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Papa Samba Ndiaye Uemoa-Cedeao-1

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Le nouveau triangle du maintien de la paix en Afrique (UA, CEDEAO,

UEMOA) : Entre complémentarité inconsistante et concurrence déloyale ?


Par Papa Samba Ndiaye, Ph.D*

Résumé

Depuis la fin de la guerre froide, l’Afrique accueille les ¾ des opérations de paix de l’ONU. Toutefois,
si le maintien de la paix et de la sécurité internationales est une compétence de l’ONU, elle peut aussi
le déléguer à des organismes régionaux. En Afrique, c’est l’Union Africaine (UA) qui chapeaute le
processus des opérations de paix. Avec son architecture de la paix et de la sécurité (APSA), elle veut
se doter d’une force en attente dont les communautés économiques régionales (CER) à travers les
brigades régionales vont fournir les troupes. En Afrique de l’Ouest, c’est à la communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qu’est confiée cette mission. Mais depuis
janvier 2013, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) s’est dotée d’un nouveau
chantier de la paix et de la sécurité. N’est-ce pas une « concurrence déloyale » par rapport à la
CEDEAO ?
« L’approche du champ » empruntée au sociologue français Pierre Bourdieu nous permettra de
démêler la complexité du maintien de la paix en Afrique à travers le triangle formé de trois
organisations internationales intergouvernementales africaines à savoir l’UA, la CEDEAO et
l’UEMOA.

Abstract

Since the end of the Cold War, ¾ of United Nations (UN) peacekeeping operations (PKO) in the world
take place in Africa. Nevertheless, if PKO is UN competency, he can delegate it to regional organisms.
In Africa, the African Union (AU) plays the key role with his peace and security architecture
mechanism (APSA). In the near future, the Standby Force will tackle with violence in Africa. And
every Regional Economic Community (REC) will participate by training military forces. In West
Africa, the Economic Community of West African States (ECOWAS) deals with this issue. But since
January 2013, the West African Monetary and Economic Union (WAMEU) created a new mechanism
in Peace and Security. Is it an "unfair competition" with ECOWAS? The "champ approach" borrowed
to the French sociologist Pierre Bourdieu can help us to understand the complexity of PKO in Africa
between three African intergovernmental organizations such as AU, ECOWAS, and WAMEU.

La question de l’unité de l’Afrique s’inscrit dans un courant qui s’appelle le panafricanisme,


né aux Etats-Unis d’Amérique après la guerre de sécession. Il tendait à lutter contre la
discrimination raciale pour l’égalité des droits. A l’origine, il s’agissait d’un mouvement de
solidarité parmi les noirs d’ascendance africaine, des Antilles britanniques et des Etats-Unis
d’Amérique. La philosophie du panafricanisme va être transplantée en Afrique par Georges
Patmore1 et Kwamé Nkrumah. Ce dernier allait organiser un congrès panafricain à Londres en
1945 et à cette occasion proposait un document qui sera adopté sur les mouvements de lutte
pour la libération de l’Afrique. Ces idées donc du panafricanisme constitue une origine
lointaine du régionalisme africain dans la mesure où la lutte pour l’indépendance constituait la
première étape vers un regroupement des pays africains.
A l’indépendance, la question de l’unité de l’Afrique resurgit et oppose deux courants. Il
s’agissait du « groupe de Casablanca » et du « groupe de Monrovia ». Le « groupe de
Casablanca » regroupait le Ghana, la Guinée et le Mali. Ils étaient déjà impliqués dans un

1
cf. Patmore, Georges, Panafricanisme ou Communisme ? La prochaine lutte pour l’Afrique, Paris, Présence
Africaine, 1960, 471p.
Page | 1
processus d’union et se sont réunis avec d’autres Etats à Casablanca du 4 au 7 janvier 1961.
Ils ont adopté une charte africaine créant le « groupe de Casablanca » en même temps qu’ils
adoptèrent un certain nombre de résolutions. Les Etats appartenant à ce groupe étaient
considérés comme des Etats révolutionnaires et voulaient un renoncement des souverainetés
pour les Etats-Unis d’Afrique.
Le « groupe de Monrovia » par contre, étaient composés d’Etats dits réformistes. Ce sont
essentiellement des pays francophones. Ils souhaitaient étendre l’Union africaine et malgache
(UAM) au plus grand nombre d’Etats africains. La conférence de groupe a eu lieu à Monrovia
le 8 mai 1961. La conférence a adopté la création d’une organisation internationale
intergouvernementale consultative interafricaine et malgache et voulait la coopération entre
les Etats africains.
Ces deux groupes ont eu des divergences, notamment entre Léopold Sédar Senghor et Kwamé
Nkrumah, mais leur fusion a donné naissance à l’organisation de l’unité africaine (OUA).
L’objectif de l’OUA était de réaliser la coopération interafricaine qui n’implique pas un
transfert de souveraineté des Etats à l’OUA. Dès lors, l’organisation va rester et être conçue
comme ayant un rôle d’harmonisation et de coordination des politiques de ses Etats membres.
Pour assurer avec le maximum d’efficacité l’application de l’article 3 alinéa 4 de la Charte de
l’OUA, relatif au règlement pacifique des différends, les Etats avaient déjà envisagé dès 1963,
la création d’une commission de médiation, de conciliation et d’arbitrage (CMCA). La
composition et les règles de fonctionnement de cette commission ont été définies par un
comité spécial et approuvées par la première conférence des chefs d’Etats et de gouvernement
de l’OUA le 21 juillet 1964 au Caire. La CMCA était composée de 21 magistrats nommés
pour cinq ans. C’était un organe autonome indépendant du Conseil des ministres et de la
conférence des chefs d’Etats et de gouvernement. Elle jouissait d’une autonomie relative à
peu près semblable à celle de la cour internationale de justice par rapport à l’ONU. Le nombre
élevé de membres était prévu pour permettre à la CMCA de fonctionner en permanence. Mais
même après sa création, la CMCA n’a jamais été sollicité pour exercer une quelconque
médiation. A la place, les dirigeants africains ont préféré d’autres mécanismes de règlement
des conflits2.
La fin de la guerre froide et la libéralisation des régimes politiques a démultiplié les foyers de
tension sur le continent. Ainsi, face l’appauvrissement de l’OUA en matière de gestion des
conflits, le 29ème sommet de sa conférence des chefs d’Etat et de gouvernement adopte le 30
juin 1993 en Egypte, la Déclaration du Caire qui crée le mécanisme de prévention, de
résolution et de règlement des conflits dont l’objectif est la prévention et la consolidation de la
paix par l’action diplomatique et les négociations. Deux instruments avaient été prévus pour
assurer l’efficience du mécanisme. Il s’agissait du fonds spécial pour la paix3 et du Centre de
gestion des conflits à Addis Abéba qui avait un système d’alerte précoce4. Le mécanisme de
la Déclaration du Caire s’est avéré inefficace parce que peu contraignant juridiquement et
inadapté à la complexité des nouveaux conflits africains marqués par des atrocités de masse et
des crimes abominables comme au Rwanda, au Libéria et en Sierra Leone. Ainsi, à Syrte en

2
Manigat, Mirlande, « L’Organisation de l’Unité Africaine », revue française de science politique, vol.21, n°2,
1971, p.392 et suiv.
3
Le fonds spécial de la paix représentait 6% du budget annuel de l’OUA. Or en 1998, seuls neufs pays africains
avaient contribué au fonds soit un montant total de 1,4 million de dollars américains. A la même période, la
contribution des Etats non africains à ce fonds s’élevait à 18,2 millions de dollars américains dont 16 millions
provenant des pays occidentaux.
4
Tamekamta, Alphonse, Zozime, « L’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine (APSA) :
Articulations et enjeux de la gouvernance sécuritaire au XXIe siècle », Note d’Analyse politique, Institut de
recherche et d’enseignement sur la paix, Thinking Africa, n°24, janvier 2015, p.3.
Page | 2
1999 a été pris l’engagement de créer l’Union Africaine5. L’organisation adoptera en 2002 un
protocole qui organise l’architecture de paix et de sécurité en Afrique (APSA)6. Cette APSA
prévoit une force africaine en attente (FAA) qui est prépositionnée dans les pays. Chaque
communauté économique régionale (CER) doit constituer une brigade de cette force. En
Afrique de l’Ouest, c’est la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO) qui doit assumer ce rôle. Comment alors expliquer l’implication de l’Union
économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) en tant qu’organisation sous-
régionale d’intégration monétaire dans le domaine du maintien de la paix ? Notre
argument principal est que derrière l’UEMOA, il y a l’ancienne puissance coloniale
(France) qui veut torpiller les processus d’intégration en Afrique. Pour démontrer cet
argument, notre analyse sera articulée autour de trois mouvements. D’abord, nous analyserons
l’architecture de paix de l’UA ; ensuite, l’architecture de paix de la CEDEAO, pour terminer
avec l’auscultation du nouveau chantier de la paix et de la sécurité de l’UEMOA.

Perspective théorique
Pour analyser le nouveau triangle du maintien de la paix (UA, CEDEAO et UEMOA), la
perspective théorique qui semblerait la plus féconde est celle de la théorie des champs.
Elaborée par Pierre Bourdieu dans le cadre de l’analyse sociologique interne, le champ
renvoie à un espace au sein duquel des acteurs à la nature, aux ressources et aux positions
inégales sont en concurrence ou en luttes pour le monopole des capitaux efficients qui y sont
en jeu ainsi que pour la transformation ou la conservation de la configuration des rapports de
force qui structurent le champ. L’enjeu du champ interne est le pouvoir dont la possession
commande l’accès aux profits spécifiques qui sont en jeu dans le champ7. Il s’ensuit que le
champ étatique renvoie à un ensemble de relations de concurrence et de complémentarité
articulées autour du pouvoir d’Etat existant entre acteurs politiques.
Selon Yves Alexandre Chouala, dans un contexte marqué par l’interpénétration du national et
de l’international, des outils théoriques élaborés dans le cadre de l’analyse interne peuvent
valablement être opérationnalisés sur le terrain interétatique et vice-versa8. En effet, le nouvel
espace sécuritaire en Afrique peut être analysé sous l’angle d’un champ où coexistent
plusieurs acteurs. La théorie des champs permet de rendre compte d’un monde social qui est à
la fois intégré (les individus se définissent par leurs relations), structuré (il y a des puissants et
des faibles), et différencié (les rapports sociaux dans le champ de la littérature ne sont pas les
mêmes que dans le champ économique)9.
Selon Frédéric Merand10, le champ présente plusieurs caractéristiques. Premièrement, le
champ est orienté vers un enjeu, par exemple vaincre la concurrence sur le marché, jouir d’un
prestige littéraire, ou encore défendre l’intérêt national. Bourdieu appelle illusio cet
investissement émotif et corporel dans le jeu social. Deuxièmement, le champ est
topographique, c’est-à-dire qu’il est constitué d’un ensemble de positions occupées par des
individus ou des groupes les uns par rapport aux autres. Troisièmement, le champ est
relationnel, c’est-à-dire que ses contours sont délimités par l’ensemble des relations entre

5
Bourgui, Albert, « L’Union Africaine entre les textes et la réalité », Annuaire français de relations
internationales, vol.6, 2005, p.328.
6
Le protocole qui crée l’architecture de paix et de sécurité de l’UA a été adopté le 10 juillet 2002 à Durban en
Afrique et entré en vigueur en 2003.
7
Bourdieu, Pierre ; Wacquant, Loïc, Réponse pour une anthropologie réflexive, Paris, Le Seuil, 1992, p.73.
8
Chouala, Yves Alexandre, « Le paradigme du champ à l’épreuve de l’analyse internationaliste », revue
internationale de sociologie, vol.12, n°3, 2002, p.521.
9
Mérand, Frédéric, « Bourdieu : le champ, vecteur de la mondialisation », dans Guillaume Devin (dir.), 10
concepts sociologiques en relations internationales, Paris, Editions CNRS, 2015, p.51.
10
Mérand, Frédéric, op., cit., p.51 et 52.
Page | 3
individus et groupes autour de l’enjeu susmentionné. Quatrièmement, le champ a ses propres
règles. Incorporées par les agents non seulement comme des contraintes mais sous forme de
dispositions (habitus) correspondant à leur position et à leur histoire, celles-ci constituent des
pratiques sociales qui définissent le modus operandi du champ. Cinquièmement, le champ est
hiérarchique. La structure des positions dans le champ n’est pas horizontale. Certains
jouissent de capitaux valorisés dans le champ (par exemple le capital culturel dans le système
d’éducation) alors que d’autres en sont dépourvus. Un champ est ainsi généralement structuré
par un système d’oppositions binaires : dominant/dominé, orthodoxe/hétérodoxe, etc.
Sixièmement, le champ est doxique, c’est-à-dire qu’un ensemble de représentation sociales
correspondant plus ou moins à celles des dominants constitue « le sens commun », les idées
qui ne sont que rarement remises en question. Septièmement, le champ est agonistique : tout
en étant porteur de représentations communes, il est traversé par des luttes entre les agents qui
tentent de le façonner à leur avantage. Dans certaines circonstances, les dominés peuvent ainsi
renverser l’ordre dominant. Enfin, huitièmement, le champ produit des effets. Un champ
n’existe et n’est digne d’intérêt scientifique que dans la mesure où il affecte soit les conduites
des agents qui l’occupent, soit d’autres champs. Ceci distingue le champ d’un simple espace
social de relations.
Ces éléments de définition étant posés, nous essayerons dans les prochains développements
montrer leur applicabilité au nouveau triangle du maintien de la paix en Afrique.

L’architecture de paix de l’UA, un instrument riche en initiatives à


l’opérationnalité limitée
L’architecture de paix de l’Union Africaine a été adoptée après la création de l’Union
Africaine. En effet, c’est à Durban en Afrique du Sud le 09 juillet 2002 qu’a été adopté le
protocole créant le Conseil de paix et de sécurité (CPS) par la conférence des chefs d’Etats et
de gouvernement de l’Union Africaine. C’est l’organe central de l’architecture. A côté, il y a
le système d’alerte rapide, le Conseil des sages et la force africaine en attente (FAA).

