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REVUE DE SYNTHESE: We S. N° 3, JUILLET-SEPTEMBRE 1986
E. Forment Giralt part d'une analyse approfondie des Recherches logiques (1901)
de Husserl, pour elargir ensuite ses perspectives. Le volume se compose de deux
parties. Les quatre premiers chapitres etudient 1'expression : son concept, sa
constitution, son contenu significatif et son contenu objectif ; les deux derniers
chapitres exposent la « grammaire pure » ou « generale » (c'est-ä-dire une science
qui etudie 1'a priori de 1'expression) et en cherchent la portee comme fondement
possible de la linguistique. A cet effet, sont successivement scrutes le Cours de
F. de Saussure, les presupposes de la grammaire traditionnelle et de la linguistique historique, le structuralisme linguistique europeen (Cercle de Prague,
avec TroubetzkoI et Cercle de Copenhague, avec Hjelmlev et Brondal), ou
nord-americain (l'antimentalisme et le descriptivisme de Bloomfield), enfin, le
post-structuralisme actuel de Chomsky.
Au passage, on note que Forment s'oppose ä la conception de Rossi, qui
confond les trois acceptions du concept de « Contenu ». Les conclusions
sont quadruples : la phenomenologie legitime pleinement les acquis de la
linguistique du structuralisme classique ; la grammaire pure fonde cette
linguistique ; au contraire, le structuralisme antimentaliste s'y oppose ; enfin,
ä la lumiere de 1'etape presente de la linguistique, on s'apercoit que la grammaire
pure coincide avec la grammaire transformationaliste. En resume, « la recherche
phenomenologique du langage fonde Ia grammaire generative, puisque, de la
meme facon que la description phenomenologique de 1'expression fonde la
grammaire pure, eile fonde aussi, etant donne la coincidence entre les deux,
la grammaire generative transformationnelle » (p. 336). Esperons qu'une
traduction francaise de cc beau livre paraitra bientöt !
Alain GUY.
HISTOIRE DES SCIENCES
Remy CHAUVIN, La Biologie de !'esprit. Monaco, Ed. du Rocher, 1985. 15 x 24,
220 p., fig., bibliogr. (« L'Esprit et la matiere »).
L'ethologie des insectes sociaux a pour eminent specialiste le professeur en
Sorbonne Remy Chauvin. Il vient de publier La Biologie de !'esprit, ouvrage
captivant sur l'8volution animale entiere. Il ne craint pas d'y refuter son
explication par Darwin : une « selection » comme celle qui isole et ameliore nos
races domestiques, mais « naturelle » : le « milieu » triant, epanouissant les
mutations favorables. Or les mutations sont particulierement nombreuses (et
exploitees experimentalement) chez la mouche drosophile, et eile n'a pas change
depuis 50 millions d'annees, oü elle se fossilisait dans l'ombre ; il en va de meme
des bacteries et autres especes stables (« panchroniques », fossiles vivants)
(p. 23). Notre elevage s'appuie aussi sur une consanguinite ; celle-ci est tres rare,
meme dans les societes animales.
COMPTES RENDUS
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Le modelage des races par 1'eleveur prolongerait, expliquerait celui des especes qui, depuis les origines, serait dü au milieu. Mais celui-ci « ne dinge pas
grand'chose et autorise A peu pres n'importe quoi ». A ses « variations tres
etendues », la vie oppose « enorme marge de securite », immense adaptabilite,
pluralite des solutions egalement fonctionnelles pour un meme probleme : ainsi
l'aile pour le vol, ou les « cablages » pour les etats superieurs du psychisme,
dans des « organismes trbs differents ». Si un dispositif est « complique », un
autre, souvent ä proximite immediate, sera « tres simple ». « Impossible, sauf
exception, de savoir si un dispositif organique est nuisible ou utile. » Il pourra
ne devenir utile qu'au bout d'une immense evolution (element de la mächoire
devenant notre systeme d'audition). Une « specialisation raffinee » est souvent
un luxe. Une adaptation trop etroite « c'est Ia mort ». Ou 1'enorme regression
du parasitisme. Mais « 1'evolution est orientee » du poisson au batracien et
reptile, oiseau ou mammifcre ; jamais ä rebours. Ceci vers et jusqu'ä l'Homme.
L'$volution et l'Homme vont ä leurs buts, sans conscience des mecanismes en
jeu : « programmatique » et « volonte programmante ». Comme notre cerveau
sur notre corps, une « volonte evolutive agit sur la matiere animee ». Elle
est diffuse dans tous les etres animaux et veg@taux et les relic (par exemple
l'orchidee et la guepe qui la feconde) (p. 19-20).
