Books by Pavel Gabdrakhmanov
Cette étude se donne pour objet un codex du XIIIe siècle conser-vé aux Archives d’État de Gand da... more Cette étude se donne pour objet un codex du XIIIe siècle conser-vé aux Archives d’État de Gand dans le fonds de l’abbaye Saint-Bavon sous la cote : Sint-Baafs en Bisdom, série K, no 2556 (cote ancienne SP. VII, 34). Le codex contient le texte d’un registre de quelques milliers de tributaires (tributarii) de l’abbaye Saint-Pierre de Gand . La majeure partie du registre a été rédigée vers 1238, probablement par le cantor du monastère Laurent, en fonction entre 1235 et 1243 approximativement. À en juger par les multiples additamenta qu’apportèrent les successeurs de Laurent au texte originel, le document conserva son importance pour les moines de l’abbaye durant plusieurs décennies.
Le registre réunit les tributaires du monastère en quelques centai-nes de groupes généalogiques, dit « troncs ». La définition du terme « tronc » (troncus, truncus) est donnée par Pierre Lombard (с. 1095–1160) dans son « Livre des Sentences » (Sententiae in IV libris distic-tae), en référence à Isidore de Séville. Le terme entre ultérieurement dans l’oeuvre de Gratien (pars II, causa 35, quaestio 5, can. 1–2) . Selon cette définition, chaque tronc était enregistré par générations successives (per etates) depuis la fondatrice du lignage jusqu’à l’époque de rédac-tion en passant par ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants etc. Le caractère héréditaire du statut de tributaires passait donc par la mère ou, comme l’expriment les documents, « par le ventre » (per ventrem). Ainsi, la description de chaque tronc se structure selon un axe matrili-néaire.
La rédaction du registre ayant des objectifs multiples, le texte de-vait assumer plusieurs fonctions. S’il servait d’inventaire administratif, recensant l’enregistrement personnel des tributaires, le document assu-mait également une valeur juridique puisqu’il pouvait servir de preuve du statut des personnes enregistrées et de leur appartenance à la familia du monastère. Il n’est pas exclu que le registre ait pu remplir dans une certaine mesure des fonctions liturgiques pour les commémorations. Néanmoins, le registre était au premier chef un instrument financier de gestion financière, recensant tous les individus redevables de verse-ments, y compris ceux récemment décédés, leurs héritiers étant obligés de payer des droits de succession. Le texte précisait les noms des collec-teurs responsables (censorarii) et définissait en détail les formes et dates du versement du cens (censum) par les membres de chaque tronc. Par-fois, il indiquait également la somme globale due par un tronc, marquant d’un signe spécial les retards de payements, et spécifiait la destination concrète des versements de tel ou tel tronc de tributaires.
Les objectifs de la rédaction du registre sont dans l’ensemble as-sez clairs. Toutefois, les sources et les principes de la composition du registre, son organisation interne, demeurent largement énigmatiques. On ignore ainsi quelle source servit à la rédaction de la partie principale du registre. Les cas de copie directe de généalogies de tributaires, par le cantor Laurent et ses successeurs, indiquent que des actes originaux furent effectivement utilisés, mais ne servirent que de matériel complé-mentaire. Par ailleurs, une comparaison entre le registre et la centaine d’actes conservés révèle que près de la moitié des généalogies transmi-ses par ces actes ne se retrouve pas dans le texte du cantor Laurent et de ses successeurs, même implicitement. Ceci indique que les compilateurs opérèrent une sélection au sein du matériel documentaire dont ils dispo-saient pour la rédaction du registre. La logique de cette sélection de-meure à identifier.
Une bonne moitié des troncs décrits dans le registre ne montre aucun lien avec les actes originaux contenant des généalogies de tribu-taires. Il est clair que les actes ne furent pas les seules sources des com-pilateurs du codex. La source principale de la composition du nouveau registre fut certainement un inventaire de tributaires antérieur, ultérieu-rement disparu. Une référence à l’un de ces inventaires pourrait être à identifier dans une référence du cantor Laurent à un rouleau (rotulus) au sein d’un acte qu’il dressa . De même, la forme et le formulaire d'une « petite charte » (kartula) recensant les tributaires dépendant de l’advocatia de l’abbaye de Schoondijke évoquent davantage un frag-ment de registre sous forme de rouleau (le même ?) qu’un acte ordinaire. Ce n’est sans doute pas un hasard si ce document consiste presque inté-gralement en un recensement de tributaires sur deux colonnes .
Le registre présente encore d’autres problèmes, en particulier sa structure et sa composition, ainsi que l’ordre de description des troncs de tributaires. Le texte du registre est divisé en cinq sections inégales. Chacune d’elles décrit un groupe de troncs appartenant à une « cour monastique » spécifique (curia, domus, curtis), une « institution » (crip-ta, custodia) ou un « service » (officium, stapel) de l’abbaye. Mais ce principe de division du registre par les compilateurs ne fut observé avec une parfaite constance. L’analyse des rubriques introduisant la descrip-tion de tel ou tel tronc révèle que l’« appartenance » réelle de celui-ci ne coïncidait pas toujours avec celle indiquée dans le titre spécifié. La régu-larité de ces incohérences semble invalider l’hypothèse d’erreurs aléatoi-res et elles ne relèvent pas davantage de remaniements postérieurs. Tou-tefois, on ne peut en l'état actuel de la recherche proposer d'explication satisfaisante à ces irrégularités.
De même, la logique présidant à l'ordre d’enregistrement des troncs à l’intérieur de chaque section et du registre en général n'apparaît pas clairement. La première section commence avec la description des tributaires résidant au cœur même du domaine monastique, sur la « villa de saint Pierre » (villa sancti Petri). Puis les troncs se succèdent sans suivre une quelconque logique géographique, amenant à rejeter l'hypo-thèse d'un classement interne respectant un principe territorial. Des troncs installés en des lieux identiques peuvent ainsi être dispersés à travers tout le registre ou être rassemblés au sein d’une seule section au sein de laquelle ils ne forment pas nécessairement une unité compacte.
Ainsi, les principes de rédaction de la description des tributaires dans le registre demeurent obscurs. Les relations familiales entre mem-bres de différents troncs pourraient avoir joué un certain rôle, si l'on en croit certaines rares remarques directes spécifiant des liens de parenté rapprochant ou distinguant explicitement des troncs se succédant dans le registre . De telles informations sont toutefois trop rares pour permettre de vérifier cette hypothèse. On peut y suppléer dans une certaine mesure en faisant appel aux actes contenant des généalogies dédiées exactement aux mêmes troncs que le registre. Ses résultats en général confirment les témoignages directs de compilateurs du registre qui indiquent la possibi-lité égale de deux options.
Certaines particularités du formulaire de description de troncs constituent également une énigme. Les compilateurs intégraient de nombreuses lacunes et césures au sein de la structure des liens de paren-té au sein même d’un seul tronc. Ces omissions apparaissent avec une netteté particulière lorsque l'on compare les descriptions des mêmes fa-milles de tributaires dans le registre et dans les généalogies plus détail-lées contenues dans les actes.
Certains indices indirects montrent que les rédacteurs du codex passaient parfois sous silence les liens de parenté entre les troncs. D'un intérêt tout particulier sont ici les « troncs-doublets », c'est-à-dire des troncs bénéficiant de deux descriptions en deux endroits différents du registre. Que le rédacteur ait ainsi placé en deux endroits, et donc en relation avec des troncs distincts, un même groupe familial révèle qu'il établissait entre ces groupes des liens qui, s'ils nous échappent, lui pa-raissaient également importants, l'amenant à considérer la répétition comme un moindre mal. Mais la nature du lien unissant le tronc-doublet aux différents troncs auxquels il se trouve ainsi juxtaposé n’est jamais explicitée.
Les descriptions de troncs de tributaires ont donc été rédigées par les compilateurs de façon très contradictoire. D’un côté, ils se révè-lent soucieux de la plus grande exactitude dans leur présentation des groupes et des liens de parenté qui les unissent. De l’autre, les mêmes rédacteurs introduisent de nombreuses omissions et lacunes, voire même erreurs. Dans certains cas, ils renoncent à fournir les descriptions par tronc, se contentant de listes nominales ou même d’un simple nombre.
Les troncs décrits dans le codex présentent également une struc-ture double. D’une part, la plus grande attention est portée à l’enregistrement des tributaires vivants et solvables. De l’autre, on intè-gre de façon moins rigoureuse divers ancêtres qui servent de référence identitaire, étant à l’origine des généalogies des tributaires. En d’autres termes, la structure des troncs combine de manière paradoxale les carac-téristiques des généalogies verticales avec celles des groupes familiaux horizontaux. Ceci s'explique sans doute par les finalités multiples du registre, censé permettre à la fois la perception des droits financiers et l'établissement des droits juridiques du monastère sur les tributaires en-registrés. Le codex révèle donc aussi une ambivalence qui le rapproche de l'« étrange rouleau » de l’abbaye Saint-Pierre de Gand de même épo-que (XIIIe siècle) qui contient la recension des chartes avec les tributai-res et auquel nous avions dédié le volume précédent.
Résumé
Cette étude prend pour objet un inventaire médiéval conservé aux archives de l’abbaye Sa... more Résumé
Cette étude prend pour objet un inventaire médiéval conservé aux archives de l’abbaye Saint-Pierre à Gand qui, sous la forme d’un rouleau, présente un certain nombre de caractéristiques uniques (Rijksarchief te Gent, Sint-Pietersabdij, Van Lokeren (= RAG, StP, VL) no 511bis. Platte stukken (circa 1235), rol., per., 1800 x 160 mm., lat.). L’étude paléographique permet d’en attribuer la rédaction au chantre Laurent, en fonction entre c. 1235 et c. 1243. À la suite du premier éditeur du rouleau, P. C. Boeren, les historiens contemporains ont voulu y voir le premier « inventaire, qui concerne une catégorie particulière de chartes, à savoir les actes d’assainteurement ou de constitution de tributaire » de cette abbaye. La question du but réel de la rédaction de l’inventaire ne saurait pourtant être tenue pour résolue.
