Arthur Rimbaud Le Forgeron
Arthur Rimbaud Le Forgeron
Arthur Rimbaud Le Forgeron
Intro : «Et sur les bataillons d’Alexandrins carrés je fis souffler un vent Révolutionnaire. Je
mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.» De Victor Hugo. Ainsi, dans sa réponse à un
acte d’accusation en 1856, Hugo se félicite d’avoir bouleversé l’ordre social des mots. Mais
c’est Arthur Rimbaud qui plongera allègrement dans la modernité poétique. Ce jeune
ardennais né à Charleville en 1854 est l’acteur de plusieurs poèmes écrit entre seize et vingt
ans. Il s’émancipe alors des règles de la Poésie classique. Ses poèmes sont réunis dans le
recueil Les Cahiers de Douai parmi lesquels «Le Forgeron» est le troisième. Ce poème tire
son inspiration de deux éléments historiques. Le 20 juin 1792, un boucher coiffa Louis XVI
d’un bonnet phrygien. D’autre part, en 1869, un an avant la rédaction du poème, les
forgerons se mirent en grève. Celle-ci sera violemment réprimée par les forces du second
empire et se soldera par vingt-sept morts. Dans son poème, Rimbaud raconte l’anecdote en
transformant le boucher en forgeron.
En quoi consiste l’originalité de Rimbaud dans cette évocation inspirée par Victor
Hugo ?
I-LE FORGERON CRITIQUE LES PRIVILEGES SOCIAUX
Le lettré comporte cette définition : « Fig. Forger des vers, les faire péniblement et comme
avec le marteau. » Bien que le poème se situe en 1792, certains vers incitent à une réflexion
plus contemporaine. « Mais voilà, c’est toujours la même vieille histoire ! » : comporte un
présent de vérité générale valable à toutes les époques. Rimbaud crée une réflexion sur le
passé et pour le lecteur un lien entre la chute du régime de Napoléon III et cette de Louis16
Dans le vers 40 « « Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire » le modalisateur «
maintenant » peut s’interpréter de plusieurs manières…
Pour le forgeron : c’est 1792
Pour Rimbaud : 1870
Pour le lecteur : l’époque de sa lecture… le poème incite à réfléchir.
Par ailleurs, la négation partielle « je ne peux plus » marque une rupture. Elle est signalée
aussi par le blanc entre les deux vers qui riment, Avant et après. Le poète évoque ici
l’émancipation du forgeron, signalée par l’importance de la première personne : et le rythme
de l’alexandrin : rupture très forte à l’hémistiche et coupe 1/5 qui n’est pas classique.
(cf Hugo : « Oui, brigand, jacobin, malandrin, - J'ai disloqué ce grand niais d'alexandrin.
Victor Hugo. Les Contemplations (1856) ». Ce vers a deux subordonnées introduisant les
reproches du forgeron/Rimbaud à l’époque antérieure.
Rimbaud oppose les qualités du forgeron évoqué dans « Quand j'ai deux bonnes mains,
mon front et mon marteau » à l’image de l’homme qui qui l’opprime « un homme […] dague
sous le manteau, » : un brigand menaçant qui lui donne des ordres et le traite comme sa
propriété : « mon gars ensemence ma terre »C’est une critique des privilèges. La rime
«marteau/manteau » oppose la force réelle au pouvoir de l’apparence (le manteau) qui
dissimule la menace (la dague)
Dans la proposition suivante (complétive COD de « croire ».Que l'on arrive encore, quand ce
serait la guerre, Me prendre mon garçon comme cela, chez moi ! « Terre » (la vie) rime avec
« guerre » (la destruction la mort)
Le Forgeron/Rimbaud reproche à Louis XVI/Napoléon III d’envoyer les jeunes hommes utiles
au pays se faire massacrer. Il souligne l’inégalité et l’injustice dans « − Moi, je serais un
homme, et toi, tu serais roi, » là, le vers met les deuxprotagonistes sur le même plan/ dans
un même hémistiche, mais le parallèle « un homme/roi » laisse entendre que le roi n’est pas
humain. L’emploi du conditionnel a valeur d’irréel : ce n’est pas logique, comme le constate
le forgeron « C’est stupide ».
