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Les-Freres-Reed-Tome-14

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PENDANT QU’ON ATTENDAIT

PENDANT QU’ON ATTENDAIT


TAMMY FALKNER

NIGHT SHIFT PUBLISHING


Table des matières

Mentions légales

1. Tag
2. Finny
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25. Finny
Épilogue
26. Autres livres de Tammy Falkner
Copyright © 2017 par Tammy Falkner
Pendant qu’on attendait
Édition imprimée
Night Shift Publishing
Couverture par Tammy Falkner
Traduit de l’anglais américain par Mickaël Stemmer

Tous droits réservés. Toute reproduction ou transmission de ce livre, en tout ou partie et par
quelque procédé que ce soit, qu’il soit mécanique ou électronique, y compris la photocopie,
l’enregistrement et l’utilisation d’un service de stockage et de récupération des informations est
interdite sans l’accord écrit de son auteur, sauf cas contraire prévu par la loi.

Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, personnages, lieux et incidents décrits sont le produit de
l’imagination de l’auteur ou sont utilisés à des fins de fiction. Toute ressemblance avec des
personnes ou des événements existants ou ayant existé est une coïncidence.
Réalisé avec Vellum
TAG

E lles Jesontlescinq. J’ai fait mes recherches. Cinq sœurs.


ai observées des semaines avant même de rêver les approcher.
Je sais où elles vont et qui elles fréquentent. Je connais leur emploi du temps.
Je sais même quand elles ont leurs règles.
Oui, j’ai peut-être regardé une fois ou deux dans leurs poubelles, pour
essayer de recueillir le maximum d’indices avant de passer à l’action. Et cela
n’a pas été facile, avec toute la sécurité qui les entoure. C’est comme essayer
de s’introduire dans la Maison Blanche. Mais je l’ai fait.
Maintenant j’en sais enfin assez pour leur dire que je suis là.
Je vais commencer par mes sœurs biologiques, ce sera plus simple. Elles
se font appeler Star et Wren, mais quand je les ai connues, elles s’appelaient
Jessica et Jenny. Elles portent maintenant le nom de Vasquez. Mais elles
seront toujours des Taggert, peu importe la distance qu’elles parcourront, à
quel point elles seront connues, ou combien elles changeront. Peu importe
l’argent qu’elles gagnent, elles seront toujours mes sœurs. Mon sang.
Les autres sont plus mystérieuses. Il y a Peck. C’est la batteuse. Elle vient
d’épouser Sam Reed, l’ex-joueur de football professionnel et star de la télé-
réalité, et ils vont bientôt avoir un bébé. Elle a des troubles de la parole
sévères et elle a du mal à s’exprimer en public. Le simple fait de l’entendre
essayer de parler à la télévision me met mal à l’aise pour elle. Enfin, plus
pour moi que pour elle. Mais quand même.
Ensuite il y a Lark. Elle est aux claviers. C’est aussi une phobique des
microbes auto-proclamée et elle porte des gants qui montent jusqu’aux
coudes, où qu’elle aille. Mais j’ai le sentiment que ces gants ont une autre
raison d’être que les microbes. Et j’ai le sentiment encore plus fort qu’elle
veut que personne ne le découvre. Elle n’est pas phobique des microbes.
Quelque chose lui est arrivé et elle le cache derrière du tissu et de la couleur.
Je peux le comprendre. Je cache mon passé aussi. Je le cache très bien. Si
bien que, la plupart du temps, je ne suis même pas sûr de savoir qui je suis.
Puis il y a Finch. Fin. Finny, comme elles l’appellent. C’est la guitariste
principale de leur groupe. Elle est aussi connue pour ses aventures sans
lendemain. Elle est aussi connue pour ça que pour sa musique. Et sa musique
est carrément fabuleuse. Elle est toute petite, mais bien roulée, et regarder ses
fesses remuer quand elle marche dans la rue me donne envie de glisser ma
langue dans toutes ses parties humides chaque fois que je la vois. Mais je dois
mettre mes envies de côté.
J’ai une image à soigner. Un visage que je montre au reste du monde, et
que je dois montrer à mes sœurs pour qu’elles me laissent entrer.
Je repasse ma chemise et la secoue devant le miroir du motel. J’ai
dépensé mes trente derniers dollars pour cette chambre, juste pour pouvoir
me préparer à aller les voir. J’enfile mon jean et mes baskets. J’ai acheté tous
ces trucs stupides chez Goodwill pour moins de quatre dollars. Puis j’ai
dépensé deux dollars pour les laver au Lavomatic. Je boutonne ma chemise
jusqu’en haut et met la cravate bleue, qui menace déjà de m’étouffer.
Je prends mon sac de sport et fais le tour de la pièce pour vérifier que je
n’ai rien oublié. Rien n’est à moi ici. Je rentre dans la salle de bain et j’attrape
les échantillons gratuits de savon et de shampoing. Je ne sais pas quand je
reverrai une douche, alors je pourrais en avoir besoin. Je pourrai me laver les
cheveux sur une aire de repos, s’il le faut. Je les enfouis dans la pochette
avant de mon sac de sport.
Désormais, il est temps d’aller trouver mes sœurs. Je sais où elles vivent.
Ça fait des semaines que je les regarde entrer et sortir, alors je connais leur
emploi du temps aussi bien qu’elles. Elles ne sont pas en tournée en ce
moment, puisque Peck est sur le point d’accoucher.
J’attends que des résidents entrent dans leur bâtiment, et je me faufile par
la porte juste avant qu’elle ne se referme. Je fais semblant d’être à ma place
ici, même si ce bâtiment huppé et son concierge raffiné n’ont rien à voir avec
l’endroit d’où je viens. Je marche à côté de l’une des résidentes et fais
semblant de lui parler pour que le concierge pense que je suis avec elle. Je ne
veux pas qu’il m’arrête.
La femme me regarde avec intérêt. Elle m’aime bien. Je le vois. Mais je
suis en mission. Je l’ignore lorsqu’elle continue à parler. J’ai obtenu ce que
j’attendais d’elle, une entrée dans le bâtiment. Elle n’est plus indispensable,
et elle le sait. Elle sort de l’ascenseur d’un pas théâtral une fois arrivée à son
étage, et je pousse un soupir de soulagement.
Je monte encore quelques étages, m’arrête devant leur porte, et pose mon
sac au sol. Je me force à m’arrêter et à prendre une profonde inspiration. La
porte s’ouvre et j’ai l’impression de retourner dans le passé.
— Jess, murmuré-je.
Elle sursaute et trébuche dans l’encadrement de la porte. Je tends une
main pour la rattraper, mais elle reprend son équilibre à la dernière minute.
Je lui souris.
— Bonjour, dis-je.
Elle me claque la porte au nez. Le courant d’air froid me frappe de plein
fouet et je me retiens d’ouvrir la porte violemment et de lui courir après dans
la pièce.
Je frappe à la porte. Personne n’ouvre. Je sais qu’elle est là. Il n’y a pas
d’autre sortie, du moins pas que je sache. Je toque à nouveau et pose le front
contre le métal froid.
— S’il te plaît, murmuré-je.
La porte s’ouvre rapidement et je tombe presque dans la pièce. Je me
rattrape à l’encadrement de la porte et regarde le visage de Jess.
— Bonjour, répété-je, comme un idiot.
— Va-t’en, répond-elle.
Puis elle passe sous mon bras et part dans le couloir en claquant la porte
derrière elle.
— Attends, dis-je. On peut parler ?
Elle se tourne vers moi et brandit son doigt sous mon nez.
— Parler ? Parler ?
Elle crie le dernier mot.
— Après tout ce temps, tu as soudain envie de parler ?
Je hoche la tête.
— Oui. S’il te plaît.
— Non.
Elle fait demi-tour et se rue dans le couloir.
— Allez, Jess…
Elle se retourne et avance vers moi si rapidement que je recule et me
cogne le dos contre la porte.
— Je m’appelle Star. Et tu le saurais si tu avais répondu à une seule des
lettres que je t’ai envoyées pendant toutes ces années, imbécile.
— Quelles lettres ?
Je n’ai jamais reçu une seule lettre.
— Je t’ai écrit tous les jours pendant un an, espèce de faux-frère de
merde.
Eh bien, au moins elle reconnaît que je fais partie de sa famille. C’est un
début.
— Je n’ai jamais reçu de lettre, dis-je.
Je lève les mains comme si je me rendais à la police.
Elle se fige. Puis elle souffle et commence à secouer la tête.
— Va te faire foutre, dit-elle.
Elle se retourne et s’éloigne. Je lui cours après, mais elle part et me laisse
seul dans le couloir. Les portes de l’ascenseur se referment derrière elle, et je
songe un instant à courir dans les escaliers pour l’intercepter, mais j’ai le
sentiment que ça ne m’aidera pas.
Bon. J’ai tout foiré.
Je retourne vers sa porte et me laisse glisser par terre, puis croise les
jambes. Je vais attendre. Je ne peux pas abandonner. Il y a trop en jeu. Si
j’attends ici, elle devra bien finir par me parler, n’est-ce pas ?
Deux heures plus tard, les portes de l’ascenseur s’ouvrent et j’entends des
pas dans le couloir. Je m’assieds. Mais ce n’est pas elle. Mon cœur s’emballe,
car c’est Jenny.
— Jen ?
Je me lève, le cul endolori d’être resté assis par terre.
Jenny se fige et me dévisage.
— Tag ?
Puis elle détourne les yeux et regarde mon sac de sport d’un air fébrile.
— C’est moi, Jenny, dis-je doucement.
Elle met sa clé dans le verrou et ouvre la porte, puis me fait un signe de la
tête pour que je la suive. Mon cœur se réjouit. Je suis du bon côté de la porte.
Jusqu’ici tout va bien.
Elle pose ses affaires sur le plan de travail de la cuisine.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? demande-t-elle.
On dirait qu’elle porte le poids du monde sur ses épaules.
— Je voulais voir comment vous alliez toutes les deux, dis-je doucement.
Est-ce que ça va ?
Elle souffle.
— Pourquoi tu demandes ça maintenant ? Après tout ce temps ?
Elle me fixe.
— Pourquoi ça t’intéresse ?
— Tu es ma sœur, Jenny, lui rappelé-je.
J’ai besoin qu’elles s’en souviennent. Toutes les deux.
— Je m’appelle Wren. Wren Vasquez. Mon père s’appelle Emilio et ma
mère Marta. J’ai vingt-quatre ans et mes sœurs sont Star, Finny, Lark et Peck.
Je n’ai pas de frère. Plus maintenant.
Elle se retourne et prend une boisson fraîche dans le frigo. Elle ne m’en
propose pas, mais ça ne me dérange pas.
— Wren, dis-je.
Son nouveau nom sonne étranger sur ma langue.
— Ça fait si longtemps, ajouté-je.
La voir, c’est un peu comme regarder ma mère droit dans les yeux. Elles
se ressemblent tellement que c’en est perturbant.
— Tu ressembles à maman, lâché-je.
Ses yeux se remplissent de larmes et elle cligne des paupières pour les
évacuer.
— Tag, murmure-t-elle. Merde. Pourquoi maintenant ?
— J’ai des ennuis.
Je ne voulais pas le dire, mais je l’ai fait.
— Beaucoup d’ennuis. À la maison.
Je frotte mon visage avec mes mains.
— Quel genre d’ennuis ?
— Le genre vraiment mauvais.
Je regarde partout sauf vers elle.
— J’espérais que je pourrais peut-être rester avec vous quelques jours.
Quelques jours… ou juste assez longtemps pour que tu me fasses
confiance et que tu me donnes de l’argent pour que je puisse m’occuper de
quelque chose là-bas.
Je retiens ma respiration en attendant une réponse. Mais rien ne vient.
— Ou peut-être juste assez longtemps pour économiser quelques dollars ?
Je dois lui mettre sous le nez le fait que j’ai besoin d’argent.
— Star ne va pas apprécier, dit-elle.
Je grimace.
— Je l’ai déjà vue.
Elle me dévisage.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Elle m’a plus ou moins dit d’aller me faire foutre.
Elle rit.
— Ça ressemble à Star.
— Alors, je peux rester ?
Je retiens ma respiration. J’ai besoin de ça. J’en ai vraiment besoin.
— Pose tes affaires dans l’ancienne chambre de Peck, répond-elle en
désignant une porte au bout du couloir. Son téléphone sonne et elle sourit.
— Je dois aller à l’hôpital, déclare-t-elle quand je reviens dans l’entrée
après avoir posé mon sac.
— L’hôpital ? Tu vas bien ?
Elle agite sa main dans les airs.
— Je vais bien. Mais Peck est en train d’accoucher. Nous devons y aller.
Elle me fait signe de la suivre.
— Tu veux que je vous attende ici ?
— Mec, je sais que tu es mon frère, mais je ne te laisse pas tout seul dans
notre appartement.
— Je comprends.
Je hoche la tête et la suis jusqu’à la porte.
À la dernière minute, elle se retourne pour me faire face.
— Si tu fais du mal à Star, ou à qui que ce soit d’autre de ma famille, je te
le ferai regretter. C’est compris ?
Mon cœur s’emballe, mais je hoche la tête.
Elles vont me détester lorsque tout ceci sera terminé.
Elle reste plutôt silencieuse dans le taxi qui nous emmène à l’hôpital. Elle
envoie beaucoup de textos et passe quelques appels, et jure quand elle
n’obtient pas de réponse. Elle papote un peu avec moi, mais elle ne dit pas
grand-chose. Finalement, elle paye le chauffeur et nous sortons. Je me passe
une main dans les cheveux.
Elle rit.
— Tu es bien, dit-elle
— Est-ce que vos parents adoptifs seront là ?
Elle hoche la tête.
— Oui. Mais tu vas les aimer. Ils sont formidables.
Nous nous arrêtons devant la réception et ils nous envoient à la maternité
où Jenny, je veux dire Wren, demande la chambre de Peck. Ils nous montrent
une salle d’attente, et nous y entrons. Mais il n’y a personne à part Jess, je
veux dire Star, et un homme en fauteuil roulant.
Star se lève rapidement lorsqu’elle me voit.
— Qu’est-ce qu’il fait là ?
Wren lui jette un regard noir.
— T’étais où, putain ? Je t’ai cherchée partout.
Elle brandit son téléphone et montre celui de Star.
— Pourquoi tu l’as amené ici, demande Star. Il n’a rien à faire là.
Wren pose les mains sur les hanches.
— Si.
Des gens commencent à remplir le couloir, et je reconnais quelques filles
de Fallen from Zero, le groupe dont mes sœurs font partie. Je reconnais aussi
les parents adoptifs de Star et Wren. Je les ai vus dans des photos
publicitaires. Son père me fusille du regard, mais il ne dit rien. Pourtant, il
sait qui je suis. Ça se voit.
Star se lève et sort dans le couloir. Elle est énervée.
— Eh bien, ça s’est bien passé, dit Wren en s’avachissant dans un
fauteuil. Elle désigne le mec en fauteuil, puis moi.
— Oh, voici notre frère, Tag. Tag, voici Josh. Il travaille à la boutique de
tatouage dont je te parlais, avec les Reed.
Elle avait brièvement mentionné les Reed quand elle m’avait fait la
conversation dans le taxi.
Je lui serre la main.
— Heureux de te rencontrer, dis-je. Il a des tatouages sur les poignets et
sur tout le reste du corps.
— Est-ce que tu vas aller voir le bébé ? demande Josh.
— Il est arrivé ? hurle Wren.
Josh hoche la tête et sourit. Wren pousse un hurlement et saute sur ses
pieds, puis elle court dans le couloir.
Je m’assieds avec Josh une minute. Le silence nous enveloppe comme
une chaude couverture de laine. C’est lourd et oppressant.
— D’où tu viens, mec ? demande-t-il enfin.
— Du passé, réponds-je. Et apparemment j’aurais dû y rester.
Mais j’ai besoin de ça. J’ai besoin de mes sœurs de tant de façons.
— Qu’est-ce qui t’amène à New York ?
Je hausse les épaules.
— J’avais besoin de changer d’air.
Et de beaucoup d’argent pour payer une fille pour pouvoir avoir un bébé.
— Alors, tu as pensé que chercher des sœurs perdues depuis longtemps
était la chose à faire ?
Je ris, mais cela paraît bien peu sincère.
— C’était maintenant ou jamais, tu vois ? Je devais venir en ville. Je ne
m’attendais simplement pas à tomber sur ce bazar.
— Certains appellent ça un bazar, d’autres un bébé.
Il lève les mains comme s’il pesait deux choses, en baissant une et
montant l’autre.
— Ouais, Wren m’a briefé sur le chemin. Les bébés sont très spéciaux.
Un cadeau de Dieu.
J’ai découvert que les gens ont tendance à faire confiance à un individu
qui a peur de Dieu. Alors j’en suis un. Ou du moins, j’ai envie qu’il croie que
j’en suis un. Ma propre foi a été ébranlée ces temps-ci. Mais il n’a pas besoin
de le savoir.
— Je vais aller chercher Star, déclare-t-il soudain.
Il commence à rouler dans le couloir et je reste sur mon siège. Mes sœurs
doivent passer devant moi pour sortir, alors j’attends.
— À plus tard, mec, dis-je.
J’attends. Et attends. Et attends… Et lorsque je ne vois personne revenir,
j’ai peur qu’elles ne soient parties sans moi.
Je me lève et avance dans le couloir en jetant un coup d’œil par les portes
jusqu’à ce que j’aperçoive Josh et son fauteuil dans une chambre. Je frappe à
la porte et passe la tête à l’intérieur.
— Je peux vous rejoindre ? demandé-je.
Mon estomac se noue, de peur qu’ils ne disent non.
Star se lève et répond :
— Non, tu ne peux pas.
— Oh, ferme là, Star.
Wren me fait signe d’entrer dans la chambre et entame les présentations.
Sam Reed, que je reconnais pour l’avoir vu à la télé, a l’air curieux. Et Peck
n’a pas l’air d’apprécier ma présence du tout.
Après quelques minutes de silence pesant, Peck baille. Josh dit :
— Je vais rentrer pour que vous puissiez vous reposer.
Sam prend le bébé des mains de Josh, qui le portait.
— Où est-ce qu’il va rester ? demande Star en hochant la tête vers moi.
Wren soupire.
— Il va rester dans l’ancienne chambre de Peck quelques jours.
— Non, non et non !
Star se lève et met les poings sur ses hanches.
— Non !
Wren ferme les yeux et se masse le front.
— La chambre est vide. Il n’a nulle part où aller.
— Et en quoi c’est notre problème ?
— Parce qu’il partage notre ADN ! hurle Wren. Le bébé sursaute et Sam
leur jette un regard noir. Au fond de moi, je me réjouis car cela faisait
longtemps que personne n’avait pris ma défense.
— Fermez-la, prévient Sam.
— Pourquoi il ne prendrait pas une chambre d’hôtel ? chuchote Star.
— Parce qu’il n’a pas d’argent, répond Wren en chuchotant fort.
— L’argent, lâche Star. Voilà pourquoi il est ici.
Oui. Elle m’a grillé en deux secondes.
— Il rentre à la maison avec nous. C’est tout.
Wren serre les dents.
— Alors pas moi.
Star la défie du regard.
Wren soupire. Elle lance un regard noir à notre sœur.
— Si tu veux que ça se passe ainsi.
— Bien.
Star se penche et embrasse Peck sur le front, lui murmure quelque chose à
l’oreille et embrasse Sam sur la joue.
— Je vous verrai demain.
Puis elle sort de la pièce.
Sam hoche subtilement la tête en direction de Josh, et celui-ci fonce dans
le sillage de Star.
— Ça ne s’est pas très bien passé, déploré-je. Je devrais la rattraper.
Je me lève.
— Tu n’as pas intérêt à faire ça, prévient Peck.
Je pointe mon pouce dans la direction vers laquelle elle est partie.
— Mais elle s’en va.
— Laisse la partir, dit Sam. Josh va s’occuper d’elle. Il s’est occupé
d’elle toute la soirée.
Wren sourit.
— Oh, raconte, dit-elle.
Sam commence à nous décrire Star en train de danser sur un piano, si ivre
qu’elle pouvait à peine marcher. Ma conscience me titille un peu, car je sais
que j’en suis la cause.
— Star ne se sâoule jamais comme ça, répond doucement Wren.
Elle a l’air inquiète.
— Josh va s’occuper d’elle, répète Sam.
Il n’a pas l’air inquiet du tout. En réalité, il fait un clin d’œil à sa femme
et elle lui sourit en roulant les yeux.
— Ça m’ennuie qu’elle ne rentre pas à la maison. Et tout ça à cause de
moi, déclaré-je lentement.
— Elle reviendra à la maison quand elle sera prête, répond Peck.
La question est, sera-t-elle prête à temps pour que je puisse m’occuper de
certaines choses chez moi ? J’ai besoin qu’elles m’aiment et me fassent
confiance. Et puis j’ai besoin qu’elles me donnent de l’argent, et je ne
pourrais pas leur faire faire tout ça si elles ne sont pas là.

Je n’ai pas revu Star depuis que je suis arrivé ici. Elle a refusé de rentrer à
l’appartement, et elle a été absente les trois jours où j’ai été ici. Mais Wren
était là. Il a suffi d’évoquer quelques souvenirs. Bingo. Je l’ai eue.
— Tu te souviens de la maison jaune sur Chestnut Street ? lui demandé-
je.
Wren bat des cils.
— Oui, je m’en souviens.
C’était la maison dans laquelle nous vivions lorsque papa et maman sont
morts.
— Papa t’avait appris à pédaler sur ton vieux vélo rose, sur le trottoir
devant le porche.
— Je m’en souviens.
Sa voix est étouffée et tendue.
— C’était avant…
— Avant qu’ils meurent, terminé-je doucement.
Je me force à rire.
— Tu t’es égratigné le genou quand tu es tombée du vélo et tu voulais
abandonner, mais papa ne t’a pas laissée faire.
Elle glousse. C’est un son larmoyant.
— Il m’a obligé à remonter dessus et à y rester jusqu’à ce que j’arrive à
faire le tour du quartier.
— Et après ils n’arrivaient plus à te faire rentrer pour souper, lui rappelé-
je.
Son regard dévasté me coupe le souffle. Mais je continue.
— Tu voulais rester dehors toute la nuit.
— Les lampadaires se sont allumés et je voulais continuer à faire du vélo.
— Papa s’est assis sur le porche et il a compté les tours que tu faisais
autour du quartier.
Une larme tombe finalement de ses cils et mon estomac se noue.
— Ils me manquent, murmure-t-elle.
— Tu as une bonne famille, lui rappelé-je.
Contrairement à moi.
— Ce n’était pas le cas au début, lâche-t-elle.
Puis elle a l’air de vouloir ravaler ses paroles.
Je lâche la fourchette que je tiens et elle tombe sur la table.
— Comment ça ?
— Notre première famille d’accueil…
Elle secoue la tête.
— Laisse tomber.
— Raconte-moi, demandé-je.
— Tu ne veux pas savoir.
— Si.
Ça ne peut pas être aussi terrible que l’enfer que j’ai traversé.
— Raconte-moi.
— Lui, c’était un pédophile, et elle, elle ne savait pas ce qui se passait.
Elle ferme les yeux.
— Star en a fait les frais.
J’ai soudain envie de vomir.
— Quoi ?
Elle hoche la tête. Un mouvement rapide.
— Les services sociaux nous ont retirées de là et nous sommes allées en
foyer collectif. C’était mieux.
Elle me sourit.
— Puis nous avons rencontré Marta et Emilio et ils nous ont toutes
adoptées.
— Je ne savais pas, réussis-je à répondre.
J’arrive à peine à respirer, encore moins à parler. Pas étonnant qu’elle me
déteste.
— Star t’écrivait tout le temps. Elle pensait toujours que tu allais voler à
notre secours.
Elle rit, mais sans joie. Sans aucune joie.
— C’est pour ça qu’elle n’est pas ici. C’est toujours un peu douloureux
pour elle.
— Si j’avais su…
Mais elle agite une main en l’air pour m’arrêter.
— Tu étais un enfant.
— J’étais content que vous ne soyez pas venues avec moi, lâché-je. J’ai
envie de retirer ces mots dès qu’ils sortent de ma bouche. Mais ils restent en
suspens entre nous.
Elle cligne ses grands yeux bruns en me regardant.
— Pourquoi ?
— C’était pas bien.
Je tousse dans mon poing.
— Il n’était pas bien.
— Il faisait partie de la famille, se dépêche-t-elle de me rappeler.
— Ce n’est pas pour rien que papa ne lui parlait pas. Réfléchis. Tu te
souviens d’une seule fois où papa a dit quelque chose de gentil à son propos ?
Elle secoue la tête.
— Pas vraiment. Mais il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens
pas.
— Il n’était ni aimable, ni bon, ni sympathique. Et il ne fait pas partie de
ma famille. Ni de la vôtre, en fait.
Je me lève et commence à débarrasser la table.
— Rien que le fait de penser à lui me rend malade.
— Que s’est-il passé ? demande-t-elle dans mon dos.
— Je n’ai pas envie d’en parler.
— Pourquoi ?
Je prends une profonde inspiration.
— Il était payé par l’État pour me garder.
Je n’en dis pas plus, espérant qu’elle arrivera à ses propres conclusions
horribles.
— J’étais leur esclave. Je m’occupais de leurs enfants les plus jeunes et je
nettoyais la maison.
Et je me faisais battre à la place des plus petits.
— Au moins tu n’étais pas enfant unique, se dépêche-t-elle de répondre.
Elle cherche une fin heureuse, mais je peux lui assurer qu’il n’y en a pas.
Pas dans la maison de mon oncle.
Elle semble si optimiste que je déteste presque briser ses illusions.
— Je m’occupais de tout le monde. Je faisais la cuisine et le ménage, je
changeais les couches et amenais les enfants au bus. Je restais avec eux
quand ils avaient de la fièvre et les calmais quand ils faisaient des
cauchemars.
Je frissonne en y repensant.
— Et ensuite ils m’envoyaient dans ma chambre, quand j’avais fini mes
corvées, et ils restaient en famille tandis que moi, je n’en avais pas.
— Nous ne savions pas…
— Personne ne le savait.
Je hausse les épaules et lâche un rire forcé. Revivre ces jours dans ma tête
suffit à me donner la chair de poule.
— Quand j’avais dix-neuf ans, j’ai rencontré un mec qui travaillait dans
une église. Il avait une fille, et elle a tout amélioré. Elle m’a aidé. Nous
avions le même âge. Elle s’appelait Julia.
Mon cœur s’emballe rien qu’en pensant à Julia. C’est pour elle que je
dois rentrer. C’est pour elle que je suis ici.
— C’est bien, répond Wren.
Je repousse mes souvenirs dans un coin de ma tête.
— Tu te souviens quand Star et toi avez décidé de construire une cabane
dans les arbres ? demandé-je.
Je la force à se remémorer, et je le fais avec elle. Et je suis heureux
pendant un court instant, m’abandonnant au souvenir de la douceur de ma
famille.
Soudain, je réalise que j’ai trop bu. J’ai les émotions à fleur de peau. Elles
ne sont pas cachées au plus profond de mon âme, là où je les garde
d’habitude. Elles flottent juste sous ma raison, et elles tentent de passer outre.
— Je dois aller au lit, dit Wren.
Elle me tend sa bière. Elle l’a ouverte mais n’a rien bu.
J’ai déjà bu environ six bières. Je ne suis pas ivre, mais je suis en train de
perdre mes inhibitions et je suis assez sobre pour m’en rendre compte. Je
repousse la bière vers elle.
— Je ne peux pas, dit-elle en riant. Impossible.
Elle me dévisage et je m’inquiète immédiatement. Est-ce que j’ai dit
quelque chose que je n’aurais pas dû ? Est-ce que j’ai menti ? Est-ce qu’elle
le sait ?
— J’ai envie de te donner quelque chose, dit-elle.
Elle fouille dans son sac à main et en sort un livret de banque bleu en
simili-cuir. Elle le fait glisser vers moi.
— J’ai ouvert ça pour toi aujourd’hui.
— Qu’est-ce que c’est ? demandé-je. Mais tout au fond de moi, mon cœur
s’emballe.
Elle grimace.
— Il se pourrait que j’aie fouiné dans ton portefeuille pour trouver tes
informations pour le compte.
— Oh.
Je me demande immédiatement ce qu’elle a trouvé d’autre.
— Je ne fouinais pas vraiment. J’essayais juste de trouver un moyen de
mettre ça en place pour toi.
— OK.
Mon cœur bat la chamade. Elle vient de réaliser tous mes rêves et elle ne
le sait même pas. Elle pense qu’elle vient simplement de faire une bonne
action.
— J’ai envie que tu restes. Je veux que tu restes assez longtemps pour que
Star finisse par te parler, une fois qu’elle aura surmonté la douleur. Mais je
comprends si tu ne peux pas.
Sa voix est douce mais ferme.
— Quoi qu’il advienne, je veux qu’on s’occupe de toi. Je veux que tu
saches que tu es aimé.
Je me sens mal soudain. Ça n’était pas censé se passer ainsi. Je devais les
forcer à m’aimer. Elles n’étaient pas censées simplement m’aimer. Je
repousse le livret de banque vers elle.
— Non, je ne peux pas accepter, réponds-je.
— Ce n’est pas grand-chose. Juste une tirelire.
Elle s’approche de moi et pose sa main sur ma tête. Elle frotte son poing
sur ma tête et m’embrasse sur le front comme le faisait notre mère. C’était un
peu comme se faire agresser affectueusement quand maman le faisait, et on
adorait tous ça. Alors, qu’elle le fasse maintenant me fait monter les larmes
aux yeux.
— Je suis contente que tu sois là, murmure-t-elle.
Puis elle part dans sa chambre et ferme doucement la porte derrière elle.
Je laisse tomber ma tête sur la table et ravale un sanglot. Je ne peux pas
pleurer. Je ne peux pas. Je n’ai pas laissé couler une larme depuis que je suis
allé vivre avec lui, du moins pas lorsque quelqu’un pouvait me voir. J’ouvre
le livret de banque et vois un tas de chèques vierges avec mon nom dessus. Et
il y a un total écrit en haut du registre.
Elle m’a mis cinquante mille dollars sur un compte.
Pour moi. Putain de merde. Cinquante mille dollars…
Je pose ma tête sur la table et fais rouler mon front sur la surface fraîche.
Si j’étais un homme meilleur, je ne le prendrais pas. Mais ce n’est pas le cas.
Je suis désespéré.
Une clé cliquette de l’autre côté de la porte et je lève la tête, m’essuie les
yeux et essaie de faire comme si mes émotions ne m’avaient pas pulvérisé
aussi fort que la foudre lors d’un orage d’été. Probablement en vain, mais
j’essaie.
La porte s’ouvre et Fin entre. Elle porte un jean noir moulant et une veste
en cuir noire. Elle est cool. Et elle est belle. Et je suis un peu ivre.
Elle trébuche sur le paillasson et se retient au mur. Elle glousse. Oh,
merde. Elle est pompette aussi.
— Salut, dit-elle en jetant avec fracas ses clés sur le plan de travail.
— Salut, marmonné-je à mon tour.
Je roule le livret de banque dans ma main, me demandant si je peux le
prendre.
— Où est tout le monde ?
Je montre la chambre de Wren d’un signe de tête.
— Wren vient d’aller se coucher. Lark n’est pas encore rentrée. Et Star
est encore chez Josh.
Elle hoche la tête et retire sa veste en cuir d’un mouvement d’épaules.
Elle porte un caraco fin sans soutien-gorge. On voit ses tétons à travers le
tissu délicat et je dois me forcer pour ne pas regarder. Elle se penche et
regarde dans le frigo.
— Où sont passées toutes les bières ?
Je prends ma canette et vide les dernières gouttes.
— On les a bues, murmuré-je.
Elle prend une bouteille d’eau et s’assied en face de moi.
— Mauvaise nuit ?
Je secoue la tête.
— Bonne nuit. Et toi ?
Je lève un sourcil vers elle.
Elle hausse les épaules
— Aussi bonne qu’une autre. Je suis un peu pompette.
Elle lève son pouce et son index et les écarte d’environ trois centimètres.
Je ris.
— Oh, bon sang. Moi aussi.
Elle part dans sa chambre et revient avec une guitare. Je la regarde aller
vers le canapé et s’y affaler. Elle pose la guitare acoustique sur ses genoux et
commence à gratter les cordes. Une mélodie s’élève dans les airs et
commence à danser devant moi.
— C’est sublime, déclaré-je. Je suis presque aussi charmé par la mélodie
que par la fille. Je me lève et me dirige vers le salon.
— Je peux m’asseoir ?
Elle hausse les épaules. Je m’installe de l’autre côté du canapé et la
regarde. Elle gratte et fredonne, joue encore un peu et s’arrête pour écrire
quelque chose.
— Tu écris une chanson ? demandé-je.
— Quelque chose comme ça, murmure-t-elle.
— C’est super. Est-ce qu’elle a des paroles ?
— Oui, répond-elle en mâchouillant le bout de son stylo.
Une mèche de cheveux noirs tombe devant son visage et elle la souffle
sur le côté. Je tends la main et la repousse lorsqu’elle retombe. Elle sursaute,
tirée de sa transe musicale, et me dévisage.
— Tu veux entendre les paroles ? demande-t-elle d’une petite voix,
presque craintive.
— Oui.
Il n’y a rien au monde que j’aimerais plus.
Elle commence à chanter. C’est hésitant et retenu, et si beau que j’en ai le
souffle coupé. Elle parle de cœur brisé, de honte, de désir, d’amour et de
blessure, et en dessous de tout cela… Il y a la beauté. Juste… la beauté
absolue.
Lorsqu’elle s’arrête de jouer, je réalise que je n’ai même pas respiré, alors
j’inspire pour remplir mes poumons douloureux.
— C’était merveilleux, soupiré-je.
— À quel point es-tu ivre ?
Je hoche la tête.
— Pas beaucoup.
— Tu devrais en boire une autre.
Elle hoche la tête en direction de la cuisine.
— Pourquoi ?
Elle me dévisage.
— Parce que j’ai envie de découvrir ce qui t’intéresse.
Je ne suis même pas sûr d’être intéressé par quelque chose. J’existe, c’est
tout. Depuis que j’ai reçu l’appel de Julia disant qu’elle ne voulait pas de
notre bébé, qu’elle voulait divorcer, j’ai l’impression que quelqu’un a appuyé
sur le bouton pause de ma vie.
— Qu’est ce qui t’intéresse toi, Finny ? demandé-je.
Elle souffle. Mais c’est un son adorable et je me surprends à sourire. Et ce
n’est pas uniquement parce que j’ai trop bu.
— Le sexe, répond-elle. Le sexe m’intéresse.
Je m’étouffe avec ma propre salive.
— Je te demande pardon ?
Elle rit.
— J’aime m’envoyer en l’air, Tag. Baiser le plus possible.
— OK… réponds-je lentement.
— Tu vas me faire le coup de l’évangile et me dire que les filles bien ne
baisent pas avec des inconnus, c’est ça ?
Elle secoue la tête et pointe son doigt vers moi.
— Mais j’ai un truc à te dire. Je peux faire ce que je veux de mon corps.
Je peux baiser qui je veux.
Je grimace en entendant les mots qu’elle emploie.
— Oh, tu viens de me lancer le regard, dit-elle
— Quel regard ?
— Le regard qui dit je-te-juge.
— Non.
— Oh que si. Tu penses que c’est mal pour une femme d’aimer le sexe.
Je secoue la tête.
— Je n’ai pas dit ça.
— Si, tu l’as dit. Ton langage corporel l’a dit.
Elle recommence à jouer de la guitare.
— Vraiment, je m’en fiche avec qui tu couches.
Je joue avec un fil qui pend de mon jean. Je n’aime pas cette
conversation.
— Je crois que je vais aller me coucher.
Je pose les mains sur mes genoux et commence à me lever.
— Tu veux de la compagnie ? demande-t-elle.
Je me fige.
— Quoi ?
— J’ai deux règles, déclare-t-elle.
Elle commence à compter sur ses doigts.
— Un, je ne couche pas plus d’une fois avec la même personne. Et deux,
tu dois dégager de mon lit une fois qu’on a terminé.
Je fronce les sourcils.
— Où est le fun là-dedans ?
— Voyons, ta bite… ma chatte… plein de coups de reins. C’est fun.
Voilà où est le fun là-dedans.
Je secoue la tête. Je n’ai été qu’avec une seule femme dans ma vie, et elle
m’a largué il y a des mois. Mais être avec elle a créé un lien. Et le lien ne se
trouvait pas nécessairement dans les coups de reins entre ma bite et sa chatte,
comme Finny l’a exprimé avec un tel manque de romantisme. C’était dans les
moments silencieux après le sexe. C’était quand elle posait sa tête sur mon
torse et caressait mes poils clairsemés. C’était lorsque nous nous réveillions
l’un dans l’autre, en sueur. Dans les battements de son cœur lorsqu’elle était
au-dessus de moi. Dans la façon dont elle m’enveloppait, recouvrant mon
cœur avec la même chaleur dont elle enveloppait ma queue quand j’étais en
elle.
— Tu penses au sexe, n’est-ce pas ? demande Finny.
— Pas vraiment, avoué-je. Je pensais à l’intimité.
Elle souffle à nouveau.
— Le sexe est tellement mieux que l’intimité.
Je hoche la tête.
— Je ne te crois pas.
— Je vais te le prouver.
Elle pose la guitare sur le côté et se met à genoux. Elle se mord la lèvre
inférieure en se déplaçant à quatre pattes sur les quelques centimètres de
canapé qui nous séparent.
Je m’affaisse dans les coussins lorsqu’elle grimpe sur mes genoux.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Si tu es obligé de le demander, c’est que je le fais mal, dit-elle.
Elle sourit, et cela me donne envie de sourire avec elle.
J’attrape ses épaules et la repousse.
— Et mes sœurs ?
— Quoi tes sœurs ?
Elle mord ma lèvre inférieure. Puis elle la suce pour soulager la douleur,
et ça me fait de l’effet immédiatement.
— Je n’ai pas l’habitude de leur demander la permission quand j’ai envie
de coucher avec quelqu’un.
Je mets un doigt sur mon torse.
— Tu veux coucher avec moi ?
Elle rit et se frotte contre moi.
— Avec toi, oui, je crois que c’est évident.
— Pourquoi ? demandé-je.
Je retiens son visage pour l’empêcher de m’embrasser, et je la regarde
dans les yeux.
Elle me chevauche et appuie sa poitrine contre moi.
— Parce que tu es là, répond-elle.
— Oh, dis-je.
C’est son seul critère ?
Elle recule.
— J’ai cru ressentir une attirance de ta part… dit-elle, dubitative, en
scrutant mon visage. Est-ce que je me trompais ?
— Oh non !
Elle a raison. Elle me fascine. Et elle est belle. Si belle. Mais ça ne peut
pas arriver. C’est impossible.
Elle sourit.
— Alors tu as envie de me baiser.
Merde. La chaleur de ses mots arrive directement à ma queue.
Je l’embrasse. Je n’arrive pas à me retenir. Sa chatte est chaude et elle est
juste de l’autre côté de ma braguette, et elle sent tellement bon. J’ai un peu la
tête qui tourne, mais ma bite n’a aucun souci. Elle est prête.
Je jette la tête en arrière lorsqu’une pensée me traverse l’esprit.
— Est-ce que c’est bizarre que tu sois la sœur de mes sœurs ?
— Mec, on est tellement pas parents, dit-elle. Mais si tu trouves ça
bizarre…
Elle se rassied, et je ressens immédiatement un manque. Elle retourne de
son côté du canapé.
— Ne pars pas, protesté-je.
Elle sourit et passe ses pouces sous les bretelles de son caraco, puis elle le
descend d’un seul coup sous ses seins. Elle regarde en direction de la
chambre de Wren et se mord la lèvre inférieure. Mais je n’arrive pas à
regarder son visage. Tout ce que je vois, ce sont des seins. De superbes seins
parfaitement ronds avec des tétons durs et splendides. Je me lèche les lèvres.
J’ai envie de les goûter.
— Je vais me coucher, dit-elle.
Elle me regarde par-dessus son épaule en s’éloignant. Elle va dans sa
chambre et laisse la porte ouverte.
Je me passe une main dans les cheveux. Bordel de merde. Je remets mon
matériel en place parce que je bande tellement que j’ai du mal à le supporter.
Elle revient vers sa porte et s’appuie contre l’encadrement. Elle est nue.
Complètement nue comme un ver.
— Tu viens ? demande-t-elle doucement.
Je hoche la tête. Je me lève et me dirige vers elle. J’ai l’impression d’être
du métal et qu’elle est un aimant qui m’attire vers elle sans même essayer.
J’entre dans la chambre, ferme la porte derrière moi, et elle s’assied sur le
bord du lit. Elle passe ses doigts dans les passants de mon jean et me tire vers
elle.
— Attends, dis-je.
Elle pose son front sur mon estomac et je peux sentir sa respiration
chaude contre ma queue à travers le tissu. Bon sang, ce qu’elle m’excite !
Il faut dire que je n’ai jamais eu de plan cul.
— Alors, tu ne fais pas de câlins ? demandé-je.
Je ne devrais même pas être ici, mais elle est là et n’arrête pas
d’embrasser les boutons de mon jean.
— Non. Pas de câlins.
— Et si j’ai envie de câlins ?
— Et si j’ai juste envie de te baiser ?
Elle lève la tête et me regarde.
— Pas besoin que ce soit plus que ça. Juste un coup.
— Tes fameuses règles, marmonné-je.
— Oui. Tu en es ou pas ?
— Je n’ai jamais…
Je me passe une main sur le visage.
— Tu n’as jamais… ?
Elle attend ma réponse en déboutonnant mon jean.
— Je n’ai jamais… couché avec quelqu’un que je n’aime pas.
Voilà. Je l’ai dit. J’ai été avec une femme. C’est tout. Et maintenant elle
est avec quelqu’un d’autre.
— Il y a un certain plaisir à s’envoyer en l’air sans être enchaîné, déclare-
t-elle doucement.
Elle soulève le bas de mon T-shirt et pose ses lèvres là où ma peau est
douce. Ma bite tressaute. Je penche la tête en arrière et grogne.
— Finny, gémis-je.
— Tu peux dire non, dit-elle rapidement. Mais ses mains attrapent mes
fesses et elle me tire vers elle. Ses lèvres dansent sur ma peau.
— Tu me fais tellement bander.
Elle tâte ma queue du bout des doigts, en suivant ma nervure.
— Ouais, répond-elle en gloussant. Tu te souviens ? C’est simple avec
moi. Pas de performances répétées. Je ne te demanderai pas de fleurs. Ni de
promesses. Je ne te demanderai même pas de me câliner après.
— Et si moi j’en ai envie ?
C’est difficile de réfléchir quand elle est si près de moi.
— Envie de quoi ? murmure-t-elle tout contre moi. Elle recommence ses
petits baisers du bout de la langue, et elle lèche mon ventre. Ma queue bondit.
— Et si j’ai envie de câlins ? demandé-je.
Elle se fige. Ses yeux rencontrent les miens.
— Pourquoi ?
Parce que j’ai sérieusement besoin d’un câlin. J’ai besoin que quelqu’un
fasse comme s’il m’aimait, même si ce n’est que pour une minute.
— Je ne sais pas pourquoi, éludé-je.
Mais j’ai envie de ça plus que je n’ai envie qu’elle prenne ma queue dans
sa bouche. J’en ai envie plus que d’être en elle. Mon existence est solitaire. Et
si elle me propose de l’oublier pendant une minute ou deux, j’accepterai.
Mais ça ne peut pas être juste ma queue qui pilonne son vagin. Ça doit être
quelque chose que je peux ressentir.
— Je ne sais pas pourquoi… mais j’en ai besoin.
Elle hoche la tête.
— Je te donne vingt minutes.
— Quoi ?
— Quand tu m’auras baisée, je te laisserai rester vingt minutes. C’est à
prendre ou à laisser.
Elle descend lentement ma braguette.
— Je prends, murmuré-je avec détermination.
Elle descend mon jean et mon boxer d’un seul mouvement, puis elle
déchire l’étui d’un préservatif avec ses dents et le déroule sur mon manche. Je
serre les dents et essaie de ne pas jouir dans ses mains. Il y a très longtemps
que je n’ai pas fait ça. Et je n’ai jamais fait ça. Pas comme ça. Pas avec
quelqu’un que je n’aime pas.
— Tu es sûre ? demandé-je.
Elle est peut-être pompette.
— Tu es encore ivre ?
Elle secoue la tête.
— Non.
Elle marche en crabe sur le lit, nue, et tend les bras vers moi.
— Arrête de faire ta fillette, dit-elle.
Elle montre ma queue.
— Ça, dit-elle avant de désigner sa chatte, qui est rose, belle, parfaite et
juste devant moi. Ça va ici.
Je hoche la tête et tombe sur elle. Je suis soudain tout à fait sobre. Et
envoûté. Elle enroule ses cuisses autour de moi et prend le contrôle en me
tirant vers elle.
— Attends, dis-je. Ralentis juste un peu.
Elle grogne et laisse tomber ses bras à plat sur le lit.
— Tu n’es pas l’un d’entre eux, n’est-ce pas ?
— De qui tu parles ? demandé-je en dégageant les cheveux de son visage.
— De quelqu’un qui veut changer mon monde. Quelqu’un qui veut
m’apprendre à quel point faire l’amour peut être génial. L’une de ces
personnes stupides.
— Non, je ne suis pas l’un d’entre eux, réponds-je.
Je la regarde dans les yeux et me presse contre sa chaleur tout en glissant
dans son humidité. Je cogne doucement en elle. J’ai peur de lui faire mal.
Peur de mal le faire. Peur de ne pas lui donner de plaisir.
Sa respiration devient saccadée et elle empoigne mes cheveux.
— Plus fort, dit-elle.
Elle me tire les cheveux, me reprochant sans un mot d’être trop lent.
J’attrape ses poignets, pousse ses mains sur le lit et les maintiens fermement.
Je ne veux pas qu’elle prenne le contrôle.
— Arrête, ordonné-je.
Je m’immobilise en elle. Elle tire mes fesses avec ses pieds, mais je
refuse de bouger.
— Arrête, répété-je.
Je penche la tête et lui mords l’épaule et elle me regarde fixement.
Elle se fige, et je vois quelque chose bouger dans ses yeux. Quelque
chose de vulnérable, un manque.
— Je ne vais pas te laisser m’utiliser comme tu utilises les autres, dis-je
avant de bouger les hanches pour m’enfoncer profondément en elle.
Elle tente de se défaire de l’emprise de mes mains, et je serre plus fort.
Elle rit.
— Alors tu veux me faire l’amour ?
Elle roule les yeux.
Je hoche la tête puis prends son téton dans ma bouche. Il est chaud, dur,
et sucré contre ma langue. Elle bascule les hanches pour essayer de me faire
bouger.
— Non, je veux te baiser.
Je m’enfonce aussi loin que je peux en elle, et elle lâche un petit cri qui
me chatouille les oreilles.
— Je veux te baiser, répété-je.
Je sors et me glisse à nouveau à l’intérieur, aussi profondément que
possible.
Si je dis je veux te baiser cent fois de plus, peut-être que j’arriverai à
m’en convaincre.
Elle agite les doigts.
— Laisse-moi te toucher, supplie-t-elle.
Je hoche la tête.
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce que tu veux prendre le contrôle, et que je n’ai pas envie de te le
donner.
Je fais des va-et-vient avec mes hanches. Elle se cambre pour me
rencontrer et se donner entièrement à moi.
— Tu veux dominer, dit-elle en riant, ce qui manque m’expulser de son
intimité. Je m’enfonce profondément et arrête de bouger.
— Non.
Je hoche la tête.
— Je ne veux simplement pas que tu m’utilises comme tu le fais avec les
autres. C’est tout.
— Tu veux être spécial.
Sa voix baisse jusqu’à n’être plus qu’un ronronnement.
— Tu es spécial, chéri, comme tous les autres.
Je me retire et la retourne, puis lui claque les fesses et plonge en elle par-
derrière.
— Est-ce que tu viens de me frapper ?
Elle s’arrête de bouger. Mais ses mains empoignent les draps, alors je sais
qu’elle n’est pas énervée. Elle est excitée. Encore.
Elle cambre le dos et pousse contre moi, me prenant tout entier, et je dois
serrer les dents et travailler dur pour ne pas jouir.
Je glisse ma main sous sa hanche et trouve sa chatte. Dans tous les pornos
que j’ai vus, le mec va directement au clito. Alors je le fais. Elle est si humide
qu’elle en est glissante, et je caresse son bouton. Elle pose sa joue sur le lit et
regarde sur le côté. Je sais que j’ai trouvé le bon endroit lorsqu’elle ferme les
yeux et cambre le dos. Elle pousse ses fesses contre moi pour venir à ma
rencontre. Elle est si serrée comme ça que j’ai du mal à ne pas tirer ma
cartouche en elle. Je m’arrête et la retourne à nouveau.
— Tu vas me donner une entorse cervicale à force de me retourner
comme ça, dit-elle en riant.
— Non. Juste un orgasme, réponds-je.
J’espère. J’écarte ses cuisses et la regarde.
Elle rit.
— Oh, tu vas me faire jouir comme une folle, c’est ça ?
Je lève la tête et soupire.
— Est-ce que tu te moques de tous les mecs avec qui tu fais ça ?
Son sourire s’efface.
— Pas étonnant que personne ne revienne une seconde fois, déclaré-je. Je
me retire, referme ses cuisses et la roule sur le côté.
Elle s’assied et sa mâchoire se décroche.
— Pour qui tu…
Je pointe mon torse.
— Je suis le mec que tu es en train de baiser, dis-je.
— Eh bien, plus maintenant, lâche-t-elle.
— Aucun homme censé ne pourrait supporter cette grande gueule, lui dis-
je.
— Ma grande gueule est tout simplement incroyable, rétorque-t-elle. Tu
veux l’essayer ?
Mais elle cherche déjà son peignoir, donc j’ai le sentiment que c’est trop
tard.
— Je peux te dire quelque chose ?
Mon cœur bat la chamade.
— Éclaire-moi je t’en prie, répond-elle sur un ton carrément acerbe.
— Je voulais baiser avec cette fille qui a écrit une superbe chanson et qui
a sauté sur mes genoux. Elle était belle, sexy et intéressante.
Et elle a promis qu’elle me câlinerait après.
Elle hoche la tête.
— Et ensuite tu as découvert comment j’étais vraiment.
— Non. C’est tout.
Elle me fait signe de me taire et jette un coup d’œil vers la porte comme
si elle avait peur que quelqu’un nous entende, donc j’essaie de ne pas faire de
bruit.
— C’est tout, murmuré-je férocement. Je n’ai pas découvert comment tu
es vraiment. J’ai découvert comment tu veux être pour tous les autres.
Je secoue la tête.
— Laisse tomber.
Je récupère mon jean et le secoue.
— Attends, dit-elle lentement. Je ne comprends pas.
Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration.
— On dirait que tu joues un rôle. Tu essayes tant de m’empêcher de te
voir que je n’arrive pas à t’approcher du tout. C’est tout.
— Je ne suis pas…
— Pourquoi tu as voulu coucher avec moi ?
Sa voix est faible.
— Parce que tu étais là.
Je secoue la tête.
— Il n’y a rien de mal à ce qu’une femme aime simplement s’envoyer en
l’air.
— Je suis d’accord.
Elle vient vers moi et attrape mes hanches. Je soulève le bord de son
peignoir et regarde son cul.
— Tu as la marque de ma main sur ton cul, dis-je.
Je penche la tête et le mords, et elle arrête de respirer.
— Je n’arrive pas à croire que tu m’aies frappée.
— Moi non plus.
Je ris et mordille les courbes de ses fesses.
— Tu veux réessayer ? demandé-je contre sa peau.
Elle se retourne et grimpe sur mes genoux en me chevauchant. Elle me
branle avec sa main puis me positionne devant sa chaleur. Je retiens ma
respiration tandis qu’elle glisse sur ma queue et me prend en elle.
Elle passe les bras autour de mon cou et suce le lobe de mon oreille tout
en le mordillant délicatement. Je lèche le côté de sa gorge et lui mordille la
peau très doucement. Sa chatte tremblotte autour de moi.
— Tu aimes ça ? demandé-je.
Elle ne répond pas, mais émet une sorte de sifflement lorsque je penche la
tête pour mordiller son téton. Je regarde son corps, j’écoute ses
gémissements, et je comprends ce qu’elle aime juste en étant à l’écoute.
— J’aime ta bite, dit-elle.
Elle me regarde dans les yeux tandis qu’elle monte et redescend.
— J’aime ta chatte, réponds-je.
Je l’aime beaucoup. Trop, parce que mes boules essayent déjà de
remonter dans ma gorge.
— Alors tu devrais la regarder de plus près.
Elle arrête de bouger et hausse les sourcils en attendant ma réponse.
Je me retire et nous renverse. Ses cuisses s’ouvrent et elle se mord la
lèvre inférieure. Sa chatte luit à cause de l’humidité et je l’ouvre avec mes
pouces. Je me penche en avant et souffle sur son clito.
— Je suis assez près ? demandé-je.
Elle remue les hanches et passe ses doigts dans mes cheveux, me tirant
plus près d’elle. Je lèche son clitoris et regarde sa réaction. Elle ferme fort les
yeux, mais n’émet aucun son. Je saisis son clitoris entre mes lèvres et le suce
vigoureusement. Elle gémit. Je l’ai eue.
Je glisse deux doigts dans sa chaleur et je les recourbe pour chercher ce
point spongieux dont j’ai entendu parler dans un livre. Je réalise que je l’ai
trouvé quand je dois maintenir ses hanches sur le lit. Elle s’écrase contre ma
main et je dois m’accrocher à son clitoris pour ne pas lâcher. Soudain, elle
s’immobilise et un cri s’échappe de sa gorge en même temps que sa chatte
commence à trembler autour de mes doigts. Je lui donne du plaisir jusqu’au
bout, jusqu’à ce qu’elle me repousse.
Ses jambes sont aussi molles que des nouilles lorsque je les referme et la
fait rouler sur le ventre. Je couvre son corps avec le mien des épaules aux
pieds, et je prends ses mains dans les miennes. Elle me regarde, surprise, puis
elle se détend et me laisse entrer en elle. Elle crie lorsque j’enfonce d’un seul
coup ma longueur en elle.
— Je suis très sensible après avoir joui, murmure-t-elle.
— Je vais faire attention, murmuré-je à mon tour. J’embrasse
délicatement son épaule nue, et ça lui donne la chair de poule. Je la prends
lentement et délicatement, et elle est aussi douce que du coton sous moi. Elle
tourne la tête et m’embrasse. Ses yeux rencontrent les miens lorsqu’elle
recule et il y a dans son regard quelque chose que je ne comprends pas tout à
fait.
— Ça va ? demandé-je.
Elle cambre le dos et se presse contre moi, et je sais à cet instant qu’elle
va bien.
— Est-ce que tu peux me faire jouir comme ça ?
— Je peux ? demandé-je.
Je la mets à genoux et tire ses fesses vers l’arrière en m’accrochant
fermement à ses hanches pour la ramener vers moi. Je la prends fort, plus
fort, toujours plus fort.
— Mon Dieu, lâché-je. Tu es si bonne. Je ne peux pas me retenir.
— Pas encore, dit-elle.
Elle me regarde par-dessus son épaule, les lèvres entrouvertes.
— J’y suis presque, murmure-t-elle.
Je hoche la tête et m’enfonce en elle tout en passant mes doigts dans les
petits cheveux de sa nuque. Je tire et elle crie. Je me sers de ses cheveux pour
lui faire tourner la tête. Je veux voir son visage.
— Maintenant ! crie-t-elle soudain.
Je jouis dans le préservatif, tout au fond d’elle. Mes orteils se tordent sous
la puissance de mon orgasme tandis qu’elle frémit et pompe tout mon jus en
m’emmenant de plus en plus loin. Je m’arrête, et sa chatte me retient jusqu’au
bout, jusqu’à ce qu’elle se calme. Elle me laisse sortir et tombe sur le
matelas. Je m’écroule sur elle, pas encore prêt à la laisser partir.
Elle roule et je me laisse tomber à côté d’elle, puis elle me tire pour que je
pose ma tête entre ses seins. Ses mains glissent dans mes cheveux et elle tient
ma tête contre sa poitrine, ses doigts grattant délicatement mon cuir chevelu.
— Tu as vingt minutes pour faire des câlins, dit-elle.
— Les câlins c’est pour les cons.
Elle baille.
— Tu dois être sorti de ma chambre dans dix-neuf minutes trente.
— Ferme-là, dis-je en essayant de gagner du temps. J’ai besoin d’un peu
de réconfort post-coïtal.
Elle rit et ma tête bouge sur sa poitrine.
— Est-ce que ça ressemble à se faire des câlins ?
J’embrasse son ventre et pose mon visage sur sa peau douce. Elle me
caresse les cheveux, et ses doigts chatouillent mon cuir chevelu. Je lève la
tête et pose mon menton sur la peau tendre de son bas-ventre.
— C’est la meilleure partie, lui dis-je.
Elle soupire.
— Tu essayes de t’en persuader.

