Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
Aller au contenu

Entrisme

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Léo Dawidowitsch Trotzky, plus connu sous le nom de Léon Trotski, père de l'entrisme

L'entrisme, terme issu de l'histoire du léninisme et du trotskisme, est une stratégie politique révolutionnaire qui consiste à faire entrer de manière concertée des membres d'une organisation militante dans une autre organisation rivale, voire dans l'appareil de l'État bourgeois. Il est aussi employé depuis lors pour décrire des pratiques du même ordre (infiltration, noyautage, etc.) de mouvements, mouvances (politiques, religieuses…) au sein d'organisations (par exemple, l'État).

L'objectif est d'influer sur l'orientation et la puissance d'un courant d'idées au sein de l'organisation ciblée pour parvenir à infléchir la stratégie de l'ensemble de l'organisation. Il existe deux types d'entrisme : officiel (que Léon Trotski appelle « à drapeaux déployés ») et clandestin. Il y a aussi l'entrisme organisé par une direction pour préserver son pouvoir ou se préserver d'une opposition.

Le recours à l'entrisme est envisagé lorsque le mouvement trotskyste se sent trop faible et trop peu influent face aux soubresauts de l'histoire ou, au contraire, face à l'apathie des masses ouvrières qui se tournent plutôt du côté des partis communistes nationaux ou des partis sociaux-démocrates.

Pour les trotskystes, la seule voie pour donner une efficacité concrète à leurs idées reste alors de chercher à influer sur des mouvements moins radicaux mais avec un rôle réel dans la vie politique.

Il a donc été recouru à l'entrisme pendant des périodes relativement courtes avant que le mouvement ne change une nouvelle fois de stratégie. De plus, son opportunité a prêté à débat au sein du mouvement, provoquant parfois des affrontements, voire des scissions.

1934 : l’entrisme comme stratégie de court terme

[modifier | modifier le code]

La genèse de l’entrisme est à chercher dans le contexte de l’entre-deux-guerres, marqué par la montée du fascisme d’un côté, le stalinisme de l’autre. L’époque est déroutante y compris pour le mouvement trotskyste. C’est ainsi que, selon Daniel Bensaïd, « les recommandations de Trotsky pendant les années 30 épousent au mois près les fluctuations d'une situation mouvante »[1]. La stratégie va donc varier, et l’entrisme correspond à l’une de ses orientations au cours de l’année 1934, Trotsky publiant le premier article à ce sujet, dans La Vérité, le , sans toutefois le signer[2]. Le , Raymond Molinier, leader de la Ligue communiste, signe lui aussi un texte intitulé « Unité organique? Oui! » dans lequel il va jusqu'à envisager la fusion entre la SFIO et le PCF[2].

Cette année est en effet marquée par l’émergence de courants mettant en danger la social-démocratie. En Autriche, l’insurrection ouvrière est brutalement réprimée tandis que les émeutes du 6 février 1934 à Paris[3] déstabilisent la Troisième République. Face à cela, Trotsky décide la création d’ailes gauches actives au sein des partis socialistes, la Ligue communiste passant alors avec armes et bagages dans la SFIO, regroupée autour de la tendance du groupe Bolchévique-léniniste (BL). Il écrit à Marceau Pivert, représentant de l’aile gauche de la SFIO (« Gauche révolutionnaire »):

«  Les Bolcheviques-léninistes se considèrent comme une fraction de l’Internationale qui se bâtit. Ils sont prêts à travailler la main dans la main avec les autres fractions réellement révolutionnaires[4]. »

C'est ainsi qu’au cours de l'année 1934, l’entrisme « à drapeau déployé » — des partisans issus d’une organisation X se regroupent en « tendance », « courant », et tentent d’infléchir les orientations de la SFIO — se développe. Dès 1935, les trotskystes sont cependant exclus par Léon Blum, et créent en 1936 le Parti ouvrier internationaliste (POI).

