Lena Clarke - Piegées en Mer
Lena Clarke - Piegées en Mer
Lena Clarke - Piegées en Mer
Lena Clarke
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CHAPITRE 1
J’en venais même à penser que la situation n’aurait pas pu être plus
terrible, jusqu’à ce que mon regard se pose sur une jeune femme
brune accoudée nonchalamment au bastingage du navire. Pendant
une seconde, je crus à une hallucination, sauf qu’un mirage n’aurait
pas été en mesure de me faire un tel effet. J’eus l’impression d’être
projetée dix ans en arrière, à l’époque de mes seize ans. Tous les
souvenirs que j’avais tenté de refouler me revinrent en pleine figure,
plus intenses et douloureux que jamais. Ma gorge se resserra sous le
poids des émotions qui comprimaient mon cœur, mais il était hors de
question que je verse une seule larme. Je n’avais même aucune raison
de le faire.
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visage qui baignait dans la lumière du clair de lune, ou avec le charisme
qu’elle dégageait. Elle appartenait au passé, et j’étais tournée vers
l’avenir. Un avenir que je visualisais très bien dans l’une des cabines
après avoir fait une razzia du côté des plateaux-repas. Seule oui, mais
affamée, certainement pas.
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Pourquoi fallait-il qu’elle soit encore plus belle qu’avant ? Après
avoir fait l’armée, elle aurait dû, je ne sais pas, revenir couverte de
cicatrices. Or, là, les seules que j’apercevais se trouvaient à proximité
de son arcade sourcilière gauche et ne faisaient que lui conférer
encore plus de magnétisme. Injuste, la vie était injuste.
Je cherchais des yeux mon agent. Il était censé être mon cavalier, et
accessoirement mon bouclier en cas de marée humaine, sauf que
pour l’instant il répondait aux abonnés absents. Si j’avais su qu’il
me serait d’une telle utilité, j’y aurais réfléchi à deux fois avant de
l’amener. J’étais pratiquement certaine qu’il avait dû profiter de cette
soirée pour se faire de nouveaux contacts, et que demain, une pile
absolument ahurissante de scénarii m’attendrait sur mon bureau. À
croire que lui et moi n’avions pas du tout la même définition de ce
que voulait dire prendre une pause.
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— Mais c’est qu’elle mordrait ! s’exclama Emily. Quelqu’un t’a fait des
misères ? Ou c’est juste l’air marin qui te rend encore plus aimable
que d’habitude ?
Bien consciente que je devais avoir l’air très amère, surtout pour
quelque chose qui avait eu lieu il y a si longtemps, je préférai couper
court à cette conversation. De toute façon, il n’y avait rien de plus
à dire. Après cette soirée, il n’y avait aucune chance que je recroise
Alexis de nouveau. Ce n’était pas parce qu’on habitait la même ville
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qu’on risquait de se rencontrer à un coin de rue. Et quand bien même,
j’étais bien décidée à l’ignorer. Elle avait sa vie, j’avais la mienne et
elles étaient diamétralement opposées.
***
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À vrai dire, mon compte en banque pouvait même suffire à faire vivre
mes éventuels enfants et petits-enfants sans qu’ils n’aient jamais
besoin de lever le petit doigt.
— Je l’ai lu.
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Comme tout à l’heure, les voix des autres invités n’étaient plus
qu’un souvenir. Ethan m’avait conduite à l’arrière pour qu’on puisse
discuter à l’abri des oreilles indiscrètes.
— Tu dis ça à cause du fan qui s’est introduit chez toi le mois dernier ?
La sécurité a été renforcée, tu ne risques plus rien Katelyn.
— Mais enfin c’est ridicule, tu ne vas pas laisser passer cette occasion
pour un peu de tôle froissée.
— Peu importe ce que tu en penses, j’ai déjà fait mon choix. Libre
à toi de l’accepter ou non, mais tu ne me feras pas changer d’avis !
m’exclamai-je, perdant patience.
Tout en posant une main sur le bas de ma robe pour éviter que celle-
ci ne se soulève à cause du vent, je tournai les talons, prête à rejoindre
Emily que je n’aurais jamais dû quitter. Le feu d’artifice était pour
bientôt, et après ça j’espérais bien que nous allions enfin faire demi-
tour. Quoique connaissant ma meilleure amie, rien n’était moins sûr.
Je trouvais vraiment étrange qu’on s’éloigne autant pour une simple
virée nocturne. Sans compter qu’elle avait toujours eu un penchant
pour les surprises de mauvais goût. Si j’allais me reposer quelques
heures, j’étais pratiquement certaine de me réveiller partout sauf à
Miami.
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— Reste ici, on n’a pas fini de discuter !
— J’ai dit tout ce que j’avais à dire, maintenant lâche-moi. Il est clair
que tu as trop bu, rétorquai-je.
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— Redescends sur terre Kate. Sans moi tu ne serais rien. Tu serais
encore en train de végéter dans ta ville de naze, à servir des
hamburgers et à te faire culbuter par cette moins que rien.
— Pour cette pauvre fille ? Bien sûr. Tout comme je savais que c’était à
cause d’elle que tu hésitais à intégrer le casting de Cold Heart. C’était
tellement pathétique, être prête à refuser un rôle simplement parce
que le plateau du tournage se trouvait à l’autre bout du pays. Si je ne
m’en étais pas mêlé, tu aurais pu faire une croix sur toute ta carrière.
Rien que pour ça, tu devrais me remercier. Le contrat pour A witch’s
soul est d’ailleurs posé sur ton bureau, et je te garantis que tu vas le
signer.
Le bon sens aurait voulu que j’acquiesce, juste pour pouvoir détaler
au plus vite. Malheureusement, je fis tout le contraire, me moquant
totalement des conséquences. Mes oreilles bourdonnaient, ses
paroles repassaient en boucle dans mon esprit, faisant se refermer
mes poings sur eux-mêmes.
Je grimaçai en sentant ses doigts raffermir leur prise sur moi. C’était
douloureux, tout autant que la barre du parapet qui me rentrait dans
le bas du dos. Pourquoi est-ce que j’avais mis ces fichus talons ? Sans
eux, j’aurais été bien trop petite pour craindre de passer par-dessus
bord. Tandis que là, il suffisait d’un mouvement un peu trop violent
pour précipiter ma chute.
