MARC SAN
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LA PORTE
INTERIEURE
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Poussez la porte intérieure, entrez et recouvrez la liberté.
Renouez avec votre âme et votre identité universelle.
Retrouvez votre héritage spirituel.
Aurez-vous le courage d’entrer ?
Pour contacter l’auteur et lui adresser vos commentaires.
Mailto: marcsan@fr.st
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Table des matières
-
La porte intérieure
Table des matières
Avertissement
Introduction
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Biographie
Dos-couverture
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La porte intérieure
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Avertissement
Ce livre a été écrit, la plupart du temps, sous forme de récit.
Il ne s’agit pas là de passages de la vie de l’auteur, mais de
situations imaginaires desquelles découlent une prise de
conscience progressive de nos mécanismes mentaux ainsi que
de notre nature profonde.
Le lecteur pourra, s’il le désire, s’identifier au personnage.
Il aura, de ce fait, une approche intérieure de certaines
réalités et sentira parfois vibrer son âme sur la même note
que celle du héros, par effet de résonance.
Cette forme de récit a aussi l’avantage de privilégier la
perception intérieure d’une situation, ce qui évitera l’erreur
de rester au niveau d’une analyse purement intellectuelle
qui elle, n’est d’aucune utilité dans ce type de recherche.
Si l’on se prête à cette expérience, ce livre devient alors
une invitation au voyage intérieur, une forme de méditation
et le cheminement qui aboutira à la rencontre de son âme.
L’usage généreux de l’humour, tout au long du récit, a une
raison précise, celle de ne pas se prendre trop au sérieux et
de se décrisper. Il nous fait rire de notre propre stupidité et
permet de se détacher plus facilement des concepts erronés.
Sans humour, aucune quête intérieure n’est possible, il est
la soupape de sécurité qui nous empêche parfois de
dérailler ou de tomber dans le délire mystique.
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De la rencontre avec son âme, il découle toujours de la joie,
de la bonne humeur et de l’optimisme.
Celui qui pratique ce type de recherche et qui reste triste,
pessimiste ou un peu trop sérieux, fait certainement fausse
route.
Introduction
Nombreux sont ceux qui, à un moment de leur vie, ont ressenti
une dimension intérieure de leur être. Ils ont alors essayé de
mieux la définir en entamant une étude au travers de
nombreux ouvrages touchant de près ou de loin le domaine de
la spiritualité.
Après avoir passé une ou plusieurs années à se documenter,
ils ont réussi à acquérir une connaissance théorique assez
large pour comprendre certains processus régissant le corps
et l’âme. Mais ils n’en ont pas été satisfaits et ont voulu
pousser plus loin leur recherche en lui adjoignant une
activité pratique qui devait déboucher sur leur évolution
intérieure.
Certains se sont alors tournés vers le yoga, d’autres ont
suivi les enseignements d’un ordre mystique, d’autres
encore se sont orientés vers une religion traditionnelle ou
sont partis afin d’être instruits dans un Ashram en Inde
etc.…
Les voies sont très nombreuses dans ce domaine et tous
n’ont eu que l’embarras du choix.
Parmi ceux qui entamèrent une pareille démarche, il n’y eut
qu’une minorité d’individus qui fut pleinement satisfaite.
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Il ne s’agit pas ici d’en faire reposer la faute sur ces
différentes voies, car la plupart d’entre elles véhiculent un
enseignement traditionnel de grande valeur.
Alors pourquoi tant de chercheurs restent-ils sur leur faim
et finissent par se décourager malgré leur soif intérieure de
connaissance ?
En fait, il y a plusieurs raisons qui seront étudiées tout au
long des chapitres de ce livre.
Je peux déjà en citer quelques-unes à titre indicatif.
- Tout d’abord, l’occidental a la fâcheuse habitude de rester
sur une analyse mentale, car on lui a toujours enseigné que
c’était la forme la plus élevée d’approche et de
compréhension.
- Ensuite, l’individu qui poursuit une recherche dans le
domaine spirituel, fait l’erreur d’associer son évolution
intérieure avec le développement des pouvoirs psychiques.
Tout le long de sa démarche, il a des exemples de
personnes qui ont la possibilité de voyager dans l’Astral,
d’autres qui peuvent lire les émanations de l’Aura, d’autres
encore qui ont vu s’ouvrir en eux des perceptions
extrasensorielles, talents de voyance, etc.…
Il y a aussi ceux qui entrent en contact avec des
extraterrestres et enfin ceux qui rencontrent leur Maître, qui
va leur enseigner directement la connaissance.
Mais pour la plupart des mortels, rien ne se passe, à part
peut-être quelques intuitions ponctuelles.
Il est compréhensible, qu’après de nombreuses années de
travail et de recherche, l’individu qui n’a vu aucune faculté
exceptionnelle s’éveiller en lui se voit découragé. Mais que
doit-il exactement découler d’une telle démarche ?
Quels sont les signes qui peuvent confirmer que nous
sommes sur la bonne route et que nous avançons bien ?
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Tout cela pour arriver à la question que tout le monde se
pose : Comment trouver ma voie ?
Ce livre peut répondre à toutes ces questions, à condition
que le lecteur mette d’avantage l’accent sur ce qu’il en
ressent intérieurement plutôt que de se livrer à une analyse
basée uniquement sur la logique.
Il découvrira aussi que le mental n’est pas ce qu’il y a de
plus évolué en l’Homme, Il sert seulement à synthétiser les
idées qui viennent du plan de son âme avec celles qu’il
possède déjà et leur donne ainsi une adaptation pratique et
concrète prenant la forme d’un nouveau concept.
La fonction du mental est uniquement déductive et non
inductive.
Pour créer, inventer, innover, il faut faire appel directement
aux idées qui se situent sur le plan de l’âme. C’est en lui
que les grands penseurs, artistes et créateurs ont puisé leur
inspiration.
Tout est donc fonction du moyen d’approche utilisé.
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Chapitre 1
Me voilà donc assis dans ce 747 qui m’emmène à Bangkok.
Tout s’est passé si vite : à 28 ans, je me retrouve sans travail et
je me suis séparé de mon amie. J’avais perçu un sentiment de
ras le bol s’installer lentement en moi depuis l’an dernier et
je crois que je n’ai rien fait pour m’y opposer. Il venait pour
montrer la véritable nature des choses et nettoyer le superflu
de ma vie. Aussi, lorsque mon patron - qui prenait à mon avis
de plus en plus les manières d’un dictateur - menaça de me
licencier, je le regardais droit dans les yeux et lui dis : chiche.
Comme il y avait plusieurs témoins de la scène, il n’avait
pas voulu perdre la face et m’avait pris au mot.
Je savais très bien que j’étais un bon mécanicien et que je
pourrai facilement retrouver du travail.
Puis, je rentrai chez moi, dans la belle villa que j’avais faite
construire et dont le crédit se terminait dans trois mois. J’en
étais fier ; d’abord parce qu’elle était magnifique, ensuite
parce que j’étais le seul des amis de mon âge à posséder
une pareille demeure et surtout parce qu’elle avait été
payée uniquement par le travail que j’effectuais le soir et le
week-end.
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J’étais passionné par les voitures américaines, et plus
particulièrement par les “ Ford Mustang “. Je les achetais à
l’état d’épave et les rénovais en peu de temps, pour les
revendre avec une grosse marge à de riches clients.
Donc, je parcourais ce soir-là ma villa, je la trouvais
toujours aussi belle, mais je me demandais si j’en avais
vraiment l'utilité. Elle me paraissait, à ce moment là, bien
trop grande pour moi. De plus, je venais de recevoir les
différents impôts -foncier et taxe d’habitation - qui avaient
encore augmenté, et que je considérais davantage comme
du racket, plutôt qu’une simple contribution du citoyen aux
charges de l’état.
J’étais dans une de ces journées où l’on ne croit plus en
rien, où le doute s’installe dans tous les domaines. Tous les
plans que j’échafaudais pour l’avenir s’évanouissaient
alors, et l’horizon devint complètement flou.
Je repartais aussi vite que j’étais arrivé et décidais d’aller
rendre visite à Jean-Claude, un ami qui vivait sur un voilier
et qui allait bientôt partir sur les mers du globe.
Je passais la soirée à regarder les photos des voyages qu’il
avait effectués, il y a plusieurs années, sur son bateau et je
rêvais. J’aimais bien Jean-Claude, il me montrait une autre
dimension de la vie et je m’étais souvent demandé si c’était
moi ou lui qui était dans le vrai.
J’avais toujours voulu voyager, mais n’en avais jamais eu
l’occasion, J’étais bien trop occupé à gagner de l’argent.
Tout cela pourquoi, pour qui ?
Malgré les nombreux “ Punch Planteur “ que j’avais bus,
j’allais me rendre progressivement compte, tout au long de
cette soirée, que la vie que je construisais n’était pas du
tout la mienne, mais celle de Cloé, mon amie.
La maison, l’argent, ma belle voiture, c’était pour elle et
non pour moi. Elle avait même l’intention de me faire
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installer une piscine dans le jardin et j’avais accepté le
projet. Mais qu’en ferais-je ? La mer est à quelques
centaines de mètres à peine, et la baignade y est bien plus
agréable. Ce soir-là, je sentais des ailes me pousser dans le
dos. Je n’étais plus un castor, mais un oiseau du large. Il
faut dire que l’alcool que j’avais ingurgité y était pour
beaucoup, mais il avait aussi contribué à me montrer
certaines réalités que je n’osais pas regarder en face. Aussi,
lorsque je rentrais vers minuit et que je parlais à Cloé de
mes projets de vendre la maison et de partir à l’aventure,
elle me fit une scène de ménage, la première en huit ans. Le
fait d’avoir perdu mon travail ne fit que monter le ton de la
dispute.
C’était la première fois que nous avions une telle
discussion et je réalisais que c’était aussi la première fois
que je n’allais pas dans le sens de ses projets. En fait tout
allait très bien tant que je faisais ce qu’elle voulait.
Cette évidence me percuta violemment et je compris que
j’avais perdu plusieurs belles années de ma vie. Elle est
rentrée chez ses parents et je ne suis pas allé la rechercher.
C’était il y a dix jours. Alors tout s’est accéléré. J’ai soldé
les trois dernières échéances du crédit de la maison, payé
les factures en retard, mis la villa en vente et suis parti
acheter un billet d’avion pour la Thaïlande.
