On s'est habitué à voir dans le gaullisme un volontarisme au service du réalisme. Il est donc pou... more On s'est habitué à voir dans le gaullisme un volontarisme au service du réalisme. Il est donc pour le moins inattendu de voir le Général De Gaulle, à rebours de la doxa ambiante, qualifier l'attitude du dernier Bourbon de « réaliste » et non de « providentialiste ». 1 Ecartons d'emblée l'hypothèse que le Général ne maitrisait pas son sujet. De Gaulle était né dans une famille légitimiste en 1890, sept ans seulement après la mort du comte de Chambord. Tous les biographes le savent, mais comme le légitimisme est le parent pauvre de l'historiographie française, aucun n'y prête attention. Il est vrai que, de prime abord, le légitimisme est un phénomène plutôt déroutant. Au-delà de la fidélité dynastique, quoi de commun, en 1830, entre le dogmatisme d'un Bonald et le pragmatisme d'un Chateaubriand ? 2 Après 1870, quoi de commun a fortiori entre le journaliste Louis Veuillot, qui veut « sauver Rome et la France au nom du Sacré-Coeur », et le sociologue Edmond Demolins, fondateur de l'Ecole des Roches, qui s'emploiera à régénérer la France par le biais d'une… éducation à l'anglo-saxonne 3 ?
D'Amadis de Gaule à Charles de Gaulle, la nostalgie du merveilleux chrétien n'a cessé de hanter l... more D'Amadis de Gaule à Charles de Gaulle, la nostalgie du merveilleux chrétien n'a cessé de hanter la culture politique française. Au XIXe siècle, âge d'or du providentialisme catholique, cette nostalgie s'est concentrée sur le dernier Bourbon : Henri d'Artois (1820-1883), duc de Bordeaux, puis comte de Chambord, qui n'aura régné que huit jours à l'été 1830. Né sept mois après l'assassinat de son père, le jeune prince sera salué comme « l'Enfant du miracle » par Lamartine et se verra offrir le domaine de Chambord par souscription nationale. Condamné à l'exil après la révolution de 1830, « Henri V » deviendra l'objet de tous les espoirs d'un Chateaubriand, et Victor Hugo lui-même verra dans son prétendu « fier suicide » de 1873 l'incarnation d'un panache bien français. Même le futur maréchal Lyautey, qui n'avait rien d'un littérateur, sortira ébloui de son entrevue avec le Prince en 1883. Au XXe siècle, âge d'or des religions séculières, les dévotions populaires s'orientent vers d'autres Prétendants ayant peu ou pas régné (Jaurès, Blum, Thorez…). Chambord disparait du « roman national », et l'étude du Légitimisme devient une spécialité universitaire américaine. 1 La seule personnalité politique à avoir eu un avis bien tranché sur le dernier Bourbon est le Général de Gaulle qui, à l'été 1946, fait à Claude Mauriac cette confidence inattendue :
Acclamé comme Père la Victoire le 11 novembre 1918, Georges Clemenceau se voyait affublé douze mo... more Acclamé comme Père la Victoire le 11 novembre 1918, Georges Clemenceau se voyait affublé douze mois plus tard du sobriquet de Perd-la-Victoire lorsque le Sénat américain, en première lecture, refusa de ratifier le traité de Versailles-et avec lui, le traité d'assistance à la France :
En mai 2018, un an à peine après son élection au terme d'une campagne « européiste » en diable, E... more En mai 2018, un an à peine après son élection au terme d'une campagne « européiste » en diable, Emmanuel Macron se laissa aller à une bien étrange confidence : « Paradoxalement, ce qui me rend optimiste, c'est que l'histoire que nous vivons en Europe redevient tragique… Ce vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l'abri dans le confort matériel entre dans une nouvelle aventure où le tragique s'invite. » Provocation gratuite ? Pas tout à fait. Le même mois, lors d'une tournée dans l'Indo-Pacifique, le président français devait déclarer à cinq reprises : « Je crois beaucoup à la force d'un nouvel axe Paris-New Delhi-Canberra ». Consciemment ou non, c'était là renouer avec le « rêve inassouvi » Napoléon. 1
« L'histoire universelle est finie, vive l'histoire globale ! ». Tel est du moins l'esprit du tem... more « L'histoire universelle est finie, vive l'histoire globale ! ». Tel est du moins l'esprit du temps, un peu partout dans le monde, depuis bientôt trente ans. Et c'est aussi bien comme cela. L'histoire universelle de papa était une théologie laïcisée : elle postulait un sens unidirectionnel, une destination finale (Bestimmung) commune à l'Humanité toute entière. Au pire, elle fut la matrice de tous les totalitarismes du XXe siècle. Au mieux, au fil des ans, elle s'était mise à ressembler au fameux chromo quarante-huitard de Flaubert : « Cela représentait la République, ou le Progrès, ou la Civilisation, sous la figure de Jésus-Christ conduisant une locomotive, laquelle traversait une forêt vierge. » Si bien qu'une décennie avant même l'annonce de la « fin de l'histoire » (Fukuyama), l'incrédulité à l'égard de tout métarécit était déjà devenue la marque de la condition post-moderne (Lyotard). L'histoire globale est une odyssée sans théodicée : elle suspend tout jugement quant au sens d'une destination finale pour mieux s'intéresser aux multiples sens de la circulation des personnes, des marchandises, et des idées offerts par les trois modalités possibles d'interaction (coopération, compétition, confrontation). En ce sens, l'histoire globale est à l'histoire universelle ce que la phénoménologie est à la théologie. L'histoire universelle était linéaire ; l'histoire globale est chaotique-au sens de la théorie du chaos. Et comme pour mieux s'affranchir de la « tyrannie du sens », l'histoire globale est aussi résolument thalasso-centrique que l'histoire universelle était telluro-centrique. Last but not least, l'histoire universelle était eurocentrique ; à son meilleur, l'histoire globale accompagne, tout en l'éclairant, l'actuelle translatio impérii de l'aire euro-atlantique vers la zone indo-pacifique. ___ Tony Corn a enseigné les études européennes à l'U.S. Foreign Service Institute (Washington).
