Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Lean Thinking Banish Waste and Create Wealth in Your Corporation Revised and Updated Wei Zhi All Chapter Instant Download

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 34

Full download ebook at ebookgrade.

com

Lean Thinking Banish Waste and Create Wealth


in Your Corporation Revised and Updated Wei
Zhi

https://ebookgrade.com/product/lean-thinking-
banish-waste-and-create-wealth-in-your-
corporation-revised-and-updated-wei-zhi/

Download more ebook from https://ebookgrade.com


More products digital (pdf, epub, mobi) instant
download maybe you interests ...

Be Our Guest Revised and Updated Edition

https://ebookgrade.com/product/be-our-guest-revised-and-updated-
edition/

Start Your Own Corporation Garrett Sutton

https://ebookgrade.com/product/start-your-own-corporation-
garrett-sutton/

No waste managing sustainability in construction Wei


Zhi

https://ebookgrade.com/product/no-waste-managing-sustainability-
in-construction-wei-zhi/

Change by Design Revised and Updated Tim Brown

https://ebookgrade.com/product/change-by-design-revised-and-
updated-tim-brown/
World's Religions Revised and Updated The Huston Smith

https://ebookgrade.com/product/worlds-religions-revised-and-
updated-the-huston-smith/

Treasure Principle Revised and Updated The Alcorn


Randy;

https://ebookgrade.com/product/treasure-principle-revised-and-
updated-the-alcorn-randy/

Treasure Principle Revised and Updated The Alcorn


Randy;

https://ebookgrade.com/product/treasure-principle-revised-and-
updated-the-alcorn-randy-2/

Joy of Mixology Revised and Updated Edition The

https://ebookgrade.com/product/joy-of-mixology-revised-and-
updated-edition-the/
Another random document with
no related content on Scribd:
The Project Gutenberg eBook of Miette et Noré
This ebook is for the use of anyone anywhere in the United
States and most other parts of the world at no cost and with
almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away
or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License
included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you
are not located in the United States, you will have to check the
laws of the country where you are located before using this
eBook.

Title: Miette et Noré

Author: Jean Aicard

Release date: July 22, 2024 [eBook #74094]

Language: French

Original publication: Paris: G. Charpentier, 1880

Credits: Véronique Le Bris, Laurent Vogel and the Online


Distributed Proofreading Team at
https://www.pgdp.net (This file was produced from
images generously made available by the Bibliothèque
nationale de France (BnF/Gallica))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MIETTE ET NORÉ


***
JEAN AICARD

MIETTE ET NORÉ
TROISIÈME ÉDITION
CORRIGÉE
AUGMENTÉE D’UNE PRÉFACE
ET D’UN ÉPILOGUE

PARIS
G. CHARPENTIER, ÉDITEUR
13, RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN, 13

1880
Tous droits réservés.
DU MÊME AUTEUR

POEMES DE PROVENCE
OUVRAGE COURONNÉ PAR L’ACADÉMIE FRANÇAISE
1 vol. Charpentier
3e ÉDITION AUGMENTÉE

LA CHANSON DE L’ENFANT
OUVRAGE COURONNÉ PAR L’ACADÉMIE FRANÇAISE
3e ÉDITION (ÉPUISÉE)
(La quatrième édition est sous presse.)

EN PRÉPARATION :
PROVENCE LÉGENDAIRE
Histoire. — Légendes. — Chansons populaires.

Paris. — Impr. E. Capiomont et V. Renault, rue des Poitevins, 6.


PRÉFACE [1]

[1] Cette préface est celle de l’édition spéciale (in-8o)


souscrite par le Cercle Artistique de Marseille. Elle ne
figure ni dans la première, ni dans la deuxième édition.

Nous pourrions inscrire en tête de ce poème la formule suivante :


« Lu, pour la première fois, le 13 février 1880 », comme on indique,
sous le titre d’un drame, la date de la première représentation.
L’auteur a donné en effet, avant la publication, une lecture de Miette
et Noré, devant Les représentants de la presse étrangère et
française, dans le salon de madame Edmond Adam (Juliette
Lamber).
M. Jean Aicard prit ainsi la parole :

« Je remercie, dès le début, madame Adam qui a bien voulu


offrir ses salons et son appui pour une tentative d’action
littéraire que nous avons appelée LA PREMIÈRE D’UN LIVRE, le mot
lecture étant sous-entendu, comme au théâtre le mot
représentation.
Ceux qui aiment le Livre s’attristent un peu du demi-oubli où
le laisse l’activité contemporaine quand il ne s’appelle pas le
Roman. Ceux qui aiment la Poésie s’attristent de l’oubli où on la
laisse quand elle ne s’appelle pas le Théâtre.
Au théâtre comme au salon de peinture, la simultanéité des
critiques crée ces beaux succès que les poètes savent aimer,
servir même, tout en regrettant parfois que la poésie n’ait pas,
avec les mêmes risques, des chances pareilles.
La poésie devenant parole entre dans l’action comme
l’éloquence, et peut-être alors lui accordera-t-on une part de
l’attention qui encourage, excite et soutient les arts voisins,
théâtre, peinture, musique.
Comme eux, la poésie sent son œuvre nécessaire à la
beauté de la patrie. Comme eux, elle s’efforce à bien faire.
Comme eux, elle voudrait vivre d’une vraie vie.
Elle vient ce soir au-devant du public et de la critique. »

