UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3
ÉCOLE DOCTORALE 267 – Arts et médias - IRCAV
Thèse de doctorat
Discipline : Études cinématographiques et audiovisuelles
Barbara LABORDE
DU CINÉMA COMME UN ART À L’ÉCOLE
Paradigmes et enjeux de l’enseignement obligatoire et de
spécialité « cinéma et audiovisuel » en série L
Thèse dirigée par M. Laurent JULLIER
Soutenue en Sorbonne le 4 février 2012
Jury :
M. Gilles DELAVAUD, Professeur des Universités, Paris 8
M. Laurent JULLIER, Professeur des Universités, Paris 3/Nancy 2
Mme Jacqueline NACACHE, Professeure des Universités, Paris 7
M. Roger ODIN, Professeur émérite, Paris 3
Mme Geneviève SELLIER, Professeure des Universités, Bordeaux 3/IUF
M. Guillaume SOULEZ, Maître de Conférences, habilité à diriger la
recherche, Paris 3
-1-
Remerciements
Je tiens à adresser mes remerciements les plus chaleureux :
- à celles et ceux – élèves, étudiants, professeurs, inspecteurs, partenaires
culturelles – qui ont accepté de me recevoir, de répondre à mes questions
lors d’entretiens enregistrés ou de discussions plus informelles. Ces
rencontres ont été aux fondements de la réflexion que propose cette thèse
qui n’aurait pas été possible sans elles. Je ne citerai pas nominalement ces
personnes puisque je me suis engagée à préserver leur anonymat, mais je
tiens à souligner leur importance à toutes les étapes de mon travail ;
- à ma famille, pour son soutien sans faille. Je remercie tout particulièrement
ma sœur, Carole – qui m’a appris ce qu’est un « tiret demi-cadratin » – pour
ses relectures typographiques implacables qui ont sans conteste tiré cette
thèse vers le haut. À travers elle, je remercie Jacques Pietri et son imprimeur
grâce à qui cette grosse thèse prend de vrais airs de livre ;
- à l’Inspection générale chargée du cinéma et de l’audiovisuel, M. l’Inspecteur
général Patrick Laudet, et ses deux « chargés d’une mission » : Françoise
Savine et Renaud Ferreira pour m’avoir permis de participer à diverses
commissions et réunions officielles. Leur confiance a beaucoup fait avancer
mes recherches et il m’a même été donné de mesurer des effets qu’elles
pouvaient avoir. Je remercie également Christine Juppé-Leblond, qui partait
à la retraite quand j’ai démarré le travail de cette thèse et qui m’a cependant
confié des documents précieux. Je remercie tout particulièrement Renaud
Ferreira pour son écoute et sa disponibilité ;
- à mes collègues du BTS audiovisuel Évariste Galois/INA SUP : Blandine,
-2-
Bruno, Christian, Fanette, France, Marc, Mohammed, Olivier, parce qu’ils
m’ont permis, toujours avec bonne humeur, divers aménagements d’horaires
et autres échanges de cours, lorsqu’il fallait jongler, dans mon emploi du
temps, entre les entretiens, les colloques, les séminaires… et mon service à
temps plein dans l’Éducation nationale. Je remercie tout particulièrement
mon Chef de travaux, Gérard Gomy et son assistante Aline Gomy ainsi
qu’Alain Gerland, responsable de la formation à l’INA. Je pense n’avoir
négligé aucune heure de mes cours et projets en BTS durant ces trois ans,
mais la bienveillance avec laquelle ils m’ont permis d’assumer ma double
fonction de chercheur et de professeur a été d’un grand soutien, et sans leur
confiance ma charge de travail aurait parfois été difficilement supportable ;
- à Laurent Jullier, pour son suivi attentif de mon travail de recherche, mais
aussi parce qu’il est bien rare, finalement, de rencontrer quelqu’un qui vous
amène vraiment à « changer de lunettes » pour regarder le monde – et le clin
d’œil à Pierre Bourdieu n’est pas vain. Il me semble que c’est le rôle le plus
noble d’un professeur ;
- à celui qui se reconnaîtra, pour la belle couverture de ma thèse, mais surtout
parce qu’il en a fallu de l’amour et de la patience pour me supporter (dans
tous les sens du terme) ces derniers temps...
-3-
Résumé de la thèse en français :
Les enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel » apparus dans les années 80
dans les lycées français en série L sont le fruit d’une volonté politique. À travers des
analyses de discours officiels, le repérage des paradigmes récurrents, leur
explicitation théorique et historique constituent l’enjeu d’une première partie,
destinée à mettre en place, comme une base de travail, les différentes manières dont
le « cinéma » et « l’audiovisuel » sont définis et considérés « d’en haut ». Mais mon
travail de recherche ne pouvait se satisfaire de ce surplomb. J’ai donc adopté les
outils de la sociologie pour étudier, dans une deuxième partie, la manière dont les
professeurs et les élèves s’approprient ces paradigmes, les transmettent, les
déjouent, sur le « terrain ». Dans un troisième temps, la thèse s’intéresse aux
programmes des enseignements et à l’analyse filmique. En m’appuyant sur les
Bulletins officiels, sur des copies d’élèves, sur des analyses de professeurs et sur des
documents pédagogiques publiés par l’Institution, j’ai voulu décrypter les
paradigmes théoriques dans lesquels se définit l’œuvre d’art et ceux qui prévalent
pour son analyse. Enfin, il restait à m’interroger sur la « pratique » encouragée dans
ces enseignements : les réalisations audiovisuelles des élèves, la manière dont elles
sont mises en œuvre, ce qu’elles recouvrent aussi d’implicites pédagogiques,
politiques – voire économiques. Ma conclusion tente de faire des propositions
concrètes, car je souhaite avant tout que cette thèse soit un outil de réflexion
épistémologique, socio-politique, théorique, institutionnel et pédagogique, bref, un
outil essentiellement pluridisciplinaire.
Mots-clés en français :
Cinéma, pédagogie, enseignement, paradigmes théoriques et politiques, analyse
filmique
Unité de r echerc he : Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel (IRCAV) – EA 185 de l’Université Paris 3
Adresse : Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Centre Censier
13, rue Santeuil, 75231 Paris Cedex 05
-4-
Titre de la thèse en anglais :
Film as art at school
Paradigms and issues of compulsory education and specialization in film
and media studies for humanities students.
Abstract :
Classes in the artistic field of “film and media studies”, which emerged in
the 1980’s in French high schools for students specializing in humanities, is the
result of a political decision. In the first part of my thesis, I elaborate on this
question through the analysis of political discourse. Recurring paradigms and their
historical and theoretical expression, used as a starting point for my research,
comprise the main issue of this section, which aims at organizing the different ways
in which “film” and “media studies” are defined and considered from on high.
However, this research cannot be considered complete without a bottom up
perspective. Therefore I adopt, in the second section, sociological strategies in
order to study the ways in which teachers and students appropriate, impart and
transform these paradigms in the classroom. The third part of my thesis deals
precisely with the formal programs and film analysis. Using examples taken from
analyses, student’s papers, and pedagogical documents published by the French
national education institution, I endeavor to elucidate the theoretical paradigms at
work for the exercise of analyzing films. Lastly, I examine the “practices”
advocated by the teaching of these subjects, the students audiovisual productions,
the ways in which they are carried out and the implicit pedagogical, political, or
even economical issues they cover. In my conclusion I endeavor to make concrete
suggestions for the problems raised throughout my research, since, above all other
things, I would like my thesis to be used as a tool for epistemological, sociopolitical, theoretical, institutional and pedagogical reflection ; in short, a tool
essentially pluridisciplinary.
Keywords : Cinema, pedagogy, education, paradigms, film analysis.
-5-
INTRODUCTION ......................................................................................... 11
1 - LE CINÉMA COMME ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE,
PRÉALABLES POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES.................................27
1.1
Les conditions paradigmatiques d’un enseignement artistique : l’éducation artistique comme
politique culturelle ......................................................................................................................................................29
1.1.1
De l’État dans la culture en France : très brève mise en perspective ................................................................. 30
1.1.2
Les arts à l’École .......................................................................................................................................................... 35
1.1.3
Le « Plan de cinq ans pour les arts à l’École » ........................................................................................................ 38
1.2
Paradigmes des discours officiels ...................................................................................................................41
1.2.1
Arts, artistes, culture et citoyenneté.......................................................................................................................... 41
1.2.2
La nécessaire transmission du patrimoine contre l’ « uniformisation culturelle » ............................................ 51
1.2.3
Les discours officiels portant sur le cinéma : enseignement du cinéma, éducation a l’image, éducation aux
médiass......................................................................................................................................................................................... 62
1.2.4
1.3
Bilan temporaire : le « modèle esthétique de l’éducation » et sa mise en question par la sociologie ............ 70
Le cas de l’enseignement du cinéma : conditions historiques, politiques, légales, juridiques et
financières.....................................................................................................................................................................79
1.3.1
De l’entrée du cinéma à l’École : bref aperçu historique...................................................................................... 79
1.3.2
Modalités budgétaires : répartitions entre ministère de l’Éducation nationale et ministère de la Culture ... 86
1.3.3
Le pilotage des services centraux .............................................................................................................................. 89
1.3.4
Les prises en charge territoriales : DAAC et DRAC............................................................................................. 93
1.3.5
Les conditions légales et juridiques de l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel : les accords sectoriels
avec la PROCIREP ................................................................................................................................................................... 98
1.3.6
Le rôle du CNC et des « Pôles ».............................................................................................................................. 102
1.3.7
Les supports pédagogiques institutionnels : le SCEREN-CNDP et les CRDP ............................................. 108
1.3.8
Les enjeux économiques et politiques actuels d’un tel engagement de l’État................................................. 111
1.3.9
Conclusion de la première partie ............................................................................................................................ 113
2 - ENSEIGNER LE CINÉMA : UNE PERSPECTIVE
SOCIOLOGIQUE..........................................................................................115
2.1
Voir des films à l’École : lesquels et pourquoi ? ....................................................................................... 121
2.1.1
Quel « arbitraire culturel » en matière de cinéma ? .............................................................................................. 121
2.1.2
Les instances de légitimation ................................................................................................................................... 124
-6-
2.1.3
Le désir de la transmission patrimoniale comme culture légitime .................................................................... 131
2.1.4
Le choix des films au programme du baccalauréat.............................................................................................. 136
2.1.5
Hésitations terminologiques : cinéma vs audiovisuel........................................................................................... 139
2.2
Qui enseigne le cinéma ? ............................................................................................................................... 146
2.2.1
Une situation institutionnelle ambiguë : le « professeur de cinéma » ............................................................... 146
2.2.2
La formation initiale : le rôle des IUFM (Institut de Formation des Maîtres)................................................ 160
2.2.3
La formation continue : la certification en « cinéma et audiovisuel »............................................................... 162
2.2.4
La formation continue : le Plan Académique de Formation (PAF) ................................................................. 167
2.2.5
Les conventions partenariales.................................................................................................................................. 172
2.2.6
L’intervenant « partenaire »...................................................................................................................................... 176
2.3
Des attitudes professorales ........................................................................................................................... 184
2.3.1
Comment enseigner ? Le syndrome de la dispute ............................................................................................... 184
2.3.2
Les dangers du divertissement................................................................................................................................. 194
2.3.3
Une association : « Les Ailes du désir » ................................................................................................................. 200
2.3.4
Le goût des festivals .................................................................................................................................................. 205
2.4
Sociologie de l’expérience scolaire : une reproduction culturelle finalement aléatoire...................... 210
2.4.1
L’École peut-elle former un public ?...................................................................................................................... 210
2.4.2
L’acte éducatif est-il assimilable à une action culturelle ? ................................................................................... 220
2.4.3
Cinéma et art de masse : le pouvoir........................................................................................................................ 222
2.4.3
des industries culturelles contre la culture scolaire .............................................................................................. 222
2.4.4
Où l’on retrouve le plaisir… et la relativisation des valeurs de l’École............................................................ 231
2.4.5
La vision consumériste du parcours curriculaire.................................................................................................. 236
2.4.6
Bilan : ce qu’il reste à la culture scolaire................................................................................................................. 243
3 - LE CONTENU DES ENSEIGNEMENTS : QUELS PARADIGMES
THÉORIQUES ? ..........................................................................................249
3.1
Préambule : enseignement du cinéma et théorie du cinéma ................................................................... 250
3.1.1
Quelle place pour la théorie dans les études cinématographiques en lycée ?.................................................. 250
3.1.2
Premiers constats : influence du structuralisme et de l’immanentisme pour une approche formaliste de
l’œuvre d’art .............................................................................................................................................................................. 253
3.2
Comment se manifestent ces influences théoriques sur les programmes officiels ? ............................ 258
3.2.1
Ce qu’est l’art et ce qu’il n’est pas ........................................................................................................................... 258
3.2.2
La “version standard” de l’histoire du style .......................................................................................................... 261
3.2.3
Un extrait du BO particulièrement révélateur : l’étude du montage en Terminale ........................................ 267
3.2.4
La notion de « genre cinématographique » dans le BO de Première ................................................................ 283
3.2.5
Le « présentisme » : le BO de Terminale et la « néophilie »................................................................................ 289
3.2.6
Les cinémas « nationaux » ........................................................................................................................................ 301
-7-
3.2.7
3.3
Des programmes « Gender blind »......................................................................................................................... 304
Où l’on retrouve la cinéphilie « moderne » : l’influence des représentations cinéphiliques sur les
programmes officiels................................................................................................................................................ 307
3.3.1
La notion de « grand auteur » et la « politique des Auteurs »............................................................................. 308
3.3.2
« Écriture », « auteur », « scénariste », retour au BO de Première...................................................................... 310
3.3.3
L’ « auteurisme » mis en question ou tout le reste n’est que littérature............................................................ 320
3.3.4
Conclusion .................................................................................................................................................................. 323
4 - THÉORIE, PRATIQUES ET MÉTHODES POUR L’ANALYSE
FILMIQUE. .................................................................................................. 325
4.1
Préambules...................................................................................................................................................... 326
4.1.1
L’ekphrasis .................................................................................................................................................................... 326
4.1.2
L’apprentissage terminologique .............................................................................................................................. 328
4.2
Présupposés et théories à l’œuvre dans l’analyse filmique...................................................................... 332
4.2.1
L’héritage de la linguistique : structuralisme et sémiologie................................................................................. 339
4.2.2
Analyse filmique et analyse littéraire....................................................................................................................... 344
4.2.3
Synthèse des présupposés théoriques de ce type d’analyse ................................................................................ 349
4.2.4
Délimitation d’un corpus d’études de données « de terrain » ............................................................................ 351
4.2.5
Constatations générales ............................................................................................................................................ 353
4.3
L’analyse comme observation des formes.................................................................................................. 356
4.3.1
La liaison forme/contenu dans l’interprétation comme construction d’un sens implicite........................... 356
4.3.2
D’autres héritages du structuralisme ...................................................................................................................... 363
4.3.3
L’œuvre comme « texte ».......................................................................................................................................... 367
4.3.4
Analyse filmique et cohérence de l’œuvre ............................................................................................................. 370
4.3.5
L’étude narratologique ou l’influence de la linguistique : « l’analyse de film comme récit »......................... 378
4.3.6
« L’interprétation symptomatique » ........................................................................................................................ 385
4.3.7
Retour à l’ « auteurisme » comme enjeu de production de sens dans l’analyse filmique .............................. 389
4.4
De quelques stratégies « routinières » de production de sens ................................................................. 397
4.4.1
L’analyse « plastique » du film ................................................................................................................................. 398
4.4.2
Analyse des écarts en vue de rappeler la norme................................................................................................... 400
4.4.3
L’analyse filmique d’un extrait : l’analyse de séquences ...................................................................................... 403
4.4.4
L’analyse filmique comme dévoilement................................................................................................................. 405
4.4.5
Texte et glose : le goût du style ............................................................................................................................... 406
4.4.6
La figure unifiée du spectateur ou le « déni de la réception » ............................................................................ 409
4.4.7
Les références convoquées ...................................................................................................................................... 414
4.4.8
Les routines à l’œuvre : étude comparative d’analyses filmiques ou comment fonctionne l’apprentissage
« par imprégnation » ................................................................................................................................................................ 415
-8-
4.4.9
4.5
Conclusion sur l’analyse filmique............................................................................................................................ 450
Analyse des « outils » pédagogiques pour l’analyse des films en lycée.................................................. 457
4.5.1
Les outils d’accompagnement pédagogiques produits par l’Institution : l’exemple de « L’Éden cinéma »457
4.5.2
Synthèse des présupposés théoriques proposés dans ces documents pédagogiques..................................... 475
4.5.3
Le document pédagogique sur support papier : la collection des « Petits cahiers »....................................... 483
4.5.4
Les épreuves d’analyse filmique au baccalauréat et leurs critères d’évaluation............................................... 490
5 - LES COMPÉTENCES LIÉES À LA PRATIQUE ET AU SAVOIRFAIRE : « FAIRE DES FILMS » À L’ÉCOLE............................................ 494
5.1
Évaluer les savoirs et le savoir-faire............................................................................................................ 495
5.1.1
Textes officiels et préambules généraux ................................................................................................................ 495
5.1.2
L’épreuve écrite.......................................................................................................................................................... 497
5.1.3
L’épreuve orale : le « film du bac » et le « carnet de bord »................................................................................ 500
5.2
Les enjeux de la pratique .............................................................................................................................. 504
5.2.1
Quels enjeux pédagogiques ? ................................................................................................................................... 504
5.2.2
Pédagogie, amateurisme et pratiques scolaires ..................................................................................................... 506
5.2.3
Le rapport à la pratique comme retour de la puissance symbolique du verbe ............................................... 511
5.2.4
La mise en œuvre de la pratique : les différentes étapes du projet du « film du bac »................................... 515
5.2.5
Après le baccalauréat : les délocalisations des « films du bac ».......................................................................... 523
5.2.6
Créativité et création ................................................................................................................................................. 536
5.2.7
Évaluation d’une technique sans corps.................................................................................................................. 540
6 - EN GUISE DE CONCLUSION : QUELQUES PROPOSITIONS
THÉORIQUES ET PRAXÉOLOGIQUES ................................................543
6.1
Sur les paradigmes théoriques : d’autres approches sont possibles ...................................................... 546
6.1.1
Éloge du confort ou les vertus pédagogiques du plaisir ..................................................................................... 546
6.1.2
Quand y a-t-il enseignement du cinéma ?.............................................................................................................. 549
6.2
Sur la pratique : propositions ...................................................................................................................... 556
6.3
Évaluation d’une autre approche théorique : conclusion en forme d’élargissement philosophique 561
6.4
Conclusion générale : pour une autre approche du cinéma.................................................................... 570
7 - GLOSSAIRE des acronymes utilisés ...................................................574
8 - BIBLIOGRAPHIE ............................................................................... 577
-9-
9 - ANNEXES ............................................................................................605
9.1
Liste des établissements proposant un enseignement CAV et leur partenaire .................................... 606
9.2
Après le baccaauréat : CPGE et MANCAV .............................................................................................. 619
9.3
Exemple de convention de partenariale entre un partenaire culturel et un établissement scolaire. 620
9.4
Accords avec la PROCIREP ........................................................................................................................ 623
9.5
Convention avec le CNC pour la négociation des droits des films du baccalauréat ........................... 630
9.6
Liste des films au programme du baccalauréat depuis 1989 .................................................................. 635
9.7
Référentiel du DLA en BTS audiovisuel .................................................................................................... 636
9.8
Exercice donné à des élèves de l’enseignement de spécialité « cinéma et audiovisuel » ..................... 638
9.9
Tableau récapitulatif des références utilisées dans les analyses filmiques du Cahier des ailes du désir
étudiées....................................................................................................................................................................... 639
9.10
Documents utilisés pour l’étude des analyses filmiques sur L’Atalante .............................................. 642
9.11
Livret des DVD de la collection « L’Éden cinéma » ............................................................................... 661
9.12
Exemple de sujet type baccalauréat, épreuve écrite............................................................................... 662
9.13
Les Ailes du désir : conseil pour l’analyse filmique ............................................................................... 671
9.14
Exemple de cahier des charges BTS audiovisuel .................................................................................... 672
- 10 -
INTRODUCTION
Il me semble nécessaire d’ouvrir ce travail de thèse qui porte sur les enseignements
artistiques « cinéma et audiovisuel » par une très brève réflexion qui s’inscrit dans le
champ de l’histoire des idées afin d’envisager à titre de préambule la liaison entre
image et apprentissage de la vie. Cette liaison est souvent donnée comme un fait
indiscutable, mais l’ambition épistémologique de cette thèse est précisément de
revenir sur l’évidence des choses qui vont sans dire…
La croyance en la capacité de l’art à véhiculer un enseignement apparaît déjà chez
Aristote : dans La Poétique (Ve siècle avant Jésus-Christ), le philosophe défend l’idée
selon laquelle tout homme doit pouvoir tirer des leçons d’une image imitant le réel
et s’en servir pour mieux comprendre la vie1. La « tendance à l’imitation » et le
« plaisir » éprouvé « par l’imitation » engagent la réflexion du côté de la
représentation artistique comme puissant facteur d’instruction par le plaisir de
la reconnaissance. Pourtant, déjà au Ve siècle avant Jésus-Christ, ce postulat est en
opposition avec une certaine vision platonicienne de l’image : à la même époque,
Platon condamne les images et chasse les poètes de sa République. Si l’on résume à
grand trait la position de Platon, l’image est moralement condamnable parce qu’elle
est un simulacre, un semblant de réalité qui nous aveugle et nous éloigne de
l’Essence et de la Vérité2. Pour le philosophe, il n’y a pas de vertu de la
représentation par l’imitation.
Le débat – ici volontairement très simplifié – est donc séculaire et cette thèse fait
1
« Dès l’enfance, les hommes ont, inscrits dans leur nature, à la fois une tendance à imiter (et l’homme se
différencie des autres animaux parce qu’il est particulièrement enclin à imiter et qu’il a recours à l’imitation
dans ses premiers apprentissages), et une tendance à éprouver du plaisir aux imitations. Nous en avons
une preuve dans l’expérience pratique : nous avons plaisir à contempler les images les plus précises des
choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, par exemple les formes d’animaux parfaitement
ignobles ou de cadavres ; la raison en est qu’apprendre est un plaisir non seulement pour les philosophes,
mais également pour les autres hommes (mais ce qu’il y a de commun entre eux sur ce point se limite à
peu de chose) ; en effet si l’on aime à voir des images, c’est qu’en les regardant on apprend à connaître et
on conclut ce qu’est chaque chose comme lorsqu’on dit : celui-là, c’est lui. Car si on n’a pas vu auparavant,
ce n’est pas l’imitation qui procurera le plaisir, mais il viendra du fini dans l’exécution, de la couleur, ou
d’une autre cause de ce genre. », Aristote, Poétique, chap. IV, 1448 b 4-27, trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot,
Paris : Le Seuil, 1980, p. 43 à 45.
2
Je renvoie ici à la très célèbre « Allégorie de la caverne » dans le livre VII de La République.
- 11 -
l’hypothèse que nous entendons aujourd’hui encore son écho. Il n’est pas question
pour autant de faire un développement philologique sur la notion d’images et les
interrogations philosophiques qu’elle a pu susciter, mais de constater que ces deux
pensées sont précisément toujours à l’œuvre dans l’enseignement du cinéma en
lycée. Aujourd’hui encore, cet enseignement oscille entre ces deux extrêmes :
croyance dans la possibilité d’un apprentissage à partir des représentations du
monde, mais aussi méfiance envers le simulacre et la manipulation qu’elles peuvent
opérer. J’ai souvent retrouvé ces conceptions dans les entretiens avec les
« professeurs de cinéma »3 que j’ai pu effectuer au cours de ces trois ans de
recherche4 : la certitude que le cinéma peut apprendre quelque chose de la vie et
celle, tout aussi ancrée, qu’il faut apprendre aux élèves à se méfier de certaines
images trompeuses, qu’il faut savoir décrypter pour ne pas se laisser manipuler par
elles. Si l’image cinématographique suscite une méfiance fascinée, elle doit aussi,
selon ce postulat, subir pour être comprise une analyse rationalisée par le discours.
Il s’avère que l’enseignement du cinéma recoupe ces deux attentes : reconnaître à
l’image sa capacité d’apprentissage et parallèlement la lui dénier. Sur ce paradoxe se
développe un apprentissage qui oscille implicitement entre fascination et méfiance.
Cette brève remontée dans le temps et dans l’histoire des idées permet d’introduire
un des aspects de cette thèse auquel je tiens beaucoup : l’attention portée aux
paradigmes qui sous-tendent les pratiques et les discours. Le mot « paradigme »
revient souvent dans cette thèse. Il convient donc ici de définir deux termes
importants que je vais utiliser dans la suite de mon texte : les mots « paradigmes » et
3
J’utilise ici les guillemets car, institutionnellement, il n’existe pas de professeurs pouvant se prévaloir
d’être des « professeurs de cinéma ». Je reviendrai sur ces données institutionnelles dans la suite de ma
thèse, en 2.2.1.
4
Dix-huit entretiens ont été réalisés, dans divers lycées de France, à Paris et en province avec des
professeurs en charge des enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel ». J’ai choisi de maintenir les
professeurs concernés dans l’anonymat, car ces entretiens, tous enregistrés avec l’accord des protagonistes,
n’ont jamais été présentés comme des entretiens de sociologie mais plutôt comme des « échanges » autour
de mon travail de thèse. Les prénoms des personnes citées ont été modifiés. Un seul entretien, qui m’a
semblé particulièrement révélateur, a été retranscrit, et je le garde à disposition du jury si besoin, à des fins
scientifiques.
- 12 -
« idéologie ». La définition du mot paradigme est directement issue de son
étymologie : le grec paradeigma qui signifie « modèle » ou « exemple ». Un paradigme
est un ensemble de valeurs et de concepts auxquels adhèrent les membres d’une
communauté et qui rend possible une certaine manière commune d’envisager les
choses, une matrice de représentations qui forment un véritable système de
conception du monde. J’utiliserai le mot « paradigme » pour désigner la « grille de
lecture » conceptuelle propre à l’ensemble des acteurs d’un même champ, ici en
l’occurrence le champ de la politique culturelle et de l’enseignement du cinéma. Ce
paradigme est plus ou moins conscient, tant il apparaît comme une évidence le plus
souvent ininterrogée. Il désigne un ensemble de croyances et de valeurs qui
influencent la façon dont un individu conçoit la société qui l’entoure, tente de la
prévoir et essaie de la comprendre. Il devient une véritable « idéologie » quand il ne
supporte pas la contradiction et s’affirme comme un système à imposer au reste du
monde. Le paradigme a donc une fonction scientifique là où l’idéologie a une
fonction politique : on peut donc parler de « paradigmes politiques » si l’on veut
évoquer une idéologie.
Je préfère le terme de paradigme à celui de « représentation ». Deux raisons à cela :
tout d’abord la « représentation » ne renvoie pas à la notion de « système » – de
pensée ou de valeur – qui prévaut dans la définition du « paradigme ». Ensuite, mon
sujet de thèse portant sur le cinéma, j’ai craint que le mot « représentation » ne soit
dangereusement polysémique, puisqu’il peut être employé aussi lorsqu’il s’agit de
parler de la manière dont un art reproduit le réel. J’emploie parfois le terme
« présupposé » pour désigner une supposition préalable, une hypothèse non
confirmée, qui informe ou explique un discours ou une pratique.
UNE APPROCHE SYNCHRONIQUE
Il ne s’agit pas d’étudier l’histoire de l’installation des enseignements « cinéma et
audiovisuel » dans les établissements du second degré, mais de réfléchir aux
pratiques, aux outils pédagogiques dans l’ici et le maintenant. Sans pour autant me
- 13 -
priver d’une approche plus diachronique pour expliquer certaines habitudes ou
certains présupposés, cette diachronie ne sera pas menée en tant que telle. Une
raison simple justifie le choix de la synchronie : une thèse effectuée en 2001 par
Francis Desbarats5, explorait déjà largement l’histoire de la création des
enseignements « cinéma et audiovisuel » en lycée et leur développement. Il ne m’a
pas semblé utile de revenir sur des choses qui ont déjà été dites même si certaines
de mes recherches m’ont conduite parfois à entrer en oppositions avec les
affirmations de F. Desbarats ou à les relativiser. En outre, mon approche se veut
aussi praxéologique. J’ai la faiblesse de croire que cette thèse doit être résolument
tournée vers le futur. Pour autant, le passé est souvent riche d’enseignement et je
n’ai pas pu laisser totalement de côté une perspective historique. Je m’en suis
simplement servie pour nourrir mon approche d’un état des lieux actuel. Cet état
des lieux est d’ailleurs sans cesse en voie d’actualisation : la réforme du lycée qui se
met en place au moment où j’écris ces lignes est susceptible de faire bouger les
choses et le changement de l’Inspection générale en 2010 suscite déjà des réflexions
qui promettent d’être fructueuses et auxquelles mon travail de thèse a parfois pu
contribuer.
UNE
MÉTHODOLOGIQUE
ANCRÉE
DANS
LA
SOCIOLOGIE
PRAGMATIQUE
Mon expérience de professeur du Domaine Littéraire et Artistique (DLA) en BTS
audiovisuel depuis sept ans m’a fait croiser de nombreux « professeurs de cinéma »,
assister à de nombreuses réunions, participer à des sessions d’examen, de choix de
sujets pour des épreuves nationales, m’a permis de rencontrer des inspecteurs, des
formateurs, des partenaires culturels… Ces sept années ont aussi vu défiler dans
mes classes de nombreux élèves devenus étudiants, certains étant passés par les
enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel » en lycée, d’autres par des voies
5
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma, thèse de
Doctorat sous la direction de Guy CHAPOUILLIÉ, Université de Toulouse Le Mirail, École supérieure
d’audiovisuel, soutenue en décembre 2001.
- 14 -
plus techniques, un « panel » divers et varié qui bien sûr a tenu ma réflexion de
professeur, puis de chercheur, sans cesse en alerte. Sept années qui m’ont permis de
voir à l’œuvre des méthodes, des méthodologies, des opinions, des résistances, des
adhésions, des goûts, des dégoûts, des consensus et des oppositions essentielles.
Sept années qui m’ont permis aussi d’explorer des pédagogies, de tenter des
approches différentes, d’interroger ma pratique, les programmes, des modalités
d’enseignement. Et autant d’années pour me perfectionner moi-même, dans la
théorie du cinéma bien sûr, mais aussi dans sa pratique, grâce à des « expériences
d’audiovisuel » que j’ai pu mener dans le cadre de mon enseignement.
Ces sept années, pourtant, ne m’ont pas « donné » cette thèse. Il a fallu beaucoup
de travail, de lecture, de recherches et il est bien entendu que de même que
l’expérience professorale ne fait pas forcément un bon professeur, elle ne fait pas
forcément non plus un bon chercheur. Il m’a fallu me méfier de certaines de mes
propres convictions, accepter de moduler mon regard sur les choses, apprendre
l’art de la nuance et la suspension du jugement. Ce fut – et c’est encore – un gros
travail, riche d’enseignements méthodologiques, épistémologiques et aussi
pédagogiques, cinématographiques, sociologiques, humains, etc. Il m’a fallu
convoquer des outils que je connaissais peu ou mal, apprendre à décrypter les
présupposés d’un discours, conscientiser mes propres approches théoriques, dans
ce désir toujours renouvelé de comprendre enfin d’où je parle quand je décris,
quand j’analyse, quand je théorise, quand j’enseigne, quand je propose des
alternatives et même quand je dis que j’aime le cinéma.
J’ai très vite décidé de m’intéresser spécifiquement aux enseignements artistiques
« cinéma et audiovisuel » tels qu’ils sont proposés de la Première à la Terminale L
en enseignement de spécialité (dit aussi « option lourde »). Pour désigner ces
enseignements, je n’utilise pas le mot d’« option », car il est porteur d’une
ambiguïté : l’enseignement artistique de cinéma et audiovisuel peut en effet se
décliner selon deux modalités : l’enseignement de spécialité ou l’option facultative.
- 15 -
Ces deux modalités n’ont pas les mêmes programmes ni les mêmes conséquences
dans le parcours scolaire d’un élève. Par souci de précision, je parle donc
d’enseignement artistique « cinéma et audiovisuel » pour parler de l’enseignement
de spécialité sur lequel porte spécifiquement ma thèse, et je n’évoquerai l’option
facultative qu’à la marge. L’expression « cinéma et audiovisuel » est empruntée aux
textes officiels, je l’utilise donc comme un idiomatisme, même si je reviens, dans la
première partie de ma thèse, sur les origines et les paradigmes qui expliquent cette
association de termes et les acceptions qu’ils recouvrent respectivement dans le
cadre de ces enseignements. J’utilise parfois l’acronyme « CAV » pour « cinéma et
audiovisuel » afin d’alléger le propos.
Par rapport à ces enseignements « cinéma et audiovisuel », je suis dans une position
institutionnelle idéale : proche d’eux, j’y suis pourtant extérieure. N’ayant moimême jamais enseigné dans ces classes, professeur dans une filière technique et
post-bac, mon regard pouvait à la fois se prévaloir d’une certaine objectivité tout en
étant « averti ». Je pouvais à la fois « en être » et « ne pas en être », situation qui m’a
semblé à maintes reprises idéale épistémologiquement parlant. J’ai donc commencé
par faire des entretiens, avec des élèves, avec des professeurs, avec des partenaires,
avec des personnes institutionnellement en charge des enseignements6. Ces
entretiens n’avaient pas de prétention quantitative, car ma thèse n’est pas une thèse
de sociologie, mais ils m’ont permis un temps d’observations qui s’est avéré utile à
une meilleure compréhension de certaines réalités. Ils ne ressortaient pas non plus
de l’entretien de sociologie tel que le définit Pierre Bourdieu dans La Misère du
monde : comme je n’ai pas de formation de sociologue, il s’agissait plutôt de
« rencontres », même si les propos échangés se sont le plus souvent montrés fort
6
En plus des dix-huit entretiens menés avec des professeurs, j’ai interrogé individuellement dix élèves ou
étudiants et collectivement trois classes, de Seconde, Première et Terminale, sous forme d’échange oral et
de questionnaires. J’ai eu l’occasion de rencontrer également, à plusieurs reprises, l’Inspecteur général en
charge des enseignements « cinéma et audiovisuel », ses deux chargés de mission, des représentants de
partenaires culturels, des DRAC, des DAAC, du CNC, du SCEREN-CRDP, des personnes qui ont
activement participé à l’élaboration des programmes. J’ai précisé au fur et à mesure de l’utilisation de leur
propos, les personnes et organismes concernés.
- 16 -
riches d’enseignements, y compris sociologiques. Ces échanges m’ont permis de
renforcer cette approche pragmatique que je revendique, même s’ils n’ont – et je le
proclame ici – aucune ambition généralisante. Ils seront donc exclusivement traités
comme des exemples, des illustrations et non comme des données incontestables.
Car les seules données incontestables, finalement, ce sont les textes officiels qui
définissent les programmes d’enseignement et les modalités de l’épreuve du
baccalauréat7. Ils m’ont amenée à envisager trois grands axes sur lesquels s’appuie et
s’articule l’enseignement du cinéma au lycée et qu’il m’a semblé nécessaire, dans
l’organisation de mon travail, d’aborder successivement : voir des films, analyser
des films, faire des films. « Voir des films » est un aspect envisagé sous l’angle
sociologique dans ma deuxième partie, le fait d’« analyser des films » constitue le
centre de la réflexion théorique de ma troisième et de ma quatrième partie. Quant à
l’enjeu de « faire des films » je l’aborde dans ma cinquième partie.
PERSPECTIVE CURRICULAIRE : L’ENSEIGNEMENT DU CINÉMA EN
LYCÉE, DÉLIMITATION D’UN CORPUS
Afin de clarifier le plus possible le propos qui va suivre, je présente dés cette
introduction un « panorama » général de ces enseignements « cinéma et
audiovisuel » tels qu’ils peuvent être proposés en lycée dans le parcours scolaire
d’un élève. Il faut savoir que la fondation des options « cinéma et audiovisuel »
s’inscrivit d’emblée dans les « enseignements artistiques ». Roger Odin8, qui a initié
la réflexion institutionnelle sur ces enseignements dans les années 80, m’a confié à
ce propos qu’il avait pensé à l’époque : « Si on fait du cinéma une discipline, c’est
fichu ». Pourtant, l’École, de fait, repose sur une organisation de disciplines et il
s’est avéré bien utopique de croire qu’en faisant entrer le cinéma dans les lycées, il
résisterait à la vocation disciplinaire de l’Institution scolaire française. Si le cinéma
7
Je citerai donc parfois longuement les textes des différents Bulletins officiels, en donnant leur référence en
ligne car ils sont tous téléchargeables ou consultables en ligne. J’indique en référence la page du fichier pdf
si la version est téléchargeable. Le Bulletin officiel de l’Éducation nationale sera communément, dans le corps de
la thèse, désigné par les initiales BO.
8
Extrait d’un entretien mené le 25 novembre 2010.
- 17 -
est un champ de recherche plus qu’une discipline, son alignement sur les autres
« disciplines artistiques » – comme la Musique, ou les Arts plastiques, qui ont des
traditions disciplinaires très anciennes à l’École – l’a vite transformé en une
« matière scolaire » ambivalente : « matière » à la fois rétive aux habitudes
disciplinaires (il n’y a pas de concours de recrutement spécifique, par exemple, pour
enseigner le cinéma et l’audiovisuel) et pourtant in fine « disciplinarisée » par
l’Institution. C’est sans doute par ce « malentendu » que s’explique un certain
nombre des remarques que soulève cette thèse. L’interdisciplinarité qui avait été
souhaitée à l’origine pour cet enseignement apparaît aujourd’hui bien relative : si
dix-huit disciplines sont représentées parmi les professeurs en charge des
enseignements en cinéma, 30 % d’entre eux sont, au départ, des professeurs de
Lettres9. Évidemment, l’implantation du cinéma dans les établissements scolaires du
second degré a pausé des problèmes que l’on pourrait qualifier de « territoriaux »,
certaines disciplines estimant à tort ou à raison que le « cinéma » leur échoyait
plutôt qu’à d’autres, tout en étant toujours très jalouses de leur spécificité
disciplinaire que la légitimité culturelle toujours problématique du cinéma venait
parfois questionner.
La grande spécificité du cinéma est d’avoir incité les établissements scolaires aux
partenariats avec les lieux culturels, puisque le ministère de la Culture fut dès le
départ – et est toujours – totalement partie prenante de cet enseignement artistique
en lycée. Cette ouverture de l’École sur le monde extérieur a été gagnée « de haute
lutte » selon les témoignages que j’ai pu recueillir des « fondateurs » que sont Roger
Odin et Pierre Baqué10. Ces partenariats avec des partenaires culturels restent
aujourd’hui une condition sine qua non de l’ouverture des enseignements « cinéma et
audiovisuel » en lycée, signe que ce pari-là a été, jusqu’à maintenant, tenu, signant
9
Ce chiffre provient d’un « État des lieux de la discipline » effectué en 2008 par Christine Juppé-Leblond,
Inspectrice générale de l’Éducation nationale en charge des enseignements CAV. Ce document était prévu
pour une diffusion interne. Je le tiens à la disposition du jury, si besoin est, pour des raisons scientifiques.
10
Je renvoie ici à l’ouvrage de Pierre Baqué : 40 ans de combat pour les arts et la culture à l’École 1967/2007,
Paris : l’Harmattan, 2011, qui détaille année par année les avancés de l’installation de ces enseignements en
lycée.
- 18 -
une spécificité absolue de l’enseignement du cinéma.
Le « cinéma » a aussi, d’un point de vue institutionnel, été pris au piège de
paradigmes que j’ai tenté, tout au long de cette thèse, de délimiter et de définir. Le
paradigme du cinéma comme « art » par exemple, qui est toujours interrogeable, a
conduit le cinéma à s’enclaver dans la filière littéraire et les « enseignements
artistiques », le cinéma – et quel « cinéma » – s’alignant d’emblée sur certaines
représentations plus larges de l’Œuvre qui ne lui correspondent pas
systématiquement. La variabilité des productions audiovisuelles aurait sans doute
dû conduire à une interrogation plus précise sur cette catégorisation « d’office » du
cinéma comme art. Car l’objet « cinéma » et son double versant esthétique et
technique offre une perspective unique quant à son enseignement : il est présent à
la fois dans l’enseignement général : les enseignements artistiques, et dans
l’enseignement technique : les BTS audiovisuel. Il devient donc un objet propice à
l’étude des différents « arbitraires culturels » (je reprends ici la terminologie de P.
Bourdieu) qui prévalent à son enseignement. Force est de constater que l’arbitraire
culturel du côté de l’enseignement technique n’est pas le même que celui qui
prévaut du côté de l’enseignement théorique et que leur confrontation est riche de
sens. Il conviendra donc d’admettre cette hétérogénéité et de voir dans quelle
mesure elle permet de mieux dévoiler le degré d’arbitraire de chacun des
enseignements, les attitudes professorales qu’ils génèrent et les différents
paradigmes qu’ils supposent. L’enseignement en BTS audiovisuel, dont j’ai par
ailleurs une assez longue expérience, me servira donc parfois de point de
comparaison dans mes recherches sur les enseignements artistiques en lycée, même
s’il reste en dehors de mon corpus.
Dans quel parcours curriculaire s’inscrit le cinéma en lycée ? On peut résumer ainsi
sa présence en tant qu’enseignement artistique avant le baccalauréat :
- 19 -
S11
Baccalauréat
Type
Option CAV
d’enseignement facultative
L
ES
ST
Option CAV
Option CAV
Option CAV
facultative
facultative
facultative
3h/semaine
3h/semaine
épreuve orale
épreuve orale
et/ou
Enseignement
artistique de
spécialité CAV
Nombre
3h/semaine
3h/semaine
d’heures
et/ou (cumul
hebdomadaires
possible)
5h/ semaine
Type
épreuve orale
d’épreuves au
épreuve orale +
épreuve écrite
baccalauréat
Coefficient au
Oral
Facultatif : Oral
Oral
Oral
baccalauréat
coefficient 2.
coefficient 2.
coefficient 2.
coefficient 1.
Enseignement
artistique de
spécialité :
- écrit coefficient 3
- oral coefficient 3
On voit bien ici que les « enseignements de spécialité » se distinguent des
11
Je me trouve souvent dans l’obligation d’employer des acronymes dans mon propos : pour plus de
clarté, je propose donc un glossaire de ces acronymes à la fin de la thèse.
- 20 -
« options », ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’horaire hebdomadaire.
Après le baccalauréat, l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel est présent dans
dix Classes Préparatoires aux Grandes Écoles12 (CPGE) à titre d’options appelées
« option “études cinématographiques” ». Dans ces classes, les étudiants suivent
pendant deux ans quatre heures hebdomadaires d’« études cinématographiques »
pour préparer aux concours des Écoles Normales Supérieures. Dans trois lycées en
France, les élèves ont également la possibilité de suivre une MANCAV13 : classe de
« Mise À Niveau en Cinéma et Audiovisuel » pour pouvoir postuler ensuite, entre
autres, en BTS audiovisuel.
DÉLIMITATION D’UN CHAMP D’ÉTUDES
Pour tenter d’apporter des pistes de réponse aux questions que soulève
l’enseignement du cinéma en lycée, je me cantonne dans cette thèse aux
enseignements de lycée, et plus spécifiquement encore aux enseignements de
spécialité de Terminale L14, à l’exclusion d’autres dispositifs qui promeuvent aussi
actuellement la présence du cinéma à l’École. Se joue ici la différence entre
l’« enseignement » du cinéma et les « médiations » proposées en lycée à travers
entre autres le dispositif « lycéens au cinéma » ou la plateforme « cinélycée.fr »15. En
effet, seuls les enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel » s’appuient sur un
programme officiel spécifiquement étiqueté « cinéma et audiovisuel » et
occasionnent une évaluation dans le cadre de l’examen national. Mon approche est
essentiellement consacrée à cet enseignement tel qu’il est proposé avant le
baccalauréat, même si les programmes d’Hypokhâgne et de Khâgne, ainsi que les
pratiques en BTS audiovisuel peuvent occasionnellement me servir de point de
fuite. Il convient cependant de respecter l’hétérogénéité de ces formations et de ne
12
Pour la liste des lycées proposant cette option « études cinématographiques » en CPGE : voir annexes.
Pour la liste des lycées proposant une MANCAV : voir annexes.
14
Pour la liste des lycées proposant une option et/ou un enseignement de spécialité « cinéma et
audiovisuel » voir annexes.
15
Pour une réflexion sur ces médiations, je renvoie à la thèse de Perrine BOUTIN : Le septième art aux
regards de l’enfance : médiations dans les dispositifs d’éducation à l’image cinématographique, sous la direction de
Monsieur Yves JEANNERET, Université d’Avignon et des pays du Vaucluse, soutenue le mercredi 1er
décembre 2010.
13
- 21 -
pas chercher à la niveler, car c’est peut-être précisément dans les différences entre
ces différents types d’approches que se nichent des solutions pour une avancée sur
la question de l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel. Si l’on s’interroge sur
les paradigmes de l’enseignement du cinéma, autant ne pas renoncer à la chance de
pouvoir les observer dans différents types de formations. Si je sollicite parfois des
éléments relevant de ces filières post-bac, sans pour autant les considérer
véritablement comme appartenant à mon champ d’étude, c’est justement afin de
faire émerger des points de frictions susceptibles de renforcer et d’approfondir la
réflexion sur les modalités d’enseignement et les paradigmes à l’œuvre dans les
enseignements artistiques en classe de Seconde, Première et Terminale. Je n’ai
évoqué que très marginalement les MANCAV proposées après le baccalauréat dans
trois lycées de France, tentatives trop confidentielles et trop minoritaires pour
ajouter des données fondamentales ou intéressantes à mon approche, mais qui
témoignent de certaines confusions institutionnelles sur lesquelles je me suis
penchée.
En Terminale L, les programmes des enseignements artistiques16 procèdent d’une
formulation commune, ce dont se justifie le texte officiel :
« Tous les programmes ont été conçus à partir d’un plan unique qui préserve
l’homogénéité et la cohérence de l’ensemble du secteur des arts et met en
évidence les similitudes sans gommer les différences ni atténuer les
caractères spécifiques de chaque domaine. » (…)
« Les enseignements artistiques ne revendiquent aucune visée
professionnelle. Ils relèvent tous de la formation culturelle générale proposée
au lycée. Au-delà des spécificités propres à chaque domaine de l’art, ils
présentent des caractères communs et se fixent des objectifs sensiblement
identiques :
- d’une part, comme toutes les disciplines, ils se proposent d’aider l’élève à
acquérir savoir et savoir-faire, à construire sa propre personnalité, à
développer son esprit critique, à devenir un citoyen responsable et ouvert,
16
Les enseignements artistiques proposés de la Seconde à la Terminale sont les suivants : Arts plastiques,
Cinéma et audiovisuel, Danse, Histoire des arts, Musique et Théâtre.
- 22 -
susceptible de s’intégrer dans une société démocratique ;
- d’autre part, ils apportent à ce projet éducatif global une contribution
spécifique irremplaçable. Par une approche de la pratique artistique comme
par la fréquentation des œuvres, ils mettent en jeu le corps, le sensoriel et le
sensible, développent d’autres pensées, instaurent d’autres démarches, citent
d’autres références et d’autres valeurs. » 17
Je reviendrai sur les présupposés liés aux bienfaits de l’enseignement artistique à
travers une analyse de textes portant sur cet enseignement : les textes officiels des
programmes scolaires, contenus dans les Bulletins Officiels de l’Éducation nationale, mais
aussi des textes produits dans le champ politique. Ces textes constituent la
principale source de mes « études de textes », car ce sont eux qui cadrent et
informent les enseignements. Il s’avère que les enseignements « cinéma et
audiovisuel » en lycée sont aussi – et j’allais dire essentiellement – le fruit d’une
volonté politique. Je m’attarde donc sur ces textes dans la première partie de ma
thèse, à travers des analyses de discours, en partant du principe que les mots du
langage officiel sont les principaux – et les plus indiscutables – révélateurs des
paradigmes qui président à leur formulation. Ces paradigmes, leur décryptage, leur
explicitation théorique et historique constituent l’enjeu de cette première partie,
destinée à mettre en place, comme une base de travail, les différentes manières dont
le « cinéma » et « l’audiovisuel » sont définis et considérés. Une fois délimités les
différents paradigmes que développent les textes politiques ou officiels en lien avec
les enseignements artistiques et l’enseignement du cinéma, j’ai mis en perspectives
les différentes instances politiques et institutionnelles qui jouent un rôle dans
l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel en lycée afin de passer en revue leurs
modalités d’action et leurs missions respectives. Ce travail, descriptif, m’a semblé
indispensable pour envisager des conditions historiques, politiques, économiques,
légales, juridiques et financières de cet enseignement en lycée. Il s’agit d’envisager
les « cadres de l’expérience » au sens où l’entend Erving Goffman18, c’est-à-dire la
17
Version papier : BO, « Enseignements artistiques », classe de Première : édition du CNDP, janvier 2002,
collection « textes de référence – lycée (LEGT) Programmes » BO hors série n° 3 du 30 août 2001, p. 7.
version en ligne : « http://www.education.gouv.fr/bo/2001/hs3/arts.htm.
18
Goffman Erving, Les Cadres de l’expérience, traduit de l’anglais par Isaac Joseph avec Michel Dartevelle et
- 23 -
manière dont ces enseignements s’inscrivent dans des paradigmes qui orientent les
perceptions, et influencent l’engagement et les conduites tout en passant le plus
souvent inaperçus parce qu’ils sont partagés par toutes les personnes en présence.
Cette première partie permet donc de dessiner la « toile de fond » sur laquelle
s’inscrivent ces enseignements et sans laquelle ils ne seraient pas possibles. Je peux,
ensuite, passer aux textes des programmes officiels qui délimitent les modalités
précises de la façon dont les enseignements « cinéma et audiovisuel » sont
dispensés, concrètement, dans des lycées de France. Pour désigner le cadre dans
lequel s’inscrivent ces enseignements, j’ai souvent employé le terme général et
générique d’« École » – avec un grand « É » – quand il s’agit d’élargir la vision au
système d’enseignement perçu globalement. Ce terme, métonymique, permet de
renvoyer très rapidement à tout ce qui se joue dans le cadre du système
d’enseignement, en France.
Si la politique voit les choses « d’en haut », mon travail de recherche ne pouvait se
satisfaire de ce surplomb. J’ai donc adopté les outils de la sociologie pour étudier la
manière dont les professeurs et les élèves s’appropriaient ces paradigmes, les
transmettaient, les déjouaient, les défiaient, sur le « terrain ». Ma deuxième partie
s’attache à définir ce que signifie « voir des films » dans le cadre des enseignements
« cinéma et audiovisuel » en lycée. L’approche est là essentiellement sociologique : il
s’agit de délimiter le corpus de films considérer comme « légitimes » dans le cadre
de ces enseignements. L’approche sociologique de la « légitimité culturelle » qui
s’inscrit dans la lignée des thèses de Pierre Bourdieu m’a amenée à envisager le
positionnement institutionnel des professeurs en charge de ces enseignements et
quelques attitudes professorales qui m’ont semblé particulièrement représentatives.
Afin d’ouvrir ces perspectives sociologiques, j’ai sollicité, à la fin de cette seconde
partie, la sociologie de l’expérience scolaire qui, dans la « nouvelle donne » de la
massification du public lycéen depuis les années 80, vient parfois nuancer et
Pascale Joseph, Paris : Édition de Minuit, coll. « Le sens commun », 1974.
- 24 -
relativiser l’approche de la sociologie de la reproduction théorisée par P. Bourdieu.
Dans tous les cas, il ne s’agit pas d’élaborer une vision sociologique globale – qui
m’aurait demandé beaucoup plus de temps et de moyens – mais de montrer
comment ces outils théoriques peuvent servir d’approches heuristiques quand on
les sollicite dans le champ spécifique de l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel en lycée.
Il m’est apparu ensuite que ces films étaient étudiés, plus précisément analysés, et
que cet exercice particulier de l’analyse filmique, ses pratiques, ses théories devaient
concentrer mon attention. Dans un troisième temps, qui correspond à ma troisième
partie, je me suis donc précisément intéressée à cette activité qui consiste, dans les
enseignements artistiques en cinéma et audiovisuel à analyser les films. En
m’appuyant sur des exemples d’analyse, sur des copies d’élèves, mais aussi sur des
documents pédagogiques publiés par l’Institution, j’ai tenté de décrypter les
paradigmes théoriques à l’œuvre, les « routines » de productions de sens qui sont
transmises et la manière dont elles se transmettent, de l’activité critique à la pratique
pédagogique.
Enfin, il restait à m’interroger sur la « pratique » telle qu’elle est encouragée dans
ces enseignements, sur les réalisations audiovisuelles que chaque élève produit, sur
la manière dont elles sont mises en œuvre, sur ce qu’elles recouvrent aussi
d’implicites pédagogiques, politiques – voire économiques. Ma conclusion tente de
faire des propositions concrètes pour qu’il ne me soit pas reproché de m’être, dans
cette thèse, enfermée dans des abstractions. Car je souhaite avant tout que cette
thèse soit un outil : un outil de réflexion épistémologique, socio-politique,
théorique,
institutionnel
et
pédagogique,
bref
un
outil
essentiellement
pluridisciplinaire.
C’est – entre autres – pour cette raison que cette thèse est longue : j’y ai pris le
temps de confronter mes constatations à divers outils heuristiques. Par ailleurs,
quand il est question de tenter de délimiter des paradigmes, les constats ne peuvent
se faire « à l’envolée » : il faut confronter des textes, des mots, des documents
- 25 -
officiels ou plus officieux, prendre le temps de citer littéralement – ce qui explique
que mes citations soient parfois longues et le renvoi à des annexes. J’ai voulu être
exhaustive pour que le panorama proposé ne laisse aucune zone d’ombre et qu’on
ne puisse m’accuser de parti pris dans le choix des aspects traités. C’était la seule
façon, à mon sens, de défendre mes conclusions et de pouvoir prétendre proposer,
au sein de cette thèse, une véritable thèse.
J’utilise les caractères gras pour mettre en valeur certains mots sur lesquels je désire
insister.
J’indique entre parenthèses, sous la forme (2.3.4), les parties de ma thèse auxquelles
je réfère à l’intérieur de mes développements.
Les noms et prénoms des personnes qui ont bien voulu répondre à mes questions
lors d’entretiens enregistrés (toujours avec leur accord) ont été modifiés afin de
préserver leur anonymat. Je garde à la disposition du jury la retranscription intégrale
de l’entretien mené avec « Benoît » qui est le plus souvent cité dans la thèse, et, si
nécessaire, à des fins scientifiques, l’identité réelle des personnes citées.
- 26 -
1 - LE CINÉMA COMME
ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE,
PRÉALABLES POLITIQUES ET
ÉCONOMIQUES
- 27 -
Il existe en France ce que l’on pourrait finalement appeler un « service public de
l’action culturelle ». Cette action culturelle peut passer par l’institution scolaire, car
on sait depuis E. Durkheim que les discours pédagogiques, les curriculums et
l’entrée des disciplines dans le système scolaire sont aussi le fruit de constructions
institutionnelles. Les liens qui se tissent entre arts, cultures, pouvoir politique et
institution scolaire sont forcément fort complexes, et l’histoire et les enjeux de ce
paradigme français pourraient constituer une thèse à part entière. Je me contenterai
ici de quelques éléments de mise en perspective19.
Considérer le cinéma comme un enseignement artistique relève déjà de certains
paradigmes. C’est précisément sur ces paradigmes que je voudrais m’arrêter ici. Le
discours politique officiel sur la question de l’éducation artistique et culturelle et
son idéologie fait partie intégrante de la réflexion que je porte sur cet enseignement
parce qu’il permet à mon sens de remettre en contexte et donc de mieux interroger
les présupposés à l’œuvre dans les programmes scolaires, mais aussi dans les
pratiques pédagogiques. Je ne parle pas forcément de relations de cause à effet
directes – je me garderai bien de tomber dans un « causalisme », toujours fragile
étant donnés les multiples intermédiaires qu’il y a entre le discours politique et la
façon dont est mené un enseignement dans une classe – mais plutôt d’un « esprit
général » qui permet de mieux comprendre certaines réalités. Je parle donc de
« paradigmes » puisqu’il s’agit pour moi de délimiter des systèmes de représentation
dans le cadre de mon travail de recherche, et de « paradigmes politiques » quand
une représentation du monde alimente et justifie un discours politique. La tentative
de délimitation de ce qui relève de paradigmes largement répandus et de ce qui
relève d’une prise de partie ouvertement politique se justifie par le fait que l’arrivée
du cinéma dans les lycées français ne peut s’expliquer que par un volontarisme
19
Pour de plus amples développements sur ces aspects historiques, voir la thèse de Caroline ARCHAT en
sciences de l’éducation : Enjeux de l’introduction de l’art à l’école primaire et au collège. Processus d’apprentissage et
mises en forme scolaire des confrontations aux oeuvres. Le cas du cinéma. Sous la direction de Madame Élisabeth
BAUTIER, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis, soutenue le 12 avril 2010.
- 28 -
politique même si celui-ci – comme c’est presque toujours le cas – s’appuie sur des
paradigmes qui traversent la société civile en général. Dans le cas particulier de
l’enseignement artistique, le paradigmatique dépasse le plus souvent l’idéologique :
des camps politiques adverses peuvent tout à fait partager les mêmes paradigmes
sur cette question.
Dans les sous-parties qui vont suivre, j’examine donc tout d’abord les paradigmes
généraux à l’œuvre quand il s’agit d’envisager l’idée d’un « enseignement
artistique », pour me concentrer ensuite plus particulièrement sur l’enseignement du
cinéma – ses conditions historiques, politiques, légales, juridiques et financières –
en tant qu’il est précisément considéré, dans le lycée français, comme un
« enseignement artistique ».
1.1 Les conditions paradigmatiques d’un enseignement
artistique : l’éducation artistique comme politique culturelle
Cet interventionnisme étatique dans les arts et la culture en France a une histoire.
Claude Patriat, sociologue de la culture spécialiste de la question, développe ces
données historiques et paradigmatiques dans son livre La Culture, un besoin d’État20.
Dans un texte publié en ligne, Claude Patriat définit un « lexique minimal » quand il
s’agit de parler de la culture dans le discours politique. Les mots de ce lexique sont
les suivants : artistes, citoyens, colloque, culture(s), démocratisation culturelle,
diversité, élitisme, états généraux, festivals, Grenelle, identité, morale esthétique,
politique culturelle, patrimoine, populaire, territoire21. Je place ce lexique en
préambule, car il est effectivement annonciateur des termes sur lesquels je vais être
amenée à m’arrêter dans cette partie qui aborde l’éducation artistique comme
20
PATRIAT Claude, La Culture, un besoin d’État, Paris : Hachette Littératures, coll. « Forum », 1998.
PATRIAT Claude, Pas de Grenelle pour Valois, Paris : édition des carnets nord, « Didascalies I : Monotone
glossaire
minimal »,
consultable
en
ligne :
http://www.carnetsnord.fr/fichiers/bonnesfeuilles/9782355360343_1251900450.PDF
21
- 29 -
politique culturelle. La répétition des termes dans les discours politiques semble
effectivement pouvoir s’expliquer par l’espoir de leur vertu performative en termes
de constitution d’un paradigme. C’est pour cette raison que je m’arrête sur ces
récurrences de termes afin de dégager ce qui, dans l’analyse de discours, permet
d’envisager l’éducation artistique en termes de paradigmes.
Il convient ici d’envisager la place générale de l’État dans la culture puis plus
précisément la place des arts dans le système d’enseignement français, avant de
proposer une synthèse des paradigmes qui sous-tendent les discours politiques et
officiels concernant les arts – et plus particulièrement le cinéma – à l’École.
1.1.1 De l’État dans la culture en France :
très brève mise en perspective
Il apparaît que l’attachement historique de l’École aux arts vient de deux
présupposés fondamentaux qui se sont installés au cours du temps : l’idée que
l’école doit former un humain et donc transmettre ce qui fait l’humanité, et l’idée
que le politique doit être garant de la bonne santé des arts.
La première idée est, selon Émile Durkheim, directement issue des enseignements
religieux :
« Car de même que pour être chrétien, il faut acquérir une manière
chrétienne de penser et de sentir, de même aussi, pour devenir homme, il ne
suffit pas d’avoir l’intelligence meublée d’un certain nombre d’idées, mais il
faut avant tout avoir acquis une manière vraiment humaine de sentir et de
penser. » 22
Quant au second présupposé, celui du rapport entre arts et politique, le rapport
Rigaud, demandé en 1996 par Philippe Douste Blazy dans la perspective d’une
« refondation de la politique culturelle », propose un bref panorama de cette
histoire des rapports entre État, art et culture en France :
22
DURKHEIM Émile, L’Évolution pédagogique en France, Paris : Presse universitaire de France, 1990, p. 24.
- 30 -
« Il y a, venue du fond des âges, une tradition française qui fonde et légitime
l’intervention du Pouvoir dans la vie intellectuelle et artistique et confère à ce
que nous appelons aujourd’hui “la culture” un statut particulier dans la
société. »23
Qu’elle ait d’abord pris la forme du « mécénat royal » – et les institutions comme les
Académies24 ou la Comédie Française sont des legs de l’ancien régime – ou de
l’idéal révolutionnaire d’une démocratisation du savoir pour l’avènement d’un
homme libre, puis d’un « système des beaux-arts » qui jusqu’au milieu du XXe siècle
côtoie un désir d’« instruction publique » d’inspiration sociale, l’intervention de
l’État dans le domaine des arts ne s’est jamais démentie au cours de l’histoire de
France.
Cette question fut souvent l’objet de débats quant à la fonction éducative de l’art, le
principal ancrage des oppositions se situant entre ceux qui défendent une éducation
axée sur une culture désintéressée et ceux qui prônent l’adaptation de l’école aux
besoins économiques et aux avancées techniques. Caroline Archat, dans sa thèse,
prend l’exemple du dessin qui rentre dans les programmes de l’École dès la
Troisième République et est révélateur du débat : faut-il considérer le dessin
comme un outil potentiel d’élaboration de possibilités industrielles ou techniques
(c’est le dessin industriel, les « Arts appliqués »), ou comme un mode d’expression
artistique n’ayant aucune visée utilitaire (ce sont les « Arts plastiques ») 25?
L’idéal démocratique hérité de la Révolution française visera une double exigence :
partager l’héritage artistique et culturel national, le « patrimoine » considéré comme
une valeur suprême, et éduquer les citoyens pour leur permettre d’assumer
pleinement la citoyenneté que cette culture partagée cimente, dans une perspective
humaniste. Le pouvoir politique ne cessera de renforcer son autorité sur les
23
RIGAUD Jacques, Pour une refondation de la politique culturelle de l’Etat, rapport au ministre de la Culture, Paris :
Édition de la documentation française, coll. « Rapports officiels », 1996, p.45
24
Elles se développèrent d’abord en Italie vers 1535 et étaient considérées comme des « institutions
officielles conçues pour la promotion de la science et de l’art » in PEVSNER Nikolaus, Les académies d’Art,
Paris : G. Montfort, 1999, traduction française de Jean-Jacques Bretou, p. 59.
En France, l’enseignement artistique est resté l’apanage des Académies jusqu’au début du XIXe siècle.
25
Caroline ARCHAT, dans sa thèse (op. cit.) renvoie au rapport que Napoléon III commanda en 1853 à F.
Ravaisson dans le cadre de la réforme du lycée où ce dernier, ami d’E. Delacroix et d’H. Flandrin décrivit
le geste du dessin comme un moyen de comprendre le monde et l’essence des choses.
- 31 -
formations artistiques, comme en témoigne la création du premier ministère des
Lettres, des Sciences et des Beaux-arts dès 1870. L’École républicaine pose donc
très vite les jalons des « politiques culturelles » qui suivront, et de ce qui deviendra
l’enseignement artistique. La loi du 28 mars 1882 sur l’instruction primaire
obligatoire prévoit les « enseignements du dessin, du modelage, de la musique »26.
Plus tard, l’École de la Troisième République visera aussi à renforcer, par
l’éducation, le lien social, et c’est sans doute, encore aujourd’hui, un des enjeux des
enseignements artistiques et culturels : parier sur la culture pour garantir la paix
sociale. C’est l’émergence de l’« État éducateur » selon la formule de Jean-Manuel
de Queiroz27 : la mission socialisatrice et pacificatrice de l’École naît sans doute là,
qui prendra appui sur la certitude selon laquelle la culture est un moyen d’assurer le
« ciment social ». Cette paix sociale reposerait sur la constitution, par le système
d’enseignement, d’une culture commune, d’une identité culturelle, passant toutes
deux par les arts. On sent ici déjà que l’idéologie repose sur une confusion – sur
laquelle il faudra revenir – entre les arts et la culture. C. Patriat quant à lui explique
que l’intervention de l’État dans le champ culturel s’explique avant tout par le
« pacte » que le pouvoir passe tacitement avec les gouvernés pour assurer sa
légitimité et son autorité autour d’un consensus. Le développement, la protection,
la conservation, la diffusion des arts relèvent donc, selon C. Patriat, de ce désir de
pacification des rapports entre gouvernants et gouvernés, qui se trouve renforcée si
l’État est perçu comme légitime :
« Ainsi, l’art coïncide parfaitement avec le dessein du pouvoir politique
confronté aux astreintes de la légitimation. »28.
Les affirmations idéologiques fortes allant dans ce sens émanant des sphères
politiques ne cesseront d’être martelées dans des textes officiels ultérieurs qui ont
trait aux missions de l’École. Le plan Langevin-Wallon, qui prévoit une réforme de
26
Loi nº 11 696 du 8 mars 1882, promulguée au Journal officiel du 29 mars 1882.
QUEIROZ (de) Jean-Manuel, L’École et ses sociologies, Paris : Nathan/VUEF, coll. « Sociologie », 2003.
28
PATRIAT Claude, La Culture, un besoin d’État, op. cit., p. 59.
27
- 32 -
l’enseignement en 1946, s’appuie sur les idées de Groupe français d’Éducation
Nouvelle présidé par Paul Langevin. Influencée par cette « Éducation Nouvelle », la
Constitution du 27 octobre 1946 déclare que :
« La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la
formation personnelle et à la Culture. L’organisation de l’enseignement
public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. »29
On ne peut ici laisser de côté l’influence d’André Malraux, après la Seconde Guerre
mondiale. Sa création d’un ministère d’État chargé des Affaires culturelles est à la
fois le point de départ et l’aboutissement de cette histoire de l’enseignement
artistique et culturel en France. A. Malraux a fortement nourri l’idée selon laquelle
le pouvoir politique doit favoriser l’accès aux arts au plus grand nombre. Il est le
fondateur des « Maisons de la culture » et celui qui affirma souvent qu’il
fallait « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la
France, au plus grand nombre possible de Français »30.
L’idée de « démocratisation de la culture » est bien une idée malrucienne, même si
cette idée a une longue histoire que nous n’avons fait qu’esquisser ici. Cependant, et
la différence est de taille, A. Malraux isola justement les « Affaires culturelles » de
l’instruction publique. Le nouveau ministère des Affaires culturelles de la Ve
République sort la culture de la rue de Grenelle : ici se met en place la
différenciation entre l’action culturelle publique, dévolue au ministère de la Culture,
et l’Éducation artistique, prérogative de l’Éducation nationale31. Il y a fort à parier
que A. Malraux, qui n’était pas bachelier, connu pour être un autodidacte, se méfiait
de l’éventuelle stérilisation de l’art dans le moule scolaire. L’approche des œuvres et
de la création ne saurait donc, pour lui, être exclusivement pédagogique. C’est ainsi
que dés 1960, l’Éducation nationale prend en charge l’éducation artistique
généraliste (les cours de musique et de dessin destinés à tous les élèves de l’École
29
Préambule à la Constitution du 27 octobre 1946.
MALRAUX André, discours prononcé à Athènes le 28 mai 1959, consultable en ligne
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualités/dossiers/malraux2006/discours/a.m-athenes.htm
31
On retrouve aussi ici la différence que j’évoquais en introduction entre enseignement artistique du
cinéma et « médiation » culturelle.
30
- 33 -
publique), tandis que le ministère de la Culture prend en charge les écoles d’art
professionnalisantes comme les Beaux Arts et le réseau des conservatoires de
musique. En réalité, le clivage qui s’opère ici est celui du partage paradigmatique
entre la théorie et la pratique : à l’Éducation nationale la théorie et l’histoire des
arts, au ministère de la Culture la véritable production artistique, le geste de
création. Ce clivage se vérifie aujourd’hui encore pour le cinéma : le lycée assure un
enseignement de spécialité « cinéma et audiovisuel » qui ne garantit pour autant
aucun lien avec la FEMIS qui dépend du ministère de la Culture.
Le ministère d’A. Malraux rappelle en tout cas que la culture est affaire de
volontarisme politique. On se souvient, bien plus tard, que lors de la phase ultime
des négociations du GATT en 1993, François Mitterrand et le gouvernement
français se sont faits les porteurs de « l’exception culturelle ». Depuis, toutes les
formations politiques françaises ont soutenu cette position, engageant l’Union
européenne dans la voie de l’« exception culturelle » « à la française ».
En 1996, dans le rapport Rigaud déjà cité, ce sont ces mêmes principes qui sont
réaffirmés :
« Le fondement de l’action publique en faveur de la culture est donc
politique, au sens le plus élevé du terme. Le but de la politique culturelle est
d’accomplir la République, c’est-à-dire de donner à chacun, par un accès
réellement égal aux œuvres de l’esprit, la possibilité de se former une
conscience citoyenne dans sa plénitude. »32
Cette politique culturelle héritée d’une longue histoire peut donc être considérée
comme un point d’ancrage de la présence de l’enseignement du cinéma dans les
lycées français. Pourtant, la concrétisation de cette idée que les arts pouvaient
s’installer à l’école est le fruit d’une avancée progressive vers un décloisonnement
des prérogatives du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de la Culture,
assortie d’une nouvelle conception de la place des arts dans le système éducatif. Je
32
RIGAUD Jacques, « Pour une refondation de la politique culturelle de l’État », rapport au ministre de la
Culture, op. cit., p. 50.
- 34 -
vais ici passer en revue les moments clés de ce décloisonnement qui a permis le
développement, entre autres, de l’enseignement du cinéma, afin de montrer les
efforts institutionnels qui ont été mis en œuvre pour démocratiser l’art à l’École.
1.1.2 Les arts à l’École
L’École, en tant qu’elle est une institution publique, se trouve donc être un
intermédiaire de choix de l’action politique dans la société civile, ce dont témoigne
la répartition des budgets du ministère de la Culture et de la Communication qui
consacre en 2010 24 M€33 à l’éducation artistique et culturelle des « enfants
scolarisés ». Revenons encore une fois sur quelques éléments historiques : en 1977,
René Haby confie à Jean-Claude Luc une mission de développement de l’action
culturelle au collège et au lycée qui portait essentiellement sur la musique et le
dessin, déjà bien implantés dans les curriculums scolaires. La « Mission Luc »
deviendra le point d’ancrage d’un partenariat, encore timide, entre le ministère de la
Culture, très centralisé, et l’Éducation nationale.
En 1981, Mitterrand au pouvoir annonce son intention de développer l’éducation
artistique à l’école. Jack Lang, nommé ministre de la Culture signe donc en 1983
avec Alain Savary, alors ministre de l’Éducation nationale, une convention qui
ouvre l’École aux arts. C’est le premier protocole de « partenariat » entre les deux
ministères. D’après P. Baqué , que j’ai pu interroger sur cette époque durant
laquelle il était chef de mission pour le rapprochement auprès du ministère de la
Culture34, A. Savary était ouvert aux discussions avec le ministère de la Culture,
mais déléguait beaucoup le travail en commun, car il estimait que le sujet, alors
polémique, pouvait lui valoir des ennemis. P. Baqué m’a raconté une réunion à
Matignon en 1982 sur cette question de l’entrée des arts à l’École qui a tourné à son
33
Source : site du ministère : http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Culture-etcommunication-un-budget-en-forte-hausse, consulté le 5 août 2011.
34
Entretien à son domicile accordé le 3 décembre 2010
- 35 -
avantage car il était le seul représentant de l’Éducation nationale alors que les
représentants du ministère de la Culture, au nombre de dix-huit, avaient dû se
répartir la parole pour « vendre leur salade » et leur « corporatisme ». Matignon
décide d’encourager le projet de rapprochement des deux ministères et fixe un
deuxième rendez-vous qui aboutira à la signature du partenariat entre les deux
ministères. Jack Lang a donc dû composer avec les résistances internes au sein de
son propre ministère. Le protocole d’accord de 198335 vise à l’entrée dans les
écoles, en plus des Arts plastiques et de la Musique, du Théâtre et du Cinéma, ce
dernier bénéficiant de l’appui de Jérôme Clément, actuel directeur d’Arte, alors
conseiller chargé de la culture auprès du Premier ministre Pierre Mauroy. Son
introduction définit comme suit les enjeux du partenariat :
« Conscients de la complémentarité de leurs responsabilités, les ministères de
l’Éducation nationale et de la Culture décident de développer la collaboration
entre le service public d’éducation et le secteur culturel. Cette collaboration
permettra d’affirmer la nécessaire cohérence entre le projet éducatif et le
projet culturel du gouvernement. Elle favorisera une ouverture plus grande
des établissements scolaires sur leur environnement culturel et des
programmes scolaires et éducatifs sur la dimension artistique, ainsi qu’une
meilleure prise en compte, dans le projet culturel, des préoccupations
propres à la petite enfance et à l’âge scolaire et universitaire. Cette
collaboration permettra aussi une participation plus active des artistes et des
organismes culturels à l’éveil de la sensibilité artistique, aux côtés des
enseignants et des personnels relevant de l’Éducation nationale. Dans cette
perspective, les ministres de l’Éducation nationale et de la Culture décident
de développer une coopération établie sur les actions et les principes
suivants : mieux coordonner leurs politiques en matière de formation
artistique et culturelle des jeunes ; faciliter la rencontre et la collaboration des
secteurs de l’Éducation nationale et de la Culture ; encourager dès
maintenant les initiatives communes des organismes culturels et des
établissements de formation ou d’enseignement dans un certain nombre de
directions. »36
A. Savary soutient ce protocole et constitue un groupe de travail dans lequel le
dossier « cinéma » est confié à Roger Odin. Le texte prévoit « une participation plus
35
Protocole d’accord de 1983. On peut trouver le texte en ligne :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/politique/education-artistique/educart/250483.htm,
consulté le 5 août 2011.
36
Protocole d’accord de 1983, op. cit.
- 36 -
active des artistes et des organismes culturels à l’éveil de la sensibilité artistique, aux
côtés des enseignants et des personnels relevants de l’Éducation nationale » et
reconnaît donc aux artistes le droit d’intervenir dans les classes. Aux dires de R.
Odin, que j’ai pu rencontrer sur cette question37, les résistances furent fortes à cet
égard du côté du ministère de l’Éducation nationale qui avait l’impression d’un
envahissement de son territoire. Cette entrée des arts et des artistes à l’École se fera
donc, au départ, de façon très ponctuelle et expérimentale. Pour la première fois, le
ministère de la Culture sera amené à financer des pratiques artistiques au sein de
l’École.
Il faudra ensuite attendre la loi du 6 janvier 1988, à l’initiative de François Léotard
ministre de l’Éducation nationale sous la première cohabitation, pour voir
reconnaître à part entière le rôle des enseignements artistiques à l’École.
Jack Lang revient aux affaires en 1992. De 1992 à 1993, il est à la fois ministre de
l’Éducation nationale et ministre de la Culture, ce qui lui permet de faire avancer les
choses plus vite. Il renforce les enseignements artistiques – dont le cinéma – mis en
place dans les sections A3 depuis 1985, et met à disposition des Directions
Régionales des Affaires Culturelles (les DRAC), des postes d’enseignants chargés
du lien entre les deux ministères sur tout le territoire. La décentralisation opérée par
le ministère de la Culture va contribuer également à la « répartition des tâches » à
l’échelle nationale entre les deux ministères. Je reviendrai ultérieurement sur ce
développement des DRAC et le rôle qu’elles jouent dans l’enseignement du cinéma
en lycée. Dans le sens inverse, chaque académie se dote à cette époque d’un
« chargé de mission culturelle » du recteur pour faciliter le suivi des partenariats
avec les institutions culturelles.
En 1997, après quelques années de cohabitation, Claude Allègre prend le ministère
de l’Éducation nationale et Catherine Trautmann celui de la Culture. Elle met
l’accent sur le développement des services éducatifs dans les institutions culturelles.
En 1998 est créé un groupe chargé du suivi du développement interministériel de la
37
Entretien le 25 novembre 2010.
- 37 -
politique en faveur de l’éducation artistique et culturelle.
Malgré tous ces dispositifs, à l’aube du XXIe siècle, l’éducation artistique ne
s’adresse finalement, à l’échelle du territoire, qu’à une minorité d’élèves38. Une
contradiction se profile entre le désir de massification de l’enseignement artistique
portée par l’institution scolaire et le désir qualitatif que défend le ministère de la
Culture qui vise une action culturelle permettant une rencontre entre les élèves et
les artistes en cours de création, action culturelle forcément très limitée, car elle
repose sur le volontariat et la bonne volonté. À partir de mars 2000, le retour de J.
Lang rue de Grenelle sera pourtant concentré sur cette « démocratisation
culturelle » et le désir d’une « massification » des enseignements artistiques.
S’engage alors le « Plan de cinq ans » que J. Lang mènera en association avec
Catherine Tasca qui succède à C. Trautmann au ministère de la Culture et de la
Communication.
1.1.3 Le « Plan de cinq ans pour les arts à
l’École »
Le Plan de cinq ans passera par la constitution d’une mission au sein de l’Éducation
nationale qui assurera un lien actif avec la DESCO (Direction des Enseignements
Scolaires dirigée par Jean-Paul Gaudemard), la DES (Direction des Enseignements
Supérieurs), et le CNDP (Centre National de Documentation Pédagogique). Du
côté du ministère de la Culture, le lien sera privilégié avec Jacques Laemlé,
conseiller de la ministre et la DDAT (Délégation au Développement et à l’Action
Territoriale). Cette mission s’installe rue de Grenelle et multipliera les réunions
entre les représentants de la culture et les représentants de l’éducation. Sous
l’impulsion de Claude Mollard seront sollicités des spécialistes. Pour le cinéma, on a
38
Pascale LISMONDE, parle de « moins de un pour cent des élèves » concernés avant 2000 par
l’enseignement artistique en dehors des enseignements traditionnels de la musique et des arts plastiques
avec lesquels il rentre d’ailleurs parfois en concurrence, in LISMONDE Pascale, Les arts à l’École, le Plan de
Jack Lang et Catherine Tasca, Paris : SCEREN-CNDP / Gallimard, coll. « Folio », 2002, p. 41.
- 38 -
recours à Alain Bergala. À ce stade, se met en place la concertation entre les deux
ministères pour une définition d’une politique des arts à l’École
Le 14 décembre 2000, J. Lang et C. Tasca organisent une conférence de presse dans
le grand auditorium du Louvre pour présenter les nouveaux dispositifs sur lesquels
ils se sont mis d’accord39. Les principales orientations idéologiques de ce discours
reposent sur :
« Trois préoccupations fondamentales : l’égalité d’accès à la culture pour le
plus grand nombre, l’apport de la culture à la constitution de l’identité
culturelle, le rôle irremplaçable de la création artistique. »
Il est question d’« urgence démocratique » pour permettre que « l’éducation
artistique » soit « proposée à tous, à chaque stade de la scolarité ». Par ailleurs :
« L’éducation artistique est un élément essentiel de la construction de soi et
d’échange avec l’autre. Elle permet à chacun de découvrir et de construire
son identité et son rapport au reste du monde, et cela par deux voies
complémentaires : l’assimilation de l’héritage culturel et la découverte de la
force et de la diversité de la création. Ainsi, l’éducation artistique est, pour
chacun, un moyen de développer son aptitude à s’exprimer et sa capacité de
résistance critique à tout modèle culturel “achevé et imposé” ».
Enfin :
« L’éducation artistique permet l’émergence des artistes de demain et suscite
les futurs amateurs d’art et de culture qui constitueront la base d’un public
renouvelé, curieux, averti et sensible. »
C’est dans ce discours que sera affirmée l’importance centrale du cinéma dans le
dispositif, C. Tasca affirme :
« Je mettrai l’accent sur trois champs : 1. L’éducation à l’image et en
priorité à l’image cinématographique. Il s’agit d’un enjeu essentiel
aujourd’hui eu égard au flux d’images auquel sont confrontés les jeunes.
Cette action prioritaire fera l’objet d’un plan de développement associant le
patrimoine cinématographique, la production audiovisuelle et la création
multimédia. Ce plan portera d’abord sur le renforcement des actions de
sensibilisation au cinéma menées depuis plusieurs années par le CNC en
direction du milieu scolaire (école, collège et lycéens au cinéma). En étendant
39
Ce discours est accessible en ligne sur le site du ministère de la Culture :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/education-artistique.htm
- 39 -
ces dispositifs, fondés sur le spectacle cinématographique en salle, partout où
existe à la fois une volonté des établissements scolaires et des exploitants
compétents, il accompagnera l’effort spécifique et nouveau du MEN, les
deux actions devant être complémentaires. Mais nous irons au-delà en
renforçant les lieux-ressources de l’image : ainsi le projet cinéma de Bercy,
auquel je veux donner, outre sa fonction patrimoniale, une forte dimension
pédagogique constituera la tête de réseau des pôles ressources-images
actuellement mis en place dans les régions. Ces derniers complèteront les
Espaces Culture Multimédia actuellement installés dans des lieux culturels
très divers et dont le nombre (130 aujourd’hui) doublera d’ici 2002. »
Cette volonté politique est au centre du développement des enseignements
« cinéma et audiovisuel » et des modalités de mise en œuvre de ces enseignements
sur lesquels porte mon travail de recherche. Une certaine vision du cinéma s’affiche
ici clairement : le cinéma correspond à un « spectacle cinématographique en salle »
et le discours s’attache plus particulièrement à sa dimension « patrimoniale » à
laquelle il faut « sensibiliser » les élèves. Il n’est pas du tout question de parler du
cinéma comme pratique culturelle, comme système économique, ni même
d’envisager « quand y a-t-il cinéma ? », ce qui relèverait d’une approche pragmatique
totalement ignorée ici. C. Tasca prévoit également la formation des artistes
susceptibles d’intervenir en milieu scolaire, la mobilisation des institutions
culturelles, le renforcement des partenariats et le développement des collectivités
territoriales qui se trouvent chargées de l’animation du partenariat entre les deux
ministères dans les régions. Ce type de discours, déjà florissant dans les années 90,
se multiplie dans les années 2000 après ce discours fondateur de C. Tasca. Plus
récemment, on peut citer entre autres le discours de Xavier Darcos à Sarcelles en
juillet 2007 qui, réaffirmant tous les principes développés ci-dessous, se concluait
ainsi :
« L’éducation culturelle et artistique est indispensable à ce que le siècle de
Condorcet appelait le bonheur, c’est-à-dire la contribution au progrès
collectif par le développement des facultés individuelles. C’est à cette vision
de l’école que j’ai voulu vous associer ce matin. Je vous remercie. »40
40
Discours de Xavier DARCOS, au collège Jean-Lurçat, à Sarcelles, alors qu’il était ministre
- 40 -
La dimension idéologique de ces discours est tangible. Pourtant on constate que sur
cette question des arts à l’École, à droite comme à gauche de l’échiquier politique,
les paradigmes convergent. J’essaierai donc de délimiter des paradigmes politiques,
c’est-à-dire les représentations soutenues par des convictions idéologiques, et les
« paradigmes » plus généraux, indépendants du politique qui dessinent les contours
d’une certaine conception de l’art et de sa place dans le système éducatif.
1.2
Paradigmes des discours officiels
1.2.1 Arts, artistes, culture et citoyenneté
Dans la prolifération de ces discours politiques, j’ai choisi de m’arrêter sur une
sélection de textes qui abordent la question de l’enseignement artistique à l’École.
Les « rapports » de toutes sortes et de tous bords foisonnent, je n’ai sélectionné que
les rapports ciblés sur les enseignements artistiques, éducation à l’image et
éducation aux médiass.
Je m’appuierai donc sur un rapport portant sur « la place des enseignements
artistiques dans la réussite des élèves » commandé au groupe des enseignements
artistiques de l’Inspection générale en 96 et 98 et sur le discours de J. Lang du 14
décembre 2000 pour l’introduction du « Plan de cinq ans pour les arts à l’école ». Je
m’appuierai surtout longuement sur les rapports du Haut Conseil aux
Enseignements Artistiques et Culturels (HCEAC)41, porte-parole et scrutateur des
politiques d’introduction des arts à l’école. Les deux rapports les plus récents
publiés respectivement en 2006 et 200742 feront l’objet d’une analyse de discours.
de l’Éducation nationale le 21 juin 2007, discours accessible en ligne :
file:///Users/barbaralaborde/Desktop/thèse/textes%20officiels%20/Éduc%20culturelle%20et%20artist
ique%20-%20disco%20Darcos.webarchive, consulté le 12 avril 2011.
41
Pour alléger le discours, j’emploie l’acronyme HCEAC pour désigner ce comité.
42
Ces rapports sont consultables en ligne : http://www.education.arts.culture.fr/n-1/haut-conseil-de-
- 41 -
Ces rapports du HCEAC me semblent particulièrement intéressants en cela qu’ils
sont constitués de longues prises de paroles de personnalités (les « auditions ») qui
appartiennent à la vie politique comme à la vie civile. En cela, ils me semblent être
tout à fait représentatifs des paradigmes essentiels et de la façon dont ils peuvent
s’exprimer, y compris en dehors de la sphère strictement politique.
Le HCEAC est fondé à l’occasion de la loi du 6 janvier 1988 dans le cadre du « plan
national de l’éducation artistique ». Dans les années 90, le conseil ne s’est réuni que
deux fois et Marcel Landowski, son vice-président de l’époque, s’est souvent plaint
de son inutilité. Cependant, en 2005, ce Haut Conseil reprend du service. Les
membres qui le constituent sont changés43. Dans une lettre de mission conjointe,
les ministres de la Culture et de l’Éducation nationale lui attribuent de nouvelles
taches et en particulier un rapport sur l’éducation artistique et culturelle.
Je me suis particulièrement attachée au rapport de 2006 qui est le premier rapport
publié par le HCEAC. À ce titre, il met en œuvres des déclarations et des
propositions qui ne seront que reprises et/ou développées dans le rapport 2007.
Ces rapports présentent l’avantage d’être relativement récents ce qui exclut la
possibilité de supposer que les paradigmes décelables ici aient pu changer
radicalement à l’heure où sera soutenue cette thèse. Après 2007, on ne trouve plus
de rapport de ce Haut Conseil qui n’est pourtant jamais officiellement dissout44.
leducation-artistique-et-culturelle/rapports-annuels.html. La pagination employée correspond au page du
fichier .pdf mis à disposition sur ce lien.
43
Les membres du HCEAC sont désignés au début du rapport de 2006 et de 2007 : Gilles de Robien et
Renaud Donnedieu de Vabre : présidents, Didier Lockwood, vice-président, Yann Arthus-Bertrand,
Didier Blanc, Marie-Anne Campion, Myriam Cau, Roland Debbash, Frédéric Dumas-Zajdela, Françoise
Ferat, Christine Juppé-Leblond, Martine Kahane, Anne Kerkhove, Marie-Chritin Labourdette, Jacques
Lassale, François de Mazières, Albéric de Montgolfier, Françoise Nyssen, Rick Odums, Claude Parent,
Benoit Paumier. Membres permanents : Alain Casabona, Jean-Miguel Pire, Pierre Baqué, Vincent
Figureau, Ugo Bertoni, Julien Magnier. La composition, en 2010, est la suivante : Membres titulaires :
Frédéric Mitterand, ministre de la Culture et de la Communication, président Luc Chatel, ministre de
l’Éducation nationale, président Didier Lockwood, vice-président, Yann Arthus-Bertrand, Didier Blanc,
Jacques Chancel, Vincent Éblé, Françoise Férat, Micheline Hotyat, Claude Jean, Martine Kahane, Pierrot
Cantina, Jacques Lassale, François de Mazière, Jean-Michel Blanquer, Françoise Nyssen, Rick Odums.
Le Bureau : Alain Casabona, secrétaire général, Jean-Miguel Pire, rapporteur général, Jean-Philippe Audoli,
chargé de mission, Pierre Baqué, chargé de mission, Vincent Figureau, chargé de mission, François-Xavier
Demoures, chargé d’étude, Sophie Greinier, chargée d’étude, Nicolas Idier, chargé d’étude.
44
Le rapport 2007-2008 devait être transmis en 2009, mais la page du site reste « en construction » sur le
portail interministériel de l’éducation artistique et culturelle : http://www.education.arts.culture.fr/n-
- 42 -
Ce HCEAC de 2006 auquel appartient Christine Juppé-Leblond, Inspectrice
générale en charge du cinéma et de l’audiovisuel jusqu’en 2010, me semble être un
bon témoin des attentes et enjeux officiels liés à l’enseignement du cinéma, même si
sa réflexion et les rapports qu’il rédige portent sur les enseignements artistiques en
général, et non spécifiquement sur le cinéma. L’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel appartient en effet aux « enseignements artistiques et culturels » que P.
Baqué, directeur du groupe de travail sur les enseignements artistiques et chargé de
mission au HCEAC, définit officiellement comme suit :
« Dans l’état actuel, l’éducation artistique et culturelle résulte de l’articulation
entre trois composantes :
- les enseignements artistiques proprement dits ; obligatoires, optionnels,
facultatifs, ils sont cadrés par des programmes officiels, disposent d’horaires
précis et sont sanctionnés par des examens donnant lieu à attribution de
diplômes ;
- les dispositifs transversaux ; ils comprennent les classes à projet artistique et
culturel (classes à PC) à tous les niveaux de la section scolaire, les itinéraires
de découverte (IDD) en collège, les projets personnels à caractère
professionnel (PPCP) en lycée professionnel, les travaux personnels encadrés
(TPE) en lycée général et technologique, etc. ;
- les activités complémentaires ; elles comprennent les ateliers artistiques
dans une douzaine de domaines, les chorales et les ensembles instrumentaux,
les classes culturelles (patrimoine par exemple), les opérations liées à
l’architecture, à la poésie, au cinéma (École et cinéma, Collège au cinéma,
Lycéens et cinéma), etc. »45
Mon sujet de thèse porte exclusivement sur le cinéma comme « enseignement
artistique proprement dit », ce qui correspond à la première composante des
enseignements artistiques dans l’énumération ci-dessus. Je n’aborderai donc aucun
des autres dispositifs mis en place pour promouvoir ou enseigner le cinéma à
l’École. Les paradigmes qui se dégagent des rapports du HCEAC seront mis en
rapport avec les instructions officielles qui encadrent l’enseignement du cinéma
comme enseignement artistique afin de mesurer jusqu’où l’idéologie qui est à
1/haut-conseil-de-leducation-artistique-et-culturelle/rapports-annuels.html, consulté le 5 août 2011. La
présence et l’existence de ce Haut Conseil sont toujours d’actualité sur ce site officiel.
45
Rapport HCEAC, 2006, p. 299.
- 43 -
l’œuvre dans la sphère politique ou publique se transmet dans les documents qui
pilotent les pratiques pédagogiques et les programmes scolaires.
Quelques grandes thématiques m’ont semblé récurrentes à la lecture de ces textes :
l’artiste est le meilleur porte-parole de l’art, l’art – parce qu’il est doté de vertus
citoyennes – doit être le plus accessible possible, l’art est à envisager dans son
rapport avec la culture. Ce sont des thématiques institutionnelles très répandues
dans les textes officiels pour défendre et légitimer la présence du cinéma et des arts
en général dans les programmes scolaires.
Force est de constater que dans les rapports du HCEAC, quelques termes
reviennent de manière récurrente : art(iste), citoyens, culture(l(le)s), patrimoine. Or
chacun de ces termes permet de mieux comprendre et délimiter les enjeux d’un
enseignement artistique au lycée. Le mot « artiste(s) » revient à 137 reprises dans le
rapport 2006 de HCEAC qui comporte 323 pages (annexes comprises), soit une
récurrence moyenne du terme sur une page sur deux environ. « L’artiste » est la
figure de celui qui peut donner un sens, expliquer, et apparaît comme un
personnage-clé de l’éducation artistique. Son intervention dans les classes est
fortement recommandée : le présupposé est que l’artiste peut expliquer l’art en
expliquant le geste de création :
« La rencontre permise par les œuvres d’art entre “le sensé et le sensible”,
pourra notamment s’appuyer sur la fréquentation des artistes. »46
En cela, l’artiste est aussi légitime que le professeur lorsqu’il s’agit d’enseignement
artistique. Dans cette perspective, la composition du HCEAC est révélatrice47 : elle
donne une place aux artistes eux-mêmes pour parler de l’enseignement artistique.
« Réconcilier le sensé et le sensible », tel sera d’ailleurs le titre du préambule au
rapport 2007 rédigé par Didier Lockwood, souscrivant à la vieille opposition entre
le cœur et la raison. C’est un paradigme que l’on peut également qualifier
46
Rapport HCEAC, 2006, p. 20.
Claude Parent, Jacques Lassalle, Dider Lockwood, Rick Odums peuvent être considérés comme des
artistes.
47
- 44 -
d’idéologique puisque la présence des artistes en milieu scolaire a été instaurée et
légalisée par la politique culturelle de J. Lang depuis 1981. Ce paradigme est ici
rattaché à une réhabilitation du sensible qui est au centre du discours politique. Il
correspond à la réhabilitation du corps, de l’émotion, de l’affect dans l’Institution
scolaire qui, jusque-là, les avait négligés au nom de la suprématie de la raison et de
la rationalité. On trouvait déjà ce paradigme politique dans les propos de J. Lang
lors de la conférence de presse du 14 décembre 2000 :
« L’art est une méthode d’appropriation des savoirs faisant appel à l’affectif,
à l’intelligence sensible, à l’émotion. »48
Cette « méthode d’appropriation » sera donc désormais encouragée à l’école, afin de
rompre avec des savoirs trop « froids » ou trop « secs »49.
Une des propositions du Comité est d’ailleurs de multiplier les résidences d’artistes
au sein des établissements scolaires, dispositif dont Maurice Quenet, Recteur de
l’académie de Paris au moment du rapport, témoigne en ces termes :
« Nous avons aussi ce que l’on appelle la mise en résidence des artistes, qui a
un lien direct avec la pratique du langage au sein d’un établissement scolaire,
expérimentée avec succès depuis deux ans. »50
La mise en relation entre l’artiste et le « langage » – vecteur de transmission – est
très claire dans cette remarque, ainsi que dans celle, un peu plus loin dans le
rapport, de D. Lockwood :
« Un professeur doit être un artiste et un artiste devrait être aussi un
pédagogue, car son rôle est de communiquer. Cette communication va de
pair avec les rôles que doivent jouer l’enseignant et l’artiste dans la société.
Apprendre à s’exprimer à travers une discipline artistique par exemple ou en
connaître l’histoire est l’essence même de la formation des enseignants. »51
L’art apparaît donc comme fondamentalement lié à l’éducation, le geste artistique et
l’acte éducatif étant présentés comme totalement assimilables l’un à l’autre. Dans le
rapport 2007, le HCEAC défend d’ailleurs la proposition de mettre « un artiste
48
Discours disponible en ligne : http://discours.vie-publique.fr/notices/003003427.html, consulté le 5
août 2011.
49
Termes employés par Didier Lockwood dans le rapport du HCEAC, 2007, p. 19.
50
Rapport HCEAC, 2006, p. 219.
51
Rapport HCEAC, 2006, p. 226.
- 45 -
dans chaque école » (proposition 1)52 et de « faciliter les partenariats » (proposition
5)53. Les partenariats sont en effet la médiation la plus efficace pour mettre en
relation des artistes avec le système scolaire. Le mot « partenariat » revient d’ailleurs
à 74 reprises dans le rapport 2006, il sera un des fondements de l’enseignement du
cinéma et de l’audiovisuel en lycée.
Ensuite, le mot « citoyen(n)(e) », le plus souvent employé de façon adjectivale,
revient dans le rapport 2006 pour désigner une action ou une œuvre engagée dans
l’intérêt général. L’adjectif « citoyen » et ses déclinaisons en genre et en nombre
reviennent à 47 reprises dans le rapport 2006, le substantif « citoyenneté » à 10
reprises. Ce terme revêt un sens social très poussé et se substitue dans les discours
officiels à l’adjectif « civique » dont l’ancrage social est moins évident. Le terme
occasionne des prises de position idéologiques fortes. Dans le rapport de 2006,
Anne Kriegel proclame :
« Dès lors que l’art tisse des liens avec la société, il constitue un vecteur de
citoyenneté pour les élèves qui l’étudient et le pratiquent. »54
Cette notion de « citoyenneté » se substitue parfois, dans le rapport 2006, à la
notion de « savoir-être » :
« L’éducation artistique et culturelle doit participer à l’acquisition de la
“culture humaniste et scientifique permettant le libre accès à la citoyenneté”
visée par l’article 9 de la loi du 23 avril 200555. »56
« L’apprentissage de la culture est une partie intégrante de la politique
éducative, à partir du moment où l’Éducation nationale ne souhaite pas
seulement y transmettre les savoirs, mais aussi un savoir-être, ce qui est le
propre de l’éducation culturelle. »57
52
Rapport HCEAC, 2007, p. 79.
Ibid. p. 83.
54
Rapport HCEAC, 2006, p. 52.
55
Cette loi d’orientation pour l’École, précise dans l’article 9 que « la scolarité obligatoire doit au moins
garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble
de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa
scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en
société. ». Ce socle comprend, entre autres : « une culture humaniste et scientifique permettant le libre
exercice de la citoyenneté ». Texte accessible en ligne :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=C588E130F6FDA2233316384DC894692
2.tpdjo11v_2?cidTexte=LEGITEXT000006071191&idArticle=LEGIARTI000006524396&dateTexte=20
100424&categorieLien=id#LEGIARTI000006524396, consulté le 10 août 2011.
56
Rapport HCEAC, 2006, p. 317.
57
Rapport HCEAC, 2006, p. 218.
53
- 46 -
Cette double notion : « savoir/savoir-être » définit les prérogatives de l’École qui ne
se résument finalement pas seulement aux savoirs et aux savoirs-faire, mais aussi
aux apprentissages de l’esprit critique et des attitudes nécessaires à une vie en
société. Or l’éducation à la citoyenneté est bien, depuis toujours, un des enjeux de
l’École républicaine. C’était déjà le credo défendu par Henri Agel, un des pionniers
de l’enseignement du cinéma en France :
« Une des plus grandes œuvres du cinéma, c’est Nanouk l’Esquimau de
Robert Flaherty. Chaque fois que mes élèves ont vu ce film, il s’est produit
une espèce d’élargissement de leur humanisme. La découverte de l’Esquimau
fut une redécouverte de leur prochain. »58
Cette citation, pourtant vieille de quinze ans, reste profondément d’actualité en ce
qui concerne l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel dans les lycées français.
Une fois des œuvres légitimes adoubées, les « plus grandes œuvres du cinéma », leur
pouvoir est celui du grand art, comme mode de socialisation et de développement
culturel, permettant une « méditation sociale et spirituelle »59 que l’École en tant
qu’institution à ambition fédératrice se doit de promouvoir. Cette rencontre avec
l’art suppose à l’œuvre, dont la seule présence aurait d’emblée des vertus, un
pouvoir charismatique. L’argumentation relève alors du syllogisme : si l’art permet
l’éducation à la citoyenneté et que la citoyenneté est un enjeu fondamental de
l’école alors l’art a sa place dans l’École. « L’éducation artistique » devient même, en
poussant la logique jusqu’au bout, un « devoir de l’État » comme le formule
explicitement C. Juppé-Leblond dans le rapport 2006 :
« L’art forme des artistes et l’enseignement artistique est plus propre à
former des spectateurs et c’est le devoir de l’État. »60
On retrouve là les présupposés de la Constitution de 1946 sur les devoirs de l’État,
mais aussi toute la rhétorique chère à C. Tasca qui dit elle-même la reprendre à A.
Malraux dans le discours du 14 décembre 2000 que nous avons cité plus haut :
58
AGEL, Henri, préface, in CITTERIO, Raymond, Du cinéma à l’école, Paris : Centre régional de
documentation pédagogique de Lyon/Hachette Éducation, coll. : « ressources formation, Partenaires du
système éducatif », 1995, p. 5.
59
Ibid., p. 5.
60
Rapport HCEAC, 2006, p. 291.
- 47 -
« L’éducation artistique doit être proposée à tous à chaque stade de la
scolarité. Elle est au cœur de la mission assignée à mon ministère dès sa
création lorsqu’André Malraux voulut rendre accessibles les grandes œuvres
de la création au plus grand nombre. »61
C’est donc le paradigme de la culture et de son accessibilité à tous qui forme un des
enjeux principaux de ces textes. Ce paradigme de l’art comme vecteur de
citoyenneté semble déborder et subsumer le clivage des idéologies politiques.
Le mot culture(s) et ses extensions adjectivales « culturel(le)(s) » employés au
singulier ou au pluriel apparaissent à pas moins de 1 367 reprises dans le document.
Si cette prolifération du terme renvoie évidemment à la nature même du rapport et
du comité rédacteur, sa prolifération n’en est pas pour autant exempte de doutes
sémantiques quant à ses acceptions. La définition du terme semble constamment
problématique et remise en question par les divers intervenants. En tout état de
cause, le terme « culture » ou les adjectifs qui lui sont rattachés s’emploient
rarement seuls dans les rapports du HCEAC. L’expression « artistique et
culturel(le) » revient comme une « formule toute faite » à 267 reprises, tandis que le
terme « art » et ses extensions adjectivales « artistique(s) » reviennent à 2 193
reprises. Or la définition et la délimitation de ces deux termes apparaissent comme
un enjeu en lui-même. La limite entre « art » et « culture » reste floue, alors même
qu’il semble qu’une confusion notable s’instaure parfois dans le rapport entre ces
deux termes. La collusion sémantique entre art et culture est discutable dans la
mesure ou la « culture » relève aussi de domaines qui ne sont pas l’art. Ainsi, dès
l’introduction, le premier rapport du HCEAC rédigé par son président D.
Lockwood précise que :
« Le Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle succède au Haut
Conseil des enseignements artistiques obligatoires. Les compétences ont été
élargies puisque des enseignements artistiques nous sommes passés à
l’éducation artistique et culturelle. Ce changement de dénomination est
important, car il propose une nouvelle perspective.
61
Discours consultable en ligne : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/educationartistique.htm consulté le 8 février 2011.
- 48 -
Comme le précise la lettre de mission, les enseignements artistiques sont
incorporés dans une entité plus large qui concerne « l’ensemble des domaines
des arts, de la langue et de la culture, où se retrouve et se cimente notre
société dans ses valeurs communes et dans la diversité des formes
linguistiques et culturelles qui la composent »62.
Un peu plus loin dans le rapport, on peut lire :
« Les débats ont souligné la nécessité d’unir la formation artistique avec une
formation culturelle étendue et exigeante. »63
Certaines personnes interrogées dans le cadre de la mission donnée au HCEAC
pointent cette hésitation terminologique, justifiant l’assimilation de l’« artistique » et
du « culturel » par l’obligation d’une plus grande « interdisciplinarité » de l’approche
artistique, tendant vers une « culture générale » qualifiée d’« humaniste ». Ce
questionnement sur la définition des termes revient à plusieurs reprises dans le
rapport 2006, sans qu’un consensus soit d’ailleurs explicitement trouvé :
« La définition de l’éducation artistique et culturelle semble problématique au
vu des divergences exprimées par les membres du Haut Conseil et de l’usage
diversifié de ce concept. Or, ce travail de définition est essentiel puisqu’il
permettra de délimiter clairement le domaine de compétence du Haut
Conseil et la nature des propositions qu’il sera susceptible de présenter. La
distinction proposée entre ce qui relève de l’éducation artistique et de la
culture ne fait pas l’unanimité parmi les intervenants. En effet, l’idée d’un
apprentissage de l’art semblable à un apprentissage culturel est récusée par
certains qui renvoient l’art uniquement à la pratique et à la découverte en
dehors d’une structuration et d’une hiérarchisation préalables. Pour d’autres,
le rôle de l’institution scolaire ne serait pas de former des artistes, mais des
spectateurs éclairés capables d’analyser et de recevoir les œuvres produites
par les artistes. »64
On touche ici une ambiguïté sémantique fondamentale et chronique :
l’enseignement artistique relèverait de la pratique artistique alors que l’enseignement
culturel serait de l’ordre de la « culture générale » et donc davantage le territoire de
l’École, en particulier avant le baccalauréat. L’ambition semble ici avant tout
pluridisciplinaire, peut-être dans l’espoir d’obtenir le plus large consensus possible
62
Rapport HCEAC, 2006, p. 19.
Ibid., p. 29.
64
Ibid., p. 69.
63
- 49 -
et d’éviter les « querelles de chapelles » quant à l’inscription disciplinaire des
enseignements artistiques dans le cadre des programmes scolaires, problème sur
lequel je reviendrai en évoquant les professeurs responsables des enseignements du
cinéma.
« La première problématique regarde ce qui a motivé le changement de
dénomination du Haut Conseil. La nécessité de prendre en considération la
dimension “culturelle” de l’éducation artistique a conduit à estimer que l’une
des ambitions de cette éducation devait être l’acquisition de repères
historiques, géographiques et artistiques. À cette lumière, il est apparu
important d’appuyer l’éducation artistique et culturelle sur l’ensemble des
disciplines : outre les enseignements artistiques, les disciplines directement
concernées par la chronologie, l’histoire-géographie, les lettres, mais aussi les
enseignements scientifiques. »65
L’audition de Catherine Clément démarre sur ces ambiguïtés terminologiques :
« “Culture” est utilisé ici dans un sens qui dévalorise beaucoup le mot,
simplement parce qu’il est employé trop souvent, sa circulation devient trop
vaste et trop fréquente. »66
Pour C. Clément, le sens anthropologique du mot « culture » avancé par Claude
Lévi-Strauss relève de « tout ce qui se code ». Ce sens anthropologique s’opposerait
au sens que lui a historiquement donné A. Malraux, qui consiste à en faire un
équivalent du mot « art » ou « beaux-arts » qui sera à la source de toutes les
confusions. À la fin du rapport de 2006, Jacques Lassalle propose un long tableau à
deux colonnes qui met vis-à-vis « enseignement artistique » et « éducation artistique
et culturelle », montrant que le débat est loin d’être clos67. Cette présentation
tabulaire témoigne d’une impossibilité à synthétiser une définition théorique globale
des formulations employées et conforte le constat fait par certains membres du
Haut Conseil d’un défaut épistémologique majeur du rapport : son incapacité à
définir et délimiter les termes utilisés. Ce flou terminologique et l’incapacité à
définir sont à mon sens la manifestation de paradigmes qui sous-tendent le discours
sans être pour autant clairement conscientisés et qui entravent toute possibilité de
65
Rapport HCEAC, 2006, Ibid., p. 85.
Ibid., p. 166.
67
Ibid., p. 305-306.
66
- 50 -
théorisation efficace.
1.2.2 La
patrimoine
nécessaire
contre
transmission
du
l’ « uniformisation
culturelle »
La « politique culturelle » (13 occurrences) ou « l’action culturelle » (16 occurrences)
se justifient donc par la « transmission culturelle » d’un « patrimoine ». Le HCEAC
développe la rhétorique de ce que P. Bourdieu appelait le « capital culturel conçu
comme une propriété indivise de toute la société »68, qui est aussi un élément
récurrent des discours politiques depuis la Seconde Guerre mondiale, A. Malraux
en tête. Les programmes officiels qui encadrent l’enseignement de spécialité
« cinéma et audiovisuel » en lycée emploient le terme « œuvre du patrimoine » qui
me semble aller dans le même sens, pour déterminer un des trois films choisis au
programme du baccalauréat et renouvelés tous les trois ans. La notion « d’œuvre du
patrimoine » est d’ailleurs très présente dans le discours des professeurs et des
inspecteurs que j’ai pu rencontrer qui se disent soumis à l’obligation de les
enseigner. Dans cette perspective, voir des films « du patrimoine » devient le gage
d’un regain d’humanisme, et l’on retombe bien sur cette idée qui m’a servi de point
de départ pour ce sous-chapitre, manifestant bien l’homogénéité des paradigmes
étudiés structurés dans une véritable « vision de monde » cohérente. La culture
« patrimoniale » à transmettre est qualifiée à plusieurs reprises d’« humaniste » et
l’expression « culture humaniste » apparaît à 13 reprises dans le rapport. Mais
l’interrogation des présupposés reste à faire : comment circonscrire et définir cette
« culture humaniste » à transmettre et pourquoi ? Quels sont les enjeux de cette
transmission ? La transmission apparaît avant tout comme « patrimoniale » et le
terme « patrimoine » est ainsi utilisé dans le rapport 2006 : 36 occurrences
68
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, Paris : Éditions de Minuit, Coll. « Le sens commun », 1970, p. 25
- 51 -
auxquelles s’ajoutent 18 occurrences pour l’adjectif « patrimonial » et ses
déclinaisons en genre et en nombre. Le « patrimoine » se définit comme un
« héritage » artistique qu’il faut transmettre aux jeunes générations. La notion de
patrimoine se trouve parfois en lien avec la notion de citoyenneté comme le gage
d’une « exception culturelle » française. C’est le cas dans la recension de l’audition
de Marc Fumarolli devant le HCEAC :
« Si l’on veut que ces enfants soient des êtres libres, des citoyens libres, des
Français libres, il faut qu’ils aient une idée, ne serait-ce qu’élémentaire, du
patrimoine qu’étant Français, ils ont reçu en naissant. Je crois que tous les
Français sont nobles, ils naissent avec un formidable patrimoine que
malheureusement d’autres nations ne peuvent pas offrir à leurs citoyens. Il
faut donc qu’ils aient les moyens de mieux connaître ce patrimoine. Qu’ils
aient au moins l’idée qu’il existe. »69
L’expression « transmission culturelle » (5 occurrences) se substitue à l’expression
« démocratisation culturelle »70, et il est question d’une « culture accessible à tous »
ou d’un « accès facilité à la culture »71. La « transmission culturelle » est le point
d’ancrage d’une « éducation artistique et culturelle » et c’est elle qui justifie les
moyens publics donnés à l’école pour ces enseignements et dont l’enseignement du
cinéma fait partie :
« Le moment est venu de réaffirmer la place centrale de la transmission
culturelle dans notre société »72
Cette « transmission culturelle » repose sur la conviction selon laquelle « la première
nécessité est de favoriser l’accès aux œuvres »73, ce qui revient bien à la
« démocratisation » de la culture promue depuis A. Malraux. On retrouve aussi la
prise de partie d’Antoine Vitez pour « l’élitisme pour tous » en matière de culture et
le débat qui s’est instauré entre les deux ministères, l’Éducation nationale prônant la
massification des enseignements artistiques et le ministère de la Culture le maintien
d’une haute exigence qualitative pas toujours conciliable avec cette massification
69
Rapport HCEAC 2006, p.102
Ibid., p. 177
71
Ibid., p. 219
72
Ibid., p. 21.
73
Ibid., p. 34.
70
- 52 -
scolaire. Or derrière cette démarche de démocratisation des œuvres encadrée par
l’institution scolaire se joue l’idée selon laquelle « une œuvre serait d’autant plus
aimée qu’elle est comprise »74.
Le vœu de « transmission culturelle » ne peut donc s’accomplir que si l’École
permet une meilleure compréhension des œuvres, en un sens, si elle permet leur
apprentissage. Un autre présupposé est ici à l’œuvre : l’idée que les goûts d’un
individu peuvent changer si, précisément, on l’éduque. Ce paradigme s’oppose à
celui de l’œuvre charismatique efficace par essence, mais étonnamment cette
contradiction n’est que peu abordée dans les textes officiels. Cette idée selon
laquelle la culture peut faire l’objet d’un certain volontarisme, y compris politique,
est vivement critiquée par C. Clément qui proclame lors de son audition que d’un
point de vue anthropologique « la culture ne se décide pas. Elle est ». Le débat entre
les deux paradigmes politiques n’est qu’effleuré : celui qui défend l’idée d’une
éducation du goût contre celui qui postule que l’œuvre est suffisamment
charismatique en elle-même pour imposer d’emblée une (re)connaissance. Ce
dernier paradigme est plus proche du paradigme malrucien qui privilégiait avant
tout le contact avec les œuvres, leur présence, pour assurer une meilleure
citoyenneté, en dehors de toute éducation
Mais la posture de C. Clément semble minoritaire au sein du Conseil qui
revendique l’existence d’une culture à transmettre. La problématique de la diversité
et de l’« identité culturelle » (d’ailleurs jamais définie alors même que l’expression
semble fort problématique) est également une des constantes des rapports. La
diversité et l’identité apparaissent précisément comme les deux faces d’un même
problème : pour assurer une identité culturelle, il faut accepter la diversité culturelle.
L’autre et le même est ici le lieu d’un clivage entre les cultures et « l’identité
culturelle » que cherche à transmettre l’École :
« L’éducation artistique et culturelle (…) joue un rôle essentiel en matière de
valorisation de la diversité des cultures et des formes artistiques. Elle
contribue à la formation de la personnalité et est un facteur déterminant de la
74
Ibid., p. 35.
- 53 -
construction de l’identité culturelle de chacun. »75
Les rapports ne s’opposent pas à des cultures plurielles et proposent même de les
prendre en compte. La « diversité » est à l’honneur dans le rapport (37 occurrences)
loin devant l’identité (12 occurrences), signe sans doute d’une recherche
d’ouverture du discours sur une vision plurielle de la culture. S’interrogeant sur le
bien-fondé de l’élaboration d’un véritable programme scolaire des enseignements
artistiques, le rapport de 2006 précise :
« En définitive, ne pas encadrer les enseignements artistiques et culturels et
les faire uniquement reposer sur le primat de la pratique ne permettra pas de
répondre aux objectifs définis par les ministères de l’Éducation et de la
Culture, à savoir l’affirmation d’une identité nationale et européenne qui
reconnaît la diversité culturelle, mais renforce aussi la spécificité de notre
culture. »76
La diversité culturelle ne semble devoir être prise en compte que si et seulement si
elle permet finalement une démarcation claire de l’identité culturelle nationale
« officielle » transmise par l’école. On revient à l’idée d’une culture nationale avec la
notion d’« identité » et de « diversité culturelle ». On relève aussi la présence du
clivage générationnel dans les rapports du HCEAC puisque finalement cette
éducation artistique est culturelle se fera en direction des « jeunes » (144
occurrences). La culture « patrimoniale » de l’école est garante de valeurs plus
anciennes, et A. Kriegel insiste sur ce point dans le rapport de 2006 :
« C’est pour cette raison que Mme Kriegel souhaite rendre sa place à la
connaissance du passé dans l’enseignement, notamment grâce à l’histoire de
l’art. »77
Se trouve donc confirmée la récurrence des mots « artistes », « citoyens »,
« culture »,
« diversité »,
« identité »,
« élitisme »,
« patrimoine »,
« politique
culturelle ». On retrouve les mots du « lexique » de Claude Patriat cités en
75
Rapport HCEAC, 2006, p. 317.
Ibid., p. 54.
77
Ibid., p. 52.
76
- 54 -
introduction de cette partie, qui confirment que l’enseignement des arts relève
d’une politique culturelle. On peut tenter alors d’envisager d’un point de vue plus
théorique l’utilisation de ces termes.
L’hésitation sémantique entre « art » et « culture » sur laquelle le rapport 2006
revient à de nombreuses reprises me semble s’ancrer dans l’histoire même des
politiques culturelles. En effet, pour soutenir la culture et les arts, un État peut soit
intervenir en faveur des artistes – le plus souvent par un système de mécénat public
ou de subventions – soit privilégier l’accessibilité des œuvres au public, par la mise
en place de systèmes de médiation entre le monde de la création et le public, ce qui
relève plus d’une politique culturelle visant à une émancipation citoyenne, un
« élitisme pour tous » par « l’accès à la culture ». Une politique culturelle est donc,
schématiquement, sans cesse tiraillée entre le soutien à la création et ce que l’on
pourrait qualifier de soutien à la réception. L’éducation artistique et culturelle en
cela qu’elle permet des médiations entre un public scolaire et des œuvres relèverait
donc plutôt d’une politique culturelle républicaine à visée citoyenne, credo que
l’École républicaine défend toujours et qui est sans cesse – comme je l’ai vu –
réaffirmé dans les discours officiels. Et la récurrence de la présence des artistes
dans ces mêmes textes officiels, l’obligation d’instaurer des partenariats pour
monter un enseignement en cinéma dans un lycée, montre bien que le discours
officiel n’oublie jamais complètement la part de soutien qu’il doit à la création, en
permettant à des artistes, plus ou moins reconnus, d’être sollicités et rémunérés au
titre de l’éducation artistique proposée par les établissements scolaires.
L’enseignement artistique se trouve à la jonction de « l’art » à travers la figure de
l’artiste, et de la « culture », à travers l’étude des œuvres et de leur contexte.
Le HCEAC défend par ailleurs un certain « élitisme » (11 occurrences de l’adjectif
« élitiste », 9 occurrences du mot « élitisme ») tout en défendant aussi la culture
« populaire » (15 occurrences de l’adjectif « populaire ») définie ici comme la culture
- 55 -
qui s’adresse au plus grand nombre, une culture démocratisée.
« M. Chaintreau confirme le succès des enseignements artistiques dans les
zones dites difficiles et souhaite apporter toute la nuance nécessaire dans
l’opposition qui est couramment faite entre la culture dite populaire et la
culture dite savante. »78
L’expression « culture dite populaire » revient seulement à deux reprises dans le
rapport, signe d’une certaine prudence quant à la hiérarchisation des cultures, ici
relativisée car elle est conscientisée dans certains discours :
« Le problème, c’est que parmi nous, parmi les catégories supérieures
diplômées nous fonctionnons avec un système haut/bas, avec en haut la
culture légitime, beaux-arts, opéra dont on parlait ce matin, et en bas les arts
populaires, dont la télévision, qui a priori est plutôt en bas. Le problème c’est
que je pense qu’il faut accepter que cet univers, il me semble, a changé, au
moins, par exemple, pour ma génération, celle des moins de 40 ans. »79
Les marques de prudences abondent dans cette citation, ce qui révèle que la remise
en cause des hiérarchies en matière de culture a été efficace. On peut voir ici à
l’œuvre le résultat de la politique de J. Lang qui a toujours œuvré, à partir de 1981
pour un décloisonnement des « cultures » considérées dans toute leur diversité, en
se détachant des clivages habituels entre culture légitime et culture populaire tels
que les décrivait P. Bourdieu dans La Distinction. Force est de constater que la
formule « art populaire » ne recoupe pas le champ qui nous intéresse, à savoir le
cinéma, ici considéré comme un art noble, ni la culture télévisuelle ou mass
médiatique, qui occasionnent au contraire un clivage clair par rapport aux arts, et
constitue un des axes principaux de la réflexion du Haut Conseil :
« Ce point a été abordé de façon moins approfondie et fera l’objet d’une
réunion spécifique ultérieure. Il concerne la façon d’appréhender la relation à
l’audiovisuel et aux nouvelles technologies. Le faible contenu culturel de la
majorité des programmes ne fait pas débat. Ainsi, le contact avec l’artiste
redevient essentiel, puisque c’est lui qui sera en mesure de susciter l’envie
chez les jeunes individus de s’intéresser aux domaines culturels et artistiques
en palliant ce que les programmes ne peuvent pas apporter. »80
L’éducation artistique doit ainsi être un « contrepouvoir », l’outil d’une résistance
78
Rapport HCEAC, 2006, p. 267.
Rapport HCEAC, 2006, audition de M. Glévarec, p. 148.
80
Rapport HCEAC, 2006, p. 56.
79
- 56 -
face à l’hégémonie des industries culturelles et à la mondialisation d’une culture
« mainstream ». La spécificité française en matière de culture est valorisée, à la suite
de J. Lang qui défendait, en plus d’une exception culturelle française une
« exception éducative » française. Lors du discours du 14 décembre 2000, J. Lang
proclamait :
« Notre grand projet d’éducation artistique et culturelle est une réponse aux
menaces d’uniformisation culturelle »81
C’est l’expression « industries culturelles » qui est utilisée (13 occurrences) pour
désigner ce contre quoi il faut savoir lutter, comme une sorte d’« ennemi commun »
contre lequel le consensus n’est plus à faire :
« On a aussi parlé de la situation actuelle : l’éclatement, le morcellement, le
ludique futile, le rôle néfaste des industries culturelles, avec la réflexion que
vous proposez : les industries culturelles sont néfastes, mais après tout, au
lieu de livrer ce qui s’apparente pour moi au combat de Don Quichotte
contre les moulins à vent, essayons de récupérer cela pour en faire un outil
d’acculturation. Je crois qu’on ne peut y arriver que si l’on se préoccupe par
rapport à cet éclatement de trouver de l’ordre, de la cohérence et de la
continuité »82
L’ennemi n’est donc plus ce qui relève du « populaire », mais ce qui relève de
l’industrie, du commercial. La hiérarchie ne s’établit plus entre les classes sociales,
mais entre ce qui est hors de l’industrie, l’unique, l’original définissant ainsi
implicitement « l’artistique » et ce qui est de l’ordre de la « reproduction
technique », du marché économique, de « l’industrie culturelle ». Ce sont bien les
présupposés d’une dichotomie héritée de Walter Benjamin et de l’École de
Francfort, l’opposition entre les arts de « l’aura » et les arts reproductibles. Cette
lutte entre les « industries culturelles » et la culture « élitiste » ou « humaniste » est
très souvent présentée à travers des expressions métaphoriques, renvoyant aux
grands mythes fondateurs ou au registre épique. Il est question d’utiliser un « cheval
81
Discours de Jack Lang le 14 décembre 2002, accessible en ligne sur le site du ministère de la Culture :
http://www.education.gouv.frftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/2002/01_14_discours_lang_a
rtculture.pdf%22%20target=%22_blank%22%20onclick=%22xt_med(‘C’,’11’,’01_14_discours_lang_artc
ulture.pdf’,’T’);, consulté le 14 novembre 2010
82
Rapport HCEAC, 2006, p. 121.
- 57 -
de Troie »83 ou d’éviter d’en être réduit au « combat de Don Quichotte » comme
dans la citation ci-dessus. Fidèle toujours à la tradition humaniste, l’École prétend
donc à la transmission d’une culture « exigeante » qui surplomberait les industries
culturelles pour permettre une appréhension plus « élitiste » des arts et de la culture.
L’expression « élitisme culturel pour tous » apparaît p. 85 et p. 120 du rapport
comme alternative à la formulation « démocratisation culturelle ». Le présupposé
est bien que l’École ne remplit vraiment sa mission que si elle s’élève au-dessus des
industries culturelles. Mais cet élitisme culturel doit s’adresser à tous, dans le cas
précis de l’enseignement artistique, car un des fondements républicains de l’École
reste l’égalité des chances. La tension entre une vision élitiste et une vision
démocratique de la culture est tangible.
Cette démocratisation est aussi un enjeu pour l’École, car :
« Ce recours à la vie des créateurs et aux enseignements contenus dans leurs
œuvres devrait également avoir des conséquences vertueuses et soutenir
l’intérêt des élèves pour l’école »84
Une politique du « donnant/donnant » se met en place à travers l’investissement de
l’État dans l’enseignement artistique : l’École devrait (et l’utilisation du conditionnel
ici peut être soulignée) bénéficier de cette entrée de l’art dans les programmes
scolaires, ceci supposant sans doute qu’elle profiterait ainsi de son « aura ». L’art
apparaît comme une prophylaxie, l’antidote face à la perte des repères, la violence,
la démotivation scolaire. C’est un présupposé que l’on trouve aussi dans les
discours relatifs au « Plan de cinq ans » :
« La pratique d’un art est ainsi un puissant antidote à l’absence de
motivation, à l’ennui, à la vacuité de l’esprit »85
Le discours politique faisait donc aussi le pari que l’enseignement artistique pourrait
avoir un effet positif sur la réussite scolaire des élèves.
83
L’expression est empruntée au Rapport 2006 : « Comment voyez-vous les choses ? Comment arriver à
utiliser et détourner “ l’ennemi ” pour en faire un cheval de Troie au service de l’éducation ? », p. 123.
84
Rapport HCEAC, 2006, p. 85.
85
Propos tenu lors de la conférence de presse du 20 juin 2000 sur l’École primaire, document accessible
en ligne : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/2000/20_06_conference_Écoleprimaire.pdf
- 58 -
À ce titre, une étude portant sur « La place des enseignements artistiques dans la
réussite des élèves » est commandée au groupe des enseignements artistiques de
l’Inspection générale entre 96 et 9886. Cette étude s’appuie sur deux rôles accordés
aux arts : les arts « épanouissants » et les arts « servants » permettant à la fois
l’épanouissement personnel de l’élève et le développement de compétences
propices à la réussite scolaire dans les autres enseignements. L’étude, sans jamais
citer ses sources, stipule que :
« des études faites en Europe et aux USA au cours des quarante dernières
années ont renforcé l’opinion selon laquelle les enseignements artistiques
sont des aides au développement cognitif (…) favorisent l’acquisition de
comportements de socialisation (...) contribuent positivement à la réussite
scolaire générale. »87
Le rapport souligne aussi pourtant que :
« dans les procédures d’orientation scolaire à l’intérieur de la voie générale,
les enseignements artistiques n’interviennent le plus souvent que lorsque
l’élève est plus ou moins en difficulté vis-à-vis des “disciplines
fondamentales”. »88
L’étude se développe donc, consciente de cette tension, autour de « l’analyse
approfondie dans un nombre restreint d’établissements (15 lycées et 12 collèges)
choisis dans « différentes académies » et proposant des enseignements artistiques, à
partir d’entretiens semi-directifs avec des élèves, des proviseurs, des parents, des
professeurs. Le bilan de cette étude tend à valider les espoirs que le discours
politique place dans les enseignements artistiques. Il apparaît, selon le rapport
que « les élèves élaborent en quelque sorte une forme de “défense et illustration des
enseignements artistiques”. »89
On peut faire ici l’hypothèse que les élèves eux-mêmes sont perméables aux
86
La place des enseignements artistiques dans la réussite des élèves. Rapport IGEN - Inspection générale de
l’Éducation nationale - groupe de l’enseignement scolaire, octobre 1999. Le contenu de cette étude est
téléchargeable sur le site du ministère de l’Éducation nationale :
http://www.education.gouv.fr/cid1937/la-place-des-enseignements-artistiques-dans-la-reussite-deseleves.html. Consulté le 10 janvier 2011, la pagination référencée correspond au .pdf accessible en ligne.
87
Ibid., p. 6-7.
88
Ibid., p. 8.
89
Ibid., p. 9.
- 59 -
discours politiques. Comme seuls ceux qui ont choisi de suivre un enseignement
artistique sont interrogés, ils seront prédisposés à défendre leur choix plutôt qu’à
proclamer son inutilité90. De la même manière, les proviseurs interrogés défendent
l’idée que les enseignements artistiques sont « “un plus” pour la plupart des
lycéens » – mais on imagine mal qu’un proviseur qui dirige un établissement
proposant ces enseignements puisse dire le contraire… – tout en soulignant que le
choix des enseignements artistiques se fait souvent par défaut ou dans une logique
comptable (et d’ailleurs payante) d’obtention de points pour le baccalauréat91. Cette
réussite est évidemment confirmée par les professeurs interrogés, qui, pour les
mêmes raisons, plébiscitent les enseignements artistiques. L’étude dégage donc des
conclusions très positives, conformes aux paradigmes politiques développés par la
sphère politique. Le rapport se conclut ainsi :
« Les enseignements artistiques favorisent la réussite parce qu’ils partent
toujours de l’expérience de l’élève et de situations concrètes. L’interaction
entre la pratique et la culture facilite les apprentissages. »92
La conclusion stipule que tous les membres de la communauté éducative ayant fait
l’expérience des enseignements artistiques ont compris leurs effets positifs là où les
représentations générales restent encore parfois sceptiques face aux « rapports
effectifs avec une formation intellectuelle ou une formation de l’intelligence »93. Le
bilan est donc qu’il faut généraliser l’accès aux enseignements artistiques.
On pourrait arguer ici, en dehors des défauts méthodologiques évidents en matière
d’enquête sociologique, que le faux syllogisme qui sert la démonstration est pour le
moins simpliste : ceux qui n’ont pas accès aux enseignements artistiques sont
persuadés de leur bien-fondé, mais ne croient pas à leur efficacité, ceux qui en
bénéficient y croient, donc élargissons le cercle de ceux qui les suivent afin que tout
le
monde
les
trouve
bénéfiques !
Aucune
autre
approche
théorique,
méthodologique ou empruntant aux sciences cognitives, à la psychologie ou aux
90
On peut faire l’hypothèse ici d’un défaut méthodologique de l’enquête qui a choisi de n’officier que dans
les établissements scolaires proposant des enseignements artistiques.
91
« La place des enseignements artistiques dans la réussite des élèves », op. cit. p. 27.
92
Ibid., p. 36.
93
Ibid., p. 56.
- 60 -
sciences de l’éducation n’étant convoquée, on ne peut guère considérer ce genre
d’étude autrement que comme un soutien purement idéologique au discours
politique.
Les différents textes officiels publiés sur la question des enseignements artistiques
apparaissent donc héritiers de diverses perspectives idéologiques, c’est-à-dire
schématiquement, de celles qui sont défendues par J. Lang depuis 1981, comme de
celles qui sont héritées de A. Malraux une génération plus tôt. On peut résumer
ainsi ces paradigmes :
- L’artiste est le meilleur porte-parole de l’Art ;
- L’art a des vertus citoyennes : il faut donc le démocratiser le plus largement
possible ;
- L’art a des vertus bienfaisantes :
pour lutter contre les industries culturelles ;
pour la réussite scolaire des élèves ;
Ces rapports sont commandés par un gouvernement de droite (c’est le cas du
rapport 2006 du HCEAC), ils réunissent des experts appartenant à diverses
sphères, à diverses cultures, à divers positionnements politiques qui semblent
pourtant tous tomber d’accord sur un certain nombre de paradigmes. Le constat
semble donc être que l’idéologique et le paradigmatique se sont connectés,
s’appuyant l’un sur l’autre, et qu’ils se sont sans doute nourris mutuellement. Les
paradigmes sur les rapports entre l’art et l’enseignement se sont finalement
généralisés, indépendamment des idéologies politiques, ils sont devenus une norme.
Les quelques voix dissonantes qui peuvent parfois se faire entendre – comme celle
de M. Fumarolli dans le rapport 2006 par exemple – restent finalement très peu
entendues, car minoritaires. Il m’a donc semblé essentiel de cerner ces paradigmes
généraux afin de mieux pouvoir comprendre les enjeux et modalités de
l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel en lycée, enseignement soumis à un
certain nombre de paradigmes particuliers que je me propose à présent d’étudier.
- 61 -
Le but sera, in fine, de proposer une typologie globale de ces paradigmes avec cette
conviction toujours présente dans mon travail que définir ces paradigmes permet
déjà de les théoriser et donc de les conscientiser.
1.2.3 Les discours officiels portant sur le
cinéma :
enseignement
du
cinéma,
éducation a l’image, éducation aux médiass
Dans l’esprit général de ces paradigmes, c’est bien au cinéma, envisagé comme un
art, que sera confiée la principale mission de citoyenneté concernant ce que les
rapports étudiés précédemment appellent « l’éducation à l’image ».
Je m’intéresserai ici à quatre rapports officiels commandés et publiés entre 1999 et
2008. Ce choix des dates à une raison toute simple : il englobe la période d’écriture
des textes officiels des programmes de l’enseignement de spécialité « cinéma et
audiovisuel »94, et en outre il correspond à la perspective synchronique que j’ai
choisie pour cette thèse. Par ailleurs ces textes sont rédigés par des Inspecteurs
généraux. À leurs fonctions d’inspection et de contrôle s’ajoutent des missions
d’évaluation afin de mieux répondre aux attentes et sollicitations du ministre et,
plus généralement, du gouvernement. Leur mission de diagnostic de la situation
institutionnelle les place justement dans une situation d’intermédiaire entre le
politique et l’institutionnel.
Tout d’abord, je m’intéresserai à un court texte rédigé par C. Juppé-Leblond en
janvier 1999 intitulé « Vous avez dit… image »95. C. Juppé-Leblond ayant été la
première Inspectrice générale en charge de l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel, elle me semble être un bon porte-parole des paradigmes
94
Ce n’est pas exact pour les textes du BO écrits en 2010 conformément à la réforme du lycée, mais j’aurai
l’occasion de dire à quel point ces « nouveaux textes » reprennent quasi littéralement les textes de 2001.
95
Ce rapport m’a été envoyé par email par l’Inspection générale chargée des enseignements de cinéma et
audiovisuel en 2010, il n’a pas été officiellement publié par ailleurs. La pagination correspond à celle du
document Word envoyé que je tiens si nécessaire à la disposition du jury à des fins scientifiques.
- 62 -
institutionnels. Ensuite, je m’intéresserai au rapport de Jean-René Marchand,
« L’éducation à l’image, cinéma-audiovisuel », rendu au ministre de la Culture et de
la Communication en juillet 200196. Enfin, je m’appuierai sur le rapport d’un groupe
d’experts rédigé en 2007 intitulé : « L’éducation aux médiass, enjeux, états des lieux
et perspectives »97 destiné conjointement au ministre de l’Éducation nationale et au
ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, puis sur le « rapport
Auclaire »98 publié en 200899. Alain Auclaire n’est pas Inspecteur général mais la
situation d’« audit » dans lequel le place Christine Albanel, ministre de la Culture, lui
donne finalement la même fonction. Ces textes me semblent importants, car ils me
permettent d’envisager le regard que porte l’Institution sur l’enseignement du
cinéma à travers deux ambitions différentes et qu’il convient de délimiter, car elles
définissent en creux le contenu d’un enseignement du cinéma au lycée : l’éducation
à l’image et l’éducation aux médiass. Mais il apparaît vite que ces différentes
ambitions se résument finalement à une opposition paradigmatique entre
« éducation aux médiass » et « enseignement du cinéma » qui aboutit, dans les
rapports étudiés, à une résolution sans appel : privilégier l’enseignement du cinéma.
La question sera donc de se demander : pourquoi ?
96
MARCHAND, Jean-René, « L’éducation à l’image, cinéma-audiovisuel », rendu au ministre de la Culture
et de la Communication en juillet 2001, document relié. Ce rapport m’a été confié dans sa version papier
par l’Inspection générale chargée des enseignements de cinéma et audiovisuel en 2010. Il s’agit d’une
publication interne. Par ailleurs Jean-René Marchand appartenait au « groupe d’experts » chargé par Jack
Lang de la refonte des programmes des enseignements artistiques CAV en 2000. Cf. le document
disponible en ligne : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/.../29_11_dp_elabpro.pdf , p. 18.
97
Rapport de Catherine BECCHETTI-BIZOT (IGEN), Alain BRUNET (IGAENR), Jean-Michel
CROISSANDAU (IGEN), Christine JUPPÉ-LEBLOND (IGEN), Michèle LEBLANC (IGEN), Annie
MAMECIER ( IGEN), Guy MANDON (IGEN), Alain MICHEL (IGEN), Paul RAUCY (IGEN) ;
Christina SOUCHET ( IGEN), Xavier SORBE (IGEN), « L’éducation aux médiass, enjeux, états des
lieux et perspectives », publication interne, Rapport n° 2007-083. Ce rapport m’a été confié dans sa
version papier par l’Inspection générale chargée des enseignements de cinéma et audiovisuel en 2010. Il
s’agit d’une publication interne. La pagination correspond au document relié remis.
98
AUCLAIRE Alain, « Par ailleurs le cinéma est un divertissement, proposition pour le soutien à l’action
culturelle dans le domaine du cinéma », rapport à Madame Christine Albanel, ministre de la Culture et de
la Communication, novembre 2008, téléchargeable en ligne :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/albanel/2008-12-10-Rapport_AuclaireArt.html, consulté le 21 janvier 2011.
99
J’ai volontairement exclu des rapports plus généraux sur l’enseignement artistique tel que le rapport de
Jean-Michel BICHAT « L’enseignement des disciplines artistiques à l’école » présenté le 10 et 11 février
2004 au nom de la section du cadre de vie du Conseil économique et social (autosaisine), ainsi que le
rapport de Muriel MARLAND-MILITELLO, députée, intitulé « La politique des pouvoirs publics dans le
domaine de l’éducation et de la formation artistique » déposé le 29 juin 2005 par la commission des
affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale (autosaisine). On y retrouve tout à fait les
paradigmes du rapport du HCEAC vus plus haut.
- 63 -
On constate d’emblée que les termes « média »100, « image », « cinéma »,
« audiovisuel » sont relativement – et parfois étonnement – amalgamés. En janvier
1999, C. Juppé-Leblond, Inspectrice générale de l’Éducation nationale chargée du
cinéma et de l’audiovisuel, rédige un texte intitulé « Vous avez dit… image » dans
lequel elle tente de (re)définir les enjeux d’une « éducation à l’image ». Elle affirme :
« Aujourd’hui, parce que c’est court et parce que c’est mode, le journaliste et
le politique nomment “image” tout ce qui relève des audio/visuels et
multi/média… »
Je m’arrêterai particulièrement sur la partie de ce texte qui se rapporte à
l’enseignement de l’image en lycée :
« Si nous revenons maintenant un instant sur les termes, ils sont clairs:
images et sons ont quitté la place, seuls cinéma et audiovisuel demeurent, à
quoi il faut ajouter, si l’on veut être honnête, que, si le cinéma est traité et
bien traité, l’audiovisuel ne l’est pas ou pour ainsi dire pas: c’est une tradition,
une passion, une profession de foi ».101
Même si C. Juppé-Leblond semble ici le déplorer, c’est l’enseignement du cinéma
qui est plébiscité, comme unique vecteur de l’« éducation à l’image » en lycée, « très
peu “contaminé ” par quelque forme d’audiovisuel que ce soit » aux dires de
l’Inspectrice générale elle-même.
Parlant de la « notion d’éducation à l’image », le rapport de Jean-René Marchand
affirme que :
« L’option prise dans ce rapport est donc de limiter le champ de l’étude à
l’image animée et plus particulièrement au cinéma, qui est déjà considéré
comme un art et comme un objet d’enseignement (…) elle peut paraître dans
une certaine mesure comme un choix par défaut, mais elle est aussi conduite
par un constat relatif à l’action du ministère dont le volontarisme en termes
de politique publique pour l’éducation à l’image me semble plus marqué à
l’échelle nationale dans le secteur du cinéma que dans les autres champs
disciplinaires. »102
En 2008, A. Auclaire fait le même constat que :
100
On trouve indifféremment « média » et « médias » dans les textes. J’ai opté pour l’orthographe francisée
« médias » au pluriel sauf dans les citations où je respecte le choix orthographique de l’auteur.
101
« Vous avez dit… image ? », op. cit., p. 31.
102
MARCHAND Jean-René, « L’Éducation à l’image, cinéma-audiovisuel », op. cit., document relié, p. 1516.
- 64 -
« Le cinéma demeure l’un des meilleurs voire le meilleur des supports
d’éducation à l’image. »
En l’occurrence, il est difficile de savoir sur quels arguments repose cette
affirmation qui est ici proclamée comme une vérité indiscutable. Il n’en reste pas
moins qu’un premier paradigme apparaît ici : c’est finalement principalement sur
l’enseignement du cinéma « considéré comme un art » que repose l’« éducation à
l’image ».
Parallèlement, se développe dans ces rapports l’idée que l’éducation aux médiass
peut assurer une résistance face au « flux » médiatique des industries culturelles et
donc aussi une « éducation à la citoyenneté ». C’est ce que souligne le rapport de J.R. Marchand :
« Cette conception (la nécessité d’une éducation à l’image) repose sur un a
priori négatif sur l’impact des images sur les jeunes et la place jugée excessive
qu’elles occupent dans la société actuelle (…) elle débouche alors sur la
notion d’une éducation aux médiass qui participerait de l’éducation à la
citoyenneté. »103
En 2007, le rapport : « l’éducation aux médiass, enjeux, états des lieux,
perspectives » permet justement d’aborder quelques paradigmes qui sous-tendent
une opposition entre « médias » et « cinéma ». Ainsi, le rapport, attentif à « redéfinir
le rôle de l’école face aux formidables mutations en cours »104, proclame que :
« Il est urgent de faire des médias des objets de formation en tant que tels –
ne serait-ce que pour protéger les enfants d’un déferlement incontrôlé
d’informations et d’images. »105
Ce qui est intéressant ici, c’est que ce rapport permet d’observer un glissement de
paradigme puisqu’il est question des « médias » comme objet de formation.
L’éducation aux médiass serait bénéfique en cela qu’elle permet « l’éducation à la
citoyenneté » :
« Les règles du bon usage des moyens d’information et de communication,
103
Ibid., p. 9.
Ibid., p. 13.
105
« L’Éducation aux médias, enjeux, états des lieux et perspectives », op. cit., publication interne, p. 14.
104
- 65 -
en leur transmettant les valeurs, les concepts et les outils propres à garantir
leur propre protection en même temps que le respect d’autrui. »106
Pour autant ce rapport insiste sur le fait que, à la différence des enseignements
artistiques dont on a vu qu’ils étaient largement plébiscités, « développer et faire
connaître l’éducation aux médiass demeure bien souvent un parcours du
combattant »,107 et ce malgré des « assises légales et institutionnelles incontestables »
dont le rapport fait la liste. Le rapport se conclut ainsi :
« C’est sans doute en “ Cinéma et audiovisuel ” que la place de l’éducation
aux médiass est la plus explicite. »108
Le rapport de J.-R. Marchand résume bien une situation paradoxale : pour lutter
contre la prolifération des images dans les médias, on passera par l’enseignement
artistique dont fait partie l’enseignement « cinéma et audiovisuel » beaucoup plus
que par une véritable éducation aux médiass :
« La poursuite d’objectifs relevant de l’approche artistique des images permet
d’atteindre également des objectifs relevant de l’éducation aux médiass et
concourt de ce fait à l’éducation à la citoyenneté. »109
On peut donc se demander pourquoi ces trois rapports font le constat à la fois de
l’utilité d’un enseignement aux médias et le constat de son inexistence au profit du
cinéma considéré comme un art, et ce surtout en lycée. Il apparaît que la réflexion
sur le support (le média) même si elle est présente dans les textes officiels, cède le
pas à l’enseignement artistique. C’est au cinéma, envisagé comme un art, que sera
confiée la principale mission de citoyenneté concernant ce que ces rapports
appellent « l’éducation à l’image ». L’enseignement ne porte donc pas directement
sur ce qu’il combat, ce qui peut être considéré comme un paradoxe : si l’on croit en
l’efficacité d’une éducation aux images, ce serait précisément l’éducation aux
médiass et au « flux médiatique » qui devrait être dominante, or il n’en est rien.
Pourtant, A. Auclaire assume par ailleurs l’idée que l’enseignement du cinéma a
partie liée avec « l’attraction du marché » et conclut en ces termes : « par ailleurs le
106
Ibid., p. 17-18.
Ibid, p. 25.
108
Ibid., p. 33.
109
Ibid, p. 11.
107
- 66 -
cinéma est un divertissement… ». C’est bien là tout le paradoxe des paradigmes
dans lesquels se débattent les textes par rapport à l’enseignement du cinéma : les
médias et les industries culturelles sont dangereux, mais pour y « éduquer » les
élèves ont les évite soigneusement au profit de l’enseignement d’un art : le cinéma,
dont il faut pourtant bien admettre qu’il en fait aussi un peu partie…
Les définitions des médias et du cinéma données dans les différents rapports
permettent de mieux comprendre d’où vient ce paradoxe. Les médias sont définis
comme des « véhicules massifs d’informations déterminant des formes d’expression
et induisant des modes de lectures spécifiques »110, et l’éducation aux médiass vise à
comprendre « la manière dont elle (l’image) fait sens en fonction des supports
qu’elle choisit et du regard qui se l’approprie »111.
Du côté de l’enseignement du cinéma, le rapport A. Auclaire confirme en 2008 ce
que disait C. Juppé-Lebond en 1999 :
« Il semble bien qu’il y ait consensus pour estimer que l’objet premier
d’éducation au cinéma est bien l’art du film et non l’initiation au langage de
l’image ou à l’audiovisuel en général. »112.
J.-R. Marchand insiste également sur le fait que :
« Le ministère de la Culture ne peut pas retenir cette conception restrictive
purement langagière de l’éducation à l’image (…) s’agissant par exemple du
cinéma, il est bien évident qu’il existe un langage de l’image (…), mais le
ministère de la Culture doit accorder la priorité à l’étude des œuvres. »113
D’un côté « langage des images », de l’autre « art du film » et « étude des œuvres ». Il
faut bien comprendre que ce qu’A. Auclaire et J.-R. Marchand appellent le
« langage de l’image » renvoie justement à cette approche spécifique utilisée dans
l’éducation aux médiass qui consiste à envisager la manière dont l’image nous parle,
ce qu’A. Auclaire comme J.-R. Marchand considèrent comme secondaire. Quand
on sait que le ministère de la Culture est un partenaire obligatoire des
110
Ibid., p. 35.
Ibid., p. 53.
112
AUCLAIRE Alain, « Par ailleurs le cinéma est un divertissement, proposition pour le soutien à l’action
culturelle dans le domaine du cinéma », op. cit., p. 46.
113
« L’Éducation aux médias, enjeux, états des lieux et perspectives », publication interne, op. cit., p. 11.
111
- 67 -
enseignements « cinéma et audiovisuel » en lycée, on comprend que ces
enseignements qualifiés d’« artistiques » privilégient une approche de l’œuvre à
analyser en elle-même et pour elle-même, plus que l’étude des modalités de sa
diffusion et de sa réception, domaine qui semble réservé à l’éducation aux
médiass… que précisément on n’aborde pas ou peu en lycée en vertu de la
« priorité à l’étude des œuvres ». C’est finalement une vision immanente de l’œuvre
cinématographique – au sens où l’entend Gérard Genette c’est-à-dire : « l’œuvre
elle-même, débarrassée de toutes considérations externes »114 – qui présuppose
qu’elle ne peut être assimilée à un média : c’est ce que veulent dire A. Auclaire et J.M. Marchand quand ils refusent de s’intéresser au « langage des images ». Car
assimiler l’œuvre au média déplacerait son étude vers l’analyse pragmatique des
paramètres de sa réception c’est-à-dire de ses « modes de lectures spécifiques », « la
manière dont elle (l’image) fait sens en fonction des supports qu’elle choisit et du
regard qui se l’approprie »115. C’est sans doute ce qui se joue dans cette opposition
entre « enseignement artistique » et « éducation aux médiass » : d’un côté l’œuvre
d’art, close sur elle-même indépendante de sa réception, de l’autre l’image
médiatique et ses significations variables. Le rapport « L’éducation aux médias,
enjeux, états des lieux, perspectives » parle de « la maîtrise des langages : il s’agit
d’apprendre à décrypter les codes et à percevoir les procédures à l’œuvre dans
différents types de textes et de langages médiatiques »116.
Pourtant, il est aussi question de « décrypter » l’image cinématographique. Mais du
côté de l’analyse filmique, on reste sur l’idée que ce « décryptage » doit mener à un
sens univoque : comme le dit A. Auclaire, il faut faire découvrir aux élèves :
« la facture et le sens d’une lumière, d’un plan, d’un cadre (…) tout cela ne
peut que favoriser par ailleurs le recours au film comme support de
décryptage de toutes les autres sortes d’images animées. »
On pourrait parler ici d’une certaine vision « sémiologique » de l’image (si l’on
114
GENETTE Gérard, « Peut-on parler d’une critique immanente ? », revue Poétique, n° 126, avril 2001,
Paris : Seuil, p. 131 et 136.
115
« L’Éducation aux médias, enjeux, états des lieux et perspectives », publication interne, op. cit., p. 53.
116
Ibid., p. 22.
- 68 -
accepte une vision très réductrice de la sémiologie) comme un mode d’expression
nécessitant le décryptage de « codes » qu’il faut savoir traduire en sens. Sauf qu’il
semble qu’il y ait différents types de langage : le « langage médiatique » pluriel et le
« langage artistique » qui consiste en une relation signifiant/signifié comprise
comme une traduction plus essentielle que contextuelle, tout cela constituant un
« langage des images » mal délimité et mal défini, mais qui aboutit toujours à une
valorisation de l’art face au non-art. Les programmes scolaires ont pour but
d’apprendre à « décrypter les codes », pour déciller le spectateur face aux images
quelles qu’elles soient. La présence de ce paradigme dans l’éducation aux images
incite à être attentif à la façon dont l’enseignement du cinéma pourra, le cas
échéant, se servir de cette idée de « décryptage » dans les approches théoriques qu’il
utilise.
C’est aussi la place du spectateur qui mérite d’être interrogée dans ces rapports : les
jeunes sont considérés comme des êtres passifs qui « subissent » les messages
délétères des médias dont il faut leur apprendre à se prémunir :
« C’est une fracture intellectuelle et culturelle qui menace les jeunes d’âge
scolaire du fait précisément de cette généralisation des usages et du manque
de maîtrise des contenus. »117
Or cette affirmation ne tient que si l’on nie que « les jeunes » sont des récepteurs
actifs qui « font quelque chose » des images, qu’ils utilisent en fonction de leur
besoin et attente et que la réception est aussi affaire de négociation de sens. Le
spectateur passif, en danger devant l’image médiatique n’est sans doute pas très
différent du spectateur passif devant les images cinématographiques des « industries
culturelles » que l’enseignement du cinéma doit lui apprendre à combattre. Le
présupposé idéologique est le même : le réinvestissement pragmatique des images
n’est pas envisagé, la compétence personnelle de l’élève non plus, le spectateur ne
peut-être qu’un être manipulé ou un être à éduquer, les variables du
comportement individuel ou lié à l’appartenance sociale de chacun face aux images
117
Ibid., p. 15.
- 69 -
n’étant pas envisagées.
Se dessine ici un paradigme propre à l’École française. Une vision immanente de la
production audiovisuelle – qui suppose l’œuvre comme un objet clos sur lui-même
indépendamment de sa réception – apparaît d’emblée plus répandue qu’une vision
pragmatique qui supposerait que la sphère de la réception est aussi active dans la
production du sens que la sphère de la création : on peut déjà supposer que le
cinéma sera davantage étudié que le blog, que le « film studies » l’emportera sur le
« media studies ». La lacune de l’École française quant à l’éducation aux médiass
pourrait donc s’expliquer par une résistance aussi paradigmatique que
méthodologique. Le fait qu’une éducation au média efficace doit passer par une
étude de « la manière dont elle (l’image) fait sens en fonction des supports qu’elle
choisit et du regard qui se l’approprie »118 – ce qui relève d’une conception
pragmatique de l’image – s’oppose aux représentations immanentes de l’image, plus
répandues, qui prédisposent aux enseignements artistiques, comme étude de
l’« Œuvre ». Ce n’est pas seulement le ministère de la Culture qui est en cause, c’est
tout un paradigme de valorisation de l’« Œuvre » et de l’ « approche artistique ».
1.2.4 Bilan
temporaire :
le
« modèle
esthétique de l’éducation » et sa mise en
question par la sociologie
Si l’on synthétise les différents paradigmes politiques relevés, on constate que le
discours politique suppose :
1 : L’accessibilité de l’art au plus grand nombre ;
2 : Que l’art a des vertus démocratiques et citoyennes ;
3 : Le pouvoir fondamental de l’artiste comme créateur et éducateur ;
4 : Que la résistance aux industries culturelles passe par l’enseignement artistique ;
118
« L’Éducation aux médias, enjeux, états des lieux et perspectives », publication interne, p. 53.
- 70 -
5 : L’affirmation d’une culture patrimoniale ;
6 : La création artistique comme solution à tous les maux de la société, comme
garantie du maintien de la cohérence et de l’harmonie ;
7: La nécessité d’une rencontre avec les œuvres, cette rencontre étant efficace en
vertu de la seule présence des œuvres ;
8 : Le primat de l’étude de l’œuvre comme forme immanente ;
9 : La méfiance envers l’étude pragmatique qui confère aux spectateurs et à la
situation de réception un rôle actif dans la production de sens ;
10 : L’Œuvre comme un ensemble de formes que l’on doit « décrypter » pour lui
donner un sens.
On peut donc reformuler huit paradigmes principaux :
1 : L’art pour tous ;
2 : L’art citoyen ;
3 : L’art éducateur ;
4 : L’art comme résistance face au non-art ;
5 : L’art prophylactique ;
6 : L’art charismatique ;
7 : L’œuvre immanente ;
8 : L’œuvre à décrypter.
Cette typologie permet de condenser et résumer la longue analyse des textes à
laquelle je me suis livrée. Ainsi rationalisée, cette typologie permet de mieux
comprendre aussi ce qu’est un paradigme et comment il opère. En définissant ainsi
ces paradigmes, je tente de les théoriser afin d’en faire des outils heuristiques pour
une meilleure compréhension des modalités et enjeux de l’enseignement du cinéma
en lycée.
Et ces paradigmes, à y regarder de plus près, ne sont pas des évidences indubitables
ni intemporelles. Que l’art ait des vertus citoyennes est un paradigme qui s’oppose
par exemple à tout le courant des avant-gardes qui, dans les années 20, prônait au
- 71 -
contraire un art révolutionnaire, en opposition frontale par rapport aux valeurs de
la société. Que l’on se réfère au manifeste Dada de Tristan Tzara ou au manifeste
futuriste de Filippo Tommaso Marinetti, autant d’avant-gardes artistiques qui
défendaient au contraire l’art comme un vecteur de provocation par rapport aux us
et coutumes sociétaux : c’est le « non-plus-ultra » que défendait T. Tzara. L’art se
définissait alors comme étant essentiellement en opposition avec la société,
irrévérencieux, en but aux valeurs morales comme en témoigne cet extrait du
manifeste Dada :
« Pour lancer un manifeste il faut vouloir : A.B.C., foudroyer contre 1, 2, 3
(…) prouver son non-plus-ultra et soutenir que la nouveauté ressemble à la
vie comme la dernière apparition d’une cocotte prouve l’essentiel de
Dieu. »119
L’art ne se voulait donc pas « citoyen », encore moins « républicain » il était surtout
« anti- » et irrévérencieux, provocateur et anarchiste.
On peut penser aussi à Stéphane Mallarmé qui, pourtant bien loin des avant-gardes,
s’oppose farouchement au paradigme de l’art pour tous, qu’il qualifie quant à lui,
dans son article précisément intitulé « l’art pour tous », d’« hérésie artistique » :
« Comme tout ce qui est absolument beau, la poésie force l’admiration ; mais
cette admiration sera lointaine, vague – bête, elle sort de la foule. Grâce à
cette sensation générale, une idée inouïe et saugrenue germera dans les
cervelles, à savoir qu’il est indispensable de l’enseigner dans les collèges, et
irrésistiblement, comme tout ce qui est enseigné à plusieurs, la poésie sera
abaissée au rang d’une science. Elle sera expliquée à tous également,
égalitairement, car il est difficile de distinguer sous les crins ébouriffés de
quel écolier blanchit l’étoile sibylline.
(…) Un homme – je parle d’un de ces hommes pour qui la vanité moderne, à
court d’appellations flatteuses, a évoqué le titre vide de citoyen – un citoyen
(…) enjambe nos musées avec une liberté indifférente et une froideur
distraite, dont il aurait honte dans une église, où il comprendrait au moins la
nécessité d’une hypocrisie quelconque, et de temps à autre lance à Rubens, à
Delacroix, un de ces regards qui sentent la rue. Hasardons, en le murmurant
aussi bas que nous pourrons, les noms de Shakespeare ou de Gœthe : ce
drôle redresse la tête d’un air qui signifie : “Ceci rentre dans mon domaine” !
119
Début du manifeste Dada, TZARA Tristan, 1918, consulté en ligne le 12 juillet 2011 sur : http://haravantgardes.blogspot.com/2006/06/manifeste-dada-1918.html
- 72 -
C’est que, la musique étant pour tous un art, la peinture un art, la statuaire un
art – et la poésie n’en étant plus un (en effet, chacun rougirait de l’ignorer, et
je ne sais personne qui ait à rougir de n’être pas expert en art), on abandonne
musique, peinture et statuaire aux gens du métier, et comme l’on tient à
sembler instruit, on apprend la poésie. »120
Ce texte – que je me suis permis de citer ici un peu longuement – est un parfait
manifeste anti-« enseignements artistiques » en cela qu’il vient contredire point par
point les paradigmes politiques de l’art citoyen et de la « démocratisation » des arts
chers à A. Malraux et aux ministres de la Culture qui lui succèderont. Que l’art se
démocratise devient ici une hérésie, d’autant que pour S. Mallarmé la vertu
charismatique de l’art ne saurait être une évidence pour tous : le spectateur
« éduqué » manifeste une « liberté indifférente et une froideur distraite » face aux
œuvres. La revendication d’un élitisme artistique strict – qui est à l’opposé de
l’« élitisme pour tous » d’Antoine Vitez et du HCEAC – et l’opposition farouche à
« l’art citoyen » considéré ici comme un « art pour citoyen » destiné à tous et donc
méprisable, explose à la fin du texte de Mallarmé :
« Que les masses lisent la morale, mais de grâce ne leur donnez pas notre
poésie à gâter.
Ô poètes, vous avez toujours été orgueilleux ; soyez plus, devenez
dédaigneux ! »121
Il ne s’agit pas ici de dire que S. Mallarmé a raison contre A. Malraux ni l’inverse,
mais de mettre en perspective différents paradigmes pour montrer qu’ils sont
finalement des partis pris, là où ils se présentent comme des vérités absolues. Que
l’art soit accessible pour tous apparaît donc encore une fois comme un choix
politique et non comme un élément inhérent à une définition ontologique de l’art.
Même l’idée que l’art puisse se transmettre a été contestée dans l’histoire des idées.
On peut citer ici Emmanuel Kant dans la Critique de la faculté de juger qui défend le
génie de l’artiste comme ce qu’il y a d’inexplicable dans la création, puisque le génie
120
MALLARMÉ STÉPHANE, « Hérésies artistiques » publié dans la revue L’Artiste, le 15 septembre
1862 (T2, p. 127), Fac-similés numérisés par wikisource et consultables en ligne :
http://fr.wikisource.org/wiki/H%C3%A9r%C3%A9sies_artistiques, consulté le 15 mars 2011.
121
MALLARMÉ STÉPHANE, « Hérésies artistiques », op. cit.
- 73 -
serait incapable lui-même de définir les règles de son art :
« On voit par là que le génie : 1° est un talent, qui consiste à produire ce dont
on ne saurait donner aucune règle déterminée ; il ne s’agit pas d’une aptitude
à ce qui peut être appris d’après une règle quelconque ; il s’ensuit que
l’originalité doit être sa première propriété ; 2° que l’absurde aussi pouvant
être original, ses produits doivent en même temps être des modèles, c’est-àdire exemplaires et par conséquent, que sans avoir été eux-mêmes engendrés
par l’imitation, ils doivent toutefois servir aux autres de mesure ou de règle
du jugement ; 3° qu’il ne peut décrire lui-même ou exposer scientifiquement
comment il réalise son produit, et qu’au contraire c’est en tant que nature
qu’il donne la règle ; c’est pourquoi le créateur d’un produit qu’il doit à son
génie, ne sait pas lui-même comment se trouvent en lui les idées qui s’y
rapportent et il n’est en son pouvoir ni de concevoir à volonté ou suivant un
plan de telles idées, ni de les communiquer aux autres dans des préceptes, qui
les mettraient à même de réaliser des produits semblables. »122
Si le génie est sans règle, l’artiste « éducateur » est ici un paradigme qui apparaît
contestable, l’idée de l’« artiste-professeur » ou du « professeur-artiste » ne tient pas
dans la conception kantienne, le philosophe affirmant au contraire que l’art est
intransmissible via un « exposé scientifique ». Selon E. Kant, les relations entre art
et pédagogie semblent donc bien problématiques, conduisant à parier sur l’imitation
plus que sur l’enseignement. Quant à l’artiste : « il n’est en son pouvoir ni de
concevoir à volonté ou suivant un plan de telles idées, ni de les communiquer aux
autres dans des préceptes qui les mettraient à même de réaliser des produits
semblables ». Par ailleurs, si l’originalité apparaît ici comme un fondement du génie,
on doute que l’art puisse être « démocratisé » ou « accessible au plus grand
nombre »,
sauf
à
parier
sur
le
paradoxe
pour
le
moins
discutable
d’une « originalité » cependant assez largement répandue pour être montrée à tous
les élèves de France. L’art apparaît au contraire, dans la conception kantienne,
comme un moment d’exception, non généralisable.
L’idée d’un art démocratisé, fermant de citoyenneté et de respect de valeurs
communes, est donc bien une idéologie dans la mesure où c’est une croyance
122
KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, trad. de Alexis Philonenko, Paris : Vrin, coll.
« Bibliothèque des textes philosophiques », 1993, p. 205.
- 74 -
temporaire, historicisée, qui ne vaut pas de toute éternité. Les paradigmes définis cidessus correspondent donc en fait à des conceptions conjoncturelles sans doute
plus en accord avec des désirs politiques qu’avec une définition véritablement
universalisable de l’art. On peut alors se demander pourquoi ces paradigmes sont
aujourd’hui dominants dans les discours, envers et contre toutes ces autres prises
de position qui les mettent plus ou moins violemment en question.
Je m’appuierai ici sur les réflexions d’Alain Kerlan qui me semblent
particulièrement pertinentes pour tenter de formuler une hypothèse théorique
intéressante à ce propos123. Docteur en philosophie, professeur des universités en
sciences de l’éducation à l’Université Lumière Lyon 2, le travail de A. Kerlan croise
celui des sociologues de l’éducation et se situe aux carrefours de la philosophie et
de la pédagogie, de l’art et de l’éducation. Analysant le fonctionnement de
l’institution scolaire depuis ces trente dernières années, A. Kerlan développe l’idée
selon laquelle l’École contemporaine est à la recherche d’un « modèle » grâce
auquel elle puisse se redéfinir, une « reprise éducative de la culture moderne »124 :
« Nos sociétés ne savent plus très bien comment fabriquer et partager dans
l’école un “ univers de signification ”. Ce n’est pas là une insuffisance
passagère. La “ crise du monde moderne” à bien des égards est inhérente au
monde moderne et à sa culture. C’est du moins l’hypothèse que je voudrais
mettre à l’épreuve en me consacrant à l’examen du paradigme culturel, et
plus particulièrement de la tentation esthétique qui l’habite. »125
Constatant, ces vingt dernières années, le développement des « activités artistiques »
123
Son travail théorique emprunte de façon revendiquée à John Dewey et Charles Taylor. On pourrait
aussi penser au travail de Richard Shusterman et à sa lecture de Jürgen Habermas et Richard Rorty dans
son article « La raison et l’esthétique entre modernité et postmodernité ». Shusterman écrit : « en résumé,
Habermas et Rorty voient tous les deux le postmodernisme comme privilégiant l’esthétique sur la tradition
de la raison qui est celle des Lumières, et tous deux développent à cet effet des narrations semblables »
article consultable en ligne sur le site de Shusterman :
http://www.fau.edu/humanitieschair/French_Articles.php, consulté le 05 février 2011, p. 287 du .pdf
téléchargeable.
124
KERLAN Alain, De l’école des savoirs à l’école de la culture : vers un modèle esthétique de l’éducation scolaire,
colloque ACFAS 2002, « enseignement, culture et formation des maître », disponible en ligne sur
ftp://ftp2.snepfsu.net/snepfsu/peda/fronteps/Kerlan.pdf, p. 3, la pagination correspond au .pdf
téléchargeable, consulté le 21 février 2011.
Cette communication résume les thèses défendues par A. Kerlan dans son ouvrage : L’art pour éduquer : la
tentation esthétique, contribution philosophique à l’étude d’un paradigme, Québec : édition des presses de l’Université
de Laval, 2004.
125
KERLAN Alain, De l’école des savoirs à l’école de la culture : vers un modèle esthétique de l’éducation scolaire, op. cit.,
p. 4.
- 75 -
et des « pratiques culturelles » à l’école et l’adhésion massive que ce développement
occasionne au sein même de l’institution, A. Kerlan construit l’idée selon laquelle
l’École tente de se refonder selon un « modèle esthétique » qui correspond au
paradigme que j’ai défini plus haut comme une croyance en l’art prophylactique
qu’A. Kerlan résume comme une « mobilisation sociale de l’art dans la préservation
du lien social, le refus de l’exclusion et du silence qui détruit les êtres, la réparation
des existences et des identités, l’écoute de la parole de l’autre. »126
En se demandant ce que « cherchent nos sociétés du côté de l’art et de la culture »,
et pourquoi on fait aujourd’hui le pari de « l’art pour la renaissance et la
régénération d’une école profondément malade de la société »127, A. Kerlan explique
qu’une des premières causes lui semble résider dans la réhabilitation du sensible
négligé jusqu’ici au profit de la raison. « Ce romantisme “revisité” par
l’individualisme moderne »128 serait à l’origine d’un renversement des valeurs de la
raison. Les activités d’expression et de création sont alors perçues comme un mode
d’expression de soi, au nom d’une « anthropologie de l’expérience artistique » qui
« de Kant à Gadamer » apparaît, selon A. Kerlan, comme « une des voies les plus
fructueuses de l’esthétique »129. Si l’École, à la suite de l’enseignement religieux dont
elle poursuit, selon E. Durkheim, certaines caractéristiques, vise à une action « en
profondeur » sur l’individu, l’art apparaît comme le meilleur moyen de toucher à
l’intériorité, à l’intime de chaque être dans l’espoir de le transformer durablement.