Extrapolons. L'observation meme de notre elevage suggere une vision tout
opposee ä celle de Darwin. Nous la traduirions ainsi : s'il semble, de facon
spectaculaire, prolonger 1'Evolution par une micro-evolution, cc n'est pas par
ses methodes, mais parce qu'il est oeuvre de notre esprit. Comme toute « la
biologie », scion le titre de Remy Chauvin, est oeuvre de « l'esprit », de sa poussee.
L'essentiel avait ete Ia refutation du fixisme : la creation, une fois pour toutes
(et en une fois...), de toutes les especes. Par Darwin. Mais aussi par Lamark, qui
avait mieux senti la vie comme cette poussee interne, repondant et s'adaptant
aux besoins. Grace A une « heredite des caracteres acquis » « mille fois maudite ».
Mais notre auteur s'en fait le defenseur, apres Kammerer, apres Tenin, refutant
« l'impermeabilite de i'ADN aux agents exterieurs, grand cheval de bataille de
Monod » (p. 58-59).
C'est lui que je resumais ici-meme ^.
Les grosses molecules des vivants sont des architectures parlantes, se donnant,
entre Blies, messages, instructions. Les combinaisons se sont faites au « hasard ».
Apres coup est apparue la « necessite », le « mot de passe », 1'edifice moleculaire correspondant. Des « erreurs de code » sont les « uniques sources » de toutes
les mutations, de toute 1'$volution. Celle-ci est ainsi ramenee ä un « bricolage »,
scion le mot de Francois Jacob (p. 19).
Remy Chauvin la voit plus haute. Comme Teilhard de Chardin, « cc grand
visionnaire » (p. 172). Nous avons presente ici encore 2 sa conception si
grandiose de l'Evolution. Le tableau de classification de tous les vivants,
1. Michel ROUSSEAU, « Biologie moleculaire et philosophies de la vie », Revue de
synthese, t. XCVI, 77-78, janv.-juin 1975, p. 13-33.
2. ID., « L'A rbre de in vie, vivante image de i'Evolution chez le P. Teilhard de
Chardin », Revue de synthese, t. LXXIX, 9-10, janv.-juin 1958, p. 113-121, 2 fig.
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passes et presents, est redresse : dans la poussee d'un « Arbre de la Vie » ; sur
une « pre-biosphere » moleculaire. Il porte une cerebralisation croissante, jusqu'au
« Phenomene humain ». Celui-ci est « axe et fleche de l'Evolution ». Il concentre les espoirs d'avenir de la NoosphCre, c'est-ä-dire de la Biogenbse, c'est-ä-dire,
finalement, de Ia Cosmogenese.
L'Arbre, triomphe de la « branche » vegetale de l'8volution, la symbolise ainsi
tout entiere. Remy Chauvin insiste sur des rapports directs, ä distance (p. 196),
entre cette branche vegetale et notre branche animale : eclatants et mysterieux
de la guepe ä l'orchidee ; peut-etre ä decouvrir jusque chez l'Homme.
Experimentalement.
Pour eciairer 1'$volution, Remy Chauvin croit donc A 1'experimentation.
Comptent surtout un bilan d'ensemble, une orientation generale, que l'ouvrage
degage avec humour. L'humour meme de la Vie. Elle n'est pas rationalisme rigide,
previsible, econome de ses fins comme de ses moyens. Elle vise le luxe, le
decoratif comme le fonctionnel, avec des imitations (tel le mimetisme), des
exagerations nuisibles, comme pour se caricaturer elle-meme. Elle improvise, eile
invente, eile va jusqu'au bout dans des creations multiples, volontiers opposees
et les plus improbables. Sa creation est jeu, sinon espieglerie, art pour fart. Elle
monte toujours, tel l'alpiniste, comme ä plaisir, par gout du risque.
Ainsi, dans les solutions locales, par des organes rivalisant avec la gamme de
nos outils et de nos techniques, jusqu'au Neolithique (elevage, agriculture) et ä
notre toute recente « culture pure » (de champignon par la fourmi Atta, p. 100).
Ainsi, dans ses grandes innovations, ses grands « paris » successifs sur la montee
du psychisme : d'abord chez les insectes de ce type, en superorganisme plutöt
qu'en societe (p. 110). Ce jaillissement inventif recuse « materialistes et
mecanicistes »‚ leur explication du « complique par le simple ». Il « culmine dans
1'homme » (p. 173).