Le Conseil de paix et de sécurité, l’épine dorsale du mécanisme


La philosophie qui guide l’action du CPS est l’expression d’un consensus autour de deux
principes à la limite contradictoire. C’est d’abord le principe de la non-ingérence d’un
Etat membre dans les affaires intérieures d’un autre Etat membre11. C’est ensuite, le droit de
l’Union Africaine d’intervenir dans un Etat membre dans des circonstances graves, comme en
cas d’atrocités de masse12. Le CPS a pour fonctions de promouvoir la paix, la sécurité et la
stabilité, de prévenir, de gérer et de régler les conflits, de consolider les processus de paix et la
reconstruction post-conflit, de s’investir dans l’action humanitaire et la gestion des
catastrophes13. Le CPS est composé de 15 Etats qui sont d’abord présélectionnés au niveau
sous-régional puis les candidatures retenues sont soumises au Conseil Exécutif de l’Union
Africaine pour élections14.
Les critères ouvrant le droit à la qualité de membres du CPS sont identiques pour les cinq
sous-régions du continent. Il s’agit de15 :
*l’attachement aux principes de l’Union Africaine ;
*la ratification du protocole créant le CPS ;

11
Article 4.f du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
12
Article 4.j du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
13
Article 6 du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
14
cf. Union Africaine, Modalités pour l’élection des membres du Conseil de paix et de sécurité de l’Union
Africaine, Addis Abéba, Union Africaine, 2004a.
15
Article 5.2 du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002
Page | 4
*l’absence de sanction dans le cadre de l’Union Africaine ;
*la contribution aux initiatives afférentes à la résolution des conflits, aux missions de
maintien de la paix et de la sécurité ainsi qu’à leur consolidation aux niveaux sous-régional et
continental ;
*la contribution au fonds de la paix et/ou à un fonds spécial crée pour un but spécifique ;
*le respect de la légalité constitutionnelle ainsi que le respect de l’Etat de droit et la
préservation des droits de l’homme ;
*la présence de mission permanente auprès de l’UA et de l’ONU bien dotée en personnel et
en moyens ;
*L’engagement et la capacité à assumer la qualité de membre du CPS.
Deux types de mandats sont prévus d’une durée respective de trois et de deux ans pour les 15
membres siégeant au CPS. Il s’agit de favoriser la continuité et le suivi des dossiers mais aussi
de marquer la différence entre les pays influents et ceux qui le sont moins, tout en respectant
le principe de rotation et de répartition géographique équitable16.
Aussi, les tâches sont bien délimitées entre le Président en exercice de l’UA qui dispose du
pouvoir d’intervention dans n’importe quelle situation conflictuelle ; le président de la
Commission de l’Union Africaine qui a en charge la préparation et l’organisation des réunions
et le président du CPS quant à lui préside les réunions de cette instance17.
Pour mener à bien sa mission, le CPS dispose d’une panoplie de pouvoirs comme
l’anticipation, la prévention et le règlement des conflits ; l’intervention dans le cadre d’une
opération de maintien de la paix ; les sanctions contre toute menace ou atteinte à la paix ; la
mise en œuvre de la politique de défense commune ; la lutte contre le terrorisme18.
Il y a une périodicité des réunions au niveau des ambassadeurs qui permet d’assurer la
continuité. Le Conseil des ministres se réunit au moins deux fois par an et la conférence des
chefs d’Etat et de gouvernement se réunit au moins une fois par an pour donner plus de
visibilité et de crédibilité aux décisions de cet organe. En fait, le CPS est en session
permanente dans la mesure où il peut être saisi à tout moment d’une situation d’urgence. La
tenue des réunions à huis clos et le fait que les pays concernés par le conflit inscrit sur
l’agenda de la réunion présentent leur cas au début de la séance et se retirent, permettent aux
membres de la CPS de débattre et de délibérer en toute liberté et en toute responsabilité19.
Au-delà de l’attachement à la périodicité des réunions, les membres du CPS ont également
marqué leur détermination à contribuer à la restauration de la paix sur le continent. Ils ont par
exemple renouvelé le mandat de la mission africaine au Burundi (MIAB). Ils ont envoyé une
mission d’informations en République démocratique du Congo (RDC). Ils ont soutenu les
efforts visant à relancer le dialogue politique en Côte d’Ivoire. Ils ont envoyé des forces de
protection, des observateurs militaires et des instructeurs de police civile au Darfour, pour la
mission de l’Union Africaine au Soudan. Ils ont aussi montré une grande rapidité dans
l’examen des situations20.

16
Le 28 janvier 2016, fait exceptionnel l’ensemble du CPS a été renouvelé. Sont élus pour trois ans : le Congo
Brazzaville, l’Egypte, le Kenya, le Nigeria, et la Zambie. Sont élus pour deux ans : l’Afrique du Sud, l’Algérie,
le Botswana, le Burundi, le Niger l’Ouganda, le Rwanda, la Sierra Leone, le Tchad et le Togo. Cf. Jeune Afrique,
www.jeuneafrique.com, consulté le 18 mai 2016.
17
Chouala, Yves Alexandre, « Puissance, résolution des conflits et sécurité collective à l’ère de l’Union
Africaine. Théorie et pratique », Annuaire français de relations internationales, vol.6, 2005, p.290.
18
Article 7 du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
19
Article 8.9 du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002 et Article
15.1. du règlement intérieur de la CPS.
20
Lecoutre, Delphine, « Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, clé d’une nouvelle architecture
de stabilité en Afrique ?», Afrique contemporaine, Eté, 2004, p.152.
Page | 5
Le CPS peut utiliser un outil de veille et de prévention des conflits à savoir le système d’alerte
précoce pour anticiper l’explosion de la violence.

Le système continental d’alerte précoce, un outil de veille et de prévention des


conflits
Le CPS pour remplir sa mission s’appuie aussi le système continental d’alerte précoce qui fait
partie de l’architecture africaine de paix et de sécurité. Les fonctions du système continental
d’alerte précoce consistent à faciliter la prévision et la prévention des conflits21. En effet, le
président de la Commission peut utiliser les informations recueillies et analysées par le
système d’alerte rapide pour informer le CPS des menaces à la paix et à la stabilité en
Afrique. Il peut également recommander, suivant les informations dont il dispose, les mesures
à prendre en vue d’anticiper sur les potentiels foyers de tensions.
Le système d’alerte rapide est composé d’une part, d’un centre d’observation et de contrôle
dénommé « salle de veille », situé à la division gestion des conflits de l’Union Africaine. La
salle de veille est chargée de collecter et d’analyser les données sur la base d’un module
approprié d’indicateurs d’alerte rapide ; d’autre part, le système d’alerte comprend des unités
d’observation et de contrôle des mécanismes régionaux de prévention, de gestion et de
règlement des conflits, qui sont directement reliées par des moyens de communication
appropriés à la salle de veille et qui collectent et traitent les données recueillies à leur niveau
et les transmettent.
Le système d’alerte rapide élabore un module d’alerte rapide sur la base d’indicateurs
politiques, économiques, sociaux, militaires et humanitaires clairement définis et acceptés qui
sont utilisés pour analyser l’évolution des situations sur le continent et recommander la
meilleure action à entreprendre.
Dans le but de faciliter les activités du système notamment en ce qui concerne la collecte et
l’analyse des données, la Commission est appelée à collaborer avec les Nations Unies et ses
agences, les centres de recherche, les institutions universitaires et d’autres organisations
internationales compétentes. C’est dans cette perspective que le système continental d’alerte
rapide est conçu comme un système ouvert, où les données sont collectées à partir de
différentes sources. Les sources primaires du système comprennent les données provenant de
l’UA elle-même, des communautés économiques régionales (CER) et des Etats membres.
La finalité du système continental d’alerte rapide est de « donner des conseils en temps
opportuns sur les conflits potentiels et les menaces à la paix et à la sécurité, afin de permettre
l’élaboration de stratégies appropriées pour prévenir ou limiter les effets destructeurs des
conflits violents ».
En plus du système de veille, le CPS peut aussi s’appuyer sur les missions de bons offices
menées par les membres du Conseil des sages.

Le Conseil des sages, un instrument consultatif de bons offices


Le groupe des sages est composé de cinq personnalités africaines, respectées, venant de
diverses couches de la société et qui ont apporté une contribution exceptionnelle à la cause de
la paix, de la sécurité et du développement sur le continent. Elles sont sélectionnées par le
Président de la Commission après consultation des Etats membres concernés, sur la base de la
représentation régionale et nommées pour une période de trois ans par la conférence22. Le
groupe des sages fournit des services consultatifs au Conseil de paix et de sécurité et au
Président de la Commission sur toutes questions relatives au maintien et à la promotion de la

21
Article 12.1. du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
22
Article 11.2. du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
Page | 6
paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique23. A la demande du Conseil de paix et de
sécurité ou du Président de la Commission ou de sa propre initiative, le groupe des sages
entreprend des actions jugées appropriés pour venir en appui aux efforts du Conseil de paix et
de sécurité et à ceux du Président de la Commission en vue de la prévention des conflits, et se
prononce sur toutes questions liées à la promotion du maintien de la paix, de la sécurité et de
la stabilité en Afrique. Le groupe des sages fait ses rapports à la Conférence des chefs d’Etats
et de gouvernement de l’Union Africaine par le biais du CPS. Il se réunit en cas de besoin au
siège de l’Union Africaine ou dehors en consultation avec le Président de la Commission pour
exercer son mandat24.
Si ces instruments de pacification ne fonctionnent pas, le CPS peut proposer d’utiliser la force
pour venir à bout des conflits.

La force africaine en attente de l’UA (FAA), le bras armé de l’architecture de


paix
Pour permettre au CPS d’assumer ses responsabilités en matière d’opérations de paix, il est
prévu la création d’une force en attente. Cette force est composée de contingents
multidisciplinaires en attente avec des composantes civiles et militaires, stationnées dans leurs
pays d’origine et prêts à être déployées rapidement aussitôt que requis25. Les Etats membres
prennent ainsi les mesures nécessaires pour mettre en place des contingents prépositionnés
pour participer aux missions d'appui à la paix décidées par le Conseil de paix et de sécurité ou
à une intervention autorisée par la Conférence. Les effectifs et la nature de ces contingents,
leur degré de préparation et leur emplacement général sont déterminés, conformément aux
règles de procédure opérationnelles des missions d'appui à la paix de l'Union et seront soumis
à des examens périodiques, tenant compte des situations de crise et de conflit.
En outre, la FAA est supposée remplir plusieurs fonctions : comme des missions
d’observations et de contrôle ; des missions d’appui à la paix ; une intervention dans un Etat
membre dans certaines circonstances graves ou à la demande d’un Etat membre afin de
rétablir la paix et la sécurité. Elle peut aussi procéder au déploiement préventif afin d’éviter
qu’un différend ou un conflit s’aggrave, qu’un conflit violent en cours ne s’étende à des zones
ou Etats voisins, ou le redémarrage de la violence après que des parties à un conflit sont
parvenues à un accord. La FAA peut aussi participer à la consolidation de la paix par le
désarmement et la démobilisation après les conflits. Elle peut fournir de l’assistance
humanitaire pour atténuer les souffrances des populations civiles dans les zones de conflit et
mener des actions visant à faire face aux catastrophes naturelles26.
En ce qui concerne le commandement, il y a une division des tâches entre le représentant
spécial et le commandant de la force. En effet, pour chaque opération de paix entreprise par la
FAA, le Président de la Commission nomme un Représentant spécial et un Commandant de la
force. Le Représentant spécial fait rapport au Président de la Commission tandis que le
Commandant de la force fait ses rapports au Représentant spécial. Les Commandants des
contingents font rapport au Commandant de la force alors que les composantes civiles font
rapport au Représentant spécial.

23
Article 11.3. du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
24
Lors du 23ème sommet ordinaire de l’Union Africaine (UA) tenu à Malabo (Guinée-Equatoriale), les 26 et 27
juin 2014, le Groupe des sages de l’institution a renouvelé sa composition. La nouvelle équipe est composée de
l’Algérien Lakhdar Brahimi (pour l’Afrique du Nord), du Togolais Edem Kodjo (pour l’Afrique de l’Ouest), de
l’Angolais Dr Albina Faria de Assis Pereira Africano (pour l’Afrique Centrale), du Mozambicain Dr Luisa
Diogo (pour l’Afrique Australe) et de l’Ougandais Dr Specioza Naigaga Wandira Kazibwe (pour l’Afrique de
l’Est), cf. African Top Success, http://www.africatopsuccess.com, consulté le 20 mai 2016.
25
Article 13.1. du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
26
Article 13.3. du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
Page | 7
Il est aussi créé un Comité d’état-major composé d’officiers supérieurs des Etats membres du
CPS. Il est chargé de conseiller et d’assister le Conseil de paix et de sécurité pour tout ce qui
concerne les questions d’ordre militaire et de sécurité en vue du maintien et de la promotion
de la paix et de la sécurité en Afrique. Le Comité d’état-major se réunit aussi souvent que
nécessaire pour examiner les questions qui lui sont soumises par le Conseil de paix et de
sécurité. Il peut aussi se réunir au niveau des chefs d’état-major des Etats membres du Conseil
de paix et de sécurité pour discuter des questions d’ordre militaire et de sécurité en vue de la
promotion et du maintien de la paix et de la sécurité en Afrique. Les chefs d’état-major
soumettent des recommandations au Président de la Commission sur les moyens les meilleurs
pour renforcer les capacités de l’Afrique dans les opérations d’appui à la paix27.
En ce qui concerne la formation, la Commission élabore des directives pour la formation du
personnel civil et militaire des contingents nationaux prépositionnés tant sur le plan
opérationnel que tactique. La formation en droit international humanitaire et dans le domaine
des droits de l’homme, avec un accent sur le droit des femmes et des enfants, doit être partie
intégrante des programmes de formation de ces personnels. Aussi avec la diffusion des règles
de procédure opérationnelles, la Commission cherche d’une part, à faciliter la normalisation
des doctrines de formation, des manuels et des programmes pour les écoles d'excellence
nationales et régionales et d’autre part, à coordonner les cours de formation, de
commandement et d'exercice du personnel de la Force africaine prépositionnée, ainsi que les
exercices de formation sur le terrain28.
La FAA se compose de cinq brigades régionales en attente correspondant aux cinq
communautés économiques régionales (CER) : la force en attente de la CEDEAO, la force en
attente de l’Afrique de l’Est (EASF), la capacité régionale d’Afrique du Nord (NARC), la
force en attente de la SADC (Afrique australe) et la force en attente de l’Afrique centrale
(connue sous le nom FOMAC). Au plan structurel, chaque force régionale comprend trois
composantes classiques : une composante civile (60 personnes par région), une composante
police (720 agents de police et 5 unités de police constituées par région) et une composante
militaire (300 à 500 observateurs militaires, des unités terre-mer-air d’environ 5000 hommes
par région)29.
Mais à l’épreuve des faits, que donne tout ce dispositif institutionnel ?