Le temps passe, et elle continue de me caresser les cheveux. Cela fait bien
plus de vingt minutes et elle ne m’a pas encore mis dehors. Puis ses mains
deviennent lourdes et fatiguées contre mes cheveux. Je ne bouge pas tout de
suite. Je profite de cette quiétude. Il n’y a rien de plus paisible que d’être avec
une femme qui vient d’avoir un orgasme ou deux. Je ne veux pas m’arracher
à ça. C’est la partie qui importe le plus.
Un petit ronflement s’échappe de sa bouche et je sais qu’elle s’est
endormie. Je m’assieds avec précaution.
J’ai des choses à faire. Je dois me préparer. Et je dois sortir d’ici avant
que tout le monde ne soit réveillé. Le lit bouge quand je me retourne, et elle
tend la main vers moi. Je presse mes lèvres sur le dos de sa main et la tient
jusqu’à ce qu’elle se calme. Puis je me lève et enfile mes vêtements.
Je la regarde allongée là, complètement nue. Elle est si belle. Elle est
petite et bien roulée, et ses longs cheveux noirs sont étalés sur son oreiller. Je
me remémore comment je lui ai tiré la tête en arrière, et ma queue tressaute.
Bordel. Je dois sortir d’ici maintenant ou je ne le ferai jamais.
Je la borde et regarde son doux visage. À un autre moment, dans un lieu
différent… je pourrais lui demander de sortir avec moi. Je pourrais
transformer ça en quelque chose de concret. Mais je ne peux pas. Pas
maintenant.
Je remonte ma braguette, sors de la chambre et tombe directement sur
Lark, qui passe la porte d’entrée.
Elle fronce les sourcils.
— Tu as dû te tromper de porte, dit-elle.
Elle désigne ma chambre.
— Ta chambre est par là.
— C’est bon à savoir, grommelé-je avant d’y aller.
Je prépare mes affaires aussi vite que possible, puis je passe la tête dans le
couloir. L’appartement est plongé dans les ténèbres, excepté une lumière dans
la cuisine. Je porte mon sac de sport jusque dans la cuisine et regarde sur la
table. Le livret de banque. C’est pour ça que je suis venu ici. Je dois le
prendre. Je ne peux pas faire ce que j’ai à faire sans lui. Je le récupère et le
glisse dans ma poche arrière. Elle voulait que je le prenne, donc ce n’est pas
une mauvaise action. N’est-ce pas ?
Je m’arrête devant la porte de Finny et hésite une minute.
— Tu devrais partir, me dit Lark depuis la porte de sa chambre.
Elle me fait sursauter et ma respiration s’accélère. Je hoche la tête.
— Je sais, réponds-je doucement.
— C’est mieux comme ça.
Je hoche la tête à nouveau.
— Oui.
La porte de Lark se referme et je prends une profonde inspiration.
Il est temps de partir. Je dois aller chercher ma femme et mon fils.
FINNY

J eencore
suis de l’autre côté de la porte et je l’écoute parler à Lark. Je suis
nue et je peux sentir sa sueur sur mon corps.
J’attrape mon peignoir et l’enfile. La soie glisse contre ma peau à laquelle
il vient juste de donner la chair de poule. J’ai fréquenté de nombreux
hommes, mais aucun n’a jamais envahi tous mes sens, pas comme lui vient
de le faire. Lorsqu’il a posé sa tête sur ma poitrine, je me suis surprise à
tendre la main vers lui, à le câliner autant qu’il voulait que je le câline.
Et ce n’est pas normal.
Je voulais qu’il soit simplement comme tous les autres, mais ça n’a pas
été le cas. Il était différent, et je n’aime pas ça.
— Tu devrais partir, entends-je Lark dire par l’entrebâillement de la
porte. Je tends la main vers la poignée, mais je n’arrive pas à me résoudre à la
tourner.
— Je sais, répond-il.
Sa voix est dure et rauque et j’ai envie d’aller le voir et de lui demander
où il va.
— C’est mieux comme ça, dit Lark.
— Oui, marmonne-t-il.
J’entends des pas et un bruit de bagages qu’on déplace tandis que la porte
d’entrée s’ouvre. Je pose mon oreille contre la porte de ma chambre jusqu’à
ce que j’entende celle de l’entrée se refermer. Puis j’ouvre ma porte.
— Oh, Finny.
Lark soupire.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
Je serre le peignoir sur mon corps nu et avance dans le couloir.
— Il est parti ? murmuré-je.
Je ne veux pas que Wren m’entende.
— Oui.
Lark est appuyée contre le mur et penche la tête comme si elle était
fatiguée.
— Il est parti.
Mon cœur s’emballe.
— OK.
Je me force à hausser les épaules nonchalamment.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
Je baisse les yeux et regarde le sol.
— Rien.
Je lève les yeux vers elle.
— Il est, genre, vraiment parti ?
Elle hoche la tête.
— Genre, il a pris ses affaires et il est parti.
— Oh.
J’ai le cœur serré et je ne sais pas pourquoi.
— OK.
— Tu as couché avec lui ?
Elle me dévisage.
— Eh bien, ouais…
Je dois probablement expliquer…
Elle commence à me faire des reproches.
— Ce n’est pas n’importe quel mec.
Non. Vraiment pas.
— Je sais.
Je le sais à mes dépens.
— Il est vraiment parti ?
Je regarde vers la porte d’entrée comme s’il allait revenir.
Elle hoche la tête.
— Oui. Il a pris le livret de banque de Wren.
— Oh, putain !
Je couvre ma bouche avec ma main.
— Est-ce qu’elle est au courant ?
Lark secoue la tête.
— Pas encore.
Elle me regarde fixement.
— Pourquoi lui, Finny ?
— Juste pour voir si je pouvais, j’imagine.
Ma voix est si faible.
— Il y avait quelque chose d’étrange chez lui.
— C’est leur frère.
— Je sais.
Je pose une main sur ma poitrine.
— Moi, je n’ai aucun lien avec lui, tu sais ?
Elle lève une main pour contrecarrer mon objection.
— Je sais.
— Tu vas leur dire que j’ai couché avec lui ?
Elle soupire et secoue la tête.
— En quoi ce serait bon pour qui que ce soit ?
Ça ne serait bon pour personne.
Mais je n’arrive toujours pas à croire qu’il est simplement parti, comme
ça.
TAG

D eux mois plus tard.


Je tiens la main de Julia et essuie son front avec un gant de toilette humide et
froid.
— Je te déteste ! me crie-t-elle.
Ça dure depuis environ une heure, et je commence à m’y habituer.
— Je suis contente de ne plus jamais avoir à te revoir après aujourd’hui.
La sage-femme me fusille du regard. Ils connaissent notre situation de
dingues. Mais j’espère toujours que Julia changera d’avis, qu’elle voudra
avoir un lien avec notre fils après aujourd’hui. Notre époque ensemble est
révolue, mais la leur n’a pas à l’être.
Une autre contraction secoue son corps, et elle serre ma main si fort que
je grimace et décroche ses doigts.
— C’est bientôt terminé, déclare l’infirmière.
Une fois la contraction passée, Julia se détend dans le lit et elle me
regarde en clignant ses yeux verts.
— Je peux t’apporter quelque chose ? lui demandé-je.
Elle secoue la tête.
— Assure-toi simplement qu’ils ne le poseront pas sur moi quand il
sortira, OK ? Je ne veux pas le voir.
Je repousse ses cheveux humides de son visage.
— Tu en es sûre ?
— J’en suis certaine, dit-elle doucement. Ce serait trop dur.
— On peut encore le faire, lui réponds-je. On peut le faire ensemble.
Elle secoue la tête.
— Ce n’est pas ce que je veux, Tag. Je veux qu’il n’ait que le meilleur, et
je ne peux pas lui offrir ça.
Moi non plus, songé-je. Sans l’argent de ma sœur, je ne pourrais rien faire
du tout pour lui.
Julia est venue me voir quand elle a découvert qu’elle était enceinte.
J’étais excité comme jamais, mais pas elle. Pas du tout.
— Ils peuvent tout lui offrir, Tag, avait-elle dit. Nous, on n’a rien à lui
donner.
— On peut le faire, lui avais-je répondu.
J’avais joint les mains comme si je priais.
— S’il te plaît, dis juste que tu vas essayer.
— La famille adoptive a dit qu’ils allaient me donner assez d’argent pour
aller à l’université, avait-elle rapidement expliqué. Je peux me sortir de là.
J’ai regardé le minuscule cottage de son père. En tant que pasteur de
l’église, il avait droit à une petite maison. C’était comme ça que nous nous
étions rencontrés. Son père me donnait des conseils sur la responsabilité.
Julia avait reniflé.
— Je veux qu’il ait tellement plus que ça. Et la famille adoptive… Ils le
veulent vraiment.
J’étais parti comme missionnaire à l’étranger lorsque Julia avait
découvert qu’elle était enceinte. Elle m’avait envoyé une lettre à Mexico,
mais il m’avait fallu quelques semaines pour trouver assez d’argent pour
rentrer à la maison. Ma mission n’était pas censée se terminer avant
longtemps, mais j’étais rentré à la maison dès que j’avais appris la nouvelle.
Je n’aurais jamais dû partir.
— Je le veux, avais-je dit.
J’avais tapé mon poing contre mon torse.
— Tu ne peux pas le donner sans ma permission.
— J’aurais pu simplement me faire avorter et tu n’aurais jamais rien su,
avait-elle dit doucement.
— Mais tu ne l’as pas fait. Et maintenant je sais. Et je le veux. Tu ne peux
pas le faire adopter alors qu’il a un père qui veut de lui.
Elle avait commencé à pleurer.
— Mais j’ai des rêves. Et ils vont payer pour que je puisse faire des
études. Ils m’apprécient. Et ils ont dit qu’on pourrait lui rendre visite,
prendre de ses nouvelles.
Elle m’avait supplié.
— Combien d’argent ?
— Tu es fauché, Tag. Est-ce que c’est important ? Tout ce qu’ils peuvent
lui offrir est mieux que ce que nous pouvons faire. Tu ne le vois pas ?
Elle avait tort. Je pouvais l’aimer.
— Je le veux, avais-je répété.
— Et je veux aller à l’école. Je veux être mieux que… ça.
Elle avait montré la pièce autour d’elle. Mon bébé n’était pas plus grand
qu’une pomme à ce moment-là. Et elle voulait le donner.
— Et si je te donne le même montant ? avais-je demandé.
Elle avait ricané.
— Où tu trouverais autant d’argent ?
Mes sœurs. Jenny et Jessica. Elles sont pleines aux as.
— Je le trouverai.
— Pourquoi il faut que tu rendes ça si difficile ?
Elle avait soupiré.
— Laisse-le avoir une belle vie.
— C’est ce que je vais faire.
Avec moi.
Elle avait écarquillé les yeux.
— Tu vas signer les papiers ?
— Non. Je vais te trouver l’argent.
Son visage s’était assombri. Je détestais la décevoir, mais je ne le
laisserais pas partir.
— Ce n’est pas juste, avait-elle dit.
J’avais traversé la pièce pour me mettre devant elle et soulever son
visage pour qu’elle me regarde.
— Rien de tout cela n’est juste. On devrait être une famille.
Elle avait reculé, créant un vaste abîme entre nous.
— Tu es parti.
— Tu m’as dit de partir !
— Tu as dit que tu en avais besoin.
— C’était pour l’église, m’étais-je dépêché de répondre.
— Parfois, j’ai l’impression que tu aimes ta religion plus que tu ne
m’aimes moi.
— Je peux changer, avais-je tenté.
Elle avait secoué la tête.
— C’est trop tard.
Julia me tire de ma rêverie en criant et serre fort mes doigts. Son ventre
ondule et tremble et la sage-femme me dit que je peux regarder en bas. Cela
fait des mois que je n’ai pas vu Julia, alors je ne me sens pas très à l’aise à
l’idée de regarder son vagin, mais l’attirance est trop forte. Ses jambes sont
écartées et je le regarde venir au monde. La sage-femme l’attrape et le
soulève pour le poser sur son ventre.
— Non, s’écrie Julia. Elle ferme les yeux et détourne le regard. Une larme
coule sur sa joue.
— Julia, s’il te plaît, dis-je.
Si elle le voit, rien qu’une fois, elle changera d’avis. J’en suis sûr.
— Enlevez-le.
Il se met à pleurer, et c’est un pur délice. Je me dirige vers la petite
baignoire où ils le nettoient et je regarde son petit visage parfait. Il a mon
teint et mes cheveux.
— Vous voulez le porter, papa ? me demande la sage-femme.
Elle jette un regard de côté à Julia. Mais Julia regarde toujours de l’autre
côté.
— Oui, s’il vous plaît, réponds-je. Je le prends et le pose sur mon torse.
— Bonjour, Benji.
Il n’a que quelques minutes et je suis déjà amoureux de lui. Je n’arrive
pas à concevoir que Julia veuille l’abandonner.
— Tu es sûre, Julia ? lui demandé-je.
— Certaine, répond-elle fermement.
Elle refuse toujours de regarder.
Ils nous déplacent dans une autre pièce, loin de Julia. Apparemment, c’est
ce qu’ils font en cas d’adoption et c’est comme ça qu’ils traitent notre
situation.
Je passe la nuit avec mon fils dans sa chambre à lui, et je n’ai aucune idée
d’où est Julia. Une infirmière entre dans la salle et dit :
— La mère du bébé aimerait vous voir. On va bientôt la laisser sortir.
Je regarde en direction du berceau de Benji.
— Je vais le surveiller. Allez-y, dit-elle gentiment. Elle me tapote
l’épaule.
Elle me donne le numéro de la chambre de Julia et je m’y rends. Elle
porte un baggy et un haut ample, et elle a un sac sur l’épaule.
— Tu t’en vas ? demandé-je.
Elle hoche la tête, et une larme coule sur sa joue.
— Julia…
J’en envie de l’enlacer, mais je ne sais pas si j’en ai le droit.
— Ne rends pas ça plus difficile que ça ne l’est déjà, dit-elle doucement.
Tu as l’argent ?
Je fouille dans ma poche et sors le chèque de quarante mille dollars. J’ai
utilisé le reste des cinquante mille dollars pour acheter des affaires de bébé, et
j’ai payé un avocat pour qu’il s’occupe de l’aspect juridique. Il faut que Julia
puisse renoncer à ses droits et que moi, j’obtienne la garde.
Et il faut finaliser le divorce.
— Merci, dit-elle en prenant le chèque.
— Est-ce que ça va aller ?
— Ça aurait été plus simple s’il était allé dans une autre famille, répond-
elle. Maintenant, je saurai toujours qu’il est avec toi, et pas avec moi, et il le
saura aussi.
— Je ferai en sorte qu’il sache que tu l’aimes.
J’ai le cœur brisé.
Elle hoche la tête.
— J’ai fait ça parce que je l’aime. Je ne peux pas lui donner ce dont il a
besoin. Et je ne suis pas sûre à cent pour cent que tu le puisses toi non plus.
Elle me regarde.
— Tu vas retourner auprès de tes sœurs ?
— Je doute qu’elles veuillent de moi maintenant. Je me suis fermé cette
porte.
Elle hoche la tête.
— Prends soin de lui, OK ?
Sa voix se brise et je ne peux plus le supporter. Je vais vers elle et la
prends dans mes bras. Elle se laisse tomber sur moi et je l’enlace une minute,
jusqu’à ce que ses sanglots se calment.
— Quand tu seras prête à le voir, appelle-moi.
— Je ne le ferai pas.
— Tu ne sais pas comment tu te sentiras dans quelques années.
Elle hoche la tête.
— Porte-toi bien, Tag.
Puis je vois son nouveau copain devant la porte. Elle part avec lui. Elle
me laisse avec un nouveau-né, et elle va aller à l’université comme si rien de
tout cela n’était arrivé. Elle continue de vivre sa vie, et je garde la beauté que
nous avons créée ensemble.
Je retourne dans la chambre de Benji et l’infirmière me le passe comme si
c’était un ballon de foot soigneusement emballé.
Mon téléphone sonne dans ma poche et je change Benji de côté pour
pouvoir répondre. Mon cœur s’emballe en pensant que ça pourrait être Julia.
Peut-être a-t-elle changé d’avis ?
— Allô ?
— Tag ? demande une voix masculine.
— Oui ?
— C’est Josh, et je vais épouser ta sœur Star dans quelques jours. On
serait super-contents si tu pouvais venir.
— O-Oui, réponds-je rapidement.
Je me racle la gorge.
— Oui, répété-je.
Puis mon cœur se serre.
— Attends. Je n’ai pas d’argent pour venir.
Il rit.
— Ne t’en fais pas, on va s’en occuper.
— Il me faudrait un billet de bus
— Quand peux-tu partir ?
— Aujourd’hui ?
— Je vais m’occuper des billets. Donne-moi ton nom complet…
Je lui donne toutes les informations.
— Je voyagerai avec mon fils, lui dis-je en grimaçant intérieurement
Une pause.
— Ton fils ?
— Oui. C’est bon ?
— Bien sûr que c’est bon, dit-il en riant. Star va être trop contente de te
voir.
— Est-ce qu’elle est en colère contre moi ? lui demandé-je. Je suis parti
avec les cinquante mille dollars de Wren.
— Pas que je sache. Mais elle a un vagin, donc ça pourrait changer dans
environ dix minutes, dit-il en gloussant.
Quelque chose me dit que ma sœur lui mettrait une claque si elle
l’entendait dire ça. Et quelque chose d’autre me dit qu’il s’en ficherait.
— Alors on t’attend, mon pote, ajoute-t-il.
— OK, réponds-je en expirant enfin l’air que je retenais.
Je remets mon téléphone dans ma poche. Il ne reste que quelques jours de
crédit dessus, alors je suis content qu’il m’ait téléphoné maintenant.
Je regarde Benji.
— Nous allons à New York, petit gars.
Nous allons à New York pour affronter ma famille, le passé, et fuir
l’avenir.
FINNY