Au total, une vision de la biologie nouvelle ou renouvelee par un « retour aux
sources » et un decloisonnement des disciplines ; un appel ä des experiences
revolutionnaires ou suggerees : une « mutation », peut-etre, de la pensee
scientifique. Une « hesitante meditation ». Un riche dossier (dans lequel un index
serait souhaitable). Il se lit toujours avec un extreme interet, sinon une entiere
conviction.
Dr.-Vre. Michel ROUSSEAU,
de I A cademie vdterinaire de France.
Michel DELSOL, Cause, loi, hasard en biologie. Pref. de Pierre-Paul GRASSE,
Postf. de Francois DAGOGNET. Paris, Vrin, 1985. 16,5 x 24,5, VII p.,
241 p. (« Science, histoire, philosophie »).
Un embryologiste s'aventure en terre philosophique. Le livre de M. Delsol est
un plaidoyer pour une epistemologie ä la mesure de la biologie contemporaine.
On chercherait en vain cependant dans ce livre medite quelque nouveaute
epistemologique fracassante en quete de succes mediatique. L'auteur part du
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constat que le biologiste en son laboratoire use ä tout moment des concepts de
cause, de loi et de hasard. Or l'analyse epistemologique de tels concepts est
traditionnellement menee en reference aux sciences exactes. L'objet du livre est
d'examiner Ia pertinence des outils conceptuels classiques de la philosophie des
sciences pour le biologiste.
L'ouvrage est issu d'un tours, et il en garde l'aspect didactique. L'auteur recourt
massivement ä de longues citations, destinees ä caracteriser pour chaque
question l'eventail des options epistemologiques offertes au biologiste. L'un des
merites du travail de M. Delsol est precisement dans la prudence et la modestie
avec lesquelles il aborde les questions les plus difficiles. Comme le souligne ä juste
titre Fr. Dagognet dans la Postface, cc livre de praticien-theoricien, ä 1'instar
de la celebre reflexion methodologique de Claude Bernard, a des allures
d'« exercice d'eclaircissement ». Rien n'est plus oppose ä la meditation de
M. Delsol que l'extrapolation visionnaire et la generalisation hätive, rien n'est
plus contraire ä son style qu'un certain ton grand seigneur si frequent dans les
confidences philosophiques de tant de scientifiques. I1 s'agit en fait de mettre
au clair, de traquer jusque dans leurs chausse-trapes les concepts epistemologiques dont le biologiste se sert effectivement dans sa pratique quotidienne
causalite, condition, correlation, analogie, hasard, finalite.
Le livre de M. Delsol est cependant bien plus qu'une anthologie ou un manuel.
La modestie du ton, la simplicite du propos, 1'allure didactique ne doivent pas
faire illusion. I1 ne s'agit pas seulement de reperer les derapages qui menacent
le biologiste et le philosophe ä l'interface de leurs disciplines respectives. Le titre
du livre dessine ä vrai dire tres deliberement, bien que discretement, les contours
d'une philosophie biologique qui va bien au-deli de l'hygiene terminologique.
L'ouvrage se developpe en effet tout entier ä partir de cette affirmation de
Lehninger que la biologie est « une sorte de superchimie qui inclut mais qui en
meme temps transcende le domaine traditionnel de la chimie » (Lehninger,
Biochimie, Paris, Masson, 1977). Le paradoxe de la biochimie est que, dans le
moment meme oü eile montre que les macromolecules constitutives des etres
vivants se conforment u tous les principes physiques et chimiques de la matiere
inerte, eile convainc aussi qu'il y a une logique moleculaire de l'btat vivant qui
ne se reduit pas ä la physico-chimie de l'inerte. C'est plutöt celle-ci qui apparait
comme un cas particulier, voire une simplification des lois de la matiere vivante.
Comme font souvent remarque les physiciens et chimistes, en cela plus avises
que leurs collegues biologistes davantage enclins ä un reductionnisme hätif,
la biologie moleculaire a enrichi la matiere plus qu'elle n'a appauvri la vie.
M. Delsol ne revendique pas la paternite de cette vision de la biologie
contemporaine. Mais il y trouve argument pour recuser Popposition desuete de
l'uniformitarisme reductionniste et du vitalisme, et par-delä, l'epistemologie nave
commune qui maintient la polemique. Car on a vite fait, d'un cote comme de
l'autre, d'invoquer la complexite et 1'historicite des phenomenes vitaux pour
refuser toute signification serieuse aux concepts de cause et de loi en biologie.
