastic art, culture, bib (handsome man)
61
INTRODUCTION
Désigné comme le bel homme en pays abouré Ehivè, le êbé est une
rubrique du Popo Carnaval. Il fait partie intégrante de cet ensemble
culturel global dès les premières éditions. Les jeunes qui prétendaient
incarner « la beauté » les qualités esthétiques du bel homme selon la
culture abouré, constituaient pour l’occasion le groupe des êbè. Ils
participaient comme les autres festivaliers aux différents défilés festifs du
Popo Carnaval. Oints d’huiles odoriférantes, ornées de toutes sortes de
parures (végétaux, étoffes, perles, amulettes, bijoux), les Êbè en tenue
ablacon donnaient à voir des scènes de la vie paysanne abouré
accompagnés d’autres objets et équipements issus par exemple de la
chasse, de la pêche, de l’agriculture (outils champêtres, gibiers, récoltes,
filet de pêche). Aussi, pouvait-on les voir incarner l’univers des nobles
(autorité coutumière, bourgeois, jeune marié) dans les tenues de noblesse
constituées des grands pagnes Akan, de bijoux et autres types
d’ornements. A travers, différents styles vestimentaires les êbe affirmaient
dans l’espace public leurs attraits physiques, leur élégance.
Les parades des êbé à travers les rues de Bonoua cèdent la place à un
concours de beauté masculin organisé sur les estrades du Foyer des jeunes
de Bonoua dans un décor moderne accompagné de sons et de lumières.
Sur la base des normes esthétiques abouré, le êbe et ses dauphins sont
désignés par une équipe de cinq (05) membres du jury au sortir des trois
passages des candidats dans les tenues respectives que sont le djampah,
l’ablacon, la tenue de noblesse. Dans ce contexte, chaque édition du Popo
carnaval, connaît l’élection de son plus bel homme.
Si en Côte d’Ivoire, il existe au sein de nos sociétés des institutions1à
caractère esthétique dont la visée est de magnifier la beauté qu’elle soit
masculine ou féminine, le concours du êbé en terroir abouré a des
fondements spécifiques qu’il convient d’étudier. Cette étude donc du êbé
nous permettra d’aller à la découverte de la célébration du bel homme en
pays abouré pour comprendre son l’évolution sociale, ses fondements
socioculturels ainsi que son système de codification esthétique.
Mon objectif vise à élaborer le code de la beauté masculine
(esthétique) du peuple abouré à travers le système de représentation
plastique du êbé.
Ce projet préconise une enquête rigoureuse du sujet aussi bien sur
l’art, sur les conceptions esthétiques au sein de la société abouré dans son
rapport avec les fondements socioculturels dont il émane. En somme,
1
« Il existe dans la société traditionnelle des Bété en Côte d’Ivoire, une institution relative à
la beauté : l’institution du bagnon. Il s’agit d’un véritable culte rendu à la beauté et organisé
autour d’un homme qui incarne aux yeux de la communauté villageoise, les attributs de la
beauté physique » (Wondji, 1986 :43).
62
l’observation et l’analyse du êbe fondés sur la théorie de Aby Warburg1
qui témoigne que : « l'analyse d'une œuvre et ses usages sociaux vont de
pair ».
1
ABY Warburg a été présenté par Evelyne Pinto, des essais florentins Klineksied,
1990, P.22, il est réputé pour sa théorie sur l'analyse iconographique.
2
« Dans l’abouré c’est un événement extrêmement important : pour les jeunes, c’est
l’émancipation. Ils auront à partir de cemoment un rôle jouer et une responsabilité à
assumer dans le village. Indépendants ils ne seront plus humiliés et traités par les aînés ou
parents de petits garçons et par conséquent de bons à rien. On devra leur classe âge le
même respect que celui dont bénéficiaient les classes âge de leurs pères et grands-pères.
Leur opinion fera pencher un plateau de la balance quand il agira de prendre importantes
décisions dans intérêt de toute la collectivité villageoise. Désormais hommes libres les
jeunes resteront fidèles leur classe aussi bien ici-bas que dans au-delà. »Niangoran-Bouah
Georges. Le village abouré. In: Cahiers d'études africaines, vol. 1, n°2, 1960. pp. 113-127;
doi : 10.3406/cea.1960.3668 http://www.persee.fr/doc/cea_0008-
0055_1960_num_1_2_3668, Document généré le 02/06/2016
63
socioculturels sous-jacents des attributs et symboles afférents au êbe dans
le sens d’une approche systémique et multidisciplinaire :
L’ablacon est un apparat en tissu satin brillant est mis pour révéler le
corps nu du êbé. Dans cette tenue dite de « vérité », les parties du corps
fortement appréciées comme les fesses, l’équilibre et harmonie des formes
du corps, sa corpulence, l’homogénéité de son teint noir éclatant sont
exposés. Au cou, autour du front, aux poignets, le êbé porte les accessoires
(colliers, bandeaux, bracelets) réalisés à partir d’écorce d’arbre réduite en
fibres végétales et des perles dont les tons plus clairs contrastent avec le
ton foncé de la peau qu’ils concourent à mettre en relief ; rehaussant ainsi
le pigment noir et éclatant de la peau. La prestation en tenue ablacon
abordée sous une forme de mise en scène (théâtralisation), le êbe dévoile
sa beauté sous les traits d’un cultivateur ou d’un pêcheur, d’un chasseur
ou d’un guerrier abouré accompagné. Les éléments et accessoires (houe,
machette, gourde, gibier, récoltes, filet de pêche, sabre) en lien avec les
rôles campés sont exploités par le êbé pour donner de voir des
représentations réalistes qui mettent en scène des séquences la vie
quotidienne et paysanne abouré.
L’ablacon (fig.1) est une sorte de cache sexe connu chez les Akan
parfois sous le nom alacoun ou kodjo (Baoulé). Constitué d’une étoffe
aménagée pour passer entre les jambes, il cache les parties intimes du
porteur ou de la porteuse tout en laissant en évidence le postérieur
(fesses). L’ablacon présente le corps dénudé des êbé que l’on voit paré et
embelli d’autres accessoires (bandeau, collier, bracelet, amulettes) réalisés
à partir de d’éléments naturels (écorces d’arbres, de feuilles, fibres
d’écorces). Dans cette tenue, certains êbé se présentent avec des
1
Esthétique de l'art africain : symbolique et complexité, Mbog Bassong,l'Harmattan, 2007,
p14
64
équipements traditionnels (houe, machette, gourde, corbeille, filet de
pêche) aussi bien que des provisions issues de la chasse ou de l’agriculture
(régimes de banane plantains, de graines, gibier). D’autres par contre,
peuvent tenir en main des éléments comme l’épée utilisée lors des danses
guerrières.
Attelage de corbeille
65
1- Le symbolisme du êbé en ablacon
Corps nus, le êbé est oint d’huile odoriférant préparée pour rependre
l’odeur agréable des arômes naturels. L’huile abondamment appliquée
pour faire ressortir les volumes et qualités physiques. Objet de plaisir, de
désir et de séduction, les caractères physiques de la masculinité-abouré
sont ainsi affichés. Homme beau, fort et viril, le êbé affiche la capacité à
procréer non pas pour le plaisir de le faire, mais pour contribuer à la vitalité
et à la perpétuation du lignage et asseoir une représentativité sociale et
politique. Ces défis sociaux qui engagent une responsabilité du chef de
famille à l’endroit de son clan, conditionnent celui-ci au travail, facteur
d’émancipation et de prospérité économique.
En scène, le êbé, ressasse ses vérités socioculturelles comme pour en
assumer ses parts de responsabilités. À travers les activités (agriculteur, de
pêcheur, de chasseur) qu’il incarne, les provisions en nourriture (gibiers,
régimes de graines et de bananes plantains, poisson) qu’ils apportent sur
scène traduisent bien cette bienveillance paternelle, le sens du devoir
familial et conjugal. En outre, le sacrifice, le courage, la persévérance
investis au travail sont révélés dans le caractère précaire et rudimentaire
du matériel(machette, houe, gourde traditionnelle, filet) avec lesquels le
paysan abouré défit des contraintes de la nature (forêt, lagune) pour
parvenir à mettre en place ces grandes plantations (hévéaculture, palmier
à huile) qui font leur fierté et contribuent au développement de la région
de Bonoua.
De même, la présentation du êbé en ablacon évoque le passé du
peuple abouré. Période très ancienne où hommes et femmes se revêtaient
en tenues primitives (ablacon, tenue en écorces d’arbres) ou encore
l’époque des pionniers, des pères fondateurs du royaume abouré. Aux
côtés des acteurs abouré qui ont participé au rayonnement économique du
royaume par la force du travail de la terre ou de la pêche, l’on voit ceux qui
par leur bravoure ont combattu et repoussé les ennemis afin de garantir au
peuple abouré un territoire et des terres. Le Sanflan KADJO Amangoua1en
est un personnage clé. Chefs de guerre, les Sanflan ont pour symbole le
sabre (ohoto) qui inspire au peuple la sécurité, la protection physique et
spirituelle. Les Sanflan ne sont pas choisis uniquement pour leurs exploits
ou pour leur rang social mais pour leurs valeurs morales, leur constitution
et qualités physiques.
1
KADJO Amangoua, chef guerrier abouré lutta contre l’oppresseur blanc. Capturé, il fut
déporté au Gabon où mourut. Ses restes seront ramenés sur sa terre natale où un monument
est dressé en sa mémoire.
66
bracelet, de chevillière, chasse mouche, canne, de sandale abodjé). Comme
son nom l’indique, cet apparats est une tenue privilégiée par les nobles en
pays Akan (roi, notables, bourgeois, cadres).
Chaussures Bracelets en
« Abodjé »
Bague
67
ces parties du corps sont ornées d’accessoires. Soit, d’une couronne d’or
ou d’étoffe, de pendentifs, des bagues et bracelet, de chevillière, de
sandales abodjé. Conçus pour la plupart en or massif et autres matières de
valeur (perles), les accessoires et les tenues de valeurs anoblissent les êbé,
rajoutent du prestige à leurs qualités physiques. Sous les traits de nobles
abouré (roi, notables, bourgeois), les êbé à travers leurs vêtements
laissent découvrir la richesse des apparats et des accessoires.
Bague
Chevillière
68
Pour élection du bel homme, les jeunes abouré ou les candidats non
abouré défilent sur l’estrade de foyer jeunes de Bonoua devant le public et
les membres du jury vêtus des trois tenues vestimentaires imposées que
sont djampah, l’ablacon, la tenue de noblesse. Ces tenus et accessoires
revêtues par les candidats renferment un ensemble de symboles qui
participent à l’éclosion de leur beauté d’ou à la construction de
l’esthétique des bels homme en pays abouré.
69
IV- MANIFESTATION DE LA BEAUTE DANS LES GESTES ET
MOUVEMENTS
1
Concept traditionnel de l’esthétique chez la femme akanen cote d’ivoire, Assoumou NM,
Gnagne-Koffi ND, Adou J, Assoumou AA, Mansila-Abouattier EC, 1998 Juin, Vol 21,
Num 81, p 6 , Revue :Odonto-stomatologie tropicale = Tropical dental journal, Type de
publication : article de périodique http://www.lissa.fr/rep/articles/11372120
70
2- Le symbolisme de l’union des « êbé » et « awoulaba »
Le destin croisé des êbé et des awoulaba remet sur la table le rapport
de l’homme et la femme dans la société abouré. Cette relation, certains
observateurs la construise autour de la pensée attachée au cœur même du
Popo Carnaval depuis qu’il existe : « Les hommes se déguisent en femme,
les femmes en homme comme pour célébrer la dualité qui existe en
chacun ». Si les caractères doubles de l’homme et la femme sont relevés
dans cette thèse, sa finalité est de parvenir à un équilibre retrouvé dans un
rapport de fusion de l’homme et la femme. Somme toute, la rencontre des
êbé et des awoulaba au défilé final du Popo, est l’accomplissement de
cette osmose recherchée. En pays abouré, le mariage (attôflê) est le moyen
par lequel l’homme se lie la femme pour s’unir avec elle. Ils se rencontrent
pour former un couple, asseoir le cadre familial gage de stabilité et
d’équilibre social. En effet, le mariage en pays abouré, garanti beaucoup de
liberté à la femme maintenant intacte son égalité entre elle et l’homme.
Cependant celle-ci garde une position d’arrière plan. Elle peut néanmoins
être consultée par son mari. C’est au mari que revient la charge de prendre
soin de son épouse. La fécondité chez la femme est source de célébration
et honneur pour la femme. Chaque accouchement opéré sans risques par
la femme en pays abouré mérite célébration. La nouvelle mère est soumise
à une séance de purification avant de faire l'objet d’une attention
particulière au niveau alimentaire et esthétique. « Lorsque la femme est
belle et suffisamment en chair ; cela est une preuve d’honneur pour sa
famille et son époux qui le suppose-t-on prenne soin de son épouse ». Le
dixième enfant issu d'une même femme est un don de Dieu et en avoir dix
est le signe d'une bénédiction abondante pour la femme qui connaît une
autre célébration festive à travers la fête du Obrou te apapoua1.
L’union du êbé et de l’awoulaba est un symbole qui ouvre une lueur
d’espoir sur l’avenir du peuple abouré. Pendant que l’incinération du Roi
du Popo carnaval se faite comme un acte de purification en vue d’un
lendemain dépouillé de toutes forces négatives, l’union sacrée des deux
symboles de la beauté (êbé et awoulaba) demeure signe du
renouvellement, le début d’une autre vie.
1 ème
La célébration du 10 enfant est un hommage aux familles nombreuses et un
encouragement à perpétuer la race humaine en générale et le peuple Abouré.
71
Figure 4 : Parés en tenus de noblesse, les Êbè et les awoulaba installés à la
tribune assistent aux différents défilés des festivaliers
72
La beauté est liée à l’identité culturelle des peuples en ce sens qu’elle
a toujours fait l’objet déconstructions sociales. Ainsi, la conception de la
beauté dans une société reflète ses valeurs culturelles en intégrant l’art, les
rites initiatiques, les symboles, les idéaux sociaux, politiques, économiques,
culturelles… au sein du système social. Dans cette perspective, la
conception de la beauté en pays abouré repose sur les valeurs
socioculturelles elles-mêmes édifiées sur les fondements
institutionnels essentielles que sont la famille, les générations et classes
d'âge, la royauté. C’est dans cet univers que les codes esthétiques du êbé
sont à rechercher.
Mais avant, il est important de faire un travail récapitulatif des
données socioculturelles et en lien avec la célébration du bel homme (êbé)
pour appréhender quelques axes de réflexions intéressantes en vue de
l’identification de codes esthétiques.
1
ABLE Kodiané Pierre 47 ANS (Planteur) élu deuxième dauphin derrière M. N’Guessan
ème
Montana, à la 36 édition du Concours du êbe Popo carnaval 2016
73
cher à la conception esthétique des Akan; groupe culturel auquel
appartiennent les abouré ?
74
Bien se nourrir
Mangez à des heures de repas régulières, Ne pas manger trop de
produits chimiques, trop de sel, Manger de la viande, du poisson, des
légumes, des fruits, des féculents, Mangez varié;
Bien se reposer
Le repos est primordial à la santé. Elle permet au corps de se
régénérer
2- Niveaux d’appréciations
Jeffery Sobal, maître de conférences en science de la nutrition à
l’université Cornell fait remarquer : « Au XIXe siècle, presque toutes les
sociétés associaient la corpulence à un rang social élevé. L’embonpoint
était synonyme de prospérité et de bonne santé, la maigreur le signe
qu’une personne était trop pauvre pour manger à sa faim. » Cette
conception de la beauté est courante chez l’abouré même si ce critère ne
se résume pas à une question de poids et de muscles hypertrophiés. La
corpulence appréciée est plutôt forte et ferme car elle reflète la richesse, la
réussite et l’embonpoint. L’abouré n’étant pas généralement grand, la
taille du êbé correspond à une taille relativement normale (plus d’1m70).
Au niveau de la couleur de sa peau, il doit être noire, mais d’un noir
homogène et brillant. Le visage, on le préfère harmonieux (sans bajoues et
aux pommettes saillantes). Il doit être est jugé symétrique avec un front
dégagé qui laisse entrevoir tous les traits du visage (nez assez droit, yeux
bien visibles, dentition saine et éclatante). Enfin, la forme ovale du visage
fait référence en matière de beauté chez l’abouré. De préférence, le cou
strié ou plissé est un atout à l’avantage du êbé car cette qualité corporelle
est une caractéristique recherchée et fortement appréciée chez l’ensemble
des peuples Akan que ce soit au niveau de la femme (Awoulaba ou
Aoulaba) que de l’homme. En définitive, la trame fondamentale
caractéristique de la beauté masculine en pays abouré est la
proportionnalité du corps corpulent et son harmonie, associée à la beauté
du visage. Par ailleurs, si tant est vrai que les valeurs morales sont peu
visibles pendant les prestations des êbé, mais perceptibles à travers le
75
geste de salutation traditionnelle adressé par les êbé au public, l’on retient
qu’au-delà de ce symbole; les valeurs morales en terroir abouré sont
inhérentes à la formation au sein du système des classes d’âge et des
générations. Ces institutions prescrivent la nature des relations entre les
membres à l’intérieur des classes et générations et celles qui régissent les
actions de l’abouré à l’endroit de sa communauté. Par conséquent,
l’abouré est naturellement généreux, solidaire, respectueux des ainés et du
prochain, hospitalier. En effet, il tient à la solidarité au sein des classes et
celle à l’égard de la communauté. Par ailleurs, concernant les critères de la
beauté masculine, plusieurs amalgames se sont révélés dans les sondages.
Les intervenants n’ont eu cesse d’associer la beauté morale à la beauté
physique quand il était question de nous donner une explication de la
beauté ou d’en parler. Cela confirme le dualisme de la beauté physique et
de la beauté morale chez l’abouré également. Hegel pouvait dire : « Le
beau est l’éclat du vrai ». Cette thèse, atteste de la perception des deux
notions chez l’abouré quant à sa conception de la beauté. L’abouré perçoit
le beau à travers ce qui a du sens et de la valeur pour lui. Le beau ne se
rattache pas exclusivement à l’esthétique mais à l’accomplissement des
valeurs sociales chères au peuple abouré. Ces valeurs assumées fondent le
statu d’homme idéal, celui qu’on qualifie de « vrai abouré » ou de « belle
personne ». La beauté est spontanément liée à l’intelligence, la gentillesse,
la solidarité, la sympathie, etc. En somme, « ce qui est beau est bien » pour
l’abouré comme le résument Jean-Yves Baudouin et Guy Tiberghien1.
Le dualisme entre beauté physique et beauté morale coexiste chez
l’abouré comme chez les Akan en général. L’accomplissement des valeurs
socioculturelles est fondamental car le bel homme est la synthèse de
« beauté physique» et de l’« éthique ».
CONCLUSION
1
Jean-Yves Baudouin et Guy Tiberghien, Ce qui est beau… est bien. Psychosociobiologie de
la beauté, Presses universitaires de Grenoble, 2004.
76
La beauté n’a pas d’âge, elle est éternelle
La beauté est viagère en ce sens que pour l’abouré l’être est beau aussi
longtemps qu’il vit. La vieillesse comme la mort n’anéantissent pas cette
reconnaissance sociale admise par société.
BIBLIOGRAPHIES
77
Web graphie
http://www.librairieharmattan.com
diffusion. harmattan@wanadoo.fr
harmattan 1(fYwanadoo. Fr)
ISBN: 978-2-296-043 15-2
EAN : 9782296043152
78
Sociologie
79
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.80-95 ISSN : 2226-5503
Résumé :
Au Gabon, l’enjeu foncier reste une préoccupation majeure autant pour les populations
que pour l’Etat. Pour les populations, dans leur quête de disposer d’un cadre de vie viable.
Pour l’Etat, dans sa mission régalienne de mettre en place une politique foncière
compatible avec les objectifs de développement du pays. Et pourtant, au Gabon, la terre
ne manque pas. En effet, sur les 22 millions ha de forêt sur les 26,7millions de la superficie
du Gabon, le pays ne réalise que 0,1% de déforestation annuelle et seulement 0,4%
d’occupation du milieu forestier par l’activité agricole. Qui plus est, en faisant le ratio
superficie et données démographiques, on obtient un rapport de 15 ha de forêt par
personne. Ce qui est largement suffisant pour que chaque famille gabonaise puisse jouir
légalement d’un lopin de terre de quelques m². C’est pourquoi, dans la crise foncière
actuelle, le problème n’est pas tant un manque de terre mais plutôt une question
d’organisation et de répartition rationnelle des superficies exploitables.
Abstract:
In Gabon, land ownership stake remains a major issue to the inhabitants and to the State.
Regarding the inhabitants it is about seeking better living conditions. As far as the State is
concerned, it is about establishing land ownership policy compatible with the country’s
growth when accomplishing welfare State. However, in Gabon the land is abundant. On
the 22 million ha of forest of the 26, 7 million ha area, the country only makes 0, 1 %
annual deforestation and only 0, 4 % forest is occupied by agriculture activity. Moreover,
the ratio between the area demographic data gives a 15 ha forest per inhabitant. This is
2
far enough to each Gabonese family to fairly benefit from a couple of m piece of land. In
this regard, the current land ownership crisis is due to a matter of organization and
rational share of exploitable area and not about the lack of land.
80
INTRODUCTION
81
les différents protagonistes. Car, la multiplicité des conflits résulte de la
multiplicité des intérêts des acteurs. D’où, la nécessité de partir des
fondements de la politique foncière en vigueur pour comprendre les
difficultés d’accès des gabonais à la propriété et la précarité foncière qui en
résulte.
En termes d’acteurs, la problématique du foncier met aux prises une
multiplicité de protagonistes. Toutefois, dans le fond, la plupart des
tensions générées par la gestion du foncier sont sous-tendues par un
conflit de compétence entre deux acteurs majeurs, à savoir : le citoyen et
l’Etat. En effet, le foncier interroge le rapport espace / société à partir de
plusieurs couples de concepts liés aux pratiques individuelles et sociales
inscrites spatialement (territoire vécu) et aux pratiques sociales localisées
(territoire institutionnalisé). D’où l’importance d’analyser les enjeux et les
relations de pouvoir entre le social (citoyen), le spatial (terre) et le politique
(Etat).
Dans ce cadre, le domaine foncier gabonais se caractérise une diversité
d’acteurs aux logiques multiples, multiformes et divergentes. Car, dans la
problématique de l’appropriation de la terre et de l’occupation de l’espace
au Gabon, chaque protagoniste a un statut et une compétence foncière.
Cette dernière qui est rarement juridique et légale est souvent politique,
spatiale, sociale ou culturelle. D’où, la complexité et les conflits
inextricables qui traversent ce domaine. Autrement dit, au Gabon, la
gestion du foncier met aux prises une variété d’acteurs ayant des statuts et
des intérêts particuliers souvent inconciliables. On notera par exemple :
- l’administration de l’habitat et de l’urbanisme dont le rôle est de
gérer l’espace urbain ;
- l’administration des Eaux et Forêts dont le rôle est de gérer la
ressource forestière ;
- l’administration des mines dont le rôle est de gérer et de valoriser
les ressources du sous-sol ;
- l’administration agricole : gérer et valoriser l’espace cultivable
- les opérateurs économiques dont l’objectif est d’exploiter et de
valoriser les ressources naturelles (bois, mines, pétrole, etc.)
- les populations locales dont la terre représente un enjeu vital pour
leurs conditions de vie et d’existence.
Mais, d’une façon systématique, trois catégories d’acteurs majeurs
entretiennent des rapports conflictuels dans le champ foncier gabonais. Il
s’agit de l’Etat et ses démembrements, les communautés autochtones, et
les opérateurs individuels et privés. En rapport avec notre l’approche
sociologique, il appert que chaque catégorie d’acteurs en fonction de ses
intérêts est confrontée à des enjeux qui le mettent en conflit avec les
autres protagonistes :
- l’administration de l’habitat est souvent confrontée au
déclassement les aires protégés à des fins d’habitation en zone
périurbaine (forêt classée de la Mondah, Arborétum de Sibang) ;
82
- les mines sont confrontées au déclassement des aires protégées ou
de concessions forestières au profit de permis pétroliers ou miniers,
souvent plus rentables ;
- les Eaux et Forêts confronté à l’exploitation des zones forestières
(production/régénération) à des fins agricoles ;
- les populations rurales dans l’attribution et l’exploitation des forêts
riveraines. Les populations urbaines, confrontés à la dictature des
domines d’utilité publique (D.U.P)
83
Gabon était naturellement sous la responsabilité de la métropole. Dans ce
cadre, il faut noter avec Guy Lasserre que les premiers permis d’occuper
ont été délivrés par l’administration coloniale en 1916. Quelques années
plus tard, c’est-à-dire en 1919, par un arrêté, il fut créé « une commission
chargée du lotissement général du chef-lieu de la colonie du Gabon ». Il est
évident que ni les permis, ni le lotissement dont il est question ici, ne
concernaient les populations autochtones. Car, en matière de lotissement,
les populations locales avaient la latitude de s’installer « là où bon leur
semblait, sans rien demander à personne, pour vu que la case fût construite
en dehors du quartier européen » (Toukou Moubedi ; Nguema Edzang,
2011 : 6).
Plus de cinquante ans après les indépendances, le recours à l’habitat
spontané et l’occupation de terrain vaque pour construire son logis ne sont
pas très éloignés de la pratique en vigueur, à l’époque coloniale. Quant aux
permis d’occuper délivrés, il s’agissait, sans doute, de répartir le territoire
entre les différentes compagnies concessionnaires notamment dans le
secteur forestier et minier.
Ainsi, quand le Gabon accède à l’indépendance en 1960, les principales
compagnies concessionnaires forestières et minières s’étaient déjà
approprié des pans entiers du territoire national pour l’exploitation des
ressources naturelles indispensables à la métropole. Il n’est pas sûr que les
permis et les autorisations délivrés à l’époque coloniale aient été remis en
cause par le nouvel Etat indépendant. C’est pourquoi, une analyse
topographique des superficies sous permis d’exploitation forestière et
minière permet de constater que plus des ¾ du territoire national sont
rétrocédés aux exploitants privés.
La réalité étant celle-là, c’est-à-dire un territoire national largement
concédé, on comprend les hésitations des autorités gabonaises à ouvrir la
boite de pandore d’un dossier aussi complexe et sensible. Car, pour éviter,
sans doute d’échauder, les compagnies concessionnaires, le verrouillage du
titre foncier reste le moyen le plus efficace pour maintenir les
déséquilibres et s’assurer le statut quo ante. C’est pourquoi, il est difficile
de déceler une once de sincérité dans les larmes de veuves effarouchées
des politiques gabonais qui dénoncent le verrouillage dans la délivrance du
titre foncier, mais qui ne font rien pour y remédier alors qu’ils en ont les
prérogatives.
Et pour cause, après les indépendances, le nouvel Etat indépendant n’a
fait qu’appliquer mécaniquement la politique foncière de la France au
Gabon. Certes, « le droit moderne a été introduit en République gabonaise
dans les années 1960, en remplacement des règles traditionnelles ». Mais,
en réalité cette nouvelle réglementation n’est qu’une pâle copie du « vieux
droit colonial » qui stipule, entre autres, que la terre appartient
exclusivement à l’Etat. Plus clairement, c’est la loi n°14/63 et 15/63 du 8
mai 1963 qui reconnait l’Etat comme « autorité foncière légitime et le
garant du système foncier sur le territoire national » (Nguema Rano,
2011 :3). Or, tous les exégètes de la coopération franco-gabonaise
reconnaissent que tous les textes des premières années des indépendances
84
ont pour assise la « Convention d’Etablissement » qui scelle le pacte entre
les deux Etats après l’octroie de l’indépendance Gabon. Et, malgré les
multiples amendements ; certes, ce texte fondateur reconnaît,
l’indépendance du Gabon, mais il permet surtout à la France de conserver
l’essentiel de ses prérogatives, surtout dans le domaine économique.
C’est pourquoi, la terre étant un élément essentiel dans les intérêts
économiques de la France au Gabon, sa gestion n’a jamais été réellement
cédée au Gabon. Depuis l’époque coloniale, cette terre a toujours
appartenu à la France qui’ l’en a dépossédé aux populations autochtones.
En effet, dans le processus de colonisation, au-delà des hommes, c’était
aussi la terre qui était colonisée et surtout ce que le sol et le sous-sol
pouvaient receler comme richesses. Comble du cynisme, pendant la
période coloniale, les populations autochtones étaient astreintes à payer à
la puissance tutélaire un impôt foncier (n’fong si, en fang, traduisez : impôt
de terre). Autrement dit, depuis l’époque coloniale, les populations locales
devaient déjà payer une taxe pour jouir de la terre de leurs ancêtres.
On comprend, dès lors, pourquoi, jusqu’à présent, l’accès à la propriété
foncière demeure pour le gabonais une arlésienne. Car, la politique et la
gestion foncière au Gabon, à l’instar de nombreux pays d’Afrique, sont
dominées par des préoccupations plus économiques que sociales. C’est
pourquoi, au Gabon, l’accès à la propriété foncière n’a jamais été sécurisé
comme le sont les activités économiques, avec notamment l’existence d’un
code minier pour sécuriser les activités minières et l’existence également
d’un code forestier pour sécuriser les activités forestières. Quant au code
foncier, il ne semble pas être une préoccupation pour l’Etat gabonais,
malgré le désordre qui règne dans ce domaine et qui a pour fondement la
coexistence des règles administratives et d’utilisation du sol conflictuelles.
En effet, l’appropriation ancestrale du sol s’oppose très souvent aux
mécanismes et concepts juridiques inadaptés aux réalités locales et
empruntés à l’ancienne puissance coloniale. Aussi, poser la question de
savoir à qui apparient réellement la terre au Gabon loin d’être incongrue
reste-t-elle une interrogation problématique essentielle pour comprendre
une inaccessibilité à la propriété foncière qui confine les gabonais à la
squattérisation.
Mais, plus fondamentalement, l’inaccessibilité à la propriété foncière
semble résulter d’une gouvernance foncière qui oscille entre le respect de
l’appropriation ancestrale de la terre et l’application des règles du droit
moderne, en vigueur.
85
coutumier est une législation non écrite qui fait de la terre une propriété
collective où la terre appartient aux communautés autochtones et ne
saurai être aliénée.
Malheureusement, comme dans la plupart des pays africains, ce droit
moderne inconnu des communautés autochtones, a fini par s’imposer en
supplantant le droit coutumier. Car, dans la pratique, le droit moderne ne
reconnait aux populations locales qu’un droit d’usage et non de propriété.
Aussi, les communautés villages en sont-elles réduites à de simples
usufruitiers, c’est-à-dire qu’elles peuvent bien consommer les fruits, mais
l’arbre ne leur appartient pas.
Finalement, l’Etat en tant qu’entité supra communautaire et supra
ethnique en Afrique, s’est arrogé le droit des groupes sociaux (ethniques,
claniques, familiaux) pour une mise en commun de leurs ressources, en vue
d’une meilleure répartition entre les différents membres du corps social. Il
s’agit donc d’une reconfiguration des rapports entre le citoyen et l’Etat.
Cependant, en tant qu’élément constitutif de base d’un Etat, la terre
représente un enjeu existentiel. En effet, sans une portion de terre définie
à l’intérieur des frontières territoriales, point d’Etat. A partir de là, on peut
comprendre le refus, sinon la difficulté de l’acteur étatique d’accorder un
titre foncier à ses habitants. Aussi, pour garder une mainmise et un
contrôle absolu sur le territoire et sur les citoyens, l’Etat gabonais rechigne-
t-il à accorder aux citoyens la possibilité de jouir légalement de leur terre
légitime.
Or, l’Etat a le devoir régalien de donner à ses citoyens le droit d’en
bénéficier en toute légalité. En effet, dans le contexte traditionnel, la terre
appartient au premier occupant, donc aux populations autochtones. Ces
derniers ont ainsi une antériorité sur la possession et la jouissance de la
terre. L’Etat étant une création récente, c’est-à-dire postérieure à
l’existence des autochtones et leur terre, il va s’arroger tous les pouvoirs
autant sur les autochtones que sur leur terre. De ce fait, si les autochtones
devenus citoyens sont des propriétaires légitimes de la terre, l’Etat quant à
lui se présentera comme un prédateur et un usurpateur légal ; d’où, les
conflits permanents entre citoyens d’une part, mais également entre les
citoyens et l’Etat, d’autre part, sur la gestion légale de la terre patrimoine
étatique et communautaire.
Tout compte fait, au Gabon, malgré la multitude de statuts fonciers,
seules trois sortes de titre de propriété sont réellement reconnues de fait
et de droit. Il s’agit d’abord des terrains ancestraux », qui appartiennent
aux premiers occupant et qui jouissent du « droit de hache. Il s’agit ensuite
des « les terrains appartenant au clergé, et enfin, les terrains issus de
l’immatriculation qui confère le titre de propriétaire foncier ». Mais, dans
les faits, si les deux dernières appropriations sont toujours concédées et
conservent un « droit irréfragable, c’est-à-dire qu’il ne peut souffrir
d’aucune contestation » (Toukou Moubedi ; Nguema Edzang, op. cit : 2);
ce n’est pas toujours le cas des terres legs ancestraux, dont la jouissance
relève plutôt du droit foncier populaire.
86
En effet, les communautés autochtones, ont bien la permission
d’occuper les espaces libres entourant leur environnement de vie.
Cependant, cette appropriation collective et libre de la terre ne saurait se
réduire à une propriété légale de jouissance. Or, ces communautés
autochtones ont toujours entretenu avec la terre ancestrale des rapports
quasi mystiques. Car, la terre est pour elles un objet d’imprégnation et
d’invocation ancestrale, c’est-à-dire que la terre legs ancestral assure « la
médiation entre les morts, les vivants et leurs descendants à venir ». Voilà
pourquoi, pour ces populations, la terre est sacrée. Malheureusement, de
cet objet sacré, le droit moderne ne reconnait qu’un droit d’usage qui ne
confère nullement l’acquisition du droit réel de propriété.
D’ailleurs, en milieu rural, ils ne sont pas nombreuses les communautés
qui entreprennent une quelconque démarche administrative pouvant leur
permettre d’acquérir des concessions avec titre de propriété foncière. Avec
ce titre, communautés villageoises pourraient ainsi utiliser la terre comme
garantie ou hypothèque en la vendant ou en la cédant en bail. Dans cette
optique, elles donneraient à la terre une valeur marchande. Une telle
démarche aurait donné plus de crédibilité aux populations rurales des
zones périphériques des centres urbains quand l’Etat a des visées sur leurs
terres pour réaliser ses projets de développement. On comprend, par
exemple, le désarroi des populations d’Essassa. Dans cette bourgade
proche de Libreville, l’Etat envisage la construction de 5000 logements,
mais, les populations autochtones et allochtones s’y opposent violemment.
Car, ledit lotissement empiète sur leur zone agricole et sur leurs
habitations. Ainsi, lors d’une rencontre avec le ministre de l’Habitat, les
populations de cette banlieue ont exprimé leur opposition à ce projet
pourtant salutaire. Car, ces populations y voient un moyen de détruire
leurs zones agricoles pour les faire partir définitivement du village (Mabika,
2011 :4).
Mais, ces populations ont-elles quelques arguments juridiques pour
motiver légalement leur refus ? Car, en ne se contentant que de la
jouissance de leur droit d’usage, les populations locales n’ont aucun droit
légal « qui pussent leur garantir une sécurisation foncière en cas de conflit
d’usages concurrentiels de leurs terres ». Au finish, l’Etat dans l’exercice de
sa puissance légale, finit toujours par s’imposer, en octroyant, à la rigueur,
des compensations dérisoires aux populations lésées et dépossédées de
leur bien le plus précieux : la terre de leurs ancêtres. D’où, la situation
d’insécurité foncière devant laquelle se retrouve très souvent les
populations autochtones, quand l’Etat ou les grands opérateurs
économiques privés jettent leur dévolu sur une terre qu’elles croient
naïvement être la leur, alors qu’elles ne peuvent opposer un quelconque
document de propriété légalement valable. Il en est de même pour tous les
projets que le gouvernement initie dans des zones déjà occupées par des
propriétaires légitimes, mais illégaux ou par d’autres squatters que l’Etat
fabrique au Gabon. Pourtant, « malgré la pléthore des textes existant au
Gabon sur le foncier, la pratique semble avoir réduit la question foncière à
des opérations cadastrales ». Quoique, l’article 12 de la loi 16/2001
87
reconnait bien le domaine forestier rural. Celle-ci « regroupe les forêts et
les terres dont la jouissance est réservée aux communautés villageoises »
». Toutefois, au-delà de cette jouissance, aucune autre droit de propriété
n’est reconnu n’est reconnu à ces propriétaires naturels de la terre
ancestrale. Or, cette ressource naturelle représente pour ces
populations : « source de la nourriture, de revenu, d’habitat et même
d’identité sociale » (Mapangou, 2011 : 8 ; 6 ; 1). D’où la nécessité pour les
ruraux d’avoir des prérogatives légales sur un produit d’une telle
importance. Le cas échéant, ils se retrouveront toujours dans une situation
d’insécurité foncière qui confine à la précarisation.
88
de l’Etat ». Résultat : aujourd’hui à Libreville, plus de 80% d’accès à la
propriété foncière sont irréguliers. C’est le règne du phénomène de
squattérisation. Ce dernier se traduit par la multiplication des zones de non
droit et par l’implantation des habitats dans des emplacements
vacants, « sans se soucier d’obtenir une autorisation de l’administration, et
sans posséder un titre foncier » (Nguema Rano, op. cit : 8). Car, l’Etat n’en
délivre presque pas aux populations démunies.
Voici la démarche : soit l’éventuel acquéreur repère un terrain vague
dans un quartier ou dans la périphérie de Libreville, soit il est renseigné
par un tiers de la disponibilité d’une parcelle. Ensuite, le contact est pris
avec le probable propriétaire. De gré à gré, le prix de la parcelle est arrêté.
Après versement du montant convenu, une attestation de cession de
terrain ancestral est délivrée, parfois en présence du chef de quartier. Le
terrain est acquis et les travaux peuvent être dorénavant lancés. C’est à ce
niveau que la plupart des conflits naissent. Car, informé de la réalisation
des travaux sur le site qu’ils pensaient être le leur, les autres acquéreurs
peuvent se manifester. Car, en cas de parcelles vendus auparavant mais
sans exécution immédiate des travaux le vendeur véreux peut revendre à
d’autres personnes à des montants plus onéreux. Et, dans ce cas de figure,
c’est le plus fort qui gagne. C’est le règne de la loi de la jungle, car
personne ne peut opposer un acte légal. En cas de non conflit, l’heureux
acquéreur peut poursuivre ses démarches administratives. Dans ce cadre,
chacun y va de sa propre régularisation. Les uns passent par la mairie,
d’autres par les préfets ou les gouverneurs ou directement par le cadastre,
sans que les prérogatives des uns et des autres soient clairement définies
dans l’accès à la propriété foncière. Le plus souvent, le bornage de la
parcelle par copinage est l’ultime étape administrative entreprise par la
majorité des propriétaires fonciers au Gabon. Car, nous avons vu
qu’entreprendre toute autre démarche pour obtenir un titre foncier
apparait comme une perte de temps. En effet, annuellement, il n’y a que
quelques terrains qui reçoivent un titre définitif. Ce qui n’empêche pas la
construction de milliers de logement « sans permis de construire, dans
l’insécurité juridique la plus totale ». (Nguema Rano, op. cit : 2).
Tout compte fait, la précarité ici est le résultat d’un mode d’accès à la
propriété illégal. En effet, l’insécurité nait d’abord du fait que le nouveau
propriétaire acquiert qui n’appartient pas légalement au vendeur. Par la
suite, il se retrouve en possession d’une multitude de documents fonciers
« n’ayant pas de valeur juridique et donc n’apportant aucune sécurité
légale à ceux qui les possèdent ou les brandissent ». La conséquence de ce
désordre organisé et entretenu par les pouvoirs publics est « la fréquence
de la corruption, et des abus de pouvoir qui aboutissent à la spoliation des
faibles, des déguerpissements et mêmes des expropriations non suivies
d’indemnisations conséquentes ». Concernant le cadre rural, cette
situation se traduit par usage précaire des terres par les villageois. Car,
pour la majorité d’entre eux, ils n’ont ni autorisation administrative, ni
aucun titre, juste un droit d’usage. En effet, du fait des habitudes sociales
et de l’ignorance de la loi, « seule une infime minorité s’avisait d’obtenir un
89
permis d’exploitation. La grande majorité des acteurs ne disposaient
d’aucun titre leur permettant de se prémunir contre d’éventuels troubles
juridiques». Cette situation est d’autant entretenue et persistante que les
populations villageoises trouvent légitimes d’avoir des prérogatives sur la
terre de leurs ancêtres. Malheureusement, cette conviction et cette
quiétude de jouir d’une terre qui ne peut leur être contestée vole en éclat
quand l’Etat dans ses prérogatives jette son dévolu sur ce bien acquis
naturellement, mais dont on n’a aucun élément juridique et légal à
opposer en cas de contestation du droit d’usage et de jouissance.
