L’écriture de l’entre deux dans Les tribulations du dernier Sijilmassi de Fouad Laroui
L’écriture de l’entre deux dans Les tribulations du dernier Sijilmassi de Fouad Laroui
L’écriture de l’entre deux dans Les tribulations du dernier Sijilmassi de Fouad Laroui
Mémoire
L’écriture de l’entre deux dans Les tribulations du dernier Sijilmassi de Fouad Laroui
Présenté par :
Mlle HAMMICHE Katia
Le jury :
-2017/2018 -
Remerciements
Je dédie ce travail
A mes parents
A mes deux amies : Lydia et Tamazighte
A monsieur Zouranen
Aux bibliothécaires de la bibliothèque 750
Qui m’ont soutenu, aidé et qui ont veillé à ce que je travaille dans de bonnes
conditions.
Ce travail a vu le jour grâce à la générosité des belles personnes que vous
êtes.
SOMMAIRE
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................................ 52
1
[Introduction générale]
L’objectif de ce modeste travail est de démontrer que notre roman, Les tribulations du
dernier Sijilmassi de Fouad Laroui, est fondé sur la problématique de l’entre deux. Et ce à
plusieurs niveaux, celui de la structure du récit, du genre de l’œuvre et au niveau de la
trajectoire du personnage.
Avant de nous attarder sur ce que nous comptons étudier au cours de ce travail, il convient de
revenir sur la définition du concept de l’entre deux qui est une problématique fortement
présente dans la littérature contemporaine et est le résultat du phénomène de l’exil. En effet,
les migrants, généralement issus de pays anciennement colonisés, souffrent d’une crise
identitaire. Citons à titre d’exemple quelques auteurs illustres dont les œuvres ont été étudiées
sous l’angle de l’entre deux : Nina Bouraoui, Assia Djebar et Azouz Begag. Ayant assimilé et
la culture du pays d’accueil et la culture de leur pays d’origine, ils ne savent plus comment se
définir. Dans son livre intitulé Entre deux : l’origine en partage, Daniel Sibony définit ainsi le
concept de l’entre deux :
Il serait donc un temps de grand malaise. Fouad Laroui, auteur marocain, n’échappe pas à ce
grand malaise. Né en 1958 au Maroc où il passe une bonne partie de sa vie avant de le quitter
pour la France où il poursuit ses études et devient ingénieur, suite à quoi il revient à son pays
d’origine pour occuper la fonction de directeur d’une usine. Il met ensuite le cap vers le
Royaume Uni où il obtient un doctorat en sciences économiques, et finit par s’installer à
Amsterdam et se consacre à l’écriture. Il est ainsi, à travers son parcours, façonné à la fois par
la culture marocaine et occidentale. A travers ses écrits, il semble peindre les mœurs du
1
SIBONY, Daniel. Entre-deux : L’origine en partage : Seuil, Paris, 1991. p.130.
2
[Introduction générale]
Maroc, pointer du doigt ses failles et ses tares, mais toujours en établissant un lien entre ce
pays et l’occident. C’est précisément ce qu’il fait dans le roman que nous avons choisi : Les
tribulations du dernier Sijilmassi désormais TDS. TDS est publié en 2014 chez les éditions
Julliard. Il trace le parcours d’Adam Sijilmassi, ingénieur marocain, depuis sa cogitation à
bord d’un avion le ramenant d’Asie où il prend conscience que son mode de vie est
occidentalisé, qu’il ne ressemble en rien à celui de ses ancêtres, si bien qu’il décide de s’en
affranchir et de renouer contact avec ses origines, jusqu’à ce qu’il se retire et vit seul au bord
de la mer comme un fou suite à plusieurs péripéties au cours desquelles il est constamment
outré par la vie que mène la communauté de ses ancêtres qu’il lui est contemporaine. Durant
notre lecture, un aspect du récit a amplement attiré notre attention. Il narre des pensées bien
plus qu’il narre des actions. Ce qui ne correspond pas à la définition que Goldenstein en fait
du roman : « Un roman est la narration d’une fiction. On entendra par fiction ce qui est conté
dans le roman, l’« histoire » »2 ces pensées viennent retarder l’histoire et révèlent surtout la
crise par laquelle passe notre personnage, une crise identitaire, dans la mesure où il se
demande constamment qui il est, parce que bien qu’il vive au Maroc, ses références, ses
pensées et son mode de vie sont, quant à eux, de nature occidentale. En effet, il lit des œuvres
littéraires occidentales, il s’exprime constamment en français, et surtout, des citations lues
dans ces œuvres traversent sans cesse son esprit. Ce qui le met dans une position d’entre deux
culturel. Et c’est alors qu’il décide de se détacher de cette culture occidentale qui selon lui ne
le définit pas et tente de s’orientaliser et de renouer contact avec la culture maghrébine, celle
de ses ancêtres. Sauf qu’il ne sait pas comment s’y prendre si bien qu’il met en œuvre son
entreprise de manière aléatoire, jusqu’à ce qu’il se retrouve dans son village natal,
Azemmour, après un trajet qu’il effectue à pied de Casablanca jusqu’au village. Un parcours
qui s’apparente à un rite initiatique, seulement, au bout de ce voyage, sa quête n’aboutit pas.
Ces remarques que nous avons faites au cours de notre lecture nous ont conduits à penser que
notre roman est basé sur l’écriture de l’entre deux et à formuler notre problématique ainsi :
2
GOLDENSTEIN, Jean-Pierre. Lire le roman. Paris : De Boeck supérieur, 2005. p. 34.
3
[Introduction générale]
Lors de la première tentative de répondre à cette question, quelques hypothèses ont pris
forme :
Dans le souci de bien organiser notre travail, nous envisageons de le diviser en trois chapitres,
le premier aura pour titre : « les tribulations de la narration », nous comptons y exposer la
dislocation que provoque l’abondante narration des pensées de notre personnage. Ensuite le
second chapitre sera intitulé : « l’entre deux générique » et il aura pour objectif d’esquisser les
genres littéraires auxquels la dislocation narrative rapproche notre œuvre. Et enfin le troisième
chapitre sera, quant à lui, intitulé : « l’écriture de la marge » et aura pour objectif de
démontrer que notre personnage est effectivement de nature liminaire.
3
Dans son article intitulé « L’analyse structurale du récit » Roland Barthes explique que le récit a trois niveaux
de descriptions : les « fonctions », les « actions », et la « narration ». Les fonctions discursives et les fonctions
narratives sont les sous classes du niveau des « fonctions »
4
Premier chapitre
5
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
Nous avons intitulé ce chapitre « Les tribulations de la narration » parce que nous
pensons que le récit de notre roman adopte une forme narrative hétérogène, une structure
disloquée. La première chose qui attire notre attention au cours de la lecture de TDS est la
domination de la narration des pensées de notre personnage. Ce qui a suscité cette hypothèse :
dans notre récit, il y aurait plus de fonctions discursives que de fonctions narratives. Nous
pensons que ces fonctions discursives engendrent à leur tour, des tribulations à plusieurs
niveaux : celui de l’incipit qui ne remplit pas toutes ses fonctions ; de la voix narrative qui se
dédouble ; du rythme narratif qui tantôt accélère le récit tantôt le freine ; et ajoute un autre
aspect au récit, celui du travail de la citation si bien qu’il entretient des correspondances avec
diverses autres œuvres littéraires.
L’objectif de ce chapitre est donc de mettre au jour tout ce qui fait défaut à notre récit. Pour ce
faire, nous allons, en premier lieu, en nous appuyant sur « L’analyse structurale du récit »,
article de Roland Barthes publié dans la revue Communication n°8 aux éditions du Seuil en
1981, où il expose une grammaire du récit, démontrer comment les fonctions discursives
dominent dans notre récit. Ensuite, nous nous pencherons sur l’aspect déconcertant de
l’incipit en nous appuyant sur ce qu’explique Andréa Del Lungo dans son article « Pour une
poétique de l’incipit ». Nous analyserons ensuite, l’instance narrative, qui semble se
dédoubler au cours du récit. Le lecteur ne sait pas à qui attribuer la responsabilité de la
narration. En nous référant à la narratologie, nous analyserons le statut des narrateurs, et voir
ensuite comment ils prennent alternativement le rôle de la narration. En nous appuyant
toujours sur la narratologie, nous étudierons le jeu entre deux rythmes du récit qui tantôt
l’accélère tantôt le retarde. Enfin, En nous référant à deux ouvrages : La seconde main ou le
travail de la citation d’Antoine Compagnon et Voleurs de mots de Michel Schneider, nous
nous pencherons sur les citations qui pullulent dans notre récit.
6
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
Roland Barthes, dans son article intitulé « L’analyse structurale du récit », explique que
comprendre un récit : « Ce n’est pas seulement suivre le dévidement de l’histoire, c’est aussi y
reconnaître des « étages » […] Lire un récit, ce n’est pas seulement passer d’un mot à
l’autre, c’est aussi passer d’un niveau à l’autre. »4 Et de ce fait, propose de distinguer trois
niveaux de sens dans le récit : le niveau des « fonctions », le niveau des « actions », et celui de
la « narration ». Le niveau auquel nous nous intéresserons ici, est celui des « fonctions » qui
selon Roland Barthes se subdivisent en deux sous classes : fonctions cardinales et fonctions
complétives. Il explique qu’elles :
Nous nous sommes appuyés sur ce découpage fait par Roland Barthes et suite à une lecture
attentive de TDS, nous avons séparé les fonctions cardinales des catalyses.
4
BARTHES, Roland. « L’analyse structurale du récit » in Communication n°8 : édition du seuil, Paris, 1981.
p.11.
5
Ibid., p.15.