Mon bon Richard, me suis-je dit en sortant de l’agence de
voyage, tu es devenu fou. C’était un peu vrai, mais j’avais
trouvé une nouvelle énergie. Le fait de me prendre au mot,
de me lancer un tel défit, me procurait une force
incroyable.
Tout me paraissait alors possible. Il fallait absolument que
je fasse le point sur ma vie. Toutes les bases sur lesquelles
j’avais construit mon existence s’étaient effondrées ou
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plutôt, j’avais contribué inconsciemment à cet
effondrement.
Je ne savais plus ou j’en étais, mais je savais tout de même
ce que je ne voulais plus. Un ami possédait, sur une île au
sud de la Thaïlande, au large de Tran, un bungalow
traditionnel en bois et toit de palme. Il me le prêtait pour
tout le temps que je voulais et moi, en échange, je lui
confiais ma maison jusqu’à ce qu’elle ait trouvé acheteur.
Je ne me posais aucune question ; je ne voulais même pas
savoir quand je reviendrai ni ce que je ferai plus tard. Je
désirais tout reprendre à zéro. J’avais jusqu’à présent mené
une vie qui n’était pas la mienne, il fallait donc que je
reconsidère tout et, surtout, que je découvre qui je suis
vraiment et ce que j’aime.
Pour cela, il fallait que je sorte complètement de mon
ancienne existence ainsi que de mon ancien cadre de vie,
afin de ne plus être influencé par mon passé et ses
nombreuses petites habitudes.
Je devais donc retrouver l’essence des choses, le fondement
et les nouvelles bases sur lesquelles je devrais construire
ma vie à partir de maintenant.
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Il est minuit à ma montre, bon anniversaire Richard. J’ai 28
ans aujourd’hui et je réalise que je ne me connais pas
encore. Tout ce que j’ai construit jusqu’à présent n’était
que pour faire plaisir à Cloé. Elle le voulait ainsi pour faire
plaisir à ses parents, pour qu’ils soient fiers d’elle. Ses
parents, eux, copiaient le genre de vie standard qui était
véhiculé aux travers des feuilletons télévisés. Belle maison,
piscine, voiture de luxe, invitations mondaines pour
exposer les composantes de leur vie aux yeux de leurs
amis, sortis du même moule qu’eux.
J’ai envie de me gifler. Richard, tu as donc construit ta vie,
jusqu’à présent, en imitant celles des personnages des
feuilletons télévisés et ceci au travers de tes beaux-parents
et de leurs amis. Quelle horreur ! Et pendant ce temps-là,
qui se demandait ce qui me plaisait à moi et quels étaient
mes désirs, mes rêves ?
Personne, même pas moi. Je ne peux pas leur en vouloir,
c’est entièrement de ma faute, il ne fallait pas les laisser
faire.
J’ai suivi comme un mouton la route que les autres
traçaient pour moi et je n’y ai trouvé que de maigres
satisfactions. Encore fallait-il savoir où était mon propre
chemin. Mon chemin, ma voie, je suis en plein dans
l’ésotérisme. Là aussi, j’ai l’impression d’être à côté de la
plaque. Voilà plus de six ans que j’étudie des ouvrages
concernant l’homme, son âme, son esprit, son évolution
spirituelle. J’ai lu des livres sur l’hypnose, la
parapsychologie, le yoga, les Templiers, le mysticisme,
l’initiation, la lecture de l’aura, le voyage astral. J’ai même
appartenu à un groupe philosophique et mystique. Qu’ai-je
retiré de tous cela ? Des connaissances dans beaucoup de
domaines, une meilleure compréhension du mental humain.
Et alors ? Cela aurait pu durer encore longtemps ; le seul
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changement qui s’était produit en moi, c’est que j’étais
devenu une véritable bibliothèque vivante, capable de
répondre à des tas de questions qu’un grand nombre de
personnes se posaient.
Mais la Vérité, ma vérité intérieure, elle, était une inconnue
pour moi. J’étais resté au niveau d’un savoir intellectuel,
faute de ne rien connaître d’autre.
J’aurais pu ne rien étudier du tout et mener la même vie, ni
meilleure, ni pire. Il y a des moments où il n’est pas bon
d’être lucide, ça fait mal.
Après plus de six ans, j’étais simplement devenu un
perroquet mystique, capable de débiter de merveilleuses
phrases pleines de leçons pour les autres.
Elles me donnaient l’impression d’être un Maître spirituel,
un gourou et j’adorais cela. J’aimais l’image que je donnais
de moi-même, j’aimais qu’on m’écoute quand j’enseignais
aux « débutants de la recherche spirituelle ».
Je n’étais pas le seul dans ce cas, nous étions nombreux à
nous auréoler de la sorte.
Nous trouvions des schémas qui nous convenaient et nous
les copiions, nous singions la vie des personnages qui nous
plaisaient. Pendant ce temps là, nous n’essayions même pas
de comprendre qui nous sommes. Nous nous construisions
en empruntant des portions de personnalité aux gens qui
nous entouraient et que nous admirions et, bien souvent, ce
n’était que l’image que nous empruntions et pas les qualités
qui sont derrière celle-ci et qui correspondent à un
cheminement et à un long travail sur soi-même.
L’image, l’apparence, que d’efforts pour satisfaire son
entourage- qui lui se moque pas mal de nous. Je remercie
mon ancien patron, je lui enverrai une carte postale. Sans
lui- ou plutôt sans le licenciement, j’aurais pu tourner en
rond pendant encore longtemps. Je l’ai maudit jusqu’à
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aujourd’hui, j’avais tort, il est indirectement mon
bienfaiteur. Je souhaite à tous ceux qui croupissent dans
leurs habitudes d’avoir des patrons bien pires que le mien,
ça leur rendrait service.
Je souhaite aussi que lorsqu’ils rentrent chez eux, après
leur travail, ils se heurtent aux exigences sans cesse
croissantes de leurs femmes.
Je souhaite enfin que les impôts augmentent encore et
encore jusqu’à ce qu’ils viennent grignoter le pain
quotidien de l’homme honnête.
Alors, tout ça deviendra salutaire et l’homme sortira de
son sommeil et prendra conscience de la débilité du
système dans lequel il vit.
Derrière la souffrance se cache la lucidité, la vérité. Je
remercie le ciel que cette souffrance fut limitée et
supportable pour moi, alors que pour d’autres elle atteint
parfois une plus grande intensité.
Je ne sais pas pourquoi je me rends en Thaïlande plutôt
qu’ailleurs. Je sais simplement que le bungalow et l’île de
mon ami Eric étaient gravés dans ma tête depuis plus d’un
an. Cela avait fait un déclic lorsqu’il m’avait montré les
photos et j’y repensais souvent. C’était pour moi un coin de
paradis terrestre et je me disais qu’il avait bien de la
chance, sans songer un instant que je pourrais m’y rendre
un jour.
L’hôtesse de la Thaï Airways me propose encore une coupe
de champagne. C’est ma troisième, il faut que je fête mon
anniversaire, c’est une autre coutume de chez nous. Elles
sont tellement nombreuses : coutumes, fêtes, habitudes, si
nombreuses qu’elles conditionnent une bonne partie de
notre existence.
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-« Richard, fais une pause, arrête un peu de philosopher et
déguste une de tes dernières coupes de champagne. Tu n’en
auras plus l’occasion avant longtemps. »
L’hôtesse sourit, elle est vraiment très belle, le champagne
me grise, le sommeil me gagne.
Richard avait débarqué sur cette terre inconnue au lever du
jour. Il avait suivi les conseils de son ami Eric, le
propriétaire du bungalow, et avait pris un “ Taxi meter “
pour se rendre à la gare des bus en partance pour le Sud.
Dix-huit heures de voyage avaient été nécessaires pour
gagner Tran ; puis, vingt minutes de taxi pour accéder au
point de départ des bateaux qui desservent l’île de Dao et
une demi-heure de traversée sur une barque de pêcheur.
Richard posa son sac de voyage à terre, paya le conducteur
de l’embarcation et regarda autour de lui. Tout était calme
et paisible. Le village, composé d’une trentaine de maisons,
était encore endormi. Il n’eut aucune difficulté pour trouver
le bungalow malgré l’obscurité presque totale. Il tourna la
clef dans la serrure, ouvrit la porte et… enclencha le
disjoncteur.
Tout était propre en dépit de l’absence prolongée du
propriétaire, quelqu’un avait fait le ménage récemment.
L’habitation se composait d’une grande pièce principale
servant de chambre à coucher et d’une salle de bain. La
cuisine, rudimentaire, se trouvait sur la grande terrasse
couverte qui servait aussi de séjour et de coin repas.
Tous les meubles étaient en rotin, ce qui rendait l’endroit
encore plus exotique.
Richard se laissa tomber sur le lit. Il n’eut même pas la
force de prendre une douche, épuisé par le voyage qui avait
duré près de trente six heures…
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Le bruit d’un moteur pétaradant me sort à moitié de mon
sommeil. Je tends machinalement la main pour attraper le
réveil posé sur la table de nuit. J’ai peur qu’il n’ait pas
sonné. Je tâte de la main l’autre moitié du lit à la recherche
de Cloé … personne. J’ouvre les yeux et réalise en une
seconde que je ne suis plus en France et tout le voyage me
revient en mémoire.
J’ai le souffle coupé et reste immobile sur le lit pendant un
long moment afin de reprendre mes esprits.
Une fois l’angoisse passée, je m’assieds et regarde par la
fenêtre. Le soleil est déjà haut, il est presque midi à ma
montre.
J’hésite à sortir, je suis arrivé de nuit et ne connais pas du
tout le paysage qui m’entoure. J’ai aperçu seulement la
mer, l’ombre de quelques maisons et des cocotiers qui se
balançaient légèrement au-dessus de ma tête.
J’ouvre la porte, et là, je crois que mon cœur va s’arrêter
brusquement. La scène est d’une beauté incroyable. Le
bungalow est séparé de la mer d’une cinquantaine de
mètres seulement. La plage de sable blanc est d’une
splendeur irréelle. La mer est turquoise, limpide,
transparente.
Je suis entouré par la végétation : bananiers, papayers,
cocotiers, fleurs, arbuste en tous genres.
Je m’assieds sur un des fauteuils de la terrasse face à la
mer. Je suis comme paralysé par une telle harmonie. La
paix me gagne, je me détends complètement. C’est la
première fois depuis dix jours.
Je reste là, immobile, le temps disparaît, j’ai envie de
pleurer de joie. Je ne savais pas que la nature pouvait être
aussi belle.