C’est ce qu’A. Kerlan appelle « l’art pour l’accomplissement de l’homme dans son
humanité »130, paradigme qui lui semble directement issu de Friedrich von Schiller et
de sa Lettre sur l’éducation esthétique de l’homme qu’il cite comme fondatrice de ce
paradigme131. Il me semble que l’on rejoint là aussi la perspective kantienne du
« jugement de goût » universel, ciment de la condition humaine, qui serait ici relu
sous l’angle de la « citoyenneté », c’est-à-dire comme fondement d’une
126
Ibid., p.7-8.
Ibid., p. 8.
128
Ibid., p. 9.
129
Ibid., p. 10.
130
Ibid., p. 11.
131
Charles Taylor travaille aussi ce paradigme comme « malaise de la modernité ».
127
- 76 -
communauté. Ce n’est donc pas tant la transmission de l’art qui est en jeu ici – E.
Kant, d’ailleurs, comme je l’ai vu précédemment, n’y croyait pas – que la
transmission du goût, et c’est un paradigme dont il faudra se souvenir par la suite.
Par ailleurs, cette rencontre avec l’art permettrait « la rencontre de chacun avec luimême comme « artiste », ce qui semble contredire tous les discours pédagogiques
qui dominaient jusqu’ici sur la notion d’apprentissage progressif. On retombe là sur
le paradigme de l’art charismatique déjà évoqué. Le paradoxe mérite d’être
souligné : l’enseignement de l’art achoppe finalement sur le paradigme de l’art
charismatique puisqu’on enseigne quelque chose qui est pourtant sensé se
transmettre par la seule présence. C’était déjà une conception qui opposait le
ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation nationale sous A. Malraux qui
tenait beaucoup, comme je l’ai vu, à cette idée du « choc présentiel » de l’œuvre
d’art. Ce paradoxe sur lequel les discours officiels font pudiquement silence –
quand ils n’affirment pas le contraire en muant le paradoxe en contradiction
(puisque si l’art est affaire d’éducation, tout le monde ne saurait y accéder de
manière égalitaire) – explique peut-être certaines tensions qui subsistent sur cette
question de l’« art à l’École ».
Pour A. Kerlan, la crise du monde moderne, sa mise en question postmoderne
explique « l’aspiration éducative à l’unité », le désir de « réenchanter un univers
muet, vidé de ses dieux, réduit à l’utile et à l’utilitaire » pour « retrouver du sens »132.
Toutes ces raisons expliquent ce que A. Kerlan appelle « un modèle esthétique de
l’éducation », « une pensée générale de l’éducation et des apprentissages sous l’angle
de l’esthétique », « une reprise esthétique du savoir »
133
qui postule que l’art pourra
sauver l’école de sa perte, éviter ses échecs (comme l’échec scolaire) ce qui
correspond à ce que j’appelais plus haut « l’art prophylactique ».
C’est ici que les paradigmes des discours sur l’art deviennent des suggestions
132
KERLAN Alain, De l’école des savoirs à l’école de la culture : vers un modèle esthétique de l’éducation scolaire, op. cit.,
pp. 12 et 13.
133
Ibid., p. 19.
- 77 -
politiques, au sens de politeia c’est-à-dire une proposition faite à la communauté
pour une meilleure organisation sociétale, c’est ici précisément qu’ils deviennent
idéologiques. Selon A. Kerlan :
« Éthique, esthétique et politique ici se confondent : la tâche urgente et
première, celle qui commande les autres et détient la clé du problème
politique, réside dans la réforme esthétique des caractères et des mœurs. »134
La question essentielle serait alors « comment fabriquer de la culture avec les
savoirs modernes ? ». Gageons que les enseignements artistiques – et parmi eux
l’enseignement du cinéma – sont une des solutions politiques trouvées pour
répondre à cette question.
Il s’agira donc de mesurer jusqu’où ces paradigmes ainsi englobés dans un « modèle
esthétique de l’éducation » sont à l’origine des modalités, enjeux et mises en œuvre
de l’enseignement du cinéma en lycée. Je m’attacherai donc à pointer leur
résurgence dans cet enseignement. Encore une fois, il ne s’agit pas d’être trop
causaliste, mais de voir jusqu’à quel point l’enseignement du cinéma est lui-même
imprégné de ces paradigmes.
Ce développement autour des textes et paradigmes officiels permet de mieux
comprendre l’esprit qui préside aux enseignements artistiques dont le cinéma fait
partie : les paradigmes ainsi relevés et dépliés serviront d’outils heuristiques à
l’étude des conditions historiques, politiques, légales, juridiques et financières de
l’enseignement artistique de cinéma et l’audiovisuel.
Je vais maintenant m’arrêter sur les modalités concrètes de cet enseignement à
l’intérieur du système paradigmatique que je viens de décrire.
134
Ibid., p. 26.
- 78 -
1.3
Le cas de l’enseignement du cinéma : conditions
historiques, politiques, légales, juridiques et financières
Le cinéma s’avère avoir une longue histoire avec l’École, dont je n’évoquerai ici que
quelques grandes dates, renvoyant pour plus de précision aux travaux déjà effectués
avant moi135. Les différentes étapes du développement des enseignements jusqu’à
leur état actuel ont été étudiées très précisément par F. Desbarats dans sa thèse.
Qu’il me soit permis ici de rappeler que mon travail n’est pas diachronique : je
n’aborde l’histoire de l’enseignement du cinéma en lycée que par souci d’établir une
base claire pour mes investigations diachroniques qui s’attachent au contraire à
étudier le temps présent. La perspective historique me sert ainsi d’arrière-plan, mais
elle ne constitue pas l’enjeu essentiel de mon travail.
1.3.1 De l’entrée du cinéma à l’École : bref
aperçu historique
Dès 1920, un rapport d’Auguste Bessou « Rapport général sur l’emploi du
cinématographe dans les différentes branches de l’enseignement »136 soutient les
atouts pédagogiques du cinéma, en arguant qu’il permet de visualiser des éléments
qui sans lui pourraient rester abstraits. Qu’il soit recommandé en physique ou en
sciences naturelles, c’est l’entrée du cinéma à travers le « film à visée didactique »
qui commence ainsi, avec son lot de résistances idéologiques et de méfiance envers
un outil de divertissement promu au rang d’outil pédagogique. En 1933, Jean Macé
135
Sur ce sujet, je ne ferai que reprendre en le synthétisant le travail effectué par Caroline ACHAT dans sa
thèse de 2010 Enjeux de l’introduction de l’art à l’École primaire et au collège. Processus d’apprentissage
et mises en forme scolaire des confrontations aux oeuvres. Le cas du cinéma, op. cit., et le travail très
approfondi proposé par Francis DESBARATS dans sa thèse de 2001 : Origine, conditions et perspectives
idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op. cit.
136
Ce rapport est largement cité par Caroline ARCHAT p. 30-31 de sa thèse, op. cit.
- 79 -
crée l’Union française des Offices du Cinéma Éducateur Laïque afin de développer
les ciné-clubs et (déjà) l’accessibilité des films aux enfants. Le « cinéma éducateur »
est né, et sans doute avec lui le paradigme politique décrit plus haut qui prête au
cinéma, considéré comme un art, des vertus pour l’épanouissement de l’enfant.
Dans les années 40, une génération d’adultes ayant fréquenté les ciné-clubs arrive à
des responsabilités professorales : le meilleur exemple est sans doute celui d’Henri
Agel et André Bazin. Après la guerre, en 1948, le recteur de l’académie de Paris est
le premier à autoriser que des ciné-clubs soient animés dans les lycées, dans le cadre
des « activités dirigées » le samedi après-midi. Bernard Georgin, proviseur
honoraire et délégué général du cinéma scolaire de l’académie de Paris, met en
place un « service de l’enseignement du cinéma » pour encadrer pédagogiquement
ces ciné-clubs avec des fiches de méthode et de la documentation137. Dans les
années 50, Jean Delmas, responsable de la Fédération française des ciné-clubs
s’intéresse tout particulièrement à leur développement en milieu scolaire, et l’on
constate que le paradigme de la résistance aux industries culturelles fait déjà partie
de la rhétorique de défense du cinéma à l’École :
« Pour nous autres, gens de ciné-clubs, qui prenons en charge l’éducation du
spectateur (…) il devient insupportable d’assister à cette intoxication par le
mauvais cinéma (…) Nous savons fort bien qu’il faudra beaucoup de
patience pour revenir sur une habitude qui associe Walt Disney à la fête de
Noël comme le lierre à l’arbre. »138
L’idée qu’il faut « éduquer au cinéma » pour éviter ses dangers est déjà présente. À
cette époque, le cinéma pour les jeunes sera donc particulièrement défendu par les
militants de l’Éducation populaire, plus que par l’Éducation nationale. Des cinéclubs s’ouvrent dans de nombreux lycées et des films suivis de débats sont projetés,
souvent hors temps scolaire, le jeudi après-midi, dans l’enceinte des lycées ou dans
une salle proche. On est bien en présence d’une double conception du cinéma qui
137
Voir GEORGIN Bernard, « L’éducation cinématographique », Cinéma 63, n° 76, sous la direction de
Michel Martin, mai 1963, p. 24-42.
138
Jean DELMAS, « Du Walt Disney de Noël au vrai cinéma des enfants », n° 115, revue Jeune cinéma,
janvier 1979, in Une vie avec le cinéma, Paris : Jean-Michel, 1997, Coll. « Jeune cinéma », p. 24, cité par
Caroline ARCHAT, op. cit., p. 34.
- 80 -
cohabite : celle du film pédagogique comme outil de transmission de savoirs
disciplinaires et celle du cinéma comme art qui aboutira, comme ces paradigmes le
laissent supposer, à « l’enseignement artistique » et à « l’action culturelle ».
Car la défense du cinéma comme art est déjà très présente, paradigme que F.
Desbarats rattache à :
« une histoire nationale qui y incline pour au moins deux raisons : la première
est que, depuis les années vingt, les courants les plus significatifs de la
critique, des écrivains, des intellectuels, épaulés par les diverses générations
de ciné-clubs, se sont avec constance orientés dans ce sens, malgré les
résistances qu’ils trouvaient à leur conception – et à leur action. (…) La
deuxième raison découle de la première. (…) Parce qu’ils se sont revendiqués
comme intervenants privilégiés dans la cité sur des questions de politique ou
de justice, les cinéastes français ont obtenu en retour un statut symbolique
plus large que celui qui correspond à leur seule définition professionnelle. »139
Ce qu’il faut souligner aussi, c’est l’importance des ciné-clubs dans l’émergence du
cinéma dans l’institution scolaire, influence qu’il faudra sans doute réinterroger en
termes de paradigmes. Pour F. Desbarats la tradition française des ciné-clubs
d’après-guerre est reliée à « une certaine tendance de la culture nationale » qui
promeut surtout, dans les ciné-clubs de lycées, le cinéma de la Qualité française,
c’est-à-dire le cinéma national. F. Desbarats résume ainsi l’évolution des ciné-clubs
en France et leur interaction avec l’enseignement du cinéma :
« Selon Bernard Nave, président de la fédération des ciné-clubs des jeunes (la
fédération Jean Vigo) et professeur de cinéma en A3 L3, les ciné-clubs de
jeunes dans les établissements scolaires ont décliné sans remède à partir de
1988-1989. Mais, marqués par les retombées de 68 et du changement social,
ils étaient sans doute déjà bien différents de ceux de l’après-guerre. La
création des sections cinéma était dans ces conditions une anticipation sur la
modification des conditions sociales de la transmission du goût du cinéma
qui ont amené la disparition des ciné-clubs. »140
Pourtant, aujourd’hui, quand on regarde la liste des films choisis pour le
baccalauréat, on se trouve bien plus dans la cinéphilie promue par les Jeunes Turcs
139
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 24.
140
Ibid., p. 253.
- 81 -
des Cahiers du cinéma que dans la « Qualité française », chroniquement absente des
programmes de lycée. Il y a donc fort à parier qu’il s’est opéré un profond
changement de paradigme entre l’après-guerre et les années 80 : à la fois dans
l’image de ce qu’est un « cinéphile » et sur les liens de parenté et les oppositions
entre l’activité des ciné-clubs et les enseignements artistiques.
À partir de 1956, en la personne d’Étienne Fuzellier, est évoquée avec sérieux
l’introduction d’une section spécialisée d’« Art » pour les élèves, et même une
épreuve au baccalauréat141. À partir de 1961, les CRDP organisent tous les ans des
journées de formation sur « l’éducation cinématographique ». Pour autant, le projet
d’E. Fuzellier restera lettre morte : seules les activités de ciné-club, en dehors du
temps scolaire ou sur le temps des « activités dirigées » sont plébiscitées, sans pour
autant officialiser complètement le lien entre les lycées et les fédérations de cinéclubs.
Mais la résistance n’est pas qu’institutionnelle : F. Desbarats évoque aussi les
réticences d’une certaine génération de cinéphiles, dont Serge Daney, Jean-Claude
Biette, Danièle Houillet et Jean-Marie Straub, face à l’enseignement du cinéma. Il
s’appuie pour justifier cette résistance sur un article écrit par Raymond Borde en
1961 dans Les Cahiers Pédagogiques :
« L’amour du cinéma (…) est joyeux et spontané et il n’exige aucune
médiation. Mais il n’est pas donné à tous. Il reste une vocation, et en ce sens,
un privilège. Il ne s’apprend pas sur les bancs d’une école, mais dans les
salles (…) On décortiquera Méliès pour un public de cancres et l’on mettra
Citizen Kane au programme du baccalauréat. » 142
On est bien loin ici des pétitions de principe pédagogiques qui seront défendues
plus tard par A. Bergala sur la « pédagogie des fragments mis en rapports » et son
militantisme du DVD pédagogique, et l’on est bien loin aussi de la notion de
« passeur » chère à S. Daney (qui, pour autant, se montre méfiant à l’égard du
« cinéma des professeurs »), puisque le postulat de R. Borde est que le cinéma
141
142
FUZILLIER Étienne, « Le cinéma au bachot », in Image et son, n° 97, décembre 56, p. 6.
BORDE Raymond, Les Cahiers pédagogiques, nº 26, janvier 1961, p. 82.
- 82 -
« n’exige aucune médiation ». L’idée du « goût spontané », indépendant de
l’apprentissage, discrédite toute tentative d’un enseignement artistique. On est à
nouveau en présence du paradigme de l’art charismatique qui s’oppose à
l’enseignement du cinéma.
Pourtant, on trouve aussi des grands noms qui, au contraire, ont soutenu l’entrée
du cinéma dans les écoles. F. Desbarats cite Henri Agel, Marcel Oms et Christian
Metz qui, tout en adhérant à des idéologies très différentes, ont œuvré pour
l’enseignement du cinéma à l’École. Le point commun entre tous ces défenseurs
d’un enseignement du cinéma est une foi en la puissance de conviction des films,
credo qui était aussi celui d’A. Malraux qui défendait l’idée du « choc présentiel » 143
des œuvres. Le paradigme de l’œuvre charismatique sert ici à justifier précisément
ce qu’il servait à refuser dans le camp des opposants à la médiation au cinéma : le
paradoxe déjà relevé perdure… Mais ce paradoxe est, à cette époque, surmonté par
l’idée qu’il faut surtout, dans le cadre de l’École, diffuser des films, sans pesanteur
didactique : on n’est pas encore au stade d’un « enseignement du cinéma », mais à
celui d’une « éducation au cinéma » qui pourrait se résumer à l’acte de voir des films
et d’en parler après. La thèse de F. Desbarats montre donc que le débat autour du
cinéma comme objet d’enseignement a bien existé et qu’il s’est cristallisé finalement
– et malgré quelques paradoxes… – autour d’un même paradigme : celui de l’art
charismatique.
Pour F. Desbarats, ce n’est cependant pas le seul paradigme responsable du débat.
Il explique la résistance à l’enseignement du cinéma comme une résultante de
l’après 68, qui faisait du cinéma un « otium à préserver »144 :
« Les enseignants cinéphiles affirmaient ainsi, de façon plus ou moins intense
et durable, une implication plus profonde dans le domaine de l’esthétique
que dans celui de la pédagogie. »145
On retrouve finalement ici le « modèle esthétique » d’A. Kerlan et une explication,
143
DESBARATS, Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 312.
144
Ibid., p. 240.
145
Ibid., p. 241.
- 83 -
peut-être, d’étranges lacunes – encore aujourd’hui – dans les réflexions sur la
« pédagogie » ou la « didactique » du cinéma sur lesquelles il faudra revenir.
L’enseignement apparaît comme quelque chose qui a « rattrapé » cette génération
de professeurs cinéphiles, mais dont ils n’étaient pas eux-mêmes totalement
convaincus. Ajouter à cela les paradoxes pédagogiques auxquels conduit le
paradigme de l’art charismatique que nous avons déjà évoqué, on comprend que la
question didactique dans l’enseignement du cinéma apparaisse toujours comme
plus ou moins secondaire.
Pourtant, les années 60-70 sont aussi la période d’une expansion de la télévision
dont on peut supposer qu’elle contribue à renforcer le paradigme de l’art comme
résistance face au non-art. Il va donc falloir « didactiser » le cinéma pour en faire
une véritable arme d’opposition aux industries culturelles. Les années 70 voient en
effet la naissance de nombreuses expérimentations pédagogiques liées à l’image et
aux sons dont le collège de Marly-le-Roy reste sans doute le meilleur exemple. Sur
ce point, je ne répèterai pas les développements descriptifs et théoriques déjà
produits dans la thèse de F. Desbarats ou dans les écrits de Geneviève Jacquinot146.
Parallèlement, l’Association Française des Enseignants de Français (AFEF),
propose dans Le français aujourd’hui (n° 38 et 39, 1977) un programme « Lettres et
cinéma » qui renouvelle l’approche des films en plébiscitant des exercices pratiques
et le contact avec des spécialistes partenaires, annonçant certaines idées qui seront
reprises dans les textes de 1981. C’est aussi l’occasion de constater, avant même
l’ouverture des premiers enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel », la
présence du français dans la réflexion sur l’enseignement du cinéma.
Il faudra attendre les années 80 pour que l’enseignement du cinéma apparaisse en
tant que tel et comme matière autonome dans les curriculums scolaires, parmi les
« enseignements artistiques ». En 1984 naît la première option facultative « cinéma
et audiovisuel », d’abord à titre expérimental, dans quatorze lycées de France.
L’introduction du cinéma se fait de façon prudente, chaque lycée devant, pour
146
JACQUINOT Geneviève, L’école devant les écrans, Paris : ESF, 1985, 135 pages.
- 84 -
prétendre ouvrir une classe, présenter un dossier devant une commission de
représentants des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale. F. Desbarats
indique que la naissance du cinéma au lycée s’est faite dans l’écrasement des
différentes fédérations de ciné-clubs qui ont essayé – vainement – d’entrer dans les
discussions ministérielles.
C’est à la rentrée 1986, pour les élèves entrant en Seconde, après des débats
houleux, qu’une épreuve de « cinéma et audiovisuel » est inscrite au baccalauréat.
Précisons que la classe de Seconde étant une classe de « détermination », le choix de
l’option en Seconde ne saurait être déterminant pour la suite de la scolarité et le
choix d’une « section ». En 1986 est créée une « section A3 cinéma et audiovisuel »
qui est intégrée aux filières littéraires. Cette section se dote d’une matière
obligatoire, souvent qualifiée d’« option », alors qu’elle relève en réalité d’une
section147. L’enseignement « cinéma et audiovisuel » sera ouvert, comme option
facultative ou « complémentaire », avec un horaire allégé, aux autres sections
scientifiques économiques et techniques. Il revêt alors véritablement et
institutionnellement les caractéristiques d’une « option » dans le système scolaire :
ce sont des heures que l’élève choisit de faire en plus de l’emploi du temps de sa
classe et qui sont dotées d’un coefficient 1 dans la moyenne générale du
baccalauréat (seuls comptent les points au-dessus de la moyenne). À partir de 2002,
l’enseignement facultatif passe à un coefficient 2, sauf pour les enseignements dans
les classes technologiques (STT et STI148) qui reste à un coefficient 1. Les horaires
hebdomadaires et les coefficients varieront au cours des décennies jusqu’à l’état
actuel149. C’est à cette date également que les décisions d’ouverture de classes sont
décentralisées : suite aux lois de décentralisation, elles sont désormais prises à
l’échelle des rectorats et des collectivités territoriales.
147
La terminologie actuelle parle d’ « enseignement de spécialité » et plus familièrement d’ « option
lourde ».
148
Voir glossaire.
149
Voir tableau récapitulatif dans l’introduction.
- 85 -
De 1990 à 1996, l’encadrement institutionnel s’est renforcé. En 1990 furent
nommés des Inspecteurs généraux en charge du cinéma, mais ce dossier leur était
confié en plus de leur discipline d’origine, le ministre Jacques Monory n’ayant pas
jugé opportun de nommer un Inspecteur général spécialisé. Il faudra attendre 1996
pour que François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, accepte qu’une
Inspection de cinéma autonome soit créée et nomme à ce poste C. Juppé Leblond
qui y restera jusqu’en 2009, date à laquelle lui succèdera Patrick Laudet qui renoue
avec la tradition des IG non spécialistes puisqu’il est également chargé des Lettres
et du Théâtre.
En 1990, suite à quelques problèmes pendant les épreuves et afin de mieux
superviser les épreuves du baccalauréat, est créée la COSEAC : Commission
d’Orientation et de Suivi des Enseignements et Activités de Cinéma et de
l’audiovisuel. C’est cette commission qui commandera les premiers documents
pédagogiques à destination des professeurs : une vidéocassette d’analyse des films
au programme, d’une quarantaine de minutes. La commission travaille alors avec
des sociétés de production qui soumettent un projet à partir d’un cahier des charges
pour l’élaboration de documents pédagogiques.
1.3.2 Modalités
budgétaires :
répartitions
entre ministère de l’Éducation nationale et
ministère de la Culture
Tous les témoins de cette période s’accordent à dire qu’il y a eu un avant et un
après Jack Lang. À partir de 1981, puis en 2000, les institutions publiques,
encouragées par le « Plan de cinq ans », se sont engagées à promouvoir et à soutenir
des dispositifs permettant d’associer dans une démarche commune des
professionnels de la culture et de l’enseignement. À ce titre, un premier protocole
d’accords fut signé le 25 avril 1983, établissant des liens entre le ministère de la
Culture et le ministère de l’Éducation nationale. Ce protocole a été renforcé par la
- 86 -
loi sur les enseignements artistiques en 1988. Ce protocole, initié par la politique
très volontariste de J. Lang, repose sur l’idée selon laquelle l’art et la culture ont une
véritable fonction « éducative » : c’est le paradigme de l’art éducateur qui triomphe.
À partir de là, l’enseignement du cinéma en lycée ressemblera à ce qu’il est
aujourd’hui.
Dans le cadre des enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel », ce double
pilotage ministériel prend la forme d’un devoir d’information réciproque, de
formation des personnels et de financements de projets communs des deux
ministères en question. L’État subordonne par ailleurs une partie de ses aides aux
institutions culturelles à l’effort entrepris par celles-ci pour élargir la base sociale de
leur public. Depuis le rapport Rigaud de 1996, le ministère de la Culture a en effet
ajouté à ses attributions « l’éducation artistique et culturelle ». En 2010, le budget du
ministère de la Culture et de la Communication se prévaut ainsi d’une hausse de
l’investissement dans « l’éducation artistique et culturelle ». Il est bien précisé dans
le document de la conférence de presse de Frédéric Mitterrand lors de la
présentation du budget le 1er octobre 2010150 que « la démocratisation de la culture »
repose sur « l’éducation artistique et culturelle, permettant de mener des actions
éducatives pendant et hors le temps scolaire »151. Tous les établissements culturels
subventionnés par le ministère de la Culture doivent désormais faire figurer cette
obligation dans leur cahier des charges. Ce secteur du budget appartient
au programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Le
ministère de la Culture fournit donc les partenaires « artistes » nécessaires aux
enseignements artistiques proposés en lycée. En ce qui concerne l’enseignement du
cinéma, la notion de « partenaire » et « d’artiste » et leurs représentations restent
problématiques : qui est « artiste » ? un scénariste ? un opérateur de prises de vues ?
un monteur ? un réalisateur ? Il sera plus question de faire intervenir des
150
Budget 2010, ministère de la Culture et de la Communication, document accessible en ligne sur le site
du ministère ; http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Culture-et-communication-unbudget-en-forte-hausse, consulté le 5 février 2011, la pagination correspond au .pdf téléchargeable.
151
Budget 2010, ministère de la Culture et de la Communication, op. cit., p. 57.
- 87 -
« professionnels » ou des « techniciens » et l’on retombe là sur des questions qui
touchent à l’ambiguïté même de l’objet cinéma, entre techniques, industrie, et art.
Quant à l’arsenal législatif du droit du travail, il ne semble pas suivre cette pétition
de principe puisqu’un « intermittent du spectacle » par exemple ne peut effectuer
qu’un nombre relativement réduit d’heures payées par l’Éducation nationale s’il
veut conserver son statut. Ce dilemme juridique est bien la preuve des tensions
inévitables qui existent entre pratique professionnelle et éducation artistique dans le
cadre scolaire. Comme le remarque Emmanuel Wallon :
« Malheureusement, le temps d’enseignement des intermittents du spectacle,
sollicités de tous côtés pour intervenir – quand ils n’y sont pas astreints par
la convention liant leur compagnie aux bailleurs de fonds publics – et animer
des ateliers à l’école, en collège ou au lycée, n’est pris en compte que dans
une portion congrue dans le total des heures requis pour obtenir l’allocation
qui leur apporte un indispensable complément de revenu. Incités à se faire
les auxiliaires de l’éducation, mais sommés de rester des créateurs sans
attaches, telle est l’étrange contradiction à laquelle ils sont soumis. »152
Au-delà d’une « institutionnalisation » à laquelle certains artistes répugnent sans
doute, un artiste n’a a priori pas vocation, dans son statut salarial, à intervenir
majoritairement dans une structure scolaire du secondaire. Malgré l’affirmation de
Didier Lockwood dans le rapport 2006 du HCEAC : « tout professeur est un
artiste », il apparaît clairement que l’éducation artistique est encadrée par des
professeurs qui n’ont pas vocation à être forcément des artistes pour des élèves qui
ne se destinent pas forcément au monde artistique. La distance entre le cinéma « en
train de se faire » et la culture figée du patrimoine cinématographique que l’École se
doit de transmettre se joue sans doute aussi ici.
Du côté de la Culture c’est le paradigme politique de « l’art pour tous », héritage de
A. Malraux, qui domine. S’il est beaucoup question de « l’histoire des arts » dans le
budget 2010 précédemment cité, le cinéma n’est pas en reste :
« Les actions en faveur du cinéma restent en 2010 déterminantes pour
l’éducation à l’image, les efforts consentis dans ce domaine devant permettre
152
WALLON Emmanuel, Espoirs et déboires de l’éducation artistique, in Le Système éducatif en France, sous la
direction de Bernard TOULEMONDE, Paris : La Documentation française, coll. « Les Notices »,
décembre 2009, p. 191-196.
- 88 -
d’ici à 2014 un doublement du nombre de jeunes concernés par ces actions
par rapport à leur niveau de 2007. »153
1.3.3 Le pilotage des services centraux
Dans les deux ministères concernés par les enseignements artistiques, le pilotage est
assuré par plusieurs entités. Comme le souligne le rapport Chiffert de 2003 :
« Les croisements entre l’administratif, le financier, et le pédagogique sont
donc ici particulièrement animés, les engagements très forts »154
Le pilotage central est assuré par :
- Un conseiller technique pour les arts et la culture auprès des deux ministères
concernés, qui porte la volonté politique commune. Aujourd’hui, pour le ministère
de la Culture c’est Madame Annick Lemoine qui assure la charge de « Conseillère
en charge de l’Éducation et des enseignements artistiques et de l’histoire de l’art ».
Du côté du ministère de l’Éducation nationale, aucun conseiller n’apparaît
spécifiquement en charge de ce dossier. Les accords destinés à promouvoir
l’enseignement des arts comme celui signé avec le Regroupement des Musées
Nationaux en 2009 ont été négociés par Luc Chatel lui-même.
- Les directions chargées de la mise en œuvre sur le terrain des politiques : la
DGESCO155 (Direction Générale des Enseignements Scolaires) élabore la politique
éducative et pédagogique ainsi que les programmes d’enseignement des écoles, des
collèges, des lycées et des lycées professionnels. Son directeur général est
actuellement Jean-Michel Blanquer. La DGESCO intervient particulièrement sur le
contenu des programmes scolaires et sur la formation continue des enseignants.
- L’Inspection générale de l’Éducation nationale – dirigée par l’Inspecteur général
153
Budget 2010 ministères de la Culture et de la Communication, op. cit., p. 66.
« L’Éducation aux arts et à la Culture », dit « rapport Chiffert », présenté à Monsieur le ministre délégué
à l’enseignement scolaire et Monsieur le Ministre de la Culture et de la Communication, rédigé par
Christine Juppé-Leblond, Anne Chiffert, Gérard Lesage, Marie-Madeleine Krynen, en janvier 2003.
Consultable en ligne : www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/chiffert/rapport-chiffert.pdf La
pagination est celle du .pdf, p. 38.
155
Ses missions sont définies sur la partie du site du ministère de l’Éducation nationale qui lui est dévolue :
http://www.education.gouv.fr/cid978/direction-generale-de-l-enseignement-scolaire.html
154
- 89 -
actuel, Monsieur Patrick Laudet – s’appuie aujourd’hui sur deux « chargés d’une
mission auprès de l’Inspection générale pour l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel » : Renaud Ferreira et Françoise Savine. Les bureaux de l’Inspection
générale ont récemment (en 2010) déménagé pour être installés rue de Grenelle,
signalant la fin d’une certaine indépendance de l’Inspection par rapport au
ministère, mais facilitant peut-être la coordination au jour le jour des différents
services. Cette Inspection générale chargée de l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel fait partie du « groupe permanent et spécialisé “enseignements
artistiques et culturels” » qui rassemble les Arts appliqués, les Arts du cirque, les
Arts plastiques, le Cinéma et l’audiovisuel, le Théâtre, la Danse, l’Éducation
musicale et l’Histoire des arts. Ce groupe est dirigé par le Doyen Vincent
Maestracci qui est aussi l’Inspecteur général en charge de la Musique. Comme nous
l’avons vu plus haut, Patrick Laudet, Inspecteur général en charge du cinéma et de
l’audiovisuel est également en charge du théâtre. L’Inspection générale peut
désigner un certain nombre de Groupes d’Experts (GE) chargés de rédiger les
programmes et de les modifier. Historiquement, la réunion d’« experts » était
prévue au sein des COSEAC, créées comme je l’ai vu plus haut en 1990. Ces
commissions partenariales placées sous l’autorité des deux ministères étaient
prévues pour réunir, à l’échelle nationale ou académique, des représentants
institutionnels, des délégués sectoriels relevant des deux ministères, des
professionnels, des enseignants, des responsables de structures culturelles, des
universitaires et des représentants du CNDP et des CRDP pour assurer des
accompagnements pédagogiques. Cependant, les activités de ces COSEAC ont été
depuis presque dix ans « mises en sommeil »156. Aujourd’hui, ces commissions
existent à l’état de fantôme comme en témoigne cette page vide qui leur est
consacrée sur le site du ministère157. Lorsqu’il s’agit de déterminer les films au
programme du baccalauréat ou de réécrire les textes officiels des programmes, c’est
156
Ce sont les termes employés par le « rapport Chiffert » : « L’Éducation aux arts et à la Culture », op. cit.,
p. 44.
157
http://www.educnet.education.fr/sigles/coseac
- 90 -
l’Inspection générale qui décide, au coup par coup, de la constitution d’une
commission d’experts. Les documents pédagogiques sont commandés par
l’intermédiaire de l’Inspection générale, en association avec le CNDP pour le choix
des auteurs, à l’issue du choix du film au programme par la commission désignée.
Pour autant, on trouve toujours des comptes-rendus de CASEAC (Commission
Académique chargée du Suivi des Enseignements et Activités Cinéma et
audiovisuel), car celles-ci sont le plus souvent animées au sein des DAAC
(Délégation Académique à l’Action Culturelle et à l’éducation artistique). Ces
CASEAC ont été renommées en 2002 « groupe territorial de pilotage ». Elles sont
actuellement variablement actives selon les académies et entrent en action
particulièrement pour le suivi des dispositifs « collèges et lycéens au cinéma ».
En 2003, le rapport Chiffert déplorait ce morcellement des différents services,
soulignant que :
« Un simple regard ne peut embrasser d’un coup le nombre considérable de
structures et de personnes qui, à des degrés divers, sont concernées par
l’éducation artistique ».158
Constatant que les compétences existent, mais sont parfois désorganisées, le
rapport préconisait leur « simplification »159. Il semble que le fonctionnement se soit
effectivement simplifié, les principaux responsables de la coordination des
enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel » étant désormais la DGESCO et
l’Inspection générale. J’ai entendu récemment, lors de la réunion de la commission
d’experts chargée du choix du film au programme du baccalauréat dont j’ai fait
partie en 2011, une représentante de la DRAC de l’académie de Versailles regretter
l’existence des COSEAC. Reprochant à l’Inspection générale de s’octroyer
désormais toutes les décisions, elle signalait là la mise sous tutelle – dommageable
selon elle – des enseignements artistiques par le ministère de l’Éducation nationale
au détriment du ministère de la Culture. Selon Renaud Ferreira, ces récriminations
158
159
Rapport Chiffert, « L’Éducation aux arts et à la Culture », op. cit., p. 40.
Ibid., p. 45.
- 91 -
sont assez récurrentes. Dans les faits, il semble que l’Inspection générale soit ellemême assez dépendante des préconisations de la DGESCO qui, effectivement,
pilote le contenu des enseignements, indépendamment du ministère de la Culture
dont les représentants ont parfois l’impression de servir de simple prestataire.
Pourtant, un financement ministériel substantiel passe par les DRAC (Direction
Régionale des Affaires Culturelles), depuis les lois liées à la décentralisation, qui
répartissent les compétences du ministère de la Culture dans toutes les régions du
territoire national :
« La mise en œuvre des priorités du programme “Transmission des savoirs et
démocratisation”, passe également par les DRAC : éducation artistique et
culturelle, actions en faveur des publics éloignés de la culture. »160
Pour Pascale Lismonde, cette décentralisation des pouvoirs déjà à l’œuvre lors du
« Plan de cinq ans pour le développement des arts et de la culture à l’école », a eu
une répercussion très positive sur les enseignements artistiques, car elle a permis au
ministère de la Culture d’être présent partout, à l’instar de l’Éducation nationale, qui
via les rectorats, avait déjà mis en œuvre cette décentralisation. Se trouvent ainsi
mieux réparties, sur tout le territoire, les initiatives et leur suivi quant à
l’enseignement artistique161.
Le budget des DRAC représentait en 2010 un crédit de paiement de 8,8 M€, ce qui
correspond à une augmentation de 4,9 % selon la source officielle. Ce chiffre
contraste avec le discours de certains professeurs que j’ai pu rencontrer qui se
plaignent d’une baisse de l’investissement des DRAC dans les enseignements
« cinéma et audiovisuel ». Dans le rapport 2006 du HCEAC, Jean-Marc Lauret
faisait, de façon plus générale, le même constat inquiet de cette baisse des
subventions162.
160
Budget 2010, ministère de la Culture et de la Communication, op. cit., p. 23.
LISMONDE Pascale, Les arts à l’école, le Plan de Jack Lang et Catherine Tasca, op. cit., p. 150.
162
Rapport HCEAC, 2006, op. cit., p. 236.
161
- 92 -
1.3.4 Les prises en charge territoriales :
DAAC et DRAC
Depuis la loi de 1992 sur l’administration territoriale de la République s’applique la
déconcentration. La dichotomie entre les moyens qui sont largement régionaux et
les épreuves du baccalauréat qui sont nationales explique aussi sans doute la
variabilité extrême des mises en œuvre de l’enseignement artistique « cinéma et
audiovisuel », dès que l’on entre dans le détail des pratiques de terrain. Ce qui rend
relative aussi toute vision théorique trop englobante sur la question et explique que
je privilégierai dans cette thèse des exemples tirés d’expériences très pragmatiques
qui ne se voudront pas généralisables.
Suite à la décentralisation, le ministère de la Culture s’est doté de directions
régionales fortes qui assurent le subventionnement des enseignements « cinéma et
audiovisuel » entre autres dispositifs liés à l’éducation artistique. En ce qui concerne
l’enseignement du cinéma en lycée, un constat est incontestable : l’option
facultative « cinéma et audiovisuel » n’est plus, depuis quelques années, l’objet d’un
soutien financier des DRAC. L’enseignement obligatoire, dit « de spécialité », lui,
est subventionné par les DRAC à hauteur d’au moins 10 000 € sur les trois niveaux
(Seconde, Première, Terminale). Cet argent va aux partenaires culturels des lycées
qui interviennent dans les classes sans passer par les établissements scolaires, en
vertu d’une convention de partenariat163. Ainsi, autour du projet d’un enseignement
artistique « cinéma et audiovisuel », une double validation est nécessaire : celle du
rectorat ou de l’Inspection académique qui va rémunérer les professeurs chargés
des enseignements en dégageant des heures dans la dotation horaire de
l’établissement, tandis que la Culture prend en charge, au moins en partie, la
rémunération des professionnels qui interviennent dans les classes.
163
Voir en annexe un exemple de convention partenariale.
- 93 -
Ce fonctionnement, fût-il étatique, revient donc aussi en partie aux régions par
l’intermédiaire des financements aux DRAC accordés par les conseils régionaux
ainsi qu’aux rectorats d’académie qui sont variablement impliqués dans
l’enseignement du cinéma. Le rapport 2006 du HCEAC souligne cette disparité :
« Les risques de disparités sont d’abord budgétaires. Dans le cas d’un
financement décentralisé – Direction régionale des affaires culturelles
(DRAC) et rectorat – et sur la base de propositions émanant des
établissements et des organismes suivant la logique de rentabilité et de
performance de la LOLF, certaines régions risquent de pâtir du manque de
projets. (…) S’agissant des disparités en matière de ressources culturelles, et
conformément à son rapport sur les Pôles Nationaux de Ressources (PNR)
remis au ministère de l’Éducation nationale en 2005, M. Charvet insiste sur le
soutien qu’il faut apporter à ces pôles. Le débat se situe ici entre la volonté
d’autonomie des IUFM et des régions, et la nécessité d’unifier l’action
d’éducation à l’échelle nationale. »164
Le montant des aides dépend aussi beaucoup des collectivités territoriales. À titre
d’exemple, la région Île-de-France a doté tous les établissements proposant un
enseignement artistique de spécialité « cinéma et audiovisuel » de cinq ordinateurs
Macintosh G5 en 2008, ce qui n’est pas le cas dans l’académie d’Amiens où le lycée
de Saint-Quentin par exemple, que j’ai pu visiter moi-même165, est loin de pouvoir
se prévaloir d’une telle dotation. Cette inégalité est soulignée par C. Juppé-Leblond,
alors Inspectrice générale chargée du cinéma et de l’audiovisuel dans le rapport
2006 du HCEAC :
« Mme Juppé-Leblond souhaite préciser que la notion de région est celle de
la collectivité territoriale régionale et qu’il y a un vrai risque de disparité en
fonction de la part du budget de la collectivité consacrée aux enseignements
artistiques. Le premier exemple de disparité existante est celui de
l’équipement des lycées pour l’action cinéma. En effet, les épreuves sont
identiques tandis que les moyens (caméras, banc de montage, etc.) pour
préparer l’épreuve dépendent uniquement des moyens des collectivités. »166
164
Rapport HCEAC, 2006, op. cit., p. 61.
Je me suis rendue dans cet établissement dans le cadre de mon travail de recherche le 18 février 2009 et
de nombreuses fois pour faire passer les épreuves professionnelles de synthèse des étudiants du BTS
audiovisuel.
166
Rapport HCEAC, 2006, op. cit., p. 264.
165
- 94 -
Comme nous l’avons vu, les DRAC subventionnent les enseignements de spécialité
à hauteur de 10 365 € pour les trois années de lycée. Ces 10 365 € servent à payer
les intervenants, à couvrir les frais liés aux projections : transport de la copie et
location de la salle, à participer aux frais annexes : l’organisation ou la participation
à un festival par exemple. Je m’appuierai ici sur l’exemple précis de l’association des
Cinémas Indépendants Parisiens167 qui touche 10 365 € de la DRAC d’Ile-de-France
pour le fonctionnement des enseignements de spécialité CAV dans chaque lycée
partenaire, argent qui sera redistribué durant les trois années scolaires à ces lycées.
Sur cette somme, seulement 1 500 € par an sont dévolus aux « frais de gestion » de
l’association et lui reviennent directement et pleinement au titre d’une subvention.
Cette somme est prévue pour couvrir les dépenses engagées par l’association afin
d’assurer le fonctionnement du partenariat, y compris le temps consacré par les
salariés de l’association dans ce cadre : établissement des fiches de paye pour les
intervenants, choix et recrutement des intervenants, contacts divers, la rédaction
des conventions partenariales et des comptes-rendus d’activité, prise en charge des
aspects comptables, gestion de la diffusion des copies et des projections dans les
salles. Si le budget de 10 365 € est dépassé, une participation financière des
rectorats, des établissements ou des élèves est possible.
La Délégation Académique à l’éducation artistique et à l’Action Culturelle (DAAC)
est le relais académique de l’action culturelle. Contrairement aux DRAC qui sont
rattachées au ministère de la Culture, elles sont rattachées au ministère de
167
Ces informations proviennent de l’entretien mené avec Béatrice, déléguée de l’association en charge des
partenariats pour les enseignements artistiques et options facultatives « cinéma et audiovisuel ». Les
cinémas indépendants parisiens jouent un rôle important dans les enseignements « cinéma et audiovisuel »
à Paris. L’association est partenaire du lycée Hector Berlioz (Vincennes) classes de Seconde, Première et
Terminale (option facultative d’Arts dans le domaine cinéma-audiovisuel/enseignement de spécialité
cinéma-audiovisuel), du lycée Jacques Prévert (Boulogne-Billancourt) classes de Seconde, Première et
Terminale (option facultative d’Arts dans le domaine cinéma-audiovisuel/enseignement de spécialité
cinéma-audiovisuel), du lycée Turgot (Paris 3e) classes de Seconde, Première et Terminale (enseignement
de spécialité cinéma-audiovisuel), du lycée Sophie Germain (Paris 4e) classes de Seconde, Première et
Terminale (option facultative d’Arts dans le domaine cinéma-audiovisuel), du lycée Rodin (Paris 13e)
classes de Seconde, Première et Terminale (option facultative d’Arts dans le domaine cinéma-audiovisuel)
et co-partenaire d’autres structures culturelles auprès des établissements suivants : lycée Saint-Sulpice
(Paris 6e), lycée La Source (Meudon).
- 95 -
l’Éducation nationale et sont présentes dans chaque académie du territoire
métropolitain et d’outre-mer. Elles pilotent les « correspondants culture » depuis
peu appelés « référents culture » qui, dans les établissements scolaires, prennent en
charge la relation avec les partenaires et les différentes institutions culturelles.
Chaque DAAC est théoriquement dotée d’un PREAC : Pôles de Ressources pour
l’Éducation Artistique et Culturelle168 – parfois appelés Pôles Régionaux de
Ressources (PNR) – qui peuvent se positionner sur divers domaines artistiques et
culturels (arts visuels, design, danse, musique, théâtre, patrimoines et architecture,
littérature, etc.). Deux pôles sont particulièrement actifs en ce qui concerne le
cinéma : les « PREAC » de Toulouse et de Lyon. Les artistes et professionnels de la
culture susceptibles d’intervenir dans le cadre des PREAC sont indemnisés par les
DRAC. Les DAAC assurent, finalement, un rôle similaire à celui des DRAC (c’està-dire un rôle de coordination décentralisée) et fonctionnent en partenariat avec
elles tout en restant, en termes de gestion et de financement, rattachées au
ministère de l’Éducation nationale169. Les ressources ne sont pas le seul enjeu de
cette question des disparités régionales. La réforme du lycée, en donnant plus
d’autonomie aux établissements, risque de renforcer également, du point de vue des
heures d’enseignements consacrées au cinéma et à l’audiovisuel, les différences
entre les académies et les établissements.
168
La mission des PREAC est définie dans le BO n° 16 du 19 avril 2007, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2007/16/MENE0700817C.htm : « Les PREAC ont pour vocation de
fournir des ressources et des outils pour le développement de l’éducation artistique et culturelle, dans
toutes ses dimensions et sur tous les domaines concernés. Ils accompagnent ce développement selon deux
axes principaux :
- la structuration, l’édition et la diffusion des ressources pédagogiques, documentaires ou didactiques ;
- l’organisation d’actions de formation répondant aux besoins exprimés par les différents partenaires. »
169
Les DAAC travaillent en liaison avec les inspections académiques, les corps d’inspection (IA-IPR et
IEN-ET) et le réseau du CRDP. Elles ont été créées pour assurer le lien entre les établissements, des
structures culturelles, les partenaires (collectivités territoriales, services déconcentrés de l’État, régions)
afin de faciliter l’accès des élèves aux champs culturels susceptibles d’être approchés à l’École, dont bien
sûr le cinéma. Elles aident en effet à concevoir et à mettre en œuvre les enseignements artistiques (théâtre,
cinéma, musique, danse) organisés en lycée en assurant la liaison avec les différents départements
ministériels partenaires de ces actions et en particulier le ministère de la Culture. Elles contribuent à la
formation continue des enseignants dans les différents champs artistiques et culturels, dans le cadre du
programme académique de formation et dans le cadre des pôles nationaux ressources. Elles sont animées
par un délégué académique à l’éducation artistique et à l’action culturelle, conseiller technique du recteur.
- 96 -
On voit donc les différents points d’intervention des structures institutionnelles
dans les enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel ». Force est de constater
que d’une manière ou d’une autre, l’État intervient beaucoup, confirmant la liaison
entre ces enseignements et la politique culturelle. Mais les questions financières ne
sont pas les seules conditions de possibilité de l’enseignement artistique. Enseigner
le cinéma suppose en effet de visionner des films en classes, d’illustrer un cours par
des extraits, des photogrammes, de s’arrêter sur une séquence, de laisser des élèves
manipuler le film, le fractionner, éventuellement le remonter, l’annoter, etc. Or, de
fait, ces activités entrent en conflit avec un droit très protégé en France qu’est le
droit d’auteur.
- 97 -
1.3.5 Les conditions légales et juridiques de
l’enseignement
du
cinéma
et
de
l’audiovisuel : les accords sectoriels avec la
PROCIREP 170
Depuis 1957 et la mobilisation de cinéastes – dont Marcel L’Herbier fut le porteparole – le réalisateur d’un film est reconnu comme un auteur. Un film est donc
soumis à la législation qui protège les droits d’auteur, garantissant à la foi, en vertu
du droit moral, le respect de l’œuvre et la protégeant aussi de toute exploitation et
reproduction commerciales sans l’accord de son auteur. On pourrait penser que le
système scolaire n’est justement pas un lieu d’exploitation commerciale et que la
protection du droit d’auteur n’y est donc pas nécessaire, or il n’en est rien. Jusqu’en
2006, les œuvres sont protégées et la diffusion d’un DVD « hors du cercle de
famille » interdite, ce qui, littéralement, signifiait qu’un professeur ne pouvait pas,
en classe, diffuser un film sans se mettre dans l’illégalité.
Le 22 mai 2001, une directive communautaire de l’Europe prévoit une « exception
des droits d’auteur à des fins pédagogiques et de recherche » qui visait à soustraire
les œuvres aux droits d’auteur lorsqu’ils font l’objet d’enseignement et de
recherche. Chaque pays de la Communauté européenne a transposé cette directive
en fonction des réalités nationales. Dans le cas de la France, cette transposition fut
170
La PROCIREP est la société civile des Producteurs de Cinéma et Télévision qui a en charge la défense
et la représentation des producteurs français dans le domaine des droits d’auteurs et des droits voisins.
Créée en 1967 par les producteurs cinématographiques, la PROCIREP est devenue à la suite de la loi Lang
de 1985 sur le droit d’auteur et les droits voisins une société civile de perception et de répartition de droits
(SPRD), aux fins d’assurer la gestion de la rémunération pour copie privée nouvellement instituée par
cette loi au profit des producteurs de vidéogrammes. Elle regroupe plus de 500 sociétés de production et
ayants droit français, l’ensemble des organisations professionnelles de producteurs cinématographiques et
audiovisuels, ainsi que les producteurs européens, à travers EUROCOPYA, fédération européenne de
sociétés collectives de producteurs gérant la copie privée en Europe, dont la PROCIREP est membre
fondateur. Présidée depuis 1992 par Alain Sussefeld, la PROCIREP est administrée par une Commission
exécutive composée de vingt-et-un membres producteurs, élus par l’Assemblée générale pour un mandat
de trois ans. C’est cet organisme qui est intervenu dans la mise en œuvre de cet accord légal pour
l’utilisation du cinéma dans le cadre d’un enseignement pédagogique.
- 98 -
tardive. Pourtant, pour l’État français, l’enjeu était surtout de légaliser les pratiques.
En effet, depuis la convention de Berne en 1992, aucune œuvre ne peut être utilisée
sans autorisation expresse de son auteur, or le système d’enseignement public
contrevient sans cesse à ce principe, de l’exercice de la récitation en maternelle au
visionnage des films dans le cadre d’un enseignement « cinéma et audiovisuel » dans
une classe de Terminale. Or l’État est bien conscient du fait qu’il doit se conformer
aux lois qu’il édicte et que l’Éducation nationale ne peut pas impunément s’y
soustraire.
Des discussions avec les sociétés d’auteurs et d’ayants droit débutèrent en 2006 et
se poursuivirent jusqu’en 2009. Le 1er août 2006, une loi relative aux droits voisins,
la loi L. 122.5 3e alinéa, 1er § du Code de la propriété intellectuelle, prévoit la libre
exploitation de la citation d’une oeuvre à des fins pédagogiques et de recherche171.
Mais, l’exception pédagogique n’en est pas une : il n’y a pas, dans les accords de
2006, de limitation du droit d’auteur puisque l’utilisation des œuvres fut le résultat
d’une autorisation négociée sur une base forfaitaire de compensations financières. Il
s’agit de ce que le droit appelle « une licence légale » dont les modalités sont
finalement relativement réduites. Le Code de la propriété intellectuelle n’autorise au
titre de l’article L. 122.5 2e et 3e alinéas, en vertu de cette licence légale, que :
Les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non
destinées à une utilisation collective.
Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique polémique,
pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont
incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la
source.
Cette loi n’a pas été voulue par le Gouvernement et dépasse les obligations de la
directive européenne. Cependant, elle n’est pas – comme cela avait été souhaité au
départ – le fruit d’une négociation collective entre les sociétés d’auteur et le
ministère visant à instaurer une exception au droit d’auteur dans le cadre précis de
171
Voir annexes.
- 99 -
la circulation d’informations nécessaires à la transmission pédagogique et à la
recherche, mais le résultat d’un accord collectif négociant financièrement une
autorisation d’utilisation de l’œuvre. En ce sens, la loi prévoit des accords collectifs
que la loi était censée éviter… D’après Idzard Van der Puyl, secrétaire général de la
PROCIREP que j’ai vu s’exprimer à ce propos172, dans la perspective des ayants
droit, il s’agissait surtout de trouver des solutions pour « rattraper » les pratiques
usuelles dans les classes que personne n’ignorait. La législation très protectrice des
droits d’auteurs étant une spécificité française, les ayants droit se méfient beaucoup
d’une utilisation « récréative » des œuvres et vivent l’exception pédagogique comme
un affaiblissement du droit d’auteur. Dans ce contexte, certains accords
conventionnels échouèrent, comme celui prévoyant une extension de l’exception
pour copie privée à une copie faite dans le cadre de travaux pédagogiques. Le
désaccord portait surtout finalement sur les contre-parties financières. Une
déclaration d’intentions communes entre la PROCIREP et le ministère de
l’Éducation nationale et celui de l’Enseignement supérieur a calmé les esprits en
réaffirmant la nécessité de respecter le droit d’auteur, permettant une remise en
route des négociations entre 2003 et 2006, ces négociations visant au départ à éviter
l’introduction d’une exception pédagogique tout en permettant des solutions
viables. Ce sont ces négociations qui aboutirent aux accords de 2006.
Ces accords sont sectoriels, les ayants droit estimant que le problème n’est pas le
même selon qu’on parle du livre ou de l’audiovisuel. Ces accords excluent par
ailleurs les bases de données déjà utilisables dans le cadre pédagogique. La
PROCIREP jugeait en effet que des bases de données dont les droits étaient déjà
négociés existaient depuis longtemps, c’est-à-dire :
- le fonds pédagogique du CNDP ;
- le catalogue de l’ADAV (Ateliers Diffusion Audiovisuelle), association
loi 1901 non subventionnée qui est une centrale d’achat réservée
172
Il participait à la table ronde n° 2 de la « Biennale des études en cinéma et audiovisuel » organisée par
l’INA les 1er et 2 octobre 2010 à la BNF : « L’Exception au droit d’auteur à des fins pédagogiques et de
recherche. La directive européenne de 2001 et sa transposition en France ».
- 100 -
exclusivement aux secteurs culturels et éducatifs non commerciaux ;
- le fonds du CNC « Images de la culture », proposant certaines œuvres
libérées des droits en contrepartie des investissements et des financements
du CNC.
Ces fonds permettent l’accès à des documents audiovisuels libérés des droits en
contrepartie d’une somme forfaitaire de 150 000 € par an pour tous les droits,
somme versée par le ministère de la l’Éducation nationale à la PROCIREP, sauf
pour le fonds du CNC dont les droits sont cédés en vertu d’une contrepartie. Ces
dispositifs n’ont pas été remis en cause par la loi.
En fin de compte, en 2006, il est donc possible d’utiliser des extraits, considérés
comme des citations, à des fins pédagogiques. L’utilisation et la diffusion d’une
œuvre intégrale ne sont autorisées que si le film est enregistré sur une chaîne
gratuite ou si elle appartient à un des fonds dont les droits ont été négociés. En
2009, le secteur « cinéma et audiovisuel » de la PROCIREP élargit l’accord de 2006
et prévoit :
- la suppression des limitations quant à la source des extraits diffusés : toutes
les sources acquises licitement sont autorisées ;
- l’autorisation de la mise en ligne d’œuvres audiovisuelles sur les réseaux
intranet ;
- la capacité d’archiver des extraits d’œuvres utilisées par des travaux d’élèves.
La contrepartie financière n’a pas été renégociée et reste la même dans le cadre de
ces accords élargis, qui tentent de prendre en compte les besoins nouveaux, les
technologies actuelles, dans la conscience du fait que les pratiques au sein des
établissements scolaires sont largement incontrôlables. À ce stade des accords, les
ayants droit que représente Idzard Van der Puyl ne comprennent donc pas
vraiment que les enseignants et les chercheurs veuillent aller plus loin. Certains
professeurs et chercheurs estiment pourtant que ces accords restent encore trop
restrictifs, excluant de fait certaines œuvres du champ de la recherche et de
l’enseignement, obligeant certains professeurs et certains chercheurs à se mettre en
- 101 -
marge de la loi dans le cadre de leur métier ou de leurs recherches. Des
négociations sont donc toujours en cours pour redéfinir les termes très complexes
de la loi L. 122 5e alinéa 3e §.
On voit que ces accords légaux sont complexes et reposent sur des compromis
toujours plus ou moins insatisfaisants pour chacune des parties. Pour autant,
Philippe Gauvin173, chef de la division juridique du CNDP, confiait que la
jurisprudence est inexistante dans le domaine de la pédagogie et que les us et
coutumes dans ce domaine reposent malgré tout sur un modus vivendi pacifiste entre
les parties. Pour autant, à chaque fois qu’une œuvre entre dans les programmes du
baccalauréat dans le cadre des enseignements « cinéma et audiovisuel », le CNC est
amené à renégocier des droits spécifiques.
1.3.6 Le rôle du CNC et des « Pôles »
Le CNC (crée en 1946) est la clé de voûte d’un système de soutien public au
cinéma et d’organisation de la profession. Assimilable à la fois à une administration
et à un syndicat de branche, il est investi de missions de natures diverses :
réglementation de la profession, gestion des aides financières, lieu de rencontres
des professionnels. Il est également responsable de la FEMIS et de la
Cinémathèque française. Chargé du maintien d’une identité culturelle qui passe par
la survie économique d’une industrie cinématographique nationale, le CNC est le
seul représentant des pouvoirs publics habilité à intervenir directement dans le
cinéma.
Dans les enseignements « cinéma et audiovisuel », il joue un rôle central, à plusieurs
titres. Tout d’abord dans la négociation des droits des films destinés à être diffusés
et étudiés en classe, mais aussi dans la publication de documents pédagogiques
173
Il participait aussi à la table ronde n° 2 de la « Biennale des études en cinéma et audiovisuel » organisée
par l’INA les 1er et 2 octobre 2010 à la BNF : « L’Exception au droit d’auteur à des fins pédagogiques et
de recherche. La directive européenne de 2001 et sa transposition en France ».
- 102 -
d’accompagnement. C’est également au CNC que se réunissent actuellement et
depuis plusieurs années les commissions de choix des films au programme du
baccalauréat. Le CNC met à disposition son fonds et une salle de projection pour
permettre un choix en fonction de la directive générale donnée par l’Inspection
générale. Pour l’année 2012, j’ai eu l’occasion de participer à cette commission174.
Cette commission, convoquée par le CNC sur proposition de l’Inspection générale
est traditionnellement constituée, comme j’ai pu le vérifier moi-même, de
représentants de l’Inspection générale, de représentants de partenaires culturels (en
l’occurrence la Cinémathèque française et les Cinémas Indépendants Parisiens) et
de professeurs, dont obligatoirement des membres de l’association « Les Ailes du
désir ». Des films sont projetés et des discussions suivent pour choisir le film qui
sera inscrit au programme du baccalauréat à la rentrée suivante, sachant que la
Commission a le plus souvent une année scolaire d’avance sur les programmes.
Une fois le film choisi, le CNC est chargé de négocier les droits avec les ayants
droit (les distributeurs des films le plus souvent), et ce sous forme d’une
convention que je cite ici. Dans cette convention, qui est toujours la même quel que
soit le film choisi, le montant des droits acquis par l’État via le CNC est fixé à
20 000 € T.T.C. soit 18 957, 35 € HT (TVA à 5,5 %).
« Par ailleurs, une somme forfaitaire de 10 000 € T.T.C. soit 8 361, 20 € HT
(TVA à 19,6 %) sera versée au contractant afin de lui permettre de financer
le transport, le stockage et la vérification des copies destinées aux
174
Cette commission pour le choix du film du baccalauréat pendant les années scolaires 2012-2015 était
constituée de : Jean-Claude Rullier, qui dirige le Pôle régional d’éducation artistique et de formation au
cinéma et à l’audiovisuel de la région Poitou-Charentes et est chargé de cours au département Arts du
spectacle de l’Université de Poitiers consacré aux cinématographies africaines ; Fabienne Bernard, chargée
de mission pour la Délégation au Développement et à l’Action Territoriale (DDAT) au ministère de la
Culture ; Nathalie Bourgeois, directrice du service pédagogique de la Cinémathèque française ; Judith
Ertel, professeure de Lettres et de Cinéma au lycée Paul Valéry ; Simon Gilardi, coordinateur régional du
Pôle régional d’éducation et de formation à l’image de la région centre « Centre Image » ; Hélène
Raymondaud, parfois remplacée par Pierre Fornitous, tous deux travaillant au CNC ; Isabelle Laboulbène,
coordinatrice des actions pédagogiques en Île-de-France pour les Cinémas Indépendants Parisiens ;
Geneviève Merlin, professeure de Lettres et de Cinéma au lycée de la vallée de Chevreuse à Gif-surYvette ; Axel Rabourdin, professeur référent option Cinéma Audiovisuel, Lycée Robert Doisneau de
Corbeil-Essonnes, ces deux derniers étant respectivement Président et membre du CA de l’association
« Les ailes du désir » ; Pierre-Olivier Toulzat, Maître de conférences à l’Université Paris VII et ancien
professeur de cinéma en lycée, Renaud Ferreira, professeur de Première supérieure en études
cinématographiques et lettres au lycée Jean-Pierre Vernant de Sèvres, chargé de mission auprès de
l’Inspecteur Général ; Patrick Laudet, Inspecteur général chargé du cinéma et de l’audiovisuel et moimême.
- 103 -
enseignements obligatoires des lycées. »175
On remarque que la convention est la même pour les films concernés par le
dispositif « lycéens au cinéma » comme l’indique le chapitre III de la convention :
« DISPOSITIONS COMMUNES À “LYCÉENS ET APPRENTIS AU
CINÉMA” ET AUX ENSEIGNEMENTS OBLIGATOIRES DES
LYCÉES. »
Le pouvoir étatique du CNC est relayé par les coordinateurs régionaux qui assurent
la coordination nationale de cette convention comme le stipule l’article 9 :
organisation des calendriers de circulation des copies dans leurs régions respectives,
prise en charge des frais de transport aller/retour des copies, respect de l’article 11
de la convention qui stipule qu’aucune des copies financées par le CNC dans ce
cadre ne peut être louée aux salles de cinéma sans l’autorisation expresse du CNC.
L’encadrement juridique et organisationnel qui prévaut pour les enseignements
« cinéma et audiovisuel » est donc très précis et commun au dispositif, beaucoup
plus massif, qu’est « lycéen au cinéma ». Ce regroupement se justifie par le fait que
les enseignements obligatoires représentent finalement un tout petit nombre de
lycéens et très peu de lycées, et que les démarches d’acquisitions de droits étant
communes, le même protocole prévaut pour les films inscrits dans les deux
dispositifs. Pour les sociétés d’ayant droit, l’affaire n’est pas mauvaise, car les copies
financées par le CNC leur reviennent au bout des trois années. En effet, la
convention stipule que :
« Lorsque les droits acquis par l’État viendront à échéance et que le film sera
retiré de la liste nationale de l’opération Lycéens et apprentis au cinéma, les
copies du film seront remises au contractant, sauf si la présente convention
était renouvelée, à l’exception d’une copie en bon état qui sera remise par le
contractant au Service des archives du film du CNC à des fins de
conservation. »
Les films choisis le sont majoritairement en dehors de leur période de rentabilité
commerciale, ce qui explique aussi que peu de films au programme soient
175
La convention qui m’a été fournie par Elise Veilliard en charge des enseignements artistiques « cinéma
et audiovisuel » au CNC et figure dans sa version intégrale en annexe.
- 104 -
postérieurs aux années 90 (exception faite de 2046 et de Le Vent nous emportera).
Quant aux salles visées par le dispositif, elles touchent l’intégralité du prix du billet
(2,50 €) sans avoir aucune démarche à faire puisque même l’acheminement des
copies est pris en charge par les coordinations régionales. C’est donc une opération
qui ne peut que leur être bénéfique, le seul coût qui reste à leur charge est le salaire
du projectionniste et la location de la copie pour la projection, celle-ci étant
proportionnelle aux recettes :
« Le taux de location des copies aux salles de cinéma est fixé à 30 % sans
minimum garanti. »
Le CNC leur autorise même des séances publiques qui élargissent les droits de
l’article 11 :
« Les copies financées par le CNC peuvent faire l’objet de projections
publiques dans la limite de trois par film et par salle participante. Pour ces
séances, le taux de location des copies est fixé à 30 % sans minimum garanti.
Le prix de vente des billets est celui habituellement pratiqué par les salles. »
La négociation des droits s’élargit aussi aux éléments destinés à alimenter les
documents pédagogiques. La convention avec le CNC prévoit des clauses
spécifiques concernant les documents pédagogiques. L’article 18 concerne les
« dispositions d’ordre pédagogique » et stipule que :
« Le contractant s’engage, dans la mesure du possible, à mettre à la
disposition des sociétés chargées par le CNC de la réalisation des documents
pédagogiques tout documents et matériels d’exploitation concernant le film :
dossier de presse, photos d’exploitation, affiches, scénario, liste des
dialogues, liste des sous-titres, etc. »
Lorsque le film au programme du baccalauréat est choisi, le diffuseur touche, on l’a
vu, environ 30 000 € par film venant du ministère de la Culture via le CNC, qui
prend en charge le tirage les copies pour répondre à la demande des classes. Il y a
235 classes à enseignement facultatif ou de spécialité CAV en France à l’heure
actuelle, ce qui est un chiffre proportionnellement très modeste et le film ne change
qu’une fois tous les trois ans, ce qui signifie que l’ayant droit est sollicité finalement
peu de fois pour la distribution du film dans les différentes salles partenaires de
- 105 -
France. Ces copies lui seront rendues après leur exploitation et il pourra continuer à
s’en servir librement. La plupart du temps, les copies des films choisis sont déjà
amorties au moment de l’inscription du film dans les programmes du baccalauréat,
le film ayant fini son « cycle d’exploitation » (diffusion en salle et édition DVD).
Cette donnée commerciale fait d’ailleurs partie des choses auxquelles la commission
de choix des films au programme du baccalauréat est attentive : elle choisit
prioritairement des films dont les droits ne sont pas trop élevés et qui ont fini leur
cycle commercial. Remarquons ici aussi que l’enseignement du cinéma est, en vertu
des politiques culturelles évoquées dans la première partie, une manière de soutenir
le réseau des salles « d’arts et d’essai » et les diffuseurs, ce dont témoignait déjà le
rapport Auclaire : l’enseignement du cinéma est aussi une aide aux diffuseurs et aux
exploitants.
Le CNC, dans sa politique de déconcentration, a confié aux DRAC, en partenariat
avec les régions, la mise en place de nouvelles actions structurantes : les pôles
régionaux d’éducation à l’image et de formation au cinéma et à l’audiovisuel176, aussi
appelés « pôles de ressources » ou « pôles régionaux ». Il existe en 2011 treize
« Pôles Régionaux d’éducation à l’image »177 qui publient régulièrement le bilan de
leurs activités dans une « Lettre des pôles ». Il est intéressant de constater que l’on
176
Ces structures ne doivent pas être confondues avec les PREAC : Pôles de Ressources pour l’Education
Artistique et Culturelle qui dépendent des DAAC – et donc du ministère de l’Éducation nationale – et
sont présents dans toutes les académies : voir p. 90.
177
Selon le site du CNC : « Le lancement des pôles régionaux en 1999 relève d’une politique de
renforcement des logiques de coordination et de mise en cohérence des actions de sensibilisation et
d’éducation artistique au cinéma et à l’audiovisuel en région. Ils s’articulent aux dispositifs existants de
sensibilisation, d’éducation et de formation au cinéma et à l’audiovisuel en temps scolaire à travers les
dispositifs « École et cinéma », « Collège au cinéma », « Lycéens et apprentis au cinéma » ainsi que les
enseignements obligatoires, et hors temps scolaires à travers des dispositifs tels que « Passeurs d’images »
organisés en partenariat avec d’autres ministères.
Si le cinéma et l’audiovisuel constituent le “ noyau dur ” de cette démarche, les pôles s’intéressent
également au multimédia, aux nouvelles images et développent des articulations avec la photographie, l’art
vidéo, les arts plastiques...
Généralement appuyés sur des structures culturelles, les pôles ont pour missions principales :
* d’animer le réseau des partenaires éducatifs, culturels et artistiques, à l’échelle régionale ;
* d’être un centre de ressources et de documentation régional ;
* de coordonner et développer la formation des professionnels, des médiateurs culturels, des animateurs
de quartiers, des formateurs… ».
Source : http://www.cnc.fr/web/fr/les-poles-regionaux, consulté le 5 octobre 2010.
- 106 -
retrouve dans ces lettres des pôles les mêmes paradigmes que ceux étudiés plus
haut. La charte de mission des pôles stipule en effet que :
« Dans le champ de l’éducation à l’image, le Centre National de la
Cinématographie, établissement sous tutelle de ministère de la Culture et de
la Communication en charge du cinéma, s’attache à la dimension artistique
des films et présente le cinéma comme un art.
Dans cette optique, les films sont proposés et traités avant tout comme des
œuvres, avec des intentions et des choix artistiques lisibles. »178
Le cinéma comme art, voilà toujours un présupposé clairement promulgué ici et sur
lequel nous aurons encore l’occasion de revenir. Par ailleurs, la circulaire qui fixe les
« missions des pôles » est éclairante. Elle stipule que les pôles régionaux d’éducation
artistique et de formation au cinéma et à l’audiovisuel doivent chercher à
multiplier :
«- la découverte des oeuvres (films du répertoire, œuvres contemporaines,
autres cinématographies peu diffusées) dans leur espace de diffusion (la salle
de cinéma)
- la rencontre avec les artistes et les professionnels de l’image
- la fréquentation de lieux spécifiques (lieux-ressources et lieux de mémoire)
- la diversité d’approches et de lectures des œuvres (approche historique et
sociologique des films, analyses filmiques des œuvres…) ;
- l’utilisation d’outils pédagogiques (livrets, cassettes VHS, CD-ROM, DVD,
Internet…).
Le cinéma et l’audiovisuel sont étroitement liés et constituent la base de cette
démarche. »
On retrouve ici le type de films encouragés dans l’enseignement du cinéma : les
films « du répertoire » – c’est-à-dire patrimoniaux – et les films « contemporains ».
Ceci confirme un certain penchant, que nous retrouverons dans les textes officiels,
pour la « néophilie », les cinématographies « peu diffusées » qui s’opposent aux
industries culturelles et à leur diffusion massive, la salle de cinéma comme « espace
de diffusion » privilégié du film, limitant la prise en compte des évolutions actuelles
des pratiques spectatorielles malgré la concession finale faite au « multimédia » et
178
Document accessible en ligne : www.cnc.fr/CNC.../charte_de_missionpolesregionaux_2007.pdf,
consulté le 17 février 2011.
- 107 -
aux « nouvelles images ». On observe par ailleurs que « les diverses approches » des
œuvres consistent surtout en leur « lecture » – ce qui prédispose à l’approche
textualiste – malgré l’affirmation d’une « approche historique et sociologique » dont
il faudra observer la mise en œuvre dans les outils pédagogiques diffusés.
La rédaction, l’édition et la diffusion de ces « documents pédagogiques » font partie
des tâches communes aux pôles régionaux du CNC et au SCEREN (ex CNDP).
1.3.7 Les
supports
pédagogiques
institutionnels : le SCEREN-CNDP et les
CRDP
La question des documents d’accompagnement pédagogique est cruciale pour
l’enseignement du cinéma. C’est au Centre National de Documentation
Pédagogique que revient la tâche d’éditer cette documentation à destination des
professeurs en charge des enseignements, même si c’est le CNC qui s’assure de la
cession des droits du côté des diffuseurs. Le CNDP179 est une émanation du
ministère de l’Éducation nationale qui a historiquement une activité d’édition et de
production de supports multimédia à vocation pédagogique, à destination des
professeurs de l’enseignement primaire et secondaire. Il se déplie dans un réseau
179
Historiquement, il est le résultat de la réunion, en 1954, du musée pédagogique (créé en 1879) avec la
bibliothèque, la phonothèque et la cinémathèque centrale de l’Éducation nationale ainsi que le service des
publications de l’Éducation nationale. Depuis cette époque, les Centres Régionaux de Documentation
Pédagogique (CRDP) et les Centres Départementaux (CDDP) sont des sections du CNDP. En 1956, le
CNDP prend le nom d’Institut Pédagogique National (IPN). Le 9 septembre 1970, deux décrets
transforment l’IPN en deux organismes : l’Office Français des Techniques Modernes d’Éducation
(OFRATEME) et l’Institut National de Recherche et de Documentation Pédagogique (INRDP). En 1976
(décrets du 3 août), l’OFRATEME reprend le nom de CNDP et l’INRDP se transforme en INRP.
Le statut de l’établissement est modifié par le décret no 92-56 du 17 janvier 1992 qui fait aussi des CRDP
des établissements indépendants. Le siège du CNDP est actuellement situé sur la technopôle du
Futuroscope, son directeur général depuis le 22 octobre 2005 est Patrick Dion.
Le CNDP oriente et coordonne l’activité de 31 centres régionaux (CRDP) et de 85 centres
départementaux (CDDP) avec lesquels il forme un réseau national : le Service Culture, Éditions,
Ressources pour l’Éducation Nationale (SCÉRÉN). Les établissements du SCÉRÉN ont une mission
commune : répondre aux besoins des usagers du système éducatif en proposant des éditions, de la
documentation, un accueil personnalisé partout en France, de la formation et de l’expertise en ingénierie
documentaire.
- 108 -
(CNDP, CRDP, CDDP) « dédié à l’édition pédagogique tous supports pour les
acteurs et les usagers du système éducatif »180. Il contribue au développement des
Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation (TICE)
ainsi qu’à l’éducation artistique et culturelle.
Le SCEREN-CNDP propose aussi des outils multimédias pour l’enseignement à
l’image et au cinéma en particulier, en lien avec les programmes scolaires. Dans le
cadre des accords de la PROCIREP permettant l’utilisation en classe d’œuvres
diffusées sur les chaînes non payantes, le site « Télédoc »181 proposait par exemple
des analyses de films en ligne, des découpages de séquences cinématographiques,
reposant, entre autres, sur des films qui ont été au programme du baccalauréat des
enseignements « cinéma et audiovisuel » et qui sont passés à la télévision182. Chaque
semaine, le SCÉRÉN-CNDP sélectionnait, avant qu’elles ne soient diffusées,
plusieurs émissions de télévision produisant autour d’elles un dossier pédagogique
imprimable et des fiches pédagogiques ou des chroniques dans les rubriques
d’éducation aux médiass.
La production et la diffusion de documents pédagogiques sont aussi le lieu d’un
débat, en particulier quant au choix des auteurs sollicités pour les rédiger. Au début
des années 80, R. Odin témoigne du fait qu’une commission de la DGESCO était
chargée de choisir les auteurs à partir de plusieurs propositions répondants à un
appel d’offres. À partir de 2003, les rédacteurs de documents pédagogiques sont
désignés surtout par les éditeurs privés – parmi eux, entre autres, les Cahiers du
cinéma à travers la collection « Les petits cahiers » – qui ont été sollicités pour cofinancer des publications à vocation pédagogique et qui désignent leurs auteurs sans
autre forme de concertation et sans l’aval d’aucune commission. Les éditeurs privés
s’étant retirés récemment de ces publications pédagogiques, j’y reviendrai, c’est
180
Site Internet du SCEREN-CNDP : http://www2.cndp.fr/accueil/accueil.htm.
http://www2.cndp.fr/tice/teledoc, le site n’est plus actualisé depuis 2010.
182
Le site stipule bien que « les programmes télévisés sélectionnés par Télédoc ne sont pas tous libres de
droits pour une utilisation en classe. Néanmoins, un accord conclu entre les sociétés de producteurs
audiovisuels et le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche rend
licite, depuis le 1er janvier 2007, l’usage en classe d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles diffusées
sur les chaînes hertziennes non payantes. »
181
- 109 -
l’Inspection générale qui désigne aujourd’hui les rédacteurs. Le président de
l’association « Les Ailes du désir », Axel Rabourdin, faisait état, dans l’entretien qu’il
m’a accordé183, de demandes répétées de l’association pour que les documents
pédagogiques soient plus diversifiés et les approches plus variées. Je reviendrai
précisément sur ces données lorsque j’analyserai les présupposés théoriques de ces
documents pédagogiques.
Il apparaît donc bien, à toutes les étapes, de manière nationale ou régionale, que
l’État investit des sommes importantes dans le cadre de l’enseignement du cinéma
et de l’audiovisuel. Le rapport Chiffert en 2003 faisait état, à titre indicatif car les
chiffres datent un peu, de 33 680 emplois à temps complet ou partiel dévolus aux
enseignements artistiques à l’échelle des collectivités territoriales et une dépense de
fonctionnement de 68 509 milliers d’€184. Ces dépenses s’ajoutant au traitement des
professeurs qui consacrent leurs heures à l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel, le coût moyen d’un lycéen qui choisit de suivre un enseignement
artistique est forcément un peu plus élevé que celui d’un élève qui suit les autres
disciplines académiques ne nécessitant pas de partenariat ni de négociations de
droits d’auteur. On peut ainsi se demander si en dehors de l’idéologie défendue que
nous avons tentée de cerner plus haut, les enjeux d’un tel investissement de l’État
ne seraient pas aussi à chercher dans l’économie.
183
184
Rencontre le 24 janvier 2011 au sujet de ma thèse.
Rapport Chiffert, « L’Éducation aux arts et à la Culture », op. cit., p. 54.
- 110 -
1.3.8 Les enjeux économiques et politiques
actuels d’un tel engagement de l’État
L’enseignement artistique trouverait-il un de ses présupposés dans l’économie ?
Dans La Reproduction, P. Bourdieu écrivait :
« L’habitus acquis à l’école est au principe du niveau de réception et du degré
d’assimilation des messages produits et diffusés par l’industrie culturelle et
plus généralement de tout message savant ou demi-savant. »185
Peut-être l’École est-elle la mieux placée pour assurer une efficacité qui permettrait
de légitimer l’argent dépensé dans le cadre des « politiques culturelles » menées
depuis des décennies ? Gageons que la volonté de mettre en œuvre à l’École des
enseignements artistiques a aussi un pendant économique : depuis les enquêtes
d’Olivier Donnat en 1974, l’État est toujours attentif à mesurer l’impact des
investissements culturels sur la fréquentation culturelle. Ces enquêtes montrent186
que les pratiques culturelles sont toujours aussi difficiles à infléchir, à modifier, à
mesurer. L’espoir est sans doute que l’École soit le lieu de construction d’une
possible homogénéisation des pratiques culturelles en ce qui concerne le cinéma.
On a vu que les salles « art et essai » s’inscrivant dans le partenariat des
enseignements CAV trouvent un intérêt économique au dispositif. Très
concrètement, dans la région Île-de-France, elles reçoivent en sus une
subvention sous la forme d’une somme forfaitaire de 200 à 300 € par
projection dans le cadre des enseignements « cinéma et audiovisuel », mais elles
peuvent aussi espérer de la fréquentation des lycéens dans le temps scolaire un
renouvellement ou une augmentation à plus long terme de leur public. On peut
donc se demander jusqu’à quel point l’éducation artistique ne cherche pas à
185
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 59.
186
L’enquête nationale sur les pratiques culturelles des Français, réalisée par le ministère de la Culture et de
la Communication, est effectuée environ tous les dix ans en France depuis les années 1970. Olivier
Donnat y est systématiquement associé.
- 111 -
développer une « demande » artistique destinée à équilibrer l’offre artistique.
Par ailleurs, la culture représente aussi un bassin d’emploi non négligeable. Cet
aspect est depuis longtemps un des arguments de la politique culturelle et du
subventionnement des institutions culturelles. Dans le cadre des enseignements
artistiques « cinéma et audiovisuel », les intervenants sont salariés, embauchés par
les partenaires culturels grâce aux subventionnements des DRAC. Les intervenants
sont la plupart de temps intermittents du spectacle et cette activité au sein de
l’Éducation nationale constitue un complément de salaire. À titre d’exemple,
l’intervenant le plus sollicité par l’association des Cinémas Indépendants Parisiens
dont j’ai déjà parlé, partenaire culturel de nombreux établissements scolaires de
Paris et de sa proche banlieue pour les dispositifs liés au cinéma, gagne 500 € nets
par mois, ce qui ne constitue pas a priori un salaire à part entière. Mais j’ai rencontré
aussi des intervenants dont l’activité dans le cadre des enseignements constituait un
travail à temps plein, comme au lycée Jeanne d’Arc à Rouen. La question des
enseignements artistiques comme pourvoyeurs d’emploi est donc relative et
variable, mais cet aspect ne peut être totalement écarté du débat, en particulier
peut-être en province, où l’embauche dans les secteurs de compétence liée à
l’audiovisuel est peut-être plus problématique qu’à Paris.
On peut rappeler par ailleurs que les dispositifs d’enseignement du cinéma ou
d’éducation au cinéma sont très respectueux des intérêts économiques des salles,
des diffuseurs, comme nous l’avons vu plus haut. Il n’est pas question de ne pas
faire bénéficier aussi les créateurs et producteurs des opportunités financières que
permet l’éducation du public.
- 112 -
1.3.9 Conclusion de la première partie
L’État investit beaucoup d’argent dans les enseignements artistiques, dont celui
dévolu au cinéma et à l’audiovisuel :
- pour des raisons historiques : une longue tradition de politiques culturelles en
France ;
- pour des raisons idéologiques qui dessinent les contours de grands paradigmes qui
permettent d’expliquer de nombreux discours et pratiques quant à l’enseignement
du cinéma et de l’audiovisuel ;
- pour des raisons politiques de légitimité d’un État qui s’efforce à des rapports
pacifiés avec les citoyens ;
- pour des raisons économiques, puisque l’espoir est que ces enseignements
artistiques aient aussi, in fine, des retombées sur la consommation culturelle.
Ces raisons sont intriquées, variablement conscientisées et avouées, mais qu’en
reste-t-il, à l’épreuve des faits, dans l’enseignement concret du cinéma et de
l’audiovisuel dans une classe de lycée ? Si l’on met en regard ces paradigmes avec la
sociologie, on constate qu’ils s’inscrivent partiellement dans la continuité de ce que
François Dubet et Danilo Martucelli, résumant les différentes approches de la
sociologie de l’éducation, appellent à la suite d’Émile Durkheim « la paideia
fonctionnaliste »187 :
« L’éducation est conçue comme l’accès à l’universel de la science et de la
raison, grâce à l’existence d’une culture rationnelle et objective, cumulative,
transmise sous la forme d’un éthos du progrès. (…) Dans ce sens, la paideia
fonctionnaliste hérite des Lumières, de la foi dans la réalisation et la
libération personnelles grâce au savoir, même quand cette libération est
187
Expression employée par E. Durkheim pour définir une vision humaniste de l’École reposant sur un
savoir objectif permettant à chacun de se réaliser, de s’élever moralement, de gagner son autonomie et
s’appuyant sur la base d’une culture universelle au sein d’une École socialement neutre et permettant la
mobilité sociale.
- 113 -
subordonnée aux besoins de l’intégration sociale. »188
Cette « paideia fonctionnaliste » est une survivance des théories de E. Durkheim
dans L’Évolution pédagogique en France ou de J. Dewey dans Démocratie et Éducation :
l’éducation peut permettre à l’élève de devenir un sujet autonome, apte à juger,
dont le sentiment d’appartenance à la société ne fait pas problème. Cette vision très
humaniste de l’École se heurte pourtant depuis plusieurs décennies à l’épreuve des
faits. Sur ce point d’achoppement, la sociologie est sans doute l’outil heuristique le
plus efficace pour interroger la manière dont ces paradigmes supportent la réalité
actuelle.
Les liens que l’art tisse avec la société relèvent d’une problématique complexe. Les
conséquences « citoyennes » de l’art sont-elles mesurables ? Par ailleurs, les
transformations subies par le système éducatif français pour absorber les
différentes vagues de massification de l’enseignement ont modifié la nature même
du processus de formation des individus. On peut alors légitimement se demander
si les activités de découvertes culturelles à l’École peuvent suffire à lutter contre les
inégalités sociales et forger un « esprit citoyen ». Pour F. Dubet et D. Martucelli :
« Le rôle de socialisation de l’école ne peut plus continuer à être identifié à
celui d’un appareil d’inculcation des valeurs communes, intériorisées par les
individus et modelant leurs personnalités. »189
Pour cette raison, j’ai utilisé la sociologie comme support théorique de mise en
question de certains paradigmes très présents dans l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel. Les voix qui se sont élevées pour mettre en question ces a priori
paradigmatiques et idéologiques émanent en effet le plus souvent d’une
constatation sociologique. Comme souvent, l’idéologie et les paradigmes qui se
développent « en haut » se heurtent au pragmatisme des constats de terrain, ancrés
dans le contact quotidien avec des classes, des élèves, des étudiants, dans le monde
de l’École considéré comme un microcosme social.
188
DUBET François et MARTUCELLI Danilo, À l’École. Sociologie de l’expérience scolaire, Paris : Seuil, 1996,
p. 304-305.
189
Ibid., p. 325.
- 114 -
2 - ENSEIGNER LE CINÉMA : UNE
PERSPECTIVE SOCIOLOGIQUE
- 115 -
Depuis P. Bourdieu et J.-C. Passeron, la sociologie du système d’enseignement a
montré que les savoirs véhiculés par l’École ne sont pas « neutres », mais procèdent
de choix. Les différents rapports étudiés ci-dessous (1.2) ont montré que le
politique et le culturel interféraient constamment en France. Il apparaît donc que le
choix d’un programme d’enseignement artistique a maille à partir avec un choix
politique, ici principalement justifié par le souci d’une transmission patrimoniale,
certains paradigmes et des données économiques. N’y a-t-il pas alors un risque de
divorce entre ces postures politiques des « hautes sphères » et les réalités
pragmatiques de terrain ? Cette question est une des bases de mon travail
méthodologique : tenter de décrypter les paradigmes à l’œuvre sans jamais perdre
de vue ce qu’il se passe vraiment au sein d’une classe, au cœur des pratiques
concrètes.
Je cherche à lier les constats théoriques aux témoignages des acteurs, sans niveler
leur subjectivité. Je n’ai pas de formation de sociologue et pas les moyens de mener
une véritable enquête sociologique à l’échelle de tout le territoire : mon approche
ne saurait donc se prétendre exhaustive. En outre, de trop nombreux paramètres190
interfèrent qui empêchent, dans le cadre d’une thèse en études cinématographiques,
de procéder selon une sociologie quantitative. Il n’est donc question ici que
d’expériences et de théorisations liées à de grandes tendances ou à des
prédispositions, dont les textes officiels sont à la fois un symptôme et une cause. Je
me suis appuyée sur les témoignages d’élèves et d’enseignants recueillis comme
autant de témoignages subjectifs, et l’on pourra sans doute toujours trouver un
contre-exemple à mes propos sans que mon propos soit pour autant invalidé. Il
apparaît que le système scolaire brasse un tel nombre d’acteurs dont chacun est à la
fois sociabilisé et singulier que toute approche qui se voudrait totalisante soit vaine,
et ce sans compter que ces acteurs sont déterminés, aussi, par des données qui
excèdent forcément le seul espace de la classe et se jouent en dehors d’elle. Face à
190
Un véritable travail de sociologie devrait effectivement intégrer aux données de terrain les effets des
politiques publiques, l’effet classe, les effets de la pédagogie et aussi l’effet enseignant. Autant de
paramètres qui à eux seuls justifieraient un travail de thèse !
- 116 -
la diversification des paramètres sociologiques qui marquent les quinze dernières
années, la prudence épistémologique est donc de mise au moment d’utiliser la
sociologie de l’éducation pour comprendre l’enseignement du cinéma en lycée.
P. Bourdieu et J.-C. Passeron ont fortement ébranlé la « paideia fonctionnaliste »
que j’ai évoquée plus haut. Ils ont démontré que l’intégration sociale n’était que
l’inculcation d’un « arbitraire culturel » défini par l’École comme la « désignation de
ce qui est transmis comme “digne d’être transmis” par opposition à tout ce qu’elle
ne transmet pas »191. F. Dubet et D. Martuccelli, sociologues spécialistes de l’École,
résument ainsi, quelques décennies plus tard, cette position :
« L’école engendre des habitus capables de produire des pratiques en accord
avec la culture légitime, reproduisant ainsi les conditions sociales de
production de cet arbitraire culturel. »192
Si l’on adapte ce propos à l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel, il semble
que la « culture » cinématographique promue par l’École soit en noncorrespondance essentielle avec l’ordre culturel de la majorité : c’est l’opposition
entre la cinéphilie « mainstream » de « tout un chacun » et la cinéphilie « légitime »
de l’Institution scolaire.
Je me suis appuyée essentiellement sur les textes officiels du Bulletin officiel de
l’Éducation nationale (BO) qui encadrent les programmes scolaires pour cerner et
définir une cinéphilie que je qualifie d’« académique » en cela qu’elle prévaut dans le
système d’enseignement. Il s’agit donc de voir, puisque les observations de terrains
et les documents officiels vont dans ce sens, comment l’enseignement du cinéma
véhiculé par le système éducatif vise à promouvoir une certaine culture
cinématographique, confortant ainsi une certaine conception du cinéma dont il
faut rechercher les origines et les fondements. Cette conception d’un cinéma
légitimé par l’École se manifeste surtout dans le choix des films qui sont présents
dans les textes officiels et/ou qui figurent dans la liste du programme pour le
191
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 37.
192
DUBET François et MARTUCELLI Danilo, À l’École. Sociologie de l’expérience scolaire, op .cit., p. 318.
- 117 -
baccalauréat. En dehors des films au programme dont l’étude est obligatoire, les
films véritablement montrés aux élèves varient selon les établissements et les
professeurs en charge de l’enseignement, et il est difficile d’en tirer des règles
générales. Des entretiens menés avec des professeurs ou des élèves me permettent
néanmoins quelques remarques qui n’ont d’autres prétentions que de servir
d’exemples illustrant une expérience empirique et de constituer le socle d’une
approche « Bottom up » sur laquelle construire quelques hypothèses plus
généralisantes.
Disons d’emblée que le terme même de « cinéma » est problématique. Il est en luimême difficile à circonscrire, d’autant plus de nos jours, où se développent des
écrans multiples et le transmédia. Quand le mot « cinéma » apparaît dans les textes
officiels, il est donc auréolé de nombreux sens et représentations implicites.
Théoriquement, on pourrait réunir sous cette appellation à la fois les films de
fiction, les films documentaires, les films pédagogiques, les films scientifiques, les
films pornographiques, les films de famille, les films d’entreprise, le spot
publicitaire, les vidéos d’artistes, les films d’animation… Le terme s’avère donc
inefficace à délimiter un champ d’études précis, laissant chacun construire ses
propres représentations derrière ce mot. Dans les textes qui régissent
l’enseignement du cinéma, à quelques exceptions près, le « cinéma » désigne
uniquement les films de fiction sortis en salle. Yann Darré remarquait
judicieusement :
« Puisque l’on a d’un côté, un objet qu’on ne peut circonscrire et de l’autre
une évidence : le monde sait de quoi l’on parle lorsque l’on dit “cinéma” sans
autre précision, nous nous proposons de prendre pour objet ce à quoi l’on
pense lorsque l’on dit “aimer le cinéma” et surtout lorsque l’on déclare
“vouloir faire du cinéma” : le cinéma de fiction réalisé aux fins d’exploitation
dans les salles de cinéma, auquel on peu ajouter les documentaires exploités
dans ce même circuit. »193
193
DARRÉ Yann, « Esquisse d’une sociologie du cinéma », Actes de la recherche en sciences sociales, « Cinéma et
intellectuels, la production de la légitimité artistique », n° 161-162, mars 2006, Paris : Seuil, 2006, p. 125.
- 118 -
La terminologie – y compris dans les textes officiels – révèle déjà combien le
« cinéma » est affaire de représentations et combien il est difficile de tenir sur lui un
propos scientifiquement valable dans toutes ses extensions194. Comme les
documents officiels ne prennent jamais véritablement la peine de circonscrire ce
terme autrement, ils entérinent finalement le présupposé implicite que Y. Darré
résume ainsi :
« Ce à quoi on pense lorsque l’on dit “aimer le cinéma” et surtout lorsque
l’on déclare “vouloir faire du cinéma” est commun à tous ».
Or le sens du mot « cinéma » est-il si « commun » que cela ? La mise en doute de la
« neutralité » des savoirs scolaires étant active depuis les années 70, on peut
finalement se demander : de quel « cinéma » parle-t-on dans les textes officiels de
l’Éducation nationale ?
À partir de ces remarques, je me suis trouvée dans l’obligation de convoquer
différents courants sociologiques. Le flou encourage l’approche empirique que je
sollicite parfois pour tenter de proposer des réponses concrètes aux problèmes
définitoires que pose l’enseignement du « cinéma », car en dehors de ces constats
empiriques toute généralisation abusive du propos prend le risque de s’avérer non
pertinente. À l’inverse, une approche sociologique de toutes les représentations du
cinéma que l’on pourrait rencontrer dans les classes de lycées en France et qui se
voudrait exhaustive court le même risque. Le modèle bourdieusien de la
reproduction peut servir d’outil heuristique pour comprendre certains aspects de
l’enseignement du cinéma dans le système d’enseignement, mais certains points
nécessitent, pour être compris, d’autres biais conceptuels. En effet, l’évolution du
système scolaire, essentiellement dû à la massification de l’enseignement ces vingt
dernières années, a amené de nombreux sociologues à relativiser la sociologie de la
reproduction pour lui substituer l’analyse d’une complexification des modes de
socialisation, en particulier chez ce public tout à fait particulier que sont les lycéens.
194
Je renvoie au travail de théorisation de Roger ODIN qui, avec une grande rigueur épistémologique,
tente de circonscrire une définition pertinente de ce qu’est le cinéma dans Cinéma et production de sens, Paris :
Arman Colin, 1990.
- 119 -
J’emprunte donc à la sociologie des pratiques culturelles certaines hypothèses car il
n’est pas seulement question du point de vue de l’Institution quant aux enjeux
politiques ou économiques de l’enseignement du cinéma, mais aussi du point de
vue des élèves quant à la réception du modèle de pratique culturelle proposé par
l’École.
Si l’on reprend la terminologie de P. Bourdieu et J.-C. Passeron, le choix des films
montrés à l’École peut relever de l’imposition d’un « arbitraire culturel » :
« Toute action pédagogique est objectivement une violence symbolique en
tant qu’imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel. »195
Il convient dans un premier temps de vérifier ce postulat et de s’interroger sur ses
origines. J’ai vu que d’un point de vue historique l’enseignement du cinéma émerge
à la fin des années 70 dans la tradition des « ciné-clubs » et donc sur les bases d’une
certaine cinéphilie (1.3). La thèse de F. Desbarats développe et étudie la mise en
place historique de ces enseignements et permet de comprendre les représentations
du cinéma « légitime » sur lesquelles leur implantation progressive dans les lycées
français s’est fondée. Mais cette thèse ne présente jamais cette construction
culturelle comme un arbitraire et désigne d’emblée ce qui est transmis comme
« digne d’être transmis », ce qui révèle bien une intériorisation totale de cet
arbitraire culturel comme culture légitime. J’ai vu aussi à quel point les textes
officiels et discours politiques reposaient sur des paradigmes très largement
répandus. Il s’agit donc maintenant de voir comment ces paradigmes se mettent en
œuvre concrètement dans le microcosme social spécifique qu’est le lycée.
195
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 19.
- 120 -
2.1
Voir des films à l’École : lesquels et pourquoi ?
2.1.1 Quel « arbitraire culturel » en matière
de cinéma ?
Poser la question de la cinéphilie transmise par l’institution scolaire, c’est se
demander tout d’abord quels films trouvent officiellement leur place dans le cursus
scolaire. Sans conteste, on serait étonné d’apprendre qu’OSS 117 est au programme
du baccalauréat, alors que passer une année à étudier un film d’A. Hitchcock paraît
tout à fait acceptable. Il s’agit d’essayer de comprendre comment, et surtout
pourquoi, un film, un cinéaste, apparaît dans le Bulletin officiel de l’Éducation nationale
comme source et support légitimes d’enseignements.
Regardons les réalisateurs dont les films sont « tombés » au programme du
baccalauréat de la série L, depuis 1986 : J. Renoir, F. Lang, O. Welles, J.-L. Godard,
I. Bergman, J. Tati, R. Rossellini, R. Flaherty, J. Demy, F. Fellini, L. Bunel, K.
Mizogushi, M. Pialat, A. Kiarostami, J. Vigo, C. Marker, A. Mann, F. W. Murnau,
Wong Kar Wai, A. Resnais, A. Hitchcock. On retrouve les mêmes noms dans
différents points du programme paru au Bulletin officiel de l’Éducation nationale en 2001
– ce programme est aujourd’hui encore celui qui encadre les programmes des
enseignements artistiques de spécialité en cinéma et audiovisuel en Terminale L,
jusqu’à la parution des nouveaux textes en 2011 qui font réapparaître les mêmes
noms. Citons un extrait du BO de 2001 qui stipule que devra être étudiée pour
l’enseignement de spécialité en Terminale L, « la place éminente du montage dans
l’oeuvre de quelques grands auteurs (K. Dreyer, J. Renoir, O. Welles, R. Bresson, A.
Hitchcock, R. Rossellini, A. Resnais, J-L. Godard, S. Kubrick...) »196.
196
BO Hors série n°4 du 30 août 2001, « Enseignements artistiques », Classe Terminale, « cinéma et
audiovisuel », édition du CNDP, collection « textes de référence – lycée (LEGT) Programmes », réédition
décembre
2006,
édition
précédente
juin
2002,
accessible
en
ligne :
http://www.cndp.fr/archivage/valid/81410/81410-13965-17670.pdf, p. 23 du pdf téléchargeable.
- 121 -
Premier constat : certains « grands auteurs » qui sont, ou ont été, au programme du
baccalauréat, sont également présents dans le texte officiel et apparaissent ainsi
incontournables : O. Welles, J. Renoir, A. Resnais, J-L. Godard, A. Hitchcock, R.
Rossellini. Suspendons un instant tout jugement de goût : il n’est pas question ici de
remettre en cause le talent de ces cinéastes ni la qualité de leurs films, mais
d’interroger ces évidences qui semblent aller sans dire : pourquoi eux ?
Mettons en rapport cette liste de noms avec une autre, celle des réalisateurs dont les
films constituent une « cinémathèque idéale » proposée dans un opus récent, édité
en 2008 par les Cahiers du Cinéma, intitulé 100 films pour une cinémathèque idéale197. On y
retrouve, parmi les quinze films les plus plébiscités : O. Welles, J. Renoir, A.
Hitchcock, J-L. Godard. A. Resnais n’est pas en reste puisqu’il arrive à la 18e place
du classement. Ce choix reste fidèle à ceux des Cahiers du cinéma depuis de
nombreuses années : en 1957, dans le nº 70, André Bazin disait déjà :
« Ainsi Hitchcock, Renoir, Rossellini, Fritz Lang, Howard Hawks ou
Nicholas Ray peuvent-ils, à travers les Cahiers, apparaître comme des auteurs
quasi infaillibles dont aucun film ne saurait être raté. »198
À l’exception de Wong Kar Wai, les réalisateurs au programme du baccalauréat se
retrouvent dans les 100 films de la cinémathèque idéale publiée 50 ans plus tard par la
revue199. Nous voilà au coeur de la question posée : les instructions officielles
encouragent la même cinéphilie que celle promue, depuis sa création, par la célèbre
revue française : les Cahiers du cinéma. Hasard ? Certainement pas : l’institution
scolaire
s’appuie
sur
des
instances
de
légitimation
qui
apparaissent
internationalement comme indiscutables, or les Cahiers du Cinéma – les théoriciens,
les réalisateurs et les critiques qui y ont officié depuis les années 50 – en font
indubitablement partie. Des rédacteurs de la revue ont d’ailleurs été sollicités pour
197
100 films pour une cinémathèque idéale, initiative de Claude-Jean Phillipe, Paris : Les Cahiers du cinéma,
2008.
198
BAZIN, André, Cahiers du cinéma, n °70, avril 1957, in La politique des auteurs, les textes, Paris : Les Cahiers
du Cinéma, coll. « Petite bibliothèque des cahiers du cinéma », 2001, p. 100.
199
On peut légitimement supposer que le fait que les Cahiers du cinéma financent cette publication indique
que le comité éditorial de la revue valide ce classement, même ci celui-ci s’appuie sur le vote de personnes
non affiliées à la revue, voir note 205.
- 122 -
l’écriture des programmes de lycée200. Nécessité ? Sans doute pas, mais les instances
de légitimation fonctionnent le plus souvent en termes de « partage » et de
« rejet »201.
En Hypokhâgne/Khâgne, le programme de l’option « études cinématographiques
et audiovisuelles » propose de travailler sur un corpus qui « intègre, en les
hiérarchisant, tous les types d’œuvres, de supports, de dispositifs dans les
domaines artistiques du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia. »202. Mais rien
n’est dit sur cette hiérarchisation, montrant encore une fois la force de l’implicite de
l’arbitraire culturel. Le programme est thématique : « Fritz Lang aux EU » ou « Le
comique cinématographique » « les exilés à Hollywood ». On rejoint sans conteste
la remarque de P. Bourdieu dans La Distinction :
« Subtilement hiérarchisées, les œuvres culturelles sont prédisposées à
marquer les étapes et les degrés du progrès initiatique qui définit l’entreprise
culturelle selon Valéry Larbaud et qui semblable au “progrès de chrétien vers
la Jérusalem céleste” mène “l’illettré” au “lettré” »203
Le programme de « cinéma et audiovisuel » est donc sans doute aussi affaire
d’arbitraire culturel, appuyé sur un enjeu de « distinction » au sens bourdieusien du
terme. La « légitimité culturelle » des films enseignés apparaît comme un critère non
négociable de leur présence dans les programmes scolaires.
200
C’est le cas d’Alain BERGALA dont j’ai déjà souligné l’importance du rôle qu’il a joué dans
l’installation des enseignements au lycée. Son nom apparaît dans le « groupe d’experts » chargé par Jack
Lang de la refonte des programmes des enseignements artistiques CAV en 2000 et il est désigné, dans ce
document,
comme
« réalisateur ».
Ce
document
est
téléchargeable
en
ligne :
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/.../29_11_dp_elabpro.pdf, p. 17 du pdf.
201
Le « partage » et le « rejet » font partie des principes d’exclusion dont parle Michel FOUCAULT dans
L’Ordre du discours, Paris : Édition Gallimard, coll. « NRF », 1971, p. 12.
202
Programme officiel de l’option « études cinématographiques et audiovisuelles » en CPGE, BO n° 26 du
26 juin 2003, accessible en ligne B.O. n° 26 du 27 juin 2002, consulté le 12 février 2009.
203
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 253.
- 123 -
2.1.2 Les instances de légitimation
Comment fonctionnent les instances qui font qu’un film est considéré comme
légitime dans le cadre scolaire ? Elles s’appuient avant tout sur le degré de
reconnaissance du cinéaste. Dans le cadre d’une recherche sociologique sur « le
champ du cinéma français au début des années 2000 », Julien Duval liste ainsi les
éléments qui permettent en France d’assurer la reconnaissance d’un cinéaste :
- sa présence dans les trois grands festivals internationaux (Venise, Berlin, Cannes) ;
- les indices de sa reconnaissance critique qui se construisent selon les critères
suivant : des projections à la Cinémathèque française, le soutien par Les Cahiers du
Cinéma : films ayant figuré dans la liste annuelle des « meilleurs films », le soutien
par Positif (projection dans le cadre des rétrospectives organisées par la revue) ;
- les prix et récompenses nationaux : le prix Delluc et les Césars. 204
Le BO cité ci-dessous révèle déjà que Les Cahiers du cinéma fonctionnent bien
comme une instance de légitimation puissante. La présence du Festival de Cannes
dans ces instances permet de mieux expliquer la présence d’un réalisateur comme
Wong Kar Wai dans l’extrait du BO étudié. S’il ne fait pas partie des cinéastes de la
« cinémathèque idéale » publiée par Les Cahiers, il est un invité régulier du Festival
de Cannes. Ainsi, il semble que certaines instances permettant la reconnaissance
d’un cinéaste comme « bon » par le public français prévalent aussi pour le choix des
films étudiables en classe. On peut donc supposer que ce sont les mêmes instances
de légitimation qui fonctionnent pour l’École et pour le « champ du cinéma
français au début des années 2000 ». Si les revues jouent un rôle d’instance de
légitimation dans l’enseignement du cinéma, la principale revue concernée par
l’enseignement du cinéma est de toute évidence Les Cahiers du cinéma. Au-delà du
204
DUVAL Jean, « L’Art du réalisme, le champ du cinéma français au début des années 2000 », in Actes de
la recherche en sciences sociales, « Cinéma et intellectuels, la production de la légitimité artistique », n° 161-162,
op. cit., p. 103.
- 124 -
modèle cinéphilique qu’ils diffusent, Les Cahiers du cinéma jouent également un rôle
dans la publication d’outils pédagogiques pour les enseignements « cinéma et
audiovisuel » et autres dispositifs d’enseignement du cinéma. La collection « Les
Petits cahiers » est en effet un organe de diffusion important dans la vie des
enseignements en cinéma et audiovisuel, j’y reviendrai.
La revue Positif a sans doute également son rôle à jouer dans la légitimité culturelle
de certains films. La revue s’est dotée depuis 2008 d’une « Collection Positif », sous
la forme de monographies dont certaines recoupent le programme des
enseignements de cinéma, comme le volume consacré à Wong Kar Wai sortie au
moment où 2046 était au programme du baccalauréat. C’est cependant le seul
numéro pour lequel on puisse faire ce rapprochement avec les enseignements de
lycée : rien de comparable donc avec les ouvrages extrêmement ciblés sur le
programme du baccalauréat publiés par Les Cahiers. Dans le volume L’amour du
cinéma, 50 ans de Positif, édité en 2002 pour les cinquante ans de Positif, l’avantpropos fait le bilan des cinéastes défendus par la revue au cours de son histoire.
Sont cités :
« Robert Aldrich, Bernardo Bertollucci, Richard Brooks, Alain Cavalier,
Claude Chabrol, Joen Cohen, Arnaud Despleschin, Michel Deville, Bruno
Dumont, Clint Eastwood, Blake Edwards, Atom Egoyan, Milos Forman,
Georges Franju, Elia Kazan, Emir Kusturica, David Lynch, Joseph L.
Mankiewicz, Dusan Makavejev, Chris Marker, Patricia Mazuy, Claude Miller,
Vincente Minnelli ; Kenji Mizoguchi, Ivan Passer, Arturo Ripstein, Dino
Risi, Glauber Rocha, Jerzy Skolimovski, Billy Wilder, Wong Kar Wai… »205
Si l’on retrouve là quelques noms de réalisateurs dont un film a été au programme
du baccalauréat (Wong Kar Wai, K. Mizoguchi et C. Marker), on est loin de
l’adéquation remarquée des programmes des enseignements avec le panthéon des
plus grands films de la « cinémathèque idéale » publiée par Les Cahiers206. Si les
205
L’amour du cinéma, 50 ans de la revue Positif, anthologie établie par Stéphane Goudet, Paris : Gallimard,
coll. « Folio », 2002, avant propos p. 9.
206
Notons que parmi les « votants » de cette cinémathèque idéale, les Cahiers du cinéma semblent autant
représentés que Positif. Vincent Amiel, Michel Ciment, Bernard Chardère, Jean-Antoine Gili, Noel Herpe,
Alain Masson, Philippe Rouyer, Christian Viviani : huit noms représentent Positif, tandis du côté des
- 125 -
réalisateurs contemporains présents dans les programmes sont plébiscités par les
deux revues, c’est sur le « cinéma patrimonial » que la sélection de Positif semble
moins en adéquation avec les œuvres choisies dans le cadre des enseignements,
sans doute aussi parce que cette sélection se veut moins consensuelle. Dans
l’ouvrage consacré aux cinquante ans de la revue, il est fait état de cette « hostilité
au classicisme » :
« Elle tentait de mettre en place un goût neuf, passionné, sincère : le plaisir
de lancer des jugements paradoxaux et excentrés, sans référence à une
tradition. (…) Les méthodes iconographiques de nos études sur le
mélodrame, la comédie italienne ou le film d’horreur nous excusent-elles de
sauver des films si nombreux que beaucoup doivent être médiocres ? Il faut
avouer que l’absence de critères canoniques joue ici son rôle. Point de
classicisme, encore une fois. Sur les mérites qui font un bon film, aucun
d’entre nous n’est d’accord avec les autres, ni sans doute avec lui-même. »207
Il convient alors de se demander si l’enseignement du cinéma a fait la part belle à
une vision finalement très « classique » – au sens de consensuel – de la cinéphilie, se
dotant d’un « panthéon » d’œuvres de références bénéficiant d’un haut degré de
légitimité culturelle, ce qui expliquerait que Positif ait pris une part moins importante
dans le fonctionnement des enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel » que
la revue rivale Les Cahiers du Cinéma, plus encline à des classifications qualitatives
définitives et indiscutables des œuvres.
Par ailleurs, l’hostilité de la revue Positif aux oeuvres de R. Rossellini et de J-L.
Godard des années 50 à 75 l’éloigne aussi, de fait, des programmes de Terminale
chroniqueurs ou auteurs aux Cahiers, neuf noms : Patrick Brion, Jean-Michel Frodon, Charlotte Garson,
Claude de Givray, Thierry Jousse, Jean-Marc Lalanne, Jean Narboni, Nicolas Saada, Charles Tesson.
On pourrait plutôt lister les personnes de cette liste ayant un rapport plus ou moins étroit (et/ou au moins
intellectuel) avec la Nouvelle vague et la génération des Jeunes Turcs (ou des « Mac- Mahoniens ») et ayant
écrit des ouvrages en rapport avec le « panthéon » désigné par la « cinémathèque idéale » (films et/ou
cinéastes), la liste est ainsi beaucoup plus longue : Jacques Siclier, Pierre Rissient, Claude-Jean Philippe,
Dominique Paini, Jean Narboni, Claude Miller, Jacques Lourcelles, Vincent Amiel, Jean-Louis Leutrat,
Claude de Givray, Jean-Antoine Gili, Charlotte Garson, Jean-Michel Frodon, Jean Collet, Michel Chion,
Jean-Claude Carrière, Patrick Brion, Freddy Buache, Henri Agel. Si on fait l’hypothèse que ces personnes
sollicitées font partie de celles qui comptent parmi les grands noms du cinéma en France, on constate une
certaine consanguinité : c’est majoritairement le même type de cinéphilie « à la française » qui se perpétue,
laissant peu de place aux approches alternatives, y compris d’un point de vue culturel, comme celle de
Ferid Boughedir, seul représentant dans la liste d’une cinéphilie étrangère.
207
L’amour du cinéma, 50 ans de la revue Positif, op. cit., article d’Alain Masson « une critique sans classicisme »,
p. 25 et 28.
- 126 -
qui font, nous le verrons ultérieurement, la part belle à ces deux cinéastes dans le
cadre de l’étude du montage. Moins portée sur la politique des auteurs, la revue
revendique le fait que cette approche auteuriste ait toujours été « complétée par une
attention portée aux collaborateurs de création, scénaristes, décorateurs, chefs
opérateurs, musiciens »208. Or cette approche n’est précisément pas celle plébiscitée
par les textes officiels qui sont aussi, nous le verrons, très auteuristes. De même
pour l’intérêt constant porté par Positif au cinéma d’animation, quasi absent des
programmes officiels et absent des programmes du baccalauréat.
Il semble donc qu’en termes d’apports et d’influences théoriques les Cahiers du
cinéma l’emportent :
« Les Cahiers du cinéma, au recrutement socialement élevé dès l’origine,
constituent à eux seuls une véritable « instance de légitimation » (au sens de
P. Bourdieu) (…) Les Cahiers du cinéma, leurs anciens collaborateurs, leurs
suiveurs constituent un groupe solidaire (privilège accordé aux cinéastes qui
en sont issus et sont les « gate keepers » les plus efficaces du cinéma ; leurs
choix et partis pris se retrouvent dans l’enseignement comme dans la
programmation des cinémathèques (importance des réhabilitations
distinctives ; hommage aux cinéastes de série Z, à Darry Cowl, etc.) »209
C’était déjà un constat qu’Antoine de Baecque faisait « de l’intérieur » en parlant du
« rôle d’instance de légitimation culturelle » de la revue au sein des élites
intellectuelles L’histoire de la cinéphilie proposée par A. de Baecque montre bien
comment Les Cahiers du cinéma ont contribué au plébiscite en France d’une certaine
cinéphilie ainsi qu’une certaine manière de voir les films, qui fait la part belle à la
réflexivité et au recul analytique :
« Cette réflexivité est la marque spécifique de la cinéphilie : toutes ses
pratiques visent à donner une profondeur à la vision du film. »210
On comprend que ce modèle prévale à l’École : la scolastique se constitue elle aussi
autour du culte rendu à la réflexion théorique par opposition aux constats
208
L’amour du cinéma, 50 ans de la revue Positif, op. cit., p. 18.
DARRÉ Yann, « Esquisse d’une sociologie du cinéma », in Actes de la recherche en sciences sociales, n° 161162, op. cit. p. 128.
210
DE BAECQUE Antoine, La cinéphilie. Invention d’un regard, histoire d’une culture, 1944-1968, Paris : Fayard,
rééd, 2003, p. 12.
209
- 127 -
pragmatiques ou empiriques qu’elle permet de subsumer. Cette cinéphilie comme
« invention
d’une
culture »211
influence
donc
logiquement
le
système
d’enseignement, parce qu’elle se construit selon une logique qui ressemble à celle de
la culture scolaire. Comme le disent Jean-Marc Leveratto et Laurent Jullier en
décrivant la cinéphilie des Cahiers, qu’ils qualifient, eux, de « moderne » :
« C’est une cinéphilie équipée par l’écriture sur le cinéma, une cinéphilie
résultant de l’entrelacement du plaisir pris au spectacle cinématographique et
de la culture esthétique transmise par les études secondaires »212
L’adjectif « moderne » que les auteurs utilisent pour qualifier cette forme de
cinéphilie renvoie à l’idée de « réflexivité » dont parle A. de Baecque. Cette
cinéphilie repose sur une distanciation, comme si une vision « en profondeur »
supposait de « se regarder regarder » et obligeait donc à sortir de l’histoire que nous
raconte le film, dans une perspective finalement brechtienne de la position
cinéphilique. L’ « écriture sur », les « études secondaires », autant de points de
concordance culturels entre la cinéphilie dont parle A. de Baecque et la « culture
scolaire », même si l’introduction de « cours de cinéma » dans le cadre scolaire a été
pourfendue par certains cinéphiles.
En outre, idéologiquement, rappelons que Les Cahiers du cinéma se positionnent à
partir des années 50 dans un refus presque politique de la critique de contenu213, en
méprisant le hors-texte au profit du texte filmique considéré comme clôt sur luimême. L’« auteur » est le garant de la qualité d’un cinéma qui se proclame « Art » à
part entière. Le film apparaît ainsi comme la trame précieuse d’intentions
auteuriales, un « texte » au sens littéral du terme, que la critique se doit de décrypter
211
DE BAECQUE Antoine, La cinéphilie. Invention d’un regard, histoire d’une culture, 1944-1968, op. cit., p. 18.
JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité
cinématographique, Paris : Armand Colin, 2010, p. 13.
213
Frédérique MATONTI explique cette revendication par le politique : le rapprochement des Cahiers avec
la Nouvelle Critique au début des années 70 radicalise le parti pris esthétique. Il cite Émile Breton qu’il a
interviewé : « [l’humanité] c’était le type de critique humaniste, de bons sentiments. Je pense aussi que,
pour une bonne part, le travail qui a pu être fait à la Nouvelle Critique, c’était peut-être en rapport avec
Les Cahiers, mais c’était aussi en réaction à ce qui se pratiquait dans le Parti et dont la figure visible était
l’humanité, [où il n’y avait aucune] prise en compte de ce qui travaillait dans le cinéma. [À la NC], on
voulait tellement dépasser cette vieille lune du Parti sur la forme et le contenu que pour nous, il n’y avait
de contenu que dans les formes. » Propos d’Émile Breton, entretien avec Frédérique MATONTI le 30
octobre 92, in « Une Nouvelle Critique cinématographique », Actes pour la recherche en sciences sociales, op. cit.,
p. 73.
212
- 128 -
pour le révéler aux spectateurs. Comme le signalent L. Jullier et J.-M. Leveratto :
« La cinéphilie “moderne” tend, de ce fait, à refuser le titre de cinéphile à
tous ceux qui se laissent prendre trop facilement par le plaisir esthétique que
procure le cinéma, comme le montrent les films auxquels ils s’attachent. »214
Le professeur est donc invité à mimer la posture du critique : il devient
l’herméneute d’une œuvre dont il s’agira de transmettre quelques clefs pour une
meilleure « possession » au sens presque fétichiste du terme. Il s’agit bien de
perpétuer via l’Institution elle-même, une certaine cinéphilie qui passe pour une
cinéphilie certaine. Je verrai ultérieurement combien les théories et les idéologies
véhiculées par la revue influencent la rédaction des programmes scolaires, pas
seulement en termes de choix de films, mais également en termes de paradigmes
sur ce qu’est le « cinéma ».
J’ai interrogé Pierre Baqué215, responsable de la rédaction des textes officiels
concernant l’enseignement du cinéma à partir de 1982, sur cette influence
potentielle des Cahiers dans l’introduction des études cinématographiques dans les
écoles. La question lui a semblé inadvenue : c’est lui qui pilotait les « groupes de
travail disciplinaires » chargés de la rédaction des programmes et sa « logique est
différente de celle des Cahiers ». Seulement voilà, comme l’a montré Frédéric
Gimello216, parmi les Maîtres de conférences et Professeurs en études
cinématographiques nommées en France de 1985 à 1999, dix-sept étaient ou
avaient été en rapport avec la revue, et quinze avec Positif. Parmi les dix membres
du groupe de travail chargé de la rédaction des programmes officiels en 2000,
figure… Alain Bergala, longtemps rédacteur aux Cahiers du cinéma. D’ailleurs, que
l’on puisse associer sa présence dans la rédaction des programmes scolaires à la
cinéphilie des Cahiers du cinéma semble gêner tout le monde. Le premier intéressé
d’abord, A. Bergala lui-même, qui se défend dans son livre L’Hypothèse cinéma, petit
214
JULLIER L., LEVERATTO J.-M., Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité cinématographique, op. cit.,
p. 14.
215
Entretien le 3 décembre 2010.
216
GIMELLO Frédéric, Enjeux et stratégies de la politique de soutien au cinéma français. Un exemple : La Nouvelle
Vague, économie, politique et symbole, thèse de doctorat en études cinématographiques, sous la direction de
Monsieur Guy CHAPOUILLIE, Université Toulouse II – Le Mirail, 2000.
- 129 -
traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs de cette étiquette « Cahiers » qu’on a
cherchée à lui apposer. Il assure « ne pas coller tout à fait la caricature du rédacteur
des Cahiers sectaire et coincé dans sa cinéphilie de chambre »217. Les documents
officiels concernant ce groupe de travail présentent d’ailleurs A. Bergala
exclusivement comme un « réalisateur »218. P. Baqué , quant à lui, m’a dit l’avoir fait
entrer dans le groupe de travail après avoir entendu une émission à la radio dans
laquelle il faisait état de son expérience de transmission du cinéma dans une classe
de primaire. Pour P. Baqué, A. Bergala est intervenu dans l’écriture des
programmes « très peu, mais avec toujours beaucoup de pertinence », il m’a assuré
que sa présence était sans rapport avec son activité aux Cahiers. Je ne peux pas
accuser ces différents acteurs essentiels de l’enseignement du cinéma à l’École
d’être de mauvaise foi, et je pense évidemment qu’ils sont sincères. Il n’en reste pas
moins qu’une influence se caractérise parfois par ce qu’elle peut avoir de non
conscientisé, une façon de flotter « dans l’air du temps » sans que les principaux
acteurs de sa propagation n’en aient même conscience. Ce type de « cinéphilie »,
que même les Anglo-saxons rattachent explicitement à la France, ne fonctionne pas
comme un complot, ni même comme un lobby, mais simplement comme un
discours commun – un paradigme encore une fois – d’autant plus répandu qu’il est
très largement ininterrogé donc considéré comme évident. Je partage sur ce point le
constat de L. Jullier et J.-M. Leveratto :
« Il ne s’agit pas, on l’aura compris, de proposer une énième “théorie du
complot” paranoïaque ; mais plus simplement de resituer la cinéphilie
moderne dans le cadre des échanges au sein d’un groupe particulier
d’acteurs-réseaux, aux frontières mouvantes, qui l’entretiennent
consciemment jour après jour en s’accordant sur les mêmes lieux communs
de la qualité cinématographique (…) Il s’agit simplement d’échanges orientés
par la conviction de l’effort d’être soi que partagent réalisateur, critiques,
enseignants et spectateurs. La réitération régulée de ce critère de qualité
partagé finit à cet égard par acquérir, à travers les dispositifs de jugement qui
217
BERGALA Alain, L’Hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, Paris : Cahiers
du cinéma, coll. « Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma », 2002, réédition 2006, p. 16.
218
Voir le document sur le lien déjà cité :
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/.../29_11_dp_elabpro.pdf
- 130 -
prolifèrent, une valeur performative, c’est-à-dire par faire exister à grande
échelle et pour de bon (…) une esthétique historiquement circonscrite, et
donc ni plus ni moins valide qu’une autre. »219
Je partage ce constat, même si je suis plus prudente quant au degré de
conscientisation que les auteurs supposent de ces « lieux communs ». En ce qui
concerne les professeurs ou les responsables institutionnels que j’ai pu rencontrer,
la plupart m’ont semblé tout à fait convaincus que la cinéphilie et le cinéma ne
pouvaient être autre chose que cela, les diktats de la cinéphilie appelée « moderne »
par J.-M. Leveratto et L. Jullier paraissant intériorisés comme une évidence. Cette
cinéphilie, une fois admise comme légitime par l’École pourra donc être qualifiée
de cinéphilie « académique ». C’est sans doute ici que les réflexions de P. Bourdieu
sur l’habitus me semblent les plus opérantes pour comprendre la place du cinéma et
la manière dont il est enseigné
2.1.3 Le
désir
de
la
transmission
patrimoniale comme culture légitime
L’enseignement artistique en cinéma et audiovisuel repose en partie sur la notion de
conservation du patrimoine, enjeu que j’ai relevé déjà dans les rapports du HCEAC
et qui apparaît comme un paradigme fort (1.2). Les programmes scolaires
confirment l’idée qu’il faut donner aux élèves les moyens de connaître les films du
patrimoine, c’est-à-dire la culture légitime avec tout ce qu’elle permet de distinction
et de légitimation. Le cinéma du patrimoine est donc bien représenté dans les textes
de cadrage officiels des enseignements artistiques ainsi que dans les programmes
qui définissent ainsi les objectifs :
« L’approfondissement de la culture cinématographique et audiovisuelle par
la rencontre avec des œuvres majeures du patrimoine et de la création
219
JULLIER L., LEVERATTO J.-M., Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité cinématographique, op. cit.
p. 144-145.
- 131 -
contemporaine »220
On retrouve bien la vision très ancienne du rôle de l’École que décrit E. Durkheim
ou J. Dewey, ancrée dans une vision humaniste de l’enseignement qui vise à la
transmission d’un sentiment d’appartenance sociale censé passer par la
connaissance d’un « patrimoine » commun que j’avais déjà relevée dans le
paradigme de l’art citoyen sur lequel reposait certaines remarques du HCEAC. Bien
que remise en cause par la sociologie de la reproduction, cette conception d’une
« mission citoyenne » de l’École apparaît encore active, comme en témoigne la
parole politique étudiée plus haut. Étant donnée la portée critique des œuvres de P.
Bourdieu dans les années 70, on peut d’ailleurs légitimement se demander jusqu’où
cette parole politique n’est pas elle-même consciente du degré d’ignorance des
réalités de terrain ou d’hypocrisie nécessaires pour continuer de défendre cette
posture de l’Institution scolaire pourtant sévèrement critiquée par toute une
génération de sociologues. De nombreux professeurs – et des Inspecteurs - m’ont
parlé de cette transmission patrimoniale. Dans cette perspective, certaines œuvres
sont plus légitimes que d’autres, ce qui revient effectivement à définir un « arbitraire
culturel » d’œuvres légitimes. Bien que le discours officiel souligne l’intérêt porté à
la « création contemporaine » dans l’enseignement du cinéma, il apparaît que la
temporalité de l’œuvre fait partie des arguments en faveur de sa légitimité.
L’ancienneté de l’œuvre devient un critère dont elle tire une légitimité221. Il me
semble que dans ces remarques se dessine le présupposé que J.-M. Leveratto définit
dans L’Introduction à l’anthropologie du spectacle :
« La “modernité” de l’oeuvre, qui ne sert pas à exprimer son apparition
récente, mais la parenté avec des consommateurs et des produits existants est
rejetée au bénéfice de l’œuvre “classique” qui justement est passée au-delà
des modes et est par ailleurs moins facilement consommable. »222
220
BO enseignements artistiques, classe de Terminale, version papier, op. cit, p. 21.
Un réalisateur qui intervient fréquemment dans les formations en audiovisuel proposées aux
enseignants dans le cadre du Plan Académique de Formation, en regardant les programmes de CAV m’a
fait remarquer ironiquement : « On a l’impression que la production cinématographique s’est arrêtée dans
les années 70 ».
222
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 166.
221
- 132 -
On rencontre parfois une certaine méfiance envers des formes audiovisuelles trop
contemporaines et envers les industries culturelles qui produisent des biens
« consommables ». L’ex-Inspectrice générale en charge du cinéma et de
l’audiovisuel, C. Juppé-Leblond, a employé le terme de films du « grand
patrimoine » pour désigner les films prioritairement étudiés et m’a parlé de la
réticence des différentes commissions de choix des films pour le baccalauréat ou
d’élaboration des programmes scolaires à choisir des films jugés « commerciaux »223.
Car la légitimité culturelle vient aussi d’une vision de l’art comme produit
échappant à la consommation, comme en témoignent les paradigmes relevés cidessus (1.2.). Le cinéma (actuel ou ancien) étant de toute façon reproductible, c’est
son inscription dans le temps qui assure son détachement face aux industries
culturelles et à la logique du marché qui prévaut pour les films contemporains et
que les représentations légitimes de l’œuvre condamnent. La légitimité culturelle se
nourrit donc aussi du paradigme de l’art comme résistance face au non-art.
En outre, il semble que plus l’objet enseigné est épistémologiquement flou, plus
l’arbitraire culturel est contraignant. Or j’ai déjà remarqué que dans l’expression
« cinéma et audiovisuel » telle qu’elle est utilisée dans les documents officiels, le
« cinéma » n’est jamais défini autrement que par la liste d’exemples d’œuvres sans
aucune véritable définition de l’« objet », de ses contours et de ses limites. Dans un
numéro de la revue Hors-Cadre consacrée à l’enseignement du cinéma, Michèle
Lagny et Marie-Claire Ropars-Wuilleumier parlent du cinéma comme d’un « objet
fuyant » et remarquent :
« Se soumettre aux données de l’objet ne suffit évidemment pas à constituer
une discipline, même si la constitution d’une discipline suppose toujours le
passage par un objet : celui-ci toutefois est à construire théoriquement
surtout lorsqu’il apparaît recevable empiriquement. »224
L’enfermement de la culture cinématographique scolaire dans un très petit nombre
de références culturellement admises me semble donc procéder de la fragilité
223
Entretien le 7 février 2009.
LAGNY Michèle, ROPARS-WUILLEUMIER Marie-Claire, « L’Impromptu de Grenelle ou le savoircinéma », in Hors-Cadre n° 5, « L’école cinéma », p. 63.
224
- 133 -
épistémologique de l’objet lui-même. Cette fragilité contraint les professeurs et
l’institution à circonscrire un petit bastion d’œuvres contre des œuvres jugées
moins légitimes, tout en en étant sans cesse conscients du danger que pourrait
courir ce système de référence constitué « empiriquement » comme le souligne M.
Lagny et M.-C. Ropars-Wuilleumier et sans réflexion théorique - donc
arbitrairement. Le cinéma restant un art « populaire », le capital culturel que l’École
a pour vocation de reproduire est d’autant plus contraignant qu’il doit exclure tout
un tas d’autres références jugées « illégitimes ». Cette dimension populaire du
cinéma constitue d’ailleurs un sérieux handicap à l’imposition de l’arbitraire culturel.
Noëlle Ardouin, dans sa thèse qu’elle consacre à « l’école du cinéma » résume ainsi
la position institutionnelle :
« Tout dans l’image n’est pas bon (en soi, pour eux), sauvons donc le
meilleur : le cinéma. Le pas suivant s’effectue de lui-même : “tout le cinéma
n’est pas digne d’intérêt, préservons le meilleur : les classiques”. (…) La
Culture s’entend alors dans son sens d’exhumation archéologique et de
préservation du patrimoine. »225
Les programmes des enseignements de « cinéma et audiovisuel » tendent vers
l’élaboration d’une culture commune et communément admise dite « patrimoniale »
qui sera le principal outil de la reproduction culturelle au sens où l’entendent P.
Bourdieu et J.-C. Passeron. Ces programmes d’enseignements sont conformes aux
paradigmes de l’art « patrimonial » promeut par les discours officiels et sont aussi
un indice de la place du ministère de la Culture dans les enseignements artistiques.
Les instances de légitimation dans l’enseignement du cinéma permettent de
constituer une « sélection de chefs-d’œuvre » à transmettre. Si l’on reprend dans
cette optique les textes du Bulletin officiel déjà cités ci-dessus, on observe la
promulgation officielle d’un « cinéma » adoubé culturellement parlant par quelques
instances de légitimation qui font office de sacerdoce. Des noms d’auteurs et de
225
ARDOUIN Noëlle, L’École du cinéma, enseignement du cinéma et l’expérience pédagogique, thèse de Doctorat
sous la direction de Madame Marie-Claire ROPARS WUILLEUMIER, Université ParisVIII, 1987, p. 166.
- 134 -
grandes œuvres proposés par le BO sont présentés sous forme de « listes », et il faut
remarquer que ce goût pour la liste, qui relève d’un « usage sociologique du nom de
l’artiste comme indicateur de goût »226, est lié à certaines pratiques cinéphiliques que
J. Aumont résume ainsi :
« L’idée de septième Art est datée. (…) Elle reposait sur une confiance sans
faille en une liste – et une hiérarchie – des arts, qui permette de les classer, de
les repérer sans erreur, de les nommer. »227
A. Bergala écrit précisément dans le préambule de l’anthologie de films pour
enfants Allons z’enfants au cinéma un « éloge de la liste »228, confirmant que la
« tradition » cinéphilique est bien devenue une tradition académique. La
reconnaissance de cette sélection, qu’elle soit implicite ou non, présuppose
l’existence d’un « étalon du goût ». Ainsi, derrière ces pratiques et ce présupposé, il
s’agit en fait d’une « rationalisation de la consommation culturelle qui la ramène à
des listes d’objets, sans prendre en compte les expériences esthétiques dont ces
objets sont l’occasion »229. Cette « rationalisation » occasionne elle-même une
« neutralisation de notre propre sensibilité qui conduit à accepter poliment et sans
faire cas de sa propre expérience, l’évaluation personnelle de l’autre, revient à
esquiver la discussion artistique »230. On touche ici à des paradigmes plus larges qui
seront principalement développés dans la troisième partie : l’auteurisme et la
fascination pour le « génie » de l’artiste. Autant de paradigmes qui permettent
d’expliquer à la fois les pratiques pédagogiques et les recommandations des textes
officiels231. Bornons-nous pour l’instant à constater que la « liste de films à voir » de
même que la « liste des auteurs à étudier » est autant finalement un présupposé
sociologique qu’un présupposé esthétique, autant un mode de représentation de
l’art qu’un désir de « distinction » culturelle au sens où l’entend P. Bourdieu.
226
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, Paris : La Dispute, 2006, p. 134.
AUMONT Jacques (dir) , « Le septième art », in Le Septième art, le cinéma parmi les arts, conférences du
Collège d’Histoire de l’Art 2001-2002, Paris : Léo Scheer, 2003, p. 7.
228
BERGALA Alain, « Eloge de la liste », in Allons z’enfants au cinéma ! – une petite anthologie de films pour un
jeune public, Paris : CNC/Les enfants de cinéma, 2003, p. 2.
229
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 134.
230
Ibid., p. 145.
231
Des professeurs distribuent communément des « biographies » des cinéastes avant d’aborder l’étude de
leurs films en classe.
227
- 135 -
Remarquons aussi que le fonctionnement général de l’École va dans ce sens :
« L’enseignement est, par tradition, archéologique, exhume davantage qu’il
ne crée, revient sur les vieux théorèmes, sur les classifications anciennes, sur
les textes hérités du passé. »232
Et la voie de transmission la plus forte des œuvres légitimes dans l’enseignement
artistique « cinéma et audiovisuel » passe par l’examen national qu’est le
baccalauréat.
2.1.4 Le choix des films au programme du
baccalauréat
L’arbitraire culturel et le fort désir de légitimité que je viens de commenter se
manifeste particulièrement dans le choix des films au programme du baccalauréat
depuis la « montée » des enseignements artistiques de spécialité en Terminale en
1988. Ces films, comme nous l’avons vu, sont choisis en commission.
Historiquement, c’était la COSEAC qui faisait ce choix. Aujourd’hui, c’est bien
toujours une commission qui choisit les films. Elle réunit universitaires,
représentants des ministères de l’Éducation nationale et de la Recherche,
professeurs des options, représentants de l’association « Les Ailes du désir233 ».
Peut-on dire que les films choisis par cette commission pour le baccalauréat
correspondent à l’esprit « Cahiers du cinéma » conformément au souci de
légitimité évoqué ci-dessus ? F. Desbarats s’était posé la question dans sa thèse en
2001. Pour lui, l’influence de Jean Douchet ou d’A. Bergala, auteurs connus des
Cahiers, sur les enseignements artistiques de cinéma et audiovisuel n’est pas
discutable234. Pour autant, selon F. Desbarats, ces personnalités n’influençaient pas
directement la COSEAC pour le choix des films pour le baccalauréat, même s’il
232
ARDOUIN Noëlle, L’école du cinéma, enseignement du cinéma et l’expérience pédagogique, op. cit., p. 216.
Voir supra pour la constitution de la commission à laquelle j’ai participé.
234
Je reviendrai plus tard sur l’influence de J. Douchet et A. Bergala en analysant les documents
pédagogiques à destination des professeurs qu’ils ont produits.
233
- 136 -
admet que « la commission est sensible aux cinéastes dont Les Cahiers du cinéma ont
fait leur fer de lance »235. Encore une fois, les raisons de l’influence des Cahiers
seraient à envisager non comme un « lobbying » direct mais comme une influence
culturelle diffuse, répandue comme référence dans le corps enseignant, dont les
traces sont visibles par exemple dans le choix du titre Le Cahier des Ailes du désir
pour l’organe de publication de l’association représentant les professeurs en charge
des enseignements « cinéma et audiovisuel ». On a bien vu que les films choisis
pour le baccalauréat étaient souvent ceux de la « cinémathèque idéale » qui n’est
d’ailleurs pas seulement validée par les Cahiers, mais aussi par Positif. F. Desbarats
témoigne pourtant du fait que certains films et documents pédagogiques proposés
par les Cahiers à la COSEAC dans les années 90 ont été refusés236. Il n’y a donc pas
une « mise sous influence » expresse du choix des films par Les Cahiers du cinéma,
mais plutôt, là aussi, un faisceau de représentations qui semble valider l’approche
cinématographique proposée par les Cahiers comme une évidence qui va sans dire.
J’ai pu assister personnellement au choix du dernier film du baccalauréat To be or not
to be237 pour les années scolaires 2012-2015. Il ne m’a pas semblé que ce choix était
téléguidé par une quelconque influence idéologique identifiable. Il était le fruit d’un
désir de choisir un film légitime culturellement, bien sûr. Mais ce film permettait
aussi un accord entre l’Inspection générale – qui avait décidé que le film devait être
une comédie – et le CNC qui pouvait assurer la négociation des droits, ce qui
n’était pas évident pour tous les films possibles dans le champ de la comédie. J’ai
pu constater que les discussions tournaient surtout autour de la formulation de
jugements de goûts cinématographiques. Les questions de pédagogie : ce que l’on
cherche à transmettre, quels savoirs, comment et pourquoi, étaient plus
secondairement évoquées. La didactique semblait passer après la cinéphilie. F.
Desbarats évoque également l’idée d’un compromis entre des films jugés
235
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 567.
236
Ibid., p. 554.
237
Les réunions de la commission se sont déroulées dans les locaux du CNC les 10 et 24 janvier 2011 et le
07 mars 2011.
- 137 -
« difficiles » pour les élèves (il cite Bresson ou les films muets) et des références
plus récentes (Wong Kar Wai) jugées plus accessibles238 et donc plus « plaisantes ».
Pourtant, cette idée de la « difficulté » du film ne m’est pas apparue comme un
critère de choix pour la commission à laquelle je participais, même si je constate,
comme F. Desbarats, que la liste des films au programme du baccalauréat depuis
1989239 se situe « dans un registre intermédiaire » entre exigence et accessibilité, tous
bénéficiant d’une légitimité culturelle forte.
Les films choisis pour le baccalauréat doivent en outre appartenir à une des
« cases » dans lesquels doivent s’inscrire les trois films au programme : film français,
film européen ou film d’une « autre cinématographie ». L’un des trois doit en outre
implicitement
pouvoir
être
défini
comme
un
« film
de
patrimoine ».
Historiquement, de 1989 à 1999, la COSEAC avait fait alterner un film français
avec deux films étrangers afin qu’il y ait toujours un film français au programme.
Les choix peuvent donc être conditionnés par les deux œuvres inscrites au
programme les années précédentes. Sur la comédie par exemple, le film ne pouvait
pas être un « film français » puisque la « place » avait été déjà prise l’année
précédente par É. Rohmer et Les Contes d’été. Même si la présence de ses trois
catégories est fluctuante et que certaines années les trois films ne les remplissent
pas240, cet élément est pris en compte dans le choix des films et dirige très
concrètement les films proposés au choix de la commission. Les films choisis pour
le baccalauréat sont donc surtout l’objet d’un consensus, soumis à un éventail de
critères dont la légitimité culturelle fait partie, mais comme un implicite préalable
jamais rediscuté. D’ailleurs, la partie « programme audiovisuel » a été abandonnée
depuis 2003, signalant bien qu’en termes de légitimité culturelle le long-métrage de
fiction, qualifié de « cinéma », est prioritaire par rapport à « l’audiovisuel »241. Dès
238
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 94.
239
Voir annexes.
240
C’est le cas par exemple en 2008-2009 où il n’y avait aucun film européen au programme, mais aussi en
2006-2007 où il n’y avait aucun film français au programme.
241
Le programme limitatif s’est doté d’un programme audiovisuel seulement entre 1997 et 2003 : en 19971999 : le thème reconduit pendant deux ans était « Le reportage et le documentaire » ; en 1999-2000 le
- 138 -
2000, dans cet item du programme limitatif qu’est le « programme audiovisuel »,
figurent des « courts-métrages »242 qui sont finalement aussi des films de fiction
dont seule la durée – et non la forme – diffère des films de fiction traditionnels et
semble justifier l’intégration dans un « programme audiovisuel ». On peut se
demander alors ce que le terme « audiovisuel » recouvre dans les programmes
officiels.
2.1.5 Hésitations terminologiques : cinéma
vs audiovisuel
Le cinéma comme « art » n’est pas qu’un outil de distinction : j’ai vu plus haut que
le paradigme de l’art comme résistance face au non-art le faisait souvent entrer en
opposition avec « l’audiovisuel » dont la légitimité culturelle semble bien plus
problématique. Je commencerai par citer un petit opus édité par le CRDP de Lyon
en 1995, à propos des ciné-clubs :
« Le visionnement de cassettes, quelle que soit la qualité des œuvres est
fortement déconseillé. Outre son caractère illégal, il détruit la force plastique
du film. Les adolescents d’aujourd’hui, grands consommateurs, mais aussi
grands contempteurs de programmes télévisés, ne s’y laissent pas
prendre. »243
Cette remarque permet de comprendre à quel point le « drame » du cinéma est
d’être un médium « impur ». « Impur » parce qu’il mêle l’industriel et l’artistique,
l’art et le spectacle de masse, mais aussi parce que ses modes de diffusions sont
variables. Si la prise de position anti-vidéo est un enjeu cinéphilique en 1995, que
dire des modes actuels de réception spectatorielle, allant de la salle très grand écran
d’un multiplexe au film téléchargé regardé sur un iPhone® ? Toujours est-il que
thème fut « Le spot de publicité à la télévision » ; entre 2000 et 2003, un programme de court-métrage fut
reconduit et constituait le troisième élément du programme limitatif qui, pendant ces trois années, se passa
de « films européens ».
242
Ulysse d’Agnès Varda, La Repasseuse d’Alain Cavalier, Foutaises de Jean-Pierre Jeunet, Au bord du lac de
Patrick Bokanovski, Quest de Tyron Montgomery, La Chaussure de Pavel Lounguine, Surveiller les tortues
d’Inès Rabadan et Salam de Souad el Bouati.
243
CITTERIO Raymond, Du cinéma à l’école, op. cit., p. 26.
- 139 -
l’accusation de dégradation que subirait l’image vidéo par rapport au support
pelliculaire peut se comprendre ici comme le mode d’expression métaphorique de
la dégradation artistique que provoque la réception du film selon un autre modèle
que celui de la salle de projection. Aujourd’hui, ce modèle a pourtant fait long feu.
Il y aurait bien des choses à commenter dans ce texte : la pétition de principe
concernant le jugement de goût des élèves quant à l’image télévisuelle, l’illégalité de
la pratique de la vidéo qui pourrait permettre aux ciné-clubs d’échapper aux
obligations d’acquittement des droits d’auteur et de diffusion publique du film. Je
reviendrai surtout sur la dichotomie essentielle que le propos manifeste :
l’opposition entre ce qui est considéré comme du « film » et ce qui n’en est pas.
Cette opposition prend, dans les textes officiels dévolus à l’enseignement du
cinéma, la forme d’un syntagme récurrent dans lequel se nichent des
représentations intéressantes à déplier : le syntagme « cinéma et audiovisuel ».
Selon Geneviève Jacquinot, cette « forme stabilisée de l’expression » apparaît
dès 1986 et est « un drôle de syntagme qui relie deux termes, par conjonction
interposée, dont le champ de pertinence n’est pas identique »244. On trouve cette
expression presque lexicalisée dans tous les textes officiels : il est question
d’enseigner la « culture cinématographique et audiovisuelle », la « fonction du
cinéma et de l’audiovisuel dans l’histoire des arts », la « découverte d’œuvres
cinématographiques et audiovisuelles contemporaines », tandis que les épreuves du
baccalauréat tendent à évaluer in fine que l’élève « a pris conscience de ce
qu’implique le recours au langage des images et des sons ». F. Desbarats montre
dans sa thèse que cette « association » du cinéma et de l’audiovisuel est présente dès
la lettre de mission rédigée par P. Baqué , qui fonde l’enseignement en lycée. Sont
utilisées tour à tour les expressions « option cinéma & audiovisuel », « option
cinéma-audiovisuel » « option cinéma/audiovisuel » et « option de cinéma ». En
tout état cause, F. Desbarats constate que le « cinéma » précède toujours
244
JACQUINOT Geneviève, « L’École au-delà de l’écran », Hors-cadre n° 5, « L’École cinéma », printemps
1987, p. 125.
- 140 -
l’audiovisuel. Il est pertinent de reprendre ici la taxinomie qu’il propose des « trois
domaines de références » qui lui semblent agir implicitement sur cette association
des termes, dans le cadre d’une « antinomie » entre l’audiovisuel et le cinéma :
« - les sons (versus les images) ;
- la télévision (versus le cinéma-institution) ;
- le non-art (versus l’art). »245
Il commente ainsi cette répartition :
« À chaque fois, le cinéma et l’audiovisuel sont placés à l’un des pôles d’une
opposition binaire où l’audiovisuel est successivement associé au son, à la
télévision et au non-art. C’est beaucoup de significations contrastées pour
cette seule notion, d’autant que l’indice de valeur qui est affecté à chacune
d’elles est différent : il est fortement positif pour le son, incertain pour la
télévision et purement négatif pour le non-art. »246
Je ne le suivrai pas sur son approche qui vise à montrer que la défense du son
relève d’un « substrat marxisant » des « avant-gardes des arts et de la critique » « à
partir des années 60 »247. Je le suivrai plutôt dans le constat que le cinéma est un
support audio-visuel et que le terme « audiovisuel » permet parfois de mettre
l’accent sur cette double prise en compte du son et de l’image en la rendant plus
explicite. Pour autant, en tant que vecteur de sons et d’images, le terme
« audiovisuel » apparaît bien majoritairement comme une « euphémisation »248 du
mot « télévision ». La taxinomie est intéressante en cela qu’elle résume bien les
oppositions paradigmatiques qui sont à l’œuvre dans l’association de ces deux
termes finalement – et paradoxalement – souvent plus ou moins pensés comme
étant à la fois redondants et en opposition. Le deuxième domaine d’opposition
proposé par F. Desbarats renvoie au fait que le cinéma et la télévision
n’appartiennent pas à la même sphère de production. F. Desbarats y voit aussi une
influence de la sémiologie et de la linguistique qui « induit un abord plus
sociologique qu’esthétique de l’audiovisuel. Dès lors, elles s’arrangent pour éviter
245
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 119.
246
Ibid., p. 127.
247
Ibid., p. 121.
248
Ibid., p. 123.
- 141 -
de mettre le cinéma en avant, et privilégient “audiovisuel”, “image”, “écrans” »249.
La formule permettrait alors de suggérer, sans le dire pour ne pas provoquer de
discordes, que la télévision fait partie des objets étudiables dans le cadre de cet
enseignement « cinéma et audiovisuel » seulement si on l’envisage d’un point de vue
sémiologique. Avec la télévision, se glissent implicitement les technologies
nouvelles qui peuvent produire des images et des sons en dehors du « cinéma » et
que les programmes officiels encouragent effectivement à étudier :
« Les nouvelles façons d’écrire et de tourner avec les outils numériques
("petites caméras" d’ARTE), les formes hybrides du nouveau cinéma
européen, entre réel et fiction (K. Loach, R. Guédiguian, L. Cantet, J.-L. et P.
Dardenne, B. Dumont), entre cinéma et multimédia (J.-L. Godard, C.
Marker...). »250
Troisième domaine de référence : l’opposition entre art et non-art, paradigme que
j’ai également relevé plus haut dans les discours politiques (1.2.). Les enseignements
« cinéma et audiovisuel » sont englobés dans les « enseignements artistiques ».
Pourtant, si la notion d’« art cinématographique » est admise, celle « d’art
audiovisuel » l’est sans doute moins, l’ordre des mots trouvant ici son importance :
le cinéma précède l’audiovisuel en cela qu’il est plus haut placé que lui dans l’échelle
de la légitimité culturelle qui relève du domaine des arts. L’opposition art/non art
est aussi ce qui justifie les prises de positions assez définitives de certains pionniers
de ces enseignements comme la farouche opposition de A. Bergala à
l’enseignement de la « télévision » et sa défense d’une « séparation radicale de
l’approche du cinéma comme art (…) et de l’approche critique de la télévision dans
ce qu’elle a de spécifique »251. Ainsi, quand la télévision est étudiée, c’est pour
permettre aux élèves de se dégager d’une attitude consumériste prétendument
favorisée par l’industrie des mass-médias. Certains enseignants tentent de se
« sauver » de l’audiovisuel par le cinéma, en ayant des prétentions artistiques
249
Ibid., p. 123.
BO, « Enseignements artistiques cinéma et audiovisuel, classe de Terminale », op. cit.
251
BERGALA Alain, L’Hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 53.
250
- 142 -
affichées lors de tournages de fiction en revendiquant l’utilisation par les étudiants
de caméras 16 mm, en faisant appel à des professionnels du cinéma – et surtout pas
de la télévision – pour encadrer les tournages.
De l’autre côté de l’échiquier paradigmatique, G. Jacquinot a toujours milité pour
une intégration franche de la télévision à l’école252. Pour autant, les travaux des
élèves dans le cadre du volet « pratique » des enseignements sont désignés, dans les
programmes actuels, par le terme « réalisation » ou par l’expression « production
audiovisuelle ». L’adjectif « audiovisuelle » relève ici d’une formulation « de
modestie », permettant d’éviter de parler « d’œuvres » ou de « création ». On sent
bien le flottement dans la polysémie du terme et surtout l’épaisseur des implicites –
éventuellement variables – dont il est porteur.
On mesure également ces implicites quand on compare l’expression « cinéma et
audiovisuel » avec l’appellation « BTS audiovisuel », formation de techniciens
supérieurs clairement orientée vers les métiers de la télévision. Dans cette
formation, l’« enseignement du cinéma » n’est pas un enjeu premier et le mot
« cinéma » est même parfois un terme dont on se méfie. Le BTS désigné comme
« BTS audiovisuel » vise à une formation professionnalisante dans les techniques
de l’image et du son. La matière assurant la réflexion historique et esthétique sur le
cinéma et l’audiovisuel à proprement parler s’intitule « Domaine Littéraire et
Artistique » (DLA). Le référentiel de cette matière préconise l’étude critique de
toutes les formes d’expression artistique afin de « mettre en évidence les techniques
d’expression et d’écriture spécifiques aux différents genres et en particulier celles de
l’audiovisuel : cinéma (fiction et documentaire), télévision (journaux, magazine,
jeux, téléfilms, documentaires, émissions de plateau, reportage, sitcoms, publicités,
habillages sonores et visuels), art vidéo… »253. Le « cinéma » est donc présent parmi
une énumération d’autres formes audiovisuelles, seulement à titre d’exemple.
252
253
JACQUINOT Geneviève, « L’École au-delà de l’écran », op. cit., p. 127.
Référentiel DLA du BTS audiovisuel : voir en annexe.
- 143 -
L’ « audiovisuel » ne revêt alors aucune connotation péjorative : il désigne un
assemblage d’images animées et de sons, et le « cinéma », d’ailleurs guère mieux
défini que dans les programmes de lycée, correspond à cette définition, comme
d’autres productions d’images et de sons, sans hiérarchisation en termes de
légitimité culturelle. Cette utilisation littérale du terme « audiovisuel » est sans doute
le meilleur moyen d’ailleurs de couper court au débat entre « cinéma » et
« télévision ».
Notons avec F. Desbarats que ces hésitations terminologiques excluent cependant
clairement la notion de « communication » « qui envisagerait l’image comme un pur
véhicule de message ». C’est l’« éducation aux médiass » qui prend en charge cet
aspect des choses, et l’on a vu précédemment (1.2.3) qu’elle a bien du mal à
s’imposer dans les enseignements scolaires. Parallèlement, la réforme des lycées
prévoit désormais en Seconde la possibilité pour l’élève de choisir des « modules »
d’exploration qui tendent à éviter l’appellation « cinéma et audiovisuel ». Ces
modules sont intitulés « arts visuels » ou « arts du son ». Ils évitent soigneusement le
clivage « cinéma et audiovisuel », ce qui est sans doute la conséquence d’une
meilleure prise en compte par l’École d’une évolution dans la hiérarchisation, en
termes de légitimité culturelle, des modes d’expression audiovisuels (artistiques ou
pas) qui pullulent dans la société actuelle – j’y reviendrai.
S’il est question de la légitimité des œuvres, il est question aussi de la légitimité de
celui qui les enseigne. La légitimité du professeur de cinéma est un problème
institutionnel, mais aussi un problème psychologique si l’on considère que l’École
repose sur un rapport interactionnel qui rejoint, même implicitement, ce que P.
Bourdieu et J.-C. Passeron dans La Reproduction appellent un « rapport de force
symbolique »254. Même si les rapports professeurs/élèves ont évolué depuis les
254
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 47.
- 144 -
constats de la sociologie de la reproduction dans les années 70, il reste quand même
que le système « classe » suppose un rapport entre un professeur et des élèves. Ce
rapport se définit globalement par un positionnement dominant du professeur face
au savoir. C’est ce que j’appellerai la « guerre de positions » qui me semble être une
reformulation possible de la « violence symbolique ».
Ce qui m’intéresse ici c’est que le modèle bourdieusien de la légitimité professorale
dans le cadre du système éducatif, semble, pour l’exemple particulier de
l’enseignement du cinéma, révéler ses limites. P. Bourdieu et J.-C. Passeron
affirmaient dans La Reproduction :
« Du fait que toute action pédagogique en exercice dispose par définition
d’une autorité pédagogique, les émetteurs pédagogiques sont d’emblée
désignés comme dignes de transmettre ce qu’ils transmettent, donc autorisés
à en imposer la réception et à en contrôler l’inculcation par des sanctions
socialement approuvées ou garanties. »255
En effet, F. Desbarats décrit ainsi les premiers enseignants des options :
« Il y a Rouen, où J.-C. Guezennec poursuit sans rupture son travail, puisque
c’est celui auquel l’activité des options ressemble le plus, Montpellier (plus
exactement Lunel) où se rajoute tout ce qui concerne la réalisation ; Sarlat
dont l’initiateur, Jack Colas, a quinze ans d’expérience à l’ICAV ; Digne et
Toulouse qui se placent dans une lignée « Cahiers du cinéma » ; Lyon, où
Noëlle Ardouin donne une orientation sémiologique ; Nancy, où Dominique
Coujard se passionne pour la réalisation. À partir de cette diversité,
lentement, et partiellement, une culture pédagogique cherchera à se
constituer. »256
C’est sans doute à partir de ce constat que mon travail se démarque le plus de celui
de F. Desbarats. Là où lui développe son « itinéraire personnel » à travers un
« roman institutionnel » dont il est lui-même acteur, j’ai cherché, avec une posture
plus en retrait – je n’ai jamais enseigné le cinéma et l’audiovisuel en lycée – ce qui
constitue les présupposés et les enjeux de cette « culture pédagogique ». J’ai cherché
en effet à envisager cette « culture pédagogique » commune – mais l’est-elle ? – aux
« enseignants de cinéma », d’un point de vue théorique, sans en faire, comme F.
255
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 35.
256
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 399.
- 145 -
Desbarats un « récit orienté selon les contextes où je me suis trouvé placé »257, mais
en l’envisageant au contraire comme un sujet de recherche à part entière, à aborder
le plus objectivement et le plus scientifiquement possible.
2.2
Qui enseigne le cinéma ?
2.2.1 Une
situation
institutionnelle
ambiguë : le « professeur de cinéma »
L’absence de concours de recrutement dans la discipline « cinéma » pose dans le
cadre de l’imposition d’une légitimité culturelle un réel problème. Ce refus
d’instituer un concours a des causes bien identifiables. R. Odin, qui a participé avec
P. Baqué à la mise en place de l’enseignement du cinéma dans les lycées, s’est
expliqué sur cette décision dont il a été l’un des principaux défenseurs. Pour lui, il
fallait absolument que le cinéma reste un objet interdisciplinaire, il devait donc
pouvoir être enseigné par des professeurs de toutes disciplines. La raison était aussi
institutionnelle et pragmatique : l’installation dans le paysage des disciplines
instituées d’une nouvelle « matière » et d’un nouveau concours de recrutement
aurait occasionné une « levée de boucliers » susceptible de mettre en péril la
possibilité même d’un enseignement du cinéma. Tous les responsables
institutionnels que j’ai pu rencontrer ont fait état de ces résistances « territoriales »
très fortes des disciplines, chacune défendant son « pré carré » et ses privilèges et
voyant toujours d’un mauvais œil l’arrivée d’une nouveauté qui pourrait lui « faire
de l’ombre ». Pas d’agrégation ni de CAPES de cinéma donc, mais le souhait d’un
enseignement pluridisciplinaire, en appuie sur des approches diverses.
On peut se demander quelles sont les conséquences culturelles ou sociologiques de
257
Ibid., p. 402.
- 146 -
cette décision et faire l’hypothèse que c’est la légitimité même du cinéma en tant
qu’enseignement artistique au sein du système éducatif qui a finalement été touchée
par ce choix. S’il ne fait plus grand doute aujourd’hui que le cinéma a sa place parmi
les enseignements artistiques, l’absence d’une évaluation institutionnelle par
concours d’une compétence professorale en « cinéma » au lycée peut être
interprétée comme une mise en question de sa légitimité en tant que « matière »
enseignable. Si l’on peut comprendre les arguments qui ont empêché la mise en
place d’un CAPES ou d’une agrégation de « cinéma et audiovisuel » évoqués cidessus, les inquiétudes actuelles sur le maintien de cet enseignement de façon
autonome, la difficulté qu’ont les inspecteurs à évaluer les professeurs dans ce
domaine, trouvent sans doute ici une explication. On mesure ainsi la différence
entre le cinéma et la Musique, la Littérature et les Arts plastiques qui occasionnent
un véritable concours de recrutement pour l’enseignement secondaire : leur place
dans les enseignements scolaires n’a finalement jamais été mise en péril.
La question du concours rejoint très précisément la question de l’autonomie du
« cinéma » en tant que matière enseignée. Puisqu’aucun professeur ne peut se
prévaloir d’une formation spécifique en cinéma et audiovisuel, il est toujours « prof
d’autre chose » avant d’être « prof de cinéma ». Or cette matière d’origine est un
aspect non négligeable de l’enseignement du cinéma. Le rattachement statutaire
d’un professeur à sa matière d’origine est lourd de conséquences en termes de
pratiques pédagogiques, de représentations, de modalité de service, de formation et
même d’évolution de carrière et d’évaluation par l’Inspection. Il faut donc se
demander qui sont les professeurs institutionnellement en charge de la discipline et
d’où vient leur légitimité en la matière. Les chiffres de l’Inspection générale révèlent
que ce sont majoritairement des professeurs de Lettres258 qui se sont emparés de
258
Christine Juppé-Leblond m’a fait parvenir en 2009 un « état des lieux de la discipline » qu’elle avait
rédigé en 2008. Ce texte n’a jamais été diffusé officiellement. Elle y écrit : « Les disciplines représentées
sont extrêmement nombreuses. Les Lettres modernes dominent nettement (30% environ) Il est
intéressant de les citer en ordre (à peu près) décroissant : lettres (class et mod), histoire/geo, arts
plastiques, philo, langues (anglais, espagnol, allemand, russe), svt -bio, maths, physique, arts appliqués, eps,
- 147 -
l’objet, même si l’on peut aussi rencontrer des professeurs d’Économie-Gestion,
d’Histoire
ou
d’Arts
plastiques…
Les
textes
officiels
encouragent
l’interdisciplinarité et la prise en charge de l’enseignement du cinéma par différentes
matières, mais il s’avère que ce partage n’est finalement pas si courant. Une
Inspectrice interrogée dans le cadre de la thèse résume cette question à une rivalité
entre deux matières principalement : les Lettres et les Arts plastiques, chacune
revendiquant une compétence préférentielle pour enseigner le cinéma. J’ai
rencontré cette même position dans des entretiens que j’ai pu mener, et certains
professeurs d’Arts plastiques que j’ai interrogés à ce sujet259 se sont clairement
exprimés en la matière, affirmant qu’ils se sentaient plus légitimes que les
professeurs de Lettres pour enseigner le cinéma.
Dans les concours de recrutement disciplinaire, le cinéma apparaît dans des
épreuves obligatoires ou facultatives de certains CAPES ou agrégations. Je m’en
tiendrai ici à sa présence dans les deux disciplines majoritaires citées ci-dessus : les
Lettres et les Arts plastiques. En 1993, une note du BO de janvier définit l’épreuve
de cinéma à l’agrégation interne de Lettres classiques. Cette entrée du cinéma dans
les concours de recrutement est comparativement tardive, puisque le CAPES
d’Arts plastiques et certaines CAPES de langues prévoient une épreuve de cinéma
depuis le début des années 70260. Parmi les professeurs qui enseignent le cinéma, j’ai
déjà dit que les Lettres étaient majoritairement représentées, alors même que les
professeurs d’Arts plastiques pourraient depuis longtemps justifier d’une formation
plus précise, lors de leur recrutement, en cinéma, ce qui rejoint les paradoxes
institutionnels déjà évoqués que pose l’enseignement du cinéma.
Précisons que cette entrée du cinéma dans les épreuves d’admission des concours
de recrutement de Lettres ne concerne que les agrégations dans le cadre des
concours internes, c’est-à-dire ceux qui sont accessibles aux candidats pouvant
musique, eco-gestion, genie mécanique, documentalistes ». Document personnel.
259
Léa et Bertrand, entretien du 10 avril 2009 et du 5 juillet 2009.
260
Depuis 1973 pour les Arts plastiques, le cinéma est proposé comme « option possible » pour l’épreuve
orale d’admission sur dossier et comme possibilité de document à commenter pour l’épreuve écrite
d’admissibilité. Pour le CAPES d’Espagnol, la présence du cinéma se justifie surtout pour l’évaluation de
compétence de compréhension auditive.
- 148 -
justifier d’une expérience dans la fonction publique pendant au moins cinq ans et
d’un diplôme de niveau bac + 4. Les concours externes étant ceux qui pilotent les
apprentissages dans le cadre des IUFM une modification de leurs épreuves aurait,
par conséquent, eu une influence obligatoire sur les enseignements de préparation
en IUFM ce qui aurait certainement engagé une réflexion pédagogique plus poussée
sur l’enseignement du cinéma. Mais telle n’est pas le cas, et les épreuves étant
cantonnées aux concours internes, leur préparation constitue finalement pour les
professeurs une « formation professionnelle » en cours de leur carrière et non une
« formation initiale ». Ce cantonnement aux concours internes n’est pas neutre non
plus en termes de présupposés. Ces concours sont généralement considérés comme
moins prestigieux que les concours externes, la « société des agrégés » ayant
plusieurs fois manifesté son désaccord face à l’agrégation interne jugée comme un
mode de promotion abusif à la valeur contestable. Il y a sans doute derrière ce
mépris affiché un fondement idéologique : ces concours internes ont été instaurés
par le gouvernement Rocard du deuxième septennat de François Mitterrand et sont
encore étiquetés « à gauche ».
De 1993 à 2000, la présence du cinéma n’a concerné que l’agrégation interne de
Lettres classiques. À partir de 2001, l’épreuve de cinéma est entrée dans les
épreuves d’admissibilité de l’agrégation interne de Lettres modernes, où il peut faire
l’objet d’une « leçon »261. Le cinéma apparaît dans les épreuves d’admission des deux
concours comme un « tirage au sort » possible parmi huit œuvres de littérature. Il
est spécifié dans les textes de cadrage de l’épreuve que le film choisi pour le
programme de l’agrégation interne de Lettres (modernes et classiques) doit être
choisi dans le cinéma français. C’est toujours l’idée – qui prévaut pour le
programme littéraire – que la langue de l’œuvre ne saurait être traduite et qu’elle
doit donc être la même que la langue officielle du concours. On constate d’ailleurs,
261
L’épreuve se définit comme suit : six heures de préparation, quarante minutes d’exposé devant un jury,
dix minutes d’entretien avec lui. Le coefficient est important : la note de la leçon constitue 40 % du
coefficient de l’oral et 20 % du total des coefficients du concours, écrit et oral cumulés.
- 149 -
en consultant la liste des films au programme depuis 1993262, que la présence de la
littérature est très forte : Jacques Prévert dans Les visiteurs du soir, Guy de
Maupassant pour Max Ophuls, Jules Romain et Ben Johnson pour Volpone, Alberto
Moravia pour J.-L. Godard, pour ne citer que les auteurs les plus connus. Les choix
ne semblent pas relever d’une vision globale de l’histoire du cinéma, mais d’une
sélection qui semble plutôt relever du « prélèvement » d’un film de façon assez
arbitraire à l’ensemble du corpus des films français de fiction, conformément à la
représentation majoritaire du « cinéma » que nous avons défini plus haut (2.1.5).
Le texte de cadrage de l’épreuve est très intéressant à envisager, en cela qu’il
« enkyste » totalement le cinéma dans la littérature sans lui ménager vraiment de
spécificité. Il stipule que :
« Les règles qui régissent traditionnellement l’épreuve orale de leçon ne sont
pas modifiées par l’inscription, parmi les œuvres au programme, d’une
oeuvre cinématographique. »
« Le jury n’attend pas des candidats à l’agrégation des Lettres qu’ils se
comportent comme des spécialistes de cinéma »
« Mais qu’il s’agisse d’une œuvre cinématographique ou d’une œuvre
littéraire, les exigences du jury ne seront pas différentes dans leur esprit. »263
Deux types de sujets peuvent être proposés aux candidats : une « leçon » c’est-àdire une question portant sur l’œuvre intégrale qui est au programme ou une
« étude filmique », sur un extrait d’une dizaine de minutes (entre 6 et 15 min) du
film au programme. D’un point de vue théorique, le présupposé est clairement
formaliste, puisqu’il est stipulé qu’il est attendu que le candidat puisse examiner « le
jeu de la forme et du sens », formulation très clairement orientée vers l’idée qu’une
analyse consiste dans la traduction sémantique d’éléments formels, principe que
nous retrouverons à bien des occasions dans cette thèse. Ces attentes formalistes se
262
Films au programme en Lettres Classiques : Les Visiteurs du soir (1993), La Grande illusion (1994), Volpone
(1995), Jules et Jim (1996), Le Plaisir (1997), Ascenseur pour l’échafaud (1998-99), Mon oncle (2000). Puis
programme commun aux Lettres classiques et aux Lettres modernes. : Le Mépris (2001), Ma nuit chez Maud
(2002), Orphée (2003), Sans toit ni loi (2004), Muriel (2005), Pickpocket (2006), Van Gogh (2007), Lacombe
Lucien (2009), Casque d’or (2010), Le Cercle rouge (2011).
263
BO n° 5 du 4 février 1993, disponible en ligne https://mentor.adc.education.fr/exlphp/cadcgp.php?NOM=cadic__anonyme&PASSE=&FROM_LOGIN=1&CMD=CHERCHE&query=
1&MODELE=vues%2Fmentor%2Fhome.html&TABLE=COM_DOC&SOURCE=SearchServer_3.0&
NOMFONDS=Exlibris+WEB&SELF=&URL_REQUETE, inchangé depuis, consulté le 13 août 2009.