D eux mois ont passé depuis qu’il s’est enfui comme un voleur dans la
nuit. Deux mois depuis qu’il m’a baisée. Deux fois. Et il a eu le culot de
se pointer avec un bébé. Je n’aime pas les bébés, pas même ceux qui sont liés
à deux de mes personnes préférées. Et encore moins un bébé qui lui
appartient à lui.
Star me le passe et je le tiens devant moi à bout de bras pour essayer de
l’éloigner le plus possible tout en soutenant sa tête. Il se tortille et ses petits
pieds gesticulent tandis qu’il grimace.
Star pose la tête sur mon épaule et le regarde comme si c’était la plus
belle chose qu’elle ait jamais vue. Elle a le même regard avec le bébé de
Peck. Star pose une main sur son ventre de femme enceinte et un peu de vomi
me remonte dans la bouche. J’essaie de le rendre à son père, mais il parle
avec Josh, le nouveau mari de Star, et ne remarque même pas que je lutte
avec son engeance démoniaque.
— Il va me vomir dessus, c’est ça ? demandé-je. Je regarde partout sauf
vers le bébé. Il gémit et son père le regarde enfin.
Benjamin « Tag » Taggert Junior a le même air renfrogné que sa
progéniture. Il me prend le bébé et le pose sur son torse.
— La méchante petite femme a refusé de te porter ? lui dit-il en parlant
comme un bébé. Ses yeux croisent les miens et je détourne le regard. Il niche
le bébé au creux de son bras et lui met un biberon dans la bouche. L’enfant se
tait immédiatement. Merci mon Dieu.
— Je n’ai pas refusé, marmonné-je.
Je me retourne et murmure à Star :
— Est-ce qu’il vient de dire que j’étais petite ?
Elle roule les yeux. Je dois le prendre avec humour. Sinon, je vais laisser
mes émotions prendre le dessus et je vais lui mettre une claque, un coup de
pied dans les roustons, ou quelque chose d’encore plus stupide.
Il rit.
— Il ne va pas te mordre. Il n’a même pas encore de dents.
— Elle n’aime pas les bébés, lâche Wren.
Elle rit et son frère roule les yeux.
— Comment peux-tu ne pas aimer les bébés ? demande-t-il. Ce sont des
cadeaux de Dieu.
Je ricane. Je n’arrive pas à m’en empêcher. Star me lance un regard noir
et je murmure :
— Désolée.
Je sais que son frère veut que tout le monde pense qu’il est religieux.
Qu’il croit en Dieu, aux prières, aux bénédictions, aux miracles et à toutes ces
conneries. Mais il m’a baisé comme un fou et il a fait des choses dingues à
ma chatte pendant un certain temps, alors je sais que c’est un imposteur.
Star s’est mariée aujourd’hui. Tag est arrivé de nulle part avec un bébé
dans un porte-bébé, et il a pu assister au mariage de Star. Star a donné son
accord. Je ne suis pas certaine que j’aurais été aussi généreuse, étant donné la
façon dont il est parti il y a deux mois avec les cinquante mille dollars de
Wren.
— Alors, où est-ce que vous allez dormir ? lui demande Star.
Il regarde autour de lui nerveusement.
— Je n’en sais rien pour l’instant.
— Eh bien, tu n’auras aucun mal à trouver un hôtel puisque que Wren
t’as donné tout cet argent, lancé-je.
Il tressaille.
— Bien sûr, marmonne-t-il.
Une alarme se déclenche dans ma tête.
— Mec, t’as dépensé cinquante mille dollars ?
Star soupire.
— Pas maintenant, Finny, dit-elle.
— Je vais tout vous expliquer, se dépêche-t-il de dire en direction de
Wren et Star. Je vous le promets.
Star lui sourit.
— Plus tard.
Il hoche la tête et semble soulagé.
— Bien sûr.
Ses yeux croisent à nouveau les miens et je détourne le regard pour
rompre le contact visuel.
Star prend la main de Josh et dit :
— Ton bébé veut une part de gâteau.
Elle bat des cils en le regardant. Elle est enceinte d’à peine six semaines,
mais elle exploite déjà le truc du bébé.
Josh rit.
— Je comprends l’allusion. Quelqu’un d’autre ?
Il regarde le groupe. Nous sommes tous assis à table à la réception de Star
et Josh, prenant pas mal de place, tandis que des gens s’affairent autour de
nous. Star et Josh ont été jetés dans la fontaine il y a quelques minutes, donc
ils ont dû partir se changer rapidement. Star est revenue un peu plus
débraillée que quand elle est partie, et Josh arborait un grand sourire.
Quelqu’un venait de s’envoyer en l’air, et ce n’était pas moi.
— Je vais en prendre une part, répond Wren. Lark lève la main aussi. Elle
porte des gants qui vont jusqu’aux coudes, comme d’habitude. Ils sont roses,
comme sa robe.
— Moi aussi, dis-je.
Josh s’éloigne et Star le regarde avec des yeux pleins de désir. Je lui
tapote l’épaule.
— Il va revenir. Je te le promets.
Je mets la main autour de ma bouche.
— Avec du gâteau ! chuchoté-je énergiquement.
Elle rit.
— Tu es heureuse ? lui demande soudain Tag. Vraiment heureuse ?
Star hoche la tête.
— Plus qu’heureuse.
Elle a un sourire mélancolique.
— Bien.
Star met le coude sur la table et pose son menton dans la paume de sa
main. Elle hoche la tête en direction du bébé.
— C’est pour lui que tu avais besoin d’argent ?
Tag hoche la tête.
— Oui.
— Est-ce que tu as besoin de plus ? demande-t-elle.
Je m’étouffe avec ma salive.
— Désolée, craché-je lorsque Wren me tape dans le dos.
— Non, je me suis occupé de tout ce que je devais faire. Merci. Je te
proposerais bien de te rembourser, mais je n’ai pas encore de travail.
Il rougit. Est-ce qu’il est embarrassé ?
Wren hausse les épaules.
— C’est pas comme si cet argent allait nous manquer.
Il rit.
— Quand même, je n’ai pas envie d’être un fardeau.
Alors il devrait vraiment songer à rentrer chez lui. Il me pompe l’air.
C’est un fardeau en soi.
— Où est sa mère ? demandé-je.
— Je… je n’en sais rien.
Il regarde son fils.
— J’aimerais le savoir.
Il soupire.
— Tu vas venir avec nous ce soir, dit soudain Wren. La chambre de Star
est encore vide. Et celle de Peck aussi. On aura plein de place.
Il secoue la tête.
— Je ne veux pas abuser.
Mais ses yeux se remplissent d’espoir. Je le vois. Je me demande s’il s’en
rend compte. Je me demande s’il en a quelque chose à faire.
Il ne veut pas abuser ? Comme si partir avec cinquante mille dollars alors
que sa bite était encore humide d’avoir été en moi n’était pas suffisant.
— Hé ho ? crié-je. Tu pourrais peut-être demander l’avis des autres
occupants ?
Je me désigne du doigt. Mon cœur bat dans ma poitrine comme une balle
de ping-pong dans un verre. Lark, Wren et moi partageons un appartement. Je
ne pense pas qu’on ait besoin de colocataires supplémentaires.
Surtout pas d’un qui m’a fait perdre la tête. Surtout pas d’un qui est allé
plus profond en moi que quiconque avant lui. Surtout pas d’un qui me fait
peur.
— C’est notre frère, rouspète Star. Y a pas à discuter.
— Dans ce cas tu devrais le ramener chez toi.
Star roule les yeux.
— Je suis en lune de miel.
Elle se penche vers moi et me murmure à l’oreille :
— Et je suis quasiment certaine que Josh a commandé du mobilier sexuel
pour moi pour notre nuit de noces, et j’ai envie de le tester.
— Beurk, grogné-je. Je n’avais pas besoin de le savoir, Star.
Elle rit et regarde Tag.
— Elle sera gentille. Je te le promets.
Elle me lance un regard démoniaque.
— N’est-ce pas, Finny ?
Putain non, je ne vais pas être gentille.
— Je ne promets rien.
J’agite le pouce vers le bébé.
— Est-ce qu’il ramène ça avec lui ?
Tag rit.
— Je ne vais nulle part sans lui.
Son regard s’accroche au mien.
Le silence se fait à la table, car il y a de la force et de la conviction
derrière ses mots.
Un homme s’approche et s’arrête près de mon épaule.
— Tu veux danser ? demande-t-il.
Je ne le connais pas, mais il est beau et il a assez de couilles pour
demander. Je pourrais même m’envoyer en l’air avec lui. J’ai connu une
petite période de disette depuis cette nuit-là avec Tag. C’est comme si mon
vagin était cassé. Je regarde le visage de cet homme.
Attends. Est-ce que j’ai déjà couché avec lui ? Ils se confondent tous
après un moment. Qui sait ?
— Avec plaisir, réponds-je. Je me lève et le suis sur la piste de danse.
On dirait que ma soirée est sur le point de s’arranger.
Il m’attire bien trop près, bien trop rapidement. Je me raidis et il ne
comprend pas.
— Tu ne te souviens pas de moi, n’est-ce pas ? demande-t-il tandis que
son souffle chaud effleure mon oreille.
Maintenant je me souviens de lui. J’oublie peut-être leurs noms et leurs
visages, mais je n’oublie jamais leurs odeurs. Celui-là sent l’aérosol et les
oignons.
— Je t’ai bouffée pendant presque une heure cette nuit-là, dit-il.
Il sourit comme si c’était une bonne chose. Sauf que ce n’était pas le cas.
Ça avait duré une heure parce qu’il était vraiment mauvais.
Je serre les dents.
— Je m’en souviens.
— Tu ne m’as pas rappelé.
Je lui avais dit que je ne voulais pas son numéro et je ne lui ai pas donné
le mien. Il a dû l’obtenir par quelqu’un d’autre.
J’espérais avoir de tes nouvelles, continue-t-il. Il me bouscule dans ses
bras comme s’il espérait provoquer une réponse.
— Je ne cherche pas une relation, réponds-je poliment.
Puis je redresse les épaules et le regarde dans les yeux.
— Et tu n’es pas vraiment mon genre.
Il sursaute.
— J’étais ton genre quand je te baisais.
Je secoue la tête.
— Pas vraiment. Tu étais simplement là.
Il arrête de bouger au rythme de la musique.
— J’étais un coup facile ?
Sa voix vire à l’aigu à la fin de sa phrase, et des gens se retournent pour
nous regarder.
Ce n’était pas facile du tout, parce que je devais faire semblant de
l’apprécier tout en lui apprenant à naviguer dans mes parties inférieures. Je
pense qu’il ne savait pas ce qu’était un clito avant cette nuit-là.
— De rien, réponds-je, désinvolte.
Il recule et émet un reniflement terrible. Ce n’est pas un rire, et cela me
rappelle un chameau que j’ai caressé un jour au zoo. S’il me crache dessus
aussi…
— Sérieusement ? dit-il d’une voix plus forte. Tu m’as utilisé ?
— De rien ? répété-je, mais cette fois j’en fais une question.
Hé, je sais que certains mecs sont heureux de pouvoir baiser une Zero. Ce
mec recherche apparemment plus qu’un coup d’un soir avec la bassiste du
groupe.
— Tu es carrément dérangée. Tu le sais ?
Dis-moi quelque chose que je ne sais pas déjà. Je lui souris.
— Merci.
J’aime ma vie dérangée. Je n’ai pas spécialement besoin qu’il l’apprécie
aussi.
— Tout va bien ? demande une voix grave derrière moi.
Je me retourne et vois Tag. Il a dû danser avec Lark parce qu’elle gigote
juste à côté de lui.
— Ça va Finny ? demande Lark.
— Ça fait quoi de savoir que c’est une trainée ? aboie le mec.
Il sourit d’un air suffisant.
— Ou peut-être que tu es le prochain sur la liste ? demande-t-il à Tag.
Tag se raidit, et j’imagine qu’il va me poser des questions sur ce mec.
Mais il n’en fait rien. Il porte toute son attention sur le crétin.
— Un peu de respect, mec, dit-il doucement.
Je le regarde contracter ses mains, serrer et desserrer les poings.
— J’emmerde le respect, lâche le connard.
Tag ajuste son costume.
— J’aimerais bien que tu surveilles ton langage. La vulgarité n’est pas
nécessaire.
— J’emmerde ta vulga…
Il s’arrête de parler. Principalement parce que Tag vient de lui décocher
un crochet dans la mâchoire. Sa tête part en arrière et il recule. C’est arrivé si
vite que je ne l’ai même pas vu. Je vois juste sa réaction.
— J’ai dit surveille ton langage devant les dames. Tag gratte la barbe
naissante sur son menton.
— Dame ? Dame mon c…
Sa tête repart en arrière. Cette fois il commence à saigner, du sang coule
de son nez à ses lèvres.
Tag fouille dans sa poche et sort un mouchoir avant de le mettre sous le
nez de l’homme.
— Tu as besoin d’aide pour trouver la sortie ? demande-t-il doucement en
se penchant vers lui.
Le connard secoue la tête.
— Non, marmonne-t-il d’une voix nasillarde.
— Tu devrais t’excuser auprès de cette dame, dit Tag. Il recule pour que
le mec puisse être face à moi.
Je lève la main pour repousser les excuses.
— Ce n’est pas vraiment nécess…
— Si, ça l’est, lâche Tag.
Il lève un sourcil en direction de l’homme.
— Désolé, murmure l’homme à travers son mouchoir.
— Désolé de…
Tag attend avec un regard attentif.
L’homme regarde Tag d’un air interrogateur. Il n’a aucune idée de quoi il
devrait s’excuser.
Tag agite la main en l’air.
— Désolé d’avoir offensé la dame…
Il attend.
— Je suis désolé de t’avoir offensée.
Tag sourit et lui tape sur l’épaule.
— Bonne nuit, dit-il.
L’homme s’éloigne. Je vois les Reed le prendre en charge sur le bord de
la piste pour l’escorter jusqu’à la sortie. Maintenant je me souviens pourquoi
ils le connaissent. C’est un de leurs clients. Oups.
Je lève la tête et réalise que tout le monde sur la piste de danse nous
regarde. Le groupe recommence à jouer. Tag tend une main vers moi.
— Me feras-tu cet honneur ? demande-t-il
— Ferme la bouche, murmure Lark.
Je ferme la mâchoire. Elle pose une main au milieu de mon dos et me
pousse vers Tag. Je trébuche sur lui et il pose une main sur ma hanche. Il
prend mon autre main dans la sienne et me fait danser. Lark se dépêche
d’aller danser avec quelqu’un d’autre. Il se penche pour me regarder dans les
yeux.
— Tu vas bien ?
— Très bien.
À part le fait que je n’arrive pas à respirer. Le seul homme à avoir jamais
pris ma défense de la sorte, c’est Emilio, mon père adoptif. Il irait au bout du
monde pour moi, mais c’est le seul homme qui l’ait jamais fait.
— Pourquoi tu as fait ça ? demandé-je.
— Fait quoi ?
Il me regarde. C’est étrange à quel point j’ai toute son attention. C’est
presque déconcertant.
— Pourquoi tu l’as frappé ?
Ses épaules larges se soulèvent légèrement.
— Il était impoli.
— Parce qu’il m’a traité de trainée ?
Il grimace et je sais que j’ai touché un point sensible.
— Son langage était inapproprié. Je l’ai simplement aidé à le réaliser.
— Alors quelqu’un qui dit que je suis une trainée, ça t’offense ?
Je réfrène mon sourire lorsque je le vois tressaillir à nouveau.
— Il n’avait pas besoin de ça pour se faire comprendre.
Il me fait tournoyer loin de lui puis me rattrape. Il sait danser, c’est sûr.
— Oh.
— Tu es meilleure que ça, dit-il doucement. Ne laisse personne te parler
comme si tu valais moins que ce que tu es.
Mon cœur s’emballe. Je n’étais pas assez bien, apparemment, pour le
faire rester.
— Quoi ?
— Tu es précieuse. Digne. Adorable. Tout le monde est digne. Digne de
respect.
Je grogne. Je ne veux pas être adorable. J’aime ma famille, mais je n’aime
personne d’autre. Je ne peux pas. L’amour rend vulnérable. Il donne aux gens
le pouvoir de vous faire du mal.
Comme lui.
— Tu es vachement mignonne aussi, dit-il en souriant.
— Est-ce que tu viens sérieusement de dire que j’étais mignonne ?
Je ris. Je n’y peux rien.
— Et tu as dit vachement.
— Les grossièretés ne sont pas toujours nécessaires pour se faire
comprendre.
— Tu as peur d’aller en enfer ? demandé-je en riant.
Lâchez quelques grossièretés et vous gagnerez un aller simple pour
l’enfer.
— Avant oui, dit-il. Maintenant, je n’en suis plus certain.
Je réalise à quel point il est tendu dans mes bras.
— Je suis désolée, dis-je. Je n’aurais pas dû te taquiner.
Je le regarde. Il a une mèche de cheveux noirs qui lui tombe sur le front.
Ses yeux sont presque noirs dans la lumière déclinante, et ils fixent
directement les miens. Je sais qu’ils sont marron, mais en ce moment ils sont
noirs. Et torrides.
— Je te pardonne, dit-il avec un petit sourire.
— La prochaine fois, je me contenterais de te taquiner à propos de cet
épi. Je montre ses cheveux.
Il glousse et jette la tête en arrière. Je le regarde et m’étonne qu’un
homme puisse rire sans aucune retenue.
— Il faut qu’on parle, déclare-t-il à côté de mon oreille.
Un frisson délicieux parcourt ma colonne vertébrale.
— Non.
Je m’accroche fermement à sa main, qui est enroulée autour de la mienne.
Il me serre plus fort.
— Si.
— Qu’est-ce que tu as fait du marmot ? demandé-je en me souvenant
soudain de son fils.
Il rit.
— Ta mère l’a pris et m’a dit d’aller danser. Elle ne m’a pas laissé le
choix.
— Elle fait toujours ça, murmuré-je. Je la cherche du regard et la vois en
train de câliner le petit, tout en lui donnant le biberon. Elle me fait un clin
d’œil.
— Ta famille est fabuleuse.
— Oui, c’est vrai, approuvé-je.
Ma famille est merveilleuse.
— Tu as de la chance, dit-il d’une voix rauque. Tout le monde n’a pas
cette chance.
— Tu as été adopté par un oncle, c’est ça ?
Je me souviens vaguement de l’histoire. L’oncle ne voulait pas de ses
sœurs, alors Tag y est allé tout seul.
— Oui.
Maintenant, il est raide comme un bout de bois.
— Alors tu as eu de la chance aussi.
Il ne dit rien.
— Donc, tu rentres à la maison avec nous ?
Je grimace en réalisant comment ça sonnait.
— Je veux dire, bredouillé-je, je veux dire que tu vas recommencer à
utiliser l’ancienne chambre de Star ?
Il hoche la tête.
— Au moins pour ce soir.
Il me regarde.
— Ça ne te dérange pas, hein ?
— Pas tant que tu promets de ne pas pisser sur la cuvette des toilettes et
de ne pas la laisser relevée.
— Je ferai de mon mieux.
Il ricane.
— Tu peux survivre à ma présence pour un jour ou deux ?
Je hausse les épaules.
— Je vais essayer. Ça va être difficile.
— Merci pour ton sacrifice.
Il rit à nouveau. C’est un rire chaleureux et sain, et je me sens fondre. Il
me parle encore à l’oreille.
— Je suis désolé si mon départ précipité t’a blessée. Je devais m’occuper
de quelque chose, et je ne pouvais pas encore l’expliquer. Mais maintenant
j’ai envie de t’en parler. Je peux ?
Il attend une réponse.
La musique s’arrête et il porte ma main à ses lèvres. Il dépose un tendre
baiser sur mes phalanges, et mon estomac se noue.
— Merci pour la danse, dit-il. Ses lèvres lévitent au-dessus de ma peau,
son souffle est chaud et humide.
— Merci d’avoir frappé ce connard.
— De rien.
Il passe ses doigts dans les miens et me ramène à mes parents. Puis il va
danser avec Wren.
Je le regarde rire avec elle, il rougit et j’imagine qu’elle le taquine parce
qu’il a frappé le mec. Mais soudain, il regarde dans ma direction et ses yeux
rencontrent les miens. Elle doit le taquiner à propos de moi s’il me cherche
du regard comme ça. Il me fait un clin d’œil, et mon cœur me trahit en
sursautant. C’est quoi son problème ?
Un autre homme s’approche de moi et me demande de danser. Je me lève
et lui dit doucement.
— Est-ce que j’ai couché avec toi aussi et que je ne m’en souviens pas ?
Il secoue la tête.
— Pas encore, dit-il en souriant.
Je ris et le laisse m’emmener sur la piste de danse. Mais je sens le regard
de Tag sur moi et je ne déboutonne même pas le dernier bouton de la chemise
du mec. Je ne passe pas ma main sous son col. Je ne frôle pas
accidentellement sa bite. Je ne fais rien. Parce que Tag me regarde, et pour
une raison qui m’échappe, je me sens mal qu’il me voie faire des trucs avec
un inconnu. Juste maintenant. Juste cette seconde.
Cette pensée m’irrite parce que je peux faire ce que je veux de mon corps.
Il est à moi et je n’ai pas à laisser qui que ce soit me juger. Pas un seul être.
Je suis plus qu’irritée lorsque la danse se termine, parce que j’aurais pu
ramener celui-là à la maison. Tag est déjà en train d’interférer dans mon jeu.
Je dois corriger ça. Dès maintenant.
TAG

J edouloureux.
serre et desserre le poing, puis étire mes doigts, car ils sont
Cela faisait longtemps que je n’avais frappé personne.
Mais là, je n’ai pas pu me retenir. Il était grossier et vraiment irrespectueux.
J’avais envie de lui faire avaler son dentier, mais je ne pouvais pas, pas tant
qu’elle regardait. C’est déjà assez mal que je l’aie frappé.
Elle prendrait peur si elle voyait vraiment à quel point mon âme est
tourmentée. Si elle découvrait la profondeur de ma rage, elle ne me
regarderait plus jamais de la même manière. Et les autres non plus.
Je m’assieds à côté d’Emilio, le père adoptif de Finny. Il brandit son
poing comme s’il voulait que je le lui tape, à la manière des hommes, alors je
le touche doucement avec le mien.
— Beau travail, dit-il doucement.
Je ne réponds rien.
— Si tu ne l’avais pas fait, c’est moi qui l’aurais fait.
Je le regarde, mais ne dis toujours rien.
— Je me battrais jusqu’à la mort pour mes filles.
Sa voix est grave et rauque.
— Je suis content que Star et Wren vous aient.
C’est vrai. Si content. Je suis reconnaissant qu’elles n’aient pas fini au
même endroit que moi. Parce que là où j’étais, c’était bien pire.
— Comment va ta main ? demande-t-il.
Je contracte à nouveau les doigts.
— Je survivrai.
— Ça fait du bien, hein ?
Il scrute mon visage.
— Pas vraiment. Je n’aime pas me battre.
Je me penche en avant et pose mes coudes sur mes genoux, laissant mes
mains pendre.
Ses yeux glissent sur la trace d’une cicatrice sur mon arcade sourcilière,
puis vers mon menton, qui est sillonné de marques de toutes les fois où j’ai
atterri la tête la première.
— Bien, dit-il doucement
Je regarde Fin danser. Elle est gracieuse et si belle. Et si hors d’atteinte.
— Tu rentres à la maison avec les filles ce soir ? demande Emilio.
Je hausse les épaules.
— Elles m’ont invité.
Je le regarde enfin, et je le vois en train de m’étudier attentivement.
— Ça ne vous gêne pas, si ?
Il hoche la tête.
— Mes filles sont des femmes fortes. Elles savent se défendre.
Je tourne les yeux vers la piste de danse et aperçoit Finny qui danse dans
les bras d’un autre homme. Il la regarde comme s’il voulait en faire son petit-
déjeuner. Ou son en-cas de minuit.
— Ne laisse pas les coups d’un soir de Finny te perturber, dit-il.
Je lève la tête.
— Quoi ?
Il hoche la tête vers elle.
— Elle les ramène parfois à la maison, mais elle les vire rapidement. Je
ne crois pas qu’un seul d’entre eux soit resté pour la nuit.
Il secoue la tête.
— Est-ce que ça vous inquiète ?
— Nan, dit-il. Je m’inquièterais si l’un d’eux était vraiment resté toute
une nuit.
— Que voulez-vous dire ?
Emilio secoue la tête.
— C’est sans importance.
Je me demande s’il serait aussi décontracté s’il savait que j’étais l’un de
ses coups d’un soir et qu’elle ne m’a pas exactement viré du lit à la fin de la
nuit.
Il se lève pour aller danser avec Marta. Elle dépose Benji dans son cosy.
Il dort profondément, mais je commence tout de même à le bercer avec mon
pied.
Emilio emmène Marta sur la piste. Elle glousse et se laisse tirer tout
contre de lui.
Je me demande ce qu’il voulait dire en disant qu’il devrait s’inquiéter si
elle en avait vraiment laissé un rester pour la nuit. Étrange.

Benji me réveille quatre fois au milieu de la nuit. J’ai le regard trouble et je


titube lorsque je sens une bonne odeur de café. Je lève la tête et regarde
partout. Du café ? Il y a du café ?
Je repousse la couverture et passe un T-shirt et un jean. Il est sans doute
plus prudent d’aller à la cuisine habillé. Je me demande immédiatement si Fin
sera debout et si elle sera toujours en pyjama. Est-ce choquant de vouloir la
voir en pyjama, toute engourdie et les yeux mi-clos ? Probablement.
Je commence à me diriger vers la cuisine et Wren crie :
— Ne te mets pas entre Finny et la cafetière !
Je m’arrête et me frotte les yeux.
— Hein ?
Fin vient vers moi en me fusillant du regard. Je m’écarte et la laisse
passer. Elle porte un pantalon de pyjama ample dont l’élastique est roulée sur
ses hanches, et un caraco léger avec de fines bretelles. Et -doux Jésus !- elle
ne porte pas de soutien-gorge. Ma queue est déjà au garde-à-vous. Je ne l’ai
jamais vue au réveil. Bon sang, ce qu’elle est belle !
Elle titube à l’aveuglette vers la cafetière et s’arrête devant. Elle remplit
une tasse, et je salive. J’ai envie de café aussi, mais elle prend son temps pour
remplir sa tasse.
— Ne touche pas à mon café, marmonne-t-elle en passant à côté de moi
en trainant des pieds.
Je suis déjà en train de prendre une tasse, mais je m’arrête.
— Quoi ?
— Tu m’as entendue, dit-elle sans me regarder.
Je repose la tasse.
Wren se lève du canapé et entre dans la pièce. Elle prend une tasse et la
remplit pour moi, puis me la met dans les mains.
— Merci, murmuré-je.
C’est le maximum que je puisse faire. Je ne parle généralement pas avant
d’avoir fini une cafetière entière.
— Je ne boirais pas ça si j’étais toi, dit Lark en entrant dans la pièce.
J’ai déjà la bouche dans la tasse. Je lève la tête.
— Elle va te poignarder dans ton sommeil, mec, ajoute Lark. C’est une
peste quand il s’agit de son café.
— J’en referai, réponds-je.
Je vais m’asseoir à la table de la cuisine. Il y a un journal dessus, donc je
l’ouvre et je vois immédiatement une photo des Zero. Ce sont des photos de
mariage prises sur le vif, visiblement depuis un arbre ou un grand bâtiment
non loin.
Je m’arrête et lis les articles sur le mariage de Star, sur les Reed, qui
étaient présents, et tous les ragots habituels sur eux. Certains textes sont
ridicules. D’autres risibles, ou carrément navrants. Ils ne peuvent pas
vraiment avoir d’intimité.
— Oh, merde, dit Wren en regardant les photos par-dessus mon épaule.
Elle m’arrache le journal des mains.
— Ils ont eu des photos d’eux. Les salauds !
— Je suis juste contente que personne n’ait pris de photo de Josh debout à
l’autel, dit Lark.
— Il ne veut pas que ça se sache ? demandé-je.
Elles secouent toutes la tête.
— C’était juste pour Star. Un genre de truc privé, explique Wren.
— Est-ce que ça va l’énerver ?
— Probablement pas, répond Lark. Je sais que je ne vais pas lui en parler.
— Pourquoi ? demandé-je.
Les filles se regardent toutes et sourient.
— Parce qu’ils sont occupés à s’envoyer en l’air, lâche Finny. Boum-
chica-boum-boum.
Je rougis.
— Oh.
Soudain, Benji se met à pleurer dans la pièce adjacente.
— Je peux le prendre ? demande Wren.
Je regarde ma tasse de café à moitié pleine.
— Je peux le faire.
Je soupire et commence à me lever. Mais Wren se dirige déjà vers ma
chambre. Elle entre et je l’entends gazouiller avec Benji. Ça me fait sourire.
Mais il ne sera pas content tant qu’il n’aura pas le ventre plein. J’en suis
absolument certain. Je prends un biberon dans le réfrigérateur et le mets dans
le micro-onde. Je suis encore en train de le secouer lorsque Wren revient dans
la cuisine en le portant. Elle me prend le biberon et va s’asseoir dans le
canapé, avec mon fils dans les bras. Il se laisse nourrir et la regarde, les yeux
écarquillés.
— C’est un beau regard sur toi, lui crie Finny.
Wren pousse Finny qui regarde par-dessus son épaule.
Je ris.
— Ce n’est pas parce que tu n’aimes pas les bébés qu’ils sont tous
mauvais, dit Wren. Celui-ci est plutôt mignon.
Elle sourit à mon fils.
— C’est plus beau vu d’ici, chante-t-elle.
— Ce n’est pas un objet, dis-je.
Elle grogne.
— Ouais, continue de te dire ça.
— J’espère qu’il ne t’a pas empêchée de dormir hier soir, lui dis-je.
Il n’a pleuré qu’une minute ou deux à chaque fois, mais c’était quand
même du bruit pendant qu’elles essayaient de dormir.
Je suis rentré à la maison avec Lark hier soir, et Fin dansait encore avec
un mec à la fête lorsque nous sommes partis. Ça ne devrait pas me déranger,
et je ne comprends pas pourquoi c’est le cas. Elle n’est pas à moi. Elle ne l’a
jamais été.
Elle me regarde et fronce les sourcils. Elle ne dit rien.
La sonnette de la porte retentit et Lark roule les yeux.
— Dix billets que c’est les fleurs pour dire j’ai-envie-de-retourner-dans-
ta-culotte.
— Hein ?
Je me lève et me dirige vers la porte. Fin va dans sa chambre et ferme la
porte.
J’ouvre la porte d’entrée et me retrouve face à face avec un homme qui
tient des fleurs. Il regarde par-dessus le bouquet et fronce les sourcils en me
voyant.
— Qu’est-ce que vous voulez ? demandé-je.
— Je cherchais Finch…
Il attend, laissant sa phrase suspendue dans les airs.
— Qu’est-ce que vous lui voulez ?
— J’ai apporté des fleurs.
Je lui lance un regard noir et il recule légèrement.
— Pourquoi ?
— Elle n’est pas ici pour l’instant, crie Lark derrière moi.
— Je peux laisser les fleurs ? demande l’homme.
— Bien sûr, répond Lark.
Elle vient et les lui prend. Puis elle lui ferme la porte au nez.
— Ce n’était pas très gentil.
Fin ouvre la porte de sa chambre et sort la tête.
— Il est parti ?
— Oui. Tu peux sortir.
— Il faut vraiment qu’on parle au concierge. Ils laissent entrer n’importe
qui dans le bâtiment.
Elle me lance un regard noir.
Ils ne m’ont pas vraiment laissé entrer cette première nuit. Je me suis
faufilé.
Elle revient dans la cuisine et se sert une autre tasse de café. Puis elle
prend la carte agrafée sur les fleurs, la lit, roule les yeux et la jette dans la
poubelle.
— Je les déposerai au centre pour personnes dépendantes. Ça leur fera
plaisir.
Elle hausse les épaules et retourne dans sa chambre. Elle ferme la porte.
— Elle reçoit beaucoup de fleurs, explique Wren. Ce mec-là apporte des
fleurs toutes les deux semaines depuis quatre mois. Elle les porte au centre
pour personnes dépendantes et les donne aux résidents qui ne reçoivent pas
de visites.
Alors elle n’a pas couché avec cet homme récemment ? L’étau qui me
serrait le cœur se desserre légèrement.
— C’est gentil à elle de porter les fleurs à ce centre.
Wren grogne.
— Personne ne fait l’erreur de dire que Finny est gentille devant elle.
Lark imite grossièrement le signe de ralliement d’un gang et dit :
— Elle a une réputation à protéger.
Je ris. Fin est minuscule. Comme une petite boule de nerf latino. Mais je
ne la trouve pas particulièrement terrifiante.
— Tu ris, mais elle est forte.
La sonnette retentit à nouveau et je regarde autour de moi.
— Est-ce que je dois y aller ?
Elles roulent toutes les yeux, mais je me dirige quand même vers la porte.
Je l’ouvre et trouve un livreur de fleurs avec un énorme vase rempli de roses.
Il y en a au moins une trentaine. Combien d’hommes a-t-elle ramenés à la
maison en deux mois ?
Je prends les fleurs et les pose à côté des autres.
Fin sort de sa chambre. Elle porte un jean et une veste à capuche, et ses
cheveux sont tirés en arrière en un chignon négligé.
— Eh ben, merde, dit-elle en voyant le deuxième vase de fleurs. Je ne
peux pas porter autant de fleurs toute seule.
Wren se lève.
— Tag peut venir avec toi pour t’aider.
Elle regarde mon fils.
— Il est endormi.
— Tant pis, dit-elle. Je ferai deux voyages.
— Ça ne me dérange pas, réponds-je rapidement.
Elle me regarde, l’air perplexe.
— Tu en es sûr ?
De toute façon, je veux lui parler.
— Oui, j’en suis sûr. Laisse-moi mettre mes chaussures.
Je vais dans ma chambre et enfile mes baskets. Puis je cours dans la salle
de bain me brosser les dents.
— Tu es sûre que ça ne te dérange pas de le surveiller ? demandé-je à
Wren en ressortant.
Elle me connaît à peine, après tout.
Elle sourit.
— Du moment que tu reviens, dit-elle.
— Je promets de revenir.
Je prends le plus gros vase de fleurs, après avoir enfilé mon manteau.
— Prête ? demandé-je à Fin.
— Il vaudrait mieux demander si toi, tu es prêt, murmure Lark. Elle a
seulement bu deux tasses de café.
Je pense que je vais tenter ma chance.
FINNY

M espartie
genoux tremblent lorsque j’entre dans le lieu où vit ma mère. En
parce que Tag essaye en permanence de me parler.
— Je n’attendais rien, dis-je en soupirant.
— Je sais, mais…
Il laisse sa phrase en suspens.
— Mec, c’est bon. Je me suis envoyé en l’air avec toi. Je ne m’attendais
pas à ce que tu m’épouses.
Il lâche un grand soupir et se frotte l’arrête du nez.
Je déteste par-dessus tout rendre visite à ma mère, parce que je ne sais
jamais ce que je vais trouver en arrivant. Mais en même temps, j’adore venir
ici, parce qu’une part de moi en veut plus. Je veux une famille. Je veux avoir
quelqu’un qui soit à moi. Mais cela n’arrivera probablement jamais. Pas pour
longtemps, en tout cas.
J’avance vers le bureau d’accueil et la réceptionniste m’accueille par mon
prénom.
— Finch ! crie-t-elle. Je suis si contente de vous voir !
— Comment va-t-elle aujourd’hui ? demandé-je doucement. Tag est
debout derrière moi, silencieux, absorbant les informations.
— Ce n’est pas une très bonne journée, admet la réceptionniste.
Elle grimace.
— Je suis désolée.
J’espère toujours qu’elle passera une bonne journée. Mais c’est rarement
le cas.
— Ça va, dis-je. Je vais juste passer une minute.
Je montre les fleurs.
— Pouvez-vous vous assurer qu’on les donne à quelques résidents qui ne
reçoivent jamais de fleurs ?
Elle sourit.
— Bien sûr. Je sais justement à qui les donner.
Tag pose ses fleurs sur le comptoir, lui aussi.
— Tu peux retourner à la maison. Merci pour ton aide, lui dis-je.
— Je vais venir avec toi, dit-il.
— Je n’ai pas besoin d’un chaperon.
Il me regarde.
— Je ne veux pas être ton chaperon. Mais tu pourrais avoir besoin d’un
ami.
Il m’emboite le pas.
— Je n’ai besoin de rien, grommelé-je.
— OK, dit-il. Dans ce cas moi j’en ai besoin.
Il me fusille du regard.
— Tu es carrément un modèle de vertu, c’est ça ? C’est quoi la suite ? Tu
vas prier pour moi ?
Il me dévisage.
— Tu as besoin que je prie pour toi ?
— Pas si tu tiens à la vie, lâché-je.
Il hoche la tête. Nous traversons le centre pour personnes dépendantes
jusqu’à l’aile où sont hospitalisés les patients souffrant de maladie mentale.
Les portes sont fermées et nous sommes obligés d’avoir une escorte spéciale
pour entrer dans cette partie du bâtiment. Si ma mère n’avait pas tant de
pulsion meurtrières, ce ne serait pas nécessaire.
Je m’arrête devant sa porte et regarde à travers la minuscule fenêtre. Elle
est assise dans un fauteuil et lit un livre. Elle a l’air si normale. Mais elle ne
l’est pas. Elle ne l’a jamais été et ne le sera jamais, peu importe à quel point
je souhaite qu’elle le soit.
Je frappe à la porte et attends qu’elle m’appelle pour entrer. J’ai été
frappée sur la tête avec des livres, des stylos et divers objets depuis ma plus
tendre enfance, simplement pour être entrée dans sa chambre. Je suis devenue
légèrement prudente.
Elle me dit d’entrer, et je regarde Tag. Il reste stoïquement devant la
porte, mais il n’essaie pas de me rejoindre.
— Salut, maman, dis-je en entrant dans la pièce. La porte se referme
derrière moi. Parfois maman sait qui je suis. Parfois ce n’est pas le cas. Je ne
sais jamais avant d’arriver.
— Salut, dit-elle.
Elle me regarde.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
Je m’assieds au bord de son lit.
— Je voulais juste passer te dire bonjour. Voir si tu avais besoin de
quelque chose.
— J’ai besoin de magazines. Et de chocolat. Et j’ai besoin que cette
infirmière arrête de voler mon papier toilette.
— Je me débrouillerai de te trouver des chocolats.
— Ou est-ce toi qui as volé mon papier toilette ?
Elle grogne. Soudain, elle saute de son fauteuil et se jette sur moi en
agitant ses minuscules poings.
J’attrape ses poignets. Je retiens ma mère depuis aussi longtemps que je
peux me souvenir. L’instinct de survie dans toute sa splendeur. Elle lutte, et
réussit à me frapper à la bouche. Je recule la tête, mais je sens déjà le goût
cuivré du sang couler sur ma langue.
Elle se retourne, attrape un stylo sur un bureau et se jette sur moi en le
tenant comme un couteau. Je me fige. Ma mère a tenté de m’assassiner tant
de fois que je ne peux plus les compter. Cette fois n’est pas différente.
J’esquive sur la gauche et elle plante la pointe du stylo dans la partie tendre et
charnue du haut de mon bras. Je grimace et essaie de passer mon bras autour
d’elle.
Soudain, une voix s’élève.
— Arrêtez ! crie Tag.
Il traverse la pièce d’un pas rapide et régulier. Il passe les bras autour de
ma mère et lui coince les mains. Le stylo tombe au sol. Le visage de ma mère
est déformé par la rage et la fureur.
— Dehors ! me crie-t-il.
— Ne lui fais pas de mal, préviens-je avant d’aller chercher une
infirmière.
Celle-ci attrape un flacon de médicaments dans une armoire verrouillée et
arrive en courant. Elle plante une seringue dans l’épaule de ma mère, et
maman s’écroule dans les bras de Tag. Il la porte dans son lit.
— Vous feriez peut-être mieux de ne pas revenir avant quelques jours,
Finch, dit l’infirmière. Elle a été un peu ailleurs cette semaine.
— OK.
Je tente de refermer dans mon cœur la porte de la pièce où l’espoir
demeure. L’espoir qu’un jour, elle sera capable de m’aimer.
Maman marmonne en luttant contre le sommeil.
— Est-ce que quelque chose l’a mise en colère ? demandé-je.
La semaine dernière, elle pensait que son voisin lui avait volé son sac à
main et elle a été survoltée pendant des jours.
— Il ne s’est rien passé, Finch. Vous le savez. Et vous savez que ce n’est
pas de votre faute. Et que ce n’est pas vous personnellement qu’elle attaque.
Je hoche la tête. Je le sais. Mais ça n’améliore pas les choses.
— Nous devrions partir, dit doucement Tag.
Je regarde ma mère. Elle a l’air vieille et fragile. Et douce. Et gentille.
Elle ressemble à ma mère. Pas à une malade mentale.
Tag prend ma main dans la sienne et la serre. Je lève le regard vers lui, et
ses yeux verts rencontrent les miens. Il m’étudie attentivement. Si
attentivement que j’en suis mal à l’aise et que j’essaye de retirer ma main de
la sienne. Mais il me serre fort et me pousse vers la porte. Lorsqu’elle se
referme derrière nous, je m’arrête pour regarder à travers la petite fenêtre et je
vois l’infirmière s’affairer à ranger et nettoyer le bazar que ma mère vient de
créer.
Je respire toujours fort. Je ne devrais pas. Je prends une profonde
inspiration puis expire. Je suis prête à partir. Tellement prête. J’aurais dû
écouter lorsqu’ils m’ont dit que c’était une mauvaise journée. Je n’aurais pas
dû essayer de lui rendre visite. C’est de ma faute si elle vient d’essayer de me
poignarder.
Tag s’arrête dans le couloir et il me fait arrêter à côté de lui. Il s’appuie
contre le mur et fléchit les genoux pour pouvoir me regarder dans les yeux un
peu plus profondément. Il est beaucoup plus grand que moi. Beaucoup,
beaucoup plus grand.
Il soulève nos mains entre nous et allonge les doigts. Ma paume repose
contre la sienne, et ses doigts enlacent les miens. Il me tient simplement
comme ça. J’essaie de reculer, mais il ne dit rien et ne me laisse pas partir.
— Sérieux ?
— Chut, dit-il. Tais-toi une seconde. Je veux essayer quelque chose.
— Tu ne vas pas prier pour moi, n’est-ce pas ?
— Pas tout de suite. À moins que tu ne veuilles que je le fasse. Si c’est le
cas, je le ferai. Mais non.
Il inspire et expire lentement, et je réalise qu’il a calé sa respiration sur la
mienne. Il me regarde dans les yeux. Je m’arrête de respirer, mais il continue
d’inspirer et d’expirer lentement, et je prends sa cadence.
— Quelqu’un m’a appris ça quand j’étais plus jeune. Quand mon oncle
me battait comme un dingue et que je m’énervais tellement que
j’hyperventilais à chaque fois qu’il entrait dans une pièce.
— Je ne suis pas en train d’hyperventiler.
— Mais il se pourrait que moi je sois en train de le faire.
Il ricane.
Il inspire et expire en me regardant dans les yeux, et je me détends. Puis il
tire mon bras et je tombe contre lui, posant les mains sur son torse pour me
rattraper.
— C’était quoi ça ? demandé-je en reculant.
Mais il ne me laisse pas partir. Il me tire contre lui et me serre fort. Je suis
raide comme un piquet, mais il est doux, chaleureux et il semble si fort.
— Juste une minute, murmure-t-il. Soixante secondes.
Il commence à compter lentement.
— Un. Deux. Trois…
Ses mots sont presque aussi chauds que son corps. Il me serre fort, et je
me laisse aller sur lui, juste une seconde. Je pose mon oreille sur son cœur et
écoute son battement régulier en me détendant contre lui. Lorsqu’il réalise
qu’il n’a pas besoin de me serrer aussi fort, il soulève une main et la passe
lentement et délicatement de haut en bas de mon dos. Je me pelotonne plus
près de lui.
— Trente. Trente-et-un. Trente-deux…
Lorsqu’il arrive à soixante, je suis complètement ramollie, et je titube
comme un poulain qui vient de naître lorsqu’il me repousse légèrement. Il
m’attrape par les coudes et me regarde.
— Ça va ?
Eh bien, ça allait jusqu’à ce qu’il me prenne dans ses bras. Maintenant je
me sens juste… bizarre. J’ai l’impression que quelqu’un a pris mes entrailles
et les a déposées juste sous la surface de ma peau.
— Ta mère a une maladie mentale ? demande-t-il.
Je hoche la tête.
— Est-ce qu’elle a toujours été violente ?
Je n’ai pas envie de répondre, mais ma bouche a décidé qu’elle avait sa
propre volonté. La traîtresse.
— Oui.
Maintenant que c’est sorti, je me dépêche de fournir une explication.
— Elle n’a pas toujours été comme ça. Parfois elle était géniale. Elle
faisait la cuisine et jouait avec moi, et nous partions à l’aventure.
Je ne sais pas pourquoi je sens qu’il a le droit de savoir tout ça. Ni
pourquoi j’ai envie de le lui raconter.
— Mais après, ses bons jours sont devenus bien moins fréquents que ses
mauvais jours.
Et ses mauvais jours étaient vraiment sombres.
— Maintenant elle est ici, et ils peuvent contrôler sa prise de
médicaments.
Et l’empêcher de tuer des gens. Comme moi par exemple.
Il commence à me faire avancer dans le couloir, mais s’arrête devant la
porte des toilettes. C’est le genre où il y a une seule pièce, et il entre. Il me
fait signe de le suivre.
— Quoi ? demandé-je.
— Je peux regarder ton épaule ?
— Pourquoi ?
Je regarde mon bras. Je ne saigne pas.
— Ta mère vient de te poignarder avec un stylo.
— Oh.
J’avais oublié ça dans la mêlée. Et le calme après la tempête qui a suivi.
J’ouvre ma veste à capuche et découvre mon épaule.
— Elle ne t’a pas ratée, dit-il.
Il me caresse l’épaule du bout des doigts et je frissonne.
— J’ai survécu à pire.
— J’en suis sûr.
Je le regarde. Il humidifie une serviette en papier et essuie le liquide épais
et collant qui a suinté de la petite blessure.
— Ce n’est pas rentré très profondément, déclare-t-il.
Je grogne.
— C’est ce qu’elle a dit.
Il rougit, mais un sourire se dessine sur ses lèvres.
— Pourquoi fais-tu ça ? demande-t-il en secouant la tête.
— Faire quoi ?
— Utiliser l’humour pour changer de conversation quand quelqu’un
essaie de s’occuper de toi.
— Mec, tu ne me connais pas, lui rappelé-je tandis que la colère monte en
moi.
— Dis ça à quelqu’un qui n’a jamais été en toi, répond-il lentement en me
regardant dans les yeux.
Mon cœur vacille.
— Je suis prête à rentrer à la maison.
Il passe devant moi pour jeter la serviette humide à la poubelle. Son bras
effleure mon sein et il se fige.
— Pardon, dit-il en rougissant.
— Tu viens de m’effleurer le sein. C’est genre le plus vieux truc au
monde.
Il rit.
— Pourtant je ne l’ai jamais fait avant.
— Menteur.
Il hausse les sourcils et me regarde.
— Je n’ai jamais effleuré un sein que personne ne m’a demandé
d’effleurer.
— Alors je suis ta première fois.
Il rougit à nouveau. Il n’est pas puceau. Il a un gosse, bon sang. Sans
parler du fait qu’il m’a baisée comme un dieu cette nuit-là.
Nous marchons en silence vers la sortie, et quelques résidents nous
remercient pour les fleurs. Je leur fais signe et continue de marcher.
Lorsque nous sortons dans la rue, je grimace et lui demande :
— Tu ne vas pas raconter ce qui est arrivé aujourd’hui à mes sœurs,
hein ?
Il a l’air confus.
— Pourquoi tu ne veux pas qu’elles sachent ?
Je hausse les épaules.
— Elles s’inquiètent.
— Elles ont raison. Elle aurait pu te faire du mal, te blesser vraiment.
Je hoche la tête. Ce n’est pas comme si je n’y étais pas habituée.
— Passons un marché, OK ?
Il me regarde, les yeux pleins d’espoir.
— On fait un marché : si tu m’emmènes avec toi quand tu viens lui rendre
visite, je ne le dirai à personne.
Je roule les yeux.
— Je t’ai dit que je n’avais pas besoin d’un chaperon.
— Je n’ai pas besoin de rester avec toi, réplique-t-il. Je peux rendre visite
aux autres résidents. J’aime parler aux gens.
Il hausse les épaules.
— C’est tout ? Tu n’essayes pas d’être un macho baratineur qui veut
sauver-la-donzelle ?
Il souffle.
— Macho, oui. Baratineur ? Pas en ce moment.
Il pousse mon épaule avec la sienne.
— Amène-moi avec toi. S’il te plaît.
Il joint les mains comme s’il priait.
— Bien.
Mais un sourire apparaît au coin de mes lèvres.
— Est-ce que ça signifie que nous avons un rencard ?
Cette fois c’est moi qui tape dans son épaule avec la mienne.
— Est-ce que tu veux que ce soit un rencard ?
Est-ce le cas ? Il y a deux heures, j’aurais dit putain, non ! Mais
aujourd’hui… Après ce qu’il a fait pour moi avec ma mère ? Et après ?
— Peut-être, réponds-je doucement.
— Alors c’est un rencard.
Je suis toute tendue et mon cœur s’emballe.
— Je vais y réfléchir, murmuré-je.
TAG