Je suis tiré de mon état hypnotique par une visite. Une
jeune fille thaïlandaise vient me rendre visite. Elle
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m’apporte une corbeille de fruits : bananes, mangues,
papaye et me parle Thaï. Je n’y comprends rien à part le
nom d’Eric qui revient à plusieurs reprises. Elle disparaît
en rigolant, aussi vite qu’elle était apparue.
Je reste subjugué, tout s’est passé très vite, je suis encore a
moitié endormi, elle était d’une grande beauté. Je pourrais
penser que j’ai rêvé, si la corbeille de fruits ne se trouvait
pas sur la table.
Je ne lui ai même pas dit merci. Ma bouche s’est
entrouverte et aucun son n’a pu en sortir.
Une bonne douche froide me remet les idées en place et finit
de me réveiller.
Un petit déjeuner frugal comble le creux que je
commençais à ressentir au niveau de l’estomac. De toutes
manières, c’est tout ce que j’ai à manger, je n’ai pas le
choix. Eric m’a parlé d’une petite épicerie qui sert aussi de
restaurant local. Je m’y rendrais plus tard. Pour l’instant, je
n’ai pas envie de bouger. Je déballe seulement mes affaires
et reprends place sur la terrasse où la vue me subjugue.
J’ouvre le cahier qui me sert de livre de bord et prends
quelques notes, mes impressions, mes sentiments. Je me
suis promis d’y consacrer un peu de temps chaque jour,
afin de transcrire tous les moments importants de mon
séjour.
J’avais lu une partie de celui de Jean-Claude, qu'il avait
écrit lors de son premier voyage en voilier et j’avais trouvé
celui-ci non seulement agréable à lire, mais aussi plein
d’impressions intérieures face à certaines situations. Il y
avait comme un cheminement de pensées qui
s’ordonnaient, au fil des jours et qui aboutissaient à une
meilleure compréhension de la vie, de la société et de luimême.
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Il m’avait confié qu’il était devenu philosophe malgré lui,
lorsqu’il avait mis sur papier tout ce qui se trouvait dans sa
tête. J’avais eu envie d’en faire autant, en pensant que cela
m’aiderait à y voir plus clair en moi.
Le récit commençait au moment où je montais dans l’avion
et lorsque je relis les premières pages, aujourd’hui, j’ai
l’impression que ce n’est pas moi qui les aie écrites.
Je ne me reconnais absolument pas dans certaines phrases.
Elles ne me ressemblent pas ou du moins pas au Richard
que je connais. Mais alors, y a-t-il un autre Richard ? Ou y
a-t-il une partie de lui que j’ignore et que je dois laisser
s’exprimer ?
J’éprouve une sensation de liberté que je n’aie encore
jamais ressentie dans ma vie. J’ai coupé mes racines, je me
suis envolé, comme un oiseau, vers un nouvel horizon.
Mon destin m’appelle, je comprends que mon ancienne vie
n’était pas la mienne, c’était celle d’un étranger. Le vrai
Richard vient de s’éveiller, il commence tout juste à
respirer. La nature sauvage m’apaise, me réconforte, me
recentre sur moi-même, me rassure.
Je réalise que j’étais à l’étroit dans mon existence. C’est
comme si j’avais vécu de nombreuses années enfermé dans
une pièce de dix mètres carrés, sans pouvoir en sortir, et
que tout d’un coup je me retrouve à l’air libre. Je découvre
alors le ciel, le soleil, l’immensité du paysage, la végétation
luxuriante et les nombreuses possibilités qui peuvent
s’offrir à moi.
Je ne peux pas dire que je suis heureux ou malheureux car
mon état d’esprit dépasse ces formes de sentiments. Je
dirais simplement que je me sens exister dans une
dimension bien plus large que jadis. La société avait fait de
moi un automate, un clone.
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Il a fallu que je subisse toutes ces pressions, année après
année, sans réagir, sans me révolter.
Je me contentais alors de ce que j’avais et évaluais mon
avancement dans la vie par rapport à ce que je possédais.
Que s’est-il passé alors ? Pourquoi n’ai-je pas continué
dans cette voie ?
En y réfléchissant, je me souviens d’une petite voix qui me
parlait parfois. Elle s’était manifestée il y a un an environ,
très timidement. Elle était à peine audible et je ne prêtais
pas attention à elle au début. Au fil des semaines, son
amplitude grandissant, elle prenait de plus en plus
d’importance et occupait une bonne partie de mes pensées.
Elle avait fait naître un conflit entre mes anciennes
conceptions de la vie et celles qu’elle me soufflait à
l’oreille.
Elle sabotait les bases sur lesquelles j’avais construit ma
vie et je n’avais rien fait pour l’en empêcher.
Je savais, peut-être inconsciemment, que c’est elle qui avait
raison, que je n’étais pas heureux, mais je ne voyais pas
quelle direction prendre ni quoi modifier.
Autrement dit, je pensais que cette vie ne me convenait
plus, mais j’ignorais celle qui me serait mieux adaptée.
Comme je ne savais ni où aller, ni comment trouver la
nouvelle orientation, j’ai laissé faire jusqu’à ce que le
destin se manifeste, et me donne l’impulsion qui m’était
nécessaire pour sortir de l’impasse.
Une odeur de poisson grillé flotte dans l’air, elle fait naître
en moi une petite faim mêlée de gourmandise. Le poisson
grillé est un de mes plats favoris.
Je suis partagé entre le désir de me restaurer et celui de me
baigner. La mer est la plus forte, elle m’aimante.
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Juste le temps d’enfiler mon maillot de bain et je cours déjà
sur la plage. Je pénètre lentement dans l’eau claire, c’est
mon premier bain.
Quel délice, elle est vraiment chaude. Je nage vers le large,
lentement. Les poissons multicolores m’entourent. Ils ne
sont pas du tout effrayés par ma présence. Je pousse un cri
de bonheur sans pendre garde au pêcheur assis sur sa
barque à quelques dizaines de mètres de là. Il me sourit et
me fait signe de la main. J’en fais de même.
Je fais la planche et observe l’île. Elle est minuscule, pas
plus de quatre cents mètres de long. La plage est bordée de
cocotiers et je devine les maisons enfouies dans la
végétation. Le sable, d’un blanc immaculé reflète le soleil
qui est à son zénith à cette heure-ci.
Le temps s’arrête, je crois que je n’ai jamais été aussi bien.
Je pense à Eric ; tout le monde chez nous le considérait
comme un farfelu, un garçon sans ambition, qui passait son
temps en voyage pour fuir les réalités de ce monde.
Pour ma part, je n’arrivais pas à le cerner. Il ne
correspondait à rien de défini dans notre système, mais il
paraissait heureux. Il avait trouvé son équilibre, ce qui le
rendait plein de joie de vivre et de sympathie. Il
m’intriguait tout au plus et je n’avais jamais essayé de le
comprendre vraiment.
Aujourd’hui, je commence à réaliser ce qu’il pouvait
ressentir ici, bien que je sois arrivé il y a quelques heures
seulement.
Je peux me laisser totalement aller, me détendre sans me
demander ce qui va me tomber sur la tête prochainement.
Pas de factures surprises dans la boite aux lettres d’ailleurs il n’y a pas de boite aux lettres, pas de problèmes
avec les différentes administrations, personne pour
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déranger le cours de mes pensées. Je dois uniquement
m’occuper de manger, de dormir, de me baigner. La vie
simplifiée au maximum. Quelque chose d’impensable chez
nous, dans le tourbillon de la vie citadine. Cela peut
paraître du temps perdu aux yeux de ceux qui vivent à cent
à l’heure. Mais ici, je sens mes horloges intérieures se
remettre au diapason de celle de la nature. Je veux vivre
uniquement dans le présent, sans me soucier de l’avenir.
De toutes façons celui-ci est imprévisible et dépend de
nombreux facteurs qui nous échappent.
Le futur n’est pas seulement la continuation du présent. Il
est une synthèse de ce présent, combiné avec les épreuves
que notre destin nous réserve. Il ne sert à rien de tout
orienter vers l’image que nous avons de notre futur, car
celle-ci n’existera jamais. Il ne reste plus qu’à retrouver le
présent que nous avons oublié au cours de notre course
folle vers l’illusion.
Vivre dans son passé ou pour le futur sont des erreurs, des
égarements de l’homme qui cherche son bonheur à
l’extérieur de lui-même.
Le fait de penser qu’il était heureux dans le passé ou qu’il
le sera dans le futur qu’il imagine, lui fait oublier le
présent.
Ce présent, il le refoule et le remplit de travail, de loisirs,
de rencontres, d’habitudes, afin de ne pas se rendre compte
qu’il est vide de substance. L’homme est en dissonance
avec le temps dans lequel il habite. C’est pour cela que
certains penseurs disent qu’il vit dans un monde d’illusion.
Non pas que notre monde n’existe pas, mais plutôt parce
que l’homme se promène dans les illusions qu’il a créées à
l’aide de son imagination, de sorte qu’il en vient à oublier
ou ignorer le monde réel qui l’entoure.
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De plus, comme des peuples entiers se comportent de la
même manière, l’individu rencontre à l’extérieur de luimême, en plus de sa propre illusion, celle des autres qui est
bâtie sur des principes analogues à la sienne.
Dans ce monde d’illusion, j’y ai vécu jusqu’à présent.
J’avais construit, par la pensée, un futur dans lequel je
serais riche et installé confortablement dans mes habitudes.
Cette image me rassurait car elle était exempte de tout
imprévu.
Je travaillais donc pour créer cette image et je me rends
compte, qu’en réalité, ses chances d’exister étaient
dérisoires. Je cherchais à immobiliser le futur par crainte,
par angoisse de celui-ci. Et pendant toutes ces années
j’avais tous simplement négligé mon bonheur et ma vie. Je
vivais uniquement pour rendre heureux un Richard du futur
qui, je le sais maintenant, n’existera jamais. Si cela n’est
pas une illusion, alors la vérité n’aurait plus le moindre
sens.
C’est étrange, pendant que je nage, ces pensées me visitent
et repartent sans que j’aie à réfléchir. Je suis passif et ne me
pose aucune question ; pourtant ces idées se déroulent en
moi dans une atmosphère de lucidité qui m’était inconnue
jusqu’à présent.
Je veux faire une pause, arrêter leur flot incessant et
profiter de la nature au rythme le plus lent possible. Je veux
apprécier chaque brasse lorsque je nage, chaque pas
lorsque je marche sur la plage et chaque bouchée pendant
les repas. Se reposer le corps, mais surtout la tête ; la
nettoyer de toutes les fausses idées et croyances que j’ai
accumulées depuis mon enfance. C’est le grand nettoyage
21
de printemps. Je veux être un homme neuf, un nouveau-né
qui doit tout réapprendre, un être vierge de tous concepts.