Bilan provisoire de l’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine


(APSA)
L’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine (APSA) connait un bilan mitigé
avec des passifs et des actifs30. Son CPS entièrement renouvelé en janvier 2016 accueille des
pays qui ne respectent pas les critères ouvrant droit à la qualité de membres comme le
Burundi par exemple qui n’a pas respecté la légalité constitutionnelle ainsi que le respect de
l’Etat de droit et la préservation des droits de l’homme. En effet, son Président a utilisé des
tours de passe-passe pour briguer un 3e mandat que la Constitution l’interdisait. Depuis le
pays vit une situation de trouble et les droits l’homme sont systématiquement violés.
Le Conseil des sages est souvent court-circuité au profit de commissions ad hoc ou de
médiations individuelles. Par exemple, la désignation de Kofi Annan comme médiateur durant
la crise post-électorale au Kenya. C’est le cas aussi, en République Centrafricaine, de la
27
Article 13.10. du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
28
Article 13.14. du protocole créant le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, Durban, 2002.
29
Tamekamta, Alphonse, Zozime, « L’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine (APSA) :
Articulations et enjeux de la gouvernance sécuritaire au XXIe siècle », Note d’Analyse politique, Institut de
recherche et d’enseignement sur la paix, Thinking Africa, n°24, janvier 2015, p.4.
30
Esmenjaud, Romain, « L’Union Africaine 10 ans après », Annuaire français de relations internationales,
vol.13, 2012, p.518.
Page | 8
médiation tchadienne d’Idriss Déby Itno agissant en tant que président en exercice de la
CEEAC ; de la médiation congolaise de Denis Sassou-Nguesso, médiateur officiel, mandaté
par l’UA.
La FAA était prévue d’être opérationnelle en 2010 puis en 2015 mais elle peine encore à être
effective31. Les CER qui doivent fournir les brigades régionales de la FAA sont en déficit
institutionnel et infrastructurel. En Afrique centrale par exemple, les institutions de paix et de
sécurité de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) se sont
élargies et ont gagné du pouvoir depuis sa renaissance à la fin des années 1990. Cependant
certains des organes prévus par son organigramme modifié en 2009 n’ont pas encore été mis
en place, alors que d’autres manquent de personnel qualifié32. En Afrique du Nord, l’Union du
Maghreb Arabe (UMA) n’a pas de structure viable et est dans la léthargie depuis de
nombreuses années en raison des divergences notamment entre l’Algérie et le Maroc. En
Afrique l’Est, il y a une superposition et une concurrence des structures d’intégration comme
l’autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), le marché commun de
l’Afrique orientale et australe (COMESA), ou encore la communauté d’Afrique de l’Est
(EAC). En Afrique australe, la communauté de développement des Etats de l’Afrique australe
est dominée par l’Afrique du Sud (SADC). En Afrique de l’Ouest, à la communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’hégémonie du Nigeria est
contestée par les Etats francophones. Aussi la difficulté de l’UA à intervenir au Mali a conduit
à la décision de mettre en place un nouveau dispositif à savoir la capacité africaine de réponse
immédiate aux crises (CARIC). La création du CARIC a été annoncée le 27 mai 2013 à
l’occasion du 50e anniversaire de l’Union Africaine (UA). Seuls quelques pays ont manifesté
leur volonté d’adhérer au nouveau mécanisme dont l’Afrique du Sud est l’initiatrice. Il y a
aussi l’Algérie, le Kenya, l’Ethiopie, le Nigeria et l’Ouganda. C’est une force qui se veut
provisoire et immédiatement opérationnelle. Car « la crise malienne a laissé entrevoir une
profonde sclérose des institutions panafricaines mises en place depuis le début de la décennie
2000. Elle a surtout mis au grand jour la lente et laborieuse mise en œuvre de la Force
africaine en attente du point de vue de sa capacité d’anticipation, de mobilisation des forces,
de planification et de conduite des opérations de maintien de la paix d’envergure »33.
L’autre talon d’Achille de l’APSA est la question du financement. Il était prévu un fonds de la
paix mais qui s’avère insuffisant pour couvrir toutes les charges utiles aux soutiens à la paix.
Ces difficultés se sont accrues depuis la chute du Président libyen Mouammar Kadhafi34.
L’UA est ainsi dépendante du financement des partenaires extérieurs notamment de l’Union
européenne. Ainsi, pour réduire l’extrême dépendance financière de l’UA vis-à-vis des
apports extérieurs, le 24ème sommet de la conférence des chefs d’Etats et de gouvernement de
l’UA avait retenu quatre options de financements innovantes : la levée des taxes sur les billets
d’avion en partance ou en provenance de l’Afrique (10 dollars US par voyageur), sur les
séjours dans les hôtels ou taxe d’hospitalité (2 dollars US par client), sur le tourisme et sur la
messagerie téléphonique35.
31
La FAA est effective depuis janvier 2016. Mais il faudra attendre le déclenchement d’un conflit pour juger son
efficacité.
32
International Crisis Group, « Mettre en œuvre l’architecture de paix et de sécurité (I) : L’Afrique centrale »,
Rapport Afrique, n°181, 2011, p.11.
33
Nguembock, Samuel, « La capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) : Enjeux géopolitiques
et défis de la mise en œuvre », Note d’Analyse politique, Institut de recherche et d’enseignement sur la paix,
Thinking Africa, n°15, janvier 2014, p.2.
34
La Libye, l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Algérie supportaient 15% du financement de l’UA dont le budget
en 2011 était évalué à 250 millions de dollars américains.
35
Tamekamta, Alphonse, Zozime, « L’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine (APSA) :
Articulations et enjeux de la gouvernance sécuritaire au XXIe siècle », Note d’Analyse politique, Institut de
recherche et d’enseignement sur la paix, Thinking Africa, n°24, janvier 2015, p.5.
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Toutefois, si l’UA est l’institution de conception de cette APSA, il appartient aux CER par le
biais de leurs brigades régionales d’assurer une partie de l’exécution de ces missions de paix,
en fournissant par exemple des troupes bien équipées et bien entraînées. En Afrique de
l’Ouest, c’est à la CEDEAO qu’incombe cette responsabilité.

L’architecture de paix de la CEDEAO, une complémentarité


inconsistante
La CEDEAO qui doit constituer une des brigades de la FAA de l’Union Africaine est l’une
des organisations sous-régionales la plus en avance dans le domaine des opérations de paix.
Dans les années 1990 déjà, elle opéra un revirement stratégique pour s’occuper des questions
de paix et de sécurité à côté de sa mission traditionnelle à savoir l’intégration économique de
ses Etats membres. Elle a opéré des réformes institutionnelles et sa nouvelle architecture
intègre une nouvelle commission, un département paix et sécurité, une nouvelle unité
électorale mais aussi une unité des armes légères sans compter sa force en attente en
préparation. Son Conseil de médiation et de sécurité (CMS) joue à peu près le même rôle que
la CPS de l’UA.

Du Secrétariat exécutif à la Commission de la CEDEAO, un volontarisme à


l’épreuve
Le Secrétariat exécutif est prévu par l’article 17 du traité révisé de Cotonou de 1993. Il est
dirigé par un Secrétaire exécutif qui est le plus haut fonctionnaire de l’organisation. Il est
nommé par la conférence des chefs d’État et de gouvernement pour un mandat de quatre
ans renouvelable une seule fois. Il est secondé par quatre Secrétaires exécutifs adjoints qui
eux sont nommés par le conseil des ministres pour un mandat unique de quatre ans. C’est
l’article 19 alinéa 3 du traité révisé de Cotonou qui définit les pouvoirs du Secrétaire
exécutif36. Outre, le Secrétaire exécutif et les Secrétaires exécutifs adjoints, le Secrétariat
comprend aussi un contrôleur financier et des fonctionnaires dont les postes peuvent être
créés par le conseil des ministres. Seulement, souvent fustigé pour son inefficacité, le
Secrétariat exécutif ayant fait l’objet de plusieurs critiques a dû faire sa mue. Le 31ème
sommet de la conférence des chefs d’États et de gouvernement tenu en janvier 2007 au
Burkina Faso a entériné la transformation du Secrétariat exécutif en Commission calquée
sur le modèle de l’Union Africaine et de l’Union Européenne. En effet, comme le souligne
Philippe Perdrix :

36
L’article 19 alinéa 3 du traité de Cotonou stipule : « sans préjudice de l’étendue générale de ses
responsabilités, le Secrétaire est chargé : […] de l’exécution des décisions de la conférence et de l’application
des règlements du conseil ; […] de la promotion des programmes et projets de développement communautaire
ainsi que des entreprises multinationales de la région ; […] de la convocation en cas de besoin de réunions
de ministres sectoriels pour examiner les questions sectorielles qui contribuent à la réalisation des objectifs
de la Communauté ; […] de l’élaboration des programmes d’activités et du budget de la Communauté et de la
supervision de leur exécution après leur approbation par le conseil ; […] de la préparation d’un rapport sur les
activités de la Communauté à toutes les réunions de la conférence et du conseil ; […] de la préparation des
réunions de la conférence et du conseil et de la fourniture des services techniques nécessaires ainsi que des
réunions des experts et des commissions techniques ; […] du recrutement du personnel et de la nomination aux
postes autres que ceux des fonctionnaires statutaires conformément au statut et au règlement du personnel ;
[…] de la soumission de propositions et de l’élaboration d’études qui peuvent aider au bon fonctionnement et
au développement harmonieux et efficace de la Communauté ; […] de l’élaboration de projet de texte à
soumettre à la conférence ou au conseil pour approbation ».
Page | 10
« Si un Secrétariat se contente d’exécuter les directives fixées par les
gouvernements, une Commission elle permet à toute structure régionale d’accentuer sa
légitimité. […] Elle détient un réel pouvoir de proposition et dispose des outils
nécessaires pour imposer un fonctionnement autonome »37.
Il y avait 7 commissaires au départ puis 9, aujourd’hui ils sont 13 dont le Commissariat aux
affaires politiques, à la paix et à la sécurité. Ce Commissariat comprend trois départements à
savoir le département de l’alerte précoce ; le département des affaires politiques et le
département paix et sécurité38. Toutefois cette commission malgré son caractère novateur
ne remet pas en cause le principe fondateur et l’épine dorsale des relations
internationales, à savoir la souveraineté des États. La nouvelle Commission est composée
d’un président, d’un vice-président et de onze commissaires nommés pour un mandat de
quatre ans. Ces réformes pourront-elles permettre à la CEDEAO de fonctionner désormais
avec plus d’efficacité ? Le doute est permis. Car le régime de faveur accordé au Nigéria
qui détiendra d’office un poste permanent au sein de la Commission ne manquera pas
de provoquer des remous et des frictions entre États membres de la Communauté.
D’ailleurs, le Sénégal, dès la nomination des commissaires, a manifesté sa désapprobation
estimant que le poste qui lui est revenu ne correspondait ni à son poids dans la Communauté,
ni à son rang allant même jusqu’à accuser le Secrétaire exécutif de la CEDEAO de
falsification de documents et d’imitation de signature39. Pour assurer l’effectivité du
mécanisme, la conférence des chefs d’Etats et de gouvernement mise sur la Conseil de
médiation et de sécurité.

Le Conseil de médiation et sécurité (CMS), organe de mise en œuvre du


mécanisme
Le Conseil de médiation et de sécurité est composée de 9 Etats membres dont 7 sont élus par
la conférence des chefs d’Etats et de gouvernement de la CEDEAO. Les deux autres
membres que sont la présidence de la conférence et la présidence immédiatement précédente
sont automatiquement membres de droit du Conseil de médiation et de sécurité. Ils sont élus
pour deux ans renouvelables. Le CMS prend au nom de la conférence des chefs d’Etats et de
gouvernement de la CEDEAO des décisions sur des questions liées à la paix et à la sécurité
en Afrique de l’Ouest et assure la mise en œuvre des dispositions du protocole portant
mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, la paix et la sécurité40.
Il assure plusieurs autres fonctions : il décide de toutes questions relatives la paix et à la
sécurité ; il met en œuvre les politiques de prévention, de gestion et de règlement des
conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ; il autorise toutes les formes d’intervention
et décide notamment du déploiement des missions politiques et militaires ; il approuve les
mandats et les termes de référence de ces missions ; il révise périodiquement ces mandats et
termes de références en fonction de l’évolution de la situation ; sur recommandation du
Président de la Commission nomme le représentant spécial du Président de la Commission et
le commandant de la force41.
En outre, les travaux du CMS se déroule à trois niveaux : au niveau des chefs d’Etats et de

37
Perdrix, Philippe, « CEDEAO : Des habits neufs », Jeune Afrique, n°2372, du 25 juin au 1er juillet 2006, p.38.
38
Cf. le site de la CEDEAO, http://www.comm.ecowas.int, consulté le 22 mai 2016.
39
C’est la Commission de développement et genre qui est revenue au Sénégal. cf. Le Quotidien, quotidien
d’informations générales sénégalais en date du 22 janvier 2007 avec l’article : « CEDEAO - Le Sénégal
reçoit la Commission de développement humain et genre : Wade crache sur le poste et boude les travaux ».
40
CEDEAO, Protocole portant mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, la paix et
la sécurité, Lomé, CEDEAO, 1999, Article 10.
41
Article 10 alinéa 2 du protocole portant mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits,
la paix et la sécurité.
Page | 11
gouvernement, au niveau des ministres et au niveau des ambassadeurs. Au niveau des chefs
d’Etats et de gouvernement d’abord, ils se réunissent au moins deux fois par an en session
ordinaire. Le président en exercice peut en cas de besoin ou à la requête de la majorité
simple des membres du Conseil, convoquer des sessions extraordinaires. C’est au niveau des
chefs d’Etats que sont approuvés les termes de référence des missions sur le terrain. Au
niveau ministériel ensuite, les ministres des affaires étrangères, de la défense, de l’intérieur
et de la sécurité du CMS se réunissent au moins une fois tous les trois mois pour examiner la
situation politique générale et la sécurité dans la sous-région. Ils peuvent se réunir aussi
fréquemment que la situation l’exige. Les recommandations de ces travaux ministériels sont
soumises aux chefs d’Etats et de gouvernement siégeant au sein du CMS42. Au niveau des
ambassadeurs enfin, les ambassadeurs des Etats membres du CMS, représentants permanents
de leurs pays auprès du Président de la Commission de la CEDEAO, se réunissent une fois
par mois afin de procéder à un examen des questions relatives à la paix et à la sécurité de la
sous-région. Ils peuvent aussi se réunir plus fréquemment en cas de besoin. Les rapports et
recommandations issus de leurs travaux sont transmis par le Président de la Commission à
tous les Etats membres du CMS et aux Etats concernés. Ces rapports sont également soumis
à l’examen de la réunion des Ministres du CMS43. Le CMS peut s’appuyer sur de l’expertise
technique à savoir la Commission défense et sécurité pour éclairer ses décisions.