Autrement dit dans le milieu rural, la cession légitime de la terre se fait par
héritage ou par la primauté sur l’occupation de l’espace : « ce que ne
reconnait pas la législation en vigueur qui considère illégale cette forme
d’être propriétaire du sol » (Engo Assoumou, 2011 : 7 ; 8).
On comprend dès lors la situation d’insécurité foncière dans laquelle se
retrouvent les populations rurale en pensant être propriétaire d’un bien
dont la majorité n’a aucun droit légal de propriété. La situation est plus
dramatique dans les centres urbains. . Car, en refusant le droit à la terre,
l’Etat prend le risque de précariser ses propres citoyens. Il réduit ainsi des
propriétaires immobiliers à de simples squatters que l’on peut déguerpir,
sans autre forme de procès. Dans le cas d’espèce, le cas de la décision
gouvernemental de déguerpir dans les six mois les habitants du Boulevard
triomphal et de Cocotiers en est la parfaite illustration de la volonté
gouvernemental de précariser les populations. En effet, même si le
gouvernement est revenu sur cette décision, le fait d’y avoir commencé
l’exécution par le marquage des habitations prouve à suffisance le très peu
de considération que l’Etat gabonais accorde au statut social des acteurs
fonciers. Autrement dit, penser qu’une simple déclaration d’utilité
publique peut constituer à elle seule un argument même juridiquement
défendable pour déguerpir des populations autochtones (pour certains) qui
occupent une portion de terre depuis des générations et d’autres
propriétaires immobiliers, en les indemnisant en monnaie de singe et venu
donner la preuve qu’en refusant le titre foncier aux populations du cru,
l’Etat les met volontairement dans une insécurité juridique qui finit par
réduire les Gabonais à de simples squatteurs dans une terre qui est censée
appartenir à leurs ancêtres, avant l’arrivée des Blancs et la création de
l’Etat.
Par cette même décision, l’Etat ne semble pas mesurer la nécessité
vitale pour les citoyens d’appropriation foncière. Car, sans titre légal,
malgré leur primauté sur l’occupation ou leur installation qui débordent
plusieurs générations, les Gabonais sont ainsi considérés comme de
simples squatters qu’on peut mettre à la rue par un simple décret pris en
conseil des ministres. D’ailleurs, le gouvernement est si fondé de la légalité
de son acte qu’il sait pertinemment que parmi les milliers de citoyens à
déguerpir, il ne peut y avoir plus de 2% détenteur d’un titre foncier,
puisque l’Etat n’en délivre qu’au compte-gouttes, sinon presque pas du
tout aux simples citoyens, à Libreville, entre autres, « plus de 80% des
occupations sont illicites. Ces modes d’occupation spatiale frises les 100%
90
dans certains quartiers sous-intégrés de la capitale gabonaise, voire
certains chefs –lieux de provinces et départements » (Engo Assoumou,
2011 : 4).
Ainsi, de l’opération du gouvernement « libérez les trottoirs » qui, au
départ, avait pour objectif de lutter contre l’insalubrité. Mais, selon le
quotidien pro gouvernemental L’union elle a fini par devenir sujette à
caution. Certes, l’opération est salutaire, en l’espèce, au vu des
constructions anarchiques qui ornent le cadre urbain Librevillois. Toutefois,
il se trouve que cette décision gouvernementale s’exécute en toute
illégalité. En effet, les squatters lésés déplorent « le fait de n’avoir pas été
prévenus, ou dénoncent les délais trop courts qui leur ont été accordé pour
quitter les lieux ». Voilà comment, par une mauvaise gouvernance foncière,
on finit par transformer une action bien fondée, en une opération qui met
les populations déshéritées dans une insécurité aux conséquences et aux
dommages frisant l’atteinte aux Droits de l’Homme. Car, pour le cas
d’espèce, plusieurs familles se retrouvent sans abris et de nombreux
opérateurs économiques « ont tout perdu, faute de n’avoir pas pu trouver
un local à temps » (Mbang Nguema, 2011 :4). D’ailleurs, les habitants ne
manquent pas de s’interroger sur la suite qui sera donnée à cette
destruction d’un nombre important du parc immobilier de la capitale
gabonaise. Car, au-delà du préjudice causé aux déshérités, voilà comment
l’Etat crée des squatters de plus. Car, aucune mesure palliative n’a été
envisagée, ni aucune zone de relogement.
Ainsi, tous les habitants de la capitale gabonaise sont exposés à cette
forme de gouvernance foncière où l’Etat imbu de ses prérogatives de
gestionnaire exclusif de la terre, peut déguerpir des populations, au gré des
projets souvent mal ficelés, sans autre forme de procès.
Par ailleurs, toujours comme processus de précarisation, la gestion du
foncier au Gabon a d’autres effets induits plus directs sur le niveau de vie
des Gabonais, mais surtout sur leur cadre de vie. En effet, le refus, sinon la
limitation d’octroi de titre foncier, outre qu’il réduit plus de 95 % des
propriétaires immobiliers à de simples squatters, en plus cette situation ne
permet pas à ceux qui ont des revenus modestes d’avoir des habitations
viables. Car, une des conditionnalités pour bénéficier d’un crédit
immobilier dans des établissements bancaires privés ou parapublics est la
détention d’un titre foncier. On aboutit ainsi à une sorte de quadrature du
cercle. Car, en rendant l’obtention du titre foncier hypothétique en amont,
l’Etat sait pertinemment qu’il rend aléatoire en aval la possibilité pour la
majorité des Gabonais de disposer de moyens suffisant pour réaliser une
habitation décente. Le processus de précarisation est ainsi assuré. Dès lors,
les Gabonais en sont réduits à passer les ¾ de leur vie active à tirer le
diable par la queue pour pouvoir garantir à leurs progénitures un logement
décent. Au-delà de pouvoir trouver un terrain en empruntant des circuits
où ils sont souvent grugés, les plus chanceux parviennent à engager des
travaux sur un terrain souvent litigieux où c’est le plus fort qui parvient à
s’imposer, en toute illégalité. Une fois la bataille d’acquisition d’un lopin de
terre gagnée le plus dur sera d’engager les travaux de construction avec les
91
moyens de bord dans un secteur où les coûts des matériaux restent
rédhibitoires. Ces coûts sont d’autant élevés que l’Etat n’a aucune prise sur
la détermination des prix des produits au Gabon. C’est pourquoi, au regard
du nombre trop élevé de mal logés et du très grand nombre de quartiers
sous-intégrés, le logement est l’une des preuves irréfutable de faille de
l’Etat dans le domaine de la gestion foncière (Mbang Nguema, 2011 :4).
Autrement dit, depuis 1960, l’Etat gabonais ne parvient pas toujours « à
maîtriser le patrimoine foncier en tant que gestionnaire exclusif des terre »
(Nguema Rano, op. cit : 2). En effet, à Libreville notamment, les ¾ des
parcelles construites n’ont aucun décret d’attribution l également valable.
Certains occupants ne daignent même pas entreprendre une quelconque
démarche administrative. Ainsi, face à cette faiblesse de l’Etat l’accès à la
propriété par les couches populaires dans les grandes villes au Gabon se
fait par l’invasion des terres vacantes : « d’où une occupation anarchique
de terrain et la prolifération des quartiers sous intégrés ». Il en résultat un
habitat précaire qui expose les populations à tous les risques sanitaires et
environnementales mortifères. En effet, si « les sites aménagés ou ne
faisant l’objet d’aucune menace naturelle abritent les quartiers structurés.
En revanche, les zones inondables ou marécageuses accueillent les
quartiers populaires ou sous-intégrés » (Engo Assoumou, op. cit : 5).
Dès lors, la précarisation des populations apparaît bien comme une
stratégie politique élaborée et appliquée au plus haut sommet de l’Etat. On
ne saurait expliquer autrement les blocages que l’Etat met en place pour
ne pas délivrer le titre foncier aux propriétaires légitimes de la terre
gabonaise. Dans ces conditions, si on n’a pu apprécier la sincérité de
l’actuel chef de l’Etat, qui ne comprenait qu’on puisse exiger plus de 120
visas pour obtenir le précieux sésame, on ne manquera pas de faire
constater que c’est le système dont font partie tous les membres de
l’actuel exécutif qui est l’initiateur et l’exécutant d’une telle politique
inique1. Qui plus est, l’Etat lui-même n’échappe pas au phénomène de
squattérisation. En effet, la majorité des bâtiments administratifs de l’Etat
sont des propriétés privées. Autrement dit, l’Etat n’ayant jamais consenti à
ériger des édifices publics pour ses agents se trouve contraint de verser des
loyers à des "particuliers". Dans, ce cadre, il n’est pas rare qu’un ministre,
un général ou toute haute personnalité de la république transforme sa
propriété privé en une institution républicaine moyennant des loyers
faramineux.
Tout compte fait, la gouvernance foncière gabonaise condamne le
citoyen à l’illégalité. La multiplication de zones de non droit fait en sorte
qu’au Gabon, l’illégalité foncière devient la norme. Dans ce cadre, les
populations sont astreint à appliquer le droit foncier populaire qui consiste
à s’approprier des espaces vacants en toute illégalité et par la suite
entamer une procédure de régularisation d’une situation de fait en une
1
Pour le ministre en charge de l’Habitat, lors de son audition à l’Assemblée Nationale, en
juin 2011, on dénombrerait plus de 134 étapes pour obtenir le titre foncier au Gabon. Ainsi,
les plus chanceux peuvent obtenir le papier entre 5 et 10ans, pour la grande majorité des
postulants, le texte n’aboutit jamais.
92
situation de droit. Sans grand espoir d’aller jusqu’au bout de la procédure.
En effet, en l’absence d’une politique de viabilisation de site et de terrains
légalement disponibles, les populations sont contraintes de s’installer et de
s’approprier des espaces vacants ou recourir à l’achat de parcelle chez des
propriétaires illégaux. Une telle réalité expose ainsi les citoyens à une
insécurité foncière qui ne permet pas toujours vivre décemment,
développer leurs activités économiques et investir dans leurs habitats sans
avoir la garantie de tout risque.
Finalement, s’il est reconnu que « le statut juridique de la terre
détermine le mode d’occupation et d’exploitation de celle-ci et que le droit
foncier un élément moteur de la politique du développement » (Moutsinga;
Akoghe Nsome; Nah-Oke, 2011: 4), alors on ne peut être surpris par le
sous-développement durable du pays en matière foncière. Car, au Gabon la
gouvernance foncière met en exergue l’irresponsabilité de l’Etat dans son
incapacité d’exercer sa prérogative régalienne de gestion exclusif de la
terre. En effet, l’existence dans la gestion foncière d’une multitude
d’acteurs aux statuts et aux compétences mal définis, exposent les
populations locales à des conflits fonciers inextricables.
CONCLUSION
93
réduirait au maximum la récurrence des conflits liés aux multiples ventes
de parcelles, aux immatriculations contestées, aux expropriations. Car, tous
ces conflits résultent, en grande partie, par le nombre trop important
d’acteurs sociaux qui revendiquent une propriété légitime sur la terre, alors
qu’ils ne disposent d’aucun titre légal pouvant les départager.
Or, le citoyen peut être défini comme un acteur social ayant un statut
légal. Dans ces conditions, l’appropriation légale de la terre pourrait
donner droit également à l’appropriation légale de ce qui est sous la terre.
Autrement dit, l’enjeu central de la question foncière au Gabon entre l’Etat
et le citoyen est une légalisation du titre de propriété qui induirait une
légalisation de l’appropriation du sous-sol. D’où, la diversité des modes
d’acquisition foncière et la complexité de la procédure d’obtention d’un
terrain avec les pesanteurs administratives y relatives. Autrement dit, en
refusant de trancher le problème de fond qui est la légalisation de la
jouissance légitime de la terre par les citoyens, l’Etat est contraint de gérer
collégialement la terre avec des acteurs aux statuts sociaux variés et
ambigus (les autochtones, les héritiers, droit première hache, etc.), créant
ainsi cette sorte de désordre organisé qu’on déplore dans la gestion du
foncier au Gabon. Il en résulte un statut juridique du sol écartelé entre le
droit populaire et le droit moderne. D’où la complexité des conflits
récurrents entre l’Etat, les populations et les opérateurs économiques,
mais également entre les administrations publiques elles-mêmes.
En somme, la crise actuelle trouve plonge ses racines dans la non
clarification et définition du statut social de l’occupant, avec pour point
d’achoppement la légitimité de la jouissance de la terre par citoyen et
l’appropriation légale de la terre par l’Etat. Ainsi, en refusant sciemment de
trancher, l’Etat expose la gestion du foncier au Gabon à des
dysfonctionnements institutionnels et techniques. Car, la répartition des
terres n’obéit pas à une logique de planification territoriale. D’où, des
procédures foncières inadaptées qui freinent l’accès à la propriété. Or,
pour son existence terrestre, l’homme n’a pas d’autres possibilités que
d’avoir les pieds sur terre et posséder un pied-t-à- terre. Lui refuser le droit
de jouir en toute légalité de ce bien précieux, c’est le contraindre à
l’errance, jusqu’à ce qu’il retourne à la terre : une société où les citoyens
n’ont pas les pieds sur terre est menacée de désintégration sociale.
BIBLIOGRAPHIE
94
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leur position ». In, L’Union, n°10785. Libreville, 2011, P.4.
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et enjeux fonciers au Gabon ». Contribution au Forum
National sur le Foncier, Libreville, 13-15 juillet 2001, 10p.
95
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.96-108 ISSN : 2226-5503
KONE Ténon,
Assistant au Département d’Etudes Ibériques
et Latino-Américaine (DEILA)
de l’Université Félix Houphouet-Boigny
(Côte d’Ivoire)
Kontnon@gmail.com
RESUME :
Les chercheurs s’accordent à reconnaître que la question des migrations aujourd’hui est
devenue un enjeu majeur de la vie politique, sociale et imaginaire des régions du « Tout-
Monde » (E.Glissant). On assiste à une accentuation des migrations intra-africaines,
transafricaines et transcontinentales. Aux migrations Sud-Sud s’ajoutent les migrations
vers l’Europe qui retiennent encore davantage l’attention des médias. L’avènement du
soi-disant village planétaire semble favoriser paradoxalement la « mondialisation de
l’indifférence » (Pape François) face à cette nouvelle tragédie. El metro (publié en 2007) de
l’équato-guinéen Donato Ndongo-Bidyogo sur lequel porte notre article aborde cela sans
détours. L’œuvre évoque le drame de la migration de la jeunesse africaine vers l’Europe à
travers les péripéties d’un jeune africain noir animé par le mirage de l’Occident. Mais si les
causes de départ sont multiples et variées, Donato Ndongo met en relief ici la caducité et
rigidité de certaines traditions qui poussent la jeunesse à partir. Dans El metro, Obama
Ondo souffre de la trahison de la loi ancestrale dans laquelle il avait fermement mis toute
sa confiance. Il est obligé de renoncer à son mariage avec sa fiancée pour sauver l’amour
né entre son propre père et la mère de celle-ci. Après l’échec donc de son mariage,
Obama Ondo entreprend d’aller refaire sa vie ailleurs, notamment en Espagne où son
adaptation sera des plus difficiles.
Mots-clés : Migration – Jeunesse africaine – Europe – Représentation – Traditions –
Mariage – Roman african
ABSTRACT:
Evidence suggests that the question of migrations nowadays has become a major
challenge of political, social and imaginary life of the « Tout-Monde » (E.Glissant). We are
witnessing an accentuation of the intraAfrican, transAfrican and transcontinental
migrations. In addition to South-South migrations, the migrations from Africa to Europe
are which mass media pay more attention. The advent of the so called global village seems
to promote paradoxically the “globalization of the indifference” (Pope Francis) facing that
new tragedy. El metro (published in 2007) by the Equatoguinean Donato Ndongo-Bidyogo
on which is based this article addresses directly the question. El metro is about the drama
of the African youth migration towards Europe through the adventures of a young African.
The latter is motivated by the Occident mirage. But if the causes of the departure are
multiples, Donato Ndongo denounces here the caducity and rigidity of some African
traditions and costumes which oblige the youth to leave the continent. In El metro, Obama
Ondo is suffering the betrayal of the ancestral law in which he trusted firmly. He is obliged
to give up his marriage with his fiancée to save the love between his father and his fiancée
mother. After the failure of his marriage, Obama Ondo decides to go to Europe especially
to Spain where his integration will be difficult.
Key words: Migration - Young African – Europe - – Représentation – Traditions – Mariage
– African novel
96
INTRODUCTION
1
Ferréol (Gilles), Dictionnaire de sociologie. Paris : Armand Colin, 2009, 242p. ; p.102.
2
Cros (Edmond), Le sujet culturel. Sociocritique et psychanalyse. Paris : L’Harmattan,
2005, 270p. ; p.162.
97
littérature joue un rôle d’éveil de conscience. El metro n’est pas la
première œuvre dans laquelle l’écrivain aborde le thème du mariage en
Afrique. Trente quatre ans auparavant, c’est-à-dire en 1973, Donato
Ndongo abordait déjà le même thème dans son récit court El sueño. Nous
allons donc nous arrêter sur ce thème du mariage (de la polygamie et de la
procréation) qui semble si cher à l’écrivain équato-guinéen et par ricochet
à l’Afrique en général. Si l’auteur revient ici sur le mariage en Afrique dans
un contexte de migration généralisée, c’est justement parce que le mariage
et plus concrètement les sommes faramineuses à débourser pour payer les
dots constituent un autre facteur déterminant dans le départ
problématique de la jeunesse subsaharienne vers l’ailleurs Euro-occidental.
1
Ndongo-Bidyogo (Donato), El metro, Barcelona : Ediciones del Cobre, 2007, 458p. ;
p.143.
98
conditions ne peut être valable, prospère ni accomplir sa
fonction ni durer]. »
Ce que ce long passage nous donne à voir n’est rien d’autre que la
représentation, l’importance que le mariage revêt pour la réputation et le
prestige des tribus et autres clans en Afrique. C’est un rituel millénaire qui
a gardé toute (ou presque) son importance dans beaucoup de sociétés
africaines (et d’ailleurs) malgré l’usure du temps et l’influence des temps
dits modernes. C’est un acte qui engage et atteste du degré de
responsabilité des conjoints (de l’homme en premier, dans le cas d’un
mariage classique) à se prendre en charge. Dès lors toute union qui est
censée saper, salir l’image et la réputation du groupe, de la famille est
automatiquement rejetée. Donato Ndongo revient donc sur le thème du
mariage dans El metro pour montrer combien la tradition contrôle et joue
toujours un rôle prépondérant voire absolu vis-à-vis de la nouvelle
génération qui reste dépendante du bon vouloir des « vieux » en la
matière. Comme nous l’annoncions dans l’introduction, le thème du
mariage et les difficultés qu’il engendre pour la nouvelle génération a été
déjà évoqué par l’écrivain dans son récit court El sueño. Dans cette œuvre,
l’auteur raconte l’histoire d’un jeune sénégalais casamançais qui fut obligé
de migrer, de partir parce qu’il n’arrivait pas à payer la dot (de douze
vaches) que lui imposaient les parents de sa fiancée Traoré. Le jeune
homme étant donc dans l’incapacité de payer tout ce bétail, a choisi d’aller
en Europe (en Espagne précisément) se faire un peu d’argent pour arriver à
ses fins. Dans El metro, il suffit d’analyser l’histoire d’Obama Ondo avec sa
fiancée Anne Mengue pour comprendre la mainmise des anciens sur le
mariage en Afrique et la manière dont cela entrave sérieusement la vie des
jeunes. En effet, après lui avoir révélé son intention de l’épouser, Anne
Mengue s’est enfuie subitement des bras d’Obama Ondo parce qu’elle
savait que ce dernier allait découvrir le pot-aux-roses à savoir la romance
entre le père d’Obama Ondo et sa propre mère à elle. C’est justement au
moment où Anne Mengue annonce à sa mère (Jeanne Bikie) qu’elle est
enceinte d’Obama Ondo que cette dernière réalise la gravité de sa relation
amoureuse « illicite » avec Guy Ondo Ebang (père d’Obama Ondo). Guy
Ondo, pris de panique, décide de mettre alors les choses au clair : « para
hacer las cosas bien ante Dios y ante el mundo, expondría el caso al padre
Martín Essomba y a los ancianos de la tribu, para que les aconsejaran tanto
a él mismo como a su hijo » (Ndongo, p.169). [Pour bien faire les choses
devant Dieu et devant les hommes, il expliquerait le problème au père
Martín Essomba et aux anciens de la tribu afin qu’ils donnent des conseils
aussi bien à son fils qu’à lui]. Mais le conseil que donnèrent les « vieux » à
Obama Ondo ruina tous ses espoirs de se marier avec Anne Mengue et
d’élever ensemble leur future progéniture, leur enfant. Pour les « vieux »,
en effet, le fait que Guy Ondo entretienne des rapports intimes avec
Jeanne Bikie et qu’il compte l’épouser à son tour interdit d’emblée tout
mariage d’Obama Ondo avec sa fille, malgré son état de grossesse. Pour
eux, au regard de la tradition, Anne Mengue devient automatiquement la
99
sœur d’Obama Ondo. Un tel mariage « incestueux » ne sera pas bon pour
la stabilité du clan parce qu’il entrainera une confusion des rôles, c’est-à-
dire que les pères deviendront en même temps les beaux-parents. Les
anciens ont donc préféré étouffer très tôt le poussin dans l’œuf. Mais si
cette sentence permet d’une façon ou d’une autre d’éviter le scandale que
pourrait créer un tel mariage, elle semble priver Obama Ondo de liberté
dans le choix de sa femme. Il convient de dire ici que le conseil-sentence
des « vieux » à Obama Ondo fut l’élément déclencheur de sa décision de
partir en exil (en Europe), périple qui le conduira de Yaoundé (capitale
politique du Cameroun) à Madrid en Espagne (où il connaîtra sa violente et
triste fin) en passant par Douala (capitale économique camerounaise) et
Dakar au Sénégal. Comme nous pouvons le voir, la nouvelle génération
semble désillusionnée par certaines traditions qui restent ancrées dans le
passé et ne leur laissent pas toujours libre cours pour choisir en mariage la
fille qui leur convient. C’est sans doute pour ces raisons, à savoir ici la
rigidité de la tradition et les dots parfois trop couteuses, que nous
entendons souvent dire que « se marier à une européenne revient moins
cher et plus simple qu’un mariage en Afrique ». Il est vrai qu’il sera ainsi
difficile au protagoniste casamançais (sénégalais) de El sueño de trouver
une femme s’il doit payer au-delà de ses moyens. C’est aussi vrai qu’il sera
difficile à Obama Ondo d’oublier l’échec de son mariage avec Anne
Mengue à cause d’une loi traditionnelle trop rigide et
« dépassée/rétrograde » mais de là à encourager la jeunesse africaine au
péril de la migration à travers de tels propos est, à notre avis, encore plus
suicidaire. De plus, faut-il encore que ce type de mariage aille à son terme
car en cas de divorce (ce qui devient de plus en plus la règle en Europe et
ailleurs), l’on sait combien la pension alimentaire détruit parfois des vies
notamment celle du mari divorcé. Nous pouvons aussi ajouter ici que ce
que ces deux cas de mariage frustré (celui de El sueño et de El metro), mais
également l’allusion faite au mariage avec une blanche, nous donne à
voir/lire n’est rien d’autre que la représentation que l’africain a en général
du mariage. Nous disons cela car il nous semble que le protagoniste
principal du roman, Lambert Obama Ondo, en tant qu’africain très attaché
aux valeurs traditionnelles africaines, est victime de son extrême
représentation du mariage. Si sous d’autres cieux (en l’occurrence
l’Europe/Occident), le mariage à tendance à perdre de sa valeur/saveur,
cela n’est pas encore tout à fait le cas en Afrique où l’on y voit tout un
honneur, un prestige et une dignité parfaite pour le/la marié (e) et sa
famille. L’on constate que de plus en plus de couples euro-occidentaux, s’ils
ne choisissent pas de vivre en concubinage et donc de ne jamais se marier,
préfèrent opter pour le pacs. Pour justifier ces différents choix, certains
évoquent le coût exorbitant et/ou les procédures interminables et donc
trop prenantes des divorces. D’autres parlent de la simplicité que leur
octroie le pacs en cas de divorce c’est-à-dire, par exemple, la possibilité de
divorcer par un simple SMS (Short Message System).
100
II- TRADITION ET RIGUEUR EN AFRIQUE : UNE REALITE EN PERTE DE
VITESSE ?
101
never been static and needs to continue to evolve so that young people are
not lured into migrating in order to finance its high cost. It is important that
Africans are the ones who recognize the importance of regulating the price
of the bridewealth and not outsiders1 ». L’allusion faite par Montuori aux «
outsiders » renvoie ici à l’époque coloniale car les colons européens ont
tenté partout en Afrique de réguler le mariage et/ou la polygamie.
Au regard donc de ces prix trop élevés des dots qui empêchaient
beaucoup de jeunes de se marier, les nouvelles autorités coloniales ont
entrepris des reformes conséquentes, comme l’indique le passage suivant:
1
Montuori (Chad), El Metro, Department of Spanish and Portuguese (UCLA), USA:
University of California, 2010, <http://www.escholarship.org/uc/item/3tr5v9g8#page-2>
59669 , mis en ligne en 2010, Consulté le 14.11.2013.
2
Ndongo-Bidyogo (Donato) ; De Castro (Mariano), España en Guinea. Construcción del
desencuentro: 1778-1968, 240p. ; p.157.
102
polygamie qui ne pouvait être interdite par décret fut
sanctionnée : outre le payement de la dot
correspondante à la famille de la fiancée, le polygame
devait payer à l’administration 500 pesetas pour la
troisième femme, 1000 pour la quatrième, 1500 pour la
cinquième et 2000 pour chacune des femmes suivantes
[…]]. »
1
Rude-Antoine (Edwige), Des vies et des familles. Les immigrés, la loi et la coutume,
Paris : Editions Odile Jacob, 1997, 321p. ; p.160.
2
PHILLIPS (Arthur), Survey of African marriage and family life, London: Oxford
University Press, 1953 Cité par Montuori (Chad), op. cit.
103
encourageant la monogamie, a maintenu le droit pour un homme de se
marier avec plusieurs épouses », Lilyan Kesteloot pense que :
1
Rude-Antoine (Edwige), op. cit., p.198. Voir aussi Kesteloot (Lilyan), Histoire de la
littérature négro-africaine, Paris : Karthala, 2001, 386p. ; p.283.
104
combien les deux caressaient ce que son mari cachait
dans son pantalon]. »
1
Enquêtes du sociologue Abdoulaye Bara Diop, IFAN, Dakar cité par Kesteloot (L.), op.
cit., p.283.
2
Maïga Ka (Aminata) citée par Kesteloot (L.), op. cit., p.284.
105
trouve ici toute sa teneur vu les nombreuses questions qu’Anne Mengue se
posait après avoir vécu quatre années d’affilées avec Obama Ondo sans la
moindre grossesse :
106
au lieu d’aider les jeunes à s’épanouir sur le continent, obstruent plutôt
leur avenir et les obligent parfois à fuir bien entendu au péril de leur vie.
CONCLUSION
107
BIBLIOGRAPHIE
108
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.109-120 ISSN : 2226-5503
KONE Saindou,
Doctorant en Gestion des projets,
Chaire UNESCO
de l’Université Félix Houphouët-Boigny
(Côte d’Ivoire)
Saindou2008@gmail.com
RESUME
Cet article a pour objectif de mesurer les effets des activités informelles sur l’insertion
socioprofessionnelle des jeunes dans le district d’Abidjan. Pour ce faire, une enquête a été
menée dans la capitale économique ivoirienne. L’article s’appuie sur l’approche de
l’économie populaire couplée à celle des réseaux sociaux. En référence à cette approche,
après la présentation de la situation de travail des jeunes à Abidjan et ses implications en
termes d’initiatives économiques populaires, l’étude montre que les activités informelles
constituent un levier essentiel d’insertion socioéconomique des jeunes à Abidjan. Ces
différentes activités de survie mettent en évidence l’ingéniosité des acteurs informels à
développer une forte résilience face aux divers chocs sociaux et économiques.
ABSTRACT
This paper has objective to measure the effect of informal activities on social and
professional young people insertion in the Abidjan district. Therefore, an inquiries has
been lead in the Ivoirian economic capital. This paper leans on popular economy approach
and social networks. To refer to this approach, after presentation of young people’ work
situation in Abidjan and their implications on popular economic initiatives, the inquiries
show that informal activities constitute an essential lever of social and economic insertion
for young people in Abidjan. These different activities of livelihood highlight the ingenuity
of informal actors to develop a strong resilience facing social and economic crisis.
109
INTRODUCTION :
110
aujourd’hui le mode prévalent d’ascension économique pour plusieurs
groupes.
Cette « économie de la débrouille », caractérisée principalement par
l’auto-emploi, la création d’entreprises familiales, la forte présence sur le
marché des biens et services liés à la vie quotidienne. Cette économie
populaire est un domaine où les activités sont fondées sur les initiatives
privées individuelles ou collectives développées par les populations
démunies, notamment les jeunes et les femmes. Ces activités occupent
une frange importante des populations urbaines.
Une même approche est développée par Odile CASTEL (2006). Pour
elle, l’économie populaire peut, si elle est en croissance, devenir une
entreprise du secteur privé ; mais elle peut aussi devenir une entreprise de
l’économie solidaire (coopératives, mutuelles, associations). A certaines
conditions, elle participe d’une stratégie d’organisation collective en
s’inscrivant dans la construction de systèmes d’échange local et dans une
plus grande coopération entre pairs au niveau du travail. Ainsi, dans les
pays du Sud, les travailleurs exclus du marché du travail formel, au travers
de leur auto-organisation, créent de plus en plus d’initiatives de l’économie
populaire solidaire qui forment des groupes de production à caractère
familial ou communautaire. Ce sont des situations précaires nées du
chômage endémique qui seraient à la base des activités d’économie
populaire et d’économie populaire solidaire. Ces activités seraient une
sorte de planche de salut pour de nombreuses personnes aussi bien en ville
qu’en campagne. Sans ces initiatives personnelles et collectives de survie, il
n’aurait certainement pas d’autres solutions viables et fiables pour les
populations qui y ont recours. Elles jouent ainsi, un rôle social et
économique de premier plan pour de nombreux jeunes en quête de travail.
Dans leur mise en œuvre, ces activités informelles conduisent bien souvent
au développement de réseaux sociaux. Pour SOKO (2010), à partir d’une
étude sur l’entrepreneuriat informel à Abidjan, les activités économiques
informelles s’insèrent dans des réseaux sociaux. Pour lui, sur le plan
sociologique, la question des activités informelles présente des affinités
avec les réseaux sociaux, ceux en particulier sur lesquels sont basés les
grands courants entrepreneuriaux du secteur informel à Abidjan. Ici,
l’approche structurelle et les réseaux sociaux sont privilégiés. Ces constats
confirment l’importance de disposer dans son réseau de relations hors-
famille (Cleaver, 2005) sans pour autant mettre à jour, comme le fait
Guichaoua (2007), une opposition stricte entre le soutien obtenu par la
famille et celui obtenu en dehors de cette dernière. Contrairement aux
résultats de Lourenço-Lindell (2002) nous ne pouvons non plus conclure
que les liens forts familiaux soient plus résilients que les autres : il apparaît
ici que même les liens faibles peuvent avoir un rôle majeur dans la
résilience des micro-entrepreneurs, que ces derniers relèvent de la sphère
de l’amitié, du voisinage, voire de la sphère professionnelle. Ces réseaux et
ces relations d’affaires, peuvent déboucher sur la constitution de
communautés, d’associations ou d’organisations qui jouent un rôle
important en termes de sécurisation de l’accès aux ressources en cas de
111
crise. C’est souvent le cas en ce qui concerne les liens de coopération entre
entrepreneurs.
Cette approche permet d’affirmer que l’insertion des jeunes à travers
les activités économiques informelles est influencée par les réseaux de
relations sociales. Comme GRANOVETTER (1992) qui soutient qu’à partir du
moment où l’opportunisme et la malhonnêteté sont présents dans cette
dynamique économique, la notion d’encastrement est d’une importance
fondamentale. Elle souligne le rôle joué par les relations personnelles
concrètes et ses réseaux qui génèrent la confiance et découragent la
transgression des règles. Les formes d’organisation sociale en milieu urbain
et surtout dans le secteur informel, se structurent autour de multiples
réseaux. L’appartenance à ceux-ci détermine très largement les pratiques
entrepreneuriales informelles. Ainsi, l’insertion des acteurs de l’informel
dans des réseaux stables de relations personnelles permet de diffuser les
informations et de contrôler le comportement, en générant de la confiance
et en isolant rapidement ceux qui ne la méritent pas. Les moyens financiers
pour entreprendre se résument à l’étendue des relations sociales qui
donnent la capacité de mobiliser des fonds rapidement à travers la
confiance. Ainsi, sur cette base, un entrepreneur informel peut mobiliser
une somme substantielle en un temps record sans signer le moindre
papier.
Cette approche théorique, appliquée à notre sujet, nous apprend que
l’argent et les relations sociales sont au centre des préoccupations des
activités économiques informelles commerciales et artisanales. L’argent
circule très rapidement, il alimente des chaînes de solidarité de dons et de
contre - dons. Ce qui permet à l’acteur informel de maintenir le lien social
sans effacer la dette. De là, plus le temps passe, plus les acteurs
s’éternisent dans le secteur informel à cause des coûts d’entretien élevés.
Il faut donc un puissant réseau social aux acteurs informels afin de faire
face à ces coûts d’entretien et maintenir de la sorte l’activité initiale. Ce qui
nous permet de mettre l’accent sur le processus en jeu dans le tissu social
au travers d’une enquête sur le terrain réalisée sur les activités
économiques informelles à Abidjan, la capitale économique ivoirienne.
Sur le plan Méthodologique, cet article s’appuie sur une enquête
qualitative menée dans le district autonome d’Abidjan. Elle a duré un mois.
L’enquête a porté sur les modalités d’insertion des jeunes dans le tissu
socioéconomique du secteur informel. A cet effet, un guide d’entretien a
été élaboré. Les données ont été recueillies au moyen d’entretiens
individuels et collectifs. Les entretiens ont porté sur les conditions d’accès
des jeunes aux emplois publics et privés, le niveau d’instruction des
demandeurs, les relations de travail et humaines, les conditions de gestion
des activités, les relations entre les travailleurs informels. Les entrevues
ont porté sur soixante-dix jeunes tirés au hasard dans la ville d’Abidjan. Ils
ont été étudiés par rapport à leurs occupations ou non vis-à-vis de diverses
activités informelles à Abidjan (commerce, artisanat, transport,
restauration, TIC). Les entretiens ont fait l’objet d’enregistrement et de
112
prises de notes, les données ont été analysées à partir d’une analyse de
contenu.
II- RESULTATS
113
Figure 1 : le niveau d’instruction des acteurs informels jeunes
Niveau
Effectif Pourcentage
d’instruction
Aucun 10 14,28
Primaire 18 25,72
Secondaire général 24 34,29
Secondaire
10 14,28
technique
Supérieur 08 11,43
Total 70 100
114
Tableau 3 : durée de vie des activités informelles à Abidjan
115
Côte d’Ivoire suite à la dernière décennie de crise sociopolitique et à la
faible employabilité des jeunes.
Ces différents résultats précédents appellent plusieurs
interprétations.
Tranche d’âge de
Indicateur jeunes
15-24 ans 15-35 ans
Taux de jeunes au chômage 13,80 % 12,20%
Dont
• Taux de chômage des jeunes hommes 9,70%
• Taux de chômage des jeunes femmes 15%
Taux de jeunes chômeurs découragés 39,13% 36,10%
Taux d’insertion des jeunes dans l’économie n/a 53,10%
formelle 26,40%
Dont taux d’insertion des femmes
Taux d’insertion des jeunes dans l’économie 91,10% 58,90%
informelle
Dont taux d’insertion des jeunes femmes 44%
116
III- DISCUSSION
117
rapports de force qui en découlent mettent à mal la survie des activités
informelles de subsistance. En effet, la priorité est donnée aux personnes
et surtout à la résolution quotidienne des problèmes faisant ainsi de
l’activité informelle un facteur important de résilience.
118
d’emploi. Les activités informelles apparaissent ainsi comme une planche
de salut pour l’insertion sociale et économique de couches vulnérables
aussi bien dans le milieu urbain que rural.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
119
GRANOVETTER M. (1992), « Economic Institutions as Social Constructions :
A Framework for Analysis », in: Acta Sociologica, no 35,
p. 3-11
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L’économie solidaire dans les pays en développement,
L’Harmattan, collection Mouvements Economiques et
Sociaux, pp. 61-84.
120
Littérature
121
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.122-132 ISSN : 2226-5503
RESUME
Crimes rituels et croyances mythologiques ; voici qui motive cette réflexion sur Icare et
Faust dans le roman La Bible et le fusil de l’écrivain ivoirien Maurice Bandaman. Les
Bouba, il en existe dans toute l’Afrique et même dans le monde entier, de l’ère des
premiers hommes jusqu’à nos jours. Et Afitémanou, fils de Mamie Awlabo et de Ba’a
Assazan, devenu un homme politique de manière inattendue, permet de lever un voile sur
les rites sacrificiels portant sur l’homme. En réalité, il ne s’agit que des avatars des mythes
d’Icare et de Faust que de telles pratiques funestes développent.
ABSTRACT
Ritual crimes and mythological beliefs; Here is what motivates this reflection on Icarus and
Faust in the novel The Bible and the rifle of the Ivorian writer Maurice Bandaman. The
Bouba, there are in all Africa and even in the whole world, from the era of the first men to
the present day. And Afitémanou, son of Mamie Awlabo and Ba'a Assazan, who has
become a politician in an unexpected way, allows to lift a veil on the sacrificial rites
concerning man. In reality, it is only the avatars of the myths of Icarus and Faust that such
deadly practices develop.
Keywords: Rites - Myths - Sacrifices - Deadly practices - Beliefs - African deity - African
romance
INTRODUCTION
122
mythe1. « Le mythe est [d’abord] une réponse », pour dire qu’il réfléchit à la
possibilité de sa répétition en littérature, une fois élaboré. Il est également
une interpellation ou « un appel » à la sensibilité du récepteur qui à son
tour « continuera à [le] faire vivre ». Voilà pourquoi d’un destinateur à un
autre, il peut être modifié. Ensuite, il « est répétable et il se maintient par la
répétition ». De là, se perçoit « la puissance de la transmission orale ».
Enfin, il ne peut y avoir de mythe sans le moindre « degré de croyance
qu’on lui accorde ».
Au demeurant, la tragédie d’Afitémanou permettra de réfléchir sur ces
mythes, suivant trois événements de sa vie : la volonté de sa mère, ses
rêves prémonitoires et l’étude (l’onomastique) de son nom. Pour y
parvenir, « sur les chemins de la mythocritique », selon Simone Vierne, il
serait nécessaire de se demander « comment cerner, ou discerner, ce qui,
dans une œuvre ou un groupe d'œuvres donnés, a servi de schéma
dynamique, de processus de cristallisation ?» Elle y répond en affirmant
que le préalable est de commencer « par lire, bien entendu, mais
s'efforçant de relever tous les éléments "mythiquement significatifs",
(définition du mythème), dans les situations, le déroulement des
événements, les personnages, les éléments du décor.» 2 D’ailleurs, tous les
trois événements de la vie d’Afitémanou reposent sur des substrats
mythologiques déterminatifs de mythèmes.
1
Yves Chevrel, « Réception et mythocritique » in Questions de mythocritique, pp. 283-284
2
Simone Vierne, « Mythocritique et mythanalyse » in Iris, n° 13, p 43-56
3
Anna et Fabian da Costa, Les Grands mythes et l’histoire des hommes, pp.65-67
123
père crie vengeance. »1 A lui personnellement, plus tard, elle avertira que
sa connivence avec l’ennemi le conduira à « fini[r fou] comme un chien
enragé devant une foule de gens ! »2
A ce niveau, l’appel de la mère se présente comme un périple, du
fait qu’il est question d’affronter le puissant et totalitaire pouvoir politique
et administratif en place. Mieux, il est question d’une entreprise périlleuse
qui se mue dans le labyrinthe mythologique. Faut-il le rappeler, le
labyrinthe fut initié par le Roi Minos « dans une cache souterraine si
compliquée que jamais nul ne pourra en sortir »3. Il n’y a alors pas de
possibilité de s’évader, surtout par la voie terrestre et maritime. Voilà qui a
motivé la voie aérienne empruntée par Dédale et son fils Icare, parce qu’ils
y furent enfermés. Les recommandations et ordres de Mamie Awlabo sont
intéressantes parce qu’ils permettent de les interpréter comme les conseils
donnés par Dédale à son fils Icare pour en sortir.