F in et moi rentrons à l’appartement et je trouve Benji endormi dans son


lit pliant. Wren l’a emprunté à Peck, qui a aussi un nouveau-né. Je
n’avais rien d’autre qu’un paquet de couches, un peu de lait maternisé, et
quelques vêtements que l’infirmière m’avait glissés dans un sac à langer
gratuit.
Et pas d’argent pour acheter quoi que ce soit. Je vais devoir trouver un
emploi. Rapidement. Mais pour trouver un emploi, je vais aussi devoir
trouver quelqu’un pour s’occuper de Benji.
Il faut que je fasse beaucoup de projets et que je trouve comment aller de
l’avant.
Je vais dans la salle de bain, ouvre le robinet de la douche et réfléchis.
Benji.
Travail.
Argent.
Babysitter.
… Finch.
Je m’arrête, appuie mes mains sur le plan de travail et regarde mon reflet.
Finch est un problème que je n’avais pas anticipé.
Avant Finny, je n’avais couché qu’avec une seule femme dans toute ma
vie. Il n’y en avait jamais eu d’autres pour moi, alors j’ai été très surpris
qu’un simple regard sur Finch m’ait coupé le souffle. Je peux encore la sentir
autour de moi. Puis quand je l’ai enlacée au centre pour personnes
dépendantes… Les soixante secondes durant lesquelles je l’ai enlacée sont
passées comme un battement de cil.
Un battement de cil qui a changé mon monde.
Je savais qu’il y avait quelque chose de fort entre nous. Je n’avais
simplement pas réalisé à quel point. Je l’ai prise contre moi, en espérant
simplement la calmer, l’aider à se recentrer. Mais c’est moi qui suis parti en
vrille quand je l’ai enlacée.
Et maintenant je suis nu dans la salle de bain et je bande à nouveau en
pensant à l’enlacer. Nous étions dans un couloir public. Elle venait de se faire
poignarder par sa mère. Et je bandais comme un taureau à cet instant, et là ça
continue.
Finch est une minuscule petite chose. Ses longs cheveux noirs étaient
ramassés sur sa tête en un chignon étrange, et je sais qu’ils recouvrent ses
épaules lorsqu’elle les lâche. Dans mon esprit, je les vois encore s’étaler sur
son oreiller. J’aime passer mes doigts dans ses cheveux. Mais étant donné
qu’ils étaient en chignon quand je l’ai enlacée, j’ai passé mes doigts le long
de sa colonne vertébrale à la place.
Je m’étais presque attendu à ce qu’elle me donne une claque, mais je ne
suis même pas sûr qu’elle ait réalisé à quel point elle m’a fait de l’effet. Je
suis sûr que j’étais simplement un truc à faire. Un coup facile. C’est ça.
J’espère qu’elle n’a pas remarqué à quel point elle me faisait de l’effet. Elle
penserait que j’ai de mauvaises intentions, et ce n’est pas le cas. Je n’ai
aucune intention du tout.
Ou du moins je n’en avais pas.
Désormais, ma seule intention va être de rester loin de Finch Vasquez.
Parce que je ressens une connexion avec elle. Et les connexions sont
effrayantes et dangereuses et elles rendent stupide. Je ne peux pas me
permettre d’être stupide. Je dois m’occuper de Benji, et je dois m’assurer que
rien ne gâchera la situation actuelle. Il a un toit au-dessus de la tête, du lait
maternisé pour se remplir le ventre, et des couches pour couvrir son derrière,
mais…
… Je pourrais tout perdre si je ne suis pas prudent. Et ça signifie que je
dois être très prudent avec Finch.
Je mets de côté mes pensées pour elle, parce qu’elle se trouve derrière une
porte étiquetée « Bonheur », et que celle-ci m’a été fermée à double tour
toute ma vie. On ne m’en a jamais donné les clés, et je doute qu’on me les
donnera un jour.
FINNY

J ’entends frapper à l’entrée et je me lève pour aller dans ma chambre,


mais le verrou et la porte s’ouvrent. Peck et Star entrent dans la pièce,
et elles portent des tas de sacs de courses. Peck a un cosy avec un bébé à
l’intérieur, et Wren se dépêche de l’en sortir.
— Si tu s-sort Sammy il va se r-réveiller affamé, prévient Peck.
Je regarde tous les trucs qu’elles ont posés.
— Vous refaites les livraisons de repas pour les personnes âgées ?
Star secoue la tête.
— On est allées faire des courses pour bébé.
Elle sourit.
— Tu es à peine enceinte, houspillé-je.
— Ce n’est pas pour moi, idiote, répond Star. Tout ça, c’est pour Tag et
son bébé.
J’agite la main au-dessus des nombreuses piles de trucs.
— Vous avez acheté tout ça pour ce petit machin là-bas ?
Je montre du pouce la chambre de Tag.
— Eh bien, Tag n’avait rien sur lui. On a pensé qu’il pourrait avoir besoin
de quelques trucs.
Star hausse les épaules.
— Attends une minute ! crié-je. Tu n’es pas censé être en lune de miel ?
Pourquoi tu es là à faire du shopping au lieu de baiser ton mari super sexy ?
Elle grimace.
— Oh mon Dieu, soupire-t-elle. Mon vagin est tout endolori. Je ne
pourrais pas remonter une fois de plus sur cette balançoire.
Elle sourit.
— Enfin, pas avant ce soir, de toute façon.
— Alors la balançoire a eu du succès ? demandé-je.
— Oh que oui ! On peut faire des trucs de malade avec cette chose. À
l’envers. À l’endroit. Par-derrière. Par-devant. Tout ce que tu veux.
Sammy commence à pleurer, et Peck tend les bras pour le prendre à
Wren.
— Je t’avais prévenue, dit-elle.
Puis elle s’assied et soulève son T-shirt. Il gazouille adorablement en
trouvant son déjeuner. Wren se frotte la tête.
— Dépêche-toi, petit gars, dit-elle. Tante Wren veut jouer avec toi.
Il lâche le sein de Peck assez longtemps pour sourire à Wren. Puis il
tourne la tête et s’y remet.
Un bruit provient de la chambre de Tag.
— Oh, un autre bébé ! Je vais chercher celui-là ! crie Wren.
— Il y a carrément trop d’enfants dans cet appartement, grommelé-je.
Wren revient en portant Benji, et elle a le dos de la main appuyé sur le
front du bébé.
— Est-ce tu as l’impression qu’il est chaud ? demande-t-elle. Elle le
baisse comme si elle voulait que je le prenne.
— Oh, pas question, réponds-je.
— Prends-le. Touche son front, insiste-t-elle.
Je le prends à contrecœur et le pose sur mes genoux. Il me regarde et se
met immédiatement à pleurer.
— Elle me fait ressentir ça aussi, lui dit Star.
— Tiens, prends-le, toi.
Je le tends à Star. Elle raffole des bébés, alors j’imagine qu’elle va le
prendre, mais au lieu de ça, elle se lève et commence à fouiller dans les sacs
d’affaires pour bébé.
— Hé ho, crié-je.
Tout le monde m’ignore.
Je me sens un peu chancelante avec lui dans les bras et j’ai peur de le
faire tomber, alors je le serre contre moi. Il pose sa petite tête contre mon
épaule et je le regarde en coin. C’est étrange de le sentir dans mes bras.
— Il est chaud, dis-je. Tu ne penses pas qu’il est en train de tomber
malade, si ?
Star déballe de petites grenouillères et des couvertures puis elle les met
dans le lave-linge.
— Tu ne devrais pas demander à Tag s’il veut ces trucs ? déclaré-je.
— C’est juste des vieux trucs que ma voisine jetait.
Star me sourit en revenant dans la pièce. Elle cache tous les emballages
vides dans la poubelle, les enfouissant tout au fond.
— Et ce n’est pas comme s’il n’en avait pas besoin. Je crois qu’il n’a pas
grand-chose.
— À part les cinquante mille dollars de Wren, lui rappelé-je.
— Je les ai utilisés pour prendre Benji à Julia, dit une voix grave derrière
moi.
Je sursaute, et le bébé aussi. Je lui tapote le dos pour le calmer.
— Qui est Julia ? demande Star.
— Sa mère, répond Tag.
Il porte un jean et un T-shirt, et il n’a pas de chaussures ni de chaussettes.
Il frotte vigoureusement une serviette sur ses cheveux humides
— Où est-elle ? demande Star.
— Je n’en ai aucune idée.
Il s’assied à côté de moi sur le canapé et sourit à son fils.
— Je croyais que tu n’aimais pas les bébés, me dit-il.
— C’est le cas, marmonné-je.
Mais le bébé est si calme et immobile. Je continue de le tenir parce que
j’ai envie d’entendre l’histoire de la mère de l’enfant de Tag.
— Eh bien, les bébés t’aiment bien, dit-il.
Puis il me touche le bout du nez.
Je lève la main et me couvre le nez. Je n’arrive pas à croire qu’il vient de
faire ça. Je vois mes sœurs se regarder avec des expressions choquées.
— Fermez-la, leur dis-je à toutes.
Peck retire son bébé de son sein et le change de côté, tout cela sous une
couverture que Star lui a sortie de son sac.
— Alors elle ne reviendra p-pas ? demande Peck.
Il secoue la tête.
— Non.
Star demande doucement :
— Tu veux qu’elle revienne ?
— Je le voulais. Même après tout ce qui s’est passé, je voulais qu’elle
revienne. Mais elle est passée à autre chose. C’était ma faute, j’imagine.
— Alors tu lui as juste offert cinquante mille dollars et elle t’a donné le
bébé ? demandé-je.
— Non.
Il se gratte la tête.
— C’est un peu plus compliqué que ça. Mais pour faire court, je suis
fauché et j’ai Benji.
Il hausse les épaules. Il regarde Benji, qui commence à gigoter dans mes
bras.
— Est-ce qu’il te paraît chaud ?
Benji est toujours énervé, alors Tag se lève et va chercher un biberon. Je
m’attends à ce qu’il me prenne le bébé, mais il se contente de réchauffer le
biberon avant de me le donner. Je le regarde comme si j’étais perdue, parce
que c’est le cas.
Tag arrange Benji dans mes bras pour qu’il soit légèrement incliné et il
lui met le biberon dans la bouche. Il me sourit.
— J’ai dû tout deviner, moi aussi, dit-il. J’apprends encore.
— Je n’ai pas particulièrement envie d’apprendre, grommelé-je.
Il rit.
— Il t’aime bien, dit-il doucement.
— Eh bien, ça en fait au moins un de nous deux, répliqué-je.
Je tente de garder mes distances, mais il se trouve que j’aime bien le petit
gars.
Les jambes de Tag sont appuyées contre les miennes, et mon épaule
touche son bras. Il pourrait se déplacer un peu. Il y a de la place de l’autre
côté.
— On t’a apporté des affaires de bébé, lui dit Star. Tu avais l’air de ne
pas avoir grand-chose.
Il soupire.
— Je n’ai pas grand-chose. Mais vous n’aviez vraiment pas besoin de
faire ça.
Elle agite une main.
— Oh, c’est rien. Juste quelques trucs que ma voisine jetait.
— Menteuse, dit-il.
Elle sourit.
— Peu importe.
Ils s’asseyent et parlent tranquillement pendant que je finis de nourrir
Benji. Une fois son biberon vide et ses paupières lourdes, Tag le place sur
mon épaule et me prend la main pour me montrer comment lui faire faire son
rot.
— Est-ce qu’il va me vomir dessus ? demandé-je, un peu paniquée.
Peck lui jette un bavoir et il le met entre mon T-shirt et le visage de
l’enfant. Je me détends un peu. Puis le petit gars sort le plus gros rot que j’aie
jamais entendu. Je suis sur le point de le reculer pour pouvoir le féliciter de
cet énorme rot, mais il me crache dessus avant que je puisse l’éloigner
suffisamment. Un truc blanc gicle de sa bouche sur mon T-shirt.
— Beurk ! Prends-le. Prends-le maintenant !
Tag rit en tendant les bras, et je lui passe Benji. Je me lève pour aller me
changer.
— Un petit vomi ne va pas te faire de mal ! crie-t-il dans mon dos.
Mais ce qui m’inquiète plus que tout, ce n’est pas que je viens de me faire
vomir dessus. C’est le fait que ça ne me dérange pas autant que ça le devrait.
TAG

J efaire
fais les cents pas avec Benji dans les bras. J’ignore ce que je dois
de lui. Il est chaud, ses joues sont un peu rouges et il est agité. Je
ne le connais pas depuis longtemps, mais il n’a jamais été aussi agité. Je le
berce doucement sur mon épaule et il pleure tout le temps. Il ne veut pas de
biberon, et il n’a pas besoin qu’on lui change sa couche. J’ai vérifié.
Wren est sortie toute la nuit. Je suppose qu’elle est sortie avec les autres,
puisqu’il n’y a personne ici avec moi. Je suis tout seul, mon fils est malade, et
je n’ai aucune idée de ce que je dois faire avec lui.
Soudain, la porte d’entrée s’ouvre et Fin entre dans l’appartement. Un
homme est avec elle, et il a la main sur son cul. Elle se fige en me voyant. Pas
lui. Il la retourne pour pouvoir écraser sa bouche sur la sienne.
Ma vision se trouble de rage. C’est rapide et inattendu, et je n’ai aucune
idée d’où ça provient. Ça m’étonne au plus haut point.
L’homme qui a la main sous son T-shirt se fige lorsqu’elle la recouvre
avec la sienne.
— Arrête, crie-t-elle.
Elle enlève sa main de sous ses vêtements et la repousse. Il grimace et
recule. Elle fait un pas en arrière et ajuste ses vêtements.
— Salut, me dit-elle doucement. Qu’est-ce qui ne va pas ?
Je regarde Benji.
— J’en sais rien. Il n’arrête pas de pleurer.
Je la regarde pour qu’elle m’aide, mais elle fixe Benji en fronçant les
sourcils.
— Qui est-ce, Finch ? demande l’homme.
— Chut ! lui crie-t-elle.
Il ouvre la bouche pour parler à nouveau et elle montre la porte.
— Tu peux partir, dit-elle.
— Quoi ? s’exclame-t-il.
— Dehors, dit-elle.
Elle se dirige vers la porte, la tient grande ouverte et lui fait rapidement
signe de sortir. Il baisse la tête, serre la mâchoire, puis redresse les épaules et
s’en va.
Il se retourne au dernier moment.
— Tu m’appelles ? demande-t-il.
Elle lui claque la porte au nez.
Benji pleure de plus en plus fort.
— Je ne sais pas quoi faire, déclaré-je.
— Tu as pris sa température ?
— Je n’ai pas de thermomètre.
— Où sont ses affaires ?
Je montre ma chambre. Pendant que je fais des allers-retours, en creusant
sûrement un sillon dans la moquette, elle va dans ma chambre et en ressort
avec son sac à langer sur l’épaule.
— Allons-y, dit-elle impatiemment. Elle tape dans ses mains.
— Où ?
— On emmène ta progéniture à l’hôpital, idiot.
Elle me pousse en avant.
— Bouge.
J’ai la gorge serrée.
— Tu crois qu’il a besoin d’aller à l’hôpital ?
— Je n’ai aucune idée de ce dont il a besoin, dit-elle impatiemment. Elle
prend son cosy et je le dépose dedans.
Il n’arrête pas de hurler. Il pleure tout le long du couloir et dans
l’ascenseur, et ses sanglots deviennent des reniflements quand on entre dans
le taxi. Il sombre dans le sommeil, mais cela ne dure qu’un instant. Puis, il se
remet à pleurer.
— Je ne me suis jamais senti aussi impuissant, dis-je. Je caresse le haut
de sa petite tête douce. Il est si beau. Et je n’arrive même pas à m’occuper de
lui.
— A l’hôpital, ils vont le soigner, m’assure-t-elle.
Son siège auto est au milieu de la banquette arrière, et Finny est d’un côté
et moi de l’autre.
— Ils sont obligés de l’ausculter même si je n’ai pas d’argent, pas vrai ?
demandé-je doucement.
J’ai les entrailles toutes retournées. Je déteste le fait-même de devoir
poser la question parce que le dire à voix haute revient à valider toutes les
mauvaises choses que mon oncle m’a dites toute ma vie.
Je ne vaudrais jamais rien.
Personne ne pourrait me faire confiance.
Personne ne peut compter sur moi.
Je n’arrive même pas à m’occuper de mon fils.
Je ne suis rien.
— Ils vont l’ausculter, dit-elle.
Elle laisse Benji empoigner son doigt avec son minuscule poing.
— D’une façon ou d’une autre, murmure-t-elle, ils l’ausculteront.
Je respire et appuie ma tête sur la banquette du taxi.
— Ce n’est probablement rien, dit-elle doucement.
— Tu crois vraiment ? murmuré-je, plus pour moi-même que pour elle.
— Bien sûr.
Elle me sourit et pose sa main sur la mienne par-dessus le ventre de Benji.
— Tu sais où sont tes sœurs ?
Elle prend son téléphone et commence à pianoter.
— Non, je pensais qu’elles seraient avec toi. Je suis partie tôt pour revenir
à l’appartement.
Elle rougit légèrement et ne me regarde pas. Elle les a laissées pour
rentrer à l’appartement avec un homme.
— Est-ce que c’était ton copain ?
Je sais que ce n’est pas le cas. Mais j’ai envie d’en savoir plus. Je veux
penser à autre chose qu’à Benji.
Elle grogne.
— Mon Dieu, non.
— Qui était-ce ?
Elle hausse les épaules.
— Juste un mec.
— Juste un mec ?
Elle hoche la tête
— Juste un mec.
— Ton rencard ?
Elle secoue la tête et soupire.
— Quelqu’un que j’ai rencontré ce soir.
— Tu as ramené un mec que tu venais de rencontrer ? lâché-je.
Je regrette aussitôt d’avoir prononcé ces mots.
— Oui. Ne me juge pas.
— Pourquoi ?
Elle me regarde enfin. Elle fronce les sourcils.
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi tu as ramené à la maison un mec que tu venais juste de
rencontrer ? Et pourquoi il avait les mains partout sur toi, si tu venais juste de
le rencontrer ?
— Parce que tu as passé deux mois dans ma putain de tête, Tag. Et
maintenant tu es de retour et je suis prête à passer à autre chose. Alors laisse-
moi passer à autre chose, tu veux bien ?
Elle me regarde dans les yeux et je sens un bourdonnement électrique
entre nous, comme un fil sous tension.
— Oh, dis-je. Je vois.
— Ne me juge pas, prévient-elle.
Je lève les mains en l’air en signe de reddition.
— Je ne te juge pas.
— Si, tu me juges. Arrête.
Sa voix est soudain froide et cinglante.
— Non, c’est faux.
— Si.
— Non, vraiment…
Mais dans ma tête, c’est le cas. Je la juge. Je la juge tellement. Et je
déteste le faire. Je ne veux pas qu’elle ait envie de qui que ce soit d’autre. Je
veux qu’elle soit à moi.
Je sursaute lorsqu’elle attrape mon menton et me tourne vers elle.
— J’aime m’envoyer en l’air, Tag. Passe à autre chose.
Je suis irrité.
— Il est parfaitement normal pour une femme d’aimer coucher avec des
hommes. J’aime le sexe. Je n’ai pas besoin de me justifier, surtout pas devant
toi, vu la façon dont tu n’as pas pu me résister non plus.
Elle lâche mon menton, mais n’arrête pas de me regarder dans les yeux.
— Ne me juge pas, dit-elle doucement.
— Je ne te jugeais pas, répété-je.
Je grogne intérieurement. Je ne devrais pas dire ça à voix haute, mais je
vais le faire. C’est plus fort que moi.
— Je suis… jaloux.
Je ferme les yeux.
Elle est surprise.
— Pourquoi ?
Autant être honnête.
— Ça me dérange.
— Qu’est-ce qui te dérange là-dedans ?
Ses mots crachent du venin et de la glace.
Je choisis mes mots avec précaution.
— Parce qu’une fois ne sera jamais assez.
Le taxi s’arrête à l’entrée des urgences et je descends en prenant le siège
auto de Benji avec moi. Elle attrape le support et me suit dans l’hôpital. Nous
allons à la réception et, très vite, ils nous mettent en zone de triage, puis ils
me prennent Benji en promettant que ça ne prendra qu’un moment et que je
serai bientôt à nouveau avec lui.
Il est parti, et je reste avec Finny. Elle me regarde comme si j’allais voler
en éclats. Et je crois que ça pourrait être le cas. Mais elle me lance aussi un
regard interrogateur. Et je ne connais pas la réponse. Je ne sais rien mis à part
que je suis mort de peur.
— Viens.
Elle me prend par la main et me tire dans les toilettes. Elle regarde
furtivement à gauche, puis à droite, et m’attire à l’intérieur.
— Soixante secondes, dit-elle.
Elle m’ouvre ses bras et je ne réfléchis même pas avant de la tirer contre
moi. J’en ai besoin. J’ai besoin d’elle. J’ai besoin que quelqu’un m’enlève ce
sentiment d’impuissance.
Cette fois, je ne bande pas en l’enlaçant. Mais je l’utilise. J’utilise sa
chaleur et sa douceur et j’écoute sa voix douce qui compte jusqu’à soixante.
Ça passe trop vite. Elle recule et je me retrouve en manque.
— Allons attendre Benji, dit-elle. Elle passe ses doigts dans les miens.
— Je ne te jugeais pas, dis-je lentement tandis que nous nous asseyons
côte à côte dans la salle d’attente.
Elle soupire.
— OK.
— Je ne le faisais vraiment pas. J’étais en train de penser que je pouvais
comprendre pourquoi tu recevais autant de fleurs.
Elle fronce les sourcils.
— Quoi ?
— Parce que tu es très belle, déclaré-je doucement. Si tu étais
complètement à moi, je ne voudrais pas t’abandonner non plus.
Elle se frotte le bras parce qu’elle commence à avoir la chair de poule.
— Je ne fais pas dans les relations.
— Je ne fais pas dans les coups d’un soir.
— Alors c’est une bonne chose que nous restions vraiment bons amis,
n’est-ce pas ? dit-elle.
L’infirmière arrive et crie mon nom. Nous nous levons et nous dirigeons
vers elle.
— Vous êtes la mère ? demande-t-elle à Fin.
Fin commence à secouer la tête, mais je dis :
— Oui.
Je ne veux pas y retourner tout seul. Pas maintenant. Je veux qu’elle soit
avec moi pour encaisser le coup de ce qu’on va me dire pour Benji. Je ne
peux pas perdre Benji. Et j’ai besoin de l’aide de Fin.
Je voudrais comprendre pourquoi soixante secondes à enlacer Fin ont été
mieux que tous les moments passés avec Julia, mais je ne peux pas le faire
maintenant. Maintenant, je dois m’occuper de ce qui ne va pas chez mon fils.
Quand il ira mieux, je m’occuperai du reste.
FINNY

I ll’air
a l’air complètement désemparé. Tag, je veux dire. Pas Benji. Benji a
plutôt bien. Il ne pleure pas pour le moment. Ils lui ont installé des
intraveineuses et lui ont administré des médicaments pour faire baisser sa
fièvre. C’était juste une infection. Bénigne. Des antibiotiques devraient
arranger ça. Ils ont fait une batterie de tests sanguins et ont déclaré qu’il allait
bien.
L’état de Tag est un peu plus problématique.
— Tu veux bien arrêter de faire les cents pas ? demandé-je.
— Je ne fais pas les cents pas, répond-il.
Mais il n’arrête pas de marcher.
— OK, alors arrête de faire des allers-retours. Tu crées un courant d’air.
Il s’arrête et regarde dans le berceau.
— J’essaye de faire des projets, dans ma tête, dit-il doucement.
— Faire des projets pour quoi ?
Il hausse les épaules.
— Des projets pour sa vie. Des projets pour m’occuper de lui. Des projets
pour être un bon père qui peut subvenir à ses besoins. Je n’ai même pas
d’emploi, Finny.
Il soupire et se frotte les yeux.
— Il est tard, dis-je. Tu pourras réfléchir à tout ça demain.
— Il faut que je trouve un emploi.
— Demain.
— Et quelqu’un pour le garder pendant que je travaille.
— Mec, tu as deux sœurs et elles ont trois sœurs et une mère. Je pense
que tu as ce qu’il faut.
Il grogne.
— Je ne peux pas demander à ma famille de s’occuper de lui. Je ne peux
pas continuer à profiter.
Il serre si fort le bord du berceau que ses articulations blanchissent.
— Tu ne comprends pas ? lâche-t-il. Et si c’était moi le responsable ?
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Il reste là, les yeux fermés.
— J’étais en colère quand je suis rentré de ma mission d’évangélisation et
que j’ai découvert que Julia ne voulait plus être avec moi. J’ai fait des choses
que je regrette. J’ai dit des choses que je regrette.
— À elle ?
Elle le méritait sûrement.
— À Dieu, répond-il. Je les ai dites à Dieu.
Oh. Maintenant je comprends.
— Et tu penses que Dieu est en colère et qu’il te punit.
— Je pense que je n’ai pas été assez reconnaissant de ce qui m’a été
donné, oui.
— Conneries.
Il lève brusquement la tête.
— Quoi ?
— Conneries, répété-je.
Je lève la main quand il commence à parler.
— Oh, attends, je viens de jurer. Tu crois que quelque chose de terrible va
m’arriver ?
— Ce n’est pas drôle.
— Quand j’essaierai de te faire rire, tu le sauras.
— Je m’inquiète seulement du fait que mes doutes puissent se retourner
contre moi.
— Tu as toujours la foi, n’est-ce pas ?
Je ne comprends pas vraiment la foi. Pas pour l’instant. Mais je respecte
le fait qu’il l’ait.
Il hoche la tête.
— Bien sûr.
Il grimace.
— Mais j’étais énervé. Et j’ai dit des choses que je n’aurais pas dû dire.
— Dans ce cas, retire-les, lui conseillé-je en haussant les épaules.
Il paraît confus.
— Quoi ?
— Dieu n’est pas un gars rancunier, idiot. Il est bienveillant. Il est
omniscient, aussi, alors il connaît ton cœur. Retire ce que tu as dit et tu en
auras terminé avec ça.
— Tu crois en Dieu ? me demande-t-il. Il me regarde droit dans les yeux.
Je glisse mon doigt le long d’une fissure dans le mur.
— Je passais beaucoup de temps avec le pasteur et sa femme dans notre
petite ville. Lorsque ma mère sombrait dans la folie, ils m’emmenaient chez
eux. Alors, oui, je sais qui est Dieu.
— Tu me trouverais stupide d’être croyant ?
Il me regarde attentivement.
— Je te trouve déjà stupide, mon pote.
Il sourit.
— Quand on m’a pris tout le reste, ma foi m’a soutenu. Si je l’abandonne,
j’ai l’impression que j’abandonne une partie de moi.
Je hausse les épaules.
— Alors ne le fais pas.
Mon téléphone sonne et je le regarde.
— Tes sœurs arrivent.
Je me lève.
— Je devrais probablement partir.
— Non, dit-il rapidement.
— Quoi ?
— Ne pars pas. S’il te plaît.
Il penche la tête et me sourit.
— S’il te plaît, répète-t-il.
Mon cœur s’emballe.
— Pourquoi tu veux que je reste ?
Je retiens ma respiration.
Il hausse les épaules.
— Je t’aime bien.
— Tu m’aimes bien ? Tu as quel âge, douze ans ? Alors c’est quoi la
suite, je devrai monter sur le guidon de ton vélo ?
Il sourit.
— Ce serait si terrible ?
Non. Non, ce ne serait pas si terrible. Ce serait plutôt génial.
— Nous avons déjà un rencard de prévu, et il implique de rendre visite
aux patients de l’asile, lui rappelé-je.
Je ne veux pas qu’il me voie comme une fille normale. Je veux qu’il se
rappelle que je ne suis pas une fille normale et que je ne le serai jamais.
— C’est une chose que j’attends avec impatience, dit-il en souriant.
— À titre d’information, je n’embrasse pas au premier rendez-vous, dis-
je.
Je grimace dès que les mots sont sortis de ma bouche. Je n’aurais pas dû
dire ça.
— Oh, tu m’embrasserais, dit-il, confiant.
Mon cœur s’emballe.
— Tu crois ?
— Oui. Je suis super doué.
Benji commence à s’agiter dans son berceau, alors je me lève et me dirige
vers lui. Je pose ma main sur son ventre. Il me regarde et se calme
immédiatement. Ses grands yeux clignent devant moi tandis qu’il agite les
mains et les pieds.
— Tu te sens mieux, Benji ? lui demandé-je.
Il donne à nouveau des coups de pied.
Tag vient se mettre derrière moi, et je peux le sentir de l’arrière de mon
crâne à mes tibias. Il met une main sur ma hanche et pose son menton sur ma
tête en regardant le berceau.
— J’étais si inquiet, dit-il. Je suis si content que tu sois rentrée à la
maison quand tu l’as fait.
Mon estomac se noue quand je me souviens avec qui je suis arrivée et ce
que j’étais sur le point de faire.
— Moi aussi, acquiescé-je.
Je n’ai pas honte. Pas du tout. Mais je me demande ce que ça ferait
d’avoir une famille à moi et un homme auprès de qui rentrer. J’évacue cette
pensée en secouant la tête. Je pose ma main sur la sienne.
— Cet homme…
Je ferme les yeux et retiens ma respiration pour essayer de calmer mes
entrailles.
— Je venais de le rencontrer. Je n’ai eu personne depuis… cette nuit-là.
Je le regarde.
— Personne
Il sourit.
— OK.
Il m’embrasse sur la joue en s’attardant brièvement.
Je veux qu’il me dise qu’il n’a eu personne d’autre non plus, mais j’ai
l’impression de ne pas avoir le droit de le demander.
— Devine quoi ? murmure-t-il.
— Quoi ? murmuré-je à mon tour.
— Je n’ai eu personne non plus.
Il m’embrasse le bout du nez.
Mon estomac se noue.
— Pas même quand tu es retourné voir Julia ?
Il secoue la tête.
— Notre relation était terminée avant même que je vienne ici la première
fois.
Il me sourit bizarrement.
— Et j’avais cette minuscule petite brunette dans la tête tout le temps que
j’étais parti.
Mon cœur se réchauffe.
— Alors, quand avons-nous rendez-vous ? demande-t-il.
Il pousse mes cheveux sur le côté pour qu’ils ne lui chatouillent pas le
visage. Son souffle chaud caresse ma nuque et j’en ai la chair de poule. Mes
tétons durcissent, et je suis soudain vraiment contente qu’il soit derrière moi
et qu’il ne puisse pas s’en apercevoir.
— Dès que j’aurai d’autres fleurs, réponds-je avec un rire sarcastique.
Il n’y a aucun humour dedans. Aucun.
Il se raidit derrière moi.
— OK, dit-il.
La porte de la pièce dans laquelle nous nous trouvons s’ouvre subitement
et Wren et Star entrent. Elles s’arrêtent sur le pas de la porte et se figent
quand elles le voient debout derrière moi avec son menton sur mon épaule. Je
lui donne un coup d’épaule pour qu’il recule. Il le fait, et je sens
immédiatement qu’il me manque.
— Tout va bien ici ? demande Star. Ses yeux font des va-et-vient entre lui
et moi.
— Benji va mieux, gazouillé-je.
Je regarde dans le berceau.
— C’était juste une infection.
Star sourit.
— Oh, Dieu merci.
Elle avance vers le berceau et regarde à l’intérieur. Soudain, elle se
couvre la bouche.
— Je crois que je vais vomir, dit-elle, puis elle sort de la pièce en courant.
— Je vais aller m’assurer qu’elle va bien, dit Tag avant de la suivre.
Wren me dévisage, les yeux pleins de reproche.
— Qu’est-ce que tu fous bordel, Finny ?
Je montre le berceau
— Il était malade, réponds-je. J’essayais seulement d’aider.
— Ce n’est pas ce que je veux dire et tu le sais.
Elle montre le couloir du pouce.
— Tu étais en train de faire des câlins à mon frère.
— Non, protesté-je.
Mais c’était un peu le cas. Et j’ai aimé ça. Par contre, je n’aime pas le fait
d’avoir aimé ça. Je lâche un gros soupir d’exaspération.
Elle me dévisage.
— Je ne crois pas qu’il soit disponible émotionnellement, Finny, dit-elle
doucement.
— Tant mieux, parce que je n’ai pas d’émotions.
Elle grogne.
— Dis ça à quelqu’un qui ne te connaît pas, garce.
Elle me fixe du regard.
— Je me suis toujours demandé quel genre d’homme réussirait à
t’atteindre.
Je me moque.
— Il ne m’a pas atteinte, ivrognesse.
— Oh, il t’a complètement atteinte.
Je n’arrive pas à voir si elle plaisante ou pas.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Tu le laisses t’enlacer, Finny. Tu ne laisses jamais personne t’enlacer.
Sa voix s’adoucit.
— Pourquoi tu l’as laissé t’enlacer si tu ne l’aimes pas ?
— Il ne m’a pas vraiment demandé ! lâché-je.
Je désigne le bébé.
— On ne faisait que regarder Benji !
Sa voix s’adoucit davantage.
— Il ne regardait pas Benji, Fin. Il te regardait, toi.
Je grogne.
— Non.
— Tu peux te mentir à toi-même. Mais tu ne peux pas me mentir à moi.
Je ne dis rien, car il n’y a rien à dire.
— Merci de t’être occupée de lui cette nuit, dit-elle. Je crois que personne
ne s’est occupé de lui depuis bien longtemps.
— Je n’ai rien fait.
La porte s’ouvre, et Tag et Star reviennent dans la pièce. Wren arrête de
brailler. Heureusement.
— Tu vas bien ? demandé-je à Star.
Elle hoche la tête.
— J’ai seulement dû vomir mes cookies.
Elle pose une main sur son ventre.
— Ça rend malade d’être enceinte.
Elle regarde Tag.
— Est-ce que Julia était souvent malade ?
Il hausse les épaules.
— Je ne sais pas, répond-il doucement. Je n’étais pas là.
— Eh bien, déclaré-je, puisque tout est sous contrôle, je rentre à la
maison.
Tag fronce les sourcils.
— Est-ce que ce mec t’y attend ?
— Quel mec ? demande Wren.
Elle nous regarde tous les deux.
— Personne ne m’attend, lancé-je malicieusement avant de me forcer à
rire.
— À plus tard, tout le monde.
Je sors et m’arrête pour respirer.
La porte s’ouvre derrière moi et Tag trébuche sur moi.
— Pardon, dit-il. J’essayais de te rattraper.
Il me tient par les coudes.
— Tu voulais quelque chose ?
— Je voulais seulement te dire…
Je glisse une main dans la poche de ma veste.
— Quoi ?
— Je t’attendrai le temps qu’il faudra, dit-il doucement.
Je gratte la peinture écaillée du mur avec mon ongle.
— Tu attends déjà la mère de ton bébé, dis-je en essayant de paraître
désinvolte.
Il secoue la tête.
— Non.
— Pourquoi ?
Il regarde vers la porte de la chambre de son fils.
— Elle n’est pas celle que je croyais.
Je dois le regarder avec un air ahuri, car il continue et dit :
— Elle l’a abandonné. La femme que j’ai aimée n’aurait jamais fait ça.
— Peut-être qu’elle avait une raison.
— Elle ne m’a pas choisi, moi. C’est tout ce que je sais.
Un muscle de sa mâchoire se contracte brusquement. Il respire et se
détend un peu.
— Quand je serai installé, je t’inviterai à un vrai rencard.
Mon cœur bondit de joie.
— Est-ce que ça impliquera de mettre deux pailles dans un soda ? Ou est-
ce que tu me laisseras porter la chevalière de ton université ?
Il sourit.
— Tu vas devoir attendre pour le savoir.
Il se baisse et m’embrasse sur la joue, sa chaleur effleurant délicatement
ma peau comme le plus doux des souffles, puis il me fait un signe de la main
et retourne vers son fils. Je m’écroule contre le mur, parce que j’ai soudain
les genoux en coton.
Je n’aime pas ce sentiment. Je ne l’aime pas du tout.
TAG

J esurretourne dans la chambre et trouve mes deux sœurs, les bras croisés
la poitrine, qui me fusillent du regard. Je m’arrête.
— Quoi ? J’ai fait quelque chose de mal ?
— Qu’est-ce qu’il y a entre Finny et toi ? demande Wren. Elle me regarde
toujours d’un air mauvais.
— Rien. Pourquoi ?
Je traverse la pièce et prétends être occupé à regarder mon fils.
— Finny ne laisse personne l’enlacer, répond frénétiquement Wren.
— Je n’étais pas en train de l’enlacer, rétorqué-je. J’étais juste derrière
elle.
En fait, j’étais en train de renifler son parfum comme un gros pervers,
mais je ne vais pas leur dire ça.
— Derrière elle en train de l’enlacer, rectifie Star. Est-ce que tu l’as
droguée ou quelque chose de ce genre ?
— Non ! Je n’ai pas besoin de droguer une fille pour qu’elle m’apprécie.
— Fin n’apprécie personne, répond Wren.
— Dis ça au mec qu’elle a ramené à la maison ce soir. Elle l’appréciait
complètement, lancé-je.
— Non, répond lentement Star, elle allait coucher avec lui.
Je lève la tête.
— Où est la différence ?
Wren rit.
— Oh, tu as de très gros ennuis.
Star se réjouit avec elle.
— Tu n’as pas idée, ajoute-t-elle.
Elles commencent à me taper sur le système.
— Explications, s’il vous plaît.
— Finny n’a pas grandi comme nous, répond Star.
— Tout le monde grandit différemment.
Je ne vois pas où elle veut en venir.
Wren lève une main.
— Non, tu ne comprends pas. Elle a grandi de façon très différente.
Elle me désigne, puis Star et enfin elle.
— Nous avions des parents qui nous aimaient jusqu’à ce qu’ils
disparaissent. Finny n’a jamais connu ça. Pas vraiment. Alors elle a du mal à
se rapprocher des gens.
— J’ai déjà rencontré sa mère, réponds-je doucement.
— Quoi ?
Star tend la main pour attraper une chaise comme si elle allait tomber.
— Tu as rencontré sa mère ?
Elle commence à sourire et regarde Wren.
— Il a rencontré sa mère.
— C’était un accident, vraiment, dis-je.
— Que s’est-il passé quand tu as rencontré sa mère ?
Eh bien, j’ai dû la maîtriser pour l’empêcher de tuer Fin, puis laisser
quelqu’un lui administrer des médicaments pour qu’elle tombe dans les
pommes. Mais je ne peux pas trahir sa confiance. Je mens.
— C’était juste une rencontre banale.
— Et comment était-elle quand tu étais là-bas ?
— Qui ? demandé-je en essayant d’avoir l’air stupide pour qu’elles
abandonnent.
— La mère de Finny. Comment était-elle ?
Meurtrière
— Comme une mère.
— Mm-hmm.
Star hoche la tête.
— Tu mens.
— Non.
— Trop.
— Non ! dis-je un peu plus fort.
— Peu importe, répond Star.
Elle se dirige vers le berceau.
— Je peux le porter ?
— Si ça peut te faire arrêter cet interrogatoire, oui.
En faisant bien attention aux intraveineuses, elle prend Benji et s’assied
avec lui sur un fauteuil à bascule. Elle le serre fort. Elle le regarde quelques
minutes, dans un silence béat. Puis elle lève finalement la tête.
— Je suis vraiment contente que tu sois là, me dit-elle enfin.
Je hoche la tête.
— Moi aussi.
— Nous partons en tournée dans deux semaines, dit-elle. Seulement six
concerts dans des petites villes.
— OK…
— On veut que tu viennes avec nous. On a besoin d’aide pour la mise en
place et la désinstallation.
— OK, répété-je.
— C’est payé.
— Je n’ai pas besoin d’être payé pour ça. Vous mettez déjà un toit sur nos
têtes.
— Et Paul Reed a dit qu’il a besoin d’aide dans son immeuble. Une sorte
de job de maintenance. Ça t’intéresse ?
— Bien sûr que je suis intéressé. Mais qu’est-ce que je vais faire de
Benji ?
— Marta pourra le garder pendant la tournée. Elle vient parfois avec
nous. Elle va s’occuper du bébé de Peck aussi, alors un de plus, ça ne
changera rien.
Quelqu’un qui dit qu’un bébé de plus ne change rien n’a jamais côtoyé un
enfant.
— Tu es sûre ?
Elle hoche la tête.
— Je lui en ai déjà parlé. Et quand tu travailleras pour les Reed, on se
relaiera pour le garder.
— Sérieusement ?
L’étau qui enserrait mon cœur se desserre un peu.
Star me sourit.
— Sérieusement.
Elle regarde d’abord mon fils, puis moi.
— C’est à ça que sert la famille. À nous relever quand on tombe.
— Ou quand on se fait mettre KO, ajoute Wren.
Elle me dévisage.
— Merci, réponds-je doucement. Je vais me refaire et vous rembourser, je
le promets.
Star secoue la tête comme un enfant pris en train de faire une bêtise.
— On sait où tu vis, Tag.
Un sourire se dessine sur mes lèvres.
— Alors, tu vas inviter Finny pour un rencard ?
— Tu penses qu’elle dirait oui ?
J’attends en retenant mon souffle.
Star grogne.
— Bien sûr que non.
Mon cœur se brise.
— Elle va dire non. Elle va te dire qu’elle ne fait pas dans les rencards.
Elle va te dire d’aller te faire foutre. Et il se pourrait qu’elle essaye de te
mettre un coup dans les roustons.
Je recouvre mon paquet de ma main et grimace rien qu’en y pensant.
— Je ne vais peut-être pas le lui demander…
Star sourit.
— Tu ne pourras pas t’en empêcher. Elle est magnétique.
D’une toute petite voix, Wren dit :
— Personne ne mérite plus qu’elle de vivre heureuse pour toujours.
— Merci du conseil, réponds-je.
Mon esprit bouillonne déjà en imaginant toutes les façons dont je pourrais
amener Fin à m’apprécier. Et toutes les façons dont je pourrais merder pour
finir par recevoir un coup de pied dans les roustons.
La deuxième hypothèse est bien plus probable.
FINNY