Bien sûr, j’ai fait non de la tête. Je n’étais pas stupide au point de
lui exprimer le fond de ma pensée. En plus, j’avais toujours été une
excellente menteuse. C’était le moment ou jamais de mettre ce talent
à profit.
— Oui...
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— Quelle gentille fille, dommage que je ne puisse pas croire un seul
mot provenant de cette jolie bouche.
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À cause du mouvement du bateau, et des ondes produites par
celui-ci, je me retrouvais entraînée plus loin, toujours plus loin.
L’eau commençait à s’infiltrer dans mes poumons et j’y voyais flou.
Contrairement à la croyance populaire, aucune scène de mon passé
ne me revint en mémoire. Ma vie ne défila pas devant mes yeux, je
n’aperçus aucun long tunnel blanc. Rien de tout cela. Juste le néant.
Le trou noir. Les ténèbres m’engloutissaient, me faisant me sentir
plus seule que jamais.
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CHAPITRE 2
— Mais qu’est-ce que c’est que ce gros machin rose dans tes bras ?
m’interrogea ma meilleure amie.
— Je vois. Très jolie prise grande sœur, depuis le temps que tu lui
tournais autour...
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maintenant, il n’y avait eu aucune exception. C’était juste Emily, sa
sœur et moi. Enfin sauf cette fois. Cette fois il y avait un nuisible qui
portait le doux nom de Kyle. Il était en train d’éclater des ballons de
baudruche avec des fléchettes, et vraiment je ne comprenais pas ce que
ma meilleure amie pouvait lui trouver.
— Très bon plan la grande roue ! Hey, Kate, appelle-moi dès que tu
seras chez toi. Peu importe l’heure, j’ai trop hâte d’entendre ton récit
de cette soirée !
— Tu es sûre que c’est une bonne idée la grande roue ? Je veux dire,
tu sais, j’ai le vertige. Imagine qu’on reste coincées en haut... Ou qu’il
y ait un problème et que le mécanisme ne veuille plus s’arrêter. On
continuerait à faire des tours pour l’éternité dans cette minuscule
cabine… fis-je remarquer.
Après avoir pris place à côté de moi, elle retira sa casquette et passa
sa main dans ses cheveux bruns qu’elle venait tout juste de couper.
La roue commença à se remettre en marche, et loin de regarder à
l’extérieur, je me focalisais au contraire sur Alexis. Sous son short en
jean, et son débardeur à l’effigie des Red Sox, elle portait encore son
maillot de bain. Celui-là même que j’avais eu l’occasion d’apercevoir
plus tôt dans la journée et qui lui allait particulièrement bien. Je ne
pouvais pas m’empêcher de repenser à ses courbes, et quelque part je
savais que ça n’avait rien de normal.
Bien sûr que j’avais fait exprès de ne pas répondre à cette question.
Je ne voulais pas qu’elle me trouve étrange. Parce que c’était étrange
de lui avouer qu’à mes yeux elle était la personne la plus importante,
non ? Surtout que je n’arrivais même pas à comprendre pourquoi.
Emily était ma meilleure amie, ça aurait dû être elle, ou même mon
père, sauf qu’il n’en était rien. À chaque fois que je pensais à Alexis, et
qu’elle était loin, mon cœur se serrait au point de me faire mal. Quand
elle était entrée à la fac l’an dernier, cela m’avait vraiment affectée.
Nous étions voisines, je la voyais tous les jours et ne plus en avoir la
possibilité m’avait attristée comme jamais.
***
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mes paupières. Je sentis quelque chose appuyer sur ma poitrine,
puis, et même si cela était impossible, de l’air commença à filtrer
à travers mes lèvres entrouvertes. J’essayai de respirer. La grande
inspiration que je pris me valut de me mettre brusquement à tousser.
Sans contrôle de ma part, de l’eau jaillit de ma bouche pour s’échouer
sur le sol juste à côté de moi. Ma gorge me brûlait, tout comme mes
poumons, et je ne parlais même pas de mon corps qui semblait s’être
transformé en hématome géant.
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première question, où est-ce qu’on pouvait bien se trouver pour être
réunies de cette façon ?
Parler était difficile. Je toussai une nouvelle fois, puis avec le peu de
force qu’il me restait, j’entrepris de me redresser pour m’asseoir. Je
maudis mon subconscient. Pourquoi avait-il besoin de m’envoyer
une projection d’Alexis pour me tenir compagnie. Quitte à choisir, je
préférais encore être seule. À chaque fois que je la voyais, même si
c’était seulement en photo, ça ravivait de vieilles blessures. Et cette
fois était loin de déroger à la règle.
Avec un air neutre, elle essuya ses mains sur son pantalon aussi
mouillé que le reste de ses vêtements. J’en profitai pour jeter un
coup d’œil aux alentours, et ce que je vis me fis paniquer. Je me
décomposai en moins d’une seconde. La mer se trouvait droit devant,
immense. Sans fin. Derrière, une forêt peu accueillante s’étendait à
perte de vue. Nous nous étions visiblement échouées sur une plage
de sable fin. Quoique non, c’était impossible. Bien sûr, il y avait la
mince possibilité que les courants m’aient entraînée jusqu’ici, mais
que faisait-elle là, elle ?
— J’ai plongé pour tenter de sauver une certaine idiote qui s’était
mise en danger, rétorqua la jeune femme.
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— Tu as du culot de me traiter d’idiote. Moi au moins je n’ai pas sauté
volontairement. On m’a poussée ! Toi, tu t’es jetée à l’eau en dépit de
toute règle de survie élémentaire.
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En toute décontraction, elle se délesta de sa veste pour la poser sur
la branche d’un arbre juste derrière. Puis, sans aucune gêne, elle
commença à déboutonner sa chemise. Elle n’avait certes jamais été
pudique, et l’état de son vêtement ne cachait plus grand-chose, mais
quand même, ce n’était pas une raison !
— Il fait au moins trente degrés ! Ça séchera tout aussi vite sur toi.
Je n’avais qu’une envie, c’était lui faire ravaler son petit nom.
Cependant, je restais réaliste. Si, comme je le soupçonnais, on se
trouvait bien sur une île déserte, je ne donnais pas cher de ma peau
si je me mettais à dos le seul autre être humain présent. Du coup, je
fulminais, mais en silence. De son côté par contre, cela semblait être
tout le contraire. Elle était plus calme que jamais.