Et c’est prenant en compte cette réalité que l’histoire d’Afitémanou
s’apparente au mythe canonique car il s’agit de mettre l’homme en face
des situations qu’il affronte tous les jours, sur le chemin de la construction
de son bonheur. Mais Afitémanou ne s’en sortira pas sur la voie
empruntée. Conséquemment aux modifications canoniques, le labyrinthe
finit par symboliser le voyage spirituel et psychologique que l’homme
accomplit à l’intérieur de lui-même, afin de trouver le vrai sens de sa vie.
Sous cet angle, il est question d’un cheminement initiatique qui mène à de
nombreux égarements existentiels dans la connaissance de soi. Ainsi, le
labyrinthe implicite convoqué dans La Bible et le fusil de Maurice
Bandaman rejoint l’objectif canonique du mythe initial : celui de s’y perdre
car il ne devait « y avoir de plus complexe, de plus trompeur, de plus
inquiétant »4 que ce labyrinthe mythologique.
D’autre part, le second volet du comportement icarien d’Afitémanou se
perçoit lorsqu’il se dérobe par deux fois des avis de sa mère. Il y a primo le
fait de son indolence à l’égard de sa mère qui frise le refus. Il ne tente pas
de contenter sa mère et il imprime une passivité déconcertante à la mettre
en colère5. Il renforce secundo le sentiment de la mère courroucée,
lorsqu’il s’allie à l’ennemi de la famille : la pouvoir politique en fonction.
« Toi, aussi, tu seras maudit »6, martèle Mamie Awlabo à son fils. Il ne
serait pas inopportun d’alléguer que la mère n’est pas celle qui déclenche
la tragédie d’Afitémanou, mais plutôt lui-même. Comme Icare, son salut ne
serait manifeste que dans l’obéissance aux recommandations.
En somme, l’enfreinte d’Afitémanou illustre dès lors le mythème qui
permet de « tenir pour essentiellement signifiant tout élément mythique,
patent ou latent, et donc d’organiser à partir de lui toute l’analyse de
1
Maurice Bandaman, La Bible et le fusil, op. cit, p. 13
2
Maurice Bandaman, idem, p. 31
3
Anna et Fabian da Costa, Les Grands mythes et l’histoire des hommes, op.cit, p.66
4
Anna et Fabian da Costa, idem.
5
Maurice Bandaman, La Bible et le fusil, op. cit, p. 13. 17
6
Maurice Bandaman, idem, p. 17
124
l’œuvre. »1 Il ne peut y avoir de tragédie sans désobligeance ; il ne peut y
avoir de punition sans désobligeance, puisqu’elles constituent les réponses
apportées par une divinité courroucée dans la mythologie2.
A la suite de la discursivité mythologique mis en évidence dans le
mythème de l’enfreinte, se découvrent ceux des rêves prémonitoires
d’Afitémanou.
125
Les images ornithologiques renvoient toutes au désir dynamique
d’élévation, de sublimation. »1 Afitémanou, par cette expressivité
ornithologique, matérialise son désir de liberté, d’évasion et d’élévation.
Dans la relation parents/enfant, le mythe d’Icare avec lui devient la volonté
de s’affranchir de la tutelle parentale et surtout maternelle, quitte à y
parvenir par la désobligeance. Dans le cadre social, il devient celui de la
volonté de sortir de la précarité, même par des voies détournées qui
pourront lui être préjudiciables. Ainsi en est-il du liquide doré dont
Afitémanou s’enivre, puisqu’il est l’or «symbole d’âpreté au gain, d’avidité
possessive, […] motif de richesse comme cause de malheurs. »2 Il
s’apparente dans ces conditions au sang qui coule dans ce rêve-ci, mais
également dans celui qui précède sa mort immédiate, dans son second
rêve3.
Quant à la figure féminine sous-tendue par les caresses féminines, elle
n’est que l’avatar de la « féminisation du péché originel qui vient converger
avec la misogynie que laissent transparaître la constellation des eaux
sombres et du sang. La femme, d’impure qu’elle était par le sang
menstruel, devient responsable de la faute originel »4, d’où son
rapprochement aux symboles catamorphes. Puisque des symboles
ascensionnels précèdent des symboles catamorphes dans ces rêves, il en
sera conséquemment dans la vie du personnage. Sa vie passera d’une
ascension chimérique fulgurante à une tragédie catamorphe.
Afitémanou connaît effectivement un changement inattendu de vie,
allant d’ « un cadre subalterne, constamment endetté, un célibataire
endurci » à celui d’un tout puissant ministre marié, en transitant par celui
d’ambassadeur5, au grand désarroi de sa mère et de manière surprenante.
Il connut les joies dues aux transgressions commises, à l’image d’Icare
volant jusqu’à se rapprocher du soleil qui le perdit. Dans le mythe
labyrinthique, Icare, figure parmi les plus illustres de la mythologie
grecque, se fait remarquer par ses soifs de grandeur, de liberté et de
pouvoir. Trop ambitieux à ne point prêter attention aux règles préétablies,
il met en lumière les conséquences de la soif inextinguible de l’homme à la
grandeur et à l’orgueil, faisant fi des limites, au risque de "se brûler les
ailes", c’est-à-dire au risque d’en pâtir, jusqu’à la tragédie. Il est l’archétype
de l’homme de la démesure, de l’orgueil, l’homme sourd et aveugle face
aux interdits et conseils. Mieux, l’on constate avec lui que l’homme se
glorifie de ce qui pourra occasionner sa perte.
De plus, en agissant de la sorte, Afitémanou finit, tout comme Faust
dans le mythe qui lui est rattaché, par pactiser avec le diable et l’ennemi,
pour passer d’une situation de manque extrême à une situation de manque
comblé. De même qu’Icare transgresse les interdits, Faust en fait
1
Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit, pp. 144. 145
2
Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit, pp. 302. 303
3
Maurice Bandaman, Maurice Bandaman, La Bible et le fusil, op. cit, p. 119
4
Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit, p. 126
5
Maurice Bandaman, Maurice Bandaman, La Bible et le fusil, op. cit, pp. 28-39. 101
126
également. D’ailleurs, bien avant d’être récupéré comme un mythe
littéraire et un personnage mythologique, Faust a bel et bien existé.
127
sous son pouvoir, à l’image d’Icare et de Faust. Il mourut désillusionné
suivant les paroles de sa mère : « (…) tu mourras fou. Tu finiras comme un
chien enragé devant une foule de gens ! »1 Le narrateur décrit les
circonstances de sa triste fin signifiant que :
128
Afitémanou, dans sa portée onomastique, signifie « Tu ne t’en sortiras
point. »1 Comment pouvait-il en être autrement dans sa vie, si ce n’est que
l’échec et la désillusion à percevoir ? Ce nom constitue le fatum qui
l’accable et pèse sur lui de manière inéluctable. Le portrait qui est fait de
lui est édifiant. Du retour des funérailles de son père et face aux
sollicitations de sa mère, « Assazan Afitémanou, l’aîné, les mains entre les
cuisses, le cou ployé, avait les yeux rivés sur le sol ; il ne disait rien. »
Lorsqu’elle l’interpelle, il « [la] regarda, posa le regard sur les armes
[qu’elle lui proposa] et ploya encore le cou pour fixer le sol, impuissant. »2
Le narrateur décrit, dans ces conditions, un personnage passif et indolent.
Sans personnalité aucune, il mène sa vie de manière irresponsable, de
sorte à devenir un contre-modèle et un danger: fornication, beuverie,
endettement, solitude, errance, etc.3 Afitémanou se trouve prisonnier de
son nom qui lui marque sa puissance nyctomorphe et catamorphe. Devenu
homme d’Etat, il ne peut que se laisser emporter dans la corruption de son
âme.
Au demeurant, il ne peut y avoir de tragédie icarienne et faustienne
avec Afitémanou, si la portée de son nom n’est pas révélée. Du reste,
« connaître le nom, le prononcer d’une façon juste, c’est pouvoir exercer
une puissance sur l’être ou l’objet […], le nom est étroitement lié à la
fonction. »4 Alors, lorsque Mamie Awlabo prononce dans toute sa
prestance le nom « Afitémanou » et révèle ou rappelle sa valeur à son fils,
elle ne fait que le damner davantage sur le chemin méandrique de sa triste
vie. Pour s’en soustraire ou pour son amélioration, il devint Faust, en
commettant un infanticide. Le narrateur décrit l’ignominie commise en ces
termes :
1
Maurice Bandaman, La Bible et le fusil, op. cit, p. 16
2
Maurice Bandaman, idem, pp. 13. 17
3
Maurice Bandaman, ibidem, pp. 27-38.
4
Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, op. cit, pp.781. 782
5
Maurice Bandaman, La Bible et le fusil, op. cit, p. 115
129
Crime de trop pour Faust, transgression de trop pour Icare, Afitémanou
s’embarqua sur le chemin du non retour de la tragédie. Il dut payer pour
ses transgressions comme Icare et Faust. Le soleil, à trop s’y approcher finit
par aveugler et perdre. C’est un personnage froid, funeste et insatiable.
Pour « couper le cordon ombilical » d’avec sa mère et ses parents, il rompt
tout contact. Libre à l’égard de tout, il donne libre court à sa soif
inextinguible de grandeur : la censure familiale n’existe plus, la censure
sociale et religieuse aussi, parce que devenu un surhomme, le tout puissant
ministre chargé des affaires occultes. Une telle liberté, l’on finit par en
abuser, à l’image d’Icare fendant les airs, jusqu’à se rapprocher du soleil.
Afitémanou, l’homme dont le nom rime avec l’échec ne vit que dans le
désespoir, l’échec et la résignation. Ses relations avec sa mère sont
exécrables à cause de l’emprise d’une mère autoritaire et dominatrice. Un
défaut de communication s’instaure alors entre les deux, de sorte à devenir
un langage de sourd. Ce défaut de communication existe également entre
lui et ses frères car à aucun moment, il ne parle d’eux ni n’entre en contact
avec eux. Personnage solitaire, il lui est difficile d’établir des relations avec
les autres, à plus forte raison draguer une femme pour en faire sa
compagne : il préférait les prostituées. De ce fait, sa situation matrimoniale
est également un échec et partant sa vie socioprofessionnelle. Voilà ainsi
exprimée toute la pesanteur onomastique contre laquelle il veut
s’affranchir, puisqu’elle se matérialise dans sa vie. Il décide alors de
répondre comme Faust à la main tendue du diable : le pouvoir politique et
l’infanticide rituel.
« Demain, vous serez nommé ambassadeur en République de Zaide »1,
lui révéla le Directeur du protocole d’Etat, lui ouvrant une carrière politique
et une ascension sociale fulgurante. Afitémanou devint un homme
métamorphosé. Corrompu par les avantages du pouvoir et de la stabilité
financière, il gravit les échelons de l’estime du pouvoir. Il meurt, pour que
son nom retrouve sa quintessence en ses actes posés. Afitémanou échoue
et meurt parce qu’il est puni du fait de ses frasques et transgressions. Son
nom est à percevoir comme une censure sociale. Par ricochet, il désigne les
lois et normes sociales contre lesquelles il est suicidaire d’agir, au risque
d’en pâtir. Afitémanou s’en trouve intérieurement tiraillé. Freud considère
ce tiraillement comme l’« instinct de vie [Eros] » qu’il oppose à l’« instinct
de mort [Thanatos ou désir d’autodestruction] »2. Mais son choix étant fait,
celui de pencher vers Thanatos, il meurt, par conséquent.
Cette vie bloquée en amont et en aval par son nom qui le damne fit de
lui, en plus du portrait de lui plus haut fait, un personnage morne et
irascible à la fois, malicieux, dévergondé, marginal, trivial et impudique
dans les propos3. Il devient un animal, une bête sauvage parmi des
hommes, de sorte à donner raison à Luc Ferry et à Jean-Didier Vincent qui
affirment que « l’homme n’est, du point de vue de la science à tout le
1
Maurice Bandaman, idem, p. 29
2
Dictionnaire encyclopédique pour tous, dictionnaire des noms communs en couleurs,
p.522
3
Maurice Bandaman, La Bible et le fusil, op. cit, pp. 16-17, 31, 33-34, 107-117
130
moins, qu’un être de nature, un animal parmi d’autres. Il est doué, sans
doute, de facultés exceptionnelles (…) mais (…) en [son] fond, [il] ne se
distingue pas de ceux auxquels ont dû recourir pour survivre les calamars,
les termites ou les éléphants. »1
En réalité, la bête sauvage est ce qui répugnant en l’homme et le met en
marge de la société. Afitémanou est cette bête sauvage qui tue
impunément au nom du parti au pouvoir et pour ses intérêts personnages.
Sans état d’âme, il enlève la petite Raïssa et l’isole de la communauté à
l’image d’un animal à l’affût, avant de l’assassiner. Avec lui, il est à
comprendre que « le contre-modèle le plus abouti de notre humanité se
révèle être la bête sauvage, qui incarne de par son hostilité intrinsèque
toute la distance s’étant créée entre l’homme et la nature. »2 Un tel
comportement antisocial en l’homme fait naître une volonté de l’écarter,
de l’éliminer.
En somme, la mort d’Afitémanou est à ranger dans les symboles
catamorphes. Il est à l’image de :
CONCLUSION
1
Luc Ferry et à Jean-Didier Vincent, « Qu’est-ce que l’Homme ? » Sur les fondamentaux
de la biologie et de la philosophie, p. 11
2
Jean William Cally, La bête dans la littérature fantastique, Thèse de doctorat, doc pdf, p.
38
3
Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit, p. 125
131
Bien de mythèmes aux relents icariens et faustiens y ont été décelés et
mis en lumière. Il a aussi permis de ressortir le portrait d’un personnage
intrinsèquement égoïste, paresseux, opportuniste, vicieux et immoral, qui
pour assouvir ses penchants personnels sacrifie tout sur son passage, viole
impunément les droits humains, en abusant de ses privilèges politiques.
Vomi par sa mère Mamie Awlabo, ayant coupé tout lien avec ses parents,
solitaire et criminel, seule la sanction divine ne pouvait que neutraliser un
pareil psychopathe. Qu’il en soit ainsi pour tous les bourreaux des enfants
de tous les criminels.
BIBLIOGRAPHIE
132
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.133-149 ISSN : 2226-5503
Résumé
Cet article s’intéresse à l’héroïne du roman Féminin interdit d’Honorine Ngou. Dzibayo
exprime une posture de modernité par un ensemble d’idées et de valeurs en rupture
d’avec la tradition gabonaise. Après une prise en compte de la modernité française, des
critères pouvant déterminer la modernité gabonaise ont été identifiés. La réflexion illustre
la dynamique de modernité gabonaise en relevant la rupture, les oppositions dialectiques,
la faculté de présent, le renouvellement de la forme et du sens… comme des marques de
modernité de l’héroïne Dzibayo.
Mots clés : modernité, littérature gabonaise, tradition, renouvellement des formes et
sens, sujet, femme.
Abstract :
This article is about the heroine of Féminin interdit, a novel of Honorine Ngou. Dzibayo
expresses a posture of modernity by a set of ideas and of values in break from the
Gabonese tradition. After a consideration of the French modernity, criteria which can
determine the Gabonese modernity were identified. Our analysis illustrates the dynamics
of Gabonese modernity by finding the break, the dialectical oppositions, the faculty of
present, the renewal of the shape and the sense as marks of modernity of the heroine.
Dzibayo.
Keywords: modernity, literature Gabonese, tradition, renewal of the forms and the sense,
subject, woman.
INTRODUCTION
133
dans Histoire d’Awu de Justine Mintsa, Dzibayo dans Féminin interdit 1
d’Honorine Ngou…
Dans le cadre restreint de cette réflexion, nous avons choisi de lire le
cheminement narratif de Dzibayo comme une figure de la modernité dans
le roman Féminin interdit. C’est la lecture du parcours de l’héroïne Dzibayo
que nous entreprenons sous les critères d’une modernité dans le contexte
postcolonial gabonais. En effet, dans un récit marqué par des forces
opposées, Dzibayo est une femme qui choisit la modernité, c’est-à-dire la
part d’inconnu qu’offre, dans un Gabon traditionnel, l’image d’un monde
occidental lointain. Nous nous posons la question suivante : Quelles sont
les marques de modernité exprimées par le personnage Dzibayo ?
En partant d’une certaine conception de la modernité propre à la
société et à la littérature française, nous allons, d’une part, identifier et lire
les principaux marqueurs de modernité dans le contexte gabonais et,
d’autre part, apprécier les attributs de la modernité manifestés par Dzibayo
dans le roman Féminin Interdit. Nous dégagerons en dernière instance la
valeur symbolique de ce personnage comme figure identitaire de la femme
gabonaise moderne.
1
Nous utilisons l’abréviation FI particulièrement pour les citations pour lesquelles, il n’y aura pas
d’appels de notes mais une indication du numéro de la page. Par ailleurs, pour les références, nous
avons utilisé la version numérique de ce roman.
2
Le Petit Larousse, grand format, Larousse, Paris, pp. 660-661.
134
Renaissance italienne. Chez Châteaubriand, le mot
appelle nécessairement un complément déterminatif : il
ne s’agit pas de la modernité tout court, mais de la
modernité d’une chose, dénotant l’ensemble de
caractères qui la font reconnaître comme moderne par
opposition à l’ancien. »
1
Yves Vadé, modernités 5, ce que modernité veut dire (I), op.cit., p. 53
135
c’est-à-dire recherche de façon permanente la forme et le sens de
l’écriture. » Le renouvellement incessant des formes et du sens de
l’écriture correspond ainsi à un marqueur de la modernité.
Plusieurs autres auteurs français et européens ont conceptualisé la
modernité. Alain Touraine (1992) saisit la modernité à ses origines au
moment de la rupture entre la Renaissance et la Réforme et la situe
actuellement dans l’écoute de la voix du sujet qui aspire à la liberté1. Dans
son ouvrage Histoire de la modernité. Comment l’humanité pense son
avenir, Jacques Attali (2013 : 14) établit quelques correspondances de la
modernité. Ainsi, la modernité est pour Auguste Comte la science, pour
Karl Marx, la lutte des classes, pour Saint Simon l’industrie et pour Max
Weber une théorie de la rationalisation. Jacques Attali examine
particulièrement la modernité dans le sens de la rationalité et considère la
modernisation comme l’acceptation d’un projet d’avenir de la raison et de
ce qui en découle2.
Jacques Attali considère la modernité comme une conquête. La
modernité désigne une époque, une civilisation et une conception de
l’avenir, mêlant liberté individuelle, droit de l’homme, rationalisme,
positivisme, foi dans le progrès technique et l’industrie3.
En somme, la manifestation de la modernité se lit à travers des données
ou des critères appréciables dans une œuvre littéraire comme le nouveau
(issu d’une rupture), le renouvellement incessant des formes et du sens
dans une certaine foi dans le progrès, l’alliance des contraires, la
rationalité, la faculté de présent.
1
On peut à la quatrième de couverture l’affirmation suivante : « La modernité est faite des
complémentarités et des oppositions entre le travail de la raison, la libération du sujet et
l’enracinement dans un corps et dans une culture. »
2
Jacques Attali, Histoire de la modernité. Comment l’humanité pense son avenir, Paris, champs
essais, Flammarion, p. 15.
3
Jacques Attali, histoire de la modernité, comment l’humanité pense son avenir, op. cit., p. 14.
136
donnant un sens. Par sa nature « tricéphale » (exigeante, moyenne et
problématique), la littérature gabonaise assume une modernité littéraire. Il
affirme :
Pour Géorice Madebé, les écrivains gabonais n’ont pas à écrire comme
les auteurs modernes occidentaux. En Europe, il y a eu « une historicisation
et une sociologisation de la modernité » ; ce qui n’est pas le cas au Gabon.
Il note finalement que la modernité gabonaise serait à comprendre dans la
perspective d’un échec : « Dans le cas de l’Afrique et du Gabon, notre
modernité s’affirme par une incapacité à inventer un ordre symbolique qui
tienne en relation non conflictuelle notre passé, notre histoire, notre
avenir. »
La notion d’un « ordre symbolique » peut être perçue de diverses
manières surtout quand elle est associée ici à une relation non conflictuelle
au temps. En fait, la société gabonaise peut avoir vécu des événements
importants mais des événements que la mémoire collective symbolise ou
ne symbolise pas suffisamment. L’historisation et la sociologisation dont il
est question correspondent à des moments de rupture, de renouvellement
de l’être-au-monde du Gabonais. Les écrivains interrogent parfois les lieux
de mémoire et permettent ainsi de négocier un rapport soit violent soit
apaisé avec le passé, le présent ou le futur.
137
L’intertextualité dont il est question peut en fait concerner des liens
entre textes de la littérature orale et textes de la littérature écrite. Dans
une dynamique de réécriture des réalités locales, la littérature pose la
faculté de présent à laquelle Baudelaire fait allusion.
La société gabonaise connaît aussi la modernité par l’alliance des
contraires. Par l’opposition tradition/modernité, le récit pose à son début
le principe dialectique de la modernité. Dzibayo vient au monde dans une
société en mutation, une société écartelée entre la parole traditionnelle en
perte de vitesse et la parole moderne, nouvelle et illustrée
particulièrement par la langue, la littérature et la civilisation françaises.
Dans le récit, les personnages n’évoluent pas dans une société française,
mais il apparaît que l’ouverture à la modernité marquée par l’urbanisation
et la scolarisation traduisent le nouveau. Ainsi l’ancien et le nouveau pose
la réalité de la modernité.
A la recherche des indices de modernité, nous remarquons que les
thématiques abordées dans la littérature gabonaise permettent d’explorer
les concepts de rupture, d’alliance des contraires, de renouvellement des
formes et de ses sens, de rationalisme. C’est particulièrement le cas dans
Féminin interdit avec l’héroïne Dzibayo qui est ici l’objet de notre étude.
138
« Pour Dzila, avoir une fille, c’est ne rien avoir du tout. Un fils est plus
sûr : il reste au village, le bâtit et l’agrandit. Il défend aussi les intérêts de la
famille et du clan, tandis qu’une fille va faire la richesse d’une autre
famille » (FI, 13).
La société traditionnelle pose la naissance d’une fille comme l’échec. Ce
à quoi le père adhère dans un premier temps. Le titre du roman évoque
cette réalité de façon forte par une formule paradoxale et elliptique. En
fait, l’élan de négation de la femme est si forte que même le titre se
décline au masculin. On ne dit pas ici femme interdite. Il apparaît donc que
le Féminin interdit milite contre un certain féminin mais pas contre la
femme. Nous estimons que le féminin interdit est le féminin qui s’abaisse,
qui refuse la modernité… Des idées nouvelles sur la femme prennent le
dessus et c’est dans cette optique que le père Dzila change radicalement
de point de vue et s’engage dans l’éducation de sa fille :
1
Une telle réalité correspond à ce qu’écrit Alain Touraine (1992 : 11) au sujet de la modernité :
« L’idée de modernité, sous sa forme la plus ambitieuse, fut l’affirmation que l’homme est ce qu’il
fait, que doit donc exister une correspondance de plus en plus étroite entre la production, rendue plus
efficace par la science, la technologie ou l’administration, l’organisation de la société réglée par la loi
et la vie personnelle, animée par l’intérêt, mais aussi par la volonté de se libérer de toutes les
contraintes. »
139
plus de force à mon action. Pourquoi faire une fille dans
un monde ou l’Homme triomphe ? » (FI, 14).
1
Béatrice Bikene Bekale, « De la dimension historique des personnages féminins dans le roman
gabonais », Les écritures gabonaises : histoire, thèmes et langues, tome 1, op.cit., 2009, p. 81.
140
de choisir le sexe de l’enfant à naître. Dans la société nouvelle,
l’organisation et les représentations changent
Ebii représente à la fois l’une des raisons du combat pour la modernité
de Dzibayo mais aussi l’archétype d’un statut social de la femme qu’elle
veut fuir. Ebii est une femme très effacée qui ne parle pas ou sinon très
peu. Le silence de cette femme dans le roman est porteur de sens ; il
représente la soumission face aux traditions et son effacement est
justement le reflet d’une vie sans pouvoir d’agissement et de décision. En
raison des exigences de la tradition, Ebii ne prendra jamais la parole en
public. Elle ne s’exprimera que sous forme de confidence dans les
dialogues avec son mari ou sa fille ; elle connaît son statut et ses
responsabilités. Personnage plein de douceur, Ebii critique pourtant cette
tradition. Elle ne partage pas véritablement la vision traditionnaliste de la
femme gabonaise. Elle pense et souhaite un devenir autre pour sa fille, elle
la laissera aller vers un inconnu, se remettant à la providence :
1
Alain Touraine (1992 : 14) note : « Si la modernité ne peut pas être définie seulement par la
rationalisation et, inversement, une vision de la modernité comme flux incessant de changements fait
trop bon marché de la logique du pouvoir et de la résistance des identités culturelles, ne devient-il pas
clair que la modernité se définit précisément par cette séparation croissante du monde objectif, créé
par la raison en accord avec les lois de la nature, et du monde de la subjectivité, qui est d’abord celui
de l’individualisme, ou plus précisément celui d’un appel à la liberté personnelle ? »
141
femme trainait sa grossesse aux champs sans qu’Edzima
lui donna un coup de main » (FI, 34).
1
Le thème de la naissance du sujet « s’est formé depuis la pensée religieuse monothéiste jusqu’à
l’image contemporaine du sujet […] » (A. Touraine, 1992 : 267).
142
« Papa j’ai compris aujourd’hui, la profondeur et
l’intérêt de ce que tu me disais quand je n’étais qu’une
enfant. Tu avais raison lorsque tu aimais à répéter que
mieux vaut compter sur soi que de faire de l’autre sa
raison d’être. (…) Atsango vient de me démolir papa,
mais je m’en remettrai, parce que tu m’as appris à
surmonter les situations les plus difficiles (…) je te
demande pardon pour tout » (FI, 281).
143
ethnie et culture. Elle exprime ainsi une posture idéologique, une
modernité dans une société en mutation.
La liberté de l’héroïne révèle la mentalité des jeunes ayant été au
contact de la culture occidentale. Ces jeunes rejettent les compromis de la
tradition et les jugent opprimants, contraires à leurs intérêts. Le mari de
Dzibayo affirme sa modernité et ne laisse pas la tradition décider pour lui :
« Ma mère décidait pour moi quand j’étais petit. Maintenant je suis adulte,
je suis libre d’épouser, celle que j’aime d’où qu’elle vienne » (FI, 220). La
mère ou le groupe social n’a désormais plus le pouvoir de décision dans les
choix des jeunes. Le sujet moderne assume ainsi sa part d’ancrage aux
sociétés traditionnelles et modernes par l’expression des oppositions
dialectiques. Et cette dynamique est particulièrement intéressante parce
qu’elle met en œuvre le renouvellement des formes et des sens.
144
premier enfant fille, les matrones construisent un discours
d’encouragement. On dirait qu’elles sont moins traditionnelles que les
hommes. Elles sont conscientes du drame que vit le père et s’en moquent
avec une certaine joie.
L’expression de la forme est aussi lisible par les actes que posent les
personnages. Le père colle son front sur celui du bébé tout en prononçant
des paroles imperceptibles. Ce geste correspond à un acte de bénédiction.
Il traduit l’acceptation de la fille par le père et par la suite, le nom phrase
interrogative qu’il attribue à sa fille comme nom (Est-ce nécessaire de lui
donner un nom ?) pose l’existence de l’enfant dans la dynamique de la
nouveauté, de cette réalité nouvelle, difficile à désigner qu’est la
modernité. L’interrogation-nom place l’inconnu au cœur d’une vie, au
cœur de la vie du sujet mais aussi de la vie de la société. Le père est inapte
à penser l’avenir ; c’est pourquoi il n’exprime ni joie ni tristesse.
« L’indésirable fille » finit par devenir l’objet de toute l’affection du père.
Adolescente et adulte, Dzibayo reste marquée par des composantes de
la modernité. Elle vit le changement de forme avec une curiosité de celui
qui veut savoir. Ainsi quand elle a ses premières menstrues, elle comprend
le changement de statut et demande à savoir si elle est à mesure d’avoir
déjà un enfant. A la « pauvre Fidéline » Dzibayo, il est rappelé son statut
d’enfant qui doit encore étudier avant de se marier et penser par la suite à
faire des enfants : « Tu n’es qu’une enfant. Une enfant ne peut faire un
autre enfant. Il faut attendre que tu sois mariée et que tu fasses de
brillantes études, ma belle. » (FI, 176). C’est la vision positive de la
modernité qui oriente l’héroïne vers des choix que la société traditionnelle
gabonaise rejetait. La société de roman dans laquelle vit Dzibayo est
porteuse de marques de modernité. Ce discours est certes simple mais un
discours de formation de la femme nouvelle, celle à qui on dit qu’elle peut
attendre la maternité, à qui on demande d’apprendre. La tradition
gabonaise qui ne favorise pas la scolarisation des filles aurait pensé déjà au
mariage de la jeune fille avec un homme plus âgé et sans son
consentement.
Tout en poursuivant ses études, Dzibayo rencontre Hémiel et entretient
une relation intime avec lui. Quand elle tombe enceinte, elle est juste
contrariée par le fait d’avoir des enfants sans être mariée au préalable. La
vie maritale apporte un autre lot de problèmes.
L’expérience de la dualité au sein du couple, les contradictions avec la
belle-famille traduisent à l’adulte les effets de la modernité de l’héroïne
Dzibayo. Les différences d’ethnies et de cultures ont raison de la vie du
couple Fidéline-Hémiel. Par des pratiques occultes, la belle-mère
déconstruit l’union de son fils avec celle qu’elle n’aime pas. Si le sort
semble s’acharner sur Dzibayo, elle ne laisse pourtant pas abattre : « Après
tout, le monde ne va pas s’arrêter parce que je ne suis plus mariée à
Atsango. Mon père m’a transmis le goût de me battre. Je dois être debout
malgré tout » (FI, 429).
Entre traditions et modernité, Fidéline Dzibayo n’opte pas de façon
exclusive pour la modernité. Elle offre finalement l’image singulière d’une
145
femme qui s’assume dans une société qui n’offre pas de modèle. Elle
devient une figure emblématique de la femme moderne et manifeste une
dualité. Elle négocie constamment une conciliation entre tradition et
modernité et obtient ainsi un certain équilibre. Elle parvient à un
renouvellement identitaire sans s’effondrer dans l’échec. Dans le récit, il y
a une constante reconsidération de ce personnage féminin. A ses débuts,
l’héroïne est très impétueuse, elle est animée par la fougue de ce pouvoir
de libération du joug traditionnel, mais elle découvre au fil des péripéties
que cette liberté a un prix. Honorine Ngou présente une héroïne non
sclérosée dans ce tumultueux renouvellement de forme et de sens. Le
changement d’état (de jeune fille à femme célibataire puis de femme
mariée et divorcée peu après) permet de circonscrire le parcours narratif.
Dzibayo devient au bout de tous ces étapes ce que la modernité désigne
par une Wonder Women. C’est de cette manière qu’elle assume l’image de
la Gabonaise moderne dans la société nouvelle où le sujet est
constamment sollicité entre plusieurs valeurs.
La figure féminine de Dzibayo assume encore l’expression de la
modernité par sa tendance au discernement ou à la rationalité.
146
m’a transmis le gout de me battre. Je dois être debout malgré tout » (FI,
429). Ni son licenciement, parce qu’elle a refusé les avances de son patron.
Ni son divorce, suivi du décès de son mari, n’affaibliront pas le caractère de
Dzibayo. Il y a une âpre volonté d’aller de l’avant. Elle est à l’opposé de sa
mère Ebii qui comme nous l’avons mentionné se plaint d’être seule à
élever ses enfants. Dzibayo devenue mère tout comme elle, assume en
revanche ce choix, grâce à son éducation, l’ayant appris à se forger dans la
vie et à ne pas baisser les bras. Les leçons de son père la guident toujours :
« Tout acte que tu poseras contre ou pour l’homme aura forcément des
conséquences sur ta vie (…) avant de songer à ma mort rappelle-toi que
l’école te rendra plus autonome et plus heureuse » (FI, 30).
Elle décide de laisser son espoir reposer une fois de plus sur le chemin
du travail. Elle montera plus tard, une clinique juridique pour aider tous
ceux qui sont privés et marginalisés dans leurs droits. Elle mènera avec brio
sa petite entreprise tout en s’adonnant à des activités caritatives. Par ce
personnage principal, l’écrivain s’offre un projet didactique, elle émet le
souhait que Dzibayo soit un modèle d’encouragement pour les jeunes filles
à travailler et obtenir des résultats par le biais de l’action méritante ; c’est
pourquoi elle dira :
147
La pensée de l’héroïne est marquée par la rationalité. Par cette faculté à
raisonner, Dzibayo assume son statut de femme moderne. Elle participe
ainsi, d’après Béatrice Bikene Bekale, à « l’institution d’une identité à
travers laquelle les femmes s’autorisent à être autre chose que des mères
et des épouses comme le prescrit la culture patriarcale dominante ».
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
148
MASSOUMOU Omer, « Henri Lopes : l’accomplissement de la modernité »,
Bokiba André-Patient et Yila Antoine, Une écriture
d’enracinement et d’universalité, Paris, L’harmattan,
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VADE Yves, « L’invention de la modernité », Modernités 5. Ce que
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Bordeaux, 1998, pp. 51-71.
149
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.150-168 ISSN : 2226-5503
Solange Nkoula-Moulongo
solangenm1@gmail.com
Ecole normale supérieure
Université Marien Ngouabi, Congo Brazzaville
Résumé :
Cet article traite de l’anaphore démonstrative d’un point de vue de la linguistique
textuelle. Il démontre que le fonctionnement du groupe nominal démonstratif participe à
une actualisation narrative plus saillante. L’analyse a mis l’accent sur les GN démonstratifs
déterminés par cette. Elle a permis de relever le fait que la continuité textuelle établit des
relations d’hyponymie, d’hyperonymie et d’hypotypose pour bien mettre en exergue le
réalisme narratif.
Abstract:
This article deals with the demonstrative anaphora according to the textual linguistics’
approach. It demonstrates that the functioning of the demonstrative nominal group
participates in a more striking narrative updating. The analysis emphasized the
demonstrative GN determined by cette. It admitted the fact that the textual continuity
establishes relations of hyponymy, hyperonymy and hypotypose in order to show the
narrative realism.
150
INTRODUCTION
1
Jean-François Jeandillou (2011 : 85-86) indique : « tandis que les marqueurs de connexité
contribuent à manifester la progression structurée du texte, les processus anaphoriques préservent sa
continuité (dans sa cohésion)... grâce à la reprise d’éléments préalablement introduits… l’anaphore
instaure une relation dissymétrique entre les éléments de statut différent, dont l’un (le représentant
dépend de l’autre (le représenté) dans un environnement limité ».
151
I- DONNEES THEORIQUES ET METHODOLOGIE
152
De toutes ces opérations de liages des unités textuelles, nous nous
intéressons à la première et particulièrement au point sur les anaphores
démonstratives. Ces anaphores interviennent dans la construction
textuelle de la référence de façon spécifique. En effet, la lecture de deux
romans de l’écrivain congolais Henri Lopes, nous a permis de relever
quelques groupes nominaux démonstratifs fonctionnant comme des
anaphores conceptuelles. Ces groupes expriment tantôt des résomptions
tantôt des reclassifications discursives. Nous nous intéressons à leur
expressivité et c’est pourquoi nous avons choisi d’analyser « le
fonctionnement du groupe nominal démonstratif comme anaphore
conceptuelle dans La Nouvelle romance et Une Enfant de Poto-Poto de
Henri Lopes. » La syntaxe de la structure se schématise de la manière
suivante : Cette + GN. Le GNdém. qui nous intéresse est celui qui
fonctionne comme une anaphore conceptuelle (AC) avec une certaine
teneur de résomption.
À partir des deux romans cités, un corpus a été construit. Ces livres ont
été choisis de façon aléatoire. Nous pouvons toutefois signaler que l’un est
publié au début de la carrière littéraire de l’écrivain et l’autre est l’une des
dernières œuvres du romancier. Comme il est question d’apprécier le
fonctionnement du GNdém pour savoir si son emploi correspond à un
marquage discursif dans l’expression de la reclassification des références
textuelles, nous aurons recours à la linguistique textuelle.
S’agissant de la méthodologie, nous travaillons à partir d’exemples tirés
des textes narratifs. Pour la construction de notre corpus d’étude, nous
avons eu recours à des versions numériques des romans de Henri Lopes.
L’exploitation des fichiers par le logiciel Lexico 3 a permis de sélectionner
les formes occurrences pertinentes pour notre étude. Nous avons en effet
recherché les segments discursifs pertinents à partir du démonstratif cette.
Les GNdém. ne sont repérables par le logiciel lexico3 que grâce à une
combinaison de fonctions. La recherche automatique a été faite par
l’élément cette et a été poursuivie de façon manuelle pour vérifier les co-
occurrences pertinentes. Nous avons retenu quelque 15 et 14 occurrences
respectivement pour LNR et UEP. Le corpus ainsi construit est joint à la fin
de cette réflexion.
153
mémoire auparavant, tout en opérant une sorte de reclassification ». Dans
le cas de Henri Lopes, nous avons identifié des anaphores démonstratives
exprimant des enchaînements argumentatifs. Les liens entre anaphores
conceptuelles et leur référent ne traduisent pas que des reclassifications ;
ils expriment parfois aussi des reformulations.
154
cette structure narrative, il était difficile d’avoir une anaphore associative
dans le sens de (1’) :
(2) Il s'assit sur le sable. La fille en fit autant. Il lui passa le bras autour
de l'épaule et resta ainsi un moment immobile. Elle ne disait rien,
n'avait rien à dire sans doute. Il sentait qu'elle n'éprouvait aucun
intérêt à regarder la mer. Il rapprocha son visage du sien. Elle
sentait déjà l'odeur de la grande salée.//Un peu plus haut la
chambre était prête. La petite lampe à pétrole avait bien été
allumée, suivant les instructions données à la sentinelle. Mais
Zikisso se trouvait gauche devant cette gamine. L'attirant par la
nuque ; il voulut l'embrasser. Quand les lèvres se rencontrèrent, il
eut beau insister elle n'ouvrit pas la bouche. LNR, p. 33-34.
155
petites foulées, pour alléger le poids. Et Wali trottinait alors
derrière la mère. Au village, les hommes attendaient, sous un
hangar à toit bas, les calebasses de vin de palme à leurs pieds. Ils
parlaient haut et fort, comme s'ils allaient se battre. Quelques-
uns, las de la palabre, s'endormaient sur leur chaise longue.
Souvent, la mère de Wali s'arrêtait pour regarder la scène. Elle
soupirait alors// fortement par le nez, hochait à peine la tête, puis
disparaissait pour s'adonner à des activités plus sérieuses :
préparer le repas du soir. Ces scènes sont gravées dans la
mémoire de Wali. Quand viennent ces moments, où elle se
demande à quoi bon cette chienne de vie, ce sont toujours ces
souvenirs-là qui la hantent. LNR, pp. 15-16.
Le GNdém qui nous intéresse dans cette séquence textuelle est bien
« cette chienne de vie » qui reprend non pas une unité lexicale mais un
ensemble de termes mentionnant des activités ou des scènes bien
identifiées. Le discours narratif donne les indications suivantes :
- la mère qui ploie sous le poids, une cuvette sur la tête
- elle courait […] à petites foulées pour alléger le poids
- l’enfant suivait derrière la mère
- des hommes inactifs, passant leur temps à s’enivrer et à bavarder ;
- la mère, observatrice et impuissante, ne se rebelle pas, elle garde
son sérieux et s’active pour le repas du soir.
(4) Youlou fut renversé. Par qui ? La réponse varie suivant vos
lunettes politiques : pour les uns la Révolution est l'œuvre
d'intrépides syndicalistes et étudiants appuyés par le peuple, pour
d'autres on doit son triomphe à la glorieuse armée congolaise,
pour d'autres encore rien n'aurait été possible sans l'action de
Tante Yvonne, la femme de Papa de Gaulle, à qui le nom de
Youlou, sa liberté de mœurs, ses soutanes en soie de chez Dior,
156
ses maîtresses, ses enfants... donnaient l'urticaire. Poto-Poto avait
un faible pour cette version.
157
Le deuxième segment construit un enchaînement argumentatif
qu’une résomption. Sa valeur sémantique dépend du lien entre les
expressions en présence. L’anaphore lexicale « cette version » reprend un
aspect particulier de l’expression linguistique employée par l’écrivain1.
(5) Suivaient, dans une prose phonétique, des nouvelles de Papa dont
elle brossait un portrait affectueux, sans manquer l'occasion, au
détour d'une phrase, d'évoquer ses manies qui ajoutaient à
l'affection que je lui portais. Elle narrait la chronique de la famille
et du quartier, campait un personnage typique de Poto-Poto,
rapportait là une de radio-trottoir qu'elle commentait d'une saillie
dont elle avait le secret. Je ne me suis pas débarrassée de cette
correspondance transcrite tantôt par Papa, tantôt par ces
écrivains publics de quartier qui, je crois, ont aujourd'hui disparu.