II IL FAIT UNE SATIRE LE L’IMMORALITE DU REGIME
Le forgeron énumère les possessions des puissants. La critique devient plus accusatrice
grâce au « Tu » repris plusieurs fois en tête de vers. La rime « stupide/splendide » de même
que l’oxymore « baraque splendide » soulignent le rapport inégal entre ceux qui possèdent
tout et le peuple qui n’a rien. Les adjectifs « dorés » et « mille » mettent l’accent sur
l’abondance. « Baraque », terme familier, méprisant, ce n’est ni « château », ni « palais ». Le
Forgeron se lance dans une satire.
Victor Hugo dans Les Châtiments avait déjà formulé une critique de l’immoralité du régime
de Napoléon III. En effet, ici c’est l’empereur qui est visé, car Louis XVI n’était pas
particulièrement débauché. La satire ici tient aux termes employés.
« Palsambleu » est un juron du XVIIe siècle, et le vers est rempli de sonorités en [p/b] et [an]
qui accentuent le comique de la phrase « Tes palsambleu bâtards tournant comme des
paons » , en assimilant les enfants illégitimes à des paons, il critique leur vanité. Mais aussi
la manière dont ils traitent les « filles du peuple » qu’ils séduisent. La débauche de ces
jeunes prétentieux est mise en valeur par le mot « odeur », et le palais/baraque est assimilé
à un « nid » de paons. La métaphore animale permet de ridiculiser la descendance de N. III.
L’allusion aux lettres de cachet évoque la manière dont le roi pouvait faire emprisonner les
gêneurs sans procès.
On passe de la 2e personne au pluriel « Et nous » Rimbaud rappelle que le peuple est plus
nombreux que les gouvernants. Les exclamations « Et nous dirons : C'est bien : Les pauvres
à genoux ! //Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous ! » Sont des antiphrases
ironiques (Et tu t’imagines que nous allons dorer etc…) très expressives : le vers 53 est
coupé en trois, alors que le 54 est lisible d’une traite : c’est le ton de la colère, de
l’indignation. La satire se termine par une caricature « − Et ces Messieurs riront, les reins sur
notre tête ! » « Ces messieurs » évoquent tous les puissants, peut-être est-ce une référence
à une caricature connue. Rimbaud critique ici l’injustice et les abus de l’Ancien Régime de
manière satirique
III-L’ENTHOUSIASME REVOLUTIONNAIRE
Il s’exprime par des exclamations et des monosyllabes en tête de vers : « non » et « Oh » la
phrase « ces saletés-là datent de nos papas » est curieuse par le choix du terme enfantin «
papa », Peut-être Rimbaud veut insinuer que le peuple est naïf, il ne se rend pas compte que
tout cela recommencera sous Napoléon III. Au vers 58, « Le Peuple n’est plus une putain »
claque par ses allitérations en [p] et le choix d’un terme injurieux laissant entendre que le
peuple était « acheté ». Allusion aux reproches que faisait Victor Hugo au peuple sous
Napoléon III ?
Dans les vers 58 à 66, le Forgeron devient enthousiaste, un peu trop, on peut penser qu’il
s’agit d’hybris, c’est-à-dire d’un sentiment de toute puissance excessive puisque la liberté n’a
pas duré : au moment au Rimbaud écrit, le lecteur sait bien que le XIXe siècle a vu le retour
des rois et des Empereurs (« C’est toujours la même histoire »), et que le forgeron
s’illusionne. Néanmoins, le ton est épique : l’enthousiasme est mis en valeur par les
exclamations et des hyberboles, « Trois pas // Et, tous, nous avons mis ta Bastille en
poussière » le contre rejet « Trois pas » souligne la facilité de la tâche. La Bastille est
représentée par une métaphore évocatrice : « cette bête suait du sang à chaque pierre » «
ces murs lépreux ». Les images provoquent précisément le dégout. Les vers 62 et 63
représentent l’enfermement permanent par leur structure même : « tout » et « toujours » sont
au centre, entre « ces murs » et « leur ombre Avec ses murs lépreux qui nous rappelaient
tout // Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre!».
C’est l’épopée de la lutte du peuple (« nous ») contre l’ennemi, le mal de l’Ancien Régime.
Dans les derniers vers « Citoyen ! Citoyen » peut s’adresser au Roi, mais aussi au lecteur.
La métaphore de la « bête » est filée par le verbe « râlait » et de nombreuses allitérations en
[r] évoquant l’écroulement de la Bastille. Mais « la tour » rime avec « amour » : la destruction
de la Bastille est assimilée au rêve d’une nouvelle fraternité.