Cette idée d’une Première d’un livre fut vraiment fort goûtée et le
mot fit fortune, répété par toute la presse qui rendit compte du
succès.
Peu de temps après, M. Jean Aicard donnait publiquement des
lectures de son poème en Belgique ; puis en Suisse, où déjà, l’année
précédente, il avait porté des fragments de Miette et Noré, alors
inachevé.
Dans ces diverses lectures, l’auteur rattachait entre eux les
morceaux qu’il citait de son poème, par des réflexions critiques
quelquefois fixées au crayon, un peu au hasard, en marge de son
manuscrit.
Il nous a semblé intéressant de réunir un certain nombre de ces
notes, au choix du poète. On y trouvera un point de vue personnel
sur les choses de son art. Ici, il explique ce qu’il entend par poésie
populaire ; là, il touche un point curieux de prosodie nouvelle, etc.
Nous avons même, au milieu de ces notes, laissé quelques
strophes inédites [2] qui, un jour, entre deux passages de Miette et
Noré, furent citées par l’auteur à seule fin de ne pas redire en prose
ce qu’il avait déjà exprimé en vers.
[2] Voir pages XXIV et XXVIII.

Voici donc ces diverses notes telles à peu près qu’elles ont été
prononcées, mais dépourvues du lien des citations :
« Il a paru à l’auteur qu’un sujet neuf en poésie était le
paysan moderne, vu directement dans la vie, non plus dans les
belles traditions de Virgile et de Théocrite, poètes qui,
directement, s’inspiraient de la vie.
Le paysan, fils des temps nouveaux sans les connaître, —
affranchi par une idée qu’il ne saurait expliquer, patient
conquérant du sol, être passionné et simple, de race saine et
toujours jeune comme la nature même, — le paysan moderne
est une figure aux grandes lignes qu’a dessinée déjà la noble
prose de George Sand, mais qui n’est pas entrée encore,
semble-t-il, dans un projet poétique.
Avec le paysan arrive la poésie qui l’entoure, l’horizon sans
cesse varié, et les seuls poèmes qu’il connaisse, — admirables
d’ailleurs, objets d’une étude et d’un mouvement littéraires
nouveaux en France — les chansons populaires. »

« J’avais cherché, pour la mettre en œuvre dans Miette et


Noré, une chanson populaire qui exprimât toute l’âme du
paysan. Elle existe :

Le pauvre laboureur
Est tout décourtisan ;
Est habillé de toile
Comme un moulin à vent.

Le pauvre laboureur
Est toujours méprisé…

Passe devant sa porte


Un gros riche sergent
Il crie à haute tête :
Apporte mon argent !

. . . . . . . . .
Faut prendre patience,
O pauvre laboureur,
Si ta misère est grande
C’est pour te faire honneur.

N’y a ni roi ni prince


Ni curé ni seigneur
Qui vivent sans la peine
Du pauvre laboureur [3] .

[3] Mélusine.

Mais cette complainte vient du Nord. Jamais elle ne sera


chantée par nos hommes du Midi. Malgré la pensée finale, le
ton en est bien trop lamentable. La lumière c’est la joie, et, — je
prie qu’on ne l’oublie pas, — j’ai voulu peindre les hommes d’un
pays de lumière. La féodalité et le gothique chez nous perdent
leurs caractères propres, le sombre, le mystérieux, le fatal. De
tout cela, le soleil se moque un peu. Notre paysan, de par la
nature, est libre et joyeux. Même dans la condition du serf, il
devait échapper, j’imagine, aux sentiments de terreur et
d’humilité, sentant bien que s’il avait contre lui le « sergent, » il
avait pour lui le soleil !
Cette nature, qui ne l’irrite ni par l’avarice du sol (elle produit
la vigne et l’olivier avec une demi-culture), ni par les
intempéries d’hiver, — lui permet de vivre au dehors, mal vêtu,
frugal, pauvre et content. Au dehors, il n’est plus l’hôte de la
cabane ; il est, comme un seigneur, l’hôte de la forêt, des
pinèdes et de l’azur. Aussi n’est-il pas essentiellement envieux,
ni haineux, ni cauteleux, ni traître, ni humble. Il n’a point les
défauts que donne l’habitude de la lutte ; peut-être aussi n’a-t-il
pas toutes les qualités qu’elle maintient. Il est fin sans être
madré, il manque souvent de persistance, mais il est impétueux,
et capable d’héroïsme dans un élan.
Même dans sa maison, il vit avec l’extérieur, car il vit à porte
ouverte, l’œil toujours sur le ciel, la montagne et la mer, dont il
parle à tout instant. Ne soyez pas surpris de l’entendre vous
« décrire » les moindres accidents du chemin par où il a passé ; il
a tout vu, ce buisson, ce chêne, ce carré de vigne ; il les a
d’autant mieux retenus qu’ils étaient plus variés. Nulle
monotonie dans nos paysages, chacun a sa figure propre. Ne
savez-vous pas quels sont les tableaux accrochés aux murs de
votre cabinet ? Le chez lui de mon héros, c’est ce paysage du
Midi, large et toujours cependant proportionné à la taille de
l’homme, limité par des collines aux belles formes. Les déserts,
comme la Camargue ou la Crau, sont terres d’exception,
habitées par le pâtre et le « gardian. » Le paysan de Provence
vit dans un horizon défini, achevé. L’infini est par-dessus. La
Méditerranée elle-même est humaine, et s’entend fort bien avec
les rivages heureux. C’est selon le mode grec. Le paysage
terrestre n’écrase point l’homme, ne l’épouvante pas ; l’homme
ne le fuit ni ne l’oublie. La lumière intense ne lui permet pas
d’être visionnaire, craintif pour une ombre. Elle précise les
formes ; elle découpe finement la silhouette d’un pin parasol
debout sur la colline, à deux lieues d’ici. L’homme est roi,
connaît son domaine et l’aime. Son pays, c’est lui. Voilà
pourquoi ce poème reste humain quand il est descriptif : il
montre le tableau de la lumineuse nature, tel que tout bon
Provençal l’a dans la tête. »

