S. SCHOONEJANS • Danse et littérature
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SONIA SCHOONEJANS
DANSE ET LITTERATURE
Ce texte fait partie d’un cycle de conférences sur ‘La Danse confrontée aux autres arts,’
donné au Théâtre de la Ville de Paris durant la saison artistique 2012/2013. Il s’agissait
d’étudier l’art chorégraphique en le confrontant à la musique, aux arts plastiques, au cinéma
et à la littérature pour mieux saisir la spécificité de la danse ainsi que la variété des ses
collaborations possibles.
Se pencher sur les rapports entre la danse et la littérature, c’est se confronter à l’éternel
dilemme entre le dire et le faire, entre le mot qui permet la communication, et le geste
qui favorise la communion. Et si de nombreux points sont communs aux deux formes
d’art — recherche de la forme, de la construction, du rythme, ainsi que le vocabulaire,
écriture chorégraphique, alphabet des pas, grammaire du ballet, syntaxe de la danse
moderne —, les différences restent notables. Si l’écrivain accomplit un travail solitaire
sans beaucoup de contraintes et construit un monde dont il élabore lui-même les règles,
le chorégraphe, lui, dirige une équipe, ce qui d’emblée le confronte à la réalité, que ce soit
le corps des danseurs ou les conditions techniques du spectacle.
Que la danse ait de tout temps pénétré l’imaginaire de ceux qui font profession
d’écrire, qu’elle ait intrigué de nombreux écrivains, il suffit pour s’en convaincre, de
regarder la quantité de littérature produite autour de la danse et des danseurs. Ce prestige
de la danse touche surtout les poètes et plus particulièrement ceux de l’époque
romantique, point d’acmé dans l’histoire du ballet. Mais, alors que les écrivains et les
poètes parviennent quelquefois à évoquer la nature de la danse, pour les philosophes
s’occupant d’esthétique, cela pose une véritable difficulté. Essayer de penser la danse! Il
y a là presque comme une impossibilité à la “saisir” par les mots. La danse elle-même a
d’ailleurs attendu longtemps avant d’élaborer sa propre “mise en écriture.” Et les
différentes écritures du mouvement n’en rendent compte que jusqu’à un certain point,
laissant toujours un “indéfini,” ne fut-ce que par la présence du corps!
D’Héraclite à Gilles Deleuze, en passant par Henri Bergson, les philosophes se sont
pourtant évertués à penser le mouvement. Faut-il en conclure que le mouvement propre
à la danse présente une difficulté particulière, qu’il ne soit pas possible de lui attacher de
significations propres? La danse en effet n’est pas à disposition: fugace, elle épuise ce
qu’elle produit en propre. On ne peut la retenir ou la relire, comme on peut le faire d’un
tableau ou d’un livre. Comme nous rappelle le chorégraphe américain Merce
Cunningham: “Il faut l’amour de la danse pour tenir bon. Elle ne donne rien en retour,
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pas de manuscrits à consulter plus tard, pas de peintures à accrocher sur les murs des
musées, pas de poèmes à imprimer et à vendre, rien que cet instant unique et fugitif où
l’on se sent vivant. La danse n’est pas faite pour les ames incertaines.” La danse est, d’une
certaine façon non reproductible. Elle n’est pas non plus “arraisonnable” au sens où elle
ne se laisse pas facilement saisir par la raison. Elle ne le serait qu’au risque de perdre sa
spécificité, de se dessécher. Tous les régimes d’écriture ne semblent donc pas convenir
pour “dire” la danse. Pensée incarnée, elle s’échappe sans cesse.1
A l’inverse, comment la danse peut-elle s’approprier la littérature? Comment la
littérature du corps, peut-elle s’accorder à celle des mots sans tomber dans le pléonasme?