On a déjà attiré l’attention sur l’absence d’ordre dans la description des quelques deux cents actes enregistrés, à même de refléter la logique et, partant, un projet clairement identifiable, de Laurent. Aucune démarche de classification systématique des documents n’a été entreprise avant leur intégration à l’inventaire, ce qui amène à supposer que cette absence d’« ordre » reflète tout simplement l’enregistrement progressif des documents originaux dans l’ordre de leur extraction du « coffre ». L’inversion de l’ordre chronologique amène à envisager que le compilateur ait tout simplement renversé le contenu de son coffre afin de commencer son travail. L’approche statistique permet de renouveler quelque peu cette hypothèse. Cette méthode permet en effet de mettre en valeur l’accroissement en fin d’inventaire de la proportion de documents tardifs (XIIe et XIIIe siècles), notamment des actes par lesquels les femmes libres se reconnaissent tributaires de l’autel de la Vierge Marie auquel elles se consacrent. Cet accroissement prend tout son relief lorsqu’on le rapproche de la diminution parallèle des actes anciens du Xe–XIe siècles par lesquels les serfs libérés se consacraient à l’autel principal dédié à Saint-Pierre. La majeure partie des consécrations à l’autel de la Vierge était probablement conservée à part du groupe principal des actes concernant les tributaires, d’où leur apparition en bloc à la fin du rouleau. Le désordre apparent de l’inventaire reflète donc au premier chef celui des archives et une lecture statistique de la composition de l’ouvrage permet de dégager des étapes qui sont autant d’aperçus sur l’organisation du « coffre » de l’archiviste.
L’absence de toute démarche systématique hypothéquait la possibilité d’avoir recours efficacement à l’inventaire comme outil de gestion des archives ou des droits du monastère. Au-delà même de ce problème, les simples dimensions physiques de l’œuvre de Laurent (deux mètres de long) la rendaient peu ou prou inutilisable au quotidien. En outre, l’inventaire était certainement très loin d’être complet, la majeure partie des actes antérieurs aux 1235, ayant été écartée pour des raisons qui demeurent à expliquer.
Ces remarques amènent donc à questionner la finalité réelle de l’inventaire du chantre Laurent. Afin d’esquisser une réponse à cette question, on a tenté de retracer plus précisément les étapes du travail de l’auteur. Pour ce faire, on a confronté systématiquement les textes des actes originaux à leur description dans le rouleau, avec des résultats inattendus. En premier lieu, il apparaît clairement que le copiste s’adonna sans passion à sa tâche, multipliant les omissions graves. Dans la composition de son inventaire, il semble s’intéresser en premier lieu aux données susceptibles de permettre d’identifier les personnes évoquées dans les actes. Il est donc possible que davantage qu’un répertoire d’actes, le rouleau ait en fait été conçu comme un recensement des tributaires passés à différentes époques sous le patronage du monastère. Le rouleau amalgame donc deux modes d’enregistrements intimement liés. À côté des actes intégraux interviennent des listes de noms, le primat revenant néanmoins à ces dernières. La pertinence de cette observation trouve une confirmation dans la structure similaire présentée par d’autres compilations monastiques, réalisées dans des couvents proches de Saint-Pierre (abbayes de Saint-Bavon et de Bodelo). Cette observation permet de reposer avec profit la question des objectifs et des motifs de la rédaction de l’inventaire de Laurent.
Il est possible que le rouleau, au-delà de ses fonctions administratives, ait également eu valeur commémorative. En effet, il enregistre les noms de donateurs qui, par l’offrande de leur personne ou de celles de leurs mancipia, sont entrés dans la familia du saint. Les liens entre obituaires (libri memoriales) et livres de donations (libri traditionum) sont bien connues, tandis que la différence est tout à fait convenue. Dans cette hypothèse, il serait parfaitement normal que les noms des tributaires n’apparaissent pas dans les nécrologues du monastère. Enfin, l’intervention, dans la compilation de la liste, du chantre de l’abbaye s’expliquerait au mieux dans ce contexte. Lors des messes commémoratives, les libri traditionum trouvaient place sur l’autel à côté des libri memoriales et le rouleau qui nous intéresse ici pourrait avoir été rédigé dans cette optique.
Néanmoins, l’hypothèse la plus vraisemblable demeure que le rouleau ait été avant tout considéré comme un document administratif. L’intervention de Laurent ne va pas à l’encontre de cette interprétation car dans l’abbaye de Saint-Pierre c’est précisément le chantre qui était en charge de la gestion des tributaires, s’occupant de leur recensement, supervisant les revenus dus par ce groupe et, par conséquent, assurant la production et la conservation des documents les concernant. Pour cette raison, le chantre Laurent, en marge de la rédaction de l’inventaire, « renouvela » divers actes anciens en les recopiant de sa main. Celle-ci se laisse identifier en effet sur quelques documents administratifs relatifs au recensement de tributaires de l’abbaye. Parmi ses documents, citons un second rouleau (rotulus) dont le contenu n’est malheureusement connu qu’indirectement, à travers une référence faite par Laurent à ce document dans l’un des actes qu’il dressa. Par ailleurs, on doit attribuer au chantre la paternité de la majeure partie d’un assez volumineux codex tout aussi énigmatique que l’inventaire, œuvre cette fois conservée jusqu’à nos jours. On y trouve un registre de plusieurs centaines de tronci de tributaires de l’abbaye, spécifiant leur localisation exacte et les taxes dont ils étaient redevables.
La prolifique activité du chantre Laurent malgré la brièveté de son mandat s’explique sans doute au premier chef par sa volonté de remettre de l’ordre au sein du service dont il avait reçu la charge et des archives placées sous sa responsabilité. En revanche, la question de la finalité exacte assignée au rouleau qui a retenu ici notre attention doit demeurer ouverte. Doit-on y voir un document administratif d’un type peu commun, comme un inventaire particulier des actes d’un type donné ou encore une liste de tributaires ayant souhaité se placer sous le patronage du monastère, ou faut-il plutôt admettre que ce document ait eu pour vocation de servir en premier lieu à la commémoration liturgique des individus qui s’y trouvent recensés ?
Résumé
Cette étude prend pour objet l'histoire de la population villageoise entre Loire et Rhin... more Résumé
Cette étude prend pour objet l'histoire de la population villageoise entre Loire et Rhin à l'époque carolingienne. L’accent est mis sur les caractéristiques et les tendances structurelles de la dynamique démographique de la paysannerie carolingienne entre le VIIIe au XIe siècles, problème qui a depuis longtemps retenu l’attention des historiens. La recherche se fonde sur plusieurs milliers de chartes, au premier rang desquelles environ cinq cents chartes de donations compilant les descriptions de plus de deux mille ménages serviles.
Ces descriptions permettent de mettre en lumière la structure des ménages, de calculer l’équilibre entre célibataires, mariés et veufs ou entre les sexes et classes d’âge. Enfin, l’évolution du nombre d’enfants par famille féconde peut également être déterminée et soumise à analyse. L’approche quantitative met ainsi à disposition une somme d'informations sur les caractéristiques essentielles de la nuptialité, de la natalité et de la mortalité des paysans au haut Moyen Âge sur la longue durée (VIIIe-XIe siècle).
Les listes de familles servile offertes par les chartes n’offrent toutefois qu’un appui précaire à la statistique et l’auteur a doublé cette approche d’une seconde méthode d’analyse, résolument qualitative. Celle-ci repose sur l’examen des particularités du formulaire de ces descriptions à même de permettre d’approcher les mentalités de la paysannerie médiévale, de ses représentations de la famille, du mariage, de la femme et des enfants, lesquels déterminent largement les comportements et les dynamiques démographiques. L’évolution de ces dernières sur les quatre siècles pris en examen peut ainsi être mise en lumière. La méthode proposée pour l'analyse des formulaires, ainsi que l'analyse des données émanant des actes d'autres types (chartes d'affranchissement et d'assainteurement, testaments, etc.) permet de discerner quelques traits du comportement démographique, de vérifier et de compléter l'analyse quantitative.
L'analyse de la perception qu’avait l’homme médiéval du groupe familial révèle la primauté des parentèles étendues (genealogia, genus, parentella etc.). Les unités réellement signifiantes (y compris quelque dizaines de paysans adultes de même ascendance maternelle) étaient ainsi à la fois vastes et très stables, pouvant être suivies du VIIIe-Xe siècles au XIe-XIIe siècles). Sa structure de ces cellules connut toutefois certaines évolutions sous l'influence de la seigneurie féodale. En revanche, la famille restreinte, centrée sur un couple unique, ne retenait guère l’attention et les hommes du Moyen Âge n'y attachaient pas la même importance qu’à la parentèle élargie. Le terme familia - famille proprement dite - est ainsi rare dans nos textes, les auteurs des chartes y substituant des expressions générales (uxor et infantes, carruca, focus, ignis, heredes sui, sui omnes) plus signifiantes à leurs yeux. Pourtant, on perçoit dans les chartes du XIe siècle l’importance croissante reconnue à la famille nucléaire (familia, domus).
Le formulaire utilisé pour la description de familles paysannes révèle la perception qu’avaient les contemporains de la structure de la famille et de la parenté. À partir du XIe siècle, les descriptions de familles paysannes dans les chartes deviennent plus complètes, incluant non seulement le père, la mère, les frères et les sœurs adultes, mais parfois aussi les familles des membres de la fratrie. Parallèlement, on constate un basculement du centre d’intérêt des rédacteurs des femmes (mère, soeurs, filles) vers les hommes (père, frères, neveux). Le XIe siècle est donc marqué par un processus de redéfinition de la famille paysanne axée sur la consolidation du « lignage paysan ».