[5’] Les lettres de mon papa étaient une prose phonétique mais je ne
me suis pas débarrassée de cette correspondance.
158
que fait le personnage. Si, au contraire, la prose phonétique est considérée
comme un ensemble de document ayant une valeur personnelle et intime,
la forme de l’argumentation sera traduite par donc.
[5’’] Les lettres de mon papa étaient une prose phonétique donc je
ne me suis pas débarrassée de cette correspondance.
Le sens des énoncés est validé par la prise en compte des éléments
du contexte. Le récit définit ainsi un cadre qui permet le passage de la
signification au sens. Le fonctionnement de l’anaphore démonstrative
intègre ainsi un processus de liage des éléments de la structure narrative.
Le sixième exemple retenu ici établit un lien entre un GNdém et un
segment mis en mémoire par plusieurs référents.
Ces différents termes sont repris par le GNdém « cette rumba » qui
formule une reclassification discursive. La relation sémantique entre ce
terme est les premiers est de nature hyperonymique. Et le réalisme narratif
est manifeste en raison de l’emploi d’un congolisme désignant à la fois
comme un type de chant et de danse spécifiques. Au cœur de la variation
lexicale et sémantique, l’anaphore démonstrative apparaît l’expression qui
énonce un sens certes singulier mais déterminant dans la construction du
sens du récit. Parler de « Floretta » en termes de « cette rumba » devient
une façon de la distinguer parmi d’autres rumbas. Il s’agit d’une rumba qui,
n’est peut-être pas, la meilleure des rumbas, mais une rumba qui est
associée à la vie passée des personnages. C’est autrement le récit qui
amplifie son rayonnement en associant l’histoire sociale dans l’évocation
de l’histoire de ces personnages.
Dans l’exemple (7) tiré du roman UEP, l’anaphore démonstrative
fonctionne par la mise en relation des lexèmes « anglais » et « cette
langue ». La relation sémantique permet aussi de parler d’un lien
d’hyperonymie parce que le signifiant langue englobe toutes les langues
dont l’anglais. Le dispositif anaphorique embraye le discours dans le sens
d’un déictique.
159
Le GNdém « cette langue » n’a de sens que par rapport au co-texte
narratif qui permet de lire dans la phrase précédente le segment mis en
mémoire par le narrateur. Par l’usage de l’anaphore démonstrative, le
texte assume une actualisation plus visible. La reformulation que propose
l’anaphore ne fait pas que reprendre autrement un terme déjà énoncé, elle
apporte dans le récit des indications nouvelles qui permettent d’actualiser
ou de spécifier le récit. Les problèmes de la cohésion et de la cohérence
(ou de la connexité des éléments pour reprendre le mot d’Anna Jaubert,
2005 : 7) apparaissent alors.
Dans le huitième exemple retenu ici, nous avons un procédé
semblable à celui de l’exemple (6). Le narrateur met en relation les
signifiants « indépendance cha-cha » et « cette rengaine ».
(8) Sans plus attendre, Pélagie et moi nous sommes levées pour
danser ensemble Indépendance cha-cha. Cette rengaine avait
plus de succès que le nouvel hymne national.
(8’) Sans plus attendre, Pélagie et moi nous sommes levées pour
danser ensemble Indépendance cha-cha ; cette chanson était une
rengaine qui avait plus de succès que le nouvel hymne national.
160
III- DE LA RELATION SEMANTIQUE ENTRE LEXEMES
Dans l’exemple (7), le mot « anglais » est mis en relation avec le mot
« langue ». Il existe une relation de taxinomie qui permet d’identifier le lien
d’hyperonymie. La langue est une réalité qui englobe l’anglais. De même
pour le cas de l’hyponymie, on apprécie, pour l’exemple (8), l’anaphore
démonstrative « cette rengaine » (refrain) qui n’est qu’un élément de la
chanson. On perçoit que le discours construit avec les anaphores
démonstratives postule pour une progression textuelle1 où les arguments
ne se contredisent pas.
S’intéresser à l’incidence sémantique liée à l’exploitation narrative de
la relation d’inclusion de certains mots de la langue, c’est autrement ouvrir
la boîte de la polysémie ou de la polyphonie narrative.
(3)
- la mère qui ploie sous le poids,
une cuvette sur la tête
- elle courait […] à petites foulées
pour alléger le poids
- l’enfant suivait derrière la mère cette chienne de vie
- des hommes inactifs, passant leur
temps à s’enivrer et à bavarder ;
1
Nous savons que « Le texte macrostructurellement cohérent repose sur la continuité textuelle et la
progression thématique. Le texte avance par l’insertion de nouvelles informations sur le thème (cf.
Roberte Tomassone, 2002, 87). Le respect du lien entre les informations constitue une
interdépendance des éléments en présence. Le critère de la non-contradiction établit une absence
d’opposition sémantique des éléments qui se succèdent dans un texte car une proposition ne peut être
à la fois vraie et fausse », cf. Solange Nkoula-Moulongo, La cohérence discursive dans les
productions écrites des apprenants du secondaire en république du Congo : anaphores et
connecteurs, Thèse de doctorat unique, Université Sorbonne Nouvelle, Paris III, 2016, p. 23.
161
- la mère, observatrice et
impuissante, ne se rebelle
pas, elle garde son sérieux et
s’active pour le repas du soir.
(4)
- des revendications sociales ;
- une action de l’armée
- un désaveu de la femme du général Cette version
(5)
prose phonétique,
des nouvelles de papa,
elle brossait un portrait, cette correspondance
elle narrait la chronique,
rapportait une radio-trottoir
(6)
- Floretta ;
- ma Floretta ; cette rumba
- une romance des années soixante.
162
Par l’anaphore démonstrative, le narrateur dans ces deux romans de
Lopes cherche à mettre sous les yeux du lecteur la réalité de l’imaginaire
littéraire. Mais on se rend aussi compte qu’il s’agit de saisir ou retenir
fortement le lecteur. L’anaphore démonstrative assume cette fonction
dans les différents exemples étudiés.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
163
Disponible sur http://www.persee.fr/doc/igram_0222-
9838_2002_num_92_1_3271, consulté en juillet 2018.
Molinié Georges, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Librairie générale
française, 1992, 351p.
Nkoula-Moulongo Solange, La cohérence discursive dans les productions
écrites des apprenants du secondaire en république du
Congo : anaphores et connecteurs, Thèse de doctorat
unique, tome 1, Université Sorbonne Nouvelle, Paris III,
2016, 496p.
Corpus
164
- Ça, mon neveu, c'est don de la famille. C'est Ngoko le
douanier qui m'a offert tout cet ensemble. C'est un bon
gendre.
- Vraiment tu tombes mal, tonton. Je suis fauché.
- Tu n'as pas honte, un grand joueur comme toi ?
L'Empereur//du ballon runu : paquet de cigarettes, oui.
Le vieux ne comprenait pas et il fallait sauver sa réputation. 1)
Delarumba était pressé et ne pouvait poursuivre longtemps cette
conversation. Il mit sa main en poche et en tira un long carnet rose.
LNR, pp. 20-21.
4. -haute qu'un être humain. C'était la garçonnière de Delarumba.
Avec des planches écartées et du chaume il s'était fait construire,
pour trois fois rien, cette bicoque par un pêcheur des environs.
LNR, p.
5. Il s'assit sur le sable. La fille en fit autant. Il lui passa le bras autour
de l'épaule et resta ainsi un moment immobile. Elle ne disait rien,
n'avait rien à dire sans doute. Il sentait qu'elle n'éprouvait aucun
intérêt à regarder la mer. Il rapprocha son visage du sien. Elle
sentait déjà l'odeur de la grande salée.//Un peu plus haut la
chambre était prête. La petite lampe à pétrole avait bien été
allumée, suivant les instructions données à la sentinelle. Mais
Zikisso se trouvait gauche devant cette gamine. L'attirant par la
nuque ; il voulut l'embrasser. Quand les lèvres se rencontrèrent, il
eut beau insister elle n'ouvrit pas la bouche.
LNR, p. 33-34.
6. Finalement elle agrippa le réveil. Il appuya sur le bouton qui
interrompit cette sonnerie stridente et agaçante.
LNR, p. 37.
7. Il s'en alla, traînant les jambes vers le bureau du Directeur Général.
C'était un gros blanc chauve comme un aérodrome. En entrant dans
cette pièce où les pieds foulaient une moquette silencieuse, et où la
lumière extérieure ne pénétrait pas, on était saisi de paralysie par
l'atmosphère de retraite confortable.
LNR, p. 38.
8. Elise était penchée, la tête de côté, sur une machine à coudre Singer
avec l'application d'une écolière recopiant un devoir. Awa qui la
voyait de dos, regardait, rêveuse, cette échine cambrée et ces
cuisses écartées sous le pagne frappé de médaillons du pape Paul
VI. Elle trouvait à Elise un je ne sais quel air d'animalité obscène.
"l'out ce monde de désirs obscurs et intimes qu'Awa portait au fond
d'elle et qu'elle tic laissait échapper cri soupirs que lorsqu'elle se
trouvait seule avec elle-même, on aurait dit qu'Elise, elle, l'affichait
sans fausse honte. C'était sans doute cette sensualité aguichante,
cette légitimation du défendu, plus en tout cas que sa beauté, qui
expliquaient le succès d'Elise.
LNR, p.
165
9. Les gens ne savaient pas qu'elle allait s'enfermer chez elle pour lire
les nombreux ouvrages qu'elle empruntait dans les diverses
bibliothèques des centres culturels. Il arrivait même qu'un membre
de sa famille étant venu lui rendre visite, elle ne se donnàt qu'un
temps pour l'écouter. Après ce délai, -elle prenait ostensiblement
un livre, ou les cahiers d'écolier à corriger, et se plongeait dans sa
lecture ou son travail sans plus tenir compte du visiteur. Cette
discipline n'était pas gratuite. LNR, p.
10. Que veux-tu ? (en dialecte on se tutoie toujours). J'ai trop vécu en
Europe. Je ne comprends pas cette coutume de nos familles qui
demandent sans cesse de l'argent à celui qui travaille.
11. Mais c'était facile à dire. Etait-elle « bourgeoise >, elle ? En quoi ?
Elle n'avait pas peur, en principe, d'abandonner Bienvenu. Mais que
deviendrait-elle ? Qui la ferait vivre ? Evidemment cette hésitation
était une forme de lâcheté, qui perpétuait son esclavage.
12. Sur la gauche il y avait un jeune couple cri train de gober des
escargots farcis. La jeune fille, les yeux battus de fatigue récente, se
tamponna les lèvres avec sa serviette et embrassa l'homme dans le
cou. Wali ressentit un malaise devant cette scène. LNR, p. 171.
13. Si vous voulez avoir des étudiants communistes, envoyez-les dans
les pays capitalistes. Si vous voulez en faire des capitalistes, faites-
les étudier, à Moscou D. Il avait pensé produire un effet, mais dut
constater que Wali ne broncha pas. Ce n'était pas la première fois
qu'on lui rapportait cette boutade.
LNR, p. 175.
14. En se remémorant les moindres détails de la veille, Wali comprenait
qu'elle s'était profondément attachée aux Impanis et à leur manière
de vivre. Cela avait été trop court. Elle aurait voulu qu'il lui fût
permis de rejouer cette séquence de sa vie.
166
ses élèves. J'ai trouvé cette révélation maladroite. Le professeur
remonterait à la surface et reprendrait ses distances.
5. La conversation est revenue sur la chanson congolaise. Franceschini
en possédait une connaissance étonnante. Il avait dû déjà séjourner
en Afrique. À deux reprises, il s'est proclamé congolais. Avec cette
peau ? Sans doute un fils de colon qui avait joué avec les indigènes
et appris nos langues.
6. Youlou fut renversé. Par qui ? La réponse varie suivant vos lunettes
politiques : pour les uns la Révolution est l'œuvre d'intrépides
syndicalistes et étudiants appuyés par le peuple, pour d'autres on
doit son triomphe à la glorieuse armée congolaise, pour d'autres
encore rien n'aurait été possible sans l'action de Tante Yvonne, la
femme de Papa de Gaulle, à qui le nom de Youlou, sa liberté de
moeurs, ses soutanes en soie de chez Dior, ses maîtresses, ses
enfants... donnaient l'urticaire. PotoPoto avait un faible pour cette
version.
7. Quant à nous, les adolescents de Dipanda, nous n'étions pas mieux
lotis. Nos condisciples emboîtaient le pas au mouvement général et,
la nuit venue, endossaient la tenue vert olive pour « vigiler ».
Quelques-uns par conviction, beaucoup par lâcheté. Je date de
cette époque mon besoin d'écrire.
Suivaient, dans une prose phonétique, des nouvelles de Papa dont
elle brossait un portrait affectueux, sans manquer l'occasion, au
détour d'une phrase, d'évoquer ses manies qui ajoutaient à
l'affection que je lui portais. Elle narrait la chronique de la famille et
du quartier, campait un personnage typique de Poto-Poto,
rapportait la une de radio-trottoir qu'elle commentait d'une saillie
dont elle avait le secret.
Je ne me suis pas débarrassée de cette correspondance transcrite
tantôt par Papa, tantôt par ces écrivains publics de quartier qui, je
crois, ont aujourd'hui disparu.
8. Surtout cette phrase : « II est plus facile à un Africain de s'intégrer
en Europe, ou en Amérique, que dans un autre pays d'Afrique ».
9. Après la signature de quelques livres, il y a eu un temps mort. Ni
mon visage ni le titre de mes livres n'attiraient le public. Peut-être
aurais-je dû, afin de mieux racoler, m'habiller d'un pagne ?
J'étais habituée à cette situation. Je ne suis pas un auteur de best-
seller. Mon voisin, militant francophone endurci, m'a gentiment
reproché mon franglais.
10. Pélagie avait secrètement donné consigne aux musiciens de ne pas
jouer Floretta, ma Floretta. Une romance des années soixante où
l'identité de Floretta est un secret de polichinelle. Un musicien, flirt
d'adolescence de Pélagie, avait composé cette rumba à l'époque où
il l'avait surprise dans les bras d'un autre.
11. C'était bon de cesser d'être intello. Parfois, je me laissais porter par
le charme et le tourbillon du flot de ses paroles, parfois j'étais à
167
bout de souffle, je me maîtrisais et me demandais comment
Franceschini supportait cette logorrhée.
12. Il était heureux que je lui parle en anglais. Il a sauté sur l'occasion
pour utiliser cette langue.
13. Franceschini a retrouvé sa verve. Il allait et venait du lingala au
français. Il s'est redressé et, pour bien appuyer son propos, il s'est
exprimé avec de grands gestes du bras en faisant parler ses mains, à
l'africaine. Cela a débuté, je crois, par une remarque sur un
événement qu'il avait, de son lit d'hôpital, suivi sur l'écran de
télévision. Il l'analysait avec cette lucidité et cette pénétration qui
nous fascinaient quand il nous faisait cours.
14. Oyé ! Qui donc avait lancé la mode de cette interjection stupide ?
Depuis quelque temps, elle s'était substituée à bravo, ou à vivat.
168
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.168-185 ISSN : 2226-5503
ABSTRACT:
The present article aims at evidencing facts and some aspects of realism in Chinua
Achebe’s Anthills of the Savannah.In fact,Chinua Achebe has proven his worth among
English-speaking African novelists by representing the African social and political
environment in a thoroughly realistic way. This appears true since his novels depict life
within a particular historical background and convey a sense of growing disgust and unrest
within Nigerian society. In Anthills of the Savannah, Achebe details the societal and
th
individual turbulence within a fictional late 20 century African country named Kanga,
which is actually Nigeria.
RESUME :
Le présent article vise à démontrer les faits et quelques aspects de réalisme dans le roman
Anthills of the Savannah de Chinua Achebe. En effet, Chinua Achebe a prouvé son mérite
parmi les romanciers africains anglophones en représentant l’environnement socio-
politique africain d’une façon réaliste complète. Ceci, apparait vrai puisque ses romans
décrivent la vie dans un contexte historique particulier et transmettent un sentiment de
dégout croissant et d’agitation dans la société nigériane. Dans Anthills of the Savannah,
eme
Achebe détaille la turbulence sociale et individuelle dans un pays fictif africain du 20
siècle nommé Kanga, qui est en réalité le Nigeria.
169
INTRODUCTION
The word realism however can be defined as the picturing in art and
literature of people and things, as they really appear to be without any
attempt at idealization; with a purpose of creating a picture of a world that
closely resembles our own. Hence, by political realism, we allude to a social
satire or criticism. In literary works produced by African writers in the fifties
and sixties, one frequently finds sketches and sometimes full-length
portraits of real or fictional African politicians, and these representations,
whether drawn from real life or imagination, are worth studying as
reflections of popular attitudes towards politicians in Africa. Generally,
English-language fiction falls into the categories of romance or realism.
Romances tend to represent life as one might think it to be, and create a
relatively heroic, adventurous, or picturesque world. In contrast, works of
realism portray the world as it really appears. Books by realists such as
170
Defoe tend to use a reportorial manner, presenting material in a
circumstantial, matter-of-fact kind of way, and create for the reader an
illusion of actual experience. Abrams (1971: 141) noted that the term
‘realistic novel’ “is more usefully applied to works which are realistic both
in subject and manner ... throughout the whole rather in parts ....”
Additionally, Gray (1992: 241) has noted that realism “is best used for
writers who show explicit concern to convey an authentic impression of
actuality, either in their narrative style, or by their serious approach to
their subject matter”.
Among English-speaking African novelists, Chinua Achebe has been
particularly successful in creating a realistic representation of an African
environment. He is one of the major writers from the African subcontinent
who have given a new direction to English-language African literature by
representing, realistically an African environment and giving expression to
a sense of increasing disgust and unrest within its population.In connection
with his writings, a great number of African and non-African critics come
about them. Few among the well-known are G. D. Killam, David Caroll,
Simon Gikandi, Nnyagu Emmanuel Uche, WurrotaA’yunin, Norah
MbaloseMumba, Isaac Nuokyaa Ire Mwinlaaru. Thus, in order to achieve
the expected results, we intend to work through six sections known as
violence, terror, arbitraries, assassination, tribalism, and snobbery and
megalomania resorting to the sociological and psychological approaches.
I- VIOLENCE.
“There were two jeeps standing in the yard and that time
the people were banding on our neighbour’s front door.
Then after some time we could hear the door open (…).
They were here exactly one fifteen or so (…). And they
left at around two-thirty. That was when they came out
with our neighbor. Ikem’s hand has been inside hand-
cuff” (1967:165).
171
reported. Because they wanted to know the truth about Ikem’s death, a
group of students were ill-treated and beaten by the police. They require a
judicial inquiry and the dismissal of Colonel Ossaf who is, according to
them responsible for the murder of Ikem. The testimony below gives
evidence:
“With Kobokoand truncheons they fell upon their feeling
victims chasing them into classrooms, the library, and
the chapel and into dormitories. In the women’s hostel,
which some of the attackers had originally gained in the
blind accident of hot pursuit they all finally congregated
and settled into a fearful orgy of revenge compounding
an ancient sex-feud with today’s war of the classes”.
(1967:173).
Assuredly, human beings were born free and equal and even need to
live in peace everywhere. However, the above passage unveils the brutality
of the police who refuse the masses the right to be informed about some
political exactions. As ambulances screamed in later to collect the
wounded and move them to hospital an announcement was made on the
radio closing the university indefinitely and ordering all students out of the
campus by six o’clock that every evening. This climate also denotes the
disorder caused by the police. The above passage also denounces the
obscurantism politicians busy themselves to put the masses in. As a result
of this repressive campaign, many students are wounded and taken to
hospital and the university closed. It matters to notice that the scenes of
violence reach their peak when Christ Orikoescapes after he has also been
charged of involvement in the recent coup. Additionally, the soldiers sent
to investigate Beatrice’s house resorting to threats so as to intimidate her
and Elewa, Ikem’s girlfriend, saying:
The implication at this stage is that if you do not obey, you will
jeopardize your life. And as it was to be expected, on the same page the
narrator adds:
172
proceed? ‘Anything in particular you are looking for?
‘What kind nonsense question be dat’. ‘Ok, Sergeant. I
will do the talking. So keep quiet! Well, yes, Miss Okoh,
there are certain things we are looking for but it is not
our practice to discuss them first. Incidentally I advice
that anybody in the flat should come out right away. All
the exists are guarded and anyone trying to escape will
be shot. Is that clear?...he deployed his men to different
locations in the flat with the silent gestures of a field
commander. Thereafter, he went from one sector to
another supervising the operations”.
In the light of what has been stated above, we confess that violence
prevails in Achebe’s Anthills of the Savannah. As we earlier recognized it,
this is one the characteristics of African novelists’ works set in pre-colonial
and post-colonial periods.
Additionally, the exploration of African fiction reveals the existence
of some acts of violence. Thus, in Devil on the Cross for instance, the
Kenyan writer NgugiWaThiong’o denounces this evil of practice through
the character of KihaahuWaGatheeca. As a matter of fact, like chief Nanga,
this bourgeois comprador doesn’t hesitate to eliminate his opponents; to
achieve his purpose he usually hires a group of thugs to threaten them
173
during the canvass as evidenced in the following passage: I employed a
youth wing, whose task was to destroy the property of my opponents and
beat those who murmured complaints about me. (1978:114). In Le Cercle
de Tropiques, AlioumFantouré also stigmatizes the manipulation of the
police by political leaders to perpetuate uncontrolled exactions against
peasant masses. This canbeunderstoodthrough the excerptbelow:
II- TERROR
The term terror can granted more than one meaning. Oxford
Advanced Learner’s Dictionary (1995:1233) defines terror as an extreme
fear or the use of illegal force and brutality to frighten. Put another way, it
174
is the quality of causing fear in the perspective of silencing people.
Accordingly, CharlesTilly(on line) considers terror as
175
III- ARBITRARIES
One can notice the real image of dictatorial regime embodied by the
junta in power. And the rage that characterizes the President grows up
when Chris Oriko has unveiled through an interview on B.B.C, the
government’s conspiracy about Ikem’s death. The probing of this novel
reveals that Chris Oriko was involved in Ikem’s regicide and for that he is
176
wanted. It is that accusation that led him to leave Bassa. Sam, being
obsessed by power expresses the desire to eliminate all his opponents and
then become alone in the political scene in Bassa. It appears now obvious
that such practices in Africa and even elsewhere usually end in
assassination.
In front of such circumstances voices are raised in order to smooth
the pains of victims under suffering. Like Achebe, Ngugi also sorts out from
his silence. Indeed, the situation on the abuse of human rights is well
illustrated by Matigari‘s experience at the prison cells where we are given
series of reports of oppression of human freedom. Among the inmates is a
student who has also been arrested for asking the provincial commissioner
about the running of the country since independence while a teacher is
accused of teaching maxism in school. The drunkard has also been arrested
for simply being drunk; and of course Matigari has been incarcerated for
his search of truth and justice. Indeed all the prison inmates have a
common disgust for the situation in which they find themselves and they
blame no one but their African leaders. According to them: Our leaders
have hearts as cold as that of pharaoh or even colder than those of the
colonialists. They cannot hear the cry of the people (p.53). The peasant
farmer agrees with all these and also says: It is true that our present leaders
have no mercy. First they arrest us for no reason at all, then they bring us to
a cell with no toilet facilities (p.55).
As such, for an African identity, the African intellectuals should align
themselves with the struggle of the African masses for a meaningful
national ideal, striving for a form of societal organization that will free the
manacled spirit and energy of Africansin order to build a new country and
sing a new song.
IV- ASSASSINATION
177
and friend of the highly admired and talented poet,
IkemOsodi, whose reported death while in police custody
had plunged the Military Government of this troubled
West African State into deep crisis. In a voice full of
emotion but sready and without shrillness Chris had
described the official account of Ikem’s death as
‘patiently false’. How could he be sure of that? Because
Ikem was taken from his flat in handcuffs and couldn’t
have wrenched a gun from his captors. So, you are
saying in effect that he was murdered? I am saying that
IkemOsodi was brutally murdered in a cold blood by the
security officers of this government.” (1987:172-173)
We can see from the above passage how Nigerian ruling class
manages its conspiracy and intimidates the masses not to hide the wanted.
But, as political tensions still grow up in the country, President Sam, like all
the dictators will be overthrown by a military coup. He is first kidnapped
and killed afterwards. The passage belowserves as evidence:
178
Truly, Sam pays the price of the anti-social regime. And the analysis
of Nigerian history reveals cases of military as well as civilian regimes
overthrown as a result of a coup d’Etat. As an example, the case of General
President Murtala Mohamed is enlightening. However, when Chris is
informed about the death of His Excellency Sam, he decides to go back to
Bassa. Unfortunately, he will be shot and killed while defending a girl ill-
treated by a soldier as the following extract tells:
V- TRIBALISM
179
Achebe’s novels this practice is widely noticed. So, how is tribalism
experienced in Anthills of the Savannah?
The author denounces the tribal instinct which affects professor
Okong, chiefly through the hatred he feels for the members of the
delegation of Abazon who want to meet Excellency Sam in order to seek
for reconciliation after he has decided to cut water supply in that part of
the country. The following passagemakes no secret of Okong’s tribal
attitude:
Truly, the above extract unveils Okong’s tribal instinct. Through this
behavior, Okong wants to gain Sam’s sympathy, so that only his people
may benefit from Sam’s privileges. Furthermore, we come to understand
that the people of Abazon’s refusal to vote Sam the president-for-life is due
to a tribal reason, that is Sam is not a son of Abazon as the following
passage illustrates:
180
“The elders and councilors of Uria and the whole people,
he said, had decided that in the present political fight
ranging in the land, they should make it know that they
knew one man and one man alone – Chief Nanga. Every
man and every woman in Uria and every adult would
throw his or her paper for him on the day of election.”
(1966:134).
The term snobbery comes from snob, meaning a person who pays
too much respect to social status and wealth, or who shows contempt for
people of lower social position. Snobbery is therefore the attitudes or
behavior that are characteristic of a snob; that is attitudes of a person who
pays too much respect to social position and wealth, admires and initiates
blindly overseas’ way of living, eating, to distinguish himself from those he
considers inferior. On the other word, ‘megalomania’ can be conceived as a
mental disorder, characterized by delusion of grandeur, power and so
forth. These evil practices are experienced in African countries
andtherefore widely criticized by the Achebe inhis novels, mainly Anthills of
the Savannah. We can read it through the character of Sam His Excellency
when orders the Central Bank of Kangan to put his image on the nation’s
181
currency: ‘The Bank of Kanga was completing plans to put the president’s
image on the nation’s currency’. This leads us to think that Sam was not at
the service of his people helping himself and running after honours.
Additionally, we learn from the novel that he was enchanted by the
British style as the following passage confirms: ‘he was fascinated by the
customs of the English, especially their well-to-do and enjoyed playing at
their foibles’. It is unquestionably true that this extract denotes the
snobbery, an attitude mostly found in political leaders. His Excellency Sam
busies himself to refurbish his retreat in Abichi since he cherishes living like
white men. This can be read from the observation puts by Beatricein these
terms:
Chinua Achebe is not the only African writer to espouse this notion of
snobbery in his literary work. Next to him we can count the Kenyan writer
NgugiWaThiog’o who snipes the ethos of ruling class in his country. Indeed,
in Devil on the Cross, Ngugi (1978:100) evidences this attitude through the
character of GitutuWaGataanguru in the following witness:
182
“As far as my address, my real home (…) is here at the
Gojden Heights, Limorog. I call it my real home (…). It’s
like my H.Q. but I’ve got many other houses in Nairobi,
Nakuru and Mambassa (…). And as for my car, I normally
go about in a chauffeur driven Mercedes Benz 280. But in
addition I have a Peugeot 604 and a Range Rover.”
“The first thing critics tell you about our ministers’ official
residences is that each has seven bedrooms and seven
bathrooms for every day of the week. All I can say is that
on that first night there was no room in my mind for
criticism. I was simply hypnotized by the luxury of the
great suit assigned to me.” (p. 36-37.)
The ruling class uses this practice in order to perpetuate their power
and keep the masses under their control. ChinuaAchebe denounces
another practice known as moral depravation. In Anthills of the Savannah,
183
it is practiced by intellectual elite as well as the military junta. The vivid
case is that of DrOfe who conditions hissurgical intervention on a sick
family as the following passage stipulates:
This extract truly unveils the moral depravation doctors bathe in, in
Nigeria and elsewhere as Anthills of the Savannah is about post-colonial
Africa. DrOfe’s attitude resembles the behavior doctors and nurses show in
today African hospital institutes. Indeed, DrOfe epitomizes sadism since he
threatens the three nurses who call him of disciplinary sanctions. Indeed,
this practice has been the common point of many characters all along
Anthills of the Savannah. His Excellency is counted among them and this
appetence is noticed when he expresses the longing to go to bed with
Beatrice, the Commissioner of Information’s girlfriend as she herself puts:
184
CONCLUSION
REFERENCES
185
Psychologie
186
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.187-215 ISSN : 2226-5503
Jean-Baptiste BOULINGUI,
Maitre de Recherche au Département
de Sociologie-Anthropologie-Psychologie
Institut de Recherche en Sciences Humaines
(IRSH)/Cenarest/Libreville-Gabon
RESUME
Cette étude se situe dans le prolongement des travaux menés sur le stress, en milieu
médical, notamment chez les infirmiers (Verquerre & Rusinek-Nisot, 1998) et chez les
médecins généralistes (Van Daele, 2000 ; Vidal, Gleizes & Rasavet, 2000) et s’appuie sur la
problématique suivant laquelle les personnels de santé en milieu hospitalier, notamment
les personnels soignants, dans l’exercice de leur fonction, sont confrontés souvent à de
contraintes multiples dans leur lutte sans répit contre la souffrance et la maladie chez les
patients dont ils ont la charge.
L’objectif ici est donc de montrer que le stress ressenti, en milieu hospitalier, est
susceptible d’influencer négativement l’organisation de la vie hors travail du personnel
féminin, notamment les sages-femmes (n= 36), exerçant dans les hôpitaux publics. Les
résultats obtenus grâce aux diverses techniques statistiques utilisées (statistique
descriptive, analyse corrélationnelle, régression multiple), indiquent que ces dernières,
dans leur vie hors travail, focalisent leur satisfaction principalement autour des relations
amicales. Par contre, elles paraissent très stressées, dans le cadre de leur travail. Mais, cet
état de stress a peu d’influence sur le déroulement des activités extra-professionnelles.
Cela peut s’expliquer par l’organisation sociale de notre environnement basée sur la
solidarité, l’entraide, l’esprit de communauté, etc. ; ce qui peut avoir pour conséquence,
l’atténuation du stress ressenti au travail.
En définitive, cette étude suggère que, dans sa prévention ou sa thérapie, le stress ne peut
être traité de manière isolée et que c’est l’ensemble de la personnalité de l’individu qu’il
faut prendre en compte et préconise ainsi la nécessité de mêler des méthodes cliniques
d'intervention orientées vers des individus, avec des mesures ergonomiques et
organisationnelles orientées vers la situation de travail où l'hôpital est vu comme un
système.
Mots-clés : stress professionnel, vie hors travail, sages-femmes, hôpitaux publics.
ABSTRACT
This study is an extension of the work done on stress, in medical settings, particularly
among nurses (Verquerre & Rusinek-Nisot, 1998) and for general practitioners (Van Daele,
2000; Vidal, Gleizes & Rasavet, 2000) and relies on the following issues which hospital
health workers, including health care workers, in the exercise of their function, are often
faced with many constraints in their constant struggle against suffering and disease in
patients they are responsible.
The aim here is therefore to show that the perceived stress, hospital, is likely to affect the
organization of life outside work of female staff, including midwives (n = 36), working in
hospitals public. The results achieved through the various techniques used statistics
(descriptive statistics, correlational analysis, multiple regression) indicate that these, in
their lives outside work, focus their satisfaction mainly around friendly relations. By cons,
187
they seem very stressed, as part of their work. But this state of stress has little influence
on the conduct of non-work activities. This can be explained by the social organization of
our environment based on solidarity, mutual aid, community spirit, etc. ; which may result
in the attenuation of stress experienced at work.
Ultimately, this study suggests that in its prevention or its therapy, stress can not be
treated in isolation and that's the whole personality of the individual to be taken into
account and thus advocates need to mix clinical intervention methods geared towards
individuals, with ergonomic and organizational measures oriented work situation where
the hospital is seen as a system.
Keywords: work stress, life outside work, midwives, public hospitals
INTRODUCTION
188
Pour leur part, des auteurs tels que Selye (1979), Lazarus et
Folkman (1984), Thoits (1991) considèrent le stress comme un processus
d’adaptation tant biologique que psychologique de l’individu à son
environnement, quand ce dernier devient contraignant. De ce point de vue,
le stress serait une réaction de l’organisme en vue de s’adapter aux
menaces et aux contraintes de notre environnement. A cet égard, il
importe de noter toutefois que le stress peut devenir nocif, s’il est activé à
un niveau très élevé et aussi s’il est répété sans possibilité de récupération.
Cet aspect de réaction de stress provoque un épuisement professionnel ou
burn-out chez l’individu (Canoui, 1996).
En considérant ce qui précède, nous étudions ce phénomène de
stress chez les sages-femmes gabonaises des hôpitaux publics qui sont
soumises à un travail assez délicat : celui de prendre en charge les femmes
enceintes jusqu’à leur accouchement. Cela, bien-entendu, entraîne une
charge de travail très élevée.
L’objectif de cette étude est donc de montrer que le stress ressenti,
en milieu hospitalier par les De même, en parlant des conséquences du
stress, elles affectent la motivation au travail et peuvent également altérer
la santé des travailleurs à travers les maladies professionnelles. Nous avons
pu observer chez ce personnel des symptômes de pathologie organique
(fatigue, les troubles du sommeil, une perte de concentration, les douleurs
de dos et une faible implication dans leur travail). Ensuite, les
conséquences du stress peuvent aussi agir sur l’organisation de
l’Institution, puisqu’on a également observé chez le même personnel, une
élévation du taux d’absentéisme, des demandes d’affectation, une
augmentation du taux d’accident, des plaintes des patients, une mauvaise
image de l’Institution, une dégradation de la qualité de la prise en charge
et du travail en général.
De ce fait, il revient aux responsables de l’Institution hospitalière de
mettre un accent sur l’étude de la problématique du stress au travail et
d’élaborer des stratégies de prévention des risques psychosociaux, des
risques physiques, chimiques et biologiques qui peuvent avoir un effet sur
la santé et le bien-être du personnel. La prévention du stress ne peut se
réaliser sans faire au préalable un état des lieux au niveau de l’institution,
afin d’identifier les facteurs susceptibles de générer le stress.
Notre étude s’inscrit dans ce contexte. L’objectif ici sera donc
d’identifier et de décrire les facteurs générateurs de stress, de manière à
voir si leurs effets sont susceptibles d’influencer significativement la
motivation du personnel du Centre National de Gérontologie/Gériatrie
(CNGG).
Dans cette optique, soulignons que le stress a fait l’objet de
plusieurs études, à l’instar de celle réalisée par El Hassan Belarif (2004) qui
se propose de faire un état des lieux des facteurs organisationnels du stress
professionnel des infirmiers et infirmières du Centre Hospitalier Provincial
de Béni Mellal, au Maroc. Ainsi, une enquête menée par questionnaire
auto-administré, auprès de 105 infirmières et infirmiers au niveau des
services cliniques dudit Centre Hospitalier, à été élaboré. Le taux de
189
réponses est de 70%. Un entretien a également eu lieu avec 14 personnes
impliquées dans la gestion au niveau de ce centre comme complément à
cette enquête. 65% des infirmiers(ères) ont déclaré qu’ils sont stressés par
leur travail. Les résultats de cette étude ont confirmé l’existence, à des
proportions variables, des facteurs de stress professionnel chez les
infirmières et infirmiers. La plupart de ces facteurs sont liés au
management. On peut citer entre autres : les mauvaises conditions de
travail, l’insuffisance de matériel, La surcharge de travail, la mauvaise
répartition des tâches, l’insuffisance d’autonomie dans le travail, la faible
implication des infirmiers (ères) à la prise de décision, l’inexistence de
formation continue au niveau de l’hôpital, le climat social tendu, le faible
soutien de la part de la hiérarchie.
Au regard de cette étude, il est sans contexte que le stress
professionnel en milieu médical est une réalité ; le malaise ressenti et
exprimé par les professionnels de santé suscite l’intérêt de mener
nécessairement des études épidémiologiques dans ce domaine et
d’institutionnaliser une stratégie nationale de prévention.
En considérant ce qui précède, le but de notre travail est d’étudier
le lien entre les facteurs de stress et la motivation au travail. Nous allons
ainsi de l’hypothèse générale selon laquelle les facteurs de stress vont
varier en fonction des différentes formes de motivation au travail.
Cette étude se situe donc dans le prolongement des travaux menés sur le
stress, en milieu médical, notamment chez les infirmiers (Verquerre &
Rusinek-Nisot, 1998) et chez les médecins généralistes (Van Daele, 2000 ;
Vidal, Gleizes & Rasavet, 2000). Quant à sa structuration, nous allons
d’abord présenter la revue de la littérature et la problématique. Ensuite,
nous indiquerons la méthodologie, les résultats et une discussion de notre
analyse, avant de conclure.
I- REVUE DE LA LITTERATURE
190
A ce titre, il est important de noter que l’approche du thème stress
a fait l’objet d’un nombre impressionnant de textes dans la littérature qui
ont permis de le cerner sous ses multiples facettes (cf. par exemple
Gaussin, Karnas & Sporcq, 1998 ; Caruso, 2000 ; Davezies, 2001 ; De Keyser
& Hansez, 2002). Mais, nous nous plaçons ici du point de vue de stress au
travail ou stress professionnel. Pour ce faire, nous partons de l’idée qu’il
est généralement admis que l’activité professionnelle et le monde du
travail peuvent être générateurs de stress et il existe probablement des
professions qui, plus que d’autres, le suscitent. Le stress professionnel est
donc une réalité à laquelle les travailleurs sont de plus en plus souvent
confrontés (cf. par exemple Vallée, 2003). Le milieu médical n’échappe pas
à ce constat. Ainsi, dans ce milieu qui intéresse la présente étude, de
nombreux travaux ont souligné l’existence de différentes sources de
stress : la surcharge de travail, les relations avec les patients, la
confrontation à la mort et à la souffrance, les prises de décision sous
incertitude, etc. (Gadbois, 1981 ; Orozco, 1993 ; Van Daele, 2000). Il faut,
par ailleurs, signaler que la plupart des études se focalisent surtout sur les
causes du stress dans la pratique médicale, parfois sur les conséquences :
irritabilité, dépression, consommation d’alcool et de drogue, suicide, etc.
(Ponnelle & Vaxvanoghou, 2000 ; Van Daele, 2000). Les variables qui
médiatisent la relation entre le personnel médical et les situations
génératrices de stress, ont été moins souvent abordées (Myerson, 1990 ;
Hobbs, 1994). Or, nous savons aujourd’hui que le stress ne peut être
dissocié de ces variables.
Par ailleurs, il faut noter que la relation patient-malade et la
responsabilité du personnel soignant face aux malades, l’incertitude des
situations à affronter et leur caractère imprévisible sont évidemment des
sources de stress (Stora, 1991 ; Verquerre & Rusinek-Nisot, 1998). D’autre
part, la nature des horaires peut accentuer l’influence de ces éléments,
tout comme la surcharge de travail. De ce point de vue, il semble qu’en
milieu hospitalier, la prédisposition du personnel soignant et des autres
professionnels au stress est omniprésente du fait de la spécificité de
l’organisation hospitalière, notamment : l’existence de plusieurs
intervenants dans la mission de soins (médecins, infirmiers, techniciens,
etc.) obligés de travailler en équipe, afin d’accomplir convenablement
ladite mission ; l’imprévisibilité : on ne peut pas prédire le genre de
patients qu’on va recevoir et peut-être même l’évolution de leur état (le
risque zéro n’existe pas) ; l’obligation d’assurer la permanence 24 heures
sur 24 ; la responsabilité des vies humaines nécessitant toujours un esprit
éveillé, une concentration et une parfaite maîtrise des actes techniques ; la
confrontation avec la souffrance et la mort et ce qu’elles posent comme
difficultés de réponses psychologiques chez les soignants (Dionne-Prouls &
Boulard, 1998)
Donc, dans la genèse du stress, l’activité professionnelle peut jouer
un rôle important et c’est la raison pour laquelle cette étude se réalise sur
des sages-femmes qui exercent une profession considérée comme exposée
au stress. En effet, le contact permanent avec la souffrance, la maladie, la
191
mort des mères et nouveaux-nés pendant ou après l’accouchement, etc.
constituent le plus grand facteur de stress pour ces sages-femmes.
Etant donné que cette étude s’inscrit dans le prolongement des
recherches réalisées en milieu médical, comme nous l’avons souligné plus
haut, nous allons de ce fait résumer l’essentiel de quelques-unes de ces
recherches.