Comment éviter l’illustration tout en donnant l’impression d’avoir adapté “l’habit au
corps?” Et comment éviter le déséquilibre entre geste et verbe quand des mouvements
gratuits, mal appropriés ou trop nombreux perturbent l’écoute et, sous un bavardage
chorégraphique, réduisent le texte à un simple bruitage? Ce que nous pouvons constater
en tout cas, c’est que la littérature a presque toujours été présente dans le monde de la
danse, et ceci depuis l’origine du théâtre. Souvenons-nous des grandes tragédies mimées
et dansées dans l’Antiquité grecque où les auteurs dramatiques eux-mêmes semblent en
avoir inventé les gestes. On prête à Eschyle par exemple les mouvements rythmés de ses
chœurs.2 Dans la choreai, cette union consubstantielle de la poésie, de la musique et de la
danse, où l’égalité entre les trois arts était absolue et que l’Histoire des arts vivants en
1
Attardons-nous un instant sur deux grandes figures qui, l’une dans la philosophie, l’autre dans la poésie, ont eu
affaire avec la danse: Friedrich Nietzsche et Stéphane Mallarmé. Pour Nietzsche, la danse, c’est d’abord une
métaphore de la légèreté, la légèreté d’une pensée qui s’élève face à la lourdeur: “l’alpha et l’omega de ma sagesse,
c’est que tout ce qui pèse doit s’alléger, tout corps devenir danseur, tout esprit oiseau […] il n’y a ni haut, ni bas!
Elance-toi en tout sens, en avant, en arrière, créature légère! Chante et ne parle pas.” Chanter et danser: deux
moyens de se dépasser, de devenir radicalement autre, et la phrase si souvent citée: “Je ne saurais croire qu’en un
dieu qui danse,” est peut-être davantage qu’une métaphore. Ne serait-ce pas une incarnation, celle de Dionysos, un
danseur sauvage? Dans Ecce Homo, son dernier livre, paru en 1888, Nietzsche raconte qu’il a écrit la première partie
d’Ainsi parlait Zarathoustra avec son pied, en dansant sur le chemin qui monte de Nice vers Eze. Son ami Peter Gast
confie dans une sorte de poème: “Nul plus souvent que lui ne parlait de danse.” Et pourtant, il est probable que
Nietzsche ne soit jamais allé voir un seul spectacle de danse. Ce n’est pas le cas de Stéphane Mallarmé. Si Nietzsche,
tout en mythifiant la figure du danseur, ne fréquente pas le monde de la danse, Mallarmé, lui, est un amateur de
ballets dont rend compte sa rubrique de spectacles. Que ce soit Loïe Fuller (qu’il voit à ses débuts aux FoliesBergères en 1892) ou les danseuses de ballet classique (Rosita Mauri, Elena Cornalba), Mallarmé voit dans la danse
“une écriture corporelle,” un “poème dégagé de tout appareil de scribe.” On se souvient de son célèbre axiome: “La
danseuse n’est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés qu’elle n’est pas une femme, mais une
métaphore résumant un des aspects élémentaires de notre forme, glaive, coupe, fleur etc., et qu’elle ne danse pas,
suggérant, par le prodige de raccourcis ou d’élans, avec une écriture corporelle, ce qu’il faudrait des paragraphes en
prose dialoguée autant que descriptive, pour exprimer dans la rédaction: poème dégagé de tout appareil du scribe.”
Dégagé de tout appareil du scribe en même temps que dégagé de sa présence charnelle, de sa lourde corporéité,
c’est aussi ce qu’exprime le philosophe espagnol Ortega y Gasset quand il écrit: “Le danseur vide la danse, autant
que faire se peut, de son humaine matière.” Mallarmé reconnaît la limite du verbe par rapport au geste dansant. Il
considère le ballet comme “la forme théâtrale de poésie par excellence,” et la danse comme “la synthèse du bond et
de l’arrêt.” “Toute danse relie la forme qui s’envole à un plancher terrestre, et la danseuse enchaîne les bonds et les
chutes.” C’est exactement ce que réalise et théorise, dans les années 30, la danseuse moderne américaine Doris
Humphrey à travers sa technique du Fall/Recovery (chute/reprise), et qui déclare: “Le mouvement est un arc entre
deux morts.”
2
Parmi les différentes formes de représentation, il existait le dithyrambe, un genre constitué par des chœurs et des
danses.