A Washington, Moscou, Beijing ou ailleurs, voilà maintenant une décennie que l'Union européenne n... more A Washington, Moscou, Beijing ou ailleurs, voilà maintenant une décennie que l'Union européenne n'est plus perçue que comme une réincarnation technocratique de l'empire austro-hongrois, dans laquelle l'Allemagne joue le rôle de cavalier autrichien, la France, celui de cheval hongrois. Le Brexit de 2020 ne peut que renforcer cette perception. A mesure que le centre de gravité du monde bascule de la région euro-atlantique vers la zone indo-pacifique, l'Union européenne semble voué à n'être rien de plus que la version houellebecquienne de la « Kakanie » habsbourgeoise jadis brocardée par Robert Musil. A Bruxelles même, l'hypothèse d'une dés-intégration n'est plus un sujet tabou, y compris au sein du Collège de l'Europe-l'ENA des Eurocrates. Et à travers l'Europe, une dissolution de l'UE dans les 10-20 prochaines années est perçue comme « probable » ou « très probable » par une majorité de Français,
On s'est habitué à voir dans le gaullisme un volontarisme au service du réalisme. Il est donc pou... more On s'est habitué à voir dans le gaullisme un volontarisme au service du réalisme. Il est donc pour le moins inattendu de voir le Général De Gaulle, à rebours de la doxa ambiante, qualifier l'attitude du dernier Bourbon de « réaliste » et non de « providentialiste ». 1 Ecartons d'emblée l'hypothèse que le Général ne maitrisait pas son sujet. De Gaulle était né dans une famille légitimiste en 1890, sept ans seulement après la mort du comte de Chambord. Tous les biographes le savent, mais comme le légitimisme est le parent pauvre de l'historiographie française, aucun n'y prête attention. Il est vrai que, de prime abord, le légitimisme est un phénomène plutôt déroutant. Au-delà de la fidélité dynastique, quoi de commun, en 1830, entre le dogmatisme d'un Bonald et le pragmatisme d'un Chateaubriand ? 2 Après 1870, quoi de commun a fortiori entre le journaliste Louis Veuillot, qui veut « sauver Rome et la France au nom du Sacré-Coeur », et le sociologue Edmond Demolins, fondateur de l'Ecole des Roches, qui s'emploiera à régénérer la France par le biais d'une… éducation à l'anglo-saxonne 3 ?