Je sors lentement de l’eau et me dirige vers ma nouvelle
demeure. Le soleil chauffe ma peau. Je suis parcouru par de
légers frissons, sortes de petites décharges électriques au
niveau de l’épiderme. J’ai l’impression de me charger des
quatre éléments qui m’entourent. Je suis une batterie
vivante branchée sur l’énergie de dame nature.
Je gravis les quatre marches de la terrasse et découvre avec
surprise la présence d’un poisson grillé et d’une assiette de
riz sur la table.
C’est certainement un présent de bienvenue sur l’île. Eric
m’avait prévenu de la grande hospitalité des thaïlandais.
Cela me touche d’autant plus que ces dons sont faits dans
l’anonymat.
Je regarde tout autour du jardin, mais il n’y a personne.
C’est peut-être la jeune thaïlandaise qui m’a apporté des
fruits tout à l’heure ?
La baignade m’a ouvert l’appétit. Juste le temps de prendre
une douche et me voici à table devant les plats encore
chauds.
Quel calme, quelle paix, quel endroit merveilleux. Je verse
un peu de sauce poisson et piment sur le riz afin de le
parfumer. Le poisson pèse au moins un kilo. Il est d’une
espèce voisine de la daurade de chez nous. Sa chair blanche
est succulente, surtout lorsqu’elle est arrosée d’un peu de
jus de citron vert.
Je ne peux pas le terminer, il est vraiment trop gros. Je suis
rassasié.
J’ai remarqué la présence d’un paquet de café sur une
étagère. Une tasse sera la bienvenue après le repas. Pendant
que je le prépare, j’entends des bruits de pas qui se
rapprochent. Une dame d’une cinquantaine d’années, les
22
cheveux longs, noirs et la peau cuivrée vient me rendre
visite. Son sourire amical laisse apparaître une dentition
d’un blanc éclatant. Elle joint ses deux mains devant la
poitrine et s’incline légèrement en prononçant “ sawa di ka
“, le bonjour Thaï.
J’imite son geste et elle est ravie de voir que je connais au
moins ces quelques mots. Elle rigole et me parle dans sa
langue, pensant que je peux comprendre, puis, lorsqu’elle
me montre le poisson, je réalise que c’est elle qui me l’a
apporté.
Je la remercie en m’inclinant et en prononçant le “ kop kun
kap “ (merci). Puis elle me parle encore, prononce le nom
d'Éric et repart avec les assiettes .
La communication s’annonce difficile, mais elle ne semble
pas être totalement indispensable. Eric m’avait prévenu que
le contact était très facile et très amical malgré la barrière
de la langue. Les Thaïlandais sont très agréables, et très
serviables. Ils ont l’habitude de mettre l’accent sur les
rapports humains ce qui a fait le succès de ce pays comme
destination touristique.
On parle souvent du pays du sourire lorsque l’on fait
référence à la Thaïlande, et parfois de la terre des hommes
libres.
C’est peut-être le seul pays au monde qui n’ait jamais été
colonisé ni dominé par un autre peuple; C’est sans doute ce
qui fait que l’accueil de l’étranger y soit si chaleureux. Pas
l’ombre du racisme dans cette contrée lointaine, mais la
fierté d’habiter un pays unique au monde.
Les bouleversements qui s’étaient produit dans la vie de
Richard avaient une origine bien précise. Il s’agissait des
premiers balbutiements de son âme qui essayait de
l’influencer dans une direction qui lui serait profitable.
23
Il la percevait sous forme d’une petite voix qui lui faisait
certaines suggestions. Il avait fini par l’écouter et aller dans
son sens, bien qu’il ne sache pas où cela le conduirait. Il
sentait qu’il se dirigeait vers la vérité et refusait désormais
de se mentir à lui-même.
La plupart des individus qui perçoivent les impulsions de
l’âme préfèrent les refouler, les oublier, car ils n’ont pas le
courage de faire le bilan de leurs vies.
Ils choisissent de poursuivre leur routine sécurisante qui est
en fait la voie du moindre effort. Ils peuvent continuer dans
ce sens pendant longtemps ; mais un jour, le destin se
chargera d’ébranler la vie de ceux qui croupissent dans
leurs habitudes, car l’âme n’arrive plus à évoluer dans des
conditions aussi limitées.
Alors l’homme sera en proie à de nombreuses souffrances
qui cesseront aussitôt qu’il aura pris les résolutions
nécessaires afin de changer de vie. Il devra alors
réapprendre à écouter son âme qui connaît trés bien le
meilleur
chemin
à
suivre
pour
lui.
24
Chapitre II
Une semaine s’est écoulée depuis mon arrivée sur l’île de
Kho Dao. J’observe attentivement tous les changements
qui se produisent en moi et prends des notes chaque jour.
Je commence à m’organiser et à connaître mes voisins.
Tous sont très aimables et serviables et il m’arrive parfois
de partager leur repas qui se compose essentiellement de
poisson, de riz et de fruits.
C’est la première fois que je vis avec si peu d’argent, tout
juste quelques francs par jour et cela me donne un
sentiment de liberté et d’indépendance. Chez nous, tout
s’achète, tout se paye, alors qu’ici la nature est généreuse,
elle me donne poisson et fruits. Les seules choses que
j’achète à l’épicerie sont café, sucre, huile et riz.
Je pourrais vivre des années ici sans avoir besoin de
travailler. J’en viens à reconsidérer la place que doit
occuper le travail dans une vie équilibrée. Il n’est pas
normal de passer quarante ans de sa vie à travailler et vingt
ans à étudier afin d’être capable de trouver un emploi.
Il y a ici quelque chose qui m’échappe. Doit-on travailler
pour vivre ou vivre pour travailler. L’homme est-il
seulement une bête de somme qui n’a pas le droit de
voguer où bon lui semble ?
Je me dis, en regardant l’organisation de la fourmilière que
représente notre société, que si Dieu a créé l’homme afin
qu’il vive dans de telles conditions, il était alors dépourvu
d’imagination. Comme ce ne devait pas être le cas, j’en
conclus donc que les hommes se sont égarés dans le
labyrinthe de l’illusion…
Ce matin, je me suis levé vers sept heures comme
d’habitude. Je suis parti nager afin de me dynamiser et ça
m’a fait un bien immense. Après cela j’ai pris une douche
25
fraîche suivie d’un petit déjeuner, composé de café et de
fruits.
J’ai remarqué, qu’après cet exercice, je suis chaque fois
dans un état de calme intense. Je n’éprouve plus le besoin
de penser et je peux demeurer assis sur la terrasse, pendant
une heure, comme hypnotisé par la nature qui m’entoure.
J’ai aussi l’impression de percevoir plus intensément le
monde extérieur, non plus par mes sens, mais de l’intérieur
de moi-même.
La nature semble se déverser en moi.
Elle me visite, me calme, m’apaise, me nettoie de mon
passé et des problèmes qui y sont toujours accrochés.
Si à ce moment là, je me pose une seule question
concernant l’orientation que doit prendre ma vie, alors la
petite voix se fait entendre clairement. Elle ne prononce pas
de phrases mais me donne des idées abstraites que je dois
transformer en une forme concrète en utilisant mon mental.
C’est comme si une bulle remplie d’idées entrait en moi,
explosait et laissait son contenu dans mon cerveau. Après
cela, c’est à moi de faire le tri et d’en retirer les réponses
utiles.
C’est une sensation assez étrange et difficile à décrire, mais
il découle de cette expérience une force et une conviction
inébranlable d’avoir touché la vérité de près.
Parmi tous les livres que j’avais lus sur la spiritualité,
aucun ne parlait de ce type d’expérience. Cela me paraissait
d’autant plus étrange que ce que j’appelais la petite voix
intérieure, était en fait la manifestation de mon âme.
Pourtant, beaucoup d’ouvrages parlaient de l’âme de
l’homme, mais c’était la plupart du temps sous forme de
théories et le lecteur restait bien souvent sur sa faim.
Toutes les religions et philosophies orientales faisaient
allusion à l’existence de l’âme en chacun de nous, mais
26
jamais aucun écrit, qui m’était tombé sous les yeux,
n’enseignait la manière de rentrer en contact avec cette
essence de nous-même. De plus, je n’avais jamais lu le
récit d’expériences et de sensations qui découlaient de ce
contact.
J’en viens à me poser la question de savoir si ceux qui
écrivent les ouvrages touchant le domaine de l’âme, ne font
pas que répéter des théories qu’ils ont entendues ou qu’ils
ont lues sans en avoir fait l’expérience consciente.
Et puis il y a aussi la méditation. Tout le monde en parle et
personne n’a jamais pu me décrire l’attitude intérieure à
adopter pendant sa pratique. En général, on doit s’asseoir
en tailleur, fermer les yeux et se relaxer. Et après, que doitil se passer ?
Tout le monde, semble-t-il, est expert en l’art de méditer.
Lorsque l’on entend ces étudiants du mysticisme
s’exprimer à propos de leurs expériences dans ce domaine,
on peut penser qu’ils sont très intimes avec les dieux, tant
leurs récits sont riches et variés.
Moi qui les écoutais, je me disais que je n’étais peut-être
pas très doué et qu’il fallait que je m’arme de patience, que
je persévère et que moi aussi, plus tard, j’aurai accès à ces
contacts.
En fait, je devais m’apercevoir que ces gens étaient plus
efficaces dans l’art de manier la parole que dans celui de
voyager sur le plan de l’âme. Et moi, un peu trop naïf,
j’avais cru à leurs divagations.
Aujourd’hui, je sais, sans l’avoir recherché, ce qu’est la
méditation. Je dis sans l’avoir recherché car j’y suis tombé
dessus par hasard.
En fait, il ne fallait pas essayer de « faire », mais seulement
rester le plus passif possible, dans un endroit où la nature
27
est restée pure, un lieu qui n’est pas encore souillé par les
pensées négatives des hommes et qui ressemble à cette île.
Alors, ayant retrouvé la paix de l’esprit, la nature m’aide,
par sa bonté, sa douceur et sa bienveillance maternelle à
rentrer en contact avec mon âme, et cela sans le moindre
acte volontaire de ma part.
Je réalise que ma volonté était un obstacle à ce contact et
que toutes tentatives dirigées par celle-ci ne pouvait
atteindre son but.