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Occident a tenté plusieurs fois de retrouver, c’est évidemment la danse qui nous est la
moins connue. Tout ce qu’on sait, c’est que chaque geste était codé, et cette convention
permettait à chaque spectateur de connaître la signification des gestes. Il pouvait ‘lire’ la
danse. La Bharata Natyam, danse sacrée du Sud de l’Inde, utilise pareillement un système
sémantique lisible pour le public familier des longs poèmes épiques de la tradition
indienne, le Ramayana et le Mahabharata, ces épopées fondatrices que tout Indien
hindouiste est supposé connaître. Une autre tradition théâtrale parmi les plus anciennes
du monde est celle du théâtre Nô, un drame dansé où textes et gestes sont intimement
imbriqués et également codifiés. Le mouvement évoque la narration tout en déployant
sa propre logique: chaque geste, chaque intonation est transcrite depuis l’origine et
rigoureusement transmise de maître à élève. Une parfaite réussite poétique, musicale et
chorégraphique.
En Occident, puisque c’est l’opéra qui y a pris la forme du grand drame poétique, la
danse sera longtemps reléguée au rang de divertissement. Pourtant, grace à Molière, on
assistera à une tentative éphémère d’allier harmonieusement le texte (sous forme d’une
comédie) à la ‘Belle danse,’ cet ancetre du ballet. Mais le genre de la Comédie-Ballet ne
survivra pas à son auteur et disparaît peu de temps après la mort de Molière, laissant la
primauté à la musique et au texte de l’opéra. La danse n’y est plus qu’un prétexte à exhiber
son savoir-faire sans lien avec l’action.
C’est contre cette ‘dégénérescence’ du ballet perdant son âme dans de simples
numéros de virtuosité que lutteront des chorégraphes comme l’Italien Gasparo Angiolini
et le Français Jean Georges Noverre. Tous deux cherchent à donner à leur art la même
intensité dramatique que celle existant dans l’opéra ou dans la tragédie, laissant la danse
seule raconter une histoire sans recourir ni au chant ni au texte déclamé. Une tentative
donc de hausser, selon eux, l’art du ballet au même niveau que les autres arts et de faire
entrer ainsi la danse dans les catégories aristotéliciennes de l’art comme imitation de la
nature! Noverre l’appellera ballet d’action et Angiolini ballet pantomime. Ce dernier titre
trouve sa justification dans le fait que, pour rendre compréhensible une histoire racontée
à travers la danse, il faut associer certains gestes à une signification précise et donc
recourir à la pantomime, une discipline enseignée jusqu’à aujourd’hui dans les écoles de
ballet classique comme celle de l’Opéra de Paris ou du Mariinsky.
Le ballet d’action inaugure la tradition du ballet narratif. La plupart des ballets du
répertoire sont, en effet, l’illustration, la transposition d’un roman, d’une légende, d’un
poème, où le récit constitue le socle du ballet et lui fournit sa dramaturgie. Cette tradition
continue encore, particulièrement chez ceux qu’on nomme les néo-classiques ou encore
les classiques contemporains.
Mais il existe de nombreuses façons pour un chorégraphe de s’inspirer de la
littérature, surtout depuis que la danse a su s’affranchir de toute sujétion. Le geste n’étant
plus asservi au sens du récit, le rapport au texte est devenu beaucoup plus libre. Parfois,
l’intrigue devient accessoire, n’étant là que pour introduire un thème. En 1949 déjà, le
chorégraphe José Limón se saisit de l’Othello de Shakespeare uniquement pour creuser
la jalousie, thème de son ballet La Pavane du Maure.
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Une version contemporaine de Don Quichotte dont la tradition chorégraphique
inspirée de l’idéaliste au grand cœur, redresseur de torts et de son valet Sancho Pança, le
réaliste, comporte des créations très nombreuses,3 est celle de José Montalvo,
chorégraphe spécialiste du métissage des styles, où le hip hop rencontre le classique, le
flamenco et la danse indienne. Comment aborde t’il Don Quichotte? Pour Montalvo il ne
s’agissait pas d’illustrer le roman, de restituer pas à pas son déroulement mais plutôt de
reprendre les principes constitutifs du roman, les dispositifs formels contenant en germe
trois siècles de production romanesque, en somme l’héritage stylistique de Cervantès.