T ag et sa progéniture sont ici depuis deux semaines. Deux semaines de


pleurs de bébé la nuit. Deux semaines de poubelles qui débordent et
un réfrigérateur plein de biberons de lait maternisé. Deux semaines de
surdose de trucs mignon.
OK, je l’admets. Ce gamin est mignon. Et Tag est vraiment mignon,
aussi. Il est bon et gentil et c’est un père attentif, ou du moins il essaye de
l’être.
Je serre mon oreiller plus fort contre moi et frappe du poing dessus. Le
bébé pleure depuis plusieurs minutes et Tag n’est pas encore allé le prendre.
Je me lève et vais dans la cuisine. Le bruit s’amplifie.
Je me dirige vers sa chambre et ouvre grand la porte.
— Tu peux faire taire ce truc ?
Je me fige en voyant que la lampe de chevet est allumée mais que Tag
n’est pas dans la pièce. Où est-il ? Puis j’entends la douche couler. Tag a
travaillé tard pour les Reed. Je l’ai entendu rentrer, puis dire bonne nuit à
Wren. Il a dû sauter dans la douche tout de suite après.
Je m’approche du berceau et regarde à l’intérieur. Le visage de Benji est
tout rouge et il donne des coups de poings et de pieds. Je pose ma main sur
son ventre et il s’agite encore plus, mais il ne s’arrête pas de pleurer. Je le
prends dans mes bras et le berce doucement. Wren dit que les bébés aiment
être câlinés. Ce n’est pas le cas de celui-là, parce qu’il pleure encore plus fort.
Je vais dans la cuisine et prends un de ses biberons dans le réfrigérateur.
Je le réchauffe très rapidement, et il tatônne du bout des lèvres lorsque je le
mets dans sa bouche, avant de finalement s’y accrocher. OK. C’est plutôt
cool. Je peux le nourrir et le recoucher.
La maison est entièrement silencieuse, à part les bruits de succion et le
ventilateur de la salle de bain. J’entends la porte s’ouvrir et Tag entre dans la
pièce. Il s’arrête et je dois me rappeler de respirer.
Il porte une serviette. Et c’est tout. Il tient le coin de sa serviette dans son
poing. Ses longues jambes sont nues excepté un tatouage sur le tibia, et son
torse est entièrement découvert. De l’eau coule de ses cheveux humides sur
sa poitrine, et j’ai une envie folle de la lécher.
Bordel de merde. C’est mauvais. Je baisse les yeux sur Benji et le regarde
dévorer son biberon avec appétit.
— Il pleurait, expliqué-je.
— Est-ce qu’il t’a réveillée ?
Il se passe une autre serviette dans les cheveux.
Je secoue la tête.
— J’étais réveillée.
— Je n’ai pas réalisé que tu étais là, dit-il.
— Apparemment.
Je lève finalement les yeux et les laisse s’aventurer sur son torse.
Il rougit et prend la direction de sa chambre.
— Je devrais m’habiller, dit-il d’une voix bourrue.
— Ce n’est pas une mauvaise idée, murmuré-je.
Il ferme la porte de sa chambre derrière lui, et revient une minute plus
tard. Il porte un T-shirt et un pantalon de pyjama. Il est pieds nus.
— Tu veux que je le prenne ? demande-t-il.
Il tend les bras comme s’il allait me prendre Benji. Je l’en empêche en me
tournant légèrement.
— Il est presque endormi.
Je regarde son petit visage parfait. Sa bouche est relâchée autour du
biberon et je l’agite entre ses lèvres pour le forcer à téter. Il serre à nouveau
les lèvres et commence à boire.
— Tu es vraiment douée pour ça, dit-il doucement.
— Nécessité fait foi, lancé-je malicieusement.
Il sourit.
— Ne serait-ce pas fait loi ?
— Si. Je le sais.
Je lui souris à mon tour.
— C’est quelque chose que mon père me faisait. Il nous balançait ces
proverbes et citations mal formulés. Du coup, on le faisait toutes.
— Ton vrai père ?
Je hoche la tête.
— Emilio.
Tag me regarde d’un air narquois.
Je hausse les épaules.
— Il est le seul père que j’aie jamais eu.
Il hoche la tête.
— Je vais aller voir ma mère demain, dis-je doucement.
Il se frotte les mains.
— Oh, un rencard ! Quelle heure ?
— Dès que je me lève.
Le biberon tombe de la bouche de Benji et je le pose de côté. Il dort
profondément.
— Est-ce qu’il doit faire un rot ou un truc de ce genre ? demandé-je.
Il hausse les épaules.
— Parfois il le fait. Parfois non.
Il tend les bras et je pose Benji sur lui. Je passe la main dans ses cheveux,
et je ressens une envie soudaine et immense de me pencher pour embrasser sa
petite joue grassouillette. Alors c’est ce que je fais.
Je me penche et passe au-dessus de ses cheveux qui sentent bon le bébé,
je m’imprègne de son odeur en fermant les yeux. Puis je pose mes lèvres sur
son front et les laisse là.
Lorsque je lève les yeux, je vois Tag qui me regarde fixement.
Soudain, il attrape mon T-shirt et me tire vers lui. Ses lèvres lévitent au-
dessus des miennes.
— Dis-moi de ne pas t’embrasser, murmure-t-il en scrutant mon visage.
— Ne m’embrasse pas, dis-je.
Ses lèvres s’écrasent sur les miennes. Il n’y a rien de doux ni de tendre
dans son baiser. Il est torride et ferme, et je l’embrasse à mon tour. Il suce ma
lèvre inférieure, et je mordille la sienne. Je l’embrasse jusqu’à ce qu’une
partie de la passion s’estompe et qu’il ne reste que la chaleur et le désir.
— Je n’aurais pas dû faire ça, murmure Tag, son visage tout près du
mien.
Je hoche la tête.
— Mauvaise idée.
Je déglutis si fort que je peux l’entendre.
Il me soulève le menton pour que je le regarde. Mes yeux refusent et je
regarde partout sauf vers lui.
— Ça a été un enfer de t’avoir ici pendant deux semaines sans pouvoir te
toucher, me dit-il.
Finalement, je le regarde.
— Qu’est-ce qui t’empêche de me toucher ?
— Je veux attendre. Jusqu’à ce que ce soit bien.
Il se penche, pose ses lèvres sur mon front, et les laisse là, comme je
viens de le faire avec Benji. Je sens le souffle d’air chaud qui sort de son nez
pendant qu’il me boit, comme je viens de le faire avec son fils. Sauf que ce
n’est pas de la gentillesse ni de la tendresse que je ressens venant de lui. C’est
de la chaleur.
— Je devrais aller me coucher, dis-je.
— Oui, tu devrais.
— Bonne nuit, murmuré-je.
— Bonne nuit, répond-il.
Au lieu d’aller dans ma chambre, je vais dans celle de Lark. J’ouvre la
porte et me glisse à l’intérieur. Elle est couchée sur son lit et écoute de la
musique avec son casque. Je me laisse tomber à côté d’elle sur le lit et
soupire.
Elle enlève son casque et me regarde.
— Est-ce que tu as bu ?
— Non.
Mais je ressens la même chose que si j’avais bu.
Elle pose sa main sur mon front.
— Tu n’as pas de fièvre, dit-elle.
— Non.
Je la regarde et un sourire apparaît sur mon visage.
— Oh, mon Dieu, s’exclame-t-elle en s’asseyant. Est-ce que tu as
rencontré quelqu’un ?
J’ai rencontré tant de quelqu’un que je ne peux même plus les compter.
— En quelque sorte.
Je grimace.
Elle me dévisage.
— Qu’est-ce que tu veux dire, en quelque sorte ?
— Il se pourrait que Tag vienne en quelque sorte de m’embrasser, avoué-
je.
C’est sorti de ma bouche comme le vent sort d’un tunnel.
— Quoi ? hurle-t-elle.
Je couvre sa bouche avec ma main.
— Chut ! crié-je. Il va t’entendre.
Elle sourit et commence à murmurer.
— Alors, c’était comment ?
— Parfait, réponds-je.
Mon cœur entame une petite danse dans ma poitrine.
— Oh, Finny…
Elle a soudain l’air inquiète.
— Quoi ?
— Je me demandais combien de temps ça allait prendre.
Mon cœur s’emballe à nouveau.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je l’ai vu sortir discrètement de ta chambre cette nuit-là, dit-elle
doucement.
— Oh.
J’avais oublié ça.
— Et je ne t’ai pas vu ramener qui que ce soit d’autre à la maison depuis.
— Ouais, soupiré-je en grimaçant. Je ferais mieux de me pencher là-
dessus.
— Tu l’aimes bien.
— Non…
Je laisse traîner le mot.
— Si.
J’enfouis mon visage dans mes mains. Je grogne.
— Je ne sais pas.
Je la regarde enfin.
— Dis-moi ce que je dois faire.
Elle s’allonge à côté de moi et nous fixons toutes les deux le plafond. Elle
prend ma main et la tient sans rien dire. La texture douce des gants qu’elle
porte en permanence glisse contre ma peau.
Sa respiration devient douce et régulière et je réalise qu’elle est endormie.
Je sors de son lit et redresse les épaules. Je vais dire à Tag que je ne peux pas
faire ça. Je ne peux pas être cette fille.
Je me dirige vers sa chambre et lève la main pour frapper à la porte.
— Ne le fais pas, dit une voix à travers la porte.
Je me fige.
— Ne fais pas quoi ?
— Ne frappe pas à ma porte.
— Pourquoi ?
— C’est une mauvaise idée.
— OK.
Je me retourne et me dirige vers ma propre chambre.
La porte s’ouvre et il sort la tête.
— J’ai attendu que tu viennes frapper à ma porte pour me mettre une
claque à cause de ce baiser.
— Je n’allais pas te mettre une claque.
— Je sais.
Il pose le front contre l’encadrement de sa porte.
— C’est ce qui me fait peur.
Je hoche la tête, bien que je ne comprenne rien du tout. Absolument rien.
— OK.
Je vais dans ma chambre et il ferme la porte de la sienne. Je regarde sa
porte fermée un moment.
C’était quoi ce bordel ?
FINNY

L arapide
musique pulse dans mes veines comme un rythme cardiaque. Elle est
et effrénée, et j’ai si chaud que je m’excite toute seule, tout ça
rien qu’en dansant.
Mon garde du corps personnel est au bar, faisant semblant de biberonner
au whisky coca, mais je sais que c’est juste un soda light. Je n’ai pas toujours
besoin de garde du corps, mais quand je sors au milieu de la foule et que je
suis seule, il est préférable que j’aie un peu d’aide au cas où les choses
tourneraient mal. Le regard de Jason se promène sur la pièce, et il fronce les
sourcils en voyant que le mec avec qui je danse se rapproche un peu trop. Il
commence à se lever, mais je secoue la tête en le regardant. Il me dévisage
avec un regard interrogateur.
Non, je n’ai pas besoin qu’il vienne l’écarter de moi. Ce n’est pas celui
que je veux. Celui que je veux sent le vomi de bébé et le talc.
— Tu veux qu’on aille chez moi ? demande le mec dans mon oreille.
Je secoue la tête.
— Je veux juste danser !
Avant Tag, je lui aurais dit oui. Je l’aurais suivi sans y réfléchir à deux
fois. J’aurais pu jouir deux fois. Peut-être plus s’il était doué, mais je n’aurais
même pas eu besoin d’y songer. Oui, j’aurais pu avoir un orgasme. Mais
quelque chose me dit que je me sentirais toujours vide à l’intérieur en rentrant
à la maison. Je laverais l’odeur et la sensation du sexe, puis je passerais les
bras autour de mon oreiller et je m’endormirais.
Les musiciens arrêtent de jouer et nous applaudissons tous.
— On va faire quelques minutes de pause, déclare tranquillement
quelqu’un dans le micro.
— Merci pour la danse, dis-je par-dessus mon épaule.
Le mec porte la main à sa poitrine comme si je l’avais poignardé, mais je
m’éloigne. Je me dirige vers le bar pour trouver un truc frais à boire.
Jason, mon garde du corps personnel, fait semblant de ne pas me
connaître, alors je me penche contre lui.
— Alors, tu vas me sauter un jour, ou quoi ?
Je souris et bats des cils.
Il sourit étrangement.
— Je ne pense pas que ma femme apprécierait, Fin, mais merci de penser
à moi.
Il roule les yeux et me tire la langue. Jason approche de la cinquantaine,
et ça fait vingt-cinq ans qu’il est heureux en mariage. Il marmonne quelque
chose à propos de mineure lorsqu’une jeune fille légèrement vêtue passe
devant nous.
— Comment va Norma ? demandé-je.
— Elle est énervée contre moi. Apparemment, j’étais censé être un devin
ou quelque chose dans ce genre.
Je tape son épaule avec la mienne.
— Qu’est-ce que tu as oublié de faire ?
Il prétend être offensé.
— Qu’est-ce qui te fait penser que c’était moi ?
Je regarde vers ses genoux.
— Parce que tu as des testicules, mec.
Il serre les genoux.
— Arrête de parler de mes parties intimes.
— Je n’ai pas dit que je voulais les lécher ni rien, Jason, réponds-je avec
un sourire.
Il me regarde en coin.
— Est-ce que tu embrasses ta mère avec cette bouche ?
Je me fige. Il réalise son erreur immédiatement, parce qu’il tend la main
pour me rattraper quand je m’éloigne.
— Je suis désolé, Finny. Je ne voulais pas dire ça.
Il me fait me rasseoir sur le tabouret de bar.
— Je voulais dire Marta.
— Oui, j’embrasse ma mère avec cette bouche, lâché-je.
J’agite mon doigt en direction de la pièce.
— Et j’embrasse d’autres personnes, aussi. Il se trouve que certaines
personnes apprécient mes avances.
Je lui lance un regard noir. J’aime l’embêter mais, à dire vrai, il est un peu
comme un vieil oncle avec qui je suis à l’aise. Il est avec moi depuis
suffisamment longtemps pour faire partie de ma famille.
— Quand vas-tu te poser, Finny ?
— Jamais, lui dis-je avant de finir mon verre d’eau.
Quelqu’un tape sur le micro à l’avant de la salle, puis se racle la gorge. Je
regarde la scène.
— J’ai entendu dire qu’une célébrité se trouve parmi nous, déclare le
propriétaire de la discothèque. Il met la main au-dessus de ses yeux pour faire
un peu d’ombre et commence à scruter la salle.
Oh, merde. Jason attrape mon bras et se prépare à me tirer vers la sortie
de secours.
— Attends, dis-je.
Je lève un doigt. Il ne me lâche pas.
— Tu vas nous faire tuer tous les deux, murmure-t-il. Et Norma va me
couper les boules si je laisse quelqu’un te faire du mal.
Mais il s’immobilise et me laisse regarder ce qu’ils veulent.
— L’une des membres de Fallen from Zero est ici. C’est la guitariste.
Finch Vasquez, dit-il en cherchant dans la foule.
Puis il joint les paumes de ses mains comme s’il priait.
— Finny, la dernière fois que tu es venue ici, tu nous as honorés d’une
chanson.
Il tend une guitare.
— Nous feras-tu cet honneur ?
— Qu’en penses-tu ? murmuré-je à Jason.
— Je crois que tu es coincée maintenant, marmonne-t-il.
Il marche à côté de moi, m’escortant comme si j’étais la personne la plus
importante au monde. Quelqu’un tend la main pour toucher mon T-shirt, et il
repousse son bras.
Je monte sur scène et prends la guitare. J’éloigne le micro.
— Juste une chanson, dis-je.
Le propriétaire de la discothèque sourit et hoche la tête.
— Juste une.
Il se penche et m’embrasse sur la joue.
— À une condition, annoncé-je dans le micro.
J’avance et saisis le chapeau d’un mec dans la foule.
— Si vous voulez que je joue, vous devez remplir le chapeau. Je laisserai
l’argent au foyer de sans-abris en rentrant chez moi. Marché conclu ?
J’attends leur réponse enthousiaste. Le chapeau commence à tourner dans
la salle, et les gens y déposent de l’argent. Je vois Jason le vider et fourrer
l’argent dans sa poche, puis il le refait tourner.
Je m’installe sur le bord d’un tabouret et pose la guitare sur mes genoux.
Je passe mes doigts sur les cordes.
— Je n’arrive pas à croire que Finny Vasquez utilise ma putain de
guitare ! exulte le propriétaire de l’instrument.
Je souris et commence à jouer. J’ai une nouvelle chanson que je viens
juste d’écrire, alors je pourrais la tester, non ? Je tape soudain dans mes
mains au-dessus des cordes et m’arrête.
— Ma sœur Peck vient juste d’avoir un petit garçon il y a deux mois, dis-
je dans le micro. Cette chanson est pour elle.
Je me remets à jouer.
Parfois, lorsque je vois ma sœur avec son petit garçon, je les observe tous
les deux. Les yeux de Peck se remplissent de tant d’amour et de joie que cela
me fait mal. Je n’ai jamais connu ça. Pas un seul instant. Avant de rencontrer
Marta, je ne connaissais pas la définition de l’amour inconditionnel.

La première minute,
Je me suis demandé comment tu pouvais être si parfait.
La deuxième minute,
Je me suis demandé comment tu pouvais être si petit.
La troisième minute,
Je me suis demandé comment tu pouvais être si fragile.
La quatrième minute,
Je me suis demandé comment tu pouvais être si chauve.
La cinquième minute,
Je t’ai regardé respirer.
La sixième minute,
Je t’ai regardé pleurer.
La septième minute,
Je t’ai regardé t’étirer.
La huitième minute,
Je t’ai regardé aimer.
Tu es né en sachant
Que tu serais aimé.
Tu es né en sachant
que tu serais adoré.
Tu es né en sachant
Qu’on s’occuperait de toi.
Et à cet instant,
Ses rêves se sont réalisés,
Car tu l’as aimée.

Je répète le début et le refrain plusieurs fois, et après avoir fini, je me sens un


peu triste, car je ne suis pas née en sachant que j’étais aimée. En fait, c’était
tout l’inverse. Je suis née en sachant que j’étais détestée.

Je t’ai regardé aimer.


Tu es né en sachant
Que tu serais aimé.
Tu es né en sachant
que tu serais adoré.
Tu es né en sachant
Qu’on s’occuperait de toi.
Et à cet instant,
Ses rêves se sont réalisés,
Car tu l’as aimée.

Je me tais et attends. Le public me regarde en clignant des yeux et ils


commencent à applaudir. Quelques femmes s’essuient les yeux et quelqu’un
fait une demande en mariage.
Je sors un feutre de ma poche et le brandis au-dessus de la guitare,
demandant d’un simple regard à son propriétaire s’il aimerait que je la signe.
Il lève le poing et crie :
— Oh oui !
Je signe donc d’un geste théâtral. Je remets mon feutre dans la poche de
mon jean et lui tends sa guitare.
Il essaye de m’enlacer, mais Jason se met entre nous. Le propriétaire de la
guitare lève les mains en l’air comme s’il se rendait à la police.
Jason me fait descendre de la scène et nous retournons au bar. Je ne peux
plus rester ici maintenant que tout le monde sait qui je suis. J’en suis
consciente, et Jason aussi. Il en est très conscient, de la façon dont il me serre
le bras.
— On doit sortir d’ici, dit-il.
Et c’est à cet instant que les choses tournent ridiculement mal.
TAG

J eMon
suis debout, un pied contre le mur, les bras croisés sur mon torse.
Dieu, qu’elle est belle ! De la musique sort de sa bouche et de ses
doigts sur la guitare, et c’est comme si elle résonnait directement dans mon
âme.
Elle chante une chanson sur les bébés. Et les bébés devraient évoquer le
rire, la légèreté et la bonté, mais ce que la plupart des gens ne réalisent pas,
c’est qu’elle parle de perte. Elle chante sa propre vie, et toutes les choses
qu’elle a manquées.
Mon estomac se noue en voyant son regard.
J’ai laissé mon propre fils à la maison avec ma sœur Wren. Il n’est âgé
que de quelques jours, mais Wren a voulu le garder et le câliner, alors elle
m’a demandé de venir surveiller Fin au Bar. Honnêtement, je sens le coup
monté, mais c’est un piège dans lequel je donnerais n’importe quoi pour
tomber.
Finny signe la guitare d’un geste théâtral, et j’attends qu’elle quitte la
scène.
Je vois la foule l’entourer, et je regarde Jason qui essaye de s’interposer
entre eux et elle. Mais ce n’est qu’un homme.
Je sais que ce genre de choses arrive quand on est une star du rock, mais
je ne m’attendais pas à ce que ce soit si rapide. Je me faufile dans la foule en
jouant des coudes, et Jason me voit et crie :
— Mets-toi de l’autre côté !
Je hoche la tête et me fraye un chemin dans la foule. Finny jure lorsque
quelqu’un attrape la manche de son T-shirt et la déchire. J’aperçois son
soutien-gorge rose quand la couture craque, et ma vision se trouble de rage.
Je fais tourner vers moi l’homme qui vient d’essayer de la déshabiller et
le frappe au niveau de la gorge. Il tombe comme une masse, alors je passe au-
dessus de lui et me dirige vers un autre mec. J’encaisse soudain un coup de
poing dans la mâchoire qui me fait claquer des dents, et je vois que c’est une
femme. Je ne peux pas frapper une femme.
Le propriétaire de la discothèque et sa sécurité essayent d’aider aussi, et
ils repoussent le reste de la foule. Fin est à terre, et je réalise que je suis sur
elle.
— Heu, dit-elle, Tag…
— Quoi ?
J’arrive à peine à respirer, encore moins à parler.
— Tu m’écrases.
Je me soulève sur mes coudes et la regarde.
— Désolé.
Puis je réalise comment elle est couchée. Ses jambes sont écartées, et je
suis entre elles.
— Merde, lâché-je. Désolé.
Je me dépêche de me dégager.
Elle rit et m’attire à nouveau vers elle.
— J’aimais bien, dit-elle en gloussant.
Je rougis et je bande. Merde. Ce n’était pas prévu.
— Eh bien, tu m’aimes vraiment bien, dit-elle près de mon oreille.
Elle rit.
— Je pensais que tu serais immunisé contre moi maintenant.
Je ne serai jamais immunisé contre cette femme.
— Arrête.
Elle rit.
— Ce n’est pas moi qui presse ma bite dans tes parties sensibles, Tag, dit-
elle
Cette fois, je me dépêche vraiment de me relever. Ses yeux s’attardent sur
ma queue.
— Impressionnant, murmure-t-elle.
Je lui tends une main et elle la prend. Je la relève et la tire près de moi.
Elle est si petite qu’elle m’arrive à peine aux épaules.
Je tends la main pour arranger son T-shirt, mais il est déchiré jusqu’au
col. On peut voir son soutien-gorge. Je passe la main par-dessus ma tête pour
enlever mon T-shirt comme le font les mecs. Puis, je le lui passe par-dessus
la tête.
— Merci, dit-elle.
Elle tire le col de mon T-shirt jusqu’à son nez et inspire profondément.
— Tu sens vraiment bon.
Soudain, elle regarde autour de nous.
— Où est Jason ?
Elle cherche frénétiquement jusqu’à ce qu’elle le trouve allongé au sol.
Elle court vers lui.
— Que s’est-il passé ? crie-t-elle.
— Je crois que cet enfoiré m’a cassé le poignet, dit-il en serrant son bras
contre son torse. Il grimace et elle s’effondre à côté de lui.
— Je suis vraiment désolée, l’entends-je dire.
— Ce n’est pas de ta faute si c’était un connard.
Il appuie sa tête contre le mur et grimace.
— Je crois qu’il faut que j’aille à l’hôpital.
Elle hoche la tête et l’aide à se relever.
— Est-ce que je dois appeler Norma ?
Il hoche la tête.
— Si on ne le fait pas, elle ne me laissera jamais tranquille. Je devrai
dormir sur le canapé pendant un mois.
Fin sort le téléphone de la poche de Jason et plaisante sur la proximité de
sa bite. Il fait semblant de ronchonner et lui ébouriffe les cheveux de sa main
valide.
Lorsque nous sortons, Norma attend sur le bord du trottoir avec la
voiture.
— Je peux conduire, dit Jason.
— Monte dans cette putain de voiture, Jason, dit Norma en tenant la
portière ouverte. Elle embrasse rapidement Fin et me regarde comme si elle
se demandait qui j’étais et pourquoi j’étais torse nu. Elle me montre du
pouce.
— Il est sexy, Finny, dit-elle. Belle prise.
Je vois Fin dire Je sais, hein ! du bout des lèvres.
— Tu peux la raccompagner à la maison ? me demande Jason.
— Bien sûr, me dépêché-je de répondre.
Il a l’air inquiet, alors je tente de le rassurer.
— Nous ne sommes qu’à quelques rues de l’appartement.
— Ne laisse rien lui arriver.
— C’est promis.
J’essaye de le rassurer, mais il a toujours l’air inquiet, je le vois. Je pense
qu’il tient vraiment à elle.
— Je peux venir avec vous ? lui demande-t-elle. S’il vous plaît ?
Elle parle à Jason, pas à moi.
— Rentre chez toi, Finny. Je ne peux pas te protéger ce soir.
— Je t’appellerai plus tard, chérie, ajoute Norma. Je te le promets.
— Vous me le jurez ?
— Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer, dit Jason.
— Eh bien, ne mens pas et ne meurs pas, répond Fin. Je me sentirais
terriblement mal. Il me faudrait au moins quelques minutes pour trouver un
meilleur mari à Norma.
Norma rit et monte dans la voiture. Je regarde leurs phares disparaître
dans la nuit.
— Merci pour ton aide, dit-elle doucement.
Mon souffle crée de petits nuages dans l’air frais de la nuit.
— De rien.
— Alors, qu’est-ce que tu faisais là ?
— Oh, merde.
Je tape la paume de ma main sur mon front.
— Je suis venu te chercher. Elles t’appellent depuis des heures, mais tu ne
répondais pas.
Elle sort son téléphone de sa poche et fait défiler les messages.
— J’ai complètement oublié qu’on partait en tournée demain, dit-elle en
grognant.
Je hoche la tête. Moi, je n’ai pas oublié. Wren dit que cela va être une
petite tournée, mais nous allons tous partir.
Elle commence à marcher rapidement vers son appartement et ses talons
claquent contre le béton. Elle fourre ses mains dans ses poches et je la suis.
— Finny, dis-je, dans l’ascenseur qui mène à son appartement.
— Quoi ?
Elle regarde partout sauf vers moi.
— Je pensais qu’on allait rendre visite à ta mère ce matin, mais quand je
me suis réveillé tu étais partie. Est-ce que tu as changé d’avis ?
Elle hoche la tête.
— Non. J’y suis allée.
— Toute seule ?
Elle hoche la tête.
— Tu étais censée m’emmener avec toi, lui rappelé-je.
Elle inspire profondément, puis expire.
— Elle est totalement folle, Tag. Complètement tarée. Genre, cinglée-
enfermée-pour-ne-tuer-personne. Je n’aime pas amener des gens voir ça.
Elle fait comme si c’était nouveau pour moi. J’ai déjà rencontré sa mère.
Je sais quel est son problème.
— Elle allait bien aujourd’hui ?
Sa voix est faible et je peux à peine l’entendre. Elle appuie sa tête contre
la paroi de l’ascenseur et ferme les yeux.
Soudain, elle les rouvre et fixe mon torse nu.
— Tag, est-ce que je peux te dire quelque chose ?
Je croise les bras, car elle regarde mon torse comme si elle voulait me
dévorer.
— Je crois.
— Tu es super sexy, déclare-t-elle.
Elle se lèche les lèvres, et je bande à nouveau.
Puis l’ascenseur tinte, les portes s’ouvrent et elle sort. Je prends une
seconde pour tenter de retrouver mes esprits, parce qu’ils sont éparpillés
comme un tas de pièces qu’on aurait jetées au sol. Elle tend la main et me
tient la porte.
— Amène ton joli minois à l’intérieur, dit-elle.
Elle me sourit.
Je me demande si c’est à ça qu’elle ressemble lorsqu’elle ne cache pas sa
douleur derrière sa sexualité. Je suppose que je n’aurai pas la chance de le
découvrir.
FINNY

Q uand je ne sais pas quoi faire ni comment me comporter, je drague. J’ai


toujours été comme ça. Et en voyant la façon dont Tag rougit, ça
fonctionne carrément. Il pense plus à m’embrasser qu’à ma mère cinglée.
J’entre dans le salon et m’arrête net. Mes quatre sœurs sont là.
Peck est assise avec son bébé sur les genoux, et son mari Sam est à côté
d’elle dans le canapé.
Ma sœur Star est assise sur les genoux de son nouveau mari.
Wren et Lark partagent un fauteuil, et Emilio et Marta sont debout devant
le plan de travail de la cuisine.
— Mais où t’étais passée ? demande Emilio.
Je les regarde tous.
— Je dansais, réponds-je doucement. Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
Je vais chercher une bouteille d’eau dans le réfrigérateur.
— Pourquoi tu n’as pas répondu à nos appels, mija ? demande Marta.
Je hausse les épaules.
— Je n’entendais pas le téléphone à cause de la musique.
Soudain, Emilio remarque que Tag ne porte pas de T-shirt.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Rien, réponds-je.
Je m’assieds sur l’accoudoir du canapé. Tag va chercher un T-shirt, et il
est encore en train de l’enfiler quand il revient dans la pièce. En même temps
que ses superbes tablettes de chocolat disparaissent, j’aperçois une trace
rouge, à vif et irritée sur sa peau qui disparaît également sous le tissu. A-t-il
été blessé ? Je le découvrirai quand l’interrogatoire sera terminé.
— Où est le marmot ?
Wren agite le pouce en direction de la chambre de Tag.
— Il dort.
Benji dort par intermittence, j’ai eu l’occasion de l’apprendre.
— Il s’appelle Benji, me rappelle Tag.
— Benjamin Taggert le Troisième, ajoutent mes sœurs à l’unisson. Puis
elles rient lorsque Tag les fusille du regard.
— Pourquoi tu portes son T-shirt ? me demande à nouveau Emilio.
Il veut absolument une réponse.
— Le sien à été déchiré par un fan un peu trop zélé, lâche Tag.
Je prononce silencieusement le mot « traître » à l’adresse de Tag.
— Ce n’était rien...
— Jason est en route pour l’hôpital, continue Tag.
S’il était un peu plus près de moi, je lui mettrais un coup dans les
roustons.
— Il a été blessé. Sa femme l’a récupéré.
— Tu vas bien ? demande Star à Tag.
Il agite la main vers elle pour la rassurer.
— Je vais bien.
Apparemment, elle n’a pas vu l’entaille sur son ventre. Celle qui disparaît
dans la touffe de poils qui mène à ses parties inférieures plutôt
impressionnantes.
Emilio me tourne le dos et commence à parler au téléphone. Il est
certainement en train de se faire raconter toute l’histoire par Jason, parce
qu’il ne croit pas que ce n’était rien. Mais c’était le cas. C’est normal quand
on fait partie d’un groupe de rock connu. Nous y sommes habituées. Parfois
les fans deviennent trop exubérants. Ce sont des choses qui arrivent.
Emilio raccroche et se dirige vers Tag. Il lui tend la main. Tag la fixe un
moment, puis finit par la lui serrer. Il semble cependant surpris.
— Merci de l’avoir ramenée à la maison, dit Emilio.
— Alors, c’est quoi cette réunion ? demandé-je.
Je prends un paquet de chips à Lark et verse une poignée de ces petits
délices bien gras dans mon T-shirt.
Elle m’arrache le paquet des mains.
— Ne touche pas à mes chips, grogne-t-elle pour rire.
J’en prends une, la lèche partout, et la lui tend.
— Tu veux la récupérer ?
Elle fait semblant d’avoir un haut le cœur, puis essaye de m’ignorer.
— Alors, cette réunion ? demandé-je à nouveau.
Emilio et Marta se regardent dans les yeux un peu trop longtemps.
— C’est ta mère, dit Emilio.
Je les regarde les uns après les autres.
— Quoi ma mère ?
— Son état a empiré, Finny, répond Emilio d’une voix si douce que ça
m’énerve sérieusement.
Je grogne.
— Ce n’est pas nouveau.
— Non, clarifie Emilio. Je veux dire qu’elle a gravement blessé
quelqu’un cet après midi. Un autre résident. Ils veulent la transférer dans un
établissement plus sécurisé.
Je fourre une autre chips dans ma bouche.
— Et alors ?
Marta soupire.
— Alors, mija, ils ont besoin de ta permission pour la déplacer.
Ma mère est dans un établissement de soins de longue durée depuis que je
suis petite. Ils doivent la garder dans un endroit où ils peuvent réguler sa prise
de médicaments. En général, elle va bien. Apparemment, elle a maintenant
d’autres soucis que sa maladie mentale.
— Tu devras y aller et prendre certaines décisions à propos de ses soins,
continue-t-il de m’expliquer
Je hausse les épaules.
— Pourquoi moi ?
Marta vient près de moi et passe sa main dans mes cheveux.
— Tu es sa seule famille.
— Alors, lequel d’entre vous va y aller ?
Je leur souris. Je n’ai aucun désir de retourner voir ma mère. Elle était
dans tous ses états aujourd’hui quand je l’ai observée par la petite fenêtre de
la porte de sa chambre. Elle faisait des allers-retours d’un coin à l’autre de la
pièce en agitant les mains et en marmonnant.
— C’est quelque chose que tu dois faire, déclare doucement Marta.
— Engagez quelqu’un pour y aller et évaluer ma mère, réponds-je en
haussant les épaules. C’est pas grand chose.
— On ne peut pas faire ça pour toi, dit Emilio. Ils souhaitent aussi faire
une sorte de psychothérapie avec ta mère et ils veulent que tu sois présente.
— Non.
Hors de question.
— Finny…
— Non, répété-je. Je n’irai pas. De plus, aucun d’entre vous ne peut venir
avec moi, parce que nous sommes en tournée. Et Jason est à l’hôpital.
Je hausse les épaules. Cela me paraît si évident. Je lève le doigt en l’air.
— En parlant de ça, si mon garde du corps est blessé, qui va voyager avec
moi lorsque nous serons en tournée ?
Emilio et Marta se regardent, perplexes.
— Je pourrais venir aider, dit une voix masculine de l’autre côté de la
pièce. Je lève la tête et vois Tag campé contre le mur, l’épaule appuyée contre
l’encadrement de la porte.
— Tu ferais ça ? demande Star.
Il hoche la tête.
— De toute façon, j’allais être roadie.
Il rit discrètement.
— Et Benji ? dit Wren.
Il hausse les épaules.
— Quel est le problème ? Nous l’emmènerons avec nous.
Il désigne Marta.
— Marta a dit qu’elle le garderait pendant que je travaille. Maintenant
elle n’aura plus à le faire. Il peut rester avec moi.
— Non.
J’ai répondu rapidement, et Tag tourne la tête vers moi. Il semble confus,
mais je ne veux pas que Tag me suive partout pendant six dates de tournée.
— Je peux m’occuper de toi, dit Tag.
Tout le monde se tait dans la pièce. On pourrait entendre une mouche
voler.
— Je n’ai pas besoin qu’on s’occupe de moi, me dépêché-je de dire.
— Alors, c’est réglé.
Emilio se lève et s’époussette les mains.
— Ce n’est pas réglé ! crié-je.
Mais tout le monde se lève. Ce n’est pas réglé.
— Pourquoi vous ne m’écoutez pas ? dis-je en hurlant presque.
— Tu pars en tournée et tu as besoin de quelqu’un pour te protéger,
répond fermement Emilio. Tag part avec toi. Marta s’occupera du bébé.
Il lève les mains pour m’arrêter quand il voit que je vais l’interrompre.
— Il n’y a rien à ajouter. Prépare tes affaires. Vous partez dans la
matinée.
Il prend encore sa voix de père autoritaire. Bon sang, je déteste quand il
fait ça. Emilio nous laissait faire beaucoup de choses, mais lorsqu’il prenait
sa voix de père autoritaire, on savait qu’il valait mieux écouter.
— Mais…
— Il n’y a pas de mais ! crie-t-il. C’est réglé, Finny. Va faire tes valises.
Il montre ma chambre.
Je me lève et songe un instant à lui envoyer l’oreiller que je tiens
directement dans la tête, mais je ne le ferai jamais. J’ai trop de respect pour
Emilio. Mais merde ça m’a traversé l’esprit.
Emilio ricane quand je passe comme une furie à côté de lui.
— N’y songe même pas.
Je lui fais un doigt d’honneur en cachette, parce que je suis d’humeur
défiante.
— Je l’ai vu ! crie-t-il dans mon dos.
Je claque la porte de ma chambre derrière moi et m’y adosse lourdement.
Puis je commence à faire mes valises, parce qu’apparemment je pars en
tournée et je prends l’homme avec qui je me suis envoyée en l’air comme
garde du corps. Puis je devrai m’occuper de ma mère quand on rentrera.
Quelle vie de merde !
TAG

