Le rôle du roman dans l’avènement de l’individu et de l’individualisme contemporains est fondamen... more Le rôle du roman dans l’avènement de l’individu et de l’individualisme contemporains est fondamental. On peut lire son rôle à travers l’histoire comme celui d’un façonnage du sujet, de son étayage et de sa complexification. Les plus grandes figures romanesques voient leur individualité s’embroussailler pour suggérer une forme de fragmentation, voire pour sombrer dans la folie (de Don Quichotte à Patrick Bateman). Dans cette double dynamique de construction et de déconstruction, la littérature contemporaine française s’est trouvé diverses manières de se réapproprier l’individu. Mais peu d’auteurs ont opéré une approche aussi radicale qu’Antoine Volodine, chez qui l’individu humain, voué à une extinction rapide, voit son identité s’affaiblir progressivement et se reconstituer sous forme de groupe ou de meute, dans la perspective deleuzienne d’un devenir-animal. Sous couvert d’un réexamen désabusé des utopies égalitaristes, les personnages de ses romans se fondent en collectifs ou en communes, résistant comme ils le peuvent à l’inhospitalité du monde post-apocalyptique qui les entoure. Ils meurent très souvent, ils ne tiennent jamais qu’à un fil, mais leur interchangeabilité les protège de l’extinction totale, le temps de dire ce qu’ils ont à dire. En parallèle, l’identité énonciative s’effrite également, les personnages-narrateurs des romans prenant peu à peu le rôle de seuls énonciateurs, puis d’auteurs du texte, tandis que Volodine lui-même multiplie les identités, publiant même sous d’autres hétéronymes et dans diverses maisons d’édition. En morcelant ainsi l’individualité de la figure de l’écrivain aussi bien que celle de ses protagonistes, Volodine parvient dans un même mouvement à collectiviser profondément ses destinataires, tout en développant une œuvre parfaitement singulière. Mais cette singularité lui appartient moins qu’elle ne se diffuse dans ses lecteurs
Cet article prend pour objet un enseignement de master donné sur plusieurs années en Faculté des ... more Cet article prend pour objet un enseignement de master donné sur plusieurs années en Faculté des lettres à l’Université de Lausanne et consacré au devenir des études littéraires dans la Cité (transmission et médiation du littéraire). Mais les observations qui s’y rattachent portent ici sur les modalités peu ou mal interrogées de la lecture littéraire dans le cadre universitaire lui-même. Il découle de ces observations la nécessité d’une approche de la lecture littéraire promouvant subjectivité, créativité et prise en compte des apports de la critique didactique, dans un cadre où ces zones d’intérêt peinent à trouver leur place. Si les études littéraires trouvent, encore aujourd’hui, leur intérêt dans la construction identitaire des sujets lecteurs qui s’y consacrent, il est plus que jamais nécessaire de donner à ces derniers l’espace nécessaire à l’expression d’une subjectivité, voire d’une intimité dans le partage des récits qui nous fondent.
Contrairement a la ruine percue par la tradition moderne comme objet de contemplation ou de patri... more Contrairement a la ruine percue par la tradition moderne comme objet de contemplation ou de patrimoine eloigne du regard de l’observateur, la ruine volodinienne, omnipresente, touche de tres pres le protagoniste post-exotique – qui ne connait, a vrai dire, qu’elle. Etablir la typologie de ces ruines revient a considerer la dynamique des distances qui les rapprochent du sujet, jusqu’a faire corps avec lui, en lui imposant une presence actantielle effective, voire une vie propre. Cela revient egalement a considerer la centralite de la notion de ruine au lieu meme du langage post-exotique. Milieu fondamentalement et activement hostile a l’humain, la ruine post-exotique se presente alors comme la condition meme de son discours, c’est-a-dire du discours litteraire, lui-meme ruine, mais dont les possibles figurent la langue d’une post-humanite devenue seule heritiere du monde. A la lecture de Volodine, on fait l’experience de la recreation d’une langue et d’une esthetique que fondent les ruines ; il ne s’agit pas uniquement de montrer les ruines de la langue et du monde, mais d’exploiter une litterature qui repousse comme de mauvaises herbes mutees et adaptees a un nouveau terrain. Par sa copresence dans la fiction post-apocalyptique et dans le monde de notre lecture, cette litterature nous informe sur un monde en ruines que nous habitons deja depuis longtemps.
Cet article est un compte-rendu du livre : Raphaël Baroni, Les Rouages de l’intrigue, Genève : Sl... more Cet article est un compte-rendu du livre : Raphaël Baroni, Les Rouages de l’intrigue, Genève : Slatkine, coll. « Érudition », 2017, 218 p., EAN 9782051028080.
Cet article est un compte-rendu du livre : Bernard Sève, De haut en bas. Philosophie des listes, ... more Cet article est un compte-rendu du livre : Bernard Sève, De haut en bas. Philosophie des listes, Paris : Les Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2010, EAN 9782021011838 & Umberto Eco, Vertige de la liste, Paris : Flammarion, 2009, EAN 9782081228849 & Umberto Eco, Confessions d’un jeune romancier, Paris : Grasset, 2013, EAN 9782246788966.