C’est ainsi que Verquerre et Rusinek-Nisot (1998) ont mené une
étude sur le stress chez les infirmiers, en France. L’hypothèse générale qui
a guidé la réalisation de cette étude est que les individus éprouvent le
besoin de contrôler leur environnement et l’absence de ce contrôle
provoquent des conséquences néfastes pour le sujet dans la transaction
individu-environnement et peut être générateur de stress. Donc, la
perception de perdre le contrôle de son environnement est fortement
associée au stress. La population était composée de 97 sujets : 81
infirmières et 16 infirmiers appartenant à différents services du Centre
Hospitalier universitaire de Lille. Deux mesures du stress ont été
effectuées : une mesure des manifestations physiologiques du stress
comportant 13 énoncés notés en quatre points (alpha de Cronbach= 0,78)
et une mesure du stress perçu (Echelle de stress perçu de Cohen, Kamarket
& Mermelstein, 1983, cité par Verquerre et Rusinek-Nisot, 1998, p. 63)
concernant 10 énoncés évalués sur une échelle en cinq points. Deux
mesures en rapport avec le sentiment de contrôle ont été réalisées, l’une
concernant la dimension externalité-internalité (Echelle française de locus
de contrôle de Dubois, 1985 cité par Verquerre et Rusinek-Nisot, 1998, p.
64) avec 28 énoncés et l’autre la perception du contrôle des situations
professionnelles (Questionnaire de Perception de Contrôle en Situation de
Travail de Pittersen, 1980 cité par Verquerre et Rusinek-Nisot, 1998, p. 64)
avec 27 énoncés ; le format des réponses est en cinq points. Deux autres
mesures concernent l’estime de soi (Echelle de Harttley, 1980 cité par
Verquerre et Rusinek-Nisot, 1998, p. 66) avec 50 énoncés et la satisfaction
au travail (Minnesota Questionnaire Satisfaction) comportant 20 aspects de
l’emploi. Les résultats auxquels sont parvenus les auteurs confirment les
hypothèses opérationnelles émises. En effet, les manifestations
physiologiques du stress et le stress subjectif (ou perçu) sont liés de
manière négative à l’internalité, tout comme les manifestations
physiologiques du stress au sentiment de contrôler son environnement
professionnel. La satisfaction au travail est fortement liée au sentiment de
contrôler son environnement de travail. L’estime de soi est fortement
associée aux manifestations physiologiques du stress, au stress subjectif, à
l’internalité et de manière plus faible à la satisfaction au travail.
Donc, conformément à la problématique générale de cette étude, le
sentiment de ne pouvoir contrôler son environnement est associé au
stress. Cependant, les auteurs font observer, à cet égard, que les résultats
ne peuvent pourtant être généralisés à d’autres professions et des études
comparatives paraissent nécessaires. Car, selon eux, même si l’hypothèse
d’une somatisation des difficultés rencontrées dans le monde du travail
peut être formulée, le stress psychologique des sujets ne semble pas lié de
192
manière majeure aux événements de la vie professionnelle. Néanmoins
dans les résultats observés, le caractère particulier de la profession
d’infirmier est peut-être à prendre en compte, car elle implique de manière
particulière l’engagement personnel des sujets et favorise peut-être ainsi le
rôle des variables psychologiques dans la genèse du stress. Autrement dit,
le stress, aussi bien en ce qui concerne ses manifestations physiologiques
que sa perception psychologique, serait surtout lié à des variables
psychologiques comme l’internalité et l’estime de soi. Ce phénomène peut
être lié à la nature de l’activité professionnelle de l’infirmier qui oblige à
une forte implication et à un engagement personnel important mobilisant
l’ensemble de la personnalité du sujet. Il peut être aussi causé par la
mesure du stress réalisée qui envisagerait le stress sur un plan général et
non pas le stress lié de manière directe à l’activité professionnelle. Rien
n’indique que les processus soient identiques d’une profession à l’autre et
les résultats observés seront comparés avec ceux observés auprès d’autres
professions.
Dans le même esprit, Van Daele (2000) a, pour sa part, utilisé
l’approche transactionnelle de Lazarus et Folkman (1984) pour étudier le
stress dans le contexte médical. Dans ce modèle, le stress apparaît comme
le résultat de la relation entre l’individu et l’environnement. Deux
médiateurs interviennent dans cette relation : le processus d’évaluation
cognitive (perception) et les stratégies d’ajustement. En adoptant ce
modèle, Van Daele a étudié le stress chez les médecins généralistes. Deux
questions principales ont sous-tendues cette étude : quelles sont les
variables issues du modèle qui président le mieux au niveau de stress des
médecins généralistes ? Et quelles sont les relations entre ces variables ?
Les objectifs visés dans cette étude consistent à scruter chez les médecins
généralistes l’influence des caractéristiques des situations et des
perceptions individuelles qui y sont attachées sur la mise en œuvre des
différentes stratégies d’ajustement et finalement, sur le niveau de stress
ressenti. Plusieurs questions ont orienté cette étude : les médecins
généralistes sont-ils stressés ? De quelle manière ? Quelles sont les
situations qu’ils perçoivent comme stressantes ? Quelles sont les variables
qui président le mieux au niveau de stress ressenti chez les médecins
généralistes issues du modèle transactionnel ? Quelles sont les relations
que ces variables entretiennent entre elles ? Le recueil des données s’est
effectué à l’aide d’un questionnaire auprès de 500 médecins généralistes
dont 110 hommes et 32 femmes. La moyenne d’âge est de 42 ans. Le
questionnaire a été envoyé à 500 médecins généralistes : 172 renvoyés,
142 exploitables dont 110 hommes et 32 femmes, d'une moyenne d'âge de
42 ans. Les résultats auxquels est parvenu l’auteur montrent clairement
une configuration des variables différentes pour les hauts et bas niveaux de
stress. En d’autres termes, il semble exister des profils particuliers des
médecins, selon le niveau de stress qui les caractérise. Par ailleurs, sur la
base des notes brutes obtenues au Ministère de la santé publique (M.S.P.),
on constate une grande variabilité interindividuelle. Autrement dit, certains
médecins s’auto-évaluent comme très stressés, les situations que les
193
médecins généralistes considèrent comme stressantes sont également très
variées.
En conclusion, cette étude a montré qu’il existe dans l’échantillon
des profils particuliers des médecins, selon le niveau de stress qui les
caractérise. Ces profils sont liés à des variables personnelles et
environnementales différentes, ainsi qu’à un processus d’évaluation
cognitive et à des stratégies d’ajustements différentes. Les médecins les
plus stressés sont ceux qui font le plus des gardes. Les raisons pour
lesquelles les gardes contribuent à élever le niveau de stress, c’est le fait
qu’ils se confrontent avec des patients exigeants et agressifs. Par ailleurs,
les femmes sont plus stressées que les hommes. Elles sont plus jeunes et
donc moins expérimentées et vivent plus seules (en dehors du couple).
Ceci peut engendrer une plus grande vulnérabilité aux situations
stressantes.
L’étude réalisée par Vidal, Gleizes et Rasavet (2000) s’inscrit dans le
même registre. En effet, cette étude a pour objectif de faire le point sur
les sources de stress professionnel du médecin généraliste français et de
dégager quelques pistes de réflexion pour y faire face. Du point de vue
méthodologique, l’étude s’appuie sur une revue de la littérature étrangère
et sur le travail de thèse entrepris sous la direction de Vidal, Gleizes et
Rasavet, cherchant à évaluer le stress professionnel perçu chez le médecin
généraliste et d’en préciser les causes, en Haute Garonne et à Paris, au
printemps (2000).
Les résultats de cette étude montrent que 10% des médecins
rapportent un stress important, 50% notent des réactions de stress
fréquentes ou très fréquentes liées au travail. Le score moyen de stress des
médecins généralistes, que ce soit en France ou à l’étranger est
significativement plus important que celui de la population générale. Trois
causes essentielles ont été identifiées à cet effet : 1) la perturbation de la
vie privée par le travail est la première cause de stress. La surcharge de
travail ne peut se faire qu’au détriment de la vie personnelle du médecin.
La disponibilité permanente attendue du médecin peut amener à un
sentiment de culpabilité à "dire non". Refuser des demandes cependant
excessives ou mal venues, est vécu comme un échec. Ce sentiment de
culpabilité peut s’étendre à la famille et en particulier aux enfants dont les
demandes sont parfois, sinon souvent, négligées au détriment de l’action
professionnelle ; 2) les contraintes administratives et financières en
deuxième lieu, sont des notions peu abordées au cours des études
médicales : les médecins ont mal intégré ces aspects dans leur bagage
professionnel. Ces contraintes sont vécues comme très perturbatrices de la
vie professionnelle ; ce que corroborent les études étrangères. Les
médecins sont mal préparés et peu disposés vis-à-vis de la gestion
administrative, perçue comme trop consommatrice d’un temps qui serait
mieux utilisé au soin et à la disponibilité due aux patients. Dans ce
domaine, l’arrivée de l’informatique ne semble pas avoir allégé la charge
administrative et paperassière de l’entreprise médicale. De même, le
niveau faible de rémunération comparé aux autres professions libérales,
194
l’augmentation des charges d’exploitation des cabinets médicaux, la
stagnation des rémunérations et donc la baisse des revenus des médecins,
sont une source de préoccupation, en particulier pour les médecins les plus
anciens. La rémunération du médecin est symbolique de sa valorisation par
la société, mais le lien entre l’argent et la pratique médicale est parfois
vécu comme problématique ; 3) les demandes de l’entourage du patient
viennent en troisième position dans les causes de stress alléguées par les
médecins généralistes. Intervient aussi la notion de temps consacré à
d’autres personnes qu’au malade lui-même, avec la crainte de trahir le
secret professionnel, alors que des explications sont légitimes pour la prise
en charge par l’entourage proche des patients. Cette contrainte n’est pas
retrouvée dans la littérature étrangère et peut sembler spécifique à la
médecine française.
Selon ces auteurs, sur le plan familial, 19% des médecins déclarent
des désordres dans leur couple et 18% des perturbations émotionnelles. Il
y a peu d’études portant sur la répercussion du stress sur les enfants des
médecins, mais elle n’est pas négligeable. Sur le plan individuel, nous avons
les conséquences pathologiques du stress qui sont connues : suicides,
perturbations mentales, utilisation de drogue, d’alcool, mais aussi fatigue
importante, irritabilité, colère, sentiment d’être débordé ou accablé,
manque de concentration et de résistance aux changements. Prés de la
moitié des médecins souffrent d’anxiété modérée ou sévère. Le niveau de
stress est peu différent, selon les régions d’exercice bien que les conditions
de travail soient très dissemblables. Les causes de stress apparaissent
comparables.
II- PROBLEMATIQUE
195
et les modes de gestion des contraintes de ce travail au plan de la famille
chez le personnel soignant féminin des hôpitaux. En effet, l'analyse de qui
est vécu par ce personnel, en dehors du temps de travail, montre que les
exigences sociales des activités extra-professionnelles tendent à prendre
partiellement le pas sur les conditions optimales de récupération du déficit
du sommeil ; le sommeil diurne qui suit la nuit de travail est comprimé (4
heures 30 en moyenne dans un système de nuit de travail, 6 heures 20
dans un système de 4 nuits de repos). Ce sommeil est quelque fois pris en
deux fois, afin de permettre à la femme de faire face à certaines
contraintes familiales (repas de midi, par exemple) ; son début est pour les
mêmes raisons retardé : la femme rentrée à 7 heures 30 chez elle, se
couche seulement à 8 heures 30, une fois ses enfants partis à l'école.
L'étude montre également que la vie sociale de ces femmes
(invitations familiales ou amicales, vie associative, sorties...) est plus
restreinte si on la compare à un groupe de référence du personnel de jour.
Les effets du travail de nuit se répercutent, par ailleurs, sur les autres
membres de la cellule familiale : « le père, obligé d'assumer un certain
nombre de fonctions classiquement remplies par la mère (repas du soir,
coucher des enfants) voit aussi sa vie sociale diminuée (p. 451) ». Il y a
aussi le fait que les travailleurs de nuit tendent à solliciter de leurs enfants
un apprentissage plus précoce de l'autonomie, amenés à supporter les
effets des contraintes qui empêchent leurs mères de leur fournir certains
types d'aide habituellement reçus par les enfants de leur âge.
La présente étude s’inscrit dans ce contexte et se propose, dans une
optique de relation vie au travail-vie hors travail, de mettre en exergue
l’influence du stress professionnel sur l’organisation des activités extra-
professionnelles, chez les sages-femmes au niveau des hôpitaux publics,
étant donné qu’au Gabon aucune recherche n’a été jusqu’à présent
effectuée sur cette thématique. En d’autres termes, il s’agit de comprendre
le risque qu’induit le stress professionnel des sages-femmes des hôpitaux
publics, quant à l’organisation de leur vie hors travail.
En effet, nous pensons que la profession de sage-femme est
particulièrement exposée au stress. Bien entendu cette profession
recouvre des réalités diverses, mais il semble néanmoins possible de
recenser un certain nombre de facteurs qui la caractérisent et qui sont
susceptibles de générer le stress. La sage-femme prescrit et effectue les
examens nécessaires à la surveillance de la grossesse normale. Elle anime
des séances de préparation à la naissance : relaxation, sophrologie, yoga.
Responsable du déroulement de l'accouchement, elle pose le diagnostic du
début du travail, dont elle suit l'évolution, et aide la future mère jusqu'à sa
délivrance. Son activité ne se limite pas à des gestes techniques, son rôle
est également d'ordre relationnel. Elle doit savoir expliquer ce qui va se
passer, rassurer la mère, associer le père à ce moment important ; aidée
des technologies de pointe (monitoring, échographies), elle assure toute
seule les trois quarts des accouchements. Lorsque des complications
surviennent, elle doit savoir apprécier la situation et agir très vite, en
faisant appel au gynécologue obstétricien ou au chirurgien. Après
196
l'accouchement, la sage-femme s'occupe du nouveau-né, vérifie qu'il est en
bonne santé et accomplit des gestes de réanimation si nécessaire. Elle
surveille également le rétablissement de la mère et lui donne des
indications sur l'allaitement et l'hygiène du bébé. Il s'agit d'une profession
médicale à part entière, qui comporte de lourdes responsabilités. Les
conditions de travail sont souvent très dures : horaires irréguliers, gardes
de nuit, stress, etc. Une grande résistance à la fatigue physique et nerveuse
est nécessaire pour exercer ce métier.
Soulignons par ailleurs que la plupart des sages-femmes travaillent
dans les hôpitaux ou les cliniques privées. Quelques-unes d’entre elles
exercent en libéral, ou bien dans des centres de protection maternelle et
infantile (PMI) ou des centres de planification familiale ; elles ont alors un
rôle axé davantage sur la prévention et la pédagogie.
Au terme de l’énoncé de cette problématique, on peut retenir que le
risque de stress professionnel chez les infirmiers résulte de la combinaison
de multiples facteurs défavorables dont les conditions de travail. Quels
peuvent alors être les répercussions de ce stress professionnel sur la leur
motivation au travail ? Aussi, le stress généré par les contraintes du travail
hospitalier n’affecte-t-il pas négativement la motivation au travail du
personnel hospitalier ?
Dans cette optique, étant donné que notre étude porte sur les sages-
femmes qui ont un double statut, celui d’être à la fois salariées et femmes
au foyer, il est indéniable qu’elles aient parfois du mal à gérer ce double
statut (Boussougou-Moussavou, 2004) ; ce qui peut déboucher sur le
conflit travail-famille (Cinamon et Rich, 2002 ; Duxbury et Higgins, 2003).
Rappelons à cet effet qu’autrefois, un homme pouvait essentiellement
compter sur la présence de sa femme à la maison pour prendre soin des
enfants, des personnes malades ou âgées et, lui, évitait toutes les
préoccupations domestiques. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, car les
femmes peuvent maintenant travailler et même occuper des postes de
responsabilités importants. C’est l’addition des charges professionnelles
aux charges extra-professionnelles qui rend difficile la conciliation entre le
travail et la famille. Plus la femme a des responsabilités à son travail, plus
elle a des difficultés familiales ; d’où le problème du stress au travail et
dans la vie privée.
Ainsi, conformément à la problématique développée, nous nous
proposons de tester les hypothèses suivantes :
- H.1 : le niveau de latitude décisionnelle perçu va influencer
différemment les formes de motivation au travail. Ainsi, lorsque ce niveau
est fort, on s’attend à ce que la latitude décisionnelle soit plus en
corrélation positive avec la motivation intrinsèque à la connaissance, la
motivation intrinsèque à l’accomplissement et la motivation extrinsèque -
régulation externe qu’avec la motivation extrinsèque introjectée, et vice-
versa.
- H.2 : le niveau de la demande psychologique perçu va influencer
différemment les formes de motivation au travail. Ainsi, lorsque ce niveau
est élevé, on s’attend à ce que la demande psychologique soit en
197
corrélation négative avec toutes les formes de motivation au travail
(motivation intrinsèque à la connaissance, motivation intrinsèque à
l’accomplissement, motivation extrinsèque - régulation externe, motivation
extrinsèque introjectée), et vice-versa.
- H.3 : le niveau de soutien social perçu va influencer différemment les
formes de motivation au travail. Ainsi, lorsque ce niveau est élevé, on
s’attend à ce que le soutien social soit en corrélation positive avec toutes les
formes de motivation au travail (motivation intrinsèque à la connaissance,
motivation intrinsèque à l’accomplissement, motivation extrinsèque -
régulation externe, motivation extrinsèque introjectée), et vice-versa.
- H.4 : le niveau de reconnaissance perçu va influencer différemment les
formes de motivation au travail. Ainsi, lorsque ce niveau est fort, on
s’attend à ce que la reconnaissance soit en corrélation positive avec toutes
les formes de motivation au travail (motivation intrinsèque à la
connaissance, motivation intrinsèque à l’accomplissement, motivation
extrinsèque - régulation externe, motivation extrinsèque introjectée), et
vice-versa.
L’idée directrice qui sous-tend ces hypothèses est que les indicateurs de
stress perçus (latitude décisionnelle, demande psychologique, soutien
social, reconnaissance au travail) vont influencer différemment les formes
de motivation au travail (motivation intrinsèque à la connaissance,
motivation intrinsèque à l’accomplissement, motivation extrinsèque
introjectée, motivation extrinsèque - régulation externe).
III- METHODOLOGIE
2- Sujets
L’enquête a été réalisée au Gabon au Centre National de
Gérontologie / Gériatrie situé à l’Hôpital Régional de l’Estuaire Mélen. Ce
service fonctionne24/24 h et 7/7 jours grâce à des rotations entre les
sages-femmes qui assurent les gardes.
Les données ont été recueillies sur le lieu de travail auprès de 31
infirmiers qui, en fonction de leur disponibilité, ont accepté de participer à
notre enquête ; c’est donc un échantillon tout-venant. Ils sont âgés de 30 à
56 ans, soit une moyenne de 41,93 ans et leur ancienneté est comprise
entre 1 et 34 ans, soit une moyenne de 5,41 ans.
198
questions supplémentaires issues du questionnaire de Siegrest (2000)
peuvent le compléter pour explorer la reconnaissance au travail.
De même, une étude a évalué les qualités psychométriques de cette
version française du questionnaire et l’a validée d’un point de vue
statistique. En 2006, une étude qui s’est appuyée sur l’enquête SUMER a
validé les propriétés psychométriques du questionnaire de Karasek, de
nombreuses études internationales témoignent de la validité prédictive du
modèle de Karasek pour les maladies cardio-vasculaires, les pathologies
mentales, mais également les indicateurs globaux de santé, tels que la
santé, la qualité de vie ou l’absentéisme pour raison de santé.
Pour apprécier le phénomène de la motivation au travail, nous avons
une échelle de type Likert, mise au point par Blais, Lachance, Vallerand,
Brière et Riddle, (1993). Le questionnaire EMT-31 comprend 31 items. On
demande aux sujets d’indiquer dans quelle mesure chacun des énoncés
correspond actuellement à l’une des raisons pour lesquelles ils font ce
genre de travail. Le questionnaire comporte 7 modalités de réponses : « Ne
correspond pas du tout » (1) ; « Correspond très peu » (2) ; « Correspond
peu » (3) ; « Correspond moyennement » (4) ; « Correspond assez » (5);
« Correspond fortement » (6) et « Correspond très fortement » (7).
Le questionnaire comprend trois principaux cadrans : la motivation
intrinsèque (composée de la motivation intrinsèque à la connaissance, à
l’accomplissement et à la stimulation), la motivation extrinsèque
(motivation extrinsèque - identifiée, motivation extrinsèque - introjectée,
motivation extrinsèque - régulation externe), et l’amotivation (amotivation
externe et amotivation interne).
Les items 7, 14, 22, et 29 correspondent au cadran motivation
intrinsèque à la connaissance, les items 4, 12, 19, et 27 correspondent au
cadran motivation intrinsèque à l’accomplissement et les items 1, 9, 16 et
24 correspondent au cadran motivation intrinsèque à la stimulation. Les
items 3, 11, 18, et 26 correspondent à la motivation extrinsèque –
identifiée, les items 8, 15, 23 et 30 à la motivation extrinsèque - introjectée
et les items 5, 13, 20 et 28 à la motivation extrinsèque – régulation
externe. Le cadran amotivation est composé des items 2, 6 et 25 et
l’amotivation interne est composée des items 10, 17, 21, et 31. Mais, nous
n’allons pas nous intéresser à ces dernières dimensions.
Soulignons ici que nous n’avons utilisé que quatre niveaux de
motivation : Motivation intrinsèque à la connaissance ; motivation
intrinsèque à l’accomplissement ; motivation extrinsèque-introjectée ; et la
motivation extrinsèque-régulation externe.
IV- RESULTATS
Les données recueillies ont été traitées à l’aide du logiciel
STATISTICA grâce auquel nous avons réalisé les analyses suivantes : la
statistique descriptive, l’analyse corrélationnelle et la régression multiple.
199
1- Statistique descriptive
La statistique descriptive qui a été effectuée, nous a permis de
comparer les scores moyens des différentes variables mesurées, afin
d’évaluer leur contribution dans la variance expliquée, par rapport à la
problématique développée. Le tableau 1 donne un aperçu des résultats
obtenus à cet égard.
Légende :
Motivation int*. - connaissance : Motivation intrinsèque à la
connaissance;
Motivation int*. - accomplissement : Motivation intrinsèque
à l’accomplissement;
Motivation ext*. - introjectée : Motivation extrinsèque
introjectée;
Motivation ext*. – régulation externe : Motivation
extrinsèque - régulation externe.
200
Le même constat a été fait au sujet des mesures en rapport avec la
motivation. En effet, sur les quatre dimensions mesurées, il ressort qu’il y a
très peu de variations de scores au niveau des trois premières mesures, il
s’agit de : la motivation extrinsèque introjectée (moyenne= 12,51 et écart-
type= 2,58 ; valeur minimum= 6,00 et valeur maximum= 16,00), la
motivation intrinsèque à la connaissance (moyenne= 10,74 et écart-type=
5,07 ; valeur minimum= 4,00 et valeur maximum= 16,00) et la motivation
intrinsèque à l’accomplissement (moyenne= 10,25 et écart-type= 4,83 ;
valeur minimum= 4,00 et valeur maximum= 16,00). En revanche, la
motivation extrinsèque – régulation externe enregistre le score moyen le
plus faible (moyenne= 9,45 et écart-type= 4,66 ; valeur minimum= 4,00 et
valeur maximum= 16,00).
2- Analyse corrélationnelle
Dans cette analyse, nous avons, d’abord, testé en termes de corrélations
les liens que les différents indicateurs de stress professionnel (variable
indépendante) et les mesures en rapport avec la motivation (variable
indépendante) entretiennent entre eux (matrice d’intercorrélations).
Ensuite, il a été question d’apprécier les relations que ces indicateurs ont
avec les mesures de la motivation (matrice de corrélations). Les tableaux 2
(matrice d’intercorrélations des indicateurs de stress), 3 (matrice
d’intercorrélations des mesures de la motivation) et 4 (matrice de
corrélations entre les indicateurs de stress et les mesures de la motivation)
donnent un aperçu des résultats obtenus dans ce sens.
Indicateurs de stress 1 2 3 4
1- Latitude décisionnelle 1,00
2- Demande psychologique -0,11 1,00
3- Soutien social 0,44* 0,03 1,00
4- Reconnaissance au travail 0,34 0,34 0,61* 1,00
201
Tableau 3 : Matrice d’intercorrélations des mesures de la motivation (n=
31)
Mesures de la motivation 1 2 3 4
1- Motivation int. - connaissance 1,00
2- Motvation int. - 1,00
0,99*
accomplissement
3- Motivation ext.- introjectée 0,80* 0,84* 1,00
4- Motivation ext. – régulation 1,00
0,80* 0,82* 0,68*
externe
202
De ce tableau 5 relatif aux corrélations entre les indicateurs de
stress (VI) et les mesures de la motivation au travail (VD), il apparaît que la
latitude décisionnelle est corrélée positivement avec trois mesures de la
motivation, à savoir : la motivation intrinsèque à la connaissance (r= 0,64,
p<0,05), la motivation intrinsèque à l’accomplissement (r= 0,62, p<0,05) et
de la motivation extrinsèque - régulation externe (r= 0,49, p<0,05). Ceci
valide notre hypothèse opérationnelle 1, d’après laquelle le niveau de
latitude décisionnelle perçu va influencer différemment les formes de
motivation au travail. Ainsi, lorsque ce niveau est fort, on s’attend à ce que
la latitude décisionnelle soit plus en corrélation positive avec la motivation
intrinsèque à la connaissance, la motivation intrinsèque à
l’accomplissement et la motivation extrinsèque - régulation externe qu’avec
la motivation extrinsèque introjectée, et vice-versa.
Quant à la demande psychologique, les résultats obtenus montrent
qu’elle n’a aucune corrélation significative avec les quatre formes de
motivation mesurées ; c’est ce qui contredit notre hypothèse 2
opérationnelle, à savoir que le niveau de la demande psychologique perçu
va influencer différemment les formes de motivation au travail. Ainsi,
lorsque ce niveau est élevé, on s’attend à ce que la demande psychologique
soit en corrélation négative avec toutes les formes de motivation au travail
(motivation intrinsèque à la connaissance, motivation intrinsèque à
l’accomplissement, motivation extrinsèque - régulation externe, motivation
extrinsèque introjectée), et vice-versa. En effet, on remarque ici que toutes
les formes de motivation testées n’ont pas de liens significatifs avec la
demande psychologique.
Par ailleurs, le soutien social perçu est en corrélation positive avec les
quatre formes de motivation, à savoir : motivation intrinsèque à la
connaissance (r= 0,63, p<0,05), motivation intrinsèque à l’accomplissement
(r= 0,64, p<0,05), motivation extrinsèque introjectée (r= 0,58, p<0,05),
motivation extrinsèque - régulation externe (r= 0,65, p<0,05). Ce résultat
conforte donc l’orientation de notre hypothèse 3, selon laquelle le niveau
de soutien social perçu va influencer différemment les formes de motivation
au travail. Ainsi, lorsque ce niveau est élevé, on s’attend à ce que le soutien
social soit en corrélation positive avec toutes les formes de motivation au
travail (motivation intrinsèque à la connaissance, motivation intrinsèque à
l’accomplissement, motivation extrinsèque - régulation externe, motivation
extrinsèque introjectée), et vice-versa.
Le même constat est fait avec la reconnaissance au travail qui est reliée
positivement à toutes les formes de motivation : motivation intrinsèque à
la connaissance (r= 0,67, p<0,05), motivation intrinsèque à
l’accomplissement (r= 0,68, p<0,05), motivation extrinsèque introjectée (r=
0,45, p<0,05), motivation extrinsèque - régulation externe (r= 0,68, p<0,05).
C’est ce qui permet de valider notre hypothèse opérationnelle 2, à savoir
que le niveau de reconnaissance perçu va influencer différemment les
formes de motivation au travail. Ainsi, lorsque ce niveau est fort, on
s’attend à ce que la reconnaissance soit en corrélation positive avec toutes
203
les formes de motivation au travail (motivation intrinsèque à la
connaissance, motivation intrinsèque à l’accomplissement, motivation
extrinsèque - régulation externe, motivation extrinsèque introjectée), et
vice-versa.
Age : Age :
-41 ans (n= 17) 41 ans et + (n= 14)
204
p<0,02) ; ce qui permet de réduire le stress au travail et de développer ainsi
la motivation. A contrario, lorsque la demande psychologique est d’un
niveau faible, la relation entre le stress et la motivation paraît moins
importante (Bêta= 0,29, f(1,12)= 1,14, p>0,30).
Célibataires Mariés
(n= 20) (n= 11)
205
Cela signifie que le soutien social apporté par les collègues et la
hiérarchie, la demande psychologique moins contraignante, notamment en
ce qui concerne l’organisation des horaires de travail et la possibilité qu’a
ce personnel d’apprendre et de participer aux décisions, contribuent à
atténuer le stress au travail. Néanmoins, il a le sentiment de ne pas être
reconnu. Or, nous savons, comme l’ont souligné bon nombre d’auteurs
(Bruns & Dugos, 2002), que la reconnaissance est un levier fort de
l’engagement au travail. A contrario, la faible reconnaissance des efforts, le
déni des difficultés, sont autant de causes de démobilisation, de mal-être,
et de contre-performance productive. Des atteintes à la santé sont même
possibles. Donc, la question de la reconnaissance au travail est importante,
notamment en milieu hospitalier, chez le personnel soignant. Car, dans ce
milieu, la surcharge de travail, les relations avec les patients, la
confrontation à la mort et à la souffrance, les prises de décision sous
incertitude, etc. sont considérées comme des sources de stress (Gadbois,
1981 ; Orozco, 1993 ; Van Daele, 2000).
Donc, le manque d’appréciation des efforts au travail peut conduire
à des frustrations, à une faible implication dans l’exécution des tâches,
d’autant plus que l’hôpital est vu comme un lieu de contrainte et de
souffrance (Abord de Chatillon, 2004).
L’analyse descriptive a ensuite révélé, en ce qui concerne la
motivation, que parmi les quatre dimensions mesurées, trois bénéficient
d’une bonne perception de la part du personnel du Centre National de
Gérontologie / Gériatrie de l’hôpital de Mélen ; il s’agit en l’occurrence de :
la motivation extrinsèque introjectée (moyenne= 12,51 ; écart-type= 2,58),
la motivation intrinsèque à la connaissance (moyenne= 10,74 ; écart-type=
5,07) et la motivation intrinsèque à l’accomplissement (moyenne= 10,25 ;
écart-type= 4,83). Par contre, la motivation extrinsèque – régulation
externe est faiblement perçue (moyenne= 9,45 ; écart-type= 4,66).
Ces résultats laissent à penser que bien que ce personnel travaille
dans un lieu de contrainte et de souffrance (motivation extrinsèque
introjectée), il développe tout de même un sentiment de plaisir d’accomplir
des tâches dont l’objectif est d’apprendre des choses nouvelles (motivation
intrinsèque à la connaissance), en vue d’être efficace et compétent
(motivation intrinsèque à l’accomplissement). Ces derniers résultats
s’inscrivent dans la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (1985)
qui stipule que la motivation intrinsèque serait suscitée par des besoins
que chaque individu a plus ou moins, ceux de se sentir compétent et
autodéterminé. Soulignons qu’on parle de motivation intrinsèque
lorsqu’une activité est réalisée uniquement pour le plaisir et pour la
satisfaction. Elle est associée au plaisir, à la stimulation, et à
l’accomplissement de l’activité.
Cependant, nous devons faire remarquer que ce personnel a le
sentiment que ses efforts ne sont pas récompensés, dans le cadre du
travail (motivation extrinsèque - régulation externe).
Une deuxième série de commentaires concerne l’analyse
corrélationnelle réalisée, en vue de tester les liens entre les différentes
206
variables mesurées. Concernant tout d’abord les indicateurs de stress, les
résultats de cette analyse ont permis de mettre en évidence une
corrélation significative et positive entre le soutien social avec, d’une part,
la latitude décisionnelle (r= 0,44, p<0,05) et, d’autre part, la reconnaissance
au travail (r= 0,44, p<0,05).
Cela laisse à penser que le contrôle que l'on a sur son travail, grâce
à l'utilisation de ses compétences nécessite un soutien social aussi bien de
la part des collègues que des chefs hiérarchiques. Autrement dit, lorsqu’on
bénéficie d’un soutien social, on a tendance à avoir plus de contrôle sur
son travail et mieux on utilise ses compétences. Par ailleurs, la
reconnaissance au travail peut être interprétée comme une conséquence
de soutien social. En d’autres termes, la reconnaissance au travail est une
forme de soutien social. Ainsi, plus on est reconnu à son travail comme
faisant un travail de qualité, plus on se sent soutenu par ses collègues et
ses supérieurs hiérarchiques.
Soulignons par ailleurs, avec des auteurs tels que Brun, Dugas et
Tison (2002), et Brun et Dugas (2005), que la reconnaissance au travail est
fondée sur l’appréciation de la personne comme un être authentique qui
mérite respect et qui possède des besoins ainsi qu’une expertise unique. Il
s’agit en fait d’une considération de l’être humain dans sa globalité en
milieu de travail, et elle constitue un jugement posé sur la contribution du
travailleur, tant en ce qui touche le procédé de travail que l’investissement
personnel et l’engagement. Elle consiste aussi à évaluer les résultats de ce
travail et à les souligner.
En définitive, au regard de ces résultats, on note qu’une grande
autonomie dont dispose le personnel du Centre National de
Gérontologie /Gériatrie de l’hôpital de Mélen dans l'organisation des
tâches et la participation aux décisions, l’utilisation de ses compétences,
ainsi que la reconnaissance au travail dont on lui manifeste sont perçus
comme un fort soutien social, chez ce personnel, qui atténue le stress au
travail.
Dans le même ordre d’idées, l’analyse des intercorrélations des
mesures de la motivation a fait apparaître que la motivation intrinsèque à
la connaissance est très fortement reliée et de manière positive aux autres
mesures de la motivation, à savoir : la motivation intrinsèque à
l’accomplissement (r= 0,99, p<0,05), la motivation extrinsèque introjectée
(r= 0,80, p<0,05) et la motivation extrinsèque - régulation externe (r= 0,80,
p<0,05).
Il est donc visible, eu égard à ces résultats, que le personnel du Centre
National de Gérontologie /Gériatrie de l’hôpital de Mélen manifeste un
grand engouement pour apprendre des choses nouvelles dans le métier,
afin de se parfaire, d’être efficace et compétent. L’objectif visé, c’est
d’arriver à obtenir des récompenses de toutes sortes (promotions, primes,
postes de responsabilité, etc.). C’est ce qui les motive.
Dans le même registre, la motivation intrinsèque à l’accomplissement
est en très forte corrélation positive avec la motivation extrinsèque
introjectée (r= 0,84, p<0,05) et la motivation extrinsèque - régulation
207
externe (r= 0,82, p<0,05). Il en est de même pour ce qui est de la
motivation extrinsèque introjectée et la motivation extrinsèque - régulation
externe. En effet, ces deux mesures présentent une corrélation positive
assez élevée (r= 0,68, p<0,05).
Ces résultats indiquent que lorsqu’on fait montre de son efficacité et
de sa compétence dans l’exécution d’une tâche, c’est parce qu’on s’attend
à être récompensé. D’autre part, la récompense attendue peut être
interprétée comme une source de motivation.
Ensuite, l’analyse des liens entre les indicateurs de stress et les
mesures de la motivation a montré que la latitude décisionnelle est
corrélée positivement avec trois mesures de la motivation, à savoir : la
motivation intrinsèque à la connaissance (r= 0,64, p<0,05), la motivation
intrinsèque à l’accomplissement (r= 0,62, p<0,05) et la motivation
extrinsèque - régulation externe (r= 0,49, p<0,05).
Ces résultats indiquent que la perception que le personnel du Centre
National de Gérontologie /Gériatrie de l’hôpital de Mélen a de l’autonomie
dans l'organisation des tâches et sa participation aux décisions, d’une part,
ainsi que l'utilisation de ses compétences dans l’exécution de ces tâches,
d’autre part, affecte positivement le sentiment de plaisir qu’il éprouve en
effectuant ces tâches, en vue d’apprendre des choses nouvelles
(motivation intrinsèque à la connaissance) dont le but visé est d’être
efficace et compétent (motivation intrinsèque à l’accomplissement), afin
d’aboutir finalement à des récompenses dans le cadre du travail
(motivation extrinsèque - régulation externe).
Quant à la demande psychologique, les résultats obtenus montrent
qu’elle n’a aucune corrélation significative avec les quatre formes de
motivation mesurées. Par contre, le soutien social perçu est en corrélation
positive avec les quatre formes de motivation, à savoir : motivation
intrinsèque à la connaissance (r= 0,63, p<0,05), motivation intrinsèque à
l’accomplissement (r= 0,64, p<0,05), motivation extrinsèque introjectée (r=
0,58, p<0,05), motivation extrinsèque - régulation externe (r= 0,65, p<0,05).
En considérant, ces résultats, il est possible de penser que le
soutien social demeure un bon prédicteur de la motivation au travail. En
effet, lorsque l’individu bénéficie d’un soutien social de la part de ses
supérieurs et de ses collègues, il aura tendance à être plus impliqué dans
son travail et, donc, plus motivé dans l’accomplissement de ses tâches. Le
soutien social est, de ce fait, un facteur de prévention important de la
motivation au travail. En effet, selon le modèle de Karasek (1980) le
soutien social au travail (soutien socio-émotionnel et technique) de la part
des collègues et des supérieurs hiérarchiques, le travail surchargé est
mieux supporté si la personne est soutenue par son entourage
professionnel.
Le soutien social peut donc conduire l’individu à se sentir
compétent, capable d’arriver à ses fins et de se sentir autonome, selon
Déci et Ryan (1985).
La même observation est faite au niveau de la reconnaissance au
travail qui est reliée positivement à toutes les formes de motivation :
208
motivation intrinsèque à la connaissance (r= 0,67, p<0,05), motivation
intrinsèque à l’accomplissement (r= 0,68, p<0,05), motivation extrinsèque
introjectée (r= 0,45, p<0,05), motivation extrinsèque - régulation externe
(r= 0,68, p<0,05).
Ces résultats nous amènent à constater que la reconnaissance au
travail est perçue par les sujets de notre échantillon comme un facteur de
motivation très puissant. Car, il ne suffit pas que l’employé soit rémunéré,
il doit aussi être reconnu d’autres manières pour sa contribution aux
objectifs de l’organisation.
En somme, la reconnaissance, comme le soulignent Bourcier et
Palobart (1997), s’intéresse à la contribution unique de chaque travailleur,
et valorise son expertise et son expérience professionnelles. Elle s’exprime
dans les rapports humains et elle se pratique sur une base quotidienne,
régulière ou ponctuelle. Par ailleurs, elle est de préférence personnalisée
et spécifique, et doit être à l’image de la personne à qui elle s’adresse et
porteuse de sens pour celle-ci. La reconnaissance en milieu de travail peut
donc prendre plusieurs formes : la parole, l’écrit, l’objet ou le symbole.
Enfin, une troisième série de commentaires est en rapport avec les
analyses de régression effectuées sur la base de la prise en compte des
variables individuelles, à savoir : l’âge et le statut marital. De ces analyses, il
ressort que l’âge a un effet très net sur la relation entre les quatre
indicateurs de stress et l’indice de motivation au travail, à savoir : latitude
décisionnelle (Bêta= 0,59, f(1,15)= 8,21, p<0,01), demande psychologique
(Bêta= -0,52, f(1,15)= 5,57, p<0,03), soutien social (Bêta= 0,65, f(1,15)=
11,25, p<0,00) et reconnaissance au travail (Bêta= 0,71, f(1,15)= 15,69,
p<0,00), chez le personnel du Centre National de Gérontologie /Gériatrie
de l’hôpital de Mélen ayant en moyenne moins de 41 ans (-41 ans).
Ces résultats montrent que lorsqu’on a en moyenne moins de 41 ans,
la perception qu’on a de l’autonomie dont on dispose dans l'organisation
des tâches, l'utilisation de ses compétences et la participation aux
décisions (latitude décisionnelle) régule favorablement le stress au travail
et affecte, par conséquent, positivement la motivation. Il en est de même
en ce qui concerne le soutien social et la reconnaissance au travail. En
effet, lorsqu’on bénéficie d’un fort soutien social de la part des collègues et
de la hiérarchie et d’une reconnaissance au travail avérée, on arrive à
apaiser son stress et cela a des répercussions positives sur la motivation au
travail. Par contre, lorsque les contraintes liées à l’exécution de la tâche
sont perçues comme élevées (demande psychologique), cela expose le
personnel au stress et affecte négativement la motivation au travail.