La Commission défense et sécurité, l’expertise technique du maintien de la


paix
Elle est composée des chefs d’état-major général des armées ou de leur équivalent ; des
responsables des ministères de l’intérieur et de la sécurité ; des experts du ministère des
affaires étrangères de chaque pays. Selon les questions inscrites à l’ordre du jour, la
Commission défense et sécurité peut recevoir en son sein des responsables des services de
l’immigration, de la douane, de la lutte contre la drogue et des stupéfiants, de la sécurité des
frontières ou de la protection civile44.
La Commission défense et sécurité a pour fonction d’étudier les aspects techniques et
administratifs pour déterminer les besoins en logistique dans le cadre des opérations de paix.
Elle assiste aussi le CMS dans le cadre de la formulation du mandat de la force de maintien
de la paix ; à l’élaboration des termes de référence de la force ; à la nomination du
Commandant de la force ou à la détermination de la composition des contingents. La
Commission défense et sécurité se réunit une fois par trimestre et en cas de besoin pour
examiner les rapports produits par le centre d’observation et de suivi, et fait des
recommandations au CMS45.
Même si les militaires ont l’expertise de la guerre et du maintien de la paix, mais tenant
compte de l’héritage socio-historique des pays membres, les dirigeants communautaires ont
jugé opportuns de créer un Conseil des sages qui peut effectuer des missions de bons offices
et de médiations.

42
Par exemple, la 36ème session du Conseil de médiation et de sécurité de la CEDEAO s’est tenue à Dakar
(Sénégal) le 12 mai 2016 sous l’égide du ministre des affaires du Sénégal dont le pays assurait la présidence en
exercice de la CEDEAO. cf. Pressafrik, http://www.pressafrik.com/36eme-Session-du-Conseil-de-mediation-et-
de-securite-de-la-CEDEAO_a149586.html, consulté le 22 mai 2016.
43
Article 14 alinéa 3 du protocole de la CEDEAO portant mécanisme pour la prévention, la gestion et le
règlement des conflits, la paix et la sécurité.
44
Article 18 du protocole de la CEDEAO portant mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des
conflits, la paix et la sécurité.
45
Article 19 du protocole de la CEDEAO portant mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des
conflits, la paix et la sécurité.
Page | 12
Le Conseil des sages, des médiateurs si peu ordinaires
Le président de la Commission de la CEDEAO dresse chaque année une liste d’éminentes
personnalités qui peuvent, au nom de la CEDEAO, user de leurs bons offices et de leurs
compétences pour jouer le rôle de médiateur, de conciliateur ou d’arbitre. Ces personnalités
peuvent provenir des diverses couches de la société y compris donc parmi les femmes, les
responsables politiques, les chefs coutumiers et traditionnels. Cette liste est approuvée par le
CMS au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement. Ils doivent être neutres, impartiaux et
objectifs46. Ces personnalités sont sollicitées chaque fois que nécessaire par le président de la
Commission de la CEDEAO ou par le CMS pour traiter d’une situation de conflit donné. La
composition et le mandat du Conseil des sages sont définis par le président de la
Commission en fonction de la mission à accomplir. Il rend compte à ce dernier qui a son tour
rend compte au CMS des initiatives entreprises.
Toutefois, si les mécanismes de veille et d’anticipation de la violence fonctionnent, le
recours au Conseil des sages ne sera plus opportun.

Le système d’alerte précoce de la CEDEAO, une volonté d’anticipation des


menaces et des risques
La CEDEAO à l’image de l’UA s’est dotée d’un système d’alerte précoce qui fait du
renseignement ouvert en collectant des données sur les indicateurs de tensions. Toutefois, les
bureaux de zones sont parfois incapables de remplir les tâches qui leur sont confiées surtout
s’ils couvrent parfois quatre à cinq pays. Pour la Zone 3 par exemple, qui couvre le Ghana,
le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée et dont le siège est à Monrovia, il n’y a pas
suffisamment de personnels pour couvrir autant de pays. Aussi, si les agents font du
renseignement public, les sources peuvent parfois être contrôlées ou limitées. Mais puisque
dans chaque État, il y a un reporter et un suppléant qui sont choisis par le gouvernement
et un autre reporter choisi par la société civile, ils peuvent aider à équilibrer les
informations. Au quotidien, ils envoient des rapports d’incidents qui soulignent tout
incident ponctuel survenu dans le pays. Chaque semaine, ils font un rapport de situation
(c’est ce qui dessine la tendance) et les analystes à Abuja analysent les tendances. Et chaque
trimestre le centre fait un rapport au Conseil de médiation et de sécurité (CMS) de la
CEDEAO pour attirer son attention sur la situation sécuritaire de la sous-région et peut
recommander des mesures en faveur d’un pays qui constitue une poudrière. Seulement, le
Centre étant un organe statutaire il devrait être financé normalement par le budget de la
CEDEAO. Mais ce sont des appuis de partenaires extérieurs comme l’Agence américaine
de développement international (USAID), l’Union Européenne et la Banque africaine de
développement (BAD) par le biais de l’Union Africaine qui financent une bonne partie
des programmes. Seulement, les mécanismes de veille et d’alerte n’auront une utilité que si
les règles de dévolution et d’exercice du pouvoir sont partagées et acceptées par tous les
acteurs politiques.

L’unité des affaires électorales, désamorcer les processus chaotiques de


dévolution du pouvoir
La CEDEAO a créé une unité des affaires électorales en juillet 2006 qui dépend du
département des affaires politiques. A-t-elle fait le constat que la plupart des conflits
découlent des processus de dévolution du pouvoir ? Mais comme toujours, la CEDEAO
adopte des textes, crée des structures sans trop se poser la question du financement et donc
de la viabilité de ces institutions communautaires. Sinon, comment comprendre que cette
46
Article 20 du protocole de la CEDEAO portant mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des
conflits, la paix et la sécurité.
Page | 13
nouvelle unité électorale qui est un organe statutaire prévu par le protocole relatif au
mécanisme sur la prévention, la gestion et le règlement des conflits, la paix et la sécurité
de 1999 et le protocole additionnel sur la bonne gouvernance et la démocratie de 2001, soit
financée par une source externe. En effet, c’est Open Society Initiative for West Africa
(OSIWA), la branche ouest-africaine de la fondation Georges Soros, ce milliardaire
américain, qui assure son financement et à terme, la CEDEAO appréciera la situation
pour voir si elle va prendre le financement dans son budget. Une telle structure qui
dépend du financement extérieur peut-elle faire face aux problèmes de logistiques en cas
d’organisation imprévue d’élection dans un pays membre par exemple ? Aussi le personnel
électoral dans les pays manque de formation malgré leur dévouement. Il est formé parfois
en une demi-journée. Les partis politiques de l’opposition se servent aussi des
observateurs de la CEDEAO pour avancer leurs doléances. Or, généralement en dehors de
la capitale, rares sont les partis d’opposition qui ont des représentants dans les bureaux de
vote.
Une autre difficulté, c’est le manque de cadre permanent de dialogue et de concertation
entre les acteurs politiques. Une piste que la CEDEAO devrait explorer pour pacifier les
tensions de la vie politique dans ses États membres. Aussi, l’unité électorale, comme la
CEDEAO ne peuvent pas aller à l’encontre de la souveraineté des États. L’unité se
risquera-t-elle à prendre des sanctions contre des pays qui par exemple à six mois des
élections modifient leurs lois électorales sans consensus des différents acteurs politiques
comme le prévoit la convention de la CEDEAO sur la bonne gouvernance et la démocratie
de 2001 ? Tout ce qu’elle peut plutôt faire c’est de la médiation et des pressions médiatiques.
Et si ces tentatives échouent le conflit dégénère la CEDEAO sera obligée de recours à une
intervention militaire par le biais de sa force en attente.

La force en attente de la CEDEAO, des soldats de la cause de la paix


La force en attente de la CEDEAO une structure composée de plusieurs modules polyvalents
civils et militaires en attente dans leurs pays d’origine et prêts à être déployés dans les
meilleurs délais. Cette force est chargée de plusieurs missions comme l’observation et le suivi
de la paix ; le maintien et le rétablissement de la paix ; l’appui aux actions humanitaires ;
l’application des sanctions y compris les embargos ; le déploiement préventif ; des opérations
de consolidation de la paix, de désarmement et de démobilisation ; des activités de police,
notamment la lutte contre la fraude et la criminalité47. C’est une force d’environ 5000 soldats
qui devrait être la brigade ouest-africaine de la force en attente de l’Union Africaine.
Par exemple, la mission de la CEDEAO en Côte d’Ivoire (MICECI) avait pour mandat
d’une part, de veiller à l’application stricte de l’accord de cessation des hostilités par
l’occupation d’une zone d’observation et de sécurisation tout en s’efforçant de gagner la
confiance des parties au conflit et d’autre part, d’instaurer un système d’escorte des convois
humanitaires. Articulé autour d’un Général, Commandant de la force, la MICECI disposait
d’un état-major installé à Abidjan articulé autour d’un poste de commandement et de
quelques cellules de l’état-major. Les autres cellules constituaient le poste de
commandement avancé projeté à Zambakro. Il y avait aussi des détachements de soutien à
Abidjan et à Yamoussoukro ; enfin, il y avait cinq sous- groupements nationaux déployés sur
le terrain, plus un sous-groupement mixte (Bénin/Togo) en réserve d’intervention et un sous-
groupement chargé de la sécurité des ministres des forces nouvelles. Au total, la mission était

47
Article 22 du protocole de la CEDEAO portant mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des
conflits, la paix et la sécurité.
Page | 14
composée de 1477 hommes48.
Pourtant, une opération de maintien de la paix nécessite des structures de planification et de
gestion des missions. Et puisque le maintien de la paix et de la sécurité ne faisait pas partie
des missions originelles de la CEDEAO, elle n’était pas préparée pour une telle tâche. Le
résultat s’est fait sentir durant ses interventions. L’on a constaté un problème d’articulation,
d’harmonisation des différents contingents qui n’ont pas la même culture militaire, ni les
mêmes formations et les mêmes équipements. Il n’y avait pas non plus de procédure
opérationnelle standardisée pour unifier les pratiques. Au moment du déclenchement du
conflit en Côte d’Ivoire, le staff pour le soutien à la paix au Secrétariat de la CEDEAO était
composé de deux personnes : un chargé de programme principal en paix et sécurité et un
chargé de programme en affaires politiques49. Aussi, les pays qui sont confrontés à des
problèmes intérieurs n’ont pas les moyens d’envoyer ni un grand nombre de soldats, ni
de les équiper. Aussi, l’état-major était déployé sans le soutien administratif pour son travail,
notamment de moyens de communication pour être en contact avec les populations. Ce qui
est important dans le cadre d’une opération de maintien de la paix. Le staff du représentant
du Secrétaire exécutif était inadéquat. Au Libéria toujours en 2003, il n’y avait aucun
conseiller et en Côte d’Ivoire c’était un conseiller militaire50.
De même, le rapport sur les opérations de paix de la CEDEAO précité réalisé par le Centre
Kofi Annan soulignait le manque de coordination avec les organisations de secours
humanitaires. Car la CEDEAO n’a pas de guide pour la coopération avec les organisations
civiles. Or une composante civile incluant des conseillers politiques, des experts en
logistique, en droit de la personne, en relations publiques est nécessaire pour une bonne
exécution d’une opération de maintien de la paix. La Commission manquait de capacité de
planification et de gestion des conflits. En effet, on avait sous-estimé la gravité de la
situation militaire en Côte d’Ivoire et les soldats envoyés qui étaient au nombre de 500
personnes au départ étaient insuffisants pour exécuter la mission. Il n’y avait pas de
procédure uniforme acceptée par tous les États membres pour guider les actions de
planification, de préparation et de déploiement des troupes de la CEDEAO. Dans le passé
aussi, le représentant spécial du Secrétaire exécutif était ignoré par le commandement
militaire de l’ECOMOG qui contrôlait tous les pouvoirs et les ressources de la mission. Or
dans le cadre des Nations Unies, le représentant spécial du Secrétaire général est le chef de
la mission et le commandement militaire est subordonné à lui. Mais le protocole de 1999 sur
la prévention, la gestion et le règlement des conflits, la paix et la sécurité apporte des
changements et définit plus clairement le rôle du représentant spécial du président de la
Commission de la CEDEAO51. Par ailleurs, l’article 34 de ce même texte règle la question du
rapport hiérarchique entre le représentant spécial et le commandant de la force de la
CEDEAO52.
En somme, la mission de la CEDEAO en Côte d’Ivoire a présenté quelques faiblesses
comme : le manque de logistiques propres bien intégrées permettant une intervention rapide
48
CEDEAO, Mission de la CEDEAO en Côte d’Ivoire, Exposé du commandant de la force, réunion des chefs
d’états-majors des armées (CEMA), Abuja, Nigéria, février 2004, p.3.
49
CEDEAO, Report of the ECOWAS Workshop, Lessons from ECOWAS Peacekeeping Operations: 1990-
2004, Accra, 10-11 February 2005, p.19.
50
CEDEAO, Report of the ECOWAS Workshop, Lessons from ECOWAS Peacekeeping Operations…, op., cit.,
p.2.
51
L’article 32 de ce texte stipule en effet : « en tant que chef de mission, le représentant spécial est chargé de
l’orientation politique de la mission. Il coordonne l’action des organisations sous-régionales et internationales,
y compris les ONG… », cf. CEDEAO, Protocole sur la prévention, la gestion et le règlement des conflits, la
paix et la sécurité, Lomé, 1999, Article 32, (a) et (d).
52
L’alinéa 2 stipule : « Le Commandant de la force rend compte au Secrétaire exécutif par le biais du
représentant spécial ».
Page | 15
et réussie ; jusqu’à présent, la CEDEAO n’a pas pu générer ses propres ressources pour ses
interventions ; les barrières linguistiques constituent toujours un obstacle pour la
compréhension mutuelle entre soldats même si en Côte d’Ivoire le problème s’était posé
avec moins d’acuité ; la CEDEAO en Côte d’Ivoire n’avait pas un commandement
stratégique qui donnait des orientations et des pistes à partir de son siège à Abuja pour
piloter la mission. D’ailleurs comme le souligne Adekeye Adebajo:

“As with the ECOMOG mission in Guinea-Bissau, the mission in Côte d’Ivoire was largely
financed and equipped by France, with other logistical and financial assistance provided by
Belgium, Britain, the Netherlands and the US”53.

