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Pascal Pensées Grandeur Misère

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Grandeur et misère de l’homme

Extraits des Pensées de Pascal (1623-1662)

Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête, car ce n’est que
l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds.
Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée. Ce serait une pierre ou
une brute.

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un


roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ;
une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers
l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait
qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien.

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut


nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir.
Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

Roseau pensant.
Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du
règlement de ma pensée. Je n’aurai point d’avantage en possédant des terres.
Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point,
par la pensée je le comprends.

La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable.


Un arbre ne se connaît pas misérable.
C’est donc être misérable que de [se] connaître misérable, mais c’est
être grand que de connaître qu’on est misérable.

La grandeur de l’homme.
La grandeur de l’homme est si visible qu’elle se tire même de sa
misère. Car ce qui est nature aux animaux, nous l’appelons misère en l’
homme. Par où nous reconnaissons que sa nature étant aujourd’hui pareille à
celle des animaux, il est déchu d’une meilleure nature qui lui était propre
autrefois.
Car qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé ?
Trouvait-on Paul Émile malheureux de n’être pas consul ? Au contraire tout le
monde trouvait qu’il était heureux de l’avoir été, parce que sa condition n’était
pas de l’être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus
roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu’on trouvait étrange de
ce qu’il supportait la vie. Qui se trouve malheureux de n’avoir qu’une bouche ?
Et qui ne se trouverait malheureux de n’avoir qu’un œil ? On ne s’est peut-être
jamais avisé de s’affliger de n’avoir pas trois yeux, mais on est inconsolable de
n’en point avoir.
Ce fragment résume le mouvement d’argumentation anthropologique de la
liasse Grandeur, en montrant que la dignité de la nature humaine se conclut
paradoxalement de l’affirmation de sa misère, établie dans les premières
liasses. Pascal s’appuie ici sur la différence entre la nature de l’animal et celle
de l’homme. Les mêmes bassesses ne sont en effet pas ressenties de la même
manière chez l’un et l’autre : elles paraissent appartenir normalement à la
nature de la bête ; mais l’homme les ressent comme la privation de qualités
qui seraient dues à sa véritable condition. Ce ressentiment de sa misère
témoigne qu’il a conscience du fait que sa nature actuelle est privée de
qualités et de vertus qui lui semblent dues. L’exemple du malheur du roi
Persée et du consul Paul Emile permet ainsi à Pascal d’inférer que ce
sentiment de frustration qui accompagne la misère de l’homme suppose qu’il
a pu connaître, en un temps dont la mémoire est perdue, un état dans lequel il
jouissait des capacités dont il ressent actuellement la privation.

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