Il faut, pour accéder à l’état de méditation, être
complètement passif, faire une totale abstraction de sa
personnalité, s’oublier simplement. A ce moment-là, la
nature agit sur nous, nous emplit de sa pure substance, et
l’âme peut alors se manifester.
Le corps s’abandonne à l’âme, il se soumet à son essence.
Le mot qui se rapprocherait le plus de l’état d’esprit
nécessaire, serait « contemplation » plutôt que méditation.
Que de temps perdu à chercher dans toutes les directions ce
qui est si facilement accessible !
J’ai appris ici une grande leçon et je sens que ce n’est que
la première d’une grande série.
J’ai compris, en une semaine, ce que j’ai recherché pendant
près de six ans dans des tas de livres spécialisés sans jamais
rien trouver. J’en viens à me demander si l’on a vraiment
besoin d’un guide ou d’une école pour comprendre ce qui
réside déjà en soi. Peut-être que le fait de rechercher la
vérité en groupe ne fait que nous égarer davantage et nous
éloigner de celle-ci.
Je commence à comprendre pourquoi l’ermite à besoin de
s’isoler, pourquoi les prophètes font un séjour prolongé
dans le désert avant d’entamer leurs missions.
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Je rigole tout seul de mes conclusions, de mes réflexions.
Mon pauvre Richard, me dis-je, si tu continues comme
cela, tu vas finir ta vie dans un monastère !
C’est vrai qu’il faut garder les pieds sur terre, je n’ai ni
l’âme d’un moine ni celle d’un ermite, j’aime bien trop la
vie.
Je m’empresse de noter toutes mes idées afin de les relire
plus tard, mais aussi pour en conserver le fil conducteur.
La visite de la jeune fille me tire de mes réflexions. Je sais
maintenant qu’elle s’appelle Noï et qu’elle habite avec ses
parents et ses deux sœurs, trois maisons plus loin.
Il faut absolument que j’aille à la ville pour trouver une
méthode de Thaï. Sans cela, impossible de communiquer.
Noï m’apporte aujourd’hui du thé. Elle s’assied avec moi
sur la terrasse et nous le dégustons ensemble. Elle me fixe
souvent et sourit. Son regard est droit, franc et j’ai du mal à
le soutenir. Cela me gêne. Elle doit avoir une vingtaine
d’années, elle est merveilleusement belle.
Calme toi Richard, il ne faut surtout pas t’attirer des ennuis
avec les gens du village. Tu ne connais pas encore les
coutumes de ce pays, il vaut mieux être prudent.
Alors j’évite son regard pour ne pas succomber davantage à
son charme.
Puis elle repart comme elle est venue, laissant un grand
vide derrière elle.
Je relis mes dernières notes et me dis que je suis loin de la
méditation dans laquelle j’étais plongé avant son arrivée.
Mon cœur bat la chamade. J’adore lorsqu’elle prononce
mon nom, c’est à mourir de rire. Elle dit “ Licha “ car elle
ne sait pas prononcer la lettre R.
Je ne peux m’empêcher de penser à Adam et Eve et me dis
que si Eve était aussi jolie que Noï, il fut normal que ce
pauvre Adam ait succombé.
29
Je me sers une deuxième tasse de thé. Il est très parfumé et
je le déguste sans pouvoir oublier l’image de cette beauté
des îles.
Il faut absolument que j’apprenne le Thaï. Cet après midi,
je me rendrai à Tran ; Il doit bien y avoir une librairie qui
vend des méthodes français-thaï ou Anglais-thaï.
Sans connaître la langue, il est impossible de bien
comprendre les coutumes d’un pays. J’ai du temps devant
moi, alors autant en utiliser une partie pour les étudier. J’ai
envie de bien m’intégrer dans cette île paradisiaque.
C’est à ce moment là que la petite voix se fait entendre
clairement : « Es-tu sûr que tu veuilles apprendre cette
langue pour t’intégrer dans l’île ? Ta motivation principale
ne s’appellerait-t-elle pas Noï » ?
J’éclate de rire. Je crois que la partie de moi qui s’exprime
ne le fait pas uniquement dans les moments de méditation.
Il va falloir vivre en accord avec elle. Il me sera de plus en
plus difficile de tricher avec moi-même. Impossible, avec
un tel associé de camoufler la motivation d’une action.
Je suis condamné, si je persévère dans cette voie, à assumer
mes actes. On ne peut-être à la fois conscient et
irresponsable.
Les jours et les semaines s’écoulaient. Richard s’intégrait
progressivement à la vie du village. Il consacrait une heure
par jour à étudier le Thaï dans le livre qu’il avait acheté à
Tran. Ses progrès, au début, étaient très lents à cause des
cinq tonalités différentes que comportait la langue. Chaque
mot, prononcé sur une de ces tonalités avait une
signification particulière. Ainsi, l’expression « Kao »
voulait dire suivant l’accent, le riz, le chiffre neuf, il, le
verbe rentrer et la couleur blanche. Si l’on rajoutait à tout
cela, la forme longue et courte, on comprendra alors les
30
difficultés que pouvait rencontrer le débutant lorsqu’il
commençait à communiquer.
Heureusement, les Thaïs étaient très tolérants et ils allaient
s’adapter progressivement à l’accent de Richard;
Cependant, il ne pouvait éviter les éclats de rire répétés,
lorsqu’il essayait de mettre en pratique la dernière leçon
apprise.
Cela aurait pu le décourager, mais il savait bien que ces
gens riaient pour un rien et que ce n’était pas du tout pour
se moquer de lui. La plaisanterie, dans ce pays se
rencontrait tout au long de la journée et tout le monde y
participait. Cela permettait de vivre dans une bonne
humeur quasi permanente.
Le temps passe si vite lorsque l’on est bien. Voila déjà six
semaines que je suis arrivé. Je regarde le chemin parcouru
et constate les transformations qui se sont opérées en moi.
Je ne suis plus le même que lorsque je vivais en France.
Mon physique se transforme progressivement. La natation
pratiquée régulièrement et une alimentation saine me
construisent un corps solide et équilibré. J’ai perdu une
bonne partie de la graisse qui s’était déposée à la longue
sur ma paroi abdominale. Mes épaules se sont élargies, mes
bras et mes jambes se sont musclés.
Mon visage s’est détendu, il a perdu cet air sérieux que lui
donnaient les tensions et les problèmes liés à mon ancienne
vie. J’ai l’impression d’avoir quinze ans, à cause de cette
insouciance que j’ai retrouvée. Faut dire qu’ici, tout est
favorable à la détente et au bien être, et qu’il n’y a pas
l’ombre d’un problème à l’horizon.
Certains pourraient dire que ce n’est pas la vraie vie, que je
fuis les réalités et les soucis, et qu’il ne s’agit là que de
vacances prolongées.
31
A ceux-là, je répondrais que Dieu a créé la nature et
l’homme a créé les problèmes
Pourquoi « la vraie vie », comme ils disent, devrait-elle
être remplie obligatoirement de soucis ?
Notre existence est le résultat de nos actions passées. Elle
est ce que nous en faisons, soit un enfer soit un paradis.
L’homme est libre de vivre dans un de ces deux mondes. Il
le choisit plus ou moins consciemment. Par contre, il est
très mal vu, dans nos sociétés occidentales, de vivre selon
des critères différents de ceux de la communauté.
Celui qui est marginal devra être très robuste pour ne pas
subir l’effet d’attraction qui tente de le ramener dans le
monde standardisé.
Son indépendance devra être préservée avec une profonde
conviction et une puissante détermination. Il devra toujours
garder confiance en lui et en ce qu’il ressent intérieurement
Lorsque je recherche l’origine de la grande majorité des
souffrances que subit l’occidental, je me rends compte
qu’elles ont deux causes principales.
Il y a d’abord les problèmes et les tensions liés à
l’acquisition de bien matériels, puis il y a ceux qui
découlent de la conservation et de la peur de perdre ces
même biens.
Les soucis liés à l’acquisition, sont les nombreux crédits
que l’individu contracte et qu’il faut assumer jusqu’au
bout : crédits de la maison, de la voiture, de la piscine
etc.…
Quant aux soucis qui découlent de la peur de perdre ces
même biens, ils sont nombreux et correspondent aux
charges importantes qui pèsent sur chaque famille et qui se
manifestent par les nombreuses factures que l’on découvre
avec surprise dans sa boite aux lettres.
32
A ce moment-là, nous avons l’impression que l’on veut
nous arracher tout ce que nous avons construit et acheté à
la sueur de notre front.
Il en découle, la plupart du temps, un sentiment permanent
d’angoisse et de paranoïa.
Si les hommes lâchaient progressivement prise sur le
matérialisme, la plus grande partie de leurs problèmes
disparaîtraient.
Lorsqu’il se met à pleuvoir, nous avons tous le réflexe de
nous mettre à l’abri. Si quelqu’un nous disait à ce
moment-là que nous fuyons les réalités de la vie et que
s’abriter constitue un refus d’affronter la pluie, nous lui
ririons au nez.
Alors pourquoi ne pas se mettre à l’abri des orages de la
vie, pourquoi ne pas se préserver ?
Nous devons exploiter notre instinct de conservation. Peu
importe les critiques, il ne faut surtout pas se culpabiliser
de vivre une vie heureuse.
Il m’a fallu sortir du système pour comprendre tout cela.
J’aurais pu continuer ma vie dans le même sens, pendant
encore de nombreuses années et ne m’apercevoir de rien.
Nous nous habituons aux problèmes qui nous assaillent, ou
plutôt nous pensons qu’ils font partie intégrante de
l’existence.
Parfois le doute s’installe, nous protestons et avons envie
de nous révolter. Mais bien vite notre entourage se charge
de nous convaincre, « que l’on ne peut faire autrement, que
l’on traverse une crise économique et que la vie est difficile
pour tout le monde etc. »
En bref : « tais-toi et travaille, tu n’as pas le choix ».
Ils sont des millions à se faire piéger de la sorte, à vivre
comme des automates, à poursuivre des buts qui ne sont
pas les leurs. Ils ne savent pas qu’il y a d’autres manières
33
de vivre qui leur correspondraient davantage, que
l’existence peut parfois être merveilleuse et que le bonheur
existe.
J’ai envie de leur crier ma joie, de leur expliquer qu’il y a
un petit coin de paradis sur cette terre qui attend chacun
d’eux. Qu’ils doivent le chercher mais d’abord en rêver ! Si
je pouvais leur envoyer à tous, des photos de mon île ainsi
que mes réflexions, ça leur donnerait certainement des
idées.