7
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
entame un trajet à pied. La nuit tombée, il s’allonge par terre pour dormir. Un monsieur
l’invite à dormir dans sa grange. Le lendemain il poursuit sa marche à pied et arrive à son
village natal, Azemmour. Il est accueilli dans le Riad habité par une vieille femme et une
petite fille, où il s’enferme dans une chambre pour lire des livres. Abedelmoula, un cousin à
lui, lui rend souvent visite et entretient des discussions avec lui, il est parfois accompagné par
Nadir, son ami. Adam se fait précepteur de Khadija, la petite fille qui vit dans le Riad. Adam
est pris ensuite dans un engrenage, l’Etat désirant faire gagner un parti politique aux élections
municipales qui s’annoncent au détriment d’un parti fondamentaliste religieux, exploite le
statut privilégié d’Adam qui est un descendant d’une famille prestigieuse du village, les
Sijilmassi, pour influencer l’opinion des villageois. Lors d’une manifestation des deux partis
concurrents où ils se partagent une rue, l’un occupant la partie de gauche, l’autre de droite,
Adam marche au milieu à équidistance des deux. On se jette sur lui, on l’écrase, il tombe dans
un coma. Après convalescence il se retire de la société et vit en ermite au bord de la mer. Ce
sont là les fonctions charnières de notre récit.
La fonction complétive, quant à elle, est occupée par les pensées d’Adam sijilmassi qui, au
cours de son parcours est aux prises avec une question existentielle ; commente les différentes
situations par lesquelles il passe ; imagine une vie aux personnages qu’ils rencontrent ;
imagine des situations insolites ; développe des réflexions ; médite ; et qui est constamment
submergé par un flux de citations tirées des œuvres littéraires occidentales qu’il a lu étant
enfant. Ce qui contribue à retarder le récit.
En somme, le parcours par lequel passe Adam sert de noyaux, tandis que ses pensées servent
de catalysateurs. Mais les catalysateurs dominent le récit et c’est ce qui lui fait défaut.
L’incipit, est ce par quoi le lecteur entre dans la fiction, il a pour fonction de présenter le
cadre spatiotemporel de la fiction (la diégèse) au lecteur, de susciter sa curiosité, et de lui
proposer un possible narratif.
8
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
L’incipit de notre corpus d’étude ne semble pas remplir ces fonctions. Mais avant d’en
démontrer les failles, commençons d’abord par le délimiter. Andrea Del Lungo, propose une
manière de le faire. Selon elle, l’incipit est :
Un fragment textuel qui commence au seuil d'entrée dans la fiction (...) et qui se
termine à la première fracture importante du texte ; un fragment textuel qui, de par
sa position de passage, peut entretenir des rapports étroits, en général de type
métonymique, avec les textes qui le précèdent et le texte qui le suit, l'incipit étant
non seulement un lieu d'orientation, mais aussi une référence constante pour le
texte suivant. 6
Mais cette « fracture importante » n’est pas aisément repérable comme Andrea Del Lungo le
précise dans ce passage : « Les limites de l’incipit sont mobiles et incertaines et leur ampleur
peut varier considérablement suivant les cas »7. Dans le cas de notre récit, si on applique ce
que Andrea Del Lungo explique, on situerait cette fracture à la fin de la quatrième page : « et
ce fut le début de la fin de l’ingénieur Sijilmassi. »8 Ce passage entretient des rapports avec le
texte qui le précède et annonce ce qui va suivre, il correspond ainsi à cette fracture. Mais cet
incipit qui plongent le lecteur dans la tête d’Adam sijilmassi qui se pose une question
existentielle : « qu’est ce que je fais ici ? »9 qui fait un comparatif entre sa vie et celle de ses
ancêtres et qui développe une pensée sur la vitesse si bien qu’il décide de ralentir, se répète
maintes fois dans le récit, de sorte que l’incipit s’éparpille et c’est là la première faille de
l’incipit, la fracture ne met pas un terme à cet incipit dans la mesure où il se renouvelle. En
effet, on le retrouve une seconde fois : « Un, jours on décide de ne plus prendre l’avion »10,
une troisième fois : « un jour, à trente mille pieds d’altitude, dans un avion de la Lufthansa,
on décide de ralentir ; »11, une quatrième fois : « donc épiphanie au-dessus de la mer
d’Andaman.Avion, altitude, vitesse… « Qui suis-je », « Que fais-je ici ? », etc. Mon grand-
père, « digne vieillard qui jamais ne dépassa la vitesse du cheval au galop »... mon père,
6
Andrea Del Lungo, « Pour une poétique de l'incipit ». in Poétique n° 94, avril 1993, p. 137.
7
Ibid., p.54
8
LAROUI, Fouad. Les tribulations du dernier Sijilmassi. Julliard : Paris, 2014, p.12.
9
Ibid., p.9
10
Ibid., p.23.
11
Ibid., p.135.
9
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
« qui jamais ne posseda automobile »… Très bien ! Je freine donc, je ralentis, je m’arrête.
»12, et une cinquième fois : « Donc, il m’arrive quelque chose au-dessus de la mer
d’Andaman… C’est fort, décisif…irrépressible… Un choc… « Une expérience existentielle »,
comme on dit… Ma « nuit de feu »… Mon « second pilier à l’entrée du chœur »… je freine
des quatre fers, je m’arrête. »13
La seconde faille de l’incipit de notre roman réside dans son cheminement capricieux qui met
le lecteur dans une situation inconfortable. Il n’encre pas son histoire dans un cadre spatio-
temporel précis, et ne répond donc pas aux questions que tout lecteur se pose en entamant la
lecture d’une œuvre littéraire : Qui ? Où ? Et quand ? Ou du moins il y répond mais
évasivement : « Au dessus de la mer d’Andaman », « Un jour », « à trente mille pieds
d’altitude », « à bord d’un avion peint au couleur de la lufthansa »14. Il échoue donc dans sa
fonction de plonger le lecteur dans la fiction. En effet, au lieu de lui présenter la diégèse, il le
plonge dans la tête du personnage en lui exposant ses pensées par le biais du monologue
intérieur, qu’il rapporte de deux manières : Par le monologue rapporté « Un jour, alors qu’il
se trouvait à trente mille pieds d’altitude, Adam Sijilmassi se posa soudain cette question : -
Qu’est ce que je fais ici ? » Et par le monologue narrativisé.
Il s’agit alors d’un incipit que Gérard Genette qualifie de in media res et que Andrea Del
Lungo qualifie de Dynamique qui consiste à faire basculer le lecteur dans une histoire qui a
déjà commencé sans lui apporter la moindre précision ni information concernant la diégèse
Une autre fonction lui fait défaut : celle de programmer la suite du texte et donner ainsi des
indices sur le genre de l’œuvre. En d’autres termes, il n’esquisse pas un possible narratif
précis. En fait, il cible deux possibles narratifs.
12
Ibid., p205.
13
Ibid., p264.
14
Ibid., p.9.
10
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
Le second possible narratif qui se dessine, est celui du conte philosophique, la formule
d’entrée en constitue le premier indice, elle est typique au conte pour enfant, ce qui est aussi
l’une des caractéristiques du conte philosophique : « Un jour, alors qu’il se trouvait à trente
mille pieds d’altitude, Adam Sijilmassi se posa soudain cette question : ».16 Le second indice,
nous le trouvons au niveau du titre de l’œuvre, Les tribulations du dernier Sijilmassi. Ce titre
nous fait penser à la description que fait Jean Labesse de quatre contes philosophiques de
Voltaire :
En faisant le lien entre le titre de notre corpus d’étude, et ce que dit Jean Labesse dans ce
passage, nous pouvons effectivement dire que l’œuvre peut correspondre au genre du conte
philosophique.
Tous ces indices que nous donne l’incipit mettent le lecteur dans une position inconfortable
dans la mesure où il ne sait pas à quoi s’en tenir, à quoi s’attendre, à quel genre d’histoire il
15
DUBOR Françoise, « Le monologue, la question des définitions » in Le monologue contre le drame ?presse
universitaire de renne : 2011, p.38.
16
LAROUI, Fouad. Op, Cit. p.9.
17
LABESSE Jean. Le conte philosophique Voltairien.Ellipse, Paris, 1995. p.25.
11
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
sera confronté. L’incipit, au lieu de lui permettre de faire un premier pas dans l’univers fictif
de l’œuvre, l’invite à des réflexions sur le genre et le contenu de l’histoire.
Après une entrée en fiction déstabilisante, le lecteur sera d’emblée dérouté par le jeu entre
deux voix narratives que nous tenterons d’analyser dans le point qui suit.
Dans cette partie de l’analyse, nous allons tenter de démontrer qu’il y a deux instances
narratives qui prennent en charge la narration. Il y a dans un premier temps un narrateur qui
raconte en récit premier une histoire dont il ne fait pas partie, (un narrateur extradiégétique,
hétérodiégétique), et par focalisation interne, il nous rapporte les monologues intérieurs du
personnage principal. A travers ces monologues intérieurs, le narrateur en récit premier
semble céder le rôle de la narration à son personnage.
Pour étayer nos propos, nous allons nous appuyer sur ce que dit Maurice couturier, dans La
figure de l’auteur :
Pour le romancier moderne, l'enjeu principal consiste donc à imposer son autorité
figurale à un texte dont il feint de se désolidariser (...). Le roman moderne sera
donc habité par plusieurs énonciateurs entre lesquels l'auteur réel distribuera ses
effets de voix et aussi ses désirs, rendant ainsi le lecteur incapable de reconstituer
à coup sûr les contours du « sujet-origine » pour reprendre l'expression de Käte
Hamburguer. 18
Nous décelons, en effet, la présence de deux instances narratives dans notre corpus d’étude.
Le premier, narrateur extradiégétique, raconte en récit premier des évènements. Le second,
narrateur personnage, les commente. Le rôle de la narration s’alterne ainsi entre ces deux
instances tout au long du récit si bien qu’il est difficile au lecteur d’attribuer la responsabilité
18
Maurice COUTURIER, La figure de l'auteur, Paris : Seuil, 1995, p. 73. Cité par : Elisabeth Delrue, « La
polyphonie narrative : techniques, fonctions, incidences sur la lecture dans El Árbol de la cienca et La Dama
errante de Pìo Baroja », Cahiers de Narratologie [En línea], 10.1 | 2001, Publié le 20 novembre 2014, consulté
le 02 mars 2018. URL : http://journals.openedition.org/narratologie/6992
12
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
des propos à l’un ou à l’autre narrateur. Après maintes lectures de notre roman, nous avons pu
séparer le récit premier du second.