Mais des évolutions positives ont aussi été notées comme : le consensus total de la part de
tous les chefs d’États et de gouvernement de la CEDEAO qui ont accepté de déployer une
force en Côte d’Ivoire ; pour la première fois, il y a eu un représentant spécial de la
CEDEAO qui était le chef de la mission et coiffait les autorités militaires à qui il rendait
compte et ce dernier informait ses supérieurs au siège de l’organisation ; la dimension civile
de la mission a été plus importante et plus visible que par rapport aux interventions
antérieures ; le passage du témoin entre l’ONU et la CEDEAO (RE- HATTING) s’est mieux
passé en Côte d’Ivoire qu’au Libéria ou en Sierra Leone. Même si les responsables au
plus haut niveau de commandement doivent être plus familiers avec les règles et les
procédures de l’ONU54. Finalement, l’ONU prendra le relais et les forces de la
CEDEAO seront intégrées dans le contingent des Nations Unies.
D’un organisme de coopération, la CEDEAO est devenue donc un acteur de la paix depuis le
début des années 1990. Au fil de ses interventions, elle est devenue un exemple et un
laboratoire d’expérimentation pour les autres sous-régions africaines et même pour l’Union
Africaine en matière de maintien de la paix.
Ainsi, l’intervention de la CEDEAO au Mali revêt une importance stratégique car elle devait
marquer la maturité de l’organisation en matière de maintien de la paix. Et sa force en attente
qui est l’une des brigades de la force en attente de l’Union Africaine était prévue pour être
opérationnelle. Cette intervention était la première occasion pour tester l’efficacité de la force
en attente. Au lendemain du coup d’état du 22 mars 2012, la CEDEAO, à l’image des
chancelleries occidentales, condamne jusqu’à la dernière énergie cette entorse à la légalité
républicaine. Dans un communiqué de la Commission de la CEDEAO, on pouvait lire :

« La Commission de la CEDEAO vient d’apprendre avec une profonde consternation et une


grande déception l’annonce du renversement du gouvernement de la République du Mali
conduit par son Excellence Amadou Toumani Touré aux premières heures du 22 mars 2012 et
son remplacement par une junte militaire de jeunes officiers dénommée Comité National de
Rectification de la Démocratie et de Restauration de l’État (CNRDR), conduit par le
Capitaine Amadou Aya Sanogo. La Commission condamne avec fermeté, cette usurpation du
pouvoir du gouvernement démocratiquement élu, juste un mois avant que la nation n’aille aux
urnes pour élire un nouveau Président. L’action de la junte est complètement en contradiction
avec les dispositions du protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne
gouvernance et compromet sérieusement les acquis enregistrés difficilement par la CEDEAO

53
Adebajo, Adekeye, “ECOMOG: Problems, Progress, and Prospects”, dans Adebajo, Adekeye, Africa Conflict,
Peace and Governance Monitor 2005. An Annual Publication on the State of Governance in Africa, Dokun
Publishing House, 2005, p.4.
54
CEDEAO, Report of the ECOWAS Workshop, Lessons from ECOWAS Peacekeeping Operations…, op., cit.,
p.42.
Page | 16
au cours des deux dernières décennies pour instaurer la culture démocratique et la règle du
droit »55.
Les États membres de la CEDEAO décident alors d’envoyer des troupes au Mali. Mais le
degré d’impréparation ("readyness") de la force en attente de la CEDEAO est perceptible à
travers d’une part, la faiblesse des capacités de l’organisation en matière d’opérations de paix
notamment le défaut de moyens financiers. En effet, les difficultés budgétaires et financières
de la CEDEAO découlent de son mode de financement qui repose essentiellement sur la
contribution des États membres et l’aide des donateurs. C’est pour amoindrir ce système assez
aléatoire qu’a été imaginé le prélèvement communautaire qui n’est pas sans poser problème
aussi. C’est le chapitre 14 du traité révisé de Cotonou de 1993 qui prévoit les dispositions
financières concernant la CEDEAO. Au terme de l’article 70 de ce texte, il est dit : « les
budgets ordinaires de la Communauté et de ses institutions sont alimentés par un prélèvement
communautaire et de toutes autres sources qui peuvent être déterminées par le Conseil des
ministres. En attendant l’entrée en vigueur du prélèvement communautaire, les budgets de la
Communauté et de ses institutions sont alimentés par les contributions annuelles des États
membres ».
Seulement, le mode de calcul de la contribution des États est déterminé par un protocole. Ce
protocole fixe la contribution de chaque État membre sur la base d’un coefficient qui tient
compte du produit intérieur brut de chaque État et du revenu per capita de tous les États
membres56. A cet effet, le coefficient doit être calculé comme représentant la moitié du
rapport entre le produit intérieur brut de chaque État membre et le produit intérieur brut total
de tous les États membres, plus la moitié du rapport entre le revenu per capita de chaque État
et le revenu per capita total de tous les États membres. Ce sont les statistiques et autres
données publiées par les Nations Unies sur le produit intérieur brut et le revenu per capita des
États membres qui sont utilisées pour le calcul de la contribution de chaque État. Ce
coefficient fait l’objet d’un réexamen tous les trois ans. Pour le paiement, les États doivent
verser leurs contributions dans les trois premiers mois de l’exercice budgétaire auquel elles se
rapportent. Seulement certains États traînent les pieds en matière de paiements des
contributions. Par exemple, pour l’exercice 2006, et d’après le rapport annuel du Secrétaire
exécutif de la CEDEAO : « au cours de la période de janvier à septembre, le niveau des
revenus reçus par les institutions de la CEDEAO s’élevait à 45.725.840 unités de compte, soit
55% du budget de l’exercice »57.
Mais, la CEDEAO reçoit d’autres ressources provenant des bailleurs de fonds et depuis
l’entrée en vigueur du prélèvement communautaire en 2004, les États ne paient plus de
contribution directe. La CEDEAO bénéficie aussi de l’appui des partenaires au
développement en termes d’apport financier. Ce soutien se traduit par un flux considérable de
financement accordé à la Commission pour l’exécution de ces programmes notamment en
matière de paix et d’intégration économique. C’est ainsi qu’a été créé le fonds des donateurs
demandé par les trois principaux bailleurs de la CEDEAO que sont la France, le Canada et le
Royaume-Uni. Une unité de gestion des financements émanant des bailleurs a été mise sur
pied. Sa mission consiste à gérer les financements de manière judicieuse en respectant les
procédures fixées par les donateurs ; superviser les politiques financières, comptables et
administratives ; veiller au respect des procédures et des règles des donateurs en matière de
passation des marchés. En 2005 par exemple, le gouvernement japonais avait donné 99.423
unités de compte, la Banque Mondiale 75.156 unités de compte, le Canada par l’entremise de
55
CEDEAO, Communiqué de la CEDEAO après le coup d’état au Mali, Abuja, Commission de la CEDEAO,
n°074/2012, 22 mars 2012.
56
Article 2 du protocole de la CEDEAO fixant les modalités de détermination des contributions des États
membres et les monnaies de paiements.
57
CEDEAO, Rapport annuel du Secrétaire exécutif, Abuja, Nigéria, 2006, p.191.
Page | 17
l’Agence canadienne de développement international (ACDI) avait donné 81.494 unités de
compte et la France a contribué autour de 40.889 unités de compte58.
Toutefois, pour contourner les difficultés de paiements de ses États membres, la CEDEAO
s’inspirant du modèle du tarif extérieur commun (TEC) de l’union économique et monétaire
ouest-africaine (UEMOA) a adopté en 2003, le système du prélèvement communautaire. Le
prélèvement communautaire est un impôt de solidarité de 0,5% tiré des importations des
produits entrant dans la Zone CEDEAO. Par ailleurs, selon les spécialistes des questions
économiques et monétaires, c’est le Fonds Monétaire International (FMI) qui est à l’origine
du tarif extérieur commun. C’est une mesure d’ajustement structurel qui est présentée comme
une mesure d’intégration59.
Aussi, si certains États comme le Niger ou le Togo ont consenti des efforts supplémentaires
en appliquant un prélèvement de 1% au lieu de 0,5% afin de générer suffisamment de
ressources pour éponger leurs arriérés de contributions auprès de la CEDEAO, d’autres n’ont
pas honoré leurs obligations financières dans ce cadre. D’après le rapport annuel du Secrétaire
exécutif de 2005, douze des quinze membres qui composent la CEDEAO ont des soldes
impayés dont l’essentiel remonte à plus de dix ans60. Dans tous les cas, la Commission s’est
attachée à signaler les anomalies relevées aux États membres concernés afin que des mesures
correctives soient prises61.
Au fond, le problème majeur de la CEDEAO en matière financière, c’est que contrairement à
l’ONU, elle n’a pas de budget de maintien de la paix et de budgets pour les programmes. Si
un conflit éclate dans la sous-région, elle est obligée de faire appel aux bailleurs de fonds
étrangers et aux partenaires au développement pour payer ses soldats de la paix et les aider à
l’acquisition du matériel et de la logistique. Or les partenaires peuvent parfois être pris dans
d’autres théâtres d’opération.
Aussi, la CEDEAO a supprimé la contribution des États membres au budget ordinaire et l’a
remplacé par le prélèvement communautaire. Une partie de ce prélèvement communautaire
est versée au fonds de la paix. Ce fonds, qui tourne autour d’un million de dollar, justement ne
permet que de financer des réunions statutaires mais n’est pas capable de soutenir une
opération de maintien de la paix qui est coûteuse. Seulement, la logique aurait voulu que les
États continuent à payer leurs contributions au budget ordinaire même s’ils accusent du retard
pour s’acquitter de leurs obligations. Le prélèvement communautaire servirait totalement au
fonds de la paix et un autre impôt communautaire devrait être créé pour financer les
programmes d’intégration. Ainsi, l’apport des bailleurs de fonds et des partenaires au
développement viendrait en appoint à tous ces efforts. Par exemple, le budget de la CEDEAO
tourne autour de 6 millions de dollars. Pourtant, la CEDEAO et l’Union Africaine (UA)
avaient établi les besoins et objectifs de financement de la mission internationale de soutien
au Mali à 460 millions de dollars lors de la conférence des donateurs du 29 janvier 2013 à
Addis-Abeba. Des promesses de contributions avaient été faites autour de 455 millions de
dollars. L’Union Africaine pour sa part avait décidé de débloquer 50 millions de dollars dont
25 millions immédiatement mis à disposition et 25 millions en contributions obligatoires des
États membres. En tout état de cause, certaines capitales ouest-africaines ont pu indiquer que
les moyens financiers promis n’ont pas été mobilisés comme espéré, contraignant les États à
engager leurs propres ressources62. Les modalités de l’engagement sénégalais sont
illustratives de cet état de fait, car loin d’être le plus laborieux, grâce à sa proximité
58
CEDEAO, Rapport annuel du Secrétaire exécutif de la CEDEAO, Abuja, Nigéria, 2005, p.177.
59
Diouf, Makhtar, « Le nouveau régionalisme en Afrique », Revue de l’IFAN, UCAD, août 2002, p.14.
60
CEDEAO, Rapport annuel du Secrétaire exécutif de la CEDEAO, Abuja, Nigéria, 2005, p.114.
61
CEDEAO, Rapport annuel du Secrétaire exécutif de la CEDEAO, Abuja, Nigéria, 2005, p.115.
62
Sow, Djiby, « La montée en puissance de la MISMA », Réseau de recherche sur les opérations de paix,
http://www.operationspaix.net, consulté le 17 mars 2014.
Page | 18
géographique, le déploiement du contingent promis s’est pourtant effectué en trois vagues,
dont au moins une (la première) s’est effectuée par la route faute de moyens de transport
aériens. Le pays s’est par ailleurs engagé financièrement à hauteur de 2 millions de dollars
"[…] avant de se faire rembourser par la MISMA"63.

La complémentarité défaillante entre l’UA et la CEDEAO


En 2008 a été signé le protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la
sécurité entre l’Union Africaine et les communautés économiques régionales (CER)64. En
paraphant ces accords, les parties voulaient renforcer leur coopération et coordonner leurs
activités pour éliminer les fléaux des conflits sur le continent. Ce protocole poursuivait
plusieurs objectifs comme par exemple : contribuer à la mise en œuvre opérationnelle
intégrale et au fonctionnement effectif de l’architecture continentale de paix et de sécurité ;
assurer l’échange régulier d’informations entre les parties sur toutes leurs activités relatives à
la promotion et au maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique ; promouvoir
un partenariat plus étroit entre les parties pour la promotion, le maintien de la paix, de la
sécurité et de la stabilité sur le continent et renforcer la coordination de leurs activités65. L’un
des aspects fondamentaux de cette coopération est le respect des principes de subsidiarité, de
complémentarité ainsi que des avantages comparatifs respectifs des parties, afin d’optimiser le
partenariat entre l’UA, les CER et les mécanismes de coordination dans la promotion et le
maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité.
Or dans la pratique, cette complémentarité est défaillante. Il n’y a jamais eu en Afrique de
l’Ouest un passage de témoin (« RE-HATTING ») entre la CEDEAO et l’UA. On passe de la
CEDEAO à l’ONU en sautant l’étape de l’UA. Lorsque l’organisation continentale intervient
c’est souvent au niveau diplomatique et non au niveau militaire et ses efforts sont souvent
critiqués voire contestés. Par exemple, durant la crise ivoirienne, le médiateur de l’Union
Africaine, l’ancien président Sud-africain, Thabo Mbéki a été accusé de partialité par les
forces nouvelles et les partis d’opposition de la Côte d’Ivoire qui estimaient que leurs seuls
interlocuteurs c’était le groupe de travail international (GTI) et le Premier ministre66. Jacques
Chirac, le président français de l’époque avait inauguré les déclarations inamicales quelques
mois après le début de la médiation sud-africaine en exprimant publiquement des doutes sur la
connaissance par le président Thabo Mbéki de « l’âme et de la psychologie des gens de
l’Afrique de l’Ouest »67. La crise ivoirienne a ainsi montré les carences de la coordination
des actions en matière de médiation et de résolution des conflits en Afrique entre l’UA et la
CEDEAO. Le conflit malien offre un autre exemple de la faiblesse de la coopération entre les
deux organisations. On est passé de l’intervention de la CEDEAO à l’opération SERVAL de la

63
Entretien avec "Macky Sall, Président Sénégalais", France24.com, 2 février 2013.
64
Cet accord lie l’Union Africaine et les organisations suivantes : l’Autorité inter-gouvernementale pour le
développement (IGAD), la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la
communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), la communauté des Etats sahélo-sahéliens
(CEN-SAD), le marché commun de l’Afrique de l’Est et australe (COMESA), la communauté de l’Afrique de
l’Est (EAC), la communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’Union du Maghreb arabe
(UMA) ainsi que le mécanisme de coordination de la brigade régionale en attente de l’Afrique de l’Est
(EASBRICOM) et la capacité régionale de l’Afrique du Nord (NARC), qui ne sont pas gérées par des
communautés économiques régionales.
65
Union Africaine, Protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité entre l’Union
Africaine et les communautés économiques régionales et les mécanismes de coordination des brigades
régionales en attente en Afrique de l’Est et du Nord, Addis Abéba, Union Africaine, 2008, Article III.
66
Mady, Alphonse, Djédjé, « Médiation sud-africaine : l’opposition rejette le retour de Mbéki », L’Inter, 3
février 2006.
67
Pompey, Fabienne ; Tréan, Claire, « Les propos de Jacques Chirac irritent les Sud-Africains », Le Monde, 5
février 2005.
Page | 19
France puis l’entrée en scène de l’ONU. Pourtant depuis sa création en 2002, l’UA a défini
une large gamme d’instruments juridiques et organisationnels pour tenter de venir à bout du
phénomène des conflits en Afrique. Toutefois, malgré son volontarisme, les mesures mises en
place peinent à donner des résultats concluants. C’est le manque d’opérationnalité de sa force
en attente qui est à l’ origine de la création de la capacité africaine de réponse immédiate aux
crises (CARIC). La majorité des programmes de l’Union Africaine sont financés par l’Union
Européenne à travers la facilité de soutien à la paix pour l’Afrique (African Peace Facility-
APF) qui est versée à l’organisation continentale puis redistribuée aux organisations
régionales68.
Mais la montée des actions terroristes en Afrique de l’Ouest à laquelle les pays de la région
sont désarmés a poussé les Etats membres de l’UEMOA à créer un nouveau chantier de la
paix qui a bien des égards concurrencent la CEDEAO.