En revanche, lorsqu’on a en moyenne 41 ans et plus d’âge, on a
tendance à avoir une perception positive de la latitude décisionnelle (Bêta=
0,56, f(1,12)= 5,53, p<0,03), du soutien social (Bêta= 0,66, f(1,12)= 9,42,
p<0,00) et de la reconnaissance au travail (Bêta= 0,58, f(1,12)= 6,32,
p<0,02) ; ce qui permet de réduire le stress au travail et de développer ainsi
la motivation. Par conte, lorsque la demande psychologique est d’un niveau
faible, la relation entre le stress et la motivation paraît moins importante
(Bêta= 0,29, f(1,12)= 1,14, p>0,30).
209
D’autre part, concernant le statut marital, les résultats font
apparaître que lorsqu’on est célibataire, on perçoit le soutien social comme
un facteur de réduction de stress et cela influence positivement la
motivation au travail (Bêta= 0,58, f(1,18)= 9,22, p<0,00). En revanche,
lorsqu’on est marié, la motivation est influencée fortement et de manière
positive par la perception qu’on a de la latitude décisionnelle (Bêta= 0,81,
f(1,9)= 18,22, p<0,00), du soutien social (Bêta= 0,94, f(1,9)= 70,41, p<0,00)
et de la reconnaissance au travail (Bêta= 0,98, f(1,9)= 369,41, p<0,00) ; ce
qui agit sur la réduction du stress au travail. En d’autres termes, chez le
personnel marié, les niveaux de perception très élevés qu’il a du contrôle
sur son travail (latitude décisionnelle), du soutien social et de la
reconnaissance au travail réduisent considérablement le stress et influent
fortement sur la motivation au travail.
CONCLUSION
210
d’idées, la reconnaissance au travail peut être interprétée comme une
conséquence de soutien social. En d’autres termes, la reconnaissance au
travail est une forme de soutien social. Ainsi, plus on est reconnu dans son
travail, plus on se sent soutenu par ses collègues et ses supérieurs
hiérarchiques.
En définitive, on note qu’une grande autonomie dont dispose le
personnel du Centre National de Gérontologie / Gériatrie de l’hôpital de
Mélen dans l'organisation des tâches et la participation aux décisions,
l’utilisation de ses compétences, ainsi que la reconnaissance au travail dont
on lui manifeste sont perçus comme un fort soutien social, chez ce
personnel ; ce qui atténue le stress au travail.
Quant aux liens entre les mesures de la motivation, les résultats ont
fait apparaître que la motivation intrinsèque à la connaissance était très
fortement reliée et de manière positive aux autres mesures de la
motivation, à savoir : la motivation intrinsèque à l’accomplissement (r=
0,99, p<0,05), la motivation extrinsèque introjectée (r= 0,80, p<0,05) et la
motivation extrinsèque - régulation externe (r= 0,80, p<0,05). Ainsi, on peut
penser que le personnel du Centre National de Gérontologie /Gériatrie de
l’hôpital de Mélen manifeste un grand engouement pour apprendre des
choses nouvelles dans le métier, afin de se parfaire, d’être efficace et
compétent. L’objectif visé, c’est d’arriver à obtenir des récompenses de
toutes sortes (promotions, primes, postes de responsabilité, etc.). C’est ce
qui, semble-t-il, les motive.
Dans ce même registre, la motivation intrinsèque à l’accomplissement
est en très forte corrélation positive avec la motivation extrinsèque
introjectée (r= 0,84, p<0,05) et la motivation extrinsèque - régulation
externe (r= 0,82, p<0,05). Il en est de même pour ce qui est de la
motivation extrinsèque introjectée et la motivation extrinsèque - régulation
externe (r= 0,68, p<0,05). Cela signifie que lorsqu’on fait montre de son
efficacité et de sa compétence dans l’exécution d’une tâche, c’est parce
qu’on s’attend à être récompensé. D’autre part, la récompense attendue
peut être interprétée comme une source de motivation.
Ensuite, l’analyse des liens entre les indicateurs de stress et les
mesures de la motivation a montré que la latitude décisionnelle est
corrélée positivement avec trois mesures de la motivation, à savoir : la
motivation intrinsèque à la connaissance (r= 0,64, p<0,05), la motivation
intrinsèque à l’accomplissement (r= 0,62, p<0,05) et la motivation
extrinsèque - régulation externe (r= 0,49, p<0,05). Donc, la perception que
le personnel du Centre National de Gérontologie /Gériatrie de l’hôpital de
Mélen a de l’autonomie dans l'organisation des tâches et sa participation
aux décisions, d’une part, ainsi que l'utilisation de ses compétences dans
l’exécution de ces tâches, d’autre part, affecte positivement le sentiment
de plaisir qu’il éprouve en effectuant ces tâches, en vue d’apprendre des
choses nouvelles (motivation intrinsèque à la connaissance) dont le but visé
est d’être efficace et compétent (motivation intrinsèque à
l’accomplissement), afin d’aboutir au bout du compte à des récompenses
dans le travail (motivation extrinsèque - régulation externe).
211
Quant à la demande psychologique, les résultats obtenus montrent
qu’elle n’a aucun lien significatif avec les quatre formes de motivation
mesurées. En revanche, le soutien social perçu est en corrélation positive
avec les quatre formes de motivation, à savoir : motivation intrinsèque à la
connaissance (r= 0,63, p<0,05), motivation intrinsèque à l’accomplissement
(r= 0,64, p<0,05), motivation extrinsèque introjectée (r= 0,58, p<0,05),
motivation extrinsèque - régulation externe (r= 0,65, p<0,05). Il est donc
possible de penser ici que le soutien social constitue un bon prédicteur de
la motivation au travail. En ce sens que, lorsque l’individu bénéficie d’un
soutien social de la part de ses supérieurs et de ses collègues, il aura
tendance à être plus impliqué dans son travail et, donc, plus motivé dans
l’accomplissement de ses tâches. Le soutien social est, de ce fait, un facteur
de prévention important de la motivation au travail.
Le même constat a été fait au niveau de la reconnaissance au travail
qui est reliée positivement à toutes les formes de motivation : motivation
intrinsèque à la connaissance (r= 0,67, p<0,05), motivation intrinsèque à
l’accomplissement (r= 0,68, p<0,05), motivation extrinsèque introjectée (r=
0,45, p<0,05), motivation extrinsèque - régulation externe (r= 0,68, p<0,05).
A ce titre, la reconnaissance au travail est perçue par nos sujets comme un
facteur de motivation très puissant. Car, il ne suffit pas que l’employé soit
rémunéré, il doit aussi être reconnu d’autres manières pour sa contribution
aux objectifs de l’organisation.
En outre, l’analyse de la régression multiple effectuée en vue de tester
l’effet des variables individuelles (âge et statut marital) sur les indicateurs
de stress et l’indice de motivation, a révélé que lorsqu’on a en moyenne
moins de 41 ans, la perception qu’on a de l’autonomie dont on dispose
dans l'organisation des tâches, l'utilisation de ses compétences et la
participation aux décisions (latitude décisionnelle) régule favorablement le
stress au travail et affecte, par conséquent, positivement la motivation. Il
en est de même en ce qui concerne le soutien social et la reconnaissance
au travail. En effet, lorsqu’on bénéficie d’un fort soutien social de la part
des collègues et de la hiérarchie et d’une reconnaissance au travail avérée,
on arrive à atténuer son stress et cela se répercute positivement sur la
motivation au travail. En revanche, lorsque les contraintes liées à
l’exécution de la tâche sont perçues comme élevées (demande
psychologique), cela expose le personnel au stress et affecte négativement
la motivation au travail.
Par contre, lorsqu’on a en moyenne 41 ans et plus d’âge, on a
tendance à avoir une perception positive de la latitude décisionnelle, du
soutien social et de la reconnaissance au travail ; ce qui permet de réduire
le stress au travail et de développer ainsi la motivation. Par contre, lorsque
la demande psychologique est d’un niveau faible, la relation entre le stress
et la motivation paraît moins importante.
D’autre part, concernant le statut marital, les résultats font
apparaître que lorsqu’on est célibataire, on perçoit le soutien social comme
un facteur de réduction de stress et cela influence positivement la
motivation au travail. En revanche, lorsqu’on est marié, la motivation est
212
influencée fortement et de manière positive par la perception qu’on a de la
latitude décisionnelle, du soutien social et de la reconnaissance au travail ;
ce qui agit sur la réduction du stress au travail. En d’autres termes, chez le
personnel marié, les niveaux de perception très élevés qu’il a du contrôle
sur son travail (latitude décisionnelle), du soutien social et de la
reconnaissance au travail réduisent considérablement le stress et influent
fortement sur la motivation au travail.
Pour ce qui est des limites de cette étude, il importe de souligner
que la taille de l’échantillon réduite à 31 sujets limite quelque peu la portée
de nos résultats. En outre, il aurait été plus intéressant, pour une richesse
d’informations, de combiner les questionnaires avec les entretiens
individuels.
Quant aux perspectives de la recherche, nous pensons qu’il serait
judicieux dans ce genre d’étude de prendre en compte les référents
culturels de notre société (organisation sociale basée sur l’esprit
communautaire, l’entraide, la solidarité, l’appartenance au groupe, la
famille, etc.) qui peuvent atténuer l’influence du stress professionnel sur la
motivation au travail. En effet, comme l’a souligné Boussougou-Moussavou
(2004), c’est à travers la réalité sociale et culturelle que l’homme va
attribuer une signification à la relation travail/hors travail, aux éléments de
son environnement.
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Sources orales
215
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.216-231 ISSN : 2226-5503
Elisabeth YEO
Maître-Assistante
Département de Psychologie
Université Félix Houphouët-Boigny
(Abidjan-Côte d'Ivoire)
BPV 34 Abidjan
ellisa@yahoo.fr
Résumé
La présente étude vise à expliquer l’absentéisme chez les fonctionnaires d’Abidjan à partir
de l’iniquité perçue dans le traitement reçu au travail et du profil de carrière. Elle porte
sur un échantillon de 352 agents du service public dont l’âge moyen est de 37 ans, du
genre masculin, de 6 ans d’ancienneté, mariés et de niveau d’études supérieures. Les
sujets sont soumis à un questionnaire. Les données collectées sont traitées à l’aide du
test du Khi-carré.
Deux résultats se dégagent de l’étude. L’un indique que l’absentéisme est plus fréquent
chez les fonctionnaires qui perçoivent une iniquité de traitement dans leur travail que
chez leurs collègues qui éprouvent un sentiment d’équité. L’autre établit que les
fonctionnaires qui ne disposent pas, dans leur fonction, d’un profil de carrière ou qui
perçoivent celui qui existe comme étant non satisfaisant s’absentent plus fréquemment
que leurs collègues chez qui un profil de carrière est vu ou perçu comme étant
satisfaisant.
Mots clés : Absentéisme, iniquité, profil de carrière, fonctionnaires.
Abstract
This study aims at explaining absenteeism among Abidjan civil servants based on the
perceived inequity in treatment at work and career profile. It involved a sample of 352
public service workers with an average age of 37, males, with 6 years of seniority, married
and with a higher education level. The subjects are submitted to a questionnaire. The
collected data are processed using the Chi-square test.
Two results emerge from the study. One indicates that absenteeism is more common
among civil servants who perceive inequity in their treatment at work than among their
colleagues who have a feeling of equity. The other states that civil servants who do not
have a career profile in their occupation or who consider the existing one unsatisfactory
are absent more frequently than their colleagues among whom a career profile is seen or
considered as satisfactory.
Keywords: Absenteeism, inequity, career profile, civil servants.
216
INTRODUCTION
I- PROBLEMATIQUE
L’absentéisme au travail connait une augmentation inquiétante
dans les Administrations Africaines en général et, en particulier, dans
l’Administration ivoirienne. Une enquête de Pognon (2008) révèle que, sur
38,5% des fonctionnaires ivoiriens qui abandonnent leur poste de travail
une fois sur les lieux de service, 2,8% retournent travailler. La persistance
de ce phénomène est à l’origine de nombreux problèmes dans la Fonction
Publique ivoirienne. Ceux-ci sont de deux ordres. Certains sont relatifs au
fonctionnement des services publics et d’autres font référence aux couts
humains.
Au niveau des services publics, l’absentéisme provoque des
désagréments tels que la perturbation du travail, les dysfonctionnements
des services, l'allongement du délai de traitement des dossiers ou la
lenteur dans la délivrance des documents administratifs.
L’absentéisme coûte cher à l’Etat. Celui-ci verse régulièrement les
salaires des fonctionnaires qui ne font pas convenablement le travail.
Amankou (1993) rapporte que la perte financière est de l’ordre de
530 440 000 FCFA par an.
Sur le plan du coût humain, le stress est l’un des problèmes
psychologiques causés par l’absentéisme chez les fonctionnaires en ce sens
que l’absence de certains agents de l’Etat occasionne une surcharge de
travail pour leurs collègues. Le stress vécu par les fonctionnaires modifie
profondément leur personnalité. Kouamé (2008) soutient que les ouvriers
vivent régulièrement un stress professionnel dont les signes manifestes
sont la fatigue chronique, l’anxiété, la perte de confiance en soi et des
difficultés de concentration.
217
Témoin de l’ampleur du phénomène dans l’Administration, le
Ministre de la Fonction Publique en 2012 instaure, selon les autorités
administratives, le pointage à l’arrivée le matin et à la descente.
Cependant, cette mesure est sans effet déterminant à cause de la solidarité
et la complicité entre les fonctionnaires. Quoi qu’arrivant largement en
retard au service, les fonctionnaires indélicats astucieux ajustent leur
heure d’arrivée par rapport à celle de leur prédécesseur sur la liste de
pointage.
Malgré les nombreuses tentatives de solutions apportées,
l’absentéisme professionnel persiste et même gagne du terrain surtout
avec le développement des loisirs. Cet état de faits laisse entrevoir la
complexité du phénomène dont la recherche des déterminants est
indispensable pour le réduire.
La présente recherche s’inscrit dans cette perspective. Elle entend
l’expliquer à partir de la perception de l’iniquité dans le traitement reçu au
travail et du profil de carrière.
En effet, dans l’Administration ivoirienne, la perception d’iniquité
dans le traitement reçu au travail nous semble jouer un rôle non
négligeable dans l’absentéisme chez les fonctionnaires. Ceux-ci ne sont pas
équitablement traités par rapport à d’autres agents de l’Etat ayant un
régime particulier. Par exemple, les enseignants sont relativement mieux
rémunérés que les autres corps. Les seconds perçoivent des salaires
inferieurs à ceux des premiers à diplôme égal. Le tableau ci-dessous
s’avère instructif à cet égard.
218
Publique ivoirienne, la perception d’iniquité dans le traitement reçu au
travail pourrait être l’un des facteurs susceptibles d’expliquer
l’absentéisme des agents du service public.
Si l’on se réfère à la théorie des deux facteurs de Herzberg (1971),
l’emploi englobe deux séries de facteurs. La première fait référence aux
facteurs intrinsèques : promotion, intérêt du travail proprement dit,
sentiment de s’accomplir dans le travail, reconnaissance accordée par le
supérieur, possibilité d’avoir des responsabilités. La seconde, quant à elle,
a trait aux facteurs extrinsèques liés à l’environnement du travail :
politique administrative, conditions de travail, rémunération, relations
entre les personnes, relations avec le supérieur hiérarchique.
L’analyse d’un élément de la première série de facteurs, le profil de
carrière, nous renseigne qu’il joue un rôle primordial dans l’élaboration et
le développement de l’absentéisme chez des agents du service public. Le
choix de ce facteur se justifie par le fait que, depuis des années, les
fonctionnaires ivoiriens revendiquent la mise en place d’un profil de
carrière incitatif dans tous les emplois. Le caractère démotivant de celui qui
existe, d’une part, et, d’autre part, l’absence de celui-ci dans certains
emplois est l’objet de conflits permanents entre l’Etat et ses agents. Ces
derniers manifestent leur mécontentement à travers des arrêts de travail,
voyant leur avenir incertain. N’est-ce pas ce qui fait dire à Herzberg (1971)
que la promotion fait partie des facteurs de satisfaction au travail ? Si les
Administrations ne créent pas en leur sein les conditions de sa réalisation,
ne préparent-elles pas leurs agents à des réactions négatives (grèves,
retraite psychologique de travail) à leur égard ?
La théorie de la justice organisationnelle initiée par Greenberg
(1987) conforte aussi notre analyse. En nous nous y référent, nous pouvons
supposer que l’absentéisme des fonctionnaires ivoiriens dépend de
l’iniquité perçue dans le traitement reçu au travail. D’après cette théorie,
l’individu tend donc à évaluer ses contributions en faveur de son
organisation de travail (performance, niveau de formation, de compétence,
ancienneté, efforts, etc.). Il évalue aussi les avantages qu’il retire de son
emploi (salaire, promotion, etc.) puis, il compare les deux séries
d'éléments : « avantages tirés de l’emploi (Ap) » sur « contributions en
faveur de l’entreprise (Cp) ». Si à l’issue de cette comparaison, le
fonctionnaire a le sentiment qu’il apporte à son entreprise (son diplôme,
son ancienneté, sa compétence…) plus qu’il n’en reçoit (salaire, promotion,
autonomie…), il peut éprouver une iniquité consécutive à ce décalage.
l’injustice ainsi perçue est susceptible de le frustrer ; elle sera d’autant plus
forte que le déséquilibre résultant du ratio est très marqué.
Outre la dimension distributive de la justice organisationnelle axée
sur le sentiment d’équité, Greenberg (1987) propose de joindre à ce
construit, la justice procédurale. Celle-ci concerne les processus mis en
place pour prendre les décisions d’attribution de récompenses tels que le
système d’évaluation des performances, les processus d’avancement, les
processus d’appel des décisions et de participations aux prises de
décisions. Selon la place réservée à l’individu dans le processus, il se sentira
219
équitablement ou inéquitablement traité. Les processus dans lesquels
l’individu est associé à la prise de décisions, bénéficie des informations,
peut se justifier, donner ses opinions, faire des réclamations,
influenceraient positivement l’équité, d’une part. La façon dont les
processus sont mis en œuvre (l’arbitraire, la morale et l’éthique) peut
impacter le sentiment d’équité, d’autre part.
Ainsi, le sujet peut considérer que les décisions :
- s’appliquent à tous de la même façon ;
- n’ont pas recours à des préjugés ou à des buts personnels ;
- sont basées sur des informations exactes ;
- peuvent être corrigées en fonction de nouvelles informations ;
- prennent en compte tous les critères pertinents basés sur
l’éthique d’étude de la société.
Dans ces conditions, lorsque le sujet a le sentiment qu’il est en
présence de procédures justes, c’est-à-dire que les règles sont respectées,
il éprouvera un sentiment d’équité.
A l’opposé, le sujet sera animé d’un sentiment d’iniquité si les
décisions prises sont violées.
La théorie de l’équité procédurale est aussi d’un intérêt capital
pour notre travail. Elle rend compte de la réaction professionnelle des
agents du service public. Si nous nous y référons, nous dirons que les agent
de l'Etat évaluent la manière dont les procédures sont mises en place pour
leur ascension professionnelle. Ils peuvent parvenir à la conclusion que les
procédures sont injustes puisque ne s’appliquant pas à tous de la même
façon car certains ne disposent pas, dans leur fonction, d’un profil de
carrière ou jugent celui qui existe comme étant démotivant alors que
d’autres jouissent d’un profil de carrière satisfaisant.
En s’appuyant sur cette théorie, nous pouvons soutenir que le
niveau d’absentéisme peut résulter du résultat du processus de
comparaison par rapport au traitement reçu et au profil de carrière. Aussi,
sommes nous conduit à formuler les deux hypothèses de travail suivantes :
a. Les fonctionnaires qui perçoivent une iniquité dans le traitement
reçu au travail s’absentent plus fréquemment que ceux qui
éprouvent un sentiment d’équité.
b. Les fonctionnaires qui ne disposent pas, dans leur fonction, d’un
profil de carrière ou qui perçoivent celui qui existe comme étant
non satisfaisant s’absentent plus fréquemment que ceux qui
bénéficient d’un profil de carrière satisfaisant.
La vérification de ces hypothèses implique la collecte des données.
Une telle option repose sur une démarche méthodologique appropriée.
II- METHODOLOGIE
Les procédures employées pour la collecte des données sont de
divers types. Elles concernent la définition opérationnelle des variables en
jeu, la constitution de l’échantillon d’étude, l’élaboration et
l’administration du matériel utilisé sur le terrain.
220
1- Description des variables
Les hypothèses précédemment émises mettent en évidence deux
types de variables. Il s’agit, d’une part, de deux variables indépendantes,
l’iniquité perçue dans le traitement reçu au travail et le profil de carrière,
d’une variable dépendante, l’absentéisme professionnelle, d’autre part.
La perception d’iniquité dans le traitement reçu au travail fait
référence au processus par lequel les fonctionnaires se comparent aux
travailleurs du secteur privé ou à leurs homologues des autres ministères
tels que le ministère de l’économie et des finances. Cette variable est de
nature qualitative avec deux modalités :
- les fonctionnaires qui se considèrent injustement traités par
rapport aux salariés du secteur privé ou à leurs homologues du
service public ;
- les fonctionnaires qui s’estiment mieux ou équitablement traités
comparés à leurs collègues du privé ou du public.
La deuxième variable indépendante de cette étude est le profil de
carrière. Celui-ci fait référence au dispositif technique mis en place par
l’entreprise pour assurer en son sein la mobilité professionnelle de ses
fonctionnaires relativement à leur ascension dans la hiérarchie
socioprofessionnelle de l’entreprise. Il précise les différentes positions
qu’un fonctionnaire occupe. Il définit les règles et les procédures de
passage d’un niveau hiérarchique à l’autre.
Cette variable est envisagée sous une forme qualitative revêtant
deux modalités :
- l’absence d’un profil de carrière ou le fait, pour le fonctionnaire,
de percevoir celui qui existe comme étant non satisfaisant, parce
que trop exigeant en raison de ses critères hyper-sélectifs, de ses
conditions extrêmement difficiles à remplir, de ses principes
arbitraires ;
- la présence d’un plan de carrière satisfaisant en ce sens qu’il fixe
des conditions acceptables, des principes clairs, des règles
objectives et équitables de promotion.
La variable dépendante de cette recherche est l’absentéisme. Celui-
ci est défini comme étant la tendance du fonctionnaire à s’absenter de son
poste sans raison valable et, ce, avec une certaine fréquence. Il correspond
aux absences imprévisibles et injustifiées. Et, il est évalué par sa
fréquence. C’est une variable de nature qualitative. Elle admet deux
modalités :
2- Échantillon
Pour vérifier l’influence de l’iniquité perçue dans le traitement reçu
au travail et du profil de carrière sur l'absentéisme, nous avons choisi les
221
fonctionnaires d’Abidjan. Le manque de base de sondage dans les
structures chargées de la question nous contraint à abandonner la
méthode d'échantillonnage probabiliste pour recourir à une technique des
méthodes d’échantillonnages quasi-expérimentaux, le plan factoriel. Celui-
ci consiste à faire ressortir toutes les combinaisons des modalités des
variables indépendantes pour aboutir aux quatre groupes expérimentaux
consignés dans le tableau suivant.
3- Questionnaire
L’évaluation des variables impliquées dans cette recherche s’est
faite au moyen d’un questionnaire. Celui-ci a été conçu sur la base de
plusieurs informations recueillies lors d’un entretien non dirigé dans
l’Administration Publique. Il a porté sur les déterminants qui peuvent
222
expliquer le désintérêt, la démotivation, les retards de plus de dix (10)
minutes au travail. Il a été soumis à un pré-test auprès de 30 travailleurs
présentant les mêmes caractéristiques que les unités de la population.
Cette épreuve a permis d’obtenir la version finale de l’instrument
qui comporte au total 33 items. Celui-ci s’articule autour de 3 axes. Le
premier axe récence des données individuelles (âge, ancienneté, situation
familiale, catégorie socio- professionnelle…) destinées, les unes, à
caractériser l’échantillon du sujet retenu, les autres, à contrôler les
variables parasites de l’étude. Le second axe se rapporte aux items relatifs
aux variables indépendantes : l’iniquité perçue dans le traitement reçu au
travail et le profil de carrière dont les modalités de réponse sont « oui » et
« non ». Le troisième axe concerne la variable dépendante, l’absentéisme
compressible. Il propose, pour chaque item, les quatre modalités de
réponses suivantes : très fréquemment, fréquemment, occasionnellement,
jamais.
Le questionnaire est soumis à un échantillon de 352 fonctionnaires
de l’Administration Publique d’Abidjan, capitale économique de la Côte
d’Ivoire. Chaque enquêté reçoit un exemplaire du questionnaire qu’il
remplit sur place pour nous le remettre aussitôt.
Les données recueillies sont dépouillées afin d’en tirer les
enseignements.
III- RESULTATS
La technique du Khi carré est utilisée pour le traitement des
données recueillies. Elle permet d’obtenir deux types de résultats :
l’iniquité perçue dans le traitement reçu au travail et l’absentéisme, le
profil de carrière et ce phénomène.
223
La valeur du Khi-carré calculée s’établit à 192,39. Elle est
significative au seuil de probabilité .01. Elle traduit une différence
significative entre les fréquences comparées.
Le tableau précédent indique que, parmi les agents du service
public percevant une iniquité dans le traitement reçu, une majorité se
caractérise par un absentéisme élevé (164 agents sur 176 soit 93,19%)
alors qu’une minorité éprouvant une équité de traitement ne s’absente
qu’occasionnellement (12 sujets sur 176 soit 6,81%).
En revanche, chez les fonctionnaires vivant un sentiment d’équité,
les proportions s’inversent. Une majorité d’entre eux manifeste un
absentéisme occasionnel ou inexistant (129 sujets sur 176 soit 76,30%)
contre une qui développe un absentéisme élevé (47 sujets sur 176 soit
26,70%).
Par conséquent, notre première hypothèse de travail qui soutient
que les fonctionnaires qui perçoivent une iniquité dans le traitement reçu
au travail s’absentent plus fréquemment que ceux percevant un traitement
équitable est confirmée.
D’après le modèle de la justice distributive, le fonctionnaire qui a le
sentiment d’apporter à son Administration (son diplôme, sa qualification,
son ancienneté, son temps …) plus qu’il n’en reçoit (salaire, promotion,
avantages sociaux, autonomie …) éprouve une iniquité. Dès lors, il n’hésite
pas à quitter momentanément son poste de travail pour ses propres
activités (absentéisme). Et, pour cause, c’est un fait unanimement admis en
Côte d’Ivoire que la Fonction Publique octroie de faibles salaires. A titre
illustratif, un adjoint administratif, un chef de service et un directeur de
service reçoivent un salaire nominal respectivement de 126 065 F, 165 080
F et 176 254 F. Or, ces agents savent quels efforts ils déploient pour se
rendre à leur travail (transport en commun ou dépenses en carburant)
dans des rues généralement embouteillées. Ils évaluent quel temps ils
consacrent à leur tâche (7h30 à 16h30 soit 8 heures au quotidien), quels
sacrifices ils consentent (humeur d’un chef au management autoritaire,
désagréments causés par des usagers du système public).Il s’en suit qu’une
injustice vécue peut les conduire à la révolte au point de pencher pour
l’absentéisme dans leur travail.
L’injustice ressentie peut également résulter d’un schéma de
comparaison sociale mis en œuvre par ces fonctionnaires. Ici, ils ne se
comparent plus à eux-mêmes mais à autrui pris comme référence. Ils
établissent un rapport entre leurs apports (ancienneté, temps, compétence
…) à leur Organisation et les récompenses reçues de celle-ci (salaire,
prestige, autonomie …), d’une part, aux contributions qu’autrui exerçant
dans le secteur privé à son organisation (sur les mêmes qualités) et aux
récompenses reçues par celui-là de la part de celle-ci (sur les mêmes
plans), d’autre part. S’ils constatent un déséquilibre de traitement à leur
détriment, ils en seront frustrés au point de s’absenter sans retenue.
Dans ces conditions, certains fonctionnaires se sentent lésés. Ils ne
« récoltent » de leur travail que frustration et révolte intérieure.
224
L’absentéisme se présente alors à eux comme un moyen de réduire leur
dissonance et d’exprimer à leur hiérarchie leur mécontentement.
Il n’en va pas ainsi des fonctionnaires qui considèrent comme
équitable le traitement dont ils sont l’objet de la part de l’Etat de Côte
d’Ivoire. Le sentiment d’équité qui anime certains d’entre eux notamment
ceux des régies financières résulte du fait qu’ils bénéficient de primes
faramineuses contrairement à leurs homologues des autres ministères.
Les seules primes perçues par les uns sont supérieures aux salaires
mensuels reçus par les autres. Aussi, les agents de l’Etat des ministères
techniques vivent-ils un sentiment d’iniquité intense qu’ils peuvent
traduire dans leur comportement professionnel par un absentéisme
fréquent à leur poste de travail. Leurs pairs mieux traités financièrement
ressentiraient une équité due au fait que les récompenses sont à la hauteur
des sacrifices consentis à celui-ci.
Ainsi, les agents de l’Etat qui se sentent équitablement traités
s’engagent pleinement dans leur travail et éviteront de s’absenter d’une
manière injustifiée.
225
Ce résultat vérifie notre deuxième hypothèse de recherche qui
postule que l’absentéisme est fréquent chez les fonctionnaires sans profil
de carrière ou considérant celui-ci comme non satisfaisant mais
occasionnel ou inexistant chez ceux disposant d’un profil de carrière
satisfaisant.
La théorie de la justice organisationnelle de Greenberg (1987)
éclaire cette conclusion. En nous appuyant sur cette théorie, nous pouvons
soutenir que les fonctionnaires qui ne bénéficient pas dans l’exercice de
leur fonction, d’un profil de carrière ou qui le jugent non satisfaisant sont
enclins à un absentéisme fréquent. Sans doute, éprouvent-ils une injustice
à l’idée que leurs efforts au service de l’Etat ne sont pas récompensés à
leur juste mesure. Ils peuvent même ressentir l’absence d’un système de
promotion ou le caractère inadéquat de celui qui s’applique à eux comme
une ingratitude de la part de leur employeur. Ils se convainquent que leur
investissement à leur poste n’a pas de contrepartie satisfaisante puisque
l’Etat s’occupe peu de leur carrière. Ce sentiment d’iniquité peut susciter
chez eux une révolte si le système de promotion existant leur parait
subjectif puisque fondé sur des critères dont la pertinence et le caractère
impartial sont sujets à caution.
Plusieurs cas d’injustice illustrent notre analyse. Par exemple, les
fonctionnaires occupant les emplois tels que magistrats, impôts, trésor, le
corps préfectoral…bénéficient d’un profil de carrière souple, clair, objectif
et incitatif. En effet, dans ces corps, les agents de l’Etat évoluent soit par
nomination sur proposition du ministre, soit après 5 ou 10 ans de service
sans aucun test.
A l’opposé, certains emplois tels que secrétaire de direction,
ingénieur pour qui il n’est aucun profil de carrière. Les fonctionnaires de
ces professions rentrent entant que secrétaire, ingénieur et partent à la
retraite sans changer de grade. D’autres corps comme adjoint
administratif, Administrateur civil bénéficient d’un profil de carrière mais
celui-ci est opaque, arbitraire, hyper-sélectif en ce sens qu’il se fait par
voie de concours. Or, en Côte d’Ivoire, le nombre de places réservé à ces
tests est très limité. De plus, les concours sont très coûteux et selon ces
agents, ils peuvent passer 3, 4, 5 fois voire plus le même test sans succès.
Cet état de faits les décourage à aller compétir. Alors, se sentant
marginalisés, ces agents sont en colère contre leur supérieur hiérarchique.
Cet état psychologique négatif qui habite ces fonctionnaires est
susceptible de les incliner à des absences fréquentes de leur poste de
travail. Les absences apparaissent, alors, comme les manifestations de leur
frustration.
Vues sous cet angle, les absences apparaissent comme des
conduites pernicieuses dont le but est de les rendre peu efficace au travail.
Elles participent à baisser le rendement du personnel qui leur rend en
monnaie de singe leur plein engagement à son service. En agissant de la
sorte, ils se convainquent probablement qu’il s’agit là de la seule manière
de traduire à leur supérieur hiérarchique l’iniquité au travail afin de
226
susciter chez ces derniers une prise de conscience destinée à obtenir
réparation.
A l’opposé, leurs homologues disposant d’un système de promotion
ou étant satisfait de celui qui existe s’absentent rarement ou pas du tout.
Ces derniers sont motivés à travailler puisque la possibilité leur est
offerte de s’élever dans leur hiérarchie professionnelle. Ils perçoivent leur
plan de carrière comme un moyen d’améliorer continuellement leur
position et de s’épanouir professionnellement. Ils se savent prise en
compte par leur hiérarchie à laquelle ils manifestent subtilement leur
gratitude en étant toujours présent à leur poste de travail. En se
comparant à leurs homologues ne bénéficiant pas d’un tel avantage dans
leur fonction, ils ont l’impression d’être les privilégiés car mieux traités
dans leur fonction qu’eux. Pour maintenir leur avantage envié, ils
n’adoptent pas de comportements de retrait momentanés du travail. Ceci
est d’autant plus probable qu’ils savent qu’ils risquent de perdre une telle
position avantageuse s’ils étaient éconduis de leur poste actuel pour fait
d’absentéisme.
En somme, le système ou profil de carrière agit comme un
déterminant majeur de l’absentéisme professionnel chez les agents de
l’Etat d’Abidjan. Selon qu’il existe ou non, perçu comme étant convenable
ou non, il incitera le fonctionnaire à être constamment à son poste de
travail ou à amoindrir son enthousiasme au travail avec son corolaire, une
baisse de la présence au travail pouvant apparaitre comme une réaction
soumise d’hostilité à sa condition de travail.
IV- DISCUSSION
Le premier résultat de notre étude établit l’effet significatif de la
perception d’iniquité dans le travail sur l’absentéisme professionnel. Il
indique que les fonctionnaires qui se sentent injustement traités dans leur
fonction développent des absences fréquentes tandis que leurs
homologues qui n’ont pas une telle perception manifestent des absences
occasionnelles ou rares.
Cette conclusion rejoint celle de Patchen (1960). Examinant l’effet
du niveau de salaire perçu sur le taux d’absentéisme des travailleurs dans
une entreprise américaine, l’auteur conclut que les salariés qui se
perçoivent inéquitablement payés optent davantage pour un
comportement d’absence que ceux qui au contraire bénéficient d’un
traitement équitable.
Klaric (1982) ne s’éloigne pas de ce point de vue. Pour lui, si
l’individu a le sentiment d’être mal payé (insuffisamment payé)
comparativement aux autres, il aura tendance à s’absenter fréquemment
du travail pour chercher des compensations ailleurs. Cette réaction
devient, pour le sujet, un mécanisme pour rééquilibrer l’injustice perçue.
Cela permet de soutenir, qu’en s’absentant, les individus qui souffrent d’un
état de dissonance dû à l’iniquité perçue restaurent systématiquement leur
consonance.
227
Toutefois, notre résultat sur l’impact significatif de la perception
d’iniquité dans le travail sur l’absentéisme professionnel est à relativiser. Si,
cet effet est une réalité indéniable, il ne s’exerce pas toujours dans le
même sens que celui que nous soutenons. Manon (2005) rapporte que
l’iniquité distributive n’influence pas le niveau d’absentéisme des
travailleurs d’une entreprise privée au Canada. Selon l’auteur, l’hypothèse
qui stipule que l’équité distributive a un effet direct et négatif sur
l’absentéisme n’est pas toujours confirmée. Autrement dit, les employés
qui se savent équitablement traités et ceux percevant l’iniquité dans le
traitement reçu au travail enregistrent parfois le même taux d’absence. Ce
résultat indique que l’évaluation des contributions apportées par le salarié
et des rétributions accordées en retour par l’entreprise repose, bien
entendu, sur une part subjective. Chaque salarié n’a pas la même
perception des retours qui lui sont alloués. Certains seront plus sensibles à
une prime tandis que d’autres seront plus attachés aux responsabilités qui
leur seront confiées.
Comme on le voit, l’évaluation du ratio rétribution et contribution
est subjective et teintée de biais égocentriques, c’est-à-dire que des
travailleurs d’une même entreprise peuvent apprécier différemment le
même ratio. Cette différence individuelle peut être à l’origine des
comportements inattendus chez les salariés surpayés, payés normalement
et sous-payés.
Le deuxième résultat de notre étude indique que les fonctionnaires
qui ne disposent pas dans leur fonction, d’un profil de carrière ou qui
perçoivent celui qui existe comme étant non satisfaisant s’absentent plus
fréquemment que ceux qui bénéficient d’un profil de carrière satisfaisant.
Bouville (2006) constate que les éboueurs de l’Administration
Publique française jugent leur profil de carrière difficile et très sélectif
parce qu’il les empêche d’achever leur carrière en tant que chef sont
favorables à l’absentéisme que ceux percevant ce système comme étant
satisfaisant.
Au cours de notre enquête, nous avons été confronté à un arrêt de
travail chez des agents du service public dont l’un des motifs est l’absence
d’un profil de carrière incitatif. Ce fait est confirmé part l’étude de Loba
(2007). Ce dernier indique que les sujets exerçant dans les entreprises où
existe un plan de carrière sont moins favorables à la grève que ceux qui ne
jouissent pas d’un tel dispositif dans leur fonction. C’est l’explication de
l’auteur quand il soutient que tout travailleur aspire à gravir des échelons
de la hiérarchie professionnelle. Le refus de répondre à cette aspiration
peut conduire l’employé à la grève et à l’absentéisme.
Dans une étude antérieure, M'bra (1984) montre que l’ambition
professionnelle récurrente est présente chez les cadres ivoiriens de
l’Administration. Celle-ci est source d’instabilité dans l’emploi chez les
cadres. Le fait, pour ces derniers, d’éprouver des difficultés dans leur
ascension professionnelle est susceptible de les porter vers des
comportements négatifs dont l’absentéisme. En clair, toute Administration
ou Organisation qui ne met pas en place un plan de carrière pour
228
l’ascension professionnelle des salariés, expose ceux-ci à une profonde
insatisfaction pouvant se traduire par des absences fréquentes. La quasi
certitude qu’ils n’ont pas de possibilité de gravir les échelons finit par les
démotiver et occasionner des conduites professionnelles négatives comme
l’absentéisme.
L’insatisfaction ressentie peut s’approfondir à l’idée qu’ils
plafonnent. Le plafonnement, écrivent Roger et Tremblay (2004) est le fait
qu’un individu considère être arrivé à un niveau où ses chances d’évolution
professionnelle future sont inexistantes. Alors, un autre collègue d’une
autre entreprise auquel il se compare passe d’un échelon à un autre quand
bien même il a la même qualité que lui (même niveau d’instruction, même
catégorie professionnelle, même ancienneté).
Il résulte, de ce qui précède, qu’un emploi bien aménagé, et
harmonisé assure l’épanouissement des salariés en garantissant la
prospérité économique à leur entreprise. A l’opposé, si le travailleur exerce
dans des conditions épouvantables, il peut développer des comportements
comme le retrait psychologique momentané du poste de travail dont nul
n’ignore qu’il affecte négativement les projets financiers de l’entreprise.
CONCLUSION
229
Par ailleurs, l’Etat doit réduire l’iniquité présente dans
l’Administration actuellement, l’iniquité perçue dans les avantages
notamment. Par exemple, selon les fonctionnaires, les agents du ministère
de l’économie et des finances perçoivent de grosses primes, ce qui n’est
pas le cas des agents des autres ministères où certains perçoivent des
primes insignifiantes, d’autres pas du tout (fonction publique, ministère de
la construction, du commerce etc.). Il doit donc rééquilibrer ou réduire la
disparité des avantages sociaux dans les services publics.
En outre, les gouvernants doivent octroyer des primes à tous les
fonctionnaires en fixant un même taux selon les grades tout en réduisant
l’écart entre les différents Ministères.
Au niveau du profil de carrière, les autorités doivent élaborer une
politique qui permettrait aux fonctionnaires de gravir les échelons de la
hiérarchie socioprofessionnelle. Par exemple, cela peut être expérimenté
chez les secrétaires qui jusque-là ne bénéficient pas de profil de carrière.
L’Etat doit fixer des conditions acceptables, des principes clairs, des règles
objectives en adéquation avec le plan de carrière. Les gouvernants doivent
aussi favoriser les promotions internes de façon à motiver les
fonctionnaires en leur offrant des passerelles professionnelles motivantes.
Par exemple, après 5 ans de service, un agent du service public doit être
promu. .
De toute évidence, des règles de gestion claires et transparentes
pour tous sont nécessaires. La valorisation des salaires, la réduction de
l’iniquité dans le traitement reçu au travail et la mise en place d’un profil
de carrière motivant constituent des critères de mobilisation au travail
pour une bonne exécution du contrat moral. Prioritairement, le respect des
textes régissant le fonctionnement de l’Administration et des contrats de
travail s’imposent entre l’Administration Publique et ses fonctionnaires.
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231
Théâtre
232
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.233-243 ISSN : 2226-5503
RESUME
Le personnage féminin, très représenté dans la dramaturgie giralducienne, reste
incontournable, vu les rôles éminemment essentiels qu’il tient. Femme d’abord, la figure
féminine assume aussi la non moins difficile fonction maternelle qui lui vaut d’être non
seulement au cœur de l’évolution sociale mais d’être l’agent salvateur de l’humanité.