Le premier narrateur que nous avons décelé, est un narrateur extradiégétique hétérodiégétique,
qui oscille entre la focalisation externe et la focalisation interne. En adoptant la première, il se
contente de déterminer le cadre spatio-temporel, de décrire physiquement les personnages, et
de rapporter leurs dialogues, on a affaire ainsi à un récit qui raconte les différentes tribulations
par lesquelles passe le personnage principal, Adam sijilmassi. En adoptant la focalisation
interne, le narrateur rapporte les monologues intérieurs, du personnage principal, Adam
sijilmassi, par le biais du psycho-récit, du monologue narrativisé, et du monologue rapporté, à
travers lesquelles ce dernier commente les événements qu’il traverse, les personnages qu’il
rencontre, il leur imagine une vie, il devine leurs monologues et leur donne des noms. Ce qui
constitue une sorte de mise en abyme, et qui fait du personnage un narrateur hétérodiégétique.
En effet le personnage, en commentant le récit premier, crée son propre récit.
On décèle ainsi un premier récit qui raconte les tribulations événementielles d’Adam
Sijilmassi. Et un second récit qui raconte ses tribulations mentales. Le premier le fait par le
biais du dialogue qui est selon le lexique des termes littéraires « un type de texte qui présente
les prises de parole successives de deux ou plusieurs locuteurs »19, le second par le biais du
monologue. Le monologue qui est selon Françoise Dubor : « l’espace dangereux d’une
expérimentation radicale, par laquelle pourrait cesser toute parole : il est en permanence au
bord de ce silence définitif. »20 L’œuvre vacille ainsi entre la prise de parole et le silence.
A travers les monologues intérieurs, le narrateur personnage, nous fournit des informations
sur son passé. Et en commentant les événements racontés en récit premier, il les raconte une
seconde fois. Ce qui rompt et entrave la linéarité du récit et lui confère un aspect redondant.
C’est ce que nous allons démontrer dans le point qui suit.
19
Lexique des termes littéraire. Librairie générale française, 2001.
20
DUBOR Françoise, « Le monologue, la question des définitions » in Le monologue contre le drame ?presse
universitaire de renne : 2011, p.38.
13
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
Étudier les anachronies narratives c’est s’intéresser aux relations entre le temps du récit
et le temps de l’histoire. Car le récit est :
Pour rendre compte de la rupture de la linéarité dont fait preuve notre récit, nous étudierons la
vitesse, la fréquence et l’ordre de la narration. Etudier la vitesse d’un récit c’est étudier son
rythme, et pour cela la narratologie propose de le faire selon trois modes fondamentaux : la
scène, le sommaire et la pause qui correspondent respectivement aux formules suivantes : TR
(tempes du récit) = TH (temps de l’histoire), TR (temps du récit) <TH (temps de l’histoire),
TR (temps du récit =n ; TH (temps de l’histoire)=0.
Notre récit vacille entre la scène, le sommaire et la pause. Tantôt il adopte la scène, comme
c’est le cas dans les chapitres 10, 11, 25 et 26 où le dialogue prédomine et donne ainsi
l’illusion d’une harmonie entre le temps que le lecteur met à les lire et le temps qu’ils mettent
à se réaliser. Tantôt il adopte le sommaire, en résumant les dialogues entre les personnages,
comme c’est le cas dans cet extrait : « néanmoins il raconta calmement ce qui lui était arrivé
au cours des jours précédents. Tout y passa : la cogitation dans l’avion, la démission, les
multiples scènes avec Naima… et il finit par sa décision de changer radicalement de vie »22
Tantôt il adopte la pause en plongeant le lecteur dans la tête du personnage par le biais du
psycho-récit qui consiste à présenter la vie intérieur du personnage. En effet le personnage
principal se pose des questions philosophiques et se perd souvent dans des songes. Ce qui
constitue des pauses à la narration. De surcroît, l’attitude qu’a le personnage Adam sijilmassi,
de voir « de façon très naturelle les pires cataclysmes se produire soudain, quand pour les
21
Christian Metz, Essai sur la signification au cinéma. Paris, klincksiek, 1968, p.27.
22
LAROUI, Fouad. Op, cit. p.79.
14
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
autres, rien ne s’était passé »23, et qu’il transcrit cette hallucination sous forme de fait divers
comme ce passage :
Ce genre de passage pullule tout au long du récit, ce qui constitue des pauses dans la mesure
où le récit se poursuit sans qu’il se passe quelque chose sur le plan de l’histoire.
Le second élément qui rompt avec la linéarité du récit est la fréquence qui, selon Gérard
Genette, peut être de trois modes : Le mode singulatif qui consiste à raconter une fois ce qui
s’est passé une fois, le mode itératif qui consiste à raconter une fois ce qui s’est passé
plusieurs fois, et le mode répétitif qui consiste à raconter plusieurs fois ce qui s’est passé une
fois. Nous pensons que c’est ce dernier mode qui est mis en œuvre dans notre corpus d’étude.
En effet, le récit nous plonge dans la vie intérieure du personnage principal, Adam Sijilmassi,
qui se pose des questions philosophiques, et qui ne cesse de revoir les événements qu’il a
vécu, pour les analyser et essayer de comprendre ce qui lui arrive, et de trouver ainsi une
réponse à ses tourments. Et de ce fait, plusieurs points de l’intrigue sont racontés maintes fois.
Le cheminement de sa pensée depuis la cogitation qu’il a eu à bord de l’avion, jusqu’à sa
prise de décision de changer de vie, est raconté dans plusieurs chapitres de l’œuvre.
Le troisième élément qui rompt avec la linéarité du récit est l’ordre dans lequel il est écrit, il
présente plusieurs anachronies narratives qui, selon Gérard Genette, peuvent être de deux
sortes, il distingue les prolepses, les anachronies par anticipation qui évoquent un événement à
23
Ibid., p.23.
24
Bibid., p.44.
15
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
venir. Et les analepses, les anachronies par rétrospection qui évoquent des événements
passés.et c’est cette dernière qui est mise en œuvre dans notre récit afin d’apporter des
éclaircissements, ou des informations utiles à la compréhension de l’histoire, comme c’est le
cas dans ce passage : « il l’avait reçus lors d’une distribution de prix, en sixième, entre une
vie de pasteur et les Merveilles de cathédrales […] les regards complices échangés avec
d’autres élèves distingués ce jour-là. »25 Où il évoque le jour où il a reçu son vieux Larousse
lors d’une remise des prix au lycée. Il a recours à des analepses pour évoquer l’époque de ses
prédécesseurs, la décrire et faire un comparatif avec la vie qu’il mène, comme le témoigne ce
passage : « N’était-ce pas ainsi que les hommes, à l’époque de son grand-père, passaient leur
journée ? » et ce passage où il évoque une anecdote :
Et se souvint de cette anecdote qu’on lui avait racontée : son père sur le solex, à
El-Jadida, sa mère installée sur le siège arrière-si l’on peut dire, ce n’était qu’un
petit rectangle de mousse noir- la djellaba de sa mère, tissu flottant, encombrant,
qui se prend dans la roue et c’est la chute, les ecchymoses, une fracture, les
badauds qui s’esclaffent.26
25
LAROUI, Fouad. Op. Cit, p37.
26
Ibid., p55.
27
LAROUI, Fouad. Op. Cit. p.61.
16
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
centaines alignés au fond d’un désert de l’Arizona. Et Celui de ses prédécesseurs, « son
grand-père, le hadj Maati, digne vieillard assis, immobile, dans le patio de sa demeure, qui
occupait ses jours et consumait ses nuits à compulser d’augustes traités composés mille ans
plutôt à bagdad ou en Andalousie »28, que nous développerons davantage dans le troisième
chapitre.
Nous avons relevé un autre aspect dans le récit, celui de la présence d’extraits d’autres
œuvres littéraires Ce qui nous a, à première vue, fait penser au plagiat qui : « désigne un
comportement réfléchi, visant à faire usage des efforts d’autrui et à s’approprier
mensongèrement les résultats intellectuels de son travail. »29 Nous l’avons relevé au niveau
des intertitres, et dans le corps du récit. Mais qui finalement s’avère être un travail de citation,
Antoine Compagnon en a consacré tout un ouvrage intitulé : La seconde main ou le travail de
la citation où il reprend les mots de Borges pour qualifier l’auteur qui s’adonne au travail de
la citation de « bricoleur » : « Bricoleur, l’auteur fait avec ce qu’il trouve, il monte en épingle,
il ajuste ; c’est une petite main. Il entreprend, tel robinson échoué sur son île, d’en prendre
possession en reconstruisant sur les débris d’un naufrage ou d’une culture »30. L’auteur de
TDS serait donc un « bricoleur ». Pour le vérifier commençons par les intertitres :
Les intertitres font partie du paratexte qui constitue tous ces éléments qui se trouvent au seuil
de l’œuvre, qui ne font pas partie du récit en question mais qui l’accompagnent et le
prolongent. Selon Gérard Genette, ils remplissent les mêmes fonctions que le titre, à savoir la
fonction de désignation, la fonction descriptive et la fonction séductive. Et peuvent être de
nature anaphorique, évoquant un fait ou un personnage précédemment cité, ou de nature
cataphorique, évoquant un fait ou un personnage pour la première fois.
28
Ibid., p.11.
29
SCHNEIDER, Michel. Voleur de mots. Gallimard : Paris, 1985. p. 38.
30
COMPAGNON, Antoine. La seconde main ou le travail de la citation : édition du Seuil, Paris, 1979. P.33.