La structure du ménage paysan change aussi du VIIIe au XIe siècle : le taux des tenures diminue et le nombre des tenures fractionnées et des tenures-feux augmente. Parallèlement, le nombre moyen d’habitants sur ces derniers types de tenures augmente. Le nombre de ménages mononucléaires est multiplié par un facteur de 1,5 à 2, tandis que la tendance à transformer les familles patriarcales en associations décourage les ménages familiaux multiples.
Les données des actes sur le statut matrimonial des paysans sont évidemment inexactes et l'analyse de la répartition des paysans selon leur statut conjugal n’offre qu’une estimation minimale. Environ la moitié des paysans et les 2/3 des paysannes (veufs et veuves compris) étaient mariés, mais le même calcul effectué d'après les seules chartes les plus complètes indique un taux des célibataires plus faible : moins d’un tiers des hommes et d’un 1/4 des femmes pubères. Ces chiffres révèlent le niveau assez élevé de la nuptialité des paysans au Moyen Âge.
L'analyse du comportement matrimonial des paysans indique unmariage précoce, à 12-14 ans, l’âge moyen variant selon les sexes. Les liaisons sexuelles illégitimes étaient moins fréquentes que dans le milieu des chevaliers. On note que si les chartes ne mentionnent jamais de divorce de paysans, le remariage des veufs était en revanche très largement pratiqué. Ces orientations matrimoniales stimulaient le haut niveau de nuptialité et, par là, de la natalité.
Il est sans doute possible de mettre en lumière une évolution du niveau de nuptialité des paysans du VIIIe jusqu'au XIe siècle. Les actes du XIe siècle précisent le statut matrimonial des paysans deux fois plus souvent que dans les documents du VIIIe siècle. Ce fait ne prouve pas, bien sûr, un doublement de la nuptialité sur la même période, mais on peut néanmoins y voir l’indice d’une tendance à la croissance de la nuptialité paysanne.
De même, les chartes plaident en faveur d’une forte dynamique démographique en raison de l'augmentation du nombre d’enfants dans les familles paysannes qu’elles révèlent. Les familles sans enfants demeure toutefois assez nombreuses, représentant environ 20% de l’échantillon disponible. Le décompte doit néanmoins être tempéré par l’observation du fait que l'existence des enfants dans les familles serviles n'est pas toujours relevée dans les chartes. En outre, au XIe siècle, la proportion de couples sans enfant est divisée par deux, évolution qu’il faut également expliquer en partie au moins par l’évolution de la pratique documentaire.
On peut considérer comme une moyenne basse le chiffre d’environ trois enfants par ménage fécond. Les auteurs des chartes, n’utilisant que quelques variantes pour la description des enfants, omettaient souvent les descriptions précises et complètes de ces derniers tant qu’ils habitaient avec leurs parents. Leur intérêt se portait spécifiquement sur les aînés et plus particulièrement les fils. A l’inverse, les enfants encore en bas âge, notamment les filles, ne retenaient guère les rédacteurs.
L'analyse du formulaire utilisé pour la description des enfants permet d’identifer certaines particularités de la natalité dans les familles paysannes. Dans les chartes recèlent en grand nombre des descriptions de familles serviles comprenant beaucoup d'enfants, phénomène banal aux yeux des hommes du Moyen-âge. Le formulaire des chartes mentionne toujours les enfants en pluriel et et très souvent précise l’ordre de naissance des enfants (premiers-nés, puinés, cadets etc). Les familles serviles étaient a priori caractérisées par une forte natalité. L’importance accordée aux garçons transparaît dans leur primeur dans les descriptions et le niveau de détail dont ils bénéficient. Cette tendance se renforce dans les chartes du XIe siècle, peut-être en relation non seulement avec l'apparition de lignages paysans, mais aussi avec l'augmentation du nombre moyen d’enfants dans les familles serviles. Tandis que les familles comptent en moyenne autour de trois enfants au VIIIe siècle, ce seuil est le plus souvent franchi au IXe siècle, tandis que le Xe siècle voit fréquemment des familles de quatre enfants et même plus au XIe siècle.
Peut-on considérer le changement du nombre d’enfants par famille qu’enregistrent les chartes comme le résultat d'une augmentation de la natalité ou est-ce plutôt la conséquence d'un abaissement de la mortalité infantile ? Cette dernière demeura toujours très élevée sur la période prise en considération, avec près de la moitié des enfants décédant avant leur maturité (12-15 ans). Les signes indirects d'une mortalité infantile très élevée apparaissent dans les chartes de donations pour l'anniversaire des enfants, neveux, petits-enfants, morts prématurément. On les perçoit aussi dans la différence entre nombre d’enfants adultes et nombre des enfants encore en bas âge ou dans les mentions fréquentes de patrimoines en déshérance, de manses déserts et de couples sans enfants. Toutefois, certaines mentions contemporaines prouvent que l'on considérait inhabituel la mort de plus de la moitié des enfants nés dans une famille paysanne donnée. En outre, les chartes d'anniversaire des enfants morts montrent que les parents ne prêtaient attention à la mort des enfants qu'à partir d'un certain âge. La mort des mineurs semblait normale et seule celle des adolescents était ressentie comme une véritable épreuve.
L'espérance de vie des paysans adultes était très basse : les données des testaments, des chartes d'anniversaires et de quelques chartes judiciaires indiquent que la plupart des paysans décédaient entre 30 et 40 ans. Le vocabulaire employé permet d’approcher l’idée que les contemporains se faisaient d’un âge « normal » pour trépasser, lequel n’était guère élevé. Les rares mentions de « vieux » dans les chartes renvoient à des individus encore en vie lorsque leurs petits-enfants parvenaient à l'âge adulte. La répartition par âge des paysans telle qu’on peut l’esquisser à travers les mentions des différentes générations (grands-parents, parents et enfants) ou des classes d’âges (mineurs, jeunes, adultes ou vieux) révèle la prépondérance des paysans d'âge moyen (60%), catégorie suivie par celle des enfants et des jeunes (40%), le taux des vieil...
Papers by Pavel Gabdrakhmanov
Pavel Sh. Gabdrakhmanov
From altar to barn: subtle humiliations of the saints in medieval Flander... more Pavel Sh. Gabdrakhmanov
From altar to barn: subtle humiliations of the saints in medieval Flanders
The article proposes an analysis of documents (inventories and acts) of the 10th–14th centuries from the archives of St Peter’s and St Bavo’s abbeys in Ghent, intending to reveal some implicit signs of disregard towards the commonly venerated saints, demonstrated by the monks as well as by the closely related to them laymen, the so-called altar tributaries. The absence of desire of these church tributaries to give names of the patron saints to their children as well as gradual loss of sacral meaning of the ceremony of votive offerings on the saint’s altar are interpreted as manifestations of neglect or even deprecation of a saint.
COULD WE CALL ANNOTATIONS IN THE MARGIN
OF CODEX К 2556 “MARGINAL” ?
The paper is based on the m... more COULD WE CALL ANNOTATIONS IN THE MARGIN
OF CODEX К 2556 “MARGINAL” ?
The paper is based on the materials of a register of tributaries, belonging to the abbey of Saint Peter of Ghent. The manuscript containing this register, dates from the 13th century and is conserved in the State Archive of Ghent. The author makes an attempt to determine the significance of the term “marginalia” in medieval manuscripts and tries to answer the question whether all the supplementary notes or additamenta on the “margins” of a codex could be called “marginalia”.
Key words: 13th century, Flanders, Ghent, abbey of Saint Peter, medieval codex, register, manuscript, altar tributaries, additamenta, marginalia
Le reflet des images : perception visuelle et auditive, écriture et oralité dans le formulaire de... more Le reflet des images : perception visuelle et auditive, écriture et oralité dans le formulaire des actes du Moyen âge. Résumé en français.
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Le registre réunit les tributaires du monastère en quelques centai-nes de groupes généalogiques, dit « troncs ». La définition du terme « tronc » (troncus, truncus) est donnée par Pierre Lombard (с. 1095–1160) dans son « Livre des Sentences » (Sententiae in IV libris distic-tae), en référence à Isidore de Séville. Le terme entre ultérieurement dans l’oeuvre de Gratien (pars II, causa 35, quaestio 5, can. 1–2) . Selon cette définition, chaque tronc était enregistré par générations successives (per etates) depuis la fondatrice du lignage jusqu’à l’époque de rédac-tion en passant par ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants etc. Le caractère héréditaire du statut de tributaires passait donc par la mère ou, comme l’expriment les documents, « par le ventre » (per ventrem). Ainsi, la description de chaque tronc se structure selon un axe matrili-néaire.
La rédaction du registre ayant des objectifs multiples, le texte de-vait assumer plusieurs fonctions. S’il servait d’inventaire administratif, recensant l’enregistrement personnel des tributaires, le document assu-mait également une valeur juridique puisqu’il pouvait servir de preuve du statut des personnes enregistrées et de leur appartenance à la familia du monastère. Il n’est pas exclu que le registre ait pu remplir dans une certaine mesure des fonctions liturgiques pour les commémorations. Néanmoins, le registre était au premier chef un instrument financier de gestion financière, recensant tous les individus redevables de verse-ments, y compris ceux récemment décédés, leurs héritiers étant obligés de payer des droits de succession. Le texte précisait les noms des collec-teurs responsables (censorarii) et définissait en détail les formes et dates du versement du cens (censum) par les membres de chaque tronc. Par-fois, il indiquait également la somme globale due par un tronc, marquant d’un signe spécial les retards de payements, et spécifiait la destination concrète des versements de tel ou tel tronc de tributaires.