On a vite fait, soit en consequence d'un reductionnisme hätif, soit en reaction
ä celui-ci, de proclamer la singularite irreductible du fait biologique, et de se refuser
ä penser la positivite specifique des sciences de la vie.
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C'est ä l'encontre de ce laxisme que M. Delsol defend trois theses qui
correspondent ä la trilogie conceptuelle du titre. La premiere concerne le
concept de cause en biologie. L'auteur s'insurge contre ceux, nombreux, qui
estiment que le concept de cause devrait disparaitre sous pretexte qu'il
correspondrait ä un tout indefinissable. L'argument est presque toujours le meme:
il faut — dit-on — parler des conditions et non de la cause des phenomenes. Le
concept de cause devrait donc disparaitre au profit de celui d'association
fonctionnelle. Classique dans 1'epistemologie des sciences exactes, cet argument
prend l'allure d'une evidence chez les biologistes, ardents ä rappeler la complexite
de leur objet. Or c'est lä une erreur profonde. Plutöt que de reduire la cause
ä un nebuleux concept du faisceau des conditions, il faut dire qu'une cause n'est
definie que par rapport ä des conditions specifiees. La complexite de 1'etre vivant
ne change rien ä l'affaire. Au contraire, eile accroit ('exigence de stipulation des
conditions, ce que M. Delsol exprime en un « principe de la precision des
enonces ». Lorsqu'on definit avec assez de precision ('element sur lequel une cause
agit, le concept de cause reprend tous ses droits. Plusieurs exemples empruntes
ä l'embryologie et ä 1'ethologie, disciplines trop souvent invoquees en faveur d'une
epistemologie holiste, illustrent tres suggestivement ce principe. Ainsi est-on fonde
ä parler d'une hormone comme de la « cause » d'un evenement embryologique
pour autant que l'on ait suffisamment defini le stade de developpement
et les caracteristiques populationnelles du materiel sur lequel on travaille.
L'embryologie causale contemporaine, loin d'avoir rendu desuete l'embryologie
descriptive, a exige un affinement sans precedent des methodes et des resultats
de celle-ci.
La seconde these est qu'il y a des lois en biologie, autant et davantage que
dans les sciences exactes. Pourtant les biologistes repugnent ä employer le mot,
preferant en general celui de « propriete », ou meme simplement celui de
« phenomene ». Or, comme 1'avait jadis note Meyerson, la distinction entre loi
et propriete n'est pas rigoureuse. Dans les sciences exactes, on a tendance A reserver
le terme de loi pour les phenomenes les plus generaux, et ä parler de proprietes
pour ceux qui exigent que l'on specific un plus grand nombre de conditions (par
exemple, le soufre fond ä 114°). Il est clair qu'en biologie, le nombre de
conditions ä specifier est idealement tres grand, et l'on comprend qu'on prefere
presque toujours parler de « proprietes ». Il n'en reste pas moins qu'en parlant
de « proprietes », le biologiste a en tete la meme chose que le chimiste qui parle
des proprietes des elements, savoir des « lois en puissance », ou des « lois
approchees ». Les difficultes inherentes au concept de loi ne sont donc pas
fondamentalement differentes en biologie de ce qu'elles sont dans les sciences
exactes.
La Partie la plus originale de l'ouvrage porte enfin sur la notion de hasard.
L'auteur s'appuie sur la celebre definition de Cournot : le hasard consiste dans
la convergence de series causales independantes. 11 fait remarquer que si l'on
adopte ce concept du hasard, il devient impossible de soutenir en quelque maniere
que ce soit que le hasard produit quelque chose par lui-meme. La definition de
Cournot conduit plutöt ä dire que le hasard aboutit a placer un objet du monde
materiel dans le cadre d'une loi. Ainsi une mutation genique revelera-t-elle une
COMPTES RENDUS
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potentialite morphogenetique du systeme dans lequel eile apparait. Le role du
hasard, en biologie comme ailleurs, se limite donc toujours ä susciter l'entree
en jeu, ici de teile loi, et lä de teile autre loi. Il n'y a donc pas de lens ä dire,
comme 1'a fait Monod, que dans 1'evolution biologique, le hasard serait
« converti » en ordre ou en « necessite » par la « machinerie de l'invariance ».
Mais il est tout aussi illogique de recuser le hasard dans ('explication de la
nouveaute evolutive, et de vouloir le remplacer par des lois inconnues et ä
decouvrir. Cette attitude, epistemologiquement caracteristique de toutes les
formes de lamarckisme, meconnait le fait que le hasard n'est rien d'autre qu'un
phenomene qui fait apparaitre des lois elles aussi inconnues. Bref, le concept de
hasard ne s'oppose pas ä celui de causalite, qu'il presuppose, mais ä celui de
finalite, car la finalite, entendue comme intentionnalite, pourrait etre adequatement caracterisee comme la rencontre de series causales dependantes. Oü Von
voit, qu'au fond, un acte finalise ne saurait faire plus que Ie hasard.