1952-1953 : l'entrisme comme stratégie de long terme

[modifier | modifier le code]

Les années 1950 correspondent à une vague d’entrisme clandestin au sein des PC nationaux. L’époque correspond à une cristallisation de la guerre froide. Les trotskystes se sentent plus que jamais impuissants dans le jeu politique mondial. C’est alors qu’une partie de leurs dirigeants sont tentés par cette stratégie, cette fois tournée vers les partis communistes alignés sur Moscou. C’est ainsi que Michel Pablo propose cette stratégie. Il constate que « la réalité sociale objective […] est composée essentiellement du régime capitaliste et du monde stalinien »[5]. Il en déduit que le seul moyen pour les trotskystes d’influer réellement sur la vie politique et de tester l’efficacité de leurs théories est de se confronter aux travailleurs et aux partis qui les représentent. Il s’agit à l’époque des puissants partis communistes des pays occidentaux. Il précise que « cette intégration doit commencer par les organisations périphériques pour arriver jusqu'au parti communiste même »[6]. Selon Pablo, le militant doit « mettre tout à fait à l'arrière-plan sa qualité de trotskyste ». Il cite enfin les organisations visées.

Cette clandestinité répond au monolithisme aligné sur Moscou des PC de l'époque, mais aussi anticipe sur les ruptures radicales qui ne pourront manquer de se produire d'après les trotskystes. C’est pourquoi Daniel Bensaïd parle d'un « entrisme spéculatif »[1]. Il apparaît que cette stratégie est le seul moyen d’action d’un mouvement qui dénonce « l’usurpation du pouvoir par une bureaucratie privilégiée » en URSS[7].

Elle provoque cependant de nombreux antagonismes et sera l'une des causes du plus grave déchirement qu’ait connu la IVe Internationale depuis sa création. En effet, dès l’énoncé de ses thèses, Michel Pablo est critiqué. Marcel Bleibtreu, secrétaire du PCI, refuse cette stratégie. La rupture a lieu avec le congrès de . La majorité du PCI lambertiste refuse l’entrisme dans les organisations dites staliniennes. Celui-ci acte la stratégie d'entrisme, mais provoque de graves scissions.

De nombreuses personnalités du trotskisme telles que Félix Guattari, Denis Berger, Gabriel Cohn-Bendit, Lucien Sebag se montrent critiques vis-à-vis de cette pratique.

Années 1960-1970

[modifier | modifier le code]

Le terme entrisme est également employé pour qualifier une tout autre pratique de noyautage de l'Organisation communiste internationaliste (OCI) issu de la scission de 1952. Paradoxalement, c'est ce mouvement opposé à l'entrisme qui utilisera ces méthodes au cours des deux décennies suivantes.

Cette stratégie ne donne pas nécessairement de résultat notable. Par exemple, bien au contraire, Lionel Jospin, dont Edwy Plenel affirme[8] qu'il avait été infiltré de l'OCI au PS, aurait peu à peu renoncé à ses idéaux de jeunesse en adhérant au PS, tout en cumulant ses remises de rapports à Pierre Lambert (dirigeants du mouvement trotskiste international) et ses responsabilités politiques socialistes.

Depuis 1974, un courant trotskyste entriste, Vonk - Unité socialiste, existe au sein des partis socialistes belges PS et SP, puis SP.A et du syndicat socialiste FGTB. Il a ultérieurement adhéré à la Tendance marxiste internationale.

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. a et b Daniel Bensaïd, Les Trotskysmes, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2002.
  2. a et b Christophe Nick, Les Trotskistes, Fayard, 2002, p. 199
  3. Trotsky note alors : « Le 6 février, quelques milliers de fascistes et de royalistes, armés de revolvers, de matraques et de rasoirs, ont imposé au pays le réactionnaire gouvernement Doumergue, sous la protection duquel les bandes fascistes continuent à grandir et à s'armer. Que nous prépare demain ? » (Où va la France ?, 1934)
  4. Lettre de 1934.
  5. Article « Où allons nous ? », revue Quatrième Internationale, février-avril 1951.
  6. Rapport de février 1952 cité par Jean Jacques Marie dans Le Trotskysme et les trotskystes, Armand Colin, 2002.
  7. La dialectique de la révolution mondiale, commission paritaire préparatoire au VIIe congrès mondial de 1963.
  8. Edwy Plenel, Secrets de jeunesse, Paris, Stock, 2001.

Sur les autres projets Wikimedia :

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Bibliographie

[modifier | modifier le code]
  • Daniel Bensaïd (2001), Résistances. Essai de taupologie générale, Fayard, 2001