17
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
Louis XIV
18
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
Notre personnage, Adam Sijilmassi, est caractérisé par une chose particulière. Il explique : « il
y a beaucoup de phrases, généralement tirées de la littérature française, qui me trottent dans
la tête. Qui me font une sorte de…de vade macum. »31 et ces phrases, nous les retrouvons tout
au long du récit se combinant avec lui et formant ainsi un texte cohérent comme c’est le cas
dans ce passage : « Des noyés descendaient dormir à reculons…Et au bout une lueur
scintillait… une tache claire circulaire… taché de lunules électriques. »32 Il s’agit là d’un
extrait du poème Le bateau ivre d’Arthur Rimbaud. Et ce passage : « il leva les yeux une
dernière fois vers le bâtiment qui abritait l’Office des bitumes du Tadla… Curieux aérolithe…
Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur. »33 extrait du poème Le tombeau d’Edgar Poe
de Mallarmé. Ce genre de passages pullule tout au long du récit. Il s’agit alors d’une greffe
qui se qualifie ainsi dans le livre d’Antoine Compagnon : « La citation est un corps étranger
dans mon texte, parce qu’elle ne m’appartient pas en propre, parce que je me l’approprie. »34
Il ajoute : « Le travail de l’écriture est une récriture dès lors qu’il s’agit de convertir des
éléments séparés et discontinus en un tout continu et cohérent. »35 C’est exactement le cas de
notre récit.
31
LAROUI,Fouad. Op Cit. p.80
32
Ibid., p.104.
33
Ibid., p.105.
34
COMPAGNON, Antoine ; Opp, Cit, p. 31
35
Ibid., p.32
19
[Premier chapitre : Les tribulations de la narration]
Au terme de ce chapitre, au cours duquel, nous avons étudié la structure du récit, nous
constatons qu’il est disloqué à plusieurs niveaux : le récit est dominé par les fonctions
discursives, il se focalise sur les pensées du personnage plutôt que sur les péripéties qu’il
traverse ; la narration de ces pensées parasite les fonctions de l’incipit ; dédouble la voix
narrative ; tiraille le rythme du récit et tisse une correspondance entre notre récit et d’autres
œuvres littéraires par le biais de la citation.
Cette dislocation joue un rôle : celui d’éloigner le récit du genre indiqué au niveau du
paratexte « roman », et le rapproche d’autres genres. Par les réflexions que développe le
personnage, nous faisons l’hypothèse que le récit se rapproche du genre du conte
philosophique et du genre de l’essai, et par le travail de la citation où plusieurs extraits de
poèmes parsèment le récit et lui confère un rythme musical, rapproche notre récit du genre du
récit poétique.
20
Deuxième chapitre
21
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
Le travail que nous avons réalisé au premier chapitre, révèle que notre récit est régi à la fois
par des fonctions narratives et par des fonctions discursives. Nous faisons l’hypothèse que les
fonctions discursives, en plus de révéler les réflexions et les pensées du personnage, en
l’occurrence sa vie intérieure, contribuent à rapprocher notre œuvre, TDS, d’autres genres
littéraires et l’éloigner du genre indiqué au niveau du paratexte : « roman ». Nous pensons que
le genre du conte philosophique esquissé par le possible narratif que propose l’incipit
s’actualise au cours du récit, que notre roman serait envahi par un autre genre littéraire qu’est
l’essai et que la façon dont est écrit notre récit donne naissance à un autre genre littéraire,
celui du récit poétique. Notre récit se situerait ainsi à la frontière entre trois genres littéraires :
le conte philosophique, l’essai et le roman poétique.
36
Henri Michaux, « L’époque des illuminés », Qui je fus, in Œuvres Complètes, tome I, Édition de Raymond
Bellour avec la collaboration d’Ysé Tran, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, p. 106.
22
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
Pour étayer nos propos, nous allons, en premier lieu, dans le cadre de ce chapitre, démontrer
que notre récit prend des allures du conte philosophique en transposant les caractéristiques
formelles de ce genre à notre roman. Ensuite, nous allons tenter de déceler les caractéristiques
du genre de l’essai en nous appuyant sur l’article qui nous a inspiré cette idée :
« L’essayisation dans le roman d’A. Maalouf, Le premier siècle après Béatrice ». Avant de
voir comment notre récit s’apparente au récit poétique en nous appuyant sur la définition que
fait Jean Yves Tadié de ce genre littéraire et sur un article de Devoivre Christèle intitulé :
« errance dans le récit poétique, errance du récit poétique ».
Il(le conte) est une forme militante inventée par ce qu’on appelle les Lumières
[…] Cet art du tour, les philosophes vont le détourner au service de la philosophie.
Voltaire finit par se persuader de la dignité « philosophique » de ce genre. Il en
réutilise les formes d’ouverture topiques, mais en s’installant « dans un entre-
deux, suffisamment fantaisiste pour amuser, suffisamment crédible et réaliste pour
entraîner l’adhésion du lecteur et aiguiser son sens critique », note Jean Marie
Goulemot, qui précise : « le vas-et-vient- est continuel entre la réflexion
philosophique en profondeur, le militantisme des Lumières et les polémiques les
plus immédiatement actuelles.37
Nous pensons que TDS se rapproche du genre du conte philosophique, puisque nous y
décelons à la fois des réflexions philosophiques, des sujets qui s’apparentent au militantisme
37
SOLER Patrice. Genre, formes, tons. Presses universitaires de France, Coll Premier cycle, Paris, 2001. p.429.
23
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
des Lumières38, des polémiques actuelles et surtout trois caractéristiques formelles propres à
ce genre littéraire à savoir la présence d’un thème canonique du conte philosophique qu’est le
voyage et l’exotisme, la fantaisie qui vise à distraire le lecteur et la satire.
Dans TDS Adam sijilmassi effectue un voyage, de Casablanca à son village natal,
Azemmour. Il se dirige à pied vers le village qu’il a quitté étant enfant et dont il ne connait
pas les mœurs actuelles, c’est, en somme, un lieu qui lui est étranger qu’il va découvrir et
faire découvrir simultanément au lecteur. Le thème du voyage et de l’exotisme est en effet
présent dans notre récit. Ce passage vient appuyer nos propos : « étant en étrange pays en
mon pays ; et en moi-même »39. Adam ne se sent pas chez lui dans son pays.
2.1.2 La fantaisie
38
Nous mettons ici la définition des Lumières trouvée sur Wikipedia : Le siècle des Lumières est un mouvement
littéraire et culturel lancé en Europe au XVIIIe siècle (1715-1789), dont le but était de dépasser l'obscurantisme et
de promouvoir les connaissances. Des philosophes et des intellectuels encourageaient la science par l’échange
intellectuel, s’opposant à la superstition, à l’intolérance et aux abus des Églises et des États. Le terme de
« Lumières » a été consacré par l'usage pour rassembler la diversité des manifestations de cet ensemble d’objets,
de courants, de pensée ou de sensibilité et d’acteurs historiques. Ce terme est aussi utilisé pour désigner les
philosophes ayant vécus durant cette période historique (Montesquieu, Diderot, Voltaire, Rousseau). Disponible
sur ce lien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8cle_des_Lumi%C3%A8res
39
LAROUI,Fouad. Opp Cit, p155.
40
Ibid., p.120.
24
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
semaines. »41 Adam s’adresse à une cigogne qui lui a posé une question, ce qui donne à ce
passage le ton d’une fable. L’épisode conjugal narré dans les chapitres 4, 5, 6, 7 et 9 confère à
l’histoire un aspect amusant. Au cours de la lecture de ce récit, viennent s’interférer dans la
tête du lecteur, des refrains de comptines, des passages d’un conte, et un passage d’une fable,
ce qui a la fonction de le divertir.
Nous allons maintenant nous intéresser aux réflexions de notre personnage qui
représentent l’un des critères sur lesquels nous nous basons pour classer TDS dans le genre du
conte philosophique. En effet, Adam, dans ses moments de réflexion ou quand il dialogue
avec d’autres personnages, développe des théories. La première théorie prétend que le chaos
du maghreb est le résultat de l’oubli de la philosophie arabe médiévale par les arabes et de son
occultation par l’occident. Les chapitres 18, 19, et 20 retracent la période où Adam se retire
dans l’une des chambres du Riad ancestral pour y découvrir les livres des penseurs arabes tel
que Ibn Tofayl, Ibn Rochd et Ghazali dans le but de remplacer ses références françaises par
des références arabes. Suite à ces lectures il découvre que les thématiques abordées par ces
penseurs au XIIème siècle sont celles qu’abordent bien plus tard les philosophes occidentaux.
Par exemple, le thème de la dissection et de la religion naturelle sont abordés dans Hayy Ibn
Yakzân d’Ibn Tofayl, la prééminence de la raison dans Le traité décisif d’Ibn Rochd et la
controverse entre Ibn Rochd et Ghazali s’apparente à la querelle entre les disciples de Pascal
et ceux de Descartes. Par conséquent Adam est content parce que contrairement à ce qu’il
pensait, dans son entreprise de remplacer ses références françaises par des références arabes il
n’allait pas s’abêtir. « Dans le detricotage, je peux retrouver la terre ferme, celle de
l’intellect, de la pondération, de l’intelligence ; […] En oubliant Voltaire, je ne me condamne
pas à devenir sot, ni fanatique »42 il se dit : « Nil novi sub sole […] sauf que ce soleil-ci est
bien le mien, celui de mon père, de mon grand-père, de mes aïeux »43. Mais il sera vite déçu
parce qu’il va se rendre compte que à Azemmour on n’a pas laissé de place à cette
philosophie tout le monde l’ignore et lui tourne le dos au profit d’une ferveur religieuse. De
41
Ibid., p185.
42
LAROUI, Fouad. Op. cit. p.150.
43
Ibid., p154.
25
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
surcroît, Lui qui a été au lycée français Lyautey, en se remémorant les cours qu’il a reçu, il
remarque l’absence de la philosophie arabe médiévale dans le programme scolaire français,
dans un cours sur la dissection l’enseignant mentionne Vésale mais pas Ibn Tofayl, et dans un
cours de philosophie, l’enseignant mentionne la querelle entre les disciples de pascal et ceux
de Descartes mais pas celle de Ghazali et d’Ibn. Il pense que cette ferveur religieuse est la
conséquence de la révolution iranienne : « peut-être ce phénomène soudain (ferveur
religieuse) avait-il été la conséquence de la prise du pouvoir, en Iran, en 1979, par
l’ayatollah Khomeiny ? […] Cet accès de ferveur religieuse était aussi le résultat (voulu ?) de
la politique d’arabisation et d’islamisation de l’enseignement. »44, ce qui veut insinuer, que
les arabes ne se reconnaissent pas dans la culture occidentale parce qu’ils n’y trouvent pas des
références arabes. Ajouté à cela, la politique d’arabisation et d’islamisation de
l’enseignement, les arabes pensent qu’il n’y a que l’islam qui les définit, et c’est la raison
pour laquelle ils s’y attachent et rejettent toute autre culture. Cette haine entre l’occident et
l’orient serait donc à l’origine des malheurs et du chaos de l’orient ce qu’on appelle
communément « faille horizontale ».