Le livre de M. Delsol est de ceux qu'on ne devra pas s'empresser de juger trop
hätivement, par un effet de conformisme rhetorique. On peut regretter que l'auteur
ait voulu conserver ä l'ensemble la forme qu'il a d'abord cue dans des notes de
cours, avec cc que cela suppose de temporisation et de recurrence. La pensee de
l'auteur eüt assur6ment gagne ä titre davantage developpee pour eile-meme, et
tel ou tel developpement preliminaire ä titre abrege. Mais outre que cet aspect
de l'ouvrage en fait un instrument de travail, la volonte de M. Delsol a ete
de reprendre ab initio, et sans ellipse, Ia totalite des notions qui habitent
1'epistemologie spontanee du biologiste. Ce primat intransigeant de la methode
sur la rhetorique produit un livre qui se refuse ä seduire, mais qui donne ä
mediter.
Jean GAYON.
Danielle JACQUART, Claude TIOMASSET, Sexualitd et savoir medical au Moyen
Age. Paris, P.U.F., 1985. 15 x 21,7, 269 p. (« Les Chemins de l'histoire »).
« Tout desir de mieux connaitre l'homme du Moyen Age doit se tourner vers
les representations du monde qu'il nous a leguees. »
Tardivement, il faut le constater, la sexualite qui occupe un role central en
psychologie ou en ethnographie, est devenue, demographic aidant, un nouvel objet
pour l'historien des mentalites et des comportements. Cet interct, reflet depuis
une quinzaine d'annees de preoccupations contemporaines et de barribres
progressivement franchies, a vu fleurir des travaux pionniers comme ceux de John
T. Noonen, Philippe Aries, Francois Lebrun, Jean-Louis Flandrin, Pierre
Darmon ou encore Jean Leclercq. II revient aujourd'hui ä Danielle Jacquart,
historienne des milieux medicaux, et ä Claude Thomasset, recent editeur et
commentateur du Dialogue de Placide et Timeo — oeuvre revelatrice de ('esprit
encyclopedique du Moyen Age — d'aborder le sujet en s'appuyant essentielle
-mentsurlci fqe,'st-ädirmcauxenylopdiqs.
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Leur reflexion sur la sexualite medievale est justifiee par sa place « au co.ur des
preoccupations des theologiens et des medecins ». Privilegiant le discours de ces
derniers, ils nous entrainent A decrypter minutieusement un type de sources en
les replacant dans l'univers mental, l'imaginaire qui les ont faconnees : MarieChristine Pouchelle a bien montre, ä propos de la Chirurgie d'Henri de
Mondeville, la richesse de cette demarche, sans laquelle il serait vain de chercher
un quelconque substrat operatoire. Approcher ainsi la sexualite medievale
fournit donc, par la methode et les implications du sujet meme, une cle sans doute
capitale permettant d'acceder au plus intime de cet univers, et de le voir se
construire et fonctionner dans ses rapports multiples (intellectuels, moraux,
sociaux, psychologiques, culturels, affectifs et physiologiques) avec le corps, ce
reel ä la fois proche et inaccessible.
L'etude synchronique eclaire ce prisme d'autant de facettes par lesquelles la
realite s'est trouvee representee. La « quete des mots », tout d'abord, veritable
« archeologie » du langage anatomique, devoile en particulier ä partir des
Etymologies d'Isidore de Seville, la complexite d'une perception souvent
inconsciente, multivalente ; les regles en sont peu ä peu livrees — juxtaposition,
superposition, reproduction, deformation — dont la dialectique entre pratique
et theorique, descriptif et symbolique atteste les enjeux. Peut-on, au terme d'une
evolution que les auteurs suggbrent avec finesse, parler i Ia fin du xitt' siècle,
plus avant qu'apres, d'« intrusion du reel » ? La pression des influences
exterieures apparait clairement s'agissant des aspects physiologiques : Si le cadre
du systeme reste largement redevable aux conceptions de l'Antiquite, la
polemique sur le sperme feminin, par exemple, se trouve renforcee des
fantasmes en cours sur la femme et les mysteres de sa mecanique corporelle
insondable. La finalite meme du cost Arend en compte la notion d'equilibre d'öü
la dimension psychologique n'est pas evacuee. Le plaisir et l'erotisme — qui font
l'objet du chapitre sans doute le plus reussi — semblent avoir une part « moins
dissimulee » que celle des siecles posterieurs au Moyen Age ; ils impliquent une
maltrise de la sexualite qui donne aux femmes une fonction determinante : en
sous-estimer 1'efficacite, ce dont les auteurs au contraire se gardent bien, ne
renvoie-t -il pas ä un heritage historiographique ä dominante masculine ? La
reaction de certains clercs, au xlll' siècle, montre qu'ils ne s'y sont pas
trompes : c'est ä eux, un siècle plus tot, que s'adresse en forme de clin d'ceil le
De A more d'Andre Le Chapelain, sommet erotique — i condition d'une lecture
initiee — de toute la litterature courtoise, moins innocente qu'on pourrait le croire.