- Pourquoi ne le ferais-tu pas ? me conseille ma petite
voix intérieure.
La nature de cette perception est confuse, un peu emmêlée
ou plutôt mal définie. Je relis la dernière phrase de mon
livre de bord. J’en conserve les mots photos, réflexions,
envoyer, donner des idées. Cela voudrait dire que je
pourrais écrire des articles dans certaines revues de voyage
ou un livre comportant le récit de mon aventure, avec de
nombreuses photos, afin de faire connaître mon expérience.
J’ai emporté avec moi mon appareil photo. Il permet de
réaliser un travail d’excellente qualité. Quant aux textes, je
me servirais de mon journal de bord.
Pourquoi pas ? Tout est possible, mais alors plus tard,
beaucoup plus tard. Je ne me sens pas encore les capacités
d’entreprendre une telle tâche.
C’est vrai que l’idée est séduisante, mais je ne m’en sens
pas tellement capable. J’ai quitté l’école à l’âge de seize
ans et n’ai reçu qu’un enseignement très limité en Français.
Ma petite voix, à qui je ne peux pas mentir et qui me
connaît certainement mieux que je ne me connais moimême, se manifeste à nouveau.
- Tu es capable de faire d’excellentes photos. Tu as
suffisamment de pratique dans ce domaine et tu n’as jamais
34
cessé de lire depuis que tu as quitté l’école. Alors arrête de
te raconter des histoires, si tu veux, tu peux.
D’accord, alors plus tard, beaucoup plus tard. Pour le
moment, je me contenterai de faire des photos et d’écrire
mes réflexions au fil des jours.
- C’est exactement ça, continue-t-elle, qui te demande de
faire autre chose ?
Impossible de fuir une situation à laquelle je peux faire
face. Il y a des moments où je regrette d’avoir éveillé cette
partie de moi-même.
Je retourne tout ça dans ma tête et me dis que cela fait trop
de choses à admettre à la fois.
J’en arrive à la conclusion que je ne me forcerai pas à
exécuter un travail que je ne sens pas encore possible. Je
me satisferai d’un brouillon pour l’instant et des photos qui
m’inspireront. Après, plus tard, nous verrons.
Je range rapidement mon cahier et ressort avec mon
masque de plongée et les palmes. J’ai décidé d’aller pêcher
des coquillages qui sont en abondance autour de l’île. Ils
constitueront, avec le riz et les fruits, les deux repas
d’aujourd’hui.
Je marche sur la plage en direction de la pointe formée de
rochers. C’est à cet endroit que les moules et les huîtres
sont les plus nombreuses. Je suis encore dans mes pensées
lorsque je passe près de la maison de Noï. Une voix se fait
alors entendre « Paï naï » ? Ce qui se traduit par : où vastu ?
Je me retourne et aperçois Noï, assise avec sa mère en haut
des marches de leur maison. Elles sourient toutes les deux.
Comme je ne sais pas encore dire en Thaï, « je vais pêcher
des coquillages », j’utilise alors les mots que je connais «
Pom paï len nam » Je vais me baigner, ou plutôt, traduit
mot à mot, je vais jouer dans l’eau.
35
« Paï doué » répond Noï, ce qui signifie : j’y vais aussi. Je
n’ai pas le temps de donner mon avis qu’elle marche déjà
près de moi. Sa mère rit en nous voyant partir ensemble et
moi mon cœur commence à s’emballer.
Je ne suis en général pas timide, mais là, je n’arrive pas à
articuler le moindre mot.
Je me contente de la regarder par moments et de lui sourire.
Noï rentre la première dans l’eau. Elle a gardé son tee-shirt
blanc et son large short. Elle met son masque et nage vers
le large. Avec mes palmes, je n’ai aucun mal à la rattraper.
Nous contournons la pointe rocheuse et nous retrouvons au
milieu d’une nuée de poissons multicolores de toutes les
tailles.
Il y a les tous petits, noir rayé de blanc, puis ceux tous plats
qui sont zébrés de noir et de jaune. Ce sont de loin les plus
nombreux. A deux ou trois mètres de profondeur se
trouvent les poissons perroquet.
Ils sont de véritables arcs-en-ciel vivants et se laissent
approcher lorsque l’on ne fait pas de mouvements
brusques. Les plus gros mesurent cinquante à soixante
centimètres de long.
Puis il y a les poissons trompette et quelques petits
barracudas qui se déplacent en banc.
Noï me tape sur l’épaule et me montre un poisson coffre de
près d’un mètre de long. Il n’est pas effrayé par notre
présence et nage lentement.
Le décor est magique et grouille de vie. Les coraux sont
nombreux et de couleurs variées.
Il y a ceux en branches, ceux en forme de grandes fleurs
plates, d’autres qui ressemblent à des amphores et certains
qui rappellent les circonvolutions du cerveau humain. Tout
est couleurs, tout est vie, tout est beauté.
36
Noï joue comme une gamine. Elle monte sur mon dos et se
laisse porter. Puis elle descend à plusieurs mètres de
profondeur et remonte avec un coquillage nacré de couleur
rose et blanche de quinze centimètres de diamètre. Elle me
fait signe qu’il est pour moi et je le mets aussitôt dans le
filet qui est accroché à ma taille.
Les huîtres jonchent le sol, elles sont toutes aussi grosses
que ma main. Je les décolle des rochers auxquels elles se
sont fixées, avec mon couteau de plongée. Les moules,
elles, pendent par grappes des rochers. Elles sont énormes
par rapport à celles que l’on trouve chez nous, et bicolores,
noires et vertes, d’un vert presque fluorescent.
Nous avons vite fait d’en remplir le filet qui devient
maintenant difficile à charrier.
Je fais signe à Noï que le ramassage est terminé et que je
sors de l’eau et elle approuve de la tête. Lorsque j’arrive
sur la plage, je me retourne après avoir déposé les
coquillages et remarque qu’elle n’est plus derrière moi. Je
regarde vers le large : personne. Je m’apprête à repartir
vers notre lieu de pêche, lorsqu’elle réapparaît toute fière,
avec une langouste énorme qu’elle tend au-dessus de sa
tête en criant de joie. Puis elle vient près de moi et dit : «
Ton yen kin doué kan ». C’est à dire : ce soir, on la
mangera ensemble.
Puis, nous rentrons chargés de notre pêche miraculeuse.
Arrivés devant chez elle, sa mère est toujours là. Elle est
accroupie et pile du piment avec des légumes. Elle rigole
en nous voyant et prononce des phrases que je ne
comprends pas. Peu importe, je lui souris et lui donne la
moitié des coquillages. Elle me remercie et disparaît
quelques secondes pour revenir avec une grappe de noix de
coco vertes, qu’elle m’offre gentiment.
37
Je prends congé avec le Bye Bye international et regarde
Noï un instant, comme pour m’imprégner davantage de son
image. Ses habits mouillés collent à sa peau et laissent
deviner une merveilleuse silhouette. Je dois faire un
énorme effort de volonté pour détourner mon regard et
prendre le chemin du bungalow.
-Prends garde Richard, me dis-je alors, tu es en train de
succomber à son charme.
Je demeure le reste de l’après-midi sur la terrasse, la tête
pleine d’images et de souvenirs de cette petite heure que
nous avons passée ensemble.
J’essaye d’interroger ma petite voix intérieure afin de
savoir ce que je dois faire. Si je me laisse emporter par mes
sentiments, j’ai bien peur que cela m’attire des ennuis. Les
Thaïlandais sont très gentils, mais ils ont le sang chaud
comme les latins et je ne sais pas quelle serait leur réaction
si je venais à séduire une fille du village.
Donc, j’interroge ma petite voix intérieure qui semble
savoir tout bien mieux que moi, mais elle ne daigne pas me
répondre aujourd’hui. Il ne semble pas y avoir d’abonné au
numéro que je demande.
Je suis seul avec mon problème et me dis que je ne pourrai
pas résister bien longtemps au charme d’une telle créature.
Quand je pense que je suis venu ici pour faire le point sur
ma vie afin de mieux me connaître !
Le fait de tomber amoureux risque fort de perturber ma
recherche intérieure et de focaliser toute mon attention sur
la belle Noï.
Cela me chagrine quelque peu.
Et la petite voix qui reste silencieuse. Jamais là lorsque l’on
a besoin d’elle celle-là.
J’ai hâte d’être à ce soir et j’appréhende à la fois. Je suis
tiraillé dans deux directions, encore un conflit intérieur.
38
- « Licha, Licha ! »
Je sursaute, il fait nuit, je me suis endormi, Noï est debout
devant moi.
- « Licha, kun lap maï ? » dit-elle, c’est à dire : Richard tu
dors ?
Je suis dans le brouillard, je plane complètement. Une
douche fraîche me remettra les idées en place.
-« Pom paï am nam ». C’est à dire : je vais prendre une
douche.
Le repas est prêt. Noï a préparé les coquillages avec une
sauce piment, ail, citron vert et diverses épices. Un
véritable délice quoique très pimentée.
De mon côté, j’ai fait cuire la langouste au barbecue. Une
fois la cuisson terminée, je l’ai ouverte en deux dans le
sens de la longueur et arrosée d’une préparation à base de
lait de coco, de sauce de poisson et de citron vert, cela à
plusieurs reprises, tout en la laissant sur le feu.
Le résultat est digne d’un grand chef cuisinier. La chair est
tendre et ne s’est pas desséchée. La saveur est délicieuse et
parfumée.
Le repas se fait dans le silence, et les échanges de regards
et de sourires sont nombreux. La soirée est d’une grande
douceur, une légère brise nous rafraîchit et éloigne les
moustiques.
Les grillons, crapauds, grenouilles et oiseaux de nuit
composent une véritable cacophonie.
Les nuits tropicales sont vraiment magiques, et celle-ci
bien plus que les autres. Nous n’avons pas échangé plus de
trois phrases au cours du repas. Il est des silences
désagréables et d’autres dans lesquels se tissent des liens
invisibles. Ce silence-là est des plus agréables, des plus
merveilleux. La communication se fait aux travers de nos
39
yeux, de nos respirations : c’est comme si nous étions dans
les bras l’un de l’autre.
Puis elle décide de m’apprendre le Thaï et commence ma
première leçon.
-« Tchan lak kun »: Je t’aime.
Je ne sais pas si c’est le thème de la leçon ou une
déclaration d’amour ?
Je lui réponds « Pom lak kun doué » je t’aime aussi et elle
éclate de rire.