Le rôle du roman dans l’avènement de l’individu et de l’individualisme contemporains est fondamen... more Le rôle du roman dans l’avènement de l’individu et de l’individualisme contemporains est fondamental. On peut lire son rôle à travers l’histoire comme celui d’un façonnage du sujet, de son étayage et de sa complexification. Les plus grandes figures romanesques voient leur individualité s’embroussailler pour suggérer une forme de fragmentation, voire pour sombrer dans la folie (de Don Quichotte à Patrick Bateman). Dans cette double dynamique de construction et de déconstruction, la littérature contemporaine française s’est trouvé diverses manières de se réapproprier l’individu. Mais peu d’auteurs ont opéré une approche aussi radicale qu’Antoine Volodine, chez qui l’individu humain, voué à une extinction rapide, voit son identité s’affaiblir progressivement et se reconstituer sous forme de groupe ou de meute, dans la perspective deleuzienne d’un devenir-animal. Sous couvert d’un réexamen désabusé des utopies égalitaristes, les personnages de ses romans se fondent en collectifs ou en communes, résistant comme ils le peuvent à l’inhospitalité du monde post-apocalyptique qui les entoure. Ils meurent très souvent, ils ne tiennent jamais qu’à un fil, mais leur interchangeabilité les protège de l’extinction totale, le temps de dire ce qu’ils ont à dire. En parallèle, l’identité énonciative s’effrite également, les personnages-narrateurs des romans prenant peu à peu le rôle de seuls énonciateurs, puis d’auteurs du texte, tandis que Volodine lui-même multiplie les identités, publiant même sous d’autres hétéronymes et dans diverses maisons d’édition. En morcelant ainsi l’individualité de la figure de l’écrivain aussi bien que celle de ses protagonistes, Volodine parvient dans un même mouvement à collectiviser profondément ses destinataires, tout en développant une œuvre parfaitement singulière. Mais cette singularité lui appartient moins qu’elle ne se diffuse dans ses lecteurs
Cet article prend pour objet un enseignement de master donné sur plusieurs années en Faculté des ... more Cet article prend pour objet un enseignement de master donné sur plusieurs années en Faculté des lettres à l’Université de Lausanne et consacré au devenir des études littéraires dans la Cité (transmission et médiation du littéraire). Mais les observations qui s’y rattachent portent ici sur les modalités peu ou mal interrogées de la lecture littéraire dans le cadre universitaire lui-même. Il découle de ces observations la nécessité d’une approche de la lecture littéraire promouvant subjectivité, créativité et prise en compte des apports de la critique didactique, dans un cadre où ces zones d’intérêt peinent à trouver leur place. Si les études littéraires trouvent, encore aujourd’hui, leur intérêt dans la construction identitaire des sujets lecteurs qui s’y consacrent, il est plus que jamais nécessaire de donner à ces derniers l’espace nécessaire à l’expression d’une subjectivité, voire d’une intimité dans le partage des récits qui nous fondent.
Contrairement a la ruine percue par la tradition moderne comme objet de contemplation ou de patri... more Contrairement a la ruine percue par la tradition moderne comme objet de contemplation ou de patrimoine eloigne du regard de l’observateur, la ruine volodinienne, omnipresente, touche de tres pres le protagoniste post-exotique – qui ne connait, a vrai dire, qu’elle. Etablir la typologie de ces ruines revient a considerer la dynamique des distances qui les rapprochent du sujet, jusqu’a faire corps avec lui, en lui imposant une presence actantielle effective, voire une vie propre. Cela revient egalement a considerer la centralite de la notion de ruine au lieu meme du langage post-exotique. Milieu fondamentalement et activement hostile a l’humain, la ruine post-exotique se presente alors comme la condition meme de son discours, c’est-a-dire du discours litteraire, lui-meme ruine, mais dont les possibles figurent la langue d’une post-humanite devenue seule heritiere du monde. A la lecture de Volodine, on fait l’experience de la recreation d’une langue et d’une esthetique que fondent les ruines ; il ne s’agit pas uniquement de montrer les ruines de la langue et du monde, mais d’exploiter une litterature qui repousse comme de mauvaises herbes mutees et adaptees a un nouveau terrain. Par sa copresence dans la fiction post-apocalyptique et dans le monde de notre lecture, cette litterature nous informe sur un monde en ruines que nous habitons deja depuis longtemps.
Cet article est un compte-rendu du livre : Raphaël Baroni, Les Rouages de l’intrigue, Genève : Sl... more Cet article est un compte-rendu du livre : Raphaël Baroni, Les Rouages de l’intrigue, Genève : Slatkine, coll. « Érudition », 2017, 218 p., EAN 9782051028080.
Cet article est un compte-rendu du livre : Bernard Sève, De haut en bas. Philosophie des listes, ... more Cet article est un compte-rendu du livre : Bernard Sève, De haut en bas. Philosophie des listes, Paris : Les Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2010, EAN 9782021011838 & Umberto Eco, Vertige de la liste, Paris : Flammarion, 2009, EAN 9782081228849 & Umberto Eco, Confessions d’un jeune romancier, Paris : Grasset, 2013, EAN 9782246788966.
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