Au chapitre 31, lors d’une discussion entre Adam et son cousin Abdelmoula, Adam traite son
cousin d’ « omariste » et c’est là qu’il developpe la théorie du deuxième homme, il
l’explique :
Deuxième homme des religions. Par exemple, le christianisme a été inventé par
Paul et non par le Christ, le mormonisme par Brigham Young et non par Joseph
Smith […] c’est toujours le deuxième homme qui met en place les rites, ce qu’il
faut faire, ce qu’il faut croire, etc. En islam, c’est le calife Omar 45
Ainsi, toute l’austérité dont est pourvu l’islam aujourd’hui serait l’apport du calife Omar,
tandis que l’islam tel qu’apporté par le prophète Mahomet serait moins austère.
44
LAROUI, Fouad. Op. Cit. p.192.
45
Ibid., p226.
26
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
explique que l’absurde naît de l’appétit de clarté de l’homme qui se heurte à un monde
déraisonnable et dépourvu de sens, en guise de solution certains proposent le suicide ou
l’espoir qu’Albert Camus méprise, parce qu’il pense que la vraie solution est de vivre dans
l’absurde, faire en sorte de vivre le plus, de multiplier les expériences plutôt que de chercher à
vivre le mieux. Et c’est précisément cette démarche qu’on décèle dans la trajectoire d’Adam.
Il prend conscience du fait que son mode de vie est occidentalisé, que sa vie est brouillée par
l’éducation purement française qu’il a reçu au lycée français, que son monde est fait de
représentation, qu’il est en somme un monde factice. Et prend la décision de faire un retour
aux sources à la recherche de clarté et de pureté où il n’ y aurait pas de place aux
représentations, mais il se heurte à une société disjonctée, superstitieuse, fanatique,
intolérante, bête, et qui se fait manipulé par un Etat vicieux qui exploite la bêtise et la
crédulité du peuple pour arriver à ses fins. Et le sentiment de l’absurde naît chez Adam, du
fait que son désir de trouver une clarté et une pureté et un sens à sa vie se heurte à une société
dépourvue de raison et qui se caractérise que par des paradoxes. Et pour trouver une solution
il pense d’abord au suicide, ensuite à la révolte, mais fini par opter pour le silence, il se
marginalise, et vie au bord de la mer où il se mure dans le mutisme.
2.1.4 La satire
Le quatrième critère que nous avons relevé est l’usage de la satire. Le registre satirique
s’attaque à quelqu’un ou quelque chose en s’en moquant et en le tournant en dérision dans le
but d’amuser le lecteur et de le faire réfléchir. Il est ainsi à la frontière entre le registre
polémique et le registre comique. Dans le cas de notre récit, trois choses sont pointées du
doigt : la superstition, le fanatisme et le despotisme qui règnent à Azemmour. Au chapitre 21
L’auteur s’en moque en ces termes : « Bouazza plonge chaque jour son seau dans un puits à
sec, ce qui ne l’empêche nullement de faire concurrence à Evian […] Un marocain a
découvert une source miraculeuse, rue du Mouflon, à Azemmour. Ayant fait fortune, il rachète
la tour Eiffel, et épouse Mistinguett. Où s’arrêtera-t-il ? »46 (L’hyperbole et l’ironie sont ainsi
les moyens dont use l’auteur pour se moquer de Bouazza.
46
LAROUI, Fouad. Op. cit. p160.
27
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
A travers les dialogues qu’Adam Sijilmassi a avec son cousin Abdelmoula, il dénonce le
fanatisme religieux, et à travers celles qu’il a avec Basri, il s’attaque au despotisme.
L’article intitulé : « L’essayisation dans le roman d’A. Maalouf, Le premier siècle après
Béatrice »47, a amplement inspiré notre réflexion à propos de TDS. L’auteur y démontre que
le processus d’écriture de ce roman entretient des correspondances avec les procédés
d’écriture du genre de l’essai. Il en décèle quatre de ses caractéristiques: l’usage de la
première personne, l’adresse à un destinataire, l’ancrage dans le réel et la rhétorique de la
persuasion. Il aboutit ainsi à cette conclusion :
Les procédés de l’écriture argumentative […] ont tous un seul but : gagner
l’adhésion du lecteur à la thèse qui domine l’œuvre : celle des conséquences
désastreuses de cette « faille horizontale » entre le Nord et le Sud. […] Nous
pouvons dire que, les fictions que propose Amin Maalouf tendent toutes vers
l’essayisation en traitant des questions d’actualité.48.
Nous pensons que TDS tend aussi vers l’essayisation, car nous y retrouvons justement cette
thèse de la « faille horizontale » entre l’Orient et l’Occident et deux caractéristiques du genre
de l’essai : l’ancrage dans le réel, et la rhétorique de la persuasion.
Partant alors de l’idée que l’essai est une « prose non-fictionnelle à visée argumentative »49
nous allons tenter de démontrer que cette définition peut s’appliquer à TDS.
Le texte argumentatif défend une thèse. Celle défendue par notre récit est : « l’origine du
chaos et de la ferveur religieuse du maghreb est la « faille horizontale » entre le Nord et le
Sud et la politique d’arabisation et d’islamisation de l’éducation ».
47
Arezki Alem. « L’essayisation dans le roman d’A. Maaloud, Le premier siècle après Béatrice » in Synergie
Algérie n°23 – 2016. P.221-232.
48
Ibid., p. 231.
49
Glaudes et Jean-François Louette. L’Essai : Paris, Hachette, 1999. p. 7.
28
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
Pour faire adhérer le lecteur à cette thèse, différents critères de l’écriture argumentative sont
mis à l’épreuve. Le premier critère est la « présence récurrente du «je» et l’adresse implicite
à un destinataire » ce jeu est subverti dans notre récit, dans la mesure où la thèse est soutenu
par le personnage Adam, il le fait par le biais du monologue intérieur, il se parle donc à lui-
même, mais le lecteur est interpelé par le narrateur qui justement rapporte les monologues
intérieurs d’Adam. Donc, dans le cas de notre récit, c’est le narrateur qui interpelle le lecteur
afin d’attirer son attention sur les idées que développe le personnage en se parlant à lui-même,
comme c’est le cas dans ce passage : « Adam voit sans doute dans cette scène quelque chose
que nous n’y voyons pas. Patience, il va nous l’expliquer. »50, le narrateur s’adresse ainsi au
narrataire dans le but de le convier à s’intéresser aux idées que va développer le personnage.
Le second critère que nous avons relevé est l’ancrage dans le réel, il confère à notre récit un
aspect non-fictionnel, en évoquant des lieux référentiels tel que : Maroc, Casablanca,
Azemmour, Suède, Iran ; En situant l’histoire dans « l’an 2000 passé de quelques années »
(p.180) ; En évoquant un fait historique : « La prise du pouvoir, en Iran, en 1979, par
l’ayatollah Khomeiny »51 et en évoquant certaines personnalités politique : Khomeiny, Nasser,
Hassan II, le récit gagne en crédibilité.
Le troisième critère est l’usage de questions rhétoriques : « Comment, pourquoi, tout cela
avait-il commençait ? » 52 qui a pour but d’introduire un développement, que voici :
L’auteur avance une autre raison qui vient appuyer sa thèse qui est le fait que l’école occulte
la philosophie arabe médiévale (que nous avons démontré plus haut).
50
LAROUI, Fouad. Op. cit. p99.
51
LAROUI, Fouad. Op. cit. p191.
52
Ibid., p.191.
53
Ibid., p192.
29
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
De ce fait, ce que l’auteur désire expliquer est que les arabes ne se reconnaissent pas dans la
culture occidentale puisqu’ils n’y retrouvent pas des références arabes, et par ce que l’école
arabe est arabisée et islamisée pensent que la seule entité qui les définie est l’islam, et de ce
fait ils rejettent toute la culture occidentale et se terre dans l’islam qui engendre leur ignorance
et leur intolérance que notre récit met en œuvre par le biais de plusieurs personnage tel que
Abdelmoula qui tient ce langage : « Pourquoi payer des fortunes aux américains pour leur
Zoloft ou leur Prozac, alors que le prophète nous a révélé que ces prétendus médicaments ne
sont pas plus performants que la bonne vielle talbina des familles ? ».54.On rejette même la
médecine parce qu’on pense qu’elle vient de chez les incroyants. Plusieurs séquences dans le
récit contribuent à donner des exemples qui mettent en lumières les conséquences fâcheuses
de cette « faille horizontale ».
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’effectivement notre récit est susceptible d’être classé
dans la catégorie du genre de l’essai.
Le troisième genre littéraire auquel semble appartenir notre récit est : le récit poétique
que Jean Yves Tadié définit comme suit :
Le récit poétique en prose est la forme du récit qui emprunte au poème ses
moyens d’action et ses effets, si bien que son analyse doit tenir compte à la fois
des techniques de description du roman et de celles du poème : le récit poétique
est un phénomène de transition entre le roman et le poème.55
Ainsi, le récit poétique vacille entre le genre du roman et celui du poème. Dans le cas de notre
récit, c’est les nombreux vers extraits de divers poèmes parsemant le texte qui lui confèrent un
caractère type du poème à savoir un rythme et une musicalité et contribuent à le rapprocher du
genre du récit poétique. En effet, Adam Sijilmassi est imprégné par les lectures qu’il a faites
étant au lycée. De nombreux passages, appris par cœur, lui traversent souvent l’esprit. Parmi
54
Ibid., p197.
55
Jean-Yves Tadié, Le Récit poétique, Gallimard : Paris, 1994. p. 7.