Les plaisanteries durent encore une heure, et la voilà déjà
qui s’incline avec le bonsoir traditionnel. Puis elle
s’approche de moi, prend ma main dans les siennes, la
serre très fort pendant un long moment, en me fixant droit
dans les yeux et disparaît, laissant un grand vide derrière
elle.
Je reste assis sur la terrasse, dans mon fauteuil en rotin
favori, face à la mer. La lune est dans son premier quartier,
elle descend lentement sur l’horizon. Elle donne à la mer
de merveilleux reflets argentés. Elle me tient compagnie
encore quelques instants avant de disparaître, elle aussi. Je
demeure ainsi immobile, contemplant la voûte céleste et
me dis que je vais avoir du mal à dormir cette nuit.
Je revois son sourire, son visage, ses longs cheveux. Je sens
son parfum, la chaleur de ses mains, sa présence invisible.
Que dois-je donc faire ? Ai-je au moins le choix ? Je suis
comme aspiré par un futur qui doit absolument se produire.
Les événements dépassent le domaine du raisonnement, de
la logique.
Mon cœur s’exprime et se dirige vers ce qu’il désire, sans
se soucier des doutes et des angoisses que mon mental lui
transmet.
Il est le maître de la situation, c’est lui qui décide et rien ne
peut entraver ses désirs et ses projets.
40
Cela voudrait dire que l’amour, car il s’agit bien là
d’amour, est toujours prioritaire et que le mental n’a aucun
pouvoir sur lui. Il est le maître des lieux, il est le destin,
l’inévitable, et peut-être bien ce qu’il doit nous arriver de
mieux dans la vie. Mais je ne veux pas confondre l’amour
et la passion. Cette dernière est fougueuse, impatiente,
active, puissante, aveugle. Pour moi, ce que je ressens
dépasse cet aspect instinctif de l’amour.
Il se manifeste en moi comme une boule de feu présent au
niveau de ma poitrine et qui rayonne, rayonne jusqu’à
emplir l’univers. Il ne s’agit pas là d’un sentiment, mais de
quelque chose de plus grand, qui s’exprime à travers moi.
Il n’y a pas, d’un côté, mon amour pour Noï et de l’autre,
tous les différents amours de la vie, mais uniquement cet
Amour Universel qui s’exprime entre nous.
Je connaissais de nombreux ouvrages qui parlaient parfois
de l’Amour Universel, mais je n’avais eu de celui-ci qu’une
compréhension intellectuelle.
Il ne peut être approché par le raisonnement, mais
uniquement par l’expérience. Une fois qu’il aura été
ressenti une seule fois, il ne pourra plus repartir, tout au
plus s’assoupir. Il demeurera en nous pour la vie et
essayera de s’exprimer en de nombreuses occasions.
Mes pensées se calment tout à coup, je n’analyse plus rien,
je contemple seulement la mer. Une grande paix m’envahit,
ainsi qu’un grand optimisme pour l’avenir.
Ce n’est plus la peine de chercher des solutions pour des
problèmes qui ne se posent pas encore. « Fais confiance à
la vie et à ton destin », me dit simplement la petite voix
intérieure
- Te revoilà toi, où étais-tu passée ?
41
- « J’étais toujours là me dit-elle, mais tu m’empêchais de
m’exprimer, tellement tu réfléchissais. Lorsque tu veux que je
te parle, il faut que tu fasses le silence en toi ».
Les jours se succèdent rapidement; Il est vrai que je suis ici
dans un monde où la notion du temps diffère de celle des
pays occidentaux.
Je me dis parfois, qu’à la vitesse où défilent les semaines,
je risque de me réveiller, un matin, dans le corps d’un
vieillard, sans avoir réalisé les années écoulées. Une vie,
c’est tellement court, surtout sous ces latitudes où elle se
déroule avec grande douceur.
Noï et moi passons la plus grande partie de nos journées
ensemble. Nous nous baignons, nageons, pêchons et
chahutons tout au long de celles-ci. Le soir, nous prenons
notre repas à mon bungalow, puis elle s’esquive, comme
toujours vers dix heures du soir.
Je n’ai alors qu’une hâte, c’est de m’endormir, car alors je
n’ai plus conscience d’être privé de sa présence.
Ce soir est pourtant différent des autres. Elle s’est faite très
belle, je devrais dire encore plus belle. Elle est
particulièrement tendre et proche de moi tout au long du
repas et me donne de nombreux « om noï », ce qui signifie
mot à mot, « petites aspirations », qui sont l’équivalent des
bisous de chez nous.
Elle pose alors ses lèvres sur une de mes joues et son nez
proche du mien inspire profondément.
Pendant ce temps, je lui caresse le dos, et c’est la première
fois qu’elle n’enlève pas ma main. Je n’ose espérer qu’elle
reste avec moi ce soir, de peur d’être encore une fois déçu.
Je sais qu’il faut un certain temps, dans ce pays, avant
qu’une femme se donne à son fiancé ou son ami.
42
A la fin du repas, elle me dit qu’elle a froid et m’entraîne à
l’intérieur. Elle met une cassette sur le poste stéréo qu’elle
a amené, et nous sommes bientôt bercés par les douces
chansons d’amour de sa chanteuse préférée.
Puis elle disparaît dans la salle de bain où je l’entends
prendre une douche. Je suis allongé sur le lit, incapable de
penser à quoique ce soit.
Les cinq minutes qu’elle y passe me paraissent une
éternité. Elle réapparaît enfin, enveloppée dans une
serviette blanche, et éteint la lumière.
Elle s’approche lentement de moi, me caresse, m’embrasse
et colle son corps tiède contre le mien. Sa peau est douce
comme du velours, ses cheveux tombent sur mon visage,
son parfum m’enivre. Je perds la notion du temps, de
l’espace. Je sombre dans un état de bonheur indescriptible.
Le fait d’avoir désiré cet instant depuis si longtemps lui
donne un aspect sacré.
La nuit nous emporte dans un tourbillon d’amour, de
sensualité et de tendresse.
Noï était rentrée chez elle vers sept heures du matin laissant
Richard dormir paisiblement.
Lorsque celui-ci se réveilla, il fut pris d’une angoisse. Il se
leva, se prépara un café et partit le déguster sur la terrasse.
Il avait l’impression que le père de Noï allait débarquer
d’un moment à l’autre, la machette à la main, pour lui
demander des comptes.
Il passa toute la matinée à composer en Thaï des phrases
qui pourraient justifier la situation. Il regardait souvent
dans la direction de chez elle et se préparait à toutes
éventualités. Lorsque arriva midi, ses peurs commencèrent
à faiblir et il fut presque complètement rassuré, une heure
plus tard, lorsque Noï revint avec le repas qu’elle avait
43
préparé. Alors Richard, la prenant dans ses bras lui posa la
question : « mi pana maï » : y a-t-il un problème ?
La réponse de Noï chassa définitivement ses craintes. « mi
tamaï » ? : Pourquoi y en aurait-il ?
Noï et Richard ne pouvaient plus rester l’un sans l’autre. Ils
passaient toutes les journées et les nuits ensemble. Noï
s’absentait parfois pour aider sa mère à préparer le repas, et
revenait aussitôt quelle avait terminé. Il n’y avait aucune
ombre à leur idylle.
Ce matin nous dormions encore lorsque quelqu’un vient
frapper à la porte. Je regarde le réveil, à peine sept heure
dix. Nous nous habillons rapidement et mon estomac se
serre pendant que j’ouvre la porte.
Les parents de Noï sont là, devant moi. Cette situation me
met mal à l’aise. Pourtant, ils sont tous les deux souriants.
Ils parlent un moment avec Noï, un moment interminable
durant lequel je n’arrive à saisir que quelques bribes de
phrases. Je reconnais les mots cérémonie, moine, demain.
Noï me résume leur discussion. Je suis semble-t-il, invité
demain à une fête dans la maison de Noï. Il y aura un
moine présent, sans doute un ami de la famille. Elle me
demande si je suis d’accord pour venir et semble très
heureuse lorsque j’accepte. Puis elle me repose une
deuxième fois la question et je lui confirme qu’il n’y a
aucun problème et que je serais là à l’heure prévue.
Ses parents rigolent, ils semblent très heureux que je
vienne. Son père, en partant me tape amicalement sur
l’épaule.
Noï me serre très fort dans ses bras dès que je referme la
porte. Il semble que quelque chose m’échappe, mais cela
44
n’a aucune importance. Je suis soulagé de constater que ses
parents ne s’opposent pas à notre relation amoureuse.
Aujourd’hui est le jour de la fête. Noï est partie très tôt
pour aider aux préparatifs.
Comme je n’arrive plus à dormir, je me lève et prépare du
café. Le réveil indique 7 heurs trente, ce qui me laisse
plusieurs heures devant moi. Je m’installe sur la terrasse
avec la cafetière et une assiette de fruits. J’ouvre mon
journal de bord, que j’ai négligé depuis plusieurs jours, afin
de noter les moments importants de la semaine.
Quelque chose s’est passé en moi depuis que je vis avec
Noï. Une sorte de déclic s’est opéré, ouvrant la porte à une
sensibilité ou plutôt une sensitivité que je ne me
connaissais pas.
Des tas de pensées nouvelles me traversent ou m’habitent
maintenant. J’ai envie d’écrire des poèmes, des chansons,
des textes qui refléteraient mon état intérieur. Ma joie de
vivre est dix fois plus grande qu’il y a seulement une
semaine. Elle n’est pas une forme d’euphorie nouvelle,
mais plutôt quelque chose qui grandit en moi et qui veut
s’exprimer d’avantage.
Une note vibre en moi et, par effet de résonance, en fait
vibrer de nombreuses autres qui sont sur des octaves
différents.
Cela n’a rien à voir avec l’amour qui existe souvent entre
deux être et qui les rend un peu « bébêtes. »
Nous nous sommes rencontrés sur un plan différent. C’est
comme si nous nous connaissions depuis toujours. Richard
sans Noï et Noï sans Richard, cela ne peut exister.
Ma lucidité a augmenté dans beaucoup de domaines. Je
suis clair dans ma tête et suis capable de dénouer chaque
pensée l’une de l’autre. La confusion naît souvent de leur
45
mélange, et celui qui n’a pas la possibilité de voir chacune
d’elle séparément, se trouve emmêlé dans des tas de
conflits intérieurs.
Je ne pensais pas qu’une relation amoureuse pouvait
déclencher une augmentation de la sensibilité intérieure. La
sexualité, est un grand mystère. Elle peut être magique
lorsqu’elle s’exprime au travers de l’amour véritable.