Elle fit glisser son pantalon le long de ses hanches pour se retrouver
en shorty noir tout simple. Mon regard se porta sur la cicatrice qui
serpentait depuis le milieu de sa cuisse jusqu’à son tibia, mais très
rapidement ce fut autre chose qui capta mon attention. Fixé à son
mollet trônait un magnifique étui à couteau. Si Alexis semblait elle
aussi avoir perdu ses chaussures durant notre plongée sous-marine,
le poignard, lui, n’avait pas bougé d’un centimètre.
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— T’es une grande malade. On ne va pas à la soirée de fiançailles de
sa sœur armée jusqu’aux dents !
— Quoi, ils n’en font pas en modèle de luxe ? Lance la mode, d’ici une
semaine tout le monde en portera, se moqua-t-elle.
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Avec un léger sourire en coin, elle se débarrassa de sa chemise, pour
se retrouver en brassière de sport noir. Je l’apercevais de profil. Tant
bien que mal, j’essayais de masquer mon trouble en lui réservant une
petite réplique dans la continuité des précédentes.
— On fait l’essai ?
— À cette heure-ci, les secours doivent déjà être en route. Ton... fiancé
aura sûrement remué ciel et terre pour venir te repêcher.
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— Est-ce que tu étais venue accompagnée, toi ? demandai-je soudain
en réalisant qu’il ne valait mieux pas compter sur mes connaissances
pour avoir donné l’alerte.
Des deux, elle était sans aucun doute la plus énervée, même si je la
talonnais de près. C’était l’une des premières fois où je la voyais perdre
son sang-froid, et je ne comprenais même pas comment les choses
avaient pu tourner ainsi. Il était clair qu’elle s’était complètement
méprise quant à la proximité entre Ethan et moi. Par contre, cela
n’expliquait pas pourquoi imaginer une relation entre nous la mettait
dans un tel état de fureur.
Qu’est-ce qui pouvait bien vivre par ici ? Des ours ? Des pumas ?
Je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait faire en cas de rencontre
impromptue avec un animal sauvage. Est-ce qu’il valait mieux faire
la morte, prendre mes jambes à mon cou ou lui tenir tête en faisant
mine d’être courageuse ? Je jetai un coup d’œil en arrière, puis tout
autour de moi. Dans la mesure où il n’y avait aucun chemin de tracé
au sol, j’avais avancé sans faire attention où je marchais. Je devais
maintenant me rendre à l’évidence : j’étais perdue. Complètement
paumée au milieu d’une jungle luxuriante, entourée de plantes qui
auraient très bien pu être carnivores. Sur le moment je regrettais
presque de ne pas m’être noyée.
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CHAPITRE 3
C’était officiel, j’étais une idiote. La plus grosse de tout l’univers même.
Qu’est-ce qui m’avait pris de m’enfoncer dans cette forêt hostile alors
que j’aurais pu rester bien tranquillement sur la plage. J’avais sans
doute été trop pessimiste de croire que les secours n’arriveraient pas
de sitôt. Peut-être même qu’ils étaient déjà là alors que moi j’essayais
tant bien que mal de me repérer. Je regrettais de ne pas avoir semé
de cailloux sur mon passage façon petit poucet. Les arbres étaient
tellement hauts qu’ils cachaient en partie le soleil. Cependant, loin
de rendre l’atmosphère plus tempérée, cette configuration faisait
paraître l’endroit encore plus étouffant.
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Je soufflai et posai machinalement ma main sur un tronc d’arbre pour
prendre une petite pause. Mes vagues espoirs de tomber sur un autre
être humain se réduisaient de seconde en seconde. Qui aurait eu
envie de vivre dans une telle fournaise ? À moins d’être un lézard, les
températures étaient beaucoup trop extrêmes. Peut-être qu’en hiver,
le climat était plus favorable, mais en plein mois de juillet c’était juste
insoutenable.
Au moment de passer mon autre main sur mon front pour en retirer
la sueur, quelque chose se mit à siffler à mon oreille. Un léger courant
d’air fit virevolter quelques mèches de mes cheveux, juste avant
que mon cœur ne s’emballe brusquement. Un couteau venait de se
planter à quelques centimètres à peine du haut de mes doigts. Pas
directement dans le tronc d’arbre cependant. Il avait d’abord traversé
la tête d’un serpent presque aussi grand que mon bras.
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— Bon, ce n’est pas si grave. Je n’aurais pas dû crier, désolée, déclara
Alexis d’un ton plus posé.
En relevant les yeux vers elle, je constatai que, loin de l’air froid
qu’elle affichait précédemment, elle paraissait tout à coup un peu
gênée. Elle se mit à genoux pour être à ma hauteur avant de se saisir
de ma main pour l’examiner, puis avec un petit sourire rassurant elle
la plaça au niveau de mon visage.
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— Ne t’inquiète pas, à partir de maintenant je resterai accrochée à toi
comme à une bouée de sauvetage.
— Tu sembles oublier quelle grande star tu es. Cette info doit bien
se trouver sur internet. Au pire, j’emprunterai le carnet d’adresses
d’Emily.
À ses côtés, j’avais du mal à croire que dix années s’étaient réellement
écoulées. En un claquement de doigts, tout ce temps devint poussière
et je fus ramenée directement en arrière. Je voulais lui être indifférente
et que mes sentiments s’estompent. Cependant, malgré tous mes
efforts, je n’avais jamais réussi à l’oublier. Quelques fois j’en venais
même à me dire que j’aurais préféré ne jamais l’avoir rencontrée.
Comment aurais-je pu tomber amoureuse de quelqu’un d’autre
alors qu’elle n’avait jamais quitté mon cœur ? J’étais pathétique,
juste bonne à simuler telle ou telle émotion dans mes films, mais
totalement incapable de les éprouver pour de vrai.
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lui échapper, sauf que mes protestations eurent pour résultat de me
faire atterrir dos à elle. Elle me tenait avec possessivité, un bras passé
en travers du haut de mon corps, pendant que l’autre lui servait à
poursuivre son œuvre diabolique.
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— Pourtant tu es celle à m’avoir invitée chez toi il y a quelques
minutes. À se demander laquelle de nous est la plus indécente.
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— Qu’est-ce qu’on fera si les secours tardent à arriver ? questionnai-
je soudain.
— Arrête de plaisanter. En plus c’est de toi que je tiens tout ça. Quand
tu me forçais à t’accompagner dans ces bois sordides en guise de
week-end ro... Enfin peu importe, le fait est qu’on n’a rien de tout ça
et que cette île n’a rien d’accueillant.