F inny claque la porte de sa chambre et je me gratte la tête. Peck et Star


prennent leurs maris et rentrent chez elles, et Marta et Emilio restent
quelques minutes dans la cuisine. Benji s’agite dans son sommeil, alors je lui
prépare un biberon. Il est endormi depuis un moment, et il va se réveiller
affamé.
Emilio appuie ses coudes sur le plan de travail de la cuisine et me lance
un regard noir. Je regarde derrière moi, car je ne vois pas pour quelle raison il
me regarderait comme s’il me détestait. Je tousse dans mon poing.
— Est-ce que tout va bien ? lui demandé-je.
— Finny est spéciale, dit-il.
Je hoche la tête.
— Je n’en doute pas.
— Non, je veux dire vraiment spéciale.
Je hoche à nouveau la tête et mets le biberon de Benji dans le micro-
ondes.
— Finny a peur de l’engagement, dit-il.
— N’est-ce pas notre cas à tous ? marmonné-je.
Il fronce les sourcils, mais ne répond pas.
— Tu prendras soin d’elle pendant la tournée, n’est-ce pas ? demande-t-il.
— Je promets de faire de mon mieux.
— Je te crois.
Il pointe un doigt vers moi.
— Mais si tu foires, si elle rentre avec la moindre égratignure, je te tuerai
de mes propres mains.
Il sourit froidement.
— Entendu ?
Je déglutis pour faire passer le nœud dans ma gorge.
— Entendu.
Je secoue le biberon en attendant que Benji commence à pleurnicher.
— Il y a deux choses que tu dois savoir à propos de Finny, dit-il.
— OK…
— Un, tu dois écouter ce qu’elle ne dit pas, si tu veux la comprendre.
Je hoche la tête.
— Deux, ne te mets jamais entre elle et une cafetière. Elle te couperait les
boules.
Ça, je le sais déjà, mais je courbe instinctivement le dos et mes boules
remontent. Il rit.
— Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit, dit-il.
Il me tape sur l’épaule et suis Marta vers la porte après avoir dit au revoir
à ses filles.
— Bonne nuit, Melio, lui dit Wren.
Il leur fait signe et s’en va.
Benji s’agite dans ma chambre, donc je prends le biberon et me dirige
vers lui. Je regarde dans son berceau et vois qu’il a enlevé ses couvertures à
force de donner des coups de pieds et que sa peau est moite et rosée. Je le
prends, lui parle et change sa couche, puis je retourne m’asseoir avec lui dans
le fauteuil à bascule du salon.
Lark va se coucher, et Finny est toujours dans sa chambre, mais Wren
sort pour s’asseoir avec moi.
— Alors… dit Wren.
— Alors…
— Tu crois que tu peux t’occuper de Finny pendant qu’on est en
tournée ?
Elle se mord la lèvre inférieure, inquiète.
— Je vais faire de mon mieux.
— Essaye de ne pas tomber amoureux d’elle, OK ?
Je relève la tête brusquement.
— Je ne vais pas tomber amoureux.
— Oh, si ! Mais essaye de ne pas le faire, OK ?
— Je peux te garantir que je ne suis pas prêt pour une nouvelle relation,
Wren.
Elle soupire.
— Fin non plus. Mais sérieusement, Tag, ne tombe pas amoureux d’elle.
Tu vas juste être blessé.
Je la regarde. Elle est vraiment sérieuse.
— T’inquiète ! Je gère !
Elle hoche la tête, mais elle a tout de même l’air inquiète.
— Je t’aurais prévenu.
Elle se lève et part dans sa chambre. Elle en revient avec un bordereau de
virement bancaire.
— J’ai remis de l’argent sur ton compte, dit-elle.
Elle le jette sur la table.
— Je ne veux pas de ton argent, Wren. Pas maintenant. Je fais des petits
boulots pour les Reed et ça me suffit. Vraiment. Je dois juste essayer de
mettre de l’ordre dans ma vie.
— Eh bien, je n’ai pas envie que mon neveu n’ait rien pendant que tu
essayes.
Elle se penche et embrasse Benji sur la joue. Puis elle pousse ma joue
avec la paume de sa main. Elle me rappelle tant maman à cet instant que j’en
ai les larmes aux yeux.
— Tu lui ressembles vraiment, tu sais ? déclaré-je.
Je ravale une larme.
— Elle était belle, répond doucement Wren.
— Je sais.
Elle part dans sa chambre et ferme la porte.
À cet instant, la porte de Finny s’ouvre et elle entre comme une furie dans
la pièce.
— Enlève ton T-shirt, souffle-t-elle.
— Quoi ?
Je suis surpris par sa brusquerie.
— Tu as été blessé. Je l’ai vu.
Elle montre mon estomac, où Benji se repose. Il a la bouche détendue
autour de son biberon, alors je le lui enlève et pose mon fils sur le canapé à
côté de moi.
— Je vais bien, dis-je.
Mais je me lève quand même.
— Montre-moi.
Je ne bouge pas, donc elle tend la main, soulève le bord de mon T-shirt et
le remonte pour voir mon estomac.
— Oh, ce n’est rien de grave, dit-elle.
— Juste une égratignure, je crois.
Je baisse mon T-shirt.
Elle va dans la salle de bain et en revient avec un antiseptique et du coton.
— Laisse-moi nettoyer ça.
Je tends la main pour avoir le flacon.
— Je peux le faire.
Elle secoue la tête.
— Je vais le faire, moi.
Elle m’invite à retirer mon T-shirt, donc je le passe par-dessus ma tête et
le jette sur le canapé à côté de nous.
Elle verse de l’antiseptique sur le coton et commence à nettoyer
délicatement la zone, mais ça brûle atrocement. J’inspire profondément.
— Oh, arrête de faire le bébé, gronde-t-elle.
Elle se baisse et souffle dessus, et j’imagine qu’elle essaye d’apaiser la
douleur. Mais la délicate sensation de son souffle sur ma peau déclenche une
autre forme de douleur. Ma queue commence à appuyer contre ma braguette.
— Je peux le faire, répété-je.
Je tente de me retourner, mais elle attrape les passants de mon pantalon et
m’empêche de bouger. Je ferme les yeux et pense à des cheeseburgers. Des
verrues. De la glace. Mais, dans mon esprit libidineux, ma glace se
transforme en gouttes d’eau qui fondent et glissent sur sa peau.
Oh, merde alors.
— Je peux le faire, répété-je à nouveau.
Soudain, elle remarque la bosse sous ma braguette.
— Oh, dit-elle en rougissant. Oups.
Elle glousse et me fourre le matériel de premiers secours dans les mains.
— Je ne… heu… voulais pas… heu… causer ça.
Elle agite une main vers ma queue.
— Je veux dire, on ne peut pas refaire ça.
— On devrait vraiment, lui dis-je d’une voix grave. Je veux dire, si tu
abandonnes un jour ton moratoire sur le fait de coucher deux fois avec la
même personne.
Elle hoche la tête, et son regard achoppe à nouveau sur ma queue,
toujours dressée.
— C’est tentant, répond-elle.
Elle me sourit.
— Tu pourrais avoir besoin d’aide pour ce truc.
Je fais des yeux ronds.
— Je peux m’en occuper, merci.
— Si tu le dis.
Elle fait demi-tour et se dirige vers sa chambre. Au dernier moment, elle
se retourne vers moi.
— À quelle heure tu veux partir demain matin ? Je dois aller parler au
médecin de ma mère avant qu’on parte, et je suppose que tu viens avec moi.
— Dès que tu te lèves.
Elle hoche la tête.
— J’imagine qu’on ne peut pas dire dès que toi, tu te lèves, étant donné
que, eh bien…
Elle me sourit.
— Belle et drôle, marmonné-je.
Elle pose une main sur sa poitrine.
— Est-ce que tu viens de dire que j’étais drôle ?
Elle bat des cils.
— Entre autres.
Elle hausse les épaules.
— Drôle, c’est ce que je préfère.
Puis elle part dans sa chambre et la porte se referme doucement derrière
elle.
— Oui, moi aussi, murmuré-je dans le vide.
Je crois que j’ai des ennuis. De gros ennuis.
FINNY

D eux tasses de café, ce n’est pas assez. Mais Tag n’a pas l’air d’être
dérangé par ma mauvaise humeur. Il marche solennellement à côté de
moi sur le trottoir. Je respire profondément parce que, pour la première fois
de ma vie, j’ai envie de parler de ma mère à quelqu’un.
— La première fois que ma mère a essayée de me tuer, nous étions sur
une grande roue à la foire du comté. Elle était cyclothymique, je le sais
maintenant. Je ne le savais pas à l’époque. Je pensais juste qu’on allait passer
une journée amusante. Ma mère avait des jours où elle était au plus bas mais,
de temps en temps, elle avait de bons jours. Et quand elle allait bien, elle
planait. Elle avait de l’imagination et voulait partir à l’aventure et nous riions
et nous amusions.
Tag marche à côté de moi et ne dit rien. Il se contente d’écouter.
— Mais j’avais six ans la première fois qu’elle a essayé de me tuer.
Je le revois comme si c’était hier.
— Je ne veux pas y aller, lui avais-je murmuré dans la file d’attente de la
grande roue.
Elle s’était accroupie près de moi.
— Qu’est-ce que tu as dit, chérie ?
— Je ne veux pas y aller, avais-je répété, cette fois un peu plus fort.
Elle s’était levée, tenant toujours fermement ma main.
— Oh, tout le monde doit monter dans la grande roue, chérie.
Elle avait ouvert grand les bras.
— Le monde semble si grand vu de là-haut.
J’avais tiré à nouveau sur sa main.
— Je ne veux pas y aller.
Mais elle donnait déjà nos billets au forain. Elle m’a tiré d’un coup sec
par le bras sur la plateforme. Je l’ai suivie, parce qu’elle me serrait la main
si fort que c’était douloureux. Elle avait un regard très énervé, et je savais
que notre bonne journée était terminée. Elle était en train de redescendre et
de s’écraser.
Et elle allait m’emporter avec elle.
Nous nous sommes assises et le forain a refermé la longue barre sur nos
genoux, mais mes jambes étaient si petites qu’elle me retenait à peine.
L’engin s’est balancé en commençant à tourner, et j’ai agrippé la barre de
toutes mes forces. Maman se penchait par-dessus bord et regardait en bas.
— Regarde, bébé.
Je fermais les yeux. Je ne voulais pas regarder.
Le siège a de nouveau bougé quand d’autres personnes sont montées.
— Regarde, avait-elle répété.
Elle l’avait hurlé cette fois, et j’ai vu les gens dans la cabine au-dessus de
nous nous regarder en fronçant les sourcils. Je voulais leur dire que j’allais
bien, mais ce n’était pas le cas. Je n’irais jamais bien.
Le mouvement de balancier s’est arrêté et nous avons commencé à
décrire un lent cercle. Je fermais les yeux.
— Ouvre les yeux, avait dit maman.
Le vent soufflait légèrement dans mes cheveux, et j’étais contente de
l’avoir laissé mettre les jolis nœuds roses dans mes cheveux avant qu’on ne
parte de la maison ce matin-là.
— J’ai dit ouvre les yeux, avait grondé maman.
Elle a pincé mon menton entre son pouce et son index et j’ai crié.
— Tu as peur de tomber ? a-t-elle demandé.
Elle a laissé pendre ses bras sur le côté et a fermé les yeux, son visage
reflétant le contraire de ce qui se passait dans sa tête. Elle me déroutait
totalement quand elle faisait ça.
— Est-ce que tu as peur de tomber ? avait-elle redemandé, plus fort cette
fois.
— Non, avais-je répondu. J’avais bien plus peur d’être sur ce siège avec
elle.
Soudain, elle a attrapé le devant de ma robe et m’a soulevée du siège
pour me mettre sur ses genoux. La barre était si lâche qu’elle ne fournissait
aucune résistance. J’ai passé mes bras autour de son cou.
— Je vais t’apprendre une leçon de vie importante, avait-elle dit près de
mon oreille.
— Non !
Je luttais pour m’accrocher à elle, mais elle a repoussé mes bras et m’a
retournée la tête en bas. Elle me tenait par les pieds au-dessus du vide, et je
me débattais pour trouver quelque chose où m’accrocher.
— Maman ! avais-je crié.
Les gens en dessous de moi ont commencé à paniquer, et la roue s’est
complètement arrêtée.
— Voilà ce que ça fait de tomber ! avait crié maman. Souviens-toi de
cette sensation, bébé, pour que tu ne fasses jamais quelque chose d’aussi
stupide.
— Remonte-moi, avais-je supplié.
Ses mains faiblissaient, glissantes à cause de la sueur, et j’ai glissé
légèrement. La grande roue était arrêtée et l’homme dans la cabine sous la
nôtre tendait les bras comme s’il pourrait me rattraper au cas où elle me
lâcherait.
— S’il te plaît ! Maman ! Remonte-moi !
Elle a ri.
— Tomber, bébé. Assure-toi que tu ne le feras jamais.
— Je ne le ferai pas ! avais-je crié en pleurs. J’ai regardé mes jolis
nœuds roses tomber de mes cheveux et atterrir dans l’herbe loin en dessous
de nous.
— Je promets que je ne tomberai jamais.
Finalement, elle m’a remontée et je me suis précipitée dans le coin de
l’assise, en essayant de rester aussi loin d’elle que possible. Elle a jeté la tête
en arrière et a rigolé.
La grande roue a redémarré, et nous avons enfin atteint le sol. Deux
officiers de police nous attendaient quand nous sommes descendues, et l’un
d’eux a pris ma main pendant que l’autre menottait ma mère.
Les trois mois qui ont suivi, je suis restée chez ma grand-mère. J’étais en
sécurité avec ma grand-mère. J’étais heureuse avec ma grand-mère.
Personne n’essayait de me tuer quand j’étais avec ma grand-mère.
Mais lorsqu’ils ont trouvé un traitement pour ma mère, ils m’ont
renvoyée avec elle. C’est arrivé encore plusieurs fois jusqu’à mes dix ans, et
la mort de ma grand-mère. Après, il n’y avait plus personne pour s’occuper
de moi, et je suis rentrée officiellement dans le système.
C’était le plus beau jour de ma vie. Le jour où je suis allée en foyer
collectif parce que je n’avais nulle part d’autre où aller. C’est le jour où ma
vie a démarré.
Mais il y a une chose dont je suis certaine. Ma mère m’a appris une leçon
ce jour-là. « Ne tombe jamais, bébé. Ne tombe absolument jamais. » Alors je
ne le fais pas. Et je ne le ferai pas. Je ne peux pas.
Je ne m’approcherai jamais du bord. Je ne me mettrai jamais dans ce
genre de situation.
Je sors de ma transe lorsque Tag passe son bras autour de moi et m’attire
dans une ruelle.
— Soixante secondes, dit-il.
Il me tire contre lui et j’y vais volontiers. Il me serre fort, et je profite de
chaque seconde. Je ne sais pas à quel moment j’ai commencé à avoir besoin
de cet homme, mais j’en suis là.
Il arrive à soixante secondes et me repousse, mais cette fois, il le fait
lentement, presque comme s’il ne voulait pas me laisser partir.
— Ma mère est complètement tarée, lui dis-je en revenant dans la rue,
tandis que nous marchons en direction du centre pour personnes dépendantes.
Il a laissé Benji avec Wren et, quelque part, j’en suis contente. J’aurais peur
que ma mère lui fasse du mal.
Il hoche la tête.
— On dirait bien.
Nous entrons, et je signe les papiers pour que les administrateurs puissent
la transférer dans une zone plus sécurisée du complexe.
— C’est tout ce que vous voulez que je fasse ? demandé-je en repoussant
le porte-bloc vers le médecin responsable.
— On aimerait faire une psychothérapie avec votre mère et vous. Je sais
que ça n’a pas toujours été facile pour vous.
C’est le psychiatre qui s’occupe du traitement de ma mère.
Je hoche la tête.
— En quoi ce serait bien ?
— Honnêtement ? Pour elle, probablement en rien. Pour vous, ça pourrait
vous aider.
— Je vais bien, déclaré-je.
Il hoche la tête.
— Prévenez-moi si vous changez d’avis.
Tag et moi retournons à l’extérieur et il me dit :
— Tu ne voulais pas la voir ?
Je secoue la tête.
— Non.
Je soupire.
Il me regarde droit dans les yeux.
— Tu as toujours l’espoir qu’elle t’aimera autant que tu as besoin d’être
aimée ?
— Non. J’ai abandonné cet espoir il y a longtemps.
— Je ne te crois pas, dit-il.
Il prend ma main et passe ses doigts entre les miens. Je ferme les yeux et
respire profondément, mais je ne retire pas ma main.
— Tu as envie de déjeuner ?
Je hoche la tête, et nous allons dans une petite boutique spécialisée dans
les gaufres.
Il ouvre un menu.
— Qu’est-ce qu’il y a de bon ici ? demande-t-il.
Il me sourit.
— Sans déconner, réponds-je. Des gaufres.
Il repose le menu sur le côté.
— Dans ce cas je pense que je vais prendre des gaufres.
Il regarde la serveuse.
— Et un café.
— Pareil pour moi, dis-je.
— Alors, maintenant tu as le vertige ? demande-t-il en versant de la
crème dans son café.
— Non, j’ai seulement peur de tomber.
Il me regarde par-dessus sa tasse.
— Explique.
— J’ai besoin d’avoir les pieds solidement plantés, c’est tout.
Il me dévisage.
— Tu aimes tout contrôler.
— Je hoche la tête et hausse légèrement les épaules.
— Oui.
— Alors quand toi et moi étions ensemble…
Il s’arrête et secoue la tête.
— Non, rien.
Il rougit.
— Dis-le, répliqué-je. Mon cœur bat à cent à l’heure.
— Quand on était ensemble et que je t’ai claqué les fesses, est-ce que ça
t’a excitée ou dégoûtée ?
Mes paumes commencent à être moites, donc je les essuie sur mon jean.
— D’autres hommes m’ont claqué les fesses avant.
Il contracte la mâchoire.
— On ne parle pas d’eux. On parle de toi et moi.
Je m’assieds et essaye de respirer.
— Donc, tu veux savoir si tu m’as excitée ?
— Oui.
— Pourquoi ça t’intéresse ?
Je scrute son visage.
— Parce que j’ai vraiment l’intention de le refaire un jour, quand tu seras
prête pour ce que je veux.
Mon ventre me trahit en sursautant légèrement.
— Et qu’est-ce que tu veux ?
— Je veux attendre en apprenant à te connaître. Et je veux avoir quelques
rencards avec toi. Et je veux que tu tombes amoureuse de moi et de mon fils.
Et ensuite, quand nous serons tous les deux certains que nous le voulons, je
veux te sauter à nouveau, mais cette fois ce sera plus. Tellement plus.
Je suis sans voix. Je ne m’attendais pas à ce qu’il joue cartes sur table
comme ça. Je m’attendais à ce qu’il cache son jeu et le protège, comme moi
je le ferais.
— Je ne couche pas plus d’une fois avec la même personne.
— Je sais. C’est pourquoi ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je veux te faire
tomber amoureuse de moi.
Il prend ma main dans la sienne et la caresse avec son pouce.
— Tu ne veux pas grand chose, hein ?
Il secoue la tête, et les coins de sa bouche se tordent légèrement.
— Je veux tout.
— Avec moi ?
Il hoche la tête.
— Avec toi.
— Est-ce que je peux y réfléchir ?
Il secoue la tête.
— Non. Si tu réfléchis trop, tu vas t’enfuir.
— Alors que dois-je faire ?
— Laisse-moi t’aimer.
Il hausse les épaules.
— C’est tout.
Je ricane.
— Tu ne m’aimes pas.
Il sourit.
— Pas encore. Mais je veux sortir avec toi.
Il me serre la main.
— Tu veux bien avoir un rencard avec moi, Finny ?
Je balaye le restaurant des yeux.
— C’est pas ce qu’on est en train de faire en ce moment ?
Il sourit.
— C’est le cas ?
— Peut-être, murmuré-je.
La serveuse arrive avec nos gaufres, et il lâche ma main. Il mange en
silence, et moi aussi.
Quand nous avons fini, il sort son portefeuille.
— C’est pour moi, dis-je.
Je sors une carte de crédit de ma poche.
— Je paye, dit-il.
— Mec, est-ce que tu sais combien d’argent je me suis fait l’année
dernière ?
— Je paye, Finny.
Je m’appuie contre le dossier de mon siège.
— Pourquoi ?
— Je n’ai pas grand-chose, mais j’ai gagné ce que j’ai, et je veux le
dépenser pour toi. Alors laisse-moi le faire, OK ?
Il me dévisage.
— Laisse-moi te donner de la valeur. Te chérir. T’apprécier. Te traiter
comme tu dois être traitée. Tu peux me faire confiance, Finny, je ne te
laisserai pas tomber.
Un nœud se forme dans ma gorge et je déglutis bruyamment pour le faire
passer.
— Merci pour le petit-déjeuner.
C’est tout ce que j’arrive à dire.
Il signe le chèque et nous nous levons. Il prend de nouveau mes doigts
dans les siens et nous marchons côte à côte dans la rue.
— Est-ce que je pourrais donner son biberon à Benji quand on arrivera à
la maison ? demandé-je rapidement.
Je rougis lorsqu’il me sourit.
— Tu n’aimes pas les bébés, me rappelle-t-il.
Il me donne un coup de coude pour rire.
— Je t’aime bien toi. Et il se pourrait que j’aime bien ton bébé. Je dois
passer un peu de temps avec lui pour voir.
Il hoche la tête.
— OK, dit-il. Tu peux lui donner à manger. Je dois faire ma valise, de
toute façon.
Nous marchons côte à côte, main dans la main, et j’ai bien peur de tomber
beaucoup trop rapidement. J’ai juré que jamais, jamais, je ne tomberai, mais
ça ne ressemble pas à une chute libre. Ça ressemble à une ascension. Comme
si je prenais le vent et le laissais me porter.
— Tu me rattraperais vraiment si je tombais ? lui demandé-je lorsque
nous entrons dans l’ascenseur.
Il me tire contre lui et ses lèvres lévitent au-dessus des miennes.
— Je te rattraperais, ou je tomberais avec toi en essayant de te rattraper.
— Ne triche pas avec moi, OK ?
Je pose mon front sur son torse pour qu’il ne puisse pas voir la vérité dans
mes yeux. Je ne veux pas qu’il sache à quel point j’ai envie de ça. À quel
point j’ai envie de lui. À quel point j’ai envie de perfection.
— Je ne tricherai pas.
Il soulève ma tête et ses lèvres touchent les miennes. D’abord lentement
et timidement, puis il nous fait tourner et me plaque contre le mur en tenant
ma tête entre ses mains. Ses lèvres deviennent plus dures, et il glisse sa
langue dans ma bouche. Il a le goût et la chaleur du sirop de gaufre. Il recule,
le souffle court, et je le vois ajuster son paquet.
— Ça va ?
Je cligne des yeux en voyant son inconfort.
— Ça va.
Il sourit.
— Il va abandonner dans une seconde.
J’éclate de rire.
— J’espère bien que non.
Lorsque les portes s’ouvrent, je sors de l’ascenseur et il me suit, puis me
tire contre son torse, les bras autour de moi, la main sur mon ventre. Il me
serre fort et murmure dans mon oreille.
— Je crois que t’aime bien, Finny.
Je pose ma main sur la sienne.
— Moi aussi, murmuré-je.
Il dépose un rapide baiser sur ma joue et nous entrons dans l’appartement.
Il va me briser le cœur, et je vais le laisser faire, parce pour la première
fois de ma vie, j’ai l’impression que j’ai le droit d’être vulnérable, du moins
avec lui.
TAG

Q uatre jours de tournée en bus avec une femme qui me plaît vraiment, et
maintenant mon corps est trop douloureux pour ne serait-ce que la
draguer.
— Sam ! crié-je en direction de l’autre côté de la pelouse où ils sont en
train d’installer la scène.
— Où veux-tu que je mette ça ?
Je désigne l’enceinte que je porte.
— Dans ton cul, ça irait, me répond-il.
Il sourit, donc je suis certain qu’il plaisante.
Je pose l’enceinte et attends des instructions.
Il avance vers moi et me tape sur l’épaule.
— On peut laisser l’équipe des monteurs s’occuper du reste.
— Tu es sûr ? Je peux continuer, lui dis-je.
C’est un mensonge, mais quand même.
— Eh bien, pas moi. Je prévois de baiser ma femme tout à l’heure, et mon
dos m’en empêchera si on n’arrête pas très vite.
— Eh bien, c’est sûr, dis-je.
Je deviens tout rouge.
Il me dévisage, le regard attentif, puis il hoche la tête.
— Quoi ?
— Rien.
— Non, pas rien. Dis-le.
— Qu’est-ce qu’il y a entre Finny et toi ? demande-t-il.
Je hausse les épaules.
— Rien. Pourquoi ?
Je regarde partout sauf dans sa direction.
— Parce que, répond-il lentement, elle fait partie de ma famille, et je veux
être sûr que tu as de bonnes intentions.
— Et quelles seraient ces intentions ?
— Les bonnes. Pas seulement le genre je-veux-être-dans-sa-culotte.
— J’ai de bonnes intentions. Et aussi les intentions du genre je-veux-être-
dans-sa-culotte. Et aussi les intentions du genre je-veux-la-faire-tomber-
follement-amoureuse-de-moi.
Il écarquille les yeux.
— Merde. Tu es un sacré toutou à sa mémère.
— Tu as raison.
Il a raison. Je suis un toutou. Je l’ai regardé marcher près de moi cet
après-midi, et elle m’a fait un clin d’œil, et je me suis retenu pour ne pas lui
courir après et l’embrasser sur le champ devant tout le monde.
— Tu crois que j’ai une chance ?
Je m’assieds sur l’enceinte et il s’assied à côté de moi.
— Finny est un drôle d’oiseau, répond-il.
J’ouvre la bouche pour protester, mais il me fait signe de me taire.
— Accroche-toi, dit-il. Finny est une musicienne extrêmement
talentueuse. Elle est féroce avec les cordes de la guitare, mais elle a peur de
tout.
— Elle agit comme si elle n’avait peur de rien.
— Elle sait très bien cacher son jeu.
Il pointe son doigt vers moi.
— Mais du moment que tu as de bonnes intentions, je vous laisserai
tranquilles tous les deux.
Je hoche la tête.
— Tu n’as pas à t’inquiéter. Mes intentions sont honorables.
Enfin, j’aimerais bien me retrouver dans sa culotte aussi, mais c’est quand
même honorable.
— Vas-y juste doucement avec elle, dit-il.
Il pince les lèvres.
— Je retire ça, ajoute-t-il. N’y va pas doucement avec elle. Si tu
tergiverses, elle ne te dira jamais ce qu’elle ressent.
— Tu penses qu’elle ressent quoi ? lui demandé-je.
— Je pense qu’elle t’aime beaucoup.
Il pointe son doigt par-dessus mon épaule.
— Elle n’arrête pas de te regarder.
Toutes les filles et Emily sont sur la scène, et elles testent les micros et
l’équipement. Finny lève le pouce pour indiquer que son équipement est ok.
Elle me regarde et sourit, et j’en ai un instant le souffle coupé.
— Je ne m’inquiète plus de tes intentions, dit doucement Sam.
— Pourquoi ?
— Parce que quand elle t’a souri, tu as eu l’air d’être l’homme le plus
heureux du monde.
Il me sourit.
— Félicitations.
Marta apparaît avec une poussette double. Sammy, le bébé de deux mois
de Sam, est dans l’un des sièges et mon fils est dans l’autre. Elle s’arrête
devant nous.
— J’ai décidé de garder les deux garçons ce soir pour que vous puissiez
vous reposer, dit-elle.
Je hausse les sourcils.
— Quoi ?
Elle me sourit.
— C’est purement égoïste. J’aime bien le petit gars, et il m’aime bien, et
je pense que tu as besoin de faire un break.
— Je ne peux pas vous demander ça, objecté-je.
— Tu ne me le demandes pas. Je te le dis.
— Vous êtes sûre ?
Mon cœur s’emballe à l’idée d’une nuit de sommeil ininterrompue.
— Emilio et moi avons pris une chambre d’hôtel pour avoir assez de
place pour les berceaux.
Elle me fait un clin d’œil.
— Profitez d’une nuit sans bébés ni parents dans le bus.
Je rougis. Elle n’est sûrement pas en train de proposer…
— Mec, je crois qu’elle vient de te dire d’aller t’envoyer en l’air, me dit
Sam en penchant la tête vers moi.
— Non.
Il sourit.
— Elle l’a carrément fait.
Marta se tourne pour me faire face.
— Elle l’a carrément fait, dit-elle.
Elle me sourit à nouveau.
— Je suis peut-être vieille, mais je ne suis pas encore morte.
Je me penche et embrasse mon fils sur le front. Il tourne la tête comme
s’il voulait téter ma joue, et je le laisse me pousser du nez une minute. Mon
Dieu, je l’aime tant !
— Je te verrai demain, lui dis-je.
Je l’embrasse et presse mon visage contre sa peau tendre un peu plus
longtemps que je ne le devrais, je le sais.
— Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit, dis-je à Marta.
— Bien sûr.
Elle se hisse sur la pointe des pieds et m’embrasse rapidement sur la joue.
Puis elle dit à voix basse pour que je sois le seul à entendre :
— Finny a peur de dormir avec un homme.
Finny a couché avec de nombreux hommes, pensé-je.
— Dormir avec un homme est tellement plus intime que de s’envoyer en
l’air avec lui.
Elle me dévisage.
— Tu le sais ?
Puis elle s’éloigne et emmène mon fils avec elle.
— Mec, tu peux me donner vingt minutes avant de monter dans le bus ?
me demande Sam.
Sérieusement, il me demande de rester dehors pour pouvoir faire l’amour
à sa femme ? Je lui souris.
— Ça te prend vingt minutes ?
— Non, aujourd’hui ça devrait m’en prendre deux, mais je lui en
donnerai vingt, si tu peux rester dehors.
— OK.
Je regarde ma montre.
— Ça commence maintenant.
Sam s’avance vers Peck, lui murmure quelque chose à l’oreille, prend sa
main et la tire vers le bus. Elle rit et fait semblant de se débattre, mais il ne la
laisse pas faire. Finalement, il passe son bras autour d’elle et la guide vers le
bus tandis qu’elle continue à rire.
Finny est si belle sur la scène que je n’arrive pas à détourner mon regard
d’elle. J’avance lentement vers elle. Elle est avec Emily et Logan. Je ne
connais pas très bien Logan, mais je sais qu’il est sympa. Il s’est récemment
fait installer un implant cochléaire, mais il parlait déjà bien avant ça, d’après
ce que j’ai compris. Je me dirige vers Finny et pose ma main au milieu de son
dos. Elle se presse contre moi tout naturellement, et mon cœur s’emballe.
— Tu as quelque chose de prévu ce soir ? lui demandé-je. Je pose mes
lèvres sur sa tempe et les laisse là. Elle ferme les yeux une seconde.
— Non. Et toi ?
Elle me regarde timidement.
— Tu veux sortir dîner avec moi ?
Mon cœur bat à cent à l’heure pour une raison que lui seul connaît.
Elle tend les bras, prend mon visage entre ses mains et me regarde dans
les yeux.
— Tu n’es pas fatigué ?
— Pas assez pour ne pas te montrer à quel point j’ai envie de passer du
temps avec toi, admets-je. Jamais trop fatigué pour ça.
Je retire sa main de mon visage et presse mes lèvres sur sa paume. Les
poils de ses bras se hérissent.
— Et si on allait chercher une pizza et qu’on la ramenait dans le bus ?
Sa voix tremble.
— OK.
Je me penche près de son oreille.
— On est censé laisser vingt minutes à Sam et Peck de toute façon. J’ai
promis.
Elle grogne.
— Ça ne prendra pas vingt minutes à Sam.
Je recule ma tête pour pouvoir la regarder.
— Comment tu le sais ?
Elle hausse les épaules.
— Les filles parlent.
Elle rougit.
— Est-ce que tu leur as parlé de moi ?
— Je leur ai donné la taille exacte de ton pénis et leur ai dit qu’il penchait
légèrement vers la gauche.
Mon cœur s’arrête.
— C’est pas vrai.
Elle me pousse l’épaule.
— Je plaisante. La seule qui sait à propos de nous c’est Lark. Et c’est
parce qu’elle t’a surpris en train de sortir de ma chambre. Je ne lui ai rien dit.
Enfin, pas que ta bite m’a laissée courbaturée ni rien.
Je souris.
— Je t’ai donné des courbatures ?
— Et tu as laissé la marque de ta main sur mon cul.
— Elle avait disparu avant même que je parte cette nuit-là.
Elle me regarde dans les yeux.
— Elle sera présente pour toujours dans mon esprit.
Je me penche et l’embrasse rapidement.
— Dans le mien aussi.
— Alors, pizza ?
Je hoche la tête, et elle glisse sa main dans la mienne.
— Je crois qu’il y a un endroit à deux rues d’ici. On va marcher.
Elle tend la main, prend la casquette de baseball sur ma tête et la pose sur
la sienne.
— Je ne veux pas qu’on me reconnaisse, explique-t-elle.
Elle est si mignonne avec ma casquette de baseball que je crois que je ne
pourrai jamais la récupérer. Elle me sourit, alors j’attrape le bord de la
casquette et tiraille dessus. Elle se met à sourire de toutes ses dents.
— Je t’aime vraiment bien, lâché-je.
Elle sourit de plus belle.
— Moi aussi je t’aime bien.
— Tu me rendrais un service ?
— Ça dépend de ce que c’est, dit-elle d’un air sceptique.
— Ne me laisse pas tomber amoureux de toi si tu n’es pas capable de
m’aimer, OK ?
Elle inspire rapidement, et pendant un moment je panique. Mais ensuite
elle se met sur la pointe des pieds et m’embrasse, et je sais que c’est ce
qu’elle ressent aussi. Je le vois. L’étau qui serrait mon cœur se desserre un
peu.
— Pizza, murmure-t-elle contre mes lèvres.
— Oui, murmuré-je contre sa peau.
Soudain, quelqu’un me cogne l’arrière du genou et je trébuche.
— Qu’est-ce que…
Je me retourne et vois Logan qui me regarde fixement.
— Emily et moi prenons une chambre ce soir, dit-il. Sa mère et son père
sont en ville et ils ont Kit.
Je hoche la tête.
— OK. Merci de prévenir.
Il sourit.
— Amusez-vous bien.
J’essaye de ne pas trop sourire.
— Nous n’en sommes pas encore là.
— C’est pourquoi j’ai dit amusez-vous bien et non baisez bien.
Il me tape dans l’épaule et passe devant nous.
— Alors, il n’y a que toi et moi, et Sam et Peck dans le bus ce soir ?
demande Finny.
Il y a un second bus pour les autres.
— On dirait bien.
— Pourquoi vous ne prenez pas toutes une chambre d’hôtel ? lui
demandé-je.
Elle hausse les épaules.
— On aime bien le bus. À force de voyager, c’est un peu comme une
seconde maison.
Elle attend un peu.
— Alors on ne sera pas tout seuls ce soir, dit-elle.
— Non.
Je la regarde dans les yeux assez longtemps pour la faire rougir.
Elle me sourit timidement mais ne dit rien. Nous allons chercher des
pizzas et elle se bat avec moi pour que je la laisse payer.
— Tout le monde va les manger ! me dit-elle. Pas seulement nous. Je ne
te laisse pas payer pour nous tous. Le groupe a un budget pour ça.
— Alors laisse-moi au moins payer la mienne.
— Tu fais partie du groupe, andouille.
Je ris.
— Est-ce que tu viens de me traiter d’andouille ?
— Peut-être.
Puis elle commence à rire aussi. Je lui donne le temps de se calmer
pendant que je prends sa carte et paye les pizzas. Puis nous repartons vers le
bus.
— Je suis vraiment contente que tu sois là, dit-elle.
Elle pose sa main sur ma poche arrière.
— Continue comme ça et je vais arrêter d’être un gentleman.
Elle me pince le cul et je sursaute, manquant faire tomber les pizzas.
— Tu vas m’attirer tellement d’ennuis, lui dis-je.
Mais j’en suis heureux. Je ne me suis jamais senti aussi vivant. Pas
jusqu’à ce que je commence à passer du temps avec elle.
Nous retournons au bus et elle ouvre la porte. Nous montons rapidement
les marches parce que, honnêtement, j’ai envie de poser les pizzas pour
pouvoir l’attraper et la serrer contre moi.
Mais lorsque nous entrons dans le bus, elle hurle et se retourne
immédiatement vers moi.
— Oh, mon Dieu, Sam ! crie-t-elle. T’es sérieux ? Cache ce truc. Oh mon
Dieu. Oh mon Dieu. Oh mon Dieu, répète-t-elle pour elle-même, les mains
sur les yeux, tandis qu’elle enfouit son visage dans mon torse.
— Désolé, dit Sam. On pensait que vous ne reviendriez pas avant
quelques minutes.
Sam et Peck se dépêchent de se rhabiller. Je vois beaucoup trop de cul de
Sam lorsqu’il se tourne pour cacher Peck avec son corps.
— Tu as dit que tu avais besoin de vingt minutes. On t’en a donné trente,
lui dis-je.
Je regarde par la vitre du bus. Je regarde partout sauf vers eux, parce que
j’ai vu bien trop de Sam. De Peck on n’a pu voir que le derrière -et quel joli
derrière- mais Sam… Sam était enfoncé jusqu’aux boules.
— Eh bien, quand vous n’êtes pas revenus après vingt minutes, on a
décidé de le refaire. Faites-moi un procès pour être excité par le fait d’avoir
ma femme rien que pour moi.
Sam passe son T-shirt sur sa tête et remonte son pantalon qui était sur ses
chevilles.
— Désolé, dit Peck. Vous n’avez rien vu, n’est-ce pas ?
Son regard fait des allers-retours entre Finny et moi.
— Je n’ai rien vu, déclaré-je.
Elle n’a pas l’air de me croire.
— Je peux te parler une seconde ? lui demande Finny. Dehors ?
— Est-ce que ça va ? demandé-je à Finny.
— Je crois que je vais être traumatisée à vie, me murmure-t-elle.
Mais elle sourit.
Elle sort du bus avec Peck. Sam tend la main vers les pizzas.
— Mec, va te laver les mains, lui dis-je en écartant la boîte.
— Sérieux ?
Je lui lance un regard noir.
— Sérieux.
Il marmonne en allant au lavabo.
— Si j’ai envie de manger avec la chatte de ma femme sur mes mains, je
devrais pouvoir le faire.
— Tu peux quand c’est ta propre pizza, lâché-je.
Il ricane.
— Hé, ne dis pas à Peck que tu as vu quelque chose, OK ? Elle va péter
les plombs.
— Je ne dirai rien, lui assuré-je.
Mais je sais qu’il a vraiment de la chance.
FINNY

— O h mon Dieu, répété-je encore lorsque les portes du bus se referment


derrière nous.
Peck me fusille du regard.
— Finny, ce n’est pas comme si tu n’avais jamais vu de pénis.
— Je n’ai jamais vu de gros pénis en érection partiellement enfoncé dans
ton vagin, répliqué-je.
Elle rit.
— Ne dis pas à Sam que tu as vu sa bite, OK ? Il va complexer.
— Cet homme n’a pas à avoir honte, Peck. Comment tu fais pour faire
rentrer tout ça là-dedans ?
Elle rit tellement qu’elle grogne.
— Eh bien, c’est difficile, mais on s’arrange pour que ça marche.
J’éclate de rire. Je ris tellement qu’il me faut une minute pour me calmer.
— Eh bien, pour ta gouverne, je ne pourrai jamais effacer cette vision.
Elle hausse les épaules.
— Sa queue est un truc magique. J’en ai pas honte.
Elle me regarde attentivement.
— Alors, qu’est-ce que tu voulais ?
Je joue avec un fil qui pend de ma manche en essayant de rassembler mes
pensées.
— Je crois que je n’ai pas envie de coucher avec lui.
Elle hausse les épaules.
— Alors ne le fais pas.
— Tu penses que ça ne le dérangera pas ?
Je mordille ma lèvre inférieure.
— On s’en fiche que ça le dérange ou pas, Finny, me dit-elle doucement.
Tu as peur qu’il veuille juste s’envoyer en l’air ?
Je prends une profonde inspiration.
— Non, j’ai peur qu’il ne veuille pas que ça. Je saurais quoi faire s’il
voulait juste s’envoyer en l’air.
— Oh, soupire-t-elle. Alors c’est ça. Tu l’aimes vraiment bien.
— Ouais, murmuré-je.
— Qu’est-ce que tu préfères chez lui ?
— Il est au courant pour ma mère cinglée et ça ne semble pas le déranger.
Il sait aussi pour tous mes coups d’un soir. Et il m’aime toujours bien. Enfin,
je crois qu’il m’aime bien. Tu crois qu’il m’aime bien ?
— Je crois qu’il t’aime beaucoup, dit-elle doucement. Oh Finny…
Elle commence à cligner des yeux frénétiquement.
— Tu pleures ? Sérieux ?
— J’y peux rien. Tu es en train de tomber amoureuse.
Je me dépêche de démentir.
— Non, ce n’est pas vrai.
Elle me regarde, incrédule.
— Ce n’est vraiment pas vrai, dis-je précipitamment.
— Finny, tu agis comme une vraie fille, dit-elle doucement.
— C’est ce que font les filles ?
Je me ronge un ongle en attendant sa réponse.
— C’est ce que font les gens, idiote. Ils doutent de leurs relations quand
elles sont réelles. Tu as une vraie relation pour la première fois de ta vie.
Elle renifle.
— Je suis si heureuse pour toi.
— Alors, tu crois que Sam pourra garder sa bite dans son pantalon à partir
de maintenant ? lui demandé-je pour essayer d’apaiser la tension ambiante.
Elle hausse les épaules.
— Peut-être. Je lui transmettrai ta requête.
— Mais alors, quelle est la taille de ton vagin ?
— Assez grand, dit-elle avec un soupir exagéré.
— C’est bien ce qu’il me semblait.
Elle rit.
— Va te faire foutre, Finny.
— Je te retournerais bien le compliment, mais Sam l’a déjà fait. J’étais
aux premières loges.
Elle glousse et fait demi-tour pour retourner dans le bus. Elle attrape un
morceau de pizza et s’installe dans le siège à côté de Sam. Je me dirige vers
Tag et fais la même chose. Je pose ma main sur sa cuisse et la serre. Sa main
libre recouvre immédiatement la mienne et il la serre fort. Je le regarde et le
vois en train de me sourire.
— Alors, Sam, dit Tag en se raclant la gorge.
Sam lève la tête.
— Quoi ?
— À quel point ce piercing a-t-il été douloureux ?
Il le dit sur un ton sérieux.
Mais je n’arrive pas à retenir mon rire. Je ris si fort que je m’étouffe avec
un morceau de saucisse et Tag dois me taper dans le dos.
— Mec, je pourrais te faire un piercing, répond Sam. Je suis perforateur
certifié à la boutique de tatouage.
— Je ne te laisserai pas faire de trou dans ma queue.
Je couvre ma bouche pour m’empêcher d’éclater de rire.
— Et moi, tu me laisserais le faire ? lui demandé-je.
Je ne sais même pas d’où c’est sorti. Oh, merde.
Il me regarde dans les yeux.
— Je te laisserais faire tout ce que tu veux, Finny, dit-il.
Il repousse une mèche de cheveux qui me tombe sur les yeux.
— Je suis certain que tu ne me ferais jamais de mal volontairement.
— C’est vrai, réponds-je.
Sam fait semblant d’avoir un haut-le-cœur de l’autre côté de la table et
Peck lui donne un coup de coude dans les côtes.
— Quoi ?
— Arrête de les embêter, gronde-t-elle. Je trouve ça mignon.
Peck aide Sam à se lever et dit :
— Je vais nourrir Sammy une dernière fois avant qu’on aille se coucher.
Sam s’essuie la bouche.
— Je viens avec toi.
— Est-ce que je devrais aller nourrir Benji ? demande Tag.
Sam désigne les seins de Peck.
— Mec, c’est elle qui a les biberons.
— Oh, répond Tag en rougissant. J’avais oublié ça.
— Marta va s’occuper de Benji, lui assure Peck. Je prendrai de ses
nouvelles pendant qu’on est là-bas si tu veux.
Tag hoche la tête.
— Ce serait super. Merci.
Ils s’en vont, et Tag pose la paume de sa main sur ma nuque et me tire
vers lui pour m’embrasser.
— Alors, combien de temps tu penses qu’ils vont être partis ?
— Pas longtemps. Sammy mange vite.
J’ouvre la bouche quand il taquine mes lèvres avec sa langue et je soupire
dans sa bouche. Il me coupe le souffle en l’affaire de quelques secondes.
— Je ferais mieux d’aller me coucher, dis-je, mais mon cœur bat à cent à
l’heure.
Il regarde les minuscules lits superposés à l’arrière du bus. Ils ne sont pas
plus grands que des cercueils.
— Tu veux être en haut ou en bas ? demandé-je.
— Hé, Finny, c’est une proposition ?
Il pose une main sur son torse et fait semblant d’être choqué.
Je secoue la tête et souris.
— Non, je voulais juste savoir dans quel lit je devais monter.
— Le mien, répond-il rapidement.
Ma tête bourdonne.
— Je ne crois pas.
— Bien. Alors, tu en choisis un, et je monterai dedans avec toi.
Il commence à nettoyer les restes de pizza pendant que je vais me
démaquiller, me brosser les dents et les cheveux.
Je monte dans le lit du bas et tire le rideau derrière moi.
— Bonne nuit, Tag, déclaré-je.
Le rideau bouge et sa tête apparaît.
— Je peux entrer ? demande-t-il.
Il attend dans l’entrebaillement du rideau que je prenne une décision.
— Je n’ai jamais…
— Je sais, dit-il doucement. Je comprends.
Il me regarde un peu trop longtemps et je dois détourner le regard. Il y a
tant d’envie dans ses yeux que je ne sais pas quoi en faire.
— Je peux entrer ?
Je hoche la tête et il recule. J’entends son jean se froisser quand il le
retire, puis il va se brosser les dents. Il revient vers le lit et monte à côté de
moi. Il y a à peine assez de place pour une personne, encore moins pour deux.
Il se cogne la tête au plafond.
— Aïe, crie-t-il.
Je me mets sur le côté pour essayer de lui faire plus de place, mais il est
imposant.
— Je crois que tu ne vas pas rentrer, lui dis-je en gloussant
frénétiquement.
— Je vais rentrer. Je te le promets.
Il gigote jusqu’à être à plat sur le dos, puis il lève un bras et me tire de
son côté. Il montre l’endroit où son épaule rejoint son bras.
— Ta tête, elle va là.
Je me souviens quand on s’est envoyés en l’air et que je lui ai dit où allait
sa queue.
— OK, dis-je avant de m’installer, en tâtonnant jusqu’à trouver l’endroit
parfait où poser mon visage.
— J’ai peur, murmuré-je. Je n’ai jamais fait ça avant.
Mon cœur cogne fort et ma peau est moite.
Il m’embrasse sur le front et ses lèvres s’attardent un peu trop.
— Je ne vais pas te faire de mal, Finny, murmure-t-il.
Il attrape ma jambe et la tire sur son genou, et je sens le bout de sa queue.
Il bande.
— Est-ce que tu voulais… commencé-je à demander.
Mais il me fait signe de me taire.
— Je suis en train de faire exactement ce dont j’ai envie.
Il me serre jusqu’à ce que j’arrête de frissonner et que le rythme
frénétique de mon cœur ralentisse. Je me fonds en lui et ferme les yeux.
— Je n’ai jamais fait ça avant. Il se pourrait que je ne sois pas très douée
pour ça, murmuré-je dans la pénombre.
— Tu n’es pas mauvaise du tout.
Après quelques minutes, je commence à bailler.
— Hé Tag, murmuré-je.
— Hé, Finny, murmure-t-il à son tour.
— Tu es vraiment doué pour ça, lui dis-je.
— C’est toi, Finny, dit-il. Entièrement toi.
TAG