« Peut-être, si j’avais eu à montrer le paysan dans sa lutte


sociale avec le citadin possesseur de la terre, m’eût-il révélé
d’autres faces, moins nobles, de son caractère, mais tel n’a pas
été mon souci. Je l’ai montré vis-à-vis de lui-même et de la
nature, dans mon pays. »

« La poésie est devenue, sous les doigts d’ouvriers


admirables, un art de raffinés.
Pourquoi la délaisse-t-on ? peut-être parce qu’elle délaisse
tout le monde, je veux dire les sentiments universels et
l’expression simple. Sans rien dénier de leur beauté merveilleuse
aux œuvres des maîtres impeccables, il est devenu nécessaire
que le poète tente l’expression spontanée — abondante ; peut-
être en aura-t-il les charmes naturels et vivants qu’un artiste
constamment ciseleur remplace par la belle idée qu’il a et donne
de son art ! Combien de nos modernes Cellini ont exécuté des
coupes si admirables que personne ne songe à y boire. Vite un
ruisselet courant dans l’herbe et le gravier, ou sinon nous
mourrons de soif ! la source est là : — la chanson populaire.
Mais, chose singulière ! il va falloir de l’audace au poète pour y
puiser, pour chanter comme elle coule, pour raconter tout
bonnement son cœur, et « parler tout droit comme on parle
cheux nous », selon l’expression de Molière ! Et cependant il faut
qu’il ose, car la Jouvence de la poésie n’est pas ailleurs. »

« Par ces mots « l’expression spontanée, » il faut entendre


non pas celle qui se présente la première à l’esprit de l’auteur,
mais celle qui, entre toutes, a l’air d’avoir été tout naturellement
trouvée. Elle sera parfois la dernière à s’offrir, après bien des
tâtonnements, car la tradition littéraire offre d’abord à l’écrivain
de métier une foule de « formes convenues, » d’expressions, de
tournures de phrases qu’il a déjà vues écrites, toutes
consacrées par les belles-lettres et les rhétoriques, mais qui
épouvantent le naturel et mettent la vie en fuite.
L’expression spontanée ne se présentera donc souvent
qu’après avoir chassé devant elle et écarté d’un effort la
végétation parasite des « termes de livre. » Et avec des mots
tout simples, combinés dans un ordre simple, il s’agira de
produire à la fois une impression de vie et de poésie. De vie,
cela va de soi. Mais d’où viendra l’impression poétique, puisque,
pris isolément, chaque hémistiche du vers ou chaque membre
de la phrase sera de nature à pouvoir être trouvé et prononcé
spontanément par un simple, en dehors de l’art, dans la vie
même ? — Eh ! l’impression poétique viendra du poète d’abord,
qui a en lui la poésie pour la répandre, le don d’envelopper les
choses dans une lumière créée par lui, et de les garder vraies en
les transfigurant ; elle viendra, l’impression poétique, du soin
qu’aura mis le poète à n’accepter le tour simple et naturel que
dépouillé de l’expression vulgaire ou seulement banale ; elle
viendra du NOMBRE et de la COMPOSITION. Voyez La Fontaine.
Chaque mot, pris à part, est de la famille des mots ordinaires ;
le tour de phrase qui les met en ordre est évangéliquement
simple ; et les Fables sont des chefs-d’œuvre !
Au théâtre, chez la plupart de nos modernes, ce style n’est
pas plus dans le dialogue qu’il n’est dans la composition des
pièces où je dirai que l’effet dramatique est remplacé par l’effet
théâtral. Nous avons plus souvent des pièces dans un décor,
pour des comédiens et des spectateurs, que des drames dans la
nature et la passion, pour des hommes. »

« Le monosyllabe imitatif se retrouve souvent au courant du


poème, parce qu’il est selon le génie du récit populaire où il
n’arrive guère qu’un personnage heurte à une porte, sans que le
conteur dise : toc, toc ! »

Les gros savants y reprendront,


Mais chaque mot lui sort de l’âme… [4]

[4] Voir le prélude du Chant Ier, troisième partie.

« Ainsi chante le peuple, qui ne se pique pas d’être écrivain.


Sa poésie, directement, monte de son cœur à ses lèvres, — et
la poésie littéraire n’arrive que par l’effort à se donner cette
allure de parole venue aux lèvres, ailée et vivante, qui est
justement le caractère essentiel de la poésie populaire. Il
semble donc que la savante ait à gagner quelque chose si elle
prend leçon de l’ignorante. Il n’y a rien ici de nouveau. C’est
l’enthousiasme d’Alceste pour la Chanson du roi Henri.
Le poème de Miette et Noré a tenté un langage et une
composition simplifiés d’après les modèles populaires, et dans
cette forme il apporte l’hommage au travail du laboureur, —
l’ouvrier que nul progrès ne supprime. »

« Ce n’est pas seulement un poème d’accent populaire, c’est


aussi un poème d’accent provençal. Quand nos paysans
s’expriment en français, ils traduisent les images, les allures, le
tour même, et — si l’on peut dire — le goût du patois provençal.
J’ai essayé de parler, en vers, un français qui laissât, à leur
manière, deviner par transparence le génie des idiomes locaux,
heureux si quelques-uns de nos idiotismes, débris des patois en
dissolution, paraissent dignes de rester au français. »

« J’avais songé d’abord à mettre entre guillemets les


incorrections qui sont des provençalismes : « de suite » pour
« tout de suite » ; « des fois » pour « quelquefois, » etc… J’y ai
renoncé, persuadé que nul ne pourrait loyalement m’imputer à
négligence ce qui — si visiblement — est volonté. »