30
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
ces passages on compte des vers de Charles Baudelaire, Victor Hugo, Arthur Rimbaud et
Edgar Poe.
Mais il n’y a pas que des extraits de livres lus étant enfant qui lui traversent l’esprit, des
questions existentielles comme : « Qu’est ce que je fais ici ? », « qui suis-je ? », « où vas-
tu ? » lui occupent souvent l’esprit, et c’est là un des points qui ont suscité cette question :
Adam Sijilmassi, serait-il sujet à une errance psychologique ? Une question qui nous a été
inspirée par un article intitulé : « errance dans le récit poétique, errance du récit poétique »56
où Devoivre Christèle, l’auteur de l’article, formule l’hypothèse selon laquelle l’essence
même du récit poétique serait la quête d’un espace. Après avoir porté son attention sur cinq
œuvres littéraires afin de montrer : « comment le récit poétique, attaché de façon
indissociable aux parcours spatiaux des personnages, produit un espace qui lui est propre,
qu’il définit et qui le définit » aboutit à cette définition : « Le récit poétique n’est plus, dès
lors, que le récit d’une longue errance : errance physique, errance psychologique, qui
engendrent une autre errance, textuelle celle-là. »57. C’est précisément ce que fait Adam
Sijilmassi, il est d’abord, sujet à une errance psychologique, il est au prise avec une question
philosophique et souffre d’une crise identitaire, il se demande constamment qui il est, devrait-
il changer de vie, vivre au rythme de ses ancêtres et c’est ainsi qu’il se perd dans ses pensées.
Ne sachant pas comment s’y prendre pour s’orientaliser, Adam met en œuvre son entreprise
de manière aléatoire et se laisse guider par son instinct et ses pensées, il se retrouve ainsi à
errer physiquement. En effet, un champ lexical du déplacement est fortement présent : « j’ai
envie de marcher »58, « vous aller marcher pendant des heurs »59, « arrivé à un carrefour
[…] il tourna à droite […] il avançait lentement. »60, « il partit en direction du sud », « il se
leva et se remit à marcher vers Azemmour »61, « il reprit sa marche »62, « il sortir de la
56
Devoivre, Christèle. 2005. « Errance dans le récit poétique, errance du récit poétique ». Dans Errances. Article
d’un cahier Figura. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain.
<http://oic.uqam.ca/fr/articles/errance-dans-le-recit-poetiqueerrance- du-recit-poetique>. Consulté le 24 avril
2018. D’abord paru dans (Bouvet, Rachel et Myra Latendresse-Drapeau (dir.). 2005. Montréal : Figura, Centre
de recherche sur letexte et l'imaginaire. coll. Figura, vol. 13, p. 31-40).
57
Ibid., p.40.
58
LAROUI, Fouad. Op. cit. p15.
59
Ibid., p.22.
60
Ibid., p105.
61
Ibid., p.110.
62
Ibid., p.117.
31
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
pièce »63, « il sortit faire un tour »64. de surcroît Adam se retrouve souvent face à la mer, et
c’est sa dernière destination, dans la mesure où à la fin de sa quête il s’installe comme un fou
face à la mer où il vit désormais. La mer est un élément de l’errance, et elle est prépondérante
au sein de notre récit.
63
Ibid., p.121.
64
Ibid., p.154.
32
[Deuxième chapitre : L’entre deux générique]
33
Troisième chapitre
L’écriture de la marge
34
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
Pour les groupes comme pour les individus, vivre c’est sans cesse se désagréger et
se reconstituer, changer d’état et de forme, mourir et renaître […] Et toujours ce
sont de nouveaux seuils à franchir, seuils de l’été ou de l’hiver, de la saison ou de
l’année, du mois ou de la nuit; seuil de la naissance, de l’adolescence ou de l’âge
mûr; seuil de la vieillesse; seuil de la mort; et seuil de l’autre vie – pour ceux qui y
croient.67
65
LAROUI, Fouad. Op. cit. p279.
66
Dans cet article, publié dans le numéro « Ethnocritique de la littérature » de la revue romantisme, SCARPA
Marie, explique comment à partir de l’hypothèse d’une homologie possible entre rite et récit, elle a aboutit au
concept du personnage liminaire. Il est consultable sur Lien : <https://www.cairn.info/revue-romantisme-2009-
3.htm>
67
Arnold Van Gennep, Les rites de passage. Paris, Picard, 1988 p.272. cité par Ménard, Sophie, « Le «
personnage liminaire » : une notion ethnocritique », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université
35
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
Le récit, selon l’ethnologue Yvonne Verdier met en scène un nombre important de rites de
passage et, elon elle, le roman montre ce qui advient quand on se détourne de ce que
justement édictent ces rites. Marie Scarpa, en établissant un lien entre ces deux dernier,
aboutit à une catégorie de personnages qui à la fin de leur initiation, au lieu de converger vers
un nouveau statut après s’être dépouillé de l’ancien et accéder ainsi à une nouvelle place au
sein de leur groupe social, finissent par être bloqués dans un seuil où ils sont à la fois
caractérisés par leur ancien statut dont ils ont du mal à se détacher, et de leur nouveaux statut
qui ne leur permet pas de se socialiser. Et ils sont par conséquent des « mal ou des non
initiés ». Ce sont ceux là que Marie Scarpa appelle « personnages liminaires » qui sont, selon
elle, des : « figures bloquées sur les seuils, figées dans un entre deux constitutif et définitif,
« inachevées» du point (de la socialisation). »68.
Pour démontrer que notre personnage est bien de nature liminaire tel que conçu par Marie
Scarpa, nous allons en premier lieu, en nous appuyons sur le livre de Gérard Genette, Seuils,
étudier l’épigraphe qui semble annoncer la désocialisation et la marge. Ensuite, en nous
appuyant sur la théorie de l’ethnocritique, nous démontrerons que les traits qui caractérisent
Adam sont propres au personnage liminaire, à savoir, les caractéristiques du personnage qui
ne passe pas, ou qui passe mal. Enfin, nous transposerons les trois phases du rite de passage
sur la trajectoire de notre personnage.
Dans son livre intitulé Seuils, Gérard Genette écrit que l’épigraphe est : « comme une
citation placée en exergue, généralement en tête d’œuvre ou de partie d’œuvre »69. Selon lui,
l’épigraphe est dotée de fonctions qu’il répartie en quarte classes. La première fonction
consiste à justifier le titre, la seconde fonction « consiste en un commentaire du texte, dont
elle précise ou souligne indirectement la signification.»70. La troisième fonction porte l’intérêt
Toulouse Jean Jaurès, n°8 « Entre-deux : Rupture, passage, altérité », automne 2017, mis en ligne le 19/10/2017,
disponible sur <http://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita- 2/2017/09/24/le-personnage-liminaire-une-notion-
ethnocritique/>.
68
M. SCARPA, Op. Cit., p.28.
69
GENETTE, Gérard. Seuils. Edition : Seuil, 1987. p.160.
70
Ibid., p.161.
36
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
Nous pensons que c’est la deuxième fonction qui correspond à l’épigraphe de notre roman. En
effet, quand nous lisons : « Celui qui aujourd’hui ne se retire pas entièrement de ce bruit et
ne se fait pas violence pour rester isolé est perdu »71, deux segments retiennent notre attention
« se retire entièrement », et « rester isolé » qui, peut-être, anticipent sur le contenu du récit, à
savoir le récit de la mise à l’écart d’un personnage, le choix du silence et de l’isolement.
D’ailleurs nous avons démontré l’alternative entre le silence et la prise de paroles (bruit) dans
le premier chapitre au niveau de la narration. L’intertitre du chapitre 39 « Silence » et la fin
de l’intrigue qui nous présente notre personnage vivant à l’écart de son groupe social,
montrent que notre personnage se retire de la société suite à la découverte de l’aspect
disjoncté de la société. « Le retrait, voilà la vraie victoire. Peut-être est-ce lui (Adam) qui a
eu raison de tout »72, ces propos montrent clairement qu’Adam a finalement opté pour le
silence et la retraite, et par conséquent que l’épigraphe est effectivement un annonciateur de la
marge.
Les premiers chapitres de notre corpus, racontent, en partie, la vie sociale d’Adam
Sijilmassi qui ne semble pas être épanouie, car, sa relation conjugale avec Naïma n’est pas
harmonieuse. Elle l’a épousé uniquement parce qu’il a une bonne situation financière, et qu’il
peut, en somme, lui offrir une vie décente. Naïma le lui révèle en lui tenant ce langage : «Mais
ce n’est pas toi que j’ai épousé, crétin ! Ce n’est pas toi ! C’est ton salaire, c’est
l’appartement, le gardien, c’est… c’est tous ça ! »73, Il n’occupe ainsi que le statut d’époux.
Leurs faits et gestes sont de nature machinale, comme l’atteste ce passage qui indique la
manière dont Naïma accueille « Adam » après être rentré d’un voyage : «Elle le regarda, l’air
absent, et tendit une joue. Il y déposa une bise comme on paie son écot. »74, comme s’il
n’avait que des devoirs à remplir envers elle. Ajouté à cela, le déphasage intellectuel entre les
71
LAROUI, Fouad. Op. cit. p.7.
72
Ibid., p.283.
73
Ibid., p.43
74
Ibid., p.34.