- 150 -
renforcent et se confirment dans la suite du texte qui liste ce que les candidats
doivent être capables « d’analyser et d’interpréter » : il est question des éléments
narratifs, discursifs, énonciatifs (plan, montage, construction du récit filmique) et
des éléments non spécifiquement cinématographiques comme les décors et le jeu
d’acteur. On retrouve bien les mêmes préoccupations que celles de l’analyse
littéraire en particulier dans l’insistance sur les dispositifs narratifs très inspirés de la
théorie littéraire de G. Genette (« linéarité, analepses, prolepses »). Ce qui est sousjacent à ce texte, c’est finalement qu’un professeur bien formé à l’analyse de textes
pourra sans difficulté analyser un film, qui apparaît finalement comme un type de
« texte » parmi d’autres. Dans les ouvrages publiés à destination des agrégatifs264, on
retrouve le même présupposé : il est conseillé pour étudier le film dans le cadre de
cette épreuve, de savoir, « dégager la convergence de son sens et de ses moyens
d’expression ». Les auteurs soulignent « la parenté avec la leçon littéraire » en ce qui
concerne la « méthode » définie comme étant « globalement la même ». Cette
méthode, c’est celle du formalisme conçu, encore une fois, comme la traduction
sémantique d’éléments formels. Mêmes remarques pour « l’étude filmique » qui est
« un exercice comparable à celui de l’étude littéraire, mais avec ses spécificités »265.
L’ancrage textualiste est donc implicite, et avec lui sa cohorte de présupposés
formalistes et immanentistes hérités des Lettres et ici directement appliqués à
l’analyse des films266. Dans l’ouvrage publié à destination des agrégatifs que j’ai
mentionné ci-dessus, l’analyse filmique est clairement rattachée à l’explication de
textes dont elle est censée reprendre les méthodes et l’esprit. Or le développement
concernant l’épreuve d’explication de textes est très révélateur : il s’agit d’aborder le
texte, en s’appuyant sur la « perspective historique », « la perspective générique »,
« la perspective contextuelle », la « perspective intertextuelle »267. Ce sont les
perspectives que j’analyserai dans les pratiques de l’analyse filmique commentées
264
Les exemples utilisés sont tirés de Réussir l’agrégation interne, Lettres Modernes et classiques, guide pratique et
méthodologique, BOTTINAU Claire, THIERY Mélina, BAUX Pierre-Marie (sous la direction de) Paris :
Armand colin, 2006.
265
Réussir l’agrégation interne, Lettres Modernes et classiques, guide pratique et méthodologique, op.cit., p. 224.
266
J’y reviendrai dans la troisième partie dévolue aux théories.
267
Réussir l’agrégation interne, Lettres Modernes et classiques, guide pratique et méthodologique, op. cit., p. 245.
- 151 -
plus loin (4.4.1.).
Les rapports de jury de l’agrégation de Lettres modernes et classiques sont
également significatifs268. L. Jullier en propose une critique dans sa dernière édition
de L’Analyse de séquence à laquelle je ne peux que renvoyer et adhérer :
« Point commun à tous les rapports : l’auteurisme. L’idée que le film est un
objet qui fait naître une multitude d’usages et participe de la culture de soi
suivant les modalités les plus diverses est une idée qu’il vaut mieux taire. Le
candidat doit plutôt valider l’idée selon laquelle l’auteur (assimilé au
réalisateur) contrôle non seulement la création, mais aussi la signification de
son film. Sus par exemple à ces candidats maladroits qui pensent s’en tirer en
racontant ou, “ce qui est pire dans le cas de Bresson, en proposant une
analyse psychologique des personnages ou de leurs actes, ce que le cinéaste
haïssait par-dessus tout” (Rapp. 2006). La notion de réception n’est jamais
abordée : tout se passe comme s’il y avait un “sens officiel” du film – celui
que lui donne la cinéphilie orthodoxe de préférence. On se trouve ici au
cœur de la “reproduction”, les futurs enseignants se voyant recrutés en
fonction de leur aptitude à expliquer ce que le film “veut dire”, dans une
perspective textualiste (ou immanentiste). »269
Parmi les « professeurs de cinéma », on trouve aussi, en vertu de la revendication
d’interdisciplinarité évoquée plus haut, des professeurs d’Arts plastiques270. L’étude
des épreuves des concours de recrutement qui sont présents dans cette discipline
permet de synthétiser les différences d’approches entre les Lettres et les Arts
plastiques concernant le cinéma. Le cinéma est présent dans les concours de
recrutement en Arts plastiques depuis plus longtemps qu’en Lettres et de manière
plus systématique puisqu’une épreuve existe au CAPES et à l’agrégation externes,
ce qui permet de justifier une préparation organisée dans les IUFM pour tous les
futurs professeurs d’Arts plastiques. Au CAPES, l’épreuve comporte un exposé
suivi d’un entretien avec le jury. Elle prend appui sur un dossier proposé par le jury
268
Je renvoie ici à l’analyse proposée par Francis DESBARATS dans sa thèse, op. cit., p. 503
JULLIER Laurent, L’analyse de séquences, Paris : Armand Colin, 3e édition, 2011, p. 191-192.
270
Notons également que P. BAQUÉ, le directeur de la Mission pour les enseignements artistiques
jusqu’en 2007, qui a contribué à l’implantation des enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel »
dans les établissements scolaires, est Professeur des universités, docteur de 3e cycle en esthétique et
docteur d’État es-lettres et sciences humaines (option Arts plastiques-architecture). En 1991, le premier
Inspecteur de la discipline « cinéma », Gilbert Pélissier, était un Inspecteur général d’Arts plastiques.
269
- 152 -
qui regroupe sous un intitulé notionnel un extrait filmique, des documents visuels
relevant du champ des Arts plastiques et une citation textuelle271.
À l’agrégation d’Arts plastiques, le cinéma est présent dans la troisième épreuve
d’admission :
3°- Entretien sans préparation avec le jury : entretien à partir de documents
imposés par le jury et portant, au choix du candidat formulé lors de son
inscription, sur l’un des domaines artistiques, autres que les arts plastiques,
suivants : architecture, arts appliqués, cinéma-vidéo, photographie, théâtre
(durée : trente minutes maximum ; coefficient 2)272.
Cependant et pour relativiser fortement ce constat, le cinéma n’est qu’une
« option » possible intégrée à l’épreuve d’admission dite « épreuve orale sur
dossier ». Le candidat a dû indiquer lors de son inscription la pratique artistique sur
laquelle il souhaite être interrogé pour l’option à l’oral du CAPES externe. Dans les
autres épreuves, le cinéma peut-être convoqué, mais seulement si le programme y
invite, ce qui n’est pas le cas ces dernières années. Du coup, la façon dont le cinéma
s’intègre dans ces concours de recrutement en Arts plastiques n’est pas du tout le
même qu’en Lettres. Il n’est pas question, dans le cadre du CAPES, d’une analyse
filmique, mais d’une mise en rapport problématisée de plusieurs documents dans
une perspective pédagogique, et pour l’agrégation, d’une réaction spontanée à un
271
« Le dossier comprend des documents visuels et textuels concernant, pour une part dominante, les arts
plastiques (considérés dans leurs acceptions traditionnelles et contemporaines), pour une autre part, l’un
des domaines ci-après, choisi par le candidat lors de son inscription : architecture, arts appliqués, cinéma,
théâtre.
Le candidat est invité à présenter et à analyser le dossier fourni avant d’en tirer parti pour une exploitation
pédagogique dans un cycle donné du collège ou du lycée.
Cette épreuve permet au candidat de démontrer :
- qu’il connaît les contenus d’enseignement et les programmes de la discipline au collège et au lycée ;
- qu’il a réfléchi aux finalités de la discipline, aux relations de celle-ci avec les autres disciplines et qu’il est
en mesure de prendre en compte le volet artistique et culturel d’un projet d’établissement scolaire ;
- qu’il a conscience de la dimension civique de tout enseignement et plus particulièrement de celui de la
discipline dans laquelle il souhaite exercer ;
- qu’il connaît les aspects essentiels de l’organisation et du fonctionnement d’un établissement scolaire du
second degré et qu’il a conscience de l’intérêt et des enjeux d’un partenariat structuré avec les institutions
et les professionnels des différents domaines artistiques et culturels ;
- qu’il a des aptitudes à l’expression orale, à l’analyse, à la synthèse et à la communication. Durée de la
préparation : deux heures. Durée de l’épreuve : une heure maximum, exposé : trente minutes maximum ;
entretien : trente minutes maximum. Coefficient : 3. Le jury est composé de trois personnes. »
Source : Bulletin Officiel du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de la Recherche n° 30 du
31 août 2000, accessible en ligne www.education.gouv.fr/bo/2000/30/perso.htm , consulté le 20 août
2011.
272
http://www.guide-concours-enseignants-college-lycee.education.gouv.fr/cid51513/agregation-externesection-arts.html, consulté le 20 août 2011.
- 153 -
document audiovisuel dans le cadre d’un échange « sans préparation »273. De fait, les
présupposés de l’épreuve et les attentes des jurys ne sont pas les mêmes : il est
moins question de « texte » et des approches plus plastiques ou pragmatiques de
l’œuvre semblent autorisées par le dispositif de l’épreuve. On peut supposer que
l’écueil formaliste est moins présent dans les propositions d’analyse des candidats,
mais il se trouve aussi que les candidats y sont moins invités compte tenu de
l’organisation générale de l’épreuve et de son inscription dans l’évaluation par
l’épreuve de capacités de transmission pédagogique autant que de capacités
d’analyse à strictement parler du document filmique. Pourtant, étonnement, le
principal reproche qui est fait au candidat de l’épreuve orale d’admission sur dossier
qui ont choisi l’option « cinéma » au CAPES d’Arts plastiques en 2009 est de ne pas
maîtriser suffisamment :
« certaines notions aussi fondamentales du langage cinématographique et
plastique telles que la lumière, le point de vue, la profondeur de champ ou la
composition plastique de l’image. »274
Le rapport de jury 2009 de l’agrégation d’Arts plastiques, qui propose une épreuve
plus directement orientée vers « une analyse raisonnée de l’extrait proposé » semble
revenir aux présupposés textualistes et auteuristes :
« Dégager des effets de sens à travers la mise en évidence d’une suite de
problématiques touchant à tous les niveaux de l’expression filmique.
L’analyse consistera en effet à faire jouer ces niveaux les uns par rapport aux
autres, puis, selon les cas (ou selon les connaissances du candidat), à étendre
la réflexion à l’ensemble du film, aux singularités de l’auteur ou d’un courant
cinématographique, et, au-delà du cinéma, à la recherche artistique dans son
ensemble. »275
273
« Avant ces projections, le titre de l’auteur, la date et le pays de réalisation du film, sont portés par écrit
à la connaissance du candidat – les extraits étant choisis par le jury dans l’ensemble des genres et des
courants de l’histoire du cinéma mondial. Durant les projections, le candidat peut s’il le désire prendre
quelques notes, et il dispose, entre les deux projections, d’un “temps de rebondissement” d’environ quatre
minutes qui l’aide à “fixer” ce qu’il a vu et entendu en vue de structurer son exposé. Le candidat présente
alors, durant dix minutes, une analyse raisonnée de l’extrait proposé, puis un entretien avec le jury, d’une
durée de vingt minutes, lui permet de prolonger son analyse, de la préciser ou de la corriger, de
l’approfondir ». Source : Rapport de jury 2009 téléchargeable en ligne :
http://www.education.gouv.fr/cid24070/sujets-capes-externe-2009.html, p. 48 du .pdf téléchargeable,
consulté le 15 août 2010.
274
Source : rapport de jury 2009 téléchargeable en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid24070/sujetscapes-externe-2009.html, consulté le 10 avril 2011.
275
Rapport de jury 2009.
- 154 -
Il est bien question « d’expression filmique » pariant sur « les singularités de
l’auteur » qui assure une homogénéité à toute son œuvre, mais aussi à tout le
médium, voire à l’art en général. Même si le rapport affirme qu’on attend des
candidats qu’ils connaissent « les films échos de toutes les cultures, les produits de
l’industrie du divertissement et les œuvres plus “pointues” », les « singularités de
l’auteur » restent au centre des préoccupations de l’exercice. « L’expression
filmique » semble également, malgré la variation sémantique, renvoyer au « langage
cinématographique » et donc à une vision de l’œuvre comme un jeu de formes qu’il
faut savoir traduire en « effets de sens »276. Ce sont bien toujours peu ou prou les
mêmes attentes que pour le concours de Lettres.
Les modalités des épreuves de ce concours n’ont pas toujours été celles-ci277. Avant
2002, le choix de l’option « vidéo » au concours d’Arts plastiques était possible, qui
semblait manifester une vraie prise en compte par les Arts plastiques de formes qui
ne relevaient pas du cinéma de fiction. On ne retrouve plus ce corpus dans la liste
de films dont les extraits ont été proposés à l’analyse dans le cadre de l’épreuve
d’admission de l’agrégation récemment278. Relevant la très forte diversité des sujets
proposés pour « l’option cinéma » qui consistait auparavant en une analyse
spontanée de documents filmiques ou non filmiques279, F. Desbarats conclut ainsi :
276
Rapport de jury 2009.
Dans cette discipline, les épreuves du CAPES interne ont été modifiées à compter de la session 2001
des concours par arrêté du 2 mars 2000 publié au BO n° 15 du 20 avril 2000 ; les épreuves du CAPES
externe et des agrégations externes et internes ont été modifiées à compter de la session 2002 par deux
arrêtés du 10 juillet 2000 parus au BO n° 30 du 31 août 2000. Je renvoie ici à la thèse de F. Desbarats qui
étudie les modalités des épreuves dans leur ancienne version, op. cit., p. 537-543.
278
Liste des films dont un extrait a été soumis aux candidats :
2006 : Juliette des esprits ; La Bête aux cinq doigts ; Remorques ; Pierrot le fou ; Dieu sait quoi ; Les Parapluies de
Cherbourg ; L’Homme sans passé ; Dixième chambre ; Playtime ; Shadows ; Le Mouchard ; In the mood for love ;
Vampyr ; Thérèse.
2007 : Steamboat Bill Junior ; Le Plaisir ; El ; Les Statues meurent aussi ; Mon Oncle ; Le Goût du saké ; La Bataille
de Kerjenets ; Mort à Venise ; Mon Oncle d’Amérique ; Tu ne tueras point ; Les Ailes du désir ; Twin Peaks ; Collatéral.
2008 : Tout sur ma mère ; Rosetta ; 2046 ; Le Goût de la cerise ; Le Train sifflera trois fois ; Still Life ; Un condamné à
mort s’est échappé ; L’Aurore ; Les Glaneurs et la glaneuse ; Le Procès ; La Chambre du fils ; On connaît la chanson ;
Festen ; Les Contes de la lune vague après la pluie ; La Règle du jeu.
2009 : Dolls ; Minority Report ; L’Homme à la caméra ; Le Bal ; Nuages flottants ; Rome ville ouverte ; Ressources
humaines ; La Maison du Dr Edwards ; Les 400 Coups ; Kippour ; Sous le soleil de Satan ; Chaînes conjugales.
2010 : Octobre ; L’Impératrice rouge ; Les Tueurs ; La Nuit du chasseur ; Vertigo ; La Ricotta ; Le Mépris ; Le
Bonheur ; Mort à Venise ; Barry Lyndon ; Manhattan ; La Ligne rouge ; Le Ruban blanc.
279
« On donne aux candidats le choix entre trois types de documents, qui servent de support à une étude
ou à une courte dissertation :
- extrait de film de 3 ou 4 minutes, qui est visionné deux fois consécutivement, et à propos duquel sont
277
- 155 -
« Le souci de tenir compte de l’ensemble de l’histoire du cinéma, le respect
de la politique des auteurs, le goût des films rares relèvent de la cinéphilie.
Mais la publicité, la bande-annonce, qui sont aussi présentes, donnent un
aperçu d’un usage non directement artistique du film, qui intéresse
spécialement les plasticiens. »280
Il apparaît que les modalités de choix des films pour le CAPES d’Arts plastiques
étaient très différentes de celles qui prévalent dans les concours de Lettres, sans
rendre pour autant caduque la prépondérante d’une cinéphilie académique dans le
choix des films. L. Jullier fait le même constat en citant les récents rapports de jury :
« L’ignorance de certains cinéastes – Godard, Scorsese... – de textes
fondamentaux – Bazin, etc. ne lasse pas la perplexité des jurys » (Rapp. A. P.
2004). Même chose trois ans plus tard : « Qu’un candidat ayant choisi
l’option cinéma n’ait vu aucun film de Visconti ou de Lynch, qu’un agrégatif
ignore ce qu’est le Décalogue ne manque pas d’étonner » (Rapp. A. P. 2007).
S’il n’avait vu aucun Spielberg et ne sache pas que Jean Dujardin joue OSS
117, on lui pardonnerait, mais Godard, Scorcese, Visconti et Lynch... Le
futur professeur laissera de côté ses propres goûts quand il met(tra) son
costume professionnel avec le dessein de manifester officiellement le “bon
goût ”, c’est-à-dire le goût légitime. »281
Avant comme après les réformes des concours d’Arts plastiques, si l’attention
portée à d’autres formes audiovisuelles semble relever d’une plus grande ouverture
en direction des formes d’expression audiovisuelle autres que le film de fiction, la
formation des enseignants en Arts plastiques n’en reste pas moins, semble-t-il, très
ancrée dans la cinéphilie « académique » telle que je l’ai définie plus haut en parlant
d’arbitraire culturel. Il ne faut cependant pas négliger la différence des modalités
des épreuves d’Arts plastiques et de Lettres. Dans l’état actuel de l’épreuve,
l’improvisation immédiate après deux visionnages dans une perspective d’entretien
communiqués le titre, l’année de réalisation et le nom du réalisateur. Le candidat commence son exposé,
sans préparation, sitôt la fin du deuxième visionnement.
- un document non-film (affiche présentée dans son format original, photocopie d’exploitation, un ou
plusieurs photogrammes, extrait de planche de storyboard). Pour préparer le candidat dispose de cinq
minutes (jusqu’en 1997) ou de dix minutes (à partir de cette date). Une citation de cinéaste, de théoricien
ou de critique. Même temps de préparation que pour le non-film. ». Source : Thèse de F. Desbarats, op. cit.,
p. 540-541.
280
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 541.
281
JULLIER Laurent, L’analyse de séquences, op. cit., p. 189.
- 156 -
spontané avec le jury est une forme qui semble de fait réduire la possibilité d’une
analyse formaliste telle qu’elle est pratiquée en Lettres. Pour autant, la question
piège : « combien y avait-il de plans dans l’extrait ? » a été posée certaines années à
l’agrégation d’Arts plastiques…
Compte tenu de la représentation institutionnelle forte des Arts plastiques au
moment de l’apparition d’un enseignement de cinéma dans les lycées, on pourrait
s’étonner que les théories et pratiques héritées de cette matière n’aient pas
davantage influencé la mise en œuvre de l’enseignement du cinéma dans les classes.
Mais il s’avère que les principes généraux et les attentes face à l’œuvre sont
finalement, à peu de chose près, les mêmes. Surtout, il faut se demander pourquoi
très peu de professeurs d’Arts plastiques enseignent le cinéma, alors même que le
concours de recrutement en Arts plastiques a été le premier à inclure une analyse
filmique et donc à donner à ces professeurs une légitimité institutionnelle en la
matière. Il y a là sans doute avant tout une cause structurelle : les professeurs d’Arts
plastiques sont peu présents dans les lycées, car la matière « Arts plastiques »
n’existe plus pour les lycéens en dehors des enseignements artistiques. Quand on
trouve des professeurs d’Arts plastiques en lycée, ils ont en charge un enseignement
artistique de spécialité « Arts plastiques », or les dotations horaires accordées par les
rectorats et les inspections d’académie répugnent le plus souvent à cumuler
plusieurs enseignements de spécialité dans la filière L. Les professeurs de Lettres
restent donc majoritaires pour assurer l’enseignement « cinéma et audiovisuel » et
avec eux les connaissances pratiques et théoriques rattachées à l’analyse de texte.
Car la matière d’origine des professeurs a forcément des conséquences sur le
contenu théorique de leur enseignement et sur leur pratique pédagogique
La matière d’origine des professeurs chargés de cours sur le cinéma conditionne
leur manière de mener l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel. Ainsi, selon
Roger-François Gauthier, les professeurs sont « eux-mêmes isolés dans un champ
- 157 -
disciplinaire au cours de leurs études universitaires ». Il déplore « la faiblesse de leur
propre curiosité à l’égard des disciplines enseignées par leurs collègues »282. La mise
sous tutelle du cinéma par les professeurs de Lettres a une première cause d’ordre
structurel que je viens d’évoquer : elle relève de l’omniprésence des professeurs de
Lettres dans les filières où il est question d’enseignement artistique comme la
Terminale L283. La deuxième cause est d’ordre paradigmatique. L’opus du CRDP de
Lyon Du cinéma à l’école déjà cité, publié en 1995, est instructif en termes de
représentations. Dans le chapitre où sont évoquées les compétences requises pour
enseigner le cinéma, on trouve la réflexion suivante :
« Les enseignants qui ont une sensibilité particulière au texte peuvent
évidemment partir de celle-ci pour pénétrer dans l’univers de l’écriture
cinématographique. Nombreux sont les professeurs de cinéma en lycée ou à
l’université qui ont suivi ce trajet qui va de l’écrit au filmé, de l’analyse de
texte à l’analyse de film. Les enseignants de Lettres notamment semblent
particulièrement armés pour aborder la dimension sémiologique de l’analyse
filmique. »284
La « sensibilité particulière au texte » apparaît comme l’apanage des professeurs de
Lettres. Aujourd’hui et depuis 2003, un film est d’ailleurs inscrit au programme du
baccalauréat de la série L, présupposant que le professeur de littérature de
Terminale est armé pour étudier le film. Les programmes de Lettres en lycée
prévoient de travailler sur « l’analyse d’images » comme extension presque naturelle
de l’analyse de textes285. La présence majoritaire des professeurs de Lettres dans la
formation de cinéma et d’audiovisuel s’explique donc aussi par une certaine
prédisposition à cet enseignement qui leur est supposée, par le biais de l’adaptation
cinématographique des œuvres littéraires par exemple. On peut faire les mêmes
282
GAUTHIER Roger-François, Querelles d’École, Paris : Serdimap, 1988, p. 117.
La réforme du lycée va peut-être relativiser ce constat : si les « enseignements optionnels » et les
« enseignements d’exploration » sont susceptibles de se déployer dans toutes les filières, ils permettront à
des élèves plus scientifiques de suivre un enseignement de cinéma approfondi. Il faudra être attentif à cette
évolution institutionnelle, car gageons que l’enseignement du cinéma y trouvera peut-être l’occasion de ce
décloisonnement hors du giron plus ou moins implicite des Lettres.
284
CITTERIO Raymond, Du cinéma à l’école, op. cit., p. 37.
285
Je renvoie ici à la thèse de Philippe BOURDIER : Le cinéma et l’enseignement du Français dans les
établissements secondaires en France : constitution et implications idéologiques, thèse de doctorat en histoire et
sémiologie du texte et de l’image, sous la direction de Madame Claude MURCIA, soutenue en 2004.
283
- 158 -
constats pour le corps d’Inspection. Les IPR en charge du cinéma sont avant tout
IPR d’une autre discipline, et le dossier « cinéma » leur est confié en plus de leurs
tâches dans la discipline en question. Sur les trois académies : Paris, Créteil,
Versailles, les IPR actuellement « en charge du cinéma et de l’audiovisuel » sont
issus de la matière « Lettres »286. En termes de formation et d’évaluation des
professeurs, cette donnée n’est pas négligeable : les Inspecteurs ne sont de fait
guère mieux formés que les professeurs et leurs compétences en « cinéma et
audiovisuel » sont finalement de l’ordre d’un « plus » attribué au cours de leur
carrière pour lesquelles l’engagement personnel prévaut sur la connaissance
scientifique. On retrouve cette idée selon laquelle le cinéma peut être abordé
empiriquement, ou indirectement, avec les mêmes outils théoriques que ceux d’une
autre matière relevant des « arts ».
Certains professeurs, très marginalement, peuvent se trouver en charge d’un
enseignement de cinéma alors que leur matière d’origine est une matière
scientifique287. Mais quoi qu’il en soit le « cinéma » apparaît comme un ajout dans
une carrière de professeur : plus qu’un aboutissement, un complément de service.
Car le plus souvent – et l’Inspection générale y veille – les professeurs maintiennent
des heures dans leur discipline d’origine et ne font pas tout leur service en « cinéma
et audiovisuel »288. Leurs préparations de cours de cinéma sont donc naturellement
plus ou moins couplées avec celles de leur matière d’origine.
286
Notons cependant qu’Agnès Fabre, partie à la retraite en 2010, longtemps IPR de l’académie de Créteil
en charge de l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel, était IPR d’Arts plastiques.
287
Dans l’académie de Créteil, un des fondateurs très actifs de l’enseignement de spécialité au lycée Léon
Blum à Créteil est professeur de Mathématiques. À Vincennes, ce sont deux professeurs d’économie et
gestion qui gèrent depuis le début l’enseignement de spécialité « cinéma et audiovisuel ». À Saint-Quentin,
l’enseignement de spécialité est assuré par une titulaire d’un CAPES de documentaliste.
288
Dans son « État des lieux de la discipline 2008 », C. JUPPÉ-LEBLOND indique : « L’équilibre
horaire global des services entre discipline d’origine et CAV est majoritairement au-dessous de 50 % du
service en CAV », op. cit..
- 159 -
2.2.2 La formation initiale : le rôle des
IUFM (Institut de Formation des Maîtres)
Avant d’entrer dans une classe, un professeur est « formé » non seulement par sa
préparation au concours, mais aussi par des cours dispensés par l’IUFM dans les
premières années de sa carrière. Cette formation subit actuellement une très
profonde modification que je m’efforcerai de prendre en compte dans le
développement qui va suivre, même si l’enseignement du cinéma tel qu’il est
actuellement pratiqué en lycée ne peut être encore impacté par cette réforme
récente des IUFM.
Dans les différents « rapports » périodiquement rédigés sur l’enseignement des arts
à l’École, il est assez récurrent de voir souligner une insuffisance de la formation
des professeurs. Déjà en 1999, C. Juppé-Leblond, Inspectrice générale en charge du
cinéma et de l’audiovisuel, faisait ce constat, suite à une enquête auprès des IUFM :
« Effectuée auprès des 29 centres, cette enquête portait sur l’offre faite par
chacun d’eux en matière de formation initiale et continue, obligatoire et
optionnelle en cinéma, audiovisuel et autres images. Un bref sondage portait
également sur les autres formes artistiques proposées.
(…) Dans quatre cas, on sent un véritable intérêt et les éléments d’une
politique cohérente.
Dans la plupart des autres, ce qui frappe est l’aspect fractionné, épars,
incohérent des propositions, même si on devine çà et là, au travers de
quelques propositions pertinentes, la présence de personnalités “militantes ”,
mais isolées et fragilisées.
Dans pratiquement tous les cas, la dominante est nettement “vidéo, médias
et multimédia, nouvelles technologies”. Le cinéma et plus largement les
formes audiovisuelles artistiques passent au second plan quand, par chance,
ils existent ; leur présence est d’ailleurs souvent liée aux quelques réalités
“imposées” par le terrain : “école et cinéma”, le film du bac de français, les
épreuves du CAPES d’espagnol... »289
En juin 2007, dans le bulletin de l’AFECCAV, presque dix ans plus tard, Isabelle
Le Corff dans un article consacré à la formation des professeurs de lycée et collège
289
JUPPÉ-LEBLOND Christine, « Vous avez dit… image ?», rapport de janvier 1999, op. cit.
- 160 -
dans les IUFM remarquait :
« Lorsque les étudiants, titulaires d’une licence disciplinaire s’inscrivent à la
préparation du CAPES, ils sont peu nombreux à avoir reçu un enseignement
en cinéma et audiovisuel durant leur cursus universitaire (…) Les plus
nombreux cependant seront lauréats au concours d’enseignement en collège
et lycée sans n’avoir jamais reçu cet enseignement. »290
En 2008, C. Juppé-Leblond dans son « État des lieux de la discipline » réitérait dix
ans après son premier rapport le même constat quant à la formation initiale :
« Modules IUFM (PE/PLC) : les politiques des IUFM sont très variées.
La tendance est de fusionner Cinéma et toutes sortes d’images (des arts
plastiques aux images “médias”) et d’inclure l’initiation au cinéma dans les
modules TICE (Nice). L’identité “cinéma” n’est respectée que dans quelques
IUFM (voire “antennes” départementales). On peut citer comme
exemplaires les IUFM de Rennes (antenne Côtes-d’Armor avec 60 heures +
mention complémentaire locale), de Toulouse, de Montpellier et de Nice.
Les formations sont surtout “accrochées” à l’approche d’un film dans
l’enseignement des Lettres (“Le cinéma comme objet d’étude”) qui concerne
une “clientèle” plus large que les options de lycées. »291
Le principal problème peut se résumer en un syllogisme : les IUFM préparent à des
concours de recrutement disciplinaires, le cinéma n’est pas une discipline en cela
qu’aucun concours de recrutement de « professeur de cinéma » n’existe, donc les
IUFM ne délivrent aucun enseignement spécifique en cinéma. Le cinéma ne peut
donc que s’adosser à des formations disciplinaires existantes, « s’accrocher »
comme le dit C. Juppé-Leblond. Rappelons aussi que certaines agrégations et les
CAPES proposant des épreuves de « cinéma et audiovisuel » sont, comme je l’ai vu,
des concours internes, qui n’entrent donc pas dans la formation initiale des
enseignants. Si les épreuves des examens ont forcément un effet rétroactif sur
l’organisation de la formation initiale, l’absence du cinéma dans les concours
externes n’encourage pas les IUFM à proposer des formations complètes dans ce
domaine. Je manque évidemment de recul pour juger de l’effet de la réforme de
l’IUFM mise en application à la rentrée 2010 sur la formation initiale des
290
LECORFF Isabelle, La formation des professeurs de lycée et collège dans les IUFM, Bulletin de l’AFECCAV n°
19, juin 2007, http://www.afeccav.org/ecrans-et-lucarnes/bulletin-19, consulté le 02 mars 2010.
291
« État de la discipline 2008, synthèse » rédigé par C. JUPPÉ-LEBLOND, op. cit.
- 161 -
professeurs qui seront amenés à enseigner le cinéma et l’audiovisuel. Mais la
formation disciplinaire est toujours le fer de lance de cette formation, ce qui réduit
de fait la possibilité de formations « transversales » même si elles sont prévues par
certains IUFM. Il est trop tôt pour évaluer l’impact de ces changements quant aux
compétences acquises en cinéma et audiovisuel par les jeunes professeurs292.
Il apparaît que la formation à l’enseignement du cinéma souffre principalement
d’un manque d’étiquetage précis dans la formation des professeurs et sans doute
aussi de son aspect très minoritaire : peu de professeurs, finalement, sont
concernés293. Le professeur ne peut donc que compter sur des compétences
acquises extérieurement à la formation professorale, s’appuyant le plus souvent sur
des goûts et des initiatives personnels. La qualité et l’évaluation de ces initiatives
tout au long de la carrière d’un professeur de lycée posent problème également et
pour les mêmes raisons. Pour tenter de pallier ces constats, l’Éducation nationale a
mis en place, depuis le début des années 2000, quelques modalités d’inscription
officielle des professeurs dans un enseignement artistique.
2.2.3 La
formation
continue :
la
certification en « cinéma et audiovisuel »
En 2006, le Haut Conseil aux enseignements artistiques et culturels évoque la mise
en place d’une « certification »294 complémentaire proposée aux professeurs désireux
de faire valider par l’Institution une compétence dans le domaine des arts :
292
On peut imaginer, dans une version optimiste, que l’intégration des IUFM au sein des universités
facilitera les « doubles cursus » universitaires, permettant aux étudiants qui se destinent à l’enseignement
de mener parallèlement un cursus dans un UFR de cinéma, comme c’était déjà parfois le cas auparavant.
293
Selon le rapport 2006 du HCEAC, « 14 500 professeurs spécialisés dispensant des enseignements
partenariaux comme le théâtre, le cinéma, l’histoire des arts, la danse, etc. avec un corps d’encadrement de
plus de 50 agents spécialisés. », op. cit., p. 281.
294
Il ne faut pas confondre cette « certification » avec la « mention complémentaire » qui peut être
préparée dès le Master dans la perspective d’un CAPES et qui permet à un enseignant d’enseigner de
manière bivalente deux matières sur son temps de service. Les « couplages » de matières ne concernent
que les disciplines instituées, le cinéma n’en fait pas partie.
- 162 -
« (…) en ce qui concerne les professeurs du second degré, pour les nouvelles
certifications complémentaires dans le domaine du cinéma, du théâtre et de
l’histoire des arts : ces certifications sont sanctionnées par un examen pour
lequel il n’existe pas de préparation dans chaque IUFM. »295
Cette certification apparaît comme un moyen pour l’institution de « repérer » des
professeurs ayant suivi une double formation universitaire. Pour les professeurs,
elle permet de s’ouvrir des perspectives de carrière différentes dans l’espoir que leur
service puisse se partager un jour entre leur discipline d’origine et un enseignement
artistique :
« L’objectif poursuivi par la création de cette certification complémentaire
est de permettre à des enseignants de valider des compétences particulières
qui ne relèvent pas du champ de leurs concours. Il est aussi de constituer un
vivier de compétences pour certains enseignements pour lesquels il n’existe
pas de sections de concours de recrutement et, à terme, de mieux préparer le
renouvellement des professeurs qui en ont eu la charge. »296
Ces certifications complémentaires ont effectivement été mises en œuvre à partir de
2005297. C. Juppé-Leblond en tirait un premier bilan en 2008 :
« Les certifications complémentaires ont du succès. Elles sont désormais
bien gérées par les IPR. Les jurys sont, sauf rare exception, conformes aux
textes (IPR + universitaire + enseignant confirmé + partenaire), ils
travaillent avec la rigueur imposée pour garantir la crédibilité de l’examen
(même si, en cinéma, on regrette l’absence d’une épreuve sur écran d’analyse
filmique). En moyenne 50 % de reçus à chaque session (les inscrits sont
depuis cette année peu nombreux par académie – entre 2 et 6 –, ce qui est
tout à fait normal en rythme de croisière). La certification complémentaire
permet de repérer des compétences inconnues. Elle est un élément
incontournable de la nomination sur poste à profil. »298
Précisons que cette certification est effectivement nécessaire, mais pas forcément
suffisante pour prétendre à une nomination sur des services comportant un certain
nombre d’heures d’enseignements « cinéma et audiovisuel ». La certification est très
encadrée par les textes officiels qui méritent ici d’être cités un peu longuement pour
295
Rapport du HCEAC, 2006, op. cit. p. 65.
BO n° 39 du 28 octobre 2004, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2004/39/MENP0402363N.htm, consulté le 30 avril 2009.
297
BO n° 7 du 12 février 2004 , accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2004/7/MENP0302665A.htm, consulté le 30 avril 2009.
298
JUPPÉ-LEBLOND Christine, « État des lieux 2008 », op. cit.
296
- 163 -
cerner les modalités de l’évaluation qu’elle propose :
« En déposant sa demande d’inscription, le candidat remettra un rapport d’au
plus cinq pages dactylographiées, précisant, d’une part, les titres et diplômes
obtenus en France ou à l’étranger, en rapport avec le secteur disciplinaire
choisi et l’option éventuelle, et, le cas échéant, la participation à un module
complémentaire suivi lors de l’année de formation professionnelle à l’IUFM,
et présentant, d’autre part, les expériences d’enseignement, d’ateliers, de
stages, d’échanges, de sessions de formation auxquels il a pu participer, de
travaux effectués à titre personnel ou professionnel, comprenant un
développement commenté de l’une des expériences qui lui paraît la plus
significative. »299
Par la suite, le candidat est reçu par un jury :
« L’examen est constitué d’une épreuve orale de trente minutes maximum
débutant par un exposé du candidat de dix minutes maximum, suivi d’un
entretien avec le jury, d’une durée de vingt minutes maximum.
L’exposé du candidat prend appui sur la formation universitaire ou
professionnelle, reçue dans une université, dans un institut universitaire de
formation des maîtres ou dans un autre lieu de formation dans le secteur
disciplinaire et, le cas échéant, dans l’option correspondant à la certification
complémentaire choisie.
Le candidat fait également état de son expérience et de ses pratiques
personnelles, dans le domaine de l’enseignement ou dans un autre domaine,
notamment à l’occasion de stages, d’échanges, de travaux ou de réalisations
effectués à titre professionnel ou personnel.
L’entretien qui succède à l’exposé doit permettre au jury d’apprécier les
connaissances du candidat concernant les contenus d’enseignement, les
programmes et les principes essentiels touchant à l’organisation du secteur
disciplinaire et, le cas échéant, à l’option correspondant à la certification
complémentaire choisie et d’estimer ses capacités de conception et
d’implication dans la mise en œuvre, au sein d’un établissement scolaire du
second degré (pour les trois secteurs disciplinaires) ou d’une école (pour le
secteur français langue seconde), d’enseignements ou d’activités en rapport
avec ce secteur.
Le jury dispose du rapport rédigé par le candidat pour son inscription. Ce
rapport n’est pas soumis à notation. »300
En ce qui concerne plus précisément le cinéma et l’audiovisuel :
299
BO n° 39 du 28 octobre 2004, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2004/39/MENP0402363N.htm, consulté le 30 avril 2009.
300
BO n° 39 du 28 octobre 2004, op. cit.
- 164 -
« Le jury évaluera :
- la culture cinématographique et audiovisuelle (fréquentation des œuvres,
histoire du cinéma). La connaissance de leurs langages spécifiques (à partir
d’une étude de cas) ;
- la connaissance du développement de l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel dans le système scolaire, les programmes en cours ;
- la connaissance des modes d’enseignement propres au cinéma et à
l’audiovisuel : travail en équipe, interdisciplinarité, partenariat avec les
professionnels ;
- la capacité à expliciter la démarche pédagogique concernée dans la
complémentarité pratique, culturelle, méthodologique. »301
On
constate
qu’une
approche
pédagogique
du
cinéma
comme
objet
d’enseignement est beaucoup plus valorisée qu’une approche « scientifique » du
cinéma. Comme pour les concours de recrutement, ces certifications sont
l’occasion de rapports de jury assez systématiques publiés sur les sites des
différentes académies. Les principaux reproches de ces rapports portent sur la
culture cinématographique lacunaire des prétendants à la certification et sur leur
« difficulté à formuler un projet pédagogique clair ». Le rapport de jury302 de la
session de certification 2006 pour les académies de Paris - Créteil - Versailles, très
étoffé, résume bien les attentes générales303. On demande au professeur d’avoir
développé des compétences qu’il ne peut réellement avoir acquises que s’il a été en
charge d’un enseignement du cinéma du même type que celui dispensé dans les
enseignements de spécialité « cinéma et audiovisuel » : travailler avec un partenaire
culturel, travailler en équipe, construire un discours « à partir de notions théoriques
définies dans leur spécificité cinématographique », articuler théorie et pratique,
s’appuyer sur « une culture cinématographique personnelle équilibrant les
références patrimoniales et la connaissance de la création contemporaine » (phrase
301
BO n° 39 du 28 octobre 2004, op. cit.
Jury constitué de « personnalités » historiquement importantes dans l’installation de l’enseignement
« cinéma et audiovisuel » en lycée. Commission 1 : Agnès Fabre : IA-IPR Arts plastiques, CAV, académie
de Créteil ; Jacqueline Nacache : Maître de conférence, Paris VII ; Jacques Rigard, professeur en lycée,
académie de Versailles ; Commission 2 : Françoise Savine : IE-IPR Lettres, CAV, académie de Versailles ;
Jean-Albert Bron : PRAG, Paris X-Nanterre ; Monique Lathelier : professeur en lycée, académie de Paris ;
Commission 3 : Alain Le Ninèze, IA-IPR Lettres, CAV, académie de Paris ; Suzanne Dené, professeur en
lycée, académie de Créteil ; Alain Letoulat, professeur en lycée, académie de Paris.
303
Document disponible en ligne : www.histoire.ac-versailles.fr/IMG/doc/Certifications_Arts.doc
302
- 165 -
qui reprend littéralement la formulation des programmes de Terminale en
enseignement de spécialité). Bref, il s’agit finalement de montrer que l’on pourrait
tout à fait enseigner… dans « l’option lourde » de Terminale L. Or justement, la
plupart des professeurs qui postulent à la certification ne le font pas à titre de
« validation de l’expérience » d’un enseignement en CAV mais pour pouvoir y
prétendre. Le rapport révèle qu’en 2006 par exemple, dans les académies d’Ile-deFrance, sur 44 candidats passant les épreuves, seulement 9 étaient « déjà engagés
dans un enseignement CAV », tandis qu’en 2008 sur 43 candidats, la moitié (22)
étaient en poste en collège. Il semble donc qu’une ambivalence demeure, plus ou
moins implicitement, avec le risque de créer plus de frustration que de
reconnaissance. Les rapports de jury proclament qu’il ne faut pas se suffire de faire
état d’une expérience de type « atelier », « club vidéo », « dispositif école au
cinéma », ni d’une « honnête cinéphilie » : cette certification apparaît donc
essentiellement (voire exclusivement) prévue pour « constituer un vivier de
professeurs » capables d’enseigner dans les enseignements artistiques « cinéma et
audiovisuel » de lycée. Or ce constat peut sembler un peu hypocrite : à défaut
d’assurer une formation claire et institutionnellement valide de ces enseignements,
on demande aux professeurs de se former seuls, de manière autonome,
indépendamment de l’Institution scolaire et des concours de recrutement, pour
finalement, comme le dit C. Juppé Leblond « repérer des compétences inconnues »
chez les professeurs. Des compétences qui sont en effet d’autant plus inconnues de
l’Institution que ce n’est de toute évidence pas à elle que les professeurs les
doivent ! Cela revient donc globalement à déléguer la formation des professeurs à
d’autres (université, bonne volonté personnelle…). L’Éducation nationale semble
avoir renoncé à une formation qui pourrait précisément répondre à ses besoins et à
ses ambitions.
Si l’on s’en tient aux compétences potentiellement acquises dans le cadre de la
formation continue, il faut se tourner vers les Plans Académiques de Formation
dans lesquels le professeur peut – parfois – trouver l’occasion d’un véritable
- 166 -
enrichissement de ces compétences.
2.2.4 La
formation
continue :
le
Plan
Académique de Formation (PAF)
Publié chaque année, le PAF (Plan Académique de Formation) propose des stages à
durée limitée à tous les enseignants titulaires. Il consiste en des modules de
formation proposés au professeur sur son temps de travail304. Les formations
proposées concernent aussi bien la formation disciplinaire, les formations
transversales, que les préparations aux concours. Parmi ces formations, bien peu se
détachent de la formation disciplinaire, renforçant la lacune déjà remarquée en ce
qui concerne la formation initiale. Puisque le « cinéma » n’est pas considéré comme
une discipline, il ne bénéficie pas de la même offre de formation que les disciplines
instituées et se retrouve le plus souvent cantonné à une formation de quelques
jours parmi les stages proposant une « ouverture culturelle interdisciplinaire » ou
relevant de l’« éducation artistique et culturelle ». Les académies qui proposent des
formations
spécialement
« fléchées »
à
destination
des
enseignants
des
enseignements artistiques CAV ne sont pas majoritaires305, alors même que toutes
les académies (sauf les Dom-Tom : Guyane et Polynésie Française) sont concernées
par ces enseignements. La première cause est numérique : finalement très peu de
professeurs, à l’échelle d’une académie, peuvent être directement concernés par une
304
En moyenne un professeur peut habituellement prétendre à six jours de formation par année scolaire,
chaque enseignant pouvant au maximum faire trois demandes de stage par année scolaire, soumis à
l’approbation du chef d’établissement. Cette moyenne varie selon les académies et le bon vouloir des chefs
d’établissement qui peuvent favoriser ou non l’accès aux stages proposés dans le cadre du Plan
Académique de Formation. Les contenus des stages varient d’une académie à l’autre. Les Missions
Académiques de Formation des Personnels de l’Éducation nationale (MAFPEN) ont, depuis la rentrée
1998, intégré les IUFM, mais ce sont les recteurs qui sont responsables de l’élaboration des plans de
formation même s’il revient aux IUFM d’en assurer la mise en œuvre. La formation continue s’appuie sur
des structures extérieures : universités, institutions culturelles, prestataires externes ou internes à
l’Éducation nationale. Des voix s’élèvent pour dire que l’accès à cette formation continue est de plus en
plus aléatoire, et que les budgets alloués à la formation sont de plus en plus restreints.
305
Pour 2011-2012, j’en ai recensé 11 sur les 26 académies métropolitaines : Lille, Reims, Rouen,
Besançon, Orléans-Tours, Lyon, Grenoble, Montpellier, Rouen, Aix-Marseille, Versailles qui consacrent
spécifiquement un des items de leur plan académique aux « options cinéma » et aux « enseignements
artistiques cinéma ».
- 167 -
formation spécifiquement consacrée à l’enseignement du cinéma. Le principal
problème est donc la relative rareté de ces formations qui s’adapte à la relative
rareté des professeurs concernés. À titre d’exemple, l’offre de formation pour
l’année scolaire 2011-2012 dans l’académie de Créteil - qui est pourtant une grosse
académie en nombre de professeurs et dont onze établissements peuvent se
prévaloir d’un enseignement artistique en cinéma, six en options de spécialité - ne
consacre qu’un seul stage spécifique au cinéma. Ce stage se trouve dans les
« formations transversales » dans l’item « ouverture culturelle, internationale et
partenariats ». Il est consacré au cinéma d’animation et prévu sur trois jours à la
Cinémathèque française. En effet, les plans académiques de formations des
académies de Créteil, Versailles et Paris s’appuient beaucoup sur les institutions
culturelles voisines : Musée du Jeu de paume, Musée des Arts et métiers, musée
Rodin, MACVAL, et en ce qui concerne le cinéma : Cinémathèque, Forum des
images, ACRIF (Association des Cinémas de Recherche d’Île-de-France…). Le but
est également d’encourager ou de soutenir le développement des partenariats306. Ces
propositions de formations se déroulent la plupart du temps sur 6 h, 12 h dans le
meilleur des cas. Comparativement, les formations autour des dispositifs « école,
collège et lycéens au cinéma » proposent beaucoup plus d’heures, et ce dans toutes
les académies. Ces dispositifs, qui concernent aujourd’hui beaucoup plus de
professeurs que les options et enseignements artistiques, sont peut-être les plus
pourvoyeurs de formation in fine, même s’ils sont sans rapport avec les programmes
spécifiques « cinéma et audiovisuel » des enseignements artistiques.
Après un petit tour d’horizon des formations proposées dans diverses académies307,
il s’avère que cette offre de formation est finalement assez consanguine. Ce sont
très souvent des professeurs des enseignements « cinéma et audiovisuel » qui
officient dans ces stages. Dans d’autres cas de figure, assez nombreux, ce sont les
306
Notons que l’Histoire des arts, devenue « priorité nationale » des orientations de la formation est très à
l’honneur dans tous les PAF.
307
Tous les Plans Académiques de Formation sont accessibles en ligne sur le site des académies.
- 168 -
DAAC qui sont en charge de ces formations, et elles sollicitent donc logiquement
les partenaires des enseignements. Les interventions extérieures, en dehors de cette
« boucle », sont donc réduites à la portion congrue. On peut noter ponctuellement
l’intervention d’un « spécialiste de la question », professionnel ou universitaire, sur
le film au programme du baccalauréat. Mise à par l’exception notable de l’académie
de Versailles308 qui travaille depuis plusieurs années avec l’université Paris Diderot
pour un stage de 14 h à destination des enseignants de l’académie, les universités ne
sont jamais partenaires de ces propositions de formation. Le plus souvent, c’est
donc finalement « de l’intérieur » que s’assurent les formations en cinéma : de ce
fait, le renouvellement théorique ne peut être que très limité. Cette consanguinité
contribue à conforter certaines approches théoriques et renforce les paradigmes
déjà évoqués et la formation se résume finalement à « prêcher des convertis ». Les
professeurs en charge des stages sont des « anciens » qui se désignent facilement
comme des « pionniers », et le discours qu’ils professent ne peut qu’aller dans le
sens du système tel qu’il a été mis en place au départ. Les partenaires, acteurs de ces
formations, jouent le même rôle : les institutions ou associations qui travaillent
beaucoup avec l’Éducation nationale comme la Cinémathèque française ou
l’Institut de l’image d’Aix-en-Provence n’ont aucun intérêt à venir « ébranler » les
certitudes théoriques ou paradigmatiques des professeurs avec qui elles travaillent
et avec lesquels elles ont contribué à construire l’enseignement du cinéma en lycée
tel qu’il est aujourd’hui.
En termes de contenu, les stages apparaissent parfois connectés aux initiatives
culturelles locales : une visite dans l’exposition du moment à la Cinémathèque, une
réflexion sur le passage de la BD au cinéma d’animation dans l’académie de
Poitiers, en liaison avec le Festival d’Angoulême. Les contenus théoriques
précèdent souvent des activités qui s’inscrivent aussi beaucoup dans la pratique : la
« réalisation d’une forme courte » à Versailles, l’« écriture de scénario » à
308
Il s’agit de l’académie de Versailles qui propose des stages autour du cinéma relativement nombreux,
dont l’un d’entre eux est assuré par l’Université Paris 7 et piloté par Jacqueline Nacache qui s’efforce
d’offrir aux professeurs de cette académie une véritable ouverture sur les théories universitaires,
particulièrement en ce qui concerne l’analyse filmique.
- 169 -
Strasbourg, « faire un film »309 à Reims ou « réaliser un court métrage » en Guyane,
et plus marginalement une formation proposée sur les logiciels de montage virtuel
dans l’académie de Lille. La proposition de formation « colle » bien à la liaison
théorie/pratique défendue dans les textes officiels et la théorie semble cantonnée
surtout aux stages proposés en liaison avec le film entrant au programme du
baccalauréat que l’on trouve dans quelques académies minoritaires310. Dans ce
cadre, les interventions d’universitaires sont possibles, mais restent de fait réduites à
un nombre d’heures très restreint sur un nombre total d’heures allouées au cinéma
lui-même limité comme je viens de le voir.
On peut remarquer aussi l’absence de stages de formation consacrés à la
préparation de la certification. Sur ce point encore, l’académie de Versailles fait
exception puisqu’elle propose un module de 21 h de préparation à la certification
en cinéma et audiovisuel, en association avec l’IUFM de Cergy-Pontoise. Elle est
malheureusement la seule à intégrer explicitement cette formation dans son plan
académique de formation. Ailleurs, les professeurs désireux de se former peuvent
éventuellement prendre l’initiative d’aller suivre des cours dans les IUFM qui
dispensent une préparation aux concours internes qui contiennent des épreuves
d’analyse filmique. Mais les possibilités d’accès sont limitées
Il existe enfin un « Plan National de Pilotage », à destination des IPR et des
enseignants, qui peut proposer des colloques et conférences. Ils s’appuient le plus
souvent sur le milieu universitaire ou sur les ressources de l’École Normale
Supérieure. Mais force est de constater que les propositions sont rares : en 2005 un
séminaire national sur « Le hors champ » en partenariat avec ENS Ulm, en
2007, l’Université d’Automne sur « Les représentations du réel à l’écran » en
partenariat – encore - avec la Cinémathèque Française. Depuis, plus rien
concernant le cinéma. Pour les IPR, la formation reste donc également
309
Sachant que le stage doit se faire en… 12 h !
Pour le PAF 2011-2012, des modules de formation sont réservés à l’étude du film Yeleen dans
l’académie de Lyon, Montpellier, Aix-Marseille, Reims et en Corse.
310
- 170 -
problématique. J’ai pu personnellement assister à une session de formation
organisée par l’Inspection générale à destination des IPR en charge du cinéma et de
l’audiovisuel. La formation est concentrée sur deux jours, dont une demi-journée
dévolue à des questions institutionnelles. Il ne reste qu’une journée et demie par an
pour permettre éventuellement à des universitaires – c’était le cas en 2010311 – de
parler de cinéma, la formation étant elle aussi, comme pour les professeurs, axée
sur le film entrant au programme du baccalauréat.
Je conclurai ici sur une différence fondamentale entre la perspective culturelle de
l’option CAV et la perspective professionnalisante du BTS qui se matérialise par un
rapport à la formation continue très différent. Je m’en tiendrai à quelques
constatations de terrain sans prétention généralisante. Quand il s’agit d’enseigner
des techniques audiovisuelles, un professeur est absolument obligé de remettre en
question son savoir et de l’actualiser sous peine d’être définitivement déclaré
incompétent. C’est ce que les textes officiels appellent la « veille technologique » à
laquelle tous les professeurs de l’enseignement technique sont très sensibles. Le
« chef de travaux »312 a par exemple pour mission d’« encourager et de permettre » à
tous les professeurs des sections techniques et industrielles cette « veille
technologique ». A contrario, on ne demande pas vraiment aux professeurs de
Français, d’Histoire-Géographie ou d’enseignements artistiques d’actualiser leurs
connaissances. Il n’est pas possible, pour un professeur de technique, de rester sur
311
J’ai eu la chance d’intervenir personnellement dans ce stage pour proposer un bref « panorama » des
différentes théories du cinéma représentées dans le champ universitaire permettant de mettre en œuvre
une analyse filmique. Après moi, c’est Alain Bergala qui proposait une réflexion sur les attendus du
concours de la FEMIS. Ne peut-on y voir encore une certaine forme de ce que j’ai appelé plus haut la
« consanguinité » ?
312
Dans les lycées technologiques et professionnels, le chef de travaux est un conseiller et un spécialiste
issu d’une discipline technologique ou professionnelle, qui exerce ses fonctions, sous l’autorité directe du
proviseur de lycée technologique ou professionnel. Ayant essentiellement un rôle pédagogique, le chef de
travaux devient l’adjoint du chef d’établissement, pour l’aider dans le choix et l’achat des équipements
pédagogiques, pour l’informer sur l’évolution des professions et des nouvelles technologies, pour
concevoir un plan de formation des personnels techniques de l’établissement, pour veiller à la mise en
conformité des locaux, des matériels pédagogiques et à la formation des professeurs par rapport aux
normes d’hygiène et de sécurité.
- 171 -
ses acquis tout au long de sa carrière, ni de mépriser les pratiques audiovisuelles
nouvelles, ni de refuser de se former aux innovations techniques : elles font partie
de son quotidien. La formation devient donc une obligation professionnelle qui
pousse justement au renouvellement des acquis avec le lot de remises en question
périodiques qu’il suppose. Dans le cas des « enseignements de cinéma », cette
remise en question apparaît fort problématique : ce sont toujours les mêmes qui
prennent en charge la formation, sur des créneaux réduits à la portion congrue :
globalement, le risque est fort de n’apprendre rien d’autre que ce que l’on sait déjà
et de voir seulement « valider » ou conforter sa pratique.
On l’a vu, les partenaires culturels sont actifs dans l’offre de formation, et il
convient de cerner et d’interroger la place qu’ils occupent dans les enseignements
artistiques de cinéma et audiovisuel en lycée.
2.2.5 Les conventions partenariales
Il est obligatoire de justifier d’un partenariat avec une institution culturelle pour
installer un enseignement de spécialité en cinéma et audiovisuel dans un lycée.
Dans les définitions de cet enseignement, il est précisé qu’« il est assuré par une
équipe associant des enseignants de plusieurs disciplines ayant reçu une formation
de cinéma et audiovisuel et un ou plusieurs partenaires culturels. »313
J’ai vu précédemment que l’interdisciplinarité était variablement respectée dans les
réalités du terrain. Par contre, la présence d’un partenaire culturel est absolument
obligatoire. Ce désir de faire entrer des partenaires culturels dans les écoles fait
partie des décisions qui ont permis l’essor des enseignements artistiques. J. Lang a
tenu un rôle sur cette question, insufflant une volonté très forte du côté du
ministère de la Culture en 1982, au moment des premiers rapports officiels visant à
313
BO enseignements artistiques 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 21.
- 172 -
l’ouverture des enseignements. R. Odin, comme P. Baqué, ont témoigné du rôle
moteur du ministère de la Culture dans l’enseignement du cinéma. P. Baqué,
présent lors des premières rencontres entre les représentants des deux ministères a
précisé lors de l’entretien que j’ai eu avec lui que c’était véritablement le ministère
de la Culture de J. Lang qui avait servi d’aiguillon à l’avancée générale du projet. Les
collaborateurs de J. Lang « harcelaient » (pour reprendre les mots de P. Baqué) A.
Savary alors en charge d’un ministère de l’Éducation nationale a priori beaucoup
moins disponible et motivé sur la question des enseignements artistiques314.
Les partenaires culturels sont en effet chargés de mettre à disposition des
établissements partenaires un certain nombre de « professionnels » du cinéma qui
interviendront dans le programme des enseignements. Ces interventions sont
financées par la DRAC au vu d’une convention de partenariat qui définit les rôles
respectifs des partenaires. Ces conventions sont propres à chaque établissement et
peuvent donc varier selon les cas. Elles sont soumises à l’approbation du Conseil
d’Administration de l’établissement chargé de vérifier leur respect de certaines
règles liées à la vie de l’établissement, à utilisation des locaux et du matériel, etc.
Cette validation par le Conseil d’Administration engage toute la communauté
éducative, y compris le chef d’établissement, et donne donc au partenariat une
légitimité forte. La convention permet également de définir les modalités
financières du partenariat qui sont variables selon les cas. L’établissement peut faire
un effort financier, en particulier dans les transports des élèves par exemple,
certains rectorats participent aussi au financement des enseignements. Une
représentante de la DRAC dans l’académie de Versailles a pris la parole lors d’une
réunion des professeurs de cinéma de l’académie à laquelle j’ai assisté en mars 2010,
pour insister sur l’obligation pour les professeurs en charge de l’enseignement
d’établir un devis puis un bilan financier précis de leur action. Elle a fortement
314
C’est une dichotomie qui paraît traverser et structure l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel en
France : l’École Louis Lumière par exemple dépend de l’Éducation nationale tandis que la FEMIS est
rattachée au ministère de la Culture.
- 173 -
insisté sur le fait que le financement de la DRAC ne pouvait subvenir à tous les
besoins des classes et que la colonne des recettes ne saurait se réduire à
l’investissement financier des DRAC. En effet, les DRAC considèrent leur
investissement comme ne pouvant être qu’une subvention, et donc par définition,
une aide partielle dans un budget plus global. Il semble cependant que beaucoup
d’établissements ne fonctionnent qu’avec la « subvention » de la DRAC comme
tout budget (1.3.4).
Le partenaire peut être une institution ou un lieu culturel. Un état des lieux officiel
national a été fait en 2005315, et reste une base de travail fiable même s’il n’a pas été
réactualisé depuis. Un nombre important de diffuseurs figure parmi les
partenaires316. En région Île-de-France, sept établissements fonctionnent en
partenariat avec les Cinémas Indépendants Parisiens comme je l’ai vu plus haut
(1.3.4). Cette structure défend une certaine vision du cinéma « art et essai »
directement en lien avec la cinéphilie « académique » qui va forcément rejaillir sur la
pratique et les enjeux de l’enseignement dans les classes dont elle se trouvera
partenaire. Sa présentation sur son site le confirme :
« L’association Cinémas Indépendants Parisiens, créée le 24 février 1992,
représente 32 salles art et essai, indépendantes et parisiennes.
Depuis 1992, les Cinémas Indépendants Parisiens ont mis en place
différentes activités destinées au public enfant et scolaire, qui participent
d’une même volonté : permettre au jeune public une approche de l’art
cinématographique »317
Des centres culturels peuvent également s’investir dans des partenariats. La
Cinémathèque française par exemple, ou le Forum des images en région parisienne.
Les deux organismes en présence, l’établissement scolaire et une structure
culturelle, ne fonctionnent pas du tout selon les mêmes statuts ni les mêmes
315
Voir en annexe.
Un quart environ des partenaires des enseignements artistiques obligatoires CAV sont des cinémas :
voir en annexe.
317
Site des Cinéma Indépendants Parisiens :
http://www.cinep.org/site/pages/association/presentation.htm, consulté le 12 août 2010.
316
- 174 -
références, il faut donc tomber d’accord sur un « projet » pour maintenir un
minimum de cohérence entre les différentes interventions. Ce « projet » est donc
conditionné par l’« identité » du partenaire. On imagine aisément l’orientation de la
Cinémathèque française vers le cinéma du patrimoine et la vocation fortement
patrimoniale qu’elle apportera dans les classes partenaires, tandis que le Forum des
images tendra plus vers des cinémas rares ou alternatifs, mettant en question la
notion même de cinéma, comme la participation suggérée au Festival « Pocket
film » promulguant dans les classes cette nouvelle forme de cinématographie qu’est
le tournage avec un téléphone portable. Dans le cas où le partenaire est un cinéma,
l’enseignement sera orienté vers la projection de films en salle suivie d’interventions
de « professionnels », selon une médiation proche de celle des anciens ciné-clubs318.
Dans les lycées où j’ai pu me rendre319, peu de problèmes à cet égard. D’un point de
vue théorique, on pourrait imaginer deux écueils : considérer le partenaire comme
un « prestataire » soumis au projet de la classe et ne servant que d’« outil » à sa
réalisation, ou à l’inverse, la soumission de l’enseignant à une ambition artistique
venant du professionnel qui pourrait l’amener à instrumentaliser le dispositif à des
fins personnelles. Si la convention permet d’officialiser un certain partage des
tâches, la mise en œuvre réelle du partenariat ne peut se faire qu’au coup par coup,
dans une relation humaine qu’il serait utopique de vouloir généraliser ou théoriser
dans l’absolu.
318
Je renvoie ici, encore une fois, à la thèse de Perrine Boutin, op. cit., sur les « médiations culturelles » en
liaison avec le dispositif « école au cinéma ».
319
Il s’agit des lycées Hector Berlioz à Vincennes, Henri Martin à Saint-Quentin, Saint Jean-Baptiste de la
Salle à Reims, Suger à Saint-Denis, Pierre Corneille à Rouen, proposant tous un enseignement artistique de
spécialité en cinéma et audiovisuel. Je me suis également rendu au lycée Edmond Rostand à Roubaix, qui
propose cet enseignement en option facultative et au lycée Jeanne d’Arc à Rouen qui propose l’option
« études cinématographiques » en Hypokhâgne et Khâgne (ce qui est le cas aussi au lycée Henri Martin à
Saint-Quentin).
- 175 -
2.2.6 L’intervenant « partenaire »
Il convient que je m’arrête sur le rôle des intervenants qui vont dans les classes.
Mais je dois préciser d’emblée que je n’ai consacré aux intervenants que peu de
place, et ce pour différentes raisons. Tout d’abord, l’intervenant ne m’a pas semblé
infléchir les paradigmes de ces enseignements : soit parce qu’il les partage320, soit
parce qu’il n’intervient que ponctuellement (en moyenne 30 heures par année
scolaire, c’est-à-dire environ ¼ du temps scolaire), toujours à l’initiative des
professeurs, et également contraint par les programmes et les épreuves du
baccalauréat. Ensuite, je marque là une différence entre ce que P. Boutin a étudié et
qui relève de la médiation et ce que je me propose ici d’analyser qui relève de
l’enseignement, c’est-à-dire d’une transmission de savoirs au sein d’un système
institutionnel qui lie en priorité élèves et professeurs tenus par des « programmes
officiels ». J’ai donc choisi également de ne pas faire d’entretiens avec ces
intervenants. Une des raisons est le désir de ne pas trop alourdir cette thèse, déjà
longue, mais surtout la certitude que le travail spécifique de l’intervenant qui vient
plus ou moins régulièrement – et d’ailleurs proportionnellement assez peu – dans
une classe ne relève pas exactement de mon corpus. Mon approche étant axée sur
l’« enseignement », j’ai résolu, comme je l’ai dit, de ne garder que ce qui, dans
l’intervention du partenaire, relève finalement du professeur qui encadre les
interventions. Loin de moi l’idée de minimiser la place de ces intervenants dans
l’enseignement « cinéma et audiovisuel », mais je me suis davantage intéressée au
contexte institutionnel et paradigmatique dans lequel ils s’inscrivent qu’à leur action
spécifique dans les classes en dehors de ce que m’en ont dit les professeurs.
L’aspect « médiationnel » de leur rôle ayant par ailleurs était très bien envisagé par
320
Je renvoie aux missions des pôles évoquées en 1.3.6.
- 176 -
P. Boutin dans sa thèse, et il ne me semblait pas pertinent d’y revenir321. C’est
pourquoi je me suis surtout appuyée sur le discours des professeurs, des élèves et
des représentants des instances partenariales pour aborder cette question de la place
de l’intervenant « partenaire » dans les enseignements artistiques « cinéma et
audiovisuel ».
Le partenariat est censé définir la place de chacun dans les enseignements selon une
forme de complémentarité. Lorsqu’une institution signe un partenariat avec un
établissement scolaire dans le cadre des enseignements « cinéma et audiovisuel »,
elle s’engage à « fournir » des « intervenants » en fonction des besoins pédagogiques
et à la demande du professeur en charge des classes. Dans le cadre du cinéma et de
l’audiovisuel, l’intervenant est le plus souvent un « professionnel », c’est-à-dire
quelqu’un dont l’activité professionnelle est ou a été en rapport avec les « métiers
du cinéma » (scénariste, storyboardeur, réalisateur, opérateur de prise de vues,
ingénieur du son, etc.). Ces intervenants doivent venir compléter la formation des
élèves sur un domaine théorique et/ou technique qui sort de la compétence du
professeur.
Mais l’entrée du partenaire sur le « terrain » du professeur a posé dès l’origine
beaucoup de problèmes. Un point d’achoppement a porté par exemple sur la
présence du « partenaire » au moment de l’évaluation du baccalauréat. R. Odin se
souvient que le débat sur la participation des intervenants professionnels aux jurys
du baccalauréat a occasionné beaucoup de remous. L’idée même que ces
intervenants puissent « évaluer » – ce qui est d’habitude le rôle du professeur – a eu
du mal à s’imposer, car elle semblait précisément mettre en cause la légitimité du
professeur. Car la présence des professionnels induit sans doute une « rivalité des
instances qui prétendent à l’exercice légitime d’un pouvoir d’imposition
321
La conclusion de la thèse de Perrine BOUTIN Le Septième art au regard de l’enfance, les médiations dans les
dispositifs d’éducation à l’image cinématographique, op. cit., montre que la « réussite » des dispositifs de médiation elle ne parle que marginalement des « enseignements artistiques - est très variable et finalement
globalement non-mesurable.
- 177 -
symbolique »322. La question de la légitimité sert finalement à couvrir la question
« territoriale » : un professeur défend aussi son « pré carré », c’est-à-dire le territoire
sur lequel s’applique sa compétence – et sa raison d’être. Ainsi, tout se passe bien
tant que les deux instances ne se positionnent pas dans le même champ de
légitimité. Globalement, sur ce que j’ai pu constater, la partition se fait entre la
« théorie » pour le professeur et la « pratique » pour l’intervenant, ou entre
« l’enseignement culturel » réservé au professeur et l’introduction aux pratiques
professionnelles réservées aux intervenants. La double reconnaissance de l’autorité
pédagogique dans le cadre des enseignements artistiques suppose un présupposé
étonnant dans le système éducatif : le professeur ne serait pas, seul, assez légitime
pour enseigner l’art. Le rapport 2006 du HCEAC insiste d’ailleurs sur la présence
de ces intervenants. Je me permets de le citer ici un peu longuement parce qu’il
résume bien, et par la voix officielle, les écueils et les problèmes que leur
intervention dans le cadre scolaire peut susciter :
« Le recours à des intervenants extérieurs est un point de débat en raison de
l’absence de garantie de l’efficacité de leur action. Mais l’intervention de
personnes extérieures au système scolaire présente certains avantages qui
répondent à la difficulté des enseignants à assumer ces activités. Ces
intervenants imposent une régularité à ces activités. Ils répondent à la crainte
de nombreux enseignants de ne pas maîtriser les connaissances et les
techniques suffisantes pour assurer cet enseignement. Ils responsabilisent
l’enseignant qui doit assurer la liaison entre l’intervenant et les élèves. En
outre, pour certains, ces intervenants constituent le meilleur moyen de
compenser les différences de niveau des enseignants, et permettent donc à
tous les élèves d’accéder à une autre forme de connaissance et de sensibilité
grâce aux partenariats avec les artistes et les associations culturelles.
Toutefois, le recours à des intervenants extérieurs ne fait pas l’unanimité
parce que rien ne garantit l’efficacité de leurs actions, ni leur volonté de
participer à des activités scolaires. Le problème principal est de savoir
comment recruter ces intervenants : faut-il faire appel à des artistes qui ne
maîtrisent pas forcément les outils de la transmission du savoir, ou à des
personnes dont la formation serait plus à même de répondre aux finalités de
la pédagogie que d’éveiller chez les élèves une sensibilité et une vision
322
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op.cit., p. 33.
- 178 -
particulières ? »323
Je me suis déjà posée la question de savoir qui est légitime pour enseigner l’art :
l’artiste ? le professionnel ? le commerçant ? Si ces intervenants ont une légitimité
dans le champ de l’art d’où vient la légitimité de leur autorité pédagogique ? Car
parallèlement se pose la question de leur légitimité pédagogique : l’Éducation
nationale tend à instaurer un examen « d’habilitation à intervenir dans le milieu
scolaire » pour les artistes et les professionnels qui souhaitent intervenir
régulièrement dans le cadre des enseignements artistiques. Mais pour l’instant
aucun examen national n’existe en dehors du DUMI (Diplôme Universitaire de
Musicien Intervenant) qui concerne des intervenants en musique. Pour les autres
enseignements artistiques, l’aval de l’Institution scolaire prend le plus souvent la
forme d’un « agrément » ou d’une « attestation de compétence » éventuellement
délivrée à l’échelle académique. Le système éducatif semble conscient qu’en matière
d’art la seule position de l’émetteur dans la relation de communication pédagogique
n’est pas forcément suffisante à assurer sa légitimité, même si les « intervenants
constituent le meilleur moyen de compenser les différences de niveau des
enseignants ». Il s’agit d’assurer une valeur sociale à l’action pédagogique et de la
vérifier avant de laisser le partenaire prendre en charge des élèves. Ce constat me
semble avaliser mon choix de n’envisager les intervenants que dans la mesure où ils
sont « soumis » aux impératifs du système d’enseignement auquel ils se soumettent
de fait quand ils pénètrent dans une classe.
Cette intervention d’« artistes » en milieu scolaire est donc forcément paradoxale,
d’autant que dans l’imaginaire collectif, l’association entre art et loisir est parfois
vite faite, ignorant la différence entre la pratique amateur et la pratique
professionnelle. Autre paradoxe, s’il est difficile de se revendiquer « créateur
professionnel », la création, lorsqu’elle est reconnue à part entière, s’accommode
mal de l’institutionnalisation que suppose une intervention dans le cadre d’une
323
Rapport HCEAC, 2006, op. cit., p. 55-56.
- 179 -
classe. Le rapport 2006 du HCEAC met en perspective ce débat de la légitimité de
la parole de l’artiste sur l’art, légitimité supposée qui relèguerait le professeur au
rang d’intermédiaire. Le discours de l’architecte Claude Parent, membre du Haut
Comité va dans ce sens :
« Or qui véhicule le mot “art” ? Ce sont les artistes. Or le mot “artiste” n’est
pratiquement jamais prononcé ici. Les professeurs ne doivent pas soudain se
substituer pour que l’Art entre dans l’Éducation nationale, mais ils doivent
abdiquer leur pouvoir et se faire les interprètes des artistes auprès des
élèves. »324
L’idée que le professeur doit « abdiquer son pouvoir » pour se faire « interprète » de
l’artiste est une proposition forte quand il s’agit d’enseignement artistique. La place
de l’enseignant lorsqu’il travaille en partenariat avec un artiste demeure pourtant
problématique. On peut se demander, sans rentrer dans le débat sur la « délégation
du droit de violence symbolique » très propre à la sociologie de la reproduction,
comment se passe cette « délégation » de la parole et comment elle est accueillie par
les élèves. La notion d’« éducation artistique » est bien ici au centre du débat : peutelle être prise en charge par autre chose que par un artiste, mais si un artiste entre
dans une classe sur quels critères juger de son degré de compétence ? de son
efficacité devant une classe ?
Il faut ainsi interroger la place du professionnel dans l’enseignement « cinéma et
audiovisuel » : qui sont ces intervenants ? pourquoi viennent-ils sur le terrain de la
formation ? sont-ils tous des professionnels ? qu’est-ce qu’on entend par
« professionnel » ? Dans le milieu du cinéma et de l’audiovisuel, la notion même
d’« artiste » est problématique tant les compétences sont multiples et diversifiées.
Qui est le mieux placé pour venir dans une classe qui suit un enseignement
artistique « cinéma et audiovisuel » ? Un réalisateur, sans doute, mais pourquoi pas
aussi le compositeur de la musique, un scénariste, un monteur, etc. ? Je parlerai
donc d’eux en termes de « professionnels » plus qu’en termes « d’artistes ».
324
Rapport HCEAC 2006, op. cit., p. 227.
- 180 -
Aux dires des professeurs en charge des enseignements, l’intervenant peut avoir un
rôle très variable. Globalement il entre en action dans trois domaines : l’apport
théorique, l’apport technique, la transmission d’une expérience de professionnel. Il
peut intervenir ponctuellement dans le champ de la théorie : assurer un « module »
de cours sur « le cinéma policier » par exemple ou « le cinéma d’animation » si le
professeur estime que ce champ lui est peu familier et qu’il éprouve le besoin d’une
intervention plus qualifiée. Il peut également intervenir dans le champ de la
technique s’il s’agit de familiariser les élèves avec un logiciel de montage ou avec
une technique cinématographique particulière comme le trucage ou le « Timelapse »
ou l’animation image par image. Il travaille alors davantage sous la forme
d’« ateliers ». Enfin, il est souvent sollicité dans les classes au moment de
l’élaboration du film pour le baccalauréat, où il peut venir à diverses étapes de la
production du film (écriture du scénario, tournage, montage) à la fois à titre
d’encadrant, de support technique, mais aussi parce qu’on attend de lui une
« expérience » du cinéma qu’il peut faire partager aux élèves. Certains
professionnels intervenants ont témoigné de leur activité au sein des classes, dans le
numéro 10 du Cahier des Ailes du désir ou dans diverses Lettres des pôles325. Dans leur
discours, on sent que l’intervenant tente de transmettre son expérience en dehors
d’une parole didactique parce qu’il n’est justement pas le « professeur ». Il s’agit de
« faire plus confiance à une approche sensible qu’à une approche théorique »326,
pour « favoriser une approche directe par l’expérience »327. Ils revendiquent souvent
le fait qu’ils sont là surtout pour « déclencher des choses » pour « partir de l’idée de
l’élève »328. On retrouve aussi beaucoup, dans ces prises de parole « officielles », les
paradigmes de l’art prophylactique : l’activité avec l’intervenant doit permettre à
l’élève de s’épanouir, de se réconcilier avec la classe, avec l’échec scolaire, etc. J’ai
325
La « Lettre des pôles » est l’organe de publication des Pôles de Ressources du CNC : voir 1.3.6.
Témoignage de Anne BAUDRY « enseigner le montage », dans le n° 10 du Cahier des Ailes du désir
disponible en ligne sur : http://www.ailesdudesir.com/revue.htm, consulté le 12 mai 2009, p. 24.
327
LENOIR Jean-Pierre, « entretien avec Jean-Pierre Lenoir », Lettre des pôles n° 8, téléchargeable en
ligne : http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=53, http://www.ailesdudesir.com/revue.htm,
consulté le 12 mai 2009, p. 8.
328
Témoignage de Séverine VERMESH, « enseigner le scénario », dans le n° 10 du Cahier des Ailes du désir,
disponible en ligne sur : http://www.ailesdudesir.com/revue.htm, consulté le 12 mai 2009, p. 16.
326
- 181 -
rencontré des intervenants qui avaient des activités dans diverses associations où ils
proposent leur service dans le cadre de médiations culturelles de réinsertion. L’idée
d’intervenir en « milieu scolaire », puisqu’il est le plus souvent insuffisant à assurer
un véritable statut professionnel ou même un véritable salaire, s’explique surtout
par un désir de partage, de rencontre, d’expériences en dehors du milieu
professionnel. Certains cependant se « professionnalisent » dans l’éducation. Dans
certains établissements dans lesquels je suis allée, l’intervenant était là « à temps
plein » et cette activité en milieu scolaire était devenue sa seule activité
professionnelle.
Dans les entretiens avec les professeurs et les élèves, les avis sont globalement
positifs sur cet « intervenant » qui « passe » plus ou moins bien auprès des élèves
qui leur dénient parfois leur légitimité ou au contraire les trouvent « géniaux ».
Martine, professeur en enseignement artistique de spécialité « cinéma et
audiovisuel » m’a dit en parlant des intervenants329 : « les élèves les respectent plus
que nous ». L’idée est que le professionnel « en est », ce qui lui confère un capital de
sympathie et est propice aux fantasmes. Du côté du professeur, l’intervenant peut
donc apparaître comme une menace, car sa présence même dans la classe révèle
que le professeur n’a pas toutes les compétences ni toutes les connaissances… À
titre de comparaison, dans le BTS audiovisuel, les enseignements techniques sont la
plupart du temps assurés par des professionnels, mais l’enseignement théorique et
général reste encadré seulement par le professeur (sauf intervention ponctuelle). On
retrouve la dichotomie théorie/pratique et donc la dissociation plus « rassurante »
entre les différents champs de légitimité.
Je me permets ici à une constatation personnelle : professeur du « Domaine
Littéraire et Artistique » en BTS audiovisuel depuis sept ans, je ne peux que
reconnaître aux étudiants une compétence technique que je n’ai pas moi-même,
c’est-à-dire un domaine où l’étudiant est meilleur que moi, ce qui conduit
forcément à une certaine relativisation du savoir, de la légitimité et des arbitraires
329
Entretien le 16 décembre 2008.
- 182 -
culturels. Quand mes étudiants « montent » une régie multi caméras, j’admire leur
capacité à connecter toutes ces machines entre elles, à faire fonctionner des
systèmes informatiques complexes. Je suis meilleure qu’eux en expression écrite,
bien sûr, j’ai appris à faire de bonnes dissertations et à élaborer une pensée
problématisée, mais dans ces moments-là, je sens que la compétence technique
qu’ils ont acquise et qu’ils déploient a une valeur parfaitement incontestable et dont
je suis parfaitement incapable. Je suis heureuse de partager cela avec eux, et je
pense que la formation globale en bénéficie. Car quand je leur fais cours, ensuite, je
ne me positionne pas comme un professeur qui sait face à eux qui ne savent pas,
mais comme quelqu’un qui peut leur apporter une compétence supplémentaire
pour les rendre encore meilleurs qu’ils ne le sont : il s’agit surtout d’ajouter « une
corde à leur arc ». Par ailleurs, il me prend parfois l’envie d’apprendre avec eux à
utiliser un mélangeur pour faire une réalisation multi caméras…
Je constate en tout cas que les professeurs de ces « matières » minoritaires et
spécifiques que sont les enseignements artistiques sont pris dans un réseau de
paradigmes, de données institutionnelles, de mises en œuvre particulières de leur
pratique. Il convient donc de s’interroger sur différentes « attitudes professorales »
dans le cadre de ces enseignements « cinéma et audiovisuel » en lycée.
- 183 -
2.3
Des attitudes professorales
2.3.1 Comment enseigner ? Le syndrome de
la dispute
Comment les professeurs se positionnent-ils dans ce contexte ? Les réponses sont
forcément aussi variables que le nombre d’individus en charge des enseignements
disséminés dans toute la France330. Je pars donc ici, encore une fois, de
constatations empiriques et des entretiens menés. Il ne s’agit pas pour moi
d’avancer des théories globales, mais de raisonner sur des exemples, certes
particuliers, qui permettent dans le cadre d’une sociologie pragmatique de
développer quelques réflexions qui n’ont pas de prétentions globalisantes mais dans
lesquels se dégagent, à mesure, certains paradigmes ou prédispositions dominants.
Empiriquement, il apparaît deux types de postures des « professeurs de cinéma ».
La première posture consiste à tenter d’infléchir les goûts de l’élève pour leur
transmettre une « culture officielle » considérée comme culture légitime. Ce modèle
reste conforme à la sociologie de la reproduction : l’autorité pédagogique repose sur
la violence symbolique exercée par ceux qui sont chargés de transmettre l’arbitraire
culturel en dissimulant cet arbitraire sous la forme d’une culture légitime. Cette
posture revient parfois à construire une « bonne connaissance » sur une « table
rase » dans une perspective idéaliste d’une « pédagogie des idées claires ». Martine,
lors d’un échange de mail autour de sa pratique de recrutement des élèves de
Seconde dans l’option « cinéma et audiovisuel », me dit qu’elle leur fait remplir des
330
Les sources officielles parlent de 660 enseignants pour 14 625 lycéens suivant des enseignements
artistiques, sous forme d’option ou d’enseignements de spécialité de la Seconde à la Terminale en 2010.
Sources : ministère de l’Éducation nationale, http://www.education.gouv.fr/cid21004/l-education-a-limage-au-cinema-et-a-l-audiovisuel.htmlconsulté, consulté le 03 mai 2011.
- 184 -
fiches :
« Elles sont généralement décevantes. Seule leur envie, qui se manifeste par
l’inscription dans une option artistique, est intéressante. Ensuite, c’est à nous
de répondre à cette envie et de construire un enseignement... Tout reste à
faire, et c’est ça qui est passionnant. »331
Cette attitude rejoint très profondément une question pédagogique qui creuse la
différence entre les professeurs qui cherchent à « purger » « extirper » « ébranler »
« évacuer » d’une manière ou d’une autre ce qu’il y a dans la tête des élèves, et ceux
qui procèdent autrement.
La deuxième posture consiste à partir de la culture des élèves comme point de
départ des apprentissages. Les deux approches se côtoient d’ailleurs parfois chez un
même professeur ! Cela rejoint ce que m’a dit Benoît lors de l’entretien mené avec
lui :
« Les élèves ont le droit d’avoir leurs goûts mais on a nous, et moi je pense
encore plus ici, le devoir, l’obligation, la mission de leur donner la possibilité
d’ouvrir (…) On a à faire à des élèves − pas tous je veux pas faire de
misérabilisme, mais quand même nos élèves y compris nos élèves de CAV
− qui sont censés être un peu plus culturellement éveillés que les autres. Ils
sont quand même dans des représentations et dans des pratiques cinéphiles
qui sont extrêmement restreintes. Donc on ouvre, on leur dit que cela existe,
on essaye de faire en sorte qu’ils éprouvent du plaisir, qu’ils puissent réfléchir
un peu sur l’intérêt de ces films puis après ils poursuivront leur chemin. »332
La réflexion est intéressante : si le professeur accepte de partir de la culture de
l’élève (Benoît dit plus haut : « l’idée moi que je partage c’est que toutes les
cinéphilies se valent »), c’est pour l’« ouvrir », c’est-à-dire la transformer. Le
jugement de valeur est implicite puisque la cinéphilie de l’élève est – comme dans le
mail de Martine – jugée « extrêmement restreinte ». Lors de ce même entretien,
Benoît me confiait :
« C’est d’autant plus dur qu’on a souvent affaire à des gamins qui même
lorsqu’ils ont une cinéphilie, est une cinéphilie je dirais de l’immédiat, du
contemporain. Il n’y a pas de mise en perspective, très très peu (…) un angle
c’est quand on arrive à leur faire comprendre que leur cinéphilie et que les
331
332
Mail du 10 décembre 2008, correspondance privée.
Entretien le 27 mars 2009.
- 185 -
acteurs de leur cinéphilie, les réalisateurs qu’ils aiment ce sont des gens qui ce
sont nourris. (…) Donc sans arrêt, je suis obligé de remettre en perspective
(…)Vous voulez savoir Caligari 1919, pourquoi une rupture ? et bah voilà,
voilà ce que l’on voit en 1919, voilà ce que voient les gens. Tu leur passes du
Feuillade, les vampires, machin, Chaplin et “vous voyez alors ?”. Et tu viens
petit à petit à leur faire saisir la nouveauté. »
L’enjeu est bien toujours de valoriser le passé, conformément au devoir de
transmission patrimoniale déjà évoqué (2.1.3.) et dont les professeurs se sentent
dépositaires. La « mise en perspective », c’est la remontée vers le passé
cinématographique pour faire comprendre sa « nouveauté »…paradoxe peu
séduisant pour les élèves, comme l’admet Benoît. Dans un entretien, Brice, un
professeur de DLA en BTS, m’a dit interdire « aux élèves de citer un film
hollywoodien de moins de 10 ans »333. La pratique pédagogique repose alors sur une
perspective historique inversée : il s’agit par exemple de partir du « dogme 95 » et
de remonter jusqu’à l’expressionnisme allemand334, de partir éventuellement d’une
certaine culture « mainstream » que les élèves possèdent, mais seulement dans le
but de remonter à une cinéphilie plus « patrimoniale » dont le professeur est le
dépositaire :
« Je leur explique qui on est : en général des tenants de la culture avec un
grand C puisque c’est notre fonds de commerce, on va pas non plus se tirer
une balle dans le pied ! »335
Le savoir des élèves est donc considéré comme un point de départ qui doit
immanquablement mener à une la culture scolaire, qui reste, implicitement ou non,
plus « valable » dans l’esprit de certains professeurs. Si Benoît présente la mission
du professeur comme un devoir d’« ouvrir » les élèves, cette « ouverture » se fait en
direction de « la culture avec un grand C », plus légitime donc. Ce procédé rejoint le
principe de déculturation/acculturation que la sociologie de la reproduction analyse
à propos du système scolaire. Car les professeurs sentent le décalage entre leur
333
Entretien le 1er décembre 2008.
C’est la proposition que fait Benoît.
335
Entretien avec Benoît.
334
- 186 -
culture et celle des élèves. Pour Benoît :
« Je pense en plus qu’ils sont fans du cinéma asiatique, c’est la génération.
Alors pas de celui-là, mais c’est plutôt John Woo, Jonnhy To, les Coréens,
etc. (…) ils aiment bien c’est un truc un peu clinquant (…) beaucoup de
cinéma asiatique (…) je suis justement très cinéma classique, le western, le
polar et en même temps sensible à d’autres choses.
Justement j’essaye de mettre en pratique ce que je leur dis en début d’année
quand je leur passe le Philippe336. C’est-à-dire : voilà il y a un certain nombre
d’œuvres qu’il faut connaître, on n’est pas obligé de les aimer, mais faut
savoir qu’elles ont marqué et qu’elles ont représenté une étape. Il y a quelque
chose là qui fait que ça mérite de s’y attarder un petit peu. Donc je m’efforce
d’aller piocher dans ce qui me semble pouvoir servir, mais en même temps,
on les prépare à un examen. (…)
Memento de Chris Nolan ça les a “ waouu ”. Tu vois complètement, tu sais
plus où tu es. Par contre ça me dérangeait d’autant plus que c’est moi qui en
avait la responsabilité, L’Aurore ça les a fait chier ! mais chier. »
Yannick m’a dit quant à lui : « je leur inflige Le Cabinet du docteur Caligari »337. On
voit ici comment s’articule l’opposition dans la rhétorique professorale : le « vieux
cinéma » vaut plus (ou vaut mieux) que le cinéma actuel, en tout cas il mérite qu’on
« s’y attarde un peu », car ce sont « des œuvres qu’il faut connaître », y compris pour
réussir « à un examen ». Si la culture de l’élève est reconnue, elle doit être
« dépassée » ou « déplacée ».
Mais il m’est arrivé souvent de constater que des élèves attendent aussi l’analyse
d’un certain type d’œuvres. Forme d’autocensure ou d’auto-persuasion, de
perméabilité au discours officiel et intériorisation de l’« ordre du discours » ? Benoît
a également rencontré cette posture :
« Eux (les élèves) peuvent nourrir le cours, même si j’ai tendance à beaucoup
parler. Je me reproche à chaque fois de ne pas leur laisser assez la parole,
mais bon. C’est dans les deux sens et je leur dis que comme moi je reconnais
mes éventuelles faiblesses, il faut qu’eux reconnaissent qu’ils en ont aussi. Et
alors là on vient souvent, c’est souvent la discussion que l’on a en début
d’année − c’est le serpent de mer − sur justement cette notion de légitimité.
“Mais monsieur qu’est-ce qu’on a le droit de citer dans nos essais ?” (…)
336
Allusion à l’opus 100 films pour une cinémathèque idéale que j’ai déjà évoqué en 2.1. qui a été écrit à
l’initiative de Claude-Jean Philippe.
337
Entretien du 9 décembre 2008.
- 187 -
Alors bon, on travaille dessus. Donc je commence l’année par ça avec les
BTS. Je prends, tu sais là le Phillippe des Cahiers du cinéma, il y en a à peu près
200, et je leur dis bah voilà, c’est une liste, y’en a d’autres, mais elle fait
globalement autorité. Disons qu’il n’y a pas grand-chose à jeter. On peut
pinailler sur tel film, sur tel autre ou tel réalisateur, mais globalement vous
allez vous tester, vous allez voir.
moi : C’est pas des films qu’ils connaissent ?
Bah non parce que ce sont souvent des films de patrimoines. »
On voit là revenir la « fameuse » liste et les « 100 films de la cinémathèque idéale »
publiée par Les Cahiers du cinéma, preuve que cette question de la légitimité culturelle
est au cœur des enseignements culturels. Jacques, professeur en Khâgne, m’a dit :
« je suis obligé de dire à mes hypokhagneux que sur le comique il vaut mieux citer
Wilder que Claude Zidi », car « je connais les correcteurs du concours et je sais ce
qu’ils attendent »338. On peut parler ici de « guerre de positions », parce que les
interactions professeurs/apprenants ont tendance à figer chacun dans son rôle
prédéfini. Dans le même esprit, j’ai constaté moi-même que des élèves ont parfois
tendance à mépriser l’étude en classes d’œuvres qu’ils n’estiment pas (à tort ou à
raison) « dignes » d’être enseignées à l’École.
Certains professeurs revendiquent donc leur rôle dans la transmission « d’œuvres
majeures » contre les (mauvais) goûts affichés des élèves, qui sont parfois des goûts
qui ne relèvent précisément pas du « cinéma » : « oh non, si on parle de série TV, la
prof elle nous tue », m’ont dit Tiphany et Élodie.339, fan de « séries américaines » et
élèves en Terminale L enseignement de spécialité CAV. On discerne là un mépris
affiché, voire revendiqué, du « professeur de cinéma » pour la télévision et
« l’audiovisuel ». Certains professeurs semblent en effet avoir intériorisé cette
hiérarchisation en termes de légitimité culturelle, et elle est parfois encore plus
présente dans les pratiques quotidiennes de terrain que dans les textes officiels.
L’ex-Inspectrice générale C. Juppé-Leblond déplorait que la plupart des professeurs
338
Entretien le 10 février 2008.
Entretien avec Tiphany et Élodie élève en Terminale L suivant l’enseignement de spécialité CAV dans
un lycée de proche banlieue de Paris, mené le 15 décembre 2008.
339
- 188 -
méprisent l’enseignement de l’audiovisuel dans le cadre de l’enseignement CAV340 et
que des dissensions soient perceptibles et inévitables quand il s’agit de prendre
comme objet d’étude, dans ces enseignements, des objets télévisuels comme la
publicité. Les professeurs de CAV que j’ai rencontrés m’ont d’ailleurs dit laisser peu
de place à « l’audiovisuel » dans leur cours et ne s’intéresser qu’au « cinéma ». Ils
justifient rarement ce fait en termes d’arbitraire culturel, mais plutôt par le
« manque de temps » et l’idée selon laquelle les élèves connaissent car ils « regardent
tout le temps la télé » alors qu’ils ont tout à apprendre dans le domaine du
cinéma341. Pour certains professeurs, cet arbitraire culturel est totalement intériorisé
et ne s’exprime même plus comme un arbitraire. Pourtant, l’avertissement de la
sociologie de la reproduction mérite d’être rappelé :
« L’arbitraire culturel a d’autant plus de chance de se dévoiler comme tel que
l’AP (Action Pédagogique) s’exerce sur un groupe ou une classe dont
l’arbitraire culturel est plus éloigné de l’arbitraire culturel qu’inculque cet
AP. »342
On risque donc assez vite un « divorce » entre la culture des élèves et la culture
légitime que défend l’École, point sur lequel la sociologie de l’expérience scolaire
nous permettra de revenir. Les enseignants se positionnent comme des « passeurs »
plus ou moins conscients de cet arbitraire culturel en tant qu’ils le jugent légitime –
ou le nomment « patrimonial ».
Mais un professeur se trouve parfois confronté à ce qu’E. Goffman, dans Les rites
d’interaction343, appelle « perdre la face ou faire bonne figure », quand il ne peut que
constater qu’il n’a pas vu nombre de films dont ses élèves lui parlent. Pour Benoît :
340
Entretien le 7 février 2009.
Je remarque que les professeurs de BTS rencontrés sont un peu plus souples par rapport à cette
question de la légitimité culturelle et se permettent pour certains d’entre eux quelques « incartades » dans
l’étude de films plus « grand public ». L’étude de l’audiovisuel étant par ailleurs encouragée par le
référentiel du DLA, la pression des « grands hommes » est moins clairement exprimée et donc moins
clairement ressentie par les professeurs. Les débouchés du BTS sont essentiellement techniques, et dans le
domaine de l’audiovisuel : beaucoup d’étudiants seront d’ailleurs embauchés par la télévision.
Contrairement aux textes officiels de l’option CAV de Terminale, l’artistique est même parfois vécu avec
méfiance. Les référentiels sont rédigés avec l’IG des filières techniques et par des professionnels de
l’audiovisuel, et l’on remarque que les présupposés ne sont pas du tous les mêmes.
342
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op.cit., p. 19.
343
GOFFMAN Erving, Les rites d’interaction, Traduit de l’anglais par Alain KIHM, Paris : Édition de
minuit, collection « Le sens commun », 1974, 236 p.
341
- 189 -
« Ce qui est intéressant là dedans, par rapport à une autre vue du savoir, c’est
le rapport enseignant/élève. Comme je te dis, moi j’ai des gamins dès le lycée
puis en BTS encore plus qui, sur certaines cinéphilies, s’y connaissent plus
que moi. Et je ne leur cache pas. (…) Il y a une cinéphilie, qui parfois est très
ciblée. On a des fondus, dans la Terminale de cette année − qui est une
mauvaise Terminale avec des cas vraiment très lourds d’élèves en situation
de décrochement − mais qui tiennent que pour ça. Mais qui sont des dingues
de cinéma, le cinéma de Johnnie To. »
La légende veut que « la dispute » ait tenu une place privilégiée dans la tradition
universitaire française. Elle consistait en une discussion entre un élève et son
maître : si l’élève parvenait à répondre ou à argumenter mieux que le maître, il
pouvait prendre sa place. J’appellerai donc d’un point de vue psycho-pragmatique
ce complexe du professeur qui se sent dépassé par l’élève ou qui se dit qu’il peut
l’être (en la matière, le fantasme est aussi puissant que la réalité), le « syndrome de la
dispute ». Or on peut aisément concevoir que ce « syndrome de la dispute » soit
d’autant plus présent qu’aucun diplôme n’avalise le professeur en charge de la
discipline. Les inquiétudes quant aux compétences semblent alors majoritairement
reposer sur plusieurs craintes. Tout d’abord, la crainte que l’élève ne maîtrise mieux
la technique, la jeune génération étant particulièrement habile dans la manipulation
de logiciel et l’outil informatique. Le rapport de 2007 concernant l’éducation aux
médiass se faisait l’écho de cette crainte ressentie par les professeurs quand il s’agit
des médias :
« Aujourd’hui, les médias ne constituent pas un savoir parmi d’autres : tous
les savoirs sont médiatisés. Les enseignants vivent pour la plupart cette
intrusion dans leur champ d’action comme une concurrence forte, une
dépossession et une menace de leur autorité (…) le rapport entre maître et
élève change fondamentalement, les professeurs doivent faire un effort
important pour se repositionner et préserver leur crédibilité. » 344
L’enseignement du cinéma sollicite effectivement, à l’heure du tout numérique, les
outils médiatiques et informatiques qui nécessitent des apprentissages à la fois
techniques et intellectuels que le professeur doit apprendre à maîtriser s’il veut s’en
servir avec ses élèves. Un professeur me disait : « sur Adobe Première, ils (les
344
« L’Éducation aux médiass, Enjeux, état des lieux, perspective », op. cit., p. 53.
- 190 -
élèves) sont meilleurs que moi »345. Si en BTS audiovisuel, comme je l’ai vu plus
haut, ce genre de constat fait partie intégrante du métier, il semble plus
problématique en lycée, où les outils sont ceux de la pratique amateur. Pour
« sauver la face », le professeur dispose alors de deux solutions : s’approprier la
technique ou la mépriser, la déléguer à d’autres (« l’intervenant » d’ailleurs légitimé
par les textes officiels, comme je l’ai vu). Et ne risque-t-on pas d’ailleurs de perdre
en légitimité si l’on parle de cinéma sans n’avoir jamais touché une caméra et de
montage sans savoir utilisé un logiciel ? Il est question ici d’une légitimité qui
viendrait d’une expérience du cinéma. La posture inverse – ne pas toucher à la
technique, la laisser à l’intervenant − n’est tenable qu’en vertu d’une radicalisation
de l’opposition entre le « cinéma » considéré comme un art (le film alors considéré
comme un texte à déchiffrer) et « l’audiovisuel » considéré comme une technique
relevant de la techné dans laquelle les compétences sont manuelles, mesurables,
actualisables et ont une moindre valeur symbolique. Car l’actualisation des
connaissances est un autre facteur de craintes professorales : tout est-il à
refaire face à une technologie en pleine évolution, quelle « connaissance » du
cinéma peut-on défendre quand les productions audio-visuelles sont en pleine
mutation ? Peut-on encore parler de « cinéma » sans aborder les modes
d’expressions audio-visuelles qui s’appuient sur les toutes dernières technologies
comme la 3D par exemple ? Peut-on encore parler de « caméra » quand il s’agit
surtout de calcul numérique, de « travelling » quand il n’y a plus de rails, mais des
calculs complexes de modélisation ? Les textes officiels encouragent à la prise en
compte de ces « nouveautés »346, mais le professeur sent bien que sur ce point
précis, il risque à tout moment d’être dépassé par la culture de ses élèves. Le mythe
du professeur omniscient est en train de s’effriter, car les élèves peuvent
aujourd’hui voir des films très facilement et se créent donc des compétences tout à
345
Entretien avec Yannick, le 9 décembre 2008.
Le dernier BO pour la classe de Seconde précise que le programme des enseignements « aborde les
nouvelles créations artistiques liées à la diversification des écrans, les nouveaux modes de production et de
diffusion et les questions de droits liés aux images et aux sons. » Bulletin officiel spécial n° 4 du 29 avril 2010,
accessible en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid51334/mene1007239a.html
346
- 191 -
fait pertinentes, parfois sur des corpus qui sont totalement étrangers aux
connaissances du professeur. À la question d’un élève : « vous avez vu les films
de… ? » il faut savoir répondre « ah non, je ne connais pas du tout », sans « perdre
la face », et en continuant à « faire bonne figure »347, d’où une dangereuse remise en
cause de l’arbitraire culturel toujours possible. Face à ce savoir empirique de l’élève,
comment un professeur peut-il se positionner ? S’agit-il de mépriser les « souscultures » ? de se raccrocher à ce qu’il connaît, lui, et que les élèves s’approprient
moins facilement parce que c’est « passé de mode » ? Revendiquer l’amour du
« vieux » cinéma en noir et blanc ? Cela revient peu ou prou à délégitimer la culture
de l’élève afin de lui ôter toute valeur symbolique et avoir ainsi l’impression, d’un
point de vue psychologique, de « garder la main ». Ces bouleversements concernent
bien sûr les modalités actuelles de certains tournages et principalement la mise en
œuvre du cinéma « mainstream », mais nier cette évolution revient à creuser l’écart
entre ce cinéma que les élèves connaissent, et celui que l’École enseigne. Quel est le
degré de pénétration à l’École des nouvelles formes et techniques audiovisuelles ? Il
est sans doute très variable selon les établissements et je ne citerai qu’un exemple.
Lors de l’AG de 2008 de l’association « les Ailes du désir » à laquelle j’ai assisté −
qui portait en grande partie sur la « réforme Darcos » qui a finalement été
abandonnée − certains des professeurs présents désiraient que les textes officiels
stipulent que les films étudiés devaient être vus en salle et diffusés à partir d’un
support pelliculaire. Les exploitants de salles présents à l’assemblée au titre du
partenariat se moquaient doucement de la pétition de principe : dans quelques
années il se peut que plus aucun film n’arrive dans les salles sur pellicule… Se
mêlent ici à la fois le mépris pour les nouvelles techniques, la peur de certains (je ne
prétends pas que cette posture soit générale) de voir le monde évoluer plus vite que
leurs connaissances, et aussi l’arbitraire de la valeur symbolique de la pellicule
347
Expressions employées par Erving Goffman dans Mise en scène de la vie quotidienne Tome I, la présentation de
soi, traduction d’Alain Accardo, Paris : Édition de Minuit, coll. « sens commun », 1973.
- 192 -
comme support doté de toutes les facultés ontologiques du cinéma348. À cela
s’ajoutent des réserves plus ou moins consciemment héritées de l’École de
Francfort quant à la « reproductibilité technique » de l’œuvre d’art, ce que la
pellicule permettait déjà, mais que les techniques numériques démultiplient
effectivement. Cet attachement presque fétichiste à la salle de cinéma est également
un trait distinctif de la cinéphilie que L. Jullier et J.-M. Leveratto qualifient de
« moderne » :
« Alors que la cinéphilie “moderne” entretient un rapport sentimental avec la
salle de cinéma comme lieu de l’initiation cinéphile, et tend à assimiler
strictement film et séance cinématographique, la cinéphilie postmoderne
reconnaît la consommation à domicile comme une consommation à part
entière. »349
On retrouve ici l’idée que dans le cadre des enseignements artistiques « cinéma et
audiovisuel », c’est la cinéphilie « moderne » – celle issue des Cahiers et dont j’ai
montré plus haut qu’elle était devenue une cinéphilie « académique » (2.1) – qui fait
entendre sa voix à travers ce genre de débat.
D’ailleurs, cette cinéphilie a aussi maille à partir avec le pouvoir symbolique de
l’écrit. La seule légitimité incontestable du professeur est souvent sa maîtrise de la
langue : l’analyse filmique devient donc le lieu d’une chasse gardée de la rhétorique
dans laquelle le professeur peut assurer sa légitimité, car il sait qu’il domine l’élève
en la matière et que ses diplômes avalisent cette compétence-là. P. Bourdieu et J.-C.
Passeron soulignaient déjà « la valeur éminente que le discours français accorde à
l’aptitude littéraire »350. Pour certains élèves, parallèlement, la dimension
rédactionnelle est la partie la plus dure de la discipline :
348
Depuis A. Bazin, c’est la pellicule qui détient cette « mystique » particulière du cinéma, in « Ontologie
de l’image photographique », in Qu’est-ce que le cinéma ? Paris : Éditions du Cerf (réédité en 1976 puis 1985).
On la retrouve d’ailleurs chez certains cinéastes très légitimes culturellement parlant comme Andrei
Tarkovski, in Le Temps scellé : de L’Enfance d’Ivan au Sacrifice, trad. Anne Kichilov, Charles H. de Brantes,
Paris : Éditions de l’Étoile / Cahiers du cinéma, 1989.
349
JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité
cinématographique, op.cit., p. 157.
350
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 143.
- 193 -
« C’est dur pour eux (les élèves) dans les premiers temps parce qu’ils se
prennent carton sur carton. Parce que bon, l’analyse filmique, faut la rendre,
ça passe par l’écrit. »351
Enseigner le cinéma comme un des beaux-arts revient ainsi à assurer un dispositif
qui est resté ancré dans une pratique à haute valeur symbolique qu’est la maîtrise de
la langue, domaine dans lequel le professeur risque moins de remises en cause. Ce
passage « par l’écrit » permet par ailleurs de justifier le bien-fondé de cet
enseignement à l’École, loin de tout divertissement.
2.3.2 Les dangers du divertissement
Car les dangers de la technique procèdent aussi sans doute d’une méfiance envers
l’idée que le cinéma puisse être essentiellement vecteur de plaisir. À ce titre, je me
permettrai un rappel de la sociologie du système éducatif. P. Bourdieu , citant E.
Durkheim, expliquait que :
« La caractéristique de structure et de fonctionnement de système éducatif en
France à partir du fait qu’il a dû, à l’origine, s’organiser en vue de produire un
habitus chrétien visant à intégrer tant bien que mal l’héritage gréco-romain et
la foi chrétienne »352
E. Durkheim parlait du professeur comme un modèle de vertu investi par une
autorité « sacrée » et P. Bourdieu après lui a établi un parallèle entre la constitution
du champ religieux et la constitution du champ scolaire dans plusieurs articles353.
Certes, ce constat semble bien loin de l’École d’aujourd’hui et de ses convictions
laïques et républicaines. Cependant, j’ai pu remarquer qu’on retrouve parfois, même
à l’état de trace, cet « habitus chrétien » dans le discours professoral quant à
l’enseignement du cinéma.
Ainsi, j’ai constaté une étonnante évacuation du principe de plaisir, voire même une
351
Entretien avec Benoît.
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 70.
353
Voir « le marché des biens symboliques » in L’année sociologique, vol. 22, 1973, et « Genèse et structure du
champ religieux » in Revue française de sociologie, vol. 12, N° 12-3, 1971, p. 295-334.
352
- 194 -
méfiance envers les œuvres qui font plaisir. Cette attitude se résume tout entière
dans l’entretien cité en annexe. D’après Benoît :
« ça les (les élèves) conduit dans une cinéphilie qui est celle du plaisir. Alors
même si de temps en temps ils arrivent à chausser les bottes de l’analyste, de
celui qui s’extrait un petit peu du spectacle pour essayer d’avoir un regard un
peu plus analytique, globalement non, c’est l’entertainment, c’est le
divertissement. »
Pour lui, il faut sortir les élèves de cette cinéphilie du plaisir comme
« divertissement ». Il me semble que lorsque cette crainte existe, elle procède du fait
que le divertissement dans le cadre de l’École risquerait d’être considéré comme ce
que E. Goffman appelle un « semblant-de-travail »354. Car ne risque-t-on pas parfois
de sembler plus proche du « club vidéo » que de l’enseignement artistique ? Dans
l’enseignement du cinéma, une partie des heures de cours sont des heures de
projection (jusqu’à 3 h sur 5 h hebdomadaires, par exemple, au lycée Hector
Berlioz de Vincennes). L’enseignement paraît donc facile, voire récréatif : « on est
tout le temps en sortie » disent certains élèves que j’ai pu rencontrer et « ils vont
sans arrêt voir des films » disent ceux qui voient la « classe de CAV » de l’extérieur.
Benoît en témoigne :
« Tu en as plein qui viennent ici : “ah, option cinéma, c’est cool, on va voir
des films”, etc., “ouais c’est gratuit, pas mal”. »
La notion même de « sortie », fût-elle pédagogique, pose encore problème dans le
cadre de l’École. Malgré sa légitimation en 2010 par le Gouvernement, elle reste
parfois douteuse, auprès des parents, auprès des autres professeurs, auprès des
administrations des lycées. Cette situation ne convient pas forcément à une vision
vraiment « sérieuse » de la matière, car malgré tous les progrès du cinéma en termes
de légitimité, il faut encore souvent prendre des précautions, voire se justifier quand
on prétend que « voir des films » c’est « travailler ».
Ce point précis provoque des attitudes professorales contrastées qu’il serait
également abusif de généraliser et je m’en tiendrais donc à quelques exemples.
354
GOFFMAN Erving, Mise en scène de la vie quotidienne Tome I, la présentation de soi, traduction d’Alain
Accardo, Paris : Édition de Minuit, coll. « sens commun », 1973, p. 108.
- 195 -
Certains professeurs que j’ai rencontrés expriment combien les enseignements de
CAV nécessitent au contraire un « surplus de travail ». Martine, professeur de CAV
dans un lycée proche de Paris355 me dit pendant l’entretien : « le plus tranquille c’est
quand je fais cours dans ma classe. Les sorties, les intervenants, tout ça, c’est le plus
difficile, le plus long à organiser ». Ce propos me semble justement révélateur du
fait qu’au sein des enseignements CAV, le professeur est moins souvent que les
autres dans la situation professorale académique qui constitue encore le modèle
majoritaire aujourd’hui : seul face à une classe. Culpabilise-t-il de ce constat ? en
profite-t-il ? En tout cas, il suscite des jalousies. Et il est intéressant de constater
que ces jalousies s’expriment justement autour de cette question du « semblant-detravail ». Des collègues qui « n’en sont pas » attaquent les professeurs de
l’enseignement CAV précisément là-dessus : « ça a l’air tranquille, les profs cinéma,
ils sont tout le temps en sorties ». J’ai personnellement entendu les mêmes
remarques de la part de collègues à propos du DLA en BTS, sous prétexte que
j’emmène souvent mes étudiants au Louvre, lieu qui paraît pourtant très légitime
culturellement. À tel point que mon collègue de DLA et moi-même avons pris le
parti de parler de « DLA “Hors les murs” » pour évoquer publiquement nos sorties
afin de justifier de leur importance pédagogique et culturelle. Bien sûr, les
professeurs de CAV s’appliquent aussi à légitimer ces pratiques. Pour Benoît :
« On va à [nom d’une salle de cinéma partenaire]. Déjà pour un certain nombre
des gamins de ***, aller à [nom d’une salle de cinéma partenaire] ce n’est pas
jouissif parce que pour eux, justement, c’est la salle d’art et essai, c’est la salle
où l’on va avec l’école (…) C’est du boulot. On leur précise que la salle de
cinéma, en l’occurrence l’[nom d’une salle de cinéma partenaire] est une salle de
cours. Donc ils sont par exemple tenus de s’y comporter, c’est une vraie
bataille… »
L’idée que cette salle n’est pas « jouissive » semble un point important dans le
discours du professeur, car « aller au cinéma » doit apparaître comme « du boulot ».
Il s’agit donc souvent de limiter le plaisir spectatoriel. Ainsi, les salles partenaires ne
sont jamais des UGC. Les professeurs agissent comme s’ils matérialisaient
355
Entretien du 16 décembre 2008.
- 196 -
l’existence « d’un autre cadre que le cadre commercial habituel » comme pour
confirmer « le respect dû au sacrifice personnel de l’artiste et à la nature artistique
de l’objet, et leur participation à l’entretien et à la transmission d’une culture
artistique »356. Mais s’est-on demandé si cet attrait de la « vieille salle » ne se fait pas
au détriment du plaisir physique du spectateur ? Ce choix participe en tout cas
d’une certaine vision de l’œuvre, de l’artiste et du cinéma. La sortie en salle « art et
essais » se justifie par l’exécution d’un rituel qui doit couper les élèves de leur
univers de consommation cinématographique habituel et les amener vers « un autre
monde culturel » désigné comme plus valable que le leur. La salle joue donc
également un rôle dans la légitimation du spectacle présenté, son moindre confort
est justifié par un sens du sacrifice dû au respect des chefs-d’œuvre qu’il faut savoir
apprécier « malgré tout », et qui valent bien une petite concession faite au confort.
La question du « semblant de travail » rejoint donc la question du divertissement
qu’il faut à tout prix éviter si l’on veut légitimer l’enseignement du cinéma, le rendre
plus crédible dans le cadre de l’École. On retrouve aussi peut-être la résurgence
d’une certaine vision chrétienne, le souvenir intériorisé et peu conscient de l’École
de la Troisième République dont le professeur est le « hussard noir » implicitement
chargé « d’évangéliser » les foules. Ici, peut-être retrouve-t-on à l’École l’habitus
chrétien357 selon lequel l’apprentissage passe par une obligatoire souffrance ? Dans
l’idée selon laquelle il faut un peu « souffrir » pour voir de belles œuvres et que
vouloir y prendre trop de plaisir sera considéré comme suspect, se trouve peut-être
aussi un certain mépris du corps spectatoriel et de son plaisir, pourtant considéré
comme un point d’ancrage essentiel de l’expertise du spectateur selon certains
anthropologues de l’art358. Le modèle de l’« honnête homme du XVIIIe siècle » issu
du collège jésuite, doté d’une « culture autarcique et coupée de la vie »359, que P.
356
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 199.
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op.cit., p. 242.
358
C’est la thèse soutenue par Jean-Marc LEVERATTO, dans La mesure de l’art, sociologie de la qualité
artistique, Paris : La Dispute, 2000.
359
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 183.
357
- 197 -
Bourdieu retrouve finalement dans une certaine idéologie « petite-bourgeoise »
de « l’ascèse laborieuse », est aussi peut-être encore à l’œuvre. « L’habitus chrétien »
permettrait alors d’expliquer certains paradigmes sur lesquels je reviendrai et la
séparation art/vie qui s’avère être un présupposé fort d’un certain enseignement du
cinéma.
Ce présupposé apparaît aussi lorsque l’on interroge les professeurs sur leurs goûts
personnels : certains semblent mettre de côté leurs propres goûts ou les inféoder
plus ou moins consciemment au « pédagogiquement correct ». J’ai assisté parfois,
lors de mes entretiens, à ce que E. Goffman appelle l’opposition « entre le moi
intime et le moi social »360. Martine, par exemple, interrogée sur ses goûts
personnels en matière de cinéma m’a répondu361 : « non non, mes goûts ce n’est pas
ce qui est important… ». À la question : « quel film emporteriez-vous sur une île
déserte ? », les réponses n’ont jamais été très exotiques, majoritairement – malgré
quelques exceptions – conformes à la distinction et au légitime, comme si ces
références étaient incorporées, naturalisées. Pourtant, certains professeurs avouent
d’eux-mêmes que leur réseau de références est arbitraire. Lors de l’entretien avec
Jacques362, professeur en hypokhâgne en « études cinématographiques », il me
disait : « certains élèves me demandent si on peut dire du mal de Godard, je leur dis
que oui », alors même que ce professeur a fait une thèse sur la Nouvelle
vague…Benoît parlant des 100 films pour une cinémathèque idéale, avoue dans un extrait
de l’entretien déjà cité : « il y a un certain nombre d’œuvres qu’il faut connaître, on
n’est pas obligé de les aimer ».
J’ai trouvé aussi des exemples de « dépréciation » de la culture dominante chez
quelques professeurs. Françoise363 par exemple, ex-documentaliste en mal de
reconnaissance malgré son DEA de cinéma, avoue : « je dis à mes élèves qu’ils ont
le droit de ne pas aimer les films au programme, moi-même je ne les aime pas
tellement ».
360
GOFFMAN Erving, Mise en scène de la vie quotidienne Tome I, la présentation de soi, op. cit., p. 52.
Entretien le 16 décembre 2008.
362
Entretien le 10 février 2009.
363
Entretien le 18 février 2009.
361
- 198 -
Je voudrais ici émettre une hypothèse. Si le corps du spectateur-élève ne saurait,
sans méfiance, prendre trop de plaisir, c’est peut-être aussi dans cet esprit qu’il faut
interpréter la non-prise en compte quasi systématique du jeu de l’acteur dans les
enseignements « cinéma et audiovisuel ». Cette dimension du cinéma est totalement
absente des textes, et je ne l’ai que très peu rencontrée dans les analyses filmiques
étudiées ou dans les cours observés. Bien sûr, les changements de mentalité par
rapport à la « star » dans l’opinion commune sont évidents, mais justement,
l’analyse filmique, dans cette perspective culturelle de l’École qui évite à tout prix le
divertissement, ne peut que condamner cette fascination pour le corps starifié de
l’acteur. La sous-estimation du jeu de l’acteur, de son rôle et sa place dans la
réussite d’un film ou d’une scène, vient peut-être de ce que l’on considère son
existence, malgré tout, comme secondaire ou subalterne. D’après J.-M. Leveratto
« la considération de l’acteur comme une personne normale quels que soient son
sexe, son talent et sa réussite sociale est donc le résultat d’une évolution
psychologique et d’un changement de mentalité à l’égard de l’usage qu’il fait de son
corps »364. Gageons que les lourdeurs de l’habitus institutionnel n’ont pas encore
complètement libéré l’acteur des présupposés négatifs qui l’entouraient jadis, et
que, dans le cadre de l’École, l’« évolution psychologique » dont parle J.-M.
Leveratto reste à faire. Cette question est peut-être aussi une des explications
possibles au jeu d’acteur assez catastrophique que l’on observe dans les productions
d’élèves – catastrophique parce qu’il est le plus souvent trop négligé.
On pourrait intégrer à cette question de la déculturation/acculturation, ce constat
que d’un point de vue plus pédagogique, la contrainte s’exerce aussi par
l’intermédiaire de certaines pratiques considérées comme légitimes parce qu’elles
sont légitimées par une majorité d’enseignants qui se sont dotés de leur propre
« instance de légitimation » : l’association « Les Ailes du désir ».
364
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 236.
- 199 -
2.3.3 Une
association :
« Les
Ailes
du
désir »
Benoît me disait, hors micro, lors de l’entretien : « l’option fonctionne selon le
principe de la consanguinité : tout le monde connaît tout le monde et personne ne
veut se faire d’ennemis. ».
L’Association Nationale des Enseignants et Partenaires des Classes de Cinéma et
audiovisuel, l’ANEPCCAV – « Les Ailes du désir » – est née en 1992 et gagna
suffisamment en importance pour se doter, dés 1995, d’une revue : Le Cahier des
ailes du désir, publiée régulièrement. F. Desbarats la décrit ainsi :
« Le grand format, la photo-couverture en pleine page renoue plus avec le
geste ancien des revues de fédérations de ciné-clubs, qu’elle n’imite les
périodiques des fédérations de professeurs. »365
À l’heure actuelle, le Cahier des Ailes du désir est publié tous les ans. Sur le bulletin
d’adhésion, l’association revendique le fait que « le Cahier des ailes du désir n’est pas le
bulletin interne d’une association, c’est une revue de culture attentive à la création ».
Son « positionnement » idéologique et politique est résumé dans la présentation de
l’association proposée sur sa page de présentation sur son site Internet :
« Née le 13 janvier 1992, œuvre depuis dix ans à la consolidation d’un
enseignement original, qui s’appuie sur le septième Art pour amener un
nombre croissant de lycéens à se réconcilier avec le milieu scolaire tout en
s’ouvrant les portes de la culture du vingt et unième siècle. Elle organise des
rencontres qui offrent aux équipes et aux élèves l’occasion de confronter
leurs pratiques, ainsi que l’a permis en 1999 la fête des dix ans de
l’enseignement partenarial du cinéma, coorganisée avec la Cinémathèque
française. Elle intervient auprès des institutions pour affirmer nos ambitions
pédagogiques et améliorer les conditions matérielles et morales de notre
enseignement. Elle est soucieuse de la diversité des outils qui accompagnent
les programmes. Elle est le lieu naturel de regroupement des équipes
partenariales dans les régions, et souhaite permettre l’échange entre tous
autour des grandes questions que pose l’enseignement du cinéma
365
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 85.
- 200 -
aujourd’hui. »366
L’association a pour vocation de permettre un « échange » et des « rencontres »
entre les équipes. Le cinéma est désigné comme le « septième Art », la place des
partenaires est valorisée et soutenue, il est question d’« ambition pédagogique » et
de « condition morale d’enseignement » pour « ouvrir les portes de la culture ». On
retrouve exprimée les paradigmes déjà rencontrés : l’art pour tous, l’art éducateur et
l’art prophylactique formulé plus clairement sur le bulletin d’adhésion présent à la
fin de chaque « Cahier » :
« Elle (l’association) reconnaît à l’enseignement du septième Art la capacité
d’amener un nombre croissant de lycéens à s’intégrer au milieu scolaire et la
faculté de leur ouvrir le champ de la culture du vingt-et-unième siècle »367
La légitimité de l’association se construit sur plusieurs fondements :
- La proximité entretenue avec l’Inspection générale, relativisée cependant depuis le
départ de C. Juppé-Leblond. Il semble que le nouvel Inspecteur général, P. Laudet
soit moins proche de l’association, y soit plus critiqué aussi et s’en serve moins
pour s’exprimer auprès de « la base » ;
- Le rôle joué par ses membres dans l’élaboration des programmes. Lors de
l’élaboration du programme de Seconde lié au projet de réforme finalement avortée
de X. Darcos en 2007, Axel Rabourdin, président des « Ailes du désir » a été
sollicité, lequel a fait entrer dans la commission d’élaboration des nouveaux
programmes d’autres professeurs de l’association. Une seule universitaire, choisie
par l’Inspectrice, a assisté à cette refonte des programmes. Ce rôle est cependant
aujourd’hui amoindri. Aucun membre n’a été sollicité pour la réflexion sur les
programmes des « enseignements d’exploration » de la réforme de Seconde menée
par Luc Chatel et entrant en application en septembre 2010. Le président de
l’association, Axel Rabourdin, a d’ailleurs exprimé publiquement368 sa méfiance
366
http://www.ailesdudesir.com/positions/2003.html, consulté le 20 janvier 2008.
Bulletin d’adhésion de l’association.
368
Prise de parole publique lors de la « journée sur les enseignements du cinéma » organisée par l’académie
de Versailles au collège Matisse d’Issy-les-Moulineaux le 29 mars 2010 à laquelle j’ai été invitée par
Françoise Savine, IPR en charge du cinéma dans l’académie de Versailles et chargée d’une mission auprès
367
- 201 -
envers ces « enseignements d’exploration » pour les risques de confusion qu’ils
entraînent, en Seconde justement, avec l’option « cinéma et audiovisuel » et le
danger qu’ils représentent selon lui pour le maintien des heures spécifiques
dévolues au cinéma. Il a obtenu, au titre de Président de l’association, des rendezvous avec les responsables de la réforme au sein du ministère ;
- La pression politique que l’association exerce régulièrement sous forme de
« Lettre au ministre » ou autres « pétitions », de rendez-vous demandés en haut
lieu ;
- Sa représentativité (A. Rabourdin369 dit que 70 % des professeurs enseignant en
cinéma et audiovisuel en lycée adhérent à l’association) ;
- Ses publications pédagogiques régulières qui ont un droit d’entrée dans les
bibliothèques spécialisées (le cahier des Ailes du désir est consultable à la BIFI, au
même titre que les Cahiers du Cinéma). Ces publications sollicitent des professeurs de
lycée, mais aussi des professeurs d’université et se présentent comme un véritable
outil de travail pour les professeurs, j’y reviendrai (4.1- 4.4) ;
- Une légitimité acquise auprès des revues légitimantes qu’elle côtoie sur les
rayonnages de la BIFI. Les Cahiers du cinéma évoquent systématique cette association
quand il s’agit de parler du « cinéma à l’école »370.
Soulignons que les réunions des membres de l’association pour les réélections liées
au statut associatif se font dans les locaux de la FEMIS. Se réunir à la FEMIS, c’est
s’assurer une légitimité symbolique et affirmer en outre une implantation
géographique finalement très parisienne, alors même que l’association revendique
son implantation dans la France entière. Les professeurs de province que j’ai
rencontrés connaissent l’association, mais les professeurs parisiens ou de la région
parisienne qui participent à la rédaction des Cahiers de l’association constituent plus
de l’Inspecteur général en charge des enseignements de cinéma et audiovisuel.
369
Entretien mené le 24 février 2011.
370
C’est le cas dans le numéro 641 des Cahiers du cinéma du mois de janvier 2009 : à l’intérieur du dossier
« états généraux de l’action culturelle » figure l’article « Angoisse aux Ailes du désir » par Ludovic Lamant.
- 202 -
de la moitié de ses membres permanents371 et la grande majorité du comité de
réaction.
Cette association joue également un rôle dans l’homogénéisation des pratiques. Il se
trouve qu’en demandant leurs cours à d’anciens élèves des enseignements CAV,
issus de différents établissements scolaires, j’ai retrouvé des cours très semblables
dans différents lycées, voire exactement les mêmes documents pédagogiques, les
mêmes films étudiés et, à l’intérieur de ces mêmes films, l’étude du même extrait.
Certains de ces documents sont ceux qui sont proposés en ligne sur le site de
l’association qui parvient donc, par ce biais, à « essaimer » des contenus et des
démarches pédagogiques. L’enseignement du cinéma est sans doute cependant
moins ritualisé que d’autres, ne serait-ce que parce qu’il est une « matière » récente,
peu représentée finalement à l’échelle du territoire. Les documents théoriques de
spécialistes universitaires dont se servent les professeurs en charge de la discipline
ne sont pas si nombreux. Ensuite, il n’existe pas de manuel pour documenter
précisément ces enseignements et leur programme, mais une unique revue
pédagogique. Un professeur rencontré lors de mes recherches372 m’a d’ailleurs fait
remarquer de façon un peu acerbe dans le cadre de l’entretien qu’elle faisait déjà un
gros effort de me montrer ses cours : ils étaient d’autant plus précieux qu’il n’existe
pas de manuel. C’est ici que les Cahiers des ailes du désir peuvent servir parfois de
« manuel » ou en tout cas d’outil de référence. On trouve également beaucoup de
commentaires de films sur le site Internet de l’association, directement orientés vers
371
Membres du CA :
Jean Albert BRON (PRAG à Paris VIII), Suzanne DENÉ (professeur à Vincennes, 94), Annabel
LANIER (Dijon, 21), Monique LATHELIER (professeur à Paris, 75), Jacques LUBCZANSKI
(professeur à Créteil, 94), Guy MAGEN (directeur de la salle des Cinoches de Ris-Orangis, Essonne,
Geneviève MERLIN (professeur à Gif sur Yvette, 91), Chrystophe PASQUET( professionnel partenaire,
Marseille, 13), Patrick PERROTTE (professeur à Lunel, 34), Dolorès PIGEON ( professeur à Douai, 59),
Axel RABOURDIN (professeur à Corbeil-Essonnes, 91), Marie-Andrée RYSIEWICZ (professeur à
Valence, 26), Annick SANSON ( professeur à Sarlat, 24).
Directrice de publication de la revue :
Geneviève MERLIN
Comité de rédaction de la revue :
Marie-Claude BENARD (professeur à Paris, 75), Monique LATHELIER, Geneviève MERLIN, Suzanne
DENE, Annabel LANIER, Philippe ZILL (Professeur à Paris, 75)
372
Martine, le 16 décembre 2008.
- 203 -
les enseignements artistiques CAV, vers le film au programme, et aussi des annales
d’examen « en ligne » et les textes de référence du BO.
Le succès de cette association s’explique aussi sans doute par le fait que les
professeurs des enseignements CAV que j’ai rencontrés sont tous très motivés, très
investis, mais aussi très inquiets quand ils estiment que leur poste ou leur
« matière » sont mis en péril par des réformes. Qu’est-ce qui explique ce zèle ?
Peut-être la conscience du fait qu’ils ont de la chance et un poste plus confortable
que la plupart de leurs collègues, car leur situation d’enseignement est extrêmement
privilégiée. En effet, les élèves ont choisi d’être là et manifestent la plupart du
temps plus de motivation que pour les autres matières qui leur sont imposées,
beaucoup de temps scolaire se passe en activités et sorties à l’extérieur, l’artiste
partenaire relaie quelques fois le professeur dans sa classe et surtout, l’originalité et
la rareté du poste valorisent celui qui en a obtenu la charge. Le cinéma est en outre
un objet propice aux fantasmes et au mythe, y compris pour le professeur qui a
l’occasion de participer à des festivals, à des projections privées, de participer au
Festival de Cannes373, de rencontrer éventuellement des professionnels connus374…
Les professeurs se sentent valorisés par leur capacité supposée à enseigner l’art et
leur autorité pédagogique s’apparente alors parfois à une compensation narcissique,
peut-être un « zèle du désir » ?
Ainsi, entre fierté et souci de légitimité, le « professeur de cinéma » est sans doute
parfois en porte-à-faux. Se sentant menacés ou valorisés, les professeurs déploient
des stratégies et des comportements évidemment aussi variables que la nature
humaine, dont je ne fais ici qu’esquisser quelques grands traits. J’ai vu que les
professeurs sont associés à des intervenants qui sont là aussi sans doute pour doter
l’enseignement du cinéma de l’ancrage légitimant du « milieu professionnel »
373
C’est le cas du professeur et des élèves qui suivent l’enseignement artistique CAV au lycée Paul Valéry à
Paris, entre autres.
374
Laurent Cantet, Président d’honneur de l’association Les Ailes du désir a été présent aux réunions du CA
de l’association en 2008.
- 204 -
(2.2.6.). Cet encrage « professionnel » explique également la multiplication, autour
des enseignements, de certains dispositifs de légitimation comme les festivals.
2.3.4 Le goût des festivals
Étrangement, car ils ne dépendent jamais directement de l’Éducation nationale,
lorsque C. Juppé Leblond se livre à un « état des lieux de la discipline » en 2008, elle
consacre un paragraphe du document aux festivals, classés parmi les « initiatives et
événements remarquables ». Elle y fait en particulier référence aux festivals de
Sarlat et de Cannes :
« Festivals : deux festivals sont plus spécialement dédiés à l’enseignement
du cinéma.
Sarlat (annuel, novembre) : concerne 800 élèves, 70 enseignants.
Finalité pédagogique : étude du film inscrit annuellement au programme
limitatif du bac L cinéma. Projection autour du film retenu, de l’œuvre du
cinéaste, conférences, ateliers, tournages. Finalité artistique générale : films
en avant-première, rencontre de professionnels (acteurs, metteurs en scène,
producteurs, techniciens, critiques).
Cannes (annuel, mai) : concerne l’ensemble de la communauté éducative.
Prix de l’Éducation nationale (jury d’enseignants et d’élèves présidé par une
personnalité du cinéma). Objectif pédagogique : primer, dans la sélection
officielle, un film porteur des qualités artistiques et pédagogiques,
accompagner sa sortie d’un DVD avec bonus pédagogique pour travail en
classe. L’opération “cannes.point.éduc» (regroupe pendant le Festival une
“Carte blanche” à un grand professionnel et “Atelier Public” sur un métier
du cinéma concerne 700 élèves). Le marathon de projections “Cinécole” qui
a lieu le dernier week-end touche 100 élèves et 300 enseignants. »375
Ainsi les festivals jouent de toute évidence un rôle important dans la vie des classes
qui suivent les enseignements de CAV, et pas seulement les festivals
internationalement reconnus comme le Festival de Cannes. L’enjeu affirmé est
d’abord de permettre aux élèves de voir des films, de parler des films, de confronter
375
« État de la discipline 2008 Cinéma et audiovisuel », op. cit., p. 5.
- 205 -
les lectures, dans un souci qui pourrait sembler ouvrir la voie à une certaine forme
de pragmatisme. On ne peut cependant que rappeler ici qu’il est aussi question de
légitimité culturelle : le fait même de « participer à un festival » est culturellement
très légitime et renforce la légitimité de l’enseignement du cinéma. Même au festival
de Sarlat, pourtant bien moins rayonnant que celui de Cannes, le but est de
« rencontrer des stars », d’inviter des « personnalités », de promouvoir des avantpremières. Sur le site du Festival de Sarlat376, dont une partie de la programmation
est dédiée aux films scolaires, cette caractéristique n’est pas très apparente : sont
privilégiés la « sélection » de films professionnels, les invités renommés qui s’y
rendent, et il est parfois bien difficile de découvrir, au détour d’un lien, que le
festival est ouvert aux films scolaires. Si l’on déplore le côté « paillettes » que revêt
parfois l’enseignement du cinéma en lycée, les « faux espoirs » qu’il peut donner à
des élèves avides de « starification », on est ici au centre de la question…
Dans ce registre, le Festival de Cannes est sans doute le lieu qui permet un
mécanisme de légitimation des œuvres « enseignables » la plus forte. L’Éducation
nationale, en tant qu’institution y décernait un prix spécifique : « le Prix de
l’Éducation nationale »377. Ce Prix de l’Éducation nationale a connu quelques
déboires. Depuis sa création, il n’a pas été attribué tous les ans et il est parfois passé
très inaperçu dans le battage médiatique traditionnel qui se déploie autour de
Cannes. Pour l’année 2011, il a purement et simplement – et définitivement – été
supprimé378. Gageons que le « prix de l’Éducation nationale » est au centre d’intérêts
cinéphiliques comme de réseaux d’influences et de pressions sans doute
économico-politiques : un film ainsi labellisé recevra un soutien ne serait-ce que
publicitaire. Le prix décerné figure sur les affiches du film, les professeurs sont
encouragés à montrer le film à leurs élèves, un support pédagogique est le plus
376
http://www.ville-sarlat.fr/festival/, consulté le 18 août 2011.
Page du site du ministère consacré au prix : http://www.education.gouv.fr/cid25781/festival-decannes-prix-de-l-education-nationale.html
378
Prix de l’Éducation nationale attribué à Cannes ces dernières années : 2002 : Bowling for Columbine de
Michael Moore, 2003 : pas de participation, 2004 : La vie est un miracle d’Émir Kusturica, 2005 : Cinéma,
aspirines et vautours de Marcelo Gomes, 2006 : Marie-Antoinette de Sofia Coppola, 2007 : 4 mois 3 semaines 2
jours de Christian Mungiu, 2008-2009 : pas de participation suite au scandale qu’avait suscité l’attribution
du prix au film de Mangiu, 2010 : Des hommes et des Dieux de Xavier Beauvois.
377
- 206 -
souvent publié pour permettre son exploitation en classe379. Si l’Éducation nationale
négocie les droits du film pour autoriser sa diffusion intégrale ou partielle dans le
cadre des cours, il paraît légitime de supposer que l’effort consenti par l’équipe de
production ou de distribution doit être compensé sans mal par l’avantage que ce
prix confère à l’exploitation commerciale du film.
Si C. Juppé-Leblond les rapproche dans son « État des lieux », le Festival de Sarlat
et le Festival de Cannes ne se situent pourtant pas sur le même plan. Pendant le
Festival de Cannes, les élèves et les enseignants sont des spectateurs privilégiés et
trouvent dans le dispositif l’occasion de voir des films qui sortent en salles. Au
Festival de Sarlat, l’enjeu est double : le festival permet, aux côtés d’une sélection de
films professionnels en compétition éventuellement présentés en avant-première,
de mettre aussi en compétition les films des élèves tournés pour le baccalauréat
dans le cadre des enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel »380. Le Festival
de Sarlat est sans doute le festival le plus emblématique de ce type de démarche
même s’il n’est pas le seul à proposer ce type de « sélection » réservée aux travaux
d’élèves381. On touche alors une autre forme de légitimation : le film scolaire devient
en effet un objet autonome, indépendant de sa place dans un cycle d’apprentissage
dans la mesure où il est présenté sans explicitation véritable de ses buts et enjeux
pédagogiques, dans une sélection qui le met en compétition avec d’autres dans le
but d’obtenir un prix qui récompense sa qualité en tant qu’« œuvre
379
C’est le CRDP de Nice qui se charge de ces publications pédagogiques dans la collection « à propos
de… ».
380
Palmarès de la compétition des films lycéens présentés au baccalauréat 2010 lors de la 19eme édition du
festival en 2010 :
Mention: Lycée René Cassin de Bayonne pour Kino
3ème prix ex aequo:
o Lycée de la Communication de C. Metz pour Précautions d’emploi
o Lycée Merleau-Ponty de Rochefort pour Ma véritable histoire d’hu(a)mour.
2e prix : Lycée d’Arsonval de Brives pour Dialogue de sourds
1er prix : Lycée Clemenceau de Reims pour Blick.
Source :
http://www.aquitaineonline.com/actualites-en-aquitaine/dordogne/festival-du-film-de-sarlat2010/palmares-festival-du-film-de-sarlat-2010.html, consulté le 1 août 2011.
381
C’est le cas également d’autres festivals qui réservent un espace spécifique aux films de lycéens : le
festival du cinéma méditerranéen depuis 1979, et aussi le festival du film scolaire de Chartres depuis 2000,
entièrement dévolu aux films scolaires, de la maternelle à l’enseignement supérieur.
- 207 -
cinématographique ». Sa « valeur » se mesure à l’aulne de sa réussite en tant qu’objet
cinématographique et non plus en tant que projet pédagogique. On s’éloigne alors
de son but principal tel qu’il est conçu dans les textes officiels, à savoir la mise en
relation pédagogique de la théorie et de la pratique. Menées par des personnalités
extérieures au monde de l’École, qui ne connaissent pas forcément bien le
fonctionnement des enseignements, les discussions qui peuvent naître autour des
films sont difficilement connectées à leurs enjeux pédagogiques, sauf à considérer
que pour les élèves le fait même de présenter leur film est un exercice scolaire
parmi d’autres. En même temps, le Festival de Sarlat propose parallèlement un
dispositif pédagogique stimulant : des équipes de tournages issues des différents
lycées doivent, pendant la durée du festival, tourner des « mini séquences » sur un
thème imposé, en bénéficiant éventuellement de l’encadrement de professionnels
présents dans le cadre du festival. Ces mini-séquences sont ensuite montrées aux
festivaliers. Sur ce type de travail, la prise en compte pédagogique est réelle : on
mesure bien la différence entre les deux processus de production/évaluation des
films et les écueils possibles de « l’esprit festival » quand il est plus orienté vers la
légitimation de « courts-métrages » d’adolescents que vers la mise en œuvre d’acquis
scolaires théoriques ou pratiques. Soulignons aussi que le Festival de Sarlat, comme
celui du Film Méditerranéen ou le Festival de Chartres, est l’occasion de
propositions de formations - entre autres autour du film arrivant au programme du
baccalauréat - et autres « cours de cinéma » qui viennent renforcer les enjeux
pédagogiques du dispositif382.
J’ai vu que la question de la légitimité culturelle et du cinéma comme « art » est au
centre des programmes comme des attitudes professorales. Mais qu’en est-il du
382
Francis Desbarats souligne cependant que ces festivals sont aussi l’occasion de fêtes, éventuellement de
beuveries entre les lycéens participants qui se couchent très tard ! Les lycéens finissent parfois endormis
sur leurs sacs dans les salles de cinéma et sont peu assidus aux « cours » théoriques proposés par
l’organisation qui s’en plaint dans une lettre adressée aux professeurs !! Ce constat date des années 90.
Thèse, op. cit., p. 149.
- 208 -
côté des élèves qui choisissent et reçoivent ces enseignements ? Mon travail de
recherche ne pouvait éviter cette question. J’ai donc d’abord entrepris d’effectuer
des entretiens avec des élèves. J’ai également pu m’appuyer sur ma propre
expérience, puisque j’accueille dans mes classes, tous les ans depuis sept ans, au
moins deux ou trois étudiants qui ont suivi l’enseignement CAV - ou une
MANCAV - l’année précédant leur entrée au BTS. Pourtant, il m’est vite apparu
que je ne parvenais pas à esquisser le portrait d’un « élève de CAV-type », tant les
pratiques culturelles, les comportements, les ambitions, les niveaux scolaires étaient
hétérogènes. Comme je le disais en introduction de cette deuxième partie, il
m’aurait fallu beaucoup plus de temps et de moyen pour établir de véritables
généralités. J’ai pensé un moment suivre une classe dans la durée, pour observer les
comportements en situation des professeurs et des élèves, au moins à titre
d’exemple. Mais il m’a semblé que ces démarches d’observations ponctuelles
risquaient de souffrir des inconvénients de leur avantage : leur dimension
contingente. Mes entretiens avec des professeurs dont j’ai fait état ci-dessus
m’avaient fait éprouver ce même sentiment de partialité : même en assumant leur
dimension pragmatique, subjective et non généralisable, il me fallait théoriser
prudemment à partir de ces données forcément partielles. Les professeurs des
enseignements artistiques CAV ne sont pourtant qu’un nombre relativement
limité : 660. Ils sont contraints par des programmes nationaux, se connaissent entre
eux, ont créé des réseaux et présentent donc une population – relativement –
homogène, ce qui m’a autorisée finalement, même avec beaucoup de nuances et de
prudence, à cerner quelques récurrences dans les paradigmes sur lesquels s’appuient
les professeurs enseignant le cinéma en lycée. A contrario, le nombre d’élèves est
évidemment beaucoup plus important : 14 625 lycéens383, ce qui rend leurs attitudes
et pratiques d’autant plus diverses et difficiles à généraliser. J’ai donc renoncé à
l’idée de suivre une classe, estimant que l’enseignement que je pourrais tirer de cette
expérience demeurerait trop partielle. Il m’a semblé plus probant de faire appel à la
383
Source : ministère de l’Éducation nationale, http://www.education.gouv.fr/cid21004/l-education-a-limage-au-cinema-et-a-l-audiovisuel.htmlconsulté consulté le 25 septembre 2010.
- 209 -
sociologie et en particulier la « sociologie des lycéens » comme outil théorique le
plus adéquat pour aborder ces questions avec une perspective un tant soit peu
globale. J’ai donc choisi, pour mener une réflexion théorique, de m’appuyer
principalement sur les enquêtes et études sociologiques existantes concernant les
lycéens, comme celles de François Dubet ou de Dominique Pasquier.
2.4
Sociologie de l’expérience scolaire : une reproduction
culturelle finalement aléatoire
2.4.1 L’École peut-elle former un public ?
L’introduction du cinéma à l’École se justifie parfois explicitement par un désir de
former le goût du jeune public. On peut penser à L’Hypothèse cinéma d’A. Bergala qui
est, dans ce registre, un des exemples les plus caractéristiques de cette
revendication :
« Si l’on réussit, avec des films à la valeur artistique indiscutable (si, cela
existe !), à reconstituer quelque chose qui ressemble à un goût, on aura
davantage fait, pour résister aux mauvais films et aux films dangereux. »
« C’est la rencontre d’autres films et leur fréquentation permanente qui est
aujourd’hui la meilleure riposte contre la puissance de tir du cinéma popcorn. » 384
L’idée d’une « valeur artistique indiscutable » qui ne serait pas accessible à tous et
qu’il faut tenter de « transmettre » revient à une « idéologie du goût naturel » qui
masque les critères d’évaluation des œuvres. On trouve dans ces phrases une
stratégie bien décrite par L. Jullier qui reprend la thèse de P. Bourdieu :
« L’idéologie du goût naturel, explique P. Bourdieu , consiste pour le
connaisseur à camoufler ses stratégies de distinction sous le masque de
384
BERGALA Alain, L’hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 47-48.
- 210 -
l’évidence logique, du bon sens, de l’aisance… »385
Cette posture se retrouve trait pour trait dans la rhétorique du rapport du HCEAC
qui permettait déjà, comme on l’a vu plus haut (1.2), d’envisager certains
paradigmes spécifiques à l’enseignement artistique. Le paradigme de l’art comme
résistance face au non-art, suppose en effet que mieux connaître les images, c’est
savoir se défendre des industries culturelles. C’est bien le mot d’ordre de
« l’éducation à l’image » qui se justifie par une vision très cinéphilique de la
production cinématographique d’un Auteur et qui va évidemment contre cet objet
« dangereux » qu’est la télévision. Cette revendication est tout à fait en adéquation
avec la cinéphilie héritée de la Nouvelle vague et des ciné-clubs dont J.-M.
Levaratto et L. Jullier disent que « leur tradition justifie, en effet, la pratique de
mobilisation du public pour la cause du cinéma d’auteur au contact duquel il peut
améliorer son jugement cinématographique. »386
Une formulation du paradigme, un peu différente, se retrouve dans une parution du
CRDP de Lyon déjà citée :
« Un spectateur, formé à l’analyse, pourra tout à la fois ressentir fortement
l’intensité ou l’émotion qui se dégage d’un récit et apprécier parallèlement
davantage qu’un non-initié la qualité de l’image, la construction narrative,
l’originalité du propos ou la symbolique du langage, et ce d’autant plus mieux
qu’il aura appris à en repérer les manifestations. »387
Cette valorisation de la nécessité d’« apprendre à voir » est aussi le fruit d’une
« institutionnalisation d’une vision élitiste du jugement cinématographique »388 qui
vise à la « conversion d’un certain discours sur le cinéma en un capital culturel c’està-dire en une ressource de justification, aux yeux d’une élite politique et
intellectuelle de la grandeur culturelle de certains auteurs de cinéma et de leurs
385
JULLIER Laurent, Qu’est-ce qu’un bon film, Paris : La Dispute, 2002, p. 14.
JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité
cinématographique, op. cit., p. 117.
387
CITTERIO Raymond, Du cinéma à l’école, op. cit, p. 115.
388
JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité
cinématographique, op. cit., p. 120.
386
- 211 -
spectateurs fidèles. »389
Ce qui se défend là, dans l’idée d’un enseignement du cinéma à l’École, c’est la
possibilité d’une culture par imprégnation, qui est pourtant un modèle pédagogique
souvent contesté par les didacticiens. Le postulat semble être qu’il faut « voir
certains films » pour pouvoir prétendre à une légitimité culturelle en matière de
cinéma, et que seuls certains films permettent de pouvoir prétendre connaître le
cinéma. C’est le sens de la « dvdthèque idéale » publiée aux éditions des Cahiers du
cinéma déjà maintes fois évoquée, mais aussi de la revendication par A. Bergala de la
présence obligatoire de certains DVD dans les classes :
« C’est au prix de cette fréquentation régulière, petit à petit, tout au long de la
scolarité, d’une centaine d’œuvres détachées des modes et des engouements
passagers et collectifs, que commencera à se constituer, au sein de l’école, par
lente imprégnation, par approches successives, sous des angles d’attaques
variés, dans le cadre de cours différents, les prémices d’un goût pour le
cinéma qui n’a évidemment rien à voir avec ce que l’on appelle encore
aujourd’hui les “goûts” du public, dictés par l’offre commerciale. »390
On peut se demander quelles sont ces « œuvres détachées des modes », tant on a vu
précédemment que les œuvres considérées comme légitimes culturellement dans le
cadre d’un enseignement scolaire sont le plus souvent le résultat d’un « arbitraire
culturel » et donc d’un « habitus » qui n’est, précisément, qu’une autre manière de
désigner une « mode ». Mépris du cinéma qui marche, des goûts populaires, de
l’expérience et de l’expertise du spectateur ordinaire, méconnaissance de l’usage que
le public peut faire des films, sont réunis ici tous les éléments qui caractérisent la
cinéphilie que doit transmettre l’École.
Paradoxalement, face à cette vision très élitiste d’œuvres « choisies », on se rend
compte sur le terrain que ce n’est pas seulement la qualité qui compte, mais aussi la
quantité. Le nombre de films vus fait d’ailleurs partie des outils de légitimation de
l’autorité pédagogique dans le discours de certains professeurs. Lors d’un entretien,
389
390
Ibid., p. 119.
BERGALA Alain, L’Hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 94-95.
- 212 -
Jacques391 me dit : « à l’âge que j’ai, j’ai vu plus de films qu’eux (les élèves),
heureusement… ». D’autres professeurs, comme Benoît, m’ont dit, en substance :
« J’ai pas de formation universitaire en cinéma. (…) J’ai plein de copains qui
ont fait des études de cinéma. Donc j’étais dans le truc, mais je n’ai pas, moi,
de formation (…) voilà, moi j’ai toujours été très cinéphile. »392
Il s’agit de légitimer une place dans les enseignements CAV par le grand nombre de
films vus, alors même que cette pratique boulimique du cinéma n’est pas forcément
spécifique à une démarche cinéphilique au sens où l’entend l’École. En effet, ce
présupposé relève de deux postures différentes sur les films. Soit l’on considère que
voir beaucoup de films permet une réflexion sur les écarts, soit l’on considère qu’un
film peut être indéfiniment analysé et qu’il est inutile d’en voir beaucoup. Dans la
première optique, l’enseignement du cinéma peut et doit consister à « montrer
beaucoup films ». Ce présupposé est tout à fait actif dans certains établissements.
L’enseignement reposant, comme je l’ai vu précédemment, sur un partenariat, de
nombreux lycées ont engagé ce partenariat avec des salles de cinéma : une partie
des cours hebdomadaires est donc dévolue à des projections. À ce titre, à Créteil
par exemple, les classes suivant l’enseignement « cinéma et audiovisuel » du lycée
Léon Blum et du lycée de Limeil-Brévannes sont établies en partenariat avec le
cinéma « La Lucarne ». Pour un élève de Terminale du lycée Léon Blum, cela
représente environ une projection de film par semaine au cours de l’année scolaire
soit vingt-quatre films393 : il s’agit bien d’une « formation artistique » à travers la
« fréquentation artistique ». En cela, l’École souscrit correctement au paradigme de
l’art pour tous et à son ambition républicaine : donner à tous la chance d’accéder
aux œuvres, et d’acquérir une certaine familiarité avec le cinéma « art et essai ».
Pour de nombreux élèves (particulièrement en province, mais aussi en banlieue
391
Entretien déjà cité du 10 février 2009.
Entretien déjà cité du 27 mars 2009.
393
Pour l’année scolaire 2007-2008 par exemple le films vus en Terminale par les élèves dans le cadre des
enseignements de spécialité « cinéma et audiovisuel » sont les suivants : L’appât, Les Démons à ma porte, Les
Maîtres fous, La Jeune Fille au carton à chapeau, Boris Barnet, Nosferatu le vampire, Queen Kelly, Certains l’aiment
chaud, Zazie dans le métro, Tous en scène, L’Homme qui tua Liberty Valance, La Jetée, Chat noir, chat blanc, Sans soleil,
Gosses de Tokyo, Millenium Mambo, Le Chateau de l’araignée, je suis un aventurier, Vive le sport, le plaisir, la grand
sommeil, la nuit du chasseur, Le Crime de Mr Lange, Les Contrebandiers de Moonfleet.
392
- 213 -
parisienne) ces projections sont la seule chance de pouvoir voir certains films. Cela,
tous les professeurs le revendiquent et beaucoup d’élèves me l’ont dit.
Pourtant, en matière de culture, n’est-il pas difficile de réfléchir en termes d’offre et
de demande ? Il semble dans ce cadre que « voir des films en classe » relève d’une
« consommation de films » – fussent-ils des films de patrimoine – chargée de
modifier la pratique culturelle des élèves conformément au postulat bourdieusien :
« Une disposition durable et assidue à la pratique culturelle ne peut se
constituer que dans une pratique assidue et prolongée ».394
Mais est-ce bien la « bonne » façon d’acquérir une culture cinématographique ? Si
l’on compare avec les autres enseignements artistiques, le programme de
l’enseignement du cinéma est le seul à proposer des « listes d’œuvres » aussi longues
et un contact avec les œuvres aussi fréquent. En français par exemple, le nombre de
livres lus même en « lecture cursive »395 durant l’année n’atteint pour sûr jamais
vingt-cinq ! Est-ce à dire que l’on acquiert plus vite une culture théâtrale ? Une
culture littéraire ? Comment interpréter ce décalage d’exigence ? Plusieurs raisons
semblent pouvoir expliquer que l’on voit plus de films qu’on ne lit de livres ou
qu’on ne va voir de pièces de théâtre dans les enseignements artistiques de lycée.
Un constat de bon sens tout d’abord : lire un livre s’avère souvent plus long que
voir un film, rares sont les œuvres littéraires du « grand patrimoine » que l’on peut
avoir « fini » en 1 h 45, ou même 2 h. Mais se joue peut-être aussi un présupposé
moins avouable : lire un livre serait plus « difficile » que voir un film. Cela
supposerait donc que la compétence du spectateur de cinéma est plus simple à
acquérir que celle du lecteur, ou en tout cas plus directement accessible, que l’art
cinématographique est plus facile à appréhender que la littérature. Aucun
professeur ne songerait à demander à un élève de Première d’avaler, de digérer, de
comprendre vingt chefs-d’œuvre de la littérature patrimoniale en une année
scolaire. C’est pourtant exactement ce que l’on attend des élèves qui suivent les
394
BOURDIEU Pierre, L’Amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Paris : Édition de minuit, coll.
« Sens commun », 1969, p. 161.
395
Terme employé en cours de français pour désigner une œuvre donnée à lire à l’élève sans que celle-ci
n’occasionne de cours en particulier.
- 214 -
enseignements « cinéma et audiovisuel ». L’enfer est pavé de bonnes intentions
(républicaines) : les textes officiels semblent suggérer que voir des films est plus
« facile » que regarder une pièce de théâtre ou lire un livre, et l’on prend le risque
que la « consommation » pure et simple des films, pourtant si décriée quand il s’agit
du cinéma « mainstream », se retrouve finalement encouragée dans l’enseignement
du cinéma en lycée.
En outre, ce postulat de la culture par la fréquentation des œuvres n’a aucun
support scientifique, c’est même plutôt l’inverse qui a été démontré par les
anthropologues et les sciences cognitives. J.-M. Leveratto s’arrête sur ce constat et
souligne que :
« Comme le montre la psychologie génétique, le renforcement d’un
apprentissage ne doit pas être envisagé « uniquement comme un phénomène
externe, mais également comme un processus interne à travers
l’autorégulation ».396
La vision anthropologique s’oppose ici à la vision sociologique de l’apprentissage :
une œuvre ne suscite un apprentissage qu’en cela que la rencontre avec elle naît
d’une « curiosité »397, qui est, selon Pierre Piaget, « la chose qui compte le plus dans
le processus du développement humain»398. Or comment mesurer cette curiosité ?
La consommation pléthorique des œuvres ne risque-t-elle pas dans certains cas
d’avoir précisément l’effet inverse ? Comment savoir si l’on attise la curiosité des
élèves ou si l’on provoque leur lassitude ?
Mais les raisons de cette fréquentation sont plurielles et il faut sans doute interroger
ici aussi les paradigmes. Car voir beaucoup d’œuvres « majeures » – c’est-à-dire
légitimes selon l’arbitraire culturel dominant – n’est-ce pas aussi une façon de
pouvoir dire qu’on est cultivé ? Ainsi, j’ai rencontré parmi les élèves – mais aussi
parmi les professeurs interrogés – ce que J.-M. Leveratto appelle des
396
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit. p. 107.
Ibid.. p. 108.
398
Ibid., p. 107.
397
- 215 -
« consommateurs obsessionnels »399, des personnes qui voient jusqu’à trois films par
jour. Un de mes étudiants m’a dit un jour que son but était de « reconnaître tous les
cinéastes qui sont sur la bande-annonce de la série “Cinéma de notre temps” » et
« d’avoir vu tous leurs films ». Le plaisir de la reconnaissance (reconnaître les
cinéastes) est intimement lié au plaisir de la supériorité qu’il promeut : ce désir peut
servir à satisfaire un désir de reconnaissance sociale – dans le sens d’une
« distinction » – ou l’envie de devenir un jour critique de cinéma par exemple.
N’oublions pas que le postulat : « voir des films, c’est mieux connaître le cinéma »,
peut s’expliquer aussi par les origines de l’arbitraire culturel sur lequel se sont
construits les enseignements CAV : ils s’ancrent, on l’a vu, dans la vision très
cinéphilique de la tradition du ciné-club, qui permet de se réunir pour voir
beaucoup de films, et qui a informé la pratique des enseignements en lycée. Peut-on
pour autant parier sur cet appétit de films pour construire une connaissance du
cinéma ? C’est toute la différence entre une cinéphilie qui se définirait comme
« amour du cinéma » et une cinéphilie qui se revendique comme une « bonne
connaissance du cinéma ». Ces deux définitions sont celles qui émergent de
l’enquête menée par Jean-Michel Guy sur la culture cinématographique des
Français :
« Certes les avis sont partagés sur la définition du terme “cinéphilie”, mais
pour un très grand nombre de Français être “cinéphile” est synonyme de
savoir beaucoup de choses sur le cinéma plus que d’aimer beaucoup le
cinéma. »400
Si l’on considère que l’École, en tant que microcosme social, est comparable à la
société civile sur laquelle s’appuie cette enquête sociologique commanditée par le
ministère de la Culture, on peut penser que le public des enseignements CAV est
majoritairement constitué de gens qui visent à la cinéphilie, c’est-à-dire aux
connaissances sur le cinéma. L’École plébiscite aussi la fréquentation des films
c’est-à-dire l’établissement d’une culture cinématographique considérée comme un
399
Ibid., p. 130.
GUY, Jean-Michel, La culture cinématographique des Français, Paris : La documentation française, 2000,
p. 32.
400
- 216 -
savoir. En cela, le système scolaire va complètement dans le sens de la culture
cinématographique que les Français ont en dehors de lui. Se pose alors la question
de la pertinence et de la justification de cet enseignement, puisqu’il ne s’inscrit pas
sur un vide, mais sur un plein, puisqu’en matière de cinéma « la culture est d’autant
plus légitime qu’elle est accessible et massivement partagée »401. L’École pourrait
alors se défendre de cette accusation d’inutilité en défendant le fait – et c’est ce
qu’elle tend à faire à travers les textes officiels – qu’elle promeut un cinéma que l’on
ne voit pas ailleurs. Pourtant :
« Être cultivé, pour la plupart des Français, ce n’est pas nécessairement avoir
vu des films “rares” que personne n’ait vus, mais avoir vu plus de films
“importants” qu’autrui et savoir naviguer aisément dans le magma des
références. Répétons-le : il n’y a pas de coupure entre “incultes” et
“cinéphiles », mais au contraire un “bain commun” dans lequel quelques-uns
nagent plus facilement que les autres, mais qui n’est interdit à personne. »402
C’est ici sans doute que s’inscrit une spécificité du cinéma :
« La porosité des cultures du cinéma qui forment donc ensemble LA culture
cinématographique des Français est flagrante. (…) Cette caractéristique, que
le cinéma partage peut-être avec la chanson, le distingue de tous les autres
arts de représentation, et de la littérature dont on sait que les différents
“publics” ne se rencontrent pas. »403
Dans cette conjoncture à quoi sert la « culture scolaire », si elle n’est ni spécifique,
ni obligatoire pour former une culture cinématographique et une connaissance en
matière de cinéma ? Si elle n’est même pas nécessaire à la rencontre des publics et
au
décloisonnement
des
représentations ?
Le
terreau
de
la
culture
cinématographique est déjà présent en dehors de l’École, sans elle, et peut-être
aussi malgré elle, le cinéma assumant le rôle de « lien culturel » puissant en dehors
de la cinéphilie académique. Quelle est alors la « plus value » que donne l’École ?
Un encadrement de cette cinéphilie, sa rationalisation, mais aussi peut-être une
certaine réduction de l’amour du cinéma à une cinéphilie « académique ». Car cette
initiation à l’amour du cinéma, s’il peut se faire en dehors de l’École, se fait
401
Ibid.
Ibid.
403
Ibid., p. 20.
402
- 217 -
certainement aussi, pour certains enfants en tout cas, à travers elle. Il faut donc que
la cinéphilie transmise par l’École se fonde absolument sur autre chose que la
consommation des films, ce dont l’Institution et la plupart des professeurs sont
conscients, même si la prédisposition à donner une importance forte à la
fréquentation des films est encouragée – comme on l’a dit plus haut – par certains
partenariats ou par certaines pratiques.
S’il est question de « connaissance en matière de cinéma », l’importance de la
fréquentation des films dans le cadre scolaire doit être relativisée ou questionnée. R.
Odin semble avoir eu cette intuition :
« Il n’existe pas une corrélation directe entre le degré de culture cinéphilique
des étudiants et leur aptitude à faire de la recherche en ce domaine. (…) Il
n’est pas d’autre objet qui accumule tant de pièges, tant de chausse-trappes :
on aime, on rêve de faire partie du milieu, on croit connaître (un peu
beaucoup)… »404.
La fréquentation compulsive des œuvres apparaît parfois de cet ordre : « on croit
connaître ». Qui n’a pas fait l’expérience d’une époque de sa vie où l’on
« consomme » beaucoup de films (ou beaucoup de livres) pour pouvoir « dire qu’on
les a vus (ou lus) » et dont finalement on se souvient à peine ? À l’échelle
individuelle, un tel comportement est peut-être un passage obligé, un mal
nécessaire, et il en ressort sans doute toujours quelque chose de positif, mais
l’École peut-elle se contenter de ce modèle d’apprentissage ? Les pratiques sont, de
fait, variables, mais je remarque que des élèves se rappellent peu des films qu’ils ont
vus et ont parfois du mal à en citer cinq sans hésitation, ou parfois avec des
approximations fort drôles. Un élève de Vincennes m’a dit405 avoir « vu Le Jour se
lève de Murnau ». Étonnée, je lui demande : « tu es sûr ? », il me dit « ah non, c’était
L’Aurore. ». Au-delà du comique du lapsus, cette anecdote n’est-elle pas révélatrice ?
Voir un film ne permet pas forcément de le connaître, ni d’en apprendre quelque
chose. Peut-être vaudrait-il mieux travailler précisément et avec des objectifs
pédagogiques définis sur un petit corpus de films plutôt que de multiplier les
404
405
ODIN, Roger, « Rêveries pédagogiques », Hors-cadre n° 5, « L’école cinéma », printemps 1987, p. 21 -22.
Entretien le 15 décembre 2008.
- 218 -
expériences qui risquent de tourner à la simple consommation des films. R. Odin
préconisait déjà en 1987, peu d’années après l’ouverture des premières classes
« cinéma et audiovisuel », de « bien regarder un nombre limité de films »406. En tout
état de cause, si l’on fait le pari d’une cette curiosité naturelle de l’enfant et du désir
d’apprendre de tout homme407, peut-être pourrions-nous envisager que les
enseignements CAV ne soient pas obnubilés par la fréquentation quantitative ou
pléthorique des œuvres. Ils pourraient se cantonner à suggérer des visionnages, qui
seraient laissés à l’autonomie des élèves, pariant sur leur désir d’apprendre et le
mettant ainsi à l’épreuve. C’est ce que font, d’ailleurs, certains professeurs, qui
suggèrent des « œuvres à voir » en rapport avec le cours et ne consacrent que peu
de leur temps aux projections cinématographiques in extenso. J’ai rencontré des
d’élèves qui m’ont dit « revoir les films au moins deux fois »408, d’autres m’ont dit :
« non, on n’a pas le temps de les revoir, il y en a déjà tellement à voir »409. Si l’École
peut tenter d’infléchir ces pratiques, c’est sans doute en montrant l’intérêt de « bien
voir ». « Apprendre voir », ce pourrait donc être apprendre à voir qualitativement
plus que quantitativement, se passionner pour un film permettant sans doute
d’accéder à autant de connaissances que d’en voir – trop vite – vu une dizaine.
Mais j’ai dit déjà que la fréquentation assidue des salles obscures pouvait être
induite par le partenariat : une salle partenaire attend forcément une fréquentation
assidue des classes avec lesquelles elle signe les partenariats, et cette fréquentation
devient alors presque « obligée ». La fréquentation systématique des salles
s’apparente dans ce cadre au moins autant à un acte de consommation qu’à un acte
culturel même si les intentions sont aussi justifiables par une ambition culturelle.
406
ODIN, Roger, « Rêveries pédagogiques », op. cit., p. 22.
Aristote présentait ce désir de connaissance comme universelle : « Tous les hommes désirent
naturellement savoir », première phrase de La Métaphysique, Aristote, traduction J. Tricot, Paris : Vrin, p. 2.
408
Entretien avec Mathieu, élève de Première S suivant l’option facultative « cinéma et audiovisuel » au
lycée Henri Martin de St Quentin, le 18 février 2009.
409
Entretien avec Sylvain, élève de Seconde suivant l’option « cinéma et audiovisuel » au lycée Henri
Martin de St Quentin, le 18 février 2009.
407
- 219 -
2.4.2 L’acte éducatif est-il assimilable à une
action culturelle ?
Or comment allier consommation et éducation ? En ce qui concerne
l’enseignement du cinéma, l’École se trouve dans une situation trouble. S’il s’agit
d’attirer le public jeune dans les salles, de tenter de modifier les pratiques culturelles
via l’enseignement du cinéma, la critique est facile : l’École agit sans doute autant
sur des données économiques qu’humanistes. Le jeune lycéen est ainsi perçu
comme étant un consommateur dont les habitudes de consommation doivent être
infléchies pour la bonne santé économique de l’industrie cinématographique. Si la
pédagogie se définit seulement comme une médiation entre l’œuvre et le public, elle
revêt aussi un enjeu économique, paradoxe qui prend le risque de l’inefficacité.
Comment expliquer en effet la méfiance de l’École face aux pratiques plus ou
moins anarchiques de téléchargements des élèves ? Il semble que l’État, quand il
doit trancher, est plus enclin à protéger les droits des artistes que celui des
spectateurs, et que l’assimilation commode entre spectateur et consommateur,
repoussoir de la cinéphilie académique, sert aussi d’alibi au protectionnisme culturel
et économique. La question se pose alors de savoir si le projet qui cherche à
infléchir une « pratique culturelle » en « pratique cinéphilique » est totalement
désintéressé. Le département des études et de la prospective du ministère de la
Culture affirme depuis des années que les jeunes sont les plus gros consommateurs
de cinéma dans la population française. Malgré cela, les enquêtes menées depuis
2000 par J.-M. Guy ou O. Donnat sont très claires et montrent que :
« La culture cinématographique s’acquiert surtout par la télévision et la vidéo
et que l’expérience de la salle de cinéma compte en définitive bien moins que
l’on pourrait le penser dans la constitution des références (…) n’en déplaise
aux puristes pour qui le cinéma c’est aller au cinéma, la vidéo apparaît
aujourd’hui comme la forme canonique de constitution et de transmission
d’une culture cinématographique. »410
410
GUY Jean-Michel, La culture cinématographique des français, op. cit. p. 22.