Apres une phase de codification au xi' siècle, les medecins subissent son
influence, conjuguee ä celle de la litterature arabe. Les exces de la sexualite ou ses
deviations, supposant 1'etablissement d'une norme, sont tributaires de la « grille
des temperaments » : la zoophilie echappe totalement au regard medical, alors
que la masturbation feminine ou masculine, si eile pose le probleme des
pollutions, nest que la tentative d'un reequilibre, juge parfois necessaire.
En revanche, I'homosexualite, « corporellement aberrante », ressort d'une
condamnation morale sans appel, justement parce qu'elle sort de la logique interne
du systeme medical. La pathologie constitue le dernier volet de l'etude : la
pensee des theologiens et des juristes impregne les developpements des medecins
COMPTES RENDUS 321
sur ('impuissance ;1'hysterie ou suffocation de la matrice, imputee ä une excessive
continence, doit de ce fait trouver remede dans une satisfaction contraire, tandis que
la perception des maladies veneriennes — en 1'absence de syphilis — est etroitement
liee aux capacites du diagnostic ; 1'apparente immunite feminine suscite des
fantasmes et accompagne les conceptions morales encadrant le discours medical :
on sent alors celui-ci captif d'une mentalite qui rend utopique son autonomie.
D'un ensemble, par ailleurs exemplaire de ce que devra eire demain une
veritable histoire de la medecine, ce dernier chapitre, plus descriptif que
reellement explicatif, n'apparaitra pas sans faiblesses : le petit jeu d'identification
nosologique contredit le propos general des auteurs, les obligeant a glisser du
systeme de la representation medievale vers celui en vigueur aujourd'hui. La partie
consacree ä la lepre, par exemple, aurait pu faire davantage ressortir le
deplacement semantique de ce concept utilise comme metaphore dramatique
polyvalente mais non exclusive par les theologiens du iv' au ix' siècle au moins,
et les modalites de son insertion, scion les usages de la compilation, au sein du
discours medical posterieur. Des critiques recentes ont ete formulees ä ce sujet
par Luke Demaitre (Bull. of Hist. of Med., 1985, p. 327-344 ; voir egalement
nos observations sur le diagnostic medieval de la lepre, Histoire des sciences
medicales, I, 1986, p. 57-66). Le dossier de la lepre et de ses rapports (?) avec
la sexualite au Moyen Age sera-t -il un jour repris, depouille d'une tradition
historiographique qui s'est toujours complue aux amalgames ? Echapper ä
quelques relents de positivisme n'est jamais simple : les conditions dans
lesquelles s'elabore le discours medical, parfaitement retracees, autoriseraient-elles ä juger d'une efficacite correspondant ä nos valeurs et modeles
contemporains et n'est-ce pas curieusement sortir du propos que d'attendre
(p. 164) que les explications d'un Constantin I'Africain « nous satisfassent » ?
Au demeurant, la decouverte du sens structurel de ce discours, ä travers « l'opacite du vocabulaire » et sa « pluralite des sens » fait de ce travail un ouvrage
fondamental. Il conduira ä effectuer une synthese avec des Oeuvres « classiques »,
impossibles ä ignorer mais helas tenues en leur aire cloisonnee : Freud, Foucault...
Comment, avec Danielle Jacquart et Claude Thomasset, ne pas etre convaincu que
le systbme engendre par la sexualite, les mecanismes de sa perception et, par-lä, de
sa maitrise, ne puissent « fournir un modele ä d'autres recherches scientifiques et
spirituelles » ? Cc n'est pas « utiliser » une source, mais plutöt la servir.
Francois-Olivier TOUATI.