D'Amadis de Gaule à Charles de Gaulle, la nostalgie du merveilleux chrétien n'a cessé de hanter l... more D'Amadis de Gaule à Charles de Gaulle, la nostalgie du merveilleux chrétien n'a cessé de hanter la culture politique française. Au XIXe siècle, âge d'or du providentialisme catholique, cette nostalgie s'est concentrée sur le dernier Bourbon : Henri d'Artois (1820-1883), duc de Bordeaux, puis comte de Chambord, qui n'aura régné que huit jours à l'été 1830. Né sept mois après l'assassinat de son père, le jeune prince sera salué comme « l'Enfant du miracle » par Lamartine et se verra offrir le domaine de Chambord par souscription nationale. Condamné à l'exil après la révolution de 1830, « Henri V » deviendra l'objet de tous les espoirs d'un Chateaubriand, et Victor Hugo lui-même verra dans son prétendu « fier suicide » de 1873 l'incarnation d'un panache bien français. Même le futur maréchal Lyautey, qui n'avait rien d'un littérateur, sortira ébloui de son entrevue avec le Prince en 1883. Au XXe siècle, âge d'or des religions séculières, les dévotions populaires s'orientent vers d'autres Prétendants ayant peu ou pas régné (Jaurès, Blum, Thorez…). Chambord disparait du « roman national », et l'étude du Légitimisme devient une spécialité universitaire américaine. 1 La seule personnalité politique à avoir eu un avis bien tranché sur le dernier Bourbon est le Général de Gaulle qui, à l'été 1946, fait à Claude Mauriac cette confidence inattendue :
Acclamé comme Père la Victoire le 11 novembre 1918, Georges Clemenceau se voyait affublé douze mo... more Acclamé comme Père la Victoire le 11 novembre 1918, Georges Clemenceau se voyait affublé douze mois plus tard du sobriquet de Perd-la-Victoire lorsque le Sénat américain, en première lecture, refusa de ratifier le traité de Versailles-et avec lui, le traité d'assistance à la France :
En mai 2018, un an à peine après son élection au terme d'une campagne « européiste » en diable, E... more En mai 2018, un an à peine après son élection au terme d'une campagne « européiste » en diable, Emmanuel Macron se laissa aller à une bien étrange confidence : « Paradoxalement, ce qui me rend optimiste, c'est que l'histoire que nous vivons en Europe redevient tragique… Ce vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l'abri dans le confort matériel entre dans une nouvelle aventure où le tragique s'invite. » Provocation gratuite ? Pas tout à fait. Le même mois, lors d'une tournée dans l'Indo-Pacifique, le président français devait déclarer à cinq reprises : « Je crois beaucoup à la force d'un nouvel axe Paris-New Delhi-Canberra ». Consciemment ou non, c'était là renouer avec le « rêve inassouvi » Napoléon. 1
« L'histoire universelle est finie, vive l'histoire globale ! ». Tel est du moins l'esprit du tem... more « L'histoire universelle est finie, vive l'histoire globale ! ». Tel est du moins l'esprit du temps, un peu partout dans le monde, depuis bientôt trente ans. Et c'est aussi bien comme cela. L'histoire universelle de papa était une théologie laïcisée : elle postulait un sens unidirectionnel, une destination finale (Bestimmung) commune à l'Humanité toute entière. Au pire, elle fut la matrice de tous les totalitarismes du XXe siècle. Au mieux, au fil des ans, elle s'était mise à ressembler au fameux chromo quarante-huitard de Flaubert : « Cela représentait la République, ou le Progrès, ou la Civilisation, sous la figure de Jésus-Christ conduisant une locomotive, laquelle traversait une forêt vierge. » Si bien qu'une décennie avant même l'annonce de la « fin de l'histoire » (Fukuyama), l'incrédulité à l'égard de tout métarécit était déjà devenue la marque de la condition post-moderne (Lyotard). L'histoire globale est une odyssée sans théodicée : elle suspend tout jugement quant au sens d'une destination finale pour mieux s'intéresser aux multiples sens de la circulation des personnes, des marchandises, et des idées offerts par les trois modalités possibles d'interaction (coopération, compétition, confrontation). En ce sens, l'histoire globale est à l'histoire universelle ce que la phénoménologie est à la théologie. L'histoire universelle était linéaire ; l'histoire globale est chaotique-au sens de la théorie du chaos. Et comme pour mieux s'affranchir de la « tyrannie du sens », l'histoire globale est aussi résolument thalasso-centrique que l'histoire universelle était telluro-centrique. Last but not least, l'histoire universelle était eurocentrique ; à son meilleur, l'histoire globale accompagne, tout en l'éclairant, l'actuelle translatio impérii de l'aire euro-atlantique vers la zone indo-pacifique. ___ Tony Corn a enseigné les études européennes à l'U.S. Foreign Service Institute (Washington).
A Washington, Moscou, Beijing ou ailleurs, voilà maintenant une décennie que l'Union européenne n... more A Washington, Moscou, Beijing ou ailleurs, voilà maintenant une décennie que l'Union européenne n'est plus perçue que comme une réincarnation technocratique de l'empire austro-hongrois, dans laquelle l'Allemagne joue le rôle de cavalier autrichien, la France, celui de cheval hongrois. Le Brexit de 2020 ne peut que renforcer cette perception. A mesure que le centre de gravité du monde bascule de la région euro-atlantique vers la zone indo-pacifique, l'Union européenne semble voué à n'être rien de plus que la version houellebecquienne de la « Kakanie » habsbourgeoise jadis brocardée par Robert Musil. A Bruxelles même, l'hypothèse d'une dés-intégration n'est plus un sujet tabou, y compris au sein du Collège de l'Europe-l'ENA des Eurocrates. Et à travers l'Europe, une dissolution de l'UE dans les 10-20 prochaines années est perçue comme « probable » ou « très probable » par une majorité de Français,
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