- 220 -
L’enquête de J.-M. Guy date de 2000, mais il y a fort à parier – ce que confirme O.
Donnat en 2008 – que ce constat se vérifie aujourd’hui d’autant plus pour les
« fichiers numériques » que sont devenus les films qui prennent la place, dans les
foyers et sur les disques durs, de la VHS.
La question se pose donc ici de la « scolarisation » de l’action culturelle et de son
efficacité, qui n’a finalement jamais été prouvée par des études sur la fidélisation du
public scolaire dans les salles « art et essai ». On peut se demander comment le
grand public influence le public scolaire et vice-versa, si la cinéphilie scolaire
influence le grand public comme le voudrait le ministère de la Culture qui justifie
par là son « action culturelle » au sein de l’Institution scolaire.
D’un point de vue sociologique, plusieurs « leviers » expliquent ou déterminent les
pratiques culturelles. Le « capital culturel » est fortement dépendant de l’« origine
sociale », et l’on retombe là peu ou prou sur les analyses développées par la
sociologie de la reproduction. L’École aura alors pour mission de transmettre un
capital culturel légitime à ceux qui n’en ont pas : c’est la posture que j’ai étudiée plus
haut (2.1.3 et 2.3.1). Cependant, ces problèmes de « compensation » ou de
« rattrapage culturel » ont largement été remis en question par des approches
pragmatiques, dans le courant théorique de la sociologie de l’expérience scolaire, et
s’avèrent particulièrement problématiques d’ailleurs en ce qui concerne le cinéma et
l’audiovisuel. Des enquêtes de terrain menées dans les années 90 et 2000411
démontrent que la place de l’École dans l’échiquier de la légitimité culturelle n’est
pas forcément aussi évidente que ne le laissaient supposer les théories de la
sociologie de la reproduction. Un présupposé essentiel est aujourd’hui remis en
cause : le caractère indiscutable de la légitimité culturelle portée par l’École et de la
violence symbolique qu’elle induit sur ceux qui n’y adhèrent pas ou n’en ont pas
hérité. En cela, les lycéens sont finalement très représentatifs de la population
411
Je pense au travail de François DUBET et de Dominique PASQUIER sur la « culture lycéenne » que je
citerai ci-dessous.
- 221 -
générale et du rapport de tout un chacun au cinéma. L’enquête sociologique de J.M. Guy sur la culture cinématographique des Français parue en 2000 affirmait déjà,
suite à une enquête sociologique commanditée par le ministère de la Culture :
« Art populaire depuis toujours, le cinéma contribue à la formation des goûts
et à la constitution de référence commune. Les Français s’y reconnaissent et
donnent, là plus encore qu’ailleurs, l’image de publics non cloisonnés,
indociles aux hiérarchisations savantes et aux catégories fermées. »412
2.4.3 Cinéma et art de masse : le pouvoir
des industries culturelles contre la culture
scolaire
Cette remise en cause vient des objets d’étude eux-mêmes que sont le cinéma et
l’audiovisuel. L’École a en effet tendance à se considérer comme un bastion garant
du « bon goût », or, en ce qui concerne le cinéma, elle ne peut s’isoler du reste de la
société ni marquer si fermement sa spécificité. J.-M. Guy remarquait :
« L’étude que l’on va lire donne le sentiment que la “société française” se fait
très bien son cinéma toute seule, avec ou sans l’intervention de l’État.
Impression trompeuse, car l’existence d’une “culture cultivée” et la large
diffusion dans le corps social de références initialement avant-gardistes
doivent sans doute beaucoup à la “politique culturelle”. Néanmoins,
l’influence de celle-ci reste difficile à évaluer et ne paraît pas, à première vue,
primordiale. »413.
Qu’un sociologue commandité par le ministère de la Culture fasse ce constat
désabusé lors de la publication de son enquête montre assez les difficultés
rencontrées par ceux qui prétendent que l’École peut « former » un goût en matière
de cinéma. Car le constat paraît clair : la cinéphilie déborde très largement les
frontières de l’École et ne saurait se confondre avec elle. Ici encore, « l’hypothèse »
d’A. Bergala , qui fait le pari que la présence dans les classes de films « à la valeur
412
413
GUY, Jean-Michel, La culture cinématographique des Français, op. cité., p. 13.
Ibid., p. 24.
- 222 -
artistique indiscutable » pourrait transmettre et « former » le goût des élèves, trouve
ses limites. Si tant est que cette « valeur artistique indiscutable » existe au-delà de la
rhétorique de l’évidence qui la promeut, force est de constater que lorsque l’École –
de manière relative d’ailleurs – forme un goût en matière de cinéma, c’est surtout et
simplement parce qu’elle instruit. Si l’Institution scolaire influence les goûts des
élèves, ce n’est pas spécifiquement par l’enseignement du cinéma, mais par
l’enseignement tout court… L’enquête de J.-M. Guy le disait bien :
« Tout le monde peut devenir cinéphile. Les voies qui y conduisent restent
mystérieuses : elles ne se laissent pas baliser par les variables
sociodémographiques usuelles que notre enquête a mobilisées. Des jeunes de
tous les milieux sociaux se “spécialisent” dans le cinéma. Peut-être les
mobiles diffèrent-ils d’un milieu à l’autre – et sans doute les jeunes cinéphiles
se recrutent-ils un peu plus fréquemment dans les milieux aisés –, mais le
statut du cinéma comme art populaire, à la fois noble et roturier, permet
l’expression de nombreuses “cinéphilies”. Les effets du diplôme sont
incontestables – il s’exerce principalement sur le goût et sur les
connaissances en matière de cinéma –, mais ils ne sont pas rédhibitoires. »414
Effet du diplôme, certes, mais l’éducation au cinéma reste finalement relativement
impuissante à renforcer une cinéphilie qui resterait purement académique.
D’ailleurs, en 2000, c’est-à-dire quinze ans après l’ouverture des premiers
enseignements CAV et le démarrage des premiers dispositifs « école au cinéma », J.M. Guy fait le constat que :
« De quelques façons que l’on cherche à identifier un groupe de grands
connaisseurs en multipliant ou en croisant les indicateurs potentiels de
l’érudition, on tombe toujours sur le chiffre de 3 % (un peu plus de 1 million
de personnes). »415.
Ainsi, il apparaît que les Français ont une solide culture cinématographique, mais
qu’ils ne sont que très minoritairement des « érudits » : beaucoup de monde voit
beaucoup de films, à l’École, mais aussi et surtout en dehors d’elle.
Depuis les années 1990 jusqu’en 2008, l’enquête sur les pratiques culturelles menée
414
415
GUY Jean-Michel, La Culture cinématographique des Français, op. cit., p. 302.
Ibid., p. 26.
- 223 -
par O. Donnat pour le ministère de la Culture ne fait que confirmer ce constat. Les
études sociologiques révèlent un déplacement des pratiques culturelles vers le pôle
audiovisuel et le multimédia. Les « nouveaux médias audiovisuels » et les réseaux
informatiques permettent un élargissement parfois vertigineux de l’offre culturelle.
Ces nouvelles techniques auxquelles les lycéens ont accès toujours plus facilement
contribuent à la relativisation des valeurs culturelles et au renforcement de la
« consommation par curiosité ». Télécharger un film ne coûte rien (l’illégalité
n’arrête pas les élèves et les étudiants, voire au contraire les encourage), et certains
lycéens, tout à fait boulimiques à cet égard, se constituent des stocks de films
impressionnants, ce qui contribue à diversifier l’éventail de leurs goûts :
« À la multiplication des occasions de fréquentation de contenus culturels
répondrait une diversification des rapports à la culture qui se concrétiserait
notamment par une variété toujours plus importante des formats de
réception, de participation et d’action accentuant « la porosité des frontières
entre culture et loisirs, entre le monde de l’art et celui du divertissement. »416
Si cette boulimie pouvait s’apparenter, il y a une vingtaine d’années, à « l’avidité
accumulatrice » que décrit P. Bourdieu dans La Distinction417, elle est aujourd’hui un
geste simple, perpétué dans le cadre des loisirs, et plus porteur de nouvelles
stratégies distinctives que d’un désir d’imprégnation de la culture légitime.
L’« omnivorisme », c’est cette nouvelle forme de « consommation culturelle »
qu’étudie la sociologie des pratiques culturelles.
L’hybridation des cultures personnelles des élèves et étudiants, alimentée par des
supports audiovisuels désormais protéiformes, mêle ainsi à la culture légitime une
culture plus populaire, ou en tout cas moins consacrée, que l’École hésite encore,
nous l’avons vu dans les textes et les programmes officiels en tout cas, à prendre en
considération. Notons cependant que dans les pratiques plus individuelles, certains
professeurs, et j’en ai rencontrés, ont à cœur de se pencher sur des supports
416
BERGÉ Armelle et GRANJON Fabien, « De quelques considérations sur la notion d’éclectisme
culturel », article inédit, in Les enjeux de l’information et de la communication, mis en ligne le 29 mars 2006, p. 3,
accessible en ligne à l’adresse suivante : http ://www.u-grenoble3.fr/les_enjeux, consulté le 25 mars 2010.
417
BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, Paris : Édition de minuit, coll. « Sens
commun », 1979, p. 316.
- 224 -
audiovisuels plus populaires et moins légitimes, comme les séries TV par exemple.
La dichotomie entre la culture scolaire et la culture populaire se vérifie d’ailleurs
aussi chez les professeurs, au prix parfois d’une véritable schizophrénie – que j’ai
déjà relevée – dans leurs propres pratiques cinéphiliques, entre les œuvres qu’ils
aiment et celles sur lesquelles ils travaillent en classe. Soulignons d’ailleurs quelques
tentatives de l’École pour intégrer des films plus récents, comme en témoigne la
présence de Wong Kar Wai ou d’A. Kiarostami dans le programme de Terminale et
au programme du baccalauréat, films qui apparaissent comme une tentative pour
rapprocher les programmes scolaires de la culture (cinématographique ou nationale)
générationnelle des élèves. En effet ces films « sortent » contemporainement au
cursus scolaire des lycéens. Est-ce une façon de souscrire au « marquage
adolescent » qui a été mis en lumière par l’enquête de J.-M. Guy, à savoir que les
références cinématographiques les plus fortes et les plus constitutives d’un point de
départ cinéphilique concernent les films vus à l’adolescence418 ? Il semble en tout
cas que dans le cadre des enseignements CAV ce rapprochement se fasse parfois
comme à contrecœur, comme on accorde une concession, avec la crainte de
sacrifier à la démagogie. L’ex-Inspectrice générale C. Juppé-Leblond me disait (avec
l’air d’en douter) : « qui sait si Kiarostami est un grand réalisateur ? ». Benoît,
professeur en lycée avoue :
« Je pense que de ce point de vue là, Wong Kar Wai ça passe mieux. Il y a la
modernité de l’image, de la construction, du récit. Je pense en plus qu’ils (les
élèves) sont fans du cinéma asiatique, c’est la génération. Alors pas de celuilà, mais c’est plutôt John Woo, Jonnhy To, les Coréens, etc. »419
Force est de constater néanmoins un « retard culturel de la culture scolaire »420. Car
même si les programmes tendent ponctuellement vers la contemporanéité, ils
laissent de côté tout un pan de la production audiovisuelle actuelle : les jeux vidéos
en particulier, dont les lycéens sont pourtant massivement utilisateurs comme le
418
GUY Jean-Michel, La Culture cinématographique des Français, op. cit., p. 27.
Entretien avec Benoît le 27 mars 2009.
420
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op.cit., p. 77.
419
- 225 -
montrent les statistiques d’O. Donnat421. Ce n’est pas seulement un parti pris
pragmatique de non-exhaustivité. J’ai vu que c’était surtout un parti pris
paradigmatique : ce qui est plébiscité à l’École, c’est une culture légitime qui
précisément va contre la production « mainstream », contre les « codes
dominants ». L’École répugne à envisager le cinéma comme un art de masse, et l’on
comprend que la dimension économique de ce médium paraisse peu en adéquation
avec les ambitions scolaires d’un « enseignement artistique ». Autrement dit, si J.-L.
Godard et A. Kiarostami sont au centre des programmes scolaires de
l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel, les élèves ne peuvent que constater
que leur propre pratique spectatorielle est bien loin de ces programmes, bien loin
des séries américaines ou des blockbusters hollywoodiens que l’École, obstinément
parfois, se refuse à envisager comme objets légitimes d’apprentissage.
Les facteurs de cette résistance de l’École à l’enseignement d’un cinéma « grand
public » au sein des programmes spécifiquement étiquetés « cinéma et audiovisuel »
sont pluriels. Si quelques efforts ont été faits dans les textes officiels pour définir le
cinéma dans une acception plus large que celle du « cinéma d’auteur », j’ai vu que
les enseignants que je côtoie ou que j’ai pu rencontrer dans le cadre de cette thèse
restent globalement réticents, pour leurs cours, face à des objets d’études
considérés comme « populaires » ou « commerciaux ». Cette réticence relève, entre
autres, de la fragilité de leur légitimité culturelle au regard des critères scolaires. Car
si la structure même des programmes oriente les enseignements vers une certaine
appréhension de l’objet « cinéma », elle témoigne aussi d’une vision très
cinéphilique des pratiques spectatorielles. J’ai vu que l’encouragement à la
fréquentation assidue de salles de cinéma partenaires des établissements scolaires,
salles dont la labellisation « art et essais » rend obligatoire l’intervention en milieu
scolaire, fait partie des conditions essentielles de possibilité de ces cours de
« cinéma et audiovisuel ».
421
DONNAT Olivier, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, enquête 2008, Paris : La
Découverte / ministère de la Culture et de la Communication, 2009.
- 226 -
Pourtant, les différentes approches sociologiques de la « culture lycéenne »
permettent de concevoir une image du lycéen qui n’est que peu en adéquation avec
la figure idéale du cinéphile que l’École tente de construire. Il s’avère d’ailleurs que
la vocation patrimoniale et culturelle de l’enseignement du cinéma va de pair avec
une certaine résistance idéologique de l’Institution scolaire quant aux mouvances
technologiques actuelles et à la grande variabilité des pratiques spectatorielles des
lycéens d’aujourd’hui. Et cette résistance revient parfois à nier, à mésestimer ou à
discréditer les pratiques culturelles juvéniles, alors même qu’elles ne sont pas
incompatibles avec la culture légitime que l’École cherche à transmettre. Des
entretiens menés avec des lycéens qui suivent les enseignements de cinéma, ainsi
que mes propres observations en sept ans de pratique professionnelle conduisent à
un constat empirique assez clair, que des études sociologiques plus poussées ont
d’ailleurs confirmé : la cinéphilie est une pratique plurielle, aussi intime que
collective, ce qui explique que des lycéens, face aux œuvres que le système scolaire
leur présente comme légitimes, puissent autant s’y intéresser que s’en détacher. Ce
détachement n’est pas forcément synonyme d’indifférence ou de rejet, mais
constatons simplement, pour reprendre le propos d’un professeur, qu’« ils n’en font
qu’à leur tête ».
Car l’attitude lycéenne face à l’enseignement du cinéma est finalement beaucoup
plus complexe qu’il n’y paraît. Du rejet pur et simple des œuvres au programme du
baccalauréat, à la prise en compte désabusée d’une nécessité de « faire des points à
l’examen », en passant par la découverte éblouie d’un réalisateur qu’ils ont étudié en
cours, il semble que les goûts cinématographiques des jeunes soient aussi variables
que leur engagement cinéphilique. Interviennent là des données économiques et
culturelles qui viennent interférer avec la culture de l’École et que des sociologues
ont bien délimitées. Ainsi, d’après O. Donnat, l’effervescence de l’économie
médiatico-publicitaire depuis vingt ans a créé « un système concurrent de
distinction », en offrant aux consommateurs « des moyens de se distinguer à travers
des produits culturels sur lesquels ne pèsent pas les obstacles symboliques qui
- 227 -
limitent l’accès à la culture consacrée »422. Les goûts lycéens se caractérisent donc
par leur éclectisme, leur versatilité, leur adhésion aux modes, et manifestent un
rapport très individualisé à la culture légitime véhiculée par l’Institution. Ils
n’acceptent que ponctuellement ou conjoncturellement de se soumettre aux diktats
distinctifs de la culture cinéphilique scolaire.
Car il me semble justement que le cinéma a une spécificité dans le champ des arts
devenus légitimes : il ne peut faire l’objet d’une appropriation matérielle, mais
seulement d’une appropriation symbolique. S’il n’y a pas d’appropriation matérielle,
le sentiment d’impossibilité d’accéder à cet art et à sa connaissance s’efface. Même
la pratique en amateur du film, qui s’est considérablement démocratisée, semble
désormais possible au plus grand nombre, en témoigne le succès des sites de
partage de vidéos comme YouTube et Dailymotion. Le handicap socio-culturel en
ce qui concerne le cinéma réside donc uniquement sur les « modes
d’appropriation » de l’objet « cinéma ». Si les élèves ont tendance à défendre la
singularité de leur mode d’appropriation face à la culture officielle que leur propose
l’École, n’est-ce qu’un réflexe de « dominés » comme le suppose P. Bourdieu ?
« Aimer autrement les mêmes choses, aimer pareillement d’autres choses,
moins fortement désignées à l’admiration, autant de stratégies de
redoublement, de dépassement, de déplacement qui, principe de la
transformation permanente des goûts, permet aux fractions dominées (…)
de s’assurer à chaque moment des possessions exclusives. »423
Contrairement à ce que présuppose la sociologie de la reproduction, il apparaît que
cette consommation cinématographique qui diffère de celle qu’encourage l’École
ne leur paraît justement pas forcément illégitime. Disons qu’à « l’indignité
culturelle » soulignée par P. Bourdieu s’est substituée l’idée que :
« Les industries culturelles, le continent médiatico-publicitaire et la diffusion
des TIC contribueraient donc, d’une part, à l’amenuisement de l’indignité
culturelle des moins bien dotés en capital culturel ainsi qu’à la décomplexion
des classes populaires qui, de fait, partagent un minimum culturel et quelques
422
423
DONNAT Olivier, Les Français face à la culture, Paris : La Découverte, 1994, p. 146.
BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, op.cit., p. 321.
- 228 -
goûts avec une part de plus en plus importante de la population. »424
Ainsi, quand on demande aux élèves – ce que je fais moi-même systématiquement
en début de première année de BTS – d’amener pour un exposé oral une « œuvre
qu’ils aiment », en ouvrant volontairement l’éventail des possibles, les choix sont
vraiment très variables. Je ne citerai que quelques exemples concrets de la
promotion 2008/2010 du BTS audiovisuel option « Techniques d’Ingénierie et
d’Exploitation des Équipements » et option « Gestion de production » du lycée
Évariste Galois de Noisy-le-Grand. Les étudiants ont choisi de travailler sur : un
clip d’Indochine, un clip de Mylène Farmer, un clip réalisé par Mathieu Kassovitz
pour Kery James, Persona de I. Bergman, La Haine de M. Kassovitz, Paris de C.
Klapisch, Le Seigneur des anneaux, … Et pour quelques dollars de plus, Shining, Orange
mécanique, Pirate des caraïbes, un film d’animation en 3D trouvé sur Dailymotion, Blue
Velvet, Scary Movie, Il faut sauver le soldat Ryan, Citizen Kane, les bandes-annonces de
Sweeney Tod et de Batman Returns. Lors de discussions entre collègues, lors de
l’entretien avec Benoît, nous sommes tombés d’accord sur quelques références qui
reviennent souvent dans le goût des élèves : Fight club, les films de Q. Tarantino,
Memento de C. Nolan, le cinéma asiatique de Kung fu, T. Burton, les films de D.
Aronofsky comme Requiem for a dream et Pi… Je pense avoir là quelques exemples
d’œuvres qui paraissent répondre aux goûts de nombreux élèves. Ce qui est
intéressant, c’est que si cette liste ne correspond pas tout à fait à la liste officielle
des « grandes œuvres du patrimoine », certains élèves choisissent aussi des œuvres
qui se rapprochent de la cinéphilie classique (Blue Velvet, Persona, Citizen Kane). On
assiste bien à une hétérogénéité des références, dont la hiérarchisation devient, dans
les représentations en tout cas, de plus en plus problématique. Bien sûr certains
d’élèves désirent aussi sans doute avant tout « plaire au prof », et, se sentant
illégitimes dans leur consommation du cinéma, choisissent l’œuvre pour son degré
de légitimité culturelle plus que pour le plaisir qu’ils/elles ont eu à la regarder. Mais
finalement, à l’occasion de ce genre d’exercices, on décèle autant une forme de
424
DONNAT Olivier, Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, enquête 2008, op. cit., p. 4.
- 229 -
bravade contre une impression d’indignité culturelle qu’une « bonne volonté »
patente de docilité culturelle et de « révérence » envers la « grande culture ». Ce qui
rejoint le constat de J.-M. Guy pour les Français :
« Les films exercent deux fonctions sociales distinctes : ils installent des
symboles communs, transmettent des valeurs communes, forgent des
représentations communes, tout en permettant l’expression de goûts
singuliers et donc de la différenciation. ». 425
Notons que les deux attitudes – les deux usages pourrait-on dire dans une
perspective pragmatique – cohabitent, parfois à l’intérieur d’une même personne !
Le choix de certains films peut aussi parfois relever de ce que P. Bourdieu appelle
une forme d’« allodoxia », c’est-à-dire d’une « hétérodoxie vécue dans l’illusion de
l’orthodoxie qu’engendre cette révérence indifférenciée »426. L’exemple du choix,
pour un exposé, d’un film de D. Fincher ou de D. Aronovski me semble aller dans
ce sens. Certains élèves défendent ces films pour leur « originalité » ou leur
caractère « atypique » ou « révolutionnaire », les présentant comme des « films
d’auteur ». Ils les considèrent comme des références parfaitement légitimes, et ce
simplement par ignorance des « codes » propres à cette légitimation. La notion de
« légitimité culturelle » n’a finalement pour eux qu’assez peu de sens. Même pour
ceux qui souhaiteraient s’y soumettre, elle ne procède parfois que d’un constat
empirique qui consiste à poser la question : « est-ce qu’on peut parler de ça en
cours ? », sans pouvoir vraiment répondre de façon claire, ni sans vraiment
comprendre, parfois, pourquoi la réponse est « oui » ou « non ».
Par ailleurs, les évolutions sociales et technologiques actuelles obligent à prendre en
compte le rôle grandissant de la culture de masse dans l’organisation des rapports
entre les jeunes, dans leurs modes de sociabilité, et partant dans leur rapport à la
culture légitime que tente de véhiculer l’École. La question s’avère d’autant plus
problématique que les interactions diverses avec la société des pairs ont également
425
426
GUY Jean-Michel, La Culture cinématographique des Français, op. cit., p. 21.
BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, op. cit., p. 376.
- 230 -
un fort pouvoir de légitimation des goûts culturels. Rien n’indique que les goûts
cinématographiques des élèves – ou leur évolution – soient la conséquence des
apprentissages proposés plus qu’un ajustement à des valeurs communes à un
groupe ou une communauté. Pour le cinéma, le constat est encore plus clair : « aller
au ciné » entre amis reste l’activité préférée des jeunes et le mode de socialisation le
plus représenté dans les statistiques récentes. 67 % des 15-19 ans disent « sortir le
soir » pour aller au ciné : l’influence des pairs est donc d’autant plus grande quand il
s’agit de cet objet populaire qu’est le cinéma.
2.4.4 Où l’on retrouve le plaisir… et la
relativisation des valeurs de l’École
La forte fréquentation juvénile des salles pose paradoxalement un problème de
taille au système d’enseignement : la confusion entre « enseignement artistique » et
« loisirs » brouille les pistes de la transmission patrimoniale et du rapport à la
culture scolaire. J’ai vu plus haut combien certains professeurs se méfiaient de la
notion de « plaisir » (2.3.2), mais c’est sans doute aussi, de manière plus ou moins
conscientisée, une réaction à certains comportements actuels d’« entertainment ».
À l’ère du téléchargement (plus ou moins légal) et de l’explosion des modes de
fréquentation des produits audiovisuels, on constate « la porosité des frontières
entre culture et loisirs, entre le monde de l’art et celui du divertissement »427 :
« C’est cette nouvelle forme de culture qui interroge les fondements mêmes
des pratiques et les comportements cognitifs impliqués : que signifient lire,
écrire, regarder, écouter, voir, archiver, visiter… ? Quels sens auront ces
mots pour des générations dont les premières pratiques culturelles auront
toujours procédé d’écrans dits “nouveaux”, se résorbant le plus souvent dans
les usages de ce média à tout faire qu’est Internet ? Déjà s’articulent de façon
renouvelée contenus et communication, communication et information sur
les contenus, pratiques culturelles et usages de communication numérique,
427
DONNAT Olivier, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, enquête 2008, op. cit., p. 311.
- 231 -
modalité montante de sociabilité culturelle. »428
J’ai vu à travers l’entretien avec Benoît que dans l’obligation de « sortir de la
cinéphilie du plaisir » se joue aussi plus largement toute la légitimité de l’Institution
elle-même (2.3.2). Ici encore, l’École semble se réfugier dans une radicalisation de
sa posture : alors que l’enquête d’O. Donnat révèle que les « genres
cinématographiques préférés » des Français en 2008 restent les « films comiques »
(44 %) et les « films d’action » (27 %), ces deux genres sont les moins représentés
dans les films au programme du baccalauréat « cinéma et audiovisuel ». D’ailleurs,
j’ai vu plus haut à quel point la nature des salles elles-mêmes était un vecteur de
représentations différentes : pour voir des films dans le cadre des enseignements
CAV, les partenariats se nouent avec les salles « art et essai » et jamais avec des
multiplexes comme UGC. Dans d’autres domaines, on remarque pourtant que le
lycée accorde aux lycéens une grande liberté quant à leurs goûts, vestimentaires ou
musicaux, entre autres. Cette liberté consentie les conduit à affirmer leur différence
et entraîne la revendication d’une autonomie face aux modèles des adultes,
autonomie qui est parfois aussi le gage ou l’enjeu d’une socialisation spécifiquement
juvénile. Le « nouveau » lycéen issu de la massification de l’enseignement
secondaire et de la démocratisation du système scolaire a forcément d’autres
rapports à l’École et au savoir. Du côté de l’Institution, il apparaît que la forte
diversité culturelle des populations lycéennes accueillies dans les classes a fait
perdre à l’École sa capacité à maintenir un standard culturel présenté comme
indiscutable, même si elle continue à en faire le fondement de ses programmes. J’ai
rencontré des élèves qui revendiquaient un rapport au cinéma « décalé », déclarant
un goût prononcé pour les films « gore » ou les films de Kung fu. Derrière ces
affirmations, la revendication d’une liberté sans doute : puisque ces films n’ont
aucune place dans les programmes scolaires, ils sont d’autant plus la marque d’une
autonomie voire d’une résistance face à la culture de l’École et aussi sans doute face
à la culture des adultes. Le lycéen « héritier » de la sociologie de la reproduction si
428
Ibid., p. 11.
- 232 -
bien décrit par P. Bourdieu et J.-C. Passeron est désormais « noyé dans la masse ».
Si les élèves « n’en font qu’à leur tête », c’est aussi parce que ces nouveaux lycéens
se sentent beaucoup moins tenus à la « bonne volonté » culturelle.
De leur côté, on a vu que certains professeurs ont du mal à admettre le constat
d’une relativisation des valeurs hiérarchiques des œuvres dans les représentations de
leurs élèves, voire même parfois de leurs plus jeunes collègues. La relative
indifférence que certains élèves manifestent à la culture humaniste peut aller
jusqu’au renversement des valeurs entre culture populaire et culture cinéphilique.
Ce « désajustement » entre les professeurs et les élèves peut alors conduire à une
crispation et à une radicalisation des postures : les professeurs se sentent plus
légitimes précisément quand ils n’enseignent pas le cinéma que les élèves
connaissent et qu’ils aiment, ce « cinéma que nos élèves regardent et que nous
n’aimons guère » pour reprendre l’expression de Claude Baiblé429. L’enseignement
d’un cinéma « commercial » ou « grand public » se voit alors taxé de démagogie et
très peu de professeurs s’aventurent dans cette voie. Les textes officiels du BO de
Terminale L cités précédemment430 définissent assez clairement les limites du
cinéma « grand public » qui peut servir de support à l’enseignement : Q. Tarantino,
P. Almodovar, Wong Kar Wai, tandis que S. Spielberg ou J. Cameron, par exemple,
restent absents.
Ne négligeons pas que ce sont aussi les pratiques culturelles qui occasionnent ce
divorce : regarder les films sur son iPhone®, sur son PC, poster son « film du bac »
sur YouTube, travailler avec une aisance presque intuitive sur un logiciel de
montage virtuel, autant de modes d’appropriation nouveaux du savoir. Le constat
n’est pas général bien sûr et l’Institution scolaire travaille à s’adapter à ces nouveaux
dispositifs, mais il n’en reste pas moins que dans ce domaine la culture médiatique
va largement plus vite que l’École, qui en est le plus souvent réduite à constater son
429
Claude BAIBLÉ est enseignant-chercheur et Maître de conférences au département « cinéma » de
l’Université Paris VIII à Saint-Denis. Il intervient également dans quelques écoles professionnelles, dont
l’ENS Louis-Lumière.
430
BO enseignements artistiques, classe de Terminale, op. cit.
- 233 -
retard. Ce retard n’est pas seulement une question de moyens, il est aussi lié à la
philosophie générale de l’Institution : l’École française issue de la Troisième
République craint de ne devenir « high-tech » qu’au prix d’un sacrifice de ses
ambitions humanistes désintéressées qui l’opposent fondamentalement aux valeurs
de la concurrence, de la performance économique et technologique, de l’entreprise,
mises à l’honneur par les évolutions sociétales actuelles. Pourtant, cette mise en
doute du modèle républicain risque par réaction de provoquer un repli de l’école
vers le conservatisme : tel est, à mon sens, le danger politique de ce divorce actuel
entre culture populaire et culture scolaire.
Car l’École peut-elle survivre à contre-courant de la société ? Même en dehors
d’elle, il semble que les frontières entre culture légitime et culture populaire en ce
qui concerne le cinéma aient toujours été poreuses et le soient de plus en plus. Des
recherches ont pointé qu’une « mise à l’honneur des formes culturelles populaires
s’inscrit dans une dynamique médiatico-publicitaire qui contribue non seulement à
la divulguer auprès des couches sociales plus favorisées (…), mais aussi à la
transformer en secteur marchand très profitable »431. Comment l’Institution scolaire
pourrait-elle dès lors lutter contre cette puissance médiatique accordée aux « formes
culturelles populaires » qui la dépassent si largement ? Nombre de professeurs ont
pu constater que, pour un jeune, affirmer qu’il a vu Avatar en avant-première à
l’UGC lui rapporte plus de succès d’estime auprès de ses pairs que d’avoir vu
l’intégrale d’É. Rohmer. Car pour un lycéen d’aujourd’hui, être « bien vu » de ses
copains paraît souvent plus précieux qu’être « bien vu » de ses professeurs. Et ce y
compris dans les couches sociales les plus élevées où continuent de se situer les
meilleurs élèves, « l’omnivorisme » est « à la mode ». À la suite d’O. Donnat,
l’approche sociologique de Fabien Granjon et Armelle Bergé constate que :
« La diversification de l’offre culturelle et des formats de consommation et
de réception des contenus aurait même tendance à s’imposer comme la
431
PASQUIER, Dominique, Cultures lycéennes, la tyrannie de la majorité, Paris : Autrement, coll. « Mutations »,
n° 235, 2005, p. 76.
- 234 -
référence de la posture cultivée qui, paradoxalement, s’appuierait de moins
en moins sur l’appropriation exclusive des culturèmes de la culture consacrée
(si tant est qu’une orientation culturelle légitime de tous les instants puisse
exister). »432
L’accès aux films est devenu tellement facile qu’il n’est plus question de cette
sacralisation cinéphilique de l’œuvre dont on attendait fiévreusement la copie pour
la diffuser au sein d’un ciné-club. : le « marché » des biens culturels affaiblit de
toute évidence l’autorité culturelle institutionnelle. Certains lycéens apparaissent
donc clivés : ils aiment à la fois Avatar et Rohmer. Les plus malins rentabilisent ce
« goût » en fonction des circonstances : E. Rohmer pour le bac, Avatar pour la
sortie du samedi soir.
On l’a vu, en termes de paradigmes, l’École et les discours officiels cherchent à
réagir contre ces « industries culturelles », se présentant comme le dernier rempart
contre l’envahissement du marché. En 2006, le rapport du Haut Conseil de
l’Éducation Artistique et Culturelle que j’ai commenté plus haut (1.2) fait état de
cette résistance idéologique, qui devient même, alors, une mission de l’École. Il y a
donc bien une prise de conscience de l’Institution face à ce qu’elle considère
comme un danger. Mais le mouvement général de massification des publics
scolaires en France depuis les années 80 rend la tâche difficile :
« Ce mouvement général répond en fait à une double dynamique. Il
prédispose une frange nouvelle d’individus à une réception plus légitime des
œuvres d’art et de la culture, mais il conduit également à des formes de
relâchement vis-à-vis de la culture cultivée qui s’observent dans les fractions
(les plus) diplômées de la société. »433
Le constat peut donc se résumer ainsi : au moment où la technologie pourrait offrir
à la culture légitime l’opportunité de se diffuser plus largement, elle se trouve
contrebalancée par tous ces facteurs qui relativisent les hiérarchies culturelles. Le
problème semble donc insoluble : on est bien là au centre de la résistance d’une
culture populaire aux frontières sociologiques singulièrement élargies face à la
432
BERGÉ Armelle et GRANJON Fabien, « De quelques considérations sur la notion d’éclectisme
culturel », op. cit., p. 5.
433
Ibid., p. 3.
- 235 -
transmission de l’idéal « d’humanités » du système d’enseignement. Ce système
d’enseignement lui-même n’apparaît plus comme le vecteur possible d’une
ascension sociale et devient finalement un objet de consommation parmi d’autres
2.4.5 La vision consumériste du parcours
curriculaire
Si dans la société d’aujourd’hui la socialisation horizontale se substitue à la
socialisation verticale, le rapport au cinéma et à l’audiovisuel n’en est pas moins le
lieu de tensions et de rapports de force. Entre les genres tout d’abord – les filles et
les garçons semblent se démarquer assez nettement en termes de goûts
cinématographiques434– mais aussi entre les différents degrés d’implication face au
« projet » de faire des études de cinéma et d’audiovisuel, projet qui peut relever de
l’utopie pure comme d’un véritable désir réaliste de professionnalisation, se fonder
sur un désir d’enrichissement culturel ou sur un choix conscient de rentabilisation
du cursus scolaire. Autre signe des temps qui interfère avec l’enseignement du
cinéma : les élèves qui choisissent de suivre les enseignements de CAV sont aussi
pour certains d’entre eux de bons « consommateurs » du système d’enseignement,
qu’ils envisagent avant tout comme un éventail de choix qu’il leur appartient de
rendre le plus rentable possible. Et c’est d’autant plus vrai qu’il semble qu’aucune
enquête ne permette aujourd’hui d’établir vraiment un rapport de causalité entre la
soumission aux modèles culturels dominants et la réussite scolaire. Ce constat se
vérifie pour l’enseignement du cinéma. En tant que professeur, je le constate
souvent : cette année encore, mon meilleur élève a une culture cinématographique
qu’il qualifie lui-même de « très pauvre » et « préfère regarder les films en VF ». A
contrario, il s’avère que les pratiques nobles, à forte légitimité culturelle, ne sont pas
forcément le gage d’un bon niveau scolaire. J’ai rencontré aussi des élèves
434
Ceci pourrait faire l’objet d’une thèse à part entière…
- 236 -
passionnés par le cinéma d’Ozu, qui n’étaient pas pour autant de bons élèves. Le
passage à l’écrit leur pose souvent problème et la forte valeur symbolique de la
langue dans le système scolaire français – que j’ai déjà évoquée – fait parfois entrave
à toutes les bonnes volontés cinéphiliques, puisqu’il ne s’agit pas seulement de
regarder des films, mais aussi de savoir rédiger. L’idée selon laquelle le cinéma
pourrait « sauver des élèves de l’échec scolaire » apparaît dès lors bien fragile :
l’enseignement du cinéma n’évite pas certains déterminismes plus socialement
explicables en termes de réussite scolaire.
Si toutes les cultures ne se valent pas dans l’esprit d’un lycéen, il paraît de plus en
plus problématique de déterminer quel degré d’efficacité a encore le modèle
scolaire de la culture « humaniste » sur la constitution d’un parcours scolaire.
Comme le disent F. Doubet et D. Martuccelli :
« L’image d’une norme scolaire qui se “déverse” dans la personnalité des
élèves est bousculée par plusieurs éléments : le rapport stratégique aux
études, le désajustement des attentes des élèves et des professeurs,
l’incertitude du modèle culturel de l’école qui en appelle à des figures de
l’individu largement contradictoires. »435
Déplions cette idée en l’appliquant à l’enseignement du cinéma. Du côté des
lycéens, la mise en doute de la capacité du système d’enseignement à assurer une
réussite sociale qui serait promise par l’adhésion aux modèles culturels dominants
entrave l’adhésion aveugle à la culture scolaire. Or si se former au cinéma passe
sans aucun doute par des compétences artistiques et culturelles, cette formation
pourrait convoquer aussi – ce que le système d’enseignement nie en partie – des
compétences scientifiques et techniques. Cantonner l’enseignement du cinéma à la
filière littéraire induit donc une certaine tromperie dont la plupart des élèves ne
sont pas dupes : à part s’ils rêvent d’être universitaires ou critiques dans une revue
de cinéma – et les places sont rares ! – les emplois les plus accessibles dans ce
« milieu » nécessitent des compétences techniques poussées liées au son et à
435
DUBET François et MARTUCELLI Danilo, À l’école, sociologie de l’expérience scolaire, op. cit., p. 327.
- 237 -
l’image. D’un point de vue « stratégique », l’enseignement de spécialité « cinéma et
audiovisuel » dans une Terminale Littéraire s’avère donc finalement peu rentable
sur le marché du travail et dans le cursus post-baccalauréat. La plupart des élèves de
Terminale L se voient d’ailleurs refuser l’accès aux Brevets de Technicien Supérieur
en audiovisuel, car leurs acquis en Sciences Physiques et en Mathématiques sont
jugés insuffisants. Ils se voient « rappeler la non-valeur de leur acquis culturel tant
par les sanctions anonymes du marché du travail que par les “verdicts scolaires” »436
Que reste-t-il alors à cet enseignement ? Sans doute le privilège de se prévaloir
d’acquisitions culturelles appuyées sur une pratique amateur du cinéma permise par
la réalisation du « film du bac » dans le cadre des enseignements pratiques. C’est
beaucoup, certes, mais cette pratique amateur et ces connaissances culturelles ne
pourraient-elles aussi s’acquérir en dehors de l’École ? Si actuellement une vision
relativement consumériste du cursus scolaire met en avant l’épanouissement
individuel au travers de choix stratégiques et/ou personnels, le choix de
l’enseignement « cinéma et audiovisuel » se justifie du coup très variablement. Il
peut s’agir de « prendre l’ « option ciné » pour faire des points au bac », pour « faire
des films » ou « pour la culture générale », mais aussi « parce que ma copine l’a
prise », alors que l’on n’est pas spécialement féru de cinéma. Peut-on dire alors que
l’École parviendra, dans ce cadre finalement peu rentable en termes de curriculum,
à influencer la culture juvénile ?
En outre, la filière L souffre d’un déficit d’image, et est accusée d’offrir peu de
perspectives de débouchés sur le marché du travail437. On peut se demander si les
enseignements de spécialité CAV sont « entachés » par cette réputation de la filière
436
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 43.
437
Le rapport n°2006-044 de juillet 2006 intitulé « Évaluation des mesures prises pour revaloriser la série
littéraire en lycée » stipule qu’en 2006 la filière L représente « un peu moins de 12% des effectifs des séries
générales », Rapport de Catherine BECCHETTI-BIZOT (IGEN), Hélène BELLETTO-SUSSEL
(IGEN), Alain DULOT (IGAENR), Jean EHRSAM (IGEN), Philippe FORSTMANN (IGAENR),
Christine JUPPÉ-LEBLOND (IGEN), Annie MAMECIER (IGEN), Jean MOUSSA (IGEN), Renaud
NATTIEZ (IGAENR), Christian SOUCHET (IGEN), Laurent WIRTH (IGEN) Rapport téléchargeable
en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid4229/evaluation-des-mesures-prises-pour-revaloriser-la-serielitteraire-au-lycee.html, p. 11 du .pdf, consulté le 10 août 2009.
- 238 -
L ou si elle est au contraire un des arguments de sa réhabilitation institutionnelle.
On observe une grande variabilité du positionnement stratégique de ces
enseignements d’un lycée à l’autre : dans certains établissements, l’enseignement
artistique CAV en L apparaît comme un pis-aller destiné à « rattraper » les mauvais
élèves, alors que dans d’autres établissements il apparaît comme un choix « chic »
ou élitiste. Cette différence repose entre autres sur les implantations géographiques
des classes : St Quentin n’a pas grand-chose à voir avec Vincennes, mais aussi sur
les perspectives d’études postérieures. Choisir l’enseignement CAV dans un lycée
dans lequel l’option existe aussi en Hypokhâgne ou dans lequel existe un BTS
audiovisuel – même si, je l’ai dit, rien n’assure la continuité entre ces deux cursus438
– n’a pas la même résonance en termes de choix curriculaires.
Il semble donc que la légitimité même de l’objet « cinéma » dans les enseignements
artistiques soit entachée par sa piètre performance quant à la pénétration du marché
du travail qu’il permet, et peut-être plus que n’importe lequel des autres
enseignements artistiques qui sont clairement positionnés dans le champ de la
culture générale. C’est ici que l’enseignement technique tel qu’il est dispensé en
BTS audiovisuel prend sa revanche, car la valeur de la technique audiovisuelle sur le
marché économique est supérieure à la valeur de la connaissance théorique. Se pose
peut-être ici la question de la « valeur de la culture » non pas dans un sens
bourdieusien mais dans un sens économique. Dans la société comme au sein de
l’École, il me semble que l’on est autant soucieux de se garantir une valeur
économique qu’une valeur culturelle. Beaucoup de parents d’élèves qui font la
démarche de se renseigner pour le BTS audiovisuel lors de « journées portes
ouvertes » ou de « journées d’information » s’avèrent très soucieux des
« débouchés » que permet ce type de formation ; car ils pensent que « dans le
cinéma, c’est très bouché ». Or la filière L n’est pas la plus pertinente en termes de
438
Cette remarque est à nuancer : dans certains établissements la cohabitation de l’option et d’un BTS AV
se passe dans la plus grande indifférence malgré des professeurs communs (c’est le cas à St Quentin).
Dans d’autres lycées, l’enseignement CAV « attire » des élèves qui se destinent au BTS (c’est le cas au lycée
Suger de Saint-Denis.)
- 239 -
formation professionnelle au cinéma et à l’audiovisuel : et si l’« erreur de
diagnostic » quant à la définition même du cinéma comme art « craquelait » la
légitimité de l’arbitraire culturel dans une perspective professionnalisante ? Le choix
a été fait de cantonner cet enseignement en lycée à une formation de « culture
générale », ce choix trouve parfois ses limites, surtout quand le marché du travail
devient si problématique. Les élèves de TL qui postulent en BTS audiovisuel ne
sont absolument pas prioritaires et se retrouvent donc avec peu de perspectives en
termes de poursuites d’études en dehors de l’université. C’est ce qui explique aussi
la mise en place de MANCAV, classe de mise à niveau technique, pour autoriser le
passage des élèves de L dans les options techniques du BTS audiovisuel. Ces
MANCAV sont le résultat du constat par l’Institution d’une incapacité à bien
orienter les élèves qui voudraient faire du cinéma un métier et qui ont un « profil
littéraire ». Même en BTS, en constate d’ailleurs que :
« Tu as deux gros profils chez les monteurs : le technicien, souvent un STI
ou un S même si c’est pas aussi cloisonné que ça, et puis tu as le L qui lui,
effectivement, est plus un artiste. Nous on milite et je pense que l’on a eu
raison de le faire, du moins nos résultats nous l’ont prouvé et même la façon
dont évolue notre option Montage tend à nous le prouver, on a milité pour
justement ce métissage »439.
Le problème est qu’actuellement, sur le marché du travail, on demande à un
monteur d’être (peut-être avant tout) un très bon technicien. Je rapporte le propos
d’un Inspecteur général de STI en charge du BTS audiovisuel jusqu’en 20011, qui a
dit en commission de validation des sujets de l’épreuve professionnelle de
synthèse : « les monteurs aujourd’hui, il vaut mieux qu’ils sachent ce qu’est un
codec que ce qu’est un “raccord porte”». La différence d’arbitraire culturel entre les
voies techniques et la voie générale finit par dévoiler comme tel l’arbitraire culturel
des enseignements CAV – et leur inefficacité (d’ailleurs avouée) si l’on pense en
termes de professionnalisation. Certes, il est sans doute sain que l’École ouvre aussi
à une culture générale gratuite et non « rentable », mais dans le cas précis du cinéma
cette vocation exclusivement culturelle se heurtent à toutes les aspirations aux
439
Entretien avec Benoît, le 27 mars 2009.
- 240 -
« métiers du cinéma » qui attirent tant les élèves. La formation en BTS audiovisuel
suggère par ailleurs un fléchage curriculaire trompeur : la dangereuse polysémie du
terme « audiovisuel » a des répercussions ici aussi : combien d’élèves à qui il faut
expliquer, lors des journées portes ouvertes, que le BTS « audiovisuel » – qui est
un BTS industriel – n’a absolument rien à voir avec les enseignements artistiques
« cinéma et audiovisuel » ? Ce malentendu n’existe pas pour la musique et le
théâtre pour lesquels les formations sont plus clairement étiquetées, avant comme
après le baccalauréat, du côté des métiers artistiques ou de la culture.
Des étudiants à profil très technique m’ont d’ailleurs montré qu’ils avaient une
appréhension de la « valeur de la culture » différente de celle des élèves de
Terminale L qui choisissent de suivre un enseignement artistique. Certaines options
du BTS audiovisuel recrutent d’ailleurs beaucoup dans les filières STI440. Pour
relativiser les stéréotypes, notons que dans les options les plus proches de la
« technologie »
(option
« Technique
d’Ingénierie
et
d’Exploitation
des
Équipements » (TIEE) ou option « Son et postproduction »), les étudiants sont
embauchés avant même d’avoir leur diplôme : la demande est forte sur le marché
du travail pour des élèves qui n’ont pourtant pas toujours été en réussite scolaire.
Un jour, Alexandre un de mes étudiants très « technicien » issu d’un Bac STI et bon
élève dans les matières les plus techniques du BTS audiovisuel option TIEE m’a
dit : « votre matière (le DLA) elle est bizarre, vous êtes toujours en train de couper
les cheveux en quatre, c’est trop bizarre, c’est une matière de “perchés” » 441
(les “perchés” désignent les gens qui sont en état d’ébriété ou sous l’emprise de la
drogue). Pour lui, mes développements métaphoriques sur la « métalepse
diégétique » n’avaient à proprement parler aucun ancrage dans le « monde réel »,
aucune utilité et donc aucun sens… Alexandre trouvait que « les matières comme
440
La filière STI souffre d’ailleurs elle-même d’un déficit d’image lié à l’enseignement technologique
qu’elle dispense, supposé « fermer des portes » à l’élève et l’éloigner des « voies royales ». C’est une voie
d’orientation d’élèves en difficulté scolaire qui sont censés entrer rapidement dans la vie active parce qu’ils
ne sont pas « faits pour l’école ».
441
Échange en cours le 1er février 2009.
- 241 -
ça, ça sert à rien : en philo j’ai jamais été en cours de l’année, j’ai eu 09 au bac. J’y
serais allé, j’aurais peut-être eu 10 et même pas sûr. En DLA, c’est pareil : des fois,
je travaille et j’ai la même note que quand je travaille pas… ». Se trouve ici un
clivage très fort entre deux réseaux scolaires en France : le « technique » et le
« général ». Des sociologues se sont interrogés sur ce clivage : Claude Baudelot et
Roger Establet établissent un rapport entre ces deux réseaux scolaires et la division
de la société française en deux grandes classes antagonistes qui pourraient se
résumer comme suit dans le cas qui nous intéresse : les techniciens qui exécutent et
les ingénieurs qui pensent et dirigent les opérations442. Cette différenciation des
cursus scolaires serait donc propice à la reproduction de hiérarchies sociales et
professionnelles. Sauf que dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, il semble
que l’excellence technique soit finalement plus favorisée sur le marché du travail
que la compétence culturelle ou même artistique. L’écart entre le travail manuel et
le travail intellectuel ne fonctionne pas exactement comme partout parce que nul ne
saurait nier que le cinéma et l’audiovisuel sont aussi affaire de techniques et de
travaux manuels et que les clivages y sont flous entre l’artiste et le technicien.
Soulignons d’ailleurs que des écoles à vocation très technique comme Louis
Lumière ou l’École des Gobelins apparaissent en termes de valeur des parcours
curriculaires aussi réputées que la FEMIS. Les remarques d’Alexandre devraient
d’ailleurs nous faire méditer sur les critères d’évaluation à l’œuvre lorsque l’on entre
dans le domaine des sciences humaines et encore plus particulièrement lorsqu’on
est dans le domaine de l’art. Jacques, parlant du concours d’entrée à la FEMIS me
disait :
« De toute façon les critères de sélections sont flous, je leur dis (il parle de
ses étudiants d’Hypokhâgne qui prétendent au concours) que même en
travaillant comme des dingues, c’est pas sûr qu’ils arrivent à y entrer (à la
FEMIS), alors que l’agreg par exemple, en bossant on peut l’avoir. »443
Tout cela semble être la conséquence directe d’une certaine conception de l’œuvre
442
BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons
internationales, Paris : Éditions du Seuil, coll. « La République des Idées », 2009, 128 p.
443
Entretien déjà cité le 10 avril 2009.
- 242 -
d’art détachée des contingences commerciales ou technologiques, conception qui,
de toute évidence, « achoppe » quand il s’agit de cinéma et d’audiovisuel.
2.4.6 Bilan : ce qu’il reste à la culture
scolaire
Il n’est pas question de balayer d’un revers de la main tous les déterminismes
sociaux, mais de les relativiser en fonction des nouvelles donnes de la culture de
masse, d’autant plus que le cinéma relève à la fois des univers de consommations,
d’enjeux d’affirmation de soi, de dynamiques sociales et d’interactions entre pairs.
Plus peut-être que d’autres « matières » scolaires qui peuvent rester ancrées dans les
« humanités », le cinéma et l’audiovisuel attisent et avivent la question des rapports
entre culture populaire et culture légitime, débat encore exacerbé quand il se tient
dans ce lieu de luttes qu’est l’École.
Je citerai ici un petit exemple issu de mon quotidien de prof. Des étudiants
échangent entre eux lors d’un intercours en début d’année, sachant que je ne suis
pas loin et que je peux les entendre :
- « Non, la prof elle regarde pas Grey’s Anatomy »,
J’interviens : « mais si, j’ai d’ailleurs écrit un livre dessus ! »
- « Ah bon vous regardez ça, vous, madame ? » Les étudiants ont l’air surpris et
contents, la nouvelle se propage à toute vitesse dans la classe comme s’il s’agissait
d’un « scoop »444. La question de la légitimité culturelle reste donc présente dans les
esprits, même lorsque la « culture des écrans » la travaille, l’infléchit, la reconfigure :
c’est « l’hybridation de la culture cultivée » dont parle O. Donnat. Pour autant cette
hybridation n’annihile pas totalement, pour les élèves, le sentiment d’indignité
culturelle de certains objets populaires : l’ « omnivorisme », s’il est une pratique
444
Pourtant, beaucoup de profs aiment aussi les séries – je pense à Françoise qui « sur une île déserte »
emmènerait Six Feet Under (entretien du 18 février 2009) – mais ne s’autorisent pas pour autant à les
intégrer à leur cours.
- 243 -
partagée, n’est pas conscientisé comme légitime par tous.
Après tous ces constats, alors que chaque affirmation semble pouvoir être
relativisée par des contre-exemples, peut-on dire que le goût est réglé par la
compétence ? Que l’enseignement va modifier les goûts et les pratiques
spectatorielles ? Globalement les élèves et les étudiants me disent que grâce à
l’École ils « regardent mieux les films », mais ils regardent toujours les films qu’ils
regardaient avant pour leur plaisir. Lors de l’entrée dans l’option « cinéma et
audiovisuel » en Seconde, Martine445 demande à ses élèves de remplir une fiche dans
laquelle figure la question « quel est votre film préféré » ? Les réponses sont très
différentes pour chaque élève, de 300 à Fenêtre sur cour en passant par Les Noces
funèbres ou Ghost, et le seul film qui revient trois fois à l’échelle de la promotion
2008-2009 est… Moulin rouge ! de Baz Luhrmann. Peut-on « casser » ce goût pour
les films « à grand spectacle », et surtout le faut-il ?
En rester là reviendrait à sous-estimer un autre enjeu de la condition de
légitimation : une compétence est reconnue quand elle est légitimée par la société.
Peut-on soutenir dès lors qu’il ne reste rien de la légitimité de la culture scolaire ?
Son évacuation ne me paraît pas si simple, et sans doute pas si vraie, et il semble
qu’on ne puisse pas d’un revers de main invalider tous les apports de la sociologie
de la reproduction. Car même si la légitimité scolaire est mise en question par les
nouvelles technologies et le Web 2.0, ceux-ci ne constituent qu’une autre instance
de légitimation pour les jeunes lycéens qui n’invalide pas totalement la première.
Doit-on aller jusqu’à parler d’un échec de l’inculcation culturelle de l’École ?
Disons que si l’École inculque une culture, celle-ci va parfois justement rester
circonscrite à l’École, sans se diffuser dans les pratiques culturelles annexes. Ainsi,
l’École reste un bastion, mais de plus en plus clos sur lui-même, peut-être de plus
en plus représentatif d’une simple « minorité » sociale. En termes de cinéma, la
culture cinéphilique que promeut l’École va dans le sens des milieux culturels et
445
Martine a bien voulu me confier ces documents que j’ai pu photocopier lors de notre rencontre le 16
décembre 2008. Je les tiens à la disposition du jury.
- 244 -
académiques français, milieux qui, quantitativement en tout cas, ne sont qu’une
petite partie de la société. Comme l’image du professeur que l’on sortirait du
placard au moment de faire son cours, l’École serait un lieu que certains
adolescents considèrent comme « à côté » de la vie. Un monde « à côté » qui aurait
ses propres codes et aussi sa propre culture, légitime sans doute, valable dans
certaines sphères, certainement, absolue, sûrement pas.
Ceci explique peut-être aussi certaines réactions d’élèves, vives parfois, s’ils
considèrent que l’objet enseigné n’est pas digne de l’être dans la sphère de l’École,
parce qu’il leur semble justement ne pas appartenir à la culture scolaire. La réaction
peut alors être : « pourquoi on voit ça en cours ? ». J’ai fait l’expérience de cette
réaction il y a quelques années en travaillant sur un clip des Red Hot Chili Pepper à
la fin d’un cours sur l’expressionnisme allemand, justifiant le rapprochement par la
migration de certains motifs. La réaction de la classe n’a pas été bonne : agitation et
rires. Il m’a semblé que les élèves se sentant projetés hors de la sphère culturelle de
l’Institution ont décidé que ce clip n’avait pas sa place dans mon cours parce qu’il
appartenait à leur culture à eux, et non à pas à celle de l’École. Cet exemple
d’ostracisme révèle aussi que certains élèves sont jaloux de leurs propres réseaux de
référence, qu’ils estiment être les leurs, de manière exclusive. Pourtant, d’autres
élèves m’ont dit qu’ils apprécieraient au contraire que l’École s’occupe de leurs
références, comme si cela témoignait d’une attention qu’on leur porte. Si certains
élèves que j’ai rencontrés m’ont dit aimer les séries TV américaines, pour lesquelles
certains développent de véritables boulimies de consommation446, les cinémas
culturellement peu légitimes (gore, horreur, violence), les clips qu’ils regardent sur
Internet, les jeux vidéos, des films en animation 3D, ils estiment que cette culture
leur appartient, mais qu’il serait intéressant de l’étudier en cours. Cette affirmation
d’une autonomisation du goût est-elle encouragée par ce que P. Bourdieu
appellerait une volonté petite-bourgeoise de « faire chic » à l’heure de la
démocratisation des références nobles permises par la facilité d’accès aux films sur
446
Notons que les séries TV sont en voie de légitimation. Gageons qu’elles apparaîtront peut-être dans les
nouveaux programmes de la réforme du lycée ?
- 245 -
Internet ? Est-ce une volonté de « trouver une authenticité »447 ? Ou encore une
volonté de défendre des produits audiovisuels qui leur semblent vraiment « utiles »,
car ce sont des « know how » ?
Il apparaît surtout que tout le monde – à tort ou à raison – a aujourd’hui quelque
chose à dire sur le cinéma, que tout le monde peut se revendiquer compétent en la
matière. La légitimité, déjà fragile je l’ai vu, du « professeur de cinéma », risque donc
de souffrir toujours plus à l’ère de la « culture numérique ». On ne peut donc que
constater la grande variabilité des postures, des pratiques, des choix et des
représentations, dans un monde scolaire où l’affaiblissement des modèles
dominants ne fait peut-être que renforcer finalement « la tyrannie de la majorité ».
Et l’on ne peut nier également que malgré toutes les belles pétitions de principe,
dans ce lieu très particulier qu’est l’école, tout le monde n’a pas la même réussite.
Certains élèves qui arrivent dans les enseignements CAV et en Terminale L sont en
échec scolaire et on peut déceler également une résistance « obligée » à la culture
dominante dans ce cas particulier. Car le choix de suivre les enseignements CAV
n’est pas, loin de là, réservé aux bons élèves. C’est ce dont témoignent certains
professeurs. Se joue peut-être alors, en plus de tous les éléments que nous avons
déjà abordés, un facteur supplémentaire à l’autonomisation du goût de l’élève, une
forme de résistance au discours dominant, sur laquelle s’accorde aussi bien la
sociologie de la distinction que les Cultural Studies :
« Ceux qui redoublent et sont mauvais à l’école ont acquis au cours de cette
longue fréquentation mal récompensée un rapport à la fois affranchi et
désabusé, familier et désenchanté avec la culture légitime qui n’a rien en
commun avec la révérence lointaine de l’ancien autodidacte, bien qu’il
conduise à des investissements tout aussi intenses et passionnés »448 .
« Les classes populaires mobilisent un répertoire d’obstacle à la domination.
Il s’agit du conflit social, mais aussi de cette indifférence pratique au
discours, qu’Hoggart nommait “consommation nonchalante”. »449
J’ai pu personnellement rencontrer cette forme de résistance chez des élèves en
447
C’est ce que suggère Charles TAYLOR dans Les Racines du moi. J’y reviendrai.
BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, op. cit., p. 92.
449
MATTELART Armand, NEVEU Erik, Introduction aux Cultural Studies, Paris : La Découverte, coll.
« Repères », 2003, p. 37.
448
- 246 -
difficulté, qui, parce qu’ils se sentent exclus du système de référence que véhicule
l’École, refusent d’y adhérer. Mais de façon plus générale, plus qu’une
« consommation nonchalante », il m’apparaît que les élèves ou étudiants que j’ai
devant moi sont de plus en plus persuadés que la « consommation
cinématographique » recoupe largement une forme d’« entertainement » :
« La culture interrogée depuis si longtemps en France sur un faisceau de
pratiques dites culturelles s’écarte lentement mais régulièrement du point de
vue culturel, explicite ou non qui l’interroge. Elle évoque les loisirs pour se
rapprocher de plus en plus de l’entertainement dont la culture, en France
notamment, aime à se départir. »450
La culture numérique me paraît donc sérieusement mettre en question le rôle de
l’École par rapport au cinéma. Si l’École néglige cette mutation profonde – et c’est
le cas aujourd’hui – elle risque de se couper dramatiquement des pratiques
culturelles et d’être finalement peu efficace, si ce n’est dans les filières d’élite. Il
apparaît donc aujourd’hui qu’aucune Institution ne peut seule assurer la
modification ni même l’infléchissement des pratiques culturelles, si tant est qu’elle
le pût jamais en matière de cinéma. La résistance scolaire à l’éclectisme des
pratiques cinéphiliques dans cette population particulière que sont les lycéens est
mise en péril par le pouvoir médiatique des industries culturelles. Voir des films
dans le cadre scolaire est bien une possibilité d’ouvrir les jeunes à une culture qu’ils
n’ont pas forcément, mais l’École gagnerait sans doute à admettre que la formation
du goût, en ce qui concerne un art si indiscutablement populaire, lui échappe
partiellement, et à placer ailleurs les enjeux de cet enseignement. « Mieux regarder »
les films, ce peut être une ambition de l’enseignement CAV, mais « changer les
goûts des élèves », cela semble bien difficile. Gageons que si l’École prenait en
compte ces éléments, toutes les œuvres audiovisuelles pourraient potentiellement
être support d’enseignement. Il faudrait peut-être aussi s’intéresser à la façon dont
les formes l’audiovisuelles sont enseignées dans le cadre des filières techniques et
technologiques (Terminales STI, Sciences des Technologies Industrielles) sous la
450
DONNAT Olivier, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, enquête 2008, op. cit., p. 11.
- 247 -
dénomination « Arts Appliqués »451. Car globalement à vouloir enseigner le cinéma
« comme un des beaux-arts », le système d’enseignement s’expose à le couper
complètement de ses caractéristiques essentielles et aussi de ce qui peut le rendre
« rentable » sur le marché du travail.
En tout état de cause, je pense que je peux conclure cette partie sur cette citation de
Christian Metz :
« Ce n’est jamais par l’affirmation du goût que l’on favorise la formation du
goût chez autrui, mais en mettant en place pour lui les conditions générales
(indirectes et néanmoins seules efficaces) qui amèneront son goût à évoluer
“de lui-même” vers des formes de plus en plus mûres et de moins en moins
naïves. Le “professeur d’images” n’a donc pas à asséner à son jeune auditoire
le paradigme du bon et du mauvais »452
Connaissant le travail de C. Metz, le postulat est sans doute qu’une approche
rigoureuse et méthodique des films qui s’appuierait sur des méthodes scientifiques
serait plus efficace que « l’affirmation du goût » auquel se résument parfois les
études en lycée. Car si l’on constate un divorce entre les pratiques courantes du
cinéma et la cinéphilie académique, il est sans doute aggravé par les théories qui
sont à l’oeuvre dans l’enseignement du cinéma. La croyance en l’immanentisme de
l’œuvre d’art s’oppose aux utilisations pragmatiques que l’on peut en faire, et est en
décalage par rapport à l’usage social que les élèves font des films, la « vraie vie » des
films. Il convient donc de cerner ces approches théoriques et leur degré de
conscientisation dans le discours pédagogique.
451
452
Ce pourrait être le sujet d’une autre thèse.
METZ Christian, « Image et pédagogie », Communication, n° 15, 1970, p. 167.
- 248 -
3 - LE CONTENU DES
ENSEIGNEMENTS : QUELS
PARADIGMES THÉORIQUES ?
- 249 -
3.1
Préambule : enseignement du cinéma et théorie du
cinéma
3.1.1 Quelle place pour la théorie dans les
études cinématographiques en lycée ?
J’ai abordé précédemment l’enseignement du cinéma selon un versant sociologique.
Le choix des films « étudiables » correspond à la fois à un désir de légitimation du
cinéma comme matière enseignable et à un désir de transmission d’une certaine
cinéphilie reconnue comme légitime et que j’ai qualifiée d’« académique » dans la
mesure où elle s’est, de fait, institutionnalisée dans ces enseignements même.
J’ai vu aussi que les textes et discours officiels insistaient beaucoup sur la formation
d’un « esprit critique » (1.2.1 et 1.2.2) dont il faut doter les élèves pour leur
permettre de mieux comprendre les images. Or s’il s’agit d’enseigner pour
comprendre, une interrogation sur la théorie est nécessaire. Qu’en est-il au lycée ?
Si l’on considère que la théorie est ce qui permet d’aller chercher dans les évidences
les présupposés qui les fondent, elle semble être un passage obligé de la
construction d’une discipline enseignable, d’une véritable didactique. Car seule la
théorie du cinéma permet de faire entrer l’objet d’étude dans le questionnable. S’il
s’agit de transmettre le « je ne sais quoi » de l’œuvre d’art, l’École ne devrait pas être
la mieux placée, en cela que les savoirs qu’elle transmet doivent être un tant soit
peu rationalisables pour que l’on puisse parler de « didactique » et à juste titre d’un
enseignement.
Forte de ce principe, j’ai voulu m’interroger sur la façon dont la théorie est présente
– ou pas – dans le discours pédagogique en lycée sur le cinéma. Si elle existe, il m’a
semblé intéressant de m’interroger sur la part de théorie revendiquée et la part de
théorisation non conscientisée dans les pratiques courantes de l’enseignement du
cinéma et dans les outils pédagogiques officiels mis à disposition des professeurs. Je
- 250 -
me suis appuyée sur les textes officiels des programmes tels qu’ils sont présentés
dans les différents BO relatifs aux enseignements CAV. Jusque récemment, le BO
qui encadrait cet enseignement était celui rédigé en 2001, publié en janvier 2002 aux
éditions du CNDP pour les programmes de Première et Seconde, en juin 2002 et
réédité en décembre 2006 pour le programme de Terminale453.
Cependant, au cours de ce travail de thèse, une réécriture des textes officiels a été
effectuée. Cette réécriture a provoqué des modifications très minimes dans les
programmes, la réécriture ayant, la plupart du temps, consisté en une suppression
des parenthèses d’exemples dans un souci de réduction du volume des programmes
et de quelques ajouts très succincts. Il me semble que s’il est question des pratiques
et « habitus » théoriques utilisés dans le cadre de l’enseignement artistique CAV en
lycée actuellement, les textes de 2010 n’ont pas encore pu, à l’heure où je remettrai
cette thèse, y changer quoi que ce soit. Je me suis donc majoritairement appuyée
sur la version de 2001 qui n’a finalement pas été, à proprement parler, réactualisée,
en faisant état de la version de 2010 lorsque celle-ci s’avère apporter des
modifications au programme. Par contre, j’ai été attentive aux quelques ajouts et
modifications que le BO de 2010 apporte par rapport à celui de 2001 afin de
considérer, le cas échéant, en quoi ils pourraient modifier les pratiques ou surtout
être le témoignage d’une évolution des approches théoriques. Cependant, il apparaît
que la plupart des modifications ayant été induites par ce que l’Inspecteur général a
appelé un « toilettage rhétorique » du texte qui consistait principalement en une
453
Les rédacteurs de ces programmes avaient été sollicités dans le cadre de la refondation de la politique
d’élaboration des programmes de Jack Lang en 2000. Pour le cinéma, un « groupe d’experts » avait donc
été nommé. Il se constituait de : « Anne Baudry, chef monteuse, enseignante à la FEMIS ; Alain Bergala,
réalisateur ; Jean-Albert Bron, professeur de lettres en section cinéma et audiovisuel au lycée Albert Camus
de Bois-Colombe ; Daniel Brug, professeur de lettres en section cinéma et audiovisuel au lycée MerleauPonty de Rochefort ; Christine Juppé-Leblond, Inspectrice générale de l’Éducation nationale, Isabelle
Laboulbène, chargée de mission auprès de l’Association de Cinéma Indépendants Parisiens ; Jean-René
Marchand, IGA, ministère de la Culture et de la Communication ; Geneviève Merlin, professeure de
lettres en section cinéma et audiovisuel au lycée de la Vallée à Gif-sur-Yvette et Nicolas Philibert,
réalisateur. Le « sous-groupe Cinéma et audiovisuel » officiait sous la présidence de « Pierre Baqué,
professeur des Universités université de Paris 1 ». Le dossier de presse de J. lang énumérant les groupes
d’experts pour « refonder la politique d’élaboration des programmes » est accessible en ligne :
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/.../29_11_dp_elabpro.pdf
- 251 -
réduction de son volume454, j’ai parfois attaché ma réflexion aux exemples
d’« auteurs » proposés dans le BO de 2001, même s’ils ont été supprimés dans la
version de 2010. J’ai estimé en effet, lorsque l’item du programme de la version de
2001 a été conservé tel quel dans la version de 2010, que la suppression des
exemples avait pour seule cause la volonté de raccourcir le texte. Par ailleurs,
puisque les contenus n’ont pas changé, gageons que les professeurs continuent de
s’appuyer, dans la pratique courante de leur cours, sur les exemples proposés dans
le BO de 2001.
Je me suis appuyée sur les textes des programmes officiels des classes de Seconde,
Première et Terminale455. Même si la classe de Seconde, en cela qu’elle ne propose
pas un « enseignement de spécialité » mais un enseignement facultatif, sort en
théorie de mon corpus, il m’a semblé important, afin de maintenir la cohérence de
mon propos, d’envisager les programmes sur les trois années du curriculum du
lycée. J’ai déjà dit que la réforme du lycée a modifié les programmes, surtout en
classe de Seconde, mais j’ai laissé de côté, conformément à mon choix de corpus,
les « modules d’exploration » en « arts visuels » ou « art sonore » qui sont désormais
454
Entretien avec Patrick Laudet, Inspecteur général en charge du cinéma et de l’audiovisuel, le 25 janvier
2010.
455
BOEN, « Enseignements artistiques », versions de 2001 (L’écriture des textes en 2001 induit une mise
en application de ceux-ci dans les classes à partir de la rentrée 2002.) :
BO hors série n°4 du 30 août 2001, version papier : « Enseignements artistiques », Classe Terminale,
« cinéma et audiovisuel », édition du CNDP, collection « textes de référence – lycée (LEGT)
Programmes » , réédition décembre 2006, édition précédente juin 2002, téléchargeable en ligne :
http://www.cndp.fr/archivage/valid/81410/81410-13965-17670.pdf,
BO hors série n° 3 du 30 août 2001, version papier : « Enseignements artistiques », classe de Première :
édition du CNDP, janvier 2002, collection « textes de référence – lycée (LEGT) Programmes » BO,
téléchargeable en ligne : www.education.gouv.fr/bo/2001/hs3/arts.htm,
BO., hors série n°2 du 30 août 2001, version papier : classe de Seconde : édition du CNDP, janvier 2002,
collection lycée, voie générale et technologique, série programme, téléchargeable en ligne :
http://www2.cndp.fr/produits/detailsimp.asp?Ref=755C0601
BOEN, « Enseignements artistiques », versions de 2010 (L’écriture des textes en 2010 induit une mise en
application de ceux-ci dans les classes à partir de la rentrée 2011, sauf pour le BO de Seconde, mis en
application dés la rentrée 2010) :
BO. spécial n° 9 du 30 septembre 2010, « Enseignements obligatoires et de spécialité en série L », classe de
Première
et
Terminale,
BO
consultable
en
ligne :
http://www.education.gouv.fr/cid53325/mene1019677a.html
BO. spécial n° 4 du 29 avril 2010, « Enseignements artistiques » pour la classe de Seconde, BO consultable
en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid51334/mene1007239a.html
Tous les sites ont été vérifiés le 09 août 2011 mais sont susceptibles de changement étant données les
mises à jour actuelles du CNDP. Les paginations référencées ultérieurement correspondent aux .pdf
téléchargeables pour les versions de 2001.
- 252 -
proposés aux élèves.
J’ai bien conscience que ces textes sont parfois écrits dans l’urgence (les réformes
devant être rapidement actives sur le terrain), et qu’ils sont le fruit d’un consensus
entre des « experts » sollicités pour leur écriture. Mais ils me semblent cependant, et
peut-être pour ces raisons mêmes, concentrer des paradigmes théoriques
dominants en lycée, qu’ils synthétisent puis diffusent.
3.1.2 Premiers
constats :
influence
du
structuralisme et de l’immanentisme pour
une approche formaliste de l’œuvre d’art
Partons de l’idée synthétisée dans l’ouvrage de Sylvie Rollet en 1995 qui a sans
doute eu – étant donné son succès commercial – une certaine influence, à une
certaine époque, sur les « professeurs de cinéma » :
« Objet clos, l’œuvre, qu’elle soit littéraire ou cinématographique, résulte de
la combinaison de données structurelles que la lecture a pour charge de
repérer, d’identifier, et de mettre en relation les unes avec les autres afin
d’aboutir à la production d’un sens. »456
« Objet clos », l’œuvre est considérée comme un tout immanent. Je reste, en ce qui
concerne cette notion d’immanentisme sur la définition de G. Genette : « l’œuvre
elle-même, débarrassée de toutes considérations externes »457. La cohérence interne
de l’œuvre constitue le but de l’analyse de son sens qui semble indépendant de tout
élément extérieur. On retrouvera souvent ce parti pris théorique – car c’en est un
malgré la rhétorique de l’évidence qu’utilise l’auteure – qui semble révélateur de
toute une génération de paradigmes théoriques en lycée. D’ailleurs, évoquant
pourtant de manière très critique ce livre dans sa thèse, F. Desbarats avoue partager
456
ROLLET Sylvie, Enseigner la littérature avec le cinéma, Paris : Nathan, coll. « Repères pédagogiques », 1996,
p. 25.
457
GENETTE Gérard, « Peut-on parler d’une critique immanente ? », revue Poétique, n° 126, avril 2001,
Paris : Seuil, p. 131 et 136.
- 253 -
ce postulat théorique qu’il présente lui aussi comme indubitable :
« Ces concepts ont, il est vrai, le mérite d’alerter utilement contre les
interprétations outrageusement projectives, et d’inviter à la vigilance en ce
qui concerne la cohérence et les réseaux formels d’écriture. »458
L’approche immanentiste est manifeste, présentée comme une évidence, et se
double d’une approche structuraliste « qui concerne la cohérence et les réseaux
formels ». Les « données structurelles » dont parle Sylvie Rollet manifestent
également cet emprunt à la théorie structuraliste. Le structuralisme et
l’immanentisme servent donc ici de modèles théoriques à des approches
essentiellement formalistes. On remarque cependant d’emblée qu’il s’agit d’une
certaine version du structuraliste : C. Metz, à l’instar de R. Barthes par exemple,
prend en compte le contexte de production de l’œuvre en tant qu’il est lui-même
générateur d’un sens particulier qui se révèle dans des formes particulières ce qui
met en question le structuralisme comme immanentisme.
Pour démontrer cette emprise théorique du formalisme – dont une certaine lecture
du structuralisme ne serait qu’un des aspects – je me suis appuyée sur les textes
officiels des programmes des enseignements CAV en les comparant avec les écrits
de Roman Jakobson, formaliste russe qui produisit entre 1919 et 1970 des textes
théoriques sur la littérature qui sont au fondement du formalisme appliqué à
l’œuvre d’art et plus particulièrement à l’œuvre littéraire. J’ai assez souligné
l’omniprésence des professeurs de français dans l’enseignement du cinéma pour
supposer une influence des théories littéraires sur les pratiques de l’analyse filmique.
R. Jakobson situe la théorie formaliste comme suit :
« Dans les premiers travaux de Chklovski, une œuvre poétique était définie
comme la somme de ses procédés artistiques, et l’évolution poétique n’était
rien d’autre que la substitution de certains procédés à d’autres procédés.
Avec les développements ultérieurs du formalisme apparut la conception
plus précise d’une œuvre poétique comme système structuré, ensemble
régulièrement ordonné et hiérarchisé de procédés artistiques. L’évolution
458
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 457.
- 254 -
poétique est dès lors un changement dans cette hiérarchie. »459
L’œuvre poétique est bien définie de manière structurale, comme un « système
structuré », un « ensemble régulièrement ordonné et hiérarchisé de procédés »,
annonçant déjà les théories structuralistes. En outre, R. Jakobson définit la
« recherche formaliste » comme le repérage et le dévoilement d’un « élément
linguistique » contenu dans l’œuvre qui constitue en lui-même une « dominante »
sur laquelle se structure l’ensemble de l’œuvre :
« La dominante peut se définir comme l’élément focal d’une œuvre d’art : elle
gouverne, détermine et transforme les autres éléments. C’est elle qui garantit
la cohésion de la structure. (…) Un élément linguistique spécifique domine
l’œuvre dans sa totalité : il agit de façon impérative, irrécusable, exerçant
directement son influence sur les autres éléments. »460
Ces extraits me semblent pouvoir être mis en rapport avec l’organisation du travail
préconisé par le BO qui insiste, dans ses objectifs du programme de Terminale
comme de Première, sur certains aspects formels étudiés de façon autonome et
indépendante et pour l’étude desquels les œuvres finalement ne servent que
d’exemples révélateurs d’une organisation structurale autour de cet « élément
linguistique ». Je m’arrête ici plus en détail sur l’exemple du montage dans le
programme de Terminale :
« Le montage apparaît ainsi comme le moment où tous les éléments issus de
l’écriture et du tournage se répondent et se complètent pour construire la
cohérence et l’unité du film. »461
Dans cette perspective, le montage apparaît bien comme la « dominante »
stylistique, au sens où l’entend R. Jakobson, de certains films (le BO en propose
dans la foulée une liste non exhaustive), c’est-à-dire comme l’aspect formel qui
structure l’œuvre, permet sa compréhension et produit sur le spectateur un certain
nombre d’effets. Si le montage est un « élément linguistique spécifique (qui) domine
l’œuvre dans sa totalité », il permet d’en assurer la « cohésion de la structure », ce
459
JAKOBSON Roman, Huit questions de poétique, Paris : édition du Seuil, coll. « Points Essais », 1977,
p. 82.
460
Ibid., p. 77.
461
BO spécial n°9 du 30 septembre 2010, classe de Première et Terminale, reprise littérale du BO
antérieur : BO Hors série n°4 du 30 août 2001, op. cit., version papier, p. 21.
- 255 -
qui justifie son étude spécifique et autonome et le fait que les programmes officiels
préconisent aux professeurs de lui consacrer une année :
« En classe Terminale de la série littéraire, l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel réinvestit et consolide les acquis théoriques et pratiques
antérieurs en matière d’image et de son. Il prolonge le travail engagé en
classe de Première sur l’écriture du film et les liens unissant écriture et
tournage en privilégiant la notion de montage. »462
Ce travail sur le montage est présenté dans les textes officiels comme une
« dominante annuelle ». D’autres aspects du montage : sa dimension technique, sa
réalité professionnelle, son intégration à l’espace de postproduction du film seront
donc délibérément laissées de côté pour porter l’accent sur l’aspect de
« dominante » du montage. On constate au passage que la traduction dans les
programmes scolaires de connaissances théoriques passe par une raréfaction de
l’aura conceptuelle d’un élément enseignable.
Bien avant les théoriciens du cinéma, les théoriciens de la littérature se sont
appliqués à trouver les éléments spécifiques qui pourraient permettre de
discriminer, parmi la production pléthorique de textes de tout genre, ce qui relève
de l’œuvre d’art et ce qui n’en est pas. Pour R. Jakobson et les formalistes en
général, l’œuvre d’art se définit par sa « fonction esthétique ». Cette fonction relève
de tout ce qui n’est pas sa « fonction référentielle » c’est-à-dire sa ressemblance et sa
mise en rapport possible avec le réel. Si R. Jakobson ne nie pas qu’une œuvre
puisse avoir une fonction référentielle et se trouver plus ou moins en rapport avec
le monde qui l’entoure et le contexte de sa production, cette fonction ne saurait la
caractériser de façon essentielle. L’œuvre n’est pas coupée du monde, mais c’est à
partir de sa forme, de sa structure, que se retrouve le contexte social de la création
de l’œuvre et non l’inverse. En un mot, le texte est toujours premier :
« L’œuvre poétique doit en réalité se définir comme un message verbal dans
lequel la fonction esthétique est la dominante. (…) Le caractère poétique de
l’expression verbale marque avec force qu’à proprement parler il ne s’agit pas
462
BO Hors série n°4 du 30 août 2001, op. cit., version papier, p. 21.
- 256 -
de communication. »463
Dans un autre texte, il définit plus précisément cette « fonction poétique » comme
une indifférence partielle à l’égard d’un référent réel.
« La poésie est la mise en forme du mot à valeur autonome, du mot
“autonome”, comme dit Khelebnikov. La poésie c’est le langage dans sa
fonction esthétique. (…) La poésie est indifférente à l’égard de l’objet de
l’énoncé, de même que la prose pratique, ou plus exactement objective
(sachliche), est indifférente, mais dans le sens inverse, disons, au rythme. »464
La discrimination entre l’œuvre d’art et ce qui n’en est pas repose donc sur les
différentes fonctions du langage et leur hiérarchisation. Dans l’œuvre littéraire, le
langage poétique ne renvoie qu’à lui-même, il est « autonome », tandis que dans le
langage courant, les mots se réfèrent directement aux choses qu’ils désignent dans
une perspective essentiellement référentielle et/ou dans un but communicationnel.
Si l’on tente d’appliquer ces théories au film, que peut-on précisément considérer
comme relevant de la « forme » dans un film ? Le médium cinématographique,
pour prétendre au statut d’art, doit défendre sa spécificité en tant que mode
d’expression artistique unique et indépendant des autres arts. Il est question là de ce
que les formalistes appellent pour la littérature, la « poéticité » et, dans cette
optique, la question du thème, de l’histoire racontée, est sans objet. C’est la façon la
plus courante de parler des films pour le grand public, mais l’École, nous l’avons
vu, y répugne. R. Jakobson, dans ses Huit questions de poétique définit ainsi la
poéticité :
« Mais comment la poéticité se manifeste-t-elle ? En ceci que le mot est
ressenti comme mot et non comme simple substitut de l’objet nommé ni
comme explosion d’émotion. En ceci que les mots et leur syntaxe, leur
signification, leur forme externe et interne ne sont pas des indices
indifférents de la réalité, mais possèdent leur propre poids et leur propre
valeur. »465
Le travail sur la forme exclut donc ou du moins fait passer au second plan le
rapport que l’œuvre entretient avec le monde. On peut même dire que dans cette
463
JAKOBSON Roman, Huit questions de poétique, op. cit., p. 41.
Ibid., p. 16.
465
Ibid., p. 46.
464
- 257 -
perspective formaliste, l’œuvre peut s’arroger le titre « d’œuvre » parce qu’elle
s’autonomise par rapport au référent réel ou parce qu’elle ne tend pas
principalement à le représenter.
3.2
Comment se manifestent ces influences théoriques sur
les programmes officiels ?
3.2.1 Ce qu’est l’art et ce qu’il n’est pas
Le BO reprend à son compte la distinction entre l’art et le non-art, en l’appliquant à
l’étude des formes audiovisuelles. Là où le formalisme littéraire s’attachait à
différencier le langage courant du langage poétique pour dessiner les contours
d’une « poéticité » du texte littéraire, c’est-à-dire un primat absolu de la fonction
poétique passant par l’étude stylistique de « tropes », le cinéma tentera, selon les
mêmes modalités de se différencier de « l’audiovisuel ». Certaines formes
audiovisuelles pourront ainsi se prévaloir d’être des « œuvres cinématographiques
et audiovisuelles » – et on les appellera alors plus communément « films » – tandis
que d’autres formes audiovisuelles n’auront qu’un but de communication, et ne
pourront donc prétendre au statut d’œuvre d’art :
« On s’attache plus particulièrement aux formes relevant de l’artistique sans
exclure la confrontation avec des formes relevant de la communication au
travers notamment du reportage télévisé. »466
Le BO de 2001 pour la Terminale était encore plus radical sur ce clivage entre
« savoir-faire technique » et production artistique :
« Dans la poursuite de ces objectifs, on sensibilise les élèves à la différence
qui existe entre des savoir-faire techniques - éventuellement suffisants en
termes de communication - et des choix créateurs, qui donnent leur force
466
BO Hors série n° 9 du 30 septembre 2010, classe de Première et Terminale, version en ligne, op. cit.
- 258 -
artistique à des œuvres cinématographiques et audiovisuelles. »467
La dimension artistique d’une œuvre – qui justifie son inscription dans un
enseignement scolaire – repose donc sur l’étude de messages dont « la fonction
esthétique est la dominante », fruit de ce que le BO appelle « les choix créateurs ».
Par opposition, les œuvres destinées à la « communication », c’est-à-dire ancrées
dans le réel et dans une perspective de mise en rapport du message produit avec ce
réel, qui ne sont pas produites par des « créateurs », mais par des « techniciens », ne
seront abordées que comme faire-valoir des formes artistiques. Le cinéma s’oppose
donc bien à « l’audiovisuel » – dans lequel les « savoir-faire techniques » sont
« suffisants » – par sa faculté à déployer une fonction esthétique dominante, qui
procède d’une intention créatrice au sein une œuvre close sur elle-même. L’œuvre
contient en elle-même sa propre fin et ses propres moyens et son rapport au
monde qui nous entoure est forcément second. Par ailleurs, dans cette perspective
formaliste :
« Il reste que, concrètement, chaque canon poétique, chaque ensemble de
normes poétiques, à une époque donnée, comporte des éléments
indispensables et distinctifs, sans lesquels l’œuvre ne peut être identifiée
comme poétique. (…) On peut chercher l’existence d’une dominante non
seulement dans l’œuvre poétique d’un artiste individuel, non seulement dans
le canon poétique et l’ensemble des normes d’une école poétique, mais aussi
bien dans l’art d’une époque, considéré comme formant un tout. »468
C’est ici que s’éclaire le rapport que nous avions souligné a priori comme paradoxal
entre la vision immanentisme que suppose la perspective formaliste et sa dimension
contextuelle. R. Jakobson souligne à plusieurs reprises qu’il s’agit bien d’envisager
l’œuvre dans « une époque donnée ». Cette époque « formant un tout » peut se
traduire par une « école poétique » : c’est une vision très homogénéisante de l’art
qui s’exprime ici, l’œuvre étant logiquement et obligatoirement connectée à son
époque de façon harmonieuse puisque « l’art d’une époque » est « considéré comme
formant un tout ». Le contexte sert donc essentiellement la naissance de l’œuvre et
467
468
BO Hors série n° 4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 20.
JAKOBSON Roman, Huit Questions de poétique, op. cit., p. 77-79.
- 259 -
il n’est pas question qu’elle s’y oppose ni qu’elle la conteste : elle s’y fond, s’y
justifie en « formant un tout ». C’est ainsi que l’immanentisme peut rejoindre le
contextualisme, dans l’homogénéité entre l’œuvre et son contexte dont elle est
finalement un reflet forcément fidèle. Le contexte pour mieux revenir à l’œuvre :
c’est la traduction que les textes proposent d’un immanentisme teinté d’historicité,
proche du formalisme tel que le définissait R. Jakobson. Il ne s’agit pas de se
demander comment l’œuvre est reçue dans son contexte, mais comment elle est
produite par ce contexte : on reste donc bien toujours du côté du créateur. Le
« style » de l’œuvre est certes envisagé comme le résultat d’un contexte, mais une
fois ce contexte envisagé rien ne remet en question l’idée que l’œuvre est
essentiellement un tout homogène clos sur lui-même, dépendant de son contexte
de création, certes, mais cependant indépendant de sa réception. L’approche reste
immanentiste, dans le sens qu’il n’est à aucun moment question d’envisager les
manières dont les oeuvres ont pu faire l’objet d’appropriations diverses par un
public. Les variables se situent toujours du côté de la production, pas du côté de la
réception. Même l’approche économique n’est finalement qu’un aspect de cette
approche contextualiste, peu ou prou ramenée à histoire des représentations et à
l’étude des grandes œuvres « représentatives ». L’approche immanentiste qui
considère l’œuvre indépendamment sa réception exclut l’approche pragmatique qui
envisage l’œuvre comme une co-construction de sens, variable en fonction de ses
multiples possibilités de réceptions par les spectateurs. Cet immanentisme peut
pendre des formes diverses, comme nous l’avons vu, et rester un présupposé actif,
y compris quand l’approche est contextuelle. L’œuvre reste close sur elle-même
dans la mesure où elle ne s’ouvre pas sur la réception, mais sur un contexte qui de
toute façon fait partie de ce qu’elle est, intrinsèquement.
Il faut donc considérer que l’œuvre s’inscrit dans « une époque donnée » qui
détermine des « normes poétiques » pour pouvoir étudier pertinemment sa
fonction esthétique. Effectivement, le BO met sans cesse en relation l’histoire et les
formes, ainsi que leur évolution. Ainsi, l’enseignement du cinéma s’attache « à
- 260 -
l’étude comparée de formes et de moment d’écriture »469 tandis que les pratiques
d’écriture doivent prendre en compte « la spécificité »470 des différents genres et des
formes.
3.2.2 La “version standard” de l’histoire du
style
Globalement donc, le cinéma est enseigné dans une perspective historique et dans
sa relation structurelle avec une société et une culture. Le « style » d’un film, au
sens où l’entend David Bordwell471, s’enseigne comme un phénomène formel que
l’on explique par des données culturelles, techniques, institutionnelles ou
biographiques. En classe de Seconde, l’enseignement doit permettre :
« L’appropriation progressive d’une culture cinématographique et
audiovisuelle par la découverte d’œuvres et de documents replacés dans leur
contexte historique, économique et esthétique. »472
L’étude historique du film informe la vision de l’histoire du cinéma telle qu’elle est
proposée dans le même BO :
« L’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel au lycée privilégie la
dimension artistique de ces domaines. Prenant en compte leurs composantes
patrimoniale et contemporaine, il est ouvert à l’ensemble des techniques de
représentation animées et sonores présentes dans l’espace culturel, social et
esthétique du lycéen d’aujourd’hui, et il accueille les formes et genres
cinématographiques et audiovisuels les plus variés, y compris les images et
sons numériques, l’art vidéo, le cinéma expérimental. Cet enseignement
explore les aspects artistiques, culturels, techniques et économiques des
champs concernés, en mettant en évidence l’importance et la diversité des
469
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de Première, version papier, op. cit., p. 23.
Ibid., p. 21.
471
« Style is minimally the texture of the film’s images and sounds, the result of the choice made by
filmakers in particular historical circumstances », in BORDWELL David, On the history of film style,
Cambridge, Massachusetts and London, England : Harvard University Press, 1997, p. 5. “le style est très
peu assimilé aux textures des images et des sons du film, il est le résultat de choix faits par les cinéastes
dans des circonstances historiques particulières”
472
BO hors série n° 2 du 30 août 2001, classe de Seconde, version papier, op. cit., p. 19, repris littéralement
dans le BO de 2010.
470
- 261 -
modes de production et de diffusion. »473
Plus loin, cette approche culturelle se précise :
« L’approche culturelle s’appuie sur les centres d’intérêt et la sensibilité des
élèves pour leur donner des repères sur les principales étapes de l’histoire du
cinéma et de l’audiovisuel. En opérant des choix et en sélectionnant, chaque
fois que possible, quelques plans emblématiques, on étudie :
- Quelques temps forts de l’histoire du cinéma (cinéma russe des années
vingt, expressionnisme allemand, cinéma des studios hollywoodiens, néoréalisme, nouvelle vague).
- L’épanouissement de quelques genres cinématographiques et audiovisuels :
fiction (western, fantastique, film noir, comédie musicale, etc.), cinéma du
réel (documentaire, documentaire-fiction), cinéma d’animation ;
- Les principales étapes de l’évolution des techniques de tournage et de
montage, des origines à nos jours ;
- L’émergence de nouvelles techniques de fabrication d’images et de son
dans le cinéma documentaire ou de fiction et dans les productions
audiovisuelles, considérées non seulement comme outils d’effets spéciaux,
mais aussi comme enjeux de formes artistiques en devenir (recours aux
images et aux sons de synthèse, notamment dans le domaine de l’art vidéo et
de l’animation, utilisation des petites caméras numériques). »474
Pour faire l’histoire de ces choix stylistiques, l’enseignement s’appuie sur une
histoire lue de manière chronologique et se propose d’étudier les formes « de
l’origine à nos jours ». Le cinéma ne saurait donc s’étudier que « dans le temps »,
comme un « grand récit » jalonné d’étapes clefs et de péripéties majeures. Le BO de
2001 pour la classe de Première confirme ce postulat en invitant à étudier :
« Le repérage des grandes étapes et des principaux genres de l’histoire du
cinéma et de l’audiovisuel, des origines à nos jours
L’étude porte sur les débuts du cinéma (Lumière, Méliès), le burlesque
américain, le cinéma soviétique des années 20, l’expressionnisme allemand, le
cinéma français des années 30, le cinéma hollywoodien, le cinéma japonais, le
néoréalisme italien, les nouvelles vagues, ainsi que sur les grands courants et
les formes spécifiques de la très récente histoire de l’audiovisuel.
Elle permet de donner une vision chronologique et synthétique de l’histoire
du cinéma et d’identifier les principaux genres et styles (comédie,
473
Ibid., repris littéralement dans le BO de 2010.
BO hors série n° 2 du 30 août 2001, classe de Seconde, version papier, op. cit., p. 19, reprise quasi
littérale sans modification notable de contenu dans le BO de 2010.
474
- 262 -
mélodrame, film policier, thriller, film musical, science-fiction, animation,
adaptation, film historique, documentaire...).
Elle donne également quelques repères dans l’histoire de l’audiovisuel, et
notamment de la télévision, afin de permettre aux élèves d’identifier et de
situer les principaux genres et formes des réalisations liées à ces formes et
supports particuliers depuis le milieu du XXe siècle, en s’attachant à
interroger leur relation avec les démarches artistiques. Ce repérage peut être
l’occasion d’aborder les questions liées à l’économie du cinéma et de
l’audiovisuel (production, distribution, droits d’auteurs). »475
Reprenons plus précisément, dans l’ordre, les différents « points » des
programmes :
Les « temps forts de l’histoire du cinéma » correspondent à des « national
temperament »
(« tempérament
national »,
« hollywoodiens ») dont parle D. Bordwell
476
« soviétique»,
« allemand »,
et ressortent clairement d’une vision
hégélienne de l’art qui stipule que l’esprit d’une nation (« Volksgeist ») s’exprime
dans l’œuvre d’art dont elle est le fruit. Ici encore, la visée contextualiste ne permet
pas d’échapper à immanentisme, mais au contraire se connecte totalement à lui.
L’énumération qui met en liaison un style avec une nation – « cinéma russe des
années vingt, expressionnisme allemand, cinéma des studios hollywoodiens » –
induit une vision de l’histoire du cinéma comme succession de styles relevants
« d’écoles nationales », ce qui s’inscrit dans la tradition des « histoires du cinéma »
qui étudient les films pays par pays, comme celle de Maurice Bardèche et Robert
Brasillach ou celle de Georges Sadoul. Les ressources esthétiques du médium
cinématographique semblent donc ne pouvoir s’étudier qu’avec la vision globale
des différentes découvertes nationales qui ont contribué à développer une histoire,
finalement commune, du langage cinématographique.
L’accent porté sur « les enjeux de formes artistiques en devenir », « l’émergence de
nouvelles techniques », « les principaux genres et formes des réalisations liées à ces
formes et supports particuliers depuis le milieu du XXe siècle, en s’attachant à
475
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de Première, version papier, op. cit., p. 22, reprise quasi
littérale sans modification notable de contenu dans le BO de 2010.
476
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 9.
- 263 -
interroger leur relation avec les démarches artistiques », de même que l’allusion à
« l’épanouissement » des genres, relève du modèle de développement qui
correspond à la « Standard Version » ou « Basic story » de D. Bordwell, inspiré de la
vision hégélienne de l’Histoire : « Birth, chilhood, maturity, decline » – « naissance,
enfance, maturité, déclin » (ou « the birth-maturity-decline pattern » – « le cycle
“naissance-maturité-déclin” ») directement issue d’un modèle principalement à
l’œuvre dans l’historiographie de l’art moderne :
« Le besoin de rompre perpétuellement avec l’académisme, la possibilité qu’a
l’art de mettre en question radicalement son propre médium. »477
La mise en valeur des « ruptures » fait écho à cette phrase du BO de 2001 pour les
classes de Première :
« L’approche culturelle (…) est l’occasion de replacer les œuvres dans leur
cadre historique en les situant par rapport aux courants et ruptures
esthétiques les plus marquants de l’histoire du cinéma et de
l’audiovisuel. »478
D. Bordwell souligne :
« Les historiens du cinéma sont tournés vers les mêmes explications que
celles utilisées par les historiens d’art : le tempérament national, les
idiosyncrasies des artistes et des principes latents de développement
s’inscrivant dans le médium lui-même »479
L’étude des « nouvelles techniques » renvoie à une certaine vision du présent du
cinéma considéré comme une période d’épanouissement qu’il faut cerner et
présenter aux élèves dans toute sa richesse. Le BO de 2010 pour la Seconde stipule :
« La circulation des images aujourd’hui permet également de mettre en
évidence la relecture des images numériques comme une nouvelle source de
création. »480
477
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 9 : « the need of perpetual breaks with
academicism, the possibility that artwork can pursue a radical interrogation of is medium ».
478
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de première, version papier, op. cit., p. 26.
479
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 9: « Films historians looked to the sort of
explanation invoked by art historian : national temperament, idiosyncrasies of artists and impersonal
principles of development lying latent within the medium »
480
BO n°4 du 29 avril 2010, classe de Seconde, op. cit..
- 264 -
Le développement s’inscrit « dans le médium lui-même ». On ne sait jamais bien
pourtant si cette attention portée aux « images et aux sons numériques » relève
d’une conception du progrès de l’art ou d’une « relecture » du médium par luimême. Le progrès technique est mis en liaison avec « des formes artistiques en
devenir », le « recours aux images et aux sons de synthèse » « notamment dans le
domaine de l’art vidéo et de l’animation »481.
Dans le BO de Terminale, en 2001 comme en 2010, il est question du « travail sur
les marges de la fiction (cinéma expérimental, formes hybrides), les liens entre
démarches de création et nouvelles technologies » qui relève finalement d’une
vision du cinéma comme un art contemporain plus que comme un mode
d’expression actuel et techniquement en mutation. La diversité des supports étudiés
est revendiquée, même si leur spécificité respective reste sous-entendue : « le
numérique », « l’art vidéo » et « le cinéma expérimental » sont effectivement des
supports très « variés ». Mais on constate que ces cinémas plus confidentiels se
trouvent ici abusivement reliés aux progrès techniques actuels. Rappelons que :
- dans une perspective technique, le numérique et la vidéo sont des supports
très hétérogènes, ils sont pourtant le plus souvent cités ensemble dans les
textes ;
- le « cinéma expérimental » a existé bien avant l’invention du numérique et
indépendamment de lui.
Leur rapprochement me semble donc se faire surtout en vertu d’une conception du
cinéma comme « art contemporain » : « l’art vidéo » et le « cinéma expérimental »
sont les premières formes audiovisuelles à avoir acquis une légitimité dans les
musées et à s’y exposer encore aujourd’hui. L’ouverture du programme à ces
formes-là n’est donc pas seulement une concession, mais une injonction à explorer
des formes cinématographiques légitimées par leur réception muséale autant que
par leurs innovations techniques. Constatons avec D. Bordwell que « “L’histoire de
481
Ibid.
- 265 -
base” est largement une chronique du progrès technique »482.
En 2001, le quatrième point du programme de Seconde, « les principales étapes de
l’évolution des techniques de tournage et de montage, des origines à nos jours »,
relève bien de cette histoire du style comme une histoire des techniques de même
que la formulation du BO de 2010 : « articuler histoire du cinéma et histoire des arts
et des techniques. ». Le présupposé sous-jacent veut que les capacités du médium
se révèlent à mesure que la maîtrise technique augmente. Histoire du cinéma se
donne alors comme l’histoire d’une révélation progressive des capacités spécifiques
du cinéma, à travers l’émergence de nouvelles techniques qui « évoluent » dans le
sens d’un progrès. Pour D. Bordwell :
« La recherche des qualités intrinsèques du cinéma encouragea les cinéphiles
à analyser les techniques du médium. Dans cette perspective, ils ont isolé des
éléments stylistiques qui sont restés prépondérants dans notre conception de
l’art cinématographique. »483
Les différents éléments de style à étudier sont en effet isolés par les programmes
officiels de l’enseignement CAV et apparaissent clairement liés à une certaine vision
de ce qui fait l’essence du cinéma comme art :
« La notion de plan qui a fait l’objet d’une étude approfondie dans le cadre
de l’enseignement facultatif en classe de seconde est reprise en première
pour aborder l’écriture et la mise en scène. Les questions et la pratique de la
mise en scène et de la réalisation assurent la continuité avec la classe
terminale plus particulièrement centrée sur le montage. »484
L’attachement particulier au « plan » et au « montage », à l’exclusion de l’étude
d’autres domaines comme celui du jeu et de la direction d’acteur ou des décors –
qui
ne
sont
pas
considérés
comme
des
éléments
spécifiquement
cinématographiques – relève bien d’une recherche de l’essence du cinéma comme
justification de sa dimension artistique et donc de son enseignement.
482
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 27 : « the Basic story is largely a chronicle of
technical progress ».
483
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 32 : « the search for intrinsically cinematic
qualities encouraged cinephiles to analyse the techniques of the medium. In the course of this, they
isolated stylistic options that remain central to our thinking about film art ».
484
BO spécial n°9 du 30 septembre 2010, classe de Première, op.cit., qui reprend les dominantes de chaque
classe du lycée telles qu’elles étaient présentes dans les versions du BO de 2001.
- 266 -
En classe de Seconde, la notion de « plan » est au centre des programmes, et le BO
précise qu’il doit être étudié :
« - En tant qu’unité organique de l’écriture cinématographique et
audiovisuelle, permettant, à ce titre, un travail simple et immédiat sur la
composition de l’image, le mouvement, la durée, le son, la lumière, etc. ;
- en tant que support de base de la narration cinématographique et
audiovisuelle, notamment au travers des raccords et enchaînements de plans
dont la construction donne sens à l’œuvre ;
- en tant que reflet et trace culturels – chaque plan étant en lui-même
révélateur d’un auteur, d’un état du cinéma, d’un genre, d’une technique,
d’une époque, d’un lieu géographique. »485
« Unité organique », « support de base », il s’agit bien, à travers l’étude du plan, de
délimiter les spécificités du médium et leur évolution « en tant que reflet et trace
culturels », c’est-à-dire dans la perspective d’une lecture interprétative qui s’appuie
sur l’observation de changements historiques dans les pratiques stylistiques. Les
contributions de « l’auteur », d’une « technique », d’un « lieu géographique »
s’accumulent pour augmenter les potentialités esthétiques du « plan » qui devient
l’élément syncrétique et le point de convergence de tous ces paramètres étudiables.
3.2.3 Un extrait du BO particulièrement
révélateur :
l’étude
du
montage
en
Terminale
L’étude du montage en classe de Terminale relève du même postulat. Pour D.
Bordwell :
« Pour beaucoup d’historiens, les Soviétiques ont montré que le montage
était la technique la plus centrale et la plus spécifique du cinéma, puisqu’il
différencie complètement le cinéma du théâtre »486
485
BO hors série n° 2 du 30 août 2001, classe de Seconde, version papier, op. cit., p. 20 reprise littérale dans
la version de 2010.
486
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p 34 : « for many historians the soviets
- 267 -
Je reprends ici in extenso l’extrait du BO de Terminale de 2001 repris littéralement à
quelques exemples près dans le BO de 2010 :
« Les principales étapes et théories du montage : Cette étude, directement
liée à la dominante du programme de classe terminale, consiste à revisiter
l’histoire et la théorie du cinéma sous l’angle du montage. Elle s’appuie sur
l’étude d’œuvres et d’auteurs particulièrement représentatifs de l’importance
et de la diversité des procédés du montage et qui ouvrent des pistes de
variations et de croisements originaux. À titre d’exemple : le plan unique des
origines ; D. Griffith et la naissance du montage hollywoodien ; les
expériences du jeune cinéma soviétique de D. Vertov à S. M. Eisenstein ; le
montage dans la production des grands studios hollywoodiens ; la place
éminente du montage dans l’œuvre de quelques grands auteurs (K. Dreyer, J.
Renoir, O. Welles, R. Bresson, A. Hitchcock, R. Rossellini, A. Resnais, J.-L.
Godard, S. Kubrick, etc.) ; le nouveau cinéma anglo-saxon (D. Lynch, D.
Cronenberg, Q. Tarantino, A. Egoyan, etc.) ; le montage comme
scénarisation du réel à travers l’œuvre de quelques grands documentaristes(R.
Flaherty, C. Marker, J. Rouch, R. Depardon, etc.) ; le montage comme
exploration plastique (P. Greenaway, Y. Pelechian, S. Bartas, J. Mekas, A.
Sokourov, etc.). »487
J’ai vu précédemment que cette attention particulière portée au montage relevait de
la notion de « dominante » de la conception formaliste de l’art. Mais elle relève aussi
de la « Standard Version » telle que la définit D. Bordwell. Le montage, en tant qu’il
est un élément spécifique au cinéma semble justement permettre la définition du
cinéma en tant qu’art autonome. Cette étude des « étapes du montage » rejoint
l’idée selon laquelle l’histoire du cinéma est une « révélation du pouvoir spécifique
de cet art »488.
L’évolution du montage, de D. W. Griffith à A. Sokourov, procède donc peu ou
prou d’une prédisposition à une conception téléologique de l’art dont l’histoire ne
serait qu’un long chemin vers la perfection. L’apogée de l’art, sa maturité, se
manifesterait, au centre de l’énumération, par « la place éminente du montage dans
l’œuvre de quelques grands auteurs ». Ce parcours au sein de plusieurs « écoles » de
demonstrated that editing was the central and distinctive film technique, since it most completely liberated
cinema from its dependence upon the theatre ».
487
BO hors série n° 4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 21.
488
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p 32 : « revelation of the art’s characteristic
power ».
- 268 -
montage rejoint la caractéristique de la « Standard Version » qui promeut le progrès
du langage cinématographique à travers la contribution additive de différents
auteurs et différentes nations, selon le schéma « Birth-Maturity-Decline », des
« origines » à nos jours en commençant par la « naissance », schéma déjà présent
dans d’autres extraits du BO. Ce qui se dessine derrière cette énumération, c’est une
vision du montage que je qualifierai de « vision moderniste de l’art », vision selon
laquelle :
« Le médium a découvert sa propre nature en soumettant le réalisme à la
pleine conscience de son artificialité. »489
Le passage du montage comme « scénarisation du réel » au montage comme
« exploration plastique » relève d’une théorie « moderne » du montage qui se
résume à la révélation au cours de l’histoire de ses potentialités auto-réflexives.
La formule « vision moderniste de l’art » me permet d’embrasser plusieurs
concepts. L’historiographie correspond à une certaine « vision » de l’histoire,
j’entends par là une certaine façon de faire l’histoire qui est à la fois la cause et la
conséquence d’une certaine lecture des événements. Si cette historiographie est
« moderniste », c’est parce qu’elle consiste en un cheminement vers une prise de
conscience de la modernité. Cette histoire de l’avènement d’une « modernité » dans
l’art, maintes fois débattue, me semble, quelle que soit la définition retenue pour le
terme « modernité », procéder toujours selon le même schéma. Ce schéma est celui
d’une vision progressiste de l’histoire qui s’achemine de rupture en rupture
(techniques, esthétiques, culturelles, économiques) vers une prise de conscience
aiguë de la réflexivité de l’art. Cette réflexivité proclame, à la fin de l’histoire,
qu’ « une œuvre moderne est toujours aussi une déclaration à propos de l’art »490 ,
pétition de principe qui est aussi celle de R.
- 269 -Jakobson dans une perspective
formaliste.
489
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 44 : « the medium discovered its nature by
subordinating realism to self-conscious artifice ».
490
AUMONT Jacques, Moderne ?, Paris : Les Cahiers du Cinéma, 2007, p. 47.
- 269 -
Il me semble que l’histoire du montage qui sous-tend le programme officiel de
Terminale relève de cette vision moderniste qui fait du cinéma un art dont le
principalement aboutissement est la reconnaissance de sa propre modernité.
Partant, l’histoire du montage se donne comme la progression de ses différentes
théories vers la prise de conscience de sa dimension méta-discursive et donc de sa
« modernité ». Ce modèle reste fidèle à la conception hégélienne d’une téléologie de
l’art cinématographique à travers une vision chronologique, historique et nationale
du cinéma. Je rejoindrai alors sans doute certains constats de J. Aumont qui avoue,
dans Modernes ? :
« Comment pouvait-on espérer décrire quarante années de cinéma avec un
crible aussi grossier que “classique/moderne”, si, en outre, on identifiait le
classique au film à scénario écrit, réalisé avant-guerre dans les studios
hollywoodiens, et le moderne, à la caméra rossellinienne deuxième manière,
et de ses rejetons ? Mon étonnement n’a jamais faibli, devant la vigueur de
cette croyance. »491
Dans un premier temps, disons que la conception du montage présente dans le BO
se détache, entre autres, de la conception bazinienne du montage comme gage de
« fidélité au Réel », puisque le montage est davantage montré, à travers ces lignes,
comme une « stylisation » – qui aboutit à une « exploration plastique » via des
« expériences », « scénarisation », « expérimentation » – que comme un gage de
réalisme. Peu à peu, l’attention portée au « contenu » doit décroître pour privilégier
l’attention portée à la forme.
Après ce repérage des présupposés généraux de la formulation des programmes
officiels, il convient de revenir précisément sur chacune des étapes préconisées par
le BO de 2001 repris littéralement en 2010 :
- Les débuts du montage correspondent selon le BO au « plan unique des
origines »
Le BO semble ici rejoindre ce que Noël Burch, dans La Lucarne de l’Infini, qualifiait
de « Mode de Représentation Primitif » (MRP) qui correspond au cinéma de 1894 à
491
Ibid, p. 15.
- 270 -
1914. Le parangon de ce cinéma est Tom the pipper’s son, film qui montre
effectivement un plan unique dont les entrées et les sorties de champ permettent
toute l’évolution narrative et constituent toute la mise en scène. Le « plan unique
des origines » semble donc correspondre à un cinéma sans montage, dont toute
l’action se situe dans un cadrage fixe, frontal, correspondant au point de vue du
« spectateur de l’orchestre », éventuellement étagé dans la verticalité ou
l’horizontalité, c’est-à-dire permettant une circulation des éléments diégétiques
selon le paradigme haut/bas ou gauche/droite et plus marginalement dans la
profondeur de champ. De nombreux théoriciens, D. Bordwell, N. Burch, Tom
Gunning, s’appliqueront à remettre en question cette vision très limitée du cinéma
des premiers temps, mais leur travail théorique ne semble pas avoir affecté le BO
qui reste de toute façon très vague sur la question. Ce cinéma ne retient pas
l’attention des concepteurs du programme qui ne citent ni auteur ni film, et ne font
allusion à ce cinéma que comme « point de départ » de l’histoire.
- « Griffith »
Il reste associé à la « naissance du montage hollywoodien », comme c’est le cas dans
les histoires du cinéma écrites avant les années 70 promouvant ce que D. Bordwell
appelle la « Basic Story », sur le modèle plus ou moins revendiqué de L’Histoire du
cinéma écrite en 1935 par M. Bradèche et R. Brasillac. D. Bordwell explique que D.
W. Griffith a lui-même été responsable de cette canonisation, largement obtenue
grâce à ses accointances avec le MOMA dans les années 20 et ses talents pour
monnayer des services journalistiques qui ont contribué à promouvoir et diffuser
dans le monde entier son œuvre comme étant LE modèle de création du montage
alterné. Le fétichisme que les cinéphiles de cette époque ont développé autour des
œuvres du cinéma muet menacées de disparition par l’arrivée du parlant explique
que D. W. Griffith ait bénéficié d’une vague de sympathie. Naissance d’une nation, par
exemple, est l’un des deux premiers films qu’Henri Laglois a achetés pour la
- 271 -
Cinémathèque française. Ce que D. Bordwell appelle le « canon du MOMA »492
persiste donc dans l’Éducation nationale plus de quatre-vingt ans plus tard et
accrédite son constat selon lequel :
« Le MOMA ne fut qu’une des grandes institutions qui contribua à la
propagation de “l’histoire basique” du cinéma à travers la culture
cinématographique internationale. »493
Par ailleurs, soulignons que la dimension idéologiquement problématique de ce film
est subsumée à son intérêt formel, ce qui peut apparaître paradoxal si l’on considère
que l’enseignement du cinéma est la conséquence du paradigme de l’art citoyen :
comment promouvoir un réalisateur ouvertement raciste ?
- Le « jeune cinéma soviétique » :
Il reste un passage obligé de l’étude du montage, surtout dans une perspective
formaliste. En tant que théoriciens, D. Vertov ou S. M. Eisenstein se sont
interrogés sur le montage comme « structure », comme « rythme », comme outil de
communication d’une idéologie nationale qui s’exprime à travers la forme de leurs
films, comme contre-pied aux formes artistiques précédant la révolution politique.
Je ne reviendrai pas ici sur les apports théoriques de S. M. Eisenstein et D. Vertov
quant au montage, mais je soulignerai simplement que leur approche correspond à
certains égards aux théories développées par l’École formaliste russe494 et que le
succès qu’il rencontre dans les programmes officiels (L’Homme à la caméra est au
programme du baccalauréat de 2010 à 2013) s’explique aussi par leur conformité à
certaines attentes des épreuves de l’analyse filmique sur lesquelles je reviendrai. Ce
sont des œuvres « pratiques » à étudier dans la mesure où elles permettent une
analyse formelle adossée à une approche culturelle contextualiste, ce qui
correspond exactement aux présupposés de l’enseignement de l’analyse filmique
formaliste au lycée.
492
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., « MOMA canon » p. 25.
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 26 : « MOMA was only one of many institution
that disseminated the Basic Story throughout international film culture ».
494
Voir sur ce sujet les propositions théoriques que fait sur ce rapprochement Benjamin AMENGUAL
dans Que viva Eisenstein ! Histoire et théorie du cinéma, Paris : L’âge d’homme, 1980, p. 479 et suivantes.
493
- 272 -
Continuons la lecture du texte du BO pour la classe de Terminale. Il y est question
d’étudier :
- Le « montage dans la production des studios hollywoodiens »
Cette étape de l’histoire du montage passant par Hollywood s’explique peut-être
par la réhabilitation du cinéma hollywoodien, telle qu’elle a été initiée par André
Bazin après la guerre et relayée par les « Jeunes Turcs » des Cahiers du cinéma. La
succession montage soviétique/montage hollywoodien, si elle s’appuie sur la notion
d’École nationale faisant conjointement avancer l’histoire du montage, procède
également de la vision bazinienne d’une « évolution » (voire d’un progrès) du
montage après la période du muet. D. Bordwell résume ainsi cette posture, en
délimitant dans sa réflexion théorique « deux sortes de montages : le montage
abstrait caractéristique des films muets, et le découpage caractéristique des films
parlants. »495
Dans cette perspective, le montage « abstrait » et formaliste que développent « les
expériences du jeune cinéma soviétique » – et le terme même « d’expérience » va
dans le sens d’une « abstraction » du montage détaché des contraintes narratives ou
figuratives – s’oppose au découpage hollywoodien qui s’attache à la clarté d’une
continuité spatio-temporelle prise dans une dialectique du récit réaliste à laquelle A.
Bazin tenait beaucoup. Les « grands studios hollywoodiens » ont alors le mérite de
promouvoir, par la transparence du montage, la capacité essentielle de la caméra à
enregistrer et à révéler la Réalité. On peut cependant relever l’amalgame, dans les
programmes officiels, entre montage et découpage, puisque le cinéma hollywoodien
relève plus d’un attachement précis au découpage qu’au montage à proprement
parler. Cette imprécision permet aussi de mieux comprendre la phrase suivante sur
« les grands auteurs » :
495
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 61 : « Two sorts of editing : the abstract
montage characteristic of the silent area and the decoupage characteristic of the sound films ».
- 273 -
- « la place éminente du montage dans l’œuvre de quelques grands auteurs ».
L’attachement au réalisme chez A. Bazin permet d’envisager le travail de O. Welles
ou de J. Renoir, cités dans la parenthèse, comme un « progrès » dans
l’enregistrement du Réel auquel le découpage plus que le montage doit participer.
Ce « progrès » sera principalement articulé, chez A. Bazin, autour de l’analyse du
plan-séquence et la profondeur de champ, et on ne peut citer O. Welles sans y
penser. Mais certains critiques, dans les années 60, s’opposeront à la vision
bazinienne du cinéma comme médium ontologiquement réaliste. Ceci explique sans
doute que ces « grands auteurs » qui, dans la conception bazinienne, utilisent le
plan-séquence comme alternative au montage par le découpage, côtoient dans
l’énumération du BO des réalisateurs qui ont exploré les procédés du montage de
façon beaucoup plus stylisée comme J.-L. Godard ou A. Resnais. L’énumération –
inchangée entre 2001 et 2010 – semble ici d’ailleurs étrangement à la fois
chronologique et anhistorique. L’allusion à « la place éminente du montage dans
l’œuvre de quelques grands auteurs » annihile ponctuellement la perspective
historique pour promouvoir une vision auteuriste du montage, fidèle à la
conception formaliste générale et à la « politique des auteurs » telle que l’ont
promue Les Cahiers du Cinéma. Les exemples de réalisateurs qui se succèdent dans la
longue parenthèse apparaissent soudain totalement décontextualisés, détachés des
écoles et des époques, ce qui fait que J. Renoir peut côtoyer S. Kubrick, et que R.
Rossellini n’est même pas cité à titre de représentant du néoréalisme. On assiste
bien à la valorisation d’une « collection intemporelle de Grands Films dominant
l’espace esthétique, susceptible de s’élargir lorsque des cinéastes créent des chefsd’œuvre »496.
Les « grands auteurs » sont précisément ceux que Les Cahiers, à la suite de A. Bazin,
ont célébrés dans les années 60. Parmi ces réalisateurs, tous sont des réalisateurs de
la « cinémathèque idéale » que j’ai déjà évoquée. On l’a vu, ces réalisateurs cités
496
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 82 : « timeless collection of great films,
hovering in aesthetic space, to be augmented whenerver directors creat more masterworks » .
- 274 -
pour la « place éminente » du montage dans leurs œuvres sont désignés comme
appartenant au « patrimoine », ce qui rend leur présence dans les programmes
officiels incontournable et pourtant littéralement injustifiée. Leur présence dans le
BO relève de la rhétorique de l’évidence, car « l’éminence » du montage reste un
concept vague, ininterrogé et surtout très peu défini : qu’est-ce qu’un film dans
lequel le montage tient « une place éminente » ? un film très découpé ? un film peu
découpé ? un film à la structure narrative complexe ? un film qui respecte les règles
des raccords classiques ? Je pense que le montage est surtout ici considéré comme
un acte essentiel de mise en scène, conformément à ce que promeut la critique des
Cahiers dans les années 50 et qui poursuit la réflexion bazinienne tout en prenant le
contre-pied de sa réflexion sur le « montage interdit ». Le BO se trouve à la jointure
des conceptions théoriques d’A. Bazin et de sa récupération par les « Jeunes Turcs »
à partir des années 50.
En effet, le montage comme élément de mise en scène relève éventuellement du
découpage dit « classique » correspondant à des films narratifs et figuratifs qui
relèvent d’une certaine « transparence » défendue par J.-L. Godard dans son article
de 1952 pour les Cahiers du cinéma, intitulé « Défense et illustration du découpage
classique »497. C’est ainsi que l’on peut mieux comprendre la présence d’A.
Hitchcock dans les auteurs cités ainsi que l’étude du montage/découpage « dans la
production des grands studios » de la ligne précédente. Mais A. Hitchcock pourrait
aussi devoir sa présence dans la liste à son travail sur le plan-séquence comme refus
du montage. On serait alors plus dans une perspective bazinienne avec
l’expérimentation d’un film comme La Corde dans lequel la « place éminente du
montage » relève…de son interdiction. Il s’agirait bien d’étudier :
« la diversité des procédés de montage » (…) « qui ouvrent des pistes de
variation et de croisement originaux ».498
Cette hésitation théorique sur le choix des films d’un réalisateur cité sans plus de
497
GODARD Jean-Luc, « Défense et illustration du découpage classique », in Cahiers du cinéma n° 10, mars
1952.
498
BO Hors série n°4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 23, reprise littérale
dans le BO de 2010.
- 275 -
précision témoigne du fait qu’une simple liste d’auteurs ne saurait véritablement
constituer une illustration efficace d’un point au programme. Le fétichisme du nom
de l’artiste a déjà été abordé précédemment comme phénomène sociologique
garant de la légitimité culturelle des programmes de l’Éducation nationale. La
légitimité culturelle de ces artistes vient, comme je l’ai déjà montré, de leur
adoubement par la critique cinéphilique. Les textes officiels s’appuient sur cette
légitimité pour justifier l’introduction de certains auteurs dans les programmes
scolaires. Or les auteurs cités comme étant de « grands auteurs » ont maintes fois
été promulgués par les Cahiers précisément au rang d’auteurs « modernes ». Je
précise que le terme « classique » ou « moderne » n’est jamais explicitement écrit
dans le BO ce qui témoigne d’une prudence certaine face à ces terminologies
toujours discutables. La vision moderniste sous-jacente n’en est pas moins
présente, précisément via les auteurs cités aux différentes étapes de « l’histoire et la
théorie du cinéma sous l’angle du montage ». La mise en exergue de la rupture que
ces auteurs instaurent avec le « découpage classique hollywoodien » permet de
renforcer leur contribution à la vision moderniste du montage.
On peut alors se demander quelle théorie du montage est finalement plébiscitée
dans le texte officiel. Car le montage peut aussi correspondre à une mise en scène
auto-réflexive et être rattaché à la notion de « modernité » dans le sens radical que
lui confère N. Burch dans les années 60 dans la Praxis du cinéma et que D. Bordwell
résume ainsi :
« Le progrès de l’art comme une évolution vers plus de conscience de soi (...)
un cinéma de la fragmentation, de l’ambiguïté, de la distanciation s’appuyant
sur des effets esthétiques flagrants. »499
Car autour de cette conception théorique du montage, les présupposés divergent et
certaines références auteuriales sont plus problématiques : le Journal d’un curé de
campagne fait l’objet d’une étude précise par A. Bazin dans un des tout premiers
499
BORDWELL David, On the history of film style, p. 86-87 : « art’s progress as a development toward
increasing self-awareness (…) a cinema of fragmentation, ambiguity, distanciation and flagrant aesthetic
effects ».
- 276 -
numéros des Cahiers du cinéma500 et en cela cette œuvre est légitime
culturellement parlant. Cependant, du point de vue des enseignements CAV en
lycée, l’art du montage chez R. Bresson vaut-il comme art de la fragmentation ou
pour ses « effets esthétiques flagrants » ? Vaut-il comme illustration du montage
comme mode de perception de la réalité des choses ou des êtres, ou au contraire
comme distanciation par rapport au Réel ? Pour A. Bazin, l’art du cinéma consiste à
appréhender la réalité le plus fidèlement possible, l’ancrage du cinéma dans la
réalité est un élément essentiel. Aussi, quand A. Bazin insiste sur la profondeur de
champ chez O. Welles ou W. Wyler (absent de la liste du BO) c’est pour montrer à
quel point elle permet une révélation plus parfaite de la réalité. Mais la réflexion
rattachée au montage justifie aussi la convocation, dans le texte officiel, de
réalisateurs qui correspondent, au moins en partie, à la définition de la
modernité évoquée ci-dessus comme A. Resnais et J.-L. Godard dont certains films
relèvent de la disjonction, de la distanciation méta-discursive voire « d’effets
esthétiques ». On voit bien ici que les présupposés à l’oeuvre en ce qui concerne le
montage sont flous : transparence classique ou modernité auto-réflexive ?
Quant à R. Rossellini, ce qui est retenu n’est sans doute pas tant sa vision du
montage,
plutôt
transparent
(me
semble-t-il ?)
que
son
rattachement
inconditionnel, dans la perspective critique des Cahiers, au « cinéma moderne ». On
se souvient de la « lettre sur Rossellini » de Jacques Rivette publiée en avril 1955
dans le numéro 46 des Cahiers du cinéma, véritable manifeste de la modernité
cinématographique :
« S’il est un cinéma moderne, le voilà (…) Si je tiens Rossellini pour le
cinéaste le plus moderne, ce n’est pas sans raison ; ce n’est pas non plus par
raison. Il me semble impossible de voir Voyage en Italie sans éprouver de plein
fouet l’évidence que ce film ouvre une brèche, et que le cinéma tout entier y
doit passer sous peine de mort. »501
Dans cette posture théorique, les « Jeunes Turcs » se détachent de A. Bazin quant à
500
BAZIN André, « Le journal d’un curé de campagne et la stylistique de Robert Bresson », in Cahiers du cinéma
n° 3, 1951, réédité dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris : éditions du Cerf, 1975, pp. 107-127.
501
RIVETTE Jacques : « lettre sur Rossellini », Cahiers du Cinéma n° 46, avril 1955.
- 277 -
la question du montage et du rapport au Réel. Mais les programmes officiels, s’ils
reflètent le panthéon d’auteurs promulgué par les Cahiers du cinéma, ne se font pas
l’écho des différentes postures théoriques possibles, ce qui parait pourtant
indispensable à une étude approfondie des « théories du montage ».
On peut s’interroger aussi sur la présence de S. Kubrick dans cette liste. Il apparaît
surtout en sa qualité d’auteur « adoubé », représentatif de l’Auteur « tout puissant ».
Il est aussi un moyen de transition vers « le nouveau cinéma anglo-saxon » qui est
également une cinématographie dont le BO encourage l’étude :
- Le « nouveau cinéma anglo-saxon »
Ici, la présence d’auteurs contemporains et connus appartenant au cinéma
« mainstream » ne déroge pas, malgré les apparences, aux présupposés formalistes.
Les cinéphiles « modernes » dès les années 60 ont ouvert la critique à un cinéma
plus « grand public ». Comme le rappellent J.-M. Leveratto et L. Jullier :
« Rappelons que John Ford ou Howard Hawks ne sont pas, à l’époque, des
auteurs, mais des réalisateurs commerciaux auxquels on reconnaît une qualité
supérieure. »502
Cette tradition explique peut-être la prédisposition du BO à promouvoir ce type de
cinéma, ici représenté par Q. Tarantino, D. Lynch, D. Cronenberg et plus
confidentiellement A. Egoyan503. Le « nouveau cinéma anglo-saxon » relève en
outre aussi de l’adhésion au « Birth-Maturity-Decline pattern » peu ou prou
appliqué à un certain cinéma « mainstream ». Le terme « anglo-saxon » semble
finalement être un équivalent de l’adjectif « hollywoodien » dans son sens parfois
implicite
ou
sous-entendu
de
« grand
public ».
L’expression
« cinéma
hollywoodien » serait ici inadéquate compte tenu de la complexification des
systèmes nationaux de production et les diverses nationalités des artistes cités. La
formule « cinéma anglo-saxon » permet donc de relier avec prudence des
réalisateurs canadiens et américains, mais surtout des auteurs dont les films sont le
502
JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité
cinématographique, op. cit., p. 117.
503
La liste des auteurs ne bouge pas entre 2001 et 2010.
- 278 -
plus souvent des co-productions parfois même transatlantiques (c’est le cas pour D.
Cronenberg). Ce que leur film apporte à l’histoire et à la théorie du montage n’est
pas précisé et l’hétérogénéité des démarches esthétiques que sont celles de D.
Lynch ou d’A. Egoyan rend problématique leur amalgame. S’agit-il d’étudier ce que
le montage peut induire de fausses pistes narratives chez D. Lynch ? de travailler
sur le montage ultra rapide de certaines scènes de Q. Tarantino ou sur la lenteur
volontaire de certaines autres ? Sur le montage de supports techniquement
hétérogènes comme la pellicule et l’image vidéo chez A. Egoyan ?
- Les textes encouragent ensuite l’étude du montage dans l’« œuvre de quelques
grands documentaristes ». Notons que le documentaire est d’emblée défini comme
une « scénarisation du réel », ce qui relève d’un refus sans équivoque d’une
conception « naïve » du documentaire qui pourrait être celle de A. Bazin dans son
célèbre texte « Montage interdit ». R. Flaherty, et Nanouk, longtemps cité, via A.
Bazin, comme le parangon de la non-transformation du réel filmé est finalement
devenu, et le BO en témoignent, l’exemple d’un documentaire parfaitement
scénarisé. Il semble en effet que le documentaire ne puisse prétendre à une étude
spécifique que s’il propose une certaine stylisation du Réel, ici désigné comme
« scénarisation ». Cette façon d’envisager le documentaire nous éloigne de la
perspective bazinienne et rejoint encore une fois la vision formaliste qui voit dans
l’attention portée à la transformation stylistique du matériau enregistré par la
caméra un gage de sa dimension artistique. Le programme de Première invite
d’ailleurs à aborder les différentes formes de mise en scène du Réel dans le
documentaire en étudiant :
« le travail spécifique de recherche et d’écriture qu’implique, avec ses
approches variées, le genre documentaire (rapport préalable au sujet filmé et
modes de préparation très différents, selon les auteurs). »504
504
BO hors série n° 3 du 30 août 2001, classe de Première, version papier, op. cit, p. 22. Le Bulletin officiel
spécial n° 9 du 30 septembre 2010 formule ainsi : « travail spécifique de recherche et d’écriture
qu’impliquent le genre documentaire et ses approches variées (rapport préalable au sujet filmé et modes de
préparation très différents selon les auteurs) ».
- 279 -
Dans le BO de Terminale, l’hétérogénéité des références masque les enjeux réels
des différentes techniques de montage chez les auteurs cités : s’agit-il d’étudier la
scénarisation très explicite des films de compilation de C. Marker ou celle, plus
implicite, voire déniée, du documentaire à portée ethnographique de J. Rouch ?
- Le BO stipule finalement d’aborder le montage comme « exploration
plastique ». Cette « exploration plastique » correspond à l’aboutissement ultime du
cinéma considéré comme art, conformément à la vision moderniste dont je parlais
plus tôt, qui calque l’histoire du cinéma sur l’histoire de l’art moderne et doit
aboutir à une valorisation des avant-gardes au détriment du cinéma « mainstream ».
La volonté de sortir le cinéma du divertissement ou de l’art commercial explique
également la valorisation de sa « modernité ». Cette perspective correspond à celle
défendue par N. Burch dans sa Praxis du Cinema et que D. Bordwell résume ainsi :
« Dans la “version oppositionnelle” du “style en évolution”, la dualité entre
les avant-gardes et le cinéma de fiction “mainstream” devient le principal
principe d’organisation »505
Appliquée au montage, cette radicalisation moderne se manifeste de différentes
manières : le montage s’affranchit de sa dimension narrative et le film s’apparente
plus à un pur art visuel qu’à un art du récit. S’exprime là encore la valorisation d’un
cinéma qui explore les possibilités formelles du médium et ne se contente pas du
« degré zéro » de l’écriture qui caractérise le film plus accessible au grand public.
Les auteurs cités représentent également une certaine vision du documentaire (en
particulier J. Mekas, A. Pelechian et S. Bartas) qui va également dans le sens d’un
refus du cinéma narratif dominant. Le traitement de plans très longs, omniprésents
chez S. Bartas, mais aussi et surtout dans L’Arche russe de A. Sokourov relève d’une
vision de la mise en scène volontairement en rupture avec les codes du montage
hollywoodien par exemple. Le BO plébiscite les films dans lesquels le montage
procède d’un choix esthétique volontairement voyant, ce que D. Bordwell appelle
505
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 84 : « in the oppositional version of the
developement of style, the duality between the avant-garde and the mainstream narrativ cinema becomes
the primacy organizing principle ».
- 280 -
les « effets esthétiques flagrants »506 de la modernité. Le choix, sur cinq noms, de
trois artistes originaires de pays dont la production cinématographique est
marginale, peu connue et peu diffusée – je parle ici de S. Bartas et J. Mekas, tous
deux Lituaniens, ainsi que A. Péléchian, Arménien – signale cette mise en valeur de
la rupture avec les courants dominants de production cinématographique. Pourtant,
certains artistes cinéastes et plasticiens comme Martin Arnold ou Bruce Conner et
Steeve Mc Queen, qui sont fréquemment exposés dans les musées internationaux,
sont respectivement autrichiens, américains (je dirai même californien), et anglais,
sont bien ancrés dans les systèmes culturels dominants, ce qui ne les empêche pas
d’avoir une réflexion sur le montage pour le moins expérimentale. On peut y voir
également une prédisposition à considérer que le cinéma expérimental ne peut
venir que d’un système culturel lui-même alternatif, voire en opposition idéologique
avec la culture américaine507. On rejoint ici le présupposé de N. Burch explicité par
D. Bordwell :
« En plus du “Mode de Représentation Institutionnel” (MRI), N. Burch
prétend que s’est développée une tradition de cinéma d’opposition - une
“ligne de crête” de films critiques qui ont effectivement contesté le cinéma
illusionniste et revendiqué la déconstruction et la subversion des codes
dominants de la représentation et la narrativité. »508
Finalement, le parcours conseillé dans l’histoire du montage aboutit au montage
comme « exploration plastique », c’est-à-dire du montage ne référant qu’à luimême. Cet aboutissement semble ici à la fois considéré comme l’aboutissement
d’une vision du cinéma comme « moderne » et comme une disposition à réévaluer
le cinéma du présent. Ainsi, ce paragraphe du BO dessine le même trajet théorique
506
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 87 : « flagrant aesthetic effects ».
De manière un peu provocatrice on pourrait estimer qu’en faisant référence, parmi cinq noms, à deux
artistes lituaniens et un artiste russe, alors que des noms plus attendus comme celui de l’américain Stanley
Brakhage ne sont pas évoqués, le BO assimile plus ou moins la « culture d’opposition » aux « codes
dominants » à un certain modèle du clivage Est/Ouest…
508
BORDWELL David, On the history of film style, p. 99 « Alongside the Institutional Mode of
Representation (IMR), Burch claims there has developed a tradition of oppositional filmmaking – a
« crestline » of critical films that have actually challenged the illusionist cinema thought a deconstruction
and subversion of the dominant codes of representation and narrativity ».
507
- 281 -
que l’histoire de la théorie du cinéma elle-même – de A. Bazin à N. Burch en
passant par les « Jeunes Turcs » des Cahiers du cinéma – c’est-à-dire de la mise en
question du cinéma comme médium à l’affirmation du cinéma comme art via le
retour du « modernisme ». Le problème est que la théorie s’arrête là et que les
apports théoriques qui suivent ne sont pas représentés dans le BO. Si l’on considère
N. Burch509 par exemple, dont le dernier ouvrage théorique, De la beauté des latrines,
sorti en 2008, réhabilite la question du sens au cinéma, il est clair que la théorie du
cinéma bouge, que l’Université et la recherche en études cinématographiques
continuent d’en produire, alors que l’Éducation nationale reste à l’écart de ces
évolutions qui ont pourtant démarré dans les années 70, bien avant la rédaction des
programmes officiels. Certaines références paraissent comme « embaumées »,
celles, récurrentes, de J. Renoir de O. Welles ou de R. Rossellini par exemple, et
comme le remarque J. Aumont :
« Autant Welles était une figure idéale d’artiste moderne ou moderniste,
autant Rossellini, très vite, fera tout pour ne pas ou ne plus l’être – du moins
au sens hégélien où l’on entend la modernité aux Cahiers du Cinéma en 1955.
Il n’est donc qu’à demi surprenant que cette modernité n’ait pas eu le sort
des mouvements modernes habituels : êtres dépassés, avalés par d’autres,
renvoyés au passé. Le mythe Rossellini est tout prêt à éclore. Il sera repris,
trente ans plus tard, dans un tout autre contexte cinématographique et
critique, comme si de rien n’était (comme si la modernité rossellinienne avait
été, avec l’article de Rivette, embaumée ou “conservée dans l’ambre” pour
reprendre les métaphores de A. Bazin). »510
Tous ces présupposés théoriques qui sous-tendent la formulation des programmes
officiels trouvent également un point de cristallisation dans la notion de « genres »
cinématographiques.
509
L’usage de la théorie peut même changer pour un même auteur : N. Burch quand il écrit Une Praxis du
cinéma (1969) est clairement tourné vers le structuralisme alors que De la beauté des latrines ressort des
« Cultural Studies »
510
AUMONT Jacques, Moderne ?, op. cit., p. 55.
- 282 -
3.2.4 La
notion
cinématographique »
de
dans
« genre
le
BO
de
Première
Je cite in extenso le programme du BO de Première de 2001 qui a été repris quasi
littéralement en 2010 :
« Le repérage des grandes étapes et des principaux genres de l’histoire du
cinéma et de l’audiovisuel, des origines à nos jours :
L’étude porte sur les débuts du cinéma (Lumière, Méliès), le burlesque
américain, le cinéma soviétique des années 20, l’expressionnisme allemand, le
cinéma français des années 30, le cinéma hollywoodien, le cinéma japonais, le
néoréalisme italien, les nouvelles vagues, ainsi que sur les grands courants et
les formes spécifiques de la très récente histoire de l’audiovisuel.
Elle permet de donner une vision chronologique et synthétique de l’histoire
du cinéma et d’identifier les principaux genres et styles (comédie,
mélodrame, film policier, thriller, film musical, science-fiction, animation,
adaptation, film historique, documentaire...).
Elle donne également quelques repères dans l’histoire de l’audiovisuel, et
notamment de la télévision, afin de permettre aux élèves d’identifier et de
situer les principaux genres et formes des réalisations liées à ces formes
et supports particuliers depuis le milieu du XXe siècle, en s’attachant à
interroger leur relation avec les démarches artistiques. Ce repérage peut être
l’occasion d’aborder les questions liées à l’économie du cinéma et de
l’audiovisuel (production, distribution, droits d’auteurs). »511 (Je souligne)
Je ne reviendrai pas sur la notion d’« histoire du cinéma » ici découpée en
« périodes » qui se justifient par la dimension moderniste de la posture
historiographique du texte officiel tel que je l’ai évoquée par rapport à la question
du montage. Notons seulement au passage l’amalgame entre « genres » : le
« burlesque américain », et mouvement artistique : « le néoréalisme italien », ici cité
dans une même énumération destinée à développer le « repérage des grandes étapes
511
BO hors série n° 3 du 30 août 2001, classe de Première, version papier, op. cit., p. 22, repris en 2010 à
quelques différences près : le « biopic » est ajouté dans la parenthèse des genres, et cet ajout : « Elle
(l’étude) conduit à aborder quelques textes théoriques sur le cinéma et plus largement quelques grandes
problématiques esthétiques, mais aussi à articuler histoire du cinéma et histoire des arts et des
techniques. », BO spécial n° 9 du 30 septembre 2010, op. cit.
- 283 -
et des principaux genres de l’histoire du cinéma ». La notion de « genre
cinématographique », au début du texte, est aussi implicitement mêlée à la notion
de « style », assimilation renforcée par la suite du texte qui préconise d’« identifier
les principaux genres et styles (comédie, mélodrame, film policier) ». Des termes
pourtant très problématiques comme la notion de « style », de « genre » ou le
découpage en « mouvements historiques » successifs ne sont pas explicités, ni
questionnés. Ces notions se donnent comme ayant une définition immanente, non
soumise à des observations empiriques, n’occasionnant aucune obligation de
définition, ce qui révèle pourtant d’une démarche épistémologique discutable quand
il s’agit de terminologies aussi vagues. C’est dire aussi que le texte officiel parie sur
une connaissance et une appréhension universelles et non négociables de ces
notions. Des facteurs économiques : « questions liées à l’économie du cinéma et de
l’audiovisuel », technologiques et socioculturels : les « formes spécifiques de la très
récente histoire de la télévision » sont pourtant convoquées, mais, paradoxalement,
ils n’interfèrent pas, dans le BO, avec la définition du genre ni ne suscitent un
questionnement sur elle, alors même qu’ils font signe vers la variabilité et la
complexité de la notion. Le BO s’appuie donc sur une classification a priori qui n’est
ni définie ni interrogée et dont les critères de délimitation restent sous silence.
La parenthèse qui suit délimite un certain nombre de « genres » dans une liste non
exhaustive :
« (comédie, mélodrame, film policier, thriller, film musical, science-fiction,
animation, adaptation, film historique, documentaire…) ».
À regarder de près cette parenthèse, certains éléments de désignation des genres
apparaissent problématiques, et je m’appuierai là sur les développements de Janet
Staiger dans Perverse Spectator512. Tout d’abord, les genres sont parfois désignés avec
des noms : « comédie », « mélodrame » ou avec des adjectifs : « films policiers »,
« film historique », « film musical ». Cette terminologie est trouble : un genre
correspond-il à une caractérisation du film ou à une qualification à part entière ?
512
Staiger Janet, Perverse Spectator, New York : New York University Press, 2000.
- 284 -
Ou pour reprendre le vocabulaire de la linguistique, la différentiation des genres
est-elle de nature paradigmatique ou syntagmatique ? Relève-t-il d’une différence de
nature ou d’une différence de degré ? L’hésitation terminologique semble
révélatrice de l’hésitation conceptuelle qui entoure cette notion de « genre », tantôt
citée au même titre que les écoles artistiques, tantôt assimilées au « style ».
L’attention portée aux genres cinématographiques et à l’histoire du cinéma dans le
Bulletin officiel permet cette mise en perspective. Dès la classe de Première, les élèves
sont invités à aborder :
« L’étude des différentes pratiques d’écriture et le repérage des grandes
étapes et des principaux genres de l’histoire du cinéma et de l’audiovisuel des
origines à nos jours. »513
Cette perspective, loin de relever d’une analyse sociologique des œuvres, ce que
pourrait laisser croire la volonté de les replacer dans leur contexte historicoculturel, procède d’une attention portée à la « hiérarchie des procédés artistiques »
qui ne peut s’évaluer que « dans le cadre d’un genre poétique donné ». L’étude du
genre apparaît dans cette perspective comme le gage d’une analyse formelle plus
précise et plus pertinente qui devient alors en elle-même un facteur de définition et
de délimitation du genre et de son évolution. Cette étude des genres occupe une
large partie du programme de la classe de Première :
« Elle permet de donner une vision chronologique et synthétique de l’histoire
du cinéma et d’identifier les principaux genres et styles (comédie,
mélodrame, film policier, thriller, film musical, science-fiction, animation,
film historique, documentaire, etc.). 514 »
Les rédacteurs des programmes présupposent que l’étude des films passe par la
connaissance de l’évolution des différentes « normes poétiques ». Les étiquettes
généralistes comme « le comique » ou « le néo-réalisme » opèrent aussi une
réduction très forte de l’approche pragmatique puisqu’elles supposent que ces
catégories sont du côté de la production des films et non du côté de leur réception.
L’étude des genres devra donc essentiellement s’inscrire dans une démarche
513
514
BO spécial n° 3 du 30 août 2001, classe de Première, op. cit., version papier, p. 21.
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de Première, version papier, op. cit., p. 23.
- 285 -
historique, comme le suppose l’approche formaliste de R. Jakobson :
« La hiérarchie des procédés artistiques se modifie dans le cadre d’un genre
poétique donné ; la modification en vient affecter la hiérarchie des genres
poétiques, et simultanément la distribution des procédés artistiques parmi les
divers genres. Des genres qui étaient, à l’origine, des voies d’intérêt
secondaire, des variantes mineures, viennent à présent sur le devant de la
scène, cependant que les genres canoniques sont repoussés à l’arrièreplan. »515
La délimitation formelle et thématique des genres dans le BO porte donc aussi la
trace de présupposés formalistes516. Premièrement, parce que le genre se définit
comme le résultat d’une « intention d’auteur », alors d’ailleurs qu’il est souvent, dans
les faits, le résultat d’un désir de normalisation de la part des producteurs.
Deuxièmement, cette classification émane de la théorie littéraire qui, la première, a
tenté de regrouper les textes par grands ensembles classificatoires correspondant
aux formes littéraires différentes : la poésie, le théâtre et le roman. Dans la théorie
littéraire, le genre n’est pas assimilable aux registres que peuvent être – à l’intérieur
d’un « grand genre » comme le théâtre – la tragédie et la comédie, ou les « sousgenres » comme le roman policier à l’intérieur de la catégorie « roman ».
L’ambiguïté règne et rien ne dit que ce mode de classification soit pertinent pour le
cinéma : les différences formelles qui justifient la séparation générique entre théâtre,
poésie et roman ne sont pas assimilables à la différenciation entre « film policier » et
« film historique » par exemple, qui relèverait davantage de registres différents à
l’intérieur d’un même genre. Ces classifications soulèvent donc toujours des
controverses puisqu’il est difficile d’assigner une œuvre à une catégorie totalement
étanche517. On peut donc se demander pourquoi le texte officiel élimine cette
dimension problématique et présente le « genre » comme une donnée incontestable.
Troisièmement, présupposer des genres, c’est présupposer que les films
fonctionnent selon des schémas narratifs, thématiques ou formels qui existent dans
le texte filmique lui-même, indépendamment de sa réception. Encore une fois, c’est
515
JAKOBSON Roman, Huit Questions de poétique, op. cit., p. 82.
Janet Staiger dans Perverse Spectator parle de « post-structuralisme », in op. cit., p. 65.
517
Voir sur cette question : MOINE, Raphaëlle, Les genres du cinéma, Paris : Nathan université, 2002.
516
- 286 -
négliger que le « genre » est aussi une sorte de « contrat de lecture » proposé au
spectateur, mais auquel il peut variablement adhérer, et que les conventions de
lecture induites par un genre dépendent aussi de facteurs inhérents à la réception de
l’œuvre. Un « étiquetage » par genre est donc problématique car variable, d’un point
de vue théorique comme d’un point de vue sémio-pragmatique. Notons que la
sémio-pragmatique n’est jamais présente dans le texte officiel, même de façon
implicite. La notion même de « spectateur » est absente des textes, le terme même
n’apparaît pas. Pour Raphaëlle Moine pourtant, le principal argument de la mise en
question de l’identité générique d’un film consiste à faire de la conception du genre
non plus une catégorie de classement (regrouper sous une même étiquette des films
ayant des points communs formels ou thématiques), mais une catégorie de
l’interprétation. Il s’agit alors de s’interroger sur la façon dont le genre fonctionne
comme une sorte de « contrat de lecture » avec son public, contrat de lecture du
coup variable, renégociable, susceptible de changer en fonction des époques, des
communautés de spectateurs, etc. Selon Raphaëlle Moine :
« Quand on conçoit le genre comme catégorie de l’interprétation, le concept
opératoire devient la généricité plutôt que le genre lui-même puisqu’il s’agit
alors de comprendre quelle relation un film entretient avec un ou des genres,
quelle(s) identité(s) générique(s) on peut prêter ou l’on a prêté au film, ce
qu’on dit des films et ce qu’on y voit lorsqu’on les regroupe sous une
étiquette générique. »518
On pourrait m’arguer que la délimitation du genre proposée par le BO se justifie
par ses vertus pédagogiques, dans la mesure où elle permet d’établir des jalons
aisément mémorisables dans la production cinématographique, ce que le texte
officiel nomme « vision synthétique » ou « repères ». Mais, encore une fois, la
pédagogie n’exclut pas un questionnement épistémologique lorsqu’une notion
mérite qu’on s’interroge précisément sur les contenus du savoir transmis, car cette
vision formaliste présuppose ici encore une évidence qui n’en est pas une, à savoir
que le film s’inscrit, presque « malgré lui », dans une logique générique qui assure à
518
MOINE Raphaëlle, « Film, genre et interprétation », in Film et texte : une didactique à inventer, sous la dir.
de SIVAN Pierre et BERTUCCI Marie-Madeleine, Paris : Armand Colin, coll. « Le français aujourd’hui »,
2009, p. 15.
- 287 -
l’ensemble de la production cinématographique une certaine cohérence. Il est
toujours question finalement d’une croyance en l’existence de « structures sousjacentes », ce qui renvoie à une vision structuraliste qui homogénéiserait la vision à
la fois des réalisateurs, des producteurs, des distributeurs, des diffuseurs et du
public, ce qui paraît bien utopique. Cette homogénéisation des points de vue sur le
genre, présupposée par le texte officiel, est, in fine, une façon de parier sur
l’existence de genres « purs ».
Cette utopie de la « pureté » est sans doute le fait d’une vision culturelle plus
globale qui explique aussi la discrimination entre « l’histoire de l’audiovisuel » et
« l’histoire du cinéma ». La télévision doit donner lieu à une interrogation sur sa
« relation avec les démarches artistiques » et le texte officiel stipule qu’il faut
enseigner aux élèves :
« quelques repères dans l’histoire de l’audiovisuel, et notamment de la
télévision, afin de permettre aux élèves d’identifier et de situer les
principaux genres et formes des réalisations liées à ces formes et
supports particuliers depuis le milieu du XXe siècle, en s’attachant à
interroger leur relation avec les démarches artistiques ».519 (Je souligne)
Le domaine de l’art paraît donc lui aussi assez présomptueusement délimité par le
programme officiel, sans véritable interrogation sur ce que l’on doit considérer
comme une « démarche artistique » et le reste, qui n’en est pas.
Le genre semble, en outre, destiné à générer ses propres renouvellements en
fonction de « supports particuliers » et de données historiquement délimitables
dans le temps : « le milieu du XXe siècle ». Chaque étape de cette « histoire » des
arts et des médias, dans sa « vision chronologique et synthétique », faite
d’inventions techniques et de changements, semble donc aller dans le sens d’une
évolution, ce qui correspond à la vision moderniste de l’histoire des arts que le BO,
implicitement je l’ai vu, promeut. Or on pourrait pourtant arguer, comme D.
Bordwell , que la vision moderniste de l’histoire n’est qu’un point de vue sur elle,
finalement induit par une certaine forme d’historiographie que l’on peut interroger :
519
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de Première, version papier, op. cit., p. 22, reprise littérale en
2010.
- 288 -
« Les défenseurs du modernisme nous enjoignent à attendre des
bouleversements constants, des ruptures régulières dans les styles (…) La
plupart des films sont cependant attachés à la tradition, on trouvera bien plus
de répétitions stylistiques que de modification ou de rejets. »520
Il convient donc de voir comment la « nouveauté » des « formes et supports » est
définie dans les textes officiels. Dans le BO de Terminale, ces changements peuvent
être induits pas la technique : les « outils numériques » ou le « multimédia », mais
aussi par une récupération de formes anciennes qui consiste à faire du « nouveau »
avec de l’ancien.
3.2.5 Le
« présentisme » :
le
BO
de
Terminale et la « néophilie »
Dans le texte de 2010, l’étude doit permettre d’« articuler histoire du cinéma et
histoire des arts et des techniques »521. L’enseignement du cinéma doit donc
logiquement s’appuyer sur la fréquentation des œuvres que nous avons détaillée
dans la première partie, puisque cette fréquentation permet une mise en perspective
formaliste des films conformément au modèle structuraliste de la réception que
défend R. Jakobson :
« Le lecteur d’un poème ou le spectateur d’un tableau est réellement attentif
à deux ordres : d’un côté, le canon traditionnel ; de l’autre, la nouveauté
artistique comme déviation de ce canon. C’est sur la toile de fond de la
tradition que l’innovation est perçue. Les études formalistes ont démontré
que c’est cette simultanéité entre le maintien de la tradition et la rupture avec
la tradition qui forme l’essence de toute nouvelle œuvre d’art. »522
Le programme de Terminale est une application littérale de ce précepte puisque
l’étude des « cinématographies contemporaines » :
« s’attache aussi bien aux cinématographies déjà reconnues qu’aux formes et
520
BORDWELL David, On the history of film style, p. 268 : « modernism’s promoters asked us to expect
constant turnover, virtually seasonal breakthroughs in style (…). Most films will be bound to tradition
more ways than not, we should find many more stylistic replication and revisions than rejections ».
521
BO spécial n°9 du 30 septembre 2010, classe de Première, version en ligne, op. cit..
522
JAKOBSON Roman, Huit Questions de poétique, op. cit., p. 85.
- 289 -
genres audiovisuels et cinématographiques relevant de la marge, ouvrant des
failles à l’intérieur des codes dominants, et menant à l’expérimentation de
pistes nouvelles dans l’art des images et des sons. C’est l’occasion de repérer
et d’analyser les filiations directes ou indirectes avec quelques pionniers de
l’avant-garde ou de l’expérimentation comme E. von Stroheim, J. Renoir, ou
J. Cassavettes, A. Warhol. À titre d’exemple : les nouveaux auteurs du
cinéma asiatiques ou méditerranéens (L. Chan, Wong Kar Wai, T. Kitano, A.
Kiarostami, etc.)(…) »523
La notion d’écart par rapport à une norme, l’exploration « des marges », l’intérêt
porté à l’original et au « nouveau », aux « pionniers » aux « filiations » me semble
donc également procédé d’une approche formaliste de l’analyse des films et donc
d’une conception formaliste de l’œuvre d’art. La présence d’A. Kiarostami ou de
Wong Kar Wai désignés comme « nouveaux auteurs du cinéma asiatique ou
méditerranéen » au programme du baccalauréat, la référence à des cinéastes du
« nouveau cinéma européens » comme « J.-L. et P. Dardenne ou B. Dumont »,
témoigne aussi de cette influence. Il est d’ailleurs intéressant de constater que A.
Kiarotami et Wong Kar Wai, tous deux au programme du baccalauréat,
respectivement en 2001-2004 et 2006-2009, sont réunis dans la même parenthèse,
puisqu’avant tout légitimés par leur « nouveauté ». L’ancrage géographique et
culturel de ces deux cinéastes semble être considéré comme une information de
second ordre, comme en témoigne la façon de relier comme une évidence deux
espaces géographiques profondément hétérogènes : le « cinéma asiatique ou
méditerranéen ».
Ce relatif mépris pour l’origine culturelle de l’œuvre s’explique si l’on considère la
hiérarchie des fonctions de l’œuvre dans une perspective formaliste : la nouveauté
passe avant le contexte de création puisque la fonction esthétique est essentielle et
renvoie au second plan le rapport que l’œuvre entretient avec la société dans
laquelle elle s’inscrit. Si les formes sont influencées par l’espace géographique, s’il
523
BO Hors série n°4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 23, reprise littérale
dans le BO de 2010, mais les exemples ont été répartis différemment : ils ont été rattachés aux
cinématographies nationales.
- 290 -
existe une « géographie de formes filmiques », ce serait pour montrer qu’à partir de
la structure de l’œuvre, on peut remonter à son identité culturelle puisque, comme
je l’ai vu plus haut, elle la reflète ontologiquement. La posture inverse qui ferait le
pari d’une « sociologie de l’oeuvre d’art » ou de « cultural studies » du film est donc,
d’emblée, passée sous silence. Mais cette « néophilie » a également maille à partir
avec le modernisme. Reprenons ici le texte du BO concernant la classe de
Terminale qui recommande, outre l’étude des théories du montage dans un
paragraphe que j’ai déjà analysé plus haut, l’étude des « cinématographies
contemporaines » :
« Cette étude prolonge et complète celle qui, en première, a porté sur les
grandes étapes et les principaux genres de l’histoire du cinéma et de
l’audiovisuel. Elle s’attache aussi bien aux cinématographies
contemporaines déjà reconnues qu’aux formes et genres audiovisuels et
cinématographiques relevants de la marge, ouvrant des failles à l’intérieur
des codes dominants, et menant à l’expérimentation de pistes nouvelles
dans l’art des images et des sons. C’est l’occasion de repérer et d’analyser les
filiations directes ou indirectes avec quelques pionniers de l’avant-garde
ou de l’expérimentation comme E. Von Stroheim, J. Renoir ou J.
Casavettes, A. Warhol.
À titre d’exemple : les nouveaux auteurs du cinéma asiatique ou
méditerranéen (L. Chan, Wong Kar Wai, T. Kitano, A. Kiarostami, ...), les
auteurs du Dogme (Lars Von Trier, T. Vinterberg), le renouveau français du
cinéma de genre, les nouvelles tendances du cinéma baroque (A. Ripstein, E.
Kusturica, P. Almodovar), les nouvelles façons d’écrire et de tourner avec les
outils numériques ("petites caméras" d’ARTE), les formes hybrides du
nouveau cinéma européen, entre réel et fiction (K. Loach, R. Guédiguian, L.
Cantet, J-L.et P. Dardenne, B. Dumont), entre cinéma et multimédia (J-L. J.L. Godard, C. Marker, ...). »524 (Je souligne)
Le programme encourage donc la découverte de films de « nouveaux » cinéastes
524
BO Hors série n° 3 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 23. Le BO de 2010
reprend littéralement le texte en ajoutant dans la parenthèse concernant le cinéma asiatique ou
méditerranéen : B. Joon-ho et A. Gitai et E. Suleiman. Dans « les nouvelles façons d’écrire et de tourner
avec les outils numériques, dans le cadre de formats audiovisuels (« petites caméras » d’Arte) » s’ajoutent
« quelques grands auteurs (le dernier film d’I. Bergman, les derniers M. Mann ou J. Cameron) » et
« l’émergence de formes contemporaines d’écriture du “moi” en images et sons, et la complexité de ce
nouvel “espace autobiographique”entre différents médias et supports (A. Cavalier, J. Morder, J. Caouette,
J. Van der Keuken, S. Dwoskin). », version en ligne, op. cit.
- 291 -
internationaux, qui s’appuient sur le modèle ancien des « avant-gardes » en
explorant de nouvelles techniques et supports dans le sens d’un renouvellement des
« formes ». Cet ancrage revendiqué dans un cinéma qui se veut « neuf » et en
rupture avec les formes précédentes et/ou les codes dominants, me semble
témoigner de ce que D. Bordwell appelle le « présentisme »525 :
« Chaque génération a eu l’impression qu’elle vivait une époque spéciale, un
apogée. »
Ce « présentisme » révèle encore une fois une perspective historiographique
moderniste issue de la philosophie hégélienne :
« Aristote, Pline, Vasari, Hegel et beaucoup de modernes ont tous pris le
présent dans lequel ils vivaient comme la fin de l’Histoire. »526
Plus poétiquement, on trouve chez J. Aumont l’idée selon laquelle :
« La temporalité moderne par excellence, c’est le présent. »527
La dimension moderniste des textes officiels, que j’ai déjà étudiée précédemment,
explique donc, en partie, la prédisposition du BO à cette fascination pour le
« nouveau ». Car l’historiographie de la modernité est en effet ontologiquement
tournée vers la nouveauté, et la nouveauté en art présuppose que l’art reflète la
réalité d’une époque, se montre fidèle à « l’esprit du temps », ce qu’ont toujours
revendiqué les avant-gardes. Cette vision moderniste de l’art se retrouve en effet
dans les théories des « avant-gardes » que convoque le texte officiel. Le manifeste
« Dada », par exemple, revendiquait dans les années 1920 – période où se situe,
dans l’histoire de l’art, les formes les plus admises d’« avant-gardes » – un ancrage
sociétal de l’art, fût-il subversif :
« Si Dada est incohérent, versatile, idiot, scatologique et pourtant poétique,
c’est qu’il est le reflet de la société. »528
Car les avant-gardes prônent la nouveauté comme degré supérieur de la création
525
BORDWELL David, On the history of film style, op. cit., p. 269 : « presentism ».
Ibid., p. 270 : « each generation has felt that it lives in a special time, the culmination of all that come
before (…) Aristotle, Pline, Vasari, Hegel and many modernist have all taken their present as an end of
historical development ».
527
AUMONT Jacques, Moderne ?, op. cit. p. 46.
528
TZARA, Tristan, Œuvres complètes, Tome 1, 1995, Paris : Édition Flammarion, p. 702.
526
- 292 -
artistique :
« Le neuf est, de par sa nature, spontané, inépuisable, éternel. C’est là que se
justifie la certitude des avant-gardes de pouvoir inaugurer une “ère
nouvelle ”, une “ nouvelle époque ”, bref de procéder à un
recommencement perpétuel qui équivaut à partir de zéro, à prendre son vol
sans préparatif aucun. On lit des déclarations très précises dans ce sens chez
les constructivistes russes (“ une nouvelle ère commence ”), chez les
partisans de l’Esprit Nouveau (“ une grande époque vient de commencer ”),
même chez les dadaïstes (Raoul Haussmann : “ le but que nous voulons
atteindre consiste à parvenir à un état primordial nouveau, à une nouvelle
présence…”). »529
La volonté de renouvellement est ici théoriquement liée à une « ère nouvelle » à une
« nouvelle époque ».
Le
renouvellement
des
formes
correspond à
un
renouvellement de la société.
Le texte officiel relie par ailleurs « avant-garde » et « expérimentation » et cette
liaison instaure encore finalement un clivage implicite entre « avant-gardes » et
cinéma « mainstream ». L’énumération : « E. von Stroheim, J. Renoir ou J
Cassavettes, A. Wahrol » pour illustrer les « pionniers de l’avant-garde ou de
l’expérimentation » est d’ailleurs assez problématique, car elle repose sur une
connivence culturelle plus que sur la précision épistémologique. En effet, on peut
se demander ce qui rapproche J. Renoir et J. Cassavetes et ce qui fait d’eux des
« pionniers de l’avant-garde ou de l’expérimentation » au même titre que A. Warhol,
à moins de considérer le terme « expérimentation » dans une acception floue. Car le
texte officiel parle d’« expérimentation de pistes nouvelles dans l’art de l’image et
des sons », ce qui donne au mot « expérimentation » une acception très générale de
« démarche atypique » par rapport au cinéma dominant. La référence à A. Warhol
laisse pourtant sous-entendre la possibilité de donner au mot « expérimentation » le
sens d’« expérimental », revoyant alors à certaines productions audiovisuelles de
l’ « Underground » américain dont A. Warhol est un représentant. Si A. Warhol
s’inscrit dans une volonté affichée de s’opposer très radicalement au cinéma
529
WEISBERGER, Jean, Les avant-gardes littéraires du XXe siècle, volume 1, Budapest : John Benjamins
Publishing Company, 1986.
- 293 -
« mainstream », on est loin de la démarche, fut-elle originale ou marginale, des films
de J. Cassavetes ou de J. Renoir. Cette ambiguïté sémantique pourrait donc
légitimer une confusion entre « cinéma d’avant-garde », « cinéma expérimental » et
« cinéma qui expérimente » et les réalisateurs choisis à titre d’exemple ne
permettent pas vraiment de lever cette ambiguïté. Encore une fois, la liste des
« noms d’auteurs » est plus affaire de distinction que de rigueur épistémologique, et
on pourrait même dire, particulièrement à propos de cette énumération, qu’elle
peut être responsable d’une vision finalement assez confuse des contenus de savoir.
En outre, le vocabulaire employé : « failles à l’intérieur des codes dominants »,
semble rejoindre le présupposé selon lequel « la “version oppositionnelle” suppose
que tous les films “déviants” sont en oppositions avec les films “mainstream” » ce à
quoi D. Bordwell s’oppose d’ailleurs très simplement :
« Il s’avère pourtant que beaucoup de ces films sont simplement
conjoncturellement différents » 530
Dans le BO, la prédisposition à une vision moderniste de l’art présente les ruptures
avant-gardistes comme se faisant forcément « contre » les « codes dominants » pour
faire avancer le cinéma sur des « pistes nouvelles », ouvrant ainsi la voie aux
« expérimentations », dans une volonté affichée de changements. On retombe sur
l’obsession de la nouveauté comme émanation de la notion de modernité.
D’ailleurs, les artistes que l’on a qualifiés de « modernes » ont fait de la nouveauté
un critère absolu de la valeur artistique d’une œuvre, encore une fois portés par un
désir de renouvellement des formes. Arthur Rimbaud, exemple caractéristique, dans
sa fameuse « Lettre du voyant », prônait la nouveauté comme acte poétique par
excellence :
« Charleville, 15 mai 1871.
J’ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle ;
Voici de la prose sur l’avenir de la poésie » ;
530
BORDWELL David, On the History of film style, op. cit., p. 114 : « The oppositional Version presumes
that all « deviant » films have a naysaying relation to the mainstream (...)but it seems likely that many such
films are just contingently different ».
- 294 -
et proclamait :
« En attendant, demandons au poète du nouveau – idée et formes. »531
Même constat chez G. Apollinaire, souvent cité comme parangon de la modernité
littéraire :
« Mais le nouveau existe bien, sans être un progrès. Il est tout dans la
surprise. L’esprit nouveau est également dans la surprise. C’est ce qu’il y a en
lui de plus vivant, de plus neuf. La surprise est le grand ressort nouveau.
C’est par la surprise, par la place importante qu’il fait à la surprise que l’esprit
nouveau se distingue de tous les mouvements artistiques et littéraires qui
l’ont précédé. »532
Le modernisme est donc également décelable dans la manière dont les instructions
officielles cherchent à promouvoir l’étude de cinémas dits « nouveaux ».
Par ailleurs, l’éloge de la nouveauté émane d’un présupposé selon lequel un film
s’inscrit dans une époque qu’il reflète, exprime ou même traduit, époque dont il
devient le symptôme. La culture, la technique et le contexte social apparaissent
fondamentaux pour comprendre les films, ce qui justifie le classement par zone
géographique « cinéma asiatique ou méditerranéen » (avec les limites que j’ai
observées plus haut), « renouveau français » et l’insistance sur des modifications
dues à des bouleversements technologiques qui sont un « signe des temps » :
« outils numériques », « cinéma et multimédia ».
Cette théorie de l’art relève d’une volonté, remise au goût du jour par les avantgardes au début du XXe siècle, de réhabiliter le lien entre art et société, entre art et
réalité, contre l’« art pour l’art » promu par la fin de XIXe siècle. Ce n’est pas le lieu
ici de développer une l’histoire de la Représentation, constatons simplement que le
lien revendiqué entre l’œuvre et le monde a bien été une revendication « avantgardiste » paradoxale, car si le modernisme se définit, comme je l’ai vu plus haut
avec D. Bordwell, par l’opacité du signifiant et la dimension autotélique de l’oeuvre,
on ne voit pas bien comment l’œuvre moderne peut promouvoir un monde
531
RIMBAUD Arthur, Seconde lettre dite « du voyant », lettre à Paul Demeny, le 15 mai 1871, in Lettres du
voyant, éditées et commentées par Gérald Schaeffer, Genève : librairie Droz, coll. « Textes littéraires
français », 1975, p. 133.