On peut comprendre le véritable intérêt de Montalvo pour Cervantès car au-delà de ses
origines espagnoles — et tout petit Espagnol grandit avec Don Quichotte —, il retrouve
chez l’auteur un dialogue entre les genres auquel il est lui-même très attaché. En effet, le
roman dans le roman, le récit qui interrompt le récit principal est l’équivalent littéraire de
ce que fait Montalvo dans ses spectacles c’est-à-dire un mélange de pratiques corporelles
et de styles enchâssés qui finissent par créer de nouveaux territoires chorégraphiques,
sans compter le burlesque, ce trait espagnol qui leur est également commun.
Maurice Béjart représente un cas particulier, car, outre qu’il était chorégraphe, il était
aussi homme de théâtre, et en tant que tel, s’est véritablement intéressé à la littérature et
à ses liens possibles avec la danse. Dans presque tous ses ballets, il y a du texte emprunté
à toutes les cultures et traitant de sujets très divers, jusqu’à écrire lui-même les paroles
d’un de ses ballets: La Reine verte. Il a mis en scène de nombreux auteurs dont certains,
comme Nietzsche, l’ont accompagné durant toute sa carrière (il a remarqué que
Nietzsche utilise 64 fois le mot danse dans son ouvrage Ainsi parlait Zarathoustra). A plus
de 80 ans, Béjart consacre au philosophe un spectacle entier Zarathoustra, le chant de la
danse, bel exemple d’un aller/retour entre le geste et l’écrit. Parmi ses “ballets littéraires,”
citons L’Art de la barre en 1965 sur Le Funambule, un texte de Jean Genêt; Baudelaire
également en 1965 à partir du recueil du poète Les Fleurs du mal; en 1966, il crée Roméo
et Juliette et, en 1967, Messe pour le temps présent avec, encore une fois, des textes de
Nietzsche; l’année suivante, ce sont des textes de Saint Jean de la Croix qui lui inspirent
Nuit obscure; quant à Nijinsky, clown de dieu, c’est, en 1971, une mise en images et en
mouvements du Journal de Vaslav Nijinsky; en 1976, ce sont les textes d’Antonin Artaud
qui se retrouvent dans Héliogabale. Enfin, en 1973, Béjart (nom emprunté à la femme de
Molière, Armande Béjart) crée avec sa troupe, Le Ballet du XX siècle, Molière imaginaire
à la Comédie Française, spectacle qu’il intitule Ballet-comédie, inversant le nom de
Comédie-ballet. Comme pour son Baudelaire ou pour son Nijinsky, il s’agit encore une fois
d’une biographie onirique.
Certains chorégraphes se saisissent d’un texte simplement comme pourvoyeur de
sens ou d’images. C’est le cas d’Angelin Preljocaj à propos de sa pièce Ce que j’appelle
Oubli d’après le récit éponyme de l’écrivain Laurent Mauvignier. L’auteur est parti d’un
fait divers: la mort d’un sdf surpris par les vigiles d’une grande surface alors qu’il buvait
3
Il est probable que peu de temps après la première publication de L’Homme de la Manche en 1605, on ait déjà
évoqué, certains soirs de bal à la Cour du Roi Soleil, quelques épisodes du roman.