« Les patois provençaux s’en vont. J’ai modelé un peu ma


phrase sur la façon de dire de nos Provençaux de race quand ils
parlent français. Lorsque les seigneurs, dans les chansons
populaires, courtisent les bergères, ils s’expriment ainsi dans un
provençal francisé. Il m’a semblé que c’était la langue naturelle
d’un poème qui veut raconter la Provence moderne. Ma pensée
est moderne, ma langue devait être française, car de plus en
plus les caractères particuliers des provinces se fondent dans la
grande unité nationale. Le pittoresque y perd sans doute ; mais,
poètes, nous ne sommes pas pour arrêter la marche de la
vapeur. Nous sommes pour essayer de donner la durée des
œuvres d’art aux formes que détruisent le temps et les forces
nouvelles, et pour annoncer les forces de l’avenir. Fixons donc
les choses provinciales qui s’en vont, dans la langue qui doit leur
survivre. N’était-ce pas la volonté de Brizeux ? Ce sera demain
celle de Gabriel Vicaire qui nous chantera la Bresse. Gabriel
Marc nous dira l’Auvergne, et Charles Grandmougin la Franche-
Comté. Et nous aurons un jour, — vous verrez ! — une
représentation poétique par provinces de toute la belle France.
Quant aux patois, ils sont — et c’est tout simple, —
impuissants à rendre les idées nouvelles. Le provençal est un
idiome mort qui correspond admirablement aux choses mortes,
à la légende et à la foi ; il ne peut pas exprimer la PENSÉE, qui
est chose neuve. Dites en provençal ces mots : L’HUMANITÉ, LE
BEAU, LE VRAI, vous patoiserez du français et vous prononcerez
des vocables incompréhensibles pour qui ne sait que le
provençal. — « Va, va, je te le donne pour l’amour de
L’HUMANITÉ », dit le don Juan de Molière, et la critique
philosophique signale dans ces paroles une conception, un
sentiment nouveaux ! Il y a trois cents ans de cela, et le
provençal d’aujourd’hui est encore impuissant à traduire ce
verbe sublime. »

« On trouvera dans Miette et Noré deux chansons


provençales, l’Aubade et le Petit Mousse. Les chansons de
Provence appartiennent en définitive à la France, qui ne les
comprend pas ! Pièces d’or du trésor français, elles n’ont pas
cours au-dessus d’Avignon ! Miette voudrait offrir celles-ci à la
littérature française. Dans diverses provinces l’Aubade se
retrouve sous des formes moins heureuses qu’en Provence, et
sous des titres différents : la Poursuite, les Transformations.
Mistral, que j’admire sans le suivre, en a fait sa chanson de
Magali. Ma version française est tirée des quelques soixante
couplets que chantent les femmes de Provence, surtout les
vieilles, car les jeunes se mettent à l’oublier [5] ! »

[5] Voir page 250.

« Mgr Miollis [6] , qui fut évêque de Digne, est une figure
populaire en Provence, et les paysans des Basses-Alpes
racontent encore bien des traits de sa vie évangélique. Mgr
Miollis a servi de modèle à Victor Hugo quand le maître a tracé,
dans les Misérables, la figure de Mgr Myriel, évêque de D… »

[6] Voir page 327.

« Ce n’est pas d’hier que j’ai résolu d’écrire en français un


poème de la Provence. En 1867, j’annonçai formellement ce
dessein à un ami. Déjà je me disais que le récit serait simple
comme une chanson populaire et que le rossignol, l’oiseau
favori des chansons populaires, et l’âne et le bœuf, héros des
noëls, y joueraient leur rôle. J’ai choisi le drame de la fille
abandonnée, parce que c’est l’un des drames par excellence des
chansons populaires. Les complications du récit eussent fait
rentrer le poème dans l’anecdote et le roman. »

« J’ai trouvé dans un livre remarquable (HISTOIRE DU LIED, par


M. Édouard Schuré), une page de profonde critique, critique de
poète, vivifiante. Quand je la lus pour la première fois, c’était
dans un moment de doute. Elle m’encouragea au travail
entrepris. Voici cette belle leçon :
« La poésie littéraire devrait se rapprocher de la vraie poésie
populaire, pour y chercher ce qui lui manque trop souvent à
elle-même : la sincérité de la pensée, la sobriété de la forme et
le tour musical. Plagier serait folie, mais non s’inspirer. Brizeux
l’a fait pour la Bretagne… Il ne s’agit pas de renoncer au trésor
d’idées et de sentiments que nous devons à une éducation
supérieure pour descendre au niveau des paysans, ce serait la
pire des affectations, mais de surprendre dans les chants
populaires la manifestation spontanée du sentiment. Car cette
faculté existe toujours en nous, quoi qu’on fasse pour l’étouffer.
Partout où il y a un sentiment vrai et individuel, la manifestation
primesautière, qui est toujours la plus poétique, est possible,
pourvu que l’homme ait le courage d’exprimer son mouvement
intérieur. Malheureusement on s’en laisse imposer de moins
simples et de moins fidèles par la tradition littéraire, on s’y
habitue, et on finit par ignorer sa propre nature. Mais la vue du
vrai, du naïf, nous saisit malgré nous, avec une puissance
magique, et nous aide à retrouver notre originalité perdue. »

« Qui dit paysans dit païens (pagani), du moins dans le Midi.