532
APOLLINAIRE Guillaume, « l’Esprit nouveau et les poètes » in Œuvres en prose complètes, tome II,
Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 954.
- 295 -
historique réel. C’est toute l’ambiguïté de la liaison proposée par le BO entre
expérimentation et avant-garde. Ce débat m’éloignerait trop de mon sujet. Disons
simplement que certaines œuvres « modernes » ont tenté conjointement de
défendre un profond dérèglement des formes et un ancrage revendiqué dans leur
époque : c’est la pétition de principe paradoxale de T. Tzara citée plus haut, dont
s’inspirera tout un courant moderniste qui est précisément celui représenté par les
œuvres et les réalisateurs promulgués par le BO. Cette modernité se différencie
nettement de ce que N. Burch, dans De la beauté des latrines, appelle le « hautmodernisme »533 qui, lui, refuse toute compromission avec le Réel.
Car s’il s’agit, pour le cinéma, d’inventer des formes « nouvelles » qui
correspondent à des évolutions techniques, des « nouvelles façons d’écrire et de
tourner avec les outils numériques ». On peut se demander si le texte officiel ne
confond pas « nouveauté » et « actualité ». Je reprendrai ici les précisions
terminologiques intéressantes de J. Aumont dans Modernes ? :
« Nouveauté : production de ce qui n’a jamais encore été produit (ce qu’une
hypothèse anthropologique banale postule comme toujours possible).
Actualité : adéquation entre ce qui est produit (nouveau ou non) et le temps
de sa production, adéquation jaugée à des aulnes critiques variables (pour
Rivette, Rossellini était éminemment actuel). “Éternel contemporain ” ce
n’est pas “éternellement neuf ”, mais “susceptible de s’avérer actuel”. »534
Il faudrait donc cerner précisément ce qui est vraiment de l’ordre de l’invention
dans les « nouveautés » promulguées par le BO. Remarquons par exemple que la
« nouveauté » des réalisateurs cités à titre d’exemple est discutable. Il semblerait
plus juste de parler d’auteurs « contemporains » (ils sont tous vivants à l’heure
actuelle et ont commencé leur carrière – C. Marker et J.-L. Godard mis à part – il y
a dix à vingt ans) plutôt que de « nouveaux auteurs ». Car qu’est-ce qu’un auteur
533
BURCH, Noël, De la Beauté des latrines, pour réhabiliter le sens au cinéma , op. cit., p. 15 : « je tiens à
emprunter à l’usage courant anglophone le terme « haut-modernisme » pour désigner les pratiques
artistiques et critiques qui manifestent ou revendiquant en particulier le désengagement social, par
opposition donc aux avant-gardes engagées des années 20 ou de celle, sensualiste, d’un Diaghilev au début
XXe siècle. »
534
AUMONT Jacques, Moderne ?, op. cit., p. 101-102.
- 296 -
nouveau ? Un auteur qui n’existait pas avant ? Ce n’est sans doute pas une raison
suffisante pour entrer dans les textes officiels d’un programme scolaire. Un auteur
qui innove ? Ce serait le cas du « Dogme » de Lars von Trier mais a contrario peuton estimer que les « formes hybrides (…) entre réel et fiction » sont une véritable
nouveauté dans la production cinématographique alors que le cinéma a toujours –
on pense aux actualités filmées de Georges Méliès ou aux sorties d’usine des frères
Lumière – interrogé les rapports entre Réel et Fiction ? D’ailleurs, les « formes
hybrides » dont parle le BO renvoient à la fois à des éléments formels
d’intermédialité, dont J.-L. Godard ou C. Marker deviennent les parangons, et à des
interrogations théoriques, comme ce rapport conceptuel entre Réel et Fiction, ce
qui ne recouvre pourtant pas les mêmes enjeux épistémologiques.
Les auteurs du « nouveau cinéma européen » cités : K. Loach, R. Guédiguian, B.
Cantet, les frères Dardenne et B. Dumont sont connus pour être des réalisateurs de
fiction qui ancrent très fortement leur propos dans un discours social et une
observation de la société dans laquelle ils vivent, ce qui les rapproche du « monde
réel », le tout avec des modes opératoires et des dispositifs de tournage finalement
très différents. Leur légitimité dans le texte officiel vient donc surtout du fait que
leurs films rejoignent les présupposés théoriques modernistes sur les rapports entre
Art et Société que nous avons explicités plus haut, qui n’ont, finalement, rien de
« nouveau » : se confondent, ici aussi, « nouveauté » et « actualité ».
Revenons au « nouveau cinéma européen ». Un « auteur nouveau » est-il un auteur
qui utilise de nouvelles techniques ? Sans doute, et il est alors presque ironique de
constater que C. Marker et J.-L. Godard, cités par le texte officiel pour l’utilisation
qu’ils font de média exogènes au support pelliculaire, sont les plus « vieux » de la
liste et ne sont pas, loin de là, de « nouveaux auteurs » ! Dans la réécriture du BO de
2010 il est question des « formes contemporaines d’écriture du “moi” en images et
sons et la complexité de ce nouvel “espace autobiographique” entre différents
médias et supports (A. Cavalier, J. Morder, J. Caouette, J. Van der Keuken, S.
- 297 -
Dwoskin) ». Ici s’ajoute la notion de contemporanéité, mais on ne comprend pas
bien à quoi réfère le « nouvel espace autobiographique » : est-il question de l’usage
du Web 2.0 ? Internet n’est pourtant jamais explicitement cité comme le lieu de
nouvelles possibilités créatives.
Ensuite, comment faut-il comprendre l’allusion aux « nouvelles tendances du
cinéma baroque » ? Tout d’abord, examinons l’idée selon laquelle la nouveauté peut
s’ancrer dans une forme de réécriture ou de réutilisation de l’ancien. On peut y voir
encore la trace de présupposés issus des « avant-gardes » qui ont été friandes d’un
certain mode de récupération de « l’ancien », dans une perspective de
renouvellement. En témoigne l’utilisation de la musique de R. Wagner535 dans un
film comme Le Chien andalou de L. Bunuel, parangon de l’avant-garde
cinématographique française, ou la reprise – fut-elle ironique – de l’incipit
traditionnel des contes de fées, « il était une fois… », dans ce même film. Mais la
délimitation du mouvement « baroque » étant elle-même très problématique, ces
« nouvelles tendances » demeurent fort difficiles à appréhender. Ce qui semble
rapprocher les trois réalisateurs cités à titre d’exemple, A. Ripstein, E. Kustorica, P.
Almodovar, c’est un certain goût pour les récits labyrinthiques, les décors luxuriants
ou en trompe-l’œil, et les personnages excentriques. Il est vrai que ces éléments
sont parfois rattachés à l’esthétique baroque. Mais n’est-ce pas une vision très
stéréotypée et simplifiée, non seulement des films, mais aussi d’un mouvement
artistique aussi complexe que l’art baroque ? Les programmes officiels peuvent-ils
souscrire à une telle simplification, qui relève plus du langage « proto
professionnel »536 d’un critique de cinéma que d’une véritable rigueur de
délimitation des savoirs ? J. Aumont met en garde contre ces mots en « –isme »,
souvent mal employés :
« Un critique fourre ensemble Beinex, Besson et Carax dans la catégorie des
“néo-baroques” ; à la même date ou peu s’en faut, l’historien d’art italien
Omar Calabrese publie L’Âge néo-baroque. Dans son essai sur la lumière au
535
536
Il s’agit de Tristan et Isolde, Richard Wagner, 1857-1859.
Expression empruntée à Abram de Swaan.
- 298 -
cinéma, Revault d’Allones fait du baroque un contraire du classicisme. Les
Cahiers consacrent un numéro au “maniérisme”, reprenant la définition qu’en
donne un historien d’art pressé. Dix ans plus tard, la jeune revue Au hasard
Balthazar consacre encore un numéro à la même notion, constatant qu’ “elle
change de sens suivant les textes et ne se trouve de cohérence qu’en étant
systématisée
de
manière
brutale
dans
la
triade
classicisme/moderne/maniérisme”.
Maniérisme,
baroquisme,
néobaroquisme : étrangement, la critique, qui perçoit sous ces termes une
décadence, une fin de règne, pense que c’est le classicisme, pas la modernité,
qui est malade ou mourant. »537
Il est assez notable de constater que le BO reprend et promulgue ce discours
critique condamné par J. Aumont, au détriment d’un discours théorique
épistémologiquement fiable. L’allusion aux « nouvelles tendances du cinéma
baroque » pourrait par ailleurs être lue, comme le suggère J. Aumont, comme une
façon de promouvoir la modernité comme « fin du classicisme », ce qui ouvre tout
droit la voie à la « post-modernité », même si ce concept n’est jamais abordé
comme tel dans les instructions officielles. On retombe sur le discours du
« résolument nouveau » comme façon de promouvoir la modernité en art (contre le
classicisme), modernité toujours envisagée comme un point d’aboutissement d’une
vision téléologique de l’Histoire.
Enfin, que recouvre la formule « le renouveau français du cinéma de genre » qui
laisse place au « nouveau cinéma français dans le BO de 2010 ? Dans le BO de 2001,
aucune précision ni aucun exemple n’étant donné, le concept de « cinéma de
genre » restait très vague et donc inopérant d’un point de vue épistémologique. Ce
qui est traditionnellement entendu par la formule « cinéma de genre » est un cinéma
qui s’oppose au « cinéma d’auteur », et ce plutôt dans une perspective
hollywoodienne que française. L’expression a été supprimée en 2010, les rédacteurs
étant peut-être conscients de ce flou terminologique.
La « nouveauté » se confond peut-être alors avec l’originalité, si l’on considère cette
nouveauté comme une originalité formelle. En effet, s’il n’y a pas d’autonomie
537
AUMONT Jacques, Moderne ?, op. cit., p. 82-83.
- 299 -
absolue entre l’œuvre et le monde dans la façon dont le BO promeut la nouveauté,
le texte officiel semble toujours plus attentif aux variations de formes qui
occasionnent cette « nouveauté » : « outils numériques », « multimédias », tournages
avec une caméra portée à l’épaule (modalité de tournage qui s’illustre dans les films
des frères Dardenne, de B. Dumont, ou les films du « Dogme ») qu’aux variations
de fond. Le questionnement sur ce dont parle le film paraît exclu des critères de
« nouveauté » alors même que les thèmes abordés et les systèmes de représentation
dont les films sont porteurs se modifient et qu’ils pourraient sans doute également
être un critère d’élaboration de la « nouveauté » cinématographique. C’est ici peutêtre que se dessine la véritable cause de cet éloge de la nouveauté et de la façon
dont elle légitime encore un peu plus l’éloge de la modernité : elle sert de
repoussoir à la culture de masse. La présence de A. Warhol dans les programmes
peut ainsi être relue : A. Warhol, s’il s’appuyait parfois sur cette culture de masse en
revendiquant un certain intérêt pour l’art populaire, apparaît ici, dans le BO de
Terminal, pour son « expérimentation », pour sa rupture avec les « codes
dominants ». C’est dire que N. Burch a sans doute raison lorsqu’il évoque ce défaut
particulièrement français qui consiste à regarder ces productions des artistes pop
des années 60 avec :
« un second regard sur les produits naïfs de la culture de masse, un regard
qui vient après celui, inculte, du destinataire premier, qui s’inscrit donc
comme supérieur puisque non dupe des sensations factices primaires,
produites à la chaîne »538.
Si l’on reprend avec cette perspective la liste des artistes « nouveaux », on ne peut
que constater la rupture élitiste sur laquelle repose précisément l’éloge de leur
« nouveauté ». Ainsi, la « nouveauté » sert dans certains cas de caution légitimante à
la présence de certains réalisateurs dans le texte officiel. Si certains cinéastes
apparaissent comme relativement « grand public » c’est le cas de K. Loach ou de E.
Kustorica et P. Almodovar, ils doivent être considérés pour ce qu’ils apportent de
« nouveau », et donc aussi pour leur manière de se détacher de la production
538
BURCH Noël, De la Beauté des latrines, pour réhabiliter le sens au cinéma ; op. cit., p. 30.
- 300 -
dominante. La discrimination entre ce qui est nouveau et ce qui ne l’est pas
correspond à la recherche et la mise en valeur de ce qui « relève de la marge » de ce
qui creuse des « failles à l’intérieur des codes dominants », témoignant finalement
d’une volonté de distance critique qui est une caractéristique du modernisme et de
son mépris de la réception populaire des œuvres. La présence de réalisateurs dont le
grand public s’est emparé, connus, actuels, médiatiques comme Q. Tarantino,
(représentant du « nouveau cinéma anglo-saxon ») P. Almodovar ou K. Loach ne
saurait donc se justifier que par la référence cultivée aux « avant-gardes » ou au
mouvement « baroque », références cultivées qui sont aussi un prétexte pour :
« consacrer la supériorité de l’adepte cultivé s’aventurant sur le terrain même
de la culture de masse – sa “tête dans la gueule du lion” pour ainsi dire – tout
en sachant éviter les “facilités” de la lecture béotienne de la populace. »539)
On retombe sur cette idée que le cinéphile, s’il se considère comme un expert, doit
pouvoir établir un lien entre les œuvres.
3.2.6 Les cinémas « nationaux »
Ce lien, s’il se manifeste parfois par la catégorisation générique que j’ai déjà
évoquée, peut aussi se trouver travailler par la notion de « cinéma national » que
l’on trouve également dans les textes officiels de BO de Terminale déjà cités540.
Le BO de 2010 ajoute « le nouveau cinéma français » et le nouveau « cinéma
indépendant américain ». On le trouve aussi dans le BO pour la classe de Première :
« Le burlesque américain, le cinéma soviétique des années 20,
l’expressionnisme allemand, le cinéma français des années 30, le cinéma
hollywoodien, le cinéma japonais, le néoréalisme italien, les nouvelles
vagues, ainsi que sur les grands courants et les formes spécifiques de la très
539
Ibid., p. 58.
BO hors série n°4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 22, repris
littéralement dans le BO spécial n°9 du 30 septembre 2010 à une exception près : « le nouveau cinéma
européen » est devenu « le nouveau cinéma français », quelques lignes plus loin dans le texte « le cinéma
européen » est regroupé avec le « cinéma indépendant américain ».
540
- 301 -
récente histoire de l’audiovisuel. »541
J’ai déjà évoqué les « tempéraments nationaux » (3.2.3) qui jalonnent une certaine
approche de l’histoire du cinéma. Je m’arrêterai ici précisément sur cette dimension
« nationale » du cinéma que propose le texte, sur les présupposés que recouvre
l’idée de « cinématographie d’un pays ».
Elle procède tout d’abord sans doute de l’idée développée par J.-M. Leveratto et L.
Jullier :
« La cinéphilie naissante réinvestit naturellement l’attitude de l’amateur d’art
attentif, depuis la renaissance, comme le souligne Erwin Panosky dans un
texte provocateur, à l’air de famille que présentent les œuvres d’art de la
même origine géographique pour celui qui prend l’habitude de les
fréquenter. »542
Le BO sous-entend en effet que le cinéma permet d’accéder à une culture nationale,
que les films sont le reflet ou les porte-paroles du monde culturel dans lequel ils
s’inscrivent. Ici encore on retrouve ce mélange entre une vision très immanentiste
de l’œuvre d’art qui semble l’éloigner de toute contingence socio-historique et sa
contextualisation, gage d’une facilitation de sa compréhension. C’est encore une
fois le spectateur qui est évacué du débat, c’est-à-dire que l’œuvre garde son
autonomie par rapport à sa réception tout en se donnant comme perméable à son
contexte de production, comme je l’ai déjà vu.
En ce qui concerne les cinémas « nationaux », il est certain que l’intertextualité est
un des modes de lecture encouragés par le formalisme. Selon cette conception
théorique, les structures profondes de l’œuvre existent dans l’œuvre elle-même et
les conventions de lectures pour la comprendre existent dans un spectateur idéal
qui n’est jamais précisément défini. Ce ne sont pas ces deux sphères envisagées
séparément qui sont décontextualisées, mais leur rencontre et les instabilités de
catégorisation que cette rencontre peut engendrer, qui sont niées. On peut donc
reconduire la réflexion menée sur les genres à cette conception de « cinéma
541
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de Première, repris littéralement dans le BO de 2010.
JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité
cinématographique, op. cit., p. 69.
542
- 302 -
nationaux » : toute tentative de labellisation unifiée et homogène des films court le
risque d’être déstabilisée par la sémio-pragmatique et par le fait que le sens n’est ni
dans l’œuvre – quel que soit son ancrage socioculturel – ni dans son spectateur –
quel que soit son ancrage socioculturel – mais dans leur rencontre. Cette vision
d’une cinématographie qui pourrait être unifiée par son appartenance nationale
risque donc bien d’être un leurre. En effet, il semble difficile de parler
rigoureusement de « cinéma national », car il est très difficile de savoir comment le
délimiter. Le cinéma hollywoodien par exemple est-il un cinéma « national »
comme semble le suggérer l’énumération du BO de Première ? son identité reposet-elle sur des stars ? des mythes nationaux ? une histoire commune (si oui,
laquelle ?) ? des conventions ? la langue ? D’ailleurs, peut-on considérer qu’un film
est le résultat pur d’une identité nationale ? Cette identité nationale est-elle induite
par la nationalité du réalisateur ? du producteur ? que dire en cas de coproduction ? Comment définir les limites socio-culturelles d’un concept si
problématique que « l’Europe » pour définir un « cinéma européen » ? S’il est vrai
que le « cinéma asiatique » peut trouver sa place dans les programmes officiels est-il
si simple de circonscrire une identité nationale en parlant de Wong Kar Wai ? La
langue elle-même n’est-elle pas trop hétérogène pour espérer une quelconque
approche culturelle ? On voit aujourd’hui les problèmes que pose aux professeurs
l’entrée de Yaleen dans les programmes du baccalauréat… Le cinéma africain est
tellement étranger au nôtre qu’il paraît bien présomptueux d’aborder la culture
africaine seulement par le biais de ce film ou même de prétendre enseigner et
connaître ce film en dehors d’une connaissance profonde de son contexte culturel
et de sa réception. Pourtant, c’est ici que l’immanentisme fait son retour, car
comme le constate Brigitte Rollet :
« Les outils que nous avons utilisés au cours de toutes ces années nous ont
laissé l’illusion intime que nous étions aptes à comprendre tous les films
quelle que fût leur origine puisqu’au fond ils étaient de la même matière. »543
543
ROLLET Brigitte, « Enseignement du cinéma français en Grande Bretagne : pluridisciplinarité,
interdisciplinarité », in Cinéma et audiovisuel Nouvelles images, approches nouvelles, ouvrage coordonné par Odile
- 303 -
La vision formaliste à l’œuvre dans le BO, que nous avons remarquée de
nombreuses fois, justifie aussi cette présentation rapide des « cinémas nationaux » :
il semble que l’œuvre puisse de toute façon s’envisager en dehors de cet ancrage qui
n’apparaît finalement que comme une perspective supplémentaire possible dans la
perspective immanentiste. Possible, mais non nécessaire, ou en tout cas non
essentielle pour envisager l’analyse de l’œuvre. On sent bien que le contexte est un
mode de compréhension de l’œuvre, mais il est forcément envisagé différemment
quand il s’agit d’en faire un mode de lecture possible de l’œuvre, c’est-à-dire
quand il s’agit de sortir de l’interprétation formaliste, culturelle ou même politique
pour prendre en compte l’interprétation de cette interprétation. Dans ce cadre, il
est très révélateur que le formalisme tel qu’il informe les études du cinéma en lycée
exclut toute approche « cultural » ou « gender ».
3.2.7 Des programmes « Gender blind »
Dans l’ensemble des textes officiels, on ne peut que contater l’écrasante majorité
d’exemples de réalisateurs masculins. Comme le remarque N. Burch :
« De fait le modernisme constitue une attitude et une culture marquées
profondément par le mode de pensée masculin. »544
Cette constatation rejoint une attitude adoptée par les cinéphiles des Cahiers dans
les années 50-60. Dans l’entretien qui ouvre Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, A.
Bergala demande à J.-L. Godard si le « groupe Cahiers » avait une vie en dehors du
cinéma. J.-L. Godard lui répond que leur existence était pleine de leurs aventures
féminines respectives, source de leur complicité d’homme545. F. Truffaut parle de
« la politique des copains »546 : la complicité masculine permet le libre cours de la
BACHLER, Claude MURCIA et Francis VANOYE, Paris : édition BIFI/L’Harmattan, coll. « Champ
visuel », 2000, p. 151.
544
BURCH Noël, De la Beauté des latrines, pour réhabiliter le sens au cinéma, op. cit., p. 39.
545
BERGALA Alain, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, Paris : Cahiers du cinéma, édition de l’étoile,
1985, p. 15.
546
TRUFFAUT François, Correspondance, Paris : Hatier, coll. « 5 continents », 1988, p. 187.
- 304 -
créativité, et ce éventuellement contre les femmes qui les entourent. Or j’ai déjà vu
que cette forme de cinéphilie a eu une influence certaine sur les enseignements
CAV en lycée et prévaut dans les présupposés à l’œuvre ce qui explique peut-être
l’étrange absence des femmes réalisatrices dans les programmes officiels de
l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel. Telle est peut-être la conséquence
« jamais formulée » de ce que l’on peut lire dans ce genre d’affirmation :
« La cinéphilie est d’abord un phénomène masculin, qui ne concernait (et ne
concerne sous ses nouvelles formes abâtardies) que les hommes. Je dois dire
que quand une femme cinéaste, agacée par les habitudes et les tics de la
cinéphilie, m’a fait remarquer que c’était une passion exclusivement
masculine, l’évidence de la chose a fait que je n’en doutais pas un moment,
sûr de l’avoir toujours su, mais quasiment certain aussi de ne l’avoir jamais
formulé, de ne l’avoir jamais dit. »547
Je ne dirai pas pour autant que les auteurs des programmes officiels ni que l’École
en général sont consciemment sexistes, simplement que la prédisposition au
modernisme est, de fait, une posture qui manifeste une vision très masculine du
cinéma, plébiscitant des œuvres qui ne correspondent pas, en général, à un public
féminin. Geneviève Sellier a déjà fait ce constat en parlant de la tradition cinéphile
« à la française », elle constate :
« Cette démarche s’inscrit en partie dans une tradition culturelle française, le
modernisme, dont l’historien Andreas Huyssen repère l’émergence au milieu
du XIXe siècle (Huyssen 1989). À l’époque, il s’agit pour les écrivains et les
artistes de se distinguer d’une culture de masse émergente où ils craignent
d’être engloutis. Souvent consommée – et quelquefois produite – par des
femmes, cette production culturelle standardisée et rentable devient le “
mauvais objet ” par excellence pour l’élite cultivée. Désormais, les “ créateurs
” auront à cœur de se distinguer en innovant dans le registre formel, prenant
ainsi leurs distances avec un rapport naïf à la culture. »548
Or ce « rapport naïf » à la culture est précisément du côté des femmes qui se
laisseraient emporter par leurs sentiments au lieu de pratiquer cette cinéphilie du
recul réflexif et anti-intuitif que prône une cinéphilie dans la tradition du
547
SKORECKI Louis, « Contre la Nouvelle Cinéphilie », in Cahiers du Cinéma n° 293, oct 1978.
SELLIER Geneviève, Gender Studies et études filmiques, Première partie, publiée en ligne sur le site du
collectif « les mots sont importants », septembre 2005, http://lmsi.net/Gender-Studies-et-etudesfilmiques,463, consulté le 15 décembre 2009.
548
- 305 -
« modernisme » dont j’ai vu combien il était actif dans les textes du BO. J’ai
constaté à quel point l’enseignement du cinéma en lycée, tel qu’il est présenté dans
les textes officiels, se méfie de la « culture de masse » et y répugne. Or G. Sellier
explique que cette « culture de masse », incarnée par les films populaires dits
« grand public », « commerciaux » ou « mainstream » est assimilée, depuis G.
Flaubert et Madame Bovary, aux goûts d’un public féminin. On a vu que la façon
même de voir des films, de les envisager, de les plébisciter à travers les « grands
noms du cinéma », se faisait par la prise en compte de la forme au détriment du
fond et donc dans le mépris d’une approche « genrée » des rapports entre les sexes
que beaucoup de films explorent pourtant clairement :
« Si André Bazin, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol et les
autres valorisent certains aspects du cinéma hollywoodien, c’est en mettant
l’accent sur l’abstraction de leur mise en scène, leur “ écriture ”, sans
s’attacher aucunement au contexte socioculturel dans lequel ils ont été
produits et consommés, ni à ce dont parlent ces films. Le formalisme comme
approche cultivée du cinéma permet aussi de passer sous silence, de ne pas “
voir ” tout ce qui relève de la référentialité des films, en particulier la
construction des identités de sexe et des rapports entre les sexes, qui sont le
sujet central de la plupart des films de fiction. »549
« Le formalisme comme approche cultivée du cinéma », c’est bien le présupposé
que j’ai vu à l’œuvre dans les textes officiels et dans des pratiques professorales, y
compris celles de femmes par ailleurs. Ce n’est pas tant le sexisme qui prévaut ici
qu’une certaine représentation du cinéma qui, en mettant à distance les sentiments,
« ce dont parle le film », convient finalement mieux à une réception masculine que
l’École, indirectement, plébiscite. Il y a fort à parier pourtant qu’une réflexion sur
les « identités des sexes », leurs représentations, leur mise en question par et dans
les films aurait tout à fait sa place devant un public adolescent qui est précisément à
une période-clé de son positionnement genré.
La tradition auteuriste est également un élément qui rattache le cinéma tel qu’il est
vu et enseigné à l’École à des vertus masculines :
« La cinéphilie de Bazin emprunte un autre modèle culturel dominant : il n’y
549
SELLIER Geneviève, « Gender Studies et études filmiques », op. cit.
- 306 -
a pas d’art sans grands génies pour l’incarner. Et le génie d’un “ créateur ” –
masculin – réside dans son style, c’est-à-dire dans la qualité la plus abstraite
de son œuvre. Comme l’a montré naguère Michelle Coquillat (1982) à
propos de littérature, la création dans notre tradition culturelle est pensée
comme une prérogative exclusivement masculine où l’écrivain s’expérimente
comme un Dieu, à l’origine de son œuvre dans une autonomie absolue par
rapport au monde et aux autres, par opposition aux femmes qui sont
assignées à la reproduction. »550
Pourtant, il existe bien des « auteures » dans l’histoire du cinéma, comme Germaine
Dullac ou plus récemment Agnès Varda considérée comme une cinéaste centrale de
la Nouvelle vague et donc de cette cinéphilie « moderne » devenue « académique ».
Leur nom ne dénoterait pas dans la liste des « grands auteurs » du Bulletin Officiel,
mais…elles n’apparaissent pas dans les textes officiels, jusqu’en 2010 où l’on
remarque l’arrivée discrète, dans une parenthèse, du « cinécriture d’Agnès
Varda »551. Mise à part Marguerite Duras pour Hiroshima mon amour, qui tire sa
légitimité surtout de la littérature, aucune femme non plus dans les programmes du
baccalauréat… On ne cesse donc de remarquer ici la forte emprise sur les textes
officiels de ce que L. Jullier et J.-M. Leveratto appellent la cinéphilie « moderne »
qui est celle promulguée par Les Cahiers du cinéma dans les années 60 ainsi que toute
la tradition cinéphilique française depuis M. Bradèche et R. Brasillach.
3.3
Où l’on retrouve la cinéphilie « moderne » : l’influence
des représentations cinéphiliques sur les programmes officiels
Il apparaît bien, tout au long de cette partie, que les éléments relevés dans le texte
du Bulletin Officiel recouvrent des positions communes avec les Cahiers du cinéma. Si
la cinéphilie « moderne » informe les programmes officiels, c’est aussi et surtout à
travers la notion d’« Auteur » sur laquelle il faut sans doute s’arrêter très
550
551
SELLIER Geneviève, « Gender Studies et études filmiques », op. cit.
BO spécial n°9 du 30 septembre 2010, classe de Première, version en ligne, op. cit.
- 307 -
précisément.
3.3.1 La notion de « grand auteur » et la
« politique des Auteurs »
On peut s’interroger sur la pertinence de ces listes d’auteurs que le texte officiel met
systématiquement entre parenthèses pour illustrer tel ou tel point des programmes
de Première ou de Terminale. Est-ce à dire que toutes les œuvres de ces
réalisateurs, sans exception, sont bonnes à analyser dans la perspective d’une étude
théorique du montage, d’un genre ou d’une « nouveauté » cinématographique ? Ces
énumérations présupposent en effet que toute l’œuvre de ces cinéastes peut être
appréciée à l’aulne des objets d’étude définis par le texte officiel et finalement que le
nom même de ces cinéastes assure à leurs œuvres une qualité et une pertinente qui
justifie leur présence dans l’enseignement du cinéma. Pour bien comprendre ce
postulat, la meilleure explication semble résider dans la célèbre pétition de principe
de François Truffaut lorsqu’il défend Ali Baba de Jacques Becker :
« Ali Baba eut-il été raté que je l’eusse quand même défendu en vertu de la
Politique des Auteurs que mes congénères en critique et moi-même
pratiquons. Toute basée sur la belle formule de Giraudoux : “il n’y a pas
d’œuvres, il n’y a que des auteurs”, elle consiste à nier l’axiome, cher à nos
aînés selon quoi il en va des films comme des mayonnaises, cela se rate ou se
réussit. »552
Le texte officiel pourrait donc asseoir le caractère catégorique de ses listes
d’« auteurs » dans l’idéologie de la « politique des auteurs » telle que l’a initiée F.
Truffaut dans les Cahiers du cinéma dés 1954-1955, et telle que la commente A. Bazin
– pour la mettre en question d’ailleurs – dans le numéro 70 de la revue :
« Il s’ensuit que les tenants les plus stricts de la politique des auteurs sont à la
longue avantagés puisqu’à tort ou à raison, ils discernent toujours dans leurs
auteurs préférés l’épanouissement des mêmes beautés spécifiques. Ainsi
Hitchcock, Renoir, Rossellini, Fritz Lang, Howard Hawks ou Nicholas Ray
552
TRUFFAUT, François, « Ali Baba et la “Politique des Auteurs" », Cahiers du cinéma n° 44, février 1955.
- 308 -
peuvent-ils, à travers les Cahiers, apparaître comme des auteurs quasi
infaillibles dont aucun film ne saurait être raté. »553
j’ai déjà dit que cette liste recoupe, sur plusieurs occurrences (J. Renoir, R.
Rossellini, A. Hitchcock), les « grands auteurs » cités dans le BO de Terminale, ainsi
que les films proposés au programme du baccalauréat : R. Rossellini en 1994 avec
Europe 51, A. Hitchcock en 2009 avec La Mort aux trousses. On peut penser aussi à I.
Bergman, proposé au baccalauréat en 1994 avec Le septième sceau, à L. Bunuel avec
El en 1995, à K. Mizoguchi avec Les Contes de la lune vague en 1998, qui font
également partie du panthéon d’« auteurs » des Cahiers du Cinéma. La notion
« d’auteur » est donc sans doute le point d’ancrage le plus évident de la
prédisposition des programmes officiels à suivre les positionnements théoriques de
la cinéphilie moderne. C’est précisément autour de cette notion que va s’articuler
l’opposition entre les Cahiers du cinéma et la revue Positif. Là où les Cahiers donnent à
l’auteur l’« origine du sens », les rédacteurs de la revue Positif, dans une perspective
sans doute plus structuraliste, privilégieront d’abord la cohérence interne de l’œuvre
avant de rentrer dans l’interprétation d’intentions d’auteur. Ici s’inscrit un paradoxe
théorique : la coexistence, dans l’enseignement du cinéma en lycée, d’influences
diverses qui s’avèrent parfois contradictoires.
En outre, la posture théorique des Cahiers du cinéma, quand il s’agit de défendre la
« politique des auteurs », part d’un présupposé qui veut qu’une œuvre d’art ne
puisse être l’ouvrage que d’un seul individu. On peut alors se demander quels
aspects de l’élaboration audiovisuelle d’un film un réalisateur doit maîtriser pour
prétendre à ce statut d’« auteur », et quelles autres instances pourraient prétendre à
une activité créatrice dans une production cinématographique. C’est précisément
sur ce point qu’achoppe le BO de Première.
553
BAZIN André, « De la politique des auteurs », Cahiers du cinéma n° 70, avril 1957, in La politique des
auteurs, les Textes, Paris : Les Cahiers du Cinéma, coll. « Petite bibliothèque des cahiers du cinéma », 2001,
p. 100.
- 309 -
3.3.2 « Écriture », « auteur », « scénariste »,
retour au BO de Première
Sur cette question, revenons plus précisément aux textes officiels. Je cite ici in
extenso le Bulletin Officiel pour la classe de Première de 2001:
« En classe de Première, l’approche culturelle se donne deux objets : l’étude
des différentes pratiques d’écriture et le repérage des grandes étapes et des
principaux genres de l’histoire du cinéma et de l’audiovisuel des
origines à nos jours.
L’étude des différentes pratiques d’écriture :
Cette étude, directement liée à la dominante du programme, consiste à
observer et à analyser les pratiques d’écriture cinématographiques et
audiovisuelles. Elle permet de poser et d’explorer la question du rapport
entre « scénario » et « mise en scène » à travers l’histoire du cinéma et de
l’audiovisuel, à différentes époques et dans différents pays. Elle s’appuie
sur divers « objets d’écriture » : versions successives de scénarios (par ex :
scénarios « primitifs » et scénarios de tournage), traitements, découpages,
story-boards ou scénarimages, cahiers de scripts, scripts de tournage, plans
de travail) qui éclairent la diversité des partis pris artistiques et des approches
professionnelles.
Ainsi peut-on découvrir ou approfondir :
- le fonctionnement des « couples » scénaristes-réalisateurs : (L. Bunuel
et J.C. Carrière, M. Carné et J. Prévert, K. Mizogushi et Y. Yoda, R. Polanski
et G. Brach, ...) ou scénaristes-producteurs (dans le système hollywoodien
des studios par exemple.) ;
- les démarches singulières des scénaristes-dialoguistes (M. Audiard, J.-L.
Dabadie, T. Guerra, H. Jeanson, ...), des écrivains-scénaristes (M. Duras,
W. Faulkner, J. Giono, M. Pagnol, J. Prévert...), des auteurs-réalisateurs
(W. Allen, I. Bergman, J. Cassavetes, J.-L. Godard, F. Truffaut, J.Vigo...) ;
- le travail spécifique de recherche et d’écriture qu’implique, avec ses
approches variées, le genre documentaire (rapport préalable au sujet filmé et
modes de préparation très différents, selon les auteurs) ;
- les méthodes et les codes d’écriture imposés de certaines formes
audiovisuelles (films de commandes, clips et publicités, en particulier). » (Je
souligne)
Le BO de 2010 gardera exactement les mêmes contenus notionnels, mais en
- 310 -
supprimant systématiquement les parenthèses contenant les exemples, par souci,
comme je l’ai dit, de condenser le texte. Je vais cependant m’arrêter sur ces
exemples qui me semblent très révélateurs.
Il convient tout d’abord de définir ce que l’on peut entendre par ces « pratiques
d’écriture ». Il est question de « l’étude des différentes pratiques d’écriture » qui
« consiste à observer et à analyser les pratiques d’écriture cinématographiques et
audiovisuelles », des « codes d’écriture », du « travail spécifique de recherche et
d’écriture », du travail des « scénaristes ». Le programme définit ainsi les enjeux de
l’écriture :
« L’écriture se conçoit et se pratique comme une anticipation et une
suggestion d’images et de sons du film à venir. Elle est indissociable de
l’ensemble des choix formels, des dispositifs techniques et de mise en scène
destinés à représenter au mieux, lors du tournage, les choix et partis pris qui
constituent le point de vue de l’auteur. »554
Le terme d’« écriture » prend donc une extension très large qui peut se regrouper
autour de deux aspects : l’écriture du scénario d’abord, mais aussi l’étude de tous les
documents qui permettent « des choix formels et des dispositifs techniques et de
mise en scène » ce qui rejoint la précision ultérieure du BO :
« Versions successives de scénarios (par ex : scénarios "primitifs" et scénarios
de tournage), traitements, découpages, story-boards ou scénarimages,
cahiers de scripts, scripts de tournage, plans de travail) qui éclairent la
diversité des partis pris artistiques et des approches professionnelles »555. (
Je souligne)
La notion d’« écriture » regroupe donc tout ce qui, « par anticipation », permet une
meilleure efficacité de la mise en œuvre par d’autres collaborateurs du « point de
vue de l’auteur » dans le film. Le texte officiel suggère donc, entre autres, l’étude
des relations entre scénariste et réalisateur comme mode de questionnement sur
l’écriture de la « mise en scène » du film. Or on retrouve cette préoccupation dans
de nombreux articles fondateurs des Cahiers du cinéma lorsqu’il s’agit de savoir lequel
de ces deux techniciens, du scénariste ou du réalisateur, avait la part la plus
554
555
Formule restée à l’identique dans le BO de 2001 et dans le BO de 2010.
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de Première, version papier, op. cit., p. 21-22.
- 311 -
importante dans la production d’un film considéré comme une création artistique.
Je voudrais mesurer jusqu’où le texte officiel s’appuie ici encore sur les présupposés
théoriques de la revue, en restant toujours fidèle à la « politique des auteurs ».
F. Truffaut a posé la question du rapport entre réalisateur et scénariste, valorisant
systématiquement, dans ses critiques d’avant la Nouvelle vague, les films dont le
réalisateur était aussi (co-) scénariste. On peut penser à sa défense de Touchez pas au
grisbi en 1954, où il souligne que l’activité duelle de J. Becker, en tant que réalisateur
et co-scénariste, lui a permis d’« évincer des scènes et des répliques qui sont
typiquement des scènes et des répliques de scénaristes, au profit de scènes et de
répliques qu’un scénariste ne saurait concevoir. »556
Dans les textes officiels, la figure du créateur devient biface, puisqu’il est question
des « auteurs-réalisateurs », mais aussi des « “couples” scénariste-réalisateur ». En
amenant
les
professeurs
et
les
élèves
à
s’interroger
sur
le
couple
réalisateur/scénariste, le texte du BO de Première sous-entend que les mieux placés
pour revendiquer les aspects créatifs et artistiques du film sont le réalisateur et le
scénariste, et pas seulement le réalisateur quand il est scénariste. Dans un premier
temps donc, il pourrait sembler que le texte officiel se détache de certaines
conceptions propres à la « politique des auteurs » selon lesquelles le scénariste n’est
qu’un personnage secondaire de la production d’un film. C’est une posture qu’A.
Hitchcock, interrogé par les Cahiers, défendait :
« Souvenez-vous que je fais tous mes films sur le papier. Je ne me fie pas au
scénariste ; en fait, je n’ai jamais tourné le scénario d’un autre. J’emmène le
scénariste, je l’assois là, je m’assois ici, le film se fait ainsi du début à la
fin. Le scénariste m’aide beaucoup, il rédige le dialogue, et peut même
suggérer une idée. Et quand je commence à tourner le film, pour moi, il est
fini. »557
Là où le « Maître » avait répondu de manière assez définitive en faveur du
réalisateur, reléguant le scénariste au simple rôle d’adjuvant, les textes officiels sont
plus nuancés et invitent justement à s’interroger sur les situations de production
556
TRUFFAUT, François, « Les truands sont fatigués », Cahiers du cinéma, n° 34, avril 1954, p. 55.
TRUFFAUT François et CHABROL Claude, « Entretiens avec Alfred Hitchcock », 1955, in Cahiers du
cinéma n° 44, p. 29.
557
- 312 -
dans lesquelles l’« auteur » n’est pas si évidemment le réalisateur.
La « pratique artistique » conseillée en Première va également dans ce sens558. Il
s’agit d’encourager « la pratique d’exercices simples et courts » pour « appréhender
la construction progressive d’un point de vue et les divers traitements des notions
suivantes » : le temps, l’espace, les modes de narration, l’image, le son. L’épreuve du
baccalauréat consiste en la rédaction d’un scénario à partir d’une note d’intention,
ou d’une note d’intention à partir d’un scénario, puis en la réalisation d’un produit
audiovisuel dont toutes les étapes doivent être abordées par les élèves, du scénario
au tournage. Le programme de la classe de Première paraît donc piloté par les
exigences de l’examen. Ces consignes d’enseignements apparaissent comme la
conséquence d’une transposition didactique des procédés de production
audiovisuels sur laquelle je reviendrai.
La première remarque est que ces consignes portent quasi exclusivement sur des
questions de forme : « champ et hors-champ, profondeur de champ, échelle des
plans, plongée et contre-plongée, cadre et mouvements de caméra », « procédés de
la voix intérieure ou du commentaire, caméra subjective, rôle des éléments visuels
et sonores dans la scénarisation », « lumière, couleur, contraste, variations du grain,
utilisation de la couleur sépia, fondu enchaîné, surimpression, images
"composites" », « matière sonore ("in" et "off") ». Cette assimilation du film à ses
données formelles nommées « mise en scène » et « mettant en lumière la
construction progressive d’un point de vue » est un postulat récurrent de la critique
issue des Cahiers du cinéma, ce qu’A. Bazin lui-même constate, à propos de ses jeunes
collègues, dans les années 50 :
« Mais s’ils prisent à ce point la mise en scène c’est qu’ils y discernaient dans
une large mesure la matière même du film, une organisation des êtres et des
choses qui est elle-même son sens, je veux dire aussi bien morale
qu’esthétique. »559
558
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de Première, repris avec de légères modifications formelles
dans le BO de 2010.
559
BAZIN André, « Comment peut-on être Hitchocko-Hawksien ? », Cahiers du cinéma, N° 44 février 1955,
- 313 -
La question du contenu que doit porter un scénario est reléguée au second plan,
dans une notation marginale, peu explicite et très partielle du texte officiel :
« Une attention particulière est apportée au statut et à la caractérisation du ou
des personnages, à la construction du récit filmique. »
Le contenu thématique du scénario apparaît comme une donnée secondaire, et
n’est pas spécifiquement abordé comme un objet de travail ou d’étude dans les
programmes. L’écriture permet de mettre en œuvre un signifiant tout puissant, qui
fait passer au second plan les fonctions narratives et référentielles d’un scénario.
Étonnement, le texte officiel demande aux élèves de s’interroger sur tous les
aspects formels de la mise en scène sans jamais proposer une interrogation sur le
contenu du scénario, sur ce dont parle le film. Il semble que le texte réponde tout à
fait à la constatation ironique de N. Burch :
« Depuis le départ, il s’agit, sous divers déguisements, d’un formalisme pour
art populaire appuyé sur cette simple recette : pour trouver ce qui, le cas
échéant, est précieux dans un film, chercher partout ailleurs que dans le
scénario, en contournant soigneusement tout ce qui serait accessible à
“l’analyse thématique” ou au “sociologisme vulgaire” ».560
La « magie » des choix techniques ou esthétiques de la mise en scène fait passer à la
trappe le « vulgaire ce-que-ça-raconte »561. Il semble peu important, à la lecture du
BO, que le scénario ne signifie rien ou pas grand-chose, du moment que l’élève a
été attentif aux « choix et traitement des lieux (champ et hors-champ, profondeur
de champ, échelle des plans, plongée et contre-plongée, cadre et mouvements de
caméra ; décor naturel, décor artificiel (studio, virtuel...) ou aux « modes de
narration », mais considérés comme les « procédés de la voix intérieure ou du
commentaire, caméra subjective, rôle des éléments visuels et sonores dans la
scénarisation »562. Et cette idée selon laquelle le « sujet choisi » a peu d’importance
au regard de ce que le scénario exprime doit passer par un acte technique de « mise
en images et en sons » correspond tout à fait à la représentation d’un « bon film »
p. 17.
560
BURCH Noël, De la Beauté des latrines, pour réhabiliter le sens au cinéma, op. cit., p. 69.
561
Ibid. p. 71.
562
BO hors série n°3 du 30 août 2001, classe de Première, version papier, op. cit., p. 21.
- 314 -
qu’ont véhiculée les Cahiers du cinéma dans les années 60 :
« L’originalité d’un auteur réside non pas dans le sujet choisi, mais bien dans
la technique utilisée, dans la mise en scène, à travers tout ce qui s’exprime à
l’écran. (…) Notre propos est de faire apparaître la signification des films à
travers la technique par quoi ils gagnent leur caractère spécifique. »563
Ainsi, le concept d’« écriture cinématographique » préalable à la « mise en scène »
procède d’une certaine lecture de la « politique des auteurs », en cela que le film
apparaît comme un mode d’expression, traduit par et dans les différentes formes
d’« écriture » dont il est le fruit, excluant absolument ce dont parle le film.
Par ailleurs, l’idée est que le film s’écrit, non pas seulement au moment de la
rédaction du scénario, mais lors de toute une phase de réflexion sur la « mise en
scène » qui précède le tournage. En effet, il est bien question dans le texte officiel
« d’explorer la question du rapport entre “scénario” et “mise en scène” à travers
l’histoire du cinéma et de l’audiovisuel ». La question de la « mise en scène » comme
modalité d’expression purement cinématographique (cadrage, jeu d’acteur…) est
bien abordée dans le texte officiel à travers les notions de « découpage », « storyboard », « ensemble des choix formels, des dispositifs techniques et de mise en
scène ». « L’approche culturelle » du programme s’attachera dans un deuxième
temps à ce point spécifique de la production cinématographique qu’est l’écriture « à
quatre mains » du scénario, posant un peu plus directement la question du fond.
Mais la « mise en scène » semble se définir avant tout comme une mise en rapport
d’actes cinématographiques avec la construction du récit qui permet au réalisateur
de se revendiquer auteur.
C’est bien là que la place du scénariste est problématique : si le film est une forme
d’expression personnelle, comment peut-on écrire pour un autre et comment
peut-on se faire écrire une histoire ? Le Bulletin Officiel propose une échappatoire
qui reste finalement fidèle aux présupposés auteuristes : le scénariste et le réalisateur
doivent être considérés comme un « couple », c’est dire que leur complicité ou leur
563
FEREYDOUN Hoveyda, « Les taches du soleil », in Cahiers du cinéma, n° 110, août 1960.
- 315 -
connaissance mutuelle permet un exercice d’écriture à quatre mains qui préserve
l’identité de l’auteur tout en permettant son association avec un autre talent,
littéraire de préférence (J. Prévert, J.-C. Carrière, M. Duras). Car si le cinéaste
« écrit », alors il peut revendiquer un « style » et véritablement se proclamer
« auteur », d’autant plus s’il s’adjoint l’aura d’un autre « auteur » qui lui permet de se
placer également dans le champ de la littérature. Parmi les « écrivains-scénaristes »
cités dans la parenthèse du texte officiel, certains sont connus pour la complicité
qu’ils entretenaient avec les cinéastes adoubés par les Cahiers. W. Faulkner (cité
parmi les « écrivains-scénaristes) est un ami de H. Hawks, et lorsque les Cahiers du
cinéma interrogent le cinéaste sur son rapport avec ce scénariste lors d’un entretien
portant sur La Terre des Pharaons, la réponse va exactement dans le même sens que
le texte officiel : la complicité « scénariste réalisateur » permet à l’« auteur » de
déployer toutes ses capacités créatives :
« Question : Quelle fut la part de William Faulkner dans l’élaboration du
scénario ?
Réponse : Il collabora avec Harry Kurnitz à l’écriture de l’histoire et du
script ; il m’a comme toujours, énormément apporté. C’est un grand
écrivain ; nous sommes de très vieux amis et travaillons facilement
ensemble ; nous nous comprenons très bien l’un l’autre, et chaque fois que
j’ai besoin d’une aide quelconque je fais appel à Faulkner. »564
Être « Hitchcocko-Hawksien », c’était donc aussi reconnaître la place du scénariste
dans l’acte de création cinématographique, sans pour autant se départir de la
croyance en la toute-puissance créatrice de « l’auteur ». On trouve aussi ce postulat
chez E. Rohmer, dans sa réponse aux critiques de Barthélémy Amengual dans le
numéro 63 des Cahiers. Pour lui, si l’auteur n’a pas forcément « l’absolue paternité
du moindre détail », cependant :
« Nul ne lui dénie le droit de graver son nom à la base du monument, même
s’il n’a pas manié la truelle et le cordeau. »565
Cette métaphore préserve la figure de l’« auteur » omniscient et omnipotent qui
564
La politique des auteurs, les entretiens, Paris : Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, coll. « Petite
anthologie des Cahiers du cinéma », rééd. 2001, p. 124.
565
ROHMER Éric, « Les lecteurs des Cahiers et la politique des auteurs », Cahiers du cinéma n° 63, octobre 1956,
p. 55.
- 316 -
signe de son nom le « monument », tout en faisant une concession à ceux qui
manient « la truelle et le cordeau », même si la figure du scénariste est encore
ennoblie par le fait que c’est sans doute le moins « technicien » des collaborateurs
du réalisateur. Si la « truelle et le cordeau » renvoient aux aspects techniques de
toute production cinématographique, l’écriture scénaristique semble être la part de
« fabrication » du monument qui est le plus digne d’un intérêt auteurial, ce qui
semble justifier l’intérêt particulier que lui portent les programmes scolaires
d’enseignement du cinéma.
C’est peut-être pour cette raison que l’association en « couples » proposée par les
programmes officiels est assez aléatoire et qu’elle préserve à tout prix, et parfois
faussement, la distinction entre « auteurs » (de cinéma) et « écrivains ». Les
« écrivains-scénaristes » sont parfois aussi des « auteurs réalisateurs », tandis que les
« scénaristes dialoguistes » sont aussi souvent des « auteurs » dans le sens littéraire
du terme. Par exemple, Marguerite Duras est citée parmi les écrivains-scénaristes,
ce qui est vrai, mais seulement pour partie, puisqu’elle pourrait prétendre aussi être
auteur-réalisateur566.
On peut se demander si une catégorie « écrivain-scénariste-réalisateur » dans
laquelle pourrait rentrer M. Duras, J. Giono, M. Pagnol n’a pas été évitée parce
qu’elle serait revenue à promulguer, dans la sphère cinématographique, des
« auteurs »… d’œuvres littéraires. On peut par conséquent se demander aussi
pourquoi le terme « auteur » se substitue au terme « scénariste » quand il s’agit de
désigner des réalisateurs de cinéma. L’expression « auteur-réalisateur » se rattache
en fait à des réalisateurs qui sont aussi scénaristes de leurs films, et le terme
« auteur » ne se justifie finalement que comme un parti pris « politique », qui rejoint
celui des Cahiers du cinéma.
Enfin,
l’introduction
du
couple
« scénariste-producteur dans
le
système
hollywoodien des studios » semble faire référence aux données économiques qui
566
Jacques Prévert est bien cité deux fois, dans deux situations différentes : au titre de scénariste
dialoguiste et pour le « couple » qu’il forme avec Marcel Carné.
- 317 -
organisent « l’âge d’or d’Hollywood ». Dans la perspective cinéphilique, l’artiste a
toujours raison contre le système économique, puisque le cinéma est un « art » et
que l’artiste peut se sentir victime d’une logique économique aveugle à son talent.
Le BO insiste également sur des données très pragmatiques liées à l’écriture sous
forme de « découpages, story-boards ou scénarimages, cahiers de scripts, scripts de
tournage, plans de travail ».
Cette approche pragmatique de l’écriture est confirmée par différents éléments du
texte officiel : il est, entre autres, question d’éclairer « des approches
professionnelles » - et ce souci des métiers est suffisamment rare dans le BO pour
être ici souligné. Ce pragmatisme a sans doute ici, comme je l’ai dit, un enjeu
principalement didactique : il s’agit de préparer l’élève à ses propres travaux
d’écriture qui correspondent à la partie dévolue à la « pratique artistique dans les
programmes de Première :
« La pratique artistique permet à l’élève de maîtriser progressivement de
courtes formes d’écriture aussi variées que possible. »
La partie « théorique » du programme semble donc vouloir se raccrocher
primordialement à la partie plus « pratique ». On retrouve les mêmes termes dans
les deux parties du programme. La formulation « découpage, story-board ou
scénarimage » est même littéralement reprise à l’identique dans les deux lignes du
tableau séparant la « pratique artistique » de « l’approche culturelle » dans la
présentation des programmes. Il convient donc d’observer comment les « grands
auteurs » travaillent, afin d’en faire une source d’inspiration pour les travaux
d’élèves. Je reviendrai dans ma troisième partie sur les présupposés que suppose la
croyance dans les vertus pédagogiques de l’imitation des « maîtres ».
L’attachement à des éléments génétiques du film, qui tranche avec l’approche
esthétique et théorique du montage que l’on a étudié dans le BO de Terminale,
mérite d’être souligné, d’autant qu’il prend en compte des données liées à la
production et aux professions du cinéma, ainsi qu’à des formes audiovisuelles non
cinématographiques explicitement présentes dans le texte puisqu’il est suggéré
d’étudier :
- 318 -
« les méthodes et les codes d’écriture imposés de certaines formes
audiovisuelles (films de commandes, clips et publicités, en particulier) ».
Il est intéressant de constater que quand le texte officiel promeut l’apprentissage de
données techniques ou professionnelles, il est plus enclin à encourager l’étude de
formes non cinématographiques, supposant que la télévision est du côté de la
technique alors que le cinéma est du côté de l’art, opposition séculaire. On peut
alors se demander pourquoi, s’il vise à améliorer les productions des élèves, cet
intérêt pour ce qui se passe en amont de toute production audiovisuelle n’informe
pas également l’exercice d’analyse filmique, ni les ambitions théoriques du BO
quant au montage par exemple. On peut sans doute y voir la trace d’un présupposé
selon lequel seul le film, en tant que résultat abouti de la mise en scène, constitue
l’objet d’une analyse esthétique. L’idée de revenir en amont de la mise en scène
pour aborder sa mise en œuvre se justifie par l’ambition de permettre aux élèves
une plus grande pertinence quant à l’analyse filmique formaliste majoritairement
pratiquée par les enseignants, mais, pour autant, elle ne la remet pas du tout en
cause. Cette étude des « rapports entre "scénario" et "mise en scène" à travers
l’histoire du cinéma et de l’audiovisuel, à différentes époques et dans différents
pays » s’appuie sur « divers "objets d’écriture" : versions successives de scénarios
(par ex : scénarios "primitifs" et scénarios de tournage), traitements, découpages,
story-boards ou scénarimages, cahiers de scripts, scripts de tournage, plans de
travail) qui éclairent la diversité des partis pris artistiques et des approches
professionnelles. » (Je souligne)
L’étude de ces documents de pré-production vaut précisément par ce qu’elle
« éclaire » les « partis pris esthétiques » derrière lesquels ces « objets d’écriture »
s’effaceront. Du coup, il ne sera jamais demandé à un élève, ni même à un étudiant
de BTS, lors de l’exercice d’analyse filmique, de produire une réflexion génétique
sur les films étudiés. On s’éloigne donc de ce qui aurait pu aboutir à une histoire du
cinéma telle que D. Bordwell la défend :
« Faire un film n’est rien d’autre que faire des choix chaque minute (…) Une
histoire du style serait une histoire des choix des artistes, en tant qu’ils se
- 319 -
manifestent concrètement dans les films. »567
Au lieu de cela, les pratiques courantes et le modèle d’analyse filmique en vigueur
semblent rejoindre une affirmation de Jean-Louis Comolli dans un article des
Cahiers :
« C’est-à-dire que la mise en scène a pour destin de s’abolir dans son
couronnement même. Le film, en tant que résultat d’une mise en scène, se
substitue en tout point à elle, remplace la réalité opérationnelle par une
réalité artistique. Lui seul -grâce à elle– accède à l’existence concrète de
l’objet esthétique. La mise en scène, une fois le film fait, n’a plus d’existence
qu’abstraite ou fantomatique. Ou seulement dogmatique. Autrement dit
encore, la mise en scène n’est pas, ne peut pas être l’objet d’une appréciation
esthétique. Son résultat qui est le film, seul peut y prétendre. »568
Le programme de la classe de Première apparaît donc comme une préparation à
l’épreuve écrite du baccalauréat pour les élèves de l’enseignement obligatoire
(rédaction d’un scénario ou rédaction d’une note d’intention à partir de documents
et réalisation d’un produit audiovisuel), mais ne remet pas en cause la dimension
formaliste des analyses filmiques attendues dans le cadre des enseignements CAV.
On a vu combien la conception auteuriste prédisposait à aborder le film comme un
mode d’écriture et il peut être intéressant ici de faire un petit détour sur la façon
dont la théorie littéraire a elle aussi construit la notion d’auteur, car nous avons déjà
vu que si la cinéphilie « moderne » influence les textes officiels, la théorie de la
littérature a aussi un poids indéniable sur les pratiques et les conceptions de
l’enseignement du cinéma.
3.3.3 L’ « auteurisme » mis en question ou
tout le reste n’est que littérature
L’approche auteuriste existe bien sûr pour la littérature qui se définit exactement
567
BORDWELL David, On the History of film style, op. cit., p. 150 : « Filmmaking is an avalanche of such
minute choices (…) the history of style will be the history of practitioner’s choices, as concretely
manifested within films ».
568
COMOLLI Jean-Louis, « Vingt ans après, le cinéma américain, ses auteurs et notre politique en
question », Cahier du cinéma, n° 172, novembre 1965.
- 320 -
comme au cinéma : elle consiste à trouver un sens à l’œuvre en fonction des
intentions d’un auteur. La dimension extrêmement individuelle de l’écriture se prête
d’ailleurs d’autant mieux à cette conception qui présuppose que l’auteur maîtrise
absolument tout ce que son œuvre veut dire. Pourtant, en littérature, le Nouveau
Roman ébranle cette conception, précisément dans les années 50 au moment où la
cinéphilie s’engouffre dans cette théorie. On peut se demander alors comment des
enseignants, majoritairement issus d’études de Lettres peuvent adapter cette notion,
littéraire au départ, et très ancrée dans la conception du film comme écriture, on l’a
vu.
Cette théorie a été critiquée au cinéma comme en littérature. On lui a reproché de
tomber parfois dans l’écueil du biographisme : la vie de l’auteur permettant de
mieux comprendre son œuvre. C’est ce qui peut expliquer la distribution de
« fiches » sur l’auteur que l’on rencontre souvent dans les cours de cinéma de lycée.
On rencontre aussi cette prédisposition dans les outils pédagogiques destinés aux
élèves ou aux enseignants qui ne font pas l’économie d’une partie sur « la vie » du
réalisateur : date de naissance, enfance, premiers films, etc. Pourtant, comme l’a
souligné L. Jullier :
« Les connexions entre la vie et l’oeuvre obéissent à des schémas d’action si
insaisissables parfois qu’il vaut mieux, la plupart du temps, les mettre de côté
sous peine de sombrer dans la téléologie à la petite semaine. »569
Ce constat est vrai communément pour les films et les livres. Dans les études
littéraires, l’analyse de l’œuvre par la « psychologie » de son auteur fait l’objet de
théories bien identifiées et de critiques qui rejoignent celles que L. Jullier formule
ainsi.
En outre, comme je l’ai déjà dit et cette remarque relève sans doute de la
lapalissade, les intentions du metteur en scène sont plus ou moins contraintes par la
réalité d’un tournage ou d’une production cinématographique. Le caractère
éminemment collectif du cinéma emmène aussi souvent à relativiser la posture
auteuriste qui présuppose que le film est l’œuvre d’un seul. Les critiques qui sont le
569
JULLIER Laurent, Qu’est-ce qu’un bon film ?, op. cit. p. 178.
- 321 -
plus souvent faites à cette approche théorique – comme celle de N. Burch par
exemple – souligne le fait que la glorification du metteur en scène-auteur détourne
l’attention du discours tenu par le film ou de l’idéologie dont il se trouve porteur.
On retombe là sur des prédispositions propres au formalisme qui ne font que
s’exprimer davantage ou se confirmer dans l’auteurisme. N. Burch par exemple
remarque :
« Hawks est un “intouchable maître”, son conservatisme est hors sujet, sa
misogynie va sans dire, elle est transparente, un trait d’auteur, tout au plus –
du moins pour un etablishement critique presque entièrement masculin. »570
Le metteur en scène ainsi « starifié » détourne l’attention du discours tenu par le
film ou de l’idéologie dont il se trouve porteur.
Devant cette remise en cause, beaucoup de théoriciens tentent d’échapper à la
notion d’auteur en lui substituant une « instance » plus « désincarnée » comme J.
Aumont, A. Bergala , et M. Vernet qui, dans l’Esthétique du film, parlent
de « “l’instance narrative” pour désigner le lieu abstrait où s’élaborent les choix
pour la conduite du récit et de l’histoire ».571Pourtant « l’auteur », on l’a vu, n’a pas
déserté les textes officiels et l’on constate qu’il reste un élément incontournable des
études cinématographiques en lycée. Dématérialiser l’auteur en « instance »
n’empêche pas un réflexe très répandu chez le spectateur qui consiste quand même
à dire qu’il va voir « un film de Woody Allen » ou « le dernier Tarantino ». La
sphère médiatique, dont on a déjà souligné la puissance, a permis à l’auteur de se
faire une place non seulement dans la théorie du cinéma, mais aussi dans les façons
pragmatiques d’envisager le film et de le rattacher à une figure identifiable, faite de
chair et d’os, sur laquelle on puisse adosser la responsabilité du film, son sens, son
existence même. L’intention d’auteur devient ainsi une construction interprétative
élaborée à partir des données du film, ou des données para-textuelles (interviews,
stratégie de promotion, etc.) et qui se situe donc autant du côté de la réception que
du côté de la fabrication du film. Pierre Sorlin rattache ce besoin d’auteur à une
570
BURCH Noël, Revoir Hollywood, la nouvelle critique anglo-américaine, Paris : Nathan, 1993, p. 87.
AUMONT Jacques, BERGALA Alain et VERNET Marc, L’Esthétique du film, Paris : Armand Colin,
coll. « Armand Colin cinéma », 3e édition, 2004, p. 78-79.
571
- 322 -
posture très culturelle :
« N’y a-t-il pas là une façon de voir parfaitement cohérente avec notre
philosophie du sujet agissant ? On y tient compte en effet de l’effort, du
travail, de tout ce qui met l’individu au défi et l’oblige à se surmonter ; à cela
s’ajoutent créativité et force d’expression, autrement dit deux moyens
privilégiés pour caractériser une personne, pour l’extraire de la masse
anonyme. »572
Pédagogiquement parlant, c’est un concept que les élèves utilisent parfois
maladroitement, abusant de la formule : « le réalisateur dit que… ». La notion
mérite donc d’être explicitée et envisagée dans ces avatars théoriques, mais c’est
aussi une stratégie très simple de production de sens sur laquelle il faut sans doute
savoir rebondir. C’est précisément dans le cadre de l’analyse filmique que ces
conceptions se mettent à nu. Il convient donc maintenant d’étudier précisément les
modalités de la pratique de l’analyse filmique en lycée.
3.3.4 Conclusion
Pour résumer les paradigmes qui se dégagent des programmes officiels des
enseignements CAV, je dirai que :
- sont dominantes les représentations immanentistes de l’œuvre d’art,
considérée en dehors de sa réception ;
- l’œuvre est abordée par sa forme – parfois envisagée comme une
« structure » – qui détermine précisément sa dimension artistique. Partant,
logiquement, domine une vision téléologique de l’art qui culmine dans sa
« modernité » autotélique qui valorise une certaine « nouveauté » lorsque celle-ci
apparaît un point d’aboutissement de l’utilisation du médium ;
- sont dominantes les conceptions auteuristes principalement promulguées,
historiquement, par les Cahiers du cinéma qui confirment que la cinéphilie
572
SORLIN Pierre, « L’auteur, miroir du critique », IRIS, n° 28, 1999, p. 95.
- 323 -
« moderne » est devenue une cinéphilie académique que les programmes scolaires
avalisent et promulguent.
Ces paradigmes ne sont pas conscientisés, ils apparaissent comme des évidences
qu’aucune interrogation historiographique ou théorique ne semble devoir venir
invalider. En cela, les textes révèlent que leurs auteurs ne sont conscients ni de leur
dimension discutable, ni de leurs « erreurs » épistémologiques, et encore moins de
leur dimension sexiste.
Une fois ces conceptions de l’œuvre et leur influence sur les programmes
délimitées, j’ai voulu voir comment elles « travaillaient » l’exercice spécifique qu’est
l’analyse filmique. Je suis donc repartie de mes hypothèses: l’influence du
formalisme, de l’immanentisme et du structuralisme pour évaluer ces influences
théoriques sur les analyses filmiques telles qu’elles sont proposées en lycée dans le
cadre de l’enseignement artistique « cinéma et audiovisuel ».
- 324 -
4 - THÉORIE, PRATIQUES ET
MÉTHODES POUR L’ANALYSE
FILMIQUE.
- 325 -
4.1
Préambules
4.1.1 L’ekphrasis
Le travail nodal des études cinématographiques en lycée consiste à parler sur les
films, rejouant ainsi l’exercice de l’ekphrasis tel que le définit Daniel Arasse pour la
peinture :
« Un des principes de base de cette rhétorique tient à ce que la description,
exercice d’entraînement scolaire, doit “mettre devant les yeux” l’image
absente. Or on ne peut le faire qu’en rendant compte de ses détails, et les
exigences propres à ce genre de discours tendent à faire relever par l’orateur
ce qui se prête commodément à une description circonstanciée et éloquente :
ressemblance détaillée de l’image à son référent, capacité expressive des
physionomies, variété et abondance des éléments de la représentation. Une
peinture est digne d’éloges si elle soutient les efforts descriptifs et si,
possédant ces qualités, elle permet au discours de développer ses propres
prestiges. »573
« La description circonstanciée et éloquente », c’est bien le travail d’interprétation
qui passe par le goût du détail que l’on voit dans l’œuvre et qui « permet au discours
de développer ses propres prestiges ». Marcelle Hignette, dans les Cahiers
pédagogiques en 1956 , établit un rapport entre la didactique des Lettres, l’ekphrasis en
peinture, et l’introduction du cinéma dans les établissements scolaires :
« Le ciné-club, comme les explications picturales, appartient au professeur de
Lettres. »574
Et cette démarche semble rencontrer celle des cinéphiles des ciné-clubs d’avant
comme d’après-guerre. F. Desbarats, à propos des « cinéphiles » dans les années 60
– il s’appuie sur l’exemple de R. Bordes – remarque que :
« Le goût du commentaire savant et de l’interprétation fait partie de leur
culture (…) Cette transmission s’est effectuée hors de l’école, mais elle a
revêtu certains attributs typiquement scolaires de la constitution d’une
compétence et de savoirs. (…) S’y créa une intellectualité saturée de parole,
parfois d’écriture, où une familiarité directe s’opposait au régime distant de
573
574
ARASSE Daniel, Le détail. Histoire rapprochée de la peinture, Paris : Flammarion, 1996, p. 142.
HIGNETTE Marcelle, Cahiers pédagogiques, n° 8, 15 juin 1956, Paris : Edition CRAP, p. 625.
- 326 -
l’intellectualité universitaire. »575
Parler des films, les commenter, les interpréter sans vraiment les analyser – c’est-àdire sans aborder la théorie du cinéma considérée comme « territoire » de
« l’intellectualité universitaire » – telle semble être la posture de la cinéphilie
académique proche de l’activité critique. L’élégance du beau style permet encore et
toujours un pouvoir discriminant de « distinction » :
« Une figure de style ou un mot n’est jamais qu’une altération de l’usage et
par là une marque distinctive. »576
On l’a vu (2.3) : formés par la littérature et recrutés sur leur aisance stylistique, les
professeurs de Lettres, qui restent comme je l’ai dit majoritaire dans l’enseignement
de CAV, font parfois du « beau commentaire » une fin en soi, un exercice dans
lequel, parce qu’ils excellent, ils trouvent effectivement la légitimation d’une
supériorité sur l’élève. L’ekphrasis conçue comme une « description interprétative »
apparaît comme un exercice de prédilection, plus que l’activité de réflexion
théorique. On semble alors retomber sur un postulat cher à P. Bourdieu :
« La seule intention de parler scientifiquement de l’œuvre d’art ou de
l’expérience esthétique ou plus simplement d’abandonner le style de
l’essayisme qui, moins soucieux de vérité que d’originalité, préfère toujours le
piquant de l’idée fausse à la platitude de l’idée vraie est vouée à apparaître
comme une des dégradations sacrilèges auxquelles se complaît le
matérialisme réducteur et, par là, comme l’expression d’un philistinisme qui
dénonce ce qu’il est incapable de comprendre ou, pire, de sentir. »577
Il convient encore de vérifier l’influence de la critique issue de la cinéphilie des
années 60 sur la pratique de l’analyse filmique en lycée, influence qui signerait une
éventuelle opposition entre ces enseignements et ceux, plus théoriques, dispensés à
l’université.
En ce qui concerne le cinéma, le travail pédagogique dans le système
575
DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du cinéma dans les lycées, op.
cit., p. 251 et 253.
576
BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, op. cit., p. 250.
577
Ibid., p. 574, note 17.
- 327 -
d’enseignement fonctionne autour de deux axes principaux : l’enseignement
théorique et culturel et l’enseignement pratique578. L’analyse de l’œuvre, son
ekphrasis, s’inscrit dans le volant théorique et culturel. Mais aucune description n’est
jamais neutre, et décrire, c’est déjà se soumettre à un biais théorique, parfois plus
ou moins consciemment. J’aborde donc ici l’enseignement théorique du cinéma tel
qu’il est pratiqué en lycée à travers l’exercice particulier que l’on appelle
communément « l’analyse filmique ». Cet exercice est présent dans le contenu
quotidien des cours et, dans le cadre de l’enseignement de spécialité, au
baccalauréat, sous la forme d’un oral d’1/4 d’heure environ portant sur un extrait
de quelques minutes d’un des films au programme que le candidat doit préparer
pendant 20 min.
4.1.2 L’apprentissage terminologique
L’École française transmettant la connaissance principalement par la langue, le
langage du professeur est à la fois très normé et très normatif. Par ailleurs, l’École
produit du commentaire sur les œuvres qu’elle étudie et la pratique de l’analyse
filmique (qui est littéralement une glose) est un des points communs à toutes les
formations audiovisuelles proposées en lycée. Mes expériences de terrain ont attiré
mon intention sur la dimension très « terminologique » de l’enseignement du
cinéma, la prolifération des « listes » de vocabulaire (de termes techniques, de
profession du cinéma…), l’attente et l’évaluation de l’utilisation du « terme
approprié ». Martine par exemple, professeur de Terminale579 et examinateur pour le
baccalauréat, m’a dit trouver inadmissible qu’un candidat ne sache pas « nommer
les types de raccords » lors de l’épreuve orale du baccalauréat. Il convient donc
d’étudier cette utilisation du glossaire et de tenter d’expliquer ce dont elle procède.
578
« Cet enseignement repose sur une articulation étroite entre pratique artistique et approche culturelle. »,
BO spécial n° 9 du 30 septembre 2010, classe de Première et Terminale, op. cit. La formule était déjà
présente dans le BO de 2001.
579
Entretien déjà cité le 16 décembre 2008.
- 328 -
Il me semble en fait qu’elle révèle deux faces d’un même problème : une utopie
normative, c’est-à-dire l’illusion d’un pouvoir qu’auraient les mots de niveler, voire
d’évacuer, le problème de leur définition, et le problème général du sens. Ainsi,
même la formulation courante et officielle : « le cinéma » est problématique, car elle
postule une vision essentialiste, indépendante de toutes les formes que le terme
recouvre, un modèle originel à partir duquel tous les autres se déclineraient, et donc
une façon d’ériger un dogme conceptuel sur des bases mouvantes que l’on ne
délimite jamais vraiment. Ce sont peut-être ces « abus de langage » qui « bloquent »
le travail de définition, en donnant l’impression qu’il est inutile puisque « tout le
monde comprend bien ce que ça veut dire ». Cette confiance dans le pouvoir du
mot pour définir le concept gêne sans doute aussi l’interdisciplinarité, surtout si l’on
considère qu’un mot prend tout son sens dans un certain champ conceptuel,
forcément limitatif et exclusif d’un autre. Ainsi, on dit « le cinéma » et le terme
même, érigé en concept, cache la variabilité de ses sens et de ses approches
théoriques, révélant une prédisposition des textes eux-mêmes à l’unification abusive
du divers. Mais on pourra arguer, bien sûr, qu’il faut bien des mots pour
s’entendre…Car finalement, pourquoi semble-t-il si nécessaire de savoir
« nommer » ? Tout d’abord sans doute, pour pouvoir utiliser le jargon des
spécialistes, et se donner l’illusion « d’en être ». Peut-être aussi pour s’assurer une
forme de légitimité, et enfin pour donner l’illusion d’une unification des pratiques,
là où justement les pratiques sont variables et susceptibles d’évolutions.
Bien sûr, le « vocabulaire du cinéma » a aussi une dimension « rassurante », dont j’ai
souvent entendu témoigner les élèves et étudiants : « maintenant c’est mieux, je sais
“comment ça s’appelle” quand la caméra fait ce mouvement »580. La distribution de
listes de termes relevant du « langage cinématographique » (avec toutes les
ambiguïtés du mot « langage » dans cette expression) est une pratique courante
dans les lycées. J’ai rencontré des professeurs qui font des contrôles d’identification
580
Entretien avec Paul, ancien élève de l’enseignement de spécialité, le 17 mars 2010.
- 329 -
de formes à partir de la projection d’une séquence cinématographique : combien de
raccords, comment les nomme-t-on, etc.581 La question que soulève cet
apprentissage est chronique d’un point de vue pédagogique. C’est d’ailleurs un
débat qui a, semble-t-il, été très présent dans les discussions lors de la rédaction des
textes officiels dès les origines des enseignements582. La question peut se résumer
ainsi : faut-il mettre les élèves directement en face des films et leur donner des
outils d’analyse dans un deuxième temps, ou faut-il précisément faire le contraire :
donner les outils d’abord ? Formulé autrement : faut-il d’abord « apprendre à dire »
ou donner d’abord le goût des films ?
Le « vocabulaire technique » est le plus souvent conçu comme une « boîte à outils »
nécessaire pour « lire » un film. Pourtant, cette terminologie commune pour lire le
cinéma est un préalable nécessaire, mais sans doute pas suffisant. Un constat
pragmatique s’impose : certains élèves maîtrisent parfaitement ce vocabulaire et
pour autant réussissent mal leurs analyses filmiques, précisément parce que cette
boîte à outils, loin de les dépanner, les paralyse, ou plus simplement parce qu’ils
l’utilisent à mauvais escient. Certains ont l’impression que pour être pertinents, il
faut multiplier les remarques formelles et, du coup, déploient cette compétence au
détriment de l’élaboration d’un sens. On retrouve là un écueil que connaissent bien
les enseignants de français : le repérage et la dénomination des « figures de style »
aux noms barbares que l’on veut à toute force faire entrer dans la tête des élèves ne
les empêchent pas de penser, même s’ils connaissent par cœur la définition
stylistique de l’ironie, que le texte « De l’esclavage des nègres » de Montesquieu est
un texte raciste.
En outre, d’un point de vue pédagogique, l’acquisition progressive d’un
« vocabulaire du cinéma » induit une entrée dans la matière par un morcellement
des connaissances : d’abord les cadrages, puis les mouvements de caméra, puis le
montage, puis le son, ce qui prédispose d’emblée l’apprenant au danger d’une
dérive formaliste de l’analyse. Pour éviter l’écueil, il s’agirait d’utiliser le vocabulaire
581
582
Voir quelques exemples de photocopies distribuées aux élèves du lycée Léon Blum à Créteil en annexe.
J’en réfère à ma discussion sur ce sujet avec Roger Odin.
- 330 -
spécialisé en étant conscient qu’il n’a pas de valeur en lui-même, donc qu’il n’est
pas évaluable en tant que tel, mais qu’on l’utilise parce qu’il est adéquat et largement
partagé et surtout qu’il évite des développements trop longs.
Ce goût pour la transmission des termes de vocabulaire spécifiques relève aussi, me
semble-t-il, de l’idée selon laquelle l’enseignement du cinéma ne doit surtout pas
consister à parler simplement de ce dont parle le film, y compris avec les outils de
la langue française commune. Certains professeurs méprisent profondément cette
posture qui est implacablement qualifiée de « paraphrase », annotation que j’ai
retrouvée souvent sur les copies d’élèves. L’idée est qu’en utilisant « le mot juste »,
on échappe à la « discussion de comptoir », à la réception majoritaire et donc au
discours du non-spécialiste, car l’École encourage à déployer ce que N. Burch
appelle la « supériorité de l’adepte cultivé »583. Le commentaire des œuvres entre
alors dans d’autres enjeux et en particulier, encore une fois, dans un enjeu de
distinction (au sens bourdieusien du terme) qui explique sans doute certaines
pratiques professorales. Cette obsession du lexique recoupe des présupposés
formalistes et, j’y reviendrai, un certain mépris de l’investissement pragmatique du
sens. Notons que les rapports de jury des concours de recrutement abondent
pourtant dans le sens d’une certaine méfiance envers ce lexique « spécialisé ». Dans
le rapport du jury de l’épreuve d’analyse filmique de l’agrégation interne de Lettres
classiques de 1993, les auteurs précisent :
« Comme dans l’explication de textes, comme dans la leçon traditionnelle, la
terminologie conceptuelle n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas l’outil qu’il
faut montrer, mais le produit achevé, c’est-à-dire la promotion d’un
sens (…) Dans le cas contraire, le lexique spécialisé importune vite Il
n’éclaire pas plus le sens que le Diafoirus n’éclaire la médecine. Mieux vaut
encore s’en passer. »584
La mise en garde est très claire… et pourtant.
583
BURCH Noël, De la beauté des latrines, pour réhabiliter le sens au cinéma et ailleurs, Paris : L’Harmattan, coll.
« Champs visuels », 2007, p. 58.
584
CHABANNES Roland, SAVOY Bernard, « Leçon portant sur l’œuvre cinématographique inscrite au
programme », Rapport de jury de l’agrégation interne de Lettres classiques, Paris : Édition du CNDP, 1993, p. 51.
- 331 -
4.2
Présupposés et théories à l’œuvre dans l’analyse
filmique
Disons d’emblée et à titre de préalable que l’analyse filmique assure à certaines
œuvres un statut d’œuvres « propices à l’exégèse », qui permet la multiplication des
discours. On retombe là sur une caractéristique de la cinéphilie « académique »
directement issue du discours du critique professionnel :
« Pour les critiques de la Nouvelle Vague, le fait qu’un film se prête à la
description intelligente et passionnée du projet de son auteur suffit à justifier
son intérêt. La cinéphilie moderne systématise ce point de vue en faisant du
film un visage non seulement de l’auteur, mais de son spectateur, du
cinéphile lui-même qui prend la parole pour le défendre. »585
L’ekphrasis définie par D. Arasse (4.1.1) comme « description intelligente » se trouve
bien au cœur de l’exercice scolaire de l’analyse filmique. Ce travail d’interprétation
peut se faire sous différentes formes, et la défense d’une forme particulière qu’il
doit prendre fait parfois le succès de spécialistes de l’enseignement du cinéma. A.
Bergala, par exemple, s’est illustré en défendant l’idée d’une « lecture créatrice et
pas seulement analytique ou critique »586. C’est bien le « projet de l’auteur » qu’il
invite à cerner et à expliciter, ce qui correspond à ce qu’il appelle une « analyse de
création » :
« Il s’agit de faire l’effort de logique et d’imagination de remonter un peu en
amont dans le processus de création, jusqu’au moment où le cinéaste a pris
ses décisions, où les choix étaient encore ouverts » 587.
L’approche qu’A. Bergala recommande dans les classes permet selon lui au
professeur de ne pas « se crisper sur un savoir sécurisant »588. Cette approche du
« geste de création cinématographique » ne peut se faire que si on est « d’abord un
bon spectateur ». On voit comment se lient, dans l’exercice de l’analyse filmique, les
compétences d’un auteur, dont il faut savoir décrypter les intentions, et les
585
JULLIER Laurent, J.-M. LEVERATTO Jean-Marc, Cinéphile et cinéphilie une histoire de la qualité
cinématographique, op. cit., p. 123.
586
BERGALA Alain, L’Hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 66.
587
Ibid., p. 129.
588
Ibid., p. 127.
- 332 -
compétences d’un « bon spectateur » qui pourra ensuite prétendre être « un bon
critique ou un bon analyste »589. A. Bergala défend ainsi sa différence :
« L’analyse de création, contrairement à l’analyse filmique classique – dont la
seule finalité est de comprendre, décrypter, “lire le film” comme on dit à
l’école – préparerait ou initierait à la pratique de création. »590
Pour A. Bergala la construction d’un discours esthétique n’est possible que pour un
spectateur rendu expert par la fréquentation des œuvres qui témoignent d’un
« projet de son auteur ». Ce discours esthétique justifie par ailleurs une compétence
de création. Or c’est exactement ce que revendiquaient les réalisateurs de la
Nouvelle vague dans les années 60 : si Truffaut prend de haut la « Qualité
française », c’est parce qu’il estime que ses compétences de cinéphile l’autorisent à
traiter avec condescendance le travail technique et à lui substituer un « vrai » travail
de créateur591. Ici encore, les recommandations pédagogiques rejoignent la doxa
critique de la cinéphilie « moderne ».
Dans une autre optique, les textes officiels des programmes veulent encourager
l’« esprit critique » des élèves contre l’envahissement des images médiatiques des
industries culturelles. On rejoint là un paradigme que nous avons déjà rencontré
dans le RHCEA : le paradigme de l’art comme résistance face au non-art. Or en
tant qu’elle est un discours esthétique, l’ekphrasis n’est pas une démarche intuitive
ou pragmatique. Il ne s’agit pas d’étudier ce que les élèves pourraient retirer d’un
film en dehors d’une perspective esthétique sans cesse valorisée. Si l’on en croit J.M. Leveratto, c’est une posture tout à fait représentative de l’École en général :
« La défense de l’héritage républicain et la volonté de préserver les masses
des dangers de la “culture de masse” américaine ont entraîné, à partir des
années 30, une idéalisation de l’efficacité de l’expertise technique de l’artiste
589
Ibid., p. 131.
Ibid., p. 129.
591
Yann DARRÉ a mis en lumière les tensions dans l’espace public et sur les plateaux de tournage entre les
réalisateurs de la Nouvelle vague et les techniciens du cinéma formés, à l’époque, par l’IDHEC, in « Les
créateurs dans la division du travail. Le cas du cinéma d’auteur », in MOULIN Raymond (dir.), Sociologie de
l’art, Paris, La documentation française (réédition 1999, Paris : L’Harmattan).
590
- 333 -
et l’exagération de l’autonomie de l’art. »592.
Plutôt que d’« idéalisation de la compétence technique de l’artiste », je parlerais à
l’École de « lecture esthétique de l’oeuvre comme produit de l’artiste », ce qui
effectivement apparaît prédominant dans l’exercice de l’analyse filmique. La
prolifération de l’analyse filmique dans l’enseignement du cinéma en lycée
trouverait donc ici un point nodal :
« La focalisation des études sur la signification plastique de l’oeuvre d’art a
favorisé la neutralisation de l’ancrage biologique et social du plaisir
artistique. »593.
Le présupposé est lourd et rejoint sans doute l’opposition entre l’esthétique
populaire fondée selon P. Bourdieu sur « l’affirmation de la continuité de l’art et de
la vie, qui implique la subordination de la forme à la fonction »594 et une cinéphilie
qui défend et promeut le primat à la forme. C’est donc toute une conception de
l’œuvre d’art qui permet de comprendre les modalités et les mises en œuvre de son
analyse dans le cadre de l’enseignement artistique en lycée. Ainsi, l’École véhicule
un modèle d’opposition qui semble recouper celle qui structure, dans La Distinction,
l’opposition entre esthétique populaire et esthétique dominante que je résume ici
sous forme de tableau volontairement simplifié :
Esthétique populaire
Croire
naïvement
Esthétique savante
aux
choses Détachement du regard de l’analyse
représentées
critique
Fonction
Forme
Humain
Spirituel
Éthique
Esthétique
Abandon
Retenu
592
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 271.
Ibid., p. 272.
594
BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, p. 16.
593
- 334 -
Participation
Recul
Satisfaction immédiate
Satisfaction non immédiate
Jugement dépendant de la sensation
Jugement indépendant de la sensation
Chose représentée doit mériter de Indifférence pour la chose représentée
l’être
Intérêt affectif
Désintérêt affectif
Normalité
Transgression
Pragmatisme
Idéalisme
Expérience de l’oeuvre
Contemplation de l’oeuvre
Reconnaître
Voir
Facile
Difficile
Répétition
Innovation
Il est intéressant de mettre ce tableau en regard avec le Précis d’analyse filmique de
Francis Vanoye et Anne Goliot-Lété595, commande institutionnelle de cadrage
méthodologique publié en 1992 qui s’adresse précisément aux lycéens qui passent
l’oral du baccalauréat A3. L’introduction du livre propose également un tableau, qui
dissocie le « spectateur normal » de « l’analyste » et que je reproduis littéralement
ici :
595
GOLIOT-LÉTÉ Anne, VANOYE Francis, Précis d’analyse filmique, Paris : Armand Colin, Coll. « 128 »,
réédité en 2009, p. 13.
- 335 -
Spectateur normal
Analyste
Passif, ou plutôt, moins actif que Actif, consciemment actif, actif de façon
l’analyste, ou plus exactement encore, raisonnée, structurée
actif de façon instinctive, irraisonnée
Il perçoit, voit et entend le film, sans Il regarde, écoute, observe, visionne le
visée particulière
film, guette, cherche des indices
Il est soumis au film, se laisse guider par Il soumet le film à ses instruments
lui
d’analyse, à ses hypothèses
Processus d’identification
Processus de distanciation
Pour lui, le film appartient à l’univers de Pour lui le film appartient au domaine
loisirs
de la réflexion, de la production
intellectuelle
plaisir
travail
On est frappé par la ressemblance entre ce tableau et la manière dont P. Bourdieu
oppose la culture savante et la culture populaire : l’École plébiscite clairement
l’approche savante, celle de l’analyste, et rejette du côté du « plaisir » et des
« loisirs » le « spectateur normal ». La hiérarchie qui en découle est claire : le
« spectateur normal » est aussi un spectateur « soumis ». Ce qui semble plus
frappant c’est la dichotomie – pour ne pas dire la schizophrénie – de ce
« spectateur », qui va tout à fait contre les démonstrations de l’anthropologie du
spectacle, et qui paraît pourtant structurer toute l’approche pédagogique ou
méthodologique de l’analyse des films.
Ce sont ces différentes approches possibles de l’œuvre et de son sens que je vais
tenter de mettre en perspective ici. Si la façon d’analyser l’œuvre dépend de la
conception qu’on a de l’art en général, il convient également de s’interroger sur les
présupposés théoriques de l’acte même d’analyser.
- 336 -
Il convient de faire ici un petit détour par la littérature. Si l’on retourne à La Poétique
d’Aristote, l’analyse est en elle-même un acte « poétique » de théorisation, une
poétique se définissant comme un discours normatif valable pour une école ou
pour une époque et qui prétend énoncer ce que l’œuvre d’art doit être :
« La poétique se propose donc de dégager les concepts qui permettent de
saisir le fait littéraire à la fois dans son unité et dans la diversité de ses formes
historiques. Ainsi, sa fonction ne réside pas dans la description et l’évaluation
des œuvres individuelles (c’est là une des fonctions de la critique), mais dans
l’analyse de leur statut littéraire. L’objet propre de la poétique n’est donc pas
l’œuvre littéraire, mais la fonction littéraire. »596
La théorie du cinéma est en fait assimilable à ce que les études littéraires nomment
la critique littéraire. En témoigne le livre de Jean-Yves Tadié : La critique littéraire au
XXe siècle597, qui est une réflexion sur les différentes façons dont, au cours du
temps, la notion d’œuvre a été envisagée, et qui décrit comment se sont élaborés de
véritables « systèmes » d’analyse des œuvres, qui se sont matérialisés par de
nouveaux « outils » pour produire du sens. On peut citer G. Genette qui, dans le
champ de la littérature, est considéré comme un « théoricien » et que J.-Y. Tadié
appelle un « critique ». En abordant l’œuvre d’un point de vue narratologique (un
système théorique), G. Genette a explicité l’utilisation de nouveaux outils d’analyse
de l’œuvre littéraire comme la focalisation, par exemple. À travers chaque système
théorique se dit une certaine manière d’envisager la littérature et ses modes de
production de sens, et, à partir de ce système théorique, l’analyse littéraire va
disposer de nouveaux outils pour étudier les textes. Dans le champ universitaire, il y
aura alors ceux qui défendent la narratologie, ceux qui ne veulent plus l’utiliser,
ceux qui la remettent en cause, etc. Bref, chaque théorie aura son lot de succès, de
remises en question, d’effets de mode, d’objets sur lesquels elle s’avère inopérante,
etc., sans que l’on puisse dire à chaque fois qu’elle épuise les possibilités de sens
596
SCHAEFFER Jean-Marc, article « Poétique », in Les notions philosophiques, dictionnaire-encyclopédie
philosophique universelle, tome 2, sous la direction de André JACOB, volume dirigé par Sylvain AUROUX,
Paris : PUF, 1990, p. 1972.
597
TADIÉ Jean-Yves, La critique littéraire au XXe siècle, Paris : Pocket, coll. « Pocket Agora », réed. 2005.
- 337 -
d’une œuvre.
En ce qui concerne les études cinématographiques, la démarche est identique,
même si l’objet d’étude est bien sûr différent. Des théoriciens dans le champ du
cinéma – que l’on n’appelle donc plus des « critiques » – se sont, au cours du XXe
siècle, interrogés sur les manières dont un film produisait tel ou tel effet, sur les
modalités d’interprétations possibles de ces effets et finalement sur ce qui fait qu’un
film est ce qu’il est. Globalement une théorie correspond donc à une certaine
modalité de production de sens. Elle est donc particulièrement à l’œuvre dans
l’exercice d’analyse filmique. Il s’agit à chaque fois, quelle que soit l’approche,
d’envisager les choix techniques, artistiques, économiques, éthiques qui ont présidé
à la fabrication du film et, à l’autre bout de la chaîne, les façons dont le film est reçu
par un public. C’est ici que se niche ce que l’on pourrait appeler le « débat
théorique ». Autour d’un film, certains théoriciens vont privilégier l’analyse des
choix esthétiques, d’autres l’analyse des choix économiques, d’autres encore vont se
placer du côté de la réception, estimant que le sens d’un film dépend du spectateur
qui le regarde, d’autres vont faire tout cela à la fois, etc.
On peut tenter alors de réfléchir aux différentes théories poétiques et tenter d’en
faire une typologie :
- Les théories mimétiques reposent sur la ressemblance de l’œuvre avec le
monde et définissent donc l’œuvre comme représentation. La valeur de l’œuvre se
mesure en fonction de son degré de ressemblance avec le référent.
- Les théories pragmatiques étudient l’œuvre dans son rapport avec son
récepteur, et donc, dans une perspective cinématographique, envisagent la coconstruction du film par l’activité de réception. Il peut s’agir aussi de l’étude des
« effets de lecture » de l’œuvre sur le spectateur.
- Les théories expressives défendent une image de l’œuvre comme étant le
produit et le résultat de la sensibilité particulière d’un artiste. On rejoint là une
vision romantique de l’œuvre d’art et du film : la « politique des Auteurs » des
- 338 -
Cahiers du cinéma semble dans une certaine mesure aller dans ce sens, j’y reviendrai.
- Les théories objectives considèrent que la littérarité de l’œuvre ne réside pas
dans ses relations avec le spectateur, la réalité ou l’artiste, mais dans sa structuration
interne.
Finalement, le « débat théorique » dans le champ des études cinématographiques
oppose deux camps. Ceux qui pensent l’œuvre comme immanente contenant son
sens en elle-même, dans ses structures profondes ; et ceux qui pensent que le film
n’existe pas en dehors des usages que l’on en fait et que le sens est le fruit d’une coproduction, d’un échange entre le film et le spectateur, ou plus largement entre le
film et un public. Tous ces positionnements théoriques ont leur utilité, leur histoire,
leur origine, leur représentant, leur texte fondateur, etc. Loin de moi l’idée d’établir
une hiérarchie entre eux ou d’arbitrer les débats qu’elles engagent. Simplement, le
fait est que parfois, et particulièrement dans le cadre du lycée, ces théories sont
utilisées « sans le savoir », comme Monsieur Jourdain fait de la prose. Face à un
film, chacun s’appuie sur ses intuitions, emprunte des outils à droite ou à gauche
pour produire une interprétation, pour essayer de trouver ce que le film « veut
dire ». On s’interroge assez peu finalement sur les modalités de production de sens,
leurs présupposés théoriques et partant sur la possibilité ou la pertinence qu’il y
aurait à produire du sens autrement et avec d’autres outils.
Je passerai donc en revue les conceptions théoriques dominantes à l’œuvre dans les
analyses de film enseignées à l’École.
4.2.1 L’héritage
de
la
linguistique :
structuralisme et sémiologie
J’ai constaté dans ma partie précédente que l’œuvre d’art était principalement
envisagée comme une forme et une structure close sur elle-même. Si les œuvres
sont appréhendées ainsi, il est logique que ces présupposés agissent également dans
- 339 -
le cadre de leur analyse. Partons d’un constat que faisaient Jacques Aumont et
Michel Marie, dans leur classification des analyses des films, en 1988 :
« C’est avant tout l’apparition, vers 1965-1970, dans un contexte
majoritairement universitaire ou para-universitaire et en étroite liaison avec
les débuts d’une théorie moderne du cinéma, d’un genre d’analyse, plus
poussée, plus systématique – ce qu’on a un peu abusivement appelé
“l’analyse structurale”. »598
Très en vogue dans les années 60-70, l’ « analyse structurale » tient son origine des
théories structuralistes en littérature et en anthropologie, principalement véhiculées
par l’œuvre de Claude Lévi-Strauss. Le structuralisme français a repris et développé
(très tardivement) l’idée de structure narrative. Le structuralisme est donc aussi un
formalisme dans le sens où il s’intéresse principalement à des récurrences formelles.
À l’instar de Vladimir Propp, la plupart des structuralistes français s’intéressent
avant tout à la structure narrative et à ses invariants. L’ambition méthodologique
des structuralistes est de développer un système catégoriel qui permettrait
d’identifier des éléments narratifs (essentiellement des syntagmes et des rôles) et
leur possibilité d’enchaînement dans une structure d’analyse. Les analyses
structurelles et en particulier celles de Algirdas Julien Greimas et de Tzvetan
Todorov se situent à un grand niveau d’abstraction, l’ambition étant de couvrir un
corpus de textes très large, pour établir des modèles de narration très généraux
indépendants d’un genre littéraire ou d’un type de texte spécifique. Ces théoriciens
s’attachent en général à dégager les principes profonds de base d’un phénomène.
On doit la récupération de cette ambition catégorielle pour le cinéma à C. Metz,
principalement dans La Grande syntagmatique du film de fiction publié dans la revue
Communications599. Il s’agit pour C. Metz d’étudier comment le cinéma est structuré,
quel est le fonctionnement de cette « architecture sous-jacente » qui lui permet de
produire du sens. Parmi ces « grandes structures », la manière dont des
« syntagmes » (la plus petite unité sémantique) peuvent être reliés entre eux par le
598
AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, Paris : Armand Colin, coll. « Armand Colin
cinéma », 1988, p. 4.
599
METZ Christian, « La grande syntagmatique du film narratif », in Communications, volume 8, 1966, pp.
120-124.
- 340 -
montage fait partie des éléments que les travaux de C. Metz abordent
particulièrement.
En 1961, est créée l’École Pratique des Hautes Études qui prévoit des séminaires
de R. Barthes, C. Metz et A.-J. Greimas, qui contribueront à diffuser leurs postures
théoriques et méthodologiques aussi bien dans le champ de la didactique des
Lettres que dans celui de l’enseignement du cinéma. Cette diffusion s’opère sans
doute aussi par la publication, en 1966, d’un livre souvent citer comme référence :
Le Professeur et les images600 de Michel Tardy qui s’appuie sur les théories de C. Metz.
Il conclut par exemple une analyse du Désert rouge d’Antonioni par cette phrase qui
semble relever d’une influence – et aussi sans doute d’une simplification –de la
théorie sémiologique :
« Tous les signifiants renvoient aux mêmes signifiés et c’est leur convergence
signifiante qui donne à chacun d’eux sa valeur. »601
Parallèlement, les Cahiers du cinéma publient des entretiens avec C. LeviStrauss (n° 156, juin 1964) et R. Barthes (n° 147, septembre 1963 p. 20-30)
confirmant l’interdisciplinarité de ces théories et leur « infusion » dans le milieu
cinéphilique des années 60. On peut évoquer aussi, en 1964, l’influence de l’ICAV
(Initiation à la Culture Audiovisuelle), qui, sous l’impulsion de René La Borderie,
devenu directeur du CRDP en 1964, permet l’intervention en milieu pédagogique
de C. Metz qui participera par exemple, en tant que conseiller technique, à la
rédaction de deux Cahiers pédagogiques intitulés Le Monde des images en 1969 et 1972 à
destination des classes de Cinquième et de Quatrième.
La réflexion de C. Metz s’élabore à l’échelle du cinéma en général (et encore, d’un
certain cinéma, en gros le long-métrage de fiction) et rend donc les outils parfois
difficilement opérationnels dans le cadre de l’étude d’un extrait, en particulier –
c’est souvent le cas en analyse filmique – lorsqu’il s’agit d’un extrait court, puisque
le système fonctionne avant tout sur de grands ensembles. Cependant, des analyses
fameuses ont utilisé l’approche structuraliste à l’échelle de la séquence : celle de
600
601
TARDY Michel, Le Professeur et les images, Paris : Presses Universitaires de France, 1966.
Ibid., p. 91.
- 341 -
Raymond Bellour sur North by Northwest par exemple. Cette analyse s’appuie
également sur la psychanalyse, apport théorique qu’utilise aussi C. Metz à partir du
Signifiant imaginaire. D’un point de vue sémantique, le découpage permet de relever
des rapprochements, que l’on peut interpréter par exemple en utilisant les « codes
sémiologiques » développés par la linguistique structurale qui s’intéresse aux
rapports entre signifiants et signifiés. Les codes constituants du langage
cinématographique
côtoient
des
codes
non
spécifiques
au
langage
cinématographique. J’indique au passage que l’approche structuraliste a pris
différentes formes sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici, car elles pourraient
constituer une thèse à part entière.
Cette approche théorique permet un modèle d’analyse très rigoureux, qui repose
sur des cadres fixes. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu son succès puis sa tombée en
désuétude : le reproche d’une « scientificité » considérée comme vaine par certains.
Le principal reproche qui a pu être adressé à cette théorie est aussi qu’elle est une
analyse textuelle, c’est-à-dire qu’elle ramène peu ou prou le film à un texte, le
cinéma à un langage. Si l’on s’en tient à l’analyse structurale, on privilégie l’étude de
la « structure » parfois aux dépens des « idées » véhiculées par le film. C’est une
théorie qui, utilisée seule, peut en effet s’avérer très oublieuse du contexte. Certains
lui ont reproché aussi d’encourager une libido decorticandi, à la suite de R. Bellour qui
découpait les extraits plan par plan602. La segmentation, le découpage, parfois à
outrance, peuvent être un effet d’une vision « structuraliste » de l’œuvre qui cherche
à privilégier la rigueur scientifique pour échapper à l’impressionnisme et au « je ne
sais quoi » de l’œuvre d’art. C’est aussi une posture théorique qui s’attache à tous les
objets audiovisuels, sans considération pour leur légitimité culturelle, marquant
ainsi sa distance par rapport au fétichisme de l’œuvre d’art que postulent les
approches purement esthétiques. Pourtant, cet immanentisme est parfois
relativisé par les structuralistes eux-mêmes. Chez certains auteurs, la recherche
structurale est très décontextualisée alors qu’elle est au contraire profondément
602
On peut penser aux « sèmes » et « léxèmes » de Barthes dans S/Z qui constituent de petites unités
d’analyse, parfois composées seulement d’un groupe de mots.
- 342 -
contextuelle chez d’autres. Si l’on prend l’exemple du travail structural que fait R.
Barthes dans S/Z, il y a bien une mise en rapport étroite avec le contexte. Le « code
culturel » par exemple est l’occasion d’une critique idéologique proche de celle que
mène R. Barthes dans Mythologie et qui envisage les stéréotypes d’une époque dans
laquelle s’inscrit l’œuvre. Il y a donc bien ce que l’on pourrait appeler un
« immanentisme contextuel » dans certaines postures théoriques : les structures
profondes de l’œuvre apparaissent conditionnées par son environnement. La
sémiotique peircienne allait dans le même sens : la forme de l’œuvre renvoie à la
société en vertu d’une interprétation qui varie selon le contexte, le récepteur, etc.
Puisque le structuralisme peut être aussi considéré comme une sorte de formalisme,
c’est l’utilisation de ce terme dans le cadre spécifique de l’analyse filmique que je
m’attacherai à définir plus précisément ici.
Le formalisme cherche à opérer une liaison fond/forme Je définis ici les « éléments
formels » comme des options de mise en scène du son ou de l’image (angles de
prise de vue, mixage des sons, choix des musiques, mouvement de caméra,
cadrages, montage, jeu d’acteurs, etc.). Le « fond » correspond à la réponse à la
question « de quoi ça parle » ? Cette traduction de la forme en sens doit permettre
de relever certaines récurrences sémantiques et/ou thématiques qui doivent se
mettre en réseau pour exprimer un sens. Un réseau sémantique opère donc comme
la « connexion » d’une forme à un contenu, permettant la traduction sémantique
d’un choix formel. Si on se place à l’échelle de la séquence, on pourra compléter
cette approche par un discours esthétique. Ce type d’analyse envisage l’œuvre
comme autonome, porteuse d’une vérité sur le monde, de « révélations » (au sens
parfois presque mystique du terme). Le sens est toujours à chercher dans l’implicite,
le métaphorique, etc. Il s’agit bien à chaque fois de révéler un sens « caché »,
métaphorique, non immédiat que l’on présuppose pourtant contenu dans le film. Si
les professeurs s’en défendent parfois, ou s’ils n’en sont la plupart du temps pas
vraiment conscients, l’analyse des œuvres telle qu’elle est pratiquée semble relever
encore aujourd’hui majoritairement de l’influence de cette approche. On s’aperçoit
- 343 -
aussi que le formalisme et le structuralisme entretiennent un lien étroit : s’il s’agit
d’étudier la forme de l’œuvre en la considérant comme systémique, le
structuralisme est bien une forme de formalisme. Ces deux théories forment à la
fois un arrière-plan théorique et un arrière-plan méthodologique.
Cette théorie que je résume ici très grossièrement est plus ou moins tombée en
disgrâce en France, à l’Université en tout cas. Elle n’est que rarement utilisée de
façon exclusive comme le faisaient C. Metz ou R. Bellour (qui l’ont d’ailleurs teintée
de psychanalyse). Le plus important est qu’il apparaît qu’elle reste souvent, dans les
pratiques en lycée, comme un arrière-plan méthodologique de l’exercice d’analyse
filmique. L’analyse plan par plan est sans doute un des héritages – un peu
problématique et réducteur – du structuralisme, j’y reviendrai.
4.2.2 Analyse filmique et analyse littéraire
J’ai vu que le formalisme à l’œuvre dans les programmes officiels est aussi un
moyen de promouvoir le film comme œuvre d’art, puisque l’attention portée à la
forme permet de justifier d’une utilisation des éléments audiovisuels comme autant
de procédés artistiques que l’on peut étudier pour eux-mêmes (3.2.1). L’art est
« art » précisément parce qu’il permet l’émergence de formes qui valent pour ellesmêmes.
Le refus de la « paraphrase », que j’ai souvent vu sonner comme un reproche dans
la correction de copies d’élèves que j’ai pu consulter, est une constante. En analyse
filmique, l’explication qui se cantonnerait au fond est systématiquement rejetée, il
en est de même pour l’analyse littéraire telle qu’elle est enseignée en lycée à travers
l’exercice du « commentaire » ou de « l’explication de texte ». J’ai vu plus haut (3.1
et 3.2) que le formalisme tel qu’il a été défini par R. Jakobson avait beaucoup
influencé les conceptions de l’œuvre d’art qui se traduisent dans la rédaction des
programmes officiels. Je suis donc repartie ici de l’hypothèse selon laquelle, dans
- 344 -
l’activité d’analyse, le travail de R. Jakobson avait également pu être déterminant. À
titre de comparaison et pour évaluer dans quelles mesures une approche formaliste
des films était également à l’œuvre dans la pratique de l’analyse filmique, je me suis
appuyée sur l’exemple tant décrié, mais paradigmatique, de l’analyse du poème
« Les Chats » de C. Baudelaire que R. Jakobson écrivit avec C. Levi-Strauss en
1962. Ce travail servira de point de comparaison puisque son caractère exemplaire
permet de faire ressortir aisément les principales tendances du formalisme –
fussent-elles ici poussées à l’extrême – lorsqu’il s’agit de faire l’analyse d’une œuvre
d’art afin de de les mettre en regard avec les pratiques actuelles de l’analyse
filmique. Cet exemple permettra d’explorer la méthode formaliste de certaines
analyses filmiques qui ont fait date et restent des « modèles » pour l’analyse telle
qu’elle est enseignée en lycée. Il permettra aussi d’explorer l’influence qu’a pu avoir
la théorie littéraire sur l’analyse filmique.
L’analyse de « Les chats » fonctionne en deux temps : un relevé précis et très
exhaustif de remarques grammaticales, métriques, syntaxiques, phonétiques,
phoniques et donc stylistiques et formelles dont je ne donnerai qu’un court extrait,
que j’estime symptomatique :
« Les chats, objet direct de la proposition qui embrasse les trois premiers
vers du sonnet, deviennent le sujet sous-entendu dans les propositions des
trois vers suivants (Qui comme eux sont frileux v4 ; Ils cherchent le silence
v6), en nous laissant voir l’ébauche d’une division de ce quasi-sizain en deux
tercets. Le « distique » moyen récapitule la métamorphose des chats : d’objet
(cette fois-ci sous-entendue) au septième vers (L’Erèbe les eût pris), en sujet
grammatical, également sous-entendu, au huitième vers (s’ils pouvaient). À
cet égard, le huitième vers se raccroche à la phrase suivante (ils prennent
v9). »603
L’organisation de ce relevé se fait dans la perspective d’élaboration d’un sens
complet. Ce relevé s’intéresse exclusivement aux matériaux littéraires, ce que R.
Jakobson appelait la « littéralité » c’est-à-dire ce qui fait qu’une œuvre donnée peutêtre considérée comme une œuvre littéraire. Plus qu’une forme ce sont des
« procédés » qui sont ici étudiés :
603
JAKOBSON Roman, Huit questions de poétique, op. cit., p.174.
- 345 -
« En rassemblant maintenant les pièces de notre analyse, tâchons de montrer
comment les différents niveaux auxquels on s’est placé se recoupent, se
complètent ou se combinent, donnant ainsi au poème le caractère d’un objet
absolu. »604.
Le poème comme « objet absolu » est ainsi sacralisé par la démarche même de
l’analyse qui lui donne une portée nouvelle de manière presque mystique : « objet
absolu », son « sujet » n’est pas son thème central, il n’est qu’un élément parmi
d’autres de son élaboration.
On ne peut qu’être étonné, à la lecture de cette fameuse analyse, de l’évacuation
quasi systématique de « ce dont parle le poème », son sujet. La fragmentation du
texte induite par le relevé quasiment mot à mot de procédés essentiellement
stylistiques ou grammaticaux finit même parfois par faire oublier qu’il est question
de « chats » et l’on est parfois étonné qu’une telle précision dans l’analyse finisse
dans l’émergence d’un sens pour le moins impressionniste :
« Tous les personnages du sonnet sont du genre masculin (analyse
grammaticale), mais « les chats » et leur alter ego « les grands sphinx »
participent d’une nature androgyne. »605
Cette interprétation s’appuie sur le constat d’un thème cher à C. Baudelaire : sa
façon récurrente d’assimiler les chats et les femmes. Le thème « chat » est donc
décomposé en motifs récurrents qui, combinés entre eux, permettront d’inscrire
l’œuvre dans une certaine thématique. Le poème est mis en perspective avec
d’autres poèmes du même auteur :
« La même ambiguïté est soulignée, tout au long du sonnet, par le choix
paradoxal de substantifs féminins comme rimes dites masculines. »606
L’analyse revient ici à des remarques métriques et grammaticales. Les chats sont
considérés comme androgynes parce que la grammaire utilisée mêle de façon
« paradoxale » substantifs féminins et rimes masculines. L’écart par rapport à la
norme fait sens dans le contexte grammatical du texte. Ce qui se dévoile de la
604
Ibid., p. 181.
Ibid., p. 187.
606
Ibid., p. 187.
605
- 346 -
forme semble être le fruit d’une transcendance de l’œuvre, toujours essentiellement
autonome par rapport au monde et aux objets qu’elle désigne. C’est ce que R.
Jakobson définit, je l’ai déjà dit, comme la « fonction poétique » du langage.
La figure de l’auteur est invoquée quand il s’agit de mettre en relation ses écrits
pour approfondir une analyse des différents motifs qui parcourent l’œuvre. Ainsi,
l’observation faite à partir d’un texte est mise en regard d’autres textes du même
auteur :
« Cela confirmerait, s’il en était besoin, que pour Baudelaire, l’image du chat
est étroitement liée à celle de la femme, comme le montrent d’ailleurs
explicitement les deux poèmes du même recueil intitulés “Le Chat”, à savoir
le sonnet “Viens mon beau chat, sur mon cœur amoureux” (qui contient le
vers révélateur : “je vois ma femme en esprit…” et le poème “dans ma
cervelle se promène…Un beau chat fort et doux” (qui pose carrément la
question, “est-il fée, est-il dieu ? ”).607
L’analyse recherche un élément fondateur qui donne à l’œuvre une unité, une
cohérence, une structure sous-jacente qui se manifestent dans le choix des motifs
récurrents qui se déclinent dans les œuvres de l’auteur à travers un style, une forme
– ici grammaticale – dont l’auteur lui-même peut ne pas avoir conscience. R.
Jakobson dit que :
« L’intuition peut jouer comme le principal et même, souvent, comme le seul
élément créateur des structures phonologiques et grammaticales compliqués
dans les écrits des poètes individuels. De telles structures, particulièrement
puissantes au niveau subliminal, peuvent fonctionner sans assistance aucune
du jugement logique ou de la connaissance patente, aussi bien dans le travail
créateur du poète que dans la perception par le lecteur sensible. »608
Cette notion de « structures » sous-jacentes à l’œuvre fera naître dans la théorie
littéraire la notion de structuralisme. L’idée que l’artiste s’exprime par le style dans
une œuvre qui finalement le dépasse alimentera également une certaine perspective
« auteuriste » de l’Art.
607
608
JAKOBSON Roman, Huit questions de poétique, op. cit., p. 187.
Ibid., p. 126.
- 347 -
Dans le cadre d’une analyse filmique, le système de la langue et de sa syntaxe
n’existe pas en tant que tel. La théorie du cinéma va donc s’ancrer dans la théorie
littéraire tout en cherchant à la traduire, voir à la convertir à son médium
spécifique. Les travaux de C. Metz ou de Jean Mitry, entre autres, chercheront à
trouver une reformulation cinématographique satisfaisante de ce que la littérature
considère comme « forme » et de ce que le cinéma peut se prévaloir d’être en tant
que forme. Le film ne peut donc être compris que comme un « équivalent
fonctionnel »609 à la langue. L’analyse formaliste du cinéma devra donc se translater
dans l’étude des choix techniques appréhendés comme des choix de réalisation ou
dans des choix narratifs considérés comme « forme » du film : placement de la
caméra, choix du point de vue, ordre du récit, choix de montage, de son, dimension
sémiologique ou psychanalytique de l’image… On parlera ainsi d’ « analyse
textuelle » puisqu’il s’agit de voir comment les différents éléments qui constituent le
« texte » cinématographique – ainsi compris comme système de sens, comme un
champ méthodologique, puisque le cinéma n’est pas verbal – peuvent être
interprétés. L’analyse recherchera donc des éléments thématiques récurrents dans le
film ou dans d’autres films d’un même réalisateur, le « détail prégnant »610 qui fera
précisément « système » en instaurant un réseau de signification que l’analyse se
charge d’élaborer.
Notons que la première analyse à proprement parler « structurale » d’un film vient
de Serguei Eisenstein en 1934 à propos de son film Octobre. Cette analyse fut
publiée par les Cahiers du cinéma en 1969 (n° 210), en pleine vague structuraliste et
aura un rayonnement certain en tant que « modèle » d’analyse filmique. Légitimée
par le fait qu’elle émane de l’auteur lui-même, elle inspirera dans sa méthodologie
même d’autres types d’analyses. Elle se présente comme un découpage plan par
plan du film, avec des schémas de compositions constitués de flèches
directionnelles indiquant les mouvements dans le cadre. Eisenstein s’attache aux
609
AUMONT Jacques, BERGALA Alain, MARIE Michel, VERNET Marc, L’Esthétique du film, Paris :
Armand Colin, coll. « Armand Colin Cinéma », 3ème édition revue et augmentée, 2004, p. 132.
610
Ibid., p. 150.
- 348 -
moindres détails de la composition, à l’organisation et la justification plastique de la
succession des plans. Toute cette analyse converge vers la mise en valeur de
l’apparition du plan sur le drapeau rouge, emblème de la Révolution bolchévique.
Comme chez R. Jakobson, les remarques formelles convergent vers un sens – ici
politique – qui est le point d’aboutissement de tout un dispositif formel censé
structurer le film en profondeur, de l’intérieur.
4.2.3 Synthèse des présupposés théoriques
de ce type d’analyse
Lorsqu’elle se met à l’œuvre dans une analyse filmique, la théorie formaliste ou
« textuelle » semblerait donc rejoindre les principaux présupposés suivants :
- Une dissociation partielle de l’œuvre et de la vie. Le primat de la forme sur le
fond engage l’analyste à mettre au second plan de ce dont parle l’œuvre au profit du
commentaire des choix de réalisation. Ce type d’approche se fait indépendamment
de l’évaluation de la qualité de l’histoire diégétique.
- Quand l’œuvre est mise en rapport avec le Réel – d’un point de vue politique
comme dans l’exemple d’Octobre – c’est qu’elle le « révèle » au sens presque
mystique et miraculeux du terme.
- Une convocation de la figure de l’auteur, envisagé selon une théorie
« romantique », comme un créateur dont les intentions peuvent parfois être
dépassées par l’œuvre elle-même, ce qui suppose la revendication d’une figure
auteuriale responsable du sens de l’œuvre, mais qui n’en maîtrise pas forcément
toutes les significations.
- La revendication de l’utilisation des éléments formels dans une intention
poétique et l’explicitation de leur « fonction poétique », c’est-à-dire leur usage
décalé par rapport aux normes d’une époque ou d’un genre, qui permet de
considérer le film étudié comme une œuvre d’art.
- 349 -
- La quasi-exclusion du lecteur et de sa faculté de co-construction de l’œuvre :
l’œuvre est considérée comme un tout clos sur lui-même, immuable et intemporel,
indépendante de la réception spectatorielle.
Ces présupposés correspondent à ce que J. Aumont et M. Marie dans L’analyse des
films appellent aussi l’analyse « textuelle ». Pour eux, l’influence de l’analyse des
« Chats » sur ce modèle d’analyse filmique est minime. C’est oublier, pour le sujet
qui nous occupe, la formation littéraire d’origine de 30 % des professeurs en charge
des enseignements CAV actuellement en lycée. J. Aumont et M. Marie préfèrent
citer comme source d’influence S/Z de R. Barthes – influence à laquelle je souscris
également – tout en admettant que l’analyse des « Chats » par R. Jakobson et
Claude Levi-Strauss a sans doute influencé Raymond Bellour et son approche des
Oiseaux d’A. Hitchcock611, analyse qui a elle-même exercé une influence notable sur
les pratiques d’analyse filmique. Je crois, pour ma part, que les influences sont
diverses, et surtout qu’elles sont impures : un modèle d’analyse, à partir du moment
où il est peu conscientisé, s’adapte à diverses données et en premier lieu, dans le
cadre qui nous intéresse, à des données pédagogiques. Surtout, comme le démontre
David Bordwell dans Making Meaning la méthode d’analyse filmique ne saurait se
réduire à des données théoriques. Elle est aussi une habitude de production de sens
qui ne s’ancre dans la théorie du cinéma que partiellement et variablement. Je
voudrais donc repartir de données empiriques pour tenter de décrypter les
présupposés à l’œuvre dans les différentes analyses filmiques publiées à destination
des professeurs et lycéens des enseignements CAV en lycée ainsi que dans les
témoignages de professeurs interrogés.
611
BELLOUR Raymond, L’Analyse de film, Paris : Calmann-Levi, 1995, 317 p.
- 350 -
4.2.4 Délimitation d’un corpus d’études de
données « de terrain »
Je m’appuierai sur les entretiens que j’ai menés avec des professeurs en charge de
l’enseignement CAV et surtout sur vingt analyses rédigées dans différents Cahier des
ailes du désir qui proposent une fois par an des exemples d’analyses filmiques sur les
films au programme à destination des professeurs. Même si les différentes éditions
des Cahiers des ailes du désir précisent que ces analyses rédigées et publiées ne sont
pas des « modèles », il semble tout de même qu’elles puissent être lues comme des
références quant aux théories qu’elles présupposent et les méthodologies qu’elles
utilisent. J’ai vu dans la deuxième partie l’importance de cette association et sa
fonction légitimante qui opère aussi dans le champ de la pédagogie (2.3.3).
L’association dit être représentée dans 70 % des établissements proposant un
enseignement CAV, et des professeurs que j’ai pu interroger la citent comme un
véritable outil de travail. Ces analyses feront donc l’objet d’une étude très précise.
J’ai choisi de travailler précisément sur un corpus de vingt analyses, ce qui constitue
la quasi-totalité des analyses publiées dans la revue, portant sur des films très
différents et sur des périodes de publications du Cahier allant de 1995 (cahier n° 2) à
2009 (cahier n° 19). J’ai volontairement écarté les textes qui s’éloignaient trop de
l’analyse filmique à strictement parler, c’est-à-dire qui ne portaient pas
spécifiquement sur un film et se présentaient plus comme des « essais » sur un
point précis des études cinématographiques : un genre, un dispositif de production,
une technique cinématographique. Les auteurs des analyses étudiées sont différents
même si certains membres de l’association semblent s’atteler à l’exercice de façon
plus récurrente que d’autres. Cette récurrence permet aussi de jauger les éventuelles
évolutions dans les méthodes et les présupposés à l’œuvre pour un même auteur au
cours de la quinzaine d’années de publication de la revue pédagogique. Par ailleurs,
j’ai cantonné mon étude aux analyses publiées par des professeurs de lycée
- 351 -
enseignant ou ayant eu une expérience de terrain dans les enseignements CAV. La
revue demande en effet à des universitaires ou à des membres de services
pédagogiques de grandes institutions – comme la Cinémathèque française par
exemple – de rédiger des analyses des œuvres au programme. J’ai écarté ces
analyses de mon corpus, car elles me semblaient fausser un peu l’étude des
présupposés et des méthodes utilisées dans l’enseignement du cinéma en lycée,
dans la mesure où les auteurs issus de la sphère institutionnelle ou universitaire
sortent de fait de mon champ d’études qui porte ici sur les pratiques en lycée.
Je délimite ainsi mon corpus :
- six analyses de La Mort aux trousses D’Alfred Hitchcock publiées par des auteurs
différents dans le numéro n° 17 de février 2009 -ce numéro étant particulièrement
riche en analyses filmiques ;
- deux analyses d’un extrait identique mais menées par des auteurs différents d’un
extrait de Hiroshima mon amour dans le cahier n° 16 de Mars 2008 ;
- quatre analyses par des professeurs différents de 2046 de Wong Kar Wai dans le
numéro 15 dont trois portent, de façon croisée, sur une même séquence du film ;
- une analyse de L’Aurore de Murnau publiée dans le n° 14 ;
- une analyse de La Jetée de Chris Marker publiée dans le n° 12 ;
- une analyse de À nos amours publiée dans le n° 8 ;
- deux analyses d’une séquence des Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi
publiées dans le n° 6 de décembre 2008 ;
- une analyse du début des Parapluies de Cherbourg de Demy du n° 4 ;
- une analyse d’un extrait de El de Bunuel dans le cahiers n° 3 ;
- l’analyse des dix premiers plans de Le vent nous emportera proposée en ligne sur le
site de l’association612.
Par ailleurs, je m’appuierai sur deux textes théoriques portant sur « l’analyse
filmique » publiés sous la rubrique « Pédagogies » de la revue, respectivement édités
612
http://www.ailesdudesir.com/bac.htm, consulté le 15 juillet 2009.
- 352 -
dans le Cahier n° 2 de mars 1995 et le Cahier n° 13 de février 2005.613 J’ai
volontairement maintenu l’anonymat des auteur(e)s de ces analyses puisque le but
est de s’intéresser aux démarches méthodologiques, aux procédures rhétoriques et
aux présupposés théoriques de ces analyses et en aucun cas de faire le procès ou la
critique de telle ou telle personne. Pour mon observation, toutes les méthodes sont
convenables, toutes les interprétations sont bonnes et je m’inclus moi-même dans
mon champ d’observation : il s’agit de repérer des conventions plus ou moins
tacites dans l’exercice d’élaboration du sens, sans jugement de valeur. Ce travail a
également une visée praxéologique : j’espère qu’en repérant de façon typologique
des normes de l’analyse filmique à l’œuvre dans ces différentes analyses, l’exercice
en lui-même sera plus enseignable, plus transmissible et que cette réflexion
permettra la mise en place d’une véritable didactique de l’analyse filmique à
destination des élèves qui, aux dires de certains professeurs, n’arrivent jamais à faire
des analyses correctes.
4.2.5 Constatations générales
Ces constatations de terrain me permettent de dire que les modèles théoriques sont
essentiellement impurs, car les pratiques d’analyses sont le plus souvent infléchies
par les professeurs et les nécessités scolaires.
Je retiendrai tout d’abord une prédisposition récurrente dans ces analyses à
rattacher toute remarque de fond à une analyse de la forme, cette systématicité
étant destinée à conjurer les dangers de la paraphrase. Un élève614 m’a raconté son
calvaire lors de l’analyse de L’Aurore pendant l’épreuve du baccalauréat. Il était,
selon lui, tombé sur un passage où « il n’y avait rien à dire » parce que « la scène
étant uniquement constituée de champ/contre-champ ». L’absence d’éléments
613
Pour plus de commodité et pour limiter les appels de notes, je mettrai entre parenthèses à côté des
citations l’indication du numéro du Cahier des ailes du désir concerné ainsi que la page selon ce modèle
(17/24) pour dire Cahier n° 17 p. 24.
614
Entretien avec Paul le 12 mars 2009.
- 353 -
saillants ou inhabituels dans la forme du film signifiait donc pour lui l’impossibilité
de l’analyse filmique.
Assez proche finalement, toute proportion gardée, du modèle de l’étude des
« chats » par R. Jakobson, certaines analyses procèdent avec une méthodologie
semblable : relevé scrupuleux des éléments formels et ce de façon très détaillée,
plan par plan, puis réunion des données dans un « bilan » conclusif ou commentaire
dans la foulée des remarques descriptives. C’est le cas pour l’analyse des Parapluies
de Cherbourg dans le n° 4 et de El dans le n° 3, et de l’analyse téléchargeable sur le
site du début de Le vent nous emportera , qui distingue typographiquement la phase
descriptive et la phase interprétative :
« Plan 2 :
Raccord dans l’axe. Plan demi-ensemble en plongée, avec une longue focale,
d’un segment de route.
En haut et à droite du cadre deux arbres. On distingue la poussière soulevée
par la voiture qui réapparait au sortir d’un virage, à gauche du cadre.
Panoramique gauche/droite d’accompagnement. Le paysage défile et les
arbres deviennent plus nombreux. Les passagers rient. La vallée entre dans le
cadre par la droite. Arrêt du pano.
Pure contemplation : l’image (composition du plan) et la poésie ( citée par les
occupants). Le monde, comme souvent chez K, s’offre à la contemplation
(saisir l’espace dans son immensité).
Le mouvement (celui de la voiture) est capté, comme toujours, dans son
intégralité (saisir le temps dans sa durée) .
On partage cette fois-ci l’expérience des voyageurs à la recherche de leur
repère : l’arbre isolé n’est visible ni par eux ni par nous. Sorte d’inanité des
dialogues… (absurdité à la Ionesco) qui renvoie au vide de la fiction. »615
Plus récemment, l’analyse de la séquence de la vente aux enchères dans La Mort aux
trousses du dernier numéro de la revue s’appuie sur un découpage plan par plan
illustré par une reproduction des photogrammes, pratique que l’on retrouve aussi
pour l’analyse d’un extrait de 2046 de Wong Kar Wai proposé dans le n° 16, dont le
découpage en photogrammes est à télécharger sur le site en complément de
l’analyse éditée sur la version papier de la revue. Dans le n° 8 sur À nos amours,
615
Analyse en ligne, op. cit.
- 354 -
l’analyse de la séquence du dîner passe également par une description plan à plan
scrupuleuse dont je ne citerai qu’un bref extrait :
« P1, 31’’ – seule en plan rapproché taille sur fond blanc, Suzanne est
accoudée à la cheminée, dos au miroir, les mêmes yeux vagues que dans le
plan précédent ; la voix de Robert domine le bruit de fond de fête. Elle se
retourne vers le miroir accompagnée d’un léger pano droite-gauche. En plan
rapproché, Suzanne et son reflet occupent les deux côtés du cadre. (…) »
(8/15)
Le modèle méthodologique implicite de ce type d’analyse paraît bien être l’analyse
des Oiseaux par Raymond Bellour dans L’Analyse du film, qui, comme je l’ai dit, est
inspirée de la démarche théorique et méthodologique utilisée pour l’analyse de
« Les Chats » par R. Jakobson et C. Levi-Strauss. On est donc bien dans un héritage
du structuralisme, héritage qui se traduit surtout par l’utilisation d’une méthode de
découpage et la tentation du « plan par plan », qui prévaut dans l’analyse filmique.
La précision descriptive des éléments formels, jusqu’à l’attention portée à la plus
petite unité de l’œuvre cinématographique qu’est le plan, sert donc de base à des
analyses qui entrent dans l’interprétation par une description formelle minutieuse.
J’ai appelé cette première approche l’« analyse comme observation des formes ».
Cette approche me semble relever d’une recherche analogique d’équivalences : un
mouvement de caméra véhicule un sens, un choix de raccords génère une
interprétation. Je tenterai de préciser ses caractéristiques en m’appuyant sur le
corpus défini ci-dessus.
- 355 -
4.3
L’analyse comme observation des formes
4.3.1 La
liaison
forme/contenu
dans
l’interprétation comme construction d’un
sens implicite
Si je m’en réfère à certains entretiens, l’analyse filmique consiste dans certaines
classes à « relier, par l’intermédiaire d’un tableau, toute remarque de forme à une
remarque de fond »616.
Dans un premier temps, il convient d’essayer de définir ce qu’est la « forme » du
film. Je reprendrai ici la définition de D. Bordwell et K. Thompson dans L’Art du
film, une introduction :
« La forme du film, dans sa plus large acception, est ce par quoi nous
désignons le système global des relations entre les “éléments” d’un film. »617
La « forme » permet de rassembler les éléments du style : mise en scène, plan,
montage, son, alors que le fond correspond à l’histoire que le film raconte, son
« contenu ». Le style est lui-même défini comme « une utilisation cohérente,
structurée, et signifiante des techniques »618.
Comme le souligne D. Bordwell et K. Thompson, la forme et le contenu sont
indissociables puisque tout le discours du film est finalement porté et informé par
sa forme. Dans une perspective esthétique (c’est la posture que revendiquent D.
Bordwell et K. Thomson dans leur avant-propos) le « contenu » et le « contenant »
sont inextricables :
616
Entretien avec Brice le 1er décembre 2008.
BORDWELL David, THOMPSON Kristin, L’Art du film une introduction, Bruxelles : De Boeck
Supérieur, coll. « Arts cinéma », 1999, p. 93.
618
BORDWELL David, THOMPSON Kristin, L’Art du film une introduction, op. cit., p. 206.
617
- 356 -
« Si la forme est le système global qu’un spectateur attribue à un film, il n’y a
ni d’intérieur ni d’extérieur. Chaque composant participe à la structure
d’ensemble perçue. »619
C’est ce que D. Bordwell et N. Burch appellent l’analyse « néoformaliste ».
Une première récurrence apparaît dans la méthode utilisée pour les analyses
filmiques publiées dans les Cahiers des ailes du désir, c’est la nécessité absolue de cette
liaison très explicite entre le fond et la forme, le contenu et le style. Dans une
analyse de La Mort aux trousses, dans le Cahier n° 17, un professeur stipule :
« Hitchcock fait de Cary Grant le point de référence d’un jeu sur les valeurs
du cadre, comme le récit fait du personnage de Thornhill l’étalon de mesure
des valeurs morales et politiques dans un univers où tout s’échange
n’importe comment. » (17/31)
Le travail de cadrage (style) permet une interprétation du sens moral du récit
(fond). L’adverbe comparatif « comme » induit que la forme est précisément
« traduite » par une interprétation. L’interprétation se présente donc comme une
conséquence d’un choix de réalisation, d’un élément de style, ici les « valeurs de
cadre ». Le sens est donc ici forcément implicite puisqu’il faut le déduire d’un choix
de cadrage. Cet attachement au sens implicite est un des quatre types de possibilité
de production de sens qu’aborde D. Bordwell dans Making Meaning. L’implicite est
précisément ce que l’analyse doit décrypter et ce qui permet de sortir d’une lecture
« naïve » du film qui serait celle du spectateur « lambda ». Cette lecture de l’implicite
revient aussi à une construction d’un système d’équivalence : un élément de style =
un sens. On peut voir dans ce type d’analyse un héritage simplifié du structuralisme
qui semble persister en tant que méthode d’analyse plus que comme théorie à part
entière620. L’héritage méthodologique, ce serait ici de réduire la sémiologie à l’étude
du rapport entre signifiant et signifié, reconduit sous la forme de l’étude de la
liaison fond/forme, le tout dans une conception de l’analyse de l’œuvre qui laisse la
première place à la forme. On rejoint bien une remarque sémiologique de R.
Barthes :
619
620
Ibid, p. 94.
Cette approche est aujourd’hui, à l’Université en tout cas, plutôt considérée comme « démodée ».
- 357 -
« Le lien du signifiant et du signifié a beaucoup moins d’importance que
l’organisation des signifiants entre eux. »621
Dans une autre analyse publiée dans ce Cahier, on trouve explicitement cette notion
de traduction :
« S’engage littéralement un duel entre Thornhill et Vandamm dont Ève est
l’enjeu. Cinématographiquement, cette situation est traduite par la figure
récurrente du champ/contre champ. » (17/37)
Un peu plus loin, toujours sur cette scène des enchères et à propos de Ève :
« Ce choix de prise de vue sans profondeur de champ et sans perspective
marque sa solitude et sa position tragique, entre les deux hommes. » (17/38)
L’auteur avait d’ailleurs donné pour titre à une des sous-parties de son plan :
« Les choix techniques renforcent l’effet de dramatisation et orientent
l’interprétation. » (17/38)
La technique est ici considérée comme un outil de production de sens et d’effet qui
« orientent » l’interprétation ». C’est dire que « le texte provoque l’effet »622, ce que
Janet Staiger désigne comme la position « dominante » actuellement dans l’analyse
filmique.
Dans l’analyse de la première scène des Parapluies de Cherbourg par un autre membre
de l’association une dizaine d’années plus tôt (décembre 96), on retrouve la volonté
de faire coïncider le fond et la forme :
« Tout ici raconte le bonheur de l’amour : le contenu des dialogues, la
rencontre du bleu et du jaune, les trois trajectoires obliques de Geneviève,
expression de l’élan amoureux, le léger mouvement tournant de la dernière
étreinte et surtout la fluidité absolue de la caméra qui bouge au même rythme
que les personnages, les centrant dans l’espace bleuté de la rue ou les isolant
sur le fond bleu et blanc des carreaux de Delft. » (4/13)
Le dialogue, les trajectoires, les couleurs, le mouvement de caméra, tout concorde
vers un même sens d’interprétation considérée comme univoque et induit par des
choix liés à la réalisation. Le « bonheur » apparaît donc comme un point saillant sur
lequel s’agrège tout un dispositif cinématographique que l’analyse déplie : un thème
621
BARTHES Roland, « Entretien avec Roland Barthes » par Michel Delahaye et Jacques Rivette, 1963, in
Théories du cinéma, textes réunis par Antoine de Baecque, Paris : Cahiers du Cinéma, coll. « Petite anthologie
des Cahiers du cinéma », 2e édition, 2004, p. 43.
622
STAIGER Janet, Perverse Spectator, op. cit., p. 28 : « The text caused the effect ».
- 358 -
« le bonheur » trouve son équivalence dans les « dialogues », dans « la rencontre du
bleu et du jaune », un « léger mouvement » de caméra, un choix de décor. Le thème
devient ainsi un élément structural qui se construit par et dans différents degrés
syntagmatiques : les mouvements d’appareil, le scénario, le décor.
Cet exemple montre comment l’analyse consiste à s’attacher à des éléments
cinématographiques, à l’échelle du plan ou à l’échelle de la séquence : les images
(mouvement de caméra, angle de prise de vue, distance focale, profondeur de
champ, montage, lumière, couleur, etc.) et d’isoler ces éléments stylistiques pour les
décrire, les nommer, les hiérarchiser, les dénombrer afin de les constituer en
réseaux de sens. Chaque élément du film tient un rôle qui lui permet de s’intégrer à
l’unité d’un thème que l’analyse doit construire.
On peut noter d’emblée que l’étude du son (mixage, création sonore, combinaison
audiovisuelle, utilisation de la musique ou du silence...) est présente, mais
minoritaire dans ces analyses. Même dans l’analyse citée précédemment des
Parapluies de Cherbourg, et alors même que le film est de toute évidence
profondément sonore, la réflexion sur le son se cantonne à une analyse très brève
du plan 13 :
« On suit Guy dans l’univers bleu de sa chambre (comme sera bleue la
chambre de Geneviève). La caméra fluide et légère accompagne ses
préparatifs et la mélodie de Madeleine se termine sur un do, première note
de l’air des promesses qui ouvre la séquence suivante. » (4/14)
Les six analyses du dernier numéro consacré à La Mort aux trousses n’évoquent que
marginalement le rôle joué par la musique de Bernard Hermann pourtant écrite
spécialement pour le film et en collaboration avec A. Hitchcock. Je n’ai compté
dans ce numéro « spécial Hitchcock » aucune occurrence de référence à la
musique623. Plus largement, au sein des interprétations, la référence – non seulement
à la musique, mais au son en général – est réduite, et en tout cas
proportionnellement très inférieure aux remarques liées à l’image. Notons que
623
Voir le tableau récapitulatif ci-dessous, p. 452.
- 359 -
l’Institution encourage pourtant à l’analyse musicale : Bernard Herrmann était
simultanément au programme de l’option « musique ». Les causes de ce relatif
désengagement de l’analyse filmique quant à l’étude sonore ont déjà été relevées et
expliquées par certains théoriciens624. Sans doute consciente de cette lacune, la ligne
éditoriale des Cahiers des ailes du désir laisse parfois la place à des spécialistes du son
qui viennent apporter une lecture spécifiquement « sonore » sur les films. C’est le
cas dans le n° 15 qui propose une analyse menée spécifiquement sur les différents
thèmes musicaux de 2046 par le président de l’Union des compositeurs de
Musiques de Film.
Quand il est étudié, le son répond à la même démarche de traduction sémantique
de choix formels. Dans une analyse des Contes de la lune vague après la pluie (n° 6
décembre 98), un professeur remarque, à propos de la séquence d’ouverture :
« L’opposition présente dans le scénario trouve un écho dans le cadrage et la
construction des plans ainsi que dans le son. » (6/18)
pour souligner ensuite une série d’oppositions sonores et proposer une analyse de
la voix en rapport avec la musique :
« La voix gutturale et de hauteur intermédiaire entre les aigus et les graves et
dont les sons sont tenus, mais moins que ceux des cordes, met l’homme au
centre d’un monde sonore dont il semble constituer l’équilibre. » (6/18)
Plus clairement encore dans une analyse d’A. Hitchcock, la musique est-elle aussi
littéralement traduite en champ sémantique :
« La musique peut-être entendue comme l’expression du sentiment qui
envahit Ève et aussi comme la marque du passage à une étape nouvelle : elle
s’intensifie, change de tonalité dés que Thornhill cherche à échapper à
Valérian. » (16/38)
Ce type d’analyses, du son comme de l’image, repose donc finalement sur un
modèle sous-jacent qui me semble principalement présent dans l’activité critique :
celle initiée par A. Bazin puis par la cinéphilie « moderne ». L’interprétation repose
sur la construction d’un sens implicite que l’on va pouvoir dépister dans l’analyse
624
Je pense à Laurent Jullier dans Le son au cinéma, Paris : Les Cahiers du Cinéma / Scérén-CNDP, 2006, et
à Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, Paris : Les Cahiers du Cinéma, 2003.
- 360 -
des « choix techniques ». Cette méthode correspond à celle qu’a employée A. Bazin
dans les années 50, quand il a proposé, par exemple, d’interpréter le choix de la
profondeur de champ chez O. Welles comme un symptôme de l’ambiguïté du
Réel625. Cette stratégie sera largement employée par la suite dans les Cahiers du
cinéma. D. Bordwell estime que l’activité critique des « Jeunes Turcs » dans les
années 60 repose ainsi sur l’étude de caractéristiques formelles ou stylistiques de
certains choix d’auteurs considérés comme récurrents, analyses qui permettent de
souligner l’émergence de « thèmes » :
« La pratique critique repose sur un schéma sous-jacent qui montre comment
le texte est porteur de sens abstraits : le miroir, le regardant regardé, les
cadres qui enferment, le cadre dans le cadre, et ces métaphores deviennent
une propriété commune, comme les champs sémantiques. (…) Les critiques
des Cahiers se sont principalement consacrés à montrer comment les
caractéristiques stylistiques des metteurs en scène et leurs structures
narratives reflétaient des thèmes sous-jacents. »626
C’est un but que l’on retrouve dans des analyses filmiques écrites par et pour des
professeurs de lycée. Ainsi, une analyse du Cahiers des ailes du désir n° 15 sur Wong
Kar Wai intitulée « Sous le cadre, il y a encore une image » repose sur l’exploration
d’un traitement particulier du cadre chez le réalisateur comme moyen d’exprimer le
« décentrage » et la « distance ». L’introduction de l’analyse se présente ainsi :
« Wong Kar Wai propose une autre conception du cadre plus subtile et joue
sur des phénomènes attractifs différents. Nous ne sommes plus vraiment
devant cette porte-fenêtre illusionniste que nous avons la sensation de
franchir tout au long du film. La distance semble parfois se maintenir même
lorsque le spectateur est complètement captivé par le spectacle visuel et
sonore. (…) Plusieurs particularités du film confortent le spectateur dans
cette situation : le format du film, les décentrages, les récurrences formelles
verticales, les zones mortes ou informelles, une approche différente des
images virtuelles, la fragmentation de l’espace et des personnages. » (15/13)
625
BAZIN André, Orson Welles, Paris : Chavane 1950, et aussi dans « Pour en finir avec la profondeur de
champ », Cahiers du cinéma n°1, avril 1951, p. 17-23.
626
BORDWELL David, Making Meaning, op. cit., p. 47 : « Cahiers’s critics dedicated themselves principally
to showing how a director’s characteristic stylistic and dramatic patterns reflect underlying themes. (…)
The practical critic possesses an underlying schema that proposes wich textuel fatures can carry abstract
meaning : mirrors, looking to look, shot that enclose, frame in frame, and those feature thereby become
commun property, like semantic fields ».
- 361 -
Il est bien question ici de récurrences stylistiques : une certaine gestion du
cadre devient le vecteur d’un véritable réseau de sens :
« Il y a dans ces décadrages l’expression d’une perte, d’un manque ou d’un
deuil…éléments qui correspondent tout à fait à l’univers de 2046, film sur la
perte à la fois collective (fin du statut de Hong Kong, fin d’une époque) et
individuelle (celle de l’amour). » (15/14)
Et cette analyse élargie son propos : le cadre (décadrages, fragmentations, utilisation
du hors champ, choix de gros plans, composition formelle) devient le signe d’une
véritable poétique, voire même d’une véritable conception du cinéma, comme le
souligne la conclusion :
« Nous sommes avec 2046 aux antipodes des démarches
cinématographiques qui ne jurent que par l’épure absolue et la sobriété des
instants filmés. Pour ces auteurs le cadre n’affirme rien d’autre que sa stricte
réalité. Chez Wong Kar Wai, le cinéma est une surprise : sous le cadre il y a
encore une image. » (15/ 15)
Ces analyses permettent de révéler des particularités stylistiques d’un auteur ou d’un
genre cinématographique, ils sont spécifiques à l’extrait proposé même s’ils existent
en dehors du film lui-même. Ils constituent parfois l’arcane même de l’organisation
des analyses qui proposent un plan thématique pour diviser leur développement.
C’est le cas dans une analyse d’À nos amours (n° 8 de la revue) qui présente ainsi les
titres
des
différentes
parties
de
l’analyse :
« Corps
et
regards »
/« Déliaisons » / « Vingt ans de travail » / « Bonnard et la sensualité » /« Le père
pris dans les portes » /« La propension à être ailleurs »/ « L’utilisation des miroirs »
/« Partir plutôt qu’arriver » (8/19-21). Ces thèmes sont connectés à des sens
explicites du film que l’analyse a déjà identifiés :
« Pour ajouter un nouveau mot à ceux proposer par les commentateurs de la
discontinuité chez Pilat, on a trouvé : déliaison. » (8/19)
Le passage de l’explicite à l’implicite est ici manifeste : la « discontinuité » devient
une « déliaison ». La formulation en thèmes abstraits permet de rendre l’approche
du film plus métaphorique et d’échapper ainsi à l’écueil de la paraphrase. Ils
s’ancrent dans notre champ culturel (« Bonnard », « Vingt ans de travail ») et se
présentent donc comme déjà plausibles dans l’économie générale de l’interprétation
- 362 -
du film.
Les choix techniques et stylistiques concourent donc dans ces deux analyses à créer
un système de sens exprimant la pensée de l’auteur, système qui structure
globalement le film.
4.3.2 D’autres héritages du structuralisme
Cette notion de « structure » est très largement empruntée à la littérature. Le
formalisme aboutira dans la théorie littéraire au structuralisme en partie grâce à une
prétention plus scientifique : il s’agit de canaliser la critique littéraire pour en faire
une science littéraire. Comme le dit Gérard Genette :
« L’analyse structurale doit permettre de dégager la liaison qui existe entre un
système de formes et un système de sens, en substituant à la recherche des
analogies terme à terme celle des homologies globales. »627.
Les tentatives de C. Metz pour le cinéma dans La Grande Syntagmatique allaient dans
le même sens, dans un désir de rationaliser l’analyse filmique en créant des
« homologies globales » potentiellement systématisables. Historiquement parlant, la
liaison entre le formalisme russe et le structuralisme se fait autour de R. Jakobson
qui s’est réfugié en Tchécoslovaquie pour fuir la Russie soviétique. Le Cercle de
Prague sera donc à l’origine d’une première vague de théorisation du structuralisme.
Ces théoriciens de la littérature, inspirés par Ferdinand de Saussure et par
Hedmund Husserl, ont proposé une définition de l’art comme fait sémiotique : le
texte littéraire est à la fois un signe et une structure de signes. G. Genette dans
Figure I résume bien ce glissement théorique :
« Et le formalisme russe, précisément, que l’on considère à bon droit comme
une des matrices de la linguistique structurale, ne fut rien d’autre à l’origine
qu’une rencontre de critiques et de linguistes sur le terrain du langage
poétique. »628
627
628
GENETTE, Gérard, Figure I, Paris : Seuil, collection « Points essais », 1966, p. 151.
Ibid, p. 149.
- 363 -
Cette structure de signe sera ainsi le champ d’exploration de la sémiologie. On
distinguera alors le « signifiant » ou symbole externe qui représente une signification
et le « signifié » qui est une signification représentée :
« La méthode structuraliste se constitue comme telle au moment précis où
l’on retrouve le message dans le code, dégagé par une analyse des structures
immanentes, et non plus imposé de l’extérieur par des préjugés idéologiques.
Ce moment ne peut tarder longtemps, car l’existence du signe, à tous les
niveaux, repose sur la liaison de la forme et du sens. »629
Les exemples d’analyses filmiques abordées ci-dessus semblent s’apparenter, d’un
point de vue théorique, à une forme de « stylistique structurale » – plus que d’une
« linguistique structurale » – en cela qu’elles cherchent les récurrences stylistiques et
non « linguistiques » (le cinéma n’est pas une langue) qui peuvent s’organiser en
système, en « code ». Le code du « cadrage » par exemple est un code « stylistique »
spécifiquement cinématographique et cette stylistique est « expressive » puisqu’elle
est considérée comme un moyen d’expression de l’auteur. Ce type d’analyse a été
très pratiquée en littérature dans les années structuralistes, un théoricien comme
Michael Riffaterre, par exemple, en ayant fait son principal champ d’investigation.
Il s’agit bien de faire de la liaison entre le signifiant et le signifié un véritable point
d’ancrage du sens, d’associer le dénotatif et le connotatif. Le décryptage de
« codes » sera également un enjeu de l’analyse filmique dite « textuelle », codes qui
sont, selon la définition qu’en donnent J. Aumont et M. Marie « ce qui gouverne les
relations entre le signifiant et le signifié » pour permettre un :
« repérage des éléments signifiants, “dépli” de leur connotation, appréciation
de leur pertinence, des codes potentiels suggérés par ces éléments : telles
sont les opérations pratiques qu’impliquait déjà la notion de texte au sens de
Metz. »630
L’activité analytique des Cahiers des ailes du désir propose bien un « repérage des
éléments signifiants » en cela qu’elle met en liaison un élément formel avec un
élément thématique, mais cette démarche revient finalement le plus souvent à une
analyse thématique. C’est là que la sémiotique se réduit à une activité de sémiologie,
629
630
Ibid, p. 150.
AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, op. cit., p. 72.
- 364 -
c’est-à-dire une simple tentative de traduction plus ou moins abstraite du rapport
signifiant/signifié. Et tel est sans doute le grand point théorique issu du formalisme
puis du structuralisme que l’obsession de la liaison fond/forme récupère. Ces
théories ont développé des méthodes pour distinguer les éléments textuels de leur
fonction sémantique. C’est quand elle s’intéresse à la récurrence de ces « éléments
signifiants » – comme nous l’avons vu dans quelques exemples ci-dessus – que se
profile le plus clairement l’influence théorique de la linguistique structurale. Les
éléments de style sont bien rassemblés dans le but de mettre à jour un système
formel sous-jacent du film qui permet de faire naître des attentes chez le spectateur,
d’orienter son attention, d’accentuer les significations du film. Dans certaines
analyses proposées pour le lycée, comme je l’ai vu, on peut lire un effort pour
élaborer un système formel c’est-à-dire une structure qui permet de comprendre
comment la forme, la « littéralité » pour reprendre la terminologie de R. Jakobson,
peut se traduire en contenu et vice-versa. Ce qui reste de la démarche structurale,
c’est sans doute la recherche d’une certaine unité : l’idée que le film constitue un
système clos sur lui-même dont toutes les parties, tous les aspects thématiques ou
formels, sont unis par un rapport de solidarité et de dépendance, dont le sens est
comme « encapsulé » dans des schémas formels. Mais dans la théorie structuraliste
en littérature, la distinction entre fond et forme glisse vers la distinction entre
forme et fonction : le texte peut avoir différentes fonctions dans divers contextes :
« L’hypothèse structurale, en ce cas, reverse à la stylistique du sujet ce qu’elle
enlève à la stylistique de l’objet. »631
L’esthétique ne porte pas sur le signifiant – le texte matériel – mais sur le signifié
qui peut varier en fonction des époques, jetant ainsi les bases d’une étude de
réception. Le texte sera surtout pris dans une situation de communication, ce que
R. Jakobson développe dans Linguistique et poétique en 1963, discriminant les cinq
fonctions du langage.
Mais lorsque les analyses filmiques étudiées empruntent à cette conception
631
GENETTE Gérard, Figure I, op. cit., p. 152.
- 365 -
structuraliste, il s’agit d’influences plus que de véritables emprunts théoriques. Dans
la pratique de l’analyse filmique, le travail sur la récurrence formelle ou thématique
ne va que très rarement jusqu’à l’élaboration complète de « codes » empruntant à
différents champs disciplinaires (sociologie, psychanalyse, histoire, sémiologie)
comme le fait R. Barthes dans S/Z ou comme tentent de le faire certaines analyses
filmiques célèbres comme celles de R. Bellour, à la suite de C. Metz. Il s’agit plus,
finalement, d’analyser la cohérence du film que d’élaborer une description
scientifique des modalités de sa signification. Si l’on définit la « sémiologie » comme
la science générale des systèmes signifiants – ce que fait C. Metz dans La Grande
Syntagmatique par exemple en employant systématiquement le terme « sémiologie »
(dyadique ou triadique) là où l’analyse littéraire parle plus volontiers de
« sémiotique » malgré l’ambiguïté évidente de cette terminologie632– l’analyse
filmique en lycée ne relève pas de cette discipline. Par ailleurs, l’analyse filmique
évacue les données liées à la réception, le « relativisme historique » des œuvres, que
certaines démarches structuralistes en littérature ont pourtant introduit dans
l’analyse des textes littéraires. Ici encore l’activité analytique se détache de l’activité
théorique pour se rapprocher de l’activité critique.
Nathalie Heinich dans son article « Aux origines de la cinéphilie » dans l’ouvrage
collectif Politique des auteurs et théories du cinéma renvoie clairement ce comportement
analytique à l’activité critique :
« Or comment s’opère l’assomption au statut d’auteur, par la critique, d’un
cinéaste tel que Hitchcock ? De deux façons : la première est la mise en
évidence d’une thématique, par la focalisation du critique sur les thèmes
communs aux différents films d’un même cinéaste ; la seconde est la mise en
évidence d’une stylistique, par le repérage des procédés formels de la mise en
scène. Par exemple, on montrera la prégnance de la mort chez Hitchcock, et
la constante des plans-séquences chez Rossellini – le mieux étant encore de
montrer le lien entre tel procédé formel et telle thématique. Le plan-séquence
pour le signifiant, la mort pour le signifié : tels sont, pour caricaturer, les
deux pôles herméneutiques entre lesquels s’opère la construction par la
632
Notons que Roland Barthes lui-même se place dans le courant saussurien de la sémiotique tout en
employant dans ses œuvres le terme de « sémiologie » cf. TADIÉ Jean-Yves, La Critique littéraire au XXe
siècle, Édition Pierre Belfond, coll. « Pocket, Agora », 1987, p. 213.
- 366 -
critique d’une position d’auteur au cinéma. »633
Le type d’analyse ainsi décrit est en effet proche de celles que peut proposer Jean
Douchet dans les Cahiers du cinéma.
Dans la revue pédagogique le Cahier des ailes du désir, la référence aux ouvrages
théoriques de R. Barthes est présente, et on trouve aussi des renvois à C. Metz. La
première analyse de North by Northwest du n° 17 compte par exemple deux notes
renvoyant à ses ouvrages. Ce que les analyses filmiques étudiées gardent de
l’approche sémiotique c’est finalement la concentration de l’analyse sur les aspects
formels, dans une relative indifférence au contenu. La raison de cette conservation,
dans la « méthode » d’analyse filmique en lycée, de ces « traces » théoriques issues
de la sémiotique me semble aussi pouvoir s’expliquer par la démarche
pédagogique : là où l’étude du contenu dissocie et individualise la réception, l’étude
du même phénomène à partir de la forme permet de réunir des éléments disparates
pour offrir une interprétation généralisante et donc plus aisément transmissible.
La prédisposition structuraliste et sémiotique issue de la théorie littéraire est
manifeste, même si la théorie littéraire ne survit qu’à l’état de trace dans l’analyse
filmique telle qu’elle est pratiquée dans la revue pédagogique. Un des emprunts
théoriques s’illustre aussi dans l’idée que le film est un « texte » à déchiffrer.
4.3.3 L’œuvre comme « texte »
La notion de « texte » transparaît dans certaines expressions employées dans les
analyses étudiées : il est question de « tissu fictionnel » (à propos de La Mort aux
trousses p. 19, n° 17), et l’auteur réactive là implicitement l’étymologie du mot
« texte », de « l’écriture du cinéaste » (à propos de Mizoguchi, Cahier n° 6), de
« citations » (17/24), de « démarche d’écriture » à propos de la méthode d’analyse
filmique (2/18), d’un « texte infini » avec une référence explicite à Raymond Bellour
633
HEINICH Nathalie, « Aux origines de la cinéphilie », in Politique des auteurs et théories du cinéma, op. cit.,
p. 35.
- 367 -
à propos de l’analyse filmique dans le n° 13 p. 26, de « tissu des images » (12/21, à
propos de Sans Soleil). Implicitement le film est un texte (à traduire).
Plus généralement, on retrouve dans les analyses filmiques tout l’outillage
terminologique utilisé communément pour la littérature : il est question d’« effet de
style » (17/20), de « dramaturgie du détour » (17/21), de « puissance du récit »
(17/4), de « structure narrative » (6 /17). On peut voir ici la tentation metzienne de
faire du cinéma un langage, mais aussi la prédisposition pédagogique à utiliser le
connu pour apprivoiser et transmettre l’inconnu : l’utilisation des terminologies et
des éléments théoriques appris dans l’enseignement du français sont ici réinvestis,
d’autant plus que, comme je l’ai déjà dit, 30 % des professeurs enseignant en CAV
sont originairement des professeurs de Lettres. En entretien, des professeurs d’Arts
plastiques enseignant le cinéma ont d’ailleurs souligné leur différence avec les
professeurs de Lettres en charge de la discipline. Un d’entre eux, Léa, m’a dit « les
collègues de lettres, ils analysent l’histoire, comment on la raconte ; moi j’analyse
l’image, la matière filmique »634. Est-ce à dire que, là où certains professeurs formés
à l’étude de la littérature envisagent le film comme un texte, d’autres plus
« plasticiens » l’envisagent comme une « matière » plastique ? (Léa a d’ailleurs
beaucoup insisté pendant l’entretien sur cette notion de « matière »). Mais les
professeurs d’Arts plastiques ne retombent-ils pas finalement sur la dialectique
forme/contenu en la réduisant justement à sa stricte donnée interne : le « texte »
renvoie à ce qui est dans le « texte ». C’est ce que m’a dit Bertrand635, agrégé d’Arts
plastiques, enseignant en BTS audiovisuel et en option facultative CAV : « Tout est
dans le texte ». Soulignons au passage que ce présupposé textualiste n’est donc pas
l’apanage des professeurs de Lettres….
L’analyse se justifie ainsi dans l’idée profondément ancrée que le « texte » veut dire
plus qu’il n’y paraît, parfois même qu’il échappe aux intentions de l’auteur en
devenant un tout indivisible et autonome. C’est encore la littérature qui a théorisé la
634
635
Entretien déjà cité avec Léa, le 10 avril 2009.
Entretien déjà cité avec Bertrand, le 5 juillet 2009.
- 368 -
première sur la notion de « texte » en particulier dans les années 60 avec la
fondation du groupe « Tel Quel » autour de Julia Kristeva. Ces théoriciens avaient
une perspective marxisante : la notion de « texte » réagissait contre les catégories
jugées « théologiques » de sens, de sujet et de vérité qui réprimaient selon eux la
polysémie des textes. La notion d’intertextualité théorisée par Mikhael Bakhtine a
permis de construire la notion de texte de façon rhyzomatique : tout texte se situe à
la jonction de plusieurs textes et constitue finalement l’unité discursive d’une
époque. La sémiologie pourra alors penser le texte dans la sociologie et dans
l’histoire. Par ailleurs, les textes ayant le plus de valeur aux yeux de J. Kristeva sont
ceux qui « renonçant à la représentation deviennent l’inscription de sa propre
production : Mallarmé, Lautréamont, Roussel »636. La notion de « texte » est donc
profondément rattachée, une fois encore, à une théorie moderniste de l’art faisant
de l’autoréférentialité une caractéristique essentielle de l’œuvre. Derrière ce postulat
se trouve l’indistinction problématique que l’on peut opposer à ce genre de
conceptions textualistes : il semble qu’il soit difficile de distinguer l’« analyse » du
jugement de valeur.
Si des sens implicites procèdent de récurrences formelles – comme nous l’avons vu
ci-dessus – ils semblent permettre aussi à l’analyste de dépasser une lecture naïve ou
empirique par la recherche de sens qui ne vont pas de soi. P. Bourdieu qualifiait,
dans Les Règles de l’art, d’« herméneutisme » cette attitude qui consiste à :
« concevoir tout acte de compréhension sur le modèle de la traduction et à
faire de la perception d’une œuvre culturelle, quelle qu’elle soit, un acte
intellectuel de décodage supposant la mise à jour et la mise en œuvre
consciente de règles de production et d’interprétation. »
Pour P. Bourdieu, cette prédisposition est très représentée dans le système
d’enseignement et particulièrement dans l’enseignement de la littérature :
« Elle (l’École) favorise des postures d’herméneute qui, devant des lettres
mortes, cherche le chiffre, le code et se donne pour fin de décoder, de
déchiffrer. D’où le succès de la sémiologie. La sémiologie qui a été
apparemment destructrice de la tradition académique n’était qu’un
636
TADIÉ, Jean Yves La Critique littéraire au XXe siècle, op. cit., p. 222.
- 369 -
aggiornamento de la philosophie académique du déchiffrement. »637
L’analyse filmique en lycée récupèrera en partie cette prédisposition dans le postulat
d’un dialogue possible entre les œuvres entre elles, des rapprochements au sein de
l’œuvre d’un même auteur, ou au sein de films produits à la même période, etc., et
en défendant comme une évidence l’idée que toute œuvre constitue un ensemble
cohérent qui pourra constituer un « système » cohérent à « déchiffrer ». On
retrouve le paradigme le « l’œuvre à déchiffrer » déjà souligné dans les rapports
officiels étudiés dans ma première partie (1.2). Cette lecture repose aussi sur le
présupposé selon lequel puisqu’il s’agit d’art, les éléments formels sont prioritaires
dans l’organisation du sens. On retombe ici sur les présupposés de l’explication de
texte qui doit selon les recommandations de l’opus Réussir l’agrégation interne de lettres
modernes et classiques s’appuyer sur la perspective historique, la perspective générique,
la perspective contextuelle et la perspective intertextuelle (p. 245). L’approche
« Bottum Up » rejoint l’approche « Top Down » : l’analyse filmique se sert
globalement des mêmes outils de production de sens que l’analyse littéraire. Les
« perspectives » sont les mêmes, dans la théorie comme dans la pratique.
L’approche « contextuelle » ou « intertextuelle » dit l’emprise de la notion de texte
défini surtout par sa cohérence.
4.3.4 Analyse filmique et
cohérence de
l’œuvre
Je commencerai par relever la récurrence des formules qui supposent et stipulent
cette unité forte de l’œuvre d’un cinéaste : « l’espace-temps hitchcockien » (17, un
article est consacré à ce thème), « La Mort aux trousses est certainement l’abrégé de
l’œuvre du cinéaste » (17/3), « pur effet de style cher au Maître » (17/20), la
« mythologie hitchcockienne » (17/20), « une grande obsession hitchcockienne »
637
BOURDIEU Pierre, Les règles de l’Art, 1992, Paris : Seuil, p. 432.
- 370 -
(17/21) », « L’univers d’Hitchcock » (17/23), « dans le monde hitchcockien, il y a
toujours un secret » (17/23). Le film apparaît donc comme la traduction d’une
intention unifiée. On pourrait répondre à ce relevé, comme le disent J. Aumont et
M. Marie, que Hitchcock est un « bon client »638 pour ce type d’unification
auteuriste mais l’on retrouve des formulations équivalentes lorsqu’il s’agit d’étudier
d’autres cinéastes. Le seul emploi de l’expression « chez un tel » est révélatrice
d’une croyance en l’unité forte de l’œuvre d’un réalisateur : « chez Murnau »
(14/16), « chez Griffith », (14/16), « le cinéma de Mizoguchi » (6/18), « l’art de
Demy » (4/14), « nous retrouvons l’univers familier de K » (K mis pour Kiarostami,
analyse en ligne).
Pour revenir sur le récit hitchcockien, l’introduction d’une des analyses publiée
dans le n° 17 se termine sur ce constat :
« L’unité du travail hitchcockien consiste prioritairement, sinon
exclusivement, dans une infatigable exploration des modalités du récit
cinématographique » (17/16)
Sur l’étude du début de Le vent nous emportera, une parenthèse souligne :
« (on connaît aussi toute l’importance que K accorde à la voiture dans les
possibilités de croiser en chemin d’autres hommes, d’autres femmes cf. Et la
vie continue, Le goût de la cerise , Ten) » (analyse en ligne)
Ce désir de cohérence autorise ainsi toutes sortes d’extensions de l’analyse au-delà
du film ou de la séquence étudiée, destinées à tracer les contours d’un style unifié et
cohérent, à l’échelle de l’œuvre entière d’un cinéaste. Dans une analyse du n° 17, on
constate que :
« même au niveau des détails, Hitchcock ne laisse rien au hasard dans la
mise en scène » (17/40)
et que :
« ce film tisse aussi des liens dans l’œuvre du réalisateur, américaine ou
anglaise, et renvoie à des films proches The wrong man (1957) et éloignés, The
thirty-nine steps (1935). Le thème récurrent est celui du faux coupable qui doit,
seul, prouver son innocence. » (17/35)
638
AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, op. cit., p. 94.
- 371 -
« Tout le film entre en écho avec l’œuvre du cinéaste. » (17/41)
L’unité et la cohérence ne s’envisagent donc pas seulement au sein même de
l’œuvre, mais aussi plus largement au sein de l’ensemble des films d’un même
réalisateur.
Si l’œuvre d’A. Hitchcock paraît en effet propice à ce type de remarque unificatrice,
on sera moins convaincu quand l’auteur de l’analyse filmique use de ce type de
généralisation pour évoquer telle récurrence stylistique « la figure typiquement
hitchcockienne du champ/contre champ » (17/39), car l’on doute qu’A. Hitchcock
soit le seul à utiliser ce raccord très courant dans toute la production
cinématographique et qu’il se caractérise en cela. De même, le « cadre dans le cadre
cher à Demy » (4/13) mériterait qu’un vrai travail de relevé et de comparaison
quantitative ou qualitative sur l’œuvre entière du cinéaste puisse légitimer la
formule.
C’est ainsi que se justifient aussi certaines affirmations très globalisantes et assez
peu justifiées, ou plus exactement justifiées par ce désir de généralisation même, au
sein de phrases qui usent du « présent de vérité générale », là où la prudence paraît
épistémologiquement de mise. Dans un autre exemple d’analyse, l’auteur affirme :
« La direction d’acteur chez Griffith est bien une direction de la parole, en ce
que la parole met les corps en élan, précipite les actions et les catastrophes
(au sens étymologique), mais aussi en ce que le temps de la parole est un
temps de regard sur les personnages, une forme de soumission des
personnages à la cruauté du regard du spectateur » (14/16)
Cet article se propose en effet d’étudier la mise en scène de la parole dans L’Aurore
et dans « le cinéma muet entre 1914 et 1927-29 » (14/15). Le « cinéma muet »
apparaît ainsi assez abusivement unifié, comme dans l’expression la « direction
d’acteur chez Griffith ». L’auteur de cette analyse de L’Aurore apparaît d’ailleurs luimême conscient de cette imprudence épistémologique puisqu’il précise :
« L’observation, loin d’une improbable exhaustivité privilégiera cinq films :
L’Aurore, Le trésor d’Arne, À travers l’orage, Le Rail, Le Mécano de “la Générale”. Il
s’agit d’observer quel traitement est accordé à la parole, et de montrer que
ces moments de parole, loin de devoir être perçus sur le mode du manque et
du palliatif (celui des cartons, de la mimique et du surjeu), sont un élément
- 372 -
essentiel des figures cinématographiques du muet. » (14 /15)
L’approche est ici « Top Down », c’est-à-dire que l’auteur part d’une hypothèse et
cherche sa confirmation dans les faits. Pour résoudre le problème analytique posé,
l’auteur de l’étude crée des liens entre différents films autour d’un aspect très
concret, le traitement de la parole, ici abordé comme symptôme le plus
révélateur… de la spécificité du cinéma muet. L’apparent paradoxe agit aussi
comme un effet rhétorique : il s’agit donc de « montrer que ces moments de parole
(…) sont un élément essentiel des figures cinématographiques du muet » (14/15),
sans pour autant supposer que l’on puisse affirmer l’inverse et que ce type
d’affirmation ne peut se faire que dans la prise en compte d’éléments qui dépassent
le corpus délimité de l’étude et même la stricte analyse filmique. Ici, il est manifeste
que « l’observation » des films est déjà informée par la volonté de « montrer »
quelque chose. Finalement, le corpus à étudier est présumé cohérent jusqu’à preuve
du contraire, elle relève donc théoriquement de l’hypothèse…sans être présentée
comme telle. Cette approche « Top Down » est d’ailleurs un présupposé
méthodologique présent dans les analyses étudiées. Elle s’oppose à l’approche
« Bottom Up » de certaines autres postures théoriques, méthode épistémologique
qui part de l’observation d’un corpus pour tenter de faire émerger des hypothèses
qui ne préexistent pas à la constitution de ce corpus. Ainsi, et conformément à la
rhétorique dissertative qui prévaut dans les sciences humaines en France,
l’introduction des analyses filmiques présente un ou des axes de lecture que
l’analyse aura pour mission de vérifier. Une analyse d’Hiroshima mon amour (n° 16,
mars 2008) introduit ainsi sa démarche interprétative :
« Ce passage procède en superposant les lieux et les temporalités pour
exprimer la subjectivité du temps. Nous verrons comment Resnais utilise les
possibilités techniques cinématographiques pour réaliser ce projet difficile,
axé sur l’examen de l’intériorité. » (16/26)
Le « nous » prend en charge l’intention de l’analyste et anticipe sur la conclusion de
l’analyse : la subjectivisation du temps. Le futur « nous verrons » est bien un futur à
valeur stylistique et non temporelle puisque la démonstration, précisément, est déjà
faite. L’analyse semble donc guidée par une problématisation élaborée en amont qui
- 373 -
justifie l’utilisation de schémas de lectures reposant sur des concepts très abstraits
(le temps, l’espace, l’intériorité), au détriment de l’analyse empirique.