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feu, et si malgré ça tu as froid, j’accepterai de me sacrifier pour te
réchauffer.
Rien que d’y repenser, j’en avais limite des boutons. Emily m’avait
entraînée là-dedans sans mon consentement. Avec le recul, je me
demandais encore comment j’avais pu supporter de me donner
en spectacle durant trois longues années. L’avantage c’était que ça
m’avait endurcie. Quand on était capable de faire des pirouettes
devant un stade plein à craquer, être entourée d’une équipe technique
pendant les tournages se révélait être une partie de plaisir.
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— Je me demande si tu rentres encore dedans, déclara brusquement
Alexis.
— Quel tact ! Dis que je suis grosse pendant que tu y es, ironisai-je.
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***
Je passai une main sur mon front pour en éponger la sueur, tout en
jetant un œil critique à mes épaules qui avaient viré au rouge vif. Une
semaine ici et j’étais certaine qu’on me confondrait avec une écrevisse.
De la crème solaire n’aurait pas été de refus, une boisson glacée non
plus, et tant qu’on y était, je n’aurais pas dit non à un maillot de bain.
Je n’en pouvais plus de cette robe, et j’avais presque envie de me
couper les cheveux pour ne plus les sentir collés à ma peau. Un petit
coup de couteau et ce serait réglé. Qui se souciait de son style dans un
moment pareil ? Sans compter qu’il serait toujours possible d’user
d’extensions à mon retour. C’était décidé, dès qu’Alexis reviendrait, je
lui emprunterai son arme pour jouer les coiffeuses.
Mon cœur s’emballa à l’entente de cette voix. Puis, sans que j’aie mon
mot à dire, Alexis se saisit du « projectile » pour le placer hors de ma
portée. Je comptais lui exprimer mon point de vue sur la question,
mais en levant les yeux dans sa direction, toute volonté de me
disputer avec elle fut tuée dans l’œuf.
Le teint pâle, les traits tirés, elle paraissait vraiment fatiguée. En même
temps, à bien y réfléchir, ça n’avait rien de très étonnant. C’était à elle
qu’on devait d’avoir atterri sur cette île, et après la marche qu’elle
venait de faire sous cette chaleur écrasante, je m’étonnais même
qu’elle soit encore capable de tenir debout.
— Tu devrais te reposer un peu, tu n’as pas l’air très bien, dis-je, plus
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doucement que je ne l’avais imaginé.
— On y va. Ce n’est pas très loin d’ici, cinq à dix minutes, déclara
Alexis en revenant vers moi.
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— Quoi ? Non, mais je plaisantais. Je peux marcher toute seule.
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— De votre discussion sur mon avenir ? Oui. C’est d’ailleurs de ça
qu’on parlait avant qu’il ne me fasse tomber de ce maudit bateau.
— Il n’a pas trop apprécié que je veuille faire une pause dans ma
carrière et... Non, mais ce n’est pas du tout le sujet ! On était en train
de parler de toi et de ta tendance très nette à vouloir tout contrôler
sans jamais me demander mon avis ! m’écriai-je après avoir recentré
la conversation sur le sujet qui m’intéressait.
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Et voilà, c’était reparti pour un tour. À croire qu’on ne pouvait pas se
parler sans que cela ne se termine en altercation. Alexis croisa les
bras sous sa poitrine, et vu l’air qu’elle arbora, je sentis qu’il ne fallait
pas compter sur elle pour désamorcer la situation.
— Bordel Kate ! Je t’aimais comme une folle, j’aurais tout fait pour
toi. Et c’est exactement pour ça que je ne pouvais pas me permettre
d’être égoïste. Jamais tu ne serais devenue célèbre en restant avec
moi, tout comme jamais tu n’aurais pu réaliser ton rêve. Alors non, ça
ne m’arrangeait pas, non, ça ne me faisait pas plaisir, loin de là même.
C’était horrible comme tu me manquais, et si j’avais répondu à tes
lettres jamais je n’aurais réussi à me tenir à cette ligne de conduite.
J’aurais forcément voulu te récupérer, même en sachant que j’allais
te gâcher la vie.
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L’émotion prenant le pas sur tout le reste, je passai rapidement les
paumes de mes mains sur mes yeux pour les essuyer. J’avais voulu
savoir. Depuis dix ans je me triturais le cerveau pour comprendre ce
qui avait pu se passer. Maintenant j’avais ma réponse et je n’arrivais
pas à l’accepter. C’était trop stupide. Si j’avais eu le courage d’aller la
confronter dès le départ tout aurait été différent. En bien, en mal, je
n’en savais rien, mais au moins ça aurait été mon choix. Il n’y aurait
rien eu à regretter, tandis que là, cette situation ne me laissait qu’un
goût amer dans la bouche.
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en une seconde et, rien que là, je devais user de tout mon self-control
pour maîtriser les intonations de ma voix.
— C’est évident que j’aime mon métier, que je suis heureuse d’avoir
percé, mais si tu crois que c’est tout ce que je voulais, alors c’est que
vraiment tu me connaissais très mal. Quand je faisais du théâtre, la
personne que je cherchais toujours dans le public c’était toi. Quand
je me rendais à une audition, la première que j’appelais en revenant
c’était toi. Quand j’ai eu mon premier rôle, quand j’ai décroché mon
premier contrat publicitaire, quand j’ai commencé à recevoir des
lettres de fans, tout ça, c’est avec toi que je voulais le partager. Tu
étais la personne la plus importante de ma vie. Et toi, tu m’as juste
abandonnée sans me fournir la moindre explication. Qu’est-ce que tu
croyais ? Qu’en une semaine j’allais t’oublier et me mettre à irradier
de bonheur juste parce que j’avais été retenue dans cette série
débile ? Tu prétends t’être sacrifiée, mais pour moi tu es juste une
grosse égoïste.
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pas le moindre mouvement. Coincée sur cette île, je n’avais aucun
endroit où me réfugier. J’étais juste condamnée à la côtoyer jusqu’à
ce que quelqu’un vienne nous chercher. À bien y réfléchir, lancer les
hostilités si tôt n’avait rien de malin. Après tout ce que nous venions
de nous dire, l’ambiance allait forcément être tendue. Et encore, le
mot était faible.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— On a mieux à faire. De toute façon, une fois qu’on aura quitté cette
île, nos chemins se sépareront. Alors quelle importance ?