J emouvement.
me lève au petit matin avec la sensation que le bus est en
C’est un balancement léger, mais j’ouvre quand même les
yeux et regarde à travers la minuscule vitre. Le soleil pointe à peine à
l’horizon. Finny glousse dans mes bras et je la regarde.
— Pire que des lapins, murmure-t-elle en s’approchant pour pouvoir me
parler discrètement à l’oreille.
— Qu’est-ce qui est pire que des lapins ?
Je me passe une main sur le visage et tente de me réveiller.
— Sam et Peck.
— Oh. C’est eux ?
— Ils baisent. Encore.
Elle roule les yeux et presse ses lèvres contre mon menton.
— Bonjour.
Elle frotte sa tête contre mon cou.
Je bande, et des gens à quelques centimètres de moi sont en train de le
faire comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis un an. Peck commence à faire
de petits bruits qui me donnent envie de mettre mes doigts dans mes oreilles
et de chanter lalalalalalalalala.
Finny se redresse et chevauche mes hanches, sa peau contre la mienne.
— Tu veux te changer les idées ?
Je prends son visage entre mes mains et la regarde dans les yeux.
— Qu’est-ce que tu as à l’esprit ?
Elle m’embrasse doucement. Elle a le goût du matin et de la somptuosité,
tout ça empaqueté dans un corps minuscule.
— Ça va marcher, murmuré-je lorsqu’elle relève enfin la tête. Mon
cerveau est tout retourné et je réalise que ce baiser m’a ennivré.
Peck émet des sons de plus en plus forts et ils finissent par atteindre leur
point culminant. Je ferme les yeux pour essayer de faire abstraction du bruit.
Mais Finny crie comme si elle regardait un match de foot et se relève
légèrement dans le minuscule espace pour pouvoir taper dans ses mains.
— Super ! dit-elle. Bien joué, Sam !
Finny ouvre un peu le rideau de notre côté et Sam ouvre le sien de son
côté, et ils se tapent dans la main. Peck sort la tête honteusement.
— Désolée, dit-elle, les joues toutes roses. On ne savait pas que vous
étiez réveillés.
— Eh bien, c’est difficile de dormir avec tout ce boucan, répond Finny.
Et le balancement.
— Le bus bougeait ? demande Peck à Sam.
— Oh que oui, le bus bougeait, répond-il en ricanant.
Puis il referme le rideau.
— Comment tu crois qu’ils ont réussi à faire ça dans un espace aussi
petit ? murmuré-je dans l’oreille de Finny.
Elle bouge légèrement ses hanches et dit :
— Je pense qu’on pourrait le faire.
Elle glousse lorsque j’attrape ses hanches pour l’immobiliser. Si elle
continue sur le sujet, je vais nous faire quelque chose qui va nous gêner tous
les deux.
Elle passe la main entre nous et empoigne ma queue. J’expire lourdement.
— Chut, murmure-t-elle.
— Ne fais pas ça, Finny.
J’attrape sa main et tente de l’arrêter. Elle retire sa main et frotte sa
chaleur contre ma queue.
— Ne fais pas ça non plus, dis-je.
Je roule pour la faire tomber dans le petit espace à côté de moi et nous
nous retrouvons face à face. Je glisse mes doigts sous son T-shirt pour
attraper sa hanche nue. Elle m’embrasse et ça m’envoie une flèche
directement dans les orteils. Mon cœur commence à s’emballer.
Je lève la tête et grogne.
— Je devrais me lever.
Elle tend la main et la glisse dans mon boxer, enroulant fermement son
poing autour de moi.
— Certaines parties de ton corps sont déjà levées, dit-elle espièglement.
— Finny, me plains-je doucement.
Je ne veux pas que Peck et Sam m’entendent supplier.
— J’ai tellement envie de jouir, murmure-t-elle dans mon oreille.
Je me fige.
— Vraiment ?
Elle hoche la tête.
— Eh ben merde, dis-je. Laisse-moi t’aider.
— Non… répond-elle lentement en me regardant dans les yeux. Nous ne
sommes pas prêts.
Je glisse ma main le long de ses côtes, soulevant légèrement son T-shirt.
— Ça va, ça ?
Elle remonte son T-shirt au-dessus de ses seins pour répondre à ma
question.
— Si belle.
Je gémis et enfouis ma tête contre sa peau douce, déposant des baisers ici
et là. Puis elle saisit son sein et tire ma tête contre son téton rebondi.
Elle pousse un petit soupir lorsque je commence à le lècher. Je le suce un
peu, et le son de sa respiration manque me faire jouir dans mon boxer. Je
mordille, embrasse et suce jusqu’à ce qu’elle se tortille dans mes bras. Ses
tétons sont devenus extra-durs sous mes baisers et ils pointent contre mon
torse lorsque je la tire contre moi.
— Je peux te toucher ? demandé-je.
Ma main survole l’élastique de son pantalon et se pose à plat contre son
ventre, les doigts pointés vers sa fente.
— S’il te plait, dit-elle.
Je glisse mes doigts dans sa culotte et farfouille dans ses lèvres du bas
pour trouver sa douceur humide, chaude et glissante. Elle m’embrasse
pendant que je cherche son clitoris, et elle mordille délicatement ma lèvre
inférieure, puis arrête de bouger lorsque je trouve le bon endroit.
— Juste là ? murmuré-je.
Elle hoche la tête.
Je décris de petits cercles, guidé par les mouvements de ses hanches.
Puis je la sens tirer sur l’élastique de mon boxer. Je me fige une seconde,
attendant de voir ce qu’elle va faire. Elle tient l’élastique d’une main et
crache dans l’autre, puis elle enroule ses doigts fins autour de ma queue.
J’ouvre grand la bouche et j’essaye de ne pas faire de bruit. Elle m’incite
à recommencer à bouger mes doigts contre son clito lorsqu’elle bouge les
hanches. Elle m’embrasse, étouffant mon souffle rauque. Quelques secondes
plus tard, je suis prêt à jouir, mais je me retiens. Sa respiration est rapide
contre mes lèvres, et elle fait un petit bruit. Il s’amplifie légèrement, mais je
suis quasiment certain que seuls elle et moi pouvons l’entendre. C’est le son
le plus doux que j’aie jamais entendu. Soudain, elle attrape mon visage avec
la main qui n’est pas autour de ma queue et me regarde dans les yeux.
Puis elle jouit dans mes bras. Je gicle dans son tout petit poing, et elle
l’étale sur le bout de ma queue et continue à me branler tandis qu’elle tremble
et frissonne dans mes bras. Je la caresse, de plus en plus doucement à mesure
son corps se détend.
— Waouh, lâche-t-elle lorsque nous nous immobilisons tous les deux.
— Ouais.
J’enfouis ma tête dans son épaule et embrasse sa clavicule, et je remonte
le long de son cou jusqu’à son visage.
— Waouh, répété-je comme un idiot.
Soudain, nous entendons des applaudissements provenant de l’autre lit.
— Super ! dit Sam.
Il siffle deux ou trois fois, et je sens Finny enfouir son visage dans mon
torse. Je lui caresse les cheveux et lui demande si ça va.
Sa tête remue contre moi et je réalise qu’elle rit.
— Au moins on n’a pas fait bouger le bus ! crie-t-elle.
— Tout le monde ne peut pas être aussi génial que moi, crâne Sam.
— Je ne sais pas, me murmure Finny. C’était vraiment incroyable.
Elle arrange sa culotte et roule sur moi pour sortir du lit. Elle revient les
mains humides parce qu’elle vient de les laver et me passe un gant de toilette
humide et chaud. Je me nettoie rapidement et elle le jette dans un panier.
Elle remonte dans le lit avec moi et pose sa tête sur mon torse.
— On peut retourner dormir ? demande-t-elle.
Je hoche la tête et la serre contre moi.
— Tu n’avais pas besoin de faire ça, lui dis-je.
— Je sais.
Elle embrasse la barbe naissante sur mon menton.
— C’est pour ça que c’était si merveilleux.
Elle se blottit contre moi. Nos cœurs battent à l’unisson. J’ai enfin la clé
de cette porte étiquetée « Bonheur », et elle est là, grande ouverte devant moi.
FINNY

T ag est toujours en dessous de moi, et il ronfle légèrement. Je me


dégage doucement en essayant de ne pas le réveiller. Il bouge, et je
me fige jusqu’à ce qu’il s’immobilise à nouveau. J’ouvre le rideau et me
glisse hors du minuscule espace. Je fais une rapide toilette et enfile des
vêtements à peu près présentables.
Je laisse un mot pour Tag, pour qu’il ne soit pas surpris en se levant et en
voyant que je suis partie. Je lui dis où je serai et j’espère qu’il viendra m’y
retrouver.
Puis je sors du bus et me dirige vers l’hôtel du coin. Je sais dans quelle
chambre sont Marta et Emilio, et je frappe doucement à leur porte. Marta
m’ouvre et je la vois en train de bercer doucement le bébé de Peck sur son
épaule.
— Celui-ci veut sa maman, hein ? lui demandé-je.
— J’essaye de le retenir parce que je sais qu’elle va vouloir le nourrir.
Sammy suce ses petits poings. Je tends les bras pour le prendre. Il vient à
moi et je mets une tétine dans sa bouche, mais il n’en veut pas. Il devient de
plus en plus agité.
J’envoie rapidement un message à Peck et lui dit que si elle ne vient pas
rapidement nourrir son bébé, je vais lui donner un biberon.
J’ARRIVE TOUT DE SUITE, répond-elle.
— Elle arrive, dis-je à Marta.
Je balaye la pièce des yeux et vois Benji endormi dans son berceau.
— Est-ce que tu as réussi à dormir cette nuit ?
Elle baille.
— Pas beaucoup. La plupart du temps il y en avait un des deux de
réveillé.
Elle sourit quand même.
— Comment s’est passée ta nuit ?
— Bien, réponds-je mystérieusement.
— Ah oui ? demande-t-elle.
Elle arbore un large sourire.
— Bien à quel point ?
— On n’a rien fait du tout, murmuré-je en rougissant.
— Je pense que tu mens, mija, dit-elle. Je crois que vous avez tout fait.
Je rougis.
— Ouais, en quelque sorte…
Je ferme les yeux.
— Et c’était merveilleux.
Elle se contente de me sourire.
— Où est Melio ? demandé-je.
Elle montre la chambre.
— Il dort. Il m’a aidé à m’occuper des petits hier soir.
Je souris.
— Vraiment ?
— Il a décidé qu’il voulait qu’on l’appelle Melio au lieu de grand-père.
Je hausse les épaules.
— Pourquoi pas.
Elle hausse les épaules, elle aussi.
— Je crois que ça ne dérangera personne. Vous ne l’avez jamais appelé
papa. Ça a toujours été Melio.
— Ouais, mais il sait qu’il est papa dans nos cœurs.
— Oui.
Elle sourit.
Benji commence à remuer, alors je vais le prendre et change sa couche.
J’ai deux mains gauches, car je ne l’ai pas fait souvent, mais Marta m’aide.
Elle réchauffe un biberon, et je m’assieds et commence à lui donner à
manger.
— Je pense que je vais aller à l’église, lâché-je soudain.
Elle sourit.
— Tu n’es pas en train de dire…
— À quoi tu penses ?
— Je pense que l’église est importante pour Tag, même s’il ne veut pas
en parler maintenant, alors c’est probablement une bonne idée.
— J’en ai vu une au coin de la rue, et comme on est dimanche…
Elle hoche la tête.
— OK. Laisse-moi me changer et je t’accompagne.
Mon cœur se serre à l’idée qu’elle vienne avec moi.
— Elle est non confessionnelle, ajouté-je. Tu crois que c’est important ?
Elle me tapote la tête et passe devant moi.
— Je crois que ce qui est important, c’est ce qui est dans ton cœur, mija.
Des larmes piquent l’arrière de mes paupières et je ne sais même pas
pourquoi.
Marta revient au moment-même où Benji rote bruyamment dans mon
oreille.
— Tu es prête ? demande-t-elle.
— Tu es sûre que tu veux venir ?
— Certaine, répond-elle.
Eh bien, moi, je ne suis pas totalement certaine, mais je pense que c’est ce
dont Tag a besoin. Et je vais essayer de le lui donner.
J’attrape le sac de Benji au moment où Peck arrive pour nourrir Sammy.
Elle le prend et s’assied. Nous lui disons où nous allons et elle me dévisage
longuement. Puis elle hoche la tête.
— Je vous rejoindrai dès que j’aurai fini de lui donner à manger.
J’ai soudain l’impression que je vais pleurer.
Marta et moi marchons ensemble dans la rue, et je me sens solennelle et
résolue lorsque nous passons les portes de l’église. Nous nous installons sur
un banc et je laisse l’ambiance de l’église s’insinuer en moi.
J’espère que Tag se réveillera à temps pour nous rejoindre, mais ce n’est
pas grave s’il ne le fait pas, parce que j’ai son fils dans les bras et que nous
sommes dans le seul endroit où il a besoin que nous soyons.
TAG

Q uelqu’un secoue mon orteil et je retire mon pied, mais mon genou cogne
le haut du lit superposé et je grogne.
— Mec, réveille-toi, dit Sam. On a besoin de toi quelque part.
— Quoi ?
Je lève la tête.
— Où est Finny ?
Je regarde tout autour en tentant de retrouver mes esprits.
— Lève-toi, mec, répète-t-il.
Il regarde son téléphone et envoie un message.
— On doit y aller.
— Aller où ?
Il me sourit d’un air niais.
— Tu verras.
Je me lève et m’habille, et nous sortons du bus ensemble.
— Par ici, dit Sam en désignant le bout de la rue.
— Où allons-nous ? demandé-je.
Il me sourit.
— Tu verras.
Il se trame quelque chose, mais je n’ai aucune idée de ce que ça peut être.
— Alors, c’est quoi ton truc avec la religion ? me demande-t-il.
Je hausse les épaules et rougit.
— Il n’y a aucun truc. C’est juste… Peu importe.
— Non, raconte-moi.
Emilio nous rejoint dans la rue, et dit :
— Raconte moi aussi. Je suis curieux.
Je fourre mes mains dans mes poches.
— Quand je n’avais rien du tout, et que j’avais l’impression d’être au
fond du gouffre, ma foi m’a maintenu en vie. Lorsque tout nous est enlevé, la
foi est tout ce qu’il nous reste.
Emilio hoche la tête et me tape sur l’épaule.
— Pas faux, dit-il.
Nous montons les marches d’une toute petite église à quelques rues de la
salle de concert, et j’entends des orgues à l’intérieur. Mon cœur se remplit
d’amour, parce que la religion est la seule chose qui m’a maintenu en vie
pendant longtemps. Je suis quand même toujours perplexe sur le but de notre
visite à l’église. Jusqu’à ce que nous entrions et que je voie Finny assise sur
un banc avec mon fils dans les bras à côté de Marta.
Elle me sourit et j’ai l’impression que mon cœur s’ouvre en grand.
— Qu’est-ce que vous faites ? lui murmuré-je en me glissant près d’elle.
— Nous allons à l’église, murmure-t-elle à son tour.
J’embrasse le front de Benji et il agite les pieds. Emilio va s’asseoir de
l’autre côté de Marta, et Sam s’installe sur le banc derrière nous. Quelques
minutes plus tard, Peck et leur bébé le rejoignent, et bientôt tous les autres
arrivent aussi. Star et Josh, et Logan et Emily arrivent avec leur petite fille.
Emily pose une main sur son ventre de femme enceinte et Logan la regarde,
et ils n’ont pas l’air mécontents d’être là. Lark et Wren arrivent, et Wren
vient m’embrasser sur la joue. Puis Star me donne un petit coup sur le côté de
la tête et je sais que tout va bien. Ça va aller.
— Pourquoi tout le monde est là ? murmuré-je à Finny.
Elle prend mon visage entre ses mains et me répond :
— C’est ce que font les familles, Tag.
Mon cœur s’ouvre comme une coquille de noix et je dois m’essuyer les
yeux.
— Mais personne n’est religieux ici, si ?
Elle me sourit.
— Est-ce que c’est important ?
— J’imagine que non, réponds-je, plus pour moi que pour elle.
Pendant l’heure qui suit, nous écoutons un sermon sur l’importance d’être
gentil, et je regarde Sam et Logan pencher la tête durant la prière, l’air
respectueux et sérieux. Je suis surpris par tout ça, mais ça me semble sincère.
Le prêtre demande qui veut venir à l’autel, et je frotte mes mains moites
sur mes cuisses.
— Tu devrais y aller, murmure Finny.
— Tu veux venir avec moi ? lui demandé-je.
Elle hoche la tête. Je lui prends Benji et nous allons main dans la main
avec mon fils jusqu’à l’autel. Je m’agenouille, et Finny s’agenouille à côté de
moi et prend ma main. Le prêtre prononce quelques mots et je regarde Finny.
— Je vais demander à ton père si je peux te faire ma demande en
mariage, lui dis-je.
Elle cligne des yeux, mais hoche la tête.
— OK, murmure-t-elle avant de serrer ma main. Il risque de dire non.
Il serait idiot de ne pas le faire, songé-je.
Je ricane.
Nous écoutons le prêtre prier au-dessus de nous, et une sensation de paix
m’envahit. J’ai un peu perdu la foi quand Julia m’a quitté et a voulu donner
notre bébé. Mais je l’ai retrouvée. Et tout ça grâce à Finny.
— Je dirai oui, murmure-t-elle en me regardant du coin de l’œil et en
penchant légèrement la tête.
Mon cœur s’emballe.
FINNY

N ous sortons de l’église et je vois Jason et quelques autres membres de


la sécurité sur les marches. Il a le bras plâtré mais il a l’air d’aller bien
et d’être en forme.
Je me jette sur lui.
— Quand es-tu arrivé ici ?
— Je viens d’arriver. Je ne pouvais pas te laisser aller à l’église sans moi,
n’est-ce pas ?
— Je suis contente que tu reprennes le travail.
Et je le suis vraiment. Il est comme de la famille.
Il prend ma main et me pose une liasse de billets dans la paume, puis
ferme mon poing.
— Je ne t’ai jamais donné l’argent que tu as gagné au bar cette nuit-là.
Pour les sans-abris.
J’avais complètement oublié ça. Je vois la boîte à dons sur le mur de la
petite église, et je glisse l’argent dedans.
Emilio me fait un clin d’œil et hoche la tête en signe d’approbation.
— C’était un beau service, déclare Marta.
Je hoche la tête. J’ai encore la gorge serrée quand je pense qu’ils sont tous
venus à l’église pour Tag. Ma famille est formidable. Et un jour j’espère qu’il
en deviendra une part encore plus importante.
Star montre du doigt quelque chose à l’horizon.
— Regardez, il y a une fête foraine ! crie-t-elle.
Elle secoue l’épaule de Josh.
— On peut y aller ?
Je vois un grand huit au loin, et une grande roue, et mon cœur s’arrête.
— Partez devant, dit Tag.
Sa main serre la mienne.
— On va retourner au bus.
— Viens avec nous, Finny, dit Star.
Ses yeux font des allers-retours entre Tag et moi.
— On peut y aller, réponds-je doucement.
Je me hisse sur la pointe des pieds et tire la tête de Tag vers la mienne.
— Je peux le supporter.
— Tu n’as pas à supporter quoi que ce soit, me dit-il. On peut simplement
rentrer au bus.
— Je prendrai les bébés si vous voulez tous y aller, propose Marta.
Je secoue la tête.
— On va le prendre avec nous.
Je serre Benji contre moi.
— Vous pouvez venir aussi.
J’espère qu’ils vont venir.
Personne à part Tag n’est au courant de l’incident de la foire avec ma
mère.
Il me regarde avec insistance.
— Tu es sûre ?
Je hoche la tête.
— Sûre et certaine. Ça va aller.
Nous marchons main dans la main vers la fête foraine, et Emilio paye les
entrées pour tout le monde. Nous achetons des barbes à papa et traversons le
Palais du Rire en prenant le temps de nous regarder dans les grands miroirs,
épatés par la façon dont nos corps sont déformés. Nous regardons les
animaux et rions quand Sam marche dans une bouse de vache. Nous faisons
quelques tours de manège, puis nous nous dirigeons vers la grande roue.
— On va passer notre tour cette fois, déclare Tag. Passez devant.
Je plante mes pieds dans le sol.
— Je vais monter dans celui-là, dis-je.
Je vais le faire. Je ne vais pas rester bloquée sur un horrible souvenir pour
le restant de mes jours.
— Je peux le faire.
Tag me regarde droit dans les yeux.
— Tu n’es pas obligée.
— Si, réponds-je fermement.
Tag nous passe des billets, et nous montons dans la petite nacelle.
Je monte et Tag tend les bras pour me prendre Benji.
— J’ai envie de le tenir, dit-il.
Il n’essaye pas de me le prendre, mais il a l’air inquiet.
— Je vais le garder en sécurité, me dépêché-je de dire. Je promets de ne
rien laisser lui arriver.
La réalisation de cette vérité s’installe profondément en moi. Je ressens
un besoin viscéral de le protéger. Je ne sais pas d’où c’est arrivé ni comment
ça a commencé, mais je mourrais pour protéger cet enfant qui n’est même pas
de moi. Mes entrailles arrêtent soudain de s’agiter.
La nacelle oscille et nous montons légèrement avant de nous arrêter
lorsque Marta et Emilio montent dans la suivante. Notre famille prend la
quasi-totalité du manège, parce que nous sommes si nombreux. Puis nous
commençons à bouger. Je serre Benji fort contre moi et je ne réalise même
pas que je pleure avant de sentir son petit T-shirt devenir humide.
— Ça va ? demande Tag.
Je hoche la tête. Le vent me pousse les cheveux dans le visage tandis que
nous tournons et tournons encore, et une sensation de paix m’envahit.
— Je crois que je comprends maintenant, Tag, déclaré-je.
— Qu’est-ce que tu comprends ?
Il repousse les cheveux de mon visage.
— Voilà ce que ça fait de tomber, réponds-je.
Il essuie mes joues humides.
— Je crois que je t’aime, Finny, dit-il doucement.
— Voilà ce que ça fait de tomber, répété-je.
Je me cale contre le siège et je sais que je ne laisserai jamais rien arriver à
Benji. Je ne le tourmenterai jamais et ne le blesserai jamais, et je sais que je
pourrai être une bonne mère pour lui.
— Je veux t’épouser, déclaré-je. Genre, très bientôt.
Il sourit et regarde par-dessus le garde-fou de la nacelle. Je regarde aussi.
— Emilio, crie-t-il.
Emilio lève la tête.
— J’ai votre permission pour demander Finny en mariage ?
Emilio regarde Marta et elle se contente de lui sourire et de hocher la tête.
Il met les mains en cornet autour de sa bouche et crie :
— Si tu le lui demandes et qu’elle ne te donne pas de coup de pied dans
les roustons, alors tu peux prendre ça pour un oui !
Il me sourit.
Je me cale de nouveau dans le siège et regarde Tag. Ses yeux sont
brillants de larmes.
— Alors, est-ce que tu vas me donner un coup de pied dans les roustons
si je te demande de m’épouser ? dit-il.
Je lui souris.
— Essaye et tu verras.
— Veux-tu m’épouser, Finny ?
Il regarde Benji.
— Enfin, nous épouser.
Il sourit.
— Nous sommes une sorte de lot.
— Je ne te prendrais pas autrement, réponds-je.
— Alors c’est un oui ?
J’ai l’impression que mon cœur va exploser dans ma poitrine. Je hoche la
tête.
— C’est un oui.
— Comment vont tes roustons, petit ? crie Emilio depuis la nacelle d’en
dessous.
— Elle a dit oui ! répond Tag.
Des applaudissements retentissent tout autour de nous.
Lorsque nous descendons du manège, Emilio et Marta prennent les bébés
et retournent à l’hôtel. Nous passons quelques heures à déambuler dans la
fête foraine, suivis par l’équipe de sécurité. De nombreux curieux nous
suivent avec des appareils photo et je sais que Tag va avoir besoin d’un
moment pour s’habituer à cette vie. Nous sommes observés en permanence,
et même les plus petites choses sont sorties de leur contexte.
Je tire sur le bras de Tag.
— On peut retourner dans la grande roue ?
Il repousse les cheveux de mon visage.
— Je te donnerai tout ce que tu veux, me dit-il.
Je soupire.
— Je suis quasiment certaine d’être amoureuse de toi.
Nous nous embrassons, et quelqu’un nous appelle et prend une photo.
— Aucune intimité, grommelle Tag. Est-ce que c’est toujours comme
ça ?
Je hoche la tête et grimace.
— Oui. Tu veux retourner au bus ?
Je gémis en silence en songeant au bus exigu.
— Ou alors on pourrait prendre une chambre d’hôtel, réponds Tag. Tu
pourrais me laisser te serrer fort toute la nuit.
— Est-ce qu’un pénis et un vagin seront impliqués ?
Il sourit.
— Ça dépendra entièrement de toi.
Je pose mon front contre son torse et respire profondément.
— J’ai envie d’une chambre, dis-je, mais je n’ai jamais été aussi
nerveuse.
Je me suis envoyée en l’air avec de nombreux hommes et jamais, pas une
seule fois, je n’ai eu si peur.

Mes mains tremblent tandis que je déverrouille la porte de la chambre d’hôtel


avec la carte clé. Tag me suit à l’intérieur. Marta nous a pris Benji et n’a rien
voulu savoir quand Tag a protesté. J’ai glissé ma main dans la sienne et lui ai
dit que Benji pouvait rester avec eux une nuit de plus. Tag a respiré
profondément et l’a laissé partir.
Sa main se pose sur le bas de mon dos quand j’entre dans la chambre. Il
s’arrête et la balaye du regard.
— Jolie chambre, dit-il.
— Oui, elle est jolie, acquiescé-je.
J’agite le pouce en direction de la salle de bain.
— Je vais aller prendre une douche. Est-ce que ça va aller ?
Il hoche la tête et sourit.
— Tu as besoin d’aide ?
Ses yeux sombres se dilatent et deviennent encore plus foncés.
Je cache mon visage en me retournant.
— Je crois que je peux m’en sortir.
Je commence à fermer la porte de la salle de bain et il m’appelle.
— Finny…
Je tourne la tête.
— Oui ?
— Pourquoi tu m’as amené à l’église aujourd’hui ? demande-t-il
doucement.
Je hausse les épaules.
— Je pensais seulement que tu en avais besoin.
— C’était le cas. J’en avais vraiment besoin.
Il se frotte le visage avec les mains et grogne.
— Ça fait longtemps que je n’ai pas eu de famille. Je crois que j’aime
bien la tienne.
Je hoche la tête.
— Ils sont géniaux.
— Est-ce que Benji et moi pouvons en faire partie ? demande-t-il
doucement. Nous n’avons personne d’autre.
Je ressors de la salle de bain.
— Et ton oncle alors ?
— Il est mort l’année dernière. Ça a été le plus beau jour de ma vie,
grogne Tag. Il me détestait passionnément.
Je m’assieds à côté de lui.
— Pourquoi tu dis ça ?
Il hausse les épaules.
— Je n’étais pas son fils. Comme c’était notre oncle il a quand même été
obligé d’essayer, et il m’a choisi moi. Toutes ces années, la seule chose que
j’ai pu faire, c’était de remercier Dieu qu’il m’ait choisi moi et pas Jessica et
Jenny.
— Star et Wren, rectifié-je.
Il sourit.
— Qui a eu l’idée de changer de noms ?
Je réfléchis.
— Ça a commencé avec Peck. Emilio n’arrêtait pas de l’appeler « le
satané pivert » parce qu’elle tapait tout le temps. Puis elle a demandé si elle
pouvait légalement changer de prénom quand elle a changé de nom de
famille. Comme elle l’a fait, on l’a toutes suivie. On voulait toutes un
nouveau départ. Star est le Starling, l’étourneau. Wren a choisi son prénom
parce qu’il ressemblait beaucoup à Jen. Et Lark a été la dernière. Quelqu’un
lui a dit que lark en anglais était à la fois une blague et un oiseau, l’alouette,
et elle a adoré. Donc c’est resté.
Il se retourne pour me regarder.
— Quel était ton vrai prénom ? demande-t-il.
— C’est sans importance. Ce prénom ne représente plus qui je suis.
— Tu ne veux pas me le dire ?
Je soupire.
— C’était Madelyn. Ma mère m’appelait Maddie.
Il me regarde comme s’il était en train de mémoriser mes traits.
— Je faisais souvent des cauchemars dans lesquels je tombais. Je me
réveillais au milieu de la nuit et appelait Emilio. Il venait et râlait
suffisamment longtemps pour me convaincre que personne n’oserait faire de
mal à l’une de ses filles sinon il aurait affaire à lui, et que je pouvais me
rendormir parce qu’il serait toujours là pour me protéger. Alors, une nuit, je
lui ai raconté que je tombais dans mon cauchemar, et il a dit que je devais
être un oiseau, parce que les oiseaux ne tombent jamais. Nous avons regardé
par la fenêtre et nous avons vu un finch, un pinson, donc je suis devenue
Finch.
— Ça te va bien. J’ai quand même encore du mal à m’habituer à appeler
mes sœurs par leurs nouveaux prénoms. Ça risque de me prendre un moment.
— Je pense qu’au fond d’elles, elles sont contentes de savoir que tu es là
et que tu connais leur passé. Elles t’aiment.
— Si j’avais su pour Star et ce qui lui est arrivé…
Sa voix s’estompe tandis qu’il serre les poings.
Je l’embrasse sur la joue.
— Tu n’avais aucun moyen de savoir.
Je me tourne pour lui faire face.
— Et elle est heureuse désormais. Très heureuse.
— Elle va devenir maman, dit-il en expirant lentement.
— C’est fou, hein ?
Je ris. Le silence s’installe dans la pièce.
— Je peux te demander quelque chose ?
Il repousse une mèche de cheveux qui tombe sur mon visage.
— Tu peux me demander n’importe quoi.
— Comment as-tu rencontré Julia ?
Il retourne sur le lit et s’adosse contre la tête de lit, étendant ses longues
jambes. Il tapote ses genoux et je pose ma tête sur sa jambe, les yeux scrutant
le plafond. Il enlève mes cheveux de dessous ma tête et commence à les
peigner avec ses doigts. J’étouffe un gémissement tant c’est agréable.
— Quand j’avais dix-neuf ans, j’ai rencontré un prêtre dans notre
quartier. Il donnait des cours du soir pour les enfants qui n’avaient pas
beaucoup d’argent ou n’avaient pas de bonnes conditions de vie ou quoi. Je
connaissais vaguement Julia de l’école, et c’était son père. Quoi qu’il en soit,
il m’a offert une bouée de sauvetage et je l’ai prise.
Il montre son menton.
— Quand j’arrivais avec le menton bousillé, il m’emmenait me faire faire
des points de suture. Et quand j’avais un œil au beurre noir, il me donnait un
sachet de glace. Et il me laissait parler tout en m’écoutant. En m’écoutant
vraiment. Et il m’a appris la religion, la foi et la rédemption, et toutes les
facettes de la religion dont je me nourrissais à cette époque. Quand je n’avais
rien d’autre, il me restait ma foi.
— Où est-il maintenant ?
— Il est mort après que Julia et moi nous soyons mariés.
Je lève la tête rapidement.
— Tu es marié ?
Il hoche la tête rapidement.
— Plus maintenant, se dépêche-t-il de dire. Nous avons divorcé juste
avant la naissance de Benji.
— Pourquoi vous avez divorcé ?
Il hausse les épaules.
— Nous étions trop jeunes, et elle voulait aller à l’université, donc elle ne
voulait pas de notre bébé.
— Mais elle est sa mère.
— Oui.
— Mais elle l’a abandonné… ?
— Elle a fait ce qu’elle pensait être le mieux pour lui. Elle n’était pas
prête à être mère.
— Est-ce que tu étais prêt à être père ? demandé-je.
Il hoche la tête.
— Oui. Je me souviens de mon père. Il était génial. Il jouait au ballon
avec moi, et il me faisait porter des cravates pour aller à des soirées
mondaines. Il m’a appris ce que signifiait être un mari et un père, et c’est
pour ça que c’était si dur de vivre avec mon oncle. Mon oncle était l’antithèse
de mon père. Il était méchant et malfaisant, et il ne savait plus aimer.
— Et tu veux être le genre de père que ton père était ?
Je pose à nouveau ma tête sur sa jambe et je le sens se détendre.
— Oui. J’espère.
— Alors à quoi a servi l’argent ?
— Avant la naissance de Benji, Julia avait passé un accord avec une
famille pour le faire adopter. J’étais parti en mission d’évangélisation, comme
je te l’ai dit, et elle n’avait personne vers qui se tourner. La famille adoptive a
promis de lui payer l’université, ce qui est très courant en cas d’adoption,
surtout quand les parents sont jeunes. Elle avait décidé de faire des études, et
elle ne voulait pas abandonner. Alors j’ai promis que je trouverais l’argent et
le lui donnerais en échange de Benji. C’est pour ça que je suis venu trouver
Star et Wren.
Je me tourne pour le regarder et appuie ma tête sur la paume de ma main
retournée sur sa cuisse.
— Alors tout ça, c’était un coup monté ?
Cette partie m’agace toujours.
— Pas vraiment. Je veux dire, je voulais vraiment les voir. Mais j’avais
aussi besoin de l’argent, et elles étaient mon seul espoir.
— Tu es le père de Benji. Tu n’aurais pas dû avoir besoin de payer pour
l’avoir !
Il grimace.
— Je sais. Mais je voulais vraiment qu’elle soit heureuse. Je l’aimais.
Mon estomac se noue.
— Est-ce que tu es… encore amoureux d’elle ?
Il balance la tête d’avant en arrière comme s’il cherchait la réponse.
— Je pense qu’une partie de moi a toujours des sentiments pour elle, mais
ce n’est pas… Euh… peu importe.
— Je m’assieds face à lui.
— Ce n’est pas quoi ?
— Lorsque Julia et moi nous sommes mariés, je me souviens être allé
devant le juge de paix et m’être demandé si je faisais le bon choix. Mais je
l’ai tout de même fait, parce que je l’aimais et je voulais passer ma vie avec
elle. Mais une fois mariés, ce n’était pas comme je l’espérais. Elle était
souvent maussade, et quoi que je fasse, ça ne s’améliorait pas. Alors j’ai
passé tout mon temps à tenter de la rendre heureuse. C’était épuisant.
— Puis tu es parti.
Il hoche la tête.
— Je suis allé en mission avec l’église, et elle est tombée dans les bras de
quelqu’un d’autre et elle a voulu divorcer. Mais à cette époque elle était
enceinte de moi.
— Si elle se pointait aujourd’hui et voulait réessayer, qu’est-ce que tu
dirais ?
Je retiens ma respiration et attends sa réponse.
— Je lui dirais que je suis fou amoureux de cette belle petite nana appelée
Finny qui a comblé tous les fissures de mon cœur.
J’en ai le souffle coupé. C’est la plus belle chose que j’aie jamais
entendue.
— Est-ce que tu veux être maman ? demande-t-il doucement.
— Je n’ai jamais vraiment beaucoup apprécié les bébés, avoué-je.
C’est vrai. Inutile de le cacher.
— Oh, répond-il.
Il souffle bruyamment.
— Mais j’aime le tien. Alors si tu es en train de me demander si je
pourrais l’aimer comme une mère aimerait son enfant, la réponse est oui. Je
pourrais.
— Est-ce que tu t’es déjà sentie lésée à cause de ton adoption ? demande-
t-il.
Je grogne.
— Je me sens lésée d’avoir une mère mentalement instable. Mais
l’adoption ? Non. Aucune lésion.
J’inspire profondément.
— Marta m’a prouvé qu’une mère peut aimer un enfant qui ne partage
pas son ADN. Sans réserve et sans préjugés. C’est ma mère et je l’aime et
elle m’aime aussi. C’est tout. J’espère que celle que tu épouseras ressentira la
même chose pour Benji.
Je me lève du lit, car je me sens un peu perdue après cette conversation.
— Finny, appelle-t-il quand je me dirige vers la salle de bain.
J’hésite, me sentant toujours à vif et exposée.
— Oui ?
— Je sais que c’est allé très vite, mais j’ai envie d’être avec toi et de voir
où tout cela mène.
— Moi aussi, murmuré-je.
Je ne sais pas s’il m’entend ou pas.
— Finny, répète-t-il.
Je me retourne, mais cette fois je le regarde dans les yeux.
— Qu’est ce qui ne va pas ? demande-t-il.
— Je me sens juste vraiment… triste, tout à coup.
— Je croyais que tu étais heureuse, répond-il rapidement en se levant.
— Je le suis…
— Mais tu as dit celle que tu épouseras.
Il se penche pour me regarder dans les yeux.
— Celle qui deviendra la mère de Benji aura de la chance, lui réponds-je
avant d’aller dans la salle de bain et de fermer la porte.
J’ouvre le robinet de douche et regarde mon reflet dans le miroir pendant
que l’eau chauffe. Et si je n’étais pas faite pour être la mère de Benji ? Et si
Tag ne pouvait jamais m’aimer comme il a aimé Julia ? Et si… et si le monde
continuait de tourner et que j’avais envie de partir ?
— Voilà ce que ça fait de tomber, dis-je au miroir.
Mon reflet me fixe.
Soudain, la porte s’ouvre et je fais un pas en arrière dans la petite salle de
bain pour éviter de me la prendre dans la figure.
— Qu’est-ce que tu voulais dire par là ? demande Tag d’un ton
péremptoire. Est-ce que tu es en train de me dire que tu ne veux pas être avec
moi ?
— On vient juste de se rencontrer…
— On s’est rencontrés il y a plusieurs mois, corrige-t-il.
— Non, on s’est envoyés en l’air il y a plusieurs mois, rétorqué-je.
Il se fige.
— C’est pour ça que je n’arrête pas de penser à toi ? Parce que c’était
seulement une partie de jambes en l’air ? C’est pour ça que tu m’as donné ce
dont j’avais besoin aujourd’hui en m’amenant à l’église ? C’est pour ça que
tu es dans ma tête et dans mon cœur et si profondément ancrée dans mon
âme ?
Il me tire contre lui.
— Dis-moi de partir, grogne-t-il.
— Je ne peux pas, murmuré-je.
Puis je tire sa tête vers la mienne et l’embrasse. C’est un entrechoquement
de dents et de langues plein de peur et de désir, et j’ai du mal à respirer. Je le
repousse.
— Je n’arrive pas à réfléchir quand on fait ça, dis-je plaintivement. Je ne
peux pas te dire de partir, mais je ne peux pas non plus te dire de
m’embrasser. Je n’ai aucune idée de ce que je dois faire avec toi.
— Aime-moi, dit-il. Ou bien c’est ça le problème ? Je suis juste
impossible à aimer ? Si c’est le cas, dis-le.
Je prends son visage entre mes mains et fixe ses yeux bruns.
— Tu n’es pas impossible à aimer. Seulement, je ne suis pas sûre que ça
vaille le coup.
— Quoi ?
Il recouvre ma main avec la sienne.
— Et si je n’étais pas assez bien pour être une femme et une mère ?
— Tu es assez bien. Plus qu’assez. Tu l’es tellement que mon cœur
s’arrête rien qu’en te regardant.
Il serre mes hanches.
— Puis je te touche et je perds la raison.
Il se racle la gorge.
— Cette première nuit, quand tu as retiré ton haut et que tu t’es assise
devant moi les seins à l’air sans aucune honte, je pensais que j’avais envie de
toi. Et quand tu m’as emmené à l’église et que tu as fait venir toute ta famille
pour me soutenir, je savais que j’avais besoin de toi. Quand tu as pleuré sur
l’épaule de mon fils dans la grande roue, que tu l’as serré contre toi et que tu
l’as protégé, je savais que je t’aimais, parce que c’était la plus belle chose que
j’avais jamais vue. Mais là, à cet instant, j’ai envie de toi et je t’aime et je ne
peux pas vivre sans toi, Finny. Si tu me demandes de partir, je le ferai. Mais
s’il te plaît, dis-moi de rester. Je comprendrais que tes sentiments ne soient
pas encore aussi forts que les miens, mais donne-moi juste du temps pour te
faire m’aimer.
— Pourquoi tu es venu dans cette chambre d’hôtel ?
Je déteste avoir besoin de savoir ça, mais c’est le cas.
— Parce que je voulais te serrer contre moi toute la nuit.
— C’est la seule raison ?
Il me regarde droit dans les yeux.
— Tu ne t’attendais pas du tout à coucher avec moi ?
Il sourit.
— J’espérais avoir la chance de coucher avec toi, Finny, je ne vais pas te
mentir. Mais si tu n’es pas prête, je prendrai ce que tu me donneras.
Ensuite je l’embrasse, et il me rend mon baiser. C’est lent, doux et tendre.
Puis je me retourne, passe mon T-shirt par-dessus ma tête et lui demande
silencieusement de dégrafer mon soutien-gorge, simplement en le regardant
par-dessus mon épaule. Ses lèvres touchent mon épaule tandis qu’il ouvre le
fermoir. Les bretelles glissent et je laisse le soutien-gorge tomber sur mes
bras. J’enlève mes chaussures d’un coup de pied, retire mes chaussettes, fais
glisser mon pantalon et ma culotte en même temps et les ôte. Je tire le rideau
de douche et il s’ouvre dans un crissement.
Mes genoux tremblent, et Tag touche mes hanches nues pour me calmer.
Je passe immédiatement mon visage sous le jet et ferme les yeux, parce que
les siens scrutent mon corps de haut en bas et que je me sens plus nue et
exposée que jamais.
— Tu viens ? demandé-je doucement.
TAG