Dans une démarche méthodologique identique, la présentation des axes de l’analyse
d’A. Kiarostami proposée sur le site internet est formulée ainsi :
« C’est donc cette double impression laissée par les premiers plans qui
constituera l’axe de notre analyse. Le prologue multiplie les signes de
reconnaissance (reconnaissance de l’univers de K), mais en même temps
repose sur le principe d’incertitude (Où sommes-nous ? que voyons-nous ?
Qu’entendons- nous ?) » (analyse en ligne)
La « double impression » semble correspondre à une méthode binaire de
catégorisation du monde (« reconnaissance »/« incertitude ») qui renvoie plus ou
moins consciemment au processus humain l’élaboration du sens dans une
perspective cognitiviste. Et l’on retrouve aussi cette démarche dans quelques
analyses filmiques célèbres comme celle de Sigfried Kracauer par exemple qui, dans
De Caligari à Hitler, fait tenir une partie de son analyse autour de l’opposition
tyrannie/chaos.
Dans l’analyse de A. Kiarostami, le « nous » dit « de modestie » et le futur stylistique
suppose une fois encore que cette « double impression laissée » est universelle et
n’est plus à prouver. L’axe d’étude est donc avant tout une vectorisation du regard
de l’analyste. Les « axes d’analyse » sont parfois énumérés et présentés dès
l’introduction comme c’est le cas dans l’analyse de El, avant même l’étude plan par
plan, dans le n° 3 de la revue, p. 20. Certaines analyses filmiques reposent sur un
double mouvement : l’« analyse détaillée » – c’est-à-dire la description des plans –
(15/17) aussi appelée « découpage » (8/15) aboutit à une « synthèse des
observations » (15/19) réunie dans des « axes d’analyses ». Cette démarche est celle
de la dispositio antique : l’organisation du discours est aussi un effet de rhétorique
utilisé dans un but persuasif. Dans un premier temps, les analyses « plan par plan »
semblent correspondre à la linéarité de la réception spectatorielle : c’est ce que les
professeurs appellent « l’analyse linéaire » dans un second temps, le travail
s’organise autour d’une structure plus abstraite générée par l’interprétation : le
« plan d’analyse » qui soumet fatalement le film à la problématique. Ainsi, l’analyste
- 374 -
ne prendra en compte que ce qui, dans le film, va dans le sens de son « axe
d’analyse », parfois peut-être au détriment d’autres aspects du film qui ne « collent »
pas avec cet axe. La question posée en introduction est donc en fait déjà résolue, il
s’agit d’une question rhétorique. Du coup, elle n’apparaît pas comme la formulation
d’une réelle hypothèse d’interprétation, mais au mieux comme un fait acquis dont
on se propose d’exposer la démonstration. On suppose que le travail en amont a pu
faire d’autres hypothèses d’analyse à partir de l’observation du film, et n’a gardé que
celle qui a été vérifiée par le travail de recherche. Cependant, cette façon de ne
montrer que le résultat, comme une interprétation dont la validité est déjà acquise
fait que l’introduction est plus un exercice de style que le gage d’une rigueur
épistémologique, puisqu’elle suggère une hypothèse qui est de toute façon déjà
démontrée et pose une question à laquelle on a déjà répondu. La prudente posture
du doute paraît alors bien mise à mal : l’apparence est celle d’une démonstration qui
aboutira à la conclusion à laquelle on veut qu’elle aboutisse, faussement formulée
dans l’introduction par une question (la fameuse « problématique »). C’est peut-être
dans cette rhétorique dissertative que s’exhibe le mieux la différence entre les
protocoles méthodologiques des sciences dures et le protocole rhétorique des
sciences humaines. La prudence voudrait que l’introduction se présente
explicitement pour ce qu’elle est, c’est-à-dire comme une hypothèse possible
d’interprétation, consciente d’éventuelles renégociations et toujours susceptible
d’invalidations que la rigueur de l’analyse peut seulement tenter de limiter.
Cette posture « Top Down » est aussi encouragée par la croyance, non interrogée,
en la cohérence de l’œuvre étudiée. On se saurait dire qui est la conséquence de
l’autre : l’habitude méthodologique est-elle une conséquence de l’hermétisme
théorique ou est-ce l’inverse, la conception théorique de l’œuvre unifiée et du sens
univoque qu’elle renferme de façon étanche semble-t-elle autoriser l’imprudence
méthodologique de l’affirmation définitive ou de la question rhétorique ? Citons à
titre d’exemple le début d’une analyse de Sans soleil, n° 12, p. 21 :
« Écouter, ou regarder. Parler ou se taire : sur ces deux oppositions se
construit la relation de l’auteur et du spectateur dans Sans Soleil (…) C’est
- 375 -
cette tension, dont nous voudrions monter qu’elle construit la dynamique
profonde du film. »
La « dynamique profonde du film » c’est bien cette unité primordiale censée le
sous-tendre, une « structure profonde » qui, dans la lignée des thèses formalistes et
de leurs extensions structuralistes font le pari d’une logique interne de l’œuvre.
Cette structure profonde est encore une fois redoublée par une stratégie
d’opposition (écouter/regarder, parler/se taire), stratégie d’élaboration du sens déjà
rencontrée plus haut.
L’idée d’une « structure profonde » de l’œuvre est un parti pris théorique que l’on
retrouve donc aussi dans l’activité critique, celle de J. Douchet par exemple, pour
qui, selon J. Aumont et M. Marie :
« Un principe thématique central informe l’œuvre tout entière d’un
cinéaste. »639
La fin de l’introduction d’une analyse des sept premières minutes de North by
Northwest (n° 17) est également très révélatrice à cet égard :
« D’un film à l’autre, la géographie que construit Hitchcock a-t-elle une
cohérence et quelle est-elle ? Comment et pourquoi cet espace
cinématographique si singulier nous fait-il peur ? Et que nous révèle-t-il de
l’homme et de son rapport au monde ? C’est à cette exploration de toute une
œuvre que nous vous invitons, en nous donnant North by northwest pour
direction et Roger Thornhill/Cary Grant pour guide. » (17/20)
La première interrogation est exemplaire de la posture « Top Down » puisqu’elle
répond à la question en même temps qu’elle la pose. En dehors de l’élégance
formelle de cette introduction, elle indique bien la vectorisation déjà très forte de
l’analyse – et le film d’A. Hitchcock est tentant à cet égard puisque le titre lui-même
fait le pari d’une orientation – mais elle suppose aussi une « cohérence » de
« l’espace géographique que construit Hitchcock » « d’un film à l’autre ». Cette
récurrence méthodologique prend bien appui sur la certitude d’une unité
thématique et formelle de l’œuvre d’un « auteur » comme processus fini ayant un
sens univoque que l’analyse se donne pour but de révéler.
639
AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, op. cit., p. 94.
- 376 -
Du point de vue des influences qui légitiment cette méthodologie, c’est sans doute
S. Daney qui a le plus martelé dans la critique cinéphilique des Cahiers du cinéma
l’obsession de la « cohérence » des films. Les Cahiers de cinéma sont d’ailleurs une
référence admise des Cahiers des ailes du désir. Les critiques et théoriciens des Cahiers
du cinéma sont à l’honneur dans ce numéro sur A. Hitchcock qui s’appuie sur le
numéro spécial de la revue publié en 1954 et convoque fréquemment les grands
noms de cette période critique de la revue (les années 50-70) : J.-L. Godard, E.
Rohmer, J. Douchet640. Redisons ici que la revue pédagogique s’est elle-même autodésignée comme « Cahiers », ce qui n’est sans doute pas un hasard. Ce point de vue
théorique semble donc inextricablement lié avec une perspective auteuriste, celle
théorisée par les Cahiers du cinéma à travers la « politique des auteurs ». L’ouvrage
intitulé ainsi et publié dans la « Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma » est
également convoqué dans la bibliographie du n° 17 (17/10). Je rejoindrai sur ce
point la remarque de J. Aumont et M. Marie, qui permet la synthèse d’une
démarche méthodologique avec une posture théorique :
« La “politique des auteurs” logiquement centrée sur l’analyse de l’œuvre est
donc une méthode interprétative des films. Chaque élément d’un film
particulier est décrypté en fonction d’une vision du monde définie par
l’analyste. »641
La « vision du monde définie par l’analyste » correspond, dans les analyses étudiées,
à la vectorisation du regard, souvent défendue dès l’introduction, que j’ai pu
souligner. Jusqu’ici, toutes les stratégies de production de sens relevées dans les
analyses du Cahier des ailes du désir sont communes avec les stratégies employées par
la critique cinématographique. Encore une fois, l’exercice d’analyse filmique semble
bien plus proche de l’exercice critique que du travail théorique. Or l’exercice
critique s’appuie souvent sur la « manière » dont le film raconte l’histoire. Ainsi,
dans les influences théoriques issues de la littérature qui subsistent à l’état de traces
dans ces stratégies de production de sens de l’analyse filmique, on peut voir aussi
640
641
Voir le tableau récapitulatif en annexe.
AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, op. cit., p. 27.
- 377 -
des éléments qui relèvent de l’étude narratologique.
4.3.5 L’étude narratologique ou l’influence
de
la
linguistique :
« l’analyse
de
film
comme récit » 642
L’étude narratologique, le plus souvent largement inspirée de la théorie littéraire et
particulièrement des études narratologiques de G. Genette inspirée de Vladimir
Propp et Émile Benveniste et développée par Henri Bremond, A.-J. Greimas,
Tristan Todorov et – ici encore – R. Barthes, est également une théorie présente
dans les analyses envisagées. L’analyse intitulée « H », dans le n° 17 par exemple,
déplie le principe du décalage d’information entre le spectateur et le personnage, ce
qu’avait très largement théorisé G. Genette à propos des romans d’Agatha Christie
dans Figure III. Notons que le narratif n’est pas spécifiquement cinématographique,
qu’encore une fois l’adaptabilité de la théorie au cinématographique est au centre de
débats théoriques, et que ces études narratologiques ne sont véritablement efficaces
que si elles concernent des films de fiction réalistes narratifs. C’est pourquoi dans
les études retenues ici, l’étude du récit fait partie intégrante des analyses, que ce soit
dans une perspective structurale ou de réflexion sur l’énonciation. Dans L’Esthétique
du film, les auteurs soulignent que :
« Puisque la fiction ne se donne à lire qu’à travers l’ordre du récit qui la
constitue peu à peu, une des premières tâches de l’analyste est de décrire
cette construction. »643
Un passage s’ouvre alors entre des unités thématiques et le niveau structural.
Notons que cette méthode ne suppose pas de participation active du lecteur lors du
processus de constitution du sens et n’assigne pas non plus au film une fonction de
« leçon de vie ».
642
643
Ibid., p. 91.
AUMONT Jacques, BERGALA Alain et VERNET Marc, L’Esthétique du film, op. cit., p. 76.
- 378 -
Reprenons l’analyse intitulée « H » ( 17/3-10). Cette analyse repose sur une
réflexion sur l’énonciation, sur les degrés de connaissance du destinataire (le
spectateur) par rapport à la manière dont le récit est produit :
« Léonard tire sur Vandamm pour démontrer la perfidie de sa maîtresse.
Dans l’incapacité d’agir, séparé par une vitre infranchissable, le héros est
témoin d’un faux-semblant auquel pourtant il participe malgré lui, comme le
spectateur dans une scène-miroir où celui-ce se réfléchit. » (17/5)
L’italique souligne que ce sont bien ce que G. Genette appelle les « modes du récit »
qui sont ici étudiés, c’est-à-dire la distribution, par le récit, au destinataire des
indices de l’histoire :
« On peut en effet raconter plus ou moins ce que l’on raconte, et le raconter
selon tel ou tel point de vue ; et c’est précisément cette capacité et les
modalités de son exercice, que vise notre catégorie du mode narratif : la
« représentation » ou plus exactement l’information narrative a ses degrés ; le
récit peut fournir au lecteur plus ou moins de détails, et de façon plus ou
moins directe, et sembler ainsi (pour reprendre une métaphore spatiale
courante et commode, à condition de ne pas la prendre à la lettre) se tenir à
plus ou moins grande distance de ce qu’il raconte. »644
La question de la « distance » est bien au centre de l’extrait ci-dessus, ce que toute
cette analyse va d’ailleurs confirmer.
D’autres analyses reposent davantage sur l’analyse structurale du récit, sur la façon
dont il s’organise en séquences d’événements. C’est le cas de l’étude de la scène de
la vente aux enchères qui propose un découpage de la scène en « acte » en
s’appuyant sur un texte théorique sur le théâtre (La Dramaturgie de Yves Lavandier),
pour circonscrire les différents moments d’articulation de récit. Cette analyse qui se
compose de trois parties, elles-mêmes subdivisées en trois sous parties, selon le
modèle rhétorique de la dissertation, consacre le début de chacune des grandes
parties à une réflexion sur la progression du récit et la structure de l’extrait. Ces
sous-parties sont d’ailleurs systématiquement intitulées : « définition, indices,
structure » dans les deux premières parties du plan (17/35 et 37).
Dans une analyse d’Hiroshima mon amour, la première partie porte sur la construction
644
GENETTE Gérard, Figure III, Paris : Seuil, coll. « Points essais », 1972, p. 183.
- 379 -
du récit. Le titre de cette première partie est d’ailleurs :
« I. Séquence remarquable par sa construction : 21 plans organisés très
rigoureusement. » ( 16/26)
Pourquoi cette attention portée à la « construction » ? Sans doute parce que
l’analyse formelle ne peut sans dommage pédagogique exclure totalement la
réflexion sur le contenu et que l’analyse du récit en termes de structure et
d’énonciation est une caution formelle pour parler de « ce que ça raconte », c’est-àdire une caution formelle pour parler du fond. C’est l’idée selon laquelle :
« dans un film narratif, le style peut permettre de faire progresser la chaîne
causale, créer des parallèles, manipuler les relations entre le récit et l’histoire
ou alimenter le flot des informations narratives. »645
Il s’agit bien de regarder « comment l’histoire se raconte » : les données
narratologiques permettent donc toujours de mettre en relation le style et le
contenu. Le film narratif est donc le meilleur support d’étude de ces « formes
générales de l’organisation du discours » ce qui explique peut-être que tous les films
au programme du baccalauréat sont des films narratifs.
Je reprendrai ici une publication théorique précisément faite autour de l’analyse
filmique dans le Cahier des ailes du désir n° 2, écrite en 1995. Elle commence par
définir, en première partie, la « matière du film » :
« I. tous les éléments et matériaux convoqués, construits pour faire la matière
du film ne prennent forme et sens qu’à travers des « lieux de choix » définis
par la nature et les possibilités des outils cinématographiques. » (2/19)
Cette partie commence par proposer un tableau de la « chaîne de fabrication du
film » puis développe classiquement les éléments de la mise en scène : « le choix du
cadre », les focales et l’éclairage comme « lieu où se choisit aussi un regard sur le
monde », puis une réflexion sur la photosensibilité du support et les progrès
techniques, « le montage ou le déplacement du sens entre les plans » et enfin « le
son ». La deuxième partie, qui m’intéresse ici davantage, se consacre à l’aspect
narratologique :
645
BORDWELL David, THOMPSON Kristin, L’art du film une introduction, op. cit., p. 207.
- 380 -
« II. L’écriture cinématographique tire sa force de son inscription dans quatre
relations fondamentales. » (2/20)
Ces quatre relations sont les suivantes : la « relation à l’espace », « la relation au
temps et au moment », « la relation à l’autre » : la « construction du personnage » et
enfin la « relation au récit ».
Cette partie invite à « faire prendre conscience des différences de mode de
déroulement du récit. » (2/24) et précise :
« On peut par ailleurs attirer l’attention sur quelques caractéristiques
spécifiques de la narration cinématographique. Par exemple :
- la très grande liberté narrative par rapport au « temps diégétique » ;
- la question, fondamentale pour le rapport du spectateur au récit, de
l’information. » (2/24)
L’analyse du film comme récit fait donc partie des attendus de l’analyse filmique.
L’étude des « modes du récit » trouve un modèle théorique dans l’étude des
rapports entre l’énoncé et l’énonciateur dans les Essais de linguistique générale d’Émile
Benveniste dans les années 70, et dans la reprise qu’en fera G. Genette pour les
appliquer précisément à la littérature dans sa théorisation de la notion de
« focalisation », ainsi que sa conceptualisation de « l’ordre » et la « durée » du récit.
La notion même de « temps diégétique » et de « mode de déroulement du récit » est
directement importée de Figure III. Le travail conseillé sur le « déroulement du
récit » et la « construction du personnage » peut également s’inspirer des analyses
structurales qu’ont produites différents théoriciens, comme V. Propp dans son
étude narratologique de la Morphologie des contes646 et la modélisation en termes de
« morphologie du récit » que propose A.-J. Greimas en 1966. Notons que La
Grande Syntagmatique de C. Metz est publiée la même année que Sémantique
structurale : recherche et méthode de A.-J. Greimas et que les deux œuvres ont pour but
commun de proposer une sémantique structurale qui vise à donner une description
scientifique et généralisante de la signification, dans la lignée de V. Propp. La
grammaire du récit de V. Propp a ensuite cédé la place au modèle de A.-J. Greimas
646
Texte présenté par Claude Lévi-Strauss en France en 1960.
- 381 -
et Joseph Courtes : les structures narratives se transforment en structures « sémionarratives » qui doivent être comprises « dans le sens de structures sémiotiques
profondes (qui président à la génération de sens et comportent les formes générales
de l’organisation du discours). »647
La
notion
de
« schéma
actanciel »
ou
« narratif »
et
les
figures
du
sujet/objet/destinataire/destinataire/opposant/adjuvant se trouvent chez A.-J.
Greimas. Soulignons au passage que le système de V. Propp était composé de pas
moins de trente-et-une « fonctions » narratives (les « narratèmes ») et qu’il serait
effectivement périlleux de tenter de l’appliquer à un film dans le cadre d’une analyse
de quelques pages. Ces « fonctions » du personnage correspondent chez V. Propp à
l’action des personnages définie du point de vue de sa signification dans le
déroulement de l’intrigue, ce qui explique que les études narratologiques recoupent
une étude de la « construction des personnages ». Ici encore les personnages au
comportement télique, menés par une finalité, correspondront davantage aux
possibilités heuristiques de tels schémas théoriques. Encore une fois la formation
littéraire d’un grand nombre de professeurs en charge de l’option explique peut-être
ce recours à la narratologie, même si ces références ne sont pas explicitement
convoquées. Le choix des œuvres abordées dans les programmes se plie donc aussi
aux outils heuristiques les plus facilement déployables pour les étudier. Mais ces
théories, si elles ont inspiré certaines démarches d’analyse, sont allégées au moment
de leur transposition didactique par rapport aux typologies très complexes de
structures narratives ou de séquences narratologiques proposées par les théoriciens
cités ci-dessus. J’insiste à nouveau sur le fait que ces démarches me semblent aussi
permettre d’évoquer de ce dont parle le film, tout en évitant la paraphrase, puisqu’il
s’agit de décrypter des « modes de fonctionnement ». A.-J. Greimas et J. Courtes
insistent beaucoup sur cette dimension théorique de l’analyse du récit qui permet
d’échapper à l’écueil de la paraphrase :
647
GREIMAS Algirdas-Julien et COURTES Joseph, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage,
Paris : Hachette, 1979, p. 364.
- 382 -
« La sémiotique narrative n’étudie pas les actions proprement dites, mais des
actions « de papier », c’est-à-dire des descriptions d’action. C’est l’analyse des
actions narrées qui lui permet de reconnaître les stéréotypes des activités
humaines et de construire des modèles typologiques et syntagmatiques qui
en rendent compte. L’extrapolation de telles procédures et de tels modèles
peut alors donner lieu à l’élaboration d’une sémiotique de l’action. »648
Comme l’analyse filmique, telle qu’elle se met en œuvre dans les exemples évoqués,
tend à éviter de se cantonner au fond, la narratologie, même très simplifiée,
apparaît aussi comme une solution pour se demander « de quoi ça parle ? », mais
« sans en rester là », comme si le « contenu » pouvait être dépassé dans le repérage
de « modèles typologiques » constants. Pourtant ces modèles théoriques sont mal
adaptés à l’analyse filmique en lycée dans la mesure où ils présupposent des outils
théoriques complexes qui engageraient un savoir et un savoir-faire des élèves
difficile à exiger dans le cadre d’un enseignement artistique. Par ailleurs, ces
modèles narratologiques ne fonctionnent bien que si l’intrigue du film est
relativement simple. R. Barthes lui-même dans S/Z écrivait :
« Tout cela revient à dire que pour le texte pluriel, il ne peut y avoir de
structures narratives, de grammaire, ou de logique du récit. »649
L’application partielle ou non conscientisée des théories narratologiques me semble
en outre « piégeante » en ce qui concerne l’analyse filmique, car sujette à des
amalgames entre personnage/énonciateur/réalisateur/énonciation/caméra. Cet
amalgame est perceptible dans cet extrait de l’analyse de El dans le n° 3 des Cahiers :
« Le regard du public est guidé par celui de la caméra située à l’abri de la tour
et en position de spectatrice (elle ne participe pas, elle ne s’identifie à aucun
des protagonistes). Bunuel, par le choix d’un point de vue extérieur au duel
entre les personnages, préserve un mystère. Même enregistrée avec cette
(vrai-fausse) objectivité, la scène autorise à douter de la capacité de la pulsion
meurtrière de Francisco à aller jusqu’à l’acte. Elle permet aussi de supposer
que Gloria exagère le danger qu’il représente. Que s’est-il passé ? » (3/21)
La question du « point de vue » est ici dépliée de façon un peu approximative : le
« regard du public » est « guidé » par « celui de la caméra » ce qui présuppose la
648
GREIMAS Algirdas-Julien et COURTES Joseph, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, op.
cit., p. 8.
649
BARTHES Roland, S/Z, Paris : Seuil, coll. « Points essais », 1970, p. 12.
- 383 -
croyance, très répandue dans l’analyse filmique, en une « identification primaire »
du spectateur avec la caméra.. Cette identification est ici rapportée à une question
de place, le « point de vue extérieur ». Mais le « regard » de la caméra, ici
abusivement personnifiée, est-il un mode de focalisation ? Ce « guidage » est-il un
mode d’énonciation ou une possibilité non obligatoire de lecture ? À quelle instance
d’énonciation correspond « la caméra » ? est-elle de l’ordre de l’énoncé, puisqu’elle
semble, dans ce paragraphe, faire partie intégrante de l’histoire ? de l’énonciateur ?
mais elle est un objet existant matériellement et non un concept théorique, ou bien
in fine – et c’est ce que suggère la formulation « spectatrice » – doit-elle être
assimilée au destinataire ? L’apparition de « Bunuel » dans la deuxième phrase
justifie finalement la posture analytique en repassant du côté des choix de
réalisation, là où l’analyse semblait partir sur une étude de l’énonciation. L’idée que
« Bunuel » « préserve un mystère » assimile sa démarche auteuriale à une démarche
d’énonciation, amalgame qui est aussi un présupposé courant : le réalisateur devient
un narrateur en vertu du fait qu’il apparaît comme une figure « d’autorité » invisible
et omnisciente se cachant derrière toute l’action du film. L’outil heuristique de cette
méthode analytique présuppose donc une « source extérieure du sens », une
instance qui se tient en dehors de la diégèse et produit un sens en relation avec
elle. Telle est la conséquence de l’assimilation entre « auteur » et « énonciateur », qui
relève pourtant d’une confusion entre un élément fonctionnel du récit et la
personne physique du cinéaste. Le présupposé est que le travail de « monstration »
devient un travail d’énonciation et joue un rôle dans l’identification : plus l’instance
d’énonciation se dévoile (même si c’est ici pour se décentrer de la scène) moins le
spectateur est amené à s’identifier.
La personnification de la « caméra » est-elle un moyen médian pour se sortir de
cette confusion auteur/énonciateur ? La solution est peu convaincante puisqu’elle
prête une intention à un objet et apparaît du coup comme un artifice rhétorique.
On voit bien ici que la caméra, quand elle est convoquée dans les analyses
filmiques, n’est pas présentée comme un objet ayant un poids, un coût, une
- 384 -
dimension, mais comme une construction heuristique permettant de véhiculer du
sens, de supporter des décisions narratives ou une implication mentale ou émotive.
Enfin, les personnages sont présentés selon des hypothèses psychologiques quant à
leur intériorité, ce qui est un contresens narratologique lourd, dans la mesure où un
personnage est une construction et en l’occurrence une construction du récit. La
dimension « behaviouriste » du cinéma ne devrait pourtant jamais être perdue de
vue : en tant que spectateur nous avons accès à l’intérieur seulement par l’extérieur,
on attendait donc plutôt une analyse sur le jeu de l’acteur ou sur l’action des
personnages. Quant au pari que la caméra « guide » le regard du spectateur, il est
une hypothèse parmi d’autres, car la focalisation induite par le placement de la
caméra ne peut être que relative et variable. En outre, cette analyse porte la trace du
discours psychanalytique – freudien et lacanien – parfois à l’œuvre dans les analyses
filmiques étudiées, quand bien même cette caméra précisément « ne s’identifie à
aucun des protagonistes ». La psychanalyse est par ailleurs présente dans la notion
même de « pulsion meurtrière » et du passage à l’acte que développe l’analyse. Ce
discours psychanalytique, présent dans quelques analyses étudiées, me semble
relever de ce que D. Bordwell appelle une « approche symptomatique ».
4.3.6 « L’interprétation symptomatique »
Il s’agit bien dans l’analyse textuelle de mettre en œuvre une modalité de lecture de
l’implicite et il s’agit à la fois de trouver une correspondance plus ou moins
métaphoriquement entre fond et forme, comme je l’ai déjà dit, et de percevoir en
quoi le rapport « fond /forme » est lui même symptomatique d’un sens caché. C’est
ce
que
D.
Bordwell
dans
Making
Meaning
appelle « l’interprétation
symptomatique »650 que la prédisposition à l’élaboration psychanalytique du sens
que nous avons observé plus haut semble encourager.
650
BORDWELL David, Making Meaning, Inférence and rhetoric in the interpretation of cinema, Cambridge,
Massachusetts : Harvard film studies, 1989, p. 95 : « symptomatique interpretation ».
- 385 -
Cette approche symptomatique peut relever d’un sens réprimé, élaboré grâce à un
processus d’inférence, comme semble le suggérer une analyse filmique sur la scène
du dîner d’À nos amours de M. Pialat dans le n° 8 de la revue :
« Cet ordre est également dans les choses, dans le montage diégétique. Ordre
latent qui tient, malgré le désordre apparent et les gesticulations des
protagonistes. Comme une sorte de destin auquel les personnages
n’échappent pas, se dégage un agencement qui se vérifie malgré eux » (8/20)
Désigné comme un « ordre latent qui tient », le montage est ici personnifié,
considéré comme « un agencement qui se vérifie » à l’insu des personnages. Le
« texte » semble porteur d’un inconscient et les personnages dotés d’un « destin »
sont traités comme de véritables personnes extradiégétiques. Cette personnification
générale des personnages, mais aussi finalement du film lui-même, induit la
possibilité d’un processus mental à l’intérieur du « montage diégétique » considéré
comme une entité construite selon un modèle analogique avec l’humain.
Ce sens caché, enfui dans l’univers diégétique anthropomorphisé peut aussi s’avérer
proche d’un sens plus ou moins refoulé, quand l’analyse vient en faire un point
d’ancrage d’une analyse psychologique de l’auteur, quelques lignes plus loin :
« Là, fait ses racines un pessimisme noir chez Pialat. On n’en sort pas, on est
ce qu’on n’est pas, malgré soi. » (8/20-21)
La fabrication globale du film fonctionne donc comme le « symptôme » d’un fatum
que l’« ordre latent » de l’œuvre produit de façon sous-jacente et qui révèle aussi
une vision du monde de l’auteur. Il s’agit somme toute de décrypter un
« inconscient du texte » voire, dans le prolongement, un « inconscient » de l’auteur,
que l’analyse vient trouver dans des détails infimes et précis de l’élaboration
formelle et thématique du film. On trouve également ce type de méthodologie dans
l’analyse littéraire, dès les années 30, sous le nom de « stylistique génétique » lorsque
l’analyse du texte permet finalement d’accéder à la connaissance de l’auteur. Léo
Spitzer en est son principal représentant : il revendique la recherche de « la racine
psychologique »651du texte à partir d’éléments stylistiques frappants, des écarts qui
651
SPITZER Léo, Études de style, traduit de l’anglais et de l’allemand par Éliane Kaufholz, Alain Coulon et
- 386 -
peuvent être ramenés à un « symptôme » de la vision du monde de l’auteur, un
« passage du langage ou du style à l’âme »652.
On ne peut pas ne pas voir en outre dans cette démarche une influence de S. Freud
et de la démarche psychanalytique. Ce type d’analyses me semblent être encore un
héritage partiel et partial du structuralisme. On trouve ici, en effet, le rappel de
certaines analyses de C. Lévi-Strauss dans son Anthropologie structurale, associées à la
démarche freudienne : l’idée qu’un système de codes culturels construit des sens
implicites auquel tout individu est soumis plus ou moins malgré lui. Se manifeste
aussi l’existence d’un « inconscient culturel » – dans la perspective de C. LéviStrauss – ou d’un inconscient tout court – pour la psychanalyse – tous deux
générateurs de sens cachés. À la suite de C. Lévi-Strauss, qui interprète les systèmes
culturels à travers la structure des mythes sociaux, R. Barthes, entre autres, reprend
cette
méthode
dans
son
célèbre
Mythologies.
L’approche
est
toujours
symptomatique, mais le but est de trouver des structures globales qui se
manifestent au sein de constellations sémantiques. La littérature (et le cinéma à sa
suite) a nommé ce courant « La Nouvelle Critique ». Mais il faut noter que dans la
théorie littéraire se précisait en outre une certaine théorie de la réception puisqu’un
système de codes toujours changeants est construit par l’analyste en fonction des
lectures et des époques de réception. C’est la position théorique que défendra pour
la littérature Umberto Eco dans L’Œuvre ouverte :
« Une œuvre d’art est d’un côté un objet dont on peut retrouver la forme
originelle, telle qu’elle a été conçue par l’auteur, à travers la configuration des
effets qu’elle produit sur l’intelligence et la sensibilité du consommateur :
ainsi l’auteur crée-t-il une forme achevée afin qu’elle soit goûtée et comprise
telle qu’il l’a voulue. Mais d’un autre côté, en réagissant à la constellation des
stimuli, en essayant d’apercevoir et de comprendre leurs relations, chaque
consommateur exerce une sensibilité personnelle, une culture déterminée,
des goûts, des tendances, des préjugés qui orientent sa jouissance dans une
perspective qui lui est propre. Au fond, une forme est esthétiquement valable
justement dans la mesure où elle peut être envisagée et comprise selon des
perspectives multiples, où elle manifeste une grande variété d’aspects et de
Michel Foucault, Paris : Gallimard, coll. NRF, 1970, p. 54.
652
Ibid.
- 387 -
résonances sans jamais cesser d’être elle-même. »653
À partir de cette conception structuraliste de l’œuvre, R. Barthes comme U. Eco
conçoivent un point de vue sémiotique qui explique précisément comment les
signes sont transférés de leur contexte historique de départ dans un autre, afin
d’expliquer la distance ainsi produite en remontant jusqu’à la signification originelle.
Pour R. Barthes, le rapport entre l’œuvre et son lecteur relève d’une sémiosis libre : il
ne s’agit pas de retrouver le sens que l’auteur a voulu donner à son œuvre, mais de
constituer un sens propre à l’analyste, qui devient du coup lui-même créateur. Or
on remarque dans les emprunts que l’analyse filmique en lycée peut faire de cette
théorie une éviction très révélatrice : la dimension historique de la réception est
largement évitée, la possibilité d’une disponibilité de l’œuvre à différentes lectures
est repoussée et les analyses filmiques étudiées ne prennent quasiment pas en
compte l’activité de production de sens du spectateur face au film. Pourtant elle
garde de la démarche barthienne la revendication plus ou moins explicite d’une
subjectivité de l’analyse. Ici encore l’élaboration théorique survit à nouveau
seulement à l’état de trace : on privilégie dans l’analyse filmique l’analyse structurale
au détriment des études de la réception, sans doute parce que le cinéma revendique
et doit défendre – peut-être plus que la littérature finalement – une dimension
sacrée et donc autonome et immuable de l’œuvre.
Par ailleurs la notion de « symptôme » induit de dépasser l’analyse de détail pour
parvenir à une vision globalisante de l’œuvre et de son unité puisque le sens est lié à
l’élaboration d’un système. La mise en relation des détails en un système rejoint
encore la croyance en une cohérence très forte du « texte » filmique et du « style »
d’un réalisateur considéré comme un auteur.
653
ÉCO Umberto, L’oeuvre ouverte, la poétique de l’oeuvre ouverte, traduit de l’italien par Chantal Roux de
Bézieux avec le concours d’André Boucourechliev, Paris : Seuil, coll. « Points », 1990, p. 16-17.
- 388 -
4.3.7 Retour
à
l’ « auteurisme »
comme
enjeu de production de sens dans l’analyse
filmique
Michel Foucault écrivait à propos de l’auteur :
« Tous ces récits, tous ces poèmes, tous ces drames ou comédies qu’on laisse
circuler au Moyen-Âge dans un anonymat relatif, voilà que maintenant, on
leur demande (et on exige d’eux qu’ils disent) d’où ils viennent, qui les a
écrits ; on demande que l’auteur rende compte de l’unité du texte qu’on met
sous son nom ; on lui demande de révéler, ou du moins de porter par-devers
lui, le sens caché qui les traverse ; on lui demande de les articuler, sur sa vie
personnelle et sur ses expériences vécues, sur l’histoire réelle qui les a vus
naître. L’auteur est ce qui donne à l’inquiétant langage de la fiction, ses
unités, ses nœuds de cohérence, son insertion dans le réel. »654
J’ai montré plus haut que la « politique des auteurs » informe la formulation des
programmes officiels, et il s’agit de montrer ici qu’elle informe également la
pratique de l’analyse filmique.
Le recours à l’auteur fait en effet partie des récurrences des analyses filmiques, y
compris en dehors de l’enseignement en lycée. Le réalisateur devient ainsi l’agent
capable de supporter et d’ancrer tout le poids sémantique du film. Ici le lien
séculaire entre auteur, autorité et authenticité pèse également en tant qu’il légitime
le processus de l’analyse lui-même. On peut se demander si ce recours systématique
à une figure unifiée de l’auteur n’est pas en relation avec la prédisposition au
formalisme des analyses étudiées : l’auteur permet d’unifier les rapports entre les
« signifiants » du film.
Cet auteurisme est largement décelable dans le corpus d’analyses rédigées et
publiées que j’ai étudié. Dans les différents numéros de la revue, il est d’ailleurs
révélateur de constater que le terme « auteur » est assez systématiquement utilisé
654
FOUCAULT Michel, L’Ordre du discours, Paris : Gallimard, coll. « NRF », 1975, p. 30.
- 389 -
pour désigner le réalisateur du film. Le mot « réalisateur » est même assez rare : au
mot « auteur » s’adjoint le terme « cinéaste », mais le « réalisateur » apparaît peutêtre comme une dénomination trop technique dans une perspective auteuriste, il est
en tout cas plus rare. Une des occurrences du terme relevées dans le corpus est
significative à cet égard :
« Resnais prend d’ailleurs soin de ménager une alternance, des inserts images
variées, décalées. Toute la boîte à outils du bon réalisateur est présente, prête
à fonctionner. » (16/24).
Le mot « réalisateur » est bien ici mis en relation avec une métaphore qui renvoie à
l’activité technique et manuelle de la « boîte à outils ». Ailleurs on trouve :
« La technique des grands acteurs, comme celle des grands réalisateurs,
s’efface derrière le style » (17/31)
L’affirmation semble rejoindre le même présupposé : l’opposition style/technique
se fait au mépris de la technique, qui justifie l’utilisation, dans ce cadre sémantique
précisément, du terme « réalisateur ». Si la technique des « grands réalisateurs »
s’efface devant le « style », c’est aussi parce que domine « la figure de l’auteur
comme personnalité »655 dont les obsessions, le « style personnel », marquent le film.
On retrouve ces présupposés théoriques dans le texte de Jean-Claude Biette Qu’estce qu’un cinéaste ? qui renvoie le terme « réalisateur » à sa dimension technique et
l’oppose à trois termes : auteur, metteur en scène, cinéaste :
« Réalisateurs, metteur en scène, cinéaste, auteur, sont les principaux mots
dont on recouvre, à travers les époques d’un siècle de cinéma, quiconque fait
un film, puis un autre, puis encore d’autres : le premier a une connotation
neutre, comme s’il s’agissait d’une pure activité matérielle et mécanique, et
s’applique à tous tandis que les trois autres noms suggèrent chacun une
orientation spécifique dans le travail des films qui s’y rapportent. »656
Une analyse du n° 17 du Cahier des ailes du désir me semble particulièrement
révélatrice de la prédisposition auteuriste de la revue. J’en cite un extrait
volontairement assez long :
« Depuis que la forme a perdu sa transparence et par là de son innocence (“le
655
656
BORDWELL David, THOMPSON Kristin, L’art du film une introduction, op. cit., p. 58.
BIETTE Jean-Claude, Qu’est-ce qu’un cinéaste ?, Paris : POL, 2000, p. 15.
- 390 -
travelling est affaire de morale”), le récit se dévoile comme discours, ce qu’il
est de toute façon. L’usage insolite ou ostentatoire d’un montage, d’un
cadrage ou d’un mouvement d’appareil relève un fiat qui exprime la
souveraineté, la toute-puissance de l’Auteur comme chez Orson Welles. Le
monde représenté est sa représentation. En instaurant un petit jeu complice
avec le spectateur (cherchez l’auteur), les caméos d’Hitchcock revendiquent
plaisamment un pouvoir jusque-là confisqué par les producteurs
hollywoodiens. Mais au-delà de l’auteur, c’est le cinéma qui semble faire
signe et devenir son propre caméo, manquant d’une certaine manière sa
perfection, comme on parle de crime quand il se dissimule comme crime :
cherchez le cinéma. L’épiphanie de l’auteur est en réalité celle d’un art, d’une
forme souveraine, libérée de sa soumission au contenu, parce qu’ “elle le
crée”. Comme chez Manet, la fabrique de l’image s’exhibe au détriment du
rendu et entre dans le régime de l’innovation ou s’exerce le pouvoir régalien
du créateur. D’où le goût de la Nouvelle vague pour un cinéma ouvertement
cinématographique, celui qui ôte le masque de la vraisemblance, voire le
cinéma raté des “grands films malades” qui méritent considération selon
Truffaut. » (17/9)
Ce qui me frappe en premier lieu dans cet extrait c’est le vocabulaire chrétien qui
est utilisé : « épiphanie », « fiat », « elle le crée ». Gageons qu’il peut être un credo
spécifique à l’auteur. Mais plus généralement, l’œuvre cinématographique apparaît
comme une démiurgie, et l’Auteur avec un grand A est avant tout un Créateur,
c’est-à-dire peu ou prou une figure divine. Par ailleurs, ce paragraphe est encore
une fois une apologie de la vision moderniste de l’art : forme « souveraine »,
supérieure au fond en cela « qu’elle le crée », référence à E. Manet parangon de la
modernité en peinture et de O. Welles comme figure exemplaire de l’Auteur du
cinéma moderne, revendication du « pouvoir régalien du créateur » contre les
intérêts
économiques
du
« producteur
hollywoodien »,
mépris
pour
la
« vraisemblance » considérée comme un « masque » trompeur qu’il faut savoir ôter
pour délivrer et exhiber la toute puissance de la forme. On rejoint là l’allégorie
platonicienne de l’Idée comme « Forme » qu’on ne peut appréhender qu’en sortant
de la fausse lumière des apparences trompeuses de la caverne ici représentée par la
« vraisemblance », et défense de « l’innovation » comme qualité suprême de l’œuvre.
On retrouve le modernisme évoqué plus haut, qui passe aussi par la figure du
Créateur entièrement responsable de son œuvre et du sens qu’il lui donne. Dans
- 391 -
cette même analyse, A. Hitchcock est à plusieurs reprises désigné par le terme « Le
Maître », expression d’ailleurs récurrente pour parler de lui dans ce numéro de la
revue et conformément à une tradition cinéphilique largement véhiculée par
l’idolâtrie des « Jeunes Turcs » pour A. Hitchcock. Il est question de lui comme « le
grand imagier », adossé à la conception voltairienne du « grand horloger », figure du
Dieu indépendant des religions :
« Le grand Imagier est aussi ce grand horloger que figure la personne
d’Hitchcock dans son apparition rituelle au début de Fenêtre sur cour. » (4 /17).
La métaphore du « grand imagier » apparaît pour la première fois sous la plume
d’Alfred Laffay, dans La Logique du cinéma en 1964 pour désigner une « présence »
derrière les images du réalisateur. Un peu plus loin dans cette analyse, c’est l’action
« démiurgique » du cinéma qui est convoquée pour comprendre le plan-séquence :
« Paradoxalement il y a quelque chose de démiurgique dans le plan-séquence,
dont le réalisme formel fait concurrence au réel et trouve là sa limite : le
plan-séquence d’une vie complète échappe au cinéma. » (4/17)
Le plus étonnant est que paradoxalement, cette analyse adopte une posture critique
par rapport à l’idolâtrie qu’A. Hitchcock a pu susciter chez certains critiques des
Cahiers du cinéma dans les années 50 !
D’autres « auteurs » sont auréolés de ces pouvoirs sacrés qui les transfigurent en
êtres supérieurs dans la rhétorique du Cahier des ailes du désir. On peut penser à
l’éditorial du n° 5 qui rend hommage à « Demy l’Harmonieux, Bunuel le subtil » et
« Fellini le grandiose » (17/1), qui parle du « mastro Fellini », on peut relever les
formulations thuriféraires :
« Cinéaste d’entre les choses, d’entre les êtres, Demy crée un univers en
parfait équilibre. » (4/13)
« L’art de Demy tient sans doute à ce miracle d’équilibre qui maintient son
cinéma dans la position un peu aérienne de l’entre-deux. » (4/14)
Il semble bien que l’amour du cinéma passe par un fétichisme de l’Auteur, figure
que l’on peut adorer, dans une sorte de sacralisation littéralement enthousiaste,
finalement proche de la posture du « fan », à la différence près qu’elle se légitime
par un « amour de l’art ».
- 392 -
Je ne reviendrai pas sur l’origine de cette théorie de l’« auteurisme » au cinéma.
Dans la tradition cinéphilique française, elle relève d’une affirmation du cinéma
comme art, mais plus généralement, elle émane d’un certain rapport à la
représentation qui rejoint le modernisme dont j’ai déjà relevé à plusieurs reprises les
traces dans l’analyse filmique. Comment expliciter ce rapport entre auteurisme et
modernisme, et comment se manifeste-t-il dans l’analyse filmique ?
Il s’explique tout d’abord par la perte d’une certaine crédulité face aux images,
revendiquée par les professeurs et dont témoigne l’extrait cité ci-dessus du ° 17 de
la revue :
« Depuis que la forme a perdu sa transparence et par là de son innocence (“le
travelling est affaire de morale”), le récit se dévoile comme discours, ce qu’il
est de toute façon… » (17/9)
La sémiotique commune qui consisterait à réduire le film à son message est
profondément méprisée à l’École. L’attention portée à la réflexivité de l’oeuvre, que
j’ai souligné à plusieurs reprises va également dans ce sens, réflexivité d’autant plus
souvent convoquée qu’elle permet de constituer une véritable réserve de sens pour
l’analyste. Un des enjeux de l’enseignement du cinéma semble bien être de déciller
le dupe qui croit trop naïvement à la réalité des images, comme on se moquait des
victimes du trompe-l’œil en peinture dans l’anecdote des raisins de Zeuxis et
comme on parle encore des premiers spectateurs de L’Arrivée du train en gare de La
Ciotat qui eurent soi-disant peur de se faire écraser par le train. Or il est intéressant
de constater que cette perception « naïve » des premiers films correspond
précisément à une époque où le statut juridique du cinéma n’accordait aucun droit à
l’auteur657. Le lien entre auteurisme et recul par rapport au contenu illusionniste des
images fait sens : la figure de l’auteur permet de concrétiser l’idée que l’image est
une représentation dont il convient de comprendre les codes, ce qui constitue un
des enjeux de l’enseignement artistique et, partant, le justifie.
657
Pour un développement sur cette question, voir Yann Darré, Histoire sociale du cinéma, 2000, Paris, La
découverte, coll. « Repères ».
- 393 -
Force est de constater que l’insistance constante sur la liaison fond/forme et sur les
récurrences thématiques ou stylistiques dans les analyses filmiques proposées en
lycée procèdent de cette construction auteuriste et moderniste du film qui s’inscrit
dans la continuité de l’activité critique et cinéphilique des Cahiers du cinéma depuis
les années 50. L’analyse des films en fonction de ces données stylistiques et
thématiques légitime également les apprentissages qui permettent de replacer ces
films dans une liste d’auteurs « représentatifs » de ces données, replacés dans
l’histoire générale du cinéma, ce qui correspond exactement aux formulations du
Bulletin officiel que nous avons commentées plus haut (3.2). Pour bien repérer les
particularités stylistiques ou thématiques, il faut par ailleurs une grande culture
cinématographique, ce qui légitime également le fait de « voir » un très grand
nombre de films, autre point d’ancrage de l’enseignement du cinéma en lycée. C’est
bien là que le cinéma devient un objet de culture que l’École tend à enseigner
comme tel.
L’analyse filmique, au-delà de l’exercice scolaire, est donc en elle-même le
symptôme d’une certaine vision du cinéma comme art. Elle est donc peut-être
aussi, plus ou moins implicitement aujourd’hui, une activité militante.
Dans cette perspective, l’« Auteur comme personnalité » est une figure solitaire. Le
mépris ostensible pour les aspects techniques et pluriels de la production
cinématographique est bien résumé dans un article de J.-L. Godard sur I. Bergman
publié en juillet 1958 dans les Cahiers du cinéma :
« Hé bien non ! le cinéma n’est pas un métier. C’est un art. Ce n’est pas une
équipe. On est toujours seul ; sur le plateau comme devant la page
blanche. »658
L’auteurisme induit que les effets artistiques sont imputables à une seule personne :
« Le nom d’auteur fonctionne pour caractériser un certain mode d’être du
discours : le fait, pour un discours, d’avoir un nom d’auteur, le fait que l’on
puisse dire “ceci a été écrit par un tel” ou “un tel en est l’auteur” indique que
658
GODARD Jean-Luc, « Bergmanorama », Cahiers du cinéma n° 85, juillet 58, p. 2.
- 394 -
ce discours n’est pas une parole quotidienne, indifférente, une parole qui s’en
va, qui flotte et passe, une parole immédiatement consommable, mais qu’il
s’agit d’une parole qui doit être reçue sur un certain mode et qui doit, dans
une culture donnée, recevoir un certain statut. »659
On peut faire l’hypothèse que ce talent universel qui permet à « l’auteur » de
maîtriser toutes les étapes du film procède de la théorie kantienne du génie. La
limite de cette posture est qu’elle met en question la possibilité même d’un
apprentissage puisque le génie est un « don naturel » pourquoi enseigner les règles
de l’art ? « L’auteur » est un autodidacte et c’est d’ailleurs l’image que les Cahiers du
cinéma diffusent par exemple d’un réalisateur comme A. Hitchcock, dont le destin
bascule après une journée passée en prison alors qu’il était enfant660. Or si l’École
récupère ce type de présupposés, elle risque de mettre en péril sa propre mission
qui est justement de promouvoir l’apprentissage par le travail. Par ailleurs, cette
conception de l’art comme vecteur d’approfondissement d’une personnalité
profondément originale, voire a-sociale, va contre le paradigme de l’art citoyen que
l’on trouve dans le rapport du Haut Conseil aux enseignements artistiques qui
professe que l’art doit permettre une formation du citoyen dans une société dont il
faut transmettre le patrimoine culturel. À interroger insuffisamment les
présupposés qu’elle véhicule, l’École se met en danger elle-même et le message
républicain dont elle se veut la garante. Nous reviendrons plus précisément sur ces
contradictions dans la partie concernant la production de films et de produits
audiovisuels encouragées par les programmes officiels (5.2).
Ainsi, contrairement aux réalités de la production d’un film, il n’est que rarement
question des autres acteurs de l’élaboration du film, tous ces métiers qui
précisément s’apprennent (c’est une des vocations du BTS audiovisuel) et qui
participent à toute production cinématographique. Dans le corpus envisagé, une
exception peut être relevée : l’analyse précise entièrement consacrée au jeu de Cary
Grant dans North by Northwest dans le n° 17. En dehors de cela, on peut citer
659
660
FOUCAULT Michel, Dits et écrits, Paris : éditions Gallimard, 1988, p. 798.
Voir l’ouverture du livre de C. Chabrol et É. Rohmer, Hitchcock, Paris : Éditions universitaires, 1957.
- 395 -
l’évocation rapide des « techniciens japonais » qui ont participé au tournage
d’Hiroshima mon amour, qui est effectivement une co-production franco-japonaise :
« Ces deux plans participent de ce savant jeu de miroir, passé-présent, jeune
fille d’autrefois, femme d’aujourd’hui, sang des ongles-alcool de la bière,
comme dans le film Orphée qui servait de référence image entre Resnais et ses
opérateurs japonais. » (16/22)
Pas de réflexion génétique ici : le constat rapide que pour communiquer avec des
techniciens étrangers rien ne vaut des images : c’est la figure du réalisateur qui
coordonne les exécutants techniques pour qu’ils soient fidèles à sa vision de l’œuvre
qui est convoquée. Le réalisateur correspondrait ici à une figure de « l’auteur
comme technicien de production »661, ce qui correspond à son rôle de synthèse des
différentes contributions de l’ensemble des membres d’une production. Soulignons
au passage l’attachement à l’antinomie commentée plus haut et que l’on retrouve ici
derrière le paradigme passé/présent.
Le « scénariste attitré » de K. Mizoguchi, Yoshita Yoda est également évoqué dans
le n° 6, mais c’est pour mettre en question une information qu’il a livrée sur les
méthodes de travail du cinéaste, véhiculant l’idée selon laquelle « Mizoguchi ne
pensait jamais au découpage » (6/14). Il n’est pas question de l’importance de son
travail de scénariste, ni de sa collaboration à l’élaboration du film ni même de ses
propres activités « auteuriales ». Le scénariste pourrait pourtant, de façon peut-être
même plus légitime, prétendre à la qualité d’« auteur ».
Enfin citons en dernière instance l’hommage rendu à Marguerite Duras dans une
analyse du n° 16 à propos d’Hiroshima mon amour. Mais cette véritable figure
« d’auteur » sera convoquée pour être très vite écartée :
« Bien sûr, dans ce film, il y a le texte de Marguerite Duras. Le danger serait
de concentrer toute son attention sur lui, qu’il tire tout vers lui. » (16/22)
On peut constater que les six analyses du film d’A. Hitchcock ne disent rien, par
exemple, du rôle joué par David O. Selznick dans la carrière du cinéaste ou qu’il
n’est pas question de Michel Legrand dans les analyses des Parapluies ni du montage
661
BORDWELL David, THOMPSON Kristin, L’art du film une introduction, op. cit., p. 58.
- 396 -
d’Henri Colpi et de la musique de Giovanni Fusco dans les études d’Hiroshima mon
amour : la figure unifiée et unique de « l’Auteur comme personnalité » limite toute
collaboration, et se fait donc au détriment de la prise en compte des enjeux
techniques, économiques et collectifs du film. C’est une façon de dire encore que le
contenu, sa dimension éventuellement éthiquement problématique ne peut qu’être
évacué dans la posture auteuriste.
Ces exemples d’analyse filmique ont permis de mettre à jour un certain nombre de
présupposés très fortement présents dans les pratiques professorales :
- la recherche d’un sens implicite et métaphorique s’appuyant sur un réseau de
« champs sémantiques » ;
- l’héritage du structuralisme dans la recherche d’une traduction fond/forme
- l’œuvre comme texte cohérent ;
- l’influence de la narratologie pour envisager le film comme un récit ;
- la trace de la sémiologie dans l’approche symptomatique qui envisage le film
comme un symptôme de son contexte ou de la personnalité de son auteur ;
- l’auteurisme comme source forte de production de sens.
Mais il s’avère que la production de sens peut aussi passer par d’autres méthodes ou
d’autres pratiques d’analyse filmique sur lesquelles je vais m’arrêter ici.
4.4
sens
De quelques stratégies « routinières » de production de
Dans Making Meaning, D. Bordwell parle de l’interprétation des films comme d’une
« routine » tacite qui produit des analogies de procédure dont la principale
caractéristique est de se transmettre et se maintenir en absorbant les doctrines
théoriques pour les mettre au service d’une production de sens :
« La production de sens implicites ou de significations symptomatiques est
- 397 -
une activité institutionnelle routinière, un ensemble de pratiques artisanales
qui transforment les théories abstraites d’une manière ad hoc, utilitaire, et
opportuniste. »662
Je cherche donc ici non plus à retrouver la trace d’influences théoriques mais à
relever la manière dont quelques « routines » se mettent en place dans les analyses
filmiques proposées pour le lycée. Le but est aussi de mesurer comment ces
« routines » passent de l’exercice critique à la pratique académique.
4.4.1 L’analyse « plastique » du film
On trouve ainsi des analyses qui reposent sur des techniques d’analyse d’images
directement issues des Arts plastiques et passent par une attention portée à la
composition plastique du plan. Aussi, dans l’étude de la séquence d’ouverture des
Contes de la lune vague après la pluie, on peut lire :
« Dans le segment où Tobei va à la rencontre des samouraïs, l’espace est
construit horizontalement sur trois plans dans la profondeur de champ, et
plusieurs fois Tobei vient couper en diagonale cette horizontalité venant jeter
le désordre. On retrouve aussi dans un plan la même dynamique centrifuge
que dans le plan avec le chef de village et Miyaki, lorsque les hommes
portant des ballots sortent du cadre par le fond tandis que Tobei avance de
face et sort en bas du cadre. » (6/19)
À la fin de cette analyse, il est question de :
« certains plans bien éloignés du réalisme auquel on a parfois réduit
Mizogushi : ainsi le plan du lac dont les masses horizontales claires et
sombres évoquent un tableau abstrait, ou le paysage très surexposé qui
semble nous inviter à passer de l’autre côté du miroir. » (6/19)
Sur l’analyse du plan 5 de El, il est aussi question de la « plastique » d’un plan :
« Plongée sur les passants éparpillés de part et d’autre d’un angle de square
où un socle porte une croix en pierre : l’image est sans symétrie, de grandes
ombres accentuent la plastique désarticulée. » (3/20)
662
BORDWELL David, Making Meaning, Inférence and rhetoric in the interpretation of cinema, op. cit., p. 27 : « The
construction of implicite or symptomatic meanings is a routine institutionnal activity, a body of ongoing
craft practices that draws upon abstract doctrines in a ad hoc, utilitarian, and opportunistic fashion ».
- 398 -
L’analyse du jeu de Cary Grant dans La Mort aux trousses s’appuie, entre autres, sur
la composition des plans :
« De même, la composition géométrique du cadre, avec des lignes de force
verticales et horizontales souvent marquées, met en valeur la figure de
l’oblique dans le jeu de Cary Grant. » (13/29)
La construction plastique du plan fait donc partie des attendus de certaines analyses
filmiques. La « méthode » proposée dans le n° 13 propose d’étudier la « question de
la picturalité » (13/27) et de « décrire l’image » (13/27). Cette prédisposition – et
l’emploi même du mot « image » – a l’inconvénient de présupposer une assimilation
du plan au « tableau », tentation que l’on retrouve dans la reproduction des
« photogrammes » pour certaines analyses (13/36). Ces « citations » du film
fonctionnent aussi comme un outil d’accréditation des analyses proposées, surtout
quand elles reposent sur des remarques d’ordre plastiques. Pourtant comme le
disent J. Aumont et M. Marie :
« D’un point de vue général le photogramme est, en effet, en un sens, la
citation la plus littérale d’un film qui se puisse imaginer, puisqu’il est prélevé
dans le corps même de ce film, mais en même temps il est le témoin de
l’arrêt du mouvement, sa négation »663.
Or la négation du mouvement n’est-ce pas la négation du film, de la « matière
filmique » précisément ? Pour autant, depuis R. Bellour et son découpage image par
image proposé dans son analyse de Les Oiseaux d’A. Hitchcock, cette pratique est
devenue une « routine » dans les publications d’analyses filmiques. L’approche
« plastique » de l’image peut permettre également de détecter des « écarts » par
rapport à la composition attendue.
663
AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, op. cit., p. 57.
- 399 -
4.4.2 Analyse des écarts en vue de rappeler
la norme
De façon « routinière », l’analyse procède par un repérage de « tropes », le relevé
des « figures de style » qui saillent de la forme en cela qu’elles suggèrent un
déplacement par rapport aux habitudes du langage cinématographique.
L’auteur d’une des analyses d’Hiroshima mon amour annonce d’ailleurs clairement ce
présupposé dans l’introduction de son travail :
« J’ai donc avancé pas à pas, plan à plan dans cette séquence, notant tout ce
qui pouvait relever de « l’écart » (par rapport à quelle norme ?). » (16/22)
L’analyse formaliste privilégie globalement ce que l’on pourrait résumer sous le
terme de « métaphore ». La métaphore constitue un écart, un déplacement (métaphoron = transporter au-delà) par rapport à une norme. Dans une perspective
d’analyse filmique, la pertinence du repérage formel consiste à délimiter ce qui, dans
le film, ne s’opère pas de la même manière que dans un discours audiovisuel sans
prétention artistique, comme celui d’un reportage télévisé par exemple. Les œuvres
modernes qui cultivent particulièrement le décalage par rapport aux normes
admises sont les plus propices à ce type d’analyse, ce qui permet aussi d’expliquer
leur omniprésence dans les programmes de l’enseignement du cinéma en lycée. La
notion d’écart par rapport à une norme langagière relève à la fois de ce que le film
peut avoir d’artistique et de ce qui offre assez d’aspérité pour offrir l’occasion d’une
glose ou d’une explication. La métaphore est ce qui appelle à être « traduit » par
l’acte du commentaire, précisément parce qu’elle offre cette opacité mystérieuse qui
permet l’élaboration du discours. Par ailleurs, la recherche de l’écart procède de la
certitude selon laquelle certaines particularités frappantes ne peuvent être tenues
pour des accidents dus au hasard et que tout film procède du choix d’un certain
nombre de procédés cinématographiques. Si elle est récurrente à l’échelle de la
séquence analysée, cette métaphore pourra alors s’expliquer par le style particulier
- 400 -
d’un auteur, d’une culture, d’un genre, d’un type de production. Comme le dit R.
Jakobson :
« En plus des procédés courants et d’extension très générale, la texture
grammaticale de la poésie présente quantité de traits saillants plus spécifiques
qui sont caractéristiques d’une littérature nationale donnée, d’une période
déterminée, d’un genre particulier, d’un poète singulier, ou même d’œuvre
isolée. »664
Le travail de repérage de formes permet donc d’ancrer le film dans un ensemble
plus large de conceptions cinématographiques.
Dans l’analyse d’une séquence de Hiroshima mon amour, un auteur constate que « les
choix artistiques de Resnais conduisent à une oscillation constante entre le
classicisme et l’innovation, entre la tradition et l’aventure » (16/24), et proclame
que « Resnais, par exemple, se plait à éviter le convenu, le principe attendu. »
(16/24), en listant les « irrespects de l’ordre cinématographique établi » (16/24) et
en constatant par exemple que « ce rythme de la séquence est inhabituel dans un
cinéma courant » (16/24).
Pour construire une analyse, il faut donc présupposer des codes, des normes,
comme dans cette analyse des Contes de la lune vague après la pluie où l’auteur affirme :
« Le début du film respecte les codes hollywoodiens du cinéma » puisqu’il
constitue une “situation initiale traditionnelle” » (6/13).
Ici, l’intérêt de l’analyse du film de K. Mizoguchi apparaît dans ce qu’il creuse
finalement d’écart avec cette norme :
« Mizogushi maîtrise donc les codes hollywoodiens qu’il va passer au crible
de la tradition japonaise. Cette dualité antithétique se retrouve dans toute la
séquence. » (6/18)
Si toutes les analyses citées fonctionnent au moins en partie sur la norme et l’écart,
elles ne prennent jamais vraiment le temps de définir la norme. Si l’on peut
considérer que les « codes hollywoodiens » et « le classicisme » font l’objet d’une
définition à peu près admise, quoique souvent mise en question, « le cinéma
courant » (16/23) est plus difficile à définir et à délimiter. On fonctionne donc là
664
JAKOBSON Roman, Huit questions de poétique, op. cit., p. 103.
- 401 -
sur l’implicite, en supposant que « tout le monde est d’accord » sur la définition de
ces notions. Personnellement je ne sais pas ce qu’est le « cinéma courant ».
Les codes sont génériques aussi, et lorsque L’Homme des hautes plaines est donné au
programme du baccalauréat, la revue consacre plusieurs articles au genre du
« western ». En ce qui concerne A. Hitchcock, les déplacements par rapport à la
« grande cartographie générique d’Hollywood » (17/22) sont systématiquement
étudiés, comme la « dégringolade dans le burlesque » qui « mêle les catégories des
genres » que constitue l’« ivresse de Thornhill » dans le film au programme (17/24).
L’instabilité des catégories génériques est ici conscientisée. La norme paraît surtout
définie par la partition entre Classicisme et Modernité. Une autre analyse stipule
que
« La Mort aux trousses est exemplaire du “Maître du suspens” et de
l’humoriste, sa marque de fabrique, mais au prix d’un sur-cinéma, d’ailleurs
assez ludique, dans un jeu avec soi-même qui relève les codes d’un cinéma
dont l’innocence s’est perdue. » (17/6)
La suite est éclairante :
« On comprend alors que la modernité comme critique du cinéma, ait pu se
reconnaître dans Hitchcock. » (17/6)
Les « codes d’un cinéma dont l’innocence s’est perdue » c’est précisément le cinéma
de la modernité, autoréflexif, qui met en question les normes du « langage »
cinématographique et ce faisant les dévoile. L’analyse filmique est donc prédisposée
à une vision modernisme de l’art dans la mesure où elle aspire à déceler ces
moments de mise en « critique » du cinéma, les moments de rupture avec les codes
usuels, en particulier quand ils sont « hollywoodiens » c’est-à-dire soumis à une
normalisation commerciale qui sous-entend, dans cette perspective moderniste, un
nivellement par le bas. L’attention portée aux « codes », c’est sans doute l’influence
sémiologique qui les a mis au jour. Cet attachement aux « codes » – que R. Barthes
par exemple segmente très précisément dans S/Z – justifie également le
morcellement de l’œuvre en unités plus petites qui servent in fine d’outils
herméneutiques pour mieux comprendre le « texte » dans sa globalité. La
compréhension et l’explication du tout par le fragment s’inscrivent donc également,
- 402 -
finalement, dans un présupposé formaliste.
4.4.3 L’analyse
filmique
d’un
extrait :
l’analyse de séquences
Ce type d’analyse supporte aussi une opération de segmentation dont le modèle
semble, on l’a dit plus haut, remonter au structuralisme de R. Bellour ou de S.
Eisenstein pour le cinéma, ou à R. Barthes pour la littérature. Ce modèle subsumé à
une démarche devenue routinière se caractérise par la fragmentation de l’œuvre qui
justifie l’analyse d’extraits courts du film. C’est le cas à l’oral de l’épreuve du
baccalauréat validant l’enseignement artistique obligatoire de CAV qui raisonne sur
le découpage d’un extrait très court de l’œuvre au programme. La fragmentation, si
elle s’explique, voire se justifie, par cette perspective d’analyse textuelle, présuppose
également que le fragment opère comme métonymie du tout. C’est sans doute ce
qui explique que les extraits choisis pour l’enseignement en CAV se présentent
toujours comme des extraits particulièrement « révélateurs » de l’ensemble du film.
Ainsi, la scène liminale d’un film narratif est censée concentrer, condenser le reste
du film. C’est sans doute le souvenir de Boileau et de son Art poétique qui est ici
implicitement sollicité pour le cinéma : dans les règles classiques du théâtre, la scène
d’exposition doit présenter les personnages, le lieu, l’époque et l’action. Dans la
perspective pédagogique de l’enseignement du cinéma, cette perspective classique
se mâtine de données structuralistes : le début du film doit également donner des
indications sur le style général du film, ses « codes » qui créent un « horizon
d’attente » et est ainsi particulièrement propice à l’analyse. L’étude du début de Le
vent nous emportera résume cette posture :
« La première séquence est toujours un moment clef du film : elle pose des
personnages, une atmosphère, une intrigue éventuellement. Elle installe le
spectateur dans un regard particulier et l’incite aussi à trouver ses repères
filmiques : type de cinéma, genre du film, style du réalisateur, etc. » (analyse
en ligne)
- 403 -
Le numéro sur A. Hitchcock procède à l’analyse des « sept premières minutes de
North by northwest » (17/20) tandis que le numéro sur K. Mizogushi analyse la
« séquence d’ouverture » (6/17) et celui sur les Parapluies de Cherbourg la « séquence
II (véritable séquence d’exposition) » (4/13).
Il existe bien sûr aussi dans ces Cahiers d’autres études de séquences, mais elles sont
souvent choisies pour leur caractère paradigmatique. Par exemple, l’analyse de la
séquence de la vente aux enchères de La Mort aux trousses se justifie ainsi :
« Cette séquence qui réunit pour la première fois tous les protagonistes,
constitue le climax du film. Elle nous intéresse à trois tire. D’abord pour sa
structure et ses enjeux dramatiques, ensuite parce que Hitchcock procède à
une véritable leçon de cinéma (…). » (17/35)
Comme le disent J. Aumont et M. Marie dans L’Analyse des films :
« Il n’est sans doute pas exagéré de dire que le fait d’avoir rendu possible, et
légitimé l’étude de fragments, est une des raisons importantes du succès de
ce modèle textuel. Permettre à l’analyste d’avoir le sentiment qu’il travaillait
avec rigueur et précision, sur l’objet limité et maîtrisable, tout en rendant
compte potentiellement de l’œuvre entière, n’était évidemment pas une
mince qualité. »665
L’extrait proposé à l’analyse doit donc être délimité clairement comme un tout
cohérent, et/ou représentatif, de même que le film choisi se justifie comme étant
un condensé de l’œuvre générale de l’auteur, voire même du cinéma en général :
« La Mort aux trousses est certainement l’abrégé de l’œuvre du
cinéaste. L’esprit de la fabrique hitchcockienne y souffle plus et mieux
qu’ailleurs. L’œuvre est d’autant plus exemplaire du cinéma qu’elle l’intensifie
comme le conclut François Truffaut. » (17/3)
Dans une autre analyse du même numéro :
« North by northwest se révèle en effet comme un précipité des grands
archétypes spatiaux qui structurent la mise en scène d’Hitchcock. » (17/20)
L’auteur d’une analyse d’A. Hitchcock s’inscrit directement dans ce présupposé
théorique :
« En fait, une œuvre peut toujours valoir comme échantillon. Un récit est un
exemple de récit en général pour le théoricien, et à ce titre exemplaire s’il
665
AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, op. cit., p. 80.
- 404 -
paraît condenser les propriétés de la narration. » (17/6).
On revient là à la question du morcellement des œuvres dans les études
cinématographiques et à la croyance en la possibilité de condensation métonymique
d’un film. « Abrégé », « précipité », « climax », « leçon de cinéma », l’extrait choisi se
veut toujours emblématique, d’une œuvre, d’un style et même sans doute d’un art.
L’extraction d’une séquence, d’une œuvre, hors de l’ensemble dans lequel elle
s’inscrit semble donc ici s’excuser, c’est-à-dire à la fois se justifier et trouver une
légitimité dans son incomplétude même. L’École ne peut, dans le temps imparti par
la formation, prétendre à une vision englobante, elle y prétend cependant en la
faisant passer par les vertus herméneutiques de la métonymie. Soulignons à
nouveau que c’est la méthode la plus fidèle aux présupposés formalistes comme
aux présupposés modernistes. Elle est volontairement oublieuse du contexte (de
production comme de réception) et explore le film comme un système textuel de
signifiants clos sur lui-même, qu’il faut savoir déchiffrer.
4.4.4 L’analyse
filmique
comme
dévoilement
À partir de ces repérages et en s’appuyant sur eux, l’analyse devra aboutir à un sens,
qui n’était pas lisible a priori, que l’œuvre recelait dans sa construction même, mais
que l’analyse a permis de mettre au jour, de développer, de déployer pour arriver à
dévoiler ce qu’elle voulait profondément dire. Cette notion de dévoilement est très
importante : non pas que l’analyse crée ce sens, elle ne fait que la mettre au jour et
en quelque sorte l’exprimer clairement. L’analyse opère donc comme une sorte de
traduction de l’œuvre, une traduction plus claire. On retrouve là toutes les
modalités d’une démarche platonicienne : la vérité est là, mais le philosophe doit
faire des efforts pour l’atteindre, car l’« a-letheia », mot qui désigne « la vérité » en
grec, signifie aussi « dévoilement ». L’analyse s’offre donc comme un outil
d’exploration de la Vérité que l’œuvre recèle forcément si elle se prétend œuvre
- 405 -
d’art. C’est aussi ce qui justifie tout le travail autour de le méta discursivité, qui
procède de la certitude selon laquelle, pour R. Jakobson :
« Les véritables oeuvres d’art quoi qu’elles disent, ne font en fait que raconter
leur naissance. »666
Par ailleurs cette mission de « dévoilement » d’une vérité de l’œuvre rejoint aussi la
présupposition d’une analyse qui serait elle-même détentrice de cette vérité, et l’on
retombe sur cette posture « Top Down » que j’ai étudiée plus haut. Si les
introductions des analyses filmiques se présentent si peu comme des hypothèses,
c’est sans doute parce qu’implicitement, elles ont l’ambition d’avoir une mission de
Révélation. L’influence d’A. Bazin et son « ontologie de l’image photographique »
semblent se faire sentir. L’attention portée à la dimension autoréfléxive de l’œuvre
qui repose sur des aspects formels spécifiques au médium encourage une certaine
distance esthétique vis-à-vis du contenu. On retombe là exactement sur les
caractéristiques du modernisme que j’ai déjà décelé dans les instructions officielles.
C’est ce qui explique aussi le goût pour des « textes » qui ne se donnent pas
immédiatement à lire de façon claire, c’est-à-dire, encore une fois pour les œuvres
de la modernité, et le mépris des œuvres du cinéma « mainstream », conçues pour
être comprises du plus grand nombre.
Par ailleurs un texte difficile doit pouvoir donner lieu à une « belle analyse ». On
sent effectivement à la lecture de ces analyses entièrement rédigées et destinées à la
publication un désir de « beau style ».
4.4.5 Texte et glose : le goût du style
Le « beau style » prend plusieurs formes dans les analyses que j’ai étudiées. Tout
d’abord le goût du jeu de mots, de la formule :
« A ce titre, La Mort aux trousses ou mieux dit dans l’original, North by
northwest, est le plus mouvementé des films d’Hitchcock, celui qui transporte
666
JAKOBSON Roman, Huit questions de poétique, op. cit., p. 60.
- 406 -
au physique comme au moral : voiture, train, avion, suspense. » (17/4)
Le jeu de mots permet ici un processus d’éloquence qui est une arme souvent
utilisée pour accréditer une hypothèse d’interprétation. Il procède à la fois de ce
que la rhétorique antique appelle l’inventio en cela qu’il accrédite la compétence de
l’analyste en exhibant des preuves de sa légitimité, de l’elocutio en cela qu’il donne du
poids au discours. Ce poids est ici manifesté par l’utilisation de l’italique qui
transforme la neutralité de la description en une clé d’interprétation.
Dans l’analyse d’Hiroshima mon amour, l’auteur écrit que les plans 7 à 21
« mettent en scène la jeune femme et le japonais attablés, discutant dans un
face à face qui est au début un face contre face ». (16/26)
L’auteur d’une analyse de l’espace dans La Mort aux trousses écrit :
« Dès lors, les espaces du “réel” perdent leur usage ordinaire : chambre
d’hôtel, train, salle de vente, gare ne sont plus des lieux que nous voyons,
mais ce qui nous regarde. » (17/24)
Si les professeurs écrivent bien, c’est sans doute qu’ils se souviennent de leur
formation majoritairement littéraire, c’est aussi parce que la maîtrise de la langue
écrite procure une grande légitimité et est dotée en France, comme je l’ai remarqué
dans ma première partie, d’un grand capital symbolique. Le poids rhétorique de
l’inventio qui s’appuie sur la crédibilité de celui qui écrit est aussi parfois apporté par
la convocation d’une instance de légitimation : le réalisateur du film lui-même par
exemple ou un autre critique. Tel est le cas dans une analyse de 2046 de Wong Kar
Wai dans le Cahier des ailes du désir n° 15 :
« La construction en spirale d’In the mood for love, la boucle que décrit 2046
font de ce diptyque une peinture du ressassement amoureux, qui crée un
effet de vertige. Dans un entretien, Wong Kar Wai compare d’ailleurs le
premier film à une “tasse de thé”, et le second à une “pipe d’opium”. »
(15/9)
L’interview du réalisateur est citée précisément en note : « Positif, novembre 2004 »
(note 12 p. 10) et précède une citation d’une autre interview : « Cahiers du cinéma,
octobre 2004 » (note 13 p.10). Ces emprunts sont très révélateurs. Ils montrent à
quel point l’analyse filmique a besoin de s’appuyer sur la formulation d’intentions
auteuriales, mais aussi que, pris dans cette stratégie d’interprétation, les réalisateurs
- 407 -
eux-mêmes s’adonnent à l’analyse filmique, ce sur quoi le professeur ne peut
qu’être tenté de s’appuyer pour légitimer ses propres interprétations. On est bien
dans la transmission « routinière » de ce que l’on pourrait qualifier d’« habitus
critique ». Du côté de l’analyste, la référence fonctionne également comme une
instance de légitimation de la validité de son propos. On trouve la même stratégie
rhétorique lorsque l’analyste s’appuie sur un critique ou un théoricien renommé
dont il va emprunter, finalement, une part de légitimité. Dans le même numéro
consacré à 2046, dans une analyse déjà évoquée plus haut du « cadre » dans le film,
un professeur écrit :
« Wong Kar Wai déplace ses centres en permanence et, en conséquence,
impose au regard du spectateur la même mobilité. Pascal Bonitzer parle à ce
propos de “décadrages”. (…) Ces zones d’où sont rejetés les vivants et
qu’affectionnent de manière marquée certains cinéastes ce sont peut-être
comme le suggère Bonitzer “une obsession du maître pour un espace sans
maître”. » (15/14)
L’invocation de « Bonitzer » et de son ouvrage Décadrages, peinture et cinéma, cité en
note – sans référence exacte à la page d’où vient la dernière citation – permet de
donner à l’analyse une aura théorique plus importante, et fonctionne comme un
appel à l’autorité qu’est Pascal Bonitzer pour accréditer l’hypothèse analytique. Elle
permet aussi de montrer un certain degré de culture de l’auteur de l’analyse. Car les
auteurs se plaisent à l’art de la connivence qui souligne à la fois leur culture et flatte
la proximité culturelle – mais c’est-à-dire aussi la domination symbolique- du
lecteur, censé partager la même culture (dominante). Je citerai un extrait qui me
semble révélateur :
« Mais peut-être était-il dans sa nature qu’un cinéma d’intrigue finisse par
intriguer et que la critique contracte cette « sémiose » aigüe dont souffre Lina
dans Soupçons. Semblables au verre de lait, les films d’Hitchcock brillent d’une
lumière un peu louche (on se fait des idées comme on dit) et éveillent le
soupçon d’ésotérisme cultivé par Claude Chabrol, Éric Rohmer ou Jean
Douchet. Toujours est-il que la “part de Dieu” paraît trop belle pour y
souscrire sans réserve. » (17/3)
Allusions aux films d’A. Hitchcock, à un texte de John Irving, jeux sur les mots et
leurs connotations, complicité culturelle autour des Cahiers du cinéma, tous les
- 408 -
ingrédients d’une analyse elle-même aussi textuelle que possible sont réunis dans
cet extrait, car l’auteur de l’analyse cherche également l’effet stylistique, et l’analyse
devient un texte à part entière qui se substitue même parfois au texte étudié. Par
mimétisme « auteurial », dans une analyse d’Hiroshima mon amour, l’auteur se met à
écrire comme Marguerite Duras :
« Le ping-pong du champ contre-champ y est la norme si un plan dure plus
de vingt secondes. Mais ici, les paroles prononcées sont fondamentales,
constituent la clé du film.
Ici le vide. Le lent vide. » (16/23)
Gageons que sans doute, parfois, l’élégance rhétorique dépasse la justesse
épistémologique. C’est ce que remarque D. Bordwell dans Making Meaning face aux
effets de style, soulignant le « rôle relativement petit que joue la logique rigoureuse
et systématique des connaissances dans l’interprétation du film. »667
4.4.6 La figure unifiée du spectateur ou le
« déni de la réception » 668
J’ai vu plus haut que « l’Auteur », « l’Oeuvre », « le Cinéma » étaient considérés
comme des entités conceptuelles indépendantes et monolithiques. Le « spectateur »
hérite de cette même vision monolithique, il devient une figure « idéale » dont la
réception est unifiée et homogène.
Il est toujours question d’un spectateur ou « du spectateur » dans la rhétorique de
toutes les analyses filmiques que j’ai pu étudier. Cette unification est
particulièrement perceptible dans cet extrait d’une analyse de Sans Soleil :
« Les sons électroniques intègrent et travaillent des sons enregistrés, ou bien
les suggèrent. Constamment, l’espace sonore en appelle à l’imagination,
demandant au spectateur de produire une représentation sonore des lieux. »
667
BORDWELL, David, Making Meaning, Inférence and rhetoric in the interpretation of cinema, op. cit., p. 39 :
« comparatively small role that rigorous logic and systematic knowledge play in film interpretation ».
668
Expression empruntée à Richard Begin, « Politique des auteurs et narrativité », in Politique des auteurs et
théories du cinéma, op. cit., p. 97.
- 409 -
(12/21)
La production imaginaire « du spectateur » doit aboutir à « une représentation
sonore des lieux ». C’est étonnant de voir que, là où se multiplient les possibilités de
variations
subjectives puisqu’il
s’agit
d’une
« représentation »
issue
de
« l’imagination » pour créer un « espace sonore » – notion elle-même problématique
et variable – l’auteur fasse quand même le pari d’une possible unification de cette
« représentation » par un spectateur singulier.
Ce « spectateur idéal » a plusieurs caractéristiques dans les analyses que j’ai pu lire :
il est manipulable (par le film, par le réalisateur, par le scénario), heureux d’être
manipulé et prompt à l’identification. Un extrait d’une analyse d’un Cahier des ailes
du désir me semble particulièrement révélateur à cet égard. Elle porte sur La Mort
aux trousses :
« Mais pour le spectateur, le voyage est immobile. De cette impuissance, le
suspens tire sa puissance émotive. La distance qui le sépare du « signifiant
imaginaire » est incommensurable, interdisant au spectateur de se précipiter
sur l’écran, de sorte que le suspens le renvoie à sa condition de pur
spectateur, à son impuissance radicale. Non consentie, elle tournerait au
supplice, mais recherché dans un “fais moi peur” où le spectateur tombe
volontiers en enfance cette condition devient sujétion volontaire. » (17/5)
Le spectateur est tout d’abord au centre d’un discours métaphorique fort, il apparaît
donc aussi comme un subterfuge rhétorique. Il est ainsi désigné comme un
« voyageur immobile », à l’« impuissance radicale » qui « tombe volontiers en
enfance ». Ce spectateur immobile et impuissant c’est bien celui décrit par C. Metz
(convoqué ici par l’allusion au « signifiant imaginaire ») et imprégné du discours
psychanalytique. C’est un spectateur soumis au bon vouloir de la fiction, fiction
elle-même
étrangement
personnifiée
comme
lieu
d’un
processus
émotionnel précisément lié à la posture spectatorielle – elle-même fictive donc ? –
qu’induit le film : « de cette impuissance, le suspense tire sa puissance émotive ». Ce
spectateur participe au film seulement dans la mesure où on l’y autorise et
s’infantilise en allant au cinéma, ce retour en enfance faisant office de « sujétion
volontaire ». C’est un « pur spectateur » dans la mesure où il répond à une « figure »
théorique et rhétorique. Ce spectateur est donc soumis au bon vouloir du « Maître »
- 410 -
en l’occurrence, puisque c’est ainsi qu’A. Hitchcock est désigné à plusieurs reprises
dans cette analyse.
Pourtant dans certaines études universitaires, et particulièrement dans les études
anglo-saxonnes, ces présupposés ont été largement mis à mal. On peut revenir au
travail de Janet Staiger dans Perverse Spectator qui tend à montrer qu’il n’existe
précisément pas de « spectateur idéal » et que chaque personne qui reçoit le film est
susceptible d’une lecture différente. Ces lectures peuvent elle-même évoluer pour
un même individu au cours du temps et en fonction de différents paramètres, allant
de données sociologiques aux conditions de diffusion de films. D. Bordwell, quant
à lui, critique dans Making Meaning l’idée selon laquelle un effet est réductible à un
sens exploitable par l’analyse (p. 270), postulant en outre, comme J. Staiger
d’ailleurs, que :
« Le spectateur peut faire une utilisation du film différente de celle que son
créateur avait anticipée. »669
Cette figure du spectateur idéal semble d’ailleurs en profonde cohérence avec la
vision de l’œuvre comme un « texte » clos sur lui-même, envisagé comme une
forme à déchiffrer :
« Je crois que des facteurs contextuels jouent davantage que des facteurs
textuels sur l’expérience que le spectateur fait devant sa télé ou devant un
film et sur l’utilisation pragmatique qu’il fait de cette expérience pour la
conduite de sa vie quotidienne. »
Les lectures des spectateurs – et le pluriel est fondamental – semblent en fait
profondément hétérogènes, elles peuvent même aller contre le sens du film :
« Les lecteurs s’emparent de la place que leur accorde le texte, ils lui résistent
ou la renégocie. »670
On est donc bien loin de ce spectateur plus imaginaire que le « signifiant » qui hante
les analyses filmiques en lycée. Ce déni de la réception est bien aussi une
669
BORDWELL David, Making meaning, Inférence and rhetoric in the interpretation of cinema, op. cit., p. 270 : «
The spectator can use the film for other purposes than the maker anticipated ».
670
STAIGER Janet, Perverse Spectator, op. cit., p. 1 : « I believe that contextual factors, more than textual
ones, account more for the experiences that spectators have watching film and TV and the uses to wish
those experiences are put in navigating our everyday lives (…) readers take up the position offered by the
text, they resist it or renegotiate it ».
- 411 -
conséquence de la « politique des auteurs » puisqu’elle présuppose que l’auteur
détermine son récit alors même que ce récit n’advient que dans la rencontre avec
un spectateur. Le film demeure ainsi un objet clos sur lui-même qui n’a été créé que
dans le temps de sa conception. Or, si la fiction fait sens pour le spectateur, c’est
parce qu’il développe cette capacité de co-production de sens qui font de lui,
également, un créateur. On en vient donc à un paradoxe, et ce n’est pas le premier
constaté : là où l’enseignement du cinéma promeut l’analyse des films comme
« discipline reine », elle la limite finalement à une traduction hypothétique du sens
donné par l’auteur puisque l’auteur est désigné comme le seul détenteur de la vérité
sur son œuvre. Mais, par cela même, l’analyse filmique en milieu scolaire se dote
d’une légitimité supplémentaire puisque les compétences de l’auteur n’existent que
grâce au discernement critique du spectateur qui les « découvre ». Par là même,
ultime retournement, le geste même de l’analyse des éléments de sens va contre la
toute-puissance de l’auteur puisqu’il est manifeste que l’analyse contribue à
l’élaboration d’un sens. On perçoit la tension entre l’omnipotence que la « politique
des auteurs » confère aux cinéastes et que l’École véhicule plus ou moins
consciemment, et les conditions, scolaires en l’occurrence, qui pourraient favoriser
la prise de conscience par un élève des limites de cette omnipotence, limites qui
correspondent précisément à l’émergence de sa compétence spectatorielle. On
rejoint peut-être là l’idée de R. Barthes, selon laquelle la « naissance du lecteur »
« doit se payer de la mort de l’auteur »671. Mais ce postulat semble devoir rester
inadvenu quand il s’agit d’enseignements artistiques : l’élève immergé dans ces
présupposés auteuristes ne peut apprendre à déchiffrer le film que conformément
aux systèmes d’interprétation en vigueur. L’enseignement « cinéma et audiovisuel »
en lycée tire sa principale légitimité de cette capacité à « tirer du sens ».
L’analyse ainsi centrée sur le texte indépendamment de sa réception est donc la
seule garante de l’autorité et de la crédibilité herméneutique de l’analyse filmique
telle qu’elle est enseignée. Il semble que l’École s’adapte en fait à une donnée
671
BARTHES Roland, « La mort de l’auteur », in Le Bruissement de la langue, 1984, Paris : Seuil, p. 67.
- 412 -
fondamentale de l’humain : l’utopie de sa propre stabilité, l’intime conviction que
chacun, malgré les années qui passent, reste identique à soi-même. L’« auteur » –
comme le spectateur – serait donc toujours semblable malgré les variations
mesurables. La croyance en un principe stable qui unifie l’identité d’un être
explique donc aussi les positions théoriques de l’École et dans une certaine mesure
aussi l’adhésion qu’elle suscite. Ce que l’auteurisme, comme le déni de réception,
doit à la pensée du sujet n’est pas l’objet de cette thèse et la dépasse largement.
Cependant, les programmes et les pratiques d’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel gagneraient sans doute à s’interroger profondément sur ces
présupposés : encore une fois, il s’agit d’exposer clairement le fondement
épistémologique de la construction des savoirs, ce à quoi l’École ne peut pas
échapper.
Gageons que cette prise en compte des variables de la réception sera un jour
possible et serait un premier pas aussi vers la désacralisation de l’œuvre elle-même,
œuvre que l’on pourrait alors considérer comme un « événement » et non plus
comme un texte à déchiffrer. Cette prise en compte est peut-être en route puisque
dans le dernier numéro de la revue abordant d’un point de vue théorique l’analyse
filmique, la conclusion indique à titre de « propositions » qu’il faudrait :
« Montrer comment le film devient pour une communauté de spectateurs un
espace commun de sens et de signes, où se réaffirme notre appartenance à
une collectivité : le partage du spectacle, de son rituel, de son élan, et des
émotions qu’il provoque est un élément décisif de cette cohérence du film,
qui s’inscrit d’ailleurs souvent dans un espace codé, le code du genre n’en
étant qu’un exemple particulier. » (13/28)
S’il n’est pas question du « perverse spectator » de Staiger, du moins la dimension
spectatorielle de la réception cinématographique est-elle ici – certes marginalement
– prise en compte.
- 413 -
4.4.7 Les références convoquées
Dans les textes d’analyse du corpus retenu, certains noms apparaissent, qui servent
d’ancrage à une réflexion théorique ou artistique. J’ai relevé les occurrences dans un
classement alphabétique consultable en annexe. Je précise tout de suite que ce
tableau n’a pas de prétention scientifique. À part les occurrences uniques, peu
significatives, on remarque que se détachent quelques noms : A. Bazin (5
occurrences), C. Chabrol (3 occurrences), Cahiers du cinéma (revue ou éditeur : 7
occurences), M. Chion (3 occurrences), J. Douchet (5 occurrences), J.-L. Godard (8
occurrences), C. Metz (3 occurrences), F. Truffaut (9 occurrences). Ce classement
permet simplement de vérifier deux éléments déjà analysés : la prévalence d’une
certaine vision moderniste de l’art dont le nombre d’apparitions des noms de J.-L.
Godard et de F. Truffaut est le meilleur signe. Se vérifie aussi la forte présence des
Cahiers du cinéma – non seulement la revue, mais aussi les éditions, théoriciens,
rédacteurs anciens ou actuels – sans oublier que le choix des films et des
réalisateurs au programme (A. Resnais, K. Mizoguchi, A. Hitchcock) est le signe et
sans doute aussi la manifestation de cette influence. On retrouve dans ces
références une certaine prédisposition à promouvoir des œuvres et des réalisateurs
qui s’inscrivent dans la définition de la modernité telle que l’étudie Bordwell et que
j’ai abordé lors de mon analyse des programmes officiels (3.2).
On peut constater aussi des absences : l’absence de la théorie anglo-saxonne (à une
exception près, Robert Allen et Douglas Gommery), la quasi-absence des œuvres
du cinéma « mainstream » (Ridley Scott, Steven Spielberg, les Frères Coen étant, me
semble-t-il, en voie de légitimation), Claude Zidi – bien qu’ayant recueilli quelques
critiques positives dans Les Cahiers du cinéma – constitue la seule véritable exception
avec James Cameron peut-être), la référence très minoritaire à des théoriciens ayant
pris un parti autre qu’esthétique dans leurs études cinématographiques. On peut
noter également l’absence d’interdisciplinarité dans ce relevé des auteurs convoqués
- 414 -
dans les analyses filmiques : pas d’emprunts théoriques à d’autres champs
disciplinaires, un seul emprunt à la théorie de la littérature (Yves Lavandier) qui
reste donc dans le champ de la théorie de l’art. Pas d’utilisation de références
sociologiques, techniques, historiques, les analyses restent cantonnées dans le
champ de l’esthétique. On pourrait défendre cette position comme J. Aumont et M.
Marie, en arguant que :
« Si l’on peut à la rigueur rêver d’établir une liste point trop incomplète des
principaux codes spécifiques du cinéma, il est vain de penser qu’on puisse le
moins du monde maîtriser la liste de ses codes culturels, qui resteront
toujours en nombre infini et dont la définition restera toujours du ressort de
l’historien, du sociologue ou de l’anthropologue plus que de l’analyse de film
ou du sémiologue. »672
J’ai souvent entendu cet argument quand il s’agit de critiquer la posture
exclusivement esthétique d’un certain enseignement du cinéma. Certes, l’argument
est de taille, car il est difficile d’embrasser ces différents champs de connaissance et
de prétendre les synthétiser pour proposer une analyse filmique qui sorte de
l’esthétique dans le temps scolaire. Pour le moins, serait-il possible de conscientiser
cette limitation et le restriction au champ de l’esthétique, et du coup éventuellement
de la présenter comme telle, en abandonnant la prétention globalisante ?
4.4.8 Les
routines
comparative
à
d’analyses
l’œuvre :
étude
filmiques ou
comment fonctionne l’apprentissage « par
imprégnation »
Il ne faut pas nier que certains professeurs revendiquent et pratiquent pour l’analyse
filmique une démarche différente. Ils disent partir des effets produits par le film sur
les élèves et remonter ensuite jusqu’aux éléments formels, spécifiques au cinéma,
672
AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, op. cit., p. 191.
- 415 -
qui les suscitent. Dans ce cadre le film est considéré comme un stimuli qui provoque
chez le lecteur une réponse. On se détache pourtant du modèle d’analyse que j’ai
évoqué plus tôt qui présuppose que le texte est un symptôme. Cette posture me
renvoie à un entretien mené avec Bertrand : « l’analyse filmique permet de
remonter au “comment c’est fait” pour produire un effet : tout est dans l’œuvre »673.
C’est toujours l’étude des aspects formels qui structurent la représentation de
l’univers diégétique qui sera particulièrement valorisée, mais ce en rapport avec une
« émotion » ressentie : la subjectivité de l’exégète devient un point de départ du
travail sur l’œuvre et la procédure d’interprétation part de la connaissance intuitive
pour passer à l’argumentation puis à l’interprétation. C’est une méthode déjà
préconisée dans l’exercice « d’explication de texte » littéraire, comme le dit Emil
Staiger, grand théoricien allemand de l’analyse de texte dans les années 50 :
« Quand je suis sur le bon chemin, quand mon sentiment ne m’a pas trompé,
je ne trouve qu’assentiment à chacun de mes pas. Alors, tout s’organise sans
difficulté. De tous côtés on ne rencontre qu’acquiescement : oui ! chaque
perception fait signe à une autre (…). L’interprétation est évidente. C’est sur
une telle évidence que repose la vérité de notre science. »674
On pourrait penser que cette méthode est plus axée sur la question de la réception
puisqu’elle s’appuie sur la subjectivité de l’analyste, mais à y regarder de plus près,
elle ne fait en fait que confirmer encore que l’œuvre étudiée est un tout clos sur luimême. L’historicité est évacuée ainsi que toute réflexion sur la situation de la
rencontre entre l’œuvre et le spectateur. À l’interactivité entre les deux se substitue
un unilatéralisme qui est encore un héritage « routinisé » du structuralisme qui
revendiquait une recherche an-historique d’universaux. Il s’explique ici sans doute
aussi par la transposition didactique : enseigner l’analyse filmique sans se
préoccuper de la dimension situationnelle de la réception c’est permettre des
analyses collectives qui s’affichent comme valables pour tous et qui autorisent donc
673
Entretien déjà cité le 5 juillet 2009.
EMHIL Staiger, Die Kunst der Interpretation : studien zur deutschen Literature geschichte, Zurich : Atlantis,
1955, p. 19, traduction proposée par Elrud Ibsch et D.W. Fokkema in Théorie de la littérature, ouvrage
collectif, Paris : Picard, coll. « Connaissance des lettres », 1981, p. 33.
674
- 416 -
une généralisation du savoir qui seule permet la possibilité d’une transmission à un
public scolaire. Et pourtant, ce constat semble aller contre une pratique
spectatorielle usuelle qui lie presque spontanément le discours du film avec sa
propre représentation du monde, comme on le remarque dès que l’on s’attarde un
peu sur les sites de partage autour du cinéma (IMDb ou Allociné).
L’analyse des effets privilégie donc un mouvement inverse à celui de l’analyse qui
s’engage d’abord dans la description de la forme. Mais s’il s’agit de partir de l’effet
perçu par le récepteur et de remonter à son explication, celle-ci, dans les
conceptions que j’ai rencontrées, ne peut in fine se trouver que dans la forme de
l’œuvre. En cela ce type d’analyse reste une analyse formaliste. Le texte rencontre
un lecteur dans une forme d’intemporalité qui consacre l’œuvre comme
monument : l’interprétation reste immanente C’est une méthode « ex-pressive »
puisqu’elle « fait sortir » le sens de ses manifestations. Mais le travail sur l’effet n’est
pas moins formaliste en cela qu’il postule également la pré-existence d’un sens à
découvrir qui passerait in fine par la forme. On revient donc à l’idée de J. Staiger qui
ouvrait ma partie sur l’analyse filmique formaliste : « The text causes the effects ».
Cette démarche qui part des impressions semble avoir des atouts pédagogiques et
beaucoup de professeurs m’ont dit la mettre en application dans le cadre de leur
cours. D’après ce que j’ai pu entendre, lorsque les professeurs décrivent leur
pratique d’analyse filmique, les deux approches co-existent dans le cadre d’un
cours, et un professeur peut pour certains plans commencer par l’analyse de la
forme avant de proposer une interprétation et pour d’autres, partir de l’effet pour
remonter aux éléments formels sensés les avoir provoqués. Ces deux approches
semblent donc être finalement les deux faces d’une même prédisposition au
formalisme. Ceci est d’ailleurs inévitable si l’on ne veut pas que la démarche ne
rentre en opposition avec elle-même : croire en une adhésion affective du
spectateur au film s’oppose a priori au recul analytique que suppose et exige la
prédisposition à la vision moderniste de l’art qui va de pair avec une certaine
méfiance quant aux sensations. Les qualités sensorielles du texte doivent finalement
- 417 -
toujours se retrouver emmaillotées dans un processus intellectualisé d’abstractions.
Un inconvénient en outre : un « effet », une « émotion » est un élément subjectif et
il peut varier beaucoup à l’échelle d’une classe. Pour pallier cela, peut-être faudrait-il
prendre appui sur les sciences cognitives qui délimitent un certain nombre de
fonctionnements physiologiques communs à toute l’espèce humaine. Laurent
Jullier, pour la France, a fait le travail d’adaptation de ces sciences au cinéma dans
Cinéma et Cognition. Mais cette subjectivité pourrait aussi être prise en compte en
tant que telle dans le cadre d’un corpus qui s’attacherait précisément à l’étude des
différentes possibilités de réception d’un film, ce qui relève des « Gender » ou des
« Cultural Studies ». Un outil comme IMDb peut servir de point d’entrée dans ce
type d’étude de la réception et des formulations du jugement de goût. L’Université
s’est déjà penchée sur cette question et certains universitaires proposent des
analyses de réception reposant sur ces sites de partage ou sur des « courriers des
lecteurs »675. Si ces approches sont peut-être présentes dans les cours de certains
professeurs de lycée, je ne les ai jamais rencontrées, ni dans leur discours, ni dans
les analyses écrites que j’ai pu étudier.
La principale entrave à cette approche théorique me semble résider dans
l’unification excessive de la figure du « spectateur » ou de « l’élève » que je viens de
souligner. D’un point de vue théorique, cette idée présuppose que le spectateur est
« façonné » par l’œuvre. Cette conception remonte aux théoriciens de l’École
soviétique qui défendaient la possibilité que le film agisse comme un stimulus qui
conduit les spectateurs à certaines réactions affectives. De nombreux courants
théoriques se sont précisément interrogés au cours de l’histoire sur le spectateur au
cinéma, sur l’influence du dispositif cinématographique sur lui, sur ses « pulsions
scopiques » ou sa situation hypnotique ou onirique, le tout étant plus ou moins
influencé par les théories psychanalytiques comme c’est le cas chez C. Metz par
exemple. Pour ces champs théoriques, le spectateur correspond bien à une
675
On peut penser au travail de Geneviève Sellier qui s’intéresse à la « réception populaire d’un objet
populaire » à travers le courrier des lecteurs du magazine grand public Cinémonde in BURCH Noël &
SELLIER Geneviève, Le cinéma au prisme des rapports de sexe, Paris : Vrin, 2009, troisième chapitre du livre.
- 418 -
« figure » c’est-à-dire à une image qui n’est qu’une construction théorique
abusivement unifiée, comme je l’ai vu précédemment.
En tout état de cause, les deux approches sont finalement les deux faces d’une
même méthode d’analyse et de mêmes routines de production de sens. Reste
maintenant à mesurer comment migrent et surtout se transmettent aux élèves les
stratégies de production de sens dans l’analyse filmique. J’ai donc mené de façon
comparatiste l’étude de six analyses filmiques différentes d’un même film. Mon
choix s’est porté sur le film L’Atalante de Jean Vigo. Ce film a été au programme du
baccalauréat de Terminale L en 2002 pour les élèves ayant choisi un enseignement
artistique CAV. Quatre minutes d’un extrait de la rencontre de Juliette avec le père
Jules dans sa cabine ont a été proposées aux candidats du BTS audiovisuel qui ont
choisi l’analyse filmique à l’examen du DLA en 2009. Je comparerai donc676 :
- Une analyse d’un Professeur des Universités publiée dans le Cahier des ailes du désir
numéro 10, pages 2 à 4, intitulée « Le montage alterné dans L’Atalante ». La revue,
qui pour lectorat essentiellement des professeurs en charge de l’enseignement CAV
au lycée, demande parfois à des universitaires de rédiger pour tel ou tel numéro des
analyses filmiques en rapport avec les programmes. Il semble donc que l’analyse
d’un universitaire puisse servir de modèle à l’exercice scolaire tel qu’il est mené par
les professeurs de lycée en charge de l’enseignement.
- Une analyse proposée en ligne sur le site du SCEREN : Service culture, Édition,
Ressource
pour
l’Éducation
nationale
(CRDP-CNDP)
http://www.sceren.fr/accueil.htm, rubrique en ligne « télédoc » à destination des
enseignants. Ce site constitue une des principales sources de ressources
pédagogiques pour les professeurs exerçant dans le secondaire. L’analyse de
L’Atalante
n’est
pas
rédigée
par
un
professeur
mais
par
une
programmatrice, journaliste, « formatrice en cinéma » qui officie dans des stages de
formation autour de l’enseignement du cinéma proposés aux professeurs dans le
676
Les copies d’élèves sont regroupés en annexes.
- 419 -
cadre du Plan Académique de Formation. Elle me permet de mesurer si, en dehors
des professeurs de l’Éducation nationale, les « intervenants » partenaires peuvent
apporter un autre regard sur l’analyse filmique, en renouveler les « routines », ou au
contraire s’ils les confirment. L’analyse est consultable en ligne à l’adresse suivante :
http://www.cndp.fr/tice/teledoc/plans/plans_atalante.htm. Cette analyse date de
2007, année qui correspond aussi à la présentation de ce film dans le cadre du
dispositif « Lycéens au cinéma ». Elle constitue donc aussi un document
pédagogique. Cette analyse s’intitule : « Érotique de la surimpression ».
- Une analyse proposée dans le n° 565 de février 2002 des Cahiers du cinéma par un
des rédacteurs de la revue. Ce dossier sur L’Atalante publié dans ce numéro se
justifie lui-même par la présence du film au programme du baccalauréat pour la
première fois en 2002. L’analyse a pour titre : « L’harmonie retrouvée ». Elle me
permet d’envisager les « routines » de l’exercice filmique quand elle est rédigée par
un critique.
- Trois copies d’examen de candidats du BTS, proposant une analyse ayant été
effectuée dans une durée limitée de deux heures dans le cadre de l’épreuve du DLA
(Domaine Littéraire et Artistique) sur un extrait de quatre minutes du film
découvert au moment de l’épreuve. Les copies du BTS audiovisuel m’ont semblé
être un bon support épistémologique pour mesurer la transmission aux élèves des
méthodes et présupposés de l’analyse filmique : l’examen de DLA est la seule
analyse filmique complète et rédigée en deux heures demandée à un examen
national en lycée. En outre, beaucoup de professeurs qui enseignent en DLA
enseignent aussi en CAV677. On peut donc estimer, sans prendre trop de risques
677
Il n’existe que quinze BTS audiovisuels publics ou sous contrats en France. Dans dix d’entre eux des
professeurs enseignent ou ont enseigné à la fois en enseignement artistique CAV et en DLA :
* Lycée de l’image et du son à Angoulême ;
* Lycée René-Cassin à Biarritz ;
* Lycée Jacques-Prévert à Boulogne-Billancourt ;
* Lycée Léonard de Vinci à Villefontaine ;
* Lycée Henri-Martin à Saint-Quentin ;
* Lycée Jean-Rostand à Roubaix ;
* Lycée Pierre-Corneille à Rouen ;
* Lycée Suger à Saint-Denis ;
- 420 -
épistémologiques, que les présupposés et méthodes transmis dans le cadre des deux
enseignements sont globalement les mêmes sur ce point précis qu’est l’analyse
filmique, malgré le fait que, comme je l’ai déjà dit, les programmes diffèrent
notablement entre les deux formations. En témoignent aussi les critères
d’évaluation données aux correcteurs de l’épreuve du DLA678 qui confirment que
l’épreuve repose sur les mêmes attentes que celles de l’analyse filmique en lycée.
Ces copies seront numérotées de 1 à 3.
Ces analyses portent sur différentes séquences du film : les deux premières se
concentrent sur la scène dans laquelle le couple est séparé une nuit, et où Juliette et
Jean se couchent séparément en montage alterné dans deux lieux différents.
L’analyse des Cahiers du cinéma porte sur le film en général, sans découper
précisément d’extraits, mais elle revient à plusieurs reprises sur la scène de la
rencontre entre Juliette et le Père Jules dans la cabine de ce dernier. Les copies
d’élèves se concentrent précisément sur cette séquence. Les candidats du BTS
audiovisuel de la session 2009 n’étaient pas sensés avoir vu le film en entier au
moment de l’épreuve et l’extrait à analyser, d’une durée d’environ quatre minutes,
est découvert le jour de l’épreuve. La comparaison portera exclusivement sur les
modalités d’interprétation ce qui justifie que les extraits analysés ne soient pas
obligatoirement les mêmes. Cependant, le fait qu’ils soient rattachés au même film
facile leur lecture croisée et rend les analyses filmiques plus aisément comparables
dans la perspective qui est la mienne.
À la lecture de ces six analyses, force est de constater qu’il existe des stratégies
communes d’interprétation. Si l’on s’en tient aux modalités de production de sens –
car l’évaluation de la « qualité » de l’analyse ou de la pertinence de l’interprétation
n’est pas ici mon propos et je m’en garderai – les similitudes sont frappantes. Il
* Lycée Robert de Luzarches à Amiens ;
* Lycée Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle à Reims.
678
CRITÈRES D’ÉVALUATION POUR L’ANALYSE DE DOCUMENTS EN DLA :
Capacité à décrire qui s’appuie sur une terminologie précise et organisée
Capacités à organiser un discours construit (progression, présence de transitions)
Capacité à mettre en relation les éléments décrits pour produire du sens
Qualité de l’expression écrite
- 421 -
semble donc que le discours analytique repose sur des stratégies communes à la
critique, ce que D. Bordwell a déjà démontré dans Making Meaning, et ce qui justifie
en amont mon choix de faire entrer dans le corpus étudié une analyse du film
rédigée par un critique des Cahiers du cinéma précisément l’année où le film est au
programme du baccalauréat. Il semble en effet que la revue serve de modèle à
l’analyse filmique telle qu’elle est pratiquée par les professeurs de lycée et même sur
les stratégies employées par un universitaire qui écrit dans une revue pédagogique.
En repérant le mimétisme qui existe entre ces six différentes analyses, il s’agira
donc pour moi de déplier et de faire une typologie des « stratégies » de production
de sens communément employées. Je parle de « stratégies », car il s’agit de voir
comment l’interprétation se construit, sur quelles habitudes et sur quels
présupposés communs elle s’organise. Je ne pourrais éventuellement parler de
« méthode » que si ces « stratégies » apparaissent effectivement, pour reprendre la
définition cartésienne du Discours de la méthode, comme des moyens sûrs de parvenir
à une connaissance.
On retrouve dans chacune des analyses quatre stratégies principales de production
de sens, plus ou moins déclinées selon les cas.
La première stratégie consiste en un repérage de réseaux sémantiques. La notion de
« réseaux sémantiques » peut se définir à partir de la traduction de l’expression
empruntée à D. Bordwell « semantic field », « réseau sémantique » ou « réseau de
sens » :
« Un réseau de sens est un système de relations entre différents thèmes plus
ou moins abstraits et des choix formels que l’analyse se propose de repérer
pour exposer leur cohérence présupposée par le postulat de l’unité du
film. »679
En linguistique, le champ sémantique désigne l’aire couverte par la ou les
significations d’un mot de la langue à un moment donné de l’histoire, en
synchronie (ex. : le mot « peinture » ou le mot « pièce »). C’est l’étendue
679
BORDWELL David, Making Meaning, Inférence and rhetoric in the interpretation of cinema, op. cit., p. 106 : « a
semantic field is a set of relations of meaning between conceptual or linguistic units, a conceptual
structure it organised meanings in relation to one other ».
- 422 -
polysémique du mot. Je propose d’adopter la notion de « réseau sémantique »
comme une association de ces différentes expressions. L’expression « champ
sémantique » (traduction littérale des « sémantic fields » de D. Bordwell) est
ambiguë, car en concurrence avec l’expression empruntée aux études littéraires, je
lui préfère donc l’expression « réseau sémantique » que je définis selon deux
paramètres dans le cadre de mon travail :
un réseau (« a set of relation ») de sens possibles que l’on peut fédérer dans le
contexte du film étudié : système d’opposition, relations d’inclusion/d’exclusion,
système de transposition symbolique d’un récit préexistant… Sa récurrence dans le
film donne plus de poids au réseau sémantique que propose l’analyse et justifie la
notion même de « réseau ». Le réseau est à comprendre ici comme une
« macrostructure » qui permet, d’un point de vue cognitif d’appréhender le film
globalement comme un « espace » de signification : les recoupements de sens
(Bordwell) vont du coup se regrouper680. Le réseau sémantique peut être formulé en
termes thématiques pour désigner des thèmes qui existent en dehors du film ;
une liaison fond/forme. Je définis ici les « éléments formels » comme des options
de mise en scène du son ou de l’image (angles de prise de vue, mixage des sons,
choix des musiques, mouvement de caméra, cadrages, montage, jeu d’acteurs, etc.).
Le « fond » correspond à la réponse à la question « de quoi ça parle ?». Un réseau
sémantique opère donc comme la « connexion » d’une forme à un contenu
permettant la traduction sémantique d’un choix formel.681
Ce lien fond/forme correspond à ce que Edward Branigan appelle « a stylistic
métaphor », « à savoir une métaphore qui lie le style et le fond » :
« Ces types de métaphores interprétatives ou d’autres sont employées par le
spectateur dans le processus de compréhension »682
Le « réseau sémantique » fonctionne donc comme un « bloc d’interprétations »,
680
On rejoint là le sens littéraire de l’expression « champ sémantique ».
C’est ce que E. Branigan et N. Caroll appellent le « neoformalism ».
682
BRANIGAN Edward, Narrative compréhension and film, London and New York : Routledge, 1992, p. 61 :
«i.e., métaphors joining style with story (…) These or other types of interpretative metaphors are being
employed by a spectator in the process of comprehension ».
681
- 423 -
dans une approche que l’on peut qualifier de formalisme.
Ainsi le titre même de l’analyse du SCEREN : « Érotique de la surimpression »
postule l’association d’un thème : l’érotisme, à un élément stylistique : la
surimpression. Traduction : la surimpression consistant en deux images l’une sur
l’autre elle correspond à une traduction stylistique du désir sexuel du couple.
De la même façon dans l’analyse du Cahier des ailes du désir, l’auteur annonce que « le
mode de filmage et de montage ici adopté exprime la tension et le manque ». (10/3)
La troisième phrase de l’analyse proposée par un universitaire dans le Cahier des ailes
du désir est très symptomatique à cet égard :
« De L’Atalante histoire d’un couple marinier, nous dirons qu’il s’impose à
notre regard à la manière d’un poème ou d’un chant, d’une élégie, dont les
sonorités intimes traduisent une revendication passionnelle. Celle de l’amour.
(…) Aussi le montage parallèle qui montre chacun des deux époux s’agitant
nerveusement sur sa couche pour un improbable sommeil peut-il être
considéré comme l’acmé du récit. » (10/2)
Le thème de « l’amour » et du « couple » repose sur l’utilisation du « montage
parallèle » selon l’équation suivante : un thème = un choix formel. Visant à montrer
la grande cohérence du film derrière son apparente discontinuité, une « harmonie
retrouvée » comme l’indique le titre, l’analyse des Cahiers du cinéma déploie une
interprétation tournant autour des thèmes de « l’harmonie » et de la « cohérence »
symbolisées par la métaphore du « vitrail » sur laquelle je reviendrai. Dans cette
optique :
« Chaque plan de Vigo a sa logique propre, son esthétique, son son, et sa
couleur propre. (…) Ce qui vaut pour le plan vaut pour le son, bruits,
musique ou dialogue. »
Le fond et la forme sont indissociablement mêlés et cette association conduit à une
interprétation sémantique et thématique : le film est harmonieux sous son
apparente discontinuité.
Les copies d’étudiants présentent elles aussi assez systématiquement en
introduction des « thèmes » qu’elles aborderont au cours du développement. Cette
formulation du réseau sémantique sous forme de « thèmes » fait appel à la
connaissance du monde qui permettra la reformulation thématique du réseau
- 424 -
sémantique sur la base de « cadres » de références communes (aimer, faire l’amour,
la tolérance, l’âge…) ce qui justifie encore la notion de « réseau ». Le réseau
sémantique, en tant que système englobant, a aussi un rôle cognitif : il permet
d’organiser les informations du film et ainsi de mieux permettre sa mémorisation,
son appréhension. C’est ici que l’étude des dispositions cognitives qui peuvent
amener un spectateur à « braconner »683 la compréhension du film pourrait
s’intégrer, ce à quoi les analyses étudiées se refusent. Une copie introduit le début
de son développement par cette phrase :
« Nous pourrions nommer la première partie « la découverte » (…)
« Effectivement dans le premier plan, ce thème se représente par l’action du
père Jules qui “dévoile” son monde. » (2) 684
La troisième copie annonce également :
« Le thème central de cet extrait et le dévoilement » (1)
La récurrence du mot « thème » est révélatrice : un des enjeux de l’analyse semble
être, pour les candidats, d’élaborer des thèmes sur lesquels construire
l’interprétation. Ces thèmes, comme dans les autres analyses, fonctionnent sur une
liaison fond/forme et le candidat dont la copie est citée ci-dessus, écrit un peu plus
loin, en parlant de l’évolution des rapports entre les personnages (Juliette et le père
Jules) :
« Cette évolution est servie et ponctuée par la mise en scène et la technique
utilisée. » (1)
Dans cet exemple, il apparaît bien que « la mise en scène et la technique » – ici
compris comme choix formels – traduisent un thème : le rapport entre les
personnages, le « dévoilement » qu’il occasionne. Cette tentative de traduction de la
relation fond/forme est également décelable dans cette autre copie d’examen :
« Le père Jules se met torse nu telle une bête de foire que l’on exhibitionne.
De plus, l’angle de vue choisit qui est la contre plongée accentue fortement la
683
Terme emprunté à Michel de Certeau in L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire et 2. Habiter, cuisiner,
Paris : Gallimard, 1990.
684
Pour les citations de copies d’élèves, le texte des candidats est reproduit tel quel, par souci d’honnêteté
épistémologique. On ne s’étonnera pas des erreurs orthographiques ou syntaxiques ainsi reproduites.
- 425 -
position animal du corps. » (2)
Les étudiants du BTS utilisent bien les mêmes stratégies de production
d’interprétations que les professeurs et les critiques. Ils utilisent les mêmes outils
que ceux utilisés par les instances considérées comme légitimes et donc
compétentes en la matière, la transmission des procédés semblant fonctionner par
mimétisme.
L’approche est toujours « Top Down ». Il s’agit pour l’analyste de valider le choix
d’un champ sémantique par diverses interprétations de la forme du film.
L’exposition de ces champs sémantiques, ainsi appelés « thèmes » par les élèves,
apparaissent en règle général dés l’introduction de l’analyse ou en tout cas au début
de son développement. Les candidats du BTS souscrivent à l’obligation de
proposer dans leur introduction une « annonce de plan » qui permet d’exposer les
champs sémantiques qu’ils ont choisis d’explorer.
Le rapport fond/forme apparaît par ailleurs comme une survivance de la relation
signifiant/signifié adoptée, comme je l’ai déjà vu, par la linguistique structurale,
même si il ne s’agit pas ici de proposer une démarche scientifique de construction
du sens. Il semble en effet que malgré toute une prédisposition structuraliste et
formaliste qui se retrouve à l’œuvre – le film étant considéré comme un tout
autonome fermé sur lui-même, an-historique et indépendant de la réception
spectatorielle – chaque analyste construit un réseau de sens sans véritable appui
scientifique. C’est plutôt finalement la subjectivité qui semble de mise : les
ambitions scientifiques de descriptions du fonctionnement du sens de la langue
mise en œuvre par le structuralisme et la linguistique laissent place ici à l’élaboration
de thèmes fondée sur une relation non démontrée entre ces thèmes et des éléments
relevant de la mise en scène. Cet abandon du scientifique se trouve finalement
légitimé par la croyance, plus ou moins conscientisée, en une toute-puissance du
sujet percevant qui autorise toutes sortes d’interprétations sans véritable
démonstration analytique.
Le processus d’interprétation revient à analyser la structure de surface du film et à
la « traduire » en termes de contenu, c’est-à-dire en informations plus conceptuelles.
- 426 -
Cette approche ne relève pas de l’analyse textuelle telle qu’elle est définie par R.
Odin ou J. Aumont et M. Marie685 dans la mesure où elle n’est pas méta-théorique :
on ne trouve aucune interrogation théorique dans ces analyses, entièrement
tournées vers la production d’une interprétation. Tout se passe comme si l’analyste
réindexait ces thèmes en les chargeant de significations nouvelles afin que naisse un
ensemble cohérent de sens apte à répondre aux exigences d’abstraction de l’analyse
filmique. Paradoxalement, alors qu’elles refusent par l’abstraction une réception
pragmatique de l’œuvre, on décèle aussi, à certains stades de ces analyses, une
« réinsertion pragmatique » de l’analyse qui se conclut sur la « leçon de vie » que
donne le film. Ainsi une copie d’élève se conclut ainsi :
« Il (Vigo) arrive par ces procédés à défendre des thèmes tels que l’âge, les
préjugés ou encore la tolérance. » (1)
Notons que ce réinvestissement pragmatique n’est pas ou peu présent dans
l’analyse des professionnels.
On rencontre ici un paradoxe : alors que l’élaboration des champs sémantiques
reste sans assises théoriques fermes, la dimension de réception est en grande partie
niée : émerge ainsi la figure de la personnification, sorte de représentation virtuelle
du « comment comprendre ». Cette remarque me permet d’arriver à la deuxième
stratégie d’interprétation repérable de façon récurrente dans les analyses étudiées :
l’investissement modal . Le mode (du latin modus, manière) est un trait grammatical
qui dénote la manière dont le verbe, grammaticalement, exprime le fait. Les modes
verbaux représentent la manière dont l’action exprimée par le verbe est conçue et
présentée (temps/personne). L’investissement modal correspond à l’idée d’une
volonté autonome qui se construit comme sujet, comme actant. C’est la façon dont
se construit l’opérateur du « faire ». Il se trouve que l’on touche ici à une véritable
source de production du sens dans les analyses étudiées. Par exemple, c’est par
l’investissement modal que j’explique les formulations du type :
685
In AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films et in ODIN Roger, Dix années d’analyses
textuelles de films. Bibliographie analytique, revue Linguistique et sémiologie, Préface de Ch. Metz, CRLS, Université
de Lyon 2, janvier 1977, n° 3.
- 427 -
« Le film se donne à voir sur un mode abstrait (…) il isole les époux » (Cahier
des ailes du désir)
Le film semble ainsi doué d’une volonté propre, quand il s’agit d’étudier
une « séquence comme absentée d’elle même ».
Les éléments techniques du film peuvent eux aussi être employés de façon modale
Ces deux éléments opèrent comme une véritable source de production du sens. Les
éléments techniques du film sont également personnifiés. L’analyse du site télédoc
affirme que « la surimpression nie l’intervalle entre deux plans, se moque du cadre
et oublie la cohérence spatiale » ce qui relève finalement du même type de
personnification que les expressions du type : « La caméra opère un travelling pour
s’approcher jusqu’à son visage », ou « en outre, la surimpression semble toujours en
quête d’un photogramme autre » que l’on trouve dans cette même analyse.
L’activité critique n’échappe pas au procédé. On peut lire dans les Cahiers du cinéma
ce type de construction du discours et d’expression un peu routinière comme :
« l’œil surplombant de la caméra ».
L’élaboration
du
sens
passe
donc
par
un
investissement
sémantique
« anthropomorphe » de différents objets ou concepts. L’investissement modal
repose essentiellement sur une anthropomorphisation qui permet l’investissement
sémantique.
Il est donc logique que l’on retrouve ces habitudes de langage dans les copies des
étudiants, peut-être de façon encore plus systématique. Un des candidats du BTS
explique ainsi à propos du Père Jules que :
« Le vieil homme est assujetti qu’à un seul gros plan furtif qui semble fuir sa
laideur » (1)
ou encore :
« Le cadre lui-même sépare les protagonistes. » (1)
Une autre copie adopte les mêmes stratégies de formulation :
« La caméra semble trouver sa place (…) coupant la tête de Juliette à l’image
tel un trophée proche des mains de l’ancien collègue de Jules. (…) Parfois
cette caméra est voyeur. » (3)
Cet anthropomorphisme permet de faire des outils et objets techniques de
- 428 -
véritables instances narratives ou perceptives douées d’une intention : l’objet
devient alors une abstraction théorique, car « la caméra » désignée ici semble plus
être un outil conceptuel qu’un objet réel ayant un poids, une marque, des
caractéristiques techniques, etc.
L’utilisation récurrente de l’anthropomorphisme pour évoquer « la caméra », « la
surimpression » ou « le plan » est également un moyen syntaxique de conserver
l’impression d’objectivité de l’analyse. Ces termes peuvent aussi être compris
comme ce que E. Branigan appelle « the language- game ».
« Le langage de la théorie du cinéma est aussi public, ouvert à différents
points de vue, et s’intéresse à des éléments inféodés à des enjeux et des
valeurs sociales spécifiques. Pour cette raison, une théorie du cinéma donnée
peut s’avérer être composée de plusieurs “tics” de langages a priori inadéquats
ou de projections métaphoriques latentes. »686
La représentation du film, les représentations qui sous-tendent son interprétation se
révèlent dans et par les formulations adoptées. Ainsi, dans les analyses étudiées,
l’utilisation des termes comme « cadre », « plan », « caméra » « montage » est
révélatrice d’une conception de l’analyse d’un film comme étude d’une grammaire
cinématographique : le film est considéré comme un texte dont la grammaire doit
être décrite, ce qui confirme finalement une prédisposition formaliste qui s’incarne
dans l’utilisation même de ces termes. Cette grammaire est aussi la base d’une
conception figurative du film : le film devient le signe d’un sens qu’il véhicule. Les
mots utilisés ne sont donc jamais que le fruit des représentations qui s’incrustent
dans leur utilisation. C’est en tout cas la perspective wittgensteinienne sur laquelle
s’appuie E. Branigan et qui semble assez opérante ici. Ces abstractions permettent
également d’établir un rapport causal entre ce que le film transmet (comme sens,
comme sensation) et le « spectateur », et donc finalement une continuité logique
entre l’intention de l’auteur et la réception du spectateur, postulant ainsi une
homogénéité du film. Ces investissements modaux se manifestent aussi dans
686
BRANIGAN Edward, Narrative compréhension and film, op. cit., préface XV : « The language of film
theory, too, is public, open to view, and directed at particular problems framed by specific social purposes
and values. For this reason a given film theory may be found to be composed of several incompatible
language games or latent metaphorical projection ».
- 429 -
l’utilisation de la figure de l’auteur et de son omniscience.
L’auteur est convoqué comme étant le principal référent en ce qui concerne le sens,
la principale source de production de sens. Produire une interprétation équivaut
toujours à remonter à l’intention de l’auteur. En effet, l’étude du film sur le site
télédoc emploie les mêmes types de tournures que celles relevées dans l’étude des
analyses produites par les professeurs dans les Cahiers des ailes du désir, mais en
substituant à l’outil technique la figure du cinéaste :
« Le cinéaste sépare le couple par le montage parallèle ».
L’auteur est convoqué comme étant le principal référent en ce qui concerne le sens.
L’analyse des Cahiers du cinéma affirme aussi : « Vigo réussit ce prodige de
transformer les dialogues en musique », et l’on retrouve à deux reprises l’expression
routinière : « le cinéma de Vigo », ou la formule déjà rencontrée : « chez Vigo ».
Étant données les prises de position théoriques de la revue sur lesquelles je ne
reviendrai pas ici, on ne s’étonnera pas que, particulièrement dans cet exemple,
l’analyse filmique semble se donner pour but de déchiffrer les intentions de
« l’auteur » du film :
« Vigo plonge ses personnages et attend que le mystère du cinéma les fasse
surgir à la lumière du ciel. »
On voit bien ici que la personnification du « cinéma » va de pair avec la figure du
réalisateur omniscient, omnipotent, presque divin, car doté d’un pouvoir créateur.
Le film apparaît donc comme le prolongement du désir, de la personnalité, de la
puissance créatrice de l’auteur. Notons pourtant que cette analyse des Cahiers est la
seule à rendre hommage à l’activité du monteur du film, Louis Chavance,
« travaillant en osmose avec Vigo, alité ». Mais, une fois encore, l’allusion au
« technicien » du film n’a de sens que par son rapport privilégié avec l’auteur, ici
clairement défini comme une « osmose ». On retombe peu ou prou sur la
métaphore de « la tête et les jambes » souvent utilisée dans les représentations
communes pour désigner le rapport entre théorie et pratique, ingénieur et ouvrier,
créateur et technicien. Le film apparaît donc comme un « discours de la méthode »
de son auteur. C’est très précisément ainsi que se termine l’article des Cahiers du
- 430 -
cinéma :
« Illustration de l’amour fou ? Vite dit ! Plutôt discours de la méthode de
Jean Vigo. »
À l’examen du BTS, le titre du film, le réalisateur et la date de première sortie en
salle sont toujours donnés aux candidats comme informations essentielles sur film.
La trinité titre/réalisateur/date de sortie fait partie des habitudes de présentation
d’une « identité » cinématographique, même si ces informations peuvent paraître
bien partielles ou insuffisantes. De fait, les copies étudiées manifestent également
une forte prédisposition à l’auteurisme, encouragé par le système d’enseignement
et, à nouveau, par l’influence de la posture théorique de la critique. Ainsi, une copie
conclut :
« Tous ces éléments techniques servent l’objectif de Vigo. » (1)
« Jean Vigo en utilisant à son avantage les outils dont il dispose, met en place
des personnages introduits leur relation en gardant l’attention du
spectateur. » (1)
Dans une autre copie, on peut lire :
« Le réalisateur semble vouloir rapprocher les personnages un maximum,
symbolisant ainsi l’approche de l’un sur l’autre. » (3)
On pourrait attendre de candidats à un Brevet de Technicien Supérieur en
audiovisuel qu’ils soient plus sceptiques quant à cette croyance que le sens véhiculé
par le film est l’exact décalque des intentions d’un seul. Le poids de l’institution
joue sans doute à plein. On trouve cependant dans une des copies analysées une
prudente formule qui privilégie l’analyse de « la mise en scène » sans verser
exactement dans l’auteurisme :
« La mise en scène est particulièrement subtile, car elle crée une
« association » directe entre le pantin mécanique et l’homme par leur
proximitude (…) Par ce montage et cette mise en scène il y a une inquiétante
ambiance qui nous enferme par l’utilisation de gros plans » (2)
La « mise en scène » apparaît comme un moyen de parler du film comme
production collective, en intégrant les paramètres de tournage, mais aussi de
postproduction. Si cette expression peut être une alternative aux formulations
- 431 -
auteuristes, elle n’échappe pas à l’investissement modal qui permet encore une fois
d’unifier un concept pour lui permettre de supporter un ancrage du sens.
Souvent, la figure de l’auteur est mise en rapport avec la figure du spectateur, le
présupposé étant sans doute qu’un artiste s’exprime en vue de partager ses
intentions auteuriales avec un public qui le comprend. Constater que le spectateur
devient une « figure » aussi abstraite et unifiée que celle de l’« auteur » permet aussi
de dire que l’herméneutique fonctionne selon une forme de renversement entre le
destinataire et le destinateur : celui qui interprète prétend effectuer en sens inverse
le trajet de production de sens parcouru par l’auteur. Dans une copie d’élève, on
trouve cette association très clairement exprimée :
« Le goût du publique pour l’anormal, l’étrange assure à Viggo de capturer le
spectateur. » (1)
Comme je l’ai déjà vu dans d’autres analyses, le spectateur apparaît comme une
figure de réception unifiée et homogène du film qui bénéficie également d’un
investissement modal en devenant une composante de l’interprétation du film.
Quand il est question de réception dans les analyses étudiées, le « spectateur »
apparaît comme un être finalement étonnement désincarné. Dans l’analyse des
Cahiers du cinéma, il est question de « l’esprit du spectateur » dans la formulation :
« Mais cet enchaînement ne se justifie, dans l’esprit du spectateur, que du
passé supposé du Père Jules. Supposé, imaginé, car, après tout, qu’en savons
nous ? »
L’utilisation du « nous » pour désigner un ensemble spectatoriel indéfini, est assez
récurrent dans cette analyse. Un peu plus loin on peut lire :
« du détail concret nous passons à l’univers du Père Jules ».
L’expression « le spectateur » domine dans les analyses envisagées, on la retrouve
dans les Cahiers du Cinéma, mais aussi dans les deux autres analyses de
« professionnels » :
« Réalisation au sens de rendre réel pour le spectateur » (Cahiers des ailes du
désir)
« Elle (la surimpression) plonge le spectateur dans un idéal fusionnel ou tout
- 432 -
peut se convulser » (analyse télédoc) ;
ainsi, bien sûr, que dans les trois copies d’élèves :
« L’enjeu de la confrontation est d’absorber le spectateur, de capter son
attention avec l’étrangeté du personnage masculin » (1)
« On observe alors un champ-contre champ entre le pantin et la femme des
plus brutalisant pour le spectateur » (2)
« Une censure de geste sexuelles ou simplement de caresses oblige le
spectateur à être soumis aux connotations et supputations de leur relation. »
(3)
Encore une fois, le mimétisme fonctionne et l’expression « le spectateur » – pour
désigner un acte de réception finalement jamais étudié – migre des articles de
critiques aux copies d’analyses filmiques d’un examen national.
Dans la dernière citation, la question de la « censure » pourrait pourtant appeler une
vraie réflexion sur la réception du film. Or elle n’est que très allusivement abordée,
pour être immédiatement rejetée par le Professeur des Universités qui écrit pour le
Cahier des ailes du désir :
« Ce montage est d’autant plus intéressant qu’il fut longtemps sacrifié au
phénomène complexe de la censure institutionnelle, censure de mœurs,
censure de bien-pensant, censure des mécanismes de la distribution, dont
nous laisserons à d’autres chercheurs le soin de fouiller les arcanes. »
« Le spectateur » apparaît donc ici comme une entité coopérante auquel le film est
destiné et qui réagira de façon homogène au message qu’il véhicule. Qu’il s’agisse
de le « captiver », de le « brutaliser », de « capter son attention », bon nombre
d’interprétations proposées apparaissent légitimées par cette figure théorique. Ses
réactions apparaissent communes à tous, indéniables, et peuvent donc supporter un
ancrage du sens, une interprétation, soit en vertu de l’idée selon laquelle « le film
utilise cette technique parce qu’il veut provoquer tel effet sur le spectateur », soit
selon l’idée que « le spectateur ressent telle impression parce que le film est fait
comme cela ». Un exemple d’une des copies d’élève me semble révélateur :
« Les plans fixes et contre-plongées de la caméra sur cette marionnette font
peur et divise le spectateur entre l’enchantement et l’effroi, souligne un point
d’interrogation de la rencontre. » (3)
Le choix formel « plan fixes » et « contre-plongée » provoque deux impressions :
- 433 -
« l’enchantement » et « l’effroi » ressentis par « le spectateur » et ces émotions qui
« divisent le spectateur » apparaissent également comme la justification de ces choix
formels. Je note ici que la formulation est toujours « le spectateur », l’article défini
permettant une globalisation générique du substantif et le masculin étant comme
toujours employé comme marque d’universalisation.
Dans les copies d’élèves particulièrement, le « spectateur » devient un ressort
d’explications et d’interprétation : un choix de mise en scène est expliqué par le
désir d’agir sur le spectateur, ce qui permet de produire du sens. Les réactions
supposées du « spectateur » permettent ainsi de construire un champ sémantique,
d’ébaucher une interprétation. Cette représentation passive d’un spectateur virtuel
dans les copies d’examen me semble également émaner d’un certain désengagement
des candidats face à l’analyse filmique. L’enseignement reçu leur a prescrit de fuir la
paraphrase, c’est-à-dire de ne surtout pas « raconter le film », de prendre du recul
par rapport à l’œuvre, et le « spectateur » devient donc une figure théorique qui
n’existe pas, un spectateur qui n’est surtout pas eux, mais un outil heuristique dans
la mesure où le film est bien fait « pour quelque chose ». Jamais un candidat, sous le
poids des consignes institutionnelles, ne se permettra de parler de son propre
ressenti ou de subjectiviser ce « spectateur » qu’il utilise pour bâtir son devoir. Le
« je » est proscrit de l’exercice, et l’on peut constater qu’il n’apparaît jamais dans les
copies des candidats, ni dans les analyses de « spécialistes » d’ailleurs. Cet évitement
vient de l’analyse littéraire et de la rhétorique dissertative qui prohibe l’utilisation du
« je » et se méfie de la subjectivité de la réception et de la formulation personnelle
d’une interprétation. C’est toujours le désir, promu par les théories formalistes et
structuralistes depuis les années 30, de recevoir l’œuvre de façon rationnelle et
scientifique qui justifie cette neutralité du récepteur et du scripteur, mais il est aussi
sans doute responsable de ce désengagement des candidats face à leurs propres
émotions. L’emprunt aux exercices littéraires rassure sans doute aussi des
professeurs plus précisément formés à l’analyse de textes littéraires qu’à l’analyse
filmique. La prédisposition au formalisme, solidement ancrée dans l’analyse des
- 434 -
textes littéraires, s’explique comme on l’a vu par l’utilisation plus ou moins
conscientisée de stratégies communes de production de sens auxquelles les
professeurs se raccrochent.
Revenons à la figure du spectateur. Même quand le critique des Cahiers du cinéma
semble subjectiviser quelque peu la posture spectatorielle, il utilise un « nous » – dit
de « majesté » – mais qui lui permet aussi d’universaliser le ressenti spectatoriel,
évitant ainsi le « je » » trop éminemment subjectif et individuel. L’ambition est sans
doute de théoriser la réception, d’éviter de la faire passer pour une situation au
sens goffmanien du terme. L’analyse filmique emploie ainsi toutes les stratégies
possibles de tournures syntaxiques et grammaticales impersonnelles :
« Mais on ne saurait rendre compte de L’Atalante en se contentant d’une
approche purement formelle. »
« Ce qui vaut pour le plan vaut pour le son, bruits, musique ou dialogues. »
(Cahiers du cinéma)
« On sait combien L’Atalante s’impose au sein du cinéma français »
« Dire que deux époux font l’amour serait évidemment inexact. »
« Désir d’une étreinte qui littéralement malmène les corps les faits se
distordre à la recherche l’un de l’autre » (Cahier des ailes du désir)
« Puis une ellipse, car on les retrouve au coucher se préparer pour la nuit. »
(télédoc)
« Par ce montage et cette mise en scène il a une inquiétante ambiance qui
nous enferme par l’utilisation des gros plans. » (2)
Pour le candidat au BTS, ce « spectateur » apparaît comme la figure allégorique et
rhétorique de cette mise à distance que les tournures impersonnelles accréditent
également. L’extériorisation du « spectateur » revient à un recul ressenti comme
obligatoire par rapport à l’œuvre en situation d’analyse filmique. Ne pas se fier à ses
propres impressions ou en tout cas les dépasser pour construire une interprétation,
telles sont les consignes de l’exercice. Ce spectateur « distant » qu’est le candidat est
donc un être paradoxal et forcément scindé puisqu’on lui demande d’y être sans
adhérer. Et l’on peut peut-être mieux comprendre ici l’utilisation récurrente des
personnifications de « la caméra », « la surimpression » ou « le plan » : ils sont
également un moyen syntaxique de conserver l’impression d’objectivité de l’analyse,
- 435 -
le moyen d’expression du déni de la variabilité de la réception d’un film.
Ce type de formules indéfinies déterminent en outre des « frontières
épistémologiques » entre différentes composantes du film687. Si je dis « la camera
opère un travelling », je ne parle pas d’un narrateur, je ne parle pas d’un point de
vue subjectif, je ne parle pas non plus tout à fait du profilmique, ni des modalités de
tournage (on dirait « un OPV »), je ne parle pas non plus du réalisateur = je suis
dans un « entre-deux » épistémologique, sans véritable ancrage théorique.
Si la construction du sens passe par une utilisation rhétorique de l’investissement
modal, on est face à des « façons de parler », des « expressions toutes faites » (« le
cadre sépare », « l’œil de la caméra ») qui seront utilisées en fonction des buts que
s’assigne l’analyse. La production de sens dans les analyses filmiques que j’ai
rencontrées passe par la description d’un acte de compréhension plus que par une
théorisation de la signification au cinéma. La « caméra » métaphorise en fait une
manière de regarder l’image, un « mode ». L’analyse filmique opère un « bricolage »,
un assemblage de diverses influences théoriques en s’appuyant finalement sur des
expériences plus pratiques que théoriques du film.
Dans la même perspective d’une compréhension finalement pragmatique du film,
même si elle ne s’avoue surtout pas ainsi, les personnages sont compris, analysés,
appréhendés comme de véritables personnes. Cette humanisation du personnage
est récurrente dans les six analyses étudiées. Dans l’analyse proposée par le
Professeur d’Université pour le Cahier des ailes du désir, le personnage de Jean se
trouve investi d’une épaisseur psychologique. Il est question de son
« investissement libidinal » face aux « attentes de sa jeune femme ». L’auteur de
l’analyse souligne que :
« C’est la survie de leur amour qui est menacée » à cause du manque sexuel
que vivent les deux amants. »
Dans l’analyse en ligne du site du SCEREN, l’auteur parle de « désirs insus » des
687
BRANIGAN Edward, Narrative comprehension and film, op. cit., p. 85 : « Epistemological boundaries ».
- 436 -
personnages, de leur « réalité d’amants séparés ». Un extrait de cette analyse est
particulièrement révélateur de l’amalgame vie réelle/vie fictive de Jean et Juliette
dans l’analyse du film :
« C’est à cet instant qu’ils vont partager leur insomnie, en une seconde vie
secrète surréelle, enregistrée par la caméra au plus près de leurs peaux. En se
couchant, Juliette pose sa tête sur son bras, sa main touchant son aisselle, et
Jean se touche pareillement, écho homosexuel de ces caresses solitaires que
chacun se donne. »
Le personnage n’est pas considéré comme un être de papier dont il faut considérer
les modalités d’écriture scénaristique, les enjeux narratifs ou d’incarnation par le jeu
d’acteur, mais comme un être doté de sentiments, de sensations charnelles, d’une
psychologie, d’une « libido », il devient une « personne ».
Les Cahiers du cinéma sont dans la même posture : il est question de Jules, « à la fois
maternel et paternel » de « l’univers mental du père Jules » et même de la
« substance du père Jules » que Juliette « ingère » lorsqu’elle « suce le sang issu de la
coupure volontaire du père Jules avec la navaja ». Notons au passage que cette
affirmation est inexacte : dans la scène à laquelle il est fait allusion, Juliette ne
« suce » pas le sang du Père Jules, l’actrice ne fait qu’esquisser un geste de la langue
en direction de la « blessure ».
Cette humanisation relève d’une lecture très intuitive d’un personnage de fiction,
que le spectateur dote de caractéristiques proches des siennes, selon le modèle de
l’existence des êtres humains dans la vie réelle. Cette assimilation du personnage à
l’humain relève d’une collusion/confusion de la réception cinématographique avec
la vie réelle, là où l’analyse postule pourtant par ailleurs, je l’ai vu, une « distance »
analytique ou critique qui condamne l’idée de rapprocher trop l’histoire du film
d’une expérience de vie. L’effet anthropomorphe est pourtant indéniable au
cinéma, car l’être de papier s’incarne littéralement à l’écran, redoublant même les
possibilités d’identification du personnage à l’acteur qui l’interprète. Dans les
traditions linguistiques et sémiotiques en littérature, le personnage est le lieu
problématique d’une impitoyable critique de ce qui pourrait faire référence à la vie
réelle. On peut citer à cet égard la phrase de Paul Valéry dans la revue Tel Quel :
- 437 -
« Superstitions littéraires – j’appelle ainsi toutes croyances qui ont en
commun l’oubli de la condition verbale de la littérature. Ainsi existence et
psychologie des personnages, ces vivants sans entrailles. »688
Or il apparaît dans les analyses filmiques étudiées que le personnage est le lieu d’un
investissement affectif et sémantique. Il se retrouve donc porteur d’une
construction de sens, il devient lui aussi un outil heuristique d’interprétation de
réseaux sémantiques : Jean et Juliette représentent l’amour qui s’oppose au travail.
Dans l’analyse proposée dans le Cahier des ailes du désir par exemple, cette opposition
est défendue comme le « projet symbolique de L’Atalante ». Le personnage
humanisé est donc aussi le représentant de valeurs abstraites qui permettent de tirer
le film vers une interprétation plus conceptuelle. Encore un paradoxe : là où le
personnage s’humanise, il devient aussi le point d’ancrage d’une interprétation
« symbolique » ou d’une interprétation en tant qu’« organisateur textuel » : l’analyse
interne de la fonctionnalité narrative du personnage côtoie sans l’invalider un
réinvestissement pragmatique du personnage construit comme une personnalité
anthropomorphe. Comme le dit Philippe Hamon pour le personnage littéraire :
« En tant qu’élément récurrent, que support permanent de traits distinctifs et
de transformations narratives, il regroupe à la fois des facteurs indispensables
à la cohérence et à la lisibilité de tout texte, et les facteurs indispensables à
son intérêt stylistique. »689
L’analyse filmique utilise des outils heuristiques sans cesse revisités en fonction des
besoins de l’interprétation, plus qu’en vertu de principes théoriques rigoureux et
systématiquement définis et conscientisés. Étonnement, des candidats du BTS
audiovisuel paraissent ponctuellement plus prudents quant à cette humanisation des
personnages. Dans une de copies étudiées, le candidat écrit : « le jeu admirable de
l’actrice est soulignée par des gros plans » (1), ce qui manifeste à la fois la prise en
compte d’un aspect très souvent négligé de l’analyse filmique qu’est le travail
d’interprétation, et une mise en relation de la mise en scène avec le jeu d’acteur qui
semble témoigner d’une possible réflexion sur les rapports entre les comédiens et le
688
Revue Tel Quel, cité par Philippe HAMON, « Pour un statut sémiologique du personnage », in R. Barthes
et al., Poétique du récit, Paris : Seuil, coll. « Points essais », 1977, p. 115.
689
HAMON, Philippe, « pour un statut sémiologique du personnage », op.cit., p. 142.
- 438 -
réalisateur lors de l’élaboration cinématographique d’un personnage. En dehors de
cette formulation, le mot « personnages » est employé pour servir finalement une
vision très humanisée :
« Les personnages se dévoilent, il n’y a pas d’évolution dans leur
personnalité. » (1)
Dans les copies d’élèves, l’humanisation des personnages sert de points d’ancrage à
l’élaboration de champs sémantiques qui permettent de construire l’analyse :
« Le thème central de cet extrait est le dévoilement. »
« C’est cette relation entre deux naïfs qui va être mise en place. »
« Il (Jules) mêle le statut de vieil homme (…) avec sa jeunesse d’esprit. »
« La naïveté de la jeune fille est omniprésente et sert au mieux la
confrontation. » (1)
« Naïveté », « jeunesse d’esprit » « relation entre deux naïfs » le réseau sémantique se
met en place à travers les caractéristiques d’écriture des personnages qui deviennent
ici des traits de « caractères »690. L’évolution des personnages est comprise comme
un fil directeur des actions et permet une transformation du contenu sémantique
du film. Les personnages ont donc à la fois un rôle actanciel et un rôle thématique :
le vieux, la naïve, etc., et permettent des parcours narratifs associés à des
représentations culturelles, sur des bases axiologiques. Là où le personnage
s’humanise, il devient aussi le point d’ancrage d’une interprétation « symbolique »
et/ou d’une interprétation en tant qu’« organisateur textuel ». L’activité de l’analyse
n’est donc pas théorique, elle apparaît comme une expérience empirique de
constructions de sens que le sujet analysant attribue au film en dehors d’une
réflexion sur ses propriétés objectives.
Dans une autre copie, il est aussi question dés l’introduction de la « relation
ambiguë entre les personnages » qui constitue un « axe » d’étude de la copie :
« Pour introduire ce premier axe, une petite présentation des personnages
s’impose. » (3)
690
Le rapprochement n’est sans doute pas étonnant et il est peut-être induit par les langues elles-mêmes :
le mot Character désigne le personnage de fiction en anglais.
- 439 -
L’étude des personnages apparaît donc comme un outil heuristique puissant pour
les candidats au BTS, parfois même jusqu’au symbolisme pour le moins
impressionniste : « Le chat noir peut être comparé à Juliette » (3), ce qui révèle
surtout le désir de trouver des symboles partout, et de « traduire » des éléments du
film de façon symbolique. Cette stratégie permet de rendre l’analyse plus abstraite
et donc d’échapper à l’accusation de paraphrase. Un extrait de cette même copie
me semble révélateur à cet égard :
« S’attachant à la vitrine de l’ancien (le candidat veut parler du père Jules),
Juliette soulève tour à tour, une corne, un couteau, symbolisant la forme
géométrique phallique, connotation sexuelle, puis confirmer avec la coupure,
et cette langue féminine qui fait son apparition à l’image, comme une
invitation. » (3)
La connotation phallique sauve in extremis le paragraphe du tout descriptif. Cette
prédisposition à la traduction symbolique des objets du décor s’explique peut-être
par un certain mimétisme, les analyses des critiques de cinéma étant friandes de ce
mode d’interprétation qui donne du sens par traduction métaphorique. Car on n’est
pas si loin finalement de l’analyse des Cahiers du cinéma qui interprète cette même
scène comme manifestation du « vampirisme » :
« Dans L’Atalante, on passe d’un plan à un autre : d’une série d’objets sans
signification particulière si on les considère un par un. Mais qui font corps,
monde, dans l’accumulation dans un espace aussi restreint (et nullement
destiné à faire musée). Du détail concret, nous passons à l’univers mental du
Père Jules. Ce passage, cette osmose sont très nets lorsque Juliette suce le
sang. (…) Ce vampirisme renvoie à l’univers de L’Atalante et de l’oeuvre de
Vigo, en fin de compte plus proche de Murnau que des grands Soviétiques. »
L’explication du couteau comme symbole phallique apparaît dans deux des trois
copies étudiées, témoignant d’un bon ancrage d’une lecture psychanalytique des
œuvres dans l’esprit des candidats. La psychanalyse est sans doute en effet la
théorie qui repose le plus sur l’idée d’une « traduction » qui seule permet de révéler
le sens des choses. Cette tentation psychanalytique est présente à l’état de trace
dans les analyses des professionnels sur ce film. On trouve quelques mots issus du
vocabulaire psychanalytique dans l’analyse du Cahier des ailes du désir par exemple où
il est question de « l’ordre subliminal » et de « l’investissement libidinal ». Si cette
- 440 -
approche semble finalement assez peu explicitement présente dans les analyses
étudiées, elle me paraît cependant indirectement bien vivante dans la prédisposition
très répandue à la « psychologisation » des personnages que je viens d’étudier. Leur
intériorité supposée apparaît comme un élément incontournable à étudier pour les
« comprendre », comme s’il fallait absolument, pour étudier un personnage, s’en
référer à son passé, son histoire, son caractère, ses désirs, bref, sa « psyché » plus
qu’à ses modes d’incarnation dans le jeu d’acteur ou dans l’écriture scénaristique.
Paradoxalement, l’illusion référentielle, pourtant peu utilisée en tant qu’outil
heuristique car assimilée à la « paraphrase », fonctionne pourtant à plein quand il
s’agit d’interpréter le rôle du personnage dans un film.
Ces figures rhétoriques sont aussi encouragées par le désir d’une élégance formelle
du commentaire qui devient lui-même un texte sur le texte. L’exercice de rédaction
de l’analyse filmique obéit donc à des règles conventionnelles liées à sa situation de
production, à savoir ici la situation scolaire. L’influence de l’enseignement du
français se fait sentir ici encore : la figure de style devient un enjeu de
l’interprétation. Il s’agit à la fois de la repérer (c’est le fétichisme de la forme, garant
de la littérarité du texte et donc de sa dimension artistique) et de s’en servir comme
outil de persuasion pour asseoir la crédibilité de l’exercice d’interprétation.
J’ai dit plus haut qu’une analyse filmique utilise les armes de la rhétorique comme
moyen d’assurer la crédibilité de l’interprétation qu’elle propose, de lui donner cette
assise symbolique que permet le beau style (4.3.5). On peut aussi penser que dans
une perspective formaliste, les mots servent à dire l’ineffable de l’œuvre d’art, la
belle analyse reposerait donc sur la fonction poétique du langage pour dire
l’irréductibilité de l’œuvre à son analyse, le « je ne sais quoi » qui la caractérise. Les
trois analyses de professionnels étudiées sont tout à fait dans cette logique de
persuasion qui passe par le soin apporté à la langue. On repère tout d’abord un
certain nombre de jeux de mots, l’utilisation de la polysémie des termes faisant
partie de l’élégance formelle. On trouve ainsi dans l’analyse écrite pour le Cahier des
- 441 -
ailes du désir :
« Celui-ci (l’acte d’amour) devient le lieu et le moment ultime du procès de
réalisation du film : réaliser au sens de rendre réel pour le spectateur. »
Le mot « réalisation », ici écrit en italique et en caractère gras, devient le lieu
polysémique d’un jeu de mot sur l’acte cinématographique. Cet article utilise
d’ailleurs à plusieurs reprises les caractères gras qui agissent aussi comme un
renforcement du pouvoir rhétorique des mots employés. Le changement
typographique vise à renforcer l’interprétation : « tel est le projet symbolique de
L’Atalante », toujours dans la perspective d’une double lecture.
L’analyse sans doute la plus représentative à cet égard est celle publiée par le site
pédagogique télédoc. L’emploi des métaphores y est très présent :
« Elle (la surimpression) plonge le spectateur dans un idéal fusionnel ou tout
peut se convulser, s’émulsionner, dans un mélange de peaux et de fluides. »
« Mimétisme des gestes et aussi appel, lorsque Juliette lève son regard étourdi
et humide et gonfle sa poitrine, Jean s’abandonne en se laissant tomber en
arrière sur le lit, dans une symétrie quasi magique et des taches se collent à
leurs deux corps, comme autant de constellations oniriques d’un fluide
spermatique. »
« La musique de Maurice Jaubert réunit plus encore les corps, en une
cadence ascendante et descendante, rythmant les pulsations des désirs et
émois charnels, jusqu’au final. Ce serait le troisième corps conducteur qui
propage ses ondes courtes, vrillantes, tournoyantes. Cette quasi
vampirisation (photogramme X avalant Y qui à son tour avale Z, etc.) abolit
les frontières et se meut en roue libre, telle une opération chimique continue.
En outre, la surimpression semble toujours en quête d’un photogramme
autre, d’une monstration visuelle extraordinaire toujours perdue et toujours à
reconquérir. »
Ce beau style vise également à emporter l’adhésion du lecteur. Les photogrammes
qui sont publiés parallèlement au texte relève peut-être aussi du désir d’accréditer
l’analyse qui, du coup, semble s’appuyer très précisément sur le film, alors même
que le jeu des métaphores entraîne parfois l’interprétation bien loin des images
quand il s’agit d’évoquer les « taches (qui) se collent à leurs deux corps comme
autant de constellations oniriques d’un fluide spermatique ». Ici la description des
images paraît transcender par l’utilisation récurrente des métaphores, comme si
- 442 -
l’utilisation de la figure de style permettait de déjouer l’écueil de la paraphrase que
l’on refuse aux candidats du BTS.
L’idée de « vampirisation », que l’on trouve également dans l’analyse des Cahiers du
cinéma pour interpréter la séquence de la rencontre entre Juliette et le père Jules,
permet une certaine solidarisation entre les différentes analyses qui, du coup,
s’accréditent entre elles. La notion de « vitrail » par exemple utilisé par le critique
des Cahiers, renvoie à l’expression employée par Henri Langlois, cité dans l’analyse,
expression qui sera également reprise par Michel Chion qui parlera quant à lui d’un
« vitrail » sonore dans une publication de la Cinémathèque française en 2000691. Les
Cahiers du cinéma s’inspirent de grands noms de la cinéphilie française qui essaiment
leur stratégie de production de sens dans la sphère universitaire. Cette expression
de H. Langlois vient d’un entretien avec Rui Nogueira en 1972 qui a été publié dans
la revue Sight and Sound. Cet interview a été par la suite récupéré par Jean Narboni
dans Henri Langlois, trois cents ans de cinéma, volume co-édité par Les Cahiers du
cinéma/La Cinémathèque française/la Fémis en 1986.
En appeler à des « autorités » pour renforcer les choix interprétatifs est d’ailleurs
une stratégie largement utilisée dans l’article des Cahiers du cinéma sur L’Atalante. Et
il est ainsi question d’autres critiques de la revue, cités en italique :
« “Chez Vigo (…) la victoire du jour n’est jamais achevée”, écrit Barthélémy
Amengual. Alain Bergala parle de “plan-aquarium” pour L’Atalante, insistant
sur l’étroitesse des décors et la promiscuité des corps. »
La citation de B. Amengual ne semble pas renforcer réellement la démonstration de
l’article quant à « l’harmonie retrouvée », mais la présence d’un autre critique dans
le discours critique renforce sa légitimité. Sont aussi convoqués comme puissances
légitimantes d’autres cinéastes qui permettent des comparaisons érudites renforçant
ainsi la crédibilité de l’auteur de l’analyse par l’exposition de sa culture
cinématographique. Dès l’exergue, une citation de R. Bresson agit comme une mise
691
CHION Michel, « Le son de L’Atalante, Un vitrail », in L’Atalante, un film de jean Vigo, ouvrage collectif réalisé
par Bourgeois Nathalie, Benoliel Bernard, de Loppinot Stefani, Paris : Cinémathèque française et Pôle
méditerranéen d’éducation cinématographique, coll. « La puce à l’œil », 2000.
- 443 -
sous tutelle légitimante de l’interprétation. Parlant de la musique, l’auteur de
l’analyse écrit :
« Pas vraiment redondante comme l’auraient voulu Eisenstein et
Poudovkine, ou le René Clair des débuts du parlant. »
Plus haut il est question des « bandes-son de Tati », plus loin, à propos des « objets
hétéroclites » réunis dans la cabine du père Jules, de « la démarche surréaliste de
Breton et ses amis », de « Murnau » plus que des « grands Soviétiques » pour le
« vampirisme » du rapport entre Juliette et Jules et l’article se termine par cette
injonction cultivée :
« D’où la nécessité de revoir Taris, ce trop rare court-métrage de commande
sur un nageur alors célèbre. »
Comme dans les analyses de professeurs étudiées plus haut, la multiplication de
références hétérogènes permet d’accréditer l’expertise du critique et également son
« personnage » d’homme cultivé, cinéphile, et donc habilité à l’analyse filmique. La
pertinence de ces références, pour être vérifiée, demanderait la vérification
scientifique de la démarche auteuriste de J. Tati, de R. Clair, de I. Poudovkine, d’A.
Breton, de F. W. Murnau cités ici à titre de parangon de telles ou telles
caractéristiques : une certaine utilisation du son, la collection « d’objets
hétéroclites » ou le « vampirisme ». Cette propension à s’appuyer sur la légitimité
des autres est également présente dans l’analyse du Cahier des ailes du désir. Cette
analyse, comme je l’ai vu, prend en compte la possibilité d’une analyse de réception,
même si elle ne s’y engage pas, et c’est précisément sur la figure du spectateur et sur
la question de la « réalisation du film au sens de rendre réel pour le spectateur »
que la légitimité d’un grand nom est convoquée :
« Un bon critique, intelligent, attentif, sensible constate Manoel de
Oliveira est le représentant des spectateurs, il va achever le film qui, à mon
avis, ne l’est pas quand je l’ai terminé, il va le compléter. »
Cet extrait mérite qu’on s’y arrête. Tout d’abord parce qu’un réalisateur connu
comme Manoel de Oliveira accrédite l’importance de la réception dans la
compréhension d’un film. Cette théorie n’est pas originale, mais elle a le mérite de
poser la question du rôle du spectateur dans la « fabrication » du film, ce qui
- 444 -
relativise la théorie selon laquelle l’œuvre est achevée et close sur elle-même comme
le postule le formalisme. Émanant d’un créateur, cette représentation de l’œuvre
ouverte à son public a d’autant plus de poids et conforte les théories pragmatiques.
S’il est question ici « des spectateurs » et non plus « du » spectateur, conjointement
M. de Oliveira donne au « critique » ce pouvoir d’achèvement du film, ce qui
semble alors réduire la portée de l’affirmation parce qu’elle aboutit finalement à
cette uniformisation de la figure du spectateur qu’elle semblait rejeter. C’est la
figure – éminemment problématique d’ailleurs – du « critique » qui se substitue à la
figure virtuelle du « spectateur » unifié que j’ai déjà commentée. Ainsi, encore une
fois, l’auteur de l’analyse utilise un outil théorique à double tranchant en ne
saisissant que ce qui sert son propos interprétatif. Ici, la potentialité de
« réalisation » du film par le spectateur ne sert que très peu un discours sur la
réception, mais accrédite un discours interprétatif sur la « valeur allusive » de
l’extrait commenté :
« Toute la force de la séquence vient précisément de sa valeur allusive : elle
ne dit rien au sens strict, elle n’énonce rien, elle laisse le spectateur compléter
l’image en concevant l’idée de l’acte d’amour dans sa tête. »
L’emprunt théorique est donc minime, la citation de M. de Oliveira a surtout une
vertu légitimante et ne vient pas véritablement mettre en cause le choix formaliste
et immanentiste globalement à l’œuvre dans l’analyse.
La légitimation, quelles que soient les formes qu’elle prenne, apparaît bien comme
la clé d’une interprétation réussie. Parfois, elle passe plus directement par des
affirmations sans justification reposant sur un jugement de goût montré comme
indéniable et ininterrogable. On retrouve cette stratégie dans toutes les analyses
envisagées. Il est question dans le Cahier des ailes du désir d’une « exceptionnelle
qualité plastique du film », de son « éblouissante beauté », de ce que « la séquence
réussit magnifiquement ».
Pour l’analyse du SCEREN, la séquence est « magnifiquement érotique », dans
l’analyse des Cahiers du cinéma, la fin du film est jugée « aussi symbolique que la fin
de La Mort aux trousses, mais plus poétique ». Le jugement de goût devient un
- 445 -
jugement de valeur sur un film très légitime dans la tradition cinéphilique française.
On peut penser ici à ce que C. Metz appelle la « construction cautionnante » de
« l’écrivant de cinéma » :
« Un autre cas, aussi fréquent, est celui des conceptions du cinéma qui se
veulent théoriques et générales, mais consistent en fait à justifier un type
donné de films que l’on a d’abord aimés, et à rationaliser après coup cet
amour. Ces « théories » sont bonne part des esthétiques d’auteurs (de goût) ;
elles peuvent contenir des aperçus d’une grande portée théorique, mais la
posture de l’écrivant n’est pas théorique : l’énoncé y est parfois scientifique,
l’énonciation jamais. »692
En effet, une fois encore, il semble que les emprunts véritables à la théorie du
cinéma ou de la littérature sont très secondaires dans l’activité de production de
sens.
Ces affirmations permettent aussi d’entraîner l’adhésion aux interprétations
proposées puisqu’il semble indéniable qu’on les doit à la beauté du film. Les
candidats du BTS ne peuvent qu’être sensibles à ce panthéon des œuvres qui
apparaît d’autant plus indiscutable qu’une œuvre proposée en analyse filmique lors
de l’épreuve nationale ne peut être qu’un « chef d’œuvre ». On retrouve donc des
expressions de l’admiration incontestable dans leurs copies :
« Le jeu admirable de l’actrice » (1)
« Le passage de la découverte subtile renforce la naïveté. » (2)
Par ailleurs les candidats semblent avoir bien compris la puissance symbolique de la
langue et le fait que leur copie sera valorisée par l’utilisation d’un beau style. Ils s’y
essaient donc, en réutilisant des « tics » rhétoriques qui leur semblent correspondre
aux attendus stylistiques de l’exercice :
« Fin de cette parenthèse scénique surréaliste par le mouvement de l’homme
qui sort, ces deux formes d’association forment tel un raccord plastique à
contours structurel dans le plan lui-même. »
« La photo (…) est telle une menace dans le “cadre cinéma”. »
« Là encore s’effectue le phénomène d’attraction répulsion. »
« Cet objet très féminin (l’éventail) relie plastiquement la “bête” de façon
692
METZ Christian, Le signifiant imaginaire, Paris : Union générale d’éditions, 1977, p. 18.
- 446 -
gracieuse. » (2 )
On pourrait rire des maladresses syntaxiques et sémantiques de ces extraits, mais ils
sont finalement une tentative de reproduction du discours des « maîtres ». On
retrouve la référence au surréalisme, la prédisposition à commenter ce qui relève du
« plastique » et du « structurel », l’utilisation de guillemets pour mettre en relief une
partie du propos, le désir de faire fonctionner l’interprétation autour de couples
d’opposition « attraction/répulsion ». Notons que l’idée du « cadre dans le cadre »
ou du « cadre qui enferme » fait partie des « sens abstraits » que D. Bordwell dans
Making Meaning désigne comme de véritables « routines » d’élaboration du sens
dans les analyses filmiques, avec les « miroirs », et « le désir de voir »693. Or on
retrouve ces « routines » dans cette copie d’élève, à travers l’évocation du « cadre
cinéma » déjà cité, et également plus loin :
« Cette action est d’autant plus forte qu’elle est soulignée par un raccord dans
le plan où le miroir va mettre en valeur le geste par le reflet, tel un gros plan
dans le plan large. » (2)
Comme les « professionnels », cette copie conclut en s’essayant au jeu de mots :
« C’est notamment un des pouvoirs du cinéma, le remaniement des valeurs
par la nuance et une subtilité qui transforme, tel un alchimiste, lard en l’art. »
(2)
Évidemment le jeu de mots tombe à plat et c’est dans ce genre de tentative
malheureuse que se mesure la distance entre un « professionnel » de l’analyse
filmique, critique dans une revue prestigieuse ou professeur des universités et un
candidat à un Brevet de Technicien Supérieur qui n’est pas un spécialiste de cet
exercice. Mais ne nions pas que le candidat en question a compris une chose qui le
rapproche, même si maladroitement, des « maîtres » : la nécessité de conclure sur la
réflexivité de l’œuvre étudiée, de tirer l’interprétation vers une réflexion générale sur
la puissance de l’art.
En effet, l’élargissement du propos à une réflexion générale sur le médium, sur le
693
BORDWELL David, Making Meaning, op. cit., p.80 : « The practical critic possesses an underlying
schema that proposes which textual features can carry abstract meaning : mirrors, looking to look, shot
that enclose, frame in frame, and those feature thereby become common property, like semantic fields. »
- 447 -
pouvoir du cinéma et/ou de l’art est récurrent dans les analyses étudiées. C’est la
quatrième stratégie de production de sens que j’ai pu repérer, elle consiste en
l’étude de la réflexivité du médium. L’analyse proposée dans les Cahiers du cinéma se
conclut ainsi :
« Vigo plonge ses personnages et attend que le mystère du cinéma les fasse
surgir à la lumière du ciel (…) un couple, un amour, un film, un cinéaste sont
nés. »
L’analyse sur le site télédoc commence ainsi :
« Comme si l’alchimie du cinéma, sa quintessence même, résidait dans cette
injonction érotique de faire l’impossible, d’altérer le réel pour le transfigurer
au nom de l’amour. »
Et se termine ainsi :
« En outre, la surimpression semble toujours en quête d’un photogramme
autre, d’une monstration visuelle extraordinaire toujours perdue et toujours à
reconquérir. Ce serait l’utopie révolutionnaire de l’aura du cinéma ? »
Dans les deux cas, il s’agit d’élargir in extremis l’interprétation vers la réponse à une
question qui pourrait se formuler ainsi : « qu’est-ce que ce film nous dit sur le
cinéma ? ».
Dans l’analyse proposée pour le Cahier des ailes du désir, la comparaison de deux
versions du film amène cette réflexion générale sur le cinéma :
« Fragilité de l’art cinématographique que tant d’agents, conscients ou
inconscients de leurs actes, viennent ainsi détruire. »
On est bien là devant une « routine » de l’analyse esthétique qui, dans une
perspective toujours moderniste consiste à voir dans toute œuvre une réflexion sur
l’acte de création ou sur l’œuvre d’art en général. L’autoréflexivité de l’œuvre
apparaît donc comme un champ possible d’investigations pour l’interprétation. Elle
est ici traduite par la convocation d’une forme d’intertextualité qui renvoie ce film à
tous les autres films et en fait donc un représentant ou plutôt un « exemplum » de
l’art cinématographique. Une propriété du cinéma est donc particulièrement mise
en valeur : sa « fragilité », son « aura », son « mystère », sa « quintessence » et cette
propriété, l’analyse cherche à le retrouver dans le film étudié et justifie
l’interprétation par le fait de retrouver dans une œuvre particulière une propriété
- 448 -
générale. D. Bordwell décrit ainsi cette tautologie qui se présente avec la
scientificité d’une maxime :
« Le film a la caractéristique X,
cette caractéristique est une caractéristique propre au cinéma,
Ce film parle donc du cinéma. »694
Ces « propriétés » comprises comme des ressources ou des richesses du cinéma
servent aussi un discours de légitimation du médium et opèrent finalement aussi
comme un plaidoyer en faveur du « cinéma » dans son ensemble. On retrouve la
« construction cautionnante » dont parle C. Metz dans Le Signifiant imaginaire. C’est
bien la stratégie d’interprétation qui est à l’œuvre dans les analyses étudiées et c’est
peut-être une des stratégies qui manque le plus couramment aux élèves qui peinent
à élargir leur propos dans ce sens.