Pour ponctuer mes paroles, je passai à côté d’elle en espérant très fort
qu’elle allait me suivre. Je n’avais aucune idée du chemin à emprunter,
mais en m’aventurant tout droit, je ne pensais pas prendre trop de
risques. De toute façon en étant sur une île, tout ce que je risquais
c’était de finir par tomber sur la mer. Même sans en avoir fait le tour, il
me paraissait évident qu’on ne se trouvait pas sur le continent. Alexis
n’était pas superwoman, elle n’avait pas pu parcourir des centaines
de kilomètres à la nage.
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CHAPITRE 4
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J’hésitai un quart de seconde, mais au final, si elle s’était permis de
s’allonger sur moi, je ne voyais aucune raison de renoncer à ce geste
innocent. Du bout de l’index, j’effleurai la cicatrice présente sur son
sourcil gauche, tout en me demandant comment c’était arrivé. Quand
elle dormait comme ça, elle avait vraiment l’air délicate, très loin de
l’image de la grosse dure qu’elle affichait au grand jour. Sa peau était
légèrement hâlée, douce. Réalisant brusquement que j’avais glissé
sur sa joue, les battements de mon cœur se firent plus irréguliers.
Le plus logique était de retirer ma main. Alexis n’était plus rien pour
moi. Je n’avais pas à la caresser. Pourtant, les petits picotements
que je ressentais au bout des doigts ne trompaient pas. J’aimais son
contact. Je l’aimais tellement que malgré l’engourdissement de mes
jambes, je n’osais bouger d’un millimètre. Quand elle se réveillerait,
tout serait à nouveau comme d’habitude. Nous n’étions même plus
amies, et après la discussion qu’on avait eue, je doutais qu’on puisse
le devenir. De toute façon, je n’en avais même pas envie. Être amies
impliquait de se parler de nos aventures sentimentales. D’avance,
je savais que loin de me réjouir pour elle, j’allais juste avoir envie
d’étrangler toutes ses conquêtes.
Elle ouvrit les yeux. Ces derniers me semblèrent encore plus noirs que
d’habitude. J’agis alors par réflexe et utilisai ma deuxième main pour
les couvrir. J’étais gênée, aussi bien à cause de mon comportement
qu’à cause de mes joues qui s’étaient échauffées.
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— Rendors-toi. Tu as encore l’air très fatiguée, ajoutai-je, mal à l’aise.
Sa voix s’était faite plus basse. Et, comme si ce geste était parfaitement
calculé pour que je ne puisse plus jamais retrouver des couleurs
normales, je sentis subitement ses lèvres se poser sur ma joue. J’avais
envie de me mettre des baffes à réagir aussi intensément face à un
geste aussi innocent. Cependant je ne le fis pas, trop occupée à la
regarder se relever et se débarrasser de sa chemise.
Elle la laissa tomber dans l’herbe sans s’en soucier. Puis, comme si
elle cherchait à mettre mes nerfs au défi, elle commença à s’étirer.
J’avais un très bon aperçu de chaque muscle de son dos et de ses
cuisses. En la détaillant, j’eus l’impression d’être la plus perverse de
nous deux. Après tout ce que je lui avais balancé plus tôt, elle n’aurait
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pas dû être capable d’agir aussi naturellement. Pourtant, force était
de constater qu’elle n’avait pas l’air gênée le moins du monde.
— Tu viens, on va nager.
— L’eau salée, ce n’est pas très bon pour la peau. J’ai même entendu
dire que ça avait tendance à attirer les moustiques. Tu es sûre de
ne pas vouloir faire un petit tour rapide dans le lac pour éviter tout
risque ?
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— De toute façon, au cas où tu l’aurais oublié, je ne sais pas nager.
J’ai conscience que tu adores jouer les superwomen, mais il faudra te
trouver une autre victime à sauver, fis-je remarquer.
— Ici ? Sur cette île déserte ? Alors qu’il pourrait très bien y avoir
un monstre caché dans ce lac ? rajoutai-je en jetant un coup d’œil à
l’étendue bleu turquoise.
Avant que j’aie le temps de protester, elle se jeta à l’eau dans un grand
éclat de rire. Personnellement, je ne trouvais pas cela drôle du tout.
Cependant, l’intérêt qu’elle pouvait trouver dans cette histoire me
sauta aux yeux. Je baissai la tête vers ma tenue. Après tout, quelle
importance qu’elle me voit en sous-vêtements ! Ce ne serait pas une
première, et je devais avouer qu’un peu d’eau fraîche ne pouvait pas
me faire de mal.
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Profitant du fait qu’elle était en train de s’exercer à la plongée sous-
marine, je fis passer lentement le tissu par-dessus mes épaules. Cela
n’avait rien d’une partie de plaisir, il était encore un peu humide. Il
épousait tellement mes formes qu’au fond, ça ou rien, c’était presque
du pareil au même. Mes cheveux retombèrent devant mes yeux
quand je m’en débarrassai enfin. Je réajustai automatiquement les
bretelles de mon soutien-gorge qui avaient glissé, avant de vérifier
que le tissu n’était pas devenu transparent. Compte tenu du fait que
l’ensemble était violet, cela aurait été étonnant. Mais après tout, on
ne savait jamais. Avec ma malchance, il était possible que cela arrive.
J’en étais à passer mes cheveux sur une seule épaule quand j’eus une
drôle de sensation. Cette dernière s’intensifia quand, en relevant
la tête, je me rendis compte qu’Alexis en avait eu assez de jouer les
poissons et était remontée à la surface. Sans aucune gêne, son regard
parcourait lentement mon corps. Elle ne rigolait plus du tout, elle avait
même l’air extrêmement sérieuse. Forcément, dans ces conditions, il
était difficile de la jouer décontractée. J’eus l’impression de faire un
bond dans le passé et d’être aussi complexée qu’à mes seize ans. Cela
me conduisit à essayer de me cacher tant bien que mal avec mes bras.
63
Si j’avais eu un oreiller à proximité, je le lui aurais balancé sur le visage.
Malheureusement, là, à part des pierres, je n’avais rien à disposition.
Lui envoyer un caillou au visage parce qu’elle était en train de me
regarder semblait un peu trop radical. Surtout que ce n’était pas moi
qui risquai d’aller la repêcher si elle se mettait à couler.
— Tu as besoin d’aide ?
— Bien sûr que non. Je servirai Votre Altesse avec dévotion et ceci
avec le plus grand sérieux, rétorqua-t-elle.