ABSTRACT
The female character, very represented in the dramaturgy giralducian, remains impossible
to circumvent, considering the eminently essential roles that it holds. Woman initially, the
female figure takes up also the not less difficult maternal duty which is worth to him to be
not only in the heart of the social evolution but to be the saving agent of humanity.
INTRODUCTION
233
la femme, ses capacités intellectuelles, physiques et morales. Giraudoux se
révolte contre l’enfermement idéel imposé à la créature féminine, la
conception impérialiste de la société par l’homme et veut rompre, selon
l’expression de Pierre-louis Rey « la routine d’une histoire par le
patriarcat »11. Il prend conscience du rôle des femmes dans la société et
proclame leur engagement. Aussi, peint-il l’image de la femme
profondément évoluée, des figures féminines exceptionnelles, des
modèles.
Mais comment envisage – t-il le rôle des femmes dans le monde à
travers ses œuvres dramatiques ? L’analyse qui suivra sera le lieu de
montrer la fonction féminine, la fonction maternelle et la fonction sociale
de la femme dans le théâtre de Giraudoux.
I- LA FONCTION FEMININE
1
Pierre-Louis Rey, la femme : de la belle Hélène au mouvement de libération des femmes,
Paris-Bruxelles – Montréal, Bordas 1972, P.148.
234
avec plaisir et délectation que la belle Paola cherche à nuire à la
procureuse, à détruire sa quiétude, à briser son couple, à gâcher son
bonheur. Mais il faut le dire, ‘’cette intention criminelle’’ comme le dit
Charles Mauron n’est rien d’autre que la réponse sinon la réaction à
l’attitude méprisante de Lucile Blanchard ayant coûté à Paola la rupture de
son couple. Ici, se perçoit l’application de la loi du Talion. Les deux femmes
se rendent coup pour coup même si leurs manières diffèrent. On le voit,
Paola se montre beaucoup plus habile et intelligente que Lucile son
adversaire. Elle la frappe là où elle aura le plus mal. En fait, elle décide de
toucher sa pureté, ce qui fait sa fierté et l’amène à montrer peu d’égard à
ses semblables sur le visage desquels elle découvre la fausseté.
La froideur et l’indifférence du personnage féminin sont accentuées par
un autre sentiment émotionnel semblable : l’endurcissement. Il conduit
Judith l’héroïne à commettre le meurtre d’Holopherne son amant d’une
nuit. Ce sentiment est éprouvé par Lucile aussi dont le silence affiché en
présence des êtres coupables fait d’elle un personnage hostile. Ce trait de
caractère entraîne la femme dans une sorte de persécution des autres, en
raison de ce qu’elle les fait passer en jugement. Par son durcissement, sa
raideur, la femme fait découvrir sans doute aux autres leurs erreurs, leurs
fautes et les transforme parfois. Cela transparait dans Electre aussi bien
que dans Pour Lucrèce. La première pièce donne au lecteur-spectateur de
voir un Egisthe si dur, si imbu de lui-même, un régent sans pitié « si les
dieux depuis dix ans, n’arrivent point à se mêler de notre vie, c’est que j’ai
veillé à ce que les promontoires soient vides et les champs de foire
combles… pas d’exil. Je tue….moi je crucifie au fond des vallées…. » (Electre,
I, III, P59) devenir tendre du coup, par l’action, le comportement d’Electre
dont l’indifférence, la froideur et l’inflexibilité parviennent à
métamorphoser. Le manque de pitié de la jeune fille a fini par faire du
régent criminel du début de l’œuvre un véritable roi, soucieux du bien-être,
du devenir de son peuple. Cette subite métamorphose de l’assassin
d’Agamemnon est sans nul doute l’effet de l’inflexibilité d’Electre. La
seconde pièce nous donne aussi de voir que par l’action de Lucile, Armand
apprend l’adultère de sa femme. L’ignorant d’autrefois dont les yeux
s’ouvrent par la procureuse impériale met fin à sa relation avec son
épouse.
Outre Lucile, Judith, Electre qui sont l’incarnation de la rigidité, Paola
n’est pas à négliger. Cette femme adultère, par son durcissement arrive
également à culpabiliser Lucile la vertueuse, à la convaincre d’un péché
non commis. Ici, la figure féminine semble sans cœur, animé de mauvais
sentiments. Elle agit avec exaltation. Qu’il s’agisse de Judith, d’Electre, de
Clytemnestre, de Lucile, de Paola, de Suzanne, une curieuse et certaine
exaltation enveloppe leurs actions. La femme apparait certes rigide et
froide mais elle est animée de fidélité. S’il y a dans le théâtre de Giraudoux
un être fidèle, c’est évidemment le personnage féminin. En effet, la femme
manifeste de la haine, de la répugnance face aux laideurs, aux lourdeurs,
aux méchancetés humaines pour prôner le bien, la justice, la vérité qui
représente des données imprescriptibles. Judith, par fidélité à son peuple
235
revient vers lui avec la tête d’Holopherne malgré le sentiment d’amour
éprouvé pour ce dernier. Paola qui ne veut rompre avec le mal reste égale
à elle-même et assouvit sa vengeance contre la procureuse impériale en
l’induisant en erreur. En planifiant le viol de Lucile, en le mettant en scène,
Paola respecte son engagement de faire subir la déchéance à celle qui s’est
déclarée comme sa rivale. S’étant jurée de faire payer à Lucile la rupture de
son couple, elle y est parvenue. Et l’humiliation infligée à la procureuse est
l’expression de la fidélité dans les actes et la parole chez Paola.
Hormis la fidélité à soi, celle de l’être aimé reste un principe chez la
figure féminine giralducienne qui y reste attachée dans Pour Lucrèce, Lucile
est une épouse fidèle jouissant d’un bonheur, d’une paix conjugale, d’un
équilibre.
Par ailleurs, la malice, la ruse, l’habileté et la subtilité caractérisent le
personnage féminin. Ces traits marquants de la féminité connaissent un
développement chez les personnages giralduciens qui s’en servent pour
atteindre leurs objectifs.
Judith, très habile et subtile use de charme, de séduction pour parvenir
à ses fins. Comme on peut le comprendre, dans Judith, c’est par pure
habileté que la jeune juive séduit le général Holopherne et tranche sa tête
non sans avoir partagé son lit et être entrée dans ses grâces. Certes, Judith
a perdu sa virginité qui est à l’origine de son élection par Dieu, mais elle a
accompli la mission pour laquelle elle s’est rendue au camp ennemi :
vaincre l’Holopherne le persécuteur de son peuple. Pour aller en guerre
contre Holopherne, Judith a fait montre d’intelligence et de ruse. Ainsi elle
a pu tromper son oncle Joseph réticent parce qu’inquiet quant au succès
de sa nièce là où la véritable armée a essuyé un cuisant échec. Electre, de
son côté, a su arracher des aveux à sa mère par ruse par finesse d’esprit, la
fille d’Agamemnon a pu découvrir le mobile de l’assassinat de son père, le
meurtre et les meurtriers. Par habileté et finesse, Paola a précipité Lucile
dans les abîmes. Elle a amené la procureuse à douter de soi, à croire au
mensonge c'est-à-dire au supposé viol dont elle serait victime pour tout
simplement bafouer son orgueil de femme pure, de femme fidèle et
incorruptible, de femme modèle de la société.
L’habileté, la finesse et la ruse, mais surtout le charme, l’attrait
physique, la beauté don de la nature reste un atout considérable pour la
femme et constitue une véritable arme susceptible de lui assurer bien de
succès. La femme possède le pouvoir de la beauté qui lui donne une force
certaine face aux évènements et même de la considération, faisant d’elle
une sorte d’élite. C’est sous le charme de Judith qu’Holopherne est tombé
pour perdre sa vie après. La beauté demeure une parfaite arme. Et Judith
qui en était certaine a su en profiter, car sachant d’avance ce qu’elle en
ferait. Ne dit-elle pas : « toutes les armes découvertes et cachées je les
aurai. La plus dangereuse pour Holopherne, je l’ai déjà » faisant allusion à
sa voix, à son sourire ? (Judith, I, VIII, P217). Sa beauté a été une précieuse
aide dans l’accomplissement du meurtre d’Holopherne, le principal
adjuvant.
236
II- LA FONCTION MATERNELLE
237
mère veut le façonner à sa guise. Elle veut laver, selon les termes de Pierre
d’Almeida, « Oreste de l’empreinte maternelle »1. Electre n’a eu de cesse
de « l’enchaîner à elle, et de s’enchaîner à lui »2.
La jeune fille veut libérer Oreste de Clytemnestre. Le faisant, elle agit
comme une mère, elle s’identifie à la figure maternelle. Electre agit en
protectrice de son frère comme si le prince courait un danger avec sa
mère. En fait, la fille d’Agamemnon agit ainsi puisqu’elle juge sa mère
d’indigne, incapable de sentiment de tendresse et d’amour, insensible, se
souvenant de la chute d’Oreste petit, mais aussi parce qu’elle la
soupçonne d’être coupable de la mort de leur géniteur. Electre voudrait
être la mère de son frère pour qu’il ne doive rien à Clytemnestre.
La maternité est vécue également dans Pour Lucrèce. Ici c’est Barbette
la ventouseuse qui assume la fonction maternelle. La vieille maquerelle,
complice de Paola dans le prétendu viol de Lucile admire la procureuse et
s’inquiète de ce qui lui est arrivé. Prise de compassion et regrettant d’avoir
participé à un tel crime, Barbette s’exclame : « Qu’est ce qui t’a pris, ma
fille ! Tu ne risquais rien des hommes, Je t’ai vue !...» (Pour Lucrèce, III, VI,
P.1076), après sa consommation de poison pour mettre fin à sa vie. Elle va
même jusqu’à faire une confession, à dire la vérité sur le viol de Lucile
quand bien même il soit trop tard : « tu as bien été violée .Pas par
Marcellus, cela on en guérit … Mais par la bêtise des hommes, la
grossièreté des hommes, la méchanceté des hommes… » (Pour Lucrèce, III,
VI, P.1076) et à décider de la venger. Barbette s’engage à venger Lucile,
mais sa vengeance sera dirigée contre les hommes pour lesquels elle
réserve un châtiment infernal. D’où cette expression : « Dis-lui… qu’elle
s’engage , elle et ses sœurs de ville , à ne laisser de répit aux hommes…
pour te venger , mon petit ange , et les mener tout droit à la damnation
éternelle » dans l’oraison qu’elle fait à Lucile. Comme une mère qui vient
de perdre son enfant, Barbette se veut la vengeresse de la procureuse pour
qui elle éprouve une affection sans contexte réelle. Elle sait que Lucile est
victime de sa pureté et est morte aussi par la faute des hommes,
principalement de son époux qui n’a pas su lui être attentif.
On peut se rendre compte de la fonction maternelle aussi dans Judith où
dans le camp ennemi, Daria la sourde-muette tombe en admiration devant
la jeune juive et devient sa mère de circonstance. Sans parent, sans ami,
seule sous la tente d’Holopherne, Judith se confie à la femme pour qui elle
ressent de la compassion et en fait sa mère. Daria répond favorablement
à la demande de Judith dans la mesure où elle va lui prodiguer des conseils.
Judith : … pauvre Daria…. Donne-moi encore tes conseils muets… (Judith, II,
VIII, P.244).
1
Pierre d’Almeida, Lire Electre de Giraudoux, paris, dunod, 1994, P.68
2
Ibidem
238
III- LA FONCTION SOCIALE
239
représentée par la morale, la vertu, le bien. La mort de Lucile semble
sanctifiante. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle même mourante, la
procureuse impériale dira à Paola qu’elle a gagné la bataille vaincu le mal
incarné par la femme d’Armand quand cette dernière lui fera savoir ceci, la
narguant « la lutte est finie… Il n y a au monde qu’une vertu, la victoire… »
en ces termes : « le monde est pur, Paola, le monde est beauté et
lumière !... » . (Pour Lucrèce, III, VII, P.1075)
Sa mort est une manière d’échapper au mal. Comme le dit Charles
Mauron : « Ce suicide a pour elle et pour Giraudoux, le sens d’une
affirmation suprême de pureté, d’une grâce de martyre »1.
A Lucile et Electre qui sont à première vue les personnages par qui
éclate la vérité, les gens qui mettent à jour ou à découvert ce qui est caché,
il faut ajouter Agathe. La femme du président du tribunal, dans Electre,
d’une certaine manière est ménagère de la vérité car c’est par elle que la
jeune princesse Electre découvre l’infidélité de sa mère, « à la lampe
d’Agathe » selon ses propres termes. Et en décidant de quitter sa vie faite
de mensonges, de tromperie, de trahison par l’aveu de son fidélité opte
pour une vie de vérité.
La conversion à la vérité d’Agathe la conduit à la pureté aussi, à
l’attachement à la morale. Elle se range désormais du côté de la vérité en
s’affranchissant définitivement de la confrérie des femmes.
Electre, par son obstination, libère tout son entourage du mensonge et fait
éclore la vérité. Agathe est libérée la première, Egisthe et Clytemnestre
ensuite et enfin tout Argos qui va certainement renaître de ses cendres
après la destruction. Par la justice qu’elle veut intégrale, Electre a projeté la
lumière sur sa patrie. L’incendie d’Argos est une destruction lumineuse.
C’est un sacrifice expiatoire. Electre est devenue le soleil qui donne de son
éclat au peuple dont elle est issue. La clarté du personnage d’Electre, la
lumière qu’elle projette se voit aussi chez la procureuse. Dans Pour
Lucrèce, Lucile ‘’ouvre les yeux des aveuglés par la sentence du silence, de
l’indifférence qu’elle inflige autour d’elle. Par elle Armand découvre que
son épouse est adultère et rompt avec elle. Et Charles Mauron d’affirmer
qu’avec Lucile « le mari dont les yeux se dessillent, est doté, à son tour, de
seconde vue »2
Lucile et Electre sont l’incarnation de la vérité, de la pureté, de l’absolu
avec tous les risques d’intransigeance et de rigidité. Leur action est
marquée par une exaltation certaine et curieuse. Ces personnages exaltés,
dans la rigueur et la sévérité parviennent à mettre fin à la complaisance, à
la légèreté. Par leur intransigeance, leur désir d’absolu en toute chose
Electre et Lucile combattent efficacement l’injustice, l’immoralité, les maux
sociaux sans parti-pris. C’est avec impartialité que la fille d’Agamemnon
traque le mal, et punit les coupables du meurtre de son père. Elle châtie
celle qui lui a donné la vie sans regret par attachement à ses principes
1
Charles Mauron, Le théâtre de Giraudoux : étude psychocritique, Paris, l’Harmattan,
2002, P. 231
2
Charles Mauron, le théâtre de Giraudoux : étude psychocritique, Paris l’Harmattan, 2002,
P.235
240
moraux. Et bien avant que Oreste passe à l’action, Electre demande à
Egisthe de tuer Clytemnestre s’il souhaite être pardonné : Electre : Tuez-la,
Egisthe. Et je vous pardonne. (Electre, II, VUI, P.661).
Lucile lisant la fausseté et l’adultère sur le visage des personnages et
refusant de leur adresser la parole, révèle comme Electre, la vérité. A
l’instar de la fille d’Agamemnon, elle dévoile le crime et force l’aveu du
coupable. Du coup elle devient la vérité, la pureté et la justice comme
Electre. La femme du procureur, en brisant l’union de Paola et Armand par
la révélation de la vraie nature de son épouse, une femme adultère à
Armand, se montre justicière à l’image de la fille d’Agamemnon. Elle rend
justice à Armand le mari cocu qui a pourtant toujours eu confiance en sa
femme et cru en sa fidélité.
Outre la protection de la pureté, de la lumière la femme, chez
Giraudoux, a une mission rédemptrice. En effet, le salut vient par elle. Son
sacerdoce de libération de l’humanité est perceptible dans Judith par
l’acte héroïque qu’a posé Judith tuant l’ennemi redoutable de son peuple,
donc de Dieu. Dans cette œuvre où le sort de tout un peuple dépend de la
jeune vierge, car à elle confié, Judith prend la résolution d’aller se risquer
dans le camp ennemi après la défaite soldatesque juive. Mesurant à cet
instant l’importance de la mission qui lui est assignée. La jeune juive, toute
confiante part en guerre sans préparation et sans arme Judith compte
certainement sure les armes naturelles en sa possession, à savoir le
charme, le sourire, le langage, la ruse, en un mot sa féminité. D’ailleurs,
elle le dira à Sarah inquiète de l’horreur qui l’attend au camp
d’Holopherne :
Judith : Ne croyez pas que j’irai là-bas en victime
consentante … Toutes les armes découvertes et cachées,
je les aurai. La plus dangereuse pour Holopherne, je l’ai
déjà… Mon langage… je ne me suis guère préparée à
une offre de mon corps, mais à une espèce de concours
d’éloquence… » (Judith, I, VIII, PP.216-217).
Le salut du peuple, sa rédemption se voit dans le théâtre giralducien à
travers la décapitation d’Holopherne par Judith, mais se manifeste aussi
par l’attitude intransigeante de la fille d’Agamemnon dans Electre, qui
exposant sa patrie à l’invasion corinthienne la fait renaître. Son attitude
est, à première vue, jugée absurde, mais au-delà de cette vision, il faut
comprendre le changement positif que connaîtra la ville, dépouillée du
mal coupé à la racine, car dans les flammes d’Argos brûlent à jamais les
auteurs des crimes.
La rédemption par la créature féminine se dessine sous l’attitude
d’Agathe Théocathoclés également qui, par l’aveu inattendu de son péché
d’infidélité la sauve, mais sauve aussi la reine Clytemnestre qui, en se
confessant se sauve, libérant son esprit alourdi par le crime crapuleux de
son époux.
Electre, Judith, Agathe et Clytemnestre, d’une manière ou d’une autre,
libèrent le peuple par leur propre rachat aspirent à une vie nouvelle. De par
leurs différents actes, le bien est sorti. Judith est parvenue à ramener la
paix dans sa cité, elle a réussi à redonner espoir à son peuple déçu, abattu
241
qui a mis tout son espoir et toute sa confiance en elle. La jeune fille sauve
da la fatalité, de la douleur, de la souffrance morale le peuple sien.
Agathe, elle, en prenant la résolution de confesser son inconstance se
rachète non seulement, mais affranchit aussi Clytemnestre qu’elle ramène
au bien. La jeune épouse Théocathoclès, sans le vouloir, inconsciemment
donne le nœud du problème d’Electre, le mobile de sa haine viscérale pour
sa mère. Là aussi, il y a rédemption, car la jeune Electre torturée par la
mort de son père dont elle n’arrive pas à trouver l’explication, va tout
comprendre. Son acte de vengeance marquant le triomphe de la vérité et
l’instauration de la justice sans compromis ni partialité sera un acte
libérateur.
Ces femmes sans puissance militaire, sans pouvoir politique, mais à
travers leur langage, leur finesse d’esprit, leur habilité, leurs actes
bouleversent la société, modifient le monde de l’intérieur et transforment
même les cœurs en y introduisant de nouvelles valeurs.
Le personnage féminin dans le théâtre giralducien est la clé de voûte de
la société. C’est lui qui donne autorité ou puissance à ou sur l’évolution, la
marche du monde. La femme agit sur le cours des évènements. Si Argos
doit brûler, c’est parce que Electre a influé les faits. Par son insoumission
accentuée par sa quête effrénée de la vérité, elle ne se laisse pas agir. La
fille d’Agamemnon n’écoutera pas Egisthe, bien que ce dernier soit
transfiguré. Et les propos de sa mère, ceux des Euménides qui essaient de
la dissuader en prenant son frère en otage n’auront pas d’écho favorable
auprès d’elle.
La femme, chez Giraudoux, est une combattante, une missionnaire en
accord avec les forces profondes de la vie et de la nature, selon Alain
Dureau.
CONCLUSION
242
BIBLIOGRAPHIE
243
Sciences du langage
244
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.245-255 ISSN : 2226-5503
RESUME :
Cet article explique le processus de formation du dérivé nominal et les différents
1
changements morphophonologiques. Dans ce parler , il est établi que tout nom dérivé de
verbe est une base parasynthétique obéissant à la forme suivante :
[pre + X + Suf].
Pour former un nom à partir d’un verbe, nous devons donc nous conformer à la règle qui
suit : /V/ N / Pre + V + Suf.
Cette règle signifie que c’est le préfixe et le suffixe entourant le verbe qui permettent au
verbe de changer de catégorie syntaxique. Autrement dire, pour la formation d’un nom
déverbal, il faut nécessairement la présence conjointe d’un préfixe et d’un suffixe. Les
affixes entrant dans la dérivation parasynthétique entrainent des changements de la base
verbale au niveau segmental et supra- segmental.
ABSTRACT:
This article attempts to explain the formation process of the parasitic derivative and the
different morphophonological changes. This type of derivation proceeds by the
simultaneous attachment of a prefix and a suffix to the base thus giving a form as follows:
[pre + X + Suf].
In dandji, it is clearly established that any name derived from the verb is a parasitic basis
insofar as this name obeys the aforementioned form. To form a noun derived from verb
we must therefore comply with the following rule:
/V/ N / Pre + V + Suf.
1
Le dandji est un parler sanwi pratiqué à l’Est du pays, plus précisément dans la zone forestière qui s’étend tout
au long de la rive ouest du fleuve Bia à partir du Nord d’Aboisso, dans les Sous- préfectures d’Ayamé et de
Bianouan .
245
This rule means that it is the prefix and the suffix surrounding the verb that allows the
verb to change syntactic category. Thus, for the formation of a deverbal name, it is
necessary to have the joint presence of a prefix and a suffix. Affixes entering the parasitic
derivation cause changes from the verbal base to the supra segmental and segmental
level.
INTRODUCTION
Il n’y a qu’à constater les constructions qui vont suivre pour se rendre
compte de la manifestation de la dérivation parasynthétiques dans ce
parler agni sanwi.
246
L’affixation conjointe du préfixe [E] et du suffixe de ton [B] aux différentes
structures verbales se manifeste par les constructions que voici :
(1)
b.
c.
/ montrer /
+ +B = - « le fait de parler »
/ parler /
247
(modification phonétique qui consiste en un affaiblissement de
l'articulation des consonnes, à savoir le passage d'une série dite « forte » à
une série dite « douce ») de ces consonnes. Ainsi,
- la consonne occlusive [d] change de forme et devient la latérale [l]
concernant les monosyllabiques dont les voyelles sont e, a (cf, 7a) ;
-la consonne c à l’initiale d’un monosyllabique se transforme en la
fricative palatale lorsque celle-ci précède les voyelles e, (cf. 7b)
- et la consonne occlusive k à l’initial du verbe dissyllabique alterne
avec la consonne fricative vélaire h. La spirantisation a lieu
lorsque l’occlusive précède les voyelles,o,a, u (cf. 7c et 7d). Cette
alternance se fait aussi avec les verbes dissyllabiques ayant la consonne
latérale l en position C2 ;
(ii) Le ton bas B suffixé au ton haut de la voyelle finale de la base verbale
transforme cette dernière en une modulation tonale HB représentée
comme suit :
(2)
H B H B B HB
X X X + X X + X X X X
d e e d e e l e
2- La dérivation en E … E
Le morphème suffixal E obéit au même critère d’harmonie énoncé en
2.1 concernant le préfixe vocalique. Cela peut être élucidé par les exemples
qui suivent :
(4)
Verbe Pref. Verbe suff. Nominalisation Glose
248
/ marcher /
e. k t k t + = k tw « le fait de
s’agenouiller »
/ s’agenouiller /
f. sí é + sí + è = -sê « le fait de savoir »
b. [u ; ] w -
Ce processus soulève l’interrogation suivante : comment élucider ce
phénomène de palatalisation ou de labialisation ?
A priori, il est facile de répondre à cette interrogation en ayant recours
à la phonologie non linéaire. Pour une explication claire de ce phénomène,
focalisons-nous sur l’exemple nad « le fait de marcher » en (4d). La
suite [d- ] peut être analysée comme étant un élément dissyllabique à
l’intérieur de la suite nominale dérivée. Le dilemme qui se situait au niveau
de la morphologie se transforme ainsi en un problème phonologique
illustré en (6) :
(6)
a. Représentation lexicale
B H B
X- X X X X- X
ε n a d ι ɛ
249
b. palatalisation de [ı] en []
X X X X X X
ε n a d ɛ
x x
c c v
X- X X X X -X
ε n a d
L’item nad est rejeté par la langue compte tenu du flottement du ton
H. Il est donc indispensable de le réassocier à un phonème porteur de ton
en l’occurrence l’élément se situant le plus à droite.
b
B HB
X- X X X -X
ε n a d ɛ
250
3- La dérivation en E … à
Le dérivatif E … à se greffe aux verbes ayant les voyelles fermées nasales
u, i , , en finale. Les exemples en (9) obéissent à ce cas de figure.
(9)
4- La dériva on en … l
Le couple … l est capable de s’adjoindre à la racine verbale CV
pour favoriser la création nominale. Voici les données qui entérinent la
possibilité d’obtenir des noms en joignant le dérivatif … l :
(10)
Verbe Préf. Verbe suf. Nominalisation Glose
a. k + k + l = -h - l « le fait de départ »
/ partir /
251
Les diverses transformations provoquées par la présence du préfixe E
permettent d’établir les règles qui suivent :
b. Ј à á + B = à-ɲâ « réunion »
/ se réunir /
c. t à t B = à-tô « achat »
/ acheter /
(14)
/Ј/ [ɲ] / à –
252
II- DISCUSSION
Y Y
253
l’effet conjugué du verbe et du suffixe avant que ne soit ajouté le préfixe.
Ce mode de formation morphologique est envisagé par l’exemple qui suit:
(16)
à- sě -l « cimetière »
/ Préf. / enterrer / Suff. /
* N Suff. * Pref. N
Pref. V
V SUFF
CONCLUSION
254
l’affixation change la catégorie grammaticale de l’élément de départ. Les
affixes ont une valeur grammaticale qui détermine la classe morphologique
du mot dérivé. En outre, ils ont une fonction sémantique parce qu’ils
permettent un changement de sens.
BIBLIOGRAPHIE
255
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.256-267 ISSN : 2226-5503
Paulin SOME,
Ecole Normale Supérieure,
Université Norbert Zongo de Koudougou,
P.O. Box 376 Koudougou, Burkina Faso
Pascaline BAMOGO,
trainee inspector at Ecole Normale Supérieure,
Université Norbert Zongo de Koudougou,
P.O. Box 376 Koudougou, Burkina Faso
E-mail: paulinsome@yahoo.fr
ABSTRACT
This study explores reflective teaching as a strategy to help teachers of English as a
Foreign Language (EFL) move toward professional development. The main goal of this
exploratory work is to contribute to the improvement of the teaching and learning of
English. The study is carried out in the Region of “Centre-Ouest”. Data are collected
through questionnaire, interviews and classroom observations. The study involves ninety-
six (96) teachers (the teachers observed also received the questionnaire). Eight (8)
pedagogic supervisors from the region and two (2) teacher trainers from the Teacher
Training College have been interviewed.
The findings reveal that EFL teachers are willing to grow professionally and strive to reach
this goal. The majority of the teachers involved assert that they reflect on their classroom
practices. But the findings from the post-observation conferences and interviews reveal
that the teachers do not reflect systematically on their classroom practices, that is, they
do not display critical assessment skills.
Key words: professional development, reflective teaching, teaching practices, classroom
practices, self-assessment.
RESUME
Cette étude explore l’enseignement réflectif comme une stratégie visant à aider les
enseignants d’Anglais, langue étrangère à se développer professionnellement. Le but
principal de ce travail exploratoire de type qualitatif est de contribuer à l’amélioration de
l’enseignement/apprentissage de l’Anglais. L’enquête terrain a été conduite dans la
direction régionale du Centre-Ouest à travers des questionnaires, des entretiens et des
observations de classe. L’étude a concerné 96 enseignants (les enseignants observés ont
aussi reçu les questionnaires). Des entretiens ont été menés avec 8 encadreurs
pédagogiques de la Direction Régionale et 2 enseignants formateurs de l’Ecole normale
supérieure de l’Université Norbert Zongo.
Les résultats révèlent que la majorité des enseignants impliqués dans l’étude réfléchissent
à leurs pratiques d’enseignement. Toutefois, les résultats des entretiens et des sessions de
remédiation révèlent que ces enseignants ne réfléchissent pas systématiquement à leurs
pratiques de classe. Quand bien même ils le feraient, ils n’ont pas la capacité d’apprécier
de façon critique leurs enseignements.
Mots clés: développement professionnel, enseignement réflectif, pratiques
d’enseignement, pratiques de classe, auto-évaluation.
256
INTRODUCTION
257
lessons. Yet as Dewey (1993) argues, operating reflectively could prevent
teachers from basing their practices on prejudice and uninformed or
outdated thinking. And Larrivee highlights the importance of reflection and
believes that:
1- Objectives
The main objective of this study is to help EFL teachers for their
professional development. Thus, the following objectives have guided this
study:
- to explore strategies EFL teachers use for their professional
development;
- to identify the difficulties EFL teachers encounter in their
professional development;
- to suggest effective reflection strategies that can help teachers
improve their teaching practices.
2- Research questions
To achieve these objectives I set the following questions:
- Are EFL teachers concerned with their professional development?
- Do EFL teachers face difficulties when reflecting on their teaching
practices?
- Can any suggestions help for the teachers’ professional
development?
3- Hypotheses
To explain the facts and answer the above questions, I have designed
the following main and secondary hypotheses. These hypotheses will be
checked through the data I will collect on the field:
- EFL teachers are not concerned with their professional
development.
- EFL teachers face some difficulties to assess their classroom
practices.
- Proposing reflection strategies can help EFL teachers grow
professionally.
258
II- THEORETICAL PERSPECTIVE
I have conducted this study under the perspective of the theory of
constructivism, the teacher change theory and the reflective teaching
theory.
One or more than one of these reasons can lead the teacher to
undertake initiatives for change in his/her teaching practices.
We can therefore assume that reflection is an important step for
teacher professional development since it permits to go ahead by learning
through your experience. Schön (1983) suggested that the capacity to
reflect on action so as to engage in a process of continuous learning was
one of the defining characteristics of professional practice. And according
to Somé (2015: 51). “The function of teacher reflection is to ensure the
processing of any input, regardless of where it comes from, by the
individual teacher, so that the knowledge becomes personally significant to
him or her.” Therefore, reflective teaching can be considered as
259
fundamental for teachers’ professional development. A teacher who wants
to grow professionally must be aware of this practice and try to practice it
systematically.
2. Methodological approach
We used a mixed methods approach, that is, both qualitative and
quantitative methods. The reason for this choice is motivated by what
Johnson & al. (2007:123) said: “Mixed methods research is the type of
research in which a researcher or team of researchers combines elements
of qualitative and quantitative research approaches (e.g., use of qualitative
and quantitative viewpoints, data collection, analysis, inference techniques)
for the broad purposes of breadth and depth of understanding and
corroboration.” Thus, using a mixed methods design permits to use data
collected by one method to complete those collected by the other method.
The qualitative method deals with meaning in context. For Willig
(2001), cited by Hossain (2011: 145), “Qualitative researchers are
interested in how people make sense of the world and how they experience
events.” And paraphrasing Creswell (1998), Hossain (2011) describes it as a
process that permits to build a holistic complex picture, analyze words and
report detailed views of information. This approach has the advantage of
giving richer answers to questions. The interviews conducted after the class
visits allowed to collect qualitative data about the teachers’ reflection
abilities. In addition, interviews conducted with teacher-trainers provided
important information regarding the issue of reflecting on teaching
practices.
The quantitative research is described by Creswell (1994) as “a type
of research that is explaining phenomena by collecting numerical data that
are analyzed using mathematically based methods.” This approach has
some advantages: it provides estimates of population at large, results
which can be condensed to statistics, and allows for statistic comparison
between various groups. In this purpose, I used a questionnaire addressed
to teachers to get the numerical data on teachers who know about
reflection and its importance for the improvement of their teaching
practices.
260
reach teachers with all the possible profiles, beginners as well as very
experienced ones.
EFL teachers:
In order to be able to help the teachers in the framework of their
professional development, it is important to involve them in the process. In
other words, the research will be incomplete if teachers themselves do not
express their views, and if I do not seek information from them and
understand what is the current situation as far as their training is
concerned. It is also important to know what their needs are in terms of
their professional development. The focus is to help them be autonomous,
acquire systematic reflection abilities for a better teaching/learning
outcome. So, I need to know how they are concerned with their
professional development, and how they know about the strategies to be
used to grow professionally.
Pedagogic supervisors:
For the improvement of teaching, the government recruits every year,
among certified teachers, pedagogic supervisors through competitive tests
for two years training at ENS/UK. Their role is to bring support to the
teachers for the improvement of teaching and learning quality. They
participate in the teachers’ pre-service and in-service training through class
visits and the planning and implementation of workshops and seminars for
teachers. This is why their contribution is very important. They have a sum
of experience on classroom practices and also the class visits they conduct
are followed by feedback conferences during which teachers are required
to reflect on their classroom practices for their self-assessment.
Teacher-trainers of ENS/UK:
ENS/UK is the Teacher Training College in which English teachers
receive their pre-service training. The trainers know exactly what is taught
to the trainees and they also have the opportunity during class visits to see
how former trainees conduct their lessons on the field. Involving them in
my study, helps get more insight about the issue of reflection. In effect,
they can help understand how they expect the trainee-teachers to conduct
and assess their practices basing themselves on the main aspects of a
lesson.
261
abilities, it is necessary to have observed a certain number of teachers. As
for the teacher-trainers, I involved two of them who are posted at the
training college.
In order to collect qualitative data about teachers’ reflection
abilities, I observed lessons with five teachers and held post observation
interviews with them. The choice of these teachers took into account their
profile and teaching experience. The rationale behind this is to check if
experience or pre-service training has an impact on the teacher’s reflection
ability. Each teacher was observed twice. This is to allow more objectivity
in my conclusions about the teachers’ ways of analyzing their lessons.
262
2.4.4. Research procedure
To make sure the teachers have a clear understanding of the questions and
what is expected from them, the questionnaire was pre-tested with five
teachers. This pre-testing allowed me to reformulate some questions and
propose options for others to facilitate the completion. The interview
protocols with pedagogic supervisors and teacher-trainers were also pre-
tested and corrections were made.
263
On the basis of these results, I can say that teachers are willing to improve
their teaching practices, thus the hypothesis n°1 is confirmed.
Hypothesis n°2: EFL teachers face some difficulties to assess their
classroom practices.
For the assessment of this hypothesis, I mainly relied on classroom
observations and the questions asked to pedagogic supervisors and
teacher trainers. During the post-observations, the aspects which were
mentioned by the teachers were aspects about the lesson content, time
management and the achievement of objectives. When teachers were
asked to point out the positive aspects and aspects to be improved, they
say “as positive I have the lesson content”, “time management”, “the
methodology” or “students’ participation”. They cannot say in what these
aspects were positive or weak. Yet, being able to assess one’s practices
refers to the capability of pointing out the aspects and measuring their
effectiveness.
Supervisors and teacher trainers also recognized that from what they have
observed during feedback conferences, most teachers have serious
difficulties to assess their performances. I can infer that Hypothesis n°2 is
then confirmed.
Hypothesis n°3 Proposing reflection strategies help EFL teachers grow
professionally.
Do you think reflecting on your teaching can help you grow
professionally?
A total of 94 respondents acknowledged that reflection can help them
improve their teaching practices. This figure shows that teachers are aware
that reflection on classroom practices is an important step in the teaching
process. The same question was asked to supervisors and teacher trainers.
They all recognized that if a teacher is able to reflect on his/her classroom
practices, he/she will be able to improve his/her teaching. Supervisor B
even said that “during pre-service training, they must know that good
teaching should be based on reflection.” The main reason is that when
teachers are able to identify by themselves the strengths and weaknesses
of their lessons, they can find ways to improve professionally.
Reflection and professional development
Reflection is another stage in teaching. Teachers need to know the
techniques, the aspects on which to reflect and what sources to use for an
efficient reflection. Teachers were asked if they think reflection can help
them improve their teaching practices. A percentage of 96.87% answered
positively. This answer means that teachers know the importance of
reflection on teaching.
How useful is reflection on teaching practices
264
Graph 11: The usefulness of reflection on teaching practices
In fact, 70.83% said that it is very useful, 25% said it is useful and only
4.17% did not give any answer.
When the same question was asked to pedagogic supervisors and teacher
trainers, they unanimously said that reflection is very important for the
quality of teaching. Supervisor B insisted on the fact that reflection is a
must to be a good teacher. If you cannot identify your strengths and
weaknesses, it will be difficult to think of improving your teaching. This is
why some teachers keep on teaching in the same way for years.
CONCLUSION
265
The research findings revealed that EFL teachers are concerned with their
professional development and despite the lack of learning opportunities
and the limited resources, they try as much as they can to improve their
teaching practices. It also appeared that they try to reflect on their
classroom practices but face some difficulties to assess themselves
appropriately.
The study makes suggestions mainly to the Teacher Training College
(ENS/UK) to consider giving an entire course on reflective teaching so as to
prepare the trainees to be able to reflect and assess efficiently their
teaching practices. Pedagogic supervisors are also required to plan and
execute workshops and regular class visits in order to train teachers on
how to reflect and assess their practices for a better teaching. Teachers are
also encouraged to devote time to reflect on their practices in order to
develop their self-awareness and autonomy.
The scope of the study is limited to teachers reflecting on their own
practices and does not take into account making students reflect on their
learning. In addition, it is limited to one regional directorate. I do
acknowledge that some other aspects of reflective practice have not been
dealt with. For example, I only focused the research on reflecting upon the
lessons instead of the whole teaching process. I dare hope that my work
will contribute to draw teachers and trainers’ awareness on the
importance of reflection for professional development and that further
studies could help come over these shortcomings.
REFERENCES
266
Kaboré, E. (2015). Classroom interaction in a context of English as a Foreign
Language: An analysis of teaching practices in secondary
schools in the district of Koudougou.
Larrivee, B. (2000). Tranforming training practice: Becoming the critical
reflective teacher – reflective practice (a completer)
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edition. California: Sage Publications.
Savolainen, H., (2009). Responding to diversity & striving for excellence:
The case for Finland. In acedo C. (ed.). Quarterly Review
of Comparative Education, 39 (3) September 2009.
Schön, D. (1983). The Reflective Practitioner: How Professionals Think in
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London, Jossey-Bass Publishers
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submitted in partial fulfillment of the requirements for
the Doctor of Philosophy degree in English Didactics).
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Teachers’ Instructional Strategies in the Classroom.
Urbana
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Theory, pp. 39 – 61.
Willig, C. (2001). Introducing qualitative Research in Psychology, Open
University Press. Buckingham.
267
Anthropologie
268
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.269-281 ISSN : 2226-5503
Kawélé TOGOLA,
Maître-Assistant-
Université des Lettres et des Sciences Humaines
de Bamako (ULSHB).
RESUME
L’esclavage est un phénomène universel, mais les mécanismes sociaux d’asservissement
se sont révélés multiples et divers. Cet article a traité des mécanismes spécifiques qui ont
prévalu dans la commune rurale de Sokolo. Ainsi, le don de personne humaine en
contrepartie de prestations magico-maraboutiques ou animistes, le mariage avec une
descendante d’esclave et l’achat sont apparus comme les principaux canaux conduisant
dans les liens d’asservissement.
A travers l’école et le commerce, les descendants d’esclaves sont parvenus à conquérir
des positions sociales dominantes. Ils exercent dans la haute administration d’Etat, ou
sont fortunés. Il en résulté de plus en plus un changement de regard, d’attitude et de
discours, donc une déconstruction des représentations dont ils faisaient l’objet auprès de
leurs maitres dans la communauté.
Mots-clés : Esclavage, Mobilite Sociale, Deconstruction
269
INTRODUCTION
270
En Grèce comme ailleurs, la question de l’origine et de la
justification de l’esclavage a été posée à un moment donné de l’histoire.
Les réponses formulées par les philosophes de ce pays, bien qu’empruntes
d’idéologie de classe, sont, à bien des égards, riches d’informations. Parmi
les réponses que la littérature philosophique a relayées le plus, on peut
noter celles formulées par Platon et son disciple Aristote.
D’une manière ou d’une autre, tous les deux évoquent la nature
comme l’origine de l’esclavage. Ainsi, l’esclave est esclave rien que par la
qualité et la nature de son âme (Platon) ou simplement par la volonté de la
nature (Aristote).
En réalité, sans production matérielle, aucune société ne peut
exister. Et tout indique que dans le cas de la Grèce antique, les esclaves
constituaient les « outils » de cette production. L’analyse du rôle et de la
place des esclaves dans le procès de production matérielle dans la société
grecque permet de penser que ce sont les besoins sociaux de production
qui justifient la pratique de l’esclavage.