37
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
deux époux, Naïma n’avait pas fait de longues études contrairement à Adam, de sorte qu’ils
ne se comprennent pas souvent. Comme par exemple, l’épisode conjugal au quatrième
chapitre où Adam emploie le mot « épiphanie » pour faire part à sa femme de la cogitation
qu’il a eu à bord de l’avion et sa décision de changer de vie. La conversation se transforme
aussitôt en dispute, sa femme l’accuse d’infidélité par ce qu’elle a entendu « Stéphanie » au
lieu d’ « épiphanie ». En fait : « Naïma n’avait pas fait de longues études. Elle était tout juste
arrivée au bac dans une école privée. Elle s’exprimait correctement en français mais il ne
fallait pas l’ennuyer avec des mots comme « épiphanie » »75, ainsi, Adam a du mal à
communiquer avec sa femme. De surcroît, ils forment un couple stérile, ils n’ont pas pu avoir
d’enfants. La nature de la vie conjugale d’Adam qui est loin d’être épanouie et harmonieuse,
est le premier point qui témoigne de sa socialisation inaccomplie. Le second point est sa
relation avec son entourage, sa belle mère le traite d’ « idiot » et pense qu’il ne parle pas
l’arabe si bien qu’elle se permet de l’insulter et de le dévaloriser sans que celui-ci ne réagisse,
comme l’atteste ce passage : «voila qu’il se met à nous philosopher dessus. Un idiot. Je l’ai
toujours su. Tu aurais du épouser le médecin. »76. Ce sont là, les propos de la belle-mère
d’Adam. Son entourage le traite d’ « antipathique », « d’hystérique », « d’autiste », de
« bizarre », et de « fou » comme l’attestent ces extraits de notre corpus : «Il est fou »77, « Il est
antipathique paraît-il. Le genre compliqué, on ne comprend rien à ce qu’il dit. »78, « C’est un
type bizarre. (Un peu autiste, paraît-il) »79, « Il passait à leurs yeux pour un idiot. »80,
« N’avait-il pas toujours été seul ? »81, « Pourquoi ai-je un mari aussi lunatique…Qu’est ce
qui m’a pris d’épouser un idiot francophone. »82. Les qualificatifs présents dans ces extraits
placent fatalement notre personnage dans la marge. Sa visite chez le psychologue (chapitres
10 et 11) va nous révéler d’autres aspects qui viennent appuyer notre hypothèse : les loisirs
favoris d’Adam sont des activités solitaires « la lecture. Les échecs sur ordinateur. Jouer avec
le chat »83, des activités qui sont loin de le socialiser. Il éprouve un sentiment de tristesse, de
75
LAROUI, Fouad. Op. cit. p.36.
76
Ibid., p42.
77
Ibid., p18.
78
Ibid., p.21.
79
Ibid., p.23.
80
Ibid., p47.
81
Ibid., p48.
82
Ibid., p85.
83
Ibid., p.89.
38
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
84
Ibid., p.85.
85
Ibid., p.86.
86
LAROUI, Fouad. Op. cit. p.81.
87
Ibid., p.15.
88
Ibid., p.18.
39
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
Notre récit s’articule justement autour de ces cinq traits fondamentaux. Pour le démontrer, nous
allons commencer par nous intéresser à la séquentialisation :
89
SCARPA M., L’éternelle jeune fille. Une ethnocritique du Rêve de Zola, Edition Honoré Champion, 2009. p.
191.
90
LAROUI, Fouad. Op. cit. p. 13.
91
Ibid., p. 76.
92
Ibid., p. 93.
40
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
(Quel deuil ? quelle part de moi est morte dans cet avion de la Lufthansa ?) »93. Ce deuil peut
se justifier par la mort du marocain occidentalisé dont il veut se séparer. Arrivé à
Azemmour, son village natal, la phase de séparation prend ainsi fin et vient celle de la marge.
Eh bien, ce serait une vie simple […] Chaque matin ressemblerait au précédent, à
celui qui viendrait, à tous les matins du monde. On se nourrit peu, mais sainement,
de légumes cueillis au potager, de fruits pris sur l’arbre, de lait, de dattes. On ne
craint pas de rester immobile, des heures durant.95
Sauf que cette retraite censée être paisible ne l’est pas, Adam est hanté par des œuvres
littéraires occidentales :
93
Ibid., p. 117.
94
Marie Scarpa, « Le personnage liminaire », Romantisme 2009/3 (n° 145), p.5.
95
LAROUI, Fouad. Op. cit. p. 139.
41
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
fleuve en crue qui s’élance entre d’antiques parapets, luisants, moussus, à moitié
submergés.96
Ce flot de mots est ce qui lui reste du marocain occidentalisé qu’il était, pour s’en débarrasser
définitivement, il allait devoir traverser une épreuve qualifiante, ce qui est propre à la phase
de marge, parce qu’elle est « celle où l’individu s’expérimente autre pour devenir soi dans un
autre statut »97. Et c’est exactement ce que notre personnage va faire, il allait :
pratiquer l’ablation de cette manie du progrès, de la vitesse, qui faisait trouver tout à
fait normal que le corps chétif d’un Homo Sapiens se trouvât régulièrement à une
altitude de trente mille pieds, propulsé à une vitesse supersonique […] pour effectuer ce
détricotage, il fallait emplir sa tête d’autre chose, d’une autre grille de mots, plus
humaine, plus naturelle… plus lente ?... et ce serait précisément celle qui accompagna
toute sa vie le hadj Maati, son grand-père, et si Abdeljebbar, son propre père.98
Et c’est ainsi qu’il passe des journées entières enfermé dans une chambre et lire des livres
ayant appartenus à son grand-père, des livres de grands penseurs arabes tel que Ibn Tofayl,
Ibn Rochd, et Ghazali. Il allait, donc, oublier ce qu’il a appris au lycée Lyautey, oublier toutes
les lectures qu’il avait faites et s’initier à la culture de ses ancêtres, mais ce n’est pas une
entreprise facile, d’ailleurs, une fois l’initiation à la culture arabe entamée, il ne cessait pas de
faire le lien entre ces deux cultures, parce qu’il découvre que les penseurs arabes médiévaux,
abordent exactement les mêmes thématiques que les auteurs occidentaux qu’il compte oublier,
en effet, il y retrouve l’appel à la religion naturelle dans Hayy ibn yaqzân d’Ibn Tofayl, et la
reconnaissance de la suprématie de la raison et l’importance de mener des investigations
scientifiques dans Le traité décisif d’Ibn Rochd, il y retrouve aussi la querelle entre les
disciples de Pascal et ceux de Descartes dans la controverse entre Ghazali et Ibn rochd. Il est
content parce qu’il se dit : « En oubliant Voltaire, je ne me condamne pas à devenir sot et
fanatique »99, il est content de trouver des références arabes et qui siéent à sa personne il se
dit : « Nil novi sub sole… sauf que ce soleil-ci est bien le mien, celui de mon père, de mon grand-père,
96
Ibid., p. 136.
97
Marie Scarpa. Op. cit. p.28.
98
LAROUI, Fouad. Op. cit. p. 141.
99
Ibid., p. 152.
42
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
de mes aïeux…Je ne la perds pas, cette grande querelle, en oubliant Descartes et Pascal, après
Voltaire… Elle s’exprime dans la langue du Hadj Maati. »100. En lisant ces livres, il construit son
identité, et cette construction, selon Maris escarpa :
Se fait dans l’exploration des limites, des frontières (toujours labiles, en fonction
des contextes et des moments de la vie, mais toujours aussi culturellement
réglées) sur lesquelles se fondent la cosmologie d’un groupe social, d’une
communauté : limites entre les vivants et les morts, le masculin et le féminin, le
civilisé et le sauvage, etc.101
Adam s’initie dans une chambre qui est un espace clos, il est ainsi isolé du reste de la société,
ce qui l’ensauvage, et le liminarise. De surcroît, le fait de lire des livres écrit au XIIème siècle,
et ayant appartenu à son grand-père, qui, en somme, est mort, place notre personnage dans la
limite entre « les vivants et les morts ». Ajouté à cela, l’absence d’intimité au sein du Riad. La
retraite d’Adam est perturbée par Basri, un inspecteur de police, qui rentre de force dans le
Riad. Quand il frappe à la porte « La petite fille […] ayant entrouvert, elle cria d’effroi […]
puis elle essaya de refermer la porte, mais Basri avait déjà inséré son pied dans l’ouverture.
Elle ne pouvait rien contre la chaussure cloutée taille 46. »102. Et se permet même d’entrer
dans la chambre d’Adam « Sans prendre la peine de taper à la porte, le shérif entre dans
l’antre de Tex Willer (Adam), qui est de nouveau étendu sur son lit. »103. La maison est ainsi
violée par l’inspecteur et se place, par conséquent, à la frontière entre le « dedans et le
dehors » dans la mesure où l’intrusion de Basri à l’intérieur du Riad par le biais de la force
fragilise les frontières entre l’intérieur de la demeure et le dehors et vulnérabilise l’intimité
des gens qui y vivent.
100
Ibid., p. 154.
101
M. SCARPA. Op., Cit., p. 28.
102
LAROUI, Fouad. Op. cit. p. 126.
103
Ibid., p. 130.
43
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
La phase d’agrégation est la troisième étape du processus d’initiation tel que conçu par
A. Van Gennep, elle consiste à la réintégration de l’individu dans son groupe social après
acquisition de son nouveau statut. Ce qui ne s’accomplit as dans le cas d’Adam, parce que ce
à quoi il s’est initié, son groupe social, lui tourne le dos. L’Etat a arabisé et islamisé
l’éducation, et par conséquent ils n’ont pas laissé de place à la philosophie arabe médiévale,
ni à la philosophie occidentale. Si bien que le peuple ne connaît que l’islam et le coran,
comme l’atteste ce passage :
Ibn Tofayl, Averroès ? Nos philosophes ? Connais pas !... Jamais lus ! Au
bûcher ! Philosophes, bah… […] il n’y a que le Livre… A la lettre !... bila Kayf :
sans demander comment, ni pourquoi […] Est-ce ainsi que les hommes vivent,
ici ?est-ce qu’ainsi que les hommes sont ? Inconsistants, bébêtes… ? Confits en
dévotion sans trop savoir pourquoi ?104
Adam est ainsi un « mal initié », il passe de l’état liminaire subi à Casablanca à un autre état
liminaire à Azemmour. Non seulement son initiation ne converge pas vers une agrégation,
mais encore il se retrouve à son corps défendant pris dans des tribulations. Des élections
municipales se préparent à Azemmour, l’Etat (le makhzen) pour gagner aux élections exploite
son statut de descendant d’une famille prestigieuse (les Sijilmassi), exploite ses pensées et son
raisonnement, la théorie du deuxième homme et l’islam féminin qu’il obtient en l’espionnant
par le biais de Nadir, l’ami du cousin d’Adam, Abedelmoula, pour influencer l’opinion
publique, et l’amener à voter pour le parti de Dahane, au détriment du parti fondamentaliste
religieux. Face à ce groupe social disjoncté, Adam refuse de faire un choix et pendant une
manifestation où les deux partis se partagent une rue, l’un occupe la partie de droite l’autre
celle de gauche, Adam marche au milieu, « Adam descendit sur la chaussée et commença à
marcher au milieu, à équidistance des deux trottoirs. ».105 Il manifeste ainsi son refus de faire
un choix .On se jette sur lui, et il tombe dans le coma. Après sa convalescence, il se retire de
la société, « Adam vit aujourd’hui dans une cahute sur la plage d’Azemmour, entre deux
104
Ibid., p. 254.