Les objectifs de la rédaction du registre sont dans l’ensemble as-sez clairs. Toutefois, les sources et les principes de la composition du registre, son organisation interne, demeurent largement énigmatiques. On ignore ainsi quelle source servit à la rédaction de la partie principale du registre. Les cas de copie directe de généalogies de tributaires, par le cantor Laurent et ses successeurs, indiquent que des actes originaux furent effectivement utilisés, mais ne servirent que de matériel complé-mentaire. Par ailleurs, une comparaison entre le registre et la centaine d’actes conservés révèle que près de la moitié des généalogies transmi-ses par ces actes ne se retrouve pas dans le texte du cantor Laurent et de ses successeurs, même implicitement. Ceci indique que les compilateurs opérèrent une sélection au sein du matériel documentaire dont ils dispo-saient pour la rédaction du registre. La logique de cette sélection de-meure à identifier.
Une bonne moitié des troncs décrits dans le registre ne montre aucun lien avec les actes originaux contenant des généalogies de tribu-taires. Il est clair que les actes ne furent pas les seules sources des com-pilateurs du codex. La source principale de la composition du nouveau registre fut certainement un inventaire de tributaires antérieur, ultérieu-rement disparu. Une référence à l’un de ces inventaires pourrait être à identifier dans une référence du cantor Laurent à un rouleau (rotulus) au sein d’un acte qu’il dressa . De même, la forme et le formulaire d'une « petite charte » (kartula) recensant les tributaires dépendant de l’advocatia de l’abbaye de Schoondijke évoquent davantage un frag-ment de registre sous forme de rouleau (le même ?) qu’un acte ordinaire. Ce n’est sans doute pas un hasard si ce document consiste presque inté-gralement en un recensement de tributaires sur deux colonnes .
Le registre présente encore d’autres problèmes, en particulier sa structure et sa composition, ainsi que l’ordre de description des troncs de tributaires. Le texte du registre est divisé en cinq sections inégales. Chacune d’elles décrit un groupe de troncs appartenant à une « cour monastique » spécifique (curia, domus, curtis), une « institution » (crip-ta, custodia) ou un « service » (officium, stapel) de l’abbaye. Mais ce principe de division du registre par les compilateurs ne fut observé avec une parfaite constance. L’analyse des rubriques introduisant la descrip-tion de tel ou tel tronc révèle que l’« appartenance » réelle de celui-ci ne coïncidait pas toujours avec celle indiquée dans le titre spécifié. La régu-larité de ces incohérences semble invalider l’hypothèse d’erreurs aléatoi-res et elles ne relèvent pas davantage de remaniements postérieurs. Tou-tefois, on ne peut en l'état actuel de la recherche proposer d'explication satisfaisante à ces irrégularités.
De même, la logique présidant à l'ordre d’enregistrement des troncs à l’intérieur de chaque section et du registre en général n'apparaît pas clairement. La première section commence avec la description des tributaires résidant au cœur même du domaine monastique, sur la « villa de saint Pierre » (villa sancti Petri). Puis les troncs se succèdent sans suivre une quelconque logique géographique, amenant à rejeter l'hypo-thèse d'un classement interne respectant un principe territorial. Des troncs installés en des lieux identiques peuvent ainsi être dispersés à travers tout le registre ou être rassemblés au sein d’une seule section au sein de laquelle ils ne forment pas nécessairement une unité compacte.
Ainsi, les principes de rédaction de la description des tributaires dans le registre demeurent obscurs. Les relations familiales entre mem-bres de différents troncs pourraient avoir joué un certain rôle, si l'on en croit certaines rares remarques directes spécifiant des liens de parenté rapprochant ou distinguant explicitement des troncs se succédant dans le registre . De telles informations sont toutefois trop rares pour permettre de vérifier cette hypothèse. On peut y suppléer dans une certaine mesure en faisant appel aux actes contenant des généalogies dédiées exactement aux mêmes troncs que le registre. Ses résultats en général confirment les témoignages directs de compilateurs du registre qui indiquent la possibi-lité égale de deux options.
Certaines particularités du formulaire de description de troncs constituent également une énigme. Les compilateurs intégraient de nombreuses lacunes et césures au sein de la structure des liens de paren-té au sein même d’un seul tronc. Ces omissions apparaissent avec une netteté particulière lorsque l'on compare les descriptions des mêmes fa-milles de tributaires dans le registre et dans les généalogies plus détail-lées contenues dans les actes.
Certains indices indirects montrent que les rédacteurs du codex passaient parfois sous silence les liens de parenté entre les troncs. D'un intérêt tout particulier sont ici les « troncs-doublets », c'est-à-dire des troncs bénéficiant de deux descriptions en deux endroits différents du registre. Que le rédacteur ait ainsi placé en deux endroits, et donc en relation avec des troncs distincts, un même groupe familial révèle qu'il établissait entre ces groupes des liens qui, s'ils nous échappent, lui pa-raissaient également importants, l'amenant à considérer la répétition comme un moindre mal. Mais la nature du lien unissant le tronc-doublet aux différents troncs auxquels il se trouve ainsi juxtaposé n’est jamais explicitée.
Les descriptions de troncs de tributaires ont donc été rédigées par les compilateurs de façon très contradictoire. D’un côté, ils se révè-lent soucieux de la plus grande exactitude dans leur présentation des groupes et des liens de parenté qui les unissent. De l’autre, les mêmes rédacteurs introduisent de nombreuses omissions et lacunes, voire même erreurs. Dans certains cas, ils renoncent à fournir les descriptions par tronc, se contentant de listes nominales ou même d’un simple nombre.
Les troncs décrits dans le codex présentent également une struc-ture double. D’une part, la plus grande attention est portée à l’enregistrement des tributaires vivants et solvables. De l’autre, on intè-gre de façon moins rigoureuse divers ancêtres qui servent de référence identitaire, étant à l’origine des généalogies des tributaires. En d’autres termes, la structure des troncs combine de manière paradoxale les carac-téristiques des généalogies verticales avec celles des groupes familiaux horizontaux. Ceci s'explique sans doute par les finalités multiples du registre, censé permettre à la fois la perception des droits financiers et l'établissement des droits juridiques du monastère sur les tributaires en-registrés. Le codex révèle donc aussi une ambivalence qui le rapproche de l'« étrange rouleau » de l’abbaye Saint-Pierre de Gand de même épo-que (XIIIe siècle) qui contient la recension des chartes avec les tributai-res et auquel nous avions dédié le volume précédent.
Cette étude prend pour objet un inventaire médiéval conservé aux archives de l’abbaye Saint-Pierre à Gand qui, sous la forme d’un rouleau, présente un certain nombre de caractéristiques uniques (Rijksarchief te Gent, Sint-Pietersabdij, Van Lokeren (= RAG, StP, VL) no 511bis. Platte stukken (circa 1235), rol., per., 1800 x 160 mm., lat.). L’étude paléographique permet d’en attribuer la rédaction au chantre Laurent, en fonction entre c. 1235 et c. 1243. À la suite du premier éditeur du rouleau, P. C. Boeren, les historiens contemporains ont voulu y voir le premier « inventaire, qui concerne une catégorie particulière de chartes, à savoir les actes d’assainteurement ou de constitution de tributaire » de cette abbaye. La question du but réel de la rédaction de l’inventaire ne saurait pourtant être tenue pour résolue.
On a déjà attiré l’attention sur l’absence d’ordre dans la description des quelques deux cents actes enregistrés, à même de refléter la logique et, partant, un projet clairement identifiable, de Laurent. Aucune démarche de classification systématique des documents n’a été entreprise avant leur intégration à l’inventaire, ce qui amène à supposer que cette absence d’« ordre » reflète tout simplement l’enregistrement progressif des documents originaux dans l’ordre de leur extraction du « coffre ». L’inversion de l’ordre chronologique amène à envisager que le compilateur ait tout simplement renversé le contenu de son coffre afin de commencer son travail. L’approche statistique permet de renouveler quelque peu cette hypothèse. Cette méthode permet en effet de mettre en valeur l’accroissement en fin d’inventaire de la proportion de documents tardifs (XIIe et XIIIe siècles), notamment des actes par lesquels les femmes libres se reconnaissent tributaires de l’autel de la Vierge Marie auquel elles se consacrent. Cet accroissement prend tout son relief lorsqu’on le rapproche de la diminution parallèle des actes anciens du Xe–XIe siècles par lesquels les serfs libérés se consacraient à l’autel principal dédié à Saint-Pierre. La majeure partie des consécrations à l’autel de la Vierge était probablement conservée à part du groupe principal des actes concernant les tributaires, d’où leur apparition en bloc à la fin du rouleau. Le désordre apparent de l’inventaire reflète donc au premier chef celui des archives et une lecture statistique de la composition de l’ouvrage permet de dégager des étapes qui sont autant d’aperçus sur l’organisation du « coffre » de l’archiviste.
L’absence de toute démarche systématique hypothéquait la possibilité d’avoir recours efficacement à l’inventaire comme outil de gestion des archives ou des droits du monastère. Au-delà même de ce problème, les simples dimensions physiques de l’œuvre de Laurent (deux mètres de long) la rendaient peu ou prou inutilisable au quotidien. En outre, l’inventaire était certainement très loin d’être complet, la majeure partie des actes antérieurs aux 1235, ayant été écartée pour des raisons qui demeurent à expliquer.
Ces remarques amènent donc à questionner la finalité réelle de l’inventaire du chantre Laurent. Afin d’esquisser une réponse à cette question, on a tenté de retracer plus précisément les étapes du travail de l’auteur. Pour ce faire, on a confronté systématiquement les textes des actes originaux à leur description dans le rouleau, avec des résultats inattendus. En premier lieu, il apparaît clairement que le copiste s’adonna sans passion à sa tâche, multipliant les omissions graves. Dans la composition de son inventaire, il semble s’intéresser en premier lieu aux données susceptibles de permettre d’identifier les personnes évoquées dans les actes. Il est donc possible que davantage qu’un répertoire d’actes, le rouleau ait en fait été conçu comme un recensement des tributaires passés à différentes époques sous le patronage du monastère. Le rouleau amalgame donc deux modes d’enregistrements intimement liés. À côté des actes intégraux interviennent des listes de noms, le primat revenant néanmoins à ces dernières. La pertinence de cette observation trouve une confirmation dans la structure similaire présentée par d’autres compilations monastiques, réalisées dans des couvents proches de Saint-Pierre (abbayes de Saint-Bavon et de Bodelo). Cette observation permet de reposer avec profit la question des objectifs et des motifs de la rédaction de l’inventaire de Laurent.