En conclusion, on trouve dans ces analyses filmiques un modèle d’interprétation
immanente du film, ce que l’on peut appeler une analyse interne. C’est un
présupposé qui relève effectivement d’une certaine conception du cinéma et qui se
trouve ici à l’œuvre. Par contre, on ne trouve pas trace dans ces exemples d’une
activité méta-théoriques qui constituerait, selon R. Odin, les caractéristiques de ce
que l’on appelle « l’analyse textuelle » du film695. S’il est vrai que l’analyse filmique, à
l’Université, s’est souvent donnée pour but de n’être justement pas un exercice
critique, mais de se caractériser par sa dimension méta-méthodologique ou
méta-théorique, il semble que l’analyse filmique en lycée soit souvent pilotée par un
modèle critique plus que théorique. L’existence d’interprétations intersubjectives,
de points communs entre les différentes études, témoigne finalement plus de
l’existence des mêmes routines issues de la critique que d’une objectivité de
l’analyse : une interprétation apparaît donc comme le sédiment d’un consensus,
d’un compromis de sens qui peut trompeusement apparaître comme un gage
694
BORDWELL David, Making Meaning, op. cit., p. 112 : « The film has property X/property X is a
property of cinema/The film is about cinema ».
695
ODIN Roger, Dix années d’analyses textuelles de films. Bibliographie analytique, op. cit.
- 449 -
d’objectivité. Par ailleurs, on peut constater une assimilation de la réception à
l’interprétation, appuyée sur la croyance dans l’idée que le film contient entièrement
son propre sens. Les stratégies de production de sens sont également révélatrices
d’une certaine forme de légitimation de l’analyse filmique comme activité
institutionnellement admise dans le cadre du système d’enseignement.
4.4.9 Conclusion sur l’analyse filmique
Si l’on synthétise les éléments « routiniers » envisagés jusqu’à maintenant, il semble
que l’exercice d’analyse filmique repose sur :
- la description plastique du plan ;
- les écarts signifiants ;
- l’extrait métonymique ;
- le présupposé d’une intention pure d’un auteur et d’une cohérence ontologique à
l’œuvre avec la certitude que cette intention a laissé des traces dans le « texte »
étudié et qu’il contient donc des éléments de sa fabrication ;
- l’attention portée à la dimension autoréflexive de l’œuvre qui repose sur des
aspects formels spécifiques au médium et encourage une certaine distance
esthétique vis-à-vis du contenu.
Je dresse également le bilan des théories et pratiques de l’analyse filmique en lycée :
- L’analyse permet d’évaluer la capacité de l’élève ou de l’étudiant à repérer dans
les films certains éléments précis de l’image et du son au cinéma. Les éléments
formels considérés comme des « outils d’analyse » auront été précédemment vus et
étudiés en cours, lu ou appris dans des manuels à vocation pédagogique.
- L’analyse permet de construire un discours qui sera facilement évaluable dans
le cadre d’un travail scolaire. Par ailleurs, elle permet de mesurer la culture de l’élève
et sa capacité et inscrire les œuvres dans un contexte de production plus large. C’est
- 450 -
ce à quoi encourage le BO :
« À partir des films et d’extraits qu’il a analysés, comme à partir de ses
propres réalisations ou de celles de sa classe, l’élève apprend à lire et à
comprendre les différents choix de montage, à en expliciter le sens et les
conséquences sur l’esprit des œuvres. »696
- Elle permet d’accréditer la thèse du cinéma comme art, car elle se présente
comme un exercice difficile qui permet de mesurer les écarts entre le discours
poétique du film et le discours audiovisuel des médias.
- Elle donne une légitimité aux professeurs, pour la plupart rôdés à l’étude
littéraire dont les outils méthodologiques sont identiques.
- Elle permet d’évaluer également des compétences d’écriture qui restent les
critères essentiels du système éducatif français comme nous l’avons vu
précédemment.
- Elle ne nécessite aucune mise en œuvre technique autre qu’un dispositif de
projection dont sont dotés tous les établissements scolaires à l’heure actuelle.
Il me semble que l’on peut synthétiser ainsi les différentes constatations et études
d’exemples d’analyses de film pour tenter de faire un bilan et de définir les
présupposés dominants dans l’analyse filmique pratiquée au lycée. J’ai effectué ce
relevé en opposition avec d’autres démarches théoriques qui sont celles de
chercheurs qui ont précisément décidé de mettre en perspective, par des
hypothèses différentes, l’analyse formaliste : Janet Staiger et certains ouvrages de
David Bordwell pour la recherche anglo-saxonne, Geneviève Sellier/ Noël Burch
et Laurent Jullier entre autres pour la recherche française. Ce système d’opposition
permettra, par contraste, de mieux cerner les enjeux théoriques de l’analyse filmique
dans les deux formations étudiées, éventuellement de repérer les quelques
incartades à la domination théorique du formalisme que tentent quelques analyses
en lycée et surtout de proposer un modèle alternatif qui permette de penser
l’analyse filmique en lycée autrement.
696
BO Hors série n°4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit. p. 21.
- 451 -
Analyse à dominante formaliste
Autres voies d’analyses possibles697
Sens immanent
Sens à construire
L’Autorité d’un « grand » auteur garantit le Le sens se déplace du côté de la réception698
sens du film. Auteurisme
Notion de « chef d’œuvre » cohérent, unité Mise en avant du caractère hybride de tout film699
intrinsèque de l’oeuvre
Œuvre close sur elle même : « tout est dans Œuvre ouverte et co-construite par son récepteur :
l’œuvre » (entretien avec Bertrand).
le contexte influe sur la compréhension de l’œuvre :
Hans Jauss/ J. Staiger/ étude de réception.
« Sens » comme « ce qui est “immanent au « Signifiance » comme « une relation des faits et des
système du texte”. »700
idées en dehors de ce système. » 701
Le texte est un monument.
Le texte est un document.
Étude du texte.
Étude du contexte.
Réception an-historique.
Étude de la réception fondée sur des données
sociologiques et historiques.
Figure d’un spectateur « idéal », toujours Reconnaissance et prise en compte de la variabilité
identique dans le temps malgré la prise en des réceptions des spectateurs voire même de leur
compte d’un certain ancrage culturel de la « perversité », c’est-à-dire la capacité d’un spectateur
réception.
à ne pas recevoir le film comme attendu et à
prendre
697
du
plaisir
à
des
interprétations
J’indique en note et entre parenthèses les théoriciens et ouvrages qui défendent et justifient ces
approches.
698
STAIGER Janet, Interpreting film, Studies in the Historical Reception of American Cinema, Princeton :
Princeton University Press, 1992, p. 18 : « Signifiance refers to what an individual beleives to be pertinent
about the text in relation to extratextual concerns or values about a text » : « La signification se réfère à ce
qu’un individu croit être pertinent au sujet du texte en rapport avec les préoccupations extratextuelles ou
avec les valeurs d’un texte ».
699
STAIGER Janet, Perverse Spectator, op. cit., p. 71.
700
STAIGER Janet, Interpreting film, Studies in the Historical Reception of American Cinema, op. cit., p. 18 : « Here
meaning refers to what is immanent to the system of the text ».
701
STAIGER Janet, Interpreting film, Studies in the Historical Reception of American Cinema, op. cit., p. 18 :
« Signifiance is designating a relation to facts and ideas outside that system ».
- 452 -
contradictoires. Pas de spectateur « idéal ».
Convention de lecture possible – notion de Instabilité des « horizons d’attente » et des identités
genre.
génériques.
« Coopérative spectator ».
« Perverse spectator » (J. Staiger702)
Élucider l’objet « film ».
Expliquer l’événement que constitue la réception du
film.
Une interprétation peut être fausse.
Toute lecture est possible ou plutôt « négociable ».
Certaines interprétations sont plus valides Toute interprétation doit être considérée comme
que d’autres.
contingente.
Certains spectateurs sont plus compétents Tout spectateur dépend de son propre système
que d’autres.
d’interprétation dans lequel son interprétation sera
valide.
Le texte a une essence.
Le film est contingent, son interprétation est
toujours ouverte. Toute lecture est « négociée »703.
Volonté de trouver la Vérité de l’image.
Polysémie, pluralisme des lectures qui ne peuvent se
présenter que comme des hypothèses.
Pureté de l’œuvre protégée par la culture Études d’œuvres impures ou hybrides promulguées
dominante.
par le cinéma « mainstream ».
Panthéon d’œuvres permettant d’assurer la Défense d’« une forme d’expertise spectatorielle
« distinction » du cinéma comme légitime spécifique, attachée à ne pas séparer les enjeux
culturellement. La cinéphilie « académique » personnels, les affects et les jugements de goût. » (J.repose sur un gout pour le Beau et M. Leveratto705).
l’abstraction (G. Sellier /N. Burch704).
Primat de l’esthétique.
Ne pas séparer l’éthique et l’esthétique. (L. Jullier706)
Pouvoir normatif de l’analyse : asseoir une Trouver des stratégies de lectures alternatives et
702
STAIGER Janet, Perverse Spectator, op. cit., p. 2.
Ibid.
704
BURCH Noël et SELLIER Geneviève, Le cinéma au prisme des rapports de sexe, op. cit.
705
LEVERATTO Jean-Marc, La mesure de l’art. Sociologie de la qualité artistique, op. cit.
706
JULLIER Laurent, Qu’est-ce qu’un bon film ?, op. cit.
703
- 453 -
position idéologique dominante.
parfois méprisées par la majorité.
Gender studies comme « contestation du savoir
académique, à partir d’une critique de la culture
patriarcale et élitiste qui n’aura pas d’équivalent sous
cette forme en France »707 (G. Sellier).
Approche cinéphilique masculine. « Les Approche qui cherche à remettre en question « une
études filmiques françaises sont toujours tradition culturelle française, le modernisme, dont
imperméables aux approches gender, alors l’historien Andreas Huyssen repère l’émergence au
même que les études anglo-américaines en milieu du XIXe siècle (Huyssen 1989 ). » (G. Sellier
ont fait leur cheval de bataille. Elles restent
710
). Le modernisme peut être appréhendé comme
encore aujourd’hui en France, dans le pays une vision très misogyne de l’art, destinée à asseoir
qui a “ inventé ” la cinéphilie et le cinéma “ la domination masculine.
d’auteur ”, le domaine le moins connu et le
moins reconnu. Peut-être y a-t-il justement
un lien étroit entre la légitimité culturelle à
laquelle a accédé le cinéma dans notre pays,
et
la
résistance
des
études
filmiques
françaises aux approches socioculturelles,
dont relèvent les gender studies. » (G. Sellier
708
).
« La cinéphilie de Delluc construit une
équivalence
entre
beauté,
abstraction
d’un
côté
virilité
et
et
laideur,
sentimentalité et féminité de l’autre. » (G.
Sellier 709).
707
SELLIER Geneviève, Gender studies et études filmiques, première partie, op. cit., texte en ligne,
http://lmsi.net/Gender-Studies-et-etudes-filmiques463
708
SELLIER Geneviève, Gender studies et études filmiques, première partie, op. cit., texte en ligne.
709
Ibid.
710
Ibid.
- 454 -
Vision idéalisée de l’œuvre qui transcende le Approche pragmatique du film comme objet de la
réel. Œuvre sacrée, intemporelle, éternelle.
« culture de masse », ayant une durée de vie
ponctuelle dans une société donnée. (N. Burch/G.
Sellier711).
« Ce dont parle » le film n’est pas le plus Prise en compte du fait que « la substance narrative
important.
des films n’est jamais commentée “passe à l’as”,
alors que cette substance est, avec la présence
charismatique et érotique des vedettes, précisément
ce qui attire les spectateurs et les spectatrices. » (G.
Sellier712).
Assimilation
acteur/personnage, Distinction « personna » de l’acteur/personnage
identification du spectateur au personnage filmique :
de fiction.
l’identification
du
spectateur
est
conditionnée aussi par l’aura de la « star ».
Posture d’analyse Top Down : hypothèse Prise en compte de ce qui ne « colle » pas avec
formulée en introduction et forcément l’hypothèse d’analyse et convocation de différentes
vérifiée au cours de l’analyse.
disciplines pour valider ou invalider des hypothèses
d’interprétation : posture « Bottom Up ».
Approche monolithique.
Approche interdisciplinaire.
Étude de l’œuvre.
Étude des conditions et des possibilités de sa
lecture.
Œuvre étudiée indépendamment de ses Études des modes d’exhibition de l’œuvre, c’est-àmodes d’exhibition.
dire, entre autres, étude des évolutions techniques
des supports, des salles de projection, des
conditions de visionnage.
Méfiance envers l’image et ses dangers que Analyse des modes d’optimisation du plaisir
l’analyse permet de contrer.
spectatoriel (anthropologie du spectacle).
Tentation du modernisme : affection pour Toute œuvre est traversée par d’autre qu’elle-
711
712
BURCH Noël et SELLIER Geneviève, Le cinéma au prisme des rapports de sexe, op. cit.
SELLIER Geneviève, Gender studies et études filmiques, première partie, op. cit., texte en ligne.
- 455 -
les
œuvres
autoréférentielles. même : l’intertextualité est abordée comme une
L’intertextualité est une donnée esthétique, donnée cognitive, sociologique et affective, c’est
c’est une donnée textuelle
une donnée spectatorielle.
Pour conclure, j’emprunterai à G. Genette l’idée que l’activité analytique telle
qu’elle est pratiquée en lycée : ses emprunts théoriques, ses stratégies de production
de sens, qui s’apparente finalement beaucoup, comme je l’ai montré, à l’activité
critique (celle des Cahiers du cinéma entre autres) peut être comprise selon la
métaphore du « bricolage » :
« Les matériaux du travail critique sont en effet ces “résidus d’ouvrage
humains” que sont les œuvres une fois réduites en thèmes, motifs, motsclefs, métaphores obsédantes, citations, fiches et références. L’œuvre initiale
est une structure, comme ces ensembles premiers que le bricoleur démantèle
pour en extraire des éléments à toutes fins utiles ; le critique lui aussi
décompose une structure en éléments : en élément par fiche, et la devise du
bricoleur : “ça peut toujours servir” est le postulat même qui inspire le
critique lors de la confection de son fichier, matériel ou idéal, s’entend. Il
s’agit ensuite d’élaborer une nouvelle structure en “agençant ces résidus” ».713
Il me semble que de même que la cinéphilie « moderne » de la critique française est
devenue une cinéphilie « académique », les comparaisons menées ci-dessus
montrent que les pratiques académiques d’analyse filmique sont elles aussi issues
des pratiques d’interprétation de la critique. Ce que l’on peut sans doute déplorer
ici, c’est que cette influence se soit faite au détriment de toute autre approche
théorique, ne laissant en partage, finalement, que le « bricolage ».
On pourra m’arguer qu’il ne s’agit dans ces enseignements CAV que d’une
« initiation », que ces pratiques, théories et présupposés sont largement répandus y
compris en dehors de l’École et qu’ils ne sont pas pour autant « délétères ». C’est
vrai, il me semble pourtant que l’École devrait idéalement être le bastion de la
rigueur épistémologique. Un seul exemple : au lieu d’envisager les genres
cinématographiques « à l’envolée » comme je l’ai vu plus haut (3.2.5), pourquoi ne
713
GENETTE Gérard, Figure I, Paris : Seuil, coll. « Point essais », 1966, p. 147.
- 456 -
pas remplacer cet item du programme par une interrogation sur ce qu’est le
« genre » au cinéma ? Le programme n’en serait pas plus « dur », il jetterait
simplement les bases de ce qu’est une question épistémologique, de ce qu’est une
théorie, des moyens dont on peut l’enrichir et l’invalider. Les élèves de ces classes
sont jeunes, certes, mais ce sont aussi les universitaires de demain : pourquoi le
système d’enseignement met-il autant de temps à poser les vraies questions ?
Je n’oublie pas que ces pratiques sont en outre encadrées, guidées, informées par un
certain nombre de documents pédagogiques publiés par l’Institution à destination
des professeurs. Il convient donc de déterminer quels sont les apports théoriques
ou méthodologiques de ces outils pédagogiques, s’ils viennent infléchir les constats
ci-dessous ou s’ils ne font au contraire que les confirmer.
4.5
Analyse des « outils » pédagogiques pour l’analyse des
films en lycée
4.5.1 Les
outils
d’accompagnement
pédagogiques produits par l’Institution :
l’exemple de « L’Éden cinéma »
Depuis l’existence des enseignements CAV, des documents accompagnent les
professeurs et les élèves dans leur pratique d’enseignement et d’apprentissage du
cinéma. Historiquement, la COSEAC se chargeait de cet accompagnement
pédagogique. La commission élaborait un « cahier des charges » du document
pédagogique, lançait un « appel d’offres » auprès des maisons de production, et
enfin tranchait en faveur de la proposition la plus adéquate, puis se chargeait du
suivi de la réalisation du document. En aval, ces documents étaient envoyés dans
- 457 -
tous les CRDP de France ainsi qu’aux enseignants en charge des classes de
« cinéma et audiovisuel ».
Ces documents pédagogiques ont, dès 1987, pris la forme d’un apprentissage de
l’image par l’image. Puisqu’il s’agissait d’enseigner le cinéma et l’audiovisuel, le
document pédagogique se trouvait de fait héritier des « films pédagogiques » qui,
comme nous l’avons vu précédemment (1.3.1), ont depuis longtemps une place
dans les enseignements. Les travaux de G. Jacquinot sur la « télévision
pédagogique » dans les années 70 à Marly-le-Grand n’ont fait que renforcer l’idée
que l’audiovisuel pouvait se mettre au service d’une pédagogie « moderne » qui sait
utiliser les outils techniques de son temps à des fins d’apprentissages. L’image
semble être le bon vecteur de l’apprentissage de l’image, en vertu du fait que
l’explication du film par le film est le meilleur moyen d’entrer dans la logique du
média pour le décrypter. Si l’on catégorise les utilisations de l’audiovisuel dans le
monde pédagogique, on peut dégager deux grandes catégories : l’utilisation de
l’audiovisuel à des fins d’illustration (c’est le cas dans le cours de langue par
exemple) et l’utilisation de l’audiovisuel à des fins d’apprentissages sémiologiques,
portant principalement sur la « traduction » sémiologique du langage audiovisuel.
C’est dans cette deuxième catégorie que se placent les outils pédagogiques édités
dans le cadre des enseignements « cinéma et audiovisuel ».
À partir de 1986, les collections « MagiEmage » (de 1986 à 1996) et « Image par
Image » (de 1987 à 1989) sont les principaux outils pédagogiques pilotés par la
COSEAC à destination des professeurs et des élèves des enseignements « cinéma et
audiovisuel » de lycée. Ces documents étaient le fruit d’une coproduction714, et
n’étaient pas destinés à la vente mais à l’emprunt dans les CRDP, circuit fermé
exclusivement réservé aux professeurs, ou dans le fonds « Images de la culture »
714
La collection « Image par Image » était une coproduction de la Cinémathèque française, les éditions
Hatier, Mikros Images, Quintet film, MADA, FEMIS, la SEPT. La collection « magiEmage » était une
coproduction Totem production, ministère de la Culture, ministère de l’Éducation nationale, CNDP et
CNC.
- 458 -
consultable au CNC715. Ils se présentaient sous forme de VHS partagées en trois
séries : la série « Langage et techniques », « Les structures du cinéma » et « Analyse
filmique »716. La plupart des VHS de la série « Analyse filmique » correspondent aux
films proposés au programme du baccalauréat des Terminales Littéraires à
enseignement artistique « cinéma et audiovisuel » et ont été commandées
précisément parce que le film entrait au programme : Le Septième Saut et Europe 51
en 1994, Mon Oncle et El en 1995.
Ce que j’appelle ici « films pédagogiques » se caractérise par plusieurs
caractéristiques définitoires :
- Ils sont réalisés par un « expert » qui peut justifier d’un savoir
universitaire, pratique ou professionnel sur le cinéma, validé par
l’Institution productrice qu’est le CNDP qui agit aussi en termes de
garant institutionnel de l’expertise de la personne sollicitée pour la
réalisation du document pédagogique ;
- Ils proposent des procédés aptes à améliorer la compréhension du
film et/ou du « cinéma » qui se manifestent par un désir de clarté à
715
Pour plus de détails sur ces documents, voir la thèse de doctorat de Gilles DELAVAUD : « L’image
par le film : films documentaires et films didactiques pour l’enseignement du cinéma », sous la direction de
Roger Odin, Université Paris III – Sorbonne Nouvelle, 1992 et le mémoire de maîtrise de Roberta Pedrini,
« Des vidéocassettes au service de l’enseignement du cinéma », sous la direction de Roger Odin, Université
Paris 3 – Sorbonne Nouvelle, 1996.
716
Série « Langage et techniques » : collection magiEmage : les VHS publiées sont les suivantes : « Histoire
d’une Histoire : le scénario » de Philippe Bernard en 89, « Le montage » de Gilles Delavaud en 90, « le
cadre au cinéma » de Jacques Petrat, Jacques Loiseleux et Jean Douchet en 91, « Le son au cinéma,
comment ouvrir l’oreille sans fermer l’oeil » de Claude Baiblé et Guy Mousset en 1993, « Le décor au
cinéma » de Régis Deruelle en 1993, « La mise en scène documentaire » réalisé par Gilles Delavaud en 94
Série « Analyse filmique » : collection « Image par Image » dirigée par Jean Douchet, Radha-Rajen
Jaganathen et Makiko Suzuki. Les VHS publiées sont les suivantes : « M de Fritz Lang » de Radha-Rajen
Jaganathen, Jean Douchet et Makiko Suzuki en 1987 ; « La règle du jeu » de Pierre-Oscar Levy, Jean
Douchet en 1987 ; « Naissance d’une nation » de Gérard Leblanc et Nicolas Stern en 1987, « le Cuirassée
Potemkine » de Radha-Rajen Jaganathen, Makiko Suzuki et Dominique Zlatoff en 1988, « Citizen Kane »
de Radha-Rajen Jaganathen et Makiko Suzuki en 1989.
Hors collection mais toujours selon le même mode de production, d’autres VHS présentant des analyses
de films : « Charlot scénographe » de Gilles Delavaud en 1986, « Le Septième sceau » de Jean Douchet en
1991, « Les chemins d’Irène » de Alain Bergala (sur Europe 51) en 1992, « L’École du regard : Mon oncle de
Tati » de Gilles Delavaud en 1994, « L’Enigme du désir, une analyse du film El de Luis Bunuel », de Paulo
Antonio Paranagua et Bruno Moynie en 1996.
Série « Les structures du cinéma », les VHS publiées sont les suivantes : « Les métiers du cinéma et de la
télévision » (I et II) de Philippe Bernard en 1989 et « Sauver les films : une mémoire pour demain » de
Jacques Meny en 1991.
- 459 -
destination d’un spectateur considéré comme un « apprenant » ;
- Ils fonctionnent par la « monstration » des images dans un
dispositif métaleptique qui consiste à utiliser les outils de l’audiovisuel (voix-off, arrêts ou retours sur image, découpage et diffusion
d’extraits) pour analyser les films et leurs procédés audio-visuels en
les « montrant ».
Toujours en vertu de l’approche synchronique choisie pour mon travail, je
n’aborderai pas en détail les documents de la collection « Image par Image » et
« magiEmage ». Ils sont cependant importants à mentionner, car ils sont de toute
évidence les prédécesseurs des documents en DVD à usages pédagogiques qui
constituent aujourd’hui la collection « Éden cinéma » sur laquelle je vais, par contre,
m’attarder, car elles constituent une source importante de documents pédagogiques
produits actuellement pour les enseignements « cinéma et audiovisuel » par le
CNDP.
Cette collection a été mise en place par A. Bergala. En 2000, il s’est vu chargé, en
vertu de son rôle de conseiller pour le cinéma auprès de J. Lang au sein de la
« Mission pour les arts à l’École », de mener à bien ce projet d’une collection DVD
à destination des enseignants et des élèves dans le cadre des enseignements
artistiques. Le CNDP est le producteur de ces DVD et le responsable de leur
diffusion ainsi que de la négociation des droits nécessaires auprès des ayants droit
des films étudiés717. Le choix de m’attarder sur ces documents pédagogiques
spécifiques procède de différents constats. Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, il
n’existe pas de « manuel scolaire » pour les classes de cinéma. Les professeurs sont
donc obligés de travailler sans, et de rechercher leurs ressources pédagogiques le
plus souvent en dehors de leur établissement. Le CNDP, en vertu de sa mission de
« documentation pédagogique », devient donc la principale ressource alternative.
717
Comme la production de ces DVD n’est pas – nous le verrons – forcément calée sur les films aux
programmes du baccalauréat, l’achat des droits pour la collection « Éden cinéma » s’effectue la plupart du
temps en plus des droits à négocier pour le film du baccalauréat.
- 460 -
Par ailleurs, « l’Éden cinéma » est tout à fait connectée à la personne d’A. Bergala,
directeur de cette collection et principal réalisateur des documents qu’elle
propose718. Plus globalement, le rôle politique d’A. Bergala dans l’implantation du
cinéma dans les écoles aux côtés de J. Lang, mais aussi son rôle institutionnel
puisqu’il a participé, à partir de 2000, au groupe d’experts qui rédigea les
programmes des enseignements artistiques « cinéma et audiovisuel » de lycée,
permettent aussi de justifier l’idée que cette collection constitue un témoignage à
mon sens très emblématique de ce que sont aujourd’hui les enseignements du
cinéma en lycée719.
Cette collection « a été conçue pour accompagner en cinéma le Plan de cinq ans
pour le développement des arts à l’école »720. Elle est disponible à la vente dans le
réseau SCEREN-CNDP et sur commande par Internet ce qui la rend plus
accessible que la collection « Image par image » qui l’a précédée. En tant qu’elle est
une production affichée du « Centre National de Documentation Pédagogique »,
qui à la fois labellise la jaquette, l’écran d’accueil de l’authoring du DVD et le circuit
de diffusion dans lequel ces DVD sont vendus, les films qui y figurent se dotent
d’un statut particulier. Ils deviennent des « outils pédagogiques » et leur lecture, en
termes de sémio-pragmatique, se charge d’un sens différent de celui que ces films
pourraient avoir s’ils étaient présentés sur un DVD plus classique acheté dans le
commerce ou vu dans un autre contexte. Sur chaque DVD, un film est présenté en
version intégrale (le plus souvent en version originale sous-titrée en français et en
version française) accompagnée de documents qui permettent d’approfondir sa
compréhension. Le film en version intégrale peut se trouver dans d’autres éditions
718
En dehors de ces nombreuses activités de réalisation dans le cadre de cette collection, A. Bergala a
parfois aussi été à l’origine de la négociation des droits nécessaires à la fabrication des DVD de la
collection. Pour le DVD sur Les Contrebandiers de Moonfleet par exemple il avait réussi à négocier avec la
Warner un « échange de bon procédé » : les droits du film étaient cédés à titre gratuit au CNDP en
échange de quoi les bonus réalisés et produits par le CNDP dans le cadre de la collection « Éden cinéma »
pouvaient être utilisés comme « bonus » dans l’édition DVD du film distribué par Warner.
719
Notons pour autant que cette collection n’est pas exclusivement réservée aux lycéens. Comme l’indique
la page de présentation de la collection : « Les films proposés sont des œuvres dont la qualité artistique est
indiscutable. Ce ne sont pas des films dits “pour enfants” mais des œuvres pouvant concerner aussi bien
des élèves du primaire que de Terminale, voire des étudiants en cinéma et des cinéphiles de tout âge. »
720
Extrait de la première page de tous les livrets de la collection signés A. Bergala : voir annexes.
- 461 -
DVD. Ce qui fait la particularité de son édition dans la collection « Éden cinéma »,
ce sont précisément les documents d’accompagnement qui sont destinés à être
utilisés prioritairement dans un contexte pédagogique721. À ce titre, je parlerai de
« films pédagogiques » pour désigner ces suppléments audiovisuels qui construisent
l’image d’un énonciateur-réalisateur présent à des fins d’apprentissage, et parce
qu’ils sont la plupart du temps lus dans un contexte scolaire qui détermine
également leur lecture en terme de « films pédagogiques ». Face à ces films
pédagogiques, le professeur lui-même peut être l’apprenant, en imaginant que ces
films peuvent également lui permettre de construire un cours, d’illustrer un chapitre
de sa propre progression pédagogique. Pour étudier cette collection, je m’appuierai
sur les DVD eux-mêmes, le livret qui est fourni à l’intérieur du boîtier, les jaquettes
du boîtier, et aussi sur les notices qui accompagnent leur mise en vente sur le site
du CNDP.
La collection suit une ligne éditoriale très claire, résumée par A. Bergala dans la
première page de tous les livrets qui accompagnent les DVD et sur laquelle je
reviendrai. J’ai pu interroger A. Bergala à ce propos lors de notre rencontre722. Il
revendique pour cette collection l’idée qu’elle ne constitue surtout pas un « outil
normatif », qu’elle « ne transmet pas un savoir », une « analyse filmique », mais
« d’abord une expérience ». Il n’est pas question selon lui de « transmettre des
choses toutes faites », car « on apprend que par soi-même », mais « une expérience
de spectateur ».
La collection se présente en deux séries ainsi décrites dans la présentation générale
de la première page des livrets d’accompagnement :
« - Rencontre d’un film : ils regroupent autour d’une œuvre majeure des films ou
documents permettant de l’approcher indirectement, en les mettant en rapport avec
elle. Parmi ces documents un portfolio permet de tracer les lignes de fuites vers
d’autres formes d’art ;
721
722
A. Bergala lui-même aspirerait à ce que ces films puissent être vus et diffusés dans d’autres contextes.
Entretien le 6 janvier 2011.
- 462 -
Langage du cinéma : ils permettent à chacun de penser une question essentielle du
cinéma par la simple circulation-comparaison entre des séquences nombreuses,
soigneusement choisies dans l’histoire du cinéma. L’intelligence de ces questions
naîtra de ces circulations fléchées et de la simple mise en rapport de ces fragments
de films. »723
À ces deux séries s’ajoute, dans le tout dernier opus sur « Les raccords au cinéma »
paru en 2010, une troisième série présentée ainsi dans la première page du livret
dont la présentation a pour l’occasion été légèrement modifiée :
« - Les thématiques : ils sont composés à la fois d’enchaînements et de bonus
pédagogiques qui approchent un genre ou un mouvement cinématographique. »
Gageons que cet ajout concerne les trois DVD sur « Le cinéma documentaire »,
« Le cinéma d’animation » et « La forme courte » qui étaient auparavant rangés dans
la catégorie des DVD sur « Le langage du cinéma » désormais plus précisément
dévolue au DVD sur « Le point de vue » et « Les raccords » qui vient justement de
paraître.
Les partis pris ainsi énoncés seront respectés pour tous les DVD de la série,
témoignant d’une véritable homogénéité éditoriale. Il apparaît qu’A. Bergala a
totalement pris en charge ces prérogatives éditoriales, en directeur de collection
scrupuleux et attentif à la bonne tenue de l’intention revendiquée au départ qui ne
s’est jamais démentie. Il me disait d’ailleurs lui-même que sa démarche avait
toujours été de suivre une « ligne claire, qui n’était pas “insidieuse” », mais qu’il
« décidait de tout avec son équipe », sans l’intervention d’une commission. C’est ce
qui explique que la collection ne soit pas soumise à des « commandes » particulières
de l’Institution en fonction des programmes scolaires. On constate en effet que la
série « Rencontre d’un film » ne suit que très rarement l’entrée des films dans les
programmes du baccalauréat. Lorsqu’A. Kiarostami a été au programme du
baccalauréat c’est avec Le Vent nous emportera qui n’est justement pas le film proposé
dans la collection « Éden cinéma » qui concerne Où est la maison de mon ami ?. Ainsi,
723
Extrait de la première page de tous les livrets de la collection signés A. Bergala.
- 463 -
seuls les DVD sur L’Aurore et sur L’Homme à la caméra sont en rapport direct avec le
programme du baccalauréat. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que leur
édition ne correspond pas à la date d’entrée dans les programmes du
baccalauréat.724 A. Bergala revendique d’ailleurs cette indépendance par rapport aux
programmes et par rapport aussi aux choix politiques que peut être amené à faire le
CNDP qui est quand même – faut-il le rappeler – une émanation du ministère de
l’Éducation nationale.
Les génériques des DVD témoignent aussi d’une certaine récurrence des
collaborateurs qui participent à la collection. En ce qui concerne la réalisation des
films pédagogiques, certains noms reviennent : Bernard Eisenschitz725, J.
Douchet726 et bien sûr A. Bergala727, auxquels s’ajoute Anne Huet728, à la fois
créditée en tant que « directrice artistique » sur certains DVD de la collection et
réalisatrice de films pédagogiques. D’un point de vue plus technique ou éditorial,
on trouve également une équipe restreinte et apparemment fidèle, qui change
parfois de postes, mais dont les noms se retrouvent régulièrement à la fin des
livrets729. Cette équipe « resserrée » contribue sans doute également à l’homogénéité
724
Le DVD sur L’Homme à la caméra est paru en 2003, alors que le film apparaît au programme en 2008.
Pour L’Aurore, la production du DVD en 2005 précède l’entrée du film au programme en 2006. C’est une
première différence de taille avec la collection « Image par Image » – ou les productions pédagogiques
équivalentes après 1987 – dont la production des VHS et des films pédagogiques se faisait totalement en
fonction des œuvres choisies pour le programme du baccalauréat de 87 à 97.
725
Auteur du film pédagogique « Les messages de Fritz Lang » dans le DVD sur Les Contrebandiers de
Moonfleet en 2002, de « Un si joli mot, le montage » dans le DVD sur L’Homme à la caméra en 2003, de
« Traversées. Genèse de L’Aurore » dans le DVD sur L’Aurore en 2005.
726
Auteur de « À propos de Les Quatre-cents coups » dans le DVD sur Les Quatre-cents coups en 2001, « à la
recherche de The Searchers » sur le DVD consacré à La Prisonnière du désert en 2003, « Murnau ou qu’est-ce
qu’un cinéaste ? » dans le DVD sur L’Aurore en 2005.
727
Auteur de « L’épreuve du souterrain » sur le DVD sur Les Contrebandiers de Moonfleet en 2002, de
« Pasolini commente son film » sur le DVD consacré à L’Évangile selon St Matthieu en 2003, de « Enfance
d’un cinéaste » et « Le combat avec l’ange » sur le DVD consacré à Les Petites amoureuses en 2004, «
Rencontre avec Jacques Doillon » sur le DVD consacré à Ponette en 2004, « Chaplin aujourd’hui : le kid »
sur le DVD consacré à Chaplin paru en 2005, « La Mise en scène de l’acteur dans Partie de campagne et
« L’acteur dans le cinéma moderne » dans le DVD « L’Acteur de cinéma » en 2008. À cela s’ajoute
l’entretien de soixante-dix minutes enregistré avec Abbas Kiarostami sur le DVD de Où est la maison de mon
ami ? en 2001, avec Michel Ocelot sur le DVD consacré à Azur et Asmar en 2007 et avec Victor Erice en
2008 : « Contrechamp sur Víctor Erice ».
728
Auteur de Visite au cinéma sur le DVD consacré à Sherlock junior en 2005, un entretien d’Agnès Varda
mené avec A. Bergala intitulé « Du Coq à l’âne » sur le DVD « Varda tous courts » en 2007. Elle est aussi
l’auteur de « jeux pédagogiques » proposés sur le DVD sur Azur et Asmar en 2007.
729
On peut citer la chef de projet Isabelle Bony qui est aussi la réalisatrice d’un film pédagogique sur le
DVD consacré aux Temps modernes : La représentation du travail au cinéma en 2003 et qui laissera sa place en
2008 à Catherine Goupil qui était déjà la réalisatrice du film pédagogique sur le cinéma documentaire en
- 464 -
éditoriale de la collection et à cette « ligne claire » défendue par A. Bergala.
Si l’on rentre plus avant dans chacun de ces DVD, certaines récurrences sont
repérables. En termes de visuel tout d’abord : la collection cherche une forte
cohérence formelle quant à la présentation des DVD730. Chaque DVD est précédé
d’une « bande-annonce » de la collection réalisée par Catherine Goupil qui monte
ensemble des extraits de films dont la principale caractéristique est de mettre en
scène des enfants, signe que le support s’adresse à un public jeune sinon scolaire.
Les deux différentes séries présentent des différences liées à leurs ambitions
respectives :
- Pour la série « Rencontre d’un film » :
Le film en question est présenté en version intégrale, dans la langue originale soustitrée en français ou en version française, et il est accompagné de divers
documents : des documentaires éclairant un aspect du film (« Les Contrebandiers de
Moonfleet »731), d’autres films du même cinéaste (« Où est la maison de mon ami ? »), des
films véritablement pédagogiques, c’est-à-dire consacrés à une meilleure
compréhension du film à travers une analyse proposée par un spécialiste. Ce film
sur le film correspond le plus souvent à une vision du film par un autre cinéaste732,
assez conformément à l’ambition d’une série comme celle d’André S. Labarthe
« Cinéma, de notre temps » que la collection cite d’ailleurs tout à fait directement
dans le DVD sur Où est la maison de mon ami qui propose en « bonus » le film Abbas
2003 et de Chaplin, d’une guerre à l’autre, film pédagogique sur Charlie Chaplin en 2005 présent sur le DVD
consacré à Le Kid et Le Dictateur. On peut citer également Paul-Raymond Cohen responsable depuis 2001
de la « conception graphique » et de la « mise en page » de tous les numéros de la collection, Manuela
Marques qui d’abord « assistante de production » est devenue, en 2010, « chargée de production » à la
place de Frédéric Cognac qui occupait ce poste depuis 2001.
730
La jaquette est toujours divisée en deux, en haut, les images du film, en bas les indications quant au
contenu. Les différences sont faibles entre les différents DVD. Chaque coffret s’accompagne d’un livret
assez épais qui vint compléter les éléments du support DVD.
731
J’utilise l’italique avec guillemets quand j’évoque le DVD de la collection s’il reprend le titre du film
étudié. Pour le titre du DVD en tant qu’objet pédagogique, j’utilise les guillemets. Les films pédagogiques,
considérés comme des œuvres, seront indiqués en italique.
732
C’est le titre que peuvent revendiquer A. Bergala, B. Eisenschitz et J. Douchet qui ont tous réalisé des
films en dehors de « films pédagogiques ». Tous les trois ont en outre la légitimité donnée par le fait de
côtoyer le « milieu du cinéma ».
- 465 -
Kiarostami, vérités et songes que Jean-Pierre Limosin avait réalisé pour la collection de
A. S. Labarthe et Janine Bazin. Ils sont d’ailleurs tous les deux également remerciés
dans le DVD sur Les Contrebandiers de Moonfleet parce que des extraits de Dinosaure et
le bébé de la même collection « Cinéma, de notre temps » sont largement utilisés
dans le supplément réalisé par B. Eisenschitz. La légitimité de l’expert tient donc
principalement du fait que lui-même côtoie ou a côtoyé le monde du cinéma et/ou
de la critique. C’est l’idée que le savoir serait principalement raccordé, en termes de
pédagogie du cinéma, à un certain « savoir-faire » qui empêcherait toute
dissociation de la théorie du cinéma et de sa pratique. C’est un des présupposés qui
est à l’œuvre dans les textes officiels de l’enseignement de spécialité qui
encouragent à une approche « pratique, analytique et culturelle » du cinéma. Le
DVD consacré à Où est la maison de mon ami a la particularité de proposer une
interview de 73 minutes d’A. Kiarostami par A. Bergala, tous deux maintenus off
ainsi que la traductrice, tandis que des extraits du film que l’interview commente
défilent à l’image. L’interview est d’ailleurs une stratégie assez souvent employée
dans la série : le réalisateur délègue parfois son autorité de pédagogue à différents
experts qui vont s’exprimer sur leur spécialité à des fins de transmission. L’idée est
« d’entrer dans les coulisses » de la fabrication du film, ce dont témoigne le film sur
Les Contrebandiers de Moonfleet intitulé : Les messages de Fritz Lang de B. Eisenschitz qui
propose une approche génétique du film en s’appuyant sur le scénario de tournage
conservé à la Cinémathèque française.
- Pour la série « Langage du cinéma » :
Les modalités d’approche sont plus variables, mais, de manière générale, les DVD
de cette série restent fidèles au principe des « fragments mis en rapport » . Dans
« Petit à petit, le cinéma », qui s’inscrit pourtant dans la série « Rencontre d’un
film », des films courts sont proposés en intégralité, ainsi que des extraits de films
de tout horizon culturel et de toute époque : Jonas Mekas et Norman Mac Laren
côtoient Hans Richter. Le DVD propose à partir de ces films des
- 466 -
« enchaînements » et des « programmations » qui permettent de créer un lien
essentiellement thématique entre les extraits. Il est question de ces films comme de
« petites perles de cinéma » dans une « malle aux trésors », présentés « de façon
pétillante » et ayant « une vertu apéritive inégalable »733. Cette rhétorique du plaisir et
de l’éblouissement fait partie intégrante de la collection qui se donne comme la
possibilité d’offrir à la classe un « petit éden d’imaginaire cinéma », dans une vision
tout à fait idyllique de ce que doit être l’accès à « ce qu’a produit de meilleur,
artistiquement, un siècle de cinéma »734. Le titre de la collection l’ « Éden cinéma »
s’explique là, dans ce désir de faire de la découverte de certains films de « bonnes
rencontres indispensables pour apprendre à aimer le cinéma, tout le cinéma »735.
Dans « Le Point de vue », la liaison entre les extraits se fait en fonction des
différents types de point de vue. Le livret d’accompagnement répertorie ces
différents types de point de vue, numérotés de 1 à 51, reprend leur définition, et
indique les extraits qui peuvent s’y rapporter. La fin du livret liste et résume, dans
l’ordre alphabétique, les extraits proposés. Le DVD propose donc un ensemble de
« chemin » : « le PDV optique/PDV psychique », la « permutabilité des points de
vue », le « PDV et énonciation », le « PDV sonore ». A. Bergala, seul auteur de cet
opus, me confiait lors de notre rencontre que ce DVD était pour lui « le DVD
idéal », celui qu’il avait toujours voulu faire, car il valait surtout par les
« enchaînements » qu’il propose.
Les DVD de cette série proposent à la fois des films dans leur intégralité, des
« extraits mis en rapport » et éventuellement des films pédagogiques faits en
fonction de l’enjeu d’apprentissage dévolu à l’opus. Ainsi dans « Le cinéma
documentaire », le DVD propose deux documentaires en intégralité : Beppie de
Johan van der Keuken et Les Raquetteurs de Gilles Groult et Michel Brault. Le reste
du DVD rejoint la ligne éditoriale du « Point de vue » sans s’y conformer
733
« Petit à petit, le cinéma, mode d’emploi », p. 2 du livret d’accompagnement pédagogique.
Première page des livrets de la collection.
735
Ibid.
734
- 467 -
exactement736. Même démarche dans « La forme courte » qui propose un film
pédagogique : « Le récit court », accompagné de « Retour sur images » qui propose
« huit enchaînements, répartis par thèmes permettant de revenir plus en détail sur
les sept courts-métrages composant ce DVD »737. Ces enchaînements se présentent
comme le montage d’extraits mis bout à bout. Dans « Cinéma et théâtre », ce sont
16 extraits qui sont proposés738, répartis en quatre « modules » : le jeu de l’acteur, la
mise en scène, la gestion du temps et de l’espace, le rapport au texte. Certains DVD
de la série regroupent plusieurs films pédagogiques : dans « L’Acteur au cinéma »,
trois films « relatifs à la question de l’acteur au cinéma » sont proposés739. Un
quatrième film propose d’analyser l’acteur dans le cinéma moderne « en s’appuyant
sur sept extraits de films.740 »
Le dernier opus de la série sorti en 2010 repose également sur l’analyse de
nombreux extrais tirés de quatre films : L’Homme à la caméra, Close up, L’Atalante et
Les Contes de la lune vague après la pluie, pour aborder sept types de raccords741. La mise
en rapport des extraits est inféodée à cette typologie formaliste, chacune de ces
736
Un documentaire : « Le documentariste et ses outils à travers les âges » de Catherine Goupil traite de
« l’histoire des grandes mutations techniques du cinéma documentaire, mises en relation avec l’évolution
de l’écriture des cinéastes » (présentation du DVD sur le site du SCEREN-CNDP), et le chapitrage du
DVD propose ensuite deux propositions de « modules » permettant un parcours différent dans les extraits
proposés (« Les grands courants » et « La place du cinéaste ») qui se présentent à chaque fois comme une
« collection d’extraits ».
737
Source : notice sur le site du SCEREN-CNDP : http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.asp?l=laforme-courte&prod=19893, consulté le 14 avril 2011.
738
L’Anglaise et le duc d’Éric Rohmer ; La Bande des quatre de Jacques Rivette ; Le Carrosse d’or de Jean Renoir
; Elvire Jouvet 40 de Benoît Jacquot ; Esther Kahn d’Arnaud Desplechin ; Histoires d’herbes flottantes de Yasujiro
Ozu ; India Song de Marguerite Duras ; Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder ;
Lola Montès de Max Ophuls ; Macbeth d’Orson Welles ; Médée de Pier Paolo Pasolini ; Mélo d’Alain Resnais ;
Molière ou la vie d’un honnête homme d’Ariane Mnouchkine ; Sarabande d’Ingmar Bergman ; Le Soulier de satin
de Manoel de Oliveira ; To Be or Not to Be d’Ernst Lubitsch. ».
739
« Jouer Ponette » de Jeanne Crépeau : à partir des rushs du film de Jacques Doillon Ponette, la réalisatrice
analyse le travail du cinéaste avec une comédienne de quatre ans. « La Direction d’acteur par Jean Renoir »
de Gisèle Braunberger où l’on découvre, Jean Renoir en situation de travail avec une comédienne. Ce film
est en résonance avec le film d’Alain Bergala, « La Mise en scène de l’acteur dans "Partie de campagne" »
qui étudie à partir des essais et des rushs du film de J. Renoir, le travail du cinéaste avec ses comédiens. »
(Source : notice sur le site du SCEREN-CNDP : http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=lacteur-au-cinema&prod=85598&cat=137611, consulté le 14 avril 2011.
740
Boudu sauvé des eaux de J. Renoir ; Les enchaînés d’A. Hitchcock ; Stromboli de R. Rossellini ; Monika d’I.
Bergman ; Pickpocket de R. Bresson ; À bout de souffle de J.-L. Godard ; Les valseuses de B. Blier.
741
1. Les raccords de regard ; 2. Les champs/contrechamps ; 3. Les raccords dans le mouvement ; 4. Les
raccords dans l’axe ; 5. Les raccords dans l’axe inverse ; 6. Les raccords d’angle ; 7. Les raccords de
direction avec champ vide.
- 468 -
entrées sur le DVD amenant toujours à un montage d’extraits sans commentaire
oral, comme c’est le cas dans le DVD sur « Le point de vue ». C’est le livret qui
assure les explicitations ponctuelles des extraits. Une dernière entrée du menu : « La
fonction narrative des raccords » présente J.-L. Comolli qui commente quelques
raccords de Les Contes de la lune vagues après la pluie et de Close up devant la Time Line
du logiciel Final Cut Pro (FCP). On est là devant la reprise technologiquement plus
avancée de la posture de J. Douchet devant son banc de montage dans la cassette
VHS sur La Règle du jeu. Entre 1987 et 2010, peu de renouvellement finalement
quant aux postures d’analyse qui semblent parfois relever de la « libido
decortiandi » : l’attention portée au découpage image par image sert de présupposé
formaliste à l’analyse en permettant une description scrupuleuse des plans et des
raccords, à l’image près, mettant parfois en lumière des éléments que l’œil humain
ne peut pas appréhender au visionnage. On a vu l’influence du structuralisme sur ce
type d’approche, il est aussi peut-être un moyen de défendre dans les outils
pédagogiques une vision « techniciste » du cinéma, ici présentée avec les outils du
« professionnel », accentuant ainsi la différence avec le regard du spectateur en salle,
sans doute dans le but de renforcer la légitimité de l’expertise et de l’exercice
d’analyse. A. Bergala justifie ainsi le dispositif dans le livret d’accompagnement du
DVD sur les raccords:
« Cette analyse se fait en quelque sorte en direct, à la main, de façon physique
et personnelle, aux antipodes de tant d’analyses lisses et désincarnées à force
de s’abriter derrière un pur discours du savoir. » (livret p. 4)
Bergala salue la façon dont J.-L. Comolli va :
« jusqu’à inventer pour le commentaire de séquences un dispositif inédit à ce
jour, simple, vivant et efficace qui fait partie dorénavant des outils
disponibles pour une pédagogie du cinéma. » (livret p. 5)
Soulignons au passage qu’il n’est pas vraiment question de nouveauté ici puisque,
nous l’avons dit, J. Douchet utilisait le même « modèle d’analyse » et que seul
l’outillage technique apporté par le numérique change du banc de montage vidéo, le
« visualiseur » s’étant substitué à la « visionneuse ». Quant au caractère « vivant » du
dispositif, il laisse à désirer : les plans fixes sur le visage à peine éclairé de J.-L.
- 469 -
Comolli plongé dans l’ombre (sans doute pour représenter l’obscurité d’une salle de
montage) face, en contre-champ, à l’écran de l’ordinateur qui laisse voir, en taille
réduite, l’extrait du film dans le « Visualiseur » de FCP alternent avec des plans sur
la Time Line sur laquelle sont disposés quelques marqueurs sur lesquels s’arrête J.L. Comolli afin de montrer et remontrer le raccord qu’il commente. Ces
commentaires sont à plusieurs reprises, dans le livret, désignés comme se faisant
« en direct », ce qui semble se vérifier par le fait qu’ils sont tournés en planséquence, c’est-à-dire sans nettoyage en postproduction des moments d’hésitation
du discours, des erreurs de manipulation et autres redondances du visionnage.
On retrouve par ailleurs dans tous ces DVD la « pédagogie des fragments mis en
rapport » défendue par A. Bergala dans son Hypothèse cinéma qui correspond sans
doute à cette volonté de ne pas « transmettre des choses toutes faites » qu’il
revendiquait lors de notre entretien et qu’il définit dans un chapitre de son livre :
« Le choix du support DVD pour une collection de cinéma dans l’école a été
d’abord et avant tout un choix de pensée pédagogique, et non une option
moderniste ou techniciste (…) ce qu’est en train d’apporter le DVD, dans
l’approche du cinéma, c’est la possibilité d’une pédagogie de la mise en
rapport de films ou de fragments, légère en didactisme, où ce n’est plus le
discours qui porte le savoir, mais où la pensée naît de la simple observation
de ces rapports, multiples, et de la circulation elle-même (…) dans une
collection d’extraits, on peut imaginer de multiples circulations faisant appel
à des formes différentes d’intelligence. S’ouvrent alors autant de chemins,
libres, non hiérarchisés, engageant entre les extraits des rapports de tout
ordre (analytiques, poétiques, de contenus, formels). »742
La présence d’extraits, puis la proposition de « modules », de « programmations »,
d’« enchaînements »
sont
effectivement
les
principales
modalités
de
fonctionnement de ces DVD pédagogiques. A. Bergala a toujours été fidèle à cette
perspective qu’il réaffirme dans la page de présentation de la collection :
« Ces DVD sont conçus pour apprendre en regardant et comprendre en
comparant. L’intelligence du cinéma ne doit pas venir d’un discours préalable
surplombant, mais de la possibilité de comparer, en circulant dans le DVD,
742
BERGALA Alain, L’Hypothèse cinéma, op. cit., p. 113-115-118.
- 470 -
des films qui s’éclairent les uns les autres » (1ere page du livret)
Cette « pédagogie des fragments mis en rapport » est selon A. Bergala une façon de
sortir de l’analyse filmique telle qu’elle était pratiquée à l’âge de la VHS. Sans la citer
directement, c’est très certainement la collection « Image par Image » qui est ici
visée :
« Nul doute que l’on aura encore recours longtemps à cette didactique
verticale (de celui qui sait à ceux qui apprennent) et linéaire (le discours
déroulé comme dans un cours ou une leçon) qui a longtemps été celle de la
cassette vidéo. Mais on peut maintenant en inventer d’autres. »743
Il semble que la délinéarisation du discours soit effectivement encouragée par la
possibilité d’utiliser les fragments présents dans un DVD dans un ordre différent
que celui même suggéré par le chapitrage. Cependant, le DVD ne remet pas
profondément en cause la verticalité de la transmission du savoir. Pour utiliser les
extraits, il faut bien d’emblée imposer une démarche pédagogique et théorique qui
suggère de fait une pensée déjà considérée en elle-même comme « bonne à
transmettre ». Pour autant, il est vrai qu’un DVD comme celui portant sur « le
point de vue » peut permettre à un professeur d’utiliser les extraits à des fins
totalement différentes que celles suggérées par A. Bergala. Notons que la
navigation sur le DVD ne favorise cependant pas ces approches éventuellement
alternatives : certaines manipulations sont interdites par l’arborescence du DVD ce
que défend d’ailleurs la page de présentation du DVD intitulé « Petit à petit, le
cinéma » :
« Et il serait vraiment dommage, dès lors que l’on a décidé de voir un de ces
enchaînements, d’être impatient : cela gâcherait le principe même de la mise
en rapport de ces morceaux de cinéma. Aussi avons-nous fait le choix
d’empêcher l’accélération des images dans les enchaînements, alors qu’elles
sont toujours possibles si l’on retourne au film unitaire. » (livret p. 2)
Par ailleurs, pour tous les DVD, il est impossible de « zapper en cours de
séquence » comme l’indique la 1ère page des livrets. Ainsi, l’absence de « théorie
743
BERGALA Alain, L’Hypothèse cinéma, op. cit., p. 115.
- 471 -
préétablie et surplombante »744 que défend cette approche pédagogique par le DVD
apparaît quand même comme une liberté bien encadrée.
Pour chacun de ces DVD, quelle que soit la série, le livret d’accompagnement vient
compléter l’outil audiovisuel. Très détaillés, ces livrets sont aussi la marque d’une
volonté didactique de clarification du propos, en cela qu’ils proposent souvent une
transposition de la forme orale en une forme écrite, plus pérenne. Ainsi, le DVD
est précisément chapitré afin de faciliter également son utilisation en classe par un
professeur dans le cadre d’un cours. Les livrets sont la plupart du temps
redondants, répétant la structure du menu du DVD (Le Point de vue), ou résumant
les propos des personnes interviewées (Où est la maison de mon ami ?) ou de la
voix-off qui analyse comme dans Les raccords au cinéma. Le livret propose un
découpage en chapitres de chaque document correspondant au menu du DVD, en
indiquant leur durée, leur titre, en en proposant un résumé et en précisant les
références utilisées. Ces chapitres sont le plus souvent introduits dans le
déroulement du DVD par des cartons noirs numérotés qui subdivisent les films
pédagogiques en parties très clairement identifiables, permettant aussi leur
séquençage et leur utilisation sous forme de « chapitres » autonomes dans le cadre
d’un cours.
D’un point de vue formel, une autre récurrence réside dans l’utilisation quasi
systématique d’une voix-off unique qui se pose sur les images pour les expliquer,
l’image de la personne qui parle étant très peu présente745. Autre récurrence enfin, la
présence de « portfolio », série d’images qui sont présentées à la fin de chaque
DVD et à la fin de chaque livret, destinées à proposer « les lignes de fuites vers
d’autres formes d’art ». L’hétérogénéité des images est extrême. Parfois, elles sont
reliées de façon relativement explicite par une thématique suggérée par les titres des
744
Page 5 de l’introduction au DVD sur « Les raccords au cinéma » écrite par A. Bergala.
À l’exception du film pédagogique Pirates et contrebandiers (DVD Moonfleet) dans lequel s’insèrent des
plans qui mettent en scène un acteur, Christophe Allwright, lisant des textes et où plusieurs voix-off (une
féminine et une masculine) prennent en charge les éléments de commentaire.
745
- 472 -
œuvres – les enfants dans le portfolio sur Les Quatre-cents coups – , parfois le lien
entre les images est plus aléatoire, comme dans le portfolio de « Où est la maison de
mon ami ? » dans lequel les miniatures persanes côtoient des plans de La Chevauchée
fantastique de Ford et la « Maison de Ryder » d’Edward Hopper. Elles sont
précisément référencées : auteur, date, lieu d’exposition ou éditeur en cas d’œuvre
tirées d’un ouvrage photographique par exemple.
La comparaison avec la collection « Image par Image » est signifiante : loin du
didactisme revendiqué de l’analyse filmique sollicitant toutes les techniques de
l’audiovisuel au service d’une traduction sémantique du film (ralenti, split screen,
zoom sur l’image, recadrage, traçage de lignes soulignant la composition du plan),
les DVD de l’ « Éden cinéma » semblent fonctionner davantage sur le mode allusif.
Il est intéressant de constater que J. Douchet a continué à produire des films
d’analyse du film pour l’« Éden Cinéma » en restant fidèle à sa méthode qui diffère
pourtant de celle adoptée dans les VHS de la collection « Image par Image »,
comme si la collection, finalement, assurait un passage de témoin entre deux
« écoles » de pédagogie du cinéma. Car la principale différence réside dans la
manière dont ces DVD révèlent et assument, précisément, leur « didactisme ».
J’appelle « didactisme » les éléments qui, d’un point de vue sémio-pragmatique que
j’adopte ici, conduisent à lire ces documents comme des documents pédagogiques
destinés à un apprentissage sur le cinéma. Car malgré des caractéristiques
communes, il semble que d’une certaine manière, ces DVD se revendiquent moins
explicitement comme proprement « pédagogiques » que ceux des collections qui les
ont précédés. Bergala l’exprime lui-même :
« Nous avons essayé d’imaginer une approche de cet art la plus légère
possible en didactisme. » (1re page du livret)
Cette « légèreté » didactique vient peut-être du fait que ces DVD présentent ces
documents pédagogiques en bonus d’un film qui est par ailleurs édité dans sa
version intégrale. Ainsi, ces films pédagogiques apparaissent autant comme des
bonus de l’édition DVD « Éden cinéma » que comme des documents autonomes à
- 473 -
destination de la sphère éducative et destinés à être diffusés dans une classe746. Cette
ambition plus ou moins avouée de ventes possibles sur le marché du « grand
public » explique peut-être que les marques du « didactisme » de ces DVD soient
moins voyantes dans les films pédagogiques qu’ils proposent, qui tentent de se
construire aussi comme des « films ». Toutes les stratégies d’encadrement ou de
surcadrage du film cité – marques énonciatives évidentes de l’utilisation des extraits
à des fins pédagogiques – sont, dans la collection « Éden cinéma », le plus souvent
évitées, privilégiant l’idée que le film pédagogique est également un acte de
(re)création de l’œuvre qui pourrait tout à fait s’intégrer dans un bonus DVD d’une
édition grand public ou comme un film à part entière. C’est ce dont témoigne le
film Les messages de Fritz Lang qui peut s’apparenter finalement à un making off, ou
encore le DVD sur Les 400 coups qui ne propose finalement que des
« suppléments » qui sont des films à part entière : Les Mistons, Une histoire d’eau, mis
sur le même plan que le film pédagogique de J. Douchet. Mises à part les
informations portant sur le système de production du film par le CNDP et
l’Éducation nationale, les films de la série « Rencontre d’un film » cherchent donc
peu ou prou à s’exonérer d’une lecture exclusive en termes de document
pédagogique. C’est moins vrai, bien sûr, pour la série « Langage du cinéma » qui
construit forcément un horizon de lecture plus pédagogique en cela qu’ils
construisent un énonciateur qui se positionne en tant que possesseur d’un savoir à
transmettre747.
746
On pourrait d’ailleurs imaginer une diffusion de ces DVD en dehors du monde de l’École, même si
comme le disait A. Bergala lors de notre entretien, le CDNP ne « sait pas vendre » et que finalement ces
DVD sont très mal diffusés auprès du « grand public » alors même que leur forme leur permettrait, selon
lui, de l’être. L’exemple du DVD sur Agnès Varda lui semblait révélateur : le DVD « Varda tous courts »
était une co-production avec Varda, prévoyant le partage suivant des bénéfices des ventes : 40 % pour elle
et 60 % pour le CNDP. Or elle en aurait de son côté, sur le marché « grand public », vendu six fois plus
que le CNDP.
747
Paradoxe pourtant, A. Bergala, lors de l’entretien que j’ai eu avec lui, a affirmé qu’un DVD comme
« L’acteur au cinéma » pourrait tout à fait être vendu « dans le privé » c’est-à-dire hors du système de
distribution public du CNDP, même si globalement il admettait que cette collection, émanation d’un
producteur public, ne devait pas forcément prétendre être rentable. Alain Bergala semblait d’ailleurs assez
pessimiste quant à l’avenir de la collection. Le principal problème semblait résider pour lui dans la mise
sous tutelle toujours plus forte du CNDP par le ministère de l’Éducation nationale, en particulier depuis
deux ans, remettant en question selon lui l’autonomie de la ligne pédagogique par rapport aux choix
- 474 -
4.5.2 Synthèse des présupposés théoriques
proposés dans ces documents pédagogiques
Cette description permet de constater que l’on retrouve dans les films pédagogiques
présents dans les coffrets de l’« Éden cinéma », les mêmes types d’approches
théoriques que celles qui sont à l’œuvre dans les autres types de documents
pédagogiques étudiés ci-dessus (4.1.3 et 4.3.8).
L’auteurisme d’abord, en tant qu’il donne au réalisateur la clef du projet
cinématographique et de son sens apparaît comme une des bases du dispositif
DVD. Que ce soit l’interview entre Abbas Kiarostami et Alain Bergala dans le
DVD sur Où est la maison de mon ami, ou le film sur F. Lang réalisé par B.
Eisenschitz dans le coffret sur Les Contrebandiers de Moonfleet et dont le titre ne laisse
aucun doute sur l’entrée auteuriste – « Les messages de Fritz Lang » –, ou celui
proposé sur le DVD de L’Aurore : « Murnau ou qu’est-ce qu’un cinéaste ?» ; c’est
bien toujours l’« auteur » qui est convoqué comme figure centrale de la production
de sens. Cette approche auteuriste passe parfois par une approche génétique
comme c’est le cas dans le film de B. Eisenschitz sur F. Lang qui s’interroge sur les
modifications du scénario en cours de tournage, ou par l’approche historique
comme dans le film de Catherine Goupil sur le cinéma documentaire dont le titre
seul suffit à résumer le contenu : « Le documentariste et ses outils à travers les
âges ». Le terme « auteur » apparaît d’ailleurs dans la présentation du DVD sur
« Les formes courtes » qui sont présentées comme étant « réalisées par de véritables
auteurs ». Si ce présupposé auteuriste se révèle dans les analyses filmiques que nous
avons étudiées jusqu’ici, il apparaît qu’il est aussi présent dans les documents
d’accompagnement
pédagogique donnés
comme « référence » en
termes
d’enseignement du cinéma aux professeurs. La transmission théorique est donc ici
politiques. La collection ne devrait sa survie qu’à son caractère « prestigieux » au sein des publications du
CNDP, son « prestige intellectuel », « reconnu dans le monde entier », qui expliquerait que la collection ne
soit pas aujourd’hui définitivement arrêtée. Aux dernières nouvelles cependant, la collection va être
remplacée par une autre, dont le directeur de collection est Stéphane Goudet.
- 475 -
vérifiée, l’auteurisme apparaît comme un modèle théorique indiscutable sur lequel
les professeurs s’appuient aussi parce qu’il est donné comme modèle par
l’Institution.
On retrouve également dans plusieurs textes des voix-off prenant en charge les
analyses filmiques ce que j’appelais plus haut « l’investissement modal » qui dote la
caméra d’une intentionnalité anthropomorphique, substitut rhétorique de la figure
d’un réalisateur tout puissant. Cet investissement modal est particulièrement
repérable dans le discours de J. Douchet en voix-off sur Les Quatre-cents coups où
l’on peut relever ces phrases : « la caméra suit en panoramique les deux camarades,
elle découvre le compagnon qui fait l’école buissonnière », « une caméra en
mouvement incessant », « la caméra continue son mouvement comme si de rien
n’était » (DVD sur Les Quatre-cents coups). Si l’on considère que J. Douchet est une
figure emblématique de l’analyse filmique à des fins pédagogiques compte tenu de
son investissement dès les années 80 dans ce type de travaux destinés à des classes
et des professeurs dans la collection « Image par Image », on peut estimer qu’il a
contribué à apporter dans la rhétorique professorale ce genre de formulation et
d’approche à laquelle l’auteurisme et le formalisme prédisposent. Cette approche
formaliste – qui consiste comme je l’ai vu en une traduction sémantique des
éléments cinématographiques – est d’ailleurs tout à fait confirmée dans son
propos : « le traitement du cadre et l’usage du Scope démontrant qu’Antoine n’a
pas sa place chez lui », « les plans sont fixes, l’existence d’Antoine est comme
arrêtée définitivement ».
L’idée de sens comme dévoilement, la traduction sémantique par métaphore sont
également présentes dans ce type de remarque : « le traitement de l’escalier a aussi
un sens caché (…) la descente avertit de la chute ». L’analyse finit par une
conclusion qui dote le personnage d’une psychologie lui permettant de faire l’objet
d’une approche psychanalytique : « première retombée freudienne (…) Antoine,
psychiquement, tue la mère ». Ainsi, on retrouve bien dans cette analyse, donnée
comme exemple aux professeurs, tous les éléments qui caractérisent les analyses
- 476 -
filmiques que j’ai étudiées plus haut sur L’Atalante, pourtant plus récentes748. C’est
bien le signe que la transmission fonctionne et que les professeurs se sont
conformés, par mimétisme, à une certaine « manière » d’analyser les films qui
concentre tous ces éléments que j’ai développés précédemment. Il s’agit surtout
pour moi de constater cette filiation et d’en faire une des explications de cette
prédisposition à mener les analyses filmiques de cette manière. Ce modèle, nous
l’avons vu, se perpétue aussi dans les copies et travaux d’élèves, signe de son
efficacité, et – sans doute – de sa pérennité.
Pourtant, certains films pourraient être aussi l’occasion d’une approche
pragmatique et l’on trouve des traces de cette approche, presque indûment, dans le
document sur Où est la maison de mon ami ? de Kiarostami. Une seule des questions
de A. Bergala relève d’une approche pragmatique : au début de l’interview, il
demande à A. Kiarostami si « pour un spectateur iranien » le personnage de
l’instituteur peut apparaître comme pouvant être un vrai instituteur de ce village. Ce
à quoi A. Kiarostami lui répond que le regard occidental peut effectivement parfois
être « faux » sur les personnages, en particulier parce qu’un spectateur non
autochtone ne peut être sensible aux accents dans les dialogues. Se dessine
clairement ici une esquisse d’approche pragmatique – qui pourrait être passionnante
– et qui consisterait à comparer la réception du film dans une classe iranienne et la
réception du film dans une classe occidentale749. Pourtant, A. Bergala ne rebondit
pas sur cet aspect et poursuit l’interview sur le « jet de poule » de la séquence 6 en
évoquant un rapport avec L’Atalante, film dans lequel des chats étaient jetés sur les
acteurs par un assistant lors du tournage. A. Kiarostami, encore une fois, répond à
la question de façon très pragmatique en évoquant le fait qu’ « un spectateur peut
ne pas croire à l’artifice », replaçant le débat dans un cadre de réception. Mais
encore une fois, A. Bergala laisse de côté cette proposition d’analyse et interroge A.
748
L’analyse de J. Douchet apparaît dans un des premiers DVD de la collection « Éden cinéma » en 2001,
les analyses de L’Atalante étudiée datent de 2002, les analyses extraites du Cahiers des ailes du désir vont
jusqu’en 2010.
749
Ce type d’approche serait rendue d’autant plus légitime qu’A. Kiarostami dans Au travers des oliviers
s’interroge sur cette question de la réception d’un film dans un village iranien.
- 477 -
Kiarostami sur le faux raccord qui suit. D’autres exemples sont tout à fait
révélateurs du fait que l’approche par l’angle de la réception et de la sémiopragmatique est tout à fait laissée de côté dans la façon dont A. Bergala mène
l’entretien,
alors
même
qu’A.
Kiarostami
semble
y
tenir
beaucoup.
Lorsqu’A. Bergala l’interroge sur « l’enfant au bidon » (séquence 14 et 15) que le
spectateur a pu ne pas reconnaître comme l’enfant qui avait mal au dos en classe
dans une séquence précédente, la question se pose en terme d’intention d’auteur :
« Est-ce que vous l’avez fait exprès ? ». La réponse d’A. Kiarostami est presque un
manifeste pour l’approche pragmatique : « les gens ne viennent pas au cinéma avec
le même regard ou la même intelligence », il peut y avoir des « décalages de
compréhension » auxquels, d’ailleurs, lui-même tient, instaurant ce qu’il nomme un
« triangle » entre deux spectateurs ayant une compréhension éventuellement
différente du film et le film. La séquence d’après ne revient pourtant pas sur cette
question et A. Bergala interroge A. Kiarostami sur le « chat qui pleure » dans la
séquence 16 pour proposer un rapprochement avec l’atmosphère des toiles de
Francisco de Goya. Il apparaît bien ici que l’approche pragmatique n’est pas
retenue comme suffisamment « signifiante » pour faire l’enjeu d’une analyse et que
le discours est toujours ramené à des questions formelles.
Cette prédisposition formaliste est manifeste partout dans les DVD de l’« Éden
cinéma ». Le DVD sur « Le cinéma d’animation » est très révélateur à cet égard en
proposant une approche des aspects « techniques, stylistiques, narratifs,
historiques » du genre. Cette énumération résume bien les partis pris théoriques
choisis pour la collection. Les aspects techniques sont abordés : les techniques du
cinéma d’animation ou du cinéma documentaire dans le DVD sur ces genres
respectifs. La dimension stylistique s’adosse sur l’approche formaliste qui revient à
faire l’inventaire des « choix » qui constituent la « mise en scène ». Il est question
des « choix de mise en scène du réalisateur » dans le film pédagogique de J.
Douchet sur le DVD sur L’Aurore, des « choix cinématographiques concrets du
réalisateur » dans le DVD sur L’Homme à la caméra. Le DVD sur Conte d’été, quant à
- 478 -
lui, propose un film pédagogique qui suit la « conception et la réalisation du film » :
« On y comprend en profondeur ce que c’est pour un cinéaste que de vivre
pendant quelques semaines le quotidien d’un tournage (les relations aux
autres : acteurs, techniciens) et de faire plusieurs fois par jour les multiples
choix qui constituent la mise en scène. »750.
On retrouve là les présupposés auteuristes et formalistes liés à la « mise en scène »
comme « choix » formels d’un seul homme qui sont ceux que nous avons abordés
plus haut (3.3) comme traces d’une approche que l’on peut trouver dans les textes
des principaux critiques des Cahiers du cinéma à partir des années 60 et dont J.
Douchet est, ici encore, un des représentants. Cette approche est d’autant plus
cohérente qu’elle est mise en application sur des films qui la justifie voire la légitime
comme le film d’E. Rohmer, ou qui sont, dans leur démarche, profondément
formalistes comme le film de D. Vertov. Le troisième aspect, l’« aspect narratif » est
abordé par les approches thématiques qui sont proposées dans les différents
modules751 sur plusieurs DVD. Les aspects historiques apparaissent quant à eux
dans certains DVD qui se concentrent sur l’approche génétique ou sur une mise en
contexte socio-historique752 du film.
On peut ainsi reprocher à ces DVD le fait qu’ils n’explicitent jamais vraiment d’où
ils parlent. Si l’approche narratologique, par exemple, est clairement utilisée pour le
750
Présentation du DVD sur le site du CNDP : http://www.sceren.com/cyber-librairiecndp.aspx?l=conte-d-ete&prod=19892&cat=137611, consulté le 13 juin 2011.
751
Le DVD sur Les Petites amoureuses propose un parcours thématique sur « L’argent », le DVD sur
L’Aurore, une réflexion sur « Le sexe », le DVD « Le cinéma d’animation » un parcours thématique sur
« Créateurs et créatures ».
752
C’est le cas dans le DVD sur Les Temps modernes qui propose en bonus un film intitulé « Représentation
du travail au cinéma » que la notice décrit comme suit « un éclairage sur le monde du travail à partir
d’extraits de films choisis dans toute l’histoire du cinéma parmi des cinématographies variées allant des
« vues » Lumière à des films tout à fait contemporains, documentaires ou de fiction, traités sous forme de
drame ou de comédie. Le dévédé offre ensuite un film documentaire, « Les Temps modernes, de la réalité
à la fiction », portrait de la crise de 1929 aux États-Unis, qui donne quelques éléments de compréhension
historique sur l’époque décrite dans Les Temps modernes. (Source : notice sur le site du CNDP
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-eden-cinema&cat=137611#I3516).
On trouve aussi une approche historique et génétique dans le DVD sur L’Aurore : « Deux documents
complémentaires, celui de B. Eisenschitz et celui de Jean Douchet permettent de replacer le film dans le
temps, l’espace et l’œuvre de Murnau puis de creuser l’analyse des images : « Traversées. Genèse de
L’Aurore » (B. Eisenschitz) et « Murnau ou qu’est-ce qu’un cinéaste ? » de J. Douchet. (Source : notice sur
le site du CNDP http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=laurore&prod=19811&cat=137611), consulté le 13 juin 2011.
- 479 -
DVD sur « Le point de vue », cet angle d’attaque n’est jamais explicité, ni même
jamais nommé, en tant qu’approche théorique, supposant implicitement que la
démarche utilisée est la seule possible, alors même que la question du point de vue
pourrait également s’enseigner à travers la perspective cognitiviste par exemple,
dans une démarche plus interdisciplinaire avec la biologie et le fonctionnement de
l’œil. On pourrait faire la même remarque pour le DVD sur « Les raccords au
cinéma », qui néglige tout autant l’approche cognitive. De la même façon, sur « Le
cinéma documentaire », on remarque que l’approche s’exonère de toutes remarques
sémio-pragmatiques, ne se concentrant que sur le « cinéaste » sans évoquer le fait
que la lecture documentaire est un mode de lecture également déterminé par le
spectateur comme l’a montré R. Odin753. On pourrait imaginer qu’un tel DVD
mette également en perspective le problème théorique de la question du genre
cinématographique et de sa problématique définition comme a pu le faire Raphaëlle
Moine754, au lieu de mettre sur le même plan, dans le portfolio, sans aucune autre
sorte d’explication – toujours sans doute en vertu de cette « pédagogie des
fragments mis en rapport » – La Repasseuse d’Edgar Degas et une photo de « famille
esquimaude devant son igloo » d’un photographe anonyme. On est proche
finalement de l’utopie intertextuelle d’Aby Warburg et de son atlas des formes
Mnémosyne.
Une seule approche est explicitement mise en œuvre, c’est « l’analyse de création »
défendue par A. Bergala dans L’Hypothèse cinéma :
« La pédagogie du cinéma bute le plus souvent sur la façon dont elle se saisit
de son objet (…) Je vais essayer ici d’ouvrir quelques pistes pour aller à
l’essentiel, c’est-à-dire la réalité de l’acte de création au cinéma, en dégageant
quelques points décisifs, dont certains sont rarement ou mal interrogés et
souvent à l’origine des difficultés rencontrées en pédagogie : les composantes
fondamentales du geste de création cinématographique (l’élection, la
disposition, l’attaque), les conditions réelles de la prise de décision par le
cinéaste, la question nodale de la totalité et du fragment, celle de la rencontre
du « programme » et de la réalité au tournage, enfin celle de la négativité de
753
754
ODIN, Roger, De la fiction, op. cit..
MOINE Raphaëlle, Les genres du cinéma, op. cit..
- 480 -
l’œuvre dans l’acte de création. »755
Il apparaît bien que cette démarche est celle proposée par le film La Fabrique du
Conte d’été, de Françoise Etchegaray et Jean-André Fieschi sur le DVD sur Conte d’été
qui prend en compte les « conditions réelles de la prise de décision par le cinéaste »,
en sollicitant une de ses proches collaboratrices : Françoise Etchegaray, « assistante
de longue date ». Par ailleurs, la rencontre du « programme » et de la « réalité du
tournage », c’est bien ce qu’explorent les films pédagogiques à orientation génétique
comme Traversées. Genèse de « L’Aurore » et Les messages de Fritz Lang, tous les deux
réalisés par de B. Eisenschitz. L’interview d’A. Kiarostami peut également tout à
fait être envisagé dans ce sens, d’autant que les questions d’A. Bergala portent
souvent sur des événements du tournage : l’exiguïté d’une classe comme difficulté
pour l’équipe de tournage756, la fabrication de toute pièce d’un « chemin »757 sur le
flanc d’une colline pour certains plans du film, etc. La question du « geste de
création » est présente également sur les DVD de la série « Langage de cinéma ».
Dans cette série, le DVD sur « Le cinéma d’animation » propose par exemple :
« Quatre bonus courts : un atelier avec des enfants, une explication du
processus du cinéma d’animation, une fabrication de petits films d’animation
avec des techniques différentes, une démo professionnelle avec la
présentation du matériel nécessaire pour concevoir des films d’animation en
classe. Il propose aussi quatre jeux pour découvrir comment s’est
construit ce qui nous apparaît évident à l’écran. »758(Je souligne)
L’idée d’aller regarder ce qui se passe « derrière » permet à « l’analyse de création »
de glisser du savoir au savoir-faire et de déterminer les « composantes
fondamentales du geste de création cinématographique ». Cette approche a
l’avantage d’éviter parfois certains écueils d’une approche purement formaliste qui
se résumerait à l’analyse du « fameux et redoutable vouloir dire du réalisateur »759 à
755
BERGALA Alain, L’hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 127128.
756
Séquence 2 du film « Abbas Kiarostami commente son film avec Alain Bergala ».
757
Séquence 5, ibid.
758
Présentation du DVD sur le site du CNDP : http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=lecinema-d-animation&prod=19856&cat=137611, consulté le 13 juin 2011.
759
BERGALA Alain, L’hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 158
- 481 -
travers la traduction sémantique des formes audio-visuelles. L’approche est valable
aussi bien, comme nous l’avons vu, pour les films de fiction (Conte d’été, Les
Contrebandiers de Moonfleet) que pour le documentaire : le DVD portant sur ce genre
propose un portfolio qui permet de « voir des cinéastes au travail, avec leurs outils,
dans des photos documentaires qui nous permettent d’approcher très concrètement
les gestes de la création. »760. La ligne éditoriale fidèlement suivie par A. Bergala
pour la collection « Éden cinéma » encourage cette approche qui relativise un peu la
toute-puissance du formalisme et encourage une expérience du cinéma qui ne se
cantonne pas au résultat fini qu’est le film. En cela il permet aussi d’envisager l’acte
de production audiovisuelle que les élèves auront à mettre en œuvre dans leur
cursus. L’analyse de film en tant qu’elle devient une initiation à la création est sans
doute l’un des grands apports d’A. Bergala à la pédagogie du cinéma. Je verrai plus
tard dans quelle mesure cette approche bénéficie aux films produits par les élèves et
se retrouve dans les modalités de tournage proposées dans le cadre des
enseignements « cinéma et audiovisuel ».
Des approches homogènes donc, mais auxquelles on pourrait justement reprocher
la stabilité dont elles se revendiquent. C’est ici peut-être que l’argument de la « ligne
éditoriale claire » se retourne et dévoile les défauts de ses qualités : à toujours
travailler avec les mêmes personnes, la collection prend le risque d’une sclérose
théorique, voire même de ce que l’on pourrait appeler – en dramatisant un peu –
un « terrorisme théorique » en cela que cette « ligne éditoriale » imposée apparaît
comme la seule possible. Le formalisme et l’auteurisme ne me semblent pas être
des approches à rejeter systématiquement, elles deviennent « dangereuses »
seulement quand elles s’imposent comme les seules possibles.
760
Présentation du DVD sur le site du CNDP : http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=lecinema-documentaire&prod=19771&cat=137611, consulté le 13 juin 2011.
- 482 -
4.5.3 Le document pédagogique sur support
papier : la collection des « Petits cahiers »
Mon tour d’horizon des documents pédagogiques ne saurait se passer d’envisager la
collection des « Petits cahiers ». La particularité de cette collection est qu’elle est le
résultat d’une co-production assez inédite entre les Cahiers du cinéma et le CNDP.
Cette collection a fonctionné de 2001 à 2009. La convention de co-édition stipulait
que la collection se développerait à raison de deux numéros par ans, écrits par des
spécialistes du film ou de la question abordée par l’opus. En effet, sur les deux
numéros édités dans l’année, l’un devait reposer sur un film au programme du
baccalauréat, l’autre sur une question de cinéma plus large. Les auteurs étaient
choisis par les Cahiers du cinéma : ils sont principalement des universitaires ou des
critiques761. Soulignons au passage que l’on trouve là un point d’accointance non
négligeable entre les Cahiers du cinéma et les enseignements « cinéma et audiovisuel »,
et que cette proximité explique sans doute aussi l’influence générale que j’ai
remarquée à maintes reprises entre la cinéphilie promue historiquement par les
Cahiers et les présupposés théoriques des enseignements en lycée. La collaboration
entre le CNDP et les Cahiers du cinéma s’est interrompue en 2009 et le dernier
numéro édité est celui portant sur La Mort aux trousses, au programme du
baccalauréat de 2009 à 2011. La fin de la collaboration est a priori la conséquence
d’un changement de la politique éditoriale des Cahiers suite à leur rachat par la
maison d’édition Phaidon en 2009. La nouvelle direction n’aurait pas voulu éditer
un « Petit cahier » sur L’Homme à la caméra jugeant l’opus trop peu rentabilisable.
En tout état de cause, cette collection constitue également un document
pédagogique en cela même qu’elle est co-produite par le CNDP. Selon les mêmes
761
L’exemple le plus emblématique est sans doute l’opus La critique de cinéma édité en 2008 et rédigé par…
Jean-Michel Frodon, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma jusqu’au rachat de la revue par Phaidon.
- 483 -
arguments sémio-pragmatiques que ceux développés pour la collection « Éden
cinéma », on peut considérer que ces ouvrages sont des ouvrages « pédagogiques ».
Leur utilisation et leur lectorat potentiel semblent cependant plus larges du fait
même que la co-édition avec une entreprise privée leur assure une diffusion plus
massive et une bonne visibilité dans les librairies. À ce titre, les « Petits cahiers » me
semblent moins directement connectés à l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel en lycée que ne l’est l’« Éden cinéma ». Leur « didactisme » est plus
implicite, car les ouvrages s’adressent aussi à un lecteur qui ne s’inscrirait pas
directement dans le milieu scolaire. Cependant, certaines publications des « Petits
cahiers » peuvent être mises en rapport avec celle de l’« Éden cinéma ». Les
numéros sur Le cinéma d’animation, ou Le documentaire, ou encore Le point de vue
complètent les propositions pédagogiques et théoriques des DVD de l’« Éden ».
Certains opus sont même très directement liés, tant leur date de parution invite à
les envisager éventuellement ensemble. C’est le cas pour Théâtre et cinéma écrit par
Charles Tesson pour la collection des « Petits cahiers » qui peut s’associer à l’opus
« Cinéma et théâtre » sorti dans la collection l’« Éden cinéma » la même année, en
2007. Pour les œuvres au programme du baccalauréat, on assiste parfois à un « tir
groupé » des publications : c’est le cas pour L’Aurore en 2005762. Le film L’Évangile
selon Saint Matthieu, bien que n’étant pas au programme du baccalauréat, suscite
également des publications dans les deux collections la même année, en 2003763. On
constate donc une mise en réseau possible de ces documents, même si leur degré
de « didactisme » les rattachant au sujet de ma thèse n’est pas tout à fait le même. Je
m’appuierai ici principalement sur les « notices détaillées » proposées pour chaque
numéro sur le site officiel du SCEREN-CNDP qui présentent et résument l’œuvre
et qui sont des notices rédigées par l’auteur de l’ouvrage lui-même.
Les présupposés rejoignent ceux que j’ai déjà relevés. L’auteurisme auquel
prédispose sans doute la publication de numéros entièrement consacrés à un film
762
MAGNY Joël, L’Aurore, Paris : Cahiers du cinéma/SCEREN-CNDP, colle. « Petits cahiers », 2005.
BOUQUET Stéphane, L’Évangile selon saint Matthieu, Paris : Cahiers du cinéma/SCEREN-CNDP, coll.
« Petits cahiers », 2003.
763
- 484 -
dit « d’auteur » à l’occasion de son entrée dans le programme très institutionnalisé
du baccalauréat, se manifeste aussi dans des numéros entièrement consacrés à un
réalisateur764. La notice du numéro sur L’Aurore précise que :
« Chaque séquence, chaque plan est marqué du sceau d’un véritable auteur,
par un style de mouvements, de contrastes et de subtilités. »765
Celui sur A. Kiarostami indique que :
« Kiarostami est un auteur au sens le plus pur du terme. » 766
Presque ironiquement, quand il est question d’une « approche pragmatique » elle
s’entend au sens de « terre-à-terre » comme c’est le cas dans l’opus Le court métrage :
« L’auteur apporte également une dimension pragmatique à cet ouvrage: il
expose quels sont, aujourd’hui en France, les moyens matériels et financiers
nécessaires à la production d’un court-métrage, les réseaux sur lesquels
s’appuyer, les subventions possibles, et, terme du parcours, comment un
jeune cinéaste peut accéder à une diffusion en salle, en festival ou à la
télévision. »767
La « pragmatique » ne s’entend pas ici comme une approche théorique mais semble
totalement inféodée à la réflexion économique sur le cinéma. Si l’on retrouve une
approche théorique qui pourraient s’apparenter à l’approche dite « pragmatique »,
c’est ainsi curieusement dans la notice du numéro L’Économie du cinéma formulée
ainsi :
« Pierre Gras a choisi de partir des expériences concrètes de chaque lecteur,
qui est aussi un spectateur de films en salles, à la télévision, en DVD ou
grâce à la vidéo à la demande sur Internet. Cette introduction répond de
manière vivante et précise aux questions que peut se poser tout amateur
curieux des aspects économiques du cinéma, dès qu’il réfléchit à sa place de
spectateur au sein de l’industrie culturelle. »768
764
Abbas Kiarostami en 2004, Wong Kar Wai en 2006.
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-aurore-de-murnau&prod=21050&cat=137612,
consulté le 16 août 2011.
766
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=abbas-kiarostami&prod=20976&cat=137612,
consulté le 16 août 2011.
767
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-court-metrage&prod=21071&cat=137612,
consulté le 16 août 2011.
768
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-economie-ducinema&prod=21053&cat=137612, consulté le 16/08/2011
765
- 485 -
On retrouve au passage l’opposition paradigmatique face à un cinéma dit
« industriel », comme en témoigne la notice du numéro sur Le cinéma d’avant-garde
qui pourfend « le cinéma commercial » et reprend à son compte « la formule
provocatrice de Jean-Marie Straub en 1970, “le cinéma commencera quand
l’industrie disparaîtra” »769
Les opus qui s’intéressent à des genres cinématographiques les abordent
majoritairement par leur dimension esthétique ou historique :
« Cet ouvrage offre une mise en perspective historique du burlesque comme
genre. » 770
On constate encore une fois qu’il n’est jamais question d’une interrogation sémiopragmatique ou pragmatique. On retrouve la même réduction théorique dans la
notice de l’ouvrage Le cinéma documentaire que celle déjà soulignée dans le DVD de la
collection « Éden cinéma » consacrée à ce genre :
« Quelle définition et quelle identité pour le film documentaire ? Après avoir
dressé un historique du documentaire, qui remonte aux frères Lumières,
l’auteur revient sur les différentes approches de ce genre – qui recouvre des
pratiques fort différentes – et s’attarde sur l’œuvre des principaux cinéastes.
Un accent particulier est mis sur l’influence prégnante de l’évolution des
techniques dans l’histoire du documentaire. »771
La « définition d’un genre » ne semble pouvoir émaner que de son histoire et plus
précisément ici de l’histoire de ses techniques.
La représentation de l’image recoupe parfois la perspective bazinienne, empreinte
de fétichisme pour « l’image trace » et son rapport direct au Réel, comme en
témoigne la notice du numéro sur Histoire et cinéma :
« Le sens de l’Histoire passe par la mise en scène et le montage, et il y a bien
769
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=cinemas-d-avantgarde&prod=21054&cat=137612, consulté le 16 août 2011.
770
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-burlesque&prod=21073&cat=137612, consulté
le 16 août 2011.
771
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-documentaire&prod=20958&cat=137612,
consulté le 17 avril 2011.
- 486 -
plus d’Histoire dans une fiction cinématographique que dans une bande
d’actualités filmées. »772
A. Bazin et les Cahiers du cinéma sont d’ailleurs une référence récurrente dans les
notices de cette collection :
« Avec L’Homme de la plaine, Anthony Mann connaît sa première vraie
reconnaissance critique en France. Dès sa sortie, André Bazin salue le film
comme un chef-d’œuvre dans un article dithyrambique, “Beauté d’un
western”, paru dans les Cahiers du cinéma. »773
« D’abord considéré comme un divertissement populaire avec ses codes et
ses stars (John Wayne, James Stewart, Gary Cooper, Henry Fonda...), il doit
sa reconnaissance à la critique française des années cinquante, qui sous la
houlette d’André Bazin le considère comme “ le cinéma américain par
excellence”. »774
Quant à l’approche globale du cinéma, elle reprend les éléments de « l’esthétique »
et de la « stylistique », dans une approche formaliste récurrente du « langage
cinématographique », avec toujours ce souci de la mise en perspective historique et
culturelle déjà remarquée plus haut :
« Avec cet ouvrage Jean-Michel Frodon met en évidence les principaux traits
stylistiques du cinéma chinois, leurs relations avec la culture de cette région
du monde et les multiples apports spécifiques de la Chine au langage
cinématographique. »775
ou encore :
« À partir de regroupements thématiques et esthétiques, l’auteur articule les
principales tendances du cinéma africain francophone avec le terreau social
et politique dont il se nourrit afin d’appréhender la vision du monde qui s’y
déploie. »776
L’homogénéité des approches en ce qui concerne les cinémas nationaux que l’on
772
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=histoire-et-cinema&prod=49566&cat=137612,
consulté le 17 avril 2011.
773
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-homme-de-la-plaine&prod=21026&cat=137612,
consulté le 17 avril 2011.
774
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-western&prod=21025&cat=137612, consulté le
17 avril 2011.
775
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-cinema-chinois&prod=21066&cat=137612,
consulté le 17 avril 2011.
776
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-cinema-africain&prod=20956&cat=137612,
consulté le 17 avril 2011.
- 487 -
peut remarquer ici laisse à penser qu’une ligne éditoriale assez claire est imposée
aux auteurs.
Cette approche formaliste passe encore par le culte de la « mise en scène » dont
dépend la « spécificité cinématographique » :
« La spécificité du récit de cinéma, c’est que tout dépend de la mise en
scène. »777
Les opus entièrement consacrés à des éléments formels comme Le plan rappellent
ce préposé théorique. Le plan y est désigné comme « acte de création
cinématographique, unité minimale, fragment d’espace-temps ou mise en œuvre
d’une pensée », et le « montage » est « envisagé sous trois angles : celui de
l’invention d’un langage, celui du découpage au montage, celui de l’évolution des
pratiques professionnelles ». Le Point de vue consolide cette appréhension du cinéma
majoritairement axée sur la traduction sémantique de choix formels.
Ainsi, de l’« Éden cinéma », aux « Petits cahiers », des analyses filmiques proposées
dans le Cahier des ailes du désir à celles proposées en ligne sur le site du SCERENCNDP comme la rubrique télédoc, j’ai eu beau multiplier les exemples, je suis
toujours tombée sur les mêmes types d’approches théoriques et les mêmes
présupposés778. Il y a une forte unité d’ailleurs entre ces approches et j’ai pu
retrouver exactement les mêmes présupposés dans l’« Éden cinéma » et dans les
777
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-recit-de-cinema&prod=20955&cat=137612;
consulté le 18 avril 2011.
778
On peut évoquer ici le logiciel « Lignes de temps », développé par l’IRI (Institut de Recheche et
d’Innovation) qui a une assez bonne pénétration actuellement dans les classes d’Île-de-France. Le logiciel
est décrit ainsi sur le site de l’IRI : « Le logiciel Lignes de temps met à profit les possibilités d’analyse et de
synthèse offertes par le support numérique. Inspirées par les Timelines ordinairement utilisées sur les bancs
de montage numérique, « Lignes de temps » propose une représentation graphique d’un film, révélant
d’emblée, et in extenso, son découpage. Lignes de temps offre en cela un accès inédit au film, en substituant
à la logique du défilement contraint qui constitue l’expérience de tout spectateur de cinéma, et pour les
besoins de l’analyse, la « cartographie » d’un objet temporel. Aussi, en sélectionnant un segment d’une
ligne de temps, l’utilisateur a-t-il accès directement au plan ou à la séquence correspondante dans le film,
séquence qui peut être décrite et analysée par des commentaires textuels, audios, vidéos, ou documentée
par des images ou des liens Internet. » (Source http://www.iri.centrepompidou.fr/outils/lignes-detemps/, consulté le 16 août 2011).
Ce logiciel revient finalement peu ou prou à une mise en œuvre de la « pédagogie des fragments mis en
rapport » et à une approche formaliste qui vise à « mettre en rapport » les images en vertu de relations
plastiques, thématiques ou narratives : on retombe encore sur les mêmes approches même si « l’outil »
développé peut paraître innovant. Ce qui change c’est la communication possible entre les différentes
lectures, échangeables au sein d’une classe, permettant plus d’interactivité autour du film. Le logiciel
permet donc potentiellement une approche plus pragmatique, même s’il n’a pas été, à mon sens, conçu
pour cela.
- 488 -
« Petits cahiers », alors même que les auteurs ne sont pas les mêmes. Cette très
forte unité me semble davantage pouvoir s’expliquer par une « communauté »
constituée autour de présupposés et de paradigmes communs largement tacites
plutôt que par un véritable effort explicite de cohérence théorique. À partir du
moment où il faut parler de « cinéma » à l’École (ou ailleurs), il semble acquis qu’il
faille parler de formes cinématographiques et plus précisément de formes
« spécifiquement » cinématographiques plus que de réception, de communauté
d’interprétation ou de sémio-pragmatique. Interroger la place du spectateur en
s’appuyant sur la sociologie ou sur l’anthropologie, sans en faire une figure virtuelle
et arbitrairement homogénéisée dans l’expression « le spectateur », n’apparaît pas
comme une façon de « parler du cinéma » dans la situation d’apprentissage que
constituent les enseignements du cinéma et de l’audiovisuel en lycée. Étant donnée
la conjoncture politique, pédagogique, idéologique et paradigmatique que ma thèse
s’est efforcée jusqu’ici de mettre à jour, il faudrait sans doute une véritable
révolution des mentalités pour qu’il en soit autrement. Cela dit, l’Inspection
générale me semble actuellement œuvrer dans le sens d’une plus grande diversité
des approches, même si la route est encore longue.
Tous ces documents pédagogiques permettent de cerner les pratiques et
présupposés qui président à l’enseignement « cinéma et audiovisuel » en lycée.
L’aboutissement général de tout cela (documents pédagogiques, parution du Cahier
des ailes du désir, cours en classes) trouve un ultime aboutissement dans l’épreuve du
baccalauréat à laquelle se soumettent, à la fin de deux à trois ans de cours779, les
élèves ayant choisi de suivre un enseignement optionnel ou obligatoire CAV. Je me
suis donc arrêtée, dans le cadre de ce travail sur les présupposés théoriques, sur
l’épreuve du baccalauréat de l’enseignement de spécialité « cinéma et audiovisuel ».
779
L’option en Seconde n’est pas obligatoire pour suivre l’enseignement optionnel ou obligatoire CAV en
Première et en Terminale.
- 489 -
4.5.4 Les épreuves d’analyse filmique au
baccalauréat et leurs critères d’évaluation
Dans le cadre de l’enseignement artistique comme enseignement de spécialité, l’oral
du baccalauréat comprend deux volets dont un est un exercice d’analyse filmique et
qui se définit comme suit :
« B - Partie orale (les instructions ci-dessous remplacent celles de la note
de service de novembre 2003). Durée : 30 minutes. Temps de préparation :
30 minutes. La partie orale de l’épreuve comporte deux volets : Volet 1 (15
min) : l’analyse de quelques minutes de l’un des films du programme limitatif
annuel, publié au I. L’extrait est choisi par les examinateurs. Le candidat, lors
de son exposé, doit situer l’extrait du film (rapport à la continuité narrative, à
l’œuvre du cinéaste, à l’histoire du cinéma, etc.) et en faire l’analyse. »780
J’ai pu assister à une journée d’oraux pour le baccalauréat 2010 au lycée Turgot à
Paris. Seize élèves se présentaient à l’épreuve. Le jury était constitué d’un
professeur en « cinéma et audiovisuel » d’un autre établissement et d’un producteur,
professionnel intervenant dans les enseignements au titre du partenariat.
Le jury propose au candidat une séquence très courte de deux ou trois minutes
extraites d’un des films au programme que le candidat découvre au moment de
l’épreuve781. Il dispose ensuite de trente minutes pour préparer les deux parties de
son oral. Le principal reproche que j’ai vu faire aux candidats était de proposer une
analyse « trop littéraire », et de ne pas faire preuve de suffisamment de
connaissances formelles. Effectivement, certains candidats que j’ai vus faisaient des
remarques très descriptives sur ce qu’il se passait dans le film. À propos d’Hiroshima
mon amour, la scène de l’entrée dans l’hôtel : « elle veut pas oublier l’allemand »,
« elle hésite à entrer dans la chambre », mais j’ai vu aussi des élèves qui jouaient le
jeu de l’analyse formaliste et de la traduction sémantique d’éléments formels et
780
BO n° 10 du 6 mars 2008, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2008/10/MENE0800130N.htm, consulté le 12 juillet 2011.
781
Pour le baccalauréat 2010 : L’Homme à la caméra, La Mort aux trousses, Hiroshima mon amour.
- 490 -
étaient d’ailleurs bien notés : sur La mort aux trousses à propos du début de la scène
dans le champ de maïs : « la plongée participe à l’angoisse », « l’approche est
menaçante à cause du son », dans L’Homme à la caméra : « les plans décadrés
provoquent un effet de déséquilibre ». Le jury que j’ai vu travailler posait souvent
les mêmes questions : « Pourquoi la caméra est là ? », « quel type de montage est
utilisé ? », mais aussi quelques questions plus pragmatiques : « le film raconte
quoi ? », « tu as aimé le film ? » À propos du personnage d’Ève Kendall : « en tant
que femme, qu’est-ce que tu en penses ? ».
Je ne m’aventurerais pas à tirer des conclusions générales sur ces quelques exemples
s’ils n’allaient pas, finalement, à l’issue de cette longue partie, toujours peu ou prou
vers les mêmes conclusions. Notons aussi que les films choisis au programme du
bac se prêtent de toute évidence à l’approche formaliste qui n’est donc pas
inadvenue pour les étudier, mais on ne peut, à nouveau, que remarquer, malgré
quelques furtives tentatives citées ci-dessus, l’absence quasi totale d’approches
alternatives. Notons également qu’en quinze minutes, il est impossible de proposer
une approche pluridisciplinaire : le format même de l’épreuve encourage au
formalisme qui ne nécessite finalement aucune documentation complémentaire et
repose sur l’observation des formes que le candidat a sous les yeux. On peut
pourtant déplorer qu’aucune approche sémio-pragmatique – possible même dans
ce cadre d’épreuve – ne soit proposée de films étant pourtant à la frontière entre
fiction et documentaire comme Hiroshima mon amour et L’Homme à la caméra. La
fiche d’évaluation de l’oral d’analyse filmique proposée par le site de l’association
« Les Ailes du désir »782 est à l’avenant : il s’agit d’évaluer la « connaissance des
procédés d’expression cinématographiques », de « construire son analyse à partir de
l’observation de l’image et des sons », de « repérer dans l’extrait proposé les
éléments les plus représentatifs des choix artistiques et esthétiques du réalisateur ».
En conclusion de cette partie, après l’étude d’exemples de documents
pédagogiques, d’exemples d’épreuves pour l’examen, d’exemples de pratiques, il
782
Voir annexes.
- 491 -
apparaît que les enseignements « cinéma et audiovisuel » en lycée sont conformes à
une certaine forme de cinéphilie, et que l’on pourrait résumer ainsi leur contenu :
un désir de distinction au sens bourdieusien du terme ;
un certain fétichisme de l’œuvre et surtout de sa « forme » censée contenir
tout ce qu’il y a de « cinématographique » dans un film,
et aussi d’un certain nombre de paradigmes :
la possibilité – voire le devoir – d’« aiguiser le regard » de l’élève devenu ainsi
« actif » face à l’œuvre d’art afin de l’ouvrir aux « révélations » qu’elle contient ;
le primat du formalisme, de l’approche historique et génétique, du genre
comme catégorie de l’esthétique pour analyser l’œuvre ;
le désir d’analyser l’art par l’art.
Cette mise en œuvre d’un enseignement du cinéma que l’on pourrait qualifier de
« cinéphilique » si l’on donne à ce mot la définition « académique » que j’ai précisée
plus haut, semble relever d’une vision de l’art proche de celle que développe Clive
Bell dans Art en 1914. J’ai vu déjà, à travers A. Kerlan, que les paradigmes qui
nourrissent la pédagogie de l’art sont héritiers de certains philosophes situés dans le
champ de l’esthétique. La position de C. Bell se trouve exprimée au début de Art :
« Certaines formes ou relations entre des formes provoquent une émotion
esthétique. J’appelle “Forme Signifiante” ces relations formelles, ces combinaisons
de lignes et de couleurs, ces mouvements esthétiques des formes ; et la “Forme
Signifiante” est la seule qualité commune à toutes les œuvres des arts visuels. »783
On constat que c’est bien la tradition post-kantienne de l’approche textualiste
conçue comme l’étude de la « Forme Signifiante » qui sévit en lycée, héritage d’une
certaine philosophie, même si les principaux tenants de cette approche ne sont pas
forcément conscients de leur inscription dans cet héritage qui constitue finalement
un « bagage » dont on se sent à peine chargé tant il semble de l’ordre du « naturel ».
783
BELL, Clive, Art, http://www.manybooks.net/titles/bellc1691716917-8.html, version téléchargeable
gratuitement sur Internet en .pdf, p. 49-50 du .pdf : « Certains forms and relations of forms, stir our
esthetic emotion. These relations and combinations of lines and colours, these aesthetically moving form,
I call “Signifiant Form” ; and “Signifiant Form” is the one quality common to all works of visuel art. »
- 492 -
Il s’agit bien là d’une suite de paradigmes qui se situent dans l’exacte lignée des
paradigmes véhiculés par le discours politique et par les textes officiels, comme si
ces paradigmes se déployaient sans faille d’un bout à l’autre de la chaîne, du
ministre à l’élève, de la sphère du politique à la sphère du pédagogique, de l’arrêté
ministériel à la copie du candidat au baccalauréat. Cette unanimité dans les
approches paradigmatiques ne peut exister qu’en vertu d’un « air du temps »
propice à son développement, celui que décrit Charles Taylor sur lequel je m’appuie
dans la partie à venir pour expliquer les modalités de mise en œuvre du volet
« pratique » de ces enseignements.
- 493 -
5 - LES COMPÉTENCES LIÉES À LA
PRATIQUE ET AU SAVOIR-FAIRE :
« FAIRE DES FILMS » À L’ÉCOLE.
- 494 -
5.1
Évaluer les savoirs et le savoir-faire
5.1.1 Textes
officiels
et
préambules
généraux
Les textes officiels insistent beaucoup sur la présence de la pratique dans les
enseignements artistiques, à toutes les étapes du parcours curriculaire en lycée. La
pratique est dans les textes, parmi les fondamentaux de l’enseignement comme en
témoigne le BO de Terminale que j’ai déjà cité :
« La pratique artistique en classe terminale ne délaisse aucun des aspects de
l’art des images et des sons : travail sur la scénarisation, le point de vue, le jeu
des acteurs, sur la qualité de l’image et de la matière sonore. Elle articule
l’implication individuelle et le travail en équipe qui caractérise la création
cinématographique et audiovisuelle. »784
L’association de la théorie et de la pratique se retrouve également dans les textes
officiels concernant l’option facultative. Elle est réaffirmée dans la dernière version
des textes réécrits en 2010. On y voit apparaître l’idée que cette pratique doit être
« en lien étroit avec l’analyse filmique »785. En cela les textes des programmes
réaffirment ce que le Haut Comité aux Enseignements Artistiques et Culturels a
toujours martelé. Le HCEAC insiste beaucoup, dans le rapport de 2006, sur cette
dimension pratique, en proposant des pistes liées à la question du « savoir-faire ».
Lors de l’audition de Bernard Stigler devant le HCEAC, P. Baqué, en charge des
enseignements artistiques à l’École, fait cette remarque :
« Il me semble qu’il y a aussi, par rapport à l’éducation culturelle et artistique,
un concept à questionner à nouveau, c’est celui de ce que j’appelle la pratique
critique. On ne peut s’en tenir au niveau d’une pratique uniquement créative,
de l’expression personnelle. Il faut que tout moment de pratique soit suivi
784
BO Hors série n° 4 du 30 août 2001, classe de Terminale, repris littéralement dans le BO de 2010, op.
cit., p. 22.
785
BO spécial n° 9 du 30 septembre 2010, classe de Terminale, version en ligne, op. cit.
- 495 -
d’un moment où l’on se pose, on fait silence, on réfléchit à ce qui s’est passé,
et on fait venir autour de ça les éléments culturels indispensables pour
alimenter cela et le relancer. La pratique critique est une approche qui associe
le « faire » et des savoirs venant après le “faire”, et qui mobilise le “savoirfaire”. »786
La pratique artistique trouve son aboutissement dans les épreuves écrites et orales
du baccalauréat. L’oral de l’épreuve, en Terminale, consiste dans la présentation au
jury d’une « réalisation audiovisuelle » effectuée pendant l’année, dont le processus
de création doit être explicité dans un « carnet de bord » qui élargit et relie la
démarche pratique à une réflexion culturelle selon les modalités de mise en œuvre
prévues par les textes :
« En s’appuyant sur le programme de l’année, axé sur la notion de montage,
mais prenant également en compte les acquis de la classe de Première, l’élève
élabore progressivement un dossier en y intégrant l’ensemble des éléments –
personnels et collectifs – nécessaires aux épreuves du baccalauréat. Ainsi
chaque élève constitue-t-il progressivement un ensemble comprenant carnet
de bord et production audiovisuelle :
- le carnet de bord rend compte des recherches et des éléments d’analyse en
relation avec les différentes questions abordées dans l’année ;
- la production audiovisuelle est une forme courte, librement choisie, mais
aboutie, intégrée ou non à un travail collectif, éventuellement accompagnée
d’essais, de variantes ou de formes intermédiaires. »787
Rappelons que si les programmes des enseignements artistiques et des
enseignements « cinéma et audiovisuel » font le pari d’une association entre la
théorie et la pratique, c’est aussi parce que les enjeux du partenariat déjà évoqués
sont au centre de ces enseignements, ce qui est une relative exception dans le
système d’enseignement.
Il convient donc de regarder de plus près le fonctionnement de chacune des
épreuves qui permettent d’évaluer ce lien entre théorie et pratique et sont
l’aboutissement de l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel en lycée.
786
Rapport HCEAC 2006, op. cit., p. 122.
BO Hors série n°4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 24, repris
littéralement en 2010.
787
- 496 -
5.1.2 L’épreuve écrite
L’épreuve écrite, affectée d’un coefficient 3 au baccalauréat a donc été pensée pour
permettre aux élèves de faire le lien entre théorie et pratique788. Sachant que
l’épreuve du baccalauréat détermine également en amont les pratiques
pédagogiques, le fonctionnement des épreuves devient un garant de cette
interaction entre pratique et théorie. L’épreuve est ainsi décrite dans les instructions
officielles :
A - Partie écrite Durée : 3 heures 30. Deux sujets au choix sont proposés au
candidat. (…).
Sujet 1 : À partir du thème imposé, le candidat rédige : 1) Une note
d’intention synthétique (de deux à trois pages) présentant son film (titre,
durée, sujet) précisant la finalité du propos, le genre, le support, ainsi que la
démarche de réalisation choisie. Cette note d’intention permet au candidat de
préciser l’essentiel de ses choix et partis pris artistiques et esthétiques
concernant les traitements de l’espace et du temps, de l’image et du son, du
récit et des personnages, du montage.(…). 2) Un scénario dialogué ou non
dialogué selon le genre ou la démarche choisis.
Sujet 2 En prenant comme base de travail le scénario, ou l’extrait de scénario
fourni, le candidat présente un projet détaillé et argumenté de réalisation. Le
travail comprend : 1) Une note d’intention détaillée et argumentée (de deux à
quatre pages) éclairant son point de vue, ses partis pris de réalisation et de
mise en scène et précisant les choix artistiques et esthétiques qui s’y
rapportent. 2) Un découpage technique de quelques plans consécutifs, en
nombre suffisant pour être significatifs (durée conseillée : 1 à 2 minutes à
l’écran) concrétisant les éléments évoqués dans la note d’intention et
permettant au réalisateur potentiel de mettre en place son tournage. »789
Les modalités d’évaluation sont les suivantes :
« Partie écrite : Les copies sont notées sur 20 avec la répartition suivante :
Sujet 1 - 10 points pour la note d’intention ; - 10 points pour le scénario.
Sujet 2 - 10 points pour la note d’intention ; -10 points pour le découpage
788
Voir un exemple de sujet d’annales en annexe.
BO n° 45 du 4 décembre 2003, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2003/45/MENE0302620N.htm, l’épreuve est restée inchangée depuis
mais est en cours de modification pour la rentrée 2012.
789
- 497 -
technique. »790
Il y a donc deux types de sujets au choix du candidat, à traiter en 3 h 30 : un
scénario et une note d’intention qui s’appuient sur un corpus de documents en
rapport avec un thème (sujet 1) ou une note d’intention et un découpage technique
qui s’appuient sur un scénario fourni (sujet 2). Il est question de développer des
« intentions de réalisation » et leurs « incidences techniques » et pour le sujet 2 – « à
dominante créative »791– de laisser aux candidats la possibilité d’une expression
personnelle même si elle doit être « respectueuse » des documents fournis.
Cette épreuve n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés. Pour avoir
assisté aux délibérations du jury du baccalauréat des professeurs des académies de
Paris, Créteil, Versailles en juin 2010 au lycée Turgot à Paris792, j’ai pu constater une
déploration générale quant au « faible niveau des copies de l’écrit ». Pour le sujet 1,
les professeurs regrettaient aussi un manque d’originalité des scénarios, des notes
d’intentions jugées « artificielles » ou indigentes qui ne présentent aucune intention
de réalisation, sans engagement personnel des candidats qui semblent manifester
par ailleurs trop peu de culture cinématographique. Les professeurs présents – et je
partage cet avis – s’accordaient à dire que l’artificialité de l’épreuve l’éloignait du
réel et plongeait l’exercice dans l’abstraction, alors que le cinéma parle de la vie. Par
ailleurs, le scénario est un exercice difficile à juger selon des critères scolaires : il est
difficile d’objectiver la notation : doit-on noter seulement la présentation des
scénarios et son adéquation avec les règles du genre ? Cela paraît une exigence trop
réduite à l’issue d’un enseignement de spécialité. Cette commission a également fait
état de quelques scénarios difficiles à évaluer – par exemple lorsque la note
d’intention devient un lieu cathartique ou si elle plagie un film déjà sorti – ou
lorsque le scénario est éthiquement problématique (porno, gore, violence gratuite,
790
BO n° 45 du 4 décembre 2003, op. cit.
« Guide Bac CAV » document rédigé par Christine Juppé-Leblond et distribué aux professeurs de CAV
en 2007, diffusion interne. Je tiens le document à disposition du jury, si besoin est, pour des raisons
scientifiques.
792
Commission d’harmonisation pour les professeurs des académies de Paris, Créteil, Versailles, le mardi
er
1 juillet 2010.
791
- 498 -
etc.). Le débat partageait les professeurs qui se demandaient si l’on peut n’évaluer
que l’esthétique sans tenir compte de l’éthique. Puis finalement, la commission
d’harmonisation achoppait sur un problème purement organisationnel en mettant
en doute le fait que des compétences soient évaluables par ce genre d’exercice : que
peut-on raisonnablement attendre d’un scénario fait en 3 h 30 ? Les documents
proposés sont trop peu sollicités, et il y en a trop, les candidats ne se les
approprient pas et ils ne facilitent pas, finalement, la rédaction du scénario en tant
limité.
Le sujet 2, qui consiste en une note d’intention et un découpage technique à partir
d’un scénario fourni, semble témoigner davantage d’une maîtrise de l’image. Il est
davantage plébiscité par les professeurs d’Île-de-France. Il semble que le découpage
technique demandé aux candidats soit plus facile à noter, car il permet d’évaluer des
compétences plus techniques. Cependant, il a été dit que l’exercice était très
artificiel dans le cadre d’un examen : les élèves ne semblaient pas en comprendre
véritablement les enjeux. La faible qualité du scénario fourni comme point de
départ dans le sujet a souvent été critiquée, ce qui renvoie au problème lié à la
constitution, très difficile, du corpus pour le baccalauréat, puisque personne dans
l’Institution n’est réellement compétent pour écrire des scénarios.
Le désir affirmé pour ces épreuves est de voir les élèves défendre un projet de
réalisation, c’est-à-dire de trouver des « solutions artistiques, esthétiques et
techniques inventives et cohérentes avec le projet et les intentions de réalisation »793,
en lien avec le scénario ou le thème proposé. L’épreuve revient finalement à ce
paradigme du réalisateur-auteur comme seul maître d’œuvre à bord pour décider de
son film, mais elle est aussi une tentative pour évaluer des compétences qui se
trouvent ainsi résolument tournées vers la pratique – l’idée de « faire un film » – et
pas du tout vers la restitution de connaissances théoriques ou historiques sur le
cinéma sous une forme dissertative par exemple. Pour autant, A. Bergala s’est à
793
BO n° 45 du 4 décembre 2003, op. cit.
- 499 -
plusieurs reprises élevé contre ces sujets de l’épreuve écrite, et en particulier le sujet
2, le jugeant trop éloigné des pratiques réelles des professionnels. Son argument
porte essentiellement sur le décalage entre les exigences scolaires et le « vrai »
cinéma794. Il ne s’agit pas seulement de transformer un apprentissage professionnel
en apprentissage artistique, mais de créer de toutes pièces un exercice qui n’existe
pas en tant que tel dans le champ du « cinéma ». Cette épreuve conduit à se
demander de façon un peu provocatrice si le « cinéma que l’on apprend » existe
vraiment.
5.1.3 L’épreuve orale : le « film du bac » et
le « carnet de bord »
L’épreuve orale est double, comme je l’ai déjà évoqué précédemment. Je ne
reviendrai pas ici sur la première partie de l’épreuve qui consiste en une analyse
filmique d’un des films au programme, mais sur la deuxième partie de l’épreuve qui
consiste en la présentation d’une « production audiovisuelle » faite par l’élève et
d’un cahier de bord faisant état du travail de l’année. Elle est définie ainsi dans les
textes officiels :
Le coefficient de l’épreuve orale est de 3 et l’évaluation s’organise comme suit :
B - Partie orale : Durée : 30 minutes. Temps de préparation : 30 minutes.
La partie orale de l’épreuve comporte deux volets : Volet 2 (15 min) : la
présentation argumentée d’une réalisation individuelle ou collective, de dix
minutes maximum, produite obligatoirement dans le cadre de l’enseignement
de spécialité de l’année. (…) Cette réalisation est accompagnée d’un carnet
de bord qui comprend d’une part, une sélection de documents préparatoires
à la réalisation (…), d’autre part, en trois ou quatre pages :
- une analyse critique et personnelle de la réalisation ;
- un bilan réflexif de l’élève sur sa participation à la réalisation ;
794
BERGALA Alain, L’Hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p.190.
- 500 -
- le développement d’une question cinématographique liée à cette réalisation.
Partie orale : La prestation orale est notée sur 20 avec la répartition suivante :
-10 points pour l’analyse ; -10 points pour la présentation et l’échange avec le
jury. Les candidats sont évalués conjointement par au moins un professeur
ayant eu en charge un enseignement de cinéma et audiovisuel en classe
Terminale et par un partenaire professionnel qui est intervenu régulièrement
dans l’enseignement en application de l’article 7 de la loi d’orientation sur
l’éducation du 10 juillet 1989. »795
Il apparaît que ces épreuves laissent finalement très peu de place pour la
présentation des travaux d’élèves alors que ceux-ci y consacrent beaucoup de temps
dans l’année et alors même que les textes réaffirment sans cesse l’importance de la
pratique. Le « cahier de bord » doit contenir : « les documents collectifs de
préparation et d’accompagnement de la réalisation présentée par l’élève, le compte
rendu personnel et réflexif du travail accompli, le développement d’une question en
relation avec la réalisation autour d’un thème librement choisi en lien avec le
programme de l’année »796. Si on le souhaite à la hauteur des attentes exprimées par
les textes, c’est un travail très lourd à réaliser. Lors des oraux auxquels j’ai pu
assister797, les « cahiers de bord » n’étaient jamais vraiment évalués en eux-mêmes,
car le temps d’interrogation est très court. On laisse le candidat s’exprimer sur la
« question en relation avec le travail de l’année », et il est plus question de jauger sa
culture cinématographique que de véritablement évaluer la problématisation qu’il
en a faite.
Quant à la production personnelle du candidat, elle est également évaluée très
rapidement. Ce n’est d’ailleurs pas sa « valeur » qui doit être évaluée, mais la
manière dont l’élève assume et défend ces choix. Christine Juppé-Leblond rappelle
la conduite de l’interrogation orale sur le film du baccalauréat :
« Le questionnement doit dépasser un simple « constat d’activité » de l’élève
au sein du groupe pour toucher à des questions artistiques et esthétiques :
795
BO n° 10 du 6 mars 2008, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2008/10/MENE0800130N.htm. L’épreuve est restée inchangée
depuis mais est en cours de modification pour la rentrée 2012.
796
Ibid.
797
Au lycée Turgo à Paris, le 29 juin 2010.
- 501 -
pourquoi ce choix de cadrage, de montage, quel sens a ce raccord, ce ralenti,
pourquoi cette bande-son ?... Cela permet de compléter l’évaluation sur les
acquis et donne au candidat le plaisir de mettre en valeur ses choix et ses
goûts. »798
L’association « Les Ailes du désir » propose une fiche d’évaluation de l’oral dans
laquelle elle stipule qu’il s’agit d’évaluer des « compétences de base : connaître et
maîtriser le contenu de son carnet de bord (…) être capable de décrire de façon
concise toutes les étapes de la réalisation (…) connaître la réalisation présentée et
les outils utilisés ; des compétences critiques : décrire l’évolution de projet artistique
(…) expliquer et défendre la démarche de réalisation (…) dresser un bilan et porter
un regard critique »799. Étonnement l’appréciation de « la part de réinvestissement
des acquis de son apprentissage du cinéma en lycée » n’intervient dans l’évaluation
qu’à titre de « bonus ». On touche pourtant là à un des enjeux de cette
« réalisation » : elle devrait idéalement permettre une mise en pratique concrète des
éléments formels étudiés dans le cadre des analyses filmiques et des cours de la
composante théorique des programmes. C. Juppé-Leblond le rappelle à propos de
l’interrogation sur la réalisation des élèves : « ne pas oublier que la dominante de
Terminale obligatoire porte sur le montage »800, comme pour inviter les jurys à
questionner l’élève sur ce rapport entre la « dominante » du programme et sa mise
en pratique dans la réalisation audiovisuelle. Pourtant, ce rappel semble n’agir que
comme une sorte de Nota Bene, confirmant l’impression de marginalisation de cet
aspect de l’évaluation déjà présente dans le document produit par « Les Ailes du
désir ».
Si ces épreuves – écrites et orales – sont critiquées et critiquables, il est bien évident
qu’elles dirigent les activités quotidiennes dans la classe. Les cours d’élèves que j’ai
798
« Guide Bac CAV » document rédigé par Christine Juppé-Leblond et distribué aux professeurs de CAV
en 2007, op. cit.
799
Document validé par l’Inspection générale, téléchargeable en ligne sur le site de l’association sur le lien
« Évaluation de l’oral : pratique artistique» sur la page http://www.ailesdudesir.com/bac.htm, consulté le
10 mai 2010.
800
« Guide Bac CAV », op. cit.
- 502 -
pu consulter font état de nombreux exercices de découpage technique, ou de
« storyboardage », occasionnant parfois l’intervention d’un professionnel : un
« storyboardeur », une scripte. Les élèves des enseignements CAV sont également
souvent amenés à rédiger des « notes d’intention », y compris dans le cadre de sujet
« d’annales » comme tout candidat préparant une épreuve du baccalauréat. Si ces
exercices sont tout à fait pertinents lorsque les élèves préparent la production du
film qu’ils présenteront au bac, l’exercice peut sembler tout à fait artificiel et inutile
quand il est conçu comme un exercice de bachotage parmi d’autres qui ne sera à
l’origine d’aucune véritable production personnelle. Benoît, dans l’entretien souvent
cité, confirmait cette idée :
« Quand il faut en plus se plier aux règles de l’écriture cinématographique, ça
leur apparaît comme une contrainte trop forte. La discipline c’est
insupportable, surtout quand c’est pour les épreuves écrites. Ils ne voient pas
la nécessité d’écrire une note d’intention pour un truc qui ne sera pas tourné.
C’est une douleur pour finalement pas grand-chose. »801
Conçues pour valoriser la pratique et l’expression personnelle y compris pour
l’évaluation de l’examen, les épreuves se heurtent à la dimension inévitablement
scolaire de leur organisation et aux modalités de passage du baccalauréat.
Au-delà de l’évaluation – on le voit limitée à à peine quinze minutes – dans le cadre
de l’épreuve du baccalauréat, il convient de s’interroger plus précisément sur les
modalités de mise en œuvre de cette « réalisation » audiovisuelle que l’élève
présente au bac et sur les paradigmes qui justifient son intégration dans les
enseignements du cinéma en lycée.
801
Entretien avec Benoît déjà cité, le 27mars 2009.
- 503 -
5.2
Les enjeux de la pratique
5.2.1 Quels enjeux pédagogiques ?
La fabrication de « films » part d’une intention claire : laisser le talent de l’élève
s’exprimer le plus librement possible et lui permettre de réinvestir ses
connaissances théoriques dans une pratique raisonnée. Mais les présupposés sont
peut-être plus problématiques : il me semble à la fois rejoindre ce que P. Bourdieu
et J.-C. Passeron qualifient d’« utopie spontanéiste qui accorde à l’individu le
pouvoir de trouver en lui-même le principe de son propre épanouissement »802 et le
paradigme de l’art prophylactique que j’ai défini plus haut. En effet ces tournages
s’inscrivent dans la perspective de la « pédagogie de projet » telle que l’ont
promulguée certains courants de la « pédagogie active ». Célestin Freinet, en 1961,
défendait déjà l’idée qu’il fallait replacer « la création et l’expression personnelle au
centre de tout notre processus éducatif »803. Philippe Meirieu est l’un des défenseurs
connus de cette pratique pédagogique qu’il a expérimentée lui-même dans ses
classes :
« Je pratiquais une pédagogie que je voulais “non directive” inventant, au
jour le jour, des activités nouvelles : travaux de groupe, exposés,
improvisations théâtrales, ateliers d’écriture, élaboration d’un journal,
enquête, réalisations de films, etc. »804
Ce type de pédagogie est entrée dans l’École par la grande porte, comme moyen de
« repenser l’École » et de remettre justement peu ou prou en question le rapport de
802
BOURDIEU Pierre, PASSERON Jean-Claude, La Reproduction, Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 31-32.
803
FREINET Célestin, rapport pour les rencontres de Cannes, juin 1961 cité par Paul Leutrat dans
« Apprendre à voir le cinéma », Artsept, numéro spécial, juin 1963, p. 43-45.
804
MEIRIEU Philipe et LE BARS Stéphane, La Machine École, Paris : Gallimard, coll. « Folio », 2001,
p. 18-19.
- 504 -
force professeurs/élèves que les textes de P. Bourdieu et J.-C. Passeron avaient
analysé comme une violence symbolique. Le « projet » doit permettre l’instauration
d’un rapport nouveau avec le professeur et avec l’Institution en général : liberté de
mouvement, collaboration professeurs/élèves, prise en compte de la personnalité
de l’élève, de sa « créativité », etc. On retrouve aussi le paradigme de l’art éducateur
et de l’art citoyen défini dans la première partie de cette thèse (1.2), les « artistes »
considérés comme « partenaires » du professeur ayant tout leur rôle à jouer dans
cette mission éducative de l’art.
En outre, le « projet » a pour enjeu de faire travailler les élèves ensemble. Comme le
dit une publication du CRDP de Lyon :
« Le travail sur un film crée une situation très particulière dans
l’établissement scolaire. Là où l’École développe le plus souvent des savoirfaire individuels pour ne pas dire individualistes, organisés autour d’une
logique de compétition, la pratique d’activités culturelles, et celle du cinéma
et de la vidéo notamment, génère au contraire des habitudes de travail en
groupe, selon des modalités diverses. »805
Notons au passage que la pratique est ici désignée comme une « activité culturelle »
et non comme une « pratique artistique ». La différence terminologique n’est pas
négligeable : il est vrai que ces « films » ne sont pas sensés avoir de « prétentions
artistiques »,
et
que
l’enseignement
n’a
pas
vocation
à
la
« préprofessionnalisation »806. Mais on peut se demander quelle est la réalité de ce
postulat dans les pratiques et les présupposés, lorsque l’on sait que des festivals
dans toute la France cherchent à donner une visibilité à ces œuvres (2.3.4), que les
élèves n’hésitent pas, comme je le verrai ultérieurement, à « poster » ces films sur
des sites de partage, et que certains s’y investissent beaucoup, pensant que le film
pourra être un moyen d’entrer dans le « monde du cinéma ». Rappelons ici que d’un
point de vue pédagogique, le projet est un travail d’équipe lorsque la division du
travail est préalablement discutée par les différents actants : élèves, professeurs,
éventuellement professionnels partenaires, ce qui doit contribuer à renforcer la
805
806
CITTERIO Raymond, Du cinéma à l’école, op. cit., p. 64.
BO spécial n° 9 du 30 septembre 2010, version en ligne, op. cit.
- 505 -
gestion de ce travail d’équipe, le relationnel, la solidarité, bref ce qui est doit
permettre, finalement, un meilleur apprentissage d’une certaine forme de
« citoyenneté » à laquelle les documents officiels tiennent beaucoup conformément
au paradigme de l’« art citoyen »807. Si la pratique est bien ancrée dans
l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel c’est donc parce qu’elle est totalement
en résonance avec les paradigmes que j’ai étudiés plus haut (1.2). Les enjeux
pédagogiques sont donc finalement, aussi, des enjeux paradigmatiques, confirmant
le lien déjà établi par la sociologie de la reproduction entre l’École et les valeurs
défendues par la classe dominante d’une société donnée.
5.2.2 Pédagogie, amateurisme et pratiques
scolaires
Preuve supplémentaire de la mise en résonance de paradigmes politiques et de
l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel en lycée, le rapport Rigaud sur les
politiques culturelles en 1996 visait à favoriser la pratique artistique en amateur
comme « fait culturel majeur »808. Ce rapport insiste sur la « refondation de la
politique culturelle dans le sens d’un encouragement à la pratique amateur, y
compris dans « l’éducation artistique et culturelle » :
« Deux objectifs distincts peuvent être assignés à la politique d’éducation
807
Pourtant, remarquons qu’en CPGE, la pratique est seconde, reléguée en arrière-plan des programmes
comme l’indique le BO : « la place de la pratique est volontairement limitée et intimement liée aux
questions théoriques et culturelles abordées ».
Il est intéressant de voir combien plus on s’élève dans le parcours curriculaire dans des filières dotées
d’une grande valeur symbolique de la formation de l’élite, moins la nécessité de la pratique s’impose, ce qui
semble paradoxal dans la mesure où le BO du lycée ainsi que de nombreux textes officiels insistent sur le
fameux postulat : faire du cinéma permet de comprendre le cinéma. On se heurte sans doute comme
toujours à des présupposés : le principe même de la classe préparatoire repose sur l’enseignement
magistral d’un savoir théorique. Il serait mal vu de « perdre son temps en tournage », le tournage étant par
ailleurs très chronophage dans ces formations qui doivent préparer les étudiants à un niveau élevé de
compétence. Cette compétence est d’ailleurs majoritairement culturelle et rédactionnelle : l’exercice de la
dissertation reste la valeur absolue de la sélection des élites. L’épreuve écrite et le programme sont
d’ailleurs éminemment théoriques. La pratique est cantonnée à l’épreuve d’admission à laquelle bien peu
de candidats accèdent.
808
« Pour une refonte de la politique culturelle », rapport de Jacques RIGAUD au ministre de la Culture,
Philippe Douste-Blazy, Paris : La documentation française, 1996, p. 142.
- 506 -
artistique et culturelle de la Nation : la formation de l’esprit critique et le goût
via la transmission de connaissances et l’encouragement de la pratique en
amateur. »809
Cette « pratique amateur » doit permettre « une relation entre amateurs et
professionnels », car elle a une « indéniable portée culturelle » liée au
« développement des loisirs » conséquence de la réduction du temps de travail.
L’argument en faveur de l’amateurisme est peut-être aussi économique puisque le
rapport stipule que « les dépenses des ménages pour ces activités s’élèvent à près de
10 milliards de francs par an. »810
L’encouragement à la pratique en amateur entre totalement en accord avec la
présence de la pratique dans les textes officiels concernant l’enseignement
artistique. Puisqu’aucune professionnalisation n’est requise, le « film de bac » peut
se définir comme une pratique amateur. Mais l’amateurisme est trop proche des
loisirs pour apparaître véritablement légitime dans le cadre d’un enseignement
scolaire destiné à une évaluation au baccalauréat. On entend bien ici et là des
mauvaises langues dire que « l’option CAV, c’est un peu un club vidéo », mais tout
est fait dans les textes officiels pour donner une légitimité forte à la pratique.
Pourtant, il est difficile d’introduire une « pratique du cinéma » sans risquer de
susciter un désir « d’être réalisateur » et de retomber sur les fantasmes que suscite
parfois trompeusement le cinéma et dont on a vu qu’ils pouvaient avoir un effet
délétère sur les élèves et leur parcours curriculaire. R. Odin m’a fait part811 de la
création, au début de l’installation des enseignements CAV dans les lycées, d’un
comité de protestation des élèves qui militaient pour la professionnalisation des
enseignements ! Car le désir d’« apprendre le métier » et très fort du côté des élèves,
d’autant que les Écoles de cinéma en tant que telles – la FEMIS particulièrement –
sont très difficiles à intégrer. Comment donc faire de la pratique sans donner à
croire que l’on « fait du cinéma » ? Benoît, dans l’entretien que j’ai souvent cité,
m’avouait à propos des films du baccalauréat :
809
« Pour une refonte de la politique culturelle », op. cit. p. 132.
Ibid., p. 142.
811
Entretien déjà cité du 25 novembre 2010.
810
- 507 -
« Bah j’en pense que déjà ça plait aux élèves. Les œuvres en elles - mêmes −
et là c’est un ancien examinateur qui te parle − je peux te dire que c’est
atroce. »
On peut se demander dans la foulée si la pratique promulguée en lycée relève de la
démagogie ou est un aveu de soumission à la démagogie. C’est sans doute un écueil
dans lequel certaines classes de lycée peuvent tomber812.
Le premier soutien épistémologique que reçoit la pratique est évidemment en lien
avec la question pédagogique : c’est le présupposé selon lequel faire des films
permet de mieux comprendre et analyser le cinéma, puisque la pratique doit être
l’occasion d’une mise en œuvre des éléments théoriques du programme. Mais cette
mise en œuvre à vocation pédagogique nécessite un suivi individualisé et précis de
la pratique, or il n’existe aucun cahier des charges pour définir le réinvestissement
théorique qui doit être fait dans le cadre du « film pour le bac ». À titre de
contrepoint, on peut s’appuyer sur l’Épreuve Professionnelle de Synthèse (EPS) du
BTS audiovisuel. Les deux épreuves ne sont évidemment pas comparables puisque
l’ambition technique et professionnalisante des EPS – et de la formation en BTS en
général – n’est pas du tout dans le même esprit ni dans le même cadre de formation
que le « film du bac ». Cependant, la comparaison, même à titre indicatif, me
semble intéressante, car il s’agit bien d’utiliser la production d’un travail audiovisuel
dans le but de valider des acquis de formation. Toute production audiovisuelle dans
le cadre des EPS en BTS est encadrée par un « cahier des charges »813 très précis,
reposant sur des critères bien définis, connus de tous et validés par des instances
nationales indépendantes de l’établissement. Le cahier des charges répartit les
tâches techniques des élèves et définit leur modalité d’évaluation. Cette différence
fondamentale permet de rappeler qu’« une pédagogie par projet sans objectif est du
812
Je fais écho ici à un court extrait de l’entretien que m’a accordé Christine Juppé-Leblond le 7 janvier
2009 :
CJL : « Dans l’option, on trouve tout et n’importe quoi.
Moi : C’est quoi « n’importe quoi » ?
CJL : C’est par exemple des courts-métrages d’une heure.
Moi : Pourquoi les profs font ça ?
CJL : Par démagogie, pour faire plaisir aux élèves. »
813
Voir un exemple de cahier des charges en annexe.
- 508 -
bricolage »814 et que la pratique ne permet un véritable apprentissage que s’il y a une
confrontation permanente, lors de l’élaboration du projet, entre l’objectif posé et
les conditions de sa réalisation. C’est ainsi que les « films de bac » me semblent
devoir être interprétés ou lus comme un « encouragement à la pratique amateur »
plus que comme un travail à vocation pédagogique de transmission de
connaissances. Et ceci n’est pas forcément critiquable : la pratique en amateur est
sans doute un très bon outil de développement culturel. On peut en effet supposer
que l’expérience concrète du médium permet de lever bien des obstacles à sa
réception, et c’est sans doute ici que l’argument pédagogique revient : il s’agirait de
mieux comprendre les films à partir du moment où l’on a eu l’occasion d’en
concevoir un.
Mais on arrive ici à un paradoxe : alors que l’École promulgue le modèle de la
culture savante en dédaignant « la pratique amateur du cinéma comme loisir »815, la
pratique de la création artistique dans le cadre de l’enseignement CAV paraît
finalement rejoindre la pratique amateur tant décriée. Le discours est donc à
nouveau étrangement scindé : l’ambition esthétique disparaît dès qu’il s’agit de
« faire des films » alors même que « faire des films » est censé permettre une
meilleure appréhension de l’esthétique ! Si l’on suit l’hypothèse de J.-M. Leveratto,
cette schizophrénie n’est pas seulement étrange, elle est alarmante, car elle risque
d’avoir un effet totalement contre-productif d’un point de vue pédagogique si l’on
suppose comme lui qu’une pratique sans professionnalisme est :
« Sans profit éducatif pour l’amateur qui l’utilise comme un simple fairevaloir, elle donne en même temps une vision fausse au public de la technique
artistique, transformée en un passe-temps, utilisée sans rigueur
professionnelle, sans souci de la préservation de sa qualité artistique. »816
Comment à la fois défendre que la culture artistique vient de la fréquentation des
belles œuvres et laisser des enfants de quinze ans « faire des films » quasiment sans
encadrement ni évaluation ? C’est effectivement un des paradoxes de ces tournages
814
LEGRAND Louis, Pour un collège démocratique, Paris : La Documentation française, 1983, p. 42.
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 106.
816
Ibid., p. 106.
815
- 509 -
en lycée :
« Cette vision de la culture artistique conduit également à valoriser la
consommation savante et individuelle du chef-d’œuvre et, corrélativement, à
dévaluer l’exercice d’une activité artistique en amateur. Du fait de
l’importance accordée au contact avec des œuvres de qualité supérieure. »817
Le « contact avec les œuvres de qualité supérieure » qui est une des ambitions
affichées des enseignements, on l’a vu, ne va donc pas forcément de pair avec la
défense d’une pratique amateur. La prétention à étudier le cinéma comme un art
côtoie la faible qualité des productions des élèves qui semble, elle, être tout à fait
admise. Une fois encore, ce qui semble aller de soi dans les textes peut s’avérer
sujet à caution.
Il faut alors sans doute chercher la vertu de l’exercice dans la démonstration de la
sociologie des pratiques culturelles :
« La pratique en amateur d’une discipline artistique est généralement associée
à une proximité plus grande avec le domaine artistique correspondant. »818
Ceux qui font de la vidéo amateur sont ceux qui vont voir des films :
« Le lien positif entre pratique amateur et fréquentation des lieux de
diffusion culturelle correspond à un effet “robuste”, mesuré à niveau
d’études et catégories socioprofessionnelles contrôlées. »819
Si la pratique amateur peut devenir un véritable outil de démocratisation culturelle,
sur ce point précis, les programmes sont efficaces. Surtout, cette « pratique » est
défendable dans une perspective gauffmanienne : tourner des plans, prendre des
sons, écrire un scénario, autant d’exercices qui permettent de promouvoir une
certaine « expérience du cinéma ». C’est le point de vue de Benoît, professeur
souvent cité ici :
« Que cela leur fasse prendre conscience qu’un film c’est le fruit d’un
processus de travail qui passe par un certain nombre d’étapes et que chacune
des étapes a son importance , a ses codes, etc., oui. Parce que eux, c’est la
génération “pocket film”, film au portable tu vois, ce qui en soi peut donner
817
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 106.
COULANGEON Philippe, Sociologie des pratiques culturelles, Paris : La découverte, coll. « Repères », 2005,
p. 80.
819
Ibid., p. 81.
818
- 510 -
des trucs biens, quand tu as des choses à dire. »820
Mais dans cette logique, il faudrait faire réfléchir les élèves non pas sur l’enjeu
esthétique de ce qu’ils produisent, ce qui est très largement le cas, mais sur l’intérêt
anthropologique de leur acte de création. Il s’agira là d’une approche sans doute
plus prudente de la « production artistique » de fin de cycle.
5.2.3 Le rapport à la pratique comme retour
de la puissance symbolique du verbe
Pourquoi demander aux élèves qui choisissent l’enseignement artistique CAV en
lycée de faire preuve d’une « pratique » ? La question se pose d’autant plus qu’il
n’en est pas systématiquement question dans les autres matières « artistiques » de
l’enseignement général. En français par exemple, malgré quelques tentatives
d’inscription au baccalauréat d’épreuves de « pratiques d’écriture » comme
« l’écriture d’invention »821, il n’a jamais été question de demander aux élèves de
produire un roman ou une nouvelle pour être évalués au baccalauréat. C’est bien le
signe que l’apprentissage de méthodes d’analyse de textes et de données culturelles
semble suffire à l’enseignement du français et qu’une pratique « aboutie » d’écriture
d’un texte littéraire n’est pas le principal but des études de Lettres en lycée.
D’ailleurs, le système d’enseignement français assume un clivage relativement
chronique entre théorie/pratique/technique. La sociologie de la reproduction a
expliqué ce clivage par une hiérarchisation des savoirs théoriques et des savoirs
820
Entretien déjà cité du 37 mars 2009.
Elle est une des trois épreuves proposées au baccalauréat de français et se définit comme suit dans les
textes officiels : « L’écriture d’invention contribue, elle aussi, à tester l’aptitude à lire et comprendre un
texte, à en saisir les enjeux, à percevoir les caractères singuliers de son écriture. Elle permet au candidat de
mettre en œuvre d’autres formes d’écriture que celle de la dissertation ou du commentaire. Il doit écrire un
texte, en liaison avec celui ou ceux du corpus, et en fonction d’un certain nombre de consignes rendues
explicites par le libellé du sujet. L’exercice se fonde, comme les deux autres, sur une lecture intelligente et
sensible du corpus, et exige du candidat qu’il se soit approprié la spécificité des textes dont il dispose
(langue, style, pensée), afin d’être capable de les reproduire, de les prolonger, de s’en démarquer ou de les
critiquer. »
Source,
BO
n°
46
du
14
décembre
2006,
accessible
en
ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2006/46/MENE0602948N.htm, consulté le 17 août 2011.
821
- 511 -
techniques dans une volonté de « conférer le primat à la fonction sociale de la
culture sur la fonction technique de la compétence »822. Mais il est bien aussi, sur ce
point précis, question de paradigmes. Ce que P. Bourdieu et J.-C. Passeron
appellent : « la maîtrise pratique à dominante verbale » semble bien correspondre
aux ambitions des programmes officiels cités plus haut :
« Ainsi, une maîtrise pratique orientée vers la manipulation des choses et le
rapport aux mots qui en est corrélatif prédispose moins à la maîtrise savante
des règles de la verbalisation lettrée qu’une maîtrise pratique tournée vers la
manipulation des mots et vers le rapport aux mots et aux choses qu’autorise
le primat de la manipulation des mots. »823
En effet, il s’agit d’inculquer en priorité « la maîtrise d’un langage et d’un rapport au
langage », plus qu’une maîtrise des outils techniques qui servent à produire – ou à
post-produire – des images et des sons. Comme en témoignent les réflexions sur
l’évaluation de ce « film pour le bac », la notation repose avant tout sur la manière
dont le candidat est capable de justifier ses « choix » et de « défendre » son film plus
que sur la qualité broadcast du produit fini. Encore un paradoxe : cette qualité n’est
pas totalement négligée, comme en témoignent les nombreux festivals qui
valorisent les films produits dans ce cadre, mais elle n’est pas le principal support
d’évaluation de l’épreuve : aucune justification technique n’est demandée dans le
cadre de l’oral du baccalauréat824. Le produit audio-visuel réalisé sera donc évalué
surtout par le biais du discours explicatif ou justificatif que le candidat élabore sur
lui.
Les épreuves d’examens sont à ces égards très symptomatiques. Comme je l’ai vu
(5.1.2), une des épreuves écrites consiste dans la rédaction d’un scénario et d’une
note d’intention. En tant qu’elle est – malgré son rattachement revendiqué à une
certaine pratique – une épreuve écrite et donc de fait rédactionnelle, elle réactive
822
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, op. cit., p. 157.
823
Ibid., p. 65-66.
824
Plus généralement, c’est sans doute cette subordination de la maîtrise pratique à la maîtrise symbolique
qui explique que dans le système d’enseignement les filières techniques soient moins valorisées que les
filières générales.
- 512 -
peu ou prou le pouvoir symbolique de l’écrit qui peut agir pour certains élèves
comme un véritable couperet. C. Juppé-Leblond désignait d’ailleurs la note
d’intention comme un « exercice d’écriture personnel et littéraire »825. Lors de la
réunion d’harmonisation à laquelle j’ai assisté826, l’exigence d’aisance, d’élégance
stylistique a été mise en évidence lors de la lecture collective d’une « très bonne
copie » qui manifestait effectivement la brillante intériorisation par la candidate du
fait que l’épreuve est avant tout un exercice d’habileté rhétorique sans grand
rapport finalement avec le cinéma827. Ces épreuves ne peuvent donc se départir de
leur dimension littéraire de texte écrit, le scénario étant par excellence la forme
hybride entre littérature et cinéma. Si l’écriture du scénario est un exercice à part
entière qui demande de véritables compétences, il a un atout dans un cadre
pédagogique : il permet une écriture qui peut prétendre s’appuyer sur le vécu, où les
familiarités sont admises où l’on peut « écrire comme on parle ». Cependant la
nécessaire rigueur de l’exercice l’inscrit aussi dans une perspective finalement
scolaire qui rebute d’ailleurs certains élèves, comme en témoignent quelques
réactions que j’ai pu recueillir dans certains établissements. Car si le scénario destiné
à être tourné dans le cadre de la pratique suscite de l’intérêt, le bac exige aussi de le
réduire à un pur exercice de rédaction, sans perspective de tournage. Le scénario
écrit pour l’épreuve du baccalauréat, par exemple, ne saurait être « tourné ». Il n’est
donc finalement qu’un exercice formel, fût-il un exercice du « langage
cinématographique ». Ça « ennuie » certains élèves qui n’ont pas de culture de
l’écrit, qui gardent un mauvais souvenir de l’enseignement du français, qui n’aiment
pas écrire… et n’aiment peut-être pas trop travailler. Benoît me confiait :
« Il y a un programme, il y a des épreuves au bac, des exigences et quand il
faut passer à ce travail-là, c’est souvent pour eux hyper douloureux. La
collègue Paule qui s’occupe notamment de toute la partie écriture − c’est elle
825
« Guide Bac CAV », document rédigé par Christine Juppé-Leblond et distribué aux professeurs de
CAV en 2007.
826
Le 1er juillet 2010.
827
L’élève qui a le plus de « connivence » avec les valeurs de l’École est encore celui qui obtient les
meilleures notes. Notons à ce propos que les quelques candidats du Lycée autogéré de Paris avaient, cette
année-là, les plus mauvaises notes de l’académie.
- 513 -
qui gère l’enseignement pour l’épreuve du bac − la pauvre Paule, elle
s’arrache les cheveux. (…) Et on a des élèves qui sont très peu autonomes
parce qu’effectivement une bonne partie d’entre eux, pas tous, l’option ça
leur plait bien mais c’est pas… alors ils traînent, ça met des jours, ils font
rien. »828
Qu’il me soit permis ici de citer une anecdote amusante : Léa, étudiante en BTS
audiovisuel m’a parlé du film qu’elle a produit pour le baccalauréat dans le cadre de
l’enseignement artistique de spécialité CAV lorsqu’elle était lycéenne. Elle me
raconte : « un moment le prof m’a demandé de justifier un raccord, je l’avais jamais
remarqué, mais bon, j’ai dit un truc et il a trouvé ça super… ». Bref, les élèves les
plus malins ont compris que ce n’est pas la compétence technique qui est jugée,
mais la rhétorique de justification, en dehors, finalement, de toute « compétence
cinématographique ». Du coup, force est d’admettre que ce que l’on évalue dans
une production audiovisuelle pour le baccalauréat reste le discours que l’on tient
sur elle.
On peut aussi envisager la « pratique du cinéma » comme un secours démagogique
pour certains élèves que le système scolaire ne reconnaît pas comme « bons » dans
le domaine de la maîtrise symbolique de la langue. C’est un discours assez récurrent
dans les témoignages de professeurs que j’ai pu recueillir, l’idée que la pratique
« sauve » certains élèves, qu’elle permet de les découvrir selon un autre rapport,
qu’elle valorise d’autres compétences, peut-être moins scolaires. Un IPR chargé du
cinéma affirmait que la place de la pratique permet d’alléger les contenus théoriques
et de laisser les élèves s’exprimer. Cet espoir se heurte parfois aux réalités de terrain
et je partage assez la prudence exprimée par A. Bergala dans L’Hypothèse cinéma :
« Je me méfie des exemples un peu trop miraculeux comme celui, canonique,
de l’élève autiste qui se met à parler et à communiquer grâce à une
réalisation, mais j’ai la conviction, pour en avoir eu souvent des preuves
directes, que le fait de travailler à la réalisation d’un film peut être l’occasion
et le déclencheur pour certains élèves, déjà assignés à une place et un
comportement d’échec par l’Institution, d’une restauration de la confiance en
828
Entretien du 27 mars 2009.
- 514 -
soi. »829
Il convient donc d’aborder ici concrètement la mise en œuvre de ces tournages.
5.2.4 La mise en œuvre de la pratique : les
différentes étapes du projet du « film du
bac »
Il s’agit ici de décrire les différentes étapes obligatoires pour faire le « film du bac »
dans les enseignements artistiques de Terminale L en vue de l’évaluation orale de la
matière. Je m’appuierai ici sur les rencontres avec des professeurs qui enseignent
dans ce cadre, mais aussi sur les entretiens que j’ai pu mener avec des élèves étant
passés par ces enseignements à qui j’ai demandé de me raconter leur expérience830.
La phase d’écriture du « film du bac » est forcément collective, les établissements
scolaires n’ayant pas les moyens de permettre à tous les élèves de la classe de faire
un film. L’idée de « créer à plusieurs » est parfois problématique, voire délétère.
Cette pratique est parfois soumise ou confrontée aux mêmes stéréotypes et aux
mêmes blocages que l’enseignement plus traditionnel, puisqu’il peut s’avérer, dans
l’expérience, que bien loin de proposer un nouveau mode de rapport à l’autre, le
projet ne fasse que confirmer les rapports de force, de sexe ou de domination
préexistants : le leader est réalisateur, la jeune fille est scripte, le musicien est
preneur de sons… A. Bergala témoigne de cet écueil :
« Les tournages pseudo-collectifs de l’école reproduisent trop souvent – en
mimant sans le savoir le modèle du « vrai » plateau – des hiérarchies qui ne
sont pas professionnelles, et pour cause, mais des assignations déjà inscrites
dans le groupe classe comme microcosme du groupe social. »831
Il parle des « leurres de la création collective » :
829
BERGALA Alain, L’hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 198.
Professeur : entretien avec Benoît, élèves : entretien avec Sabine le 03 avril 2010 entretien avec Fabien
le 10 mai 2010, entretien avec Tiphany et Élodie le 15 décembre 2008, entretien avec une classe de
Terminale du lycée Henri Martin de Saint-Quentin le 18 février 2009.
831
BERGALA Alain, L’hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 197.
830
- 515 -
« La pratique de réalisation, en milieu scolaire, est toujours menacée
d’escamoter l’expérience individuelle de l’acte de création, sans laquelle il n’y
a pas de création véritable. »832
Benoît rejoint ce constat :
« Le problème c’est qu’on leur demande de faire ce qui est sans doute le plus
difficile. Un court. En plus, on leur demande de travailler en groupe. (…)
Quand tu as le leadership c’est les autres qui… soit il n’y en a pas et ils
n’avancent pas car ils n’arrêtent pas de se bouffer le nez et ça donne au final
des trucs qui n’ont pas de sens. »
Cette mise en œuvre ne renvoie que de très loin à l’exercice professionnel de
l’écriture scénaristique. Même si des studios hollywoodiens ont développé
l’habitude d’une écriture collective du scénario, la contrainte est ici exclusivement
scolaire. Du coup, plusieurs solutions peuvent émerger de cette contrainte : une
véritable écriture collective, ou bien l’émergence d’un « auteur » qui va prendre en
charge l’essentiel de l’écriture tandis que le reste du groupe adhère (plus ou moins
d’ailleurs) au projet. Certains élèves m’ont rapporté cette impression qu’ils avaient
été un peu dépossédés de leur projet par l’intervention d’un de leurs pairs – ou
même par l’intervention… des adultes ! Car lorsque cet « auteur » est l’enseignant
ou le partenaire, un clivage peut également s’instaurer. Il apparaît que
l’encadrement du professeur et/ou du professionnel partenaire (qui peut-être un
réalisateur ou un scénariste) s’explique parfois par des ambitions personnelles plus
ou moins déguisées. Je ne suis pas la seule à supposer ce constat :
« Il arrive (trop) souvent que cet « auteur » soit l’enseignant ou le partenaire
(dans le cas d’un partenaire-réalisateur dans un atelier de pratique ou d’une
option), ce qui est évidemment la plus mauvaise des solutions. “L’adulte”
répond ici à deux soucis, l’un, légitime, d’efficacité, (…) l’autre, qui l’est
beaucoup moins, de réaliser ou de faire réaliser son propre film. »833.
On touche ici à un problème délicat et qui ne saurait s’expliquer qu’au cas par cas.
Le plus souvent, l’adulte justifie surtout son intervention par la contrainte de
l’exercice qui doit être effectué dans un temps relativement court et surtout parce
que ce « projet » ne peut pas ne pas se réaliser dans la mesure où la production fait
832
833
Ibid, p. 196-197.
CITTERIO Raymond, Du cinéma à l’école, op. cit., p. 64.
- 516 -
l’objet d’une évaluation – personnelle cette fois – qui conditionne l’obtention du
baccalauréat. Lorsque les élèves s’enlisent ou se découragent, lorsque le groupe ne
fonctionne pas bien, l’adulte peut être amené à prendre la relève pour purement et
simplement « sauver le projet ». Benoît en témoigne, évoquant certains scénarii très
pauvres produits par ses élèves :
« C’est l’histoire d’un type, il se ballade avec un portable, il se fait racketter.
Ca n’arrête pas donc allez hop, c’est bon, tu vas écrire quelque chose. Et ça,
ça les gonfle. Donc nous, on les fait travailler sur un thème. »
Une fois un scénario écrit et validé par le corps enseignant selon des modalités de
calendrier et de progression qui varient beaucoup selon les classes, le découpage
doit également se faire de manière collective, ainsi que la préparation technique du
tournage, le repérage, l’établissement d’un plan de travail, les demandes
d’autorisation de tournage, les castings pour choisir des acteurs, etc. Il est clair que
ce genre de démarches ont l’avantage de solliciter des compétences qui sont
habituellement totalement laissées en dehors de l’École et de ses apprentissages : la
débrouillardise, la diplomatie, etc.
Après ce travail préparatoire effectué, démarre la phase de tournage dont les
modalités sont très variables selon les établissements. Ce moment peut être vécu de
manière ludique… ou pas du tout. Dans les témoignages que j’ai pu recueillir, les
impressions sont assez ambivalentes, même si le tournage apparaît souvent comme
le moment le plus heureux, ce que confirme le témoignage de Benoît :
« Je pense que pour eux c’est source et de frustrations et de plaisir. Plaisir je
l’identifie au tournage, ça ils adorent. »
Je ne saurais dire si les souvenirs sont majoritairement heureux ou pas,
l’enthousiasme des uns pouvant cacher la lassitude des autres, il faut peut-être se
méfier du « mythe » du tournage exaltant que développent certains discours. La
planification nécessaire des activités permet de prendre en compte les difficultés
inhérentes aux conditions de tournage et le temps obligatoire pour toute
production audiovisuelle. Ces obstacles, non plus théoriques mais effectivement
vécus, permettent de mieux regarder les films et d’accepter que certains choix,
- 517 -
même dans un grand film, soient le fruit du hasard ou de la nécessité. C’est peutêtre ce qui œuvre le mieux contre la vision textualiste du film. Par l’expérience du
tournage, l’élève peut-être amener à comprendre les enjeux de ce qu’on lui a décrit
dans la théorie comme un « choix de réalisation » qui peut s’avérer parfois être un
choix par défaut, contraint par des données beaucoup plus prosaïques
qu’artistiques. Sur cette question, A. Bergala regrette que les outils – amateurs –
actuels de prise de vue et de prise de son, très faciles d’utilisation réduisent la part
obligatoire de réflexion sur le « faire » dans la mesure où ils permettent de produire
des images et des sons (même de mauvaise qualité) quelles que soient les conditions
de tournage. D’une manière générale, les modalités de tournage sont très diverses
selon les établissements. J’ai pu rencontrer des lycées où les élèves tournaient en 35
mm834, d’autres où ils ne possédaient que des caméras minis DV835. Le degré
d’encadrement des tournages est lui aussi très variable : certains établissements
obligent les élèves à tout tourner dans leurs locaux, d’autres laissent une grande
liberté aux élèves et les laissent disposer du matériel, y compris hors temps scolaire,
ce qui autorise les tournages à se dérouler dans des lieux plus ou moins privés (la
maison des parents, la rue, la campagne, etc.). Les élèves étant parfois amenés à
utiliser du matériel personnel, certains professeurs perdent un peu la main sur les
tournages, se contentant de valider le scénario puis le résultat final, sans
véritablement intervenir sur la phase de prises de vue et de prises de son. Ces mises
en œuvre sont également parfois dépendantes de l’environnement du lycée, ce dont
témoigne Benoît :
« C’est vrai que chez nous, on les cadre encore plus. Nous on a un souci, tu
vas à V..., (…) moi j’ai vu les gamins, les bras m’en tombaient ! Les gamins
sortent, prennent le matériel, vont tourner dans V..., reviennent, etc. Moi je
les laisse sortir ici, soit ils reviennent sans matériel, et avec un peu de chance
la tête au carré. »
Une fois les images tournées, les établissements disposent d’un matériel de
834
835
C’est le cas au lycée Pierre Corneille à Rouen.
C’est le cas au lycée Henri Martin de Saint-Quentin.
- 518 -
postproduction également variable selon les dotations et le matériel dont
l’établissement dispose. Personne ne songe à nier l’importance du montage dans
l’écriture d’un film et d’un point de vue pédagogique le montage peut être le lieu
d’apprentissages précieux. Le dérushage permet un apprentissage de la rigueur, de
l’organisation du travail, de l’analyse du son et de l’image qu’il faut savoir décrire
avec le vocabulaire spécifique appris durant les cours théoriques. La prise de
conscience empirique de la durée des plans et des questions du rythme peut se
jouer là également. Enfin, d’un point de vue plus personnel, c’est le moment où
l’élève doit apprendre à choisir, à reconnaître ses erreurs, à mesurer l’écart entre ce
qu’il avait imaginé et ce qui apparaît à l’image, à trouver des solutions de
« rattrapage », quand c’est possible. Si ce travail est fait avec un accompagnement
pertinent, il permet de conscientiser beaucoup de problèmes, ce qui peut s’avérer
être un apprentissage très efficace : on ne tourne plus les images pareil lorsqu’on a
appris à en monter. La notion de « raccord », par exemple, s’enrichit beaucoup
quand à l’issu d’un tournage, on constate que certains plans sont impossibles à
raccorder alors qu’on les avait pourtant tournés dans ce but. Pour autant, dans
certains établissements la postproduction se fait par l’élève chez lui, car il n’y a pas
assez de postes de montage dans l’établissement.
Ce bref panorama des activités liées au « film pour le bac » montre que dans le
cadre des enseignements CAV, l’élève est censé pouvoir produire un film de façon
autonome au bout de deux ans d’apprentissage en partant de rien et parfois avec
finalement assez peu d’encadrement. Les textes officiels de 2001 stipulaient que
l’élève doit « savoir utiliser les outils techniques nécessaires à la réalisation »836. Pour
ma part, et ayant une expérience en BTS audiovisuel où l’apprentissage de ces
« outils techniques nécessaires à la réalisation » est primordial, je mesure à quel
point cette phrase relève de l’utopie : bien savoir utiliser une caméra, élaborer un
836
BO Hors série n°4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 26. La formule a
d’ailleurs été supprimée lors de la réécriture des textes en 2010.
- 519 -
éclairage pour faire un plan, maîtriser un logiciel de montage, enregistrer et mixer
un son, tout cela relève de compétences précises qui ne peuvent véritablement
s’élaborer que par un apprentissage spécifique et minutieux auxquels les deux ans
de formation intensive et spécialisée en BTS audiovisuel ne suffisent pas toujours.
Dans le cadre des « films du bac », les résultats sont extrêmement divers. Certains
films que j’ai pu voir relèvent de l’amateurisme le plus total, d’autres révèlent un
degré de maîtrise plus étonnant. Cette variabilité s’explique par plusieurs facteurs :
les moyens techniques (logiciels, ordinateurs) alloués à l’établissement, le degré de
maîtrise technique des élèves éventuellement acquis en dehors de l’École, le degré
de maîtrise technique des professeurs le plus souvent acquis en dehors de leur
formation professionnelle, le temps alloué à la postproduction dans le cadre du
projet, le partenariat développé pour les enseignements qui peut parfois permettre
de faire venir des intervenants et du matériel professionnels.
On peut imaginer que restreindre les ambitions du « film du bac » ou les
circonscrire plus précisément pourrait permettre de limiter ces variables. L’idée
d’aboutir à un « film fini » est peut-être ce qu’il faudra, en premier lieu, remettre en
cause, ce qui a déjà été fait par A. Bergala, entre autres. Il affirme dans son Petit
traité de transmission qu’il faut en finir avec l’utopie du court-métrage, proposer des
« morceaux » de choses, promouvoir l’art du fragment, le Work in progress plutôt que
le produit fini, des formes inachevées, mais avec un degré d’exigence bien
supérieur :
« Parfois, un plan suffit pour faire une expérience forte, inoubliable, de l’acte
de création au cinéma, si les conditions de ce passage à l’acte sont
soigneusement et rigoureusement définies et accompagnées. »837
Je partage ce constat et je proposerai plus loin quelques exemples de refonte
possible de la « pratique » dans le cadre de l’épreuve du baccalauréat de
l’enseignement artistique « cinéma et audiovisuel » de Terminale L. Le problème est
que le cinéma n’est pas un art du corps, mais un art éminemment technique : la
faible qualité des films produits dans le cadre de l’option témoigne du fait que
837
BERGALA Alain, L’Hypothèse cinéma, petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, op. cit., p. 203.
- 520 -
l’espérance d’une « imitation prestigieuse » des films vus au cours de l’année ne
paraît pas toujours se vérifier dans les « films de bac ». A. Bergala dénigre assez
radicalement le « court métrage » comme exercice surcodé, parfois destiné à devenir
une « carte de visite pour aller séduire une chaîne de télévision » qui masque
finalement ce qu’il est en tant que « trace d’apprentissage ». Si le constat d’A.
Bergala est sans doute à prendre en compte selon les constats que je faisais cidessus, il semble cependant que sa vision ontologique de « la vraie nature de l’acte
de création au cinéma »838 n’en demeure pas moins très problématique.
Rappelons que le « film du bac » est évalué à l’oral également pour ce qu’il est en
tant que processus (en témoigne l’accompagnement par le cahier de bord) et que
s’il en est autrement cela procède d’un dévoiement de l’esprit premier de l’épreuve.
La véritable question semble être effectivement : « quelle expérience de cinéma
découle de cet exercice du “film du bac” ? ». Et la réponse, bien sûr, ne saurait être
que variable et individuelle, donc finalement assez peu théorisable si ce n’est par
l’intéressé lui-même, si on lui en donne les moyens. Quant à la « vraie nature de
l’acte de création », des siècles de philosophie ont tenté de le cerner en vain.
Par rapport à la « pédagogie de projet », bien des écueils semblent se profiler. S’il
apparaît que la production et sa mise en œuvre peut avoir une valeur affective pour
l’élève et être un facteur très important d’investissement, certaines constatations de
terrain amènent à nuancer les « bienfaits » de la « pratique d’activités culturelles ».
On a vu qu’il arrive que certains élèves – ou étudiants – se « désinvestissent » de la
production pour des raisons diverses : mésentente avec les autres membres de
l’équipe, inadéquation entre ce qu’ils souhaitaient faire et ce qui se fait, mésentente
avec le professeur ou avec le professionnel… Disons surtout que des sociologues
ont prouvé que « plus le rapport pédagogique renvoie à des implicites
communicationnels, ou fait appel à la créativité des élèves, et plus il favorise les
élèves favorisés »839. Ce constat pourrait s’appliquer aussi aux « fragments mis en
838
839
Ibid., p. 180 et 183.
DUBET François et MARTUCELLI Danilo, À l’École. Sociologie de l’expérience scolaire, op. cit., p. 124.
- 521 -
rapport » comme outils pédagogiques que j’ai étudiés plus haut (4.4.1) : la « mise en
rapport » suppose également un « implicite communicationnel » qui n’est pas
évident pour tout le monde.
Dans le cadre des tournages, lorsque l’encadrement des adultes est insuffisant, les
« tâches » insuffisamment définies et leur répartition par élève trop aléatoire,
certains élèves risquent finalement de ne trouver aucune « place » dans le projet. La
« spontanéité » de certains projets insuffisamment planifiés conduit à mettre en
doute les apprentissages qui peuvent en résulter. La nécessité d’avoir un produit fini
et présentable à une date précise (même si rien n’indique qu’il faille au baccalauréat
présenter un produit « fini », les habitus, on l’a vu, sont très forts dans ce sens) peut
pousser à des choix qui, s’ils font gagner du temps, ne sont pas forcément les plus
propices à l’apprentissage des élèves. Comme le temps imparti au projet est court,
c’est souvent l’élève déjà le plus efficace qui prend en main le montage ou le
tournage, laissant peu de temps aux élèves en difficultés pour consolider leurs
apprentissages. L’enseignement artistique CAV n’étant pas forcément un
« bastion » de bons élèves comme je l’ai déjà souligné, le fait de « faire un film »
n’apparaît pas automatiquement comme un gage d’épanouissement personnel ou
une réussite scolaire.
Cependant, reconnaissons que le film fini a l’avantage de permettre un véritable
aboutissement du projet, et surtout d’être montré en dehors de la classe comme
une entité complète et indépendante, d’échapper finalement à la dimension
« scolaire »
de l’exercice pour se revendiquer
précisément
comme
un
« court-métrage » et non plus comme un « exercice pour le bac ». Si le désir du
« court-métrage » est le principal handicap du « film du bac » lorsqu’il est conçu
dans une logique de formation, il existe pourtant une pression collective pour que
le « film du bac » prenne la forme d’un court-métrage. Et j’ai constaté que cette
pression collective n’émane pas toujours que de l’Institution scolaire.