105
LAROUI, Fouad. Op. cit. p273.
44
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
dunes, presque nu, hirsute, maigre comme un sâdhu… ».106 Il ne mène donc pas à terme son
initiation, la phase d’agrégation se solde par un échec, il est par conséquent, un personnage
liminaire tel que décrit par Marie Scarpa :
En effet, en retraçant l’itinéraire d’Adam, on constate qu’il passe par des phases de marge
successives, la première étant le trajet qu’il effectue de l’aéroport jusqu’à chez lui à pied. En
renonçant au moyen de transport qu’utilise son groupe social, il se marginalise. S’ensuit
l’épisode du supermarché comme l’atteste ce passage : « Adam ne bouge pas. Personne ne le
remarque, d’ailleurs. Ce n’est qu’un individu chassé de chez lui, veuf d’un chat, dont on se
demande comment il peut s’intéresser à cette scène d’une effroyable banalité. ».108 Il se
retrouve encore une fois à la marge du groupe puisqu’il y a absence d’interaction entre lui et
son groupe social. La troisième mise à l’écart correspond au trajet qu’il fait, toujours à pied,
de Casablanca à Azemmour : « Il se souvint avec étonnement qu’il avait marché de
Casablanca à Azemmour »109 La quatrième mise à l’écart correspond à l’épisode de la grange
où Adam est convié à passer la nuit par un monsieur qui craignait qu’Adam se fasse
déchiqueter par des chiens sauvages. Adam passe ainsi la nuit dans : « un petit hangar en bois
contenant quelques instrument agricoles, des sacs et de la paille. »110 Un espace marginal, qui
serait destiné à du bétail plutôt qu’à des humains. S’ensuit celle dans le « Riad » des
Sijilmassi, où Adam s’enferme dans une chambre. Et enfin, la retraite définitive de notre
personnage, qui vit au bord de la mer. Toutes ces péripéties contribuent à ensauvager,
marginaliser et liminariser notre personnage qui se trouve ainsi à la frontière entre « le
sauvage et le civilisé», « le visible et l’invisible » et enfin entre « les morts et les vivants ».
106
Ibid., p.280.
107
SCARPA, Marie. Op., Cit., p.34.
108
LAROUI, Fouad. Op. cit. p99
109
LAROUI, Fouad. Op. cit. p. 121.
110
Ibid., p. 114.
45
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
Le second trait fondamental est la spécularisation, et nous avons décelé deux micro-rites dans
notre récit, le premier est celui où Adam arrive au village d’Azemmour, il se sépare de la ville
de Casablanca, il se retrouve dans la phase de marge pendant son trajet à pied, et il accomplit
son agrégation, en arrivant au village d’azemmour. Le second micro rite correspond au
moment où Adam arrive dans le Riad ancestral et attend qu’on lui ouvre la porte pour qu’il y
accède : « Si on ne m’ouvre pas, je vais m’effondrer sur ce seuil »111 ce sont les propos
d’Adam en phase de marge, mais il s’agrège quand Nanna le reconnut et le laissa entrer dans
le Riad.
Le quatrième trait est la socialisation, en effet l’enjeu de notre récit, est bien la socialisation
d’Adam sijilmassi qui est en quête d’identité et de place au sein de la communauté où ont
vécu ses ancêtres.
Ce récit raconte, en somme, la perpétuelle mise à l’écart de notre personnage. Il s’est initié à
deux cultures, à savoir la culture orientale et occidentale. Il cherche un espace où elles
pourraient cohabiter. Il se dit : « Non, il ne faut pas renier Voltaire, ni Rousseau, ni Diderot…
mais je les prends avec Ibn Rochd et les autres… Ibn Tofayl, précurseur de Spinoza, qui le
lisait avec ferveur […] Rien de ce qui est humain ne m’est étranger… Rien de ce qui est écrit
ne m’est étranger… »112 (p.269) Il fait appel ainsi à l’universalité, sauf qu’il ne trouve pas un
111
Ibid., p. 119.
112
LAROUI, Fouad. Op. cit. p. 269.
46
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
espace où cohabiteraient toutes les cultures, il est par conséquent en attente. Ce que vient
attester cette image : « Il y a un trou dans un coin de la petite cabane, creusé dans le sable de
la plage, c’est là qu’il se recroqueville, dans la position du fœtus, pour dormir »113 (p.280).
Dans la position du fœtus, qui est à la frontière entre la vie et la mort, qui attend surtout de
venir au monde.
113
Ibid., p. 280.
47
[Troisième chapitre : L’écriture de la marge]
Le travail que nous venons de réaliser montre que notre récit est effectivement celui de
la marge. La marge en est permanente. Elle est, en premier lieu, présente au seuil du récit où
elle est annoncée à travers l’épigraphe. Elle se manifeste ensuite dans la description de notre
personnage qui, comme nous l’avons démontré en étudiant tous les qualificatifs qui le placent
au seuil de sa communauté. Il est une figure de la socialisation inaccomplie, il vit en marge et
en retrait par rapport à son groupe social. Elle est aussi présente dans la trajectoire du
personnage qui au terme de son initiation que nous avons démontrée sous forme de rite de
passage, se solde par un échec puisqu’il n’a pas pu trouver sa bonne place au sein de sa
communauté, et se retrouve ainsi dans la marge. Ajouté à cela, les micro-rites qui l’écartent
successivement de son groupe social, et la prédominance du temps de l’entre-deux (l’aube).
Par conséquent, notre récit et bien celui de la marge.
48
Conclusion générale
49
[Conclusion générale]
Pour étudier l’écriture de l’entre deux dans Les tribulations du dernier Sijilmassi de Fouad
Laroui, nous avons commencé par analyser, dans le cadre du premier chapitre, la structure du
récit qui est régie à la fois par des fonctions narratives et des fonctions discursives. Ensuite
nous nous sommes penchée sur les genres littéraires qui viennent se superposer à celui de
« roman » dans notre récit, ce qui place, ainsi, notre œuvre à la frontière entre trois genres
littéraires. Enfin, nous avons porté notre attention sur la trajectoire du personnage qui au bout
de son parcours se désocialise.
Le travail réalisé dans le cadre du premier chapitre intitulé « Les tribulations de la narration »
lève le voile sur un récit dominé par ce que Roland Barthes appelle des catalyses (fonctions
complétives) et montre qu’elles retardent l’histoire et provoquent une dislocation au niveau de
l’incipit qui par conséquent propose deux possibles narratifs ; dédouble la voix narrative ;
tiraille le rythme du récit et tisse une correspondance entre notre récit et d’autres œuvres
littéraires par le biais de la citation. Ce premier chapitre sert de préambule au suivant dans la
mesure où ces fonctions complétives qui dominent le texte sont à l’origine de la naissance
d’autres genres littéraires au sein même de notre roman
Le second chapitre intitulé « L’entre deux générique » était pour nous, l’occasion de nous
pencher sur les genres littéraires qui se superposent à celui indiqué au niveau du paratexte
« roman » il nous a permis de constater que l’abondante narration des pensées, en plus de
provoquer une dislocation du récit, fait naître d’autres genres littéraires au sein même de notre
roman parce que les procédés employés pour la narrations de ces pensées sont propres à
d’autres genres et nous y avons déceler trois : le conte philosophique, l’essai et le récit
poétique.
Le troisième chapitre, quant à lui, intitulé « l’écriture de la marge » était pour nous
l’occasion de nous intéresser à la trajectoire du personnage que nous avons étudié sous l’angle
de la théorie de l’ethnocritique et qui nous a permis de répondre à l’une de nos hypothèses :
Adam Sijilmassi est effectivement un personnage liminaire parce que son parcours répond
aux trois phases du rite de passage tel que proposé par A. Vann Gennep et ne réussit pas à
atteindre la troisième phase, celle de l’agrégation, ce qui l’apparente à le description que fait
Marie Scarpa du personnage liminaire : « figures bloquées sur les seuils, figées dans un entre
50
[Conclusion générale]
deux constitutif et définitif, « inachevées» du point (de la socialisation). »114. Adam Sijilmassi
est ainsi bloqué et figé dans un entre deux, entre deux culture : maghrébine et occidentale, il a
assimilé les deux et comme il ne parvient pas à trouver un espace où elles cohabiteraient il est
en attente, et c’est ce qui le place justement dans une position d’entre deux.
Au treme de ces trois chapitres, nous pouvons effectivement dire que Les tribulations du
dernier sijilmassi de fouad Laroui correspond à la littérature de l’entre deux.
114
M. SCARPA, Op. Cit., p.28.
51
BIBLIOGRAPHIE
52
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LAROUI Fouad. Les tribulations du dernier Sijilmassi. Paris : Julliard, 2014.
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Narratologie [En línea], 10.1 | 2001, Publié le 20 novembre 2014, consulté le 02 mars
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https://www.cairn.info/revue-romantisme-2009-3-page-11.htm
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Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°8 «
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disponible sur <http://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita- 2/2017/09/24/le-
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SCARPA, Marie, « Le personnage liminaire », Romantisme 2009/3 (n° 145), p. 25-35.
Disponible sur : DOI 10.3917/rom.145.0025 disponible sur :
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Dictionnaire :
Lexique des termes littéraires. Librairie générale française : 2001.
54
TABLE DES MATIERS
SOMMAIRE ................................................................................................................................................... 4
2.1.4 La satire............................................................................................................................................... 27
55
3.2 ADAM FIGURE DE LA SOCIALISATION INACCOMPLIE ?.................................................................................. 37
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................................ 52
56