Il est possible que le rouleau, au-delà de ses fonctions administratives, ait également eu valeur commémorative. En effet, il enregistre les noms de donateurs qui, par l’offrande de leur personne ou de celles de leurs mancipia, sont entrés dans la familia du saint. Les liens entre obituaires (libri memoriales) et livres de donations (libri traditionum) sont bien connues, tandis que la différence est tout à fait convenue. Dans cette hypothèse, il serait parfaitement normal que les noms des tributaires n’apparaissent pas dans les nécrologues du monastère. Enfin, l’intervention, dans la compilation de la liste, du chantre de l’abbaye s’expliquerait au mieux dans ce contexte. Lors des messes commémoratives, les libri traditionum trouvaient place sur l’autel à côté des libri memoriales et le rouleau qui nous intéresse ici pourrait avoir été rédigé dans cette optique.
Néanmoins, l’hypothèse la plus vraisemblable demeure que le rouleau ait été avant tout considéré comme un document administratif. L’intervention de Laurent ne va pas à l’encontre de cette interprétation car dans l’abbaye de Saint-Pierre c’est précisément le chantre qui était en charge de la gestion des tributaires, s’occupant de leur recensement, supervisant les revenus dus par ce groupe et, par conséquent, assurant la production et la conservation des documents les concernant. Pour cette raison, le chantre Laurent, en marge de la rédaction de l’inventaire, « renouvela » divers actes anciens en les recopiant de sa main. Celle-ci se laisse identifier en effet sur quelques documents administratifs relatifs au recensement de tributaires de l’abbaye. Parmi ses documents, citons un second rouleau (rotulus) dont le contenu n’est malheureusement connu qu’indirectement, à travers une référence faite par Laurent à ce document dans l’un des actes qu’il dressa. Par ailleurs, on doit attribuer au chantre la paternité de la majeure partie d’un assez volumineux codex tout aussi énigmatique que l’inventaire, œuvre cette fois conservée jusqu’à nos jours. On y trouve un registre de plusieurs centaines de tronci de tributaires de l’abbaye, spécifiant leur localisation exacte et les taxes dont ils étaient redevables.
La prolifique activité du chantre Laurent malgré la brièveté de son mandat s’explique sans doute au premier chef par sa volonté de remettre de l’ordre au sein du service dont il avait reçu la charge et des archives placées sous sa responsabilité. En revanche, la question de la finalité exacte assignée au rouleau qui a retenu ici notre attention doit demeurer ouverte. Doit-on y voir un document administratif d’un type peu commun, comme un inventaire particulier des actes d’un type donné ou encore une liste de tributaires ayant souhaité se placer sous le patronage du monastère, ou faut-il plutôt admettre que ce document ait eu pour vocation de servir en premier lieu à la commémoration liturgique des individus qui s’y trouvent recensés ?
Cette étude prend pour objet l'histoire de la population villageoise entre Loire et Rhin à l'époque carolingienne. L’accent est mis sur les caractéristiques et les tendances structurelles de la dynamique démographique de la paysannerie carolingienne entre le VIIIe au XIe siècles, problème qui a depuis longtemps retenu l’attention des historiens. La recherche se fonde sur plusieurs milliers de chartes, au premier rang desquelles environ cinq cents chartes de donations compilant les descriptions de plus de deux mille ménages serviles.
Ces descriptions permettent de mettre en lumière la structure des ménages, de calculer l’équilibre entre célibataires, mariés et veufs ou entre les sexes et classes d’âge. Enfin, l’évolution du nombre d’enfants par famille féconde peut également être déterminée et soumise à analyse. L’approche quantitative met ainsi à disposition une somme d'informations sur les caractéristiques essentielles de la nuptialité, de la natalité et de la mortalité des paysans au haut Moyen Âge sur la longue durée (VIIIe-XIe siècle).
Les listes de familles servile offertes par les chartes n’offrent toutefois qu’un appui précaire à la statistique et l’auteur a doublé cette approche d’une seconde méthode d’analyse, résolument qualitative. Celle-ci repose sur l’examen des particularités du formulaire de ces descriptions à même de permettre d’approcher les mentalités de la paysannerie médiévale, de ses représentations de la famille, du mariage, de la femme et des enfants, lesquels déterminent largement les comportements et les dynamiques démographiques. L’évolution de ces dernières sur les quatre siècles pris en examen peut ainsi être mise en lumière. La méthode proposée pour l'analyse des formulaires, ainsi que l'analyse des données émanant des actes d'autres types (chartes d'affranchissement et d'assainteurement, testaments, etc.) permet de discerner quelques traits du comportement démographique, de vérifier et de compléter l'analyse quantitative.
L'analyse de la perception qu’avait l’homme médiéval du groupe familial révèle la primauté des parentèles étendues (genealogia, genus, parentella etc.). Les unités réellement signifiantes (y compris quelque dizaines de paysans adultes de même ascendance maternelle) étaient ainsi à la fois vastes et très stables, pouvant être suivies du VIIIe-Xe siècles au XIe-XIIe siècles). Sa structure de ces cellules connut toutefois certaines évolutions sous l'influence de la seigneurie féodale. En revanche, la famille restreinte, centrée sur un couple unique, ne retenait guère l’attention et les hommes du Moyen Âge n'y attachaient pas la même importance qu’à la parentèle élargie. Le terme familia - famille proprement dite - est ainsi rare dans nos textes, les auteurs des chartes y substituant des expressions générales (uxor et infantes, carruca, focus, ignis, heredes sui, sui omnes) plus signifiantes à leurs yeux. Pourtant, on perçoit dans les chartes du XIe siècle l’importance croissante reconnue à la famille nucléaire (familia, domus).
Le formulaire utilisé pour la description de familles paysannes révèle la perception qu’avaient les contemporains de la structure de la famille et de la parenté. À partir du XIe siècle, les descriptions de familles paysannes dans les chartes deviennent plus complètes, incluant non seulement le père, la mère, les frères et les sœurs adultes, mais parfois aussi les familles des membres de la fratrie. Parallèlement, on constate un basculement du centre d’intérêt des rédacteurs des femmes (mère, soeurs, filles) vers les hommes (père, frères, neveux). Le XIe siècle est donc marqué par un processus de redéfinition de la famille paysanne axée sur la consolidation du « lignage paysan ».
La structure du ménage paysan change aussi du VIIIe au XIe siècle : le taux des tenures diminue et le nombre des tenures fractionnées et des tenures-feux augmente. Parallèlement, le nombre moyen d’habitants sur ces derniers types de tenures augmente. Le nombre de ménages mononucléaires est multiplié par un facteur de 1,5 à 2, tandis que la tendance à transformer les familles patriarcales en associations décourage les ménages familiaux multiples.
Les données des actes sur le statut matrimonial des paysans sont évidemment inexactes et l'analyse de la répartition des paysans selon leur statut conjugal n’offre qu’une estimation minimale. Environ la moitié des paysans et les 2/3 des paysannes (veufs et veuves compris) étaient mariés, mais le même calcul effectué d'après les seules chartes les plus complètes indique un taux des célibataires plus faible : moins d’un tiers des hommes et d’un 1/4 des femmes pubères. Ces chiffres révèlent le niveau assez élevé de la nuptialité des paysans au Moyen Âge.
L'analyse du comportement matrimonial des paysans indique unmariage précoce, à 12-14 ans, l’âge moyen variant selon les sexes. Les liaisons sexuelles illégitimes étaient moins fréquentes que dans le milieu des chevaliers. On note que si les chartes ne mentionnent jamais de divorce de paysans, le remariage des veufs était en revanche très largement pratiqué. Ces orientations matrimoniales stimulaient le haut niveau de nuptialité et, par là, de la natalité.
Il est sans doute possible de mettre en lumière une évolution du niveau de nuptialité des paysans du VIIIe jusqu'au XIe siècle. Les actes du XIe siècle précisent le statut matrimonial des paysans deux fois plus souvent que dans les documents du VIIIe siècle. Ce fait ne prouve pas, bien sûr, un doublement de la nuptialité sur la même période, mais on peut néanmoins y voir l’indice d’une tendance à la croissance de la nuptialité paysanne.
De même, les chartes plaident en faveur d’une forte dynamique démographique en raison de l'augmentation du nombre d’enfants dans les familles paysannes qu’elles révèlent. Les familles sans enfants demeure toutefois assez nombreuses, représentant environ 20% de l’échantillon disponible. Le décompte doit néanmoins être tempéré par l’observation du fait que l'existence des enfants dans les familles serviles n'est pas toujours relevée dans les chartes. En outre, au XIe siècle, la proportion de couples sans enfant est divisée par deux, évolution qu’il faut également expliquer en partie au moins par l’évolution de la pratique documentaire.
On peut considérer comme une moyenne basse le chiffre d’environ trois enfants par ménage fécond. Les auteurs des chartes, n’utilisant que quelques variantes pour la description des enfants, omettaient souvent les descriptions précises et complètes de ces derniers tant qu’ils habitaient avec leurs parents. Leur intérêt se portait spécifiquement sur les aînés et plus particulièrement les fils. A l’inverse, les enfants encore en bas âge, notamment les filles, ne retenaient guère les rédacteurs.