La conception qu’ont Platon et Aristote de l’esclave n’est pas sans
susciter des interrogations. L’une des questions sous-jacentes à une telle
approche de l’esclavage et qui semble a priori trouver sa réponse est bien
de savoir si on naît esclave, ou si plutôt on le devient. Selon les anciens
grecs, on naît esclave.
Cette perception de l’esclavage n’exclut pas pour autant l’existence
de mesures d’affranchissement. Tocqueville rappelle à ce propos l’exemple
d’Esope, célèbre artiste grec et d’Epictète, célèbre philosophe grec, des
exemples d’esclaves supérieurs en éducation et en lumière à leurs maitres,
qui ont été affranchis. Les recherches actuelles, menées sur la question
dans le cadre des sciences sociales comme l’histoire, l’anthropologie et la
sociologie, ont contribué à identifier et à décrire les mécanismes sociaux de
l’esclavage et à en appréhender les motifs, les justifications et les raisons
de sa perdurance dans certaines sociétés, en dépit de la modernité.
Toutefois, ni l’usage du concept, ni les attributs de position comme
les assignations statutaires et identitaires qu’il recouvre, ne sauraient être
tenus pour propres qu’à la société grecque antique et à ses penseurs,
encore moins à la période antique.
271
Comme dans les sociétés grecque et romaine, Chebel décrit les
mécanismes courants par lesquels l’on devient esclave dans les sociétés
musulmanes. Habituellement, les esclaves sont des prises de guerre, lors
de razzias, de l’arraisonnement des navires, ou de victoires
militaires. Comme moyens d’acquisition courants des esclaves dans le
Sahel Occidental malien, Keita (ibidem 2012) évoque, à l’instar de Chebel,
la razzia, l’enlèvement fréquent, mais en plus le troc. Bonifacio et al (1963)
ont identifié l’achat de prisonniers de guerre au marché et la dette comme
principes d’asservissement. Autant, le prisonnier de guerre devenait
l’esclave de celui qui l’achetait, autant « le débiteur devenait l’esclave du
créancier » (Bonifacio et al 1963 : 123).
Chebel montre comment l’esclavage est devenu un fait central dans
les sociétés musulmanes, et pointe du doigt la stratégie que continuent
d’adopter certaines sociétés en cette ère d’abolition officielle de
l’esclavage pour perpétuer ce phénomène : l’esclavage de « traine ».
L’esclavage de « traine » affecte, dit-il, les descendants, qui, obligés de
porter le fardeau de leur hérédité, sont de ce fait, disqualifiés pour épouser
une femme de classe supérieure : une noble. L’esclave est alors porteur de
patrimoine social, qu’il transmettra à ses descendants. Ce dispositif
d’asservissement par transfert mécanique à la fois de statut social et de
condition, que l’on peut qualifier d’hérédité sociale, est à la base de
l’avènement d’esclaves coutumiers dans toutes les sociétés où la pratique
de l’esclavage est encore d’actualité.
Tout le sens d’une telle mesure de censure sociale est de rappeler à
l’esclave son ascendance, tout est conçu et mis en œuvre pour le
dépersonnaliser (Keita, ibidem : 42). Toutefois, comme l’a souligné un
interlocuteur, vu qu’ « aujourd’hui tout le monde se prend en charge, que
l’on soit noble (au sens de maître) ou esclave donc dans cet état de fait
personne ne peut imposer quoi que ce soit à personne, même si certaines
pratiques existent jusqu’ à présent et celles-ci ont cours pendant les
différentes cérémonies sociales(…)» (Keita, ibidem : 42).
Perçu comme aliénant, dégradant et surtout contraire aux droits de
l’homme, c’est à coups de lois que l’on a assisté à l’élaboration et à
l’application de dispositifs juridiques, notamment les décrets abolissant
l’esclavage.
Le 19ème siècle apparait surtout comme une période de la
généralisation de l’abolition de l’esclavage en Europe et en Amérique,
même si le 18ème siècle peut-être cité comme une période pionnière en la
matière. Le cas de la France est à cet égard intéressant. L’esclavage, après
avoir y été aboli dans les colonies françaises par le Vote de la Convention le
4 février 1794, a été rétabli en 1802 avant d’être définitivement aboli le 27
avril 1848 par Napoléon 1er.
L’antinomie de l’esclavage et des droits de l’homme n’échappait
peut-être pas déjà à Aristote lorsqu’il affirmait que l’esclavage est un mal
nécessaire, mais qu’il faille une évolution technique pour remplacer les
esclaves dans les champs et espérer se passer ainsi d’esclaves. Cette
boutade d’Aristote est à ce titre assez significative. En effet, en écrivant
272
que : « le jour où les navettes marcheront seules, on pourrait se passer
d’esclaves » (Aristote -325), Aristote semble annoncer deux millénaires en
avant sur l’évolution technique contemporaine. L’état de l’évolution
technique du monde après la fin de l’esclavage, autorise à dire que ce
phénomène empêchait l’éclosion du génie humain, spécifiquement grec.
Une sorte de rapport de contradiction, du moins d’incompatibilité
s’appréhende entre l’esclavage et le développement technique.
En dépit de son abolition et de l’avènement de machines presque
substituables aux esclaves aujourd’hui dans le procès de production,
comment comprendre et expliquer le maintien de l’esclavage encore ?
Dans une perspective de construction des identités sociales, il faut dire que
notre milieu d’enquêtes : Sokolo, à l’instar de bien d’autres sociétés
maliennes, a également eu recours à l’esclave, mais à la différence de la
plupart d’entre elles, continue de le pratiquer de nos jours. Les esclaves y
forment une catégorie sociale s’astreignent à un certain nombre
d’attitudes et de comportements typiques en regard de leur statut
d’esclaves. L’exercice de rôles et de taches sociaux spécifiques leur est
légitimement requis. C’est ainsi qu’ils vivent leur condition d’esclaves.
Le présent article entend rendre compte d’un certain nombre de faits
historiques. Il s’agit de l’avènement de l’esclavage, de ses modalités
pratiques d’expression sur le terrain et aussi des raisons de sa persistance à
Sokolo.
Dans cette perspective, les approches théoriques que nous avons
adoptées sont l’explication et l’herméneutique. Ainsi, avons-nous réalisé
des enquêtes qualitatives en septembre 2017 à Sokolo auprès
d’interlocuteurs concernés directement par le phénomène de l’esclavage, y
compris ceux qui luttent contre l’esclavage. Ce sont les magistrats, les
associations de lutte contre l’esclavage, les maîtres d’esclaves, les esclaves
et autres personnes ressources, en l’occurrence les « djélis », reconnus
pour être la mémoire vivante des évènements sociaux. Vu qu’il s’agit d’une
recherche qualitative, la technique d’analyse utilisée a été l’analyse de
contenu.
Comme tout autre phénomène social, l’esclavage se rattache à un
contexte macro social, relève d’un système d’action, et revêt un sens du
point de vue des acteurs qui le portent comme ceux qui le subissent. Afin
de rétablir le lien entre l’esclavage et la structure dont il dérive, et aussi
d’en dégager les motifs et le sens par interprétation, nous avons adopté
comme approches théoriques l’explication et l’herméneutique.
Cet article décrit les différents mécanismes d’asservissement qui
ont prévalu ailleurs et à Sokolo, il tente d’appréhender les raisons et les
motifs de la persistance du phénomène de l’esclavage. Enfin, s’attache-t-il
à identifier les conditions d’une fin réelle de l’esclavage dans notre milieu
d’enquêtes.
L’intérêt d’une attention accordée aux mécanismes
d’asservissement tient à l’idée que l’analyse de ces processus permettra de
saisir le fondement et le point de départ des rapports inégalitaires entre les
maîtres et les esclaves.
273
L’esclavage semble toujours rimer avec le déracinement. Il s’accomplit par
un processus psychologique de dépossession de la personne de tout ce qui
fait son humanité, au premier chef la liberté : son essence d’homme. Telle
est la dimension psychologique du déracinement que nous avons évoqué.
Une autre dimension de ce déracinement est la dimension géographique.
Celle-ci s’exprime par le déplacement forcé, en tout cas pas consenti des
personnes en vue d’être asservies ailleurs sur un territoire qui n’est pas le
leurre.
On voit bien que cette dernière dimension offre les conditions
idéales d’une aliénation, d’une déshumanisation, bref d’une réduction à
l’esclavage. Il est clair que ces esclaves primaires qu’on peut aussi appeler
esclaves de la première génération, par le principe de l’esclavage par
ascendance, transmettront leur statut et leur condition d’esclaves à leurs
progénitures pour prolonger et perpétuer le phénomène de même que
l’identité sociale qu’il incarne.
La profondeur et l’ancienneté de l’institution d’une culture et d’une
idéologie esclavagistes qu’esclaves primaires, esclaves par ascendance ont
fini par s’approprier, semblent avoir tué en eux tout désir de combat pour
la liberté. D’où l’état de passivité des esclaves dont certains disent qu’ils s’y
complaisent. Ces interprétations font penser très rapidement à la théorie
de la domination de Bourdieu, qui affirme en substance que par leur
manque d’action, les dominés participent à la reproduction des conditions
de leur domination. L’homme qui se définit par la liberté, peut-il préférer la
domination à la liberté ?
Si un individu reste maintenu dans un état de privation de liberté,
c’est qu’il n’y peut rien contre. L’individu est un élément d’un système de
quelque ordre ou de quelque nature dans la société. Et comme le dit
Spinoza, il n’est pas un empire dans un empire. Par conséquent, il subit
l’empire-nature, ou l’empire-société dont il n’est en réalité qu’une des
multiples déterminations concrètes, un élément du système. Tout ça pour
dire que si l’esclave n’envisage pas de se battre pour recouvrer sa liberté,
ce n’est guère faute de volonté, mais simplement du fait de la puissance du
système qui le soumet.
Dans certaines sociétés, comme en Mauritanie l’esclave qui exprime
des velléités de libération est d’abord battu par son maître et ensuite par le
quartier, voire tout le village. Chacun croit agir pour que force reste à la
parole, aux injonctions de Dieu et s’attirer ainsi la grâce divine. Un esclave
en quête de liberté est un individu égaré qu’il faille ramener sur le droit
chemin, et rien de tel que le fouet pour cela.
Le combat pour la libération est le fait non pas des esclaves
primaires, vu qu’il n’en existe presque plus, mais des esclaves coutumiers,
ceux auxquels les parents ont transmis leur patrimoine social (statut et
condition d’esclave). Ces derniers n’ont jamais connu la liberté, alors
peuvent-ils savoir réellement ce que c’est la liberté. Kant ne disait-il pas
que pour être libre, encore faut-il être mis en liberté ?
274
II- DE LA NOBLESSE A L’ESCLAVAGE
275
des enfants esclaves. Déçu d’apprendre cela surtout
après avoir fait un enfant, qui plus est un garçon, il s’est
séparé définitivement de sa famille et est parti du
village sans jamais y revenir».
276
transporter les charges (sacs de riz et de mil), ou toutes autres formes
d’organisation matérielle des cérémonies, sont celles qui incombent aux
esclaves. Ne pas les y commettre et le faire soi-même, peut se révéler un
réel motif de plainte des esclaves contre le maître.
Cette plainte est d’autant plus fondée que le comportement dont
aura fait preuve le maître, s’apparente à un déni de statut et de condition
de l’esclave. Aussi, peut-il s’interpréter comme une stratégie du maître,
qui, dans une sorte de fuite en avant, vise à se dérober de l’obligation de
contrepartie de la prestation des esclaves: les libéralités dont il doit
témoigner au quotidien vis-à-vis de ses esclaves.
En tout état de cause, cela n’est guère à son honneur, cependant
préjudiciable à l’intérêt des esclaves. Ces libéralités concernent le
financement de mariage, de baptême et autres évènements sociaux, voire
le don de vivres aux familles des esclaves. Sans doute, ces différents cas de
figure tels que décrits ici, constituent des cadres d’interactions aux allures,
selon les catégories de Caillé, de don et de contre don (Caillé 2007).
Ces interactions sociales, selon notre interlocuteur : S.M.T.,
membre d’une famille maraboutique de Sokolo, propriétaire d’esclaves, un
trentenaire, maçon de profession, domicilié à Yirimadio, en périphérie de
Bamako « empêchent les uns et les autres de s’oublier d’une part. D’autre
part, elles permettent de préserver la cohésion sociale, de cultiver des
valeurs comme l’entraide et la compassion, toutes choses qui rendent la vie
d’une communauté agréable ».
Le salut de l’humanité serait-il dans l’esclavage dont les vertus sont
ici dépeintes par notre interlocuteur ? Faut-il en conclure que l’esclavage, à
travers les pratiques sociales qu’il a inspirées, s’est révélé un espace
d’humanités, porteur de modèle social, tel que posé en objectif de toutes
les transformations sociales et politiques de nos jours ?
Les danses auxquelles les esclaves se livrent au cours des
cérémonies sociales permettent elles aussi de renseigner sur leur statut
d’esclave et leur degré d’asservissement.
La condition des esclaves qui ont été achetés ou donnés en
contrepartie de prestations magico-religieuses est d’autant plus
rigoureuse, du moins moralement, que tous leurs descendants seront
frappés de leur statut et de leur condition de manière ‘’éternelle’’. Car,
ceux-ci constitueront le lot de ce que Chebel (2007) appelle les esclaves
coutumiers. Quand bien même qu’ils parviennent à réussir
économiquement et qu’ils veuillent s’affranchir, en rachetant leur liberté,
le prix de cette reconversion est toujours fixé par le maître. Dans la
conscience collective, l’importance économique d’un esclave ne lui confère
pas davantage de valeur sociale au point de provoquer une inversion de
positions sociales, où le maître s’en trouvera déclassé.
En tout état de cause, celui-là n’en demeure pas moins, en dépit de
sa faible importance économique, celui dont la propriété est toujours
établie sur le riche esclave et qui, en dernière instance, est socialement
qualifié pour fixer le prix du rachat de sa liberté.
277
De génération en génération, les captifs de guerre voient leur statut
évoluer et leur condition s’adoucir. La génération de parents en ligne
directe constitue en quelque sorte les esclaves primaires. Lors des danses
cérémoniales, ces esclaves primaires et ceux achetés ou donnés en
contrepartie, ainsi que leurs descendants, doivent lever les deux bras au
ciel, ce qui permet de déterminer leur statut. La deuxième génération
d’esclaves captifs de guerre forme un sous-groupe social d’esclaves que la
sémiologie locale désigne par le terme de « Wolosso ». Lever un bras au
ciel en dansant en est le signe de reconnaissance. La troisième génération
est consacrée, toujours selon la sémiologie locale, par le vocable :
« Tinkérékègnèn ». Ceux-ci sont des esclaves affranchis.
Ailleurs, cela leur vaut de ne pas vivre la condition d’esclave, ce qui
n’est pas le cas de ceux de Sokolo. En effet, à Sokolo, les esclaves
affranchis, alors même qu’ils n’y sont en rien contraints, lors des
cérémonies sociales, ne manquent pas l’occasion de replonger et de vivre
la condition d’esclave. Pour dévoiler leur statut d’esclaves affranchis,
contrairement aux esclaves primaires et aux « Wolosso », ces
« Tinkérékègnèn », esclaves affranchis grâce à l’effet du temps et à la
succession des générations, ne font aucun signe de bras vers le ciel en
dansant.
On peut observer l’existence d’une échelle de statuts des esclaves.
Tous les esclaves ne sont pas esclaves du même ordre, ni du même degré.
Ils n’occupent pas dans la conscience collective exactement le même
statut. Selon le principe d’asservissement qui a prévalu, les esclaves ont un
statut plus ou moins rigide ou solide, les conditions de leur libération plus
ou moins accessibles. Ces différences de statut n’engendrent guère de
différences de traitement, en termes de libéralités de la part du maître.
Dans les faits, les esclaves de tout degré, de tout ordre et même les
affranchis, reçoivent des maîtres des libéralités lorsqu’ils ont à affronter
des charges liées à des évènements majeurs de la vie sociale du genre :
mariage, baptême, funérailles, fêtes religieuses.
Le chapitre suivant décrira les canaux et dynamiques sociales à
partir desquelles les acteurs, en dépit et à partir de leur état de captivité,
s’emploient à s’arracher à leur condition et statut d’esclave.
278
trouve ses origines intellectuelles précisément philosophiques chez
Emmanuel Kant. Kant à l’époque des lumières écrivait ceci : Sapere Aude,
ce qui est une invite pour les hommes à avoir le courage de penser par eux-
mêmes.
Cette approche de la conquête ou reconquête de la liberté humaine
implique nécessairement un rapport à soi et aux autres. C’est que la liberté
de l’individu passe par un investissement individuel. Les autres ne sont pas
au premier chef l’outil de ma liberté. Voilà une approche de la liberté qui
convient dans le cas de la lutte contre l’esclavage de nos jours. Processus
de désaliénation, cette lutte vise à une déconstruction des effets résultatifs
de la domination établie sur les esclaves sur les plans culturel,
psychologique et intellectuel.
Sur un tout autre plan, l’évolution du monde qui a vu certaines
pratiques s’introduire dans les sociétés esclavagistes, n’a pas manqué de
provoquer des bouleversements tout aussi multiples que profonds dans le
fonctionnement habituel de ces sociétés. Au cœur de ces pratiques l’école
française et le commerce.
L’école principalement a permis aux fils d’esclaves de conquérir de
nouvelles positions sociales, ce qui a entrainé à titre d’exemple un
infléchissement des règles et logiques en matière de circulation de femmes
à Sokolo. Contre l’avis de ses parents au départ, une fille de maître
d’esclave épouse de nos jours un descendant d’esclave. Les choses
finissent toujours par s’arranger.
En effet, la réussite scolaire qu’ont connue les fils d’esclaves, inscrits
prioritairement et de force à l’école française comme pour s’en
débarrasser ou les aliéner, et l’esprit critique qui en a résulté ont placé
ceux-ci dans une posture de mise en cause et de rejet des logiques sociales
qui avaient toujours prévalu.
Du fait de leurs positions dans l’appareil d’Etat, des fonctions qu’ils
exercent et des responsabilités qu’ils assument, comme nous l’a confié
M.T. « les fils d’esclaves ont pris du pouvoir de nos jours. Et cela y est pour
beaucoup dans l’affaiblissement de l’esclavage chez nous. Les mentalités
des fils d’esclaves comme des maîtres ont, de nos jours, profondément
changé. Ces fils d’esclaves instruits à l’école française ne se disposent plus à
exécuter les rôles sociaux ou à observer les interdictions qui s’associent à
leur statut ». Il faut également souligner, ainsi que cela est ressorti de nos
entretiens, la richesse comme un facteur de déstructuration de la société.
Car, en dehors de l’école, nombre de fils d’esclaves ont pu bâtir une
fortune, surtout par le truchement du commerce.
Ces deux facteurs relativement plus récents de déstructuration de
la société que constituent l’école et la richesse s’ajoutent au processus
naturel d’affranchissement d’esclaves descendants de captifs de guerre.
L’ensemble de ces facteurs joue pour davantage éprouver les logiques
sociales esclavagistes d’essence inégalitaire.
Le droit a codifié l’abolition de la pratique de l’esclavage dans
certains pays africains, comme la Mauritanie, sans jamais parvenir à
l’enrayer de fait. Cela pose clairement les limites du droit dans la lutte
279
contre un phénomène d’envergure aussi longtemps et si profondément
ancré dans le subconscient collectif comme l’esclavage au point d’en
oublier l’historicité. L’acquis parait si bien intériorisé qu’il prend des allures
de naturel.
En effet, le droit est un outil de lutte contre l’esclavage qui s’énonce
sous la forme d’un texte. Il y a certes le texte, mais aussi et surtout le
contexte. Ce contexte revêt plusieurs dimensions. Il est surtout d’ordre
d’esprit, mais également de logiques sociales, culturelles, économiques et
mêmes politiques. Toute lutte contre l’esclavage, pour se réserver des
chances d’aboutir, doit intégrer cet environnement social dans lequel
existe ou survit l’esclavage. C’est bien aussi dans cet esprit que
Montesquieu a écrit ‘’L’esprit des lois’’. Il s’agit de faire que l’outil de lutte
contre le phénomène, au regard de sa nature, se conçoive, s’élabore, se
formule et s’énonce à partir de l’intérieur. Et l’intérieur ici c’est moins l’Etat
entant que tel que le corps social, où se nouent et se jouent les rapports
sociaux d’asservissement.
Cela requiert un travail de préparation des esprits auquel la société
civile principalement doit s’employer. Les organisations de la société civile,
en l’occurrence celles vouées à assister les esclaves et à lutter contre
l’esclavage, qui disposent d’expertise avérée en la manière, doivent inscrire
leurs actions dans ce sens. Au sein de ces organisations militent esclaves de
statut et de condition et esclaves de statut mais pas de condition. Ceci est
le signe de l’attachement des esclaves à la liberté.
Une telle stratégie de lutte contre l’esclavage ne s’accepte certes
pas comme lettre à la poste. Les explications existent. Il faut remarquer
que dans la plupart des cas, l’Etat auquel on demande de prendre des
textes pour condamner, voire criminaliser l’esclavage, est lui-même, dans
l’esprit et de fait, un Etat esclavagiste. Il s’agit d’un Etat entant
qu’émanation d’esclavagistes ou tout au moins acquis et inféodés aux
esclavagistes desquels il tient ses ordres. Ce qui ne garantit aucun
aboutissement d’actions de justice, du point de vue des textes légaux, le
système judiciaire subissant à son tour l’entendement et la volonté de
l’Etat esclavagiste. Cette interconnexion rend complexe toute initiative de
lutte de la société civile contre le phénomène de l’esclavage. Le combat
contre l’esclavage est d’autant plus complexe que l’esclavage est érigé en
système social et économique.
Esclavagistes et esclaves ont en effet besoin de s’approprier
l’antinomie de la pratique de l’esclavage avec l’édification d’une société
juste, démocratique, véritablement humaniste et avec les droits naturels
inaliénables de la personne humaine, dont les plus fondamentaux sont la
liberté et la disposition par l’individu de sa personne.
La prise de conscience mutuelle des méfaits et surtout des risques
d’instabilité et d’insécurité chroniques que la pratique de l’esclavage fait
courir à la société, milite en faveur d’un rejet du phénomène par les
consciences individuelles et la conscience collective.
Avec le principe d’affranchissement qui s’applique aux descendants des
captifs de guerre, l’esclavage semble renfermer les germes de sa propre
280
disparition. Les dysfonctionnements induits par l’école française et la
réussite économique des esclaves aujourd’hui ne militent guère en faveur
d’une restauration du phénomène.
Au regard des dynamiques sociales en cours à Sokolo, dont les
effets de déstructuration de système sont déjà observables, on peut faire
l’hypothèse suivante : à un moment donné, ni les maîtres, ni les esclaves
ne percevront plus aucun besoin d’entretenir ou de se faire entretenir. Ce
faisant, les consciences s’épureront, en éjectant un phénomène devenu
aussi inutile que l’esclavage.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
281
Culture et documentation
282
SANKOFA N° 14, juin 2018, pp.283-294 ISSN : 2226-5503
RÉSUMÉ :
Une analyse des décrets de création des universités de Côte d’Ivoire a permis de
mettre en évidence la controverse sur la notion de bibliothèque universitaire. Il
s’avère ainsi que l’institutionnalisation des bibliothèques universitaires reste
confus et sa matérialisation dans l’espace universitaire est laborieuse. Pour pallier
cette confusion, il incombe aux autorités exécutives d’ôter dans les écrits
statutaires cette ambiguïté dont fait montre la notion de bibliothèque
universitaire dans les décrets de création des universités.
Mots-clés : Bibliothèque-Bibliothèque universitaire-Décrets de création.
ABSTRACT:
An analysis of the decrees creation of the universities of Côte d'Ivoire has made it
possible to highlight the controversy over the notion of university library. It thus
appears that the institutionalization of university libraries remains confused and
its materialization in the university space is laborious. To compensate for this
confusion, it is incumbent on the executive authorities to remove from the
statutory writings this ambiguity which the notion of the university library shows
in the decrees establishing universities.
Keywords: Library- University Library- Decrees of creation.
INTRODUCTION
283
signifiés en son article 2 du même décret à savoir : Licence trois(O3) ans,
Master cinq(05) ans et Doctorat huit (08) ans.
L’architecture du Système d’Enseignement Supérieur se trouve
repensée et subdivise l’application du système LMD en trois (03) portions
qui se tiennent les unes les autres et dont le défaut de l’un provoque une
conséquence dramatique sur l’évolution des autres. Ainsi, la structure du
système LMD prend trois (03) volets en compte : enseigner et évaluer
autrement, étudier autrement, gérer autrement.
En ce qui concerne la dimension « étudier autrement » les
dispositions réglementaires du décret de 2009, l’étudiant devient un
apprenant actif. Les TIC, le travail personnel de l’apprenant est valorisé. Il
s’agit de sa participation active et continue à la recherche documentaire et
à l’investigation scientifique en bibliothèque numérique et virtuelle. Il
ressort que l’époque du « super enseignant » est révolue. L’enseignant
n’est plus le seul à détenir la connaissance. Il est perçu désormais comme
un animateur du groupe classe.
Pour assurer la réalité de ce deuxième volet, les bibliothèques
universitaires constituent le socle de cette approche. Malheureusement, ce
n’est pas toujours le cas, vu les constats observés au niveau des
bibliothèques universitaires publiques. En effet, le travail de terrain a
montré que les bibliothèques universitaires ont du mal à remplir
correctement cette fonction d’accompagnement de la recherche
universitaire. Le Décret de 2009, concernant le Système LMD, demande
l’usage des bibliothèques numériques. C’est-à-dire des bibliothèques
faisant usage de dispositifs télématiques attelés à des dispositifs de
télécommunication. En d’autres termes l’usage de l’outil informatique dans
la gestion de ces bibliothèques universitaires. Cependant, le constat
montre que les bibliothèques universitaires sont encore à la gestion
manuelle. L’outil informatique est absent de la gestion de ces
bibliothèques universitaires.
Il est donc rationnel de se poser la question de savoir pourquoi les
bibliothèques universitaires nommément citées dans le décret de 2009,
instaurant le système LMD, manque d’outil informatique pour jouer
pleinement leur partition dans la mise en œuvre du système LMD.
Pour répondre à cette question, nous estimons que les dispositions
règlementaires des universités publiques ne favorisent pas une gestion
rationnelle des bibliothèques universitaires en Côte d’Ivoire par ce que ces
bibliothèques sont en déphasage avec l’environnement universitaire. Ainsi
selon Jacques VERGES :
« Chaque époque a dû résoudre le dilemme renaissant de la
préservation du savoir passé et de l’intégration de l’innovation,
de l’évaluation des compétences et du changement des
critères d’appréciation … Les universités ont du faire face
depuis le Moyen-âge. La loi relative aux libertés et aux
responsabilités des universités (LRU) du 1er août 2007
renouvèle ce dilemme en introduisant également une vision
spécifique de l’université fondée sur la performance. Elle
constitue ainsi une nouvelle inflexion dans l’histoire de
284
l’université française » (CHARLE, Christophe, VERGER,
Jacques ; 2007, P 5).
Ainsi, selon VERGES, l’innovation et la performance doivent être de
mise dans la gestion d’une université. L’objectif est ainsi de faire un
diagnostic de cet environnement réglementaire, matérialisé par les décrets
de créations, afin d’établir les raisons expliquant la gestion manuelle
observée au niveau des bibliothèques universitaires.
Les Résultats sur le référencement des bibliothèques universitaires
publiques, dans une démarche de constructivisme et d’analyse de contenu,
des décrets de création des universités, pourraient aider à comprendre le
délaissement des bibliothèques universitaires, et surtout de créer les
conditions favorables à l’informatisation pour mieux accompagner la
recherche scientifique dans les universités.
« Les bibliothèques sont en effet amenées à s’adapter à un cadre
universitaire en pleine reconfiguration tout en intégrant de nombreuses
modifications organisationnelles » (Isabelle Gras ; 2010, p12.)
1- La date de signature
La date de signature concernant les cinq décrets de création des
universités de Côte d’Ivoire se libelle comme suit : « décret n° 2012-982 DU
10 OCTOBRE 2012 » pour l’Université Félix Houphouët Boigny ; pour
l’Université Nangui ABROGOUA on a : « décret n° 2012-983 DU 10
OCTOBRE 2012 » ; le décret de création de l’université Alassane Ouattara :
« décret n° 2012-984 du 10 octobre 2012 »; le décret de création de
l’université Péléforo Gon Coulibaly : « décret n° 2012-985 du 10 octobre
2012 » ; le décret de création de l’université Jean Lorougnon Guédé :
« décret n° 2012-986 du 10 octobre 2012 ».
Les Universités de Côte d’Ivoire citées ci-dessus (05), à l’exception de
l’Université de Man, qui est plus récente (décembre 2015) ont donc été
créées le même jour, le 10 octobre de l’année 2012. Les destins des
1
Cf les décrets de création des universités de Côte d’Ivoire.
285
universités publiques de Côte d’Ivoire semblent être liés aux lendemains
d’une crise poste électorale qui a endeuillé profondément la Côte d’Ivoire.
En outre, dans le programme présidentiel d’urgence, les universités sont la
cheville ouvrière de la république au lendemain de la crise. Toute
l’attention est portée sur les universités pour témoigner d’une normalité
de la situation sociopolitique de ce pays majeur pour la région ouest-
africaine. Les universités bénéficient ainsi de l’attention particulaire de la
présidence. Tout est mis en place pour une reprise universitaire plausible
avec le slogan « départ nouveau ». C’est ainsi que mus par cette volonté,
les nouveaux dirigeants de la Côte d’ Ivoire lient l’acte à la réalité en
signant le même jour les décrets de création qui vont déclencher un ordre
institutionnel dans le fonctionnement des cinq (05) universités de Côte d’
Ivoire. Cette volonté d’un départ nouveau au sein des universités de Côte
d’ Ivoire ne laisse pas en reste les bibliothèques universitaires. Un titre des
décrets de création sera constitué dans les décrets de création pour le
renouvellement et les attributions des bibliothèques universitaires
publiques. Le titre qui sera consacré aux bibliothèques universitaires, dans
leurs nouvelles attributions fait l’objet du point suivant de notre analyse.
286
- la diffusion de l'information scientifique et technique auprès de la
communauté universitaire et de la société.
Le premier constat, au regard du contenu de cet article 15 ou 16 ou
encore 22, selon les universités, du titre 3 des décrets, les bibliothèques
universitaires sont des entités qui font partie d’un service. Autrement dit,
les bibliothèques universitaires ne sont pas des services encore moins des
directions, ce ne sont que des outils dont le fonctionnement est tributaire
d’un service qui a plusieurs autres entités à gérer. Les bibliothèques
universitaires, de par cette position, dans l’organigramme de
l’administration universitaire, sont reléguées au second plan et ne peuvent
en aucun cas être une priorité pour les autorités universitaires. Sur le
terrain cette réalité est dépeinte et laisse désolant le constat. Les
bibliothèques universitaires fonctionnent de façon rudimentaire, faisant
avec les moyens de bord.
Le deuxième constat qui ressort de l’analyse de ces décrets en leur
titre 3 articles 15 ou16 ou 22, selon les dispositions des différents décrets
de création des universités publiques, les différentes attributions du
Service de la Documentation de l’Information Scientifique et Technique,
sont en réalité, les attributions d’une bibliothèque universitaire. Autrement
dit, le Service de la Documentation de l’Information Scientifique et
Technique, est en réalité la bibliothèque universitaire. En effet, selon Le
Métier de Bibliothécaire (1994) les bibliothèques universitaires se
définissent désormais, dans un contexte marqué par l’inflation
documentaire et par des changements technologiques considérables,
comme un service public qui prend une double forme : celle d’un système
d’information qui permet à chacun de ses utilisateurs d’accéder depuis
n’importe quel poste de travail à l’ensemble des ressources électroniques
produites et sélectionnées par l’établissement et celle d’un espace dédié à
la documentation, qui permet de proposer à tous les membres de
l’université, quels que soient leur statut ou leur discipline, des fonctions de
consultation, de conservation et de formation à la recherche
documentaire. Cette conception de la bibliothèque universitaire, à la fois
réseau d’information et espace de consultation, amène à considérer que
l’on doit définir désormais deux niveaux de service distincts : d’une part,
des services « de masse » destinés notamment aux étudiants de premier et
deuxième cycles, pour lesquels les prestations doivent reposer sur des
horaires élargis, des documents acquis en nombreux exemplaires, un libre
accès aux collections et un système développé de prêts à domicile ; d’autre
part, des services dédiés à la recherche universitaire, pour laquelle les
prestations doivent reposer sur l’exhaustivité des documents plus que sur
le nombre des exemplaires, sur des collections complètes de périodiques,
sur des services d’aide à la recherche documentaire, sur des bases de
données en accès direct et sur des prêts entre bibliothèques. La distinction
entre ces deux approches implique par ailleurs des modalités différentes
d’organisation : la première ne peut en effet être menée que par un service
public de proximité, ce qui n’est pas le cas de la seconde qui peut être
assurée par des prestations à distance. Une bonne gestion suppose dans le
287
premier cas, afin de diminuer les coûts, une intégration maximale des
bibliothèques des composantes universitaires dans les services communs
de documentation, et dans le deuxième cas un développement des
organismes publics qui relient d’ores et déjà les bibliothèques
universitaires.
Qu’en est-il du diagnostique des titres et des articles concernés dans
ces décrets ?
288
- la veille scientifique en s’appuyant sur différentes ressources telles
que les revues scientifiques, les ouvrages, les bases de données
bibliographiques et les sites Internet ;
- la diffusion de l'information scientifique et technique auprès de la
communauté universitaire et de la société.
L’analyse de contenu de ces alinéas, concernant les missions du
Service de la Documentation de l’Information Scientifique et Technique,
donne une certaine assurance quant à la présence de la notion de
bibliothèque universitaire dans ces différents décrets de création. Mais
selon la bibliothéconomie, les missions qui se dégagent à travers ces
alinéas, sont les missions dévolues à une bibliothèque universitaire. Il
ressort également de l’analyse de contenu de ces décrets que l’une des
missions du Service de la Documentation de l’Information Scientifiques et
Technique est la coordination des bibliothèques et des centres de
documentation sur l’espace universitaire. En d’autre terme les autres
missions du Service de la Documentation de l’Information Scientifiques et
Technique ne sont nullement les missions des bibliothèques et centre de
documentation présents sur l’espace universitaire. C’est donc une
disposition qui laisse planer un doute et qui crée la confusion lorsqu’il s’agit
de l’appliqué. Cela est d’autant plus clair que les responsables des
bibliothèques universitaires ne se comportent pas comme s’ils sont sous la
coupole administrative du SDIST. Mais ils se considèrent comme étant les
seuls et uniques responsables du SDIST, qu’ils confondent à la bibliothèque
universitaire. Or dans l’entendement du législateur, il doit exister un
service dont le rôle est de prendre en compte un certain nombre d’élément
concernant la documentation, y compris la coordination des activités des
bibliothèques et centre de documentation de l’université. Une telle
incompréhension s’installe et constitue une réelle entrave à l’action
documentaire, que les responsables des bibliothèques universitaires
procèdent à la gestion des bibliothèques sans véritablement un plan
d’action managériale requis.
En effet, la réalité du terrain démontre clairement que le Service de
la Documentation et de l’Information Scientifique et Technique, n’existe
pas, tel que prévu par la réalité institutionnelle du législateur. Les
observations sur le terrain ont démontré qu’en réalité, le Service de la
Documentation et de l’Information Scientifique et Technique (SDIST) et la
bibliothèque universitaire ne font qu’une seule et unique entité. En
d’autres termes, toutes les missions attribuées au SDIST dans les décrets de
création des universités, sont en réalité, selon les données du terrain,
censées être exercées par les bibliothèques universitaires. Les responsables
des bibliothèques universitaires ignorent parfois qu’ils sont en réalité une
entité d’un service nommé SDIST selon les décrets de création. Or selon les
décrets de création, le Service de la Documentation et de l’Information
Scientifique et Technique, est l’entité institutionnalisée qui abrite les
bibliothèques et les centres de documentations présents sur le site des
universités.
289
La bibliothèque universitaire est donc le Service de la Documentation
de l’Information Scientifique et de Technique. A ce niveau de
compréhension du décret, une contradiction semble s’être infiltrée dans
les écrits des auteurs, car le SDIST est la bibliothèque universitaire et le
SDIST doit gérer les bibliothèques et les centres de documentation sur
l’espace universitaire… Cette contradiction impacte négativement le
fonctionnement et la gestion des bibliothèques universitaires publiques.
290
- la sous-direction du patrimoine et de la maintenance ;
- la sous-direction de l’informatique ;
- la sous-direction de la documentation, de l’information scientifique
et de l’édition ;
- la sous-direction de la scolarité, de l’accueil et de l’information ;
- la sous-direction de l’extrascolaire ;
- la sous-direction des relations extérieures et de l’antenne
d’Abidjan ».
Cet article est très explicite, il fait de la bibliothèque une sous-
direction, sous la dénomination de sous-direction de la documentation, de
l’information scientifique et de l’édition.
L’article 17 dit ceci :
« Le Directeur adjoint coordonne les activités des sous directions suivantes :
- la sous-direction de l’informatique ;
- la sous-direction de la documentation, de l’information scientifique
et de l’édition ».
Pour terminer, l’article 23 dit ceci :
« La sous-direction de la documentation, de l’information scientifique et de
l’édition offre aux enseignants, aux chercheurs et aux étudiants, l’accès à la
documentation nécessaire à leur activités pédagogiques et scientifiques, de
favoriser le bon déroulement des actions menées par les structures de
formation et de recherche. Elle assure notamment :
- la gestion des bibliothèques et des centres de documentation ;
- l’accès aux réseaux nationaux et internationaux de l’information ;
- la gestion des équipements audio-visuels ;
- la reprographie ;
- l’édition ».
Au regard de ces trois articles, la notion de bibliothèque est une réalité dans
le dispositif de formation de l’INP-HB. C’est une sous-direction, donc bien
positionné dans l’organigramme de l’INP-HB. Une sous-direction qui est
sous la responsabilité administrative du directeur adjoint de l’Institut. Les
articles sont très explicites et ne prêtent pas à interprétation. Ce décret de
création en ces articles 16, 17 et 23, traduisent exactement la notion de
bibliothèque universitaire avec des missions clairement définies qui sont en
conformité avec les réalités de la Science Bibliothéconomique»1.
Nous proposons comme solution le contenu de ce décret par ce qu’il
institutionnalise clairement la notion de bibliothèques universitaire. A cet
effet, il est légal que les ressources des bibliothèques soit légalement
constituées et vues comme une priorité pour les institutions universitaires.
L’institutionnalisation statutaire des bibliothèques universitaires est ainsi la
clef d’une gestion managériale rationalisée, comme le dit clairement
« La gestion des ressources humaines est désormais
recentrée autour du président de l’université. Dans ce nouveau
contexte, le rôle du directeur de la bibliothèque, est amené à
devenir d’autant plus stratégique notamment lors des
négociations budgétaires. Il lui appartiendra également de
1
Voir le décret de l’INP-HB.
291
veiller à ce que l’intégration des bibliothèques résulte d’une
association plus étroite entre la politique documentaire et le
projet de l’établissement. Par ailleurs, la mise en place d’un
nouvel organigramme au sein du ministère de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche traduit la redéfinition des
rapports unissant les bibliothèques à l’administration centrale
C’est donc dans cet environnement rénové que les
bibliothèques universitaires devront affirmer leur place et leur
rôle au sein de l’université. » ((Isabelle Gras ; 2010,
p12.).
CONCLUSION
292
BIBLIOGRAPHIE
293
Korhogo dénommée Université Péléforo Gon Coulibaly
(UPGC).
Décret n° 2012-986 du 10 octobre 2012 déterminant les attributions,
l’organisation et le fonctionnement de l’université de
Bouaké dénommée université Alassane Ouattara (UAO).
Décret n°2009-164 du 30 AVRIL 2009 Portant adoption, application et
organisation du système Licence, Master, Doctorat (LMD).
FAYET-SCRIBE S., 1999 : « Chronologie des supports, des dispositifs
spatiaux, des outils de repérage de l'information »,
disponible sur http://biblio-
fr.info.unicaen.fr/bnum/jelec/Solaris/d04/4fayet_0intro.h
tml, consulté le 29 juillet 2015 à 15h.
GHEERAERT M.-A.; BILLOUD B., 2012 : « Le travail de recherche
documentaire : Un guide pour la documentation
scientifique », Disponible surhttp://webdoc.snv.jussieu.fr,
consulté le 15 juin 2015 à 16h.
GRAS Isabelle, 2010, La loi LRU et les bibliothèques universitaires, Lion
ENSIB, 112p.
LE COADIC Y., 2004 : Usages et usagers de l'information. Nouvelle
impression Paris, ADBS, Armand Colin, 127 p.
POISSENOT C., 2009 : La nouvelle bibliothèque : Contribution pour la
bibliothèquededemain, Paris, Territorial éditions, 140p.
294