Le nouveau chantier de la paix et de la sécurité de l’UEMOA, une


« concurrence déloyale »
Le projet de programme stratégique pour la paix et la sécurité dans l’espace de l’Union
économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a été validé par la conférence des chefs
d’Etat et de gouvernement de l’organisation sous-régionale le 24 octobre 2013 par un
protocole instituant la politique commune de l’UEMOA dans le domaine de la paix et de la
sécurité. Selon l’article 3 du protocole précité :

« La politique commune de l’UEMOA dans le domaine de la paix et de la sécurité a pour


objectifs : de contribuer à la prévention des conflits et des crises ; de renforcer la gouvernance
politique ; d’identifier la lutte contre le terrorisme en l’inscrivant dans la dynamique de la
coopération internationale ; de prévenir la criminalité transfrontalière et de lutter efficacement
contre les réseaux mafieux, notamment le trafic de drogue, la prolifération des armes légères et
de petit calibre ; la traite des êtres humains, la cybercriminalité et le blanchissement de
capitaux ; de renforcer la sécurité des citoyens et des activités économiques au sein de
l’Union »69

La politique commune de sécurité et de paix de l’UEMOA, d’après ses concepteurs, couvre


tous les enjeux sécuritaires de la sous-région, y compris la prévention, la contribution à la
gestion des conflits, la consolidation de la paix et les conditions pour une meilleure
gouvernance politico-institutionnelle. A ce titre, elle privilégie le développement de projets
entrant dans le cadre du renforcement de la sécurité intérieure ; de la mise en cohérence des
politiques nationales de sécurité ; du renforcement des capacités des forces de sécurité ; de la
stabilisation et de la sécurisation des zones à risque70.
A bien y regarder, ce chantier et la plupart de ses projets et programmes concurrencent
directement la CEDEAO. Qu’ils s’agissent de la prévention des conflits et des crises, de la

68
Ce mécanisme de l’Union Européenne existe depuis 2003 et a pour objectif de soutenir financièrement
l’architecture africaine de paix et de sécurité. Depuis sa création, elle a financé diverses opérations sur le terrain
comme la mission africaine au Soudan (African Mission in Sudan, AMIS I et II) à hauteur d’environ 200
millions d’euros, la mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM-African Union Mission in Somalia) à
hauteur de 16 millions d’euros. Sur les 300 millions d’euros du programme d’action 2011-2013, l’essentiel est
destiné aux opérations de maintien de la paix (240 millions). cf. Tchibayinga, Dorelle, L’appui de l’Union
Européenne au renforcement des capacités de sécurité collective africaines, Mémoire de l’Institut des Relations
internationales et stratégiques, 2010.
69
UEMOA, Protocole instituant la politique commune de l’UEMOA dans le domaine de la paix et de la
sécurité, signé à Dakar (Sénégal), le 24 octobre 2013.
70
Article 4 du protocole de l’UEMOA instituant la politique commune dans le domaine de la paix et de la
sécurité.
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criminalité transfrontalière ou encore de la prolifération armes légères et de petit calibre, ce
sont des composantes de la politique de sécurité de la CEDEAO. Comment comprendre alors
cette « concurrence déloyale »?

L’interférence économique de la France en Afrique de l’Ouest


Au fond derrière les pays membres de l’UEMOA, il y aurait l’influence de l’ancienne
puissance coloniale, la France71. Si nous suivons l’analyse de Johan Galtung, il constatait
qu’il y a des nations du centre et des nations de la périphérie et qu’entre elles se nouent
des relations qui sont constitutives d’un impérialisme structurel72. La Zone franc est un
exemple pertinent d’impérialisme structurel. En effet, créée en 1948, la Zone franc est un
espace monétaire assez singulier en Afrique et dans le monde en ce sens qu’elle
regroupe quinze pays qui sont d’anciennes colonies de la France73. Elles partagent la
même monnaie, le franc de la communauté financière africaine (le franc CFA) qui est
garantie par la Banque de France ; mais une monnaie gérée par deux zones économiques
différentes. En Afrique de l’Ouest, le franc CFA est géré au sein de l’Union économique
et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont la Banque centrale des États de l’Afrique de
l’Ouest (BCEAO) est le chien de garde. En Afrique centrale, nous avons l’Union
douanière des États de l’Afrique centrale (UDEAC) et la Banque centrale des États de
l’Afrique centrale (BEAC). Ces deux ensembles correspondent à ceux des deux ensembles
coloniaux, à savoir l’Afrique Occidentale Française (AOF) et l’Afrique Équatoriale
Française (AEF).
Aussi, l’interférence de la France dans cette zone est aussi d’ordre militaire et se manifeste à
deux niveaux : d’une part, à travers les programmes de modernisation des armées africaines
et d’autre part, à travers les interventions militaires.

Les programmes de modernisation des armées africaines


En principe, aider à moderniser des forces armées et restaurer la paix sont des actions
positives. Elles peuvent aider à former des soldats professionnels pour l’Afrique et éviter
les crimes de masse. Mais ce sont les détournements d’objectifs et la politique des doubles
standards qui altèrent cette bonne intention. Sur le plan manifeste, on modernise les forces
armées africaines pour les rendre plus aptes et plus professionnelles en matière de maintien
de la paix. Mais sur le plan latent, on les forme aussi pour endiguer ce que les pays
occidentaux considèrent être une menace terroriste dans le Sahel qui les préoccupe eux
avant tout. Sur la politique des doubles standards, elle se traduit par une politique de
l’intervention qui varie selon les intérêts. Ainsi, on intervient ici, mais on n’intervient pas
là-bas ; on dénonce tel régime pour cause d’autoritarisme et de violation des droits de la
personne, mais on épargne un régime tout aussi autoritaire. On applique les accords de
défense pour sauver tel président, mais on ne l’applique pas pour tel autre chef d’Etat. Ce
sont toutes ces raisons qui expliquent pourquoi ce qui est vu comme généralement positif
(modernisation des armées, restauration de la paix) peut aussi être perçu comme négatif
et donc comme une interférence.
En fait, les relations militaires entre la France et l’Afrique tirent leur origine durant la
période coloniale. En effet, pendant la Première et la Deuxième Guerre mondiale, l’Afrique
a participé à l’effort de guerre en envoyant des soldats, les fameux « tirailleurs
71
Lebœuf, Aline ; Quénot-Suarez, Hélène, « La politique africaine de la France sous François Hollande :
renouvellement et impensé stratégique », Les Etudes de l’IFRI, novembre 2014, p.27.
72
Galtung, Johan, « Violence, paix et recherche sur la paix », dans Braillard, Philippe (dir.), Théories des
relations internationales, Paris, PUF, 1977, p.297.
73
Ayissi, Anatole, « Une perception africaine de la politique étrangère de la France », Annuaire français de
relations internationales, vol.1, 2000, p.376.
Page | 21
sénégalais »74, et en levant des impôts pour la métropole. A partir de l’indépendance, ces
relations ont été maintenues avec les accords de défense et de coopération militaire conclus
entre la France et la plupart de ses anciennes colonies75. La France maintient des bases
militaires en Afrique. Le coût total, humain et financier, de ces déploiements, représente
près de 10 000 hommes et 760 millions d’euros par an. C’est le tiers des troupes françaises
en dehors de la métropole. Ils sont prépositionnés au Sénégal, au Gabon, à Djibouti. La
base de la République centrafricaine a été supprimée. Au Tchad, le dispositif Épervier qui
visait à protéger l’intégrité territoriale de ce pays est en place depuis 198676. Avec la
multiplication des crises sur le continent avec la fin de la guerre froide, la France
s’engagea dans un processus de modernisation des armées africaines. En 1997 en effet, la
France lance son programme de renforcement des capacités africaines de maintien de la
paix (RECAMP). Le programme RECAMP comprend trois volets : la formation,
l’entraînement et le soutien logistique et financier. La formation veut donner des savoir-faire
relevant exclusivement du domaine du maintien de la paix. Elle peut être initiale ou
continue. Les écoles françaises et des établissements partenaires servent de cadre à ces
formations. Mais de plus en plus, cette formation s’appuie sur les écoles nationales à
vocation régionales basées en Afrique. L’entraînement est un ensemble d’exercices
militaires qui concerne plusieurs centaines de soldats et a lieu tous les deux ans en Afrique
de l’Ouest ou du Centre. Le soutien financier peut se traduire aussi par le paiement des
primes et per diem des soldats de la paix77. Mais le RECAMP peut aussi être vu comme un
instrument de la géopolitique française en ce sens qu’il peut permettre de restaurer une
confiance perdue et un pré-carré sous assaut78. Ce programme peut permettre à la France de
regagner la confiance vis-à-vis des Africains et de leurs dirigeants. Il peut permettre une
vulgarisation du matériel de guerre français au-delà des pays francophones ainsi donc
ouvrir le marché de l’achat de l’appareillage militaire à la concurrence et permettre aux
compagnies françaises et européennes d’accroître et de diversifier leurs clientèles ; renforcer

74
Le mot tirailleur sénégalais désigne des soldats venant des colonies françaises d’Afrique pas seulement du
Sénégal, mais également du Bénin, du Niger, de la Haute- Volta (Burkina Faso actuel), du Soudan (Mali
actuel), du Gabon, du Tchad, de l’Oubangui Chari (Centrafrique actuelle), du Cameroun, de la Côte française
des Somalis (actuelle République de Djibouti), de la Guinée et du Maroc ; cf. Deroo, Éric ; Champeaux, Antoine,
La force noire. Gloire et infortunes d'une légende coloniale, Paris, Tallandier, 2006, 223p.
75
Un accord de défense est un texte intergouvernemental qui prévoit l’aide ou l’assistance militaire d’un pays
auprès d’un autre en cas de menace ou d’agression. Au 1er janvier 2008, la France était liée par les accords de
défense bilatéraux suivants avec les pays d’Afrique subsaharienne : accord de coopération en matière de
défense entre la France et le Sénégal du 29/03/1974 ; Gabon : accord de défense du 17/08/1960 ; Tchad,
République centrafricaine, République du Congo : accords particuliers signés à Brazzaville le 15/08/1960 ;
Djibouti : protocole provisoire fixant les conditions du stationnement des forces françaises sur le territoire de la
République de Djibouti après l’indépendance et les principes de la coopération militaire entre les deux pays
signé à Djibouti le 27/06/1977 ; Côte d'Ivoire, Dahomey (Bénin actuel), Niger : accord de défense du
24/04/1961 signé à Paris ; Comores : accord de coopération en matière de défense signé à Paris le 10/11/1978;
Cameroun : accord spécial de défense signé à Yaoundé le 21/02/1974; Togo : accord de défense signé à Paris le
10/07/1963; Source. Ministère français de la défense, Défense et sécurité nationale. Le livre blanc sur la
défense, Paris, Odile Jacob, 2008, p.167-168 ; cf. aussi Pascallon, Pierre (dir.), La politique de sécurité de la
France en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2004, 474p.
76
Durant l’Été 2007, la France a décidé la réorganisation de son dispositif militaire en Afrique. Quatre pôles
correspondent à quatre « sous-régions » et dessinent ce que pourrait être la future carte des implantations. Il
s’agit de Dakar (Sénégal), Libreville (Gabon), Djibouti et La Réunion. Dans chacun de ces pôles, la France a
créé un petit état-major et prépositionnée du matériel. cf. Merchet, Jean-Dominique, « L’armée française va-t-
elle quitter l’Afrique ? », Libération, quotidien d’information français, 22 février 2008.
77
Bellescize, Gabriel, « Le maintien de la paix : La France et le programme RECAMP », Afrique
contemporaine, n°191, 1999, p.22-23.
78
Ndjebet-Massoussi, Noé, « L’activisme américain dans le pré-carré français inquiète l’Hexagone », Le
Messager, Douala, 22 novembre 2006.
Page | 22
leur connaissance et leur maîtrise du terrain africain ce qui est nécessaire en cas d’évacuation
d’urgence de ressortissants étrangers en période de crises.

L’interférence militaire de la France en Afrique de l’Ouest


L’ i n t e r f é r e n c e m i l i t a i r e d e l a F r a n c e e n A f r i q u e p a s s e par des
interventions militaires pour la restauration de la paix dans les pays en conflit. Citons
l’exemple de l’opération « LICORNE », ou de l’opération « SERVAL » et aujourd’hui du
dispositif « BARKHANE ». La LICORNE était un détachement d’environ 4000 soldats
français différents des soldats du 43ème bataillon d’infanterie maritime (BIMA) qui était
stationné à Abidjan dans le quartier de Port Bouët à quelques encablures de l’aéroport Félix
Houphouët Boigny. A l’origine, la LICORNE était chargée de l’évacuation des
ressortissants étrangers. Mais elle s’est transformée en force d’interposition après la
signature d’un accord de cessez-le-feu entre les belligérants au conflit le 17 octobre 2002.
Elle est composée de groupements tactiques interarmes (GTIA), répartis sur le territoire
de la Côte d’Ivoire, comprenant des unités de différentes armes ou services (infanterie,
cavalerie, train, service de santé, actions civilo-militaires, etc.), d’un bataillon de l’aviation
légère de l’armée de terre (BATALAT), d’un bataillon logistique (BATLOG), d’escadrons
de gendarmerie mobile, d’unités prévôtales, et d’un groupement de transport opérationnel
(GTO) de l’armée de l’air. Les soldats de la LICORNE se déployaient sur une ligne traversant
le pays d’Est en Ouest. Et selon le mandat conclu entre la France et le gouvernement
ivoirien, non pas en vertu des accords de défense mais au titre d’une coopération militaire
normale, la LICORNE avait pour mandat de sécuriser les frontières poreuses du Nord de la
Côte d’Ivoire jusqu'à l’arrivée des soldats de la CEDEAO79. Toutefois, Philippe Leymarie
note:
« L’intervention française a été, du point de vue des décideurs français, imposée par divers
facteurs dont les plus importants seraient d’éviter que l’implosion de la Côte d’Ivoire
n’entraîne une déstabilisation de toute la sous-région ; de contenir la pression que constituait
la présence des forces spéciales américaines, expédiées pour la première fois dans la
région ; de contrer les activités des marchands d’armes, des mercenaires et des ex-miliciens
rescapés des guerres civiles libérienne et sierra- léonaise ; et surtout de garantir la sécurité
des intérêts économiques de la France. Cette intervention est rendue possible par l’évolution
du contexte politique intérieur à la France avec la fin de la cohabitation »80.