Naissance de i'ethnologie ? A nthropologie et missions en A merique,
xvi•-x viii' siècle. Textes rassembles et presentes par Claude BLANCKAERT.
Paris, Cerf, 1985. 13,5 x 21,5, 267 p. (« Sciences humaines et religion »).
It was a truism of nineteenth-century anthropology, bent as it was on
constituting itself as a unique discipline, that the trained anthropologist's
commentary on exotic peoples was much superior to that of naive or « biased »
observers such as voyagers, traders, and, particularly, missionaries. In twentiethcentury historical studies of early anthropology, there has remained a tendency
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to accept the anthropologists' self-valuations and to endorse their emergent
positivistic judgment of the ethnographic labors of missionaries and other
observers unschooled in anthropological technique. Missionaries, it is often said,
contributed « valuable empirical data » but in analysis and interpretation
viewed alien cultures solely through the prism of Christian dogma. Their stake
in potential converts banished « objectivity », the first desideratum of
« scientific anthropology ».
In recent years, however, as the « interested » character of all scholarship has
come to be recognized (and, too, as the contest between science and religion
has lost its immediacy), scholars have shown greater willingness to view the
missionary endeavor in a sympathetic light and even to perceive in it special
virtues. James Clifford's Person and Myth: Maurice Leenhardt in the
Melanesian W orld (Berkeley and Los Angeles, University of California Press,
1982) is an excellent case in point. Clifford suggests that much of Leenhardt's
success as an ethnologist stemmed from his lifelong attempt to achieve a sense
of reciprocity, and to engage in dialogue, with his Melanesian companions.
Leenhardt tried consistently (though not always successfully) to eliminate the
psychic distance that separates the trained ethnologist from his « subjects ». The
work under review, a collection of papers presented at Creteil on June 4, 1983,
by members of the research group in the history of anthropology of the Institut
de recherche universitaire d'histoire de la connaissance, des idees et des
mentälites de l'universitb de Paris XII, contains some studies that are conceived
in a similar vein, others that insist on the special character of « incomprehension » among missionaries whose insistence on Christian universalism and
related dogmas erected a barrier to recognition of the pure « other-ness » of native
Americans.
All the contributors take as their point of departure missionary work and
writings in the Americas from the sixteenth to the eighteenth centuries.
Blanckaert's introduction previews some of the book's themes : the missionaries'
contempt for cultural diversity, their foredoomed attempts at translating
American languages and concepts, their weighty contribution — whatever the
conversion « strategy » — to the deculturation of American peoples, the
paradoxically great value of their observations for subsequent scholarship, their
situation within the terrain of a « classical humanism » now abandoned by a
« pluralist and discontinuous » anthropology.
Some of the contributions stray far from these points of reference and one
would have liked very much to read the discussion and argument that no doubt
accompanied the diverse presentations. To quickly survey these : Claude
Benichou takes a look at the Histoire universelle des missions catholiques (Paris,
Grund, 1956) and illustrates its utter unawareness of the context of missionary
thinking ; he demonstrates in particular that the boundaries of « race » were set
for Spanish missionaries by the limpieza de sangre debates in early modern Spain.
Francoise Weil surveys the Jesuit presence in New France in the seventeenth and
eighteenth centuries, concluding that the missionaries saw Amerindians as
utterly stupid and thus in their work wholly lacked « une veritable dimension
d'anthropologue ». Exploring themes he has broached in his other works,
COMPTES RENDUS
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especially L'Ecriture de I'histoire, Michel de Certeau dissects the frontispiece to
Lafitau's Mceurs des sauvages ameriquains comparees aux mceurs des premiers
temps (1724). Intriguing as it is, this piece seems out of place here since
Certeau's contention that « writing science » denied the legitimacy of oral
tradition says little about the specific role of missionary ethnography. Lafitau
is again on view in Jean-Louis Fischer's piece, which argues that Lafitau
accepted on Iroquois testimony the existence of American « acephalics » not only
to bring them (potentially) within missionary purview but more importantly to
link them with acephalics of Old World legend, thus supporting at once the
theses of monogenism and of an Asian landbridge to America. Sylvain Auroux
and Francisco Queixalos describe Pere Breton's linguistic work in the seventeenthcentury French Antilles. Their argument that early linguists forced indigenous
languages into European lexical, syntactical, and grammatical categories is not
new, but the demonstration, which focuses on the special perplexities of the
missionary translator, is excellent. The Moravian Brothers' missions in the Danish
Antilles in the eighteenth century are the subject of Britta Rupp-Eisenreich's piece,
of which more below. The contributions of Patrick Menget and Thierry Saignes
treat the enfeebled missionary ethnography of, respectively, the Jesuits in the
Amazon, and of Jesuits then Franciscans among the Chiriguanos of
Paraguay/Bolivia.