L'analyse du formulaire utilisé pour la description des enfants permet d’identifer certaines particularités de la natalité dans les familles paysannes. Dans les chartes recèlent en grand nombre des descriptions de familles serviles comprenant beaucoup d'enfants, phénomène banal aux yeux des hommes du Moyen-âge. Le formulaire des chartes mentionne toujours les enfants en pluriel et et très souvent précise l’ordre de naissance des enfants (premiers-nés, puinés, cadets etc). Les familles serviles étaient a priori caractérisées par une forte natalité. L’importance accordée aux garçons transparaît dans leur primeur dans les descriptions et le niveau de détail dont ils bénéficient. Cette tendance se renforce dans les chartes du XIe siècle, peut-être en relation non seulement avec l'apparition de lignages paysans, mais aussi avec l'augmentation du nombre moyen d’enfants dans les familles serviles. Tandis que les familles comptent en moyenne autour de trois enfants au VIIIe siècle, ce seuil est le plus souvent franchi au IXe siècle, tandis que le Xe siècle voit fréquemment des familles de quatre enfants et même plus au XIe siècle.
Peut-on considérer le changement du nombre d’enfants par famille qu’enregistrent les chartes comme le résultat d'une augmentation de la natalité ou est-ce plutôt la conséquence d'un abaissement de la mortalité infantile ? Cette dernière demeura toujours très élevée sur la période prise en considération, avec près de la moitié des enfants décédant avant leur maturité (12-15 ans). Les signes indirects d'une mortalité infantile très élevée apparaissent dans les chartes de donations pour l'anniversaire des enfants, neveux, petits-enfants, morts prématurément. On les perçoit aussi dans la différence entre nombre d’enfants adultes et nombre des enfants encore en bas âge ou dans les mentions fréquentes de patrimoines en déshérance, de manses déserts et de couples sans enfants. Toutefois, certaines mentions contemporaines prouvent que l'on considérait inhabituel la mort de plus de la moitié des enfants nés dans une famille paysanne donnée. En outre, les chartes d'anniversaire des enfants morts montrent que les parents ne prêtaient attention à la mort des enfants qu'à partir d'un certain âge. La mort des mineurs semblait normale et seule celle des adolescents était ressentie comme une véritable épreuve.
L'espérance de vie des paysans adultes était très basse : les données des testaments, des chartes d'anniversaires et de quelques chartes judiciaires indiquent que la plupart des paysans décédaient entre 30 et 40 ans. Le vocabulaire employé permet d’approcher l’idée que les contemporains se faisaient d’un âge « normal » pour trépasser, lequel n’était guère élevé. Les rares mentions de « vieux » dans les chartes renvoient à des individus encore en vie lorsque leurs petits-enfants parvenaient à l'âge adulte. La répartition par âge des paysans telle qu’on peut l’esquisser à travers les mentions des différentes générations (grands-parents, parents et enfants) ou des classes d’âges (mineurs, jeunes, adultes ou vieux) révèle la prépondérance des paysans d'âge moyen (60%), catégorie suivie par celle des enfants et des jeunes (40%), le taux des vieil...
Papers by Pavel Gabdrakhmanov
From altar to barn: subtle humiliations of the saints in medieval Flanders
The article proposes an analysis of documents (inventories and acts) of the 10th–14th centuries from the archives of St Peter’s and St Bavo’s abbeys in Ghent, intending to reveal some implicit signs of disregard towards the commonly venerated saints, demonstrated by the monks as well as by the closely related to them laymen, the so-called altar tributaries. The absence of desire of these church tributaries to give names of the patron saints to their children as well as gradual loss of sacral meaning of the ceremony of votive offerings on the saint’s altar are interpreted as manifestations of neglect or even deprecation of a saint.
OF CODEX К 2556 “MARGINAL” ?
The paper is based on the materials of a register of tributaries, belonging to the abbey of Saint Peter of Ghent. The manuscript containing this register, dates from the 13th century and is conserved in the State Archive of Ghent. The author makes an attempt to determine the significance of the term “marginalia” in medieval manuscripts and tries to answer the question whether all the supplementary notes or additamenta on the “margins” of a codex could be called “marginalia”.
Key words: 13th century, Flanders, Ghent, abbey of Saint Peter, medieval codex, register, manuscript, altar tributaries, additamenta, marginalia
Le registre réunit les tributaires du monastère en quelques centai-nes de groupes généalogiques, dit « troncs ». La définition du terme « tronc » (troncus, truncus) est donnée par Pierre Lombard (с. 1095–1160) dans son « Livre des Sentences » (Sententiae in IV libris distic-tae), en référence à Isidore de Séville. Le terme entre ultérieurement dans l’oeuvre de Gratien (pars II, causa 35, quaestio 5, can. 1–2) . Selon cette définition, chaque tronc était enregistré par générations successives (per etates) depuis la fondatrice du lignage jusqu’à l’époque de rédac-tion en passant par ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants etc. Le caractère héréditaire du statut de tributaires passait donc par la mère ou, comme l’expriment les documents, « par le ventre » (per ventrem). Ainsi, la description de chaque tronc se structure selon un axe matrili-néaire.
La rédaction du registre ayant des objectifs multiples, le texte de-vait assumer plusieurs fonctions. S’il servait d’inventaire administratif, recensant l’enregistrement personnel des tributaires, le document assu-mait également une valeur juridique puisqu’il pouvait servir de preuve du statut des personnes enregistrées et de leur appartenance à la familia du monastère. Il n’est pas exclu que le registre ait pu remplir dans une certaine mesure des fonctions liturgiques pour les commémorations. Néanmoins, le registre était au premier chef un instrument financier de gestion financière, recensant tous les individus redevables de verse-ments, y compris ceux récemment décédés, leurs héritiers étant obligés de payer des droits de succession. Le texte précisait les noms des collec-teurs responsables (censorarii) et définissait en détail les formes et dates du versement du cens (censum) par les membres de chaque tronc. Par-fois, il indiquait également la somme globale due par un tronc, marquant d’un signe spécial les retards de payements, et spécifiait la destination concrète des versements de tel ou tel tronc de tributaires.
Les objectifs de la rédaction du registre sont dans l’ensemble as-sez clairs. Toutefois, les sources et les principes de la composition du registre, son organisation interne, demeurent largement énigmatiques. On ignore ainsi quelle source servit à la rédaction de la partie principale du registre. Les cas de copie directe de généalogies de tributaires, par le cantor Laurent et ses successeurs, indiquent que des actes originaux furent effectivement utilisés, mais ne servirent que de matériel complé-mentaire. Par ailleurs, une comparaison entre le registre et la centaine d’actes conservés révèle que près de la moitié des généalogies transmi-ses par ces actes ne se retrouve pas dans le texte du cantor Laurent et de ses successeurs, même implicitement. Ceci indique que les compilateurs opérèrent une sélection au sein du matériel documentaire dont ils dispo-saient pour la rédaction du registre. La logique de cette sélection de-meure à identifier.
Une bonne moitié des troncs décrits dans le registre ne montre aucun lien avec les actes originaux contenant des généalogies de tribu-taires. Il est clair que les actes ne furent pas les seules sources des com-pilateurs du codex. La source principale de la composition du nouveau registre fut certainement un inventaire de tributaires antérieur, ultérieu-rement disparu. Une référence à l’un de ces inventaires pourrait être à identifier dans une référence du cantor Laurent à un rouleau (rotulus) au sein d’un acte qu’il dressa . De même, la forme et le formulaire d'une « petite charte » (kartula) recensant les tributaires dépendant de l’advocatia de l’abbaye de Schoondijke évoquent davantage un frag-ment de registre sous forme de rouleau (le même ?) qu’un acte ordinaire. Ce n’est sans doute pas un hasard si ce document consiste presque inté-gralement en un recensement de tributaires sur deux colonnes .
Le registre présente encore d’autres problèmes, en particulier sa structure et sa composition, ainsi que l’ordre de description des troncs de tributaires. Le texte du registre est divisé en cinq sections inégales. Chacune d’elles décrit un groupe de troncs appartenant à une « cour monastique » spécifique (curia, domus, curtis), une « institution » (crip-ta, custodia) ou un « service » (officium, stapel) de l’abbaye. Mais ce principe de division du registre par les compilateurs ne fut observé avec une parfaite constance. L’analyse des rubriques introduisant la descrip-tion de tel ou tel tronc révèle que l’« appartenance » réelle de celui-ci ne coïncidait pas toujours avec celle indiquée dans le titre spécifié. La régu-larité de ces incohérences semble invalider l’hypothèse d’erreurs aléatoi-res et elles ne relèvent pas davantage de remaniements postérieurs. Tou-tefois, on ne peut en l'état actuel de la recherche proposer d'explication satisfaisante à ces irrégularités.
De même, la logique présidant à l'ordre d’enregistrement des troncs à l’intérieur de chaque section et du registre en général n'apparaît pas clairement. La première section commence avec la description des tributaires résidant au cœur même du domaine monastique, sur la « villa de saint Pierre » (villa sancti Petri). Puis les troncs se succèdent sans suivre une quelconque logique géographique, amenant à rejeter l'hypo-thèse d'un classement interne respectant un principe territorial. Des troncs installés en des lieux identiques peuvent ainsi être dispersés à travers tout le registre ou être rassemblés au sein d’une seule section au sein de laquelle ils ne forment pas nécessairement une unité compacte.
Ainsi, les principes de rédaction de la description des tributaires dans le registre demeurent obscurs. Les relations familiales entre mem-bres de différents troncs pourraient avoir joué un certain rôle, si l'on en croit certaines rares remarques directes spécifiant des liens de parenté rapprochant ou distinguant explicitement des troncs se succédant dans le registre . De telles informations sont toutefois trop rares pour permettre de vérifier cette hypothèse. On peut y suppléer dans une certaine mesure en faisant appel aux actes contenant des généalogies dédiées exactement aux mêmes troncs que le registre. Ses résultats en général confirment les témoignages directs de compilateurs du registre qui indiquent la possibi-lité égale de deux options.
Certaines particularités du formulaire de description de troncs constituent également une énigme. Les compilateurs intégraient de nombreuses lacunes et césures au sein de la structure des liens de paren-té au sein même d’un seul tronc. Ces omissions apparaissent avec une netteté particulière lorsque l'on compare les descriptions des mêmes fa-milles de tributaires dans le registre et dans les généalogies plus détail-lées contenues dans les actes.