B ontremblent
sang, j’en ai le souffle coupé. Mes genoux flanchent et mes mains
quand je retire mes vêtements. Elle me regarde depuis la
douche, les yeux perçants. Elle prend le shampoing et le verse dans sa paume,
puis elle commence à se laver les cheveux. Elle ferme les yeux quand j’arrive
derrière elle et tire ses fesses contre mes cuisses. Ma queue est si dure que je
pourrais enfoncer des clous avec, mais je veux prendre mon temps. Je veux la
savourer.
Je la retourne face à moi et enlève ses mains de ses cheveux pour les
remplacer par les miennes.
— Laisse-moi faire, dis-je lorsqu’elle commence à protester.
Elle pose ses mains à plat sur mon torse et me laisse savonner ses
cheveux en gémissant parce que c’est agréable. Je remets sa tête sous le jet et
regarde la mousse descendre sur son corps, là où ma langue meurt d’envie
d’aller.
Je l’embrasse, et nos bouches fusionnent sous l’eau jusqu’à ce que je ne
puisse plus respirer. Je lève la tête et prends le jet sur le visage. Ses lèvres
touchent le dessous de mon menton et remontent doucement vers mon oreille,
mordillant au passage ma mâchoire, délicatement et divinement. Je
l’embrasse à nouveau. Ça ne me suffit pas.
— J’ai besoin de toi, dis-je.
Elle me regarde.
— J’ai envie de toi, continué-je.
Elle me regarde droit dans les yeux, et je sens sa respiration devenir
saccadée.
— Je t’aime.
Elle rougit.
— J’ai besoin de me laver, répond-elle.
Je souris.
— Je ne vais pas t’en empêcher.
— Il se pourrait que j’aie besoin d’un peu d’intimité.
Ma queue est dure entre nous, et je la presse dans la fente entre ses
cuisses.
— Tag ! crie-t-elle. Il faut que je me lave.
Je recule et la retourne contre le mur.
— Plus tard, réponds-je près de son oreille.
Je recule son arrière-train vers moi et écarte ses fesses avec mes pouces.
— Est-ce qu’on est bon ? demandé-je avant de mordre légèrement son
épaule.
— Bon ?
— Je me suis fait dépister. Et toi ?
Elle hoche la tête et pose les mains à plat sur les carreaux qui entourent la
baignoire.
— Juste après que toi et moi… Oui. J’ai passé le test.
J’ai envie de le lui demander. J’ai besoin de le lui demander. Mais je ne
vais pas le faire. Je ne peux pas. Parce que ça me briserait le cœur de savoir.
Apparemment, elle lit dans mon esprit.
— Je n’ai eu personne depuis toi, Tag.
— Et ce mec que tu as ramené à la maison… ?
— Il m’a embrassé. C’est tout.
— Il y a une chance que je te mette enceinte ?
Je caresse sa fente glissante avec le bout de ma queue et elle prend une
inspiration.
— Tu me demandes la permission de me mettre enceinte ? Ou tu exclus
la possibilité d’une grossesse ?
Elle regarde par-dessus son épaule et me rit au nez.
J’y réfléchis un moment.
— J’adorerais te voir enceinte. De mon bébé. Notre bébé. Ton ventre
énorme et gonflé et tes seins bien pleins. Tu serais pleine de nous.
Elle remet ses fesses contre moi.
— Tag…
— Ça ne t’excite pas, c’est ça ?
— Je ne peux pas tomber enceinte. Du moins pas aujourd’hui, dit-elle.
Mais…
Je me fige.
— Mais quoi ?
— Mais je ne l’ai jamais fait sans préservatif. Jamais. Du tout. J’ai peur.
— Je vais prendre soin de toi, Finny. Je le promets.
J’appuie ma queue contre sa chaleur et j’attends.
— Tu me fais confiance ? lui demandé-je.
— Oui ! crie-t-elle.
— Dis-moi que tu es prête pour ça. Pour moi. Pour nous.
J’attends, impatient, collé contre sa chaleur.
— Oui ! crie-t-elle.
Je passe mon bras autour de sa taille et m’enfonce en elle. Elle me prend
tout entier, et elle pousse un petit cri quand je m’enfonce jusqu’aux boules.
Son vagin chaud m’enserre et me retient dans une étreinte douillette et serrée.
— Merde, que c’est bon ! dis-je.
Je palpe ses seins, les soupesant délicatement dans mes mains, et je fais
pointer ses tétons en tirant longuement dessus avec mon pouce et mon index.
— Qu’est-ce que je peux faire pour te faire plaisir ?
Elle enlève une de mes mains de son sein et la pousse vers ses lèvres du
bas ; je fais glisser mes doigts contre sa peau moite. Elle est humide et
glissante, et ce n’est pas à cause de la douche. C’est à cause de son envie de
moi. De ça. De nous. Je trouve son clito et tourne autour en essayant d’être
délicat, mais elle prend mes doigts et me montre que je dois y aller plus fort.
— Mon Dieu, Finny, grogné-je près de son oreille avant de mordiller son
lobe. Je ne peux plus attendre.
Elle m’attrape par la nuque.
— C’est bon. Jouis, Tag.
Je me retire, et même si son vagin soyeux me tente, je ne peux pas y
retourner. Je dois lui donner du plaisir.
Je la retourne et lui pousse le dos contre le mur. Puis je m’agenouille
devant elle, soulève une de ses jambes par-dessus mon épaule, et commence
à lécher sa fente humide. Je trouve rapidement son clito et le suce. Elle
penche la tête en arrière contre les carreaux et ferme les yeux. Ses hanches
bougent au rythme de ma langue et je sens que l’orgasme est proche. Je glisse
deux doigts dans son fourreau soyeux et elle crie. Ses doigts s’emmêlent dans
mes cheveux et elle les tire.
— Désolée, dit-elle. Tu n’aimes pas ça, n’est-ce pas ?
Je prends ses mains et les enfouis dans mes cheveux. Montre-moi à quel
point tu as envie de moi, Finny. Guide-moi. Aime-moi pour que je puisse
t’aimer en retour. Elle tire, et je trouve un rythme qui s’accorde à celui de ses
mains. Sa paroi vaginale se resserre sur mes doigts quand elle jouit, et je
continue de la lécher tandis que son corps gigote et tremble. J’extirpe jusqu’à
la dernière goutte de son orgasme, jusqu’à ce qu’elle s’immobilise et
repousse ma tête.
— À mon tour, dis-je.
Je la soulève et elle enroule ses cuisses autour de mes hanches tandis que
je plonge en elle. Elle est chaude et douce, et je sais que je vais tirer ma
cartouche, donc je la repousse contre les carreaux pour pouvoir pousser plus
fort. J’ai besoin de la prendre. J’ai besoin qu’elle soit mienne.
— Fais-moi jouir comme ça, dit-elle.
— Dis-moi comment, réponds-je.
Je l’embrasse, étouffant ses cris avec ma bouche, les absorbant comme un
carburant.
— Plus fort, Tag ! me presse-t-elle.
Je passe mes bras sous ses genoux et la soulève pour pouvoir la pilonner.
— Mon Dieu, tu es si belle quand tu jouis, dis-je tandis que ses yeux se
ferment et que ses spasmes commencent à me traire. Je vais jouir.
— Est-ce que je peux jouir en toi ? Je peux, Finny ? Je peux jouir en toi ?
Dis oui s’il te plaît. Oh mon Dieu, s’il te plait dit…
— Oui ! Vas-y, Tag !
Je m’enfonce profondément en elle une dernière fois, et je jouis tout au
fond d’elle tandis que son orgasme m’attire plus profond, plus loin, tout au
fond, jusqu’à ce que nous ne puissions pas être plus unis. Jusqu’à ce que je ne
puisse rien faire de plus pour la remplir. Je n’ai jamais joui aussi fort, aussi
longtemps ni avec une telle puissance. Cette femme me remplit. Et elle me
vide complètement. Et elle me fait me sentir entier, tout en prenant une part
de moi. Je ne sais pas comment l’expliquer.
— Mon Dieu, je t’aime, lui dis-je.
Elle m’embrasse, et je lâche ses jambes pour qu’elle puisse se remettre
debout.
— Je me sens molle comme une chiffe, dit-elle en gloussant
nerveusement.
— Ne bouge pas. Je vais te laver.
Je mouille un gant de toilette et commence à la nettoyer, quand elle se
met soudain à gémir.
— Doucement, prévient-elle. C’est un peu douloureux.
Alors, j’essaye d’être le plus délicat possible entre ses cuisses.
— Je t’ai fait mal ?
Je me lève et l’embrasse.
— Non, souffle-t-elle contre mes lèvres. C’était parfait.
Je lave les traces de sperme sur son corps et la nettoie entièrement, puis je
me lave à mon tour. J’arrête l’eau et enroule Fin dans une serviette, puis j’en
passe une autour de mes hanches.
Elle tire la couverture du lit et se glisse nue entre les draps, et je me glisse
derrière elle et la tire vers moi pour que nous soyons l’un contre l’autre
comme deux cuillères dans un tiroir.
— Est-ce que ça va ?
J’embrasse son épaule.
— Oui.
Elle se tourne et embrasse l’intérieur de mon bras, là où sa tête est posée.
— Je vais bien.
Je baille et ferme les yeux, et je sombre dans un sommeil immédiat et
parfait, avec la femme que j’aime dans les bras.
FINNY

L orsqu’il ne bouge plus, je soulève la couverture et sors du lit. Je tourne


la tête quand je sens qu’il remue, et je pose ma main sur son bras
jusqu’à ce qu’il s’immobilise à nouveau. Je vois qu’il ne bouge plus, alors je
me lève et enfile un pyjama et un peignoir. Puis je mets mes pantoufles et
sors dans le couloir.
Je sais où se trouve la chambre de Marta et Emilio, donc j’y vais et toque
doucement à la porte. Je me doute qu’ils ne dorment pas parce qu’ils ont deux
bébés avec eux.
Emilio vient ouvrir la porte, et ses cheveux hirsutes forment un halo
miteux autour de sa tête. Il berce Benji dans ses bras.
— Hé, Finny, dit-il. Tu avais besoin de quelque chose ?
Il se décale pour que je puisse passer devant lui.
— Pas vraiment, réponds-je.
Les poils de mes bras se hérissent, et je les frotte pour essayer de me
calmer.
— Est-ce que Marta est réveillée ?
Il secoue la tête.
— Tu as besoin d’elle ?
Il penche la tête sur le côté.
— Tout va bien ?
— Oui, ça va. Je voulais juste discuter. C’est tout.
Il désigne un fauteuil et s’assied sur celui d’à côté, toujours en berçant
Benji.
— Qu’est-ce qu’il y a, Finny ?
Il me dévisage.
— Tu ferais mieux de commencer à parler avant que j’aille botter le cul
de ce garçon.
Il commence à se lever, mais je me précipite pour le faire rasseoir.
— Tag n’a rien fait, lui assuré-je.
Je rougis.
— Enfin, il n’a rien fait de mal.
Il hausse les sourcils.
— Mais…, me presse-t-il.
— Mais rien, réponds-je doucement.
Je hausse les épaules.
— Mais rien, mon cul ! aboie-t-il. Je te connais, Finny Vasquez, et je sais
que tu as quelque chose à l’esprit, alors tu ferais mieux de cracher le
morceau.
Benji s’agite, alors je tends les bras vers lui et je le prends. Il se calme
immédiatement et je le serre contre moi.
— Eh bien, j’en crois pas mes yeux, dit Emilio. Ils ont enfin réussi à
t’avoir.
Je soupire.
— Ils m’ont eue tous les deux, Melio.
Je regarde le petit visage parfait de Benji.
— Je suis presque sûre que je les aime.
Il hoche la tête.
— Tu as un moment pour que ton vieux te raconte une histoire ?
— Oui, je t’en prie.
Benji renifle légèrement en s’accrochant à sa tétine. Melio me passe le
biberon avec lequel il a dû le nourrir, et je le fourre dans sa bouche. Ses
lèvres rosées se referment dessus et il a l’air très satisfait. Très chouchouté.
Très heureux.
— Il était une fois une oisillonne nommée Finny, commence-t-il.
Il me sourit et son regard s’adoucit.
— Elle avait des plumes parfaites, et un bec parfait, et elle était
intelligente. Elle volait toute seule sans même avoir besoin de s’accrocher
aux plumes de la queue de qui que ce soit. Elle était toujours indépendante, et
le papa oiseau s’inquiétait en permanence, car elle aimait beaucoup les
garçons oisillons.
Je roule les yeux.
— Mais le papa oiseau ne s’inquiétait pas pour Finny l’oisillonne. Il
s’inquiétait plus pour tous les cœurs qu’elle brisait en sautant d’un nid à
l’autre.
— Je crois que je n’aime pas cette histoire, râlé-je.
— Tu vois, Finny avait peur de rester dans un nid trop longtemps, parce
qu’elle pensait que prendre ses aises rendrait son nid instable, et qu’elle
pourrait tomber.
Il tape dans ses mains.
— Paf ! Plus de Finny.
— Tu crains, Emilio.
— Mais le papa oiseau savait que c’était seulement la peur qui poussait
Finny à passer de nid en nid, et que quand elle trouverait le bon, elle voudrait
rester dans le nid un peu plus longtemps. Le papa oiseau s’est inquiété pour
ses autres oisillonnes, mais jamais pour Finny. Elle était forte et authentique,
et elle était surtout très fiable.
Ses yeux se remplissent de larmes, et les miens aussi.
— Tu peux arrêter maintenant, le taquiné-je.
Je m’essuie les yeux avec ma manche.
Il secoue la tête. Apparemment, il n’a pas encore terminé.
— Alors, même si le papa oiseau aimait et avait confiance en Finny, il
souhaitait toujours un peu plus pour elle. Il voulait qu’elle ait un nid bien à
elle, mais pour que ça arrive, elle devait trouver un autre oiseau qui
l’empêcherait de tomber.
— Le papa oiseau l’empêchait de tomber, corrigé-je.
— Mais le papa oiseau savait qu’il ne pourrait pas la combler. Elle avait
besoin de sa propre famille, et de son propre oisillon à aimer, et elle avait
besoin de quelqu’un qui la ferait se sentir en sécurité pour toujours.
Il claque sa main sur la table basse.
— Bingo ! crie-t-il.
Benji et moi sursautons tous les deux.
— Bordel, je déteste quand tu fais ça, marmonné-je.
— Bingo, répète-t-il, un peu plus doucement. Elle tombe sur un certain
garçon oisillon, et cet oisillon la fait directement tomber du ciel. Mais juste
au moment où elle est catapultée vers une mort tragique, il l’attrape et
l’empêche de tomber. Mais Finny… eh bien, elle est lente à faire confiance,
alors ça prend du temps.
— Melio, marmonné-je
— Finny est intelligente, loyale, gentille et aimante, et elle est l’oisillon
idéal de tout papa oiseau. Et je suis vraiment content que tu aies trouvé Tag,
Finny, parce que ce garçon t’aime et que tu as besoin de lui.
Il hoche la tête vers Benji dans mes bras.
— Et tu vas être une excellente mère.
Il regarde Benji.
— Tu ferais n’importe quoi pour empêcher ce petit gars de tomber.
Une larme chaude roule sur ma joue.
— Tu crois que je peux le faire ?
Il hoche la tête.
— Je sais que tu le peux. Et toi aussi. Alors bouge tes fesses et fais-le.
Je ris et renifle une larme.
— Tu crains tellement, Melio.
Il tend les bras.
— Tiens, donne-moi ce petit et retourne tomber un peu plus amoureuse.
Je secoue la tête.
— Je pense que je vais le prendre avec moi, si ça ne te dérange pas.
Je lève la tête vers lui et vois de la fierté dans ses yeux.
— Si tu penses que c’est mieux ainsi, dit-il.
— Hé, Melio ?
— Oui, Finny ?
— Est-ce que tu m’aimais moins parce que je n’étais pas à toi ?
Il secoue rapidement la tête et rit.
— Tu as été à moi à la minute où j’ai posé les yeux sur toi, idiote.
Il se lève et m’embrasse sur le crâne.
— Je vais me coucher avant que l’autre marmot ne se réveille.
Je ris.
— Merci, Melio, dis-je. Je t’aime.
— Moi aussi je t’aime, Finny.
Je prends le sac de Benji et sors dans le couloir en l’emportant, lui et ses
affaires, puis je retourne dans la chambre.
Tag remue et me regarde.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Rien, réponds-je. Je voulais aller chercher Benji et l’amener ici. Ça ne
te dérange pas, si ?
Il sourit dans son oreiller.
— Si ça me dérange ? J’adore !
Il se lève et m’aide à installer un lit pliant, et nous le glissons dans le
dressing. Je repousse légèrement la porte pour pouvoir l’entendre, et je peux
presque le voir. Il va dormir quelques heures, j’imagine.
— Merci d’être allé le chercher, dit Tag.
Il me surprend lorsqu’il passe mon haut de pyjama par-dessus ma tête et
descend mon pantalon jusqu’à mes chevilles. Je l’enlève.
— J’imagine que tu as envie que je sois nue, hein ?
Il sourit et m’attire dans le lit avec lui avant de se coller contre mon dos.
Je le sens bander dur contre mes fesses, et il gigote et se glisse en moi.
— Il y a un bébé à côté, lui rappelé-je.
Mais je me cambre déjà pour essayer de le prendre plus profond.
— Il n’y aura plus de moments sans bébé à côté, Finny, m’informe-t-il.
Il descend les couvertures et dessine un cercle juste au centre de ma fesse.
Puis il soulève la main et me met une claque.
— Est-ce que tu viens vraiment de me frapper ?
— Oui.
Je ris.
— Tu as des couilles, murmuré-je.
— Presque aussi grosses que les tiennes, répond-il. Je t’aime, Finny.
Il se retire de moi et me fait rouler sur le dos. Il se glisse en moi et
s’enfonce si profondément que ça me fait avancer sur le lit.
— Je t’aime aussi, réponds-je en gémissant, parce qu’il est pile au bon
endroit en moi.
Rassasiés, nous sommes encore collants de sueur quand nous entendons
Benji se réveiller. Il commence à s’agiter, alors Tag se lève pour le prendre et
le pose entre nous dans le lit. Je joue avec ses pieds et il donne de petits
coups avec ses orteils.
— Il est si parfait, soupiré-je.
— Tout comme toi, répond Tag.
Il se penche par-dessus Benji et m’embrasse, et rien ne m’a jamais paru
aussi bon.
ÉPILOGUE
TAG

F inny saute dans son jean et tire sur sa ceinture en l’enfilant.


— Si tu ne te grouilles pas, j’y vais sans toi, prévient-elle.
Elle me lance un regard noir, mais ses yeux sont encore brûlants de ce
qu’on vient de faire. Elle tourne le poignet pour regarder sa montre.
— J’ai dit à Lark que je serais là-bas il y a déjà cinq minutes.
Je soulève ma tête avec la paume de ma main et la regarde.
— Rappelle-moi pourquoi nous allons à la boutique de tatouage ?
— Parce que je vais me faire tatouer « Tag est un crétin qui n’arrête pas
de baiser », lâche-t-elle.
Elle roule les yeux et pousse mon bras pour que ma tête tombe.
— Lève-toi, aboie-t-elle.
Je n’arrive pas à m’empêcher de la mettre en retard. Ce n’est pas souvent
que j’ai quelqu’un pour surveiller Benji la journée. Nous sommes tous les
deux en congé aujourd’hui, alors Marta s’est portée volontaire pour nous
garder Benji. Puis une chose en a entraînée une autre, et nous avons fini par
passer la matinée au lit. Et là, elle vient de se souvenir qu’elle avait promis
d’aller avec Lark à la boutique de tatouages.
Je lui fais une grimace, mais je me lève pour commencer à m’habiller.
— Est-ce que tu m’as dit pourquoi on y allait ? Ou est-ce que j’ai manqué
cette partie quand tu me déshabillais.
Elle secoue la tête.
— Je ne te l’ai pas dit. Ce n’est pas à moi de révéler ce secret. C’est à
Lark.
D’accord. Maintenant j’ai vraiment envie de savoir.
— Mais…
Elle pointe son mignon petit doigt vers moi.
— Si tu n’es pas habillé dans deux minutes, je te donne un coup de pied
dans les roustons.
Je ris, mais je sais qu’elle est sérieuse, alors je finis de m’habiller et me
brosse les dents et les cheveux. J’essaye d’arranger mon épi, mais Finny n’a
pas l’air de s’en soucier. Je me souviens vaguement qu’elle s’accrochait
fermement à cette mèche ce matin pendant que je la dévorais. Elle a la manie
de me tirer les cheveux. Ça ne me dérange pas, parce que j’ai la manie de lui
claquer les fesses.
Elle a aussi la manie de m’aimer, et ça ne me dérange pas non plus.
Je ne sais pas où je serais en ce moment si je ne l’avais pas rencontrée.
J’étais vraiment perdu quand je suis arrivé en ville il y a quelques mois, et je
suis tombé directement dans son lit, et elle, elle est tombée dans mon cœur et
dans mon âme. Elle a plongé directement dans mon âme et j’ai envie qu’elle
ne remonte jamais pour respirer.
Hier soir, je me suis réveillé et son côté du lit était vide. Je suis parti à sa
recherche pour m’assurer qu’elle allait bien, et je l’ai trouvée debout à côté
du berceau de Benji, en train de le regarder dormir. Elle avait la main sur son
dos et elle comptait le nombre de fois où sa poitrine montait et descendait.
Je suis arrivé par derrière et j’ai passé mes bras autour d’elle. Elle s’est
appuyée sur moi comme elle le fait toujours, et elle a posé l’arrière de son
crâne sur mon torse.
— Voilà ce que ça fait de tomber, m’a-t-elle dit.
Puis elle s’est retournée dans mes bras et m’a embrassé, et je suis tombé
d’accord avec elle. C’est comme tomber et tomber encore, chaque jour que
Dieu fait.
Pour Finny, tomber s’est transformé en un souvenir agréable, et nous en
créons de nouveaux chaque jour. Chaque fois que je la vois, je tombe encore
et encore. Si quelqu’un m’avait dit que je choisirais délibérément de tomber,
j’aurais dit qu’il était fou.
Finny est devenue une mère pour mon fils. Elle a accepté d’être ma
femme, bien que nous n’ayons toujours pas fixé de date. Elle est mon tout.
Avec elle et Benji, je peux faire n’importe quoi.
J’ai travaillé avec les Reed à la gestion de leur immeuble, et nous avons
déménagé dans un de leurs appartements il y a quelques mois. Nous avons
notre propre espace, et nous sommes contents de vivre à côté d’autres gens
avec des enfants. Il y a toujours un Reed dans le coin, ou un enfant Reed, ou
une femme Reed. La vie par ici n’est pas monotone, c’est sûr.
Je vais dans le salon, et trouve Finny devant la porte d’entrée ouverte.
Elle me fait signe d’approcher.
— Tes roustons vont avoir de gros problèmes, marmonne-t-elle quand je
m’approche d’elle.
Je l’attrape et la tire contre moi.
— Tu sais que tu ne ferais rien pour me faire du mal, dis-je.
Je l’embrasse et elle se colle contre moi.
Sa main descend vers ma ceinture, et je la sens attraper mes boules. Je me
fige. Elle serre un peu trop fort à mon goût.
— Finny, avertis-je.
— Je t’aime, mais je déteste être en retard, dit-elle, ses lèvres toujours
posées sur les miennes.
Son étreinte se transforme en caresse, et je recule dès qu’elle me libère.
D’abord, parce que je bande à nouveau. Et ensuite parce qu’elle est mal
lunée.
Elle se retourne pour marcher devant moi, donc je lui donne une claque
sur les fesses assez forte pour la faire crier.
— Je vais t’apprendre à faire semblant d’abîmer mes bijoux de famille,
lui marmonné-je.
J’ajuste mon paquet et pars dans l’ascenseur avec elle. Elle me fusille du
regard depuis le coin opposé, mais il y a un sourire dans ses yeux. Et de la
chaleur. Et de l’amour. Toujours de l’amour.
— Tu as parlé à Julia hier soir ? demande-t-elle lorsque nous sortons de
l’immeuble.
Je hoche la tête.
— Oui.
— Et ?
— Et quoi ?
Je fourre mes mains dans mes poches.
— Et tu ferais mieux de me raconter ce qu’elle a dit, lâche-t-elle.
Je souris.
— Elle a dit qu’elle venait ce week-end. Elle veut l’emmener au parc.
Julia nous a appelé quand Benji avait environ deux mois. Elle voulait le
voir, et j’étais totalement contre. Mais Finny lui a parlé, et elle a senti que le
désir de Julia de faire partie de la vie de Benji était sincère. Elle ne demande
pas la garde, et elle ne veut même pas le prendre une nuit de temps en temps,
mais elle veut voir des photos et lui rendre visite chaque fois qu’on
l’autorisera à le faire. Ce week-end, elle va l’emmener quelques heures au
parc.
Finny me caresse le bras.
— Ça va aller, dit-elle. Les enfants ont besoin de l’amour de leurs
parents.
Elle a l’air triste tout à coup.
— Crois-moi.
Elle n’a pas vu sa propre mère depuis un mois. À chaque fois qu’elle lui
rendait visite, la violence montait d’un cran. Ce n’était pas seulement contre
elle, c’était contre tout le monde. Ils essayent de nouveaux médicaments, et
ça améliore un peu son état, mais Finny n’y retournera pas avant de pouvoir
le faire en toute sécurité. Du moins je l’espère. J’adorerais que sa mère aille
mieux, juste pour Finny, mais je ne suis pas certain que ça arrivera.
Finny a quand même décidé de suivre une psychothérapie, et elle fait face
de son mieux aux souvenirs et à l’avenir avec sa mère.
Lark nous fusille du regard sur le trottoir lorsque nous arrivons.
— Vous êtes en retard, dit-elle.
Finny agite un pouce dans ma direction.
— Dis ça à Tag. Il est insatiable.
— Beurk, dit Lark en faisant semblant de vomir.
Je ris et leur ouvre la porte.
Nous entrons dans la boutique de tatouages, et Lark trébuche sur le
nouvel artiste tatoueur. Il l’attrape par les épaules et l’aide à reprendre son
équilibre, puis il lui demande d’un regard si elle va bien. Elle fronce les
sourcils et hoche la tête. Il la laisse partir et elle ajuste ses vêtements. Son
visage est écarlate.
Les yeux de Finny croisent les miens et elle sourit.
Le nouvel artiste s’appelle Ryan Shepherd, et je l’ai rencontré il y a deux
semaines à la fête « Bienvenue chez les frères Reed ». Ryan est un artiste de
l’Université de New York, et il est allé à l’école avec Logan. Il est très doué
dans ce qu’il fait, c’est-à-dire poser de l’art permanent sur le corps des gens.
C’est aussi un sourd profond. Finny et toutes ses sœurs connaissent la langue
des signes, donc elles peuvent parler facilement avec lui, mais moi… pas tant
que ça. Il est prévu que je prenne des cours dès la semaine prochaine. C’est
l’enfer d’être le seul dans une famille à ne pas savoir parler la langue.
Paul Reed sort de l’arrière-boutique avec sa femme Friday.
— Regardez qui est là, dit Friday.
Elle nous regarde, puis se tourne vers Lark.
— Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ?
Lark joue avec un fil détendu sur ses longs gants.
— Je veux me faire tatouer, répond-elle.
Elle regarde ses pieds.
— Tu avais quelque chose à l’esprit ? demande Friday.
Lark se penche en avant, met les mains autour de sa bouche et parle dans
l’oreille de Friday. Et j’avoue que je meurs de curiosité.
Les yeux de Friday se dirigent brièvement vers les gants de Lark, puis
elle grimace.
— Oh, j’ai bien peur de ne pas pouvoir faire ça. Ce genre d’application
est un art en soi.
Elle regarde Ryan.
— Ryan peut le faire, par contre.
Elle agite les mains jusqu’à ce qu’il la regarde.
— Lark veut te consulter à propos d’un tatouage, dit-elle en utilisant la
langue des signes en même temps qu’elle parle.
Il répond en langue des signes.
— Pourquoi toi ? dit-elle. Parce que tu es sacrément doué pour ce qu’elle
veut.
Les yeux de Ryan balayent le corps de Lark de la tête aux pieds, et je vois
la sueur perler sur son front.
— On devrait peut-être revenir une autre fois, murmuré-je à Finny.
Elle me lance un regard noir.
— Est-ce que tu sais combien de courage il lui a fallu pour faire ça ? me
souffle-t-elle. Ferme là.
Elle passe une main sur sa gorge comme si elle se tranchait la tête. Je suis
quasiment certain que ça m’était destiné.
Ryan dit quelque chose en langue des signes.
— Comment je suis censé savoir bordel ? lui dit Friday.
Elle montre Lark.
— T’as qu’à le lui demander.
Il lève les mains en l’air.
Friday attrape ses mains au vol et les tient devant lui comme si elle le
préparait.
— Parle-lui. Elle pourrait même répondre.
Il dit très rapidement quelque chose en langue des signes.
Friday roule les yeux.
— Oui, elle connaît la langue des signes, idiot.
Il signe à l’intention de Lark et elle lui sourit doucement. Il prononce les
mots silencieusement en même temps, et je devine qu’il lui demande si elle
connaît aussi la langue des signes.
Elle tient son index à trois centimètres de son pouce et hoche timidement
la tête.
Il lui fait signe de venir dans l’arrière-boutique et elle le suit, la tête
baissée et le pas hésitant. Il tire un rideau sombre derrière eux, et mon instinct
protecteur passe en mode overdrive.
— Est-ce qu’on devrait aller avec elle ? demandé-je à la cantonade. Je
commence à me diriger vers l’arrière-boutique, mais Finny attrape mon
coude.
— Laisse-les vivre, dit-elle.
— Pourquoi on est là exactement ? demandé-je.
— Soutien moral, répond Finny.
Paul prend une chaise et s’y assied à califourchon.
— Qui a fait ce tatouage sur ta jambe, me demande-t-il.
Je regarde le bas de mon mollet. J’ai une croix à l’ancienne. Je l’ai faite
faire quand j’avais vingt ans.
— Juste un mec dans une boutique de tatouages, réponds-je.
Il grogne.
— Juste un mec dans une boutique de tatouages, hein ?
Je hoche la tête.
— Tu devrais me laisser te faire un truc cool, propose Paul. Tout ce que
tu veux. Mon dernier rendez-vous vient d’annuler.
Friday lève la main.
— Je suis libre aussi.
Elle regarde Finny.
— Je pourrais m’occuper de toi.
Finny sourit.
— Oh oui !
Elle part avec Friday de l’autre côté de la boutique, et elles commencent à
parler de dessins en tête à tête.
— Alors, j’ai une idée, dis-je à Paul.
Il me sourit.
— Sans blague.
Nous nous asseyons côte à côte tandis qu’il ébauche quelque chose.
— C’est ça, dis-je quand il a terminé. Friday doit venir l’approuver, mais
je lui fais promettre de ne pas dire à Finny ce que c’est. Et Finny ne me
dévoilera pas le sien. Nous sommes assis à chaque extrémité de la pièce, et
Friday travaille sur Finny pendant que Paul se penche sur moi.
— Vous croyez que Lark va bien ? demandé-je en regardant vers
l’arrière-boutique. On ne devrait pas aller voir comment elle va ?
Paul sourit.
— Elle va bien.
— Je crois qu’il l’aime un peu trop. Tu as vu la façon dont il la
regardait ?
Paul glousse.
— Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça.
— Pourquoi ? Est-ce qu’il est gay ? demandé-je.
Alors là je suis confus.
Friday rit depuis l’autre côté de la boutique.
— Mon Dieu, non. Il est hétéro. Mais…
Elle laisse sa voix trainer.
— Mais quoi ? demandé-je.
Je grimace quand Paul touche un point particulièrement sensible.
— Il ne sort qu’avec des sourdes, me dit Friday.
Eh bien, je ne m’attendais pas à ça !
— Pourquoi ?
— Il est né dans une famille de sourds. Des parents sourds. Des grands-
parents sourds. Il ne sort qu’avec des sourdes.
— Oh.
Pourquoi ça ne me rassure pas ?
— Vous êtes sûrs qu’elle va bien ?
— Oh, pour l’amour du ciel, crie Friday.
Elle pose sa machine sur le côté et se dirige d’un pas rapide vers l’arrière-
boutique, perchée sur ses talons super-hauts. Elle remue le rideau pour leur
faire savoir qu’elle est là. Ryan le tire et l’invite à entrer. Elle ne reste qu’une
minute ou deux, mais quand elle revient, elle cligne des yeux pour empêcher
ses larmes de couler. Elle se racle la gorge.
— Elle va bien.
— Tu le promets ? demande Finny.
Elle attrape l’avant-bras de Friday et l’oblige à la regarder.
— Je le promets, répond-elle.
Sa voix est rauque et éraillée.
— OK.
Finny pousse un soupir et Friday se remet au travail.
Tout le monde est silencieux jusqu’à ce que Lark sorte de l’arrière-
boutique.
— C’est tout ce qu’on peut faire aujourd’hui, dit-elle. Elle a les gants
remontés jusqu’aux coudes, mais j’aperçois clairement une pellicule plastique
qui sort d’une des manches.
Ryan la suit et lui serre l’épaule. Elle lui sourit.
— Alors, comment est Ryan ? murmure Finny.
Lark lui jette un coup d’œil.
— Ne parle pas de lui comme s’il n’était pas là, dit-elle, et elle signe en
même temps qu’elle parle.
Elle rougit.
— Et il est très gentil.
Il lui sourit, mais ne signe pas.
Finny me regarde et met un doigt sur ses lèvres. Apparemment, je ne suis
pas censé faire de commentaire sur la façon dont ces deux-là se regardent.
— Qu’est-ce que vous faites faire ? demande Lark.
Elle vient regarder le mien. Il n’est pas encore terminé. Paul doit encore
mettre les couleurs.
— Oh… soupire-t-elle.
Puis elle va voir celui de Finny et fait la même chose.
— Vous êtes tellement faits l’un pour l’autre, dit-elle en gloussant. Vous
l’avez même fait sur la même partie de votre corps.
Finny termine en premier, alors elle vient me montrer son nouveau
tatouage. Elle l’a fait faire sur le haut de son épaule, juste là où j’aime
l’embrasser.
— C’est toi, moi et Benji, dit-elle. Vous êtes mon rythme cardiaque.
Encore plus important pour moi que ma musique, et j’ai eu une longue
histoire d’amour avec la musique.

Elle se penche pour regarder ce que fait Paul.


— Je peux voir le tien ?
Paul recule pour pouvoir le lui montrer. Il n’est pas encore terminé, mais
presque.
— Waouh, dit-elle.
Elle m’embrasse, et je sais qu’elle m’aime autant que je l’aime.
— Ce sera toujours toi et moi et Benji.
— À moins peut-être que ce soit toi et moi et Benji et… un…
Elle laisse sa phrase en suspens.
Mon cœur commence à s’emballer.
— Tu es… ?
Elle lève les mains pour m’arrêter.
— Oh, mon Dieu, non. C’était juste une idée…
Elle attend en grimaçant.
— Une idée vraiment géniale, lui dis-je.
— Friday a laissé de la place pour un autre nom, dit-elle.
Elle me sourit et m’embrasse à nouveau.
Rien ne me plaîrait plus que de l’épouser et faire des enfants avec elle,
surtout maintenant que j’ai les moyens de subvenir à ses besoins.
— Je ne peux pas faire marcher ma machine si vous vous embrassez par-
dessus, gronde Paul.
Finny tire la langue à Paul et va parler à Friday.
L’estomac de Lark gargouille bruyamment.
— J’ai faim.
Elle pose une main sur son ventre.
Paul ricane.
— Tu ferais mieux d’aller chercher à manger, parce qu’il n’est pas près
de partir.
Lark regarde Ryan.
— Tu veux manger ? demande-t-elle en utilisant la langue des signes en
même temps qu’elle parle.
Il hausse les épaules et se lève comme pour dire « pourquoi pas ? ».
Ils partent ensemble, et Finny et moi nous regardons et sourions.
— Il ne sort pas avec des filles entendantes, répète Paul. C’est sa règle.
Finny rit.
— J’avais des règles aussi. Je crois qu’on les a toutes enfreintes quand
Tag et moi nous sommes mis ensemble.
— Ne vous faites pas d’illusions, déclare Paul.
Mais il sourit, lui aussi. Et Friday… Eh bien, on dirait qu’elle complote.
— Reste en dehors de ça, grogne Paul.
Elle lui tourne le dos et l’ignore, comme à son habitude, je pense. Paul
fait semblant de se plaindre, mais au fond de lui je crois qu’il sourit aussi.
Et moi aussi.
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