Miette se laisse enlever par un païen véritable, l’insoucieux
Noré. J’ai rêvé là l’image même de la Provence qui échappe à
l’influence noire du gothique par la puissance de la lumière.
Maître Pierre Jacque André est une sorte de philosophe sans le
savoir, bien moderne. J’ai connu ses pareils. Il transforme
inconsciemment charité en humanité. Il convertit à l’humanité
moderne son fils Noré. Et le poème finit en joie, en lumière, en
espérance, car dans nos pays les fêtes funèbres elles-mêmes, —
dénoûments suprêmes, — ne parviennent pas à s’attrister. »

« Chacun des Chants du poème est précédé d’un Prélude. Je


ne sache pas que cette forme générale ait jamais été employée.
Le Chant est un fragment du récit ; c’est l’action ; c’est la poésie
se dégageant directement elle-même des héros, et des choses
qui les entourent. Le Prélude c’est la poésie lyrique motivée par
le Chant, qu’elle annonce, dont elle donne l’idée essentielle ;
c’est encore la pensée philosophique, parfois mère du chant,
parfois née de lui ; c’est la poésie dans le poète. Pour donner à
un récit où (pour la première fois peut-être) des paysans parlent
en vers une langue autre que celle de la tradition littéraire, —
pour donner à ce récit le goût de la vérité il fallait ne pas
l’interrompre trop souvent par des cris poétiques d’un autre ton.
Quant à étouffer le cri poétique, c’eût été mentir à la conception
d’un poème.
Le Prélude est comme une ouverture musicale avant le lever
du rideau. Le Chant c’est le drame chantant, rideau levé ; la
pensée du Prélude l’accompagne.
L’ensemble des Préludes doit former comme un poème d’un
sentiment plus général que le poème en récit, — dont il se
dégage, qu’il enveloppe et même qu’il explique. »

« Un soir où il m’était donné d’écouter notre illustre et bien-


aimé maître, Victor Hugo, j’osai toucher un sujet difficile. Je
parlai du vers alexandrin. — « Grâce à vous, maître, il est
devenu… » — « Un orchestre, » dit Victor Hugo.
Cela est vrai. Aussi, désormais, l’on peut oser faire de longs
poèmes, et voici qu’on ose entreprendre d’en lire. En effet, dans
un poème les morceaux explicatifs, les transitions nécessaires,
les passages qui ne sont ni dramatiques ni lyriques — étaient la
monotonie et l’ennui mêmes, avant que le vers non pas brisé
comme on le croit, mais articulé, permît les flexions, les arrêts,
les rapidités, les surprises, le mouvement qui est la vie.
Et beaucoup de vers qui paraissent faux aux lecteurs des
prosodies surannées — sont justes. Un des plus communs est
l’alexandrin ternaire :

L’âne allait seul, | suivi de loin | par le bon prêtre.

En des occasions dont le poète est juge (sauf erreur), le


ternaire peut s’employer aussi dans la forme suivante :

Il a compris, | le joli mousse, | il rit aux anges !


Et ne dites pas que la césure coupe par le milieu le mot joli !
Vous avez ici non pas une, mais deux césures ! Vous avez trois
hémistiches de quatre pieds et non deux de six, et l’idée de
NOMBRE se trouve entièrement satisfaite, car trois fois quatre
font… un alexandrin symétrique, — aussi rigoureusement que
deux fois six !
Je ne parlerai que de ces deux formes du vers ternaire. Il y
en a d’autres.
Les diverses coupes du vers alexandrin sont infiniment
variées. Ce n’est pas ici le lieu de développer cette question
complexe, qui paraît pouvoir se résumer dans la formule
suivante :
Un alexandrin est juste toutes les fois que les césures le
subdivisent en petits vers blancs, égaux ou libres, assemblés
suivant un rythme juste [7] .
[7] A la vérité, il n’est pas de césures proprement
dites. Il n’y a que des accents toniques qui doivent être
placés comme nous venons de dire pour les prétendues
césures… De combien de règles puériles les poètes
devraient se délivrer ! car les prosodies n’y peuvent rien.
Il faut créer contre les règles absurdes de bons exemples,
qui s’imposent.

Quand la justesse a été sentie, elle se peut toujours prouver,


car l’idée de NOMBRE est double : harmonie, calcul.
C’est affaire au poète d’employer les diverses formes du
grand vers en temps utile, et de réserver le grand alexandrin à
deux hémistiches pour les moments où la pensée, après avoir
voleté et volé, — plane.
Dans l’alexandrin dit classique, la césure de milieu
n’empêchait pas d’autres césures accessoires (officieuses), qui
sauvaient de trop de monotonie.
Dans l’hexamètre latin, la césure, indispensable si elle était
unique, ne proscrivait pas l’emploi des autres, qui même, au
nombre de deux, pouvaient la suppléer. »

« Il y a dans le rapprochement de certains mots des hiatus


qu’il faut aimer.
Quoi de plus doux que le prétendu hiatus : Il y a. Date lilia,
dit Virgile. C’est le son même d’alliance. »