- 522 -
5.2.5 Après
le
baccalauréat :
les
délocalisations des « films du bac »
Tout d’abord, je rappellerai ici la prolifération des festivals dévolus aux « films
scolaires » qui loin de faire un bilan pédagogique de la démarche et des
apprentissages plébiscite finalement le résultat final que constitue une « œuvre
définitive » présentée dans une « compétition » parfois orchestrée de façon très
sérieuse et protocolaire (2.3.4). Ces festivals témoignent d’un désir de « montrer »
les productions des élèves, souvent désireux d’une diffusion plus large de leurs
travaux, et d’assurer l’existence de ces « films » en dehors du cercle restreint de leur
évaluation par un jury d’examen.
Certains de ces « films de bac », une fois réalisés, évalués par l’Institution, ou
parfois en cours de réalisation, migrent vers Internet, sur des sites de partage vidéo
comme YouTube, Dailymotion ou sur des réseaux sociaux comme Facebook ou
MySpace. Dans les limites de cette partie de thèse, je m’en tiendrai aux films
diffusés sur le site de partages le plus connu qu’est YouTube. On peut en effet se
demander pourquoi les élèves éprouvent le besoin de poster leur film sur le net et
ce que deviennent ces films ainsi « délocalisés » puis « relocalisés ». Il m’apparaît
important de m’arrêter sur cette nouvelle tendance, car elle me semble porteuse de
présupposés intéressants à étudier dans le cadre du volant « pratique » de
l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel dans l’enseignement artistique de
Terminale L.
Cette « migration » sur Internet relève avant tout d’un désir de garantir au film
effectué dans le cadre scolaire une plus grande diffusion. Ce désir de diffusion est
une caractéristique de la pratique amateur depuis l’explosion du web 2.0,
l’internaute étant devenu aussi un « producteur » de contenu qui partage sa
démarche de création. Un site comme Flickr et encore plus massivement YouTube
sont les exemples emblématiques de ce désir commun et communautaire : créer et
- 523 -
partager, en tentant d’obtenir la plus large diffusion possible. Un fichier audiovisuel
mis en ligne sur Internet peut capitaliser un grand nombre de « vues », ce qui
encourage ce qu’Henri Jenkins appelle la « spreadibility » du contenu, c’est-à-dire en
français sa « répandabilité » ou sa « séminalité ». Je reprendrai ici la définition de H.
Jenkins :
« La “spreadability” renvoie à la capacité du public à s’engager activement
dans la circulation du contenu des médias par le biais des réseaux sociaux et
dans le processus d’élargissement de sa valeur économique et culturelle. »840
Pour des élèves, poster son film sur YouTube permet en effet de le partager à
grande échelle, d’échanger autour de lui avec une communauté virtuellement très
large, de dépasser, finalement, le cercle très (trop) étroit du lycée : les sites de
partage assurent donc à une production scolaire la possibilité de devenir un
« Spreadable media ». Que le film soit diffusé à plus large échelle, qu’il poursuive sa
vie en dehors de la classe semble un désir légitime qui a très vite été entériné par
l’Institution scolaire elle-même.
En dehors des festivals que j’ai déjà évoqués, de nombreux établissements assurant
les enseignements CAV s’arrangent avec le cinéma partenaire pour diffuser ces
films en fin d’année ou lors d’occasions spéciales. Il convient également, dans ce
domaine, d’évoquer l’ouverture depuis septembre 2010, par le biais du SCERENCNDP841, de la plateforme « Cinélycée »842 qui a très récemment prévu un espace
officiel et institutionnalisé de diffusion et de stockage des films des lycéens. Mais
cette plateforme est encore peu connue et, à ce jour, elle n’est pas utilisée pour la
diffusion de films d’élèves, même si un espace du site y est consacré.
Quant aux sites de partage vidéo aussi populaires que YouTube, ils sont considérés
comme appartenant à la sphère du divertissement, ce qui limite le caractère officiel
840
Blog de Henry Jenkins, post du 12 décembre 2009,
http://henryjenkins.org/2009/12/the_revenge_of_the_origon, consulter le 2 septembre 2010.
« Spreadability refered to the capacity of the public to engage actively in the circulation of media content
through social networks and in the process expand its economic value and cultural worth. »
841
Centre National de Documentation Pédagogique, à la tête du réseau SCÉRÉN (Service Culture Édition
Ressources pour l’Éducation nationale).
842
http://www.cinelycee.fr/
- 524 -
que pourrait avoir ce nouvel espace de diffusion pour les films du baccalauréat.
Comme le dit H. Jenkins :
« Les systèmes scolaires ont souvent peur de tout ce qui ressemble à un jeu
au point qu’ils se tiennent à l’écart de nombreux outils puissants qui simulent
les processus du monde réel, les accusant d’encourager un engagement avec
l’histoire accusé d’être un faux-semblant, alors même qu’ils prétendent
favoriser la compréhension critique du monde. »843
En l’absence d’un site spécial regroupant de manière systématique les films, d’un
espace YouTube « labellisé » par l’Éducation nationale ou le ministère de la Culture,
les élèves prennent le plus souvent eux-mêmes l’initiative de poster leur « film du
bac » sur un site de partage via un compte personnel, même si, marginalement, des
professeurs créent des comptes sur ces sites et encouragent les élèves à y poster
leur film.
Quoi qu’il en soit, le « film du bac », lorsqu’il entre dans les réseaux sociaux connus,
sort du domaine scolaire. En cela ces initiatives personnelles, justement en marge
de l’Institution, répondent à des enjeux différents. Remarquons cependant que
cette démarche est finalement relativement rare : 14 625 lycéens suivent les options
en 2008 selon les sources officielles844. Si l’on considère, en s’appuyant sur les
pratiques courantes, que les élèves sont rassemblés par groupe de quatre pour faire
un film, on peut estimer qu’environ 3 500 films sont produits par an. Or, en
remontant sur les deux dernières années, je n’ai trouvé sur YouTube et
Dailymotion qu’une centaine de « films de bac » désignés comme tels. On peut
donc estimer, avec la marge d’erreur due aux différentes labellisations données aux
films qui empêchent parfois de les comptabiliser de manière certaine comme
« films scolaires », que proportionnellement peu de films de CAV migrent à l’heure
actuelle sur ces sites. En tout état de cause, une fois le film posté dans un espace de
843
Blog de H. Jenkins, http://henryjenkins.org, Post du 13 octobre 2008, consulté le 2 septembre 2010,
« The schools are often frightened of anything that looks like a game to the point that they lock out many
powerful tools which simulate real world processes, encourage a ‘what if’ engagement with history, or
otherwise foster critical understanding of the world. »
844
On trouve ce chiffre sur le site du ministère de l’Éducation nationale :
http://www.education.gouv.fr/cid21297/festival-de-cannes-2008-prix-de-l-education-nationale.html#leschiffres, consulté le 22 août 2011.
- 525 -
partage, il est modifié par le fait même qu’il devient un produit « spreadable ». Une
des premières manifestations de cette relocalisation est qu’elle soulève des
questions juridiques qui, dans la sphère étroite de la diffusion au petit cercle d’une
classe ou dans une salle d’examen, se posaient moins.
Si aujourd’hui la possibilité de « faire du cinéma » s’est largement démocratisée, les
sites de partage se heurtent à des problèmes légaux, comme l’Éducation nationale
et ses partenaires d’ailleurs. Alors que l’on peut considérer que ces « films de bac »
appartiennent aux élèves en vertu du droit d’auteur, l’utilisation d’une musique,
d’une image ou d’une personne dans le champ risque de tomber sous le coup de la
loi. Ces films semblent d’ailleurs globalement se nicher dans un vide juridique :
comment savoir par exemple qui en est considéré comme le producteur ? Les
moyens de l’Éducation nationale, du ministère de la Culture, ont été sollicités, mais
les élèves ont parfois également engagé des frais ou moyens personnels pour faire
aboutir le projet. De nombreuses questions se posent : au sein d’un groupe de
« réalisateurs », qui est considéré comme « ayant droit » ? En tant qu’ils sont des
« sujets d’examen » ces films ont-ils un statut juridique spécial ? Jusqu’à quand sontils considérés comme tels ? Un sujet d’examen doit, entre autres, être tenu secret
jusqu’à l’épreuve : cette consigne s’applique-t-elle ici ? Il faudrait sans doute une
armée de juristes pour résoudre ces questions qui sont liées aux bouleversements
récents des modalités de diffusion de ces films dans la sphère Internet et sur
lesquelles, pour l’instant, personne ne se penche vraiment. Certains professeurs
donnent quelques consignes, les sites d’hébergement peuvent faire leur propre
police (interdire la diffusion de la bande-son par exemple si elle est soumise à des
droits), mais ce sont les seules limitations juridiques actuelles.
Le film échappe donc à l’Institution qui a permis sa fabrication. Il se
décontextualise peu ou prou même si très souvent les élèves indiquent que le film a
été « fait en CAV », ou est un « film présenté au bac ». Ces indications apparaissent
par souci d’authenticité sans doute, mais aussi parce que ces films sont rarement
des productions individuelles et que la pression du groupe encourage à dire la vérité
- 526 -
pour éviter une appropriation trop personnelle. Pourtant, d’appropriation, il en est
bien question : poster son film sur YouTube revient à affirmer qu’il nous
appartient, qu’il est plus « à nous » qu’au système scolaire, ce qui explique aussi sans
doute le peu de succès, pour le moment, des plateformes de partage plus
institutionnalisées comme celle de « Cinélycée ».
Si le film se délocalise et se relocalise spontanément, c’est aussi parce qu’il est un
produit collectif qui s’adresse à une communauté identifiée : la communauté de
ceux qui l’on fait, ou plus largement des « élèves qui suivent l’enseignement ». Un
élève n’aurait sans doute pas l’idée de publier sur son « mur » Facebook sa copie de
philosophie, mais le film, par sa nature même, se prête beaucoup plus à cette
migration, d’autant qu’elle est « dans l’air du temps », comme l’indique le
« broadcast yourself » de YouTube. Le film a beau être un objet évalué et fabriqué
dans le cadre de l’Éducation nationale, il a une forme commune avec des
productions qui existent massivement en dehors de l’École : il peut donc échapper
à cet étiquetage trop spécifique et reconnaissable du « travail scolaire ».
Par cette relocalisation, il échappe aussi au circuit trop étroit de sa diffusion dans le
cadre d’un examen et de l’évaluation par un petit jury de « spécialistes ». Une fois le
film posté, certains élèves/internautes sollicitent l’opinion des autres, estimant sans
doute qu’Internet est aussi un biais d’évaluation de la qualité du film, en dehors de
la « note » obtenue au baccalauréat. C’est l’idée qu’une appréciation « collective » a
plus de valeur que l’évaluation scolaire : ces pratiques de partage via Internet ont
pour but d’attirer la reconnaissance, d’acquérir éventuellement une réputation
personnelle de « Filmmaker »845 , au mieux de faire un « buzz ». Le film change donc
profondément d’enjeux : il ne s’agit plus de « faire des points au bac » ni de « plaire
au jury », mais de trouver un public et de s’inscrire dans le flux des productions
audiovisuelles du moment. Sur YouTube, l’image est au même format et sur le
même support qu’une myriade de films professionnels très célèbres, c’est donc très
845
C’est un statut payant sur Dailymotion par exemple, réservé aux « amateurs éclairés » ou aux
professionnels.
- 527 -
valorisant d’y poster « son » film. L’ambition de promouvoir le film et ses auteurs
est très forte, la valorisation par l’École n’étant pas totalement suffisante – ou pas
entièrement satisfaisante – pour certains lycéens d’aujourd’hui. YouTube peut
même parfois apparaître comme une forme de « contre-pouvoir » par rapport à
l’évaluation institutionnelle, ou même agir comme le lieu de la réparation d’une
injustice ressentie quand la note n’est pas aussi bonne qu’on l’espérait846.
Ce geste peut donc aussi s’interpréter comme un signe des temps. Là où les
cinéphiles d’hier découvraient le cinéma en salle, au sein d’un ciné-club, les élèves
qui suivent aujourd’hui l’enseignement CAV ont découvert le cinéma, parfois, via
YouTube et la fréquentation d’Internet. Dans la conception de certains jeunes,
poster son propre film est un geste presque « naturel » : le cinéma, c’est au moins
autant sur la toile que dans les salles obscures. Poster son film sur Internet, fût-il un
film amateur imparfait847, c’est au moins aussi valorisant qu’avoir une bonne note au
baccalauréat, c’est même parfois un but en soi. La migration des films peut donc se
comprendre comme un symptôme du fait que certains élèves se sentent appartenir
à cette culture de l’audiovisuel en rapport avec les sites de partage et les réseaux
sociaux du Web, en dehors du discours légitimant de l’École. Pour H. Jenkins :
« À l’ère de YouTube, les réseaux sociaux apparaissent comme l’une des
compétences sociales importantes et des compétences culturelles que les
jeunes doivent acquérir s’ils veulent devenir des participants significatifs de la
culture autour d’eux. »848
846
Exemple d’échange autour d’une vidéo postée sur Youtube intitulée : « Mon film de bac ! » :
« De : seabiskit22 | Créé le : 28 sept. 2006
voila le film que j’ai présenté au bac.J’ai eu 11 je suis assez contente vu que cétait en option lourde.dites
moi ce que vous en pensez »
« 11 ? ça meritait moins lol
acide2411 il y a 1 an »
« t’aurais du avoir plus que 11
babyaboard il y a 3 ans »
Fichier consultable sur : http://www.youtube.com/watch?v=omj4LIFjonY&feature=related, consulté le 4
septembre 2010.
847
Ce qu’assument d’ailleurs volontiers certains élèves/internautes : cf commentaire de sandrine24470 sur
YouTube : « le fond est bien, la forme...peut mieux faire lol mais bon, le film de bac est rarement parfait !!
je sais de quoi je parle ^^ bye ».
848
Blog de Henry Jenkins, http://henryjenkins.org, post du 28 May 2005, consulté le 2 septembre 2010.
« In the age of YouTube, social networking emerges as one of the important social skill and cultural
competencies that young people need to acquire if they are going to become meaningful participants in
- 528 -
Ces films scolaires relocalisés sur Internet semblent ainsi être le point de jonction
entre la culture scolaire et la culture des jeunes et manifestent une interaction entre
ces deux cultures. On remarque ainsi que certains de ces films scolaires s’inspirent
d’autres œuvres audiovisuelles, de manière plus ou moins assumée. Ce peut être
l’exercice scolaire lui-même qui le leur prescrit : c’est le cas des films faits « à la
manière de » dans le cadre d’un cours, pour lesquels la consigne est précisément de
reproduire des éléments de tournage ou de mise en scène repérer dans des films au
programme du cours. Mais on trouve aussi des éléments d’« appropriation » moins
labellisés par l’Institution et parfois moins conscientisés qui témoignent finalement
d’emprunts à la culture cinéphilique comme à la culture populaire. Je me
contenterai de quelques exemples qui paraissent significatifs, car la palette de
production est très large. On trouve des films d’animation en pâte à modeler
proches de Wallace et Gromit comme « le film qui s’appelle pas »849, ou avec des
Playmobiles© animés image par image850 dans une atmosphère très « cartoon », où
l’utilisation de filtres de couleurs sur des images arrêtées donnent un effet « pop
art ». Le film « Fin de partie »851, « court-métrage réalisé par les élèves de Terminale
L section Cinéma-Audio-Visuel du Lycée Privé Saint Stanislas à Nîmes dans le
cadre du Bac 2008 », témoigne de l’influence des « jeux vidéos ». On y voit un
montage d’images de jeux vidéos et d’images réelles, le point de vue adopté étant
celui d’une caméra subjective « embarquée » dans le viseur d’une arme selon ce
principe particulier des jeux de guerre sur consoles. Certains films de CAV se
proclament même « expérimentaux ». Je prendrais ici l’exemple de « Empty »,
désigné comme un « Film Expérimental de fin d’année du groupe 2 de la 1°L CAV
spé 2008 du Lycée Sacré-Cœur d’Aix en Provence. »852. Ce film non narratif repose
sur des raccords essentiellement plastiques. Il utilise le « Found Footage », des
images vidéo en noir et blanc ralenties ou accélérées selon l’effet « Time Lapse», la
the culture around them. »
849
http://www.youtube.com/watch?v=_8xFEtSmxyw&feature=related, consulté le 17 septembre 2010.
850
http://www.youtube.com/watch?v=VCQiTvv62E4&feature=related, consulté le 17 septembre 2010.
851
http://www.youtube.com/watch?v=nrQcHXLqaOA, consulté le 15 septembre 2010.
852
http://www.youtube.com/watch?v=jWTKfcoKzas , consulté le 15 septembre 2010.
- 529 -
répétition entêtante de plans identiques éventuellement accélérés, montés de plus
en plus vite. Plus qu’une « expérimentation », ce film met surtout en oeuvre un
« effet clip ». Cet « effet clip », que l’on peut retrouver dans plusieurs « films de
bac » postés en ligne, s’appuie comme l’a théorisé Laurent Jullier sur une rupture
dans la narration :
« Lorsque la musique impose sa durée à la scène ou son rythme au montage;
lorsque la voix évoque des objets que la bande-image matérialise aussitôt en
deux dimensions; lorsque les bruits qui prennent part au naturalisme de la
scène visuelle disparaissent au profit d’autres sons, il est légitime de parler
d’effet-clip. Au cinéma, les séquences-clips sont plus ou moins bien intégrées
dans le récit : il y a des pauses qui suspendent le cours de l’intrigue (les bains
de soleil du Lauréat, probablement les premières séquences-clips du cinéma
américain grand public), des morceaux de bravoure progressivement
déréalisés par une musique qui finit par tout envahir (première bataille de
Gladiator)... etc. » 853
L’ « effet clip » permet également, dans le cadre du film scolaire, de pallier les
problèmes des dialogues (difficiles à écrire, à enregistrer et à jouer) en travaillant la
narration seulement par des images soutenues par une musique. Quelques films
scolaires utilisent des musiques connues du moment, des grands tubes de la pop ou
de la chanson française et se revendiquent parfois comme des clips à part entière,
comme ce film fait en 2007 par un élève de Première sur la chanson de Keny
Arcana « la mère des enfants perdus »854, présenté ainsi sur YouTube par son
auteur : « Voilà en exclu le clip que j’ai fais pour l’audiovisuel vous en pensez
koi? »855. Cet « effet clip » peut se mâtiner de références plus cinéphiliques, comme
dans ce film « bad deal » « film de bac 2010 »856 et qui rappellent les films de
Tarantino : Reservoir dogs pour le choix du noir et blanc, les plans de caméra au
niveau des pieds, Pulp Fiction pour le personnage en peignoir portant des lunettes
noires dans un lieu sans lumière. D’ailleurs, un internaute commente :
« Ho le mini plagia de Pulp Fiction ! ^^ Non mais c’est sympas un poil plus
853
JULLIER Laurent, MARIE Michel, Lire les images de cinéma, Paris : Larousse, 2009, p. 45.
http://www.youtube.com/watch?v=JrXZhYv9fR4&feature=related , consulté le 15 septembre 2010.
855
http://www.youtube.com/watch?v=JrXZhYv9fR4&feature=related, consulté le 17 septembre 2010.
856
http://www.youtube.com/watch?v=djx1_N_i_pI, consulté le 17 septembre 2010.
854
- 530 -
de conviction dans les jeux d’acteurs, mais sinon ça gére ! ».
Ce qui est intéressant, c’est que ce film réécrit la scène de torture sur le mode
comique de la parodie, exagérant à dessein les différentes façons de « faire mal » à
grand renfort de bruitages « gore ». Les « effets clip » interrompent les scènes de
violence en jouant la dérision : la victime torturée commande finalement
tranquillement une pizza… Le générique de ce film se présente comme un making
of, dans lequel le nom des acteurs apparaît sur un plan arrêté, choix que l’on peut
retrouver dans des films mainstream récents comme Burn after reading des frères
Coen. L’idée même de faire un making of ou de publier le film avec son teaser relève
d’une prolifération des paratextes dont Jonathan Gray souligne qu’ils sont aussi une
des caractéristiques du Web 2.0857. Cette remarque permet aussi d’expliquer le
mauvais jeu d’acteur des élèves qui finalement pêche par ce que l’on pourrait
appeler l’« utopie de mimétisme ». J’appelle ainsi l’idée qui porte à croire que l’on
joue comme les acteurs que l’on aime (les acteurs de série TV entre autres)… sans y
arriver, car ce jeu demande une technique que l’on n’a pas apprise, ni mesurée :
c’est la limite du corps comme objet spectaculaire et comme moyen d’expression
publique. Si les élèves cherchent sans doute à imiter certaines références, c’est plus
leur « ancrage dans une réalité sociale » qui se manifeste que leur « corps
artistique »858. Leurs films peuvent d’ailleurs être lus comme de vrais témoignages
sociologiques sur leurs valeurs, leurs désirs et même leur habitat, leur mode
vestimentaire, etc..
La relocalisation joue donc dans les deux sens : YouTube change le statut du film
du bac, mais le film du bac, parce qu’il s’insère dans la « culture 2.0 » en absorbe
aussi certaines caractéristiques. On retrouve ainsi les caractéristiques de la
postmodernité dans son rapport avec l’ère numérique que L. Jullier définit ainsi :
« La seconde stratégie postmoderne est, on l’a dit plus haut, la multiplication
857
GRAY Jonathan, Show sold separately, promo, spoilers and other Media Paratexts, New York : New York
University press, 2010.
858
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 309.
- 531 -
des clins d’œil et des allusions « smart ». Plus nombreux sont aujourd’hui les
films qui font référence à d’autres films, ou à d’autres objets culturels – une
pratique de renvoi qui existait déjà jadis, certes, mais qui se trouvait confinée
à certains genres, comme la parodie. Le lien de parenté entre cet essor et le
codage numérique, ici, est à chercher du côté des pratiques de réception.
C’est la multiplication des occasions de voir des films (…) qui a favorisé chez
de nombreuses personnes
la
formation
d’une compétence
cinématographique (sinon d’une capacité à l’expertise cinéphilique)
supérieure à celle des premières générations (…) Et c’est aussi le
développement d’Internet qui a rendu plus facile le repérage des clins d’œil à
l’intérieur d’un film, soit par le biais des forums de discussion (…) soit par le
biais des sites, individuels ou collectifs. »859
Cette appropriation des produits de la culture est aussi une façon pour les élèves, à
l’ère du Web 2.0, de construire leur propre identité. Le film scolaire permet de
véhiculer une certaine image de soi, dans laquelle des références culturelles
hétéroclites cohabitent et se mettent en réseau. Or cette attitude s’adapte très bien à
la culture du Web 2.0 : c’est ce que Laurence Allard appelle « le passage de la
culture comme bien à la culture comme lien »860. Si le caractère collectif de ces
productions et parfois les contraintes de l’exercice scolaire peuvent nuancer un peu
ce postulat, il y a fort à parier que les élèves qui choisissent de diffuser leur film sur
un site de partage sont justement ceux qui s’y reconnaissent, au moins en partie.
Cependant, il faut avouer que dans ce registre, la plupart des films scolaires sont
moins audacieux que certaines productions postées sur YouTube qui revendiquent
le remix, l’hommage, le détournement ou la parodie. Malgré ces contaminations
culturelles, le « film de bac » n’a donc peut-être pas tout à fait à sa place sur
YouTube. Pourquoi la diffusion des films scolaires reste-t-elle faible (entre une
dizaine et quelques centaines de vues) alors que certaines vidéos d’amateur font des
buzz chaque jour sur YouTube ? Selon les théoriciens de la « spreadability », un film
ne se diffuse largement que s’il parvient à être réinvesti par une communauté qui
859
JULLIER Laurent, « Postmoderne et numérique, un mariage de raison », publié en italien :« Digitale e
postmodernità : l’era dei flussi » Close Up. Storie della visione, vol. XII n° 24-25: "Dal post-moderno al postcinema", Turin : Kaplan, mars-juin 2009, p. 10.
860
ALLARD Laurence, « Émergence des cultures expressives, d’Internet au mobile », Médiamorphoses n° 21
« 2.0 ? Culture Numérique, Cultures Expressives », Paris : Armand Colin/INA, septembre 2007, p. 19-27.
- 532 -
voit en lui un vecteur possible de reconnaissance et de communication. C’est ce
que H. Jenkins appelle la « Transmedia culture »861 et ce qu’Aram Sinnreich nomme la
« Configurable culture »862. Or le film scolaire n’est précisément pas un film
« transmédial » ou « reconfiguré ». C’est peut-être ce qui explique la relative rareté
des films scolaires sur Internet et le fait que les films que j’ai pu trouver ne se
distinguent généralement pas par le nombre de « vues » qu’ils ont occasionné. En
effet, comme l’explique H. Jenkins, la « spreadibility » est en grande partie provoquée
par la possibilité, pour les spectateurs, d’interagir avec un produit audiovisuel dont
les sens sont ouverts, pluriels, éventuellement à construire :
« YouTube voit les contenus comme quelque chose qui peut être utilisé, pas
comme une chose destinée à être simplement stockée. YouTube provoque
des réponses. En effet, le contenu le plus précieux sur YouTube est le
contenu qui inspire d’autres utilisateurs en retour, autorise le recadrage et la
réutilisation des matériaux, qui peuvent se diffuser sous de nombreux angles
différents. » 863
Or le film présenté au baccalauréat est au contraire un produit qui se veut achevé,
dont les différentes étapes de fabrication et d’écriture ont été suffisamment
réfléchies et conscientisées pour être justifiables dans le cadre d’un examen qui
évaluera justement le degré de « réussite » d’« une réalisation courte, mais aboutie et
assumée », comme le stipule les textes officiels eux-mêmes :
« La pratique artistique :
861
Définition de H. Jenkins : « Transmedia storytelling represents a process where integral elements of a
fiction get dispersed systematically across multiple delivery channels for the purpose of creating a unified
and coordinated entertainment experience. Ideally, each medium makes its own unique contribution to the
unfolding of the story. » Blog de Jenkins, http://henryjenkins.org Post du 22 mars 2007, consulté le 17
septembre 2010. « L’écriture “transmédiale” renvoie à un processus où les éléments d’une fiction se
dispersent systématiquement sur plusieurs canaux dans le but de créer une expérience de divertissement
unique et coordonnée. Idéalement, chaque média apporte sa contribution propre au déroulement de
l’histoire. »
862
« Unprecedented power to capture, archive, share, and above all, edit and re-edit many of the elements
of human expression », blog de H. Jenkins, http://henryjenkins.org, post du 3 septembre 2010, consulté
le 17 septembre 2010 : « Une puissance sans précédent pour capturer, archiver, partager, et surtout,
modifier et ré-éditer de nombreux éléments de l’expression humaine ».
863
Blog de Henry JENKINS, http://henryjenkins.org, Post du 13 octobre 2008, consulté le 7 septembre
2010 : « YouTube sees information as something that can be used, not something that is simply stored.
YouTube provokes responses. Indeed, the most valuable content on YouTube is content which inspires
other users to talk back, reframing and repurposing materials, coming at them from many different
angles. »
- 533 -
À partir des acquis des années antérieures, l’élève prend conscience à travers
sa pratique du processus global de l’écriture filmique. (…) Ce travail mène à
une réalisation courte, mais aboutie et assumée mettant en œuvre une
démarche globale. »864
Le produit audiovisuel issu de telles consignes est donc prédisposé à se présenter
comme une réalité immanente, sans interaction proposée avec la sphère de la
réception. Cette logique est pourtant en contradiction avec la « Transmedia culture »
de YouTube. La réalisation scolaire prétend être maîtrisée, son intention explicitée,
sa forme close sur elle-même, ce qui explique aussi que les films de CAV sont
beaucoup trop longs par rapport au format général des vidéos disponibles sur
YouTube. Est-ce à dire finalement que le « film de bac » qui atterrit sur Internet est
tout simplement mal relocalisé ? Il semble en effet que cette relocalisation soit
essentiellement inefficace, si l’on considère que la « Spreadabelity » des films reste
faible. Pour autant, on continuera à trouver des « films de CAV » sur Internet, et
sans doute de plus en plus, et les raisons sont peut-être à chercher du côté de la
sémio-pragmatique.
Car on peut se demander quel est le public potentiel de ces films postés sur un site
de partage. S’il est question d’inscrire le film dans une communauté, c’est tout
d’abord la communauté de ceux qui ont participé à sa fabrication. On rejoint là une
perspective sémio-pragmatique théorisée par R. Odin dans son étude des publics.
Presque comme pour un film de famille, le partage sur un site est un moyen pour
l’équipe du film de se retrouver, de se remémorer les bons souvenirs du tournage.
En témoignent les « commentaires » postés autour de la vidéo, qui reviennent sur
des anecdotes, des « bons souvenirs », des « fou rires ». Ce mode de lecture du film
correspond à ce que R. Odin nomme le « mode privé » qu’il définit ainsi :
« Voir un film en faisant retour sur son vécu et/ou sur celui du groupe
auquel on appartient. (…) On revit ensemble ces moments intenses de
participation collective. »865
864
BO Hors série n° 4 du 30 août 2001, classe de Terminale, version papier, op. cit., p. 32, le texte n’a pas
été modifié dans la version de 2010.
865
ODIN Roger, « La question du public. Approche sémio-pragmatique », revue Persée
http://www.persee.fr, Réseaux, Année 2000, volume 18, n° 99 p. 49-72, url
- 534 -
Il n’est donc pas tant question de diffuser le film à plus grande échelle que de le
revoir « en famille », avec ses pairs, pour partager les bons souvenirs du tournage.
Et l’ironie du sort veut d’ailleurs que certains « bêtisiers » postés sur le Web fassent
plus de « vues » que le film. Ils sont plus drôles, plus ouverts à la polysémie, et
dépassent du coup largement la sphère privée à laquelle ils s’adressent. Un bon
exemple est ce film de bac intitulé « Doit faire ses preuves » dont le bêtisier866 a été
vu 42 768 fois (le 19 septembre 2010) et le teaser867 191 257 fois ! À chaque fois, les
posts semblaient pourtant ne s’adresser qu’aux « complices du tournage » comme
en témoigne la description du bêtisier :
« En souvenirs de nos souvenirs... À voir aussi le teaser du film ! Car après
tout... il ne reste que ça d’intéressant dans ce sois-disant film "Doit faire ses
preuves". Au moins, nous y avons pris du plaisir ! nous en avons eu des
fous-rires... Heureusement qu’il reste une ou deux scènes à peu près
réussies... Merci d’avoir été là (ils se reconnaitront) »
Là où s’exprime un encouragement à la lecture selon le mode « privé » théorisée par
R. Odin, ce sont finalement ces films qui ont bénéficié du plus grand nombre de
« vues ». Preuve de la pluralité des lectures qui peuvent en être faites, le teaser
apparaît même, quelques années plus tard, pour certains internautes, comme un
fake sur le baccalauréat :
« Moi j’trouve ça très drôle, mais rassurez moi ... C’est pas la réalité, hein ? »
On retombe bien ici sur les raisons qui expliquent, selon H. Jenkins, le succès d’un
film sur YouTube : la réappropriation que chacun peut en faire. Le teaser, qui sort
le film de son contexte, et se donne à voir comme une production moins définitive,
apparaît ici plus « spreadable » que le film présenté au baccalauréat.
Le « film de bac » est donc un objet sous tension : à la fois tenté et marqué par la
« Transmedia culture » et pourtant contraint par ses coordonnées institutionnelles, il
se place sur YouTube comme dans une u-topie : un lieu qui condense les fantasmes
:http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_2000_num_18_99_2195,
consulté le 31 janvier 2010.
866
http://www.youtube.com/watch?v=6KvWsQY9xi8&feature=related, consulté le 19 septembre 2010.
867
http://www.youtube.com/watch?v=FWnnDS8xgQE&feature=channel, consulté le 19 septembre
2010.
- 535 -
d’une culture participative, mais qui est in fine un espace mal configuré pour lui.
Ainsi, YouTube n’est sans doute pas le bon « espace » pour les films scolaires. Ils
sont la plupart de temps des objets trop achevés pour se plier aux règles de
« remixages » ou de « réappropriations » du Web 2.0. Pour autant, les sites de
partage leur assurant parfois plus de visibilité que l’Institution scolaire, ces films
continueront sans doute d’être postés sur les réseaux sociaux où ils resteront
finalement inscrits dans un univers qui n’est pas le leur, mais qui leur permet, même
s’ils ne sont pas vus par d’autres que ceux qui les ont faits, de rester au moins des
points d’ancrage mémoriels, la trace d’une première expérience de cinéma enkystée
ensuite dans une expérience du réseau. C’est finalement aussi dans cet acte de
« mise en réseau » du film que se manifeste un certain positionnement personnel de
l’élève qui revendique ainsi une création ou en tout cas, une créativité.
5.2.6 Créativité et création
J’ai vu dans la première partie de cette thèse que les politiques culturelles visaient
aussi à l’épanouissement personnel des élèves (1.1 et 1.2.). La production
audiovisuelle, perçue comme une « production artistique » serait ainsi justifiée par le
désir de permettre un épanouissement de soi dans le cadre scolaire. Pascale
Lismonde, auteur du livre Les Arts à l’École que j’ai déjà citée dans la première
partie, demande ainsi à Jack Lang, en introduction de son ouvrage :
« Comment avez-vous découvert que la pratique des disciplines artistiques
pouvait contribuer à former la personnalité sur un plan plus général ? »868
Cette « découverte » peut être considérée comme un paradigme que l’on retrouve
souvent dans l’idée que faire un court métrage permet aux élèves de s’exprimer, de
laisser libre cours à leur créativité. Ce discours justifie aussi le fait que des
professeurs revendiquent d’intervenir peu dans les productions des élèves.
868
LISMONDE Pascale, Les arts à l’école, le Plan de Jack Lang et Catherine Tasca, op. cit., préface : entretien
avec Jack Lang, p. VII.
- 536 -
Ce paradigme a été interrogé par Charles Taylor dans Le Malaise de la modernité à
travers ce qu’il appelle « l’expressionnisme » de l’idée d’individu dans l’époque
actuelle :
« Cela suggère aussitôt une analogie étroite, un lien même, entre la
découverte de soi et la création artistique. (…) La création artistique devient
le paradigme de la définition de soi. »869
Pour C. Taylor, l’art est désormais compris en termes de création, ce qui est une
conséquence directe de l’émergence, au XVIIIe siècle, du concept d’esthétique « qui
implique la substitution au concept d’imitation de celui de créativité »870. Nous
avons vu dans les parties précédentes combien la vision immanentiste et textualiste
du cinéma était dominante dans les représentations. Si l’on suit l’hypothèse de C.
Taylor, cette conception explique sans doute que la « pratique » soit considérée
comme si fondamentale dans l’enseignement du cinéma : l’œuvre est une fin en soi,
fruit d’une vision toute personnelle du monde, « une subjectivisation qui touche la
matière » qui « se réduit à l’expression exclusive du moi »871. Dans cette perspective,
créer devient le gage d’un accomplissement de son authenticité. Mais pour C.
Taylor, le risque est l’enfermement dans l’idée qu’« il n’existe rien au-delà de moi »,
renforçant ainsi l’individualisme de ce qu’il appelle « la modernité ». Qu’il me soit
permis ici de faire un constat : l’individualisme croissant des élèves et de leur
rapport à l’École est un phénomène vérifié, je l’ai abordé dans ma deuxième partie
(2.4.5). Encourager les élèves à faire des films dans le cadre des enseignements au
nom d’un discours d’épanouissement de soi pourrait tomber dans cet écueil. Si le
reproche s’exprime parfois que certains élèves se prennent « pour des petits
Godard », si certains (et j’en ai vu) se présentent aux entretiens de recrutement du
BTS audiovisuel en affirmant qu’ils veulent « devenir réalisateurs » sans être
conscients du tout des réalités du métier, c’est sans doute que le culte de la
subjectivité entretenue dans le cadre des enseignements prend parfois le risque de
869
TAYLOR Charles, Le Malaise de la modernité, traduction de Charlotte Melançon, Paris : Édition du cerf,
coll. « Humanités », 2008, p. 69.
870
Ibid., p. 71.
871
Ibid., p. 94.
- 537 -
tomber précisément dans l’individualisme que le dispositif des arts à l’École et le
paradigme de l’art citoyen semblaient pourtant condamner. Pour C. Taylor en effet,
ces encouragements à l’épanouissement du « moi », « en rejetant toute exploration
au-delà du moi », « nous privent du coup d’une de nos principales ressources dans
la lutte contre les formes plates et futiles de la culture moderne. »872
Cette hypothèse corrobore le statut particulier accordé au documentaire dans le
cadre des « films de bac ». On aurait pu imaginer que mettre en acte la « pratique »
cinématographique comme façon d’encourager une certaine éducation à la
citoyenneté, développer l’esprit d’équipe et l’ouverture sur le monde et l’expression
personnelle des élèves amènerait à privilégier le genre documentaire. Pourtant ce
genre semble pâtir de présupposés particuliers, qui le rendent finalement
minoritaire dans les productions de « film du bac » en Terminale. Il paraît étonnant
en effet que le documentaire représente une si faible proportion des films présentés
au baccalauréat, ce que m’ont confirmé pourtant toutes mes constatations de
terrain. Le documentaire est certes privilégié en Première, en liaison avec les
programmes officiels, mais le film évalué pour le baccalauréat est rarement inscrit
dans ce genre alors même qu’il est cité comme une possibilité dans les textes
officiels873. Comment peut-on interpréter ce constat ? D’un point de vue
pédagogique, certains professeurs estiment peut-être que l’exercice ayant été
effectué en Première, il n’a pas à être répété en Terminale. Du point de vue des
paradigmes, il semble que, pour les élèves comme peut-être pour les professeurs,
faire un film signifie d’abord « faire un film de fiction », sans doute en vertu de
l’idée plus ou moins conscientisée selon laquelle l’élaboration d’un monde
diégétique est l’acte de création cinématographique par excellence. Se niche ici sans
doute un malentendu sur l’idée de création qui semble valoriser surtout la notion de
872
Ibid., p. 96.
« Cette réalisation peut mettre en œuvre des dispositifs divers d’images et de sons et aborder différents
genres : fiction, documentaire, animation, essai », BO Hors série n° 4 du 30 août 2001, classe de
Terminale, version papier, op. cit., p. 22, formule inchangée dans le Bulletin officiel spécial n°9 du 30
septembre 2010.
873
- 538 -
créativité et ne se satisfait donc pas du « réel déjà là » du film documentaire. Ainsi,
si l’orientation vers le documentaire n’est pas clairement donnée comme consigne,
ce n’est pas vers ce type de films que les élèves se dirigeront a priori. Ceci reflète
peut-être un phénomène plus global : la diffusion des films documentaires dans les
salles reste très minoritaire par rapport à la fiction ; si l’on développe une pratique
cinéphilique vers les salles, les films documentaires seront moins présents dans la
culture des élèves. Si l’on fait le pari d’un « mimétisme » de la transmission
culturelle ou artistique, les films au programme du baccalauréat étant très
majoritairement des films de fiction874, le « film du bac » produit par les élèves se
trouve implicitement défini comme étant un film de fiction, même si aucune
précision ne va dans ce sens dans les textes officiels concernant l’épreuve.
Pourtant, le documentaire pose sans doute des problèmes éthiques qui pourraient
véritablement entrer dans la « formation citoyenne » revendiquée par les textes
officiels. Il oblige en effet à se poser constamment la question du droit à l’image ou
à l’information, de l’image volée ou consentie, du rapport au Réel quand il est
médiatisé par la caméra, du risque pris à filmer les gens qui ne sont pas des acteurs.
Le paradigme de l’art comme résistance face au non-art, tous les discours sur la
manipulation des images médiatiques, sur la légitimité des pratiques télévisuelles
pourraient se trouver ici empiriquement vérifiés et donner l’occasion d’une
extension de la réflexion des élèves au-delà du formalisme. On pourrait entrer là sur
un véritable dialogue avec la télévision, sur de vraies questions de société et de vrais
dilemmes moraux. Ici encore, les paradigmes semblent entrer en conflit les uns
avec les autres et en contradiction avec les pratiques. La valorisation du « moi »
devient un piège potentiel de la pratique artistique qui sacralise pourtant les vertus
prophylactiques de la « création ». Est-ce le cas pour tous les enseignements
artistiques ? L’enseignement du cinéma est-il le seul à se prévaloir de cette
particularité ?
874
Seul L’Homme d’Aran au programme en 1995 et Sans soleil en 2004 font exception.
- 539 -
5.2.7 Évaluation d’une technique sans corps
On peut alors tenter une comparaison avec la mise en œuvre de la pratique dans les
autres enseignements artistiques. Pour l’enseignement artistique « cinéma et
audiovisuel », nous avons vu que les outils techniques mis à disposition pour les
tournages n’étaient pas forcément performants, que la technique était celle de
l’amateurisme. On peut penser que la production audiovisuelle type « film de bac »
est de moins bonne qualité que celle des enseignements artistiques qui demandent
moins d’outils, ou dont les outils sont moins soumis à la technique et aux dotations
financières. On retombe sur la question des moyens et de leur rapport avec les
ambitions affichées : là où le théâtre et la danse mobilisent pour outil essentiel le
corps de l’élève-candidat, la production audiovisuelle dépend de contraintes de
production (coût,
temps,
moyens),
de
contraintes
techniques (matériel,
maintenance), de contraintes humaines (trouver des comédiens)… On peut
imaginer que le coût en matériel audiovisuel pour assurer le fonctionnement d’un
enseignement CAV est plus important que quand il s’agit de musique, de théâtre ou
de danse.
Je proposerai donc ici une rapide comparaison avec l’enseignement de théâtre qui
est né dans les lycées en même temps que l’enseignement du cinéma et de
l’audiovisuel. Le théâtre relève davantage des techniques du corps et engage donc
un investissement direct de l’élève. Les candidats au baccalauréat doivent offrir un
véritable travail de jeu et de mise en scène au jury qui peut leur demander, au
moment de l’épreuve du baccalauréat, de « rejouer » leur scène avec d’autres
indications scéniques, et ce de manière improvisée. Dans ce cadre, l’élève est évalué
à titre individuel et collectif. Quelques évidences sont lourdes de conséquences
dans l’évaluation de la production artistique : en danse, musique, théâtre, la
production est jugée en direct, dans une co-présence de l’examinateur et du
candidat au moment de la production, ce qui n’est pas le cas pour le « film du bac »
où le candidat peut toujours se retrancher derrière des « excuses » plus ou moins
- 540 -
sincères puisque le travail est forcément jugé après coup. Dans l’enseignement
« cinéma et audiovisuel », j’ai constaté parfois le détachement de certains étudiants
par rapport à leur production audiovisuelle : « c’est un peu nul », « c’est pas ce que
je voulais faire », « mouais », « bof », ou l’absence de prétention artistique : « on s’est
bien amusé ». C’est peut-être parce que la médiation du groupe et de la machine les
éloigne de la responsabilité de la création par le corps et de ce qu’elle induit
d’orgueil, de responsabilisation individuelle, d’engagement plein et total, sans fard
et sans alibi. En effet, pour l’enseignement « théâtre », le jury vient pendant une
journée évaluer le spectacle monté qui est interprété pour l’occasion. Pour la
production audiovisuelle, il y a au contraire de multiples « excuses » pour vivre
l’expérience « en différé » : les machines et des performances techniques qu’elles
induisent permettent d’accuser les défauts techniques (« pas assez de lumière »), ou
de production (« du bruit dans la rue »), ou les problèmes liés au matériel. La
co-présence relève d’une des différences ontologiques entre le cinéma et le
spectacle vivant, mais dans le cadre scolaire elle induit aussi un autre rapport à la
production artistique et à son évaluation. Toutes ces raisons expliquent sans doute
que des élèves ne se sentent pas investis au même degré d’exigence pour leur
« réalisation audiovisuelle » que les candidats des autres enseignements artistiques
qui vont devoir répondre par leur corps et en direct aux exigences de l’examen.
Surtout, l’enseignement du cinéma ne bénéficie pas du modèle élitiste des
conservatoires ou de l’École des beaux-arts, le culte du « remettre cent fois le
métier sur l’ouvrage » qui prévaut pour la Musique ou les Arts plastiques. J’ai
souvent assisté à des tournages : même en BTS les prises sont rarement refaites
plus de deux ou trois fois, alors que j’ai assisté à des répétitions de théâtre où
l’intervenant faisait refaire jusqu’à quinze fois un mouvement, une entrée en scène,
un regard, une diction. Comme je le signalais précédemment, à l’épreuve du
baccalauréat, les candidats de l’enseignement « théâtre » doivent se soumettre à un
« retravail », c’est-à-dire une prestation individuelle qui consiste à refaire le morceau
joué devant le jury avec d’autres consignes de mise en scène. Si cette pratique est
- 541 -
exclue de l’évaluation des enseignements CAV, c’est très certainement à cause des
difficultés de mise en œuvre qu’elle occasionnerait, mais sans doute aussi parce que
la production audiovisuelle est considérée comme close sur elle-même une fois
achevée, alors que la représentation théâtrale est sans cesse susceptible de
modifications inhérentes au spectacle vivant et à la mise en scène sans cesse
renouvelée des textes. La conception de « l’œuvre » et de son « travail » est donc
bien au centre des différents engagements pédagogiques et des différents modes
d’évaluation des enseignements artistiques.
Cette comparaison avec les autres enseignements artistiques mériterait d’être
approfondie : gageons que chaque modalité d’évaluation de chaque enseignement
aurait quelque chose à apporter aux autres. L’enseignement du cinéma n’est pas
plus que d’autres enfermé dans des paradigmes discutables, mais certaines
caractéristiques de sa pratique et de sa théorisation ont sans doute contribué à en
faire un enseignement artistique à part.
Après avoir fait le tour du contexte paradigmatique des enseignements, de leur
ancrage sociologique, des théories qui les sous-tendent et des pratiques qu’ils
occasionnent, je voudrais proposer une conclusion qui « boucle la boucle » de ce
long travail en montrant comment les paradigmes définis au début de cette thèse
pourraient, s’ils étaient relus, amener à un tout autre enseignement du cinéma.
- 542 -
6 - EN GUISE DE CONCLUSION :
QUELQUES PROPOSITIONS
THÉORIQUES ET PRAXÉOLOGIQUES
- 543 -
Je me suis donc efforcée, tout au long de cette thèse, de dégager les paradigmes à
l’œuvre dans l’enseignement « cinéma et audiovisuel » en lycée. Je me suis penchée
pour cela :
- Sur les données politiques et institutionnelles, avec une rapide perspective
historique. J’y ai relevé les paradigmes suivants :
L’art pour tous ;
L’art citoyen ;
L’art éducateur ;
L’art comme résistance face au non-art ;
L’art prophylactique ;
L’art charismatique ;
L’œuvre immanente ;
L’œuvre à décrypter.
- Sur la formation initiale et continue des professeurs. Relativement réduite, elle
apparaît prédisposée à :
Reproduire les paradigmes déjà cités ;
Se dispenser « en interne » au sein d’un groupe restreint d’Institutions
partenaires des enseignements qui ne sauraient les remettre en question, ni
concrètement, ni théoriquement.
- Sur les Bulletins officiels qui délimitent les programmes. J’y ai relevé les paradigmes
suivants :
L’art permet la résistance face au non-art ;
L’œuvre est immanente ;
L’œuvre est à décrypter ;
Une vision hégélienne de l’histoire des arts orientée par la notion de progrès
qui repose sur une conception de l’œuvre « moderne » c’est-à-dire autoréflexive et
tournée vers la nouveauté ;
- 544 -
L’influence des Cahiers du cinéma comme instance de légitimation ayant
véhiculé une certaine définition dominante de la cinéphilie.
- Sur les théories et théoriciens sur lesquels les enseignements s’appuient. J’ai relevé
les paradigmes suivants :
L’œuvre est une forme à décrypter ;
La liaison fond/forme est un héritage d’une certaine vision du structuralisme
et de la sémiologie ;
L’œuvre est immanente : aucune utilisation des théories pragmatiques, des
Culturals studies ni des Gender studies ;
- Sur les analyses filmiques « modèles » sur lesquelles s’appuient les professeurs. J’y
ai relevé les paradigmes suivants :
L’œuvre est à décrypter,
L’œuvre est immanente.
L’influence de la théorie littéraire formaliste sur l’exercice d’analyse filmique
La récurrence de quelques stratégies routinières de production de sens
héritées de la critique qui se reproduisent à tous les stades de l’enseignement.
L’écrasante domination de l’approche formaliste qui accompagne un déni de
la réception.
- Sur des copies d’élèves qui reproduisent ces paradigmes.
- Sur la manière dont est mise en œuvre la pratique qui consiste à « faire des films »
et sur les productions audiovisuelles des élèves. J’y ai relevé les paradigmes
suivants :
Un amateurisme qui témoigne d’un « malaise de la modernité » ;
Un individualisme qui voit dans l’expression artistique le seul moyen d’un
« épanouissement » personnel, au détriment d’une vision véritablement exigeante de
- 545 -
l’art et de l’artiste.
Les paradigmes forment bien un « réseau » de présupposés qui se confortent
mutuellement, une grille de lecture de l’art et de la société qui s’applique d’un bout
à l’autre de la chaîne de transmission des savoirs, une façon d’envisager le cinéma
qui s’auto-légitime dans une forme efficace de reproduction d’une certaine culture
qui se donne comme une culture certaine. La vision immanente de l’œuvre d’art
domine absolument, dans tous les aspects de l’enseignement cinéma et audiovisuel
que j’ai abordé, et je pense avoir été exhaustive.
Or il s’avère que ces paradigmes dominants ne sont pas en cohérence avec ce que
signifie « aller au cinéma » et faire l’expérience du film en tant que spectateur dans
la vie quotidienne ; ni avec ce qu’est devenu le cinéma et l’évolution les pratiques
spectatorielles dans le cadre de la cinéphilie « postmoderne » et des nouvelles
technologies.
Pour cette raison, je voudrais que la conclusion de cette thèse propose aussi
quelques perspectives d’ouverture et d’adaptation.
6.1
Sur les paradigmes théoriques : d’autres approches sont
possibles
6.1.1 Éloge
du
confort
ou
les
vertus
pédagogiques du plaisir
Gageons que l’idéal d’un enseignement du cinéma pourrait être de faire tenir
ensemble le cinéma et les hommes, et pourrait être le lieu justement d’une
réconciliation théorique entre immanentiste et pragmatisme. L’anthropologie du
spectacle me semble ouvrir ici une perspective que les études cinématographiques
en lycée mériteraient d’explorer davantage.
- 546 -
Car s’il y a un moyen de réconcilier la sociologie de la reproduction et l’expérience
scolaire, c’est sans doute dans une perspective anthropologique. Les élèves
s’avèrent très sensibles aux bonnes conditions de leur plaisir spectatoriel, ce qui
confirme la théorie anthropologique de J.-M. Leveratto selon qui l’implication
corporelle du spectateur se manifeste par une recherche du confort physique, du
confort intellectuel et du confort moral. Il y a là un véritable paradoxe par rapport
aux paradigmes délimités dans ma première partie. Comme je l’ai vu, les
paradigmes sont les suivants : l’art citoyen, l’art éducateur, l’art comme résistance
face au non-art, l’art prophylactique et l’art charismatique. Or si l’art doit avoir un
véritable impact sur la formation des citoyens, sur l’identité des individus, sur leur
implication
dans
le
tissu
social,
comment
se
passer
d’une
réflexion
anthropologique ? La réflexion de l’ « anthropologie du spectacle » de J.-M.
Leveratto que j’ai souvent cité tout au long de cette thèse aurait pourtant tout à fait
sa place dans ces paradigmes :
« Le spectateur, en s’investissant émotionnellement dans le spectacle, y
trouve ainsi l’occasion d’éprouver sa propre humanité à travers la
compréhension de la conduite d’autrui. Et cette expérience sera d’autant plus
forte que le spectacle sera l’occasion de ressentir la complexité réelle de cette
conduite. »875
Pour autant, et c’est un paradoxe, si chacun des « enseignants de cinéma » en lycée
est persuadé des bienfaits de l’art cinématographique, j’ai vu que l’analyse, le choix,
la présentation des œuvres ne s’appuient pas ou peu sur cette question de la
réception et sur la façon dont elle peut influencer l’existence intime du spectateur :
« La focalisation des études sur la signification plastique de l’œuvre d’art a
favorisé la neutralisation de l’ancrage biologique et social du plaisir artistique
que rappelle brutalement, au théâtre et au cinéma, l’obligation d’ajuster les
qualités “innées” de la personne et les qualités “innées” du personnage. »876
Comment peut-on à la fois être persuadé que l’art peut changer la société et à la
fois, dans le cadre scolaire, s’en tenir globalement à l’analyse plastique en évitant de
s’interroger sur la réception biologique et psychologique que les élèves ont des
875
876
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 260.
Ibid., p. 272.
- 547 -
films ? La réponse à cette question est peut-être encore une fois liée au
« messianisme républicain ». S’il s’agit de préserver le patrimoine culturel
cinématographique de la « culture de masse », il faut trouver un mode de
hiérarchisation des œuvres qui ne soit pas celui du plaisir spectatoriel
qu’Hollywood, de toute évidence, a mieux pris en compte que le cinéma français.
Le paradigme de l’art comme résistance face au non-art se heurte au paradigme de
l’art prophylactique. Les œuvres considérées comme légitimes dans l’habitus
cinéphilique institutionnel ne cherche pas l’ « investissement émotionnel du
spectateur », et se méfie du réinvestissement pragmatique que l’on peut faire d’elles.
Une des façons de limiter ce réinvestissement pragmatique est de dévaloriser
« l’ancrage biologique et social du plaisir artistique ». On retrouve ici la posture
post-kantienne dans les présupposés de la culture légitime : le Beau est privilégié au
détriment de l’Agréable ou du Bon, et donc au détriment du plaisir que l’œuvre
procure aux élèves.
Peut-être faudrait-il justement revenir à la distinction kantienne entre le Beau, le
Bon et l’Agréable dans la Critique de la faculté de juger. Le Beau est une satisfaction
désintéressée, c’est-à-dire indépendante des sens et de la sensation, qui, eux,
relèvent de l’Agréable. Le Beau est donc le seul jugement de goût qui puisse
prétendre à une universalité. Le refus de la prise en compte des sensations dans
l’enseignement du cinéma peut donc éventuellement être compris selon une
perspective kantienne, fut-elle mal conscientisée : si un film est « Beau » il ne doit
provoquer qu’une satisfaction désintéressée c’est-à-dire hors de tout plaisir des
sens. Réhabiliter le corps dans la réception cinématographique, ce serait donc
admettre que le cinéma n’est pas un art du Beau, mais un art de l’Agréable. Mais
considérer le cinéma de cette manière, ce serait accepter – le pas est aisément
franchi – de l’envisager comme un divertissement, avec tout ce que ce mot peut
avoir de connotations péjoratives, y compris, encore une fois, dans la perspective
d’une cinéphilie « moderne » que j’ai déjà convoquée pour tenter d’expliquer
- 548 -
certains paradigmes et certaines pratiques professorales877.
On rejoint là un présupposé dont j’ai déjà fait état et que j’ai souvent rencontré en
interrogeant les professeurs : la certitude selon laquelle les élèves, avant que l’on
« éduque » leurs goûts, s’adonnent sans réflexion à ce qui leur fait plaisir,
aveuglément (souvent « les films violents » reviennent dans le discours), et qu’il ne
peut donc s’agir de « bon goût ». C’est sans doute là un présupposé fort au sein de
l’École : un enseignement, pour aboutir à une connaissance, doit s’appuyer sur la
Raison et non sur les sensations. Ainsi si l’anthropologie du spectacle peine à se
faire une place dans l’enseignement scolaire, c’est peut-être précisément en vertu de
cette conception kantienne – non pas de l’art et du jugement de goût – mais de la
connaissance comme s’appuyant sur la « Raison Pure » autrement dit, selon la
traduction esthétique que propose Clive Bell que j’ai cité plus haut (5.2.6), sur la
« Forme Signifiante » comme donnée essentielle de l’œuvre d’art. Pourtant, ultime
paradoxe, si l’on suit jusqu’au bout la logique kantienne, le cinéma, considéré
comme un art, ne saurait s’enseigner.
6.1.2 Quand
y
a-t-il
enseignement
du
cinéma ?
La Critique de la faculté de juger débouche en effet sur un constat sans appel : le
jugement de goût ne saurait être un jugement de connaissance : qu’une chose soit
trouvée belle n’apprend rien sur cette chose puisque ce qui nous la fait dire belle est
l’effet que sa représentation a sur notre sentiment de plaisir et de peine, et non ce
qu’elle est en elle-même. Dans une perspective kantienne le jugement de goût
souffre d’un déficit épistémologique lourd quant à « la chose en soi ». Le seul
intérêt épistémique de l’art serait donc dans la relation que nous entretenons avec
l’œuvre, et dans ce que cette relation a de profondément subjectif et pourtant
877
On peut penser à la condamnation du divertissement dans Les Pensées de Pascal, par exemple.
- 549 -
universel : c’est en cela que le beau est « sans concept ».
Le jugement de goût, n’assure donc pas une connaissance, mais une
reconnaissance. Comme le dit P. Bourdieu :
« Rien n’est donc plus éloigné d’un acte de connaissance tel que le conçoit la
tradition intellectualisme que ce sens du jeu social qui, comme le dit bien le
mot de “goût”, à la fois “faculté de percevoir des saveurs” et “capacité de
juger des valeurs esthétiques” est la nécessité sociale devenue nature,
convertie en schèmes moteurs et en automatismes corporels. »878
Comment persuader et convaincre d’un goût qui ne peut être communément
admis, sauf à présenter une certaine norme du goût comme une évidence
intemporelle qui ne souffre aucune réfutation ? C’est dire que le jugement de goût
qui procèderait des sens (jugement empirique) – et l’on revient là à des questions
sociologiques – ne peut être transmis que de façon relative et qu’ « il ne peut donc y
avoir de règle aux termes de laquelle quelqu’un pourrait être obligé de reconnaître
quelque chose comme beau ». E. Kant réfute la possibilité d’une concordance des
goûts d’un point de vue empirique :
« Le jugement de goût lui-même ne postule pas l’assentiment de tous : il ne
fait que prêter à chacun cet assentiment, comme un cas particulier de la règle,
ce dont il attend la confirmation non pas de concepts, mais de l’adhésion des
autres. »879
« L’adhésion des autres » n’est-ce pas finalement l’enjeu de l’enseignement du
cinéma tel qu’il est actuellement pratiqué ? C’est-à-dire la création de valeurs
communes qui permet d’affirmer l’existence d’un bon goût indiscutable masquant
ainsi l’inévitable subjectivité du jugement de goût sous une pseudo-universalité ?
Sans cette universalité (fut-elle arbitraire) y a-t-il une possibilité de connaissances et
donc d’enseignement ? Il apparaît que la réponse sera toujours plus sociologique
que philosophique : lorsqu’une communauté d’interprétation se forme autour de
critères communs et que cette communauté dispose d’un pouvoir institutionnel,
elle travaille à universaliser les critères qui sont les siens et opère donc une
878
BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, op. cit., p. 552.
KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, sous la direction de Ferdinand Alquié, traduit de
l’allemand par Alexandre Jean-Louis Delamarre, Jean-René Ladmiral, Marc B. de Launay, Jean-Marie
Vaysse, Luc Ferry et Heinz Wismann, Paris : Gallimard, coll. « Folio », 1985, p. 146.
879
- 550 -
exclusion des goûts et des critères des autres communautés.
C’est donc la légitimité même de l’enseignement des arts à l’École qui se pose en
ces termes : si l’enseignement du cinéma ne peut se passer d’une expérience du
cinéma, il faut pour le moins en éliminer le plus possible les sens et les
sensations pour tenter de purifier (au sens de jugement pur) le jugement esthétique
et ainsi tenter de lui donner le statut de connaissance – fut-elle empirique –
transmissible. Car qui se satisferait d’un enseignement du cinéma qui consisterait à
proclamer « chacun ses goûts » ? C’est donc « la belle œuvre » qui est privilégiée
puisque le Beau est le seul jugement de goût indépendant du désir et des sensations
subjectives, puisque ce Beau est « universel ». Mais c’est là qu’advient la
contradiction : si l’on présuppose que le jugement de goût face au Beau est
universel et sans concept, il ne peut s’enseigner. Encore un paradoxe dans les
paradigmes : l’art éducateur apparaît bien discutable.
Qu’est-ce qui s’enseigne alors ? Peut-être que ce que l’École réussit le mieux, c’est
le rituel de l’échange qui succède aux films : les élèves sont invités à en parler, entre
eux, au sein du groupe classe, et ces échanges sont souvent le lieu d’un véritable
plaisir et aussi sans doute d’un véritable enseignement. Avant l’anthropologie du
spectacle, la Critique de la faculté de juger allait déjà dans ce sens :
« Qu’il y ait un plaisir à pouvoir communiquer son état d’âme, quand bien
même cela ne concernerait que les facultés de connaître, voilà qui serait aisé à
montrer (empiriquement et psychologiquement) en faisant remonter ce
plaisir à la tendance naturelle de l’homme à la sociabilité. »880
Le beau étant « sans concept », c’est au plaisir de la communication subjective sur
l’œuvre qu’il faudrait limiter notre désir d’apprentissage scolaire. Se cultiver, c’est
aussi
communiquer.
Cette
posture
est
confortée
d’un
point
de
vue
anthropologique :
« Curiosité pour les émotions d’autrui et désir d’exprimer ses propres
émotions sont donc le fondement esthétique du savoir rituel du corps, en
tant que moteur de l’échange culturel et de la dispute artistique. »881
880
881
KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, op. cit., p. 148.
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 226.
- 551 -
D’après mes constatations, si l’École permet bien ce type d’échange, elle les relègue
pourtant essentiellement « hors cours ». L’espace de prise de parole sur le film
existe et certains professeurs le revendiquent, mais – pour ce que j’ai pu en savoir –
il ne devient pas la base d’un cours, ou le point d’ancrage de l’apprentissage, et au
contraire, il est toujours présent comme ce que l’apprentissage doit « dépasser ». En
témoigne la pratique de l’analyse filmique que j’ai longuement étudiée dans ma
troisième et ma quatrième partie. Globalement, l’analyse filmique évacue la
subjectivité derrière des « routines » de production de sens et quoi que disent ou
pensent les élèves, le cours sera le même, c’est-à-dire que c’est la parole
professorale et l’élégance stylistique auront le dernier mot.
Les justifications abondent. J’ai entendu des professeurs défendre le fait que les
élèves finissent par aimer, grâce au travail de l’année scolaire, ce qu’ils n’aimaient
pas au départ882. D’autres estiment qu’on ne peut pas montrer aux élèves ce qu’ils
connaissent déjà883. D’autres enfin, qualifient de « démagogie » le fait de ne montrer
aux élèves « que ce qui leur plaît » : c’est l’ambition qui consiste à « sortir l’élève de
la cinéphilie du plaisir » que j’ai commentée dans ma deuxième partie. On est bien,
quelle que soit la posture adoptée, dans la négation de l’approche anthropologique
au profit d’une lecture sociologique – d’ailleurs inavouée – du plaisir
cinématographique. Robert Shusterman délimite très bien ce paradigme :
« L’analyse de la légitimation esthétique de la culture populaire constitue
l’une des tâches les plus pressantes de la théorie culturelle, et c’est une tâche
dont l’importance n’est pas seulement esthétique, mais aussi à forte
dimension sociale et politique (…) On nous fait mépriser les choses qui nous
procurent du plaisir, on nous rend honteux du plaisir qu’elles nous
donnent. »884
C’est sans doute à John Dewey qu’il faut remonter pour cerner les débuts d’une
autre approche théorique qui vise à la réhabilitation de la culture populaire. Pour R.
Shusterman, qui s’inscrit – comme J.-M. Leveratto d’ailleurs – dans cette lignée, ce
882
883
884
Entretien déjà cité avec Martine le 16 décembre 2008.
Entretien déjà cité avec Brice le 1er décembre 2008.
SHUSTERMAN Richard, in L’art contemporain, champs artistiques, critères, réception, actes du colloque au musée d’art
contemporain de Lyon, octobre 1998, sous la dir. de Jean-Pierre Saez, Raspail Thierry, Paris : L’Harmattan, 2001,
article disponible en ligne, traduction de Bernard Genton :
www.fau.edu/humanitieschair/Culture_Populaire_Et_Education.pdf, consulté le 14 avril 2011, p. 71 du .pdf
- 552 -
manque de légitimité est une aberration dont les conséquences sociales sont
néfastes : la théorie de J. Dewey part du principe que puisque l’homme est porté
aux plaisirs immédiats, plus on isole l’art dit « noble » de l’environnement quotidien
des gens, plus on les amène finalement à consommer ce qui est facile et grossier. J.
Dewey, comme R. Shusterman, cherche donc à promouvoir l’idée selon laquelle il
faut considérer l’art comme « une expérience esthétique vivante, source d’un plaisir
immédiat, d’une richesse sémantique, d’une unité dynamique »885. Dans cette
perspective, c’est tout un paradigme qui se trouve ébranlé et le rôle de l’École
pourrait s’en trouver réenvisagé : il ne s’agirait plus de chercher à « hisser » les
élèves au niveau de la culture légitime, mais de pratiquer ce que R. Shustermann
appelle le « méliorisme », c’est-à-dire d’œuvrer pour améliorer la culture populaire.
Le paradigme de l’art comme résistance face au non-art et toute la valorisation de
l’esthétique qu’il entraîne serait à son tour mis à mal. R. Shusterman soutient un
projet que je souhaiterais ici défendre comme un programme pédagogique :
« Le méliorisme insiste également sur le fait qu’une critique esthétique
rigoureuse d’œuvres individuelles est nécessaire à l’amélioration de la culture
populaire, et qu’une telle critique esthétique suppose non seulement des
analyses formelles et thématiques, mais aussi une perspective philosophique
et sociologique. »886
Pour R. Shusterman, il faut défendre l’idée que des œuvres de la culture populaire
peuvent avoir une véritable valeur esthétique. C’est ce qu’il nomme l’esthétique
pragmatique et qu’il définit ainsi :
« L’esthétique pragmatique telle que je la conçois après Dewey, envisage
l’esthétique d’une manière beaucoup plus large, qui permet de rendre justice
à ses dimensions pratiques et cognitives, ainsi que de favoriser une meilleure
intégration de la culture dans la pratique »887
La « critique esthétique » d’objets populaires constituerait donc pour R.
Shustermann le meilleur gage d’une amélioration de la qualité esthétique de cette
culture. En cela, le rôle de l’École dans les enseignements de cinéma et
885
SHUSTERMAN Richard, in L’art contemporain, champs artistiques, critères, réception, op. cit., p. 2.
Ibid., p. 78
887
Ibid., p. 79.
886
- 553 -
d’audiovisuel pourrait être de s’emparer de productions audiovisuelles populaires et
de les analyser avec les mêmes outils que ceux dont elle se sert pour l’analyse des
œuvres légitimes. Le philosophe vient ici proposer une autre alternative à la
mienne. Là où j’aurais tendance à défendre la nécessité de la multiplication des
outils théoriques actuellement dominants dans l’analyse filmique, R. Shusterman me
permet de suggérer qu’il serait également possible de conserver ces outils de
« l’analyse esthétique », essentiellement formalistes, en les appliquant simplement à
d’autres objets. Le fait même de les appliquer à un autre corpus d’œuvres
considérées comme moins légitimes pourrait permettre de modifier les paradigmes
et les présupposés. Selon R. Shustermann toujours, pour améliorer la qualité de la
culture populaire :
« On pourrait ainsi concevoir une stratégie plus puissante, mais plus difficile
à mettre en œuvre, et qui consisterait à transformer ces préjugés par des
changements institutionnels : par une réforme des programmes scolaires, par
exemple, qui donnerait plus de place à l’enseignement et à l’analyse
esthétique de la culture populaire. »888
Changer les préjugés, c’est aussi sans doute un des buts de cette thèse, qui s’efforce,
en décrivant les paradigmes à l’œuvre et les théories dominantes, de les relativiser,
en montrant qu’ils ne sont finalement qu’un système de représentation, une grille
de lecture des œuvres – et du monde – qui n’est pas la seule existante ni la seule
possible. « Une réforme des programmes scolaires », voilà ce qui, sans doute, étant
donnée l’efficacité de reproduction de l’École que j’ai pu observer, pourrait
véritablement faire bouger les lignes sur le long terme.
Et le goût c’est aussi, y compris dans une perspective kantienne, réfléchir à ce
qu’une œuvre « peut avoir de bon », c’est-à-dire à sa lecture éthique dans une
perspective anthropologique :
« Le spectacle en tant qu’instrument de l’espace public est le moyen pour les
individus d’éprouver les conséquences de certains comportements vis-à-vis
d’autrui et d’utiliser l’opinion publique pour obtenir leur adaptation. »889
888
889
SHUSTERMAN Richard, in L’art contemporain, champs artistiques, critères, réception, op. cit., p. 90.
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 235.
- 554 -
J.-M. Leveratto parle de « moralisation du plaisir du spectateur », et en cela il
s’appuie sur E. Kant : le Bon, une bonne action par exemple, procure du plaisir en
cela que nous trouvons l’action estimable, en cela qu’elle a une valeur morale qui la
rend touchante. Le Bon procure une satisfaction « pratique », c’est-à-dire morale.
Une satisfaction est liée à notre moralité, à ce que nous jugeons bon moralement, et
à ce titre à ce que nous désirons voir exister. Dans cette perspective, il s’agira
simplement de faire glisser le paradigme de l’art prophylactique d’une conception
de l’art comme « Beau » à une conception de l’art comme « Bon ».
L’École a bien ici son rôle à jouer. S’il faut faire de l’École de la République un
socle d’éducation à la citoyenneté, au partage, au respect de soi-même et d’autrui,
c’est bien une volonté éthique qui s’affiche dans le discours sur l’enseignement des
arts et dans le paradigme de l’art citoyen que j’ai déjà commenté. Or l’éthique a
quelque chose à voir avec le plaisir, contrairement à tout ce qu’une tradition
scolastique peut parfois affirmer. On pourrait alors imaginer un enseignement du
cinéma dont l’argument pédagogique principal soit celui du plaisir : tous les
paradigmes s’en trouveraient bouleverser. Il faudrait imaginer alors que le film pour
le baccalauréat est choisi en fonction du plaisir qu’il procure aux élèves890, que les
programmes s’adaptent aux plus grands succès populaires, que le but de l’analyse
filmique est de décrypter ce en quoi le film apporte des réponses éthiques à ma vie
quotidienne et aussi pourquoi et comment il me procure du plaisir.
890
Un dispositif comme la plateforme « Cinélycée » joue en quelque sorte sur cette idée, en permettant aux
lycéens de voter pour le film qu’ils ont le plus envie de voir ou qu’ils ont le plus aimé et d’échanger autour
du film, via Internet, après la projection.
- 555 -
6.2
Sur la pratique : propositions
Je voudrais ici esquisser quelques propositions concrètes, en prolongeant la
réflexion théorique dans le champ de la pratique.
Il convient d’abord de lever une ambiguïté essentielle : la pratique doit-elle être
considérée comme un moyen ou comme une fin ? On pourrait songer à proposer
un thème national pour la production audiovisuelle destinée à être présentée au
baccalauréat, qui inciterait à une mise en œuvre très modeste, soumise à une
contrainte forte et commune qui permettrait une mise en œuvre et une évaluation
plus codifiée des « films du bac »891.
On pourrait également imaginer que la production audiovisuelle présentée
contienne obligatoirement une remise en scène (une « réécriture audiovisuelle »)
explicitement justifiée, d’une scène d’un des films au programme. Ces réécritures
pourraient être de toute nature : très littérales (plan « à la manière de… »), mais
aussi éventuellement parodiques, décalées, proposer un changement de mise en
scène paradigmatique ou syntagmatique (modification de l’axe de prise de vue,
modification de la bande-son, inversion du genre des personnages, glissement
générique, etc.). L’essentiel serait que chaque réécriture soit solidement argumentée,
et justifiée par une bonne compréhension théorique, plastique, narratologique,
sociologique, historique, économique, technique de la scène de départ. L’intérêt
pédagogique de ce type de réécriture me semble résider dans le réinvestissement de
la théorie dans la pratique auquel elle oblige, réinvestissement jusqu’ici considéré
comme un « bonus », comme je l’ai vu, dans l’évaluation des films présentés au
baccalauréat. L’idée n’est pas nouvelle, et elle s’inspire finalement – non sans ironie
peut-être – de la didactique des Lettres. À l’instar de « l’écriture d’invention » dans
891
On pourrait imaginer un sujet national renouvelé tous les ans comme par exemple : « Raconter
l’histoire d’une main ».
- 556 -
les cours de français, la réécriture audiovisuelle exigerait du candidat qu’il se soit
approprié la spécificité du médium cinématographique afin d’être capable de
reproduire, de prolonger, d’amplifier, de transposer, de critiquer, une scène
existante. Il s’agirait de faire entrer l’élève dans le matériau filmique, la
compréhension de ses enjeux, des méthodes, des choix et des techniques qu’il
induit, tout en laissant une place à sa créativité : c’est aussi d’un réinvestissement
pragmatique qu’il s’agit. L’œuvre que l’on réécrit ne se trouve pas « désacralisée »,
mais « interprétée », comme une partition musicale peut être jouée différemment,
ou une pièce de théâtre susciter des mises en scène diverses, l’acte de re-mise en
scène apparaissant finalement aussi comme un acte d’analyse filmique. La pratique
serait ainsi encadrée par les savoirs. Il faudrait alors songer à la production d’outils
didactiques et pédagogiques différents : on peut imaginer la constitution d’une liste
non exhaustive des scènes possibles à réécrire, choisies en fonction de leur intérêt
et de leur faisabilité. Les partenaires professionnels seraient alors sollicités pour
aider à la constitution d’une documentation technique sur certaines scènes
(découpage technique, plan au sol, information sur des techniques mises en œuvre
pour la lumière ou la prise de son…) afin d’ouvrir des pistes pour leur réécriture.
Certains professeurs, sans doute conscients de cela, effectuent des exercices de
tournage « à la manière de », en travaillant avec leurs élèves sur des séquences très
courtes avec de fortes contraintes892. Mais ces efforts se cantonnent le plus souvent
à la classe de Première et à des exercices ponctuels. En Terminale, il faut « faire le
film pour le bac » et la contrainte institutionnelle cause paradoxalement un « laisserfaire » général : là où l’École devrait relever son niveau d’exigence et se porter
garante d’une recherche de qualité, elle promeut la liberté individuelle et créative
avec tous les écueils que j’ai évoqués dans ma cinquième partie.
892
C’est le cas au lycée Léon Blum de Créteil, où traditionnellement le projet de fin de Première consiste
en un « remake » d’une scène d’un film étudiée dans le cadre du cours. J’ai pu moi-même expérimenter
cette démarche avec les étudiants du BTS audiovisuel par le tournage de plans « à la manière de… ».
- 557 -
Des mises en œuvre concrètes dans la classe sont aisément imaginables : la liaison
entre les différentes compétences serait assurée ainsi que l’évaluation d’un travail à
la fois collectif et personnel déterminé par un cahier des charges précis. Cette
réalisation courte devra être assurée par chaque élève, avec une répartition des
tâches imposée au sein d’une « équipe » (on pourra éventuellement regrouper les
« élèves-réalisateurs » en binômes dans les classes nombreuses, afin de rester dans
les limites du possible en termes de tournage et de montage). Il s’agit d’évaluer plus
justement l’implication personnelle des élèves : chaque élève participerait aux
différents tournages de la classe avec des tâches variées, dont celle de réalisateur.
Les élèves seraient ainsi confrontés à toutes les scènes réécrites à travers les projets
de leurs camarades de classe, ce qui permettrait en outre d’optimiser la
connaissance des films au programme.
On peut ainsi imaginer des séquences pédagogiques en trois temps :
- Premier temps : étude de la scène du film selon différents angles théoriques ;
- Deuxième temps : exercice de réécriture de cette scène ;
- Troisième temps : mise en œuvre des tournages (plusieurs élèves peuvent tourner
en même temps).
Je développerai ici un exemple de réécriture sur un film au programme du
baccalauréat L’Homme à la caméra. Il s’agirait de prendre la « scène du réveil » (TC
in : 10’ - TC out : 14’ env. dans le DVD de l’ « Éden cinéma »). La scène propose
de mettre en parallèle, par le montage, des motifs relevant du réveil d’une femme
(elle s’éveille, se lève, fait sa toilette, s’habille) et ceux qui relèvent du réveil dans
l’espace urbain (mise en route des moyens de transport collectifs, éveil des « gens
de la rue », nettoyage du mobilier urbain, etc.). C’est un modèle de « montage par
intervalles » explicité par D. Vertov dans ses écrits théoriques : le raccord
fonctionne surtout en vertu d’effets plastiques et thématiques redondants et ce, à
distance et non pas d’un plan au suivant.
Deux propositions possibles de réécriture seraient alors possibles :
- 558 -
- une réécriture avec changement paradigmatique : reprise de l’idée de montage
parallèle par intervalles reposant sur des raccords plastiques, mais avec un
glissement thématique : la femme et la ville « se couchent » (inversion des motifs du
réveil en motifs d’endormissement) ;
- une réécriture avec changement syntagmatique : c’est la technique du montage
alternée qui est modifiée : la réécriture propose de filmer le réveil d’une femme et
d’une ville, mais en présentant deux plans-séquences montés successivement et non
plus en alternance.
Ce changement des modalités d’évaluation permettrait aussi de rendre plus tangible
l’évaluation du carnet de bord à l’oral du baccalauréat. Il devrait ainsi comprendre,
pour l’exemple qui nous occupe :
- Les documents précis liés à la mise en œuvre de la scène réécrite tournée en
responsabilité : story-board, découpage technique, note d’intention, plan de travail,
plan au sol…
- La justification des choix opérés et un retour réflexif sur la pratique.
- Un élargissement de la réflexion à l’aide de documents réunis afin de mettre en
perspective la scène choisie dans l’histoire du cinéma et/ou des arts en général. S’il
s’agissait de la scène de réveil utilisée à titre d’exemple précédemment, une
recherche sur différentes mises en scène de l’éveil au cinéma pourrait être envisagée
(explorations transversales possibles, de la scène liminale de Quatre mariages, un
enterrement au réveil de La Belle au bois dormant, à condition qu’il existe une
problématique structurante). L’élève devrait ainsi mettre en évidence des
perspectives historiques, génériques, culturelles, etc., et éventuellement élargir sa
réflexion : le cinéma, l’art en général, doit-il « réveiller » les consciences ? éveiller ?
tenir en éveil ?
- Éventuellement des rushs commentés, non gardés pour le montage final, afin que
l’élève puisse justifier des apprentissages liés aux « ratages », expliquer d’éventuelles
prises de vue défaillantes, les modifications qui se sont avérées nécessaires lors du
- 559 -
tournage. Ces rushs pourraient éventuellement être présentés lors de l’oral pour
expliquer le travail effectué et les progrès, le « film pour le bac » deviendrait alors
précisément l’évaluation d’un Work in progress plus que d’un objet fini, pour
rejoindre ici le vœu d’A. Bergala893.
La notation de l’oral se répartirait alors comme suit :
- une note sur 10 pour l’évaluation de la scène réécrite (argumentaire, pertinence de
la réécriture) en liaison avec le film au programme dont la bonne connaissance
pourra ainsi être aussi évaluée (15 min) ;
- une note sur 10 pour l’évaluation globale du cahier de bord et sa présentation
orale, l’entretien avec le jury sur l’élargissement proposé et les documents
complémentaires choisis (15 min).
Finalement, comme je le montre dans cet exemple, on n’est pas si loin des
modalités actuelles : il suffirait simplement de changer quelques aspects, de recadrer
les problèmes, de préciser plus fermement les contenus, les cahiers des charges,
d’affirmer certaines attentes obligatoires. Il s’agirait certes de « contraindre » la
liberté actuelle – et j’entends déjà les tenants de la « liberté de création » protester –
avec la certitude que la liberté n’est pas forcément un bon outil pédagogique, ni
même un bon outil « prophylactique » ou « d’enseignement à la citoyenneté ».
L’idéal serait que la durée de l’épreuve orale soit allongée. On pourrait alors
imaginer, dans le cadre d’une épreuve plus longue, une mise en œuvre au moment
de l’interrogation, dans l’esprit du « retravail » de l’épreuve de théâtre : faire un plan
en mono caméra avec une contrainte explicite donnée par le jury (profondeur de
champ, axe de prise de vue, composition du cadre, etc.). L’élève devrait exécuter et
justifier le plan. Les moyens à mettre en œuvre pour ce type d’exercices seraient
peut-être plus difficiles à gérer pour les centres d’examen, mais elle n’est pas
impossible compte tenu du faible nombre de candidats que cette épreuve
893
Roger Odin avait également émis quelques propositions dans la revue Hors cadre n° 5 (op.cit.) sur
l’enseignement du cinéma en proposant des « étapes » d’apprentissage :
1re phase : des séances de manipulation pour « défétichiser la technique sans pour autant créer une
œuvre » ;
2e phase : « introduction progressive de contraintes et d’éléments de savoirs » par « la manipulation de plus
en plus réglée (…) et explicitée » pour « aboutir à des productions modestes mais finies et finalisées ».
- 560 -
représente et du fait que les lycées qui accueillent les épreuves sont forcément des
lycées qui proposent les enseignements : ils détiennent donc les équipements
adéquats.
Le « carnet de bord » pourrait ainsi être noté en tant que tel par le jury du
baccalauréat (ou par un contrôle continu ?). Les enjeux de l’épreuve sont ainsi un
peu déplacés : c’est le cahier de bord qui est évalué, et la production audiovisuelle
vient à titre d’illustration, par la pratique concrète, d’un savoir-faire. L’évaluation de
la liaison entre « faire » et « savoir-faire » est ainsi réaffirmée tout en laissant une
place à la créativité de l’élève. On renonce à l’ambition (à mon sens démesurée) du
« court-métrage » au profit d’un « exercice de mise en œuvre audiovisuelle », tout en
laissant ouverte la possibilité d’une production plus ou moins longue et aboutie.
6.3
Évaluation d’une autre approche théorique : conclusion
en forme d’élargissement philosophique
J’ai parlé d’E. Kant et des post-kantiens à plusieurs reprises dans cette thèse et j’ai
voulu, dans cette conclusion, évaluer différentes théories et différentes approches.
Il m’a donc semblé que le principal opposant à une approche kantienne de
l’esthétique était sans doute Friedrich Nietzsche. L’idée d’envisager la philosophie
comme possibilité de réflexion relève également d’un désir d’élargissement des
emprunts théoriques utilisés pour cette thèse qui revendique l’interdisciplinarité
comme mode de réflexion délibérative sur les constats effectués lors du travail de
recherche. Comme cette conclusion se propose d’apporter, à titre de propositions,
des contrepoints aux paradigmes dominants, il m’a semblé intéressant d’aller voir
comment F. Nietzsche avait pu s’exprimer sur l’enseignement des arts pour
proposer des ouvertures possibles amenées par ses théories. Je me suis donc
appuyée ici sur les « Critiques et remèdes » qu’il propose dans une suite de
conférences intitulée : Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement. Certains passages
- 561 -
de cet essai polémique de F. Nietzsche m’ont en effet semblé parfois curieusement
en écho avec des préoccupations que j’ai eues tout au long de cette thèse894. La
convocation de F. Nietzsche est donc un choix qui se trouve être aussi un hasard :
je suis tombée sur ce texte et il m’a paru à bien des égards éclairant pour mon
travail.
Je commencerai donc ici par un passage du texte qui m’a particulièrement
interpelée :
« Vous aviez coutume de dire que personne n’aspirerait à la culture. Si l’on
savait à quel point le nombre des hommes vraiment cultivés est finalement et
ne peut-être qu’incroyablement petit ; et que cependant ce petit nombre
d’hommes vraiment cultivés n’était possible que si une grande masse,
déterminée au fond contre sa nature et uniquement par des illusions
séduisantes, s’adonnait à la culture ; qu’on ne devait donc rien trahir
publiquement de cette ridicule disproportion entre le nombre des hommes
vraiment cultivés et l’énorme appareil de la culture ; que le vrai secret de la
culture était là : des hommes innombrables luttent pour acquérir la culture,
travaillent pour la culture, apparemment dans leur propre intérêt, mais au
fond seulement pour permettre l’existence d’un petit nombre. »895
Il me semble que le principe actuel de notre culture d’État subventionnée que j’ai
abordé dans la première partie de mon travail entre singulièrement en résonance
avec ce constat critique de F. Nietzsche. Doit-on accuser l’École de promouvoir ce
« saupoudrage culturel » qui finalement ne remet pas profondément en cause les
différentes approches sociologiques du public de l’art ? Car finalement il apparaît à
l’étude des enquêtes d’Olivier Donnat et de Jean-Michel Guy à laquelle je me suis
livrée, que malgré les efforts des différentes politiques culturelles qui se sont
succédées, ce sont finalement à peu près toujours les mêmes personnes qui sont
cultivées et que si le cinéma et la cinéphilie se détachent parfois des coordonnées
socio-culturelles d’un individu, ce n’est pas grâce à l’École ni aux politiques
culturelles.
894
Je remercie Olivier Tibloux de m’avoir permis la rencontre avec ce texte.
NIETZSCHE Friedrich, « Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement », première conférence, in
Ecrits Posthumes, 1870-1873, textes et variantes établis par Colli et Montinari, traduit de l’allemand par
Backes, Haar, B. de Launay, Paris : Gallimard, coll. « NRF », p. 92.
895
- 562 -
La pensée de F. Nietzsche est intéressante, en cela qu’elle relie deux tendances
apparemment totalement contradictoires et dévoile ainsi en tant que tels des
présupposés cachés ou inavouables. Deux tendances semblent en effet se
contredire : l’élargissement de la culture et l’affaiblissement de la culture. Appliqué
à l’enseignement du cinéma, l’élargissement de la culture se manifesterait dans la
prolifération des films à voir et des films vus dans le cadre du système scolaire dans
une perspective d’extension culturelle. Cependant, pour F. Nietzsche :
« Cette extension est l’un des dogmes d’économie politique les plus chers au
temps présent. Autant de connaissances et de culture que possible – donc
autant de production et de besoin que possible – donc autant de bonheur
que possible : voilà à peu près la formule. Nous avons ici comme but et fin
de la culture l’utilité ou plus exactement le profit, le plus gros gain d’argent
possible. »896
Notons bien ici que F. Nietzsche entend le mot « bonheur » au sens de « confort »,
comme il le démontre à travers « le dernier homme » d’Ainsi parlait Zarathoustra. La
culture ici apparaît comme un « dogme d’ économie politique » et j’ai vu à plusieurs
reprises dans ma thèse que les « politiques culturelles » avaient aussi un versant
économique. Rappelons que le concept de bonheur chez F. Nietzsche897 correspond
à une généralisation et à un nivellement délétères des désirs : le confort opposé à la
liberté, c’est-à-dire, dans une perspective plus bourdieusienne (et en raccourcissant
un peu la pensée nietzschéenne), le nivellement des cultures au profit de la culture
dominante. P. Bourdieu reprend d’ailleurs ce texte de F. Nietzsche dans La
Distinction, et explique ainsi ce passage :
« La prétention inspire l’acquisition, par soi banalisant, des propriétés jusquelà considérées comme les plus distinctives et contribue par là à soutenir
continûment la tension du marché des biens symboliques, contraignant les
détenteurs des propriétés distinctives menacées de divulgation et de
vulgarisation à rechercher indéfiniment dans de nouvelles propriétés
l’affirmation de leur rareté. »898
On peut penser ici, pour ce qui concerne le cinéma, au redéploiement de la
896
NIETZSCHE Friedrich, « Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement », op. cit., p. 94.
Principalement défini dans Ecce Homo.
898
BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, op. cit., p. 281.
897
- 563 -
distinction cinéphilique dans des productions très « plastiques », à la frontière entre
installation et cinéma, comme celles produites par l’École du Fresnoy, « dernier
cri » en matière d’École de cinéma. Plus le cinéma se « démocratise », plus il entre
dans les Écoles, plus se radicalise une certaine posture qui vise à faire du cinéma de
manière essentiellement expérimentale et formaliste. Lorsque le formalisme et
l’immanentisme se promeuvent comme méthode d’enseignement du cinéma en
France, le cinéma français prend peut-être le risque d’un clivage de plus en plus
radical entre le « commercial » et la production dite « artistique », alors même que la
protection du patrimoine artistique français, l’« exception culturelle », le système de
subvention des arts, tout cela a toujours été défendu au nom du principe de
l’élargissement de la culture pour tous. L’engagement de l’État dans l’enseignement
des arts pourrait donc bien avoir des effets paradoxaux.
Mais c’est aussi du côté des intentions de cette politique culturelle qu’il faut
chercher des paradoxes :
« Là où donc le cri de guerre de la masse exige une culture populaire plus
étendue, je cherche d’habitude à distinguer si ce cri a été provoqué par une
tendance exubérante au gain et à la possession, par les marques d’une
oppression religieuse antérieure ou par l’amour propre avisé d’un État. »899
Considérée de cette manière, la promulgation de la « culture pour tous » serait une
négation de la nature aristocratique, « fondée sur une sage sélection des esprits » de
la vraie culture :
« On cherche à échapper au dressage dur et rigoureux des grands maîtres en
persuadant la masse qu’elle trouvera bien elle-même le chemin, guidée par
l’étoile de l’État. »900
Je ne m’engagerai pas dans l’idée d’une « oppression religieuse antérieure », mais
l’État actuel peut bien être considéré comme une « étoile pour guider la culture » –
la perspective paraît presque malrucienne – par son désir de prendre la main sur la
création et les arts. Les paradigmes de l’art citoyen et de l’art pour tous
correspondent à ce que le philosophe appelle « l’amour propre avisé d’un État ». La
899
900
NIETZSCHE Friedrich, « Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement », op. cit., p. 96.
Ibid., p. 129.
- 564 -
culture devient une arme de distinction à l’échelle étatique et il faut bien admettre
que l’on entend souvent colporter l’idée selon laquelle la politique culturelle de la
France la tient éloignée de la barbarie d’autres États ou que l’« exception culturelle à
la française » est le gage d’un supplément d’âme humaniste qui place la France au
dessus des autres pays du monde. Et F. Nietzsche semble annoncer de façon
étonnement prémonitoire les textes du BO des enseignements artistiques et du
rapport du Haut Conseil à l’Enseignement Artistique et Culturel quand il affirme,
en parlant des gouvernements :
« Évidemment ils s’entendent à mettre en circulation des mots pompeux
pour désigner leur tendance : ils parlent par exemple de “développement
complet de la libre personnalité dans le cadre de solides convictions
communes, nationales et humainement morales” ou ils appellent leur but
“fondation d’un état populaire reposant sur la raison, la culture, la justice”».901
Pourtant, pour F. Nietzsche, ces paradigmes, qui coïncident mot pour mot à ceux
que j’ai pu relever dans ma partie sur les politiques culturelles, correspondent à ce
qu’il appelle la « décadence d’une culture », qui désigne la situation dans laquelle
l’État a le droit de croire qu’il domine la culture. Finalement, tenter de créer une
culture de masse ne réduit pas les inégalités, mais les déplace, et surtout, elle permet
un nivellement de cette culture « commune » sur laquelle peut s’appliquer sans
peine un pouvoir étatique. C’est ce que l’on entend dire parfois : l’État français
subventionne beaucoup, mais toujours les mêmes personnes et les mêmes lieux, il
choisit, de fait, une certaine culture sous couvert de « liberté d’expression et de
création », ou de « démocratisation de l’art ».
La critique de F. Nietzsche est également particulièrement valable et riche de
réflexions possibles si on l’applique au volet pratique de l’enseignement du cinéma
en lycée. Il parle en effet dans son texte de la pratique de la littérature, mais ces
propos sont tout à fait applicables à la « réalisation audiovisuelle » que l’on
demande aux élèves des enseignements « cinéma et audiovisuel » :
« On y exige l’originalité, mais on rejette celle qui seule est possible à cet
901
NIETZSCHE Friedrich, « sur l’avenir de nos établissements d’enseignement », op. cit., p. 144.
- 565 -
âge : on y suppose une culture formelle à laquelle n’atteignent maintenant
qu’un tout petit nombre d’hommes à l’âge mûr. On y considère chacun sans
plus ample examen comme un être capable de littérature, en droit d’avoir des
opinions personnelles sur les objets et les personnages les plus graves, alors
qu’une droite éducation ne devrait justement aspirer de tout son zèle qu’à
réprimer la prétention ridicule à l’autonomie du jugement et qu’à habituer le
jeune homme à une stricte obéissance sous le sceptre du génie. »902
Sans aller jusqu’à la défense d’une « stricte obéissance sous le sceptre du génie » qui
paraît évidemment être une formulation excessive pour ce qui concerne notre sujet,
on peut cependant admettre que certains films produits dans le cadre de
l’enseignement CAV apparaissent comme une production hâtive, éventuellement
prétentieuse, perméable à tout un champ d’influences mal digérées. Contrairement
à une certaine tendance démagogique, F. Nietzsche avoue sa méfiance par rapport
au laisser-faire de ce qu’on appelle la « libre personnalité », qu’il oppose au
« dressage pratique le plus minutieux ». Si l’École s’est idéologiquement éloignée
depuis fort longtemps de cette idée du « dressage », le « laisser-faire » revendiqué
revient par contre dans le discours des professeurs sur les productions de leurs
élèves : ils revendiquent leur non-intervention, l’idée que ce n’est pas eux qui
réalisent le film et que c’est un moment d’expression artistique personnelle pour
l’élève. Le discours des élèves relaie aussi cette exigence et ils désirent pour la
plupart que le « film du bac » soit vraiment leur projet. Pourtant, parallèlement,
beaucoup s’accordent sur la qualité moyenne (voire médiocre) des films ainsi
réalisés. Parfois, les élèves eux-mêmes estiment qu’on « les a laissés trop libres » et
qu’ils sont meilleurs quand ils sont « mieux encadrés »903. Jacques, professeur en
hypokhâgne, assure quant à lui qu’il est « absurde » de lancer des adolescents dans
la production autonome d’un film904. Faut-il pour autant défendre le « dressage
pratique le plus minutieux » comme le préconise F. Nietzsche ? Le terme paraît
sans doute provoquant, mais je pense ici pertinent de passer outre le choix des
902
Ibid., p. 105.
Entretien avec des élèves de Première qui suivent l’enseignement de spécialité CAV à Saint-Quentin le
18 février 2009.
904
Entretien avec Jacques le 10 février 2009.
903
- 566 -
mots : ce dressage pourrait correspondre plus concrètement au modèle
pédagogique de l’enseignement des arts tels qu’il est mis en œuvre dans les
conservatoires et surtout dans les conservatoires de musique. Jamais on ne
demande à un élève du conservatoire de créer un morceau de musique. À la fin de
l’année, la représentation devant public d’un morceau du répertoire joué le mieux
possible s’accompagne d’une remise de prix et d’un diplôme. Les valeurs
véhiculées sont : le travail, la répétition, l’entraînement, le déchiffrage, la
connaissance parfaite du morceau, l’émulation dans la difficulté, le goût du beau et
du bien fait, c’est-à-dire fait selon les codes. À mesure que l’élève progresse dans les
classes des conservatoires, les difficultés vont croissantes et elles mettent au jour
parfois des incapacités (de travail), la nécessité de travailler toujours plus, sans
dilettantisme possible. Les professeurs de solfèges sortent eux-mêmes du
conservatoire, l’examen est très exigeant, la codification des attentes est très précise
et elles se perpétuent du professeur à l’élève, sans démagogie possible, et sans doute
surtout parce qu’une fausse note reste toujours une fausse note, et qu’à ce titre, elle
est toujours injustifiable.
Je ne sais pas si cet élitisme est un modèle bon ou mauvais, je dis simplement qu’il
n’est pas du tout celui sur lequel s’appuie l’enseignement du cinéma au lycée. J’ai eu
l’opportunité d’interroger une élèves musicienne qui avait pourtant choisi
l’enseignement artistique CAV pour le baccalauréat905. Elle m’a avoué que
l’enseignement de musique demandait « beaucoup plus de travail ». Il semble que
certains enseignements artistiques reposent sur des exigences plus fortes que celles
qui prévalent en « cinéma et audiovisuel ». Peut-être pourrait-on arguer que le
modèle du conservatoire n’est de toute façon pas applicable dans le cadre d’un
enseignement du cinéma. Effectivement, surtout si l’on s’exonère, comme c’est le
cas dans les enseignements CAV, de la perfection technique. Car puisque ce n’est
pas l’excellence en art qui est visée, qu’est-ce que l’on cherche dans le cadre
905
Entretien avec Élodie le 15 décembre 2009.
- 567 -
scolaire ? L’initiation ? Le divertissement ? L’amateurisme ? La connaissance
théorique ? La culture générale ? J’ai abordé tous ces aspects au cours de ma thèse,
en montrant que l’enseignement se soldait parfois par un constat déceptif : inutilité
en termes d’apprentissage des pratiques professionnelles du cinéma telles qu’elles
sont actuellement mises en œuvre dans le milieu professionnel, insuffisance des
apports théoriques, échec de la volonté de « modification des pratiques culturelles »,
enfermement dans une démarche immanentiste qui nie la nécessité d’une
conscientisation des pratiques spectatorielles. C’est-à-dire que là précisément où
l’École pourrait jouer le rôle qu’elle revendique de formation d’un esprit critique,
elle s’y dérobe sous couvert « d’épanouissement personnel » conformément à une
certaine vision « moderne » telle que l’ont théorisé Charles Taylor et, dans le
domaine plus strictement pédagogique, Alain Kerlan. C’est donc bien aussi un
conflit des époques qui se joue : si F. Nietzsche est souvent considéré comme un
des fondateurs de la modernité, on constate pourtant que sa vision de
l’enseignement des arts semble rester profondément « classique » en cela qu’elle
s’oppose à cette question de l’épanouissement, fer de lance des argumentations
« modernes », au sens où l’entend C. Taylor, qui militent en faveur des
enseignements artistiques.
De façon très intéressante, F. Nietzsche remarque ensuite que :
« Les médiocres se sont jetés sur la linguistique : là, dans le domaine infini où
les champs viennent d’être retournés, où pour l’instant encore les dons les
plus médiocres peuvent être utilement employés et où une certaine lucidité
est tout de suite considérée comme un talent positif, à cause de la nouveauté
et du peu de sûreté des méthodes et du danger continuel d’errements
fantastiques. »906
J’ai retrouvé dans cette réflexion – exprimés de façon beaucoup trop sévère sans
doute – certains constats que j’ai pu faire dans ma partie sur les présupposés
théoriques à l’œuvre dans l’enseignement artistique et les enseignements « cinéma et
l’audiovisuel » en lycée. Le philosophe semble ici pointer du doigt la domination de
la maîtrise symbolique du langage dans l’arbitraire culturel du système éducatif. Je
906
NIETZSCHE Friedrich, « Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement », op. cit., p. 124.
- 568 -
ne partage pas la prise de position excessive de F. Nietzsche, mais ce qui est
intéressant ici c’est qu’il pulvérise cet habitus en montrant combien il peut être, en
fait, les conséquences d’une maîtrise théorique et méthodologique trop faible : le
« peu de sûreté des méthodes » est immédiatement sanctionné dans la perspective
d’une maîtrise technique du cinéma alors que l’analyse textuelle du film peut laisser
place à toutes les approximations. Ce que le philosophe qualifie de « linguistique »
se manifeste parfois, dans l’enseignement du cinéma, comme j’ai pu le voir, par un
repli dans la pratique de l’analyse filmique comme « bricolage théorique » qui singe
la critique de film, par la valorisation de la maîtrise du « beau style » et l’abandon de
la pratique à l’autonomie des élèves, avec toute la médiocrité des « errements
fantastiques » que cela peut engendrer.
Bref, non que la théorie nietzschéenne vaille pour preuve de quoi que ce soit, elle
me semble entrer en accord avec mes constatations, voire les éclairer d’un jour
nouveau. La place du professeur du secondaire dans l’enseignement artistique ne
saurait n’être qu’une place dévolue à l’analyse du film comme texte ou du cinéma
comme histoire. F. Nietzsche dit :
« À la place de l’interprétation profonde de problèmes éternellement
semblables se sont introduits les examens et les questions historiques et
même philologiques. » 907
Finalement, ce que devrait enseigner l’École, n’est-ce pas surtout ce qui est
« éternellement semblable » au cinéma, c’est-à-dire la recherche de ce qui
précisément, pourrait faire de lui, épistémologiquement parlant, un objet de
connaissance ? Et l’éternellement semblable au cinéma n’est-ce pas l’interaction de
l’œuvre avec le jugement du spectateur, c’est-à-dire aussi ce qui est éternellement
variable ?
907
NIETZSCHE Friedrich, « Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement », op. cit., p. 155.
- 569 -
6.4
Conclusion générale : pour une autre approche du
cinéma
Il faudrait alors rapprocher l’esthétique de la sphère de la praxis, rompre
l’identification restrictive de l’art aux seuls beaux-arts, et reconsidérer la notion d’art
en libérant celui-ci du carcan qui le sépare de la vie, c’est-à-dire à la fois défendre la
légitimité esthétique de l’art populaire et concevoir l’éthique comme un art de vivre
et d’enseigner.
Le cinéma est rentré très récemment dans le curriculum scolaire, ce qui explique
sans doute le faible questionnement didactique qu’il suscite actuellement.
J’emprunterai donc ici mes dernières propositions aux sciences de l’éducation, afin
qu’elles puissent être le plus possible praxéologiques. Le constat est qu’immerger
directement les élèves dans l’abstraction d’une connaissance du cinéma qu’ils n’ont
pas va contre le principe de plaisir et minimise leur potentiel d’investissement : en
« décontextualisant » le savoir, le professeur prend le risque de se couper des voies
qu’il voudrait prendre. Pour les sciences de l’éducation, un apprenant est pris dans
un réseau de savoirs familiers qui – qu’on y adhère ou non, qu’on les trouve
pertinents ou pas – correspondent aux seuls instruments à sa disposition pour
activer des conceptions du cinéma : c’est à travers elles qu’il décode les films. Car
« L’activité propre de l’apprenant est au coeur du processus de
connaissance : c’est ce dernier qui tri, analyse et organise les données afin
d’élaborer sa propre réponse. Toutefois ce processus n’est pas le fruit du
hasard ; il s’établit en fonction des structures de pensée en place (questions,
cadre de référence, opérations maîtrisées) et des enjeux qu’il perçoit de la
situation. »908
Or ces conceptions sont évidemment susceptibles de changements, elles évoluent
et se remodèlent constamment, « elles sont les instruments mêmes » de l’activité
908
GIORDAN André, « Un environnement pédagogique pour apprendre : le modèle allostérique », in Les
sciences de l’éducation, regards multiples, sous la dir de G. Avanzini, Berne : Peter Lang, 1992, p. 105-106.
- 570 -
d’apprentissage : « la nouvelle conception se substitue à l’ancienne en étant
“intégrée” aux structures préexistantes »909. Partir du connu et non d’une « table
rase », s’interroger sur l’usage – ou les usages- que l’élève fait des films, c’est un
point de départ viable d’un enseignement du cinéma comme conscientisation de ce
qu’est un élève en tant que sujet-spectateur.
Mes propositions praxéologiques seraient donc les suivantes : il s’agirait de partir
d’un film « grand public » que les élèves aiment et de remonter à un film plus
confidentiel et plus « patrimonial » en montrant que finalement les deux films
racontent presque la même histoire. Un très bon point de départ de cours pourrait
être de mettre en application cette étude croisée sur Match Point de Woody Allen
(2005) et Une Place au soleil de Georges Stevens (1951) et/ou L’Aurore de Murnau
(1927). Il s’agirait de proposer une étude croisée de ces films, de montrer qu’ils
posent un problème éthique semblable, qu’ils se ressemblent, mais proposent aussi
une différence d’appréciation de ce problème éthique. On pourra s’arrêter dans un
second temps sur leurs différences techniques ou esthétiques. En agissant ainsi, il
me semble que l’on peut espérer que « l’élévation du niveau culturel réagit ainsi
rétroactivement sur la forme de consommation culturelle en stimulant le spectateur
à interroger son rapport personnel aux objets spectaculaires qui ne lui sont pas
familiers »910. Ce procédé permet aux élèves ou aux étudiants de mieux inscrire le
film dans leur propre culture, de le mettre en rapport avec leurs propres
expériences, de mesurer les implications éthiques de toute œuvre d’art, mais aussi
de relativiser l’arbitraire culturel, puisqu’un film « grand public »911 serait rapproché
d’un film « classique ».
Je suggère ici quelques autres propositions qui pourraient orienter une réécriture
909
GIORDAN André, « Un environnement pédagogique pour apprendre : le modèle allostérique », op. cit.,
p. 106.
910
LEVERATTO Jean-Marc, Introduction à l’anthropologie du spectacle, op. cit., p. 280.
911
Le cas de Woody Allen facilite la tâche du professeur : c’est un cinéma relativement populaire mais qui
bénéficie d’un haut degré de légitimité culturelle.
- 571 -
des textes officiels : les grands axes du programme pourraient reposer sur une
approche à dominante sociologique autour de quatre grandes questions :
Qui fait les films et pourquoi ?
Le début d’un cursus scolaire de lycée en « cinéma et audiovisuel » pourrait
commencer par se situer du côté de la production et recouperait certains aspects du
programme actuel : une approche technique et économique qui permette d’aborder
« le monde du cinéma » et son fonctionnement. Le premier aspect du programme
pourrait adopter une perspective chronologique qui s’appuierait sur l’histoire des
techniques par exemple, ou permettre une approche des cinématographies
nationales non en termes d’esthétiques, mais en abordant les différentes modalités
de productions et les représentations qui en résulte. L’approche de David Bordwell
sur le cinéma classique hollywoodien pourrait servir d’exemple méthodologique et
épistémologique à cette dimension du programme.
Qui voit les films, comment et pourquoi ?
Le deuxième axe du programme serait résolument tourné vers la réception. Il
s’agira de délimiter ce qu’est un public, comment se définissent les différentes
approches de l’expertise spectatorielle, qu’est-ce qui peut différencier ces publics et
comment s’élabore un jugement de goût. Les Cultural Studies et les Gender Studies
serviraient d’outils heuristiques pour cette approche.
Que voit-on, comment et pourquoi ?
Une approche formaliste pourrait s’intégrer ici qui jetterait les bases d’une
compréhension des formes audiovisuelles et du vocabulaire spécifique qu’elles
nécessitent. Notons que dans cette perspective, le formalisme ne saurait être qu’une
des approches possibles du cinéma et qu’elle devra être présentée comme telle. Le
biais esthétique ne sera donc pas forcément le seul convoqué : cette approche devra
s’adosser à de brèves introductions plus physiologiques (éventuellement avec un
professeur de Sciences de la Vie et de la Terre) et sur les sciences cognitives, à
partir de quelques expériences comme la 3D relief par exemple et la construction
de l’image par le cerveau.
- 572 -
Comment les films sont évalués et par qui ?
Il s’agirait là d’aborder la question de la critique cinématographique et des
différentes instances de légitimation, en restant dans le champ français. La question
des modalités d’élaboration du jugement de goût dans le champ du cinéma serait
abordée afin d’évoquer aussi la question de la hiérarchisation des arts et de la
légitimité culturelle. Les outils épistémologiques de la sociologie seraient largement
utilisés, l’essentiel étant qu’ils soient conscientisés comme tels.
La principale nouveauté de cette proposition de « programme » sera l’introduction
dans les études cinématographiques de la sociologie, très marginale au lycée.
L’introduction par le biais des enseignements artistiques d’un champ disciplinaire
nouveau se justifie par l’importance de la sociologie de l’art ou de l’anthropologie
du spectacle dans les études universitaires. Les apports théoriques que la sociologie
a permis dans le champ des enseignements artistiques ne sauraient aujourd’hui être
mis en question. La liaison lycée/Université n’en pourrait être que facilitée et par
ailleurs susciter des vocations auprès des lycéens, qui se trouveront sans doute pour
certains séduits par cette approche et cette nouvelle discipline. Par ailleurs, si les
enseignements artistiques revendiquent une dimension citoyenne, la sociologie ne
peut qu’aller dans le sens d’une meilleure compréhension des enjeux et du
fonctionnement d’une société, des lignes de force qui la structurent et la
constituent.
Si comme le dit Baruch Spinoza, l’illusion de la liberté provient de l’ignorance des
causes qui nous déterminent912, la sociologie, et particulièrement quand elle
s’applique aux arts, me semble être le meilleur outil pour faire des lycéens des
citoyens conscients de leur déterminisme, et, dans la foulée, pour faire de
l’enseignement du cinéma une véritable école de la Liberté.
912
SPINOZA Baruch, Ethique, Livre III, scolie de la proposition 2.
- 573 -
7 - GLOSSAIRE des acronymes utilisés
- 574 -
ACRIF : Association des Cinémas de Recherche d’Île-de-France
AP : Arts plastiques
BOEN : Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale (dit aussi BO)
BTS : Brevet de Technicien Supérieur
CAPES : Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré
CAV : Cinéma et Audiovisuel
CASEAC : Commission Académique de Suivi des Enseignements et Activités du
Cinéma-audiovisuel
CNC : Centre National du Cinéma et de l’image animée
CNDP : Centre National de Documentation Pédagogique
COSEAC : Commission d’Orientation et de Suivi des Enseignements et Activités
du Cinéma-audiovisuel.
CPGE : Classes Préparatoires aux Grandes Écoles
CRDP : Centre Régional de Documentation Pédagogique
DAAC : Délégation Académique à l’Action Culturelle
DGESCO : Direction Générale des Enseignements scolaire
DLA : Domaine Littéraire et Artistique
DRAC : Directions Régionales des Affaires Culturelles
ENS : École Normale Supérieure
FEMIS : Institut de Formation aux Métiers de l’Image et du Son
IGEN : Inspecteur Général de l’Éducation Nationale (dit aussi IG)
IPR : Inspecteur Pédagogique Régional
IO : Instructions Officielles
IUFM : Institut de Formation des Maîtres
LOLF : Loi Organique relative aux Lois de Finances
MANCAV : Mise À Niveau en Cinéma et Audiovisuel
OPV : Opérateur de Prises de Vues
PAF : Plan Académique de Formation
PR : Pôle de Ressources (dépend du CNC)
- 575 -
PREAC : Pôles de Ressources pour d’Éducation Artistique et Culturelle (dépend
des académies)
TICE : Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation
TL : Terminale Littéraire
TES : Terminale Économique et Sociale
TS : Terminale Scientifique
TSTI : Terminale Science et Technologies Industrielles
TSTT : Terminale Sciences et Technologie du Tertiaire (remplacée dans la réforme
du lycée 2010 par la filière STG : Sciences et Technologies de la Gestion et STI2D :
Sciences et Technologies Industrielles et du Développement Durable
SCEREN : Service Culture Édition Ressources Pour l’Éducation Nationale
- 576 -
8 - BIBLIOGRAPHIE
- 577 -
Ouvrages généraux
Philosophie, esthétique
- ARASSE Daniel, Le détail. Histoire rapprochée de la peinture, Paris : Flammarion, 1996.
- ARISTOTE, Poétique, trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris : Le Seuil, 1980.
- ARISTOTE, La Métaphysique, trad. J. Tricot, Paris : Vrin, 1970.
- BELL Clive, Art, version originale téléchargeable gratuitement sur Internet en
.pdf : http://www.manybooks.net/titles/bellc1691716917-8.html.
- ECO Umberto, La poétique de l’oeuvre ouverte, traduit de l’italien par Chantal Roux
de Bézieux avec le concours d’André Boucourechliev, Paris : Le Seuil, coll.
« Points », 1990.
- FOUCAULT Michel, L’ordre du discours, Paris : Gallimard, coll. « NRF », 1975.
- FOUCAULT Michel, Dits et écrits, Paris : Gallimard, 1988,
- KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, trad. A. Philonenko, Paris : Vrin,
coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 1993.
- KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, sous la direction de F. Alquié,
traduit de l’allemand par A. J.-L. Delamarre, J.-R. Ladmiral, M. B. De Launay, JeanM. Vaysse, L. Ferry et H. Wismann, Paris : Gallimard, coll. « Folio », 1985.
- KERLAN Alain, L’art pour éduquer : la tentation esthétique, contribution philosophique à
l’étude d’un paradigme, Laval : Presses de l’Université de Laval, 2004.
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- Guide des concours : http://www.guide-concours-enseignants-collegelycee.education.gouv.fr/cid51513/agregation-externe-section-arts.html
- BO n° 7 du 12 février 2004, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2004/7/MENP0302665A.htm.
- BO n° 39 du 28 octobre 2004, accessible en ligne
- BO n° 46 du 14 décembre 2006, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2006/46/MENE0602948N.htm.
- BO n° 10 du 6 mars 2008, accessible en ligne :
http://www.education.gouv.fr/bo/2008/10/MENE0800130N.htm.
- BO n° 4 du 29 avril 2010, accessible en ligne :
- 592 -
http://www.education.gouv.fr/cid51334/mene1007239a.html.
BO, « Enseignements artistiques », versions de 2001
- BO, « Enseignements artistiques », « cinéma et audiovisuel », Classe de Terminale,
version papier, édition du CNDP, collection « textes de référence – lycée (LEGT)
Programmes » , réédition décembre 2006, édition précédente juin 2002, version
téléchargeable en ligne :
http://www.cndp.fr/archivage/valid/81410/81410-13965-17670.pdf,
- BO, « Enseignements artistiques », classe de Première, version papier : édition du
CNDP, janvier 2002, collection « textes de référence – lycée (LEGT)
Programmes »
-
BO
hors
série
n°3
du
30
août
2001
version
en
ligne :
www.education.gouv.fr/bo/2001/hs3/arts.htm.
- BO, classe de Seconde, version papier : édition du CNDP, janvier 2002, collection
lycée, voie générale et technologique, série programme version en ligne :
http://www2.cndp.fr/produits/detailsimp.asp?Ref=755C0601.
BO, « Enseignements artistiques », versions de 2010
- BO, classe de Première et Terminale, Bulletin officiel spécial n° 9 du
30 septembre 2010, accessible en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid53325/
mene1019677a.html
- BO, classe de Seconde : Bulletin officiel n° 4 du 29 avril 2010, accessible en
ligne : http://www.education.gouv.fr/cid51334/mene1007239a.html.
- BO n° 45 du 4 décembre 2003, accessible en ligne :
- 593 -
http://www.education.gouv.fr/bo/2003/45/MENE0302620N.htm
Rapports institutionnels, textes et discours officiels
- Discours de Xavier DARCOS, le 21 juin 2007 au collège Jean-Lurçat, à Sarcelles,
dans le Val-d’Oise alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale,
accessible en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid5290/education-culturelleartistique.html
- Discours de Jack LANG, le 14 décembre 2002 :
http://www.education.gouv.frftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/2002/
01_14_discours_lang_artculture.pdf%22%20target=%22_blank%22%20onclick=
%22xt_med(‘C’,’11’,’01_14_discours_lang_artculture.pdf’,’T‘.
conférence de presse du 20 juin 2000 sur l’École primaire, document
accessible en ligne :
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/2000/20_06_conference_Écoleprima
ire.pdf.
- Discours de Caroline TASCA : http://discours.viepublique.fr/notices/003003427.html, et http://www.culture.gouv.fr/culture/actual
ites/conferen/education-artistique.htm.
- Discours d’André MALRAUX, prononcé à Athènes le 28 mai 1959 :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualités/dossiers/malraux2006/discours/a.
m-athenes.htm
- 594 -
Rapports
- Rapport d’AUCLAIRE Alain, « Par ailleurs le cinéma est un divertissement,
proposition pour le soutien à l’action culturelle dans le domaine du cinéma »,
rapport à Madame Christine ALBANEL, ministre de la Culture et de la
Communication,
novembre
2008,
téléchargeable
en
ligne :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/albanel/2008-12-10Rapport_Auclaire-Art.html.
- Rapport : « L’Éducation aux médias, enjeux, états des lieux et perspectives », de
Catherine BECCHETTI-BIZOT (IGEN), Alain BRUNET (IGAENR), JeanMichel CROISSANDAU (IGEN), Christine JUPPE-LEBLOND (IGEN), Michèle
LEBLANC (IGEN), Annie MAMECIER (IGEN), Guy MANDON (IGEN),
Alain MICHEL (IGEN), Paul RAUCY (IGEN) ; Christina SOUCHET ( IGEN),
Xavier SORBE (IGEN), publication interne, rapport n° 2007-083.
- Rapport : « Évaluation des mesures prises pour revaloriser la série littéraire en
lycée », de Catherine BECCHETTI-BIZOT (IGEN), Hélène BELLETTOSUSSEL (IGEN), Alain DULOT (IGAENR), Jean EHRSAM (IGEN), Philippe
FORSTMANN (IGAENR), Christine JUPPÉ-LEBLOND (IGEN), Annie
MAMECIER (IGEN), Jean MOUSSA (IGEN), Renaud NATTIEZ (IGAENR),
Christian SOUCHET (IGEN), Laurent WIRTH (IGEN), rapport n°2006-044 de
juillet 2006, accessible en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid4229/evaluation
-des-mesures-prises-pour-revaloriser-la-serie-litteraire-au-lycee.html
- Rapport « Chiffert » : « L’Éducation aux arts et à la Culture », présenté à Monsieur
le ministre délégué à l’enseignement scolaire et Monsieur le Ministre de la Culture
et de la Communication, rédigé par Christine JUPPE-LEBLOND, Anne
- 595 -
CHIFFERT, LESAGE Gérard, KRYNEN Marie-Madeleine, en janvier 2003.
www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/chiffert/rapport-chiffert.pdf.
- Rapports du Haut Conseil de l’Éducation Artistique et Culturelle :
http://www.education.arts.culture.fr/n-1/haut-conseil-de-leducation-artistique-etculturelle/rapports-annuels.html.
- Rapport de JUPPÉ-LEBLOND Christine : « Vous avez dit… image ? », diffusion
interne, janvier 1999.
- JUPPÉ-LEBLOND Christine, « État des lieux de la discipline », rédigé en 2008,
diffusion interne.
- JUPPÉ-LEBLOND Christine, « Guide Bac CAV », diffusion interne, 2007.
- Rapport de MARCHAND Jean-René : L’éducation à l’image, cinéma-audiovisuel, rendu
au ministre de la Culture et de la Communication en juillet 2001, Rapport n° 200127, diffusion interne.
- Rapport de RIGAUD Jacques : Pour une refondation de la politique culturelle de l’État,
rapport au ministre de la Culture, Paris : Édition de la documentation française, coll.
« Rapports officiels », 1996.
- Rapport IGEN - Inspection Générale de l’Éducation Nationale - Groupe de
l’enseignement scolaire : http://www.education.gouv.fr/cid1937/la-place-desenseignements-artistiques-dans-la-reussite-des-eleves.html.
- 596 -
Textes de loi
- Loi nº 11 696 du 8 mars 1882, promulguée au Journal officiel du 29 mars 1882.
Préambule à la Constitution du 27 octobre 1946.
- Code de l’éducation, créé par la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 - art. 9 JORF 24
avril 2005.
Loi d’orientation : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=
C588E130F6FDA2233316384DC8946922.tpdjo11v_2?cidTexte=LEGITEXT0000
06071191&idArticle=LEGIARTI000006524396&dateTexte=20100424&categorie
Lien=id#LEGIARTI000006524396
- Circulaire n° 2009-003 du 8-1-2009, MEN - DGESCO B2-3, accessible
en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid23416/mene0801023c.html
Rapports de jurys de concours
- Rapport de jury du CAPES externe 2009, téléchargeable en ligne :
http://www.education.gouv.fr/cid24070/sujets-capes-externe-2009.html.
- CHABANNES Roland, SAVOY Bernard, « Leçon portant sur l’œuvre
cinématographique inscrite au programme », rapport de jury de l’agrégation interne
de Lettres classiques, Paris : Édition du CNDP, 1993.
- 597 -
Documents pédagogiques
- BOUQUET Stéphane, L’Évangile selon saint Matthieu, Paris : Les Cahiers du cinéma
/SCEREN-CNDP, coll. « Les petits cahiers », 2003.
MAGNY Joël, L’Aurore, Paris : Les Cahiers du cinéma/SCEREN-CNDP, coll.
« Les petits cahiers », 2005.
- Télédoc : http://www2.cndp.fr/tice/teledoc, le site n’est plus actualisé depuis
2010
- SCEREN-CNDP :
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.asp?l=la-forme-courte&prod=19893
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-acteur-aucinema&prod=85598&cat=137611.
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=conte-dete&prod=19892&cat=137611
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-edencinema&cat=137611#I3516
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=laurore&prod=19811&cat=137611)
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-cinema-danimation&prod=19856&cat=137611
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-cinemadocumentaire&prod=19771&cat=137611
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-aurore-demurnau&prod=21050&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=abbaskiarostami&prod=20976&cat=137612
- 598 -
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-courtmetrage&prod=21071&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-economie-ducinema&prod=21053&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=cinemas-d-avantgarde&prod=21054&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=leburlesque&prod=21073&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=ledocumentaire&prod=20958&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=histoire-etcinema&prod=49566&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=l-homme-de-laplaine&prod=21026&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=lewestern&prod=21025&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-cinemachinois&prod=21066&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-cinemaafricain&prod=20956&cat=137612
http://www.sceren.com/cyber-librairie-cndp.aspx?l=le-recit-decinema&prod=20955&cat=137612
- 599 -
Sites officiels utilisés
- Blog de Henry JENKINS
http://henryjenkins.org
- Post du 28 mai 2005
- Post du 22 mars 2007
- Post du 13 octobre 2008
- Post du 12 décembre 2009 :
http://henryjenkins.org/2009/12/the_revenge_of_the_origon
- Post du 3 septembre 2010
- YouTube
seabiskit22 | 28 sept. 2006
acide2411 il y a 1 an
babyaboard il y a 3 ans
http://www.youtube.com/watch?v=omj4LIFjonY&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=_8xFEtSmxyw&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=VCQiTvv62E4&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=nrQcHXLqaOA
http://www.youtube.com/watch?v=jWTKfcoKzas
http://www.youtube.com/watch?v=JrXZhYv9fR4&feature=related,
http://www.youtube.com/watch?v=djx1_N_i_pI
http://www.youtube.com/watch?v=6KvWsQY9xi8&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=FWnnDS8xgQE&feature=channel
- Site de l’association Les Ailes du désir
http://www.ailesdudesir.com/positions/2003.html
http://www.ailesdudesir.com/bac.htm
- 600 -
- Site de Cinélycée
http://www.cinelycee.fr/
- Site du ministère de la Culture et de la Communication
http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Culture-et-communicationun-budget-en-forte-hausse
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/politique/educationartistique/educart/250483.htm
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/education-artistique.htm
http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Culture-et-communicationun-budget-en-forte-hausse
- Site du ministère de l’Éducation nationale
http://www.education.gouv.fr/cid1937/la-place-des-enseignements-artistiquesdans-la-reussite-des-eleves.html
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/2000/20_06_conference_Écoleprima
ire.pdf
http://www.education.gouv.fr/cid978/direction-generale-de-l-enseignementscolaire.html
http://www.educnet.education.fr/sigles/coseac
http://www.education.gouv.fr/cid21004/l-education-a-l-image-au-cinema-et-a-laudiovisuel.htmlconsulté
- Site des Cinémas Indépendants Parisiens
http://www.cinep.org/site/pages/association/presentation.htm
- Site du CNC
http://www.cnc.fr
www.cnc.fr/CNC.../charte_de_missionpolesregionaux_2007.pdf
- 601 -
- Site du CNDP
http://www.cndp.fr/
http://www.cndp.fr/archivage/valid/ 81410/81410-13965-17670.pdf
- Site sur le festival de Sarlat
http://www.ville-sarlat.fr/festival/
http://www.aquitaineonline.com/actualites-en-aquitaine/dordogne/festival-dufilm-de-sarlat-2010/palmares-festival-du-film-de-sarlat-2010.html
- Site de l’IRI
http://www.iri.centrepompidou.fr/outils/lignes-de-temps/
- Site du SCEREN
http://www2.cndp.fr/accueil/accueil.htm
- 602 -
Thèses et mémoire
- ACHAT Caroline, Enjeux de l’introduction de l’art à l’École primaire et au collège.
Processus d’apprentissage et mises en forme scolaire des confrontations aux oeuvres. Le cas du
cinéma, Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, sous la direction d’Élisabeth
BAUTIER, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis, soutenue le 12 avril 2010
- ARDOUIN Noëlle, L’école du cinéma, enseignement du cinéma et l’expérience pédagogique,
thèse de doctorat sous la direction de Marie-Claire ROPARS WUILLEUMIER,
Université Paris 8, 1987
- BOURDIER Philippe, Le cinéma et l’enseignement du Français dans les établissements
secondaires en France : constitution et implications idéologiques, thèse de doctorat en histoire
et sémiologie du texte et de l’image, sous la direction de Claude MURCIA, Paris 7,
2004
- BOUTIN Perrine, Le septième art aux regards de l’enfance : médiations dans les dispositifs
d’éducation à l’image cinématographique, thèse de doctorat en sciences de l’information
et de la communication, sous la direction d’Yves JEANNERET, Université,
d’Avignon et des pays du Vaucluse, soutenue le mercredi 1er décembre 2010
- DELAVAUD Gilles, L’image par le film : films documentaires et films didactiques pour
l’enseignement du cinéma, thèse de doctorat en sciences de l’information et de la
communication sous la direction de Roger ODIN, Université Paris 3 – Sorbonne
Nouvelle, 1992
- DESBARATS Francis, Origine, conditions et perspectives idéologiques de l’enseignement du
cinéma, thèse de doctorat en études cinématographiques sous la direction de Guy
CHAPOUILLÉ, Université de Toulouse Le Mirail, École supérieure d’audiovisuel,
soutenue en décembre 2001.
- GIMELLO Frédérick, Enjeux et stratégies de la politique de soutien au cinéma français.
Un exemple : La Nouvelle Vague, économie, politique et symbole, thèse de doctorat en
études cinématographiques, sous la direction de Guy CHAPOUILLIÉ, Université
- 603 -
Toulouse II – Le Mirail, 2000.
- PEDRINI Roberta, Des vidéocassettes au service de l’enseignement du cinéma, mémoire de
maîtrise sous la direction de Roger ODIN, Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle,
1996.
- 604 -
9 - ANNEXES
- 605 -
9.1
Liste des établissements proposant un enseignement
CAV et leur partenaire
- 606 -
- 607 -
- 608 -
- 609 -
- 610 -
- 611 -
- 612 -
- 613 -
- 614 -
- 615 -
- 616 -
- 617 -
- 618 -
9.2
Après le baccaauréat : CPGE et MANCAV
- 619 -
9.3
Exemple de convention de partenariale entre un
partenaire culturel et un établissement scolaire
- 620 -
- 621 -
- 622 -
9.4
Accords avec la PROCIREP
- 623 -
- 624 -
- 625 -
- 626 -
- 627 -
- 628 -
- 629 -
9.5
Convention avec le CNC pour la négociation des droits
des films du baccalauréat
CONVENTION 20XX
ENTRE
Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), établissement public à caractère administratif dont le
siège social est 12 rue de Lübeck 75784 PARIS CEDEX 16, représenté par Monsieur Eric Garandeau, Président, ciaprès désigné le CNC,
ET
La société XXXXXXXXXX, dont le siège social est XXXXXX, représentée par XXXXXX, possédant tous pouvoirs
à l’effet des présentes, ci-après désigné le contractant.
Vu le code du cinéma et de l’image animée, et notamment son article
L 111-2 2°c relatif aux missions du CNC;
Vu le décret du 17 décembre 2010 portant nomination du président du Centre national du cinéma et de l’image
animée – Monsieur Eric Garandeau ;
Il est convenu ce qui suit :
Article 1 - Film et dispositif concernés
Le Centre national du cinéma et de l’image animée et la société XXXXXX conviennent d’inscrire le film :
XXXXXX de XXXXXXXX
comme film proposé à l’étude et à l’examen du baccalauréat cinéma et audiovisuel des lycées (série L) dans le cadre
des Enseignements obligatoires ;
- 630 -
comme film proposé à la diffusion dans le cadre de l’opération Lycéens et apprentis au cinéma.
CHAPITRE I – ENSEIGNEMENTS OBLIGATOIRES DES LYCEES
Article 2 – Droits acquis par l’Etat
L’Etat acquiert, à titre non exclusif, pour une durée de trois ans à compter du 1er septembre 2011 pour l’œuvre
cinématographique intitulée :
XXXXXXXX de XXXXXXXXX
Les droits de reproduction sur support film en 35 mm et sur support numérique ;
Les droits de représentation publique en secteur non commercial pour les enseignements obligatoires en cinéma et
audiovisuel ouverts dans les établissements scolaires habilités par le Ministère de la culture et de la communication et
le Ministère en charge de l’éducation nationale (la liste mise à jour chaque année est annexée à la présente
convention).
Cette diffusion sera réalisée aux conditions suivantes : deux représentations par année sur support film 35 mm ou sur
support numérique pour chacun des établissements, dans les salles de cinéma habilitées, à l’occasion de projections
spéciales gratuites réservées aux élèves et aux professeurs des enseignements obligatoires en cinéma et audiovisuel
des lycées.
Article 3 - Mise à disposition des copies auprès des salles
Le contractant est chargé du stockage, du calendrier de circulation et du transport des copies.
Article 4 - Prix
Le montant des droits acquis par l'Etat à l'article 2 est fixé à 20 000 € T.T.C. (vingt mille euros) soit 18 957,35 € HT
(TVA à 5,5%).
Par ailleurs, une somme forfaitaire de 10 000 € T.T.C. (dix mille euros) soit 8 361,20 € HT (TVA à 19,6%) sera
versée au contractant afin de lui permettre de financer le transport, le stockage et la vérification des copies destinées
aux "Enseignements obligatoires des lycées ".
Article 5 - Réglement
La présente dépense est imputable sur les crédits du CNC D 3146, compte 651 pour l’achat de droits et compte 628
pour le transport, le stockage et la vérification des copies.
- 631 -
Le montant de l'achat de droits sera réglé en totalité à la signature de la présente convention.
La somme forfaitaire destinée à couvrir le transport, le stockage et la vérification des copies sera versée en septembre
20XX.
Le CNC se libérera des sommes dues en exécution des dispositions précédentes en faisant donner crédit au compte
n° XXXXX ouvert à la Banque XXXX au nom de XXXXX – Code Banque XXXX – Code Guichet XXX – Clé
XX.
Le comptable assignataire, chargé du paiement, est l'Agent comptable du CNC.
(…)
CHAPITRE III - DISPOSITIONS COMMUNES A LYCEENS ET APPRENTIS AU CINEMA ET AUX
ENSEIGNEMENTS OBLIGATOIRES DES LYCEES
Article 12 – Exploitation en 35 mm
Tirage et sous-titrage des copies
Le CNC prend directement à sa charge les frais de tirage et de sous-titrage des copies 35 mm.
Le contractant transmet au CNC les coordonnées du/des laboratoires pour le tirage et le sous-titrage des copies ainsi
que l’autorisation de tirage pour ce film. Lorsque la commande de copies est effectuée par le contractant, celui-ci
adresse au CNC au prix convenu les factures correspondantes au nombre de copies tirées.
Stockage des copies
Les copies font l’objet d’un étiquetage et d’une numérotation spécifiques (copies CNC n° ... - Opération Lycéens et
apprentis au cinéma). Ces copies sont stockées au dépôt habituel du distributeur. Elles font l’objet d’une vérification
systématique en période de vacances scolaires.
En fin d’année scolaire, le contractant transmettra au CNC un état précis du stock des copies.
Article 13 - Exploitation en numérique
Le CNC proposera un avenant au contrat fixant les modalités de mise à disposition de ce nouveau support.
Article 14 - Stockage et vérification des copies
Les copies font l’objet d’un étiquetage et d’une numérotation spécifiques (copies CNC n° ... – Opération Lycéens et
apprentis au cinéma). Ces copies sont stockées au dépôt habituel du contractant. Elles font l’objet d’une vérification
systématique en période de vacances scolaires.
En fin d’année scolaire, le contractant transmettra au CNC un état précis du stock des copies.
Article 15 – Affectation des copies à l’échéance des droits acquis par l’Etat et lors du retrait du film de la
liste nationale Lycéens et apprentis au cinéma
- 632 -
Lorsque les droits acquis par l’Etat viendront à échéance et que le film sera retiré de la liste nationale de l’opération
Lycéens et apprentis au cinéma, les copies du film seront remises au contractant, sauf si la présente convention était
renouvelée, à l’exception d’une copie en bon état qui sera remise par le contractant au Service des archives du film du
CNC à des fins de conservation.
Article 16 – Mise à disposition exceptionnelle d’une copie du stock du contractant
En cas de détérioration d’une des copies tirées pour Lycéens et apprentis au cinéma ou les Enseignements
obligatoires, le contractant s’engage à fournir au CNC, dans la mesure du possible, une copie de son stock, le temps
nécessaire à la réfection de la copie endommagée, voire au tirage d’une nouvelle copie.
Article 17 – Pré-projections du film
Le contractant accepte que des projections gratuites du film à destination de la presse et/ou des partenaires soient
organisées à titre de promotion des deux opérations, sans que cela ne donne lieu à une location.
Article 18 - Dispositions d’ordre pédagogique
Les copies peuvent être mises à la disposition des salles pour l’organisation de séances gratuites, dans le cadre d’un
travail pédagogique d’accompagnement (séances de prévisionnement notamment).
Le contractant s’engage, dans la mesure du possible, à mettre à la disposition des sociétés chargées par le CNC de la
réalisation des documents pédagogiques tous documents et matériels d’exploitation concernant le film : dossier de
presse, photos d’exploitation, affiches, scénario, liste des dialogues, liste des sous-titres, etc.
Le contractant autorise l’utilisation d’un certain nombre de photogrammes du film afin d’illustrer les documents
d’accompagnement et de promotion qui seront réalisés et diffusés gratuitement dans le cadre de cette opération. Il
autorise la reproduction gracieuse de l’affiche d’exploitation du film à l’intention des enseignants et des salles de
cinéma. L’ensemble de ces éléments sont mis en ligne sur le site du CNC avec possibilité de consultation ou de
téléchargement.
Le contractant autorise la reproduction de deux extraits du film sur le site www.site-image.eu. Ce site, conçu en
partenariat avec le CNC, par la Scène Nationale Lux à Valence, complète les ressources pédagogiques proposées aux
acteurs de l’éducation à l’image et participe à la promotion du film. Ces deux extraits n’excèdent pas 5 minutes
chacun. La consultation des séquences pédagogiques ne se fera qu’à partir d’une adresse IP situé sur le territoire
- 633 -
national.
Deux exemplaires du DVD du film seront fournis au CNC - Service de la diffusion culturelle, pour archives.
Article 19 – Evolution des dispositifs scolaires du CNC
Le contractant est informé que les modalités de fonctionnement de ces dispositifs scolaires sont susceptibles
d’évoluer dans les années à venir. Ces évolutions éventuelles feront, le cas échéant, l’objet d’un avenant.
Article 20 – Contestations
Toutes contestations nées de l’interprétation ou de l’exécution de la présente convention seront de la compétence
exclusive de la juridiction administrative française.
Article 21 – Résolution
La présente convention pourra être résiliée en cas d’inobservation des dispositions, dans un délai de 3 mois à
compter de la réception d’une lettre recommandée envoyée par le CNC.
Fait à PARIS, le
En trois exemplaires originaux
our le contractant,
Le Président du CNC et par délégation,
la Société XXXXXXXXX
Anne Cochard
Directrice de la création, des territoires et des publics
X
Le Contrôleur général,
Marie Françoise Rivet
N.B. : Faire précéder la signature du contractant de la mention manuscrite “ lu et approuvé ”.
- 634 -
9.6
1989
Année scolaire
Liste des films au programme du baccalauréat depuis
Film Français
Film européen
Autres cinématographies
Programme
audiovisuel
2007-2008
Hiroshima
mon
amour
2008-2009
Hiroshima
L’Aurore (depuis 20062007)
mon
2046
amour
2009-2010
Hiroshima
2046 (depuis 2006-2007)
La Mort aux trousses
mon
L’Homme à la caméra
La Mort aux trousses
L’Homme à la caméra
La Mort aux trousses
amour
2010-2011
Yaleen
2011-2012
Conte d’été
L’Homme à la caméra
- 635 -
Yaleen
9.7
Référentiel du DLA en BTS audiovisuel
- 636 -
- 637 -
9.8
Exercice donné à des élèves de l’enseignement de
spécialité « cinéma et audiovisuel »
- 638 -
9.9
Tableau récapitulatif des références utilisées dans les
analyses filmiques du Cahier des ailes du désir étudiées
NB : Les références sont données telles qu’elles sont citées dans les opus concernés
Noms convoqués à des fins théoriques
Cinéastes
et
artistes
convoqués
pour
comparer leurs œuvres à l’œuvre étudiée
A
B
L’Avant scène 6/14
Chantal Akerman 17/23
Robert Allen et D. Gommery 6/14
Antonioni 17/24
Bazin 17/3 + 17/8 + 17/10 + 6/15
dans
l’expression
« le
plan-
séquence…figure chère aux baziniens »
6/15
Roland Barthes 14/17
Maurice Blanchot 17/6
Raymond Bellour 17/26 + 17/10
(bibliographie) + 13/26
Jean Bessalel 6/16
Patrick Brion 17/39
C
Chabrol 17/8 + 17/3 + 16/26
Sophie Calle 17/24
Cahier du cinéma (edition du) 17/26 x2 + Capra 17/27
17/10 + 6/16 « petite bibliothèque des Chabrol 17/7 x2
Cahiers du Cinéma »
Chaplin 17/23
Cahiers du cinéma (revue) 17/3 + 17/16
Clouzot 17/8
+ 6/15 dans l’expression « une certaine Cukor 17/27
tendance de la critique sise aux Cahiers Frère Coen 17/32
du Cinéma »
James Cameron 17/32
Revue Cinéma 42 /17
Cocteau, par l’intermédiaire d’une allusion à
Contre Bande 6/14
Orphée
- 639 -
16/22
Jean-Pierre Coursodon 17
Revue Contreplongée 17
Revue Cinemaction n° 72 et 73 2/24
Michel Chion 17/26 + 14/15 + 2/24
Véronique Campan 14/15-16
D
Gille Deleuze 17/3
Germaine Dulac 14/17
Demonsablon 6/15
Jean Domarchi 17/10
Jean Douchet 17/6+ 17/3 + 17/10 +
17/42 + 6/15
E
Eisenstein 6/15
F
Freud dans l’expression « au sens
freudien » 17/23 dans « l’inquiétante
étrangeté » 17/24
G
Jean-Luc Godard 17/8 + 17/6 + 17/3 Griffith 17/4 + 14/16
+ 17/3 + 17/8 + 6/15 + 16/26 +
16/24
André Gardies 6/16
H
Hawks 17/24 + 17/34
Dennis Hoper 17/24
J
Pierre Jenn 17/26 + 2/24
Jean-Pierre Jackson 6/14
K
Bill
Krohn
17/10
+
17/23 Buster Keaton 14/17
(bibliographie)
L
Yves Lavandier 17/35
M
Pierre Maillot 2/24
Christian
Metz
Léo Mac Carey 17/27
17/7
+
17/10 Manet 17/9
(Bibliographie) + 6/16 (Bibliographie)
Mayerhold 14/16
Luc Moullet 17/26 + 6/15
Alexandre Macendrick 14/16
- 640 -
Jean-Jacques Marimbert (dir) 17/42
John Mac Tiernan 17/30
Mario Monicelli 17/30
N
Cyril Neyrat 16/27
O
Roger Odin, De la fiction 17/6
P
Benoit Peters 17/10
Arthur Penn 17/24
Platon 17/8 + 17/20
Lulu Pick 14/15
B. Pingaud 16/26
Artavazd Pelechian 6/16
Positif 16/ 31
R
Marthe Robert 17/3
Georges Roy Hill 17/6
Rivette 6/15
Reinhart 14/16
Rohmer 17/3-8 + 6/15 + 16/3
S
Daniel Serceau (6/14)
Richard Sarafian 17/22
Noel Simsolo 17/26
Rod Serling 17/22
Synopsis (6/14)
Ridley Scott 17/24
Spielberg 17/23
Maurice Stiller 14/17
T
François Truffaut 17/6 + 17/3 + 17/7 Tati 17/25
x2 + 17/9 + 17/10 + 17/11 + 17/32
+ 17/34
Charles Tesson 6/21
W
Z
Geoffrey Wansell 17/32
Orson Welles 17/9 + 17/7
Claude Zidi 17/32
- 641 -
9.10
Documents utilisés pour l’étude des analyses
filmiques sur L’Atalante
- 642 -
- 643 -
- 644 -
- 645 -
- 646 -
- 647 -
- 648 -
- 649 -
- 650 -
- 651 -
- 652 -
- 653 -
- 654 -
- 655 -
- 656 -
- 657 -
- 658 -
- 659 -
- 660 -
9.11
Livret des DVD de la collection « L’Éden cinéma »
- 661 -
9.12
Exemple de sujet type baccalauréat, épreuve écrite
- 662 -
- 663 -
- 664 -
- 665 -
- 666 -
- 667 -
- 668 -
- 669 -
- 670 -
9.13
Les Ailes du désir : conseil pour l’analyse filmique
- 671 -
9.14
Exemple de cahier des charges BTS audiovisuel
ETABLISSEMENT : LYCEE POLYVALENT EVARISTE GALOIS – NOISY LE GRAND
PROJET :
N°Affaire : EPS 2011 PROJET 3
Titre (provisoire) : La Roue du temps
Genre : Magazine culturel tourné en multi-caméras, avec Durée totale : environ 26 mn
diffusion d’un portrait, et captation d’un spectacle de
danse au cours de l’émission.
Format de tournage : DV Cam, XD Cam ou P2
F. de postproduction : DV Cam, XD Cam ou P2
Diffusions envisagées : Réseau interne, vidéoprojection
Support de diffusion : DVD et PAD DV Cam
(ou grand écran)
EQUIPE :
Professeur responsable :
Nom des réalisateurs :
Barbara Laborde / Jérôme Devanne (portrait)
Marc Ruggeri
Rémi Proust (plateau)
Nombre
d'étudiants :
Options représentées :
Métiers du son :
2
Montage et Postproduction :
1
Techniques d'ingénierie / exploitation :
2
Gestion de production :
2
Nombre
total
d'étudiants
responsables :
Noms des étudiants responsables :
(après tirage au sort)
Candidat n° 1 :
Candidat n° 2 :
Candidat n° 3 :
Candidat n° 4 :
Candidat n° 5 :
Candidat n° 6 :
Candidat n° 7 :
7
Assistants – Postes occupés :
• Assistant son,
• Scripte, décorateur,
• Etc.
• 3 ou 4 cadreurs,
• 1 ou 2 éclairagistes,
• Assistant plateau,
• 2 Réalisateurs (Plateau et reportage)
• Opérateur de prise de vues,
• Chef éclairagiste
Interventions extérieures :
• Un présentateur,
• Compagnie de danse,
• Musiciens.
Moyens techniques mis en œuvre :
•
•
•
•
•
•
Unités de tournage,
Éclairage,
Plateau et régie multicaméra,
Vidéoprojecteurs (ou grand écran),
Régie mobile de sonorisation,
Réseau d'ordres numérique,
•
•
•
•
•
•
Banc de montage virtuel,
Régie mobile de postproduction son,
Station vidéographique,
Station d'encodage,
Station de DVD authoring,
Réseau Ethernet.
Contraintes (techniques, matérielles, géographiques…) :
- 672 -
•
•
•
•
•
•
•
•
Plateau multicaméra,
Éclairage, décor, énergie.
Une caméra divergée,
Diffusion directe en streaming sur Intranet,
Vidéoprojection publique,
Fabrication d’un DVD menu,
Fabrication d’un PAD DVCam,
Etc.
Note d'intention du projet :
Ce projet présente, dans le cadre d’un magazine culturel sur la danse, un portrait de la chorégraphe Gilberte
Meunier. Nous accompagnerons la chorégraphe dans son travail de création et de répétitions afin d’offrir d’elle un portrait
d’environ 7 mn. Ce portrait sera intégré à un plateau multi-caméras de 26 mn au cours duquel on présentera un extrait de
son spectacle à venir intitulé provisoirement : La Roue du temps. Le fondement de ce spectacle est l'alliance de la danse
contemporaine et de la culture bretonne dans ses aspects musicaux, poétiques et linguistiques.
Le portrait envisagera la façon dont Gilberte Meunier s'associe avec le compositeur minimaliste Milos Raickovich
pour une composition musicale d'inspiration classique, et avec l'interprète/compositeur Erwan Quintin pour une
composition d'inspiration bretonne. A eux trois, ils créent un récit où se tissent des tableaux chorégraphiques mettant en
scène les thèmes universels de la vie, de l'amour et de la mort. Gilberte Meunier travaille à cette chorégraphie avec la
compagnie de danse bretonne Dañserien Pariz.
Le plateau donnera à voir un extrait du spectacle d’une durée approximative de 17 mn où la chorégraphie mettra
en scène 12 danseurs, 3 musiciens et un chanteur-récitant.
Ce projet donnera lieu à la réalisation d’un DVD. où figureront séparément le magazine de 26 mn, le portrait de
Gilberte Meunier et la captation du spectacle de danse dans son intégralité.
Candidat n° 1 :
Métiers du son :
• Analyse des documents initiaux (note d'intention, découpage…) et dépouillement,
• Responsabilité du son dans ses aspects techniques et artistiques,
• Repérages : séquences monocaméra ,
• Évaluation et choix (technologique et artistique) des moyens techniques audio nécessaires en fonction des contraintes,
• Responsabilité des moyens techniques nécessaires à la prise de son, au montage sonore et au mixage : préparation,
installation, câblage, paramétrage, configuration, essais, maintenance niveau 2 – détection des pannes niveau 3,
• Organisation des flux en relation avec la production et postproduction audio du portrait,
• Conception sonore, prise de son , montage sonore et mixage du portrait,
• Préparation et fabrication des éléments de l'habillage sonore pour le DVD ,
• Mise en œuvre des moyens de direct (captation multicaméra) :
o
Conception, mise en place et configuration du réseau d'ordres (intercom),
o
Enregistrement multipistes de sécurité pour le plateau,
• Responsabilité de la partie son PAD final du portrait,
• Collaboration au dossier de production commun,
• Dossier individuel : documents spécifiques de la spécialité, note de synthèse (3 pages maximum).
- 673 -
Candidat n° 2 :
Métiers du son :
• Analyse des documents initiaux (note d'intention, découpage…) et dépouillement,
• Responsabilité du son dans ses aspects techniques et artistiques,
• Repérages : partie son de la captation multicaméra,
• Évaluation et choix (technologique et artistique) des moyens techniques audio nécessaires en fonction des contraintes,
• Responsabilité des moyens techniques nécessaires à la prise de son, au montage sonore et au mixage : préparation,
installation, câblage, paramétrage, configuration, essais, maintenance niveau 2 – détection des pannes niveau 3,
• Organisation des flux en relation avec la production et postproduction audio sur la partie multicaméra,
• Mise en œuvre des moyens de direct (captation multicaméra) :
o Établissement des synoptiques de câblage audio,
o Configuration technique audio,
o Mise en place, réglage et mise aux normes de la chaîne son,
o Prise de son et mixage direct du plateau,
• Postproduction sonore (si nécessaire) de la partie multicaméra,
• Responsabilité de la partie son (pour la partie multicaméra) pour le PAD final,
• Collaboration au dossier de production commun,
• Dossier individuel : documents spécifiques de la spécialité, note de synthèse (3 pages maximum).
Candidat n° 3 :
Montage et postproduction :
• Analyse des documents initiaux (note d'intention, scénario, découpage…) et dépouillement,
• Responsabilité du montage dans ses aspects techniques et plastiques,
• Responsabilité des moyens techniques nécessaires au montage, à la postproduction et à la finition des images :
préparation, installation, câblage, paramétrage, et configuration du matériel en respect des normes techniques,
• Configuration des réseaux et organisation des flux,
• Import, digitalisation éventuelle, dérushage, pré-montage et montage,
• Préparation des éléments de l'habillage et des effets visuels,
• Trucages et effets spéciaux de postproduction,
• Fabrication d’une K7 PAD du portrait,
• Collaboration au dossier de production commun,
• Dossier individuel : documents spécifiques de la spécialité, note de synthèse (3 pages maximum).
Candidat n° 4 :
Techniques d'ingénierie et exploitation des équipements :
• Analyse des documents initiaux (note d'intention, scénario, découpage…) et dépouillement,
• Repérages : séquences monocaméra et multicaméra (puissance électrique, partie image),
• Évaluation et choix des moyens techniques nécessaires en fonction des contraintes,
• Responsabilité du matériel vidéo : préparation, installation, essais – maintenance niveau 3,
• Mise en œuvre des moyens de direct (captation multicaméra) :
o Établissement des synoptiques de câblage vidéo,
o Installation, câblage, réglage et mise aux normes de la chaîne image,
o Réglage de la vision (poste ingénieur vision) pendant la captation multicaméra,
• Configuration et organisation du workflow (production et postproduction),
• Fabrication d’une K7 PAD du plateau,
- 674 -
• Collaboration au dossier de production commun,
• Dossier individuel : documents spécifiques de la spécialité, note de synthèse (3 pages maximum).
Candidat n° 5 :
Techniques d'ingénierie et exploitation des équipements :
• Analyse des documents initiaux (note d'intention, scénario, découpage…) et dépouillement,
• Repérages : séquences monocaméra et multicaméra (puissance électrique, partie image),
• Évaluation et choix des moyens techniques nécessaires en fonction des contraintes,
• Responsabilité du matériel informatique : préparation, installation, essais – maintenance niveau 3,
• Mise en œuvre des moyens de direct (captation multicaméra) :
o Établissement des synoptiques de câblage et des procédures informatiques,
o Configuration et exploitation des moyens de trucage et effets de direct,
o Préparation et mise en œuvre des moyens de diffusion analogiques (projection) et numériques (diffusion en
streaming sur le réseau interne),
• Conversions, compression et transferts de fichiers,
• Réalisation d’un DVD vidéo comportant des menus,
• Collaboration au dossier de production commun,
• Dossier individuel : documents spécifiques de la spécialité, note de synthèse (3 pages maximum).
Candidat n° 6 :
Gestion de production : Chargé(e) de production du portrait de la chorégraphe, responsable
du PAD diffusé lors du plateau.
• Analyse des documents initiaux (note d'intention, scénario, découpage…) et dépouillement,
• Analyse juridique du spectacle chorégraphique et des contraintes relatives au portrait,
• Conception et préparation des documents nécessaires au suivi du projet,
• Participation aux repérages,
• Réservation des moyens et outils nécessaires au projet,
• Suivi financier : établissement du devis dans les conditions professionnelles, suivi des dépenses, calcul des coûts et
écarts,
• Contacts et communication : lieux, intervenants, participants, équipe, préparation et conduite des réunions,
• Organisation de la production, suivi et contrôle des délais et des activités,
• Suivi juridique : autorisations, déclarations, formalités, contrats, établissement et contrôle du générique, dépôt légal,
• Archivage des éléments du projet (supports, fichiers, documents),
• Collecte et mise en forme du dossier de production commun en collaboration avec les autres membres de l'équipe,
• Dossier individuel : note de synthèse (3 pages maximum).
- 675 -
Candidat n° 7 :
Gestion de production : Chargé(e) de production du magazine et de la captation multi
caméras de l’extrait du spectacle, responsable du DVD.
• Analyse des documents initiaux (note d'intention, scénario, découpage…) et dépouillement,
• Analyse juridique du spectacle chorégraphique et de sa captation,
• Conception et préparation des documents nécessaires au suivi du projet,
• Participation aux repérages,
• Réservation des moyens et outils nécessaires au projet,
• Suivi financier : établissement du devis dans les conditions professionnelles, suivi des dépenses, calcul des coûts et
écarts,
• Contacts et communication : lieux, intervenants, participants, équipe, préparation et conduite des réunions,
• Organisation de la production, suivi et contrôle des délais et des activités,
• Suivi juridique : autorisations, déclarations, formalités, contrats, établissement et contrôle du générique, dépôt légal,
• Archivage des éléments du projet (supports, fichiers, documents),
• Collecte et mise en forme du dossier de production commun en collaboration avec les autres membres de l'équipe,
• Dossier individuel : note de synthèse (3 pages maximum).
Supports à présenter pour l'Épreuve orale :
• Un dossier de production relatif au projet, commun à l'ensemble de l'équipe,
• Un dossier individuel par candidat (documents spécifiques à l'option – note de synthèse de trois pages maximum),
• La production audiovisuelle sur support(s) professionnel(s).
- 676 -
COMPETENCES EVALUEES LORS DE L'EPREUVE ORALE :
• Analyser et respecter le cahier des charges du projet,
• S'approprier le projet et le situer dans son contexte,
• Analyser et prendre en compte l'ensemble des éléments du projet dans le cadre de son option,
• Collaborer au projet en intégrant les contraintes liées au travail d'équipe,
• Exposer l'ensemble des éléments constitutifs du projet,
• Exposer et justifier les choix opérés,
• Présenter les modalités de sa participation personnelle et de ses relations avec l'équipe.
CAHIER DES CHARGES VALIDE LE :
LE PRESIDENT DE LA COMMISSION :
- 677 -
INTRODUCTION ......................................................................................... 11
1 - LE CINÉMA COMME ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE,
PRÉALABLES POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES.................................27
1.1
Les conditions paradigmatiques d’un enseignement artistique : l’éducation artistique comme
politique culturelle ......................................................................................................................................................29
1.1.1
De l’État dans la culture en France : très brève mise en perspective ................................................................. 30
1.1.2
Les arts à l’École .......................................................................................................................................................... 35
1.1.3
Le « Plan de cinq ans pour les arts à l’École » ........................................................................................................ 38
1.2
Paradigmes des discours officiels ...................................................................................................................41
1.2.1
Arts, artistes, culture et citoyenneté.......................................................................................................................... 41
1.2.2
La nécessaire transmission du patrimoine contre l’ « uniformisation culturelle » ............................................ 51
1.2.3
Les discours officiels portant sur le cinéma : enseignement du cinéma, éducation a l’image, éducation aux
médiass......................................................................................................................................................................................... 62
1.2.4
1.3
Bilan temporaire : le « modèle esthétique de l’éducation » et sa mise en question par la sociologie ............ 70
Le cas de l’enseignement du cinéma : conditions historiques, politiques, légales, juridiques et
financières.....................................................................................................................................................................79
1.3.1
De l’entrée du cinéma à l’École : bref aperçu historique...................................................................................... 79
1.3.2
Modalités budgétaires : répartitions entre ministère de l’Éducation nationale et ministère de la Culture ... 86
1.3.3
Le pilotage des services centraux .............................................................................................................................. 89
1.3.4
Les prises en charge territoriales : DAAC et DRAC............................................................................................. 93
1.3.5
Les conditions légales et juridiques de l’enseignement du cinéma et de l’audiovisuel : les accords sectoriels
avec la PROCIREP ................................................................................................................................................................... 98
1.3.6
Le rôle du CNC et des « Pôles ».............................................................................................................................. 102
1.3.7
Les supports pédagogiques institutionnels : le SCEREN-CNDP et les CRDP ............................................. 108
1.3.8
Les enjeux économiques et politiques actuels d’un tel engagement de l’État................................................. 111
1.3.9
Conclusion de la première partie ............................................................................................................................ 113
2 - ENSEIGNER LE CINÉMA : UNE PERSPECTIVE
SOCIOLOGIQUE..........................................................................................115
2.1
Voir des films à l’École : lesquels et pourquoi ? ....................................................................................... 121
2.1.1
Quel « arbitraire culturel » en matière de cinéma ? .............................................................................................. 121
2.1.2
Les instances de légitimation ................................................................................................................................... 124
2.1.3
Le désir de la transmission patrimoniale comme culture légitime .................................................................... 131
- 678 -
2.1.4
Le choix des films au programme du baccalauréat.............................................................................................. 136
2.1.5
Hésitations terminologiques : cinéma vs audiovisuel........................................................................................... 139
2.2
Qui enseigne le cinéma ? ............................................................................................................................... 146
2.2.1
Une situation institutionnelle ambiguë : le « professeur de cinéma » ............................................................... 146
2.2.2
La formation initiale : le rôle des IUFM (Institut de Formation des Maîtres)................................................ 160
2.2.3
La formation continue : la certification en « cinéma et audiovisuel »............................................................... 162
2.2.4
La formation continue : le Plan Académique de Formation (PAF) ................................................................. 167
2.2.5
Les conventions partenariales.................................................................................................................................. 172
2.2.6
L’intervenant « partenaire »...................................................................................................................................... 176
2.3
Des attitudes professorales ........................................................................................................................... 184
2.3.1
Comment enseigner ? Le syndrome de la dispute ............................................................................................... 184
2.3.2
Les dangers du divertissement................................................................................................................................. 194
2.3.3
Une association : « Les Ailes du désir » ................................................................................................................. 200
2.3.4
Le goût des festivals .................................................................................................................................................. 205
2.4
Sociologie de l’expérience scolaire : une reproduction culturelle finalement aléatoire...................... 210
2.4.1
L’École peut-elle former un public ?...................................................................................................................... 210
2.4.2
L’acte éducatif est-il assimilable à une action culturelle ? ................................................................................... 220
2.4.3
Cinéma et art de masse : le pouvoir des industries culturelles contre la culture scolaire.............................. 222
2.4.4
Où l’on retrouve le plaisir… et la relativisation des valeurs de l’École............................................................ 231
2.4.5
La vision consumériste du parcours curriculaire.................................................................................................. 236
2.4.6
Bilan : ce qu’il reste à la culture scolaire................................................................................................................. 243
3 - LE CONTENU DES ENSEIGNEMENTS : QUELS PARADIGMES
THÉORIQUES ? ..........................................................................................249
3.1
Préambule : enseignement du cinéma et théorie du cinéma ................................................................... 250
3.1.1
Quelle place pour la théorie dans les études cinématographiques en lycée ?.................................................. 250
3.1.2
Premiers constats : influence du structuralisme et de l’immanentisme pour une approche formaliste de
l’œuvre d’art .............................................................................................................................................................................. 253
3.2
Comment se manifestent ces influences théoriques sur les programmes officiels ? ............................ 258
3.2.1
Ce qu’est l’art et ce qu’il n’est pas ........................................................................................................................... 258
3.2.2
La “version standard” de l’histoire du style .......................................................................................................... 261
3.2.3
Un extrait du BO particulièrement révélateur : l’étude du montage en Terminale ........................................ 267
3.2.4
La notion de « genre cinématographique » dans le BO de Première ................................................................ 283
3.2.5
Le « présentisme » : le BO de Terminale et la « néophilie »................................................................................ 289
3.2.6
Les cinémas « nationaux » ........................................................................................................................................ 301
3.2.7
Des programmes « Gender blind »......................................................................................................................... 304
- 679 -
3.3
Où l’on retrouve la cinéphilie « moderne » : l’influence des représentations cinéphiliques sur les
programmes officiels................................................................................................................................................ 307
3.3.1
La notion de « grand auteur » et la « politique des Auteurs »............................................................................. 308
3.3.2
« Écriture », « auteur », « scénariste », retour au BO de Première...................................................................... 310
3.3.3
L’ « auteurisme » mis en question ou tout le reste n’est que littérature............................................................ 320
3.3.4
Conclusion .................................................................................................................................................................. 323
4 - THÉORIE, PRATIQUES ET MÉTHODES POUR L’ANALYSE
FILMIQUE. .................................................................................................. 325
4.1
Préambules...................................................................................................................................................... 326
4.1.1
L’ekphrasis .................................................................................................................................................................... 326
4.1.2
L’apprentissage terminologique .............................................................................................................................. 328
4.2
Présupposés et théories à l’œuvre dans l’analyse filmique...................................................................... 332
4.2.1
L’héritage de la linguistique : structuralisme et sémiologie................................................................................. 339
4.2.2
Analyse filmique et analyse littéraire....................................................................................................................... 344
4.2.3
Synthèse des présupposés théoriques de ce type d’analyse ................................................................................ 349
4.2.4
Délimitation d’un corpus d’études de données « de terrain » ............................................................................ 351
4.2.5
Constatations générales ............................................................................................................................................ 353
4.3
L’analyse comme observation des formes.................................................................................................. 356
4.3.1
La liaison forme/contenu dans l’interprétation comme construction d’un sens implicite........................... 356
4.3.2
D’autres héritages du structuralisme ...................................................................................................................... 363
4.3.3
L’œuvre comme « texte ».......................................................................................................................................... 367
4.3.4
Analyse filmique et cohérence de l’œuvre ............................................................................................................. 370
4.3.5
L’étude narratologique ou l’influence de la linguistique : « l’analyse de film comme récit »......................... 378
4.3.6
« L’interprétation symptomatique » ........................................................................................................................ 385
4.3.7
Retour à l’ « auteurisme » comme enjeu de production de sens dans l’analyse filmique .............................. 389
4.4
De quelques stratégies « routinières » de production de sens ................................................................. 397
4.4.1
L’analyse « plastique » du film ................................................................................................................................. 398
4.4.2
Analyse des écarts en vue de rappeler la norme................................................................................................... 400
4.4.3
L’analyse filmique d’un extrait : l’analyse de séquences ...................................................................................... 403
4.4.4
L’analyse filmique comme dévoilement................................................................................................................. 405
4.4.5
Texte et glose : le goût du style ............................................................................................................................... 406
4.4.6
La figure unifiée du spectateur ou le « déni de la réception » ............................................................................ 409
4.4.7
Les références convoquées ...................................................................................................................................... 414
4.4.8
Les routines à l’œuvre : étude comparative d’analyses filmiques ou comment fonctionne l’apprentissage
« par imprégnation » ................................................................................................................................................................ 415
4.4.9
Conclusion sur l’analyse filmique............................................................................................................................ 450
- 680 -
4.5
Analyse des « outils » pédagogiques pour l’analyse des films en lycée.................................................. 457
4.5.1
Les outils d’accompagnement pédagogiques produits par l’Institution : l’exemple de « L’Éden cinéma »457
4.5.2
Synthèse des présupposés théoriques proposés dans ces documents pédagogiques..................................... 475
4.5.3
Le document pédagogique sur support papier : la collection des « Petits cahiers »....................................... 483
4.5.4
Les épreuves d’analyse filmique au baccalauréat et leurs critères d’évaluation............................................... 490
5 - LES COMPÉTENCES LIÉES À LA PRATIQUE ET AU SAVOIRFAIRE : « FAIRE DES FILMS » À L’ÉCOLE. ........................................... 494
5.1
Évaluer les savoirs et le savoir-faire............................................................................................................ 495
5.1.1
Textes officiels et préambules généraux ................................................................................................................ 495
5.1.2
L’épreuve écrite.......................................................................................................................................................... 497
5.1.3
L’épreuve orale : le « film du bac » et le « carnet de bord »................................................................................ 500
5.2
Les enjeux de la pratique .............................................................................................................................. 504
5.2.1
Quels enjeux pédagogiques ? ................................................................................................................................... 504
5.2.2
Pédagogie, amateurisme et pratiques scolaires ..................................................................................................... 506
5.2.3
Le rapport à la pratique comme retour de la puissance symbolique du verbe ............................................... 511
5.2.4
La mise en œuvre de la pratique : les différentes étapes du projet du « film du bac »................................... 515
5.2.5
Après le baccalauréat : les délocalisations des « films du bac ».......................................................................... 523
5.2.6
Créativité et création ................................................................................................................................................. 536
5.2.7
Évaluation d’une technique sans corps.................................................................................................................. 540
6 - EN GUISE DE CONCLUSION : QUELQUES PROPOSITIONS
THÉORIQUES ET PRAXÉOLOGIQUES ................................................543
6.1
Sur les paradigmes théoriques : d’autres approches sont possibles ...................................................... 546
6.1.1
Éloge du confort ou les vertus pédagogiques du plaisir ..................................................................................... 546
6.1.2
Quand y a-t-il enseignement du cinéma ?.............................................................................................................. 549
6.2
Sur la pratique : propositions ...................................................................................................................... 556
6.3
Évaluation d’une autre approche théorique : conclusion en forme d’élargissement philosophique 561
6.4
Conclusion générale : pour une autre approche du cinéma.................................................................... 570
7 - GLOSSAIRE des acronymes utilisés ...................................................574
8 - BIBLIOGRAPHIE ............................................................................... 577
- 681 -
9 - ANNEXES ............................................................................................605
9.1
Liste des établissements proposant un enseignement CAV et leur partenaire .................................... 606
9.2
Après le baccaauréat : CPGE et MANCAV .............................................................................................. 619
9.3
Exemple de convention de partenariale entre un partenaire culturel et un établissement scolaire. 620
9.4
Accords avec la PROCIREP ........................................................................................................................ 623
9.5
Convention avec le CNC pour la négociation des droits des films du baccalauréat ........................... 630
9.6
Liste des films au programme du baccalauréat depuis 1989 .................................................................. 635
9.7
Référentiel du DLA en BTS audiovisuel .................................................................................................... 636
9.8
Exercice donné à des élèves de l’enseignement de spécialité « cinéma et audiovisuel » ..................... 638
9.9
Tableau récapitulatif des références utilisées dans les analyses filmiques du Cahier des ailes du désir
étudiées....................................................................................................................................................................... 639
9.10
Documents utilisés pour l’étude des analyses filmiques sur L’Atalante .............................................. 642
9.11
Livret des DVD de la collection « L’Éden cinéma » ............................................................................... 661
9.12
Exemple de sujet type baccalauréat, épreuve écrite............................................................................... 662
9.13
Les Ailes du désir : conseil pour l’analyse filmique ............................................................................... 671
9.14
Exemple de cahier des charges BTS audiovisuel .................................................................................... 672
- 682 -