Certains indices indirects montrent que les rédacteurs du codex passaient parfois sous silence les liens de parenté entre les troncs. D'un intérêt tout particulier sont ici les « troncs-doublets », c'est-à-dire des troncs bénéficiant de deux descriptions en deux endroits différents du registre. Que le rédacteur ait ainsi placé en deux endroits, et donc en relation avec des troncs distincts, un même groupe familial révèle qu'il établissait entre ces groupes des liens qui, s'ils nous échappent, lui pa-raissaient également importants, l'amenant à considérer la répétition comme un moindre mal. Mais la nature du lien unissant le tronc-doublet aux différents troncs auxquels il se trouve ainsi juxtaposé n’est jamais explicitée.
Les descriptions de troncs de tributaires ont donc été rédigées par les compilateurs de façon très contradictoire. D’un côté, ils se révè-lent soucieux de la plus grande exactitude dans leur présentation des groupes et des liens de parenté qui les unissent. De l’autre, les mêmes rédacteurs introduisent de nombreuses omissions et lacunes, voire même erreurs. Dans certains cas, ils renoncent à fournir les descriptions par tronc, se contentant de listes nominales ou même d’un simple nombre.
Les troncs décrits dans le codex présentent également une struc-ture double. D’une part, la plus grande attention est portée à l’enregistrement des tributaires vivants et solvables. De l’autre, on intè-gre de façon moins rigoureuse divers ancêtres qui servent de référence identitaire, étant à l’origine des généalogies des tributaires. En d’autres termes, la structure des troncs combine de manière paradoxale les carac-téristiques des généalogies verticales avec celles des groupes familiaux horizontaux. Ceci s'explique sans doute par les finalités multiples du registre, censé permettre à la fois la perception des droits financiers et l'établissement des droits juridiques du monastère sur les tributaires en-registrés. Le codex révèle donc aussi une ambivalence qui le rapproche de l'« étrange rouleau » de l’abbaye Saint-Pierre de Gand de même épo-que (XIIIe siècle) qui contient la recension des chartes avec les tributai-res et auquel nous avions dédié le volume précédent.
Cette étude prend pour objet un inventaire médiéval conservé aux archives de l’abbaye Saint-Pierre à Gand qui, sous la forme d’un rouleau, présente un certain nombre de caractéristiques uniques (Rijksarchief te Gent, Sint-Pietersabdij, Van Lokeren (= RAG, StP, VL) no 511bis. Platte stukken (circa 1235), rol., per., 1800 x 160 mm., lat.). L’étude paléographique permet d’en attribuer la rédaction au chantre Laurent, en fonction entre c. 1235 et c. 1243. À la suite du premier éditeur du rouleau, P. C. Boeren, les historiens contemporains ont voulu y voir le premier « inventaire, qui concerne une catégorie particulière de chartes, à savoir les actes d’assainteurement ou de constitution de tributaire » de cette abbaye. La question du but réel de la rédaction de l’inventaire ne saurait pourtant être tenue pour résolue.
On a déjà attiré l’attention sur l’absence d’ordre dans la description des quelques deux cents actes enregistrés, à même de refléter la logique et, partant, un projet clairement identifiable, de Laurent. Aucune démarche de classification systématique des documents n’a été entreprise avant leur intégration à l’inventaire, ce qui amène à supposer que cette absence d’« ordre » reflète tout simplement l’enregistrement progressif des documents originaux dans l’ordre de leur extraction du « coffre ». L’inversion de l’ordre chronologique amène à envisager que le compilateur ait tout simplement renversé le contenu de son coffre afin de commencer son travail. L’approche statistique permet de renouveler quelque peu cette hypothèse. Cette méthode permet en effet de mettre en valeur l’accroissement en fin d’inventaire de la proportion de documents tardifs (XIIe et XIIIe siècles), notamment des actes par lesquels les femmes libres se reconnaissent tributaires de l’autel de la Vierge Marie auquel elles se consacrent. Cet accroissement prend tout son relief lorsqu’on le rapproche de la diminution parallèle des actes anciens du Xe–XIe siècles par lesquels les serfs libérés se consacraient à l’autel principal dédié à Saint-Pierre. La majeure partie des consécrations à l’autel de la Vierge était probablement conservée à part du groupe principal des actes concernant les tributaires, d’où leur apparition en bloc à la fin du rouleau. Le désordre apparent de l’inventaire reflète donc au premier chef celui des archives et une lecture statistique de la composition de l’ouvrage permet de dégager des étapes qui sont autant d’aperçus sur l’organisation du « coffre » de l’archiviste.
L’absence de toute démarche systématique hypothéquait la possibilité d’avoir recours efficacement à l’inventaire comme outil de gestion des archives ou des droits du monastère. Au-delà même de ce problème, les simples dimensions physiques de l’œuvre de Laurent (deux mètres de long) la rendaient peu ou prou inutilisable au quotidien. En outre, l’inventaire était certainement très loin d’être complet, la majeure partie des actes antérieurs aux 1235, ayant été écartée pour des raisons qui demeurent à expliquer.
Ces remarques amènent donc à questionner la finalité réelle de l’inventaire du chantre Laurent. Afin d’esquisser une réponse à cette question, on a tenté de retracer plus précisément les étapes du travail de l’auteur. Pour ce faire, on a confronté systématiquement les textes des actes originaux à leur description dans le rouleau, avec des résultats inattendus. En premier lieu, il apparaît clairement que le copiste s’adonna sans passion à sa tâche, multipliant les omissions graves. Dans la composition de son inventaire, il semble s’intéresser en premier lieu aux données susceptibles de permettre d’identifier les personnes évoquées dans les actes. Il est donc possible que davantage qu’un répertoire d’actes, le rouleau ait en fait été conçu comme un recensement des tributaires passés à différentes époques sous le patronage du monastère. Le rouleau amalgame donc deux modes d’enregistrements intimement liés. À côté des actes intégraux interviennent des listes de noms, le primat revenant néanmoins à ces dernières. La pertinence de cette observation trouve une confirmation dans la structure similaire présentée par d’autres compilations monastiques, réalisées dans des couvents proches de Saint-Pierre (abbayes de Saint-Bavon et de Bodelo). Cette observation permet de reposer avec profit la question des objectifs et des motifs de la rédaction de l’inventaire de Laurent.
Il est possible que le rouleau, au-delà de ses fonctions administratives, ait également eu valeur commémorative. En effet, il enregistre les noms de donateurs qui, par l’offrande de leur personne ou de celles de leurs mancipia, sont entrés dans la familia du saint. Les liens entre obituaires (libri memoriales) et livres de donations (libri traditionum) sont bien connues, tandis que la différence est tout à fait convenue. Dans cette hypothèse, il serait parfaitement normal que les noms des tributaires n’apparaissent pas dans les nécrologues du monastère. Enfin, l’intervention, dans la compilation de la liste, du chantre de l’abbaye s’expliquerait au mieux dans ce contexte. Lors des messes commémoratives, les libri traditionum trouvaient place sur l’autel à côté des libri memoriales et le rouleau qui nous intéresse ici pourrait avoir été rédigé dans cette optique.
Néanmoins, l’hypothèse la plus vraisemblable demeure que le rouleau ait été avant tout considéré comme un document administratif. L’intervention de Laurent ne va pas à l’encontre de cette interprétation car dans l’abbaye de Saint-Pierre c’est précisément le chantre qui était en charge de la gestion des tributaires, s’occupant de leur recensement, supervisant les revenus dus par ce groupe et, par conséquent, assurant la production et la conservation des documents les concernant. Pour cette raison, le chantre Laurent, en marge de la rédaction de l’inventaire, « renouvela » divers actes anciens en les recopiant de sa main. Celle-ci se laisse identifier en effet sur quelques documents administratifs relatifs au recensement de tributaires de l’abbaye. Parmi ses documents, citons un second rouleau (rotulus) dont le contenu n’est malheureusement connu qu’indirectement, à travers une référence faite par Laurent à ce document dans l’un des actes qu’il dressa. Par ailleurs, on doit attribuer au chantre la paternité de la majeure partie d’un assez volumineux codex tout aussi énigmatique que l’inventaire, œuvre cette fois conservée jusqu’à nos jours. On y trouve un registre de plusieurs centaines de tronci de tributaires de l’abbaye, spécifiant leur localisation exacte et les taxes dont ils étaient redevables.
La prolifique activité du chantre Laurent malgré la brièveté de son mandat s’explique sans doute au premier chef par sa volonté de remettre de l’ordre au sein du service dont il avait reçu la charge et des archives placées sous sa responsabilité. En revanche, la question de la finalité exacte assignée au rouleau qui a retenu ici notre attention doit demeurer ouverte. Doit-on y voir un document administratif d’un type peu commun, comme un inventaire particulier des actes d’un type donné ou encore une liste de tributaires ayant souhaité se placer sous le patronage du monastère, ou faut-il plutôt admettre que ce document ait eu pour vocation de servir en premier lieu à la commémoration liturgique des individus qui s’y trouvent recensés ?
Cette étude prend pour objet l'histoire de la population villageoise entre Loire et Rhin à l'époque carolingienne. L’accent est mis sur les caractéristiques et les tendances structurelles de la dynamique démographique de la paysannerie carolingienne entre le VIIIe au XIe siècles, problème qui a depuis longtemps retenu l’attention des historiens. La recherche se fonde sur plusieurs milliers de chartes, au premier rang desquelles environ cinq cents chartes de donations compilant les descriptions de plus de deux mille ménages serviles.