« On peut dire de Victor Hugo qu’il est le père de la


littérature moderne. On pourra le lui donner longtemps, ce beau
nom de Père, que lui décerne Émile Augier.
Victor Hugo, dont Alfred de Vigny fut le Précurseur, a
engendré le romantisme, qui engendra la liberté, qui
engendrera l’avenir. Par là, nos petits-neveux eux-mêmes seront
fils du romantisme. Grâce à Victor Hugo, qui a donné des
modèles dans tous les genres sans exception, il est enfin permis
même de faire simple. — L’instrument qui nous est légué est
parfait, et loin que la poésie n’ait plus de sujets, tout est
toujours à faire et sera toujours à faire.
Quant à continuer le romantisme proprement dit, en ce qui
constitue ses caractères essentiels, généraux, qui pourrait y
penser ? Le romantisme est l’envers du classicisme, deux
formules littéraires qui ont donné toute leur mesure. Si le
romantisme n’existait pas, il faudrait l’inventer, afin qu’il offrît au
monde son œuvre prodigieuse. Mais cette œuvre existe. Nous
ne pouvons pas vivre dans l’admiration stérile ou dans limitation
de ce passé (n’est-ce pas hier ?) En art, rien ne se doit
recommencer, les chefs-d’œuvre moins que le reste, car des
chefs-d’œuvre contrefaits sont des rapsodies. Notre-Dame est
bâtie : allons-nous construire sur ce modèle sublime toutes nos
humbles maisons !
Où donc sera notre art nouveau, car nous en voulons un ! où
est notre avenir ? Dans l’inspiration directement tirée de tout ce
qui est la nature. Les anciens imitaient la nature, nos classiques
ont cru surprendre le secret de l’art antique en imitant non pas
la nature, mais les œuvres des anciens ! Imitons, nous, la nature
comme faisaient les anciens, avec nos façons modernes de voir
et de penser, comme les anciens selon les leurs.
Et dire que ce procédé antique peut encore paraître
nouveau ! »

« On peut dire de la rime riche qu’elle est trop souvent la


rime prévue. En ce cas, je l’ai souvent effacée, lui préférant cent
fois une rime suffisante, mais inattendue. Les rimes inévitables
ont engendré l’horreur qu’on a des rimeurs. Du reste, richesse
des rimes, coupes des vers, allure de style, tout cela se modifie
selon l’intention du poème, le sujet et le genre.
Le même peintre traitera-t-il de même sorte la miniature, les
grandes toiles et la fresque ?
Enfin une théorie critique ne peut que renseigner sur la
manière générale d’un auteur, sur sa conception de l’art, sa
volonté et son effort, — et sur la tendance d’une époque. »

« L’art n’a pas d’autre but que d’émouvoir — avec le beau. Le


beau n’est que le moyen sublime, et nécessaire, de l’art.
Combien d’artistes en font leur but, en sorte que leurs œuvres
ne toucheront jamais les hommes, quoique destinées à faire
toujours l’admiration des artistes. Créer une œuvre qui montre
comme elle était difficile à faire, c’est être plutôt critique
qu’inventeur. Quand l’art est parfait, — de la vie il vous jette
dans une vie idéale où il se fait oublier. »

« En somme, dans notre art, tout devient aisément puéril,


qui n’est pas sentiment, pensée, — et composition.
Hélas ! comme c’est éphémère, la grâce, la nuance, le
nombre même des mots ! Comme nous les aimons, comme nous
les recherchons, ces formes dont le sens intime ne se révèle
qu’à demi aux étrangers, et constitue le génie de la langue
nationale ! — Et cependant, ce qui peut, par la traduction, se
transmettre d’un pays et d’un âge à un autre, voilà l’essentiel, la
vraie création ! »

« AU POÈTE CHARLES GRANDMOUGIN [8]

[8] Voir page V, note 2.

Après avoir lu Le Rêveur, qu’il m’envoie inédit.

Dans les vers très bien faits qu’on me lit chaque jour,
Je ne le trouve plus, ce souffle qui soulève,
Ce mouvement du cœur qui s’élance à l’amour,
Ce rythme qui prend l’âme et la berce d’un rêve.

Et je me dis : Lequel, du poète ou de moi,


Lequel est donc si vieux qu’il en respire à peine,
Et qu’il n’ait plus l’élan ni le cri de la foi,
Et qu’il n’entende plus le sang frapper sa veine ?

Ah ! ce qui rend si beaux les beaux vers, l’art des vers,


C’est ce frémissement de poitrine oppressée,
Ce nombre aisé des mots qui semblent s’être offerts,
La respiration mêlée à la pensée.

Un de nous bien souvent a ce charme divin,


Le meilleur d’entre nous, notre Sully Prudhomme,
Et tu l’as dans ces vers, — et dans l’art tout est vain
Où nous n’avons pas fait passer un souffle d’homme ! »
« L’art a horreur du convenu, du banal, du trivial, mais
l’esprit de notre époque ne s’accommode guère du chimérique.
Préoccupée de la seule réalité, la poésie se tue elle-même ;
envolée dans le rêve pur, on ne saurait la suivre. Le problème
est donc ainsi posé pour le poète sincère, homme de son
temps : il faut tâcher d’être vrai sans bassesse, chercher le beau
dans le réel, la noblesse dans la simplicité. — Rien de plus
ancien que cette formule, neuve en apparence parce que
beaucoup d’autres l’ont fait oublier. »

« Dans la nature, le laid n’est qu’un accident dont elle se


délivre au plus vite ; rien n’est laid de ce qui demeure sous la
belle lumière ; la dépouille des animaux morts est enlevée par
les épurateurs ; les parties basses ne sont pas en évidence (os
homini sublime…) ; les entrailles sont cachées. Les Grecs
louaient la cigale de ne point laisser voir, même morte et
ouverte, ses entrailles ; on la peut louer encore, morte, de ne
point tomber en pourriture, mais en poussière. La société cache
ses égouts. L’utile et scientifique anatomie est un art, ce n’est
point l’Art, lequel, comme la Nature, fait la vie, même avec la
mort.
Si j’étale au soleil, au premier plan de mon tableau, les
laideurs cachées de la Nature, je n’agis pas d’après ses leçons,
je ne suis pas vraiment naturiste. »

