Marceline Desbordes-Valmore, La Souris chez un Juge dans Élégies et poésies nouvelles 1825
LA SOURIS
CHEZ UN JUGE.
Tremblante, prise au piège et respirant à peine,
Sortie imprudemment du maternel séjour,
Rêvant sa dernière heure au seul bruit de sa chaîne,
Une jeune souris voyait tomber le jour.
Dans le grillage étroit qui la tient prisonnière,
A passé d’un flambeau l’éclatante lumière ;
Elle tressaille, écoute : un silence de paix
Succède au mouvement qui la glaçait de crainte ;
Et d’un vieux mur caché sous des lambris épais,
On entendit sortir cette humble et douce plainte :
« Dans ta belle maison, toi qui rentres content,
Quand je me sens mourir de la mort qui m’attend,
Redoutable ennemi de tout ce qui respire,
Oh ! n’étends pas sur moi ton oppressif empire !
Laisse ton cœur s’ouvrir au cri du malheureux :
Hélas, est-on moins grand pour être généreux ?
Laisse-moi boire encor l’air, la douce rosée,
Ce bienfait de la nuit, ce céleste présent,
Dont, par un souffle humide et bienfaisant,
Chaque matin la terre est arrosée.
Juge ! sois juste et rends-moi mes trésors,
Un ciel à contempler, ma liberté native :
Dieu me fit de la vie un plaisir sans remords ;
Toi, tu la rends sombre et captive.
« Je suis une souris née au dernier printemps :
L’été commence. Hélas ! c’est vivre peu de temps !
Viens voir, je porte encor la robe de l’enfance.
Le blé nouveau, le riz friand, les noix,
Disait ma mère, allaient avant deux mois
Enrichir mon adolescence.
Peu m’est assez pourtant ; facile à me nourrir,
Je ne suis pas gourmande et tout sert au ménage ;
Un grain d’orge suffit aux souris de mon âge,
Pour les empêcher de mourir.