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Assise sur le bord, je l’éclaboussai en donnant un petit coup de pied
dans l’eau. Je m’attendais à ce qu’elle se venge, mais à la place elle
plongea sous l’eau. Une seconde, deux secondes s’écoulèrent avant
qu’elle ne réapparaisse brusquement juste devant moi. Ses mains se
saisirent automatiquement de ma taille et, avant que j’aie vraiment
le temps de comprendre ce qui se passait, je me retrouvai dans le
lac. Dans la manœuvre, comme un réflexe de survie, mes jambes
s’enroulèrent autour de sa taille. Je m’accrochai alors à elle comme à
une bouée de sauvetage. Mes bras entouraient son cou, alors que les
siens s’étaient glissés dans le bas de mon dos.
Sans que je puisse protester, elle arrêta soudain de battre des pieds.
Cela nous mena à nous enfoncer brusquement dans l’eau. Je retins
mon souffle, fermant les yeux pendant que mon cœur faisait des
embardées dangereuses dans ma poitrine. J’étais folle d’avoir accepté
de m’approcher de ce lac. Folle et totalement inconsciente. J’avais
déjà risqué ma vie une fois ces dernières vingt-quatre heures. Deux
si on comptabilisait l’épisode du serpent. C’était bien la preuve que
je n’apprenais jamais de mes erreurs car malgré ça, je me retrouvais
là, dans l’eau, avec le corps d’Alexis comme seul rempart se dressant
entre moi et une mort certaine.
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Quand Alexis se décida à remonter à la surface, je ne pus m’empêcher
de tousser légèrement. Elle glissa une de ses mains dans mes cheveux
et les plaqua doucement en arrière. Il était clair que je lui faisais
bien trop confiance. Je n’aurais accepté de me mettre dans une telle
situation avec personne d’autre. Encore moins au milieu de nulle
part, vêtue uniquement de sous-vêtements en dentelle.
Dire que je ne m’y attendais pas était bien en dessous de la réalité. Son
air sérieux me fit comprendre qu’elle ne comptait pas abandonner.
Et, à moins de me découvrir un talent inné pour la nage, mon sort
dépendait entièrement de son bon vouloir.
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— Un oui ou un non suffira.
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depuis longtemps. En théorie, réfléchir et battre des jambes étaient
deux choses conciliables, mais dans mon cas, avec Alexis en face, ça
se révélait mission impossible.
Je n’étais pas fière de me servir des torchons que j’avais tant méprisés
par le passé pour me donner une excuse. J’en rougis d’ailleurs
légèrement avant de réaliser quelque chose d’important. Je fronçai
les sourcils en tournant précipitamment la tête vers elle.
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— Attends, comment ça deux ou trois rendez-vous ? m’étranglai-je.
— Juste parce que d’un coup tu te rends compte que je t’ai manqué,
je devrais te faire confiance ? Sans compter que tu as déjà une petite
amie, non ? Emily m’a dit que tu vivais avec une certaine Mia... lançai-
je sans flancher.
— Mia c’est...
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— Un chat, oui. Tu en dis quoi, tu n’as pas envie de venir lui faire un
gros câlin ?
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— Je ne le pensais pas réellement... C’était sous le coup de l’émotion...
— Je ne suis pas assez bête pour faire la même erreur deux fois. Tu as
juste à me faire confiance, Katelyn.
Avec le temps, j’avais appris à avoir une réponse pour presque tout.
Par moment, j’arrivais même à me fatiguer moi-même. Sauf qu’à
l’instant où je sentis sa main se faufiler dans le bas de mon dos pour
me rapprocher au maximum de son corps, toute ma répartie s’envola
subitement. Ses doigts vinrent effleurer ma joue et elle se pencha
pour m’embrasser sur le bout du nez. Sous l’afflux de sensations, je
fermai rapidement les yeux. Quelques secondes plus tard, je sentis
ses lèvres se glisser sur les miennes avec douceur.
74
recula de quelques millimètres. Cet éloignement fut suffisant pour
me frustrer au plus haut point. Après avoir goûté à la douceur de ses
lèvres, son souffle sur moi était une torture. Il était trop difficile de
prétendre ne rien ressentir.
— Donc, tant que ça ne veut rien dire, on peut recommencer sans que
tu aies d’objection à formuler ?
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CHAPITRE 5
Je pouvais dire adieu à mon message de SOS créé avec des branches,
ainsi qu’au tas de bois que nous avions amassé pour alimenter le
bûcher sur le sable. Il allait falloir tout refaire. En même temps, ce
n’était pas comme s’il y avait urgence. Par ce temps, aucun bateau
ou hélicoptère ne s’aventurerait par ici. J’avais comme l’impression
que la journée était bel et bien terminée. Le soleil avait disparu et je
n’avais aucune idée de l’heure qu’il pouvait être. Seule, je ne me serais
jamais aventurée dans cette forêt sans un minimum de luminosité.
En une phrase, une toute petite phrase, elle venait de réduire à néant
toutes mes résistances. J’avais passé beaucoup de temps à essayer de
ne pas m’attacher à elle. Enfin beaucoup, à mon échelle... Quarante-
huit heures c’était beaucoup quand vous étiez coupée de toute
civilisation avec votre premier amour, non ?
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à craindre. Elle ne risquait pas d’aller loin, et même si j’étais inutile
sur notre camp de fortune, j’avais au moins le mérite de l’empêcher
de se sentir trop seule.
— Bien sûr que oui ! Même s’ils décident d’arrêter les recherches,
je suis sûre que tes fans lanceront une pétition et un appel aux dons
pour les reprendre de manière officieuse. Tant que je t’ai avec moi,
je suis assurée que quelqu’un se déplacera, me répondit-elle avec un
sourire.
À genoux par terre, et après s’être tournée à nouveau vers moi, elle
finit par s’asseoir en tailleur et par tendre les mains en direction du
petit bûcher. Difficile de faire plus naturel comme comportement.
Un instant je crus même que j’avais été la seule à m’enflammer pour
trois fois rien. Pendant qu’elle semblait obnubilée par le feu, moi
c’était par elle que je l’étais.
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— Tu prends le premier quart alors. Si les braises commencent à
s’éteindre, tu peux rajouter les bûches qui sont à droite.