« Entre les sujets vulgaires et les sujets populaires, il y a un


abîme. Il faut fuir le sujet vulgaire qui conviendrait à bien des
gens, aux médiocres, et chercher, — sans renoncer à de plus
rares, — les sujets populaires qui peuvent toucher tous les
hommes.
Le Vulgaire n’est qu’une catégorie : ce n’est pas ce « Tout le
monde » qui a plus d’esprit que Voltaire et plus de cœur que
d’esprit. »
« L’Art est libre. — Il n’y a pas de théorie qui l’enferme tout
entier, — qui puisse devenir la règle commune, qui soit toute la
Vérité. Il n’y a que des points de vue personnels ; encore, pour
être justes, doivent-ils tenir compte des tendances diverses dont
l’ensemble met la variété et la grandeur dans l’Art. Je cherche
une face nouvelle ; je n’oublie pas le TOUT. »

« Ne rien dire qui ne soit vrai, c’est une tendance nouvelle de


notre art, qui ajoute : Ne pas dire tout le vrai. »

« Dans l’œuvre qui montre le Réel, l’Idéal apparaissant


toujours comme le ciel au-dessus des rues ou à travers les bois,
voilà mon naturisme. »

« Il faut chercher des vers qui, — transmis par la voix, —


outre l’influence mystérieuse du rythme, aient encore sur les
hommes tout l’effet d’une parole venue spontanément et
comme dans la vie.
En même temps, il faut fuir avec passion l’effet vulgaire,
facile, sorti du rapprochement forcé de certains mots, ou de leur
sonorité vide, ou du sens déterminé qu’y attachent les passions
du moment.
Il faut poursuivre l’effet vivant-dramatique, non l’effet
oratoire-théâtral [9] .
[9] Peut-être le lecteur trouvera-t-il intéressant de
savoir que l’un des passages de Miette et Noré les mieux
accueillis par les divers auditoires du poète, est celui qui
commence à Misé Toinon resta sur place, et finit à…
pleurèrent tout le jour (page 373). — N. de l’Éd.
L’effet facile est indigne de l’art oratoire ; à plus forte raison
l’est-il de l’art poétique qui ne doit pas flatter son auditoire pour
le persuader, mais le conquérir par sa magie propre.
Dire mes vers devant des auditoires nombreux a été une
école pour moi, — où j’ai définitivement appris l’amour du
simple et du populaire. J’y ai appris encore que la Parole, ce
grand moyen vital de la démocratie, peut donner à la poésie
qu’on délaisse un souffle d’existence renouvelée. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Le peuple parle. Il dit : « Mon travail est trop dur !
A l’action ! il faut des cœurs, des bras, des têtes,
Et faire un bien terrestre en oubliant l’azur !… »
Ah ! j’ai senti pourquoi les bannières de fêtes
Au mot de liberté flottent dans l’air plus pur !
Mais que ferons-nous là, misérables poètes !

Rêveurs aux bras lassés, vos temps sont révolus !


Les beaux âges, les temps des dieux furent les vôtres ;
L’action va parler, et vos livres sont lus ;
Vous aimez trop votre art inutile et point d’autres ;
L’enthousiasme est mort : on ne veut plus d’apôtres !
La patrie en travail ne nous écoute plus !…

… Non ! si je m’étais cru j’en serais mort de honte !


Non, vous ne mentez pas, rimes au timbre d’or !
Rythme qui fais plus beau tout ce que l’on raconte,
Viens dire, ô Poésie, à l’avenir qui monte,
Comment tu sais garder nos gloires de la mort,
Et que les Vers français c’est la patrie encor ! » [10]
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[10] Voir page V, note 2.


« Assurer qu’il faut écrire comme on parle, c’est la sottise de
M. Joseph Prudhomme ; mais prétendre que les choses écrites
et fixées dans l’art par la composition, gagnent à avoir
néanmoins l’allure de la parole venue spontanément, — cela me
paraît une vérité simple.
Laissons l’immobilité de la pierre à la statuaire ;
l’immutabilité d’un moment déterminé à la peinture. La gloire de
la pensée écrite, c’est le mouvement et la succession des
mouvements.
Le sculpteur a l’argile ; le peintre a la couleur. Leur rêve à
tous deux est de les animer. Et nous qui avons en notre pouvoir
la parole, matière fluide et subtile, les mots,

Nés de l’air qui fait vivre et des lèvres humaines,

quelle folie serait-ce à nous de les vouloir figer, immobiliser,


pétrifier !
Avec le souffle poétique on ne fait pas Galathée en marbre ;
on l’anime. »

« La fleur n’est pas née pour l’herbier ; la parole n’est pas


née pour le livre.
L’écriture n’a été inventée que pour fixer la parole, et peu à
peu elle l’a transformée, lui ôtant la vie. On n’a plus été un
orateur, ni un poète, un trouveur, — mais un chercheur et un
écrivain. On a écrit pour écrire, oui vraiment, à seule fin d’être
imprimé, d’exister sous forme de livre.
Le moyen de transmission, le livre ; le lieu du dépôt, est
devenu comme le foyer, comme le trésor même. Puis les livres
se sont inspirés des livres, non plus de la vie ; les poètes se sont
inspirés des poèmes ; on a cru être classique en imitant Homère
qui n’imitait pas Homère, lui, mais la Nature ; — et comme il
faut connaître toute une tradition savante pour goûter tels vers
modernes dont la beauté est en grande partie dans les
souvenirs littéraires qu’ils évoquent, les lecteurs pour ces vers-là
ne sont pas nombreux ; car les hommes s’intéressent avant tout
à la vie passionnée, — et l’Art poétique ne correspond plus
assez à la Vie, beaucoup trop aux formes d’art qui l’ont précédé.
Si la poésie veut être comptée au nombre des arts vivants,
elle parlera. Si elle veut conquérir les hommes modernes par la
parole, selon le mode antique, elle se verra forcée d’exprimer
des sentiments éternels, universels, dans une action moderne ;
car l’érudition n’intéresse que les érudits. Elle procédera, dis-je,
comme la poésie d’autrefois. Elle racontera la vérité vivante,
non la tradition morte. Comme la musique, elle ne fera pas son
destin d’être écrite, mais d’être chantée. Alors elle vivra
vraiment, avant de se conserver par le livre d’où elle pourra
sortir avec toute sa gloire dans une série infinie de
résurrections. Alors, parlée, écoutée, aimée, nécessaire, elle
rentrera dans ce grand mouvement d’activité, de bruit, de
travail, que fait notre siècle.
… Je la vois, mêlant chaque jour sa voix au grand
bourdonnement de la vie sociale ; chantant les joies et les
douleurs de la patrie, acclamant un héros, une belle action,
saluant les tombes, préparant les gloires, prouvant à la science
qu’elle la comprend, à la démocratie qu’elle l’aime, à la patrie
qu’elle est un de ses honneurs, au siècle des forces mécaniques
qu’elle est une force ressuscitée, vivante, éternelle. »