Ainsi, comme le souligne Pierre Weiss : « bien qu’intégrée à des mécanismes


internationaux de règlement des conflits l’opération LICORNE a conservé un caractère
autonome, ce qui a permis aux dirigeants français d’en garder le contrôle et d’en faire un
instrument concourant à la poursuite de leur stratégie politique »81. A travers la LICORNE
donc, c’est une certaine façon pour la France de garder sa puissance et son influence dans
ses anciennes colonies.
L’opération « SERVAL » a été lancée le 11 janvier 2013 à la suite d’un Conseil de défense
restreint. Le président François Hollande ordonne aux armées d’intervenir au Mali82 et fixe
des objectifs militaires très clairs :

79
Possio, Tibault, Stéphène, Les évolutions récentes de la coopération militaire française en Afrique, Paris,
Éditions Publibook, 2007, p.261.
80
Leymarie, Philippe, « Sur fond de discriminations ethniques et régionales, l’éternel retour des militaires
français en Afrique », Le Monde Diplomatique, novembre 2002.
81
Weiss, Pierre, « L’opération LICORNE en Côte d’Ivoire », Annuaire français de relations internationales,
vol.5, 2004, p.323.
82
Charbonneau, Bruno; Sears, Jonathan, « Faire la guerre pour un Mali démocratique : L’intervention militaire
française et la gestion des possibilités politiques contestées», revue canadienne de science politique, vol.47, n°3,
2014, p.602.
Page | 23
« Stoppez l’ennemi, aidez le gouvernement malien, à reconquérir le pays, détruisez les
terroristes […] cherchez les otages et préservez-les bien sûr en cas d’opérations à
proximité »83. L’opération « SERVAL » a été articulée autour de quatre phases. Dans la
première phase, il s’agissait d’une action conjointe entre les forces spéciales et des frappes
de l’armée de l’Air pour mettre un coup d’arrêt à l’offensive des djihadistes. En parallèle, les
forces conventionnelles pré-positionnées dans les différentes bases françaises en Afrique
convergeaient vers Bamako pour assurer la protection des ressortissants européens et
préparer l’arrivée des renforts de la métropole. La deuxième phase de l’opération était
aéroterrestre et a consisté à combiner des forces spéciales et des forces conventionnelles pour
reconquérir le Mali et libérer les villes principales. La troisième phase était un nettoyage des
bases d’Al Qaïda au Maghreb (AQMI), la recherche des otages et l’assassinat ciblé des chefs
terroristes. Enfin, la dernière phase était une action de stabilisation visant à sécuriser les
zones libérées84. Mais la principale critique avancée à l’intervention française était que la
réelle motivation était la défense des intérêts économiques de la France dans la région.
Etaient ainsi notamment avancées les mines d’uranium au Niger, exploitées par AREVA, ou
les ressources naturelles souvent non exploitées au Mali ou dans d’autres pays du Sahel85. De
plus, une information accréditant cette thèse apparut trois semaines après le début de
l’intervention française au Mali lorsqu’on apprit que des forces spéciales françaises seraient
affectées au Niger à la sécurisation des mines d’uranium exploitées par l’entreprise privée
française AREVA, leader mondial dans le secteur nucléaire civil86. Certains responsables ou
observateurs français n’ont d’ailleurs pas caché cette réalité, à l’instar de Jacques Attali qui,
parlant de la crise au Mali, rappelait que « les gisements d’uranium du Niger, essentiels à la
France ne sont pas loin »87. Ainsi donc, les intérêts économiques de la France ont aussi pesé
dans la décision d’intervenir au Mali.
En ce qui concerne l’opération « BARKHANE », elle a été lancée le 1er août 2014 par l’armée
française et repose sur une approche stratégique fondée sur une logique de partenariat avec les
principaux pays de la bande sahélo-sahélienne (BSS) appelés le G5 (Mauritanie, Mali, Niger,
Tchad, et Burkina Faso). Selon le ministère français de la défense, « ces pays ont manifesté
leur volonté de conduire leur action aux côtés de la France (et non de la CEDEAO ou de la
CEN-SAD ou de la CEEAC ou encore de l’UA, c’est nous qui soulignons) considérée comme
un partenaire stratégique ayant toujours soutenu les pays du Sahel dans leurs actions de lutte
contre le terrorisme »88. L’opération « BARKHANE » s’inscrit dans une nouvelle approche
stratégique qui consiste à mutualiser et à fusionner les moyens de l’opération « SERVAL » au
Mali et du dispositif « EPERVIER » au Tchad. Les missions de la force « BARKHANE »
sont d’une part, d’appuyer les forces armées des pays partenaires de la bande sahélo-
sahélienne dans leur action de lutte contre le terrorisme et d’autre part, de contribuer à
empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région. Elle regroupe 3000
militaires, une vingtaine d’hélicoptères, 200 véhicules de logistiques, 200 blindés, 6 avions de
chasse, 3 drones et une dizaine d’avion de transport. Il y a deux points d’appui permanents à
Gao (Mali) et à N’Djamena (Tchad). Ce dispositif n’est pas figé et le commandant de la force

83
Notin, Jean-Christophe, La guerre de la France au Mali, Paris, Tallandier, 2014, p.175.
84
D’Evry, Antoine, L’opération SERVAL à l’épreuve du doute : Vrais succès et fausses leçons, Paris, IFRI,
juillet 2015, p.22.
85
Adam, Bernard, Mali. De l’intervention militaire française à la reconstruction de l’Etat, Bruxelles, GRIP,
2013/3, p.10.
86
« L’armée défendra l’uranium d’AREVA. La "Françafrique" au Niger » sous la protection des forces spéciales
françaises, Le Soir, 25 janvier 2013.
87
cf. www.attali.com, 28 mai 2012.
88
Ministère français de la défense, http://www.defense.gouv.fr/operations/sahel/dossier-de-presentation-de-l-
operation-barkhane/operation-barkhane, consulté le 03 juin 2016.
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pourra faire basculer ses efforts (troupes et moyens) en fonction de la menace à laquelle il
sera confronté. Depuis ces deux points d’appui permanent, des détachements seront déployés
sur des bases avancées temporaires (BAT). Ces bases constituent des « plateformes relais » à
partir desquels seront conduites les missions, aux côtés des soldats des pays dans lesquels se
situent ces bases.
Selon Amandine Gnanguênon :

« L'opération Barkhane traduit tout autant une continuité dans la politique de défense française
que la nécessité pour le pays de maintenir son influence politique sur le continent africain en
s’appuyant sur ses capacités militaires opérationnelles. L’intérêt pour la France est donc de
s’investir sur un terrain politique et militaire où d’autres Etats sont réticents à le faire. A cet
effet, si la référence à la « lutte contre le terrorisme » demeure mobilisatrice, ce discours
simplificateur ne peut pas dispenser la France de donner une définition plus franche et plus
réaliste de ses intérêts dans la zone »89.

La stratégie militaire française repose désormais sur une triptyque : d’abord, l’africanisation,
c’est-à-dire soutenir les capacités africaines ; ensuite, l’européanisation, c’est-à-dire inscrire
une action nationale dans la politique européenne ; enfin, le multilatéralisme, c’est-à-dire
favoriser un cadre multilatéral comme les Nations Unies et partager les tâches et les
responsabilités avec les autres partenaires comme les Etats-Unis d’Amérique avec leur
commandement militaire pour l’Afrique (AFRICOM). Voici un schéma du triptyque de la
stratégie militaire française en Afrique :

Africanisation

Européanisation multilatéralisme
Triptyque de la stratégie militaire française en Afrique

L’interférence diplomatique
Avec l’interférence diplomatique, la France s’appuie sur deux leviers à savoir la diplomatie
française et la francophonie. En ce qui concerne l’influence de la diplomatie française dans
la gestion des crises africaines, la guerre en Côte d’Ivoire en offre une parfaite illustration.
Déjà, le 04 décembre 2 0 0 3 , le ministre français des affaires étrangères en visite à
Abidjan avait proposé un nouveau plan de sortie de crise et invité les acteurs politiques
ivoiriens et les rebelles pour des négociations en France. En procédant ainsi, le président
Wade, président en ex erci ce de l a C EDEAO, accédait au souhait de l’ancienne
puissance coloniale qui voulait régler la crise ivoirienne directement. C’est ainsi que la
France s’est saisie du dossier ivoirien en convoquant les acteurs de la crise à une
conférence près de Paris. La conférence de Marcoussis marquera d’une certaine façon la
mise « sous tutelle » de la Côte d’Ivoire que le reste du processus de paix ne fera que
rappeler. En effet, les accords de Marcoussis sont le fruit d’un processus de négociation
qui a eu lieu en France entre les partis politiques ivoiriens les plus significatifs et les

89
Gnanguênon, Amandine, « L’opération Barkhane, démonstration de force et jeu d’influence dans la bande
Sahélo-sahélienne », ISS Today, 19 août 2014.
Page | 25
mouvements rebelles du 15 au 24 janvier 200390. Le jour suivant, c’est-à-dire le 25 janvier
les accords seront entérinés à Kléber devant le président français de l’époque, Jacques
Chirac, les représentants de la CEDEAO, de l’UA, de l’ONU, de la Banque Mondiale, du
PNUD, de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), de la Commission
Européenne, du Comité International de la Croix Rouge (CICR-France) et du ministère
français de la défense. Le gouvernement ivoirien n’a pas été invité à la rencontre. Ce qui
posera des problèmes au moment de l’application des accords. En somme, ces accords
ont porté sur les questions litigieuses du conflit ivoirien, comme les conditions
d’éligibilité à la magistrature suprême, l’accès à la citoyenneté, le droit foncier ou la place
de l’armée dans la société ou encore le séjour et l’établissement des étrangers. Sur le
point le plus épineux qui concernait les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême,
les accords de Marcoussis disposent :

« […] L’article 35 de la constitution relatif à l’élection du président de la République


doit éviter de se référer à des concepts dépourvus de valeur juridique ou relevant de
textes législatifs. Le gouvernement de réconciliation nationale proposera donc que les
conditions d’éligibilité du président de la République soient ainsi fixées. Le
président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est
rééligible qu’une fois. Le candidat doit jouir de ses droits civils et politiques et être
âgé de trente-cinq ans au moins. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne
né de père OU de mère ivoirien d’origine »91.
La conjonction ET a été remplacée par la conjonction OU. Ce jeu de mot vise à permettre la
candidature d’Alassane Dramane Ouattara qu’on accuse d’être de nationalité burkinabé
pourtant ancien Premier ministre de la Côte d’Ivoire sous Félix Houphouët Boigny et
Secrétaire général du Rassemblement des Républicains (RDR), parti d’opposition à
l’époque. Mais c’est le point 3 de l’accord de Marcoussis, qui stipule « qu’un
gouvernement de réconciliation nationale sera mis en place dès après la clôture de la
conférence de Paris pour assurer le retour à la paix et à la stabilité », qui fera descendre les
foules dans les rues à Abidjan92. Par ailleurs, les accords prévoyaient :

« … la mise en place d’un comité de suivi de l’application des accords de Paris sur la
Côte d’Ivoire chargé d’assurer le respect des engagements pris. Ce comité saisira les
instances nationales, régionales et internationales de tous les cas d’obstruction ou de
défaillance dans la mise en œuvre des accords afin que les mesures de redressement
appropriées soient prises ».
Ce sera le groupe de travail international (GTI) qui sera chargé d’appliquer le « régime de
tutelle » qui s’applique désormais à la Côte d’Ivoire. Au centre Kléber où les accords
seront signés le 25 janvier 2003, le président français Jacques Chirac qui dirigeait
personnellement les travaux demandait au président ivoirien de choisir sur une liste de trois
noms à savoir : Louis-André Dacoury-Tabley (numéro deux de la rébellion), Henriette
Diabaté (numéro deux du RDR), Seydou Élimane Diarra (proche de l’opposition, mais

90
Les partis politiques qui étaient représentés sont les suivants : le Front populaire ivoirien (FPR), le
Rassemblement des Républicains de Côte d’Ivoire (RDR), le Parti démocratique de Côte
d’Ivoire/Rassemblement démocratique africain (PDCI/RDA), l’Union pour la démocratie et la paix en Côte
d’Ivoire (UDPCI), le Parti ivoirien des travailleurs (PIT), le Mouvement des forces de l’avenir (MFA), l’Union
démocratique et citoyenne Cocody (UDCY); les mouvements rebelles comprenaient les groupes suivants :
le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), le Mouvement patriotique du Grand-Ouest (MPIGO), le
Mouvement pour la justice et la paix (MJP).
91
Annexe aux accords de Marcoussis, III. Éligibilité à la présidence de la République, point 1.
92
cf. Banégas, Richard, « La France et l’ONU devant le “parlement” de Yopougon. Paroles de “jeunes patriotes”
et régimes de vérité à Abidjan », Politique africaine, nº104, 2006, p.141- 158.
Page | 26
considéré comme modéré). Laurent Gbagbo choisit Seydou Diarra, dont le décret de
nomination est signé dans un bureau de l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris93. Cette
attitude française et ivoirienne peut relever des rituels d’extraversion. Car comme le souligne
Achille Mbembé :

« Ces rituels s’enracinent dans une série de dispositifs institutionnels, financiers,


voire symboliques dont la fonction est de propager, au sein des sociétés locales, les
signifiants majeurs de la société internationale. En tant que dispositifs
d’assujettissement, ils ont pour but de discipliner les natifs et de les socialiser dans un
nouvel art de vivre leur rapport au monde. […] Dans la mécanique générale de la
captation des flux globaux, les rituels de l’extraversion consistent à mimer ces
signifiants, à les travestir, à les déforcer, jusqu’au point où ils perdent de leur sens
premier »94.
A travers ces développements, nous avons voulu montrer que la France dans le cas d e l a
g e s t i o n d e s c r i s e s a f r i c a i n e s utilise aussi la voie de la diplomatie. Mais la France
s’appuie également sur la francophonie pour assurer son influence diplomatique en Afrique en
utilisant la mobilisation des pays francophones au maintien de la paix. Selon l’organisation
internationale de la francophonie (OIF), l’une de ses missions est de sensibiliser les pays
francophones aux enjeux du maintien de la paix en faisant valoir que :

« La participation aux opérations de maintien de la paix est un instrument de rayonnement


politico-diplomatique et un levier d’influence au plan régional et international. Un pays
fortement engagé dans le maintien de la paix projette une image au-delà de ses frontières. Le
maintien de la paix est une activité non pas seulement technique mais hautement politique,
qui doit être relayé par un engagement résolu dans la résolution des conflits par des voies
pacifiques ; […] les Etats francophones doivent prendre conscience des avantages et retours
sur investissement qu’ils peuvent tirer de leur participation accrue aux opérations de maintien
de la paix »95.