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D’un geste mécanique, je portai ma main dans mes cheveux pour les
faire repasser sur une épaule. Puis je me penchai un peu plus jusqu’à
atteindre ses lèvres. Elles étaient tentantes, très tentantes. Encore
plus maintenant que de minuscules particules humides y avaient
élu domicile suite à mon mouvement précédent. Pourtant, ce n’était
pas ce que j’avais en tête. Au prix d’un effort surhumain, je résistai à
l’attraction qu’elles exerçaient sur moi pour me contenter de sa joue
et de dévier progressivement vers son cou.
— Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans la phrase « après que j’en
aurai fini avec toi » ? lui demandai-je en passant lentement mes mains
sur ses épaules.
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— Dis-moi ma chérie, tu n’aurais pas oublié que j’étais spécialisée en
close-combat ?
À califourchon sur elle, et enhardie par son regard sur moi, je fis
glisser lentement le tissu en dentelle le long de mes bras. Avant j’en
aurais été gênée. Mais là, en voyant à quel point cela lui faisait de
l’effet, j’éprouvais juste davantage de confiance en moi. Suivant le
chemin du soutien-gorge, ses yeux ne me quittaient plus. Ses doigts
avaient tendance à accentuer la pression sur mon bassin et ce fut
encore pire quand le tissu devint un simple souvenir relégué au fin
fond de la grotte.
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Sa peau nue contre la mienne déclencha une nouvelle salve de
frissons encore plus intense que la précédente. Mes lèvres vinrent
automatiquement chercher les siennes alors que déjà ses mains
repartaient à l’assaut de mon corps. C’était trop et pas assez à la fois. Je
voulais prendre mon temps, profiter de chaque seconde, seulement à
chaque fois qu’elle m’embrassait, qu’elle me touchait, cela avait pour
résultat d’attiser toujours un peu plus l’envie brûlante qui grondait
au creux de mes reins.
Elle avait une telle emprise sur moi que je m’étonnais même d’avoir
réussi à résister tout ce temps. Il s’agissait d’un petit miracle en soi. Il
était également surprenant que j’arrive à garder le silence alors que
ses lèvres s’aventuraient sur ma poitrine. J’arrivais encore à sentir leur
présence sur le chemin qu’elles avaient emprunté pour y parvenir.
Un chemin qui s’étendait depuis ma gorge jusqu’à l’extrémité de mon
sein droit, et que je ne demandais qu’à voir s’étendre au reste de mon
corps.
Une main posée dans mon dos pour me soutenir, sa bouche retourna
s’attarder sur ma poitrine. Sous la vague de plaisir que la perception
déchaîna, je me cambrai davantage de seconde en seconde. Elle
savait très bien ce qu’elle faisait. Trop bien même. Chaque nouvelle
initiative de sa part me faisait gémir légèrement. Comme marquée
au fer rouge, ma peau irradiait de chaleur. C’était insoutenable et
délicieux à la fois. Je renonçai à prendre le contrôle, de toute façon à
quoi bon ? C’était une cause perdue d’avance.
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D’instinct, mes bras étaient venus s’enrouler autour de sa nuque. Au
même moment, je la sentis faire glisser son autre main le long de
mon ventre. Puis, sans s’arrêter, celle-ci s’aventura lentement plus
bas. Le tissu de mon sous-vêtement faisant barrage, elle se contenta
de l’effleurer. Cependant, cela ne m’empêcha pas de ressentir tout
un panel de sensations cent fois plus fortes qu’auparavant. J’avais
chaud, définitivement trop chaud. Et ce sentiment ne fit qu’empirer.
Mon cœur battait tellement vite que j’avais l’impression qu’il tapait
jusque dans mes tempes. La main d’Alexis passa de mon dos à ma
nuque. Je sentais le mouvement rassurant de ses doigts contre ma
peau se prolonger, même après que mes spasmes eurent cessé et
que mon corps se soit relâché contre le sien. Du bout des lèvres,
elle déposa quelques baisers dans mes cheveux. À nouveau, elle se
montrait tendre et attentionnée.
Une fois mes esprits retrouvés, je me rendis compte que ce n’était pas
ce dont j’avais envie.
On aurait tout le temps pour les petits câlins innocents après. Pour
le moment, une seule chose m’obnubilait, m’occuper d’elle comme
je l’avais prévu depuis le départ. Je me détachai légèrement et vit
qu’elle me lançait un petit sourire suffisant. Ce même sourire qui, en
général, avait le don de m’agacer instantanément.
— Tu ne me touche plus !
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— Sauvage, j’adore, me taquina-t-elle.
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— Continue à me provoquer et je te garantis que moi, je vais te faire
quelque chose qui t’embarrassera jusqu’à la fin de tes jours.
Sans perdre plus de temps, je posai mes lèvres sur les siennes pour
être certaine qu’elle ne répliquerait pas. Cette petite pause n’avait
fait que renforcer mon envie de lui faire plaisir. J’avais enfin le loisir
d’apercevoir son corps, de pouvoir la toucher, la caresser, et il était
hors de question que je m’en prive. Le grain de sa peau m’avait
manqué, la voir réagir sous mes attentions encore plus.
De ses côtes, je laissai mes doigts glisser sur les bords de son
shorty. Je crus que, peut-être, elle allait protester, juste par esprit de
contraction. Il n’en fut rien. À la place, ses hanches se soulevèrent pour
me faciliter la tâche. Le morceau de tissu rejoignit ses prédécesseurs
et j’effleurai doucement la cicatrice présente sur sa jambe, tout en me
promettant de lui demander plus tard une explication.
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— Arrête de jouer, Kate.
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ÉPILOGUE
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— Julian est un fantastique acteur. Le problème vient surtout du fait
qu’il débute tout juste dans le métier. Il n’est pas encore très connu,
mais après le premier opus, croyez-moi, plus personne n’aura de
doute sur sa légitimité.
— On vous sait très proche de lui sur les plateaux, mais aussi en dehors.
Vous seriez partis en France ensemble ? continua le présentateur.
— Et une fois dans la ville des amoureux, rien, pas même un petit
frisson à son égard ? poursuivit-il sur sa lancée.
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— Dans ce cas-là, aidez-nous à y voir plus clair. Quel genre d’homme
trouverait grâce aux yeux de Katelyn Mitchell ?
Faire mon coming-out en prime time était une idée tentante, cependant
les producteurs de A witch’s soul risquaient de ne pas apprécier. Sans
compter qu’il était hors de question que le présentateur en face de
moi en récolte la moindre gloire. Tant pis, ce serait pour plus tard.