Telles sont les considérations principales que l’auteur a mêlées à


la lecture de son poème, — soit chez madame Edmond Adam, soit
dans les conférences faites peu de temps après en Belgique et en
Suisse [11] .
[11] A la fin de la lecture chez madame Edmond
Adam, M. Mézières, de l’Académie française, voulut
résumer l’impression générale dans les vers suivants,
improvisés. Le journal le Temps a publié ces vers, où le
critique s’adresse à l’auteur de Miette et Noré :

La Provence revit dans vos vers pleins et chauds ;


D’autres nous la rendaient, mais en vers provençaux ;
La langue de Mistral, si brillante et si forte,
Hélas ! n’est plus pour nous qu’une langue un peu
morte ;
La vôtre, cher ami, dans sa limpidité,
Reproduit la Provence en toute vérité.
La voilà, cette terre aux aspects de fournaise,
Avec son ciel de feu, son âme si française,
Son terrible mistral, son Rhône aux flots puissants,
La joie et les douleurs de ses rudes enfants.

Déjà, avant de s’adresser à la critique, M. Jean Aicard avait


donné deux lectures publiques de son poème provençal, — l’une à
Toulon, sa ville natale, — l’autre à Marseille, — et cherché, avant le
succès parisien, la consécration provençale. Cette consécration, l’a-t-
il obtenue ? — La présente édition spéciale est une réponse,
puisqu’elle a été spontanément souscrite par le Cercle Artistique de
Marseille.
Un dernier mot. De nombreuses études critiques ont déjà été
publiées en France et à l’étranger sur Miette et Noré. Qu’il nous soit
permis de constater qu’elles établissent le succès tout à fait
remarquable de cette œuvre nouvelle.

L’Éditeur.

Paris, 25 mars 1880.


DÉDICACE

A PARIS

Dès le seuil, — avant tout, — j’évoquerai la gloire,


Paris ! ville éternelle au front ceint de rayons,
Que dans l’honneur et dans la peine — nous voyons,
Éclatante, créer des beautés à l’Histoire !

Ton gaz, la nuit, pâlit sur ta tête les cieux ;


Ton rêve a des éclairs de phares et d’étoiles,
Et les esprits du monde entier, comme des voiles,
Flotte d’or, — vont à toi comme au port merveilleux.

Immortelle au grand sein, tu nourris la Chimère !


Tout homme qui se sent un cerveau — court vers toi ;
L’adolescent te cherche et t’aime, et c’est pourquoi
L’avenir est en toi comme l’œuf dans la mère.

La patrie au vieux sang gaulois, grec et latin,


Ses provinces, ses mœurs, ses races, sa fortune,
Tu les portes en toi ; par toi la France est une,
Paris ! et tu la tiens liée à ton destin.

O tête ! tout le corps frémit en chaque fibre,


Et tressaille et se meut à ton commandement ;
Tout ce vieux peuple est gai si tu ris seulement ;
Il souffre par tes maux ; libre, tu l’as fait libre.

O synthèse, ô cerveau, Paris ! — Entre tes murs


Se viennent assembler les provinces unies,
Leurs vœux et leurs travaux, leurs forces, — leurs génies,
Et tu mets le rayon sacré sur les obscurs.

L’autel de la patrie, ô Cité, c’est toi-même.


Les Fédérations n’ont-elles pas un jour
Voué sur tes degrés, parmi les cris d’amour,
Les clans provinciaux à la France suprême ?

Bretagne et Languedoc s’aimèrent dans tes lois ;


Toulouse descendit pour toi du Capitole ;
Devant toi, tout orgueil provincial s’immole,
Et, toute dans Paris, la France parle aux rois.

Eh bien, comme on présente à ces rois, dans leurs villes,


Un symbole d’amour fidèle : les clefs d’or,
Je t’apporte, ô Paris, — œuvre nouvelle encor,
Ce livre, un gage sûr des concordes civiles.

Nos patois provençaux me charment ; je les sais ;


Mais je voudrais, — et nul encor ne m’y devance, —
Fondre les paillons d’or du parler de Provence,
Pour les mettre au trésor du langage français.

Et je chante, — et la voix des choses m’accompagne, —


Terre et ciel, — ciel et mer, azur plein de baisers ;
Je chante avec des mots du terroir, — francisés.
Ainsi parlent déjà nos hommes de campagne.

Comme ce grès qui fut notre ville des Baux,


Foi, légende et patois s’effritent miette à miette,
J’ai donc mis le français aux lèvres de Miette,
Et j’ai planté l’esprit nouveau — sur les tombeaux.

Vous aimerez peut-être aussi