Ces descriptions permettent de mettre en lumière la structure des ménages, de calculer l’équilibre entre célibataires, mariés et veufs ou entre les sexes et classes d’âge. Enfin, l’évolution du nombre d’enfants par famille féconde peut également être déterminée et soumise à analyse. L’approche quantitative met ainsi à disposition une somme d'informations sur les caractéristiques essentielles de la nuptialité, de la natalité et de la mortalité des paysans au haut Moyen Âge sur la longue durée (VIIIe-XIe siècle).
Les listes de familles servile offertes par les chartes n’offrent toutefois qu’un appui précaire à la statistique et l’auteur a doublé cette approche d’une seconde méthode d’analyse, résolument qualitative. Celle-ci repose sur l’examen des particularités du formulaire de ces descriptions à même de permettre d’approcher les mentalités de la paysannerie médiévale, de ses représentations de la famille, du mariage, de la femme et des enfants, lesquels déterminent largement les comportements et les dynamiques démographiques. L’évolution de ces dernières sur les quatre siècles pris en examen peut ainsi être mise en lumière. La méthode proposée pour l'analyse des formulaires, ainsi que l'analyse des données émanant des actes d'autres types (chartes d'affranchissement et d'assainteurement, testaments, etc.) permet de discerner quelques traits du comportement démographique, de vérifier et de compléter l'analyse quantitative.
L'analyse de la perception qu’avait l’homme médiéval du groupe familial révèle la primauté des parentèles étendues (genealogia, genus, parentella etc.). Les unités réellement signifiantes (y compris quelque dizaines de paysans adultes de même ascendance maternelle) étaient ainsi à la fois vastes et très stables, pouvant être suivies du VIIIe-Xe siècles au XIe-XIIe siècles). Sa structure de ces cellules connut toutefois certaines évolutions sous l'influence de la seigneurie féodale. En revanche, la famille restreinte, centrée sur un couple unique, ne retenait guère l’attention et les hommes du Moyen Âge n'y attachaient pas la même importance qu’à la parentèle élargie. Le terme familia - famille proprement dite - est ainsi rare dans nos textes, les auteurs des chartes y substituant des expressions générales (uxor et infantes, carruca, focus, ignis, heredes sui, sui omnes) plus signifiantes à leurs yeux. Pourtant, on perçoit dans les chartes du XIe siècle l’importance croissante reconnue à la famille nucléaire (familia, domus).
Le formulaire utilisé pour la description de familles paysannes révèle la perception qu’avaient les contemporains de la structure de la famille et de la parenté. À partir du XIe siècle, les descriptions de familles paysannes dans les chartes deviennent plus complètes, incluant non seulement le père, la mère, les frères et les sœurs adultes, mais parfois aussi les familles des membres de la fratrie. Parallèlement, on constate un basculement du centre d’intérêt des rédacteurs des femmes (mère, soeurs, filles) vers les hommes (père, frères, neveux). Le XIe siècle est donc marqué par un processus de redéfinition de la famille paysanne axée sur la consolidation du « lignage paysan ».
La structure du ménage paysan change aussi du VIIIe au XIe siècle : le taux des tenures diminue et le nombre des tenures fractionnées et des tenures-feux augmente. Parallèlement, le nombre moyen d’habitants sur ces derniers types de tenures augmente. Le nombre de ménages mononucléaires est multiplié par un facteur de 1,5 à 2, tandis que la tendance à transformer les familles patriarcales en associations décourage les ménages familiaux multiples.
Les données des actes sur le statut matrimonial des paysans sont évidemment inexactes et l'analyse de la répartition des paysans selon leur statut conjugal n’offre qu’une estimation minimale. Environ la moitié des paysans et les 2/3 des paysannes (veufs et veuves compris) étaient mariés, mais le même calcul effectué d'après les seules chartes les plus complètes indique un taux des célibataires plus faible : moins d’un tiers des hommes et d’un 1/4 des femmes pubères. Ces chiffres révèlent le niveau assez élevé de la nuptialité des paysans au Moyen Âge.
L'analyse du comportement matrimonial des paysans indique unmariage précoce, à 12-14 ans, l’âge moyen variant selon les sexes. Les liaisons sexuelles illégitimes étaient moins fréquentes que dans le milieu des chevaliers. On note que si les chartes ne mentionnent jamais de divorce de paysans, le remariage des veufs était en revanche très largement pratiqué. Ces orientations matrimoniales stimulaient le haut niveau de nuptialité et, par là, de la natalité.
Il est sans doute possible de mettre en lumière une évolution du niveau de nuptialité des paysans du VIIIe jusqu'au XIe siècle. Les actes du XIe siècle précisent le statut matrimonial des paysans deux fois plus souvent que dans les documents du VIIIe siècle. Ce fait ne prouve pas, bien sûr, un doublement de la nuptialité sur la même période, mais on peut néanmoins y voir l’indice d’une tendance à la croissance de la nuptialité paysanne.
De même, les chartes plaident en faveur d’une forte dynamique démographique en raison de l'augmentation du nombre d’enfants dans les familles paysannes qu’elles révèlent. Les familles sans enfants demeure toutefois assez nombreuses, représentant environ 20% de l’échantillon disponible. Le décompte doit néanmoins être tempéré par l’observation du fait que l'existence des enfants dans les familles serviles n'est pas toujours relevée dans les chartes. En outre, au XIe siècle, la proportion de couples sans enfant est divisée par deux, évolution qu’il faut également expliquer en partie au moins par l’évolution de la pratique documentaire.
On peut considérer comme une moyenne basse le chiffre d’environ trois enfants par ménage fécond. Les auteurs des chartes, n’utilisant que quelques variantes pour la description des enfants, omettaient souvent les descriptions précises et complètes de ces derniers tant qu’ils habitaient avec leurs parents. Leur intérêt se portait spécifiquement sur les aînés et plus particulièrement les fils. A l’inverse, les enfants encore en bas âge, notamment les filles, ne retenaient guère les rédacteurs.
L'analyse du formulaire utilisé pour la description des enfants permet d’identifer certaines particularités de la natalité dans les familles paysannes. Dans les chartes recèlent en grand nombre des descriptions de familles serviles comprenant beaucoup d'enfants, phénomène banal aux yeux des hommes du Moyen-âge. Le formulaire des chartes mentionne toujours les enfants en pluriel et et très souvent précise l’ordre de naissance des enfants (premiers-nés, puinés, cadets etc). Les familles serviles étaient a priori caractérisées par une forte natalité. L’importance accordée aux garçons transparaît dans leur primeur dans les descriptions et le niveau de détail dont ils bénéficient. Cette tendance se renforce dans les chartes du XIe siècle, peut-être en relation non seulement avec l'apparition de lignages paysans, mais aussi avec l'augmentation du nombre moyen d’enfants dans les familles serviles. Tandis que les familles comptent en moyenne autour de trois enfants au VIIIe siècle, ce seuil est le plus souvent franchi au IXe siècle, tandis que le Xe siècle voit fréquemment des familles de quatre enfants et même plus au XIe siècle.
Peut-on considérer le changement du nombre d’enfants par famille qu’enregistrent les chartes comme le résultat d'une augmentation de la natalité ou est-ce plutôt la conséquence d'un abaissement de la mortalité infantile ? Cette dernière demeura toujours très élevée sur la période prise en considération, avec près de la moitié des enfants décédant avant leur maturité (12-15 ans). Les signes indirects d'une mortalité infantile très élevée apparaissent dans les chartes de donations pour l'anniversaire des enfants, neveux, petits-enfants, morts prématurément. On les perçoit aussi dans la différence entre nombre d’enfants adultes et nombre des enfants encore en bas âge ou dans les mentions fréquentes de patrimoines en déshérance, de manses déserts et de couples sans enfants. Toutefois, certaines mentions contemporaines prouvent que l'on considérait inhabituel la mort de plus de la moitié des enfants nés dans une famille paysanne donnée. En outre, les chartes d'anniversaire des enfants morts montrent que les parents ne prêtaient attention à la mort des enfants qu'à partir d'un certain âge. La mort des mineurs semblait normale et seule celle des adolescents était ressentie comme une véritable épreuve.
L'espérance de vie des paysans adultes était très basse : les données des testaments, des chartes d'anniversaires et de quelques chartes judiciaires indiquent que la plupart des paysans décédaient entre 30 et 40 ans. Le vocabulaire employé permet d’approcher l’idée que les contemporains se faisaient d’un âge « normal » pour trépasser, lequel n’était guère élevé. Les rares mentions de « vieux » dans les chartes renvoient à des individus encore en vie lorsque leurs petits-enfants parvenaient à l'âge adulte. La répartition par âge des paysans telle qu’on peut l’esquisser à travers les mentions des différentes générations (grands-parents, parents et enfants) ou des classes d’âges (mineurs, jeunes, adultes ou vieux) révèle la prépondérance des paysans d'âge moyen (60%), catégorie suivie par celle des enfants et des jeunes (40%), le taux des vieil...
From altar to barn: subtle humiliations of the saints in medieval Flanders
The article proposes an analysis of documents (inventories and acts) of the 10th–14th centuries from the archives of St Peter’s and St Bavo’s abbeys in Ghent, intending to reveal some implicit signs of disregard towards the commonly venerated saints, demonstrated by the monks as well as by the closely related to them laymen, the so-called altar tributaries. The absence of desire of these church tributaries to give names of the patron saints to their children as well as gradual loss of sacral meaning of the ceremony of votive offerings on the saint’s altar are interpreted as manifestations of neglect or even deprecation of a saint.
OF CODEX К 2556 “MARGINAL” ?
The paper is based on the materials of a register of tributaries, belonging to the abbey of Saint Peter of Ghent. The manuscript containing this register, dates from the 13th century and is conserved in the State Archive of Ghent. The author makes an attempt to determine the significance of the term “marginalia” in medieval manuscripts and tries to answer the question whether all the supplementary notes or additamenta on the “margins” of a codex could be called “marginalia”.
Key words: 13th century, Flanders, Ghent, abbey of Saint Peter, medieval codex, register, manuscript, altar tributaries, additamenta, marginalia