Rien ne pressait de toute façon. Il y avait même un petit côté excitant
à voir Alexis en cachette. Quoique, dans la mesure où l’on vivait
ensemble, je n’étais pas sûre qu’on puisse encore parler de relation
clandestine.
— S’il change d’avis, notre plateau télé vous est grand ouvert,
plaisanta-t-il.
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L’idée d’Alexis, assise sur le fauteuil à côté du mien, en train de suer
sous d’épaisses couches de maquillage me fit sourire. Elle avait
toujours détesté être sous les projecteurs. La preuve quand il y a un
an, on était venu nous secourir sur cette île au bout de cinq jours,
c’était à peine si les caméras avaient réussi à obtenir une image d’elle.
J’avais eu le grand plaisir de relater cette histoire auprès de plusieurs
médias, de manière très édulcorée et en mettant de côté tout le côté
romanesque. De son côté, elle se l’était coulée douce, bien planquée
dans son appartement douillet.
Plutôt que quelque chose, il était clair que j’aurais opté pour le
quelqu’un. Avec Alexis comme compagne de naufrage, nul besoin
de tout l’attirail du parfait Robinson Crusoé. Elle était capable de
capturer le poisson à coup de bouts de bois taillés en pointe, de
faire du feu, de construire un abri, et tellement d’autres choses que
ça aurait été trop long à énumérer. Définitivement c’était elle que
j’aurais placée dans ma valise, mais ce n’était pas vraiment quelque
chose que je pouvais avouer.
99
— Ça y est, tu as fait les valises ? prononçai-je en guise d’introduction.
— Justement, à ce propos...
Après avoir passé les grandes portes vitrées qui donnaient sur l’une
des artères principales de la ville, je changeai mon téléphone de
main avant de balayer la rue des yeux. Même si Alexis était l’une des
premières femmes à avoir intégré le SWAT et qu’elle se sentait le
devoir sacré d’en faire trois fois plus que ses collègues masculins, ce
n’était pas une raison pour que moi j’en fasse les frais. J’étais égoïste,
mais ça, tout le monde le savait déjà. En plus, à ma connaissance, ce
n’était pas un crime de vouloir passer un peu de temps avec sa petite
amie. Pour une fois qu’on pouvait être seules toutes les deux plus
d’une nuit, je n’allais certainement pas laisser passer l’occasion.
Même si je ne les avais pas repérés, j’étais certaine que des paparazzis
traînaient dans le coin. De toute façon ce n’était pas compliqué, il y
en avait toujours. Et quand, par miracle, j’arrivais à les éviter, c’était
le citoyen lambda qui s’improvisait photographe amateur. Nous
marchâmes sur quelques mètres et elle m’ouvrit la portière une fois
devant la voiture. Au moment de m’installer, je laissai échapper un
petit soupir de soulagement. Fini les émissions télévisées. Fini les
événements mondains. Une semaine de tranquillité s’offrait à moi
avant de reprendre le chemin des studios.
— Il était fait sur mesure pour toi. Une sorcière avec un mauvais
caractère, et désireuse de mener son monde à la baguette. C’est toi
tout craché.
102
Les vitres étant teintées, elle se pencha pour me déposer un rapide
baiser sur les lèvres avant de démarrer. Vu la direction qu’elle prenait,
on s’apprêtait visiblement à quitter la ville. Cela signifiait que nous
ne passerions pas par la villa.
— Ne t’en fais pas, je suis sûre que l’occasion te sera donnée d’en
prévoir un par toi-même. Tu pourras te montrer aussi tyrannique
que tu le souhaites, terrifier les pauvres employés, et faire un tas de
petites listes pleines de couleur.
103
— Tu voulais dire, comme oublier que ça fait un an depuis la nuit dans
cette grotte ? Je n’étais pas trop sûre que ce soit à partir de cette date
qu’il fallait calculer, du coup je gardais ce cadeau pour le moment où
tu commencerais à râler, déclara Alexis en se reconcentrant sur la
route.
104
rejoindre en un petit diamant translucide. Pendant une seconde, je
me demandai s’il s’agissait juste d’un cadeau pour fêter nos un an.
Mon cœur se mit à battre un peu plus rapidement.
105
— Tu ne veux pas ? D’accord, rends-moi cette bague alors.
Pour la forme, je levai tout de même les yeux au ciel. Puis, je me saisis
de la bague pour la passer à mon annulaire. C’était juste pour voir
ce que ça donnait. Je n’avais aucun désir de la garder. Cependant,
en levant la main pour l’examiner sous toutes les coutures, je dus
quand même reconnaître qu’elle m’allait particulièrement bien. Je
m’imaginais la conserver à vie, et loin de m’horrifier, l’idée me plut.
Je laissai échapper un sourire satisfait. Un sourire fugace que je
m’empressai aussitôt de cacher en tournant la tête vers la vitre.
106
— En effet, à ce niveau-là ce serait même la quintessence de
l’impolitesse.
FIN
107
Également disponible dans la collection
Romance
108
hasard, elles se retrouvent sur un terrain de football quelques jours
plus tard, leur vie prend une nouvelle tournure…
Seconde Chance est le premier roman lesbien écrit par Marie Parson.
Elle y dresse avec finesse et humour le portrait de femmes à la fois
fortes et maladroites.
Lors d’une soirée pluvieuse, Abigail Gaylord arrive sur la petite île de
Genova. La jeune citadine originaire de Seattle se rend au manoir des
Sullivan où elle vient d’être engagée. Elle y découvre la lugubre bâtisse
qui semble tout droit sortie d’une autre époque, comme son emploi
de dame de compagnie. Quand elle découvre la demeure en ruine, la
jeune femme se demande si elle a fait le bon choix en acceptant ce
travail. Mais une telle opportunité ne se refuse pas surtout lorsque
l’on souhaite tirer un trait sur son passé.
C’était sans compter sur les rumeurs courant dans le village qui
vont mettre à rude épreuve la relation naissante entre Abigail et sa
patronne. La dame de compagnie va rapidement prendre conscience
que chacune de ses actions a des conséquences…
110
Romance par Reines de Coeur est une collection déposée par les
éditions Reines de Coeur
www.reinesdecoeur.com
ISBN : 979-10-95349-51-8
111
Table des matières
CHAPITRE 1 2
CHAPITRE 2 19
CHAPITRE 3 35
CHAPITRE 4 58
CHAPITRE 5 78
ÉPILOGUE95
112