Quelle est alors la portée de l’analyse des champs en Relations internationales et son
opérationnalisation sur le terrain africain du maintien de la paix ?

Pertinence du "champ africain" du maintien de la paix ?


La théorie des champs peut s’avérer opératoire dans l’analyse du nouveau triangle du
maintien de la paix en Afrique (UA-CEDEAO-UEMOA). Si le champ est orienté vers un
enjeu, l’enjeu manifeste du maintien de la paix en Afrique, c’est de bâtir des espaces
pacifiques. D’où l’engouement des partenaires de l’Afrique à s’investir dans cette entreprise.
Mais l’enjeu latent, c’est le contrôle des ressources naturelles du continent pour un meilleur
approvisionnement des marchés occidentaux et émergents. Car l’Afrique est aujourd’hui la
dernière frontière parce que 15% des réserves mondiales de pétrole, 60% des terres
irrigables, 40% des réserves mondiales en eau et 40% des réserves d’or de la planète se
trouvent en Afrique. Ce sont ces éléments déterminants pour l’avenir de l’humanité qui
expliquent cet engouement des partenaires à soutenir les dynamiques de paix en Afrique.
Dans le cas de la France en Afrique de l’Ouest, elle s’appuie sur ses anciennes colonies pour
torpiller les efforts d’intégration. Par exemple, au moment de la création du mécanisme de la
CEDEAO pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique de l’Ouest,
93
Kouamono, Théophile, La recolonisation de l’Afrique : le cas de la Côte d’Ivoire, Abidjan, Les Éditions Le
Courrier d’Abidjan, 2007, p.113.
94
Mbembé, Achille, « A propos des écritures africaines de soi », Politique africaine, nº77, 2000, p.42.
95
Organisation internationale de la francophonie, Contribution de l’OIF aux opérations de maintien de la paix,
Paris, OIF, p.12.
Page | 27
des tensions sont apparues entre pays francophones et pays anglophones. Il y avait des
échanges de propos très peu diplomatiques entre le ministre sénégalais des affaires
étrangères de l’époque Moustapha Niasse et son homologue nigérian Tom Ikimi. Ce
dernier accusait en fait la France d’être le parrain des pays francophones pour torpiller les
processus d’intégration qu’essayaient de réaliser les organisations africaines. En effet,
quelques jours avant cette rencontre, il y avait des exercices militaires entre la France et
certaines de ses anciennes colonies. Le ministre sénégalais répondait que personne ne
peut interdire à un État indépendant et souverain d’entraîner sa police ou son armée en
choisissant librement ses partenaires96. Donc, l’objectif ultime, au-delà de la lutte contre le
terrorisme c’est de discipliner les banlieues globales afin de les insérer dans un ordre
mondial néo-libéral pour un meilleur fonctionnement du capital mondialisé. Mais les
extrémistes religieux de Boko Haram, d’Al Qaïda au Maghreb, qui sont les laissés pour
compte de cette logique mercantiliste vont être dans une logique d’exaltions générale et au
lieu de sanctifier l’ordre établi vont profaner les symboles de l’ennemi. En effet, Émile
Durkheim97 distingue ce qu’il appelle « l’exaltation générale » qui peut produire soit un
« héroïsme surhumain » ou une « barbarie sanglante ». Si dans le premier cas, l’ordre
social est sanctifié dans le second, en revanche, les solidarités sociales de l’ennemi sont
profanées. Les attaques terroristes de ces groupes au Mali, au Burkina Faso ou encore en
Côte d’Ivoire ont visé des lieux de villégiature fréquentés par les Occidentaux. En
s’attaquant à des lieux si particuliers et si symboliques, ils voulaient briser les solidarités
mécaniques de leurs victimes et laisser leurs marques98.
Si le champ est topographique, c’est-à-dire qu’il est constitué d’un ensemble de positions
occupées par des individus ou des groupes les uns par rapport aux autres, le champ du
maintien de la paix en Afrique comprend plusieurs acteurs. Au-delà du diplomate et du soldat,
il y a tout un ensemble d’individus composé d’universitaires, de consultants, d’humanitaires,
de mercenaires et de marchands d’armes.
Le caractère relationnel du champ du maintien de la paix en Afrique est perceptible à travers
la coopération militaire française. En effet, les officiers de liaison français qui travaillent à la
CEDEAO ou à l’UA côtoient des collègues africains, qui sont des amis, qui ont fait ensemble
les mêmes écoles de guerre (Saint-Cyr par exemple), pratiquent les mêmes loisirs et partagent
la même vision des questions de défense. En somme, il y a un ethos militaire dans le champ
du maintien de la paix en Afrique99.
Le champ a ses propres règles qui sont incorporées par les agents non seulement comme des
contraintes mais sous forme de dispositions (habitus) correspondant à leur position et à leur
histoire. Le concept d’habitus tel qu’il est développé par Pierre Bourdieu ouvre des pistes
nouvelles et intéressantes. Bourdieu définit l’habitus social comme un système relativement
stable de principes génériques issus d’une construction historique et sociale. Ceux-ci forment
le cadre structurel dans lequel s’articulent les préférences d’action individuelles. En tant
qu’interface entre société et individu, l’habitus social propose un réservoir de modes d’action
normatifs et cognitifs acceptés collectivement, dans lesquels la formulation et la poursuite des
intérêts rationnels est intégrée. En tant qu’instrument heuristique, l’habitus social offre ainsi
la possibilité d’établir un lien entre, d’une part, les structures collectives construites

96
cf. Adebajo, Adekeye, Liberia’s Civil War: Nigeria, ECOMOG and Regional Security in West Africa,
Boulder, Lynne Rienner, 2002, 300p.
97
Durkheim, Émile, The Elementary Form of Religious Life, New York, The Free Press, 1995, [traduit par
Karen E. Fields, 1912], p.213.
98
cf. Richards, Paul, « La terre ou le fusil ? Les racines agraires des conflits de la région du fleuve Mano »,
Afrique contemporaine, vol.2, n°214, 2005, p.37-57.
99
cf. Fusulier, Bernard, « Le concept d’ethos. De ces usages classiques à un usage renouvelé », recherches
sociologiques et anthropologiques, vol.42, n°1, 2011, p.97-109.
Page | 28
historiquement et socialement et, d’autre part, les rationalités des décideurs individuels. Dans
cette veine, un auteur comme Klaus Schlichte100 s’est intéressé à la politique africaine de la
France. Cette dernière ne peut selon lui se comprendre à l’aune des seuls intérêts politiques et
économiques (dans cette perspective, elle peut même paraître parfaitement absurde ou
irrationnelle). En mobilisant le concept bourdieusien d’habitus Schlichte tente plutôt dans son
travail de cerner le real type (type réel) de l’habitus postcolonial qui aurait marqué l’action
des élites politiques françaises. La continuité « irrationnelle » de la politique africaine
française s’explique alors par cet héritage historique et par la forte valorisation du capital
social dans la culture politique française, qui converge avec la personnification du politique
dans les Etats néo-patrimoniaux d’Afrique.
Le champ du maintien de la paix en Afrique est hiérarchique. La structure des positions dans
ce champ n’est pas horizontale. En effet, elle est plutôt verticale en ce sens que le maintien de
la paix et de la sécurité internationales est une compétence exclusive de l’ONU qui peut le
déléguer aux organismes régionaux (UA) et sous-régionaux (CEDEAO). Ensuite, certains
jouissent de capitaux valorisés dans le champ, par exemple le capital culturel du système
d’éducation français qui fait que les élites politiques et militaires africaines francophones font
leurs humanités en France. Le champ du maintien de la paix en Afrique est aussi structuré par
un système d’opposition binaire entre dominant et dominé : le dominant, c’est-à-dire la
France qui a les moyens et les capacités humaines, techniques, logistiques et financières et les
dominés, c’est-à-dire ses ex-colonies qui acceptent comme normale cette position de
dépendance et de faiblesse. Et ces idées ne sont jamais remises en question.
Le champ africain du maintien de la paix est aussi agonistique. En effet, tout en étant porteur
de représentations communes, il est traversé par des luttes entre les agents qui tentent de le
façonner à leur avantage. Dans le cas africain, les dominés au lieu de renverser l’ordre
dominant, l’instrumentalise en essayant de tirer profit des rentes de situation de « l’industrie
du maintien de la paix ».
Le champ africain du maintien de la paix enfin produit des effets. L’un de ses effets est
l’émergence la conception très normative des questions de terrorisme et de maintien de la
paix. Les terroristes sont souvent présentés comme des barbares qui s’attaquent à la
civilisation et le maintien de la paix propose une paix libérale basée sur la démocratie
représentative et le marché. Cette conception élude le terreau de recrutement des terroristes
qui est marqué par la vulnérabilité, la pauvreté et l’indigence.

Conclusion
Le nouveau triangle du maintien de la paix comprend l’UA, la CEDEAO et l’UEMOA.
L’architecture de paix et de sécurité (APSA) de l’UA avait prévu une force en attente dont
chaque communauté économique régionale (CER) devait fournir une brigade. Cette force
était prévue pour être opérationnelle en 2010 puis en 2015. A ce jour, elle n’est pas encore
vraiment fonctionnelle et la crise malienne en a offert une parfaite illustration. C’est
d’ailleurs face à l’impréparation des Africains que la France a déployé « l’opération
SERVAL ». Aujourd’hui avec la menace terroriste, la France veut s’appuyer sur un autre
levier à savoir l’UEMOA qui est l’une des rares organisations internationales africaines à
être en bonne santé financière. Car la plupart des institutions internationales africaines sont
plombées par des difficultés financières tant au niveau régional que sous-régional. Le
Secrétaire général de l’OUA hier, le président de la Commission de l’UA aujourd’hui
rappellent périodiquement aux Etats le retard dans le paiement de leurs contributions. A la
CEDEAO, douze Etats sur quinze que compte l’organisation trainent plus de 10 ans

100
Schlichte, Klaus, « La Françafrique », Zeitschrift fur International Beziehungen, vol. 5, n°2, 1998.

Page | 29
d’arrières de contribution. Il y a donc une dépendance des organisations internationales
africaines par rapport aux bailleurs de fonds occidentaux. En effet, la plupart de leurs
programmes et projets sont financés par les partenaires extérieurs comme la France, la
Grande-Bretagne, le Japon, le Canada ou l’Union Européenne. Puisque celui qui paie
commande, ces bailleurs imposent leurs volontés aux organisations africaines comme le
recrutement d’un type particulier de profil qu’ils financent ou l’acceptation de l’accréditation
d’officiers de liaison. Robert Bates101 relève un paradoxe : les dirigeants africains
connaissent les types de politiques (…) dont leurs pays ont besoin pour se développer mais
ils ne les adoptent pas, et parfois même les rejettent explicitement préférant certaines
politiques malgré leurs effets mortifères. C’est parce que selon l’auteur, la structure des
intérêts des leaders leur impose une ligne de conduite qui ruine l’économie du contient. Ils
manquent de patriotisme et se comportent comme des étrangers sur leurs propres territoires
selon Achille Mbembé. Jean Jacques Rousseau qualifie ce comportement de haine de soi. Il
faut donc un leadership éthique et réticulaire pour porter les dynamiques paix et sécurité en
Afrique.
Papa Samba Ndiaye, PhD*
Maître-assistant
Section Science politique
UFR Sciences juridiques et politiques
Université Gaston Berger de Saint-Louis
Sénégal
Références bibliographiques

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Bruxelles, GRIP, 2013/3, 33p.
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enseignements de l’opération SERVAL », Commission de la défense nationale et des forces
armées, compte rendu, n°74, 22 mai 2013.
Ayissi, Anatole, « Une perception africaine de la politique étrangère de la France », Annuaire
français de relations internationales, vol.1, 2000, p.373-389.
Barnett, Michael, "Partners in Peace? The UN, Regional Organizations, and Peacekeeping",
Review of International Studies, vol.21, n°4, 1995, p.411-433.
Barrera, Bernard, Opération SERVAL, notes de guerre : Mali 2013, Paris, Editions du Seuil,
2016, 448p.
Bellescize, Gabriel, « Le maintien de la paix : La France et le programme RECAMP »,
Afrique contemporaine, n°191, 1999, p.7-28.
Bourgui, Albert, « L’Union Africaine. Entre les textes et la réalité », Annuaire français de
relations internationales, vol.6, 2005, p.327-344.
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réunion des chefs d’états-majors des armées (CEMA), Abuja, Nigéria, février 2004, 14p.
CEDEAO, Report of the ECOWAS Workshop, Lessons from ECOWAS Peacekeeping
Operations: 1990-2004, Accra, 10-11 February 2005, 71p.

101
cf. Bates, Robert, Markets and States, in Tropical Africa. The Political Basis of Agricultural Policies,
California, University of California Press, 2014, 216p.
Page | 30
Charbonneau, Bruno ; Jourde, Cédric, Les dilemmes de la résolution des conflits face aux
défis de la "guerre au terrorisme" : Le Mali dans une perspective sahélienne, Montréal,
rapport de recherche FrancoPaix, mai 2016, 32p.
Charbonneau, Bruno, « La résolution des conflits face au défi "terroriste" en Afrique de
l’Ouest », Bulletin FrancoPaix, vol.1, n°3, 2016, 7p.
Charbonneau, Bruno; Sears, Jonathan, « Faire la guerre pour un Mali démocratique :
L’intervention militaire française et la gestion des possibilités politiques contestées», revue
canadienne de science politique, vol.47, n°3, 2014, p.597-619.
Chouala, Yves Alexandre, « Puissance, résolution des conflits et sécurité collective à l’ère de
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