There is a good deal of interesting work here, but Rupp-Eisenreich's finely
nuanced piece is exemplary. In it she insists on the specificity of the missionary
experience : not all missionaries were alike. She argues that the Moravian
Brothers, who were outsiders within their own native culture and who to a certain
extent shared in the experience of their potential converts (doing manual
labor, foregoing the services of domestics, sharing meals), came closer to
understanding indigenous life than did other whites or more conventional
missionaries. But she recognizes that they too remained strangers to the
« ressorts profonds » of the slaves' existence. In extension of this claim that some
kind of actual shared experience underlies comprehension, Rupp- Eisenreich
traces the fate at the hand of savants of a detailed summary of indigenous life
undertaken by C. G. A. Oldendorp in 1767-1768 at the behest of the Brothers'
founder Count Zinzendorf. Oldendorp, working with some fifty « informants »,
recorded — in a manuscript of some 3000 pages — answers to questions on family
and sexual life, law, beliefs, origin-myths, customs, and social organization. His
work was later edited for publication by an associate, who converted much of
Oldendorp's detail into « general concepts », and was then freely adapted by
ethnologists including Christoph Meiners, L.-F. Jehan, and James Cowles
Prichard. B. Rupp- Eisenreich concludes that these multiple readings subjected
Oldendorp's work, originally interesting and abundant, to « les manipulations
d'une theorisation prbmaturee ».. Whereas this volume frequently charges
missionaries with failing to see around or beyond their a priori dicta,
Rupp-Eisenreich makes it clear that the vision of savants was no less blinkered,
though by an altogether different set of commitments and « interests ». In
her view preconceived scientific theory could be — quite as fully as religious
dogma — the imperious master of observation and experience.
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REVUE DE SYNTHESE: IV' S. N' 3, JUILLET-SEPTEMBRE 1986
It seems to me that this piece undercuts the claims made elsewhere in the volume
that missionaries were particularly obtuse observers, whose commitment to
Christian and « classical humanist » doctrines encouraged them to ignore the
fundamentally alien quality of indigenous American life. The implication of
Rupp-Eisenreich's work is rather that the missionary, since longer present and
more directly engaged in the life of the local culture, had at least the opportunity
for a truer and more fully mutual comprehension than that possible for
observers trained to fix the cool gaze of a putatively disinterested scholarship.
This is, I would argue, an important claim not only for historical understanding
of why Europeans were so frequently dead wrong in their observations of alien
cultures but for present-day ethnological practice, which must — if it is to
survive — transcend the.Observer/Observed relation that in the postcolonial age
so justly infuriates the peoples watched.
Elisabeth A. WILLIAMS,
Department of History,
University of Georgia,
A thens, Georgia (U.S.A .).
HISTOIRE
Moses I. FINLEY, Economie et societe en GrOce ancienne. Introd. de Brent
D. SHAW et Richard P. SALLER, trad. de l'anglais par Jeannie CARLIER.
Paris, La Decouverte, 1985. 13,3 x 22, 322 p., bibliogr., index (« Textes
ä l'appui »).
— L'Invention de la politique : ddmocratie et politique en Grpce et dans la
Rome republicaine. Pref. de Pierre VIDAL-NAQUET, trad. de 1'anglais
par Jeannie CARLIER. Paris, Flammarion, 1985. 14 x 22, 224 p. (« Nouvelle
bibliotheque scientifique »).
Economie et socidte..., traduction pour l'essentiel de Economy and Society in
A ncient Greece edite ä Londres en 1981, reunit dix articles, parus entre 1953 et
1978 dans des revues qui ne sont pas toujours aisement accessibles : ils sont
regroupes par grands themes : 1) La cite antique (quatre articles traitant de la
Grece ancienne), 2) Servitude, esclavage et economic (six articles consacres au
monde grec et ä Rome). Chaque etude est completee par une utile mise au point
bibliographique qui autorise une mise ä jour critique des questions abordees.
L'Invention de la politique (edition anglaise : Politics in the A ncient
W orld, Cambridge University Press, 1983) fait porter la reflexion sur les
modes d'acquisition et d'exercice du pouvoir dans l'Athenes classique et la
Rome republicaine : d'histoire differente, mais de fondements economiques
et sociaux apparemment semblables, ces deux cites, soumises A une analyse
comparee, s'eclairent mutuellement institutionnellement, socialement et
ideologiquement.