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une canette de bière sans l’avoir payée. L’écriture du roman est rugueuse, apre, directe,
sans apprêt, et la gestuelle des corps presque nus sur scène, l’est tout autant. Stimulé par
la puissance du récit, le chorégraphe a choisi de mettre en mouvements certaines
séquences, créant des correspondances visuelles de meme intensité. Si la scène du viol
n’est qu’une anecdote dans le livre, à peine quelques lignes, elle devient inaugurale dans
le spectacle! Une corrida de voyeurs entoure le viol comme celle des vigiles, plus tard,
dans la mise à mort de la victime. Et tandis que la danse continue, le texte intervient,
interprété par un comédien qui fait entendre la ‘chair des mots.’ La danse offre alors aux
‘mots’ du temps et de l’espace pour résonner, se multiplier, se prolonger. Preljocaj avait
déjà fait une expérience semblable en 1995 avec L’Anoure, à partir d’un conte La Voix
perdue écrit par Pascal Quignard à qui il avait commandé un livret. Le chorégraphe disait
le texte en voix off et installait un léger décalage entre les paroles et les gestes. Plus
récemment, Preljocaj s’était risqué à chorégraphier, à dire et à danser Le Funambule, texte
que Jean Genêt avait écrit pour son jeune amant acrobate, un solo où Angelin cherchait,
avec une certaine humilité devant le texte, une nouvelle façon de passer entre les mots.
Le plus souvent, le texte est déjà écrit quand un chorégraphe s’en empare. Toutefois,
il peut aussi exister une création simultanée entre écrivain et chorégraphe. C’est le cas de
La Place du singe, un spectacle que Mathilde Monnier a créé avec Christine Angot en
2005 et qui portait sur l’histoire de chacune, sur le poids que peut représenter la famille
dans la création, melant l’individu et la société, l’art et la vie privée. Le travail a été mené
à deux du début jusqu’à la fin, Angot écrivant au fur et à mesure des répétitions, tandis
que Monnier se laissait prendre par le texte, chacune réagissant au travail de l’autre, avec
une écriture aussi vivante que les corps en mouvement. Elles étaient toutes les deux sur
scène, Angot assise derrière une table lisant le texte, Monnier debout, réagissant à ce qui
se disait. Les deux femmes avaient déjà travaillé ensemble, en 1997, sur un spectacle où
texte et danse se cognaient l’un à l’autre: Arrêtons, Arrêtez, Arrête. Mais ni l’écrivaine ni la
chorégraphe n’étaient présentes sur scène.
D’autres chorégraphes ne cherchent pas dans le mot sa signification mais plutôt son
rythme: ils prennent le texte à bras le corps comme si les mots devaient surgir du corps.
Le sujet n’est plus l’histoire, ni le sens ou l’image qu’elle peut susciter, mais le rythme du
mot, son émergence. Le chorégraphe s’empare du texte comme d’une musique et essaye
d’incarner les forces de l’écriture. Christine Bastin en donne un exemple dans une pièce
donnée avec l’écrivain Marcel Moreau. Celui-ci avoue “je ne sais pas danser mais les mots
dansent en moi, leurs rythmes dansent en moi.”
Enfin, il y eut aussi cet usage très fréquent dans la danse contemporaine des années
2000: le danseur qui prend la parole. Non pour dire un texte littéraire (encore que la
délégation de la parole soit un procédé littéraire mis en œuvre par exemple par des
auteurs comme Leslie Kaplan ou François Bon), mais plutôt pour raconter une anecdote
ou simplement se présenter. Le mot est alors utilisé en tant que matériel biographique.
Ce qui change le statut du danseur et le rapproche du spectateur. Tant pis si le contenu
du texte reste énigmatique, car très souvent les danseurs s’expriment dans leur langue
maternelle, et comme tout le monde sait, dans une compagnie, toutes les nationalités
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sont représentées. La première à avoir donné la parole aux danseurs de cette façon fut
Pina Bausch. Chacun de ses interprètes était ainsi individualisé, ce qui participait à
l’impression de retrouver, d’un spectacle à l’autre, une sorte de famille. Ici, la danse
s’approprie le verbe, dépassant ainsi la simple expression corporelle.
En guise de conclusion, je voudrais rappeler cette aventure très originale de
collaboration entre la littérature et la danse: Les Fables à la Fontaine, initiée en France par
Annie Selem, une productrice qui, pendant sept ans, a proposé à un certain nombre de
chorégraphes de s’emparer d’une fable de Jean de La Fontaine pour la mettre en
mouvements. Une expérience qui a montré les multiples façons de tresser les mots avec
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