Personne n’a jamais écrit, du moins je le suppose, quelque
chose de sérieux sur le rapport ou le lien qui peut exister
entre la sexualité et la spiritualité.
Nos religions considèrent la sexualité comme quelque
chose de répugnant, et notre culture n’a jamais cessé de
ternir son image.
Pourtant, je sais maintenant qu’il s’agit là d’une des
expressions de l’Amour Universel et peut-être l’une des
clés qui peut faire sortir l’individu de la bulle d’égoïsme
dans laquelle il s’enferme chaque jour davantage. Mais je
parle là de l’amour qui s’exprime à travers le sexe et non
pas la perpétuelle recherche du plaisir physique avec
n’importe quel partenaire.
En y repensant, il y a bien, en Orient, une recherche
spirituelle qui a un lien avec l’énergie sexuelle. Il s’agit du
Tantra yoga. Ceux qui pratiquent cette forme de yoga
doivent maîtriser l’énergie sexuelle pendant une longue
période pour la sublimer. J’avais lu qu’une telle énergie,
contenue pendant longtemps, pouvait, au moment de l’acte
d’amour, éveiller une certaine perception intérieure,
pouvant parfois aller jusqu’à l’illumination.
Dans notre cas, ou plutôt dans le mien, car je ne peux pas
totalement savoir ce que ressent Noï, il semble que ce soit
ce phénomène qui se manifeste, sans atteindre cependant
l’illumination.
46
Je sais que certains de mes amis me diraient que je me pose
trop de questions et que je ferais mieux de prendre
simplement la vie comme elle vient. En fait, je ne me pose
pas du tout trop de questions, j’essaye simplement de
définir une sensibilité intérieure.
Tout cela pour mieux la comprendre et remonter petit à
petit à sa source. Cela ne m’empêche pas de prendre la vie
comme elle vient, au jour le jour. Je ne peux être que dans
la bonne direction, car au fur et à mesure que j’avance dans
ce sens, mes pensées se clarifient davantage, j’ai une
version du monde de plus en plus précise et je ne m’en
trouve que plus équilibré, plus calme et plus heureux.
Si au contraire, je ressassais des tas de questions dans ma
tête, sans trouver de réponses, je serais alors fatigué
mentalement et physiquement, le pessimisme gagnerait du
terrain de jour en jour et l’agitation intellectuelle serait
quasi permanente.
Je continuerai donc à tirer ce fil d’Ariane avec une
immense curiosité et une grande avidité de connaissance.
Les transformations de ma personne qui découlent du peu
de chemin que j’ai parcouru, laissent à supposer qu’il y ait
un monde immense à découvrir à l’intérieur de chacun de
nous. Celui qui n’a entrevu ce monde qu’une seule fois, et
cela uniquement durant quelques secondes, ne peut
retourner à sa vie de routine. Il ne peut plus faire autrement
que d’essayer de retrouver cette merveilleuse vision et ne
cessera de cheminer vers celle-ci.
Bien sûr, il est plus simple de se contenter d’une petite vie
bien organisée où l’on passera son temps à entasser des
biens matériels. Mais celui qui a vécu ne serait-ce qu’une
seule fois l’expérience intérieure, sait désormais qu’il est
un oiseau et qu’il peut voler à des altitudes où le Monde lui
révèle toute sa beauté.
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L’homme est un oiseau qui n’a pas conscience de ses ailes.
Pour mieux le dominer, on lui a fait croire qu’il était un
simple bipède qui ne peut vivre qu’au ras du sol.
Il suffit cependant qu’il prenne son envol, ne serait-ce
qu’une fois, pour ne jamais plus oublier cette aptitude qu’il
a de voyager vers de nouveaux horizons.
Il sera désormais un aventurier, un explorateur de ce monde
qui s’ouvre à lui.
Il ramènera de chacun de ses voyages intérieurs des bribes
de la Vérité Universelle, avec lesquelles il travaillera à
construire un monde meilleur, en manifestant les principes
provenant du plan de l’âme. Je comprends maintenant
pourquoi certains pratiquants de sports ou d’activités
extrêmes ne vivent plus que pour leurs passions.
Ils ont frôlé la mort et ont de ce fait compris ce qui était
vraiment important dans la vie et ce qui ne l’était pas.
Dépouillés alors de toutes leurs conceptions erronées, ils
ont senti leur âme vivre en eux et s’exprimer. Ils sont
revenus de leur aventure métamorphosés et ne pouvaient
plus, de ce fait, reprendre une vie de routine basée
uniquement sur le profit et l’enrichissement.
Lorsque notre âme nous prend par la main et nous montre,
du haut de la montagne où elle réside, le monde tel qu’il est
en réalité, nous sommes bouleversés de voir à quel point
nous sommes stupides.
Heureusement pour nous, elle ne nous donne qu’une vue
limitée de cette réalité, une vue progressive. Sans cela,
nous serions tellement ébranlés dans nos conceptions, que
nous ne trouverions plus aucune base sur laquelle nous
reposer. Nous pourrions même en perdre la raison.
C’est pour cela que le cheminement est lent, afin que
chaque parcelle de vérité ramenée de ce plan soit d’abord
digérée et adaptée à sa vie. De cette manière nous avons le
48
temps de trouver de nouvelles bases sur lesquelles nous
appuyer.
La vérité totale, si nous la connaissions, nous consumerait
rapidement. Il vaut mieux faire un pas après l’autre et ne
lever un pied que lorsque l’autre a une bonne assise. Sans
cela c’est la chute avec toutes ses conséquences.
A la lumière de cette théorie, j’en viens à reconsidérer mon
point de vue sur le matérialisme. Depuis mon arrivée en
Thaïlande je le pensais malsain, qu’il était une erreur et
qu’il s’opposait à la spiritualité.
J’ai aujourd’hui une opinion nouvelle. Je pense que le plan
matériel est là pour aider le plan spirituel à s’exprimer. Il
doit être à son service et ne doit surtout pas s’opposer à lui.
Il doit occuper une minorité de nos pensées et ne pas
devenir obsessionnel comme c’est le cas chez nous. Tout
est une question de proportions, de dosages. Si nous
pensons à des problèmes d’origine matérielle, tout au long
de nos journées, comment l’âme peut-elle alors s’exprimer
en nous ?
Par contre, le fait de vivre ici, sans l’ombre d’un souci de
cet ordre, laisse une grande place libre dans nos pensées,
que l’âme se charge alors de remplir. C’est presque trop
simple. En fait c’est toujours très simple, seul le mental de
l’homme
complique
tout.
49
Chapitre III
« Licha, Licha ! »
Noï me tire de mes réflexions. Elle est revêtue d’une robe
blanche dont le corsage est entièrement fait de dentelles.
Ses longs cheveux sont maintenus par un ruban rose. Elle
est merveilleusement belle, habillée de la sorte. Le blanc de
la robe fait ressortir davantage la couleur bronzée de sa
peau.
Elle semble un peu affolée car je ne suis pas encore prêt. Je
regarde ma montre et découvre avec horreur qu’il est déjà
onze heures trente cinq. Il ne me reste que vingt cinq
minutes pour me raser, prendre une douche et m’habiller.
Je n’ai pas vu le temps passer. Je referme le cahier et
constate que j’ai dû écrire une bonne dizaine de pages.
« Licha, lew noï ka », dit-elle. Richard, dépêche-toi un peu
s’il-te-plait.
Je ne veux pas la décevoir et j’adopte aussitôt le rythme
rapide de mon ancienne vie, en France. Vingt minutes plus
tard, je suis fin prêt, douché, rasé, habillé et parfumé.
Elle me prend par la main et, pressant le pas, nous arrivons
rapidement dans sa maison où la plupart des invités sont
déjà arrivés. En fait, tout le village est présent, soit une
bonne soixantaine de personnes.
Je salue tout le monde par le « sawadi khap » traditionnel,
prononcé avec les mains jointes au niveau du thorax.
L’accueil est vraiment chaleureux. Tout le monde est très
content de constater que je parle un peu la langue du pays.
Puis, le moine bouddhiste - l’ami de la famille - vient nous
saluer et nous prie d’entrer dans la maison. Il y a des fleurs
partout et je me demande ce que l’on fête aujourd’hui. Sans
doute l’anniversaire d’un des parents de Noï.
50
Là, on nous fait asseoir parterre, devant une corbeille de
fleurs, les jambes repliées en arrière, de la même manière
que lorsque j’étais allé au temple de Tran.
Le moine alors nous fait face, nous donne une sorte de
bénédiction, puis ouvre un livre et se met à débiter un texte
interminable.
Les parents et amis ont pris place derrière lui et tout le
monde plaisante et nous sourit. Noï me fait comprendre
qu’il faut joindre les mains devant notre cœur. Pendant ce
temps l’orateur continue sa lecture.
C’est à ce moment là que ma petite voix, pleine d’humour
comme d’habitude, me glisse deux mots à l’oreille. «
Félicitations Richard. »
Alors, je prends instantanément conscience de la situation.
Je regarde l’entourage, la décoration, la maison remplie de
fleurs et je repense aux circonstances qui m’ont conduit
jusqu’ici aujourd’hui.
En fait, j’étais en train de me marier sans en avoir pris
conscience. Cette réalité me frappe de plein fouet au milieu
de la cérémonie.
Je revois Noï me demander, à plusieurs reprises, si j’étais
bien d’accord pour venir à la fête, et j’avais été surpris
d’une pareille insistance. En fait, elle m’avait certainement
répété la question : Es-tu d’accord pour que l’on fasse une
cérémonie de mariage ?
Alors que moi j’avais compris : Es-tu d’accord pour venir à
la cérémonie ?
Les deux phrases étaient très proches l’une de l’autre, et je
réalise à ce moment précis que j’ai encore d’énormes
progrès à faire pour arriver à maîtriser cette langue.
Toujours est-il qu’aujourd’hui je suis en train de me marier
et que je ne peux pas rebrousser chemin. Je n’ai pas envie
de me faire lapider par la famille et les amis.
51
L’effet de surprise passé, je me dis que finalement ce n’est
pas du tout un problème, que j’aime Noï et qu’elle parait
tellement heureuse en ce moment que je ne peux
qu’accepter cette union. De plus cela nous permettra de
vivre officiellement ensemble.
La cérémonie est interminable. Voilà déjà une heure qu’il
débite ces phrases incompréhensibles. Les jambes me font
mal, mais je m’efforce tout de même de garder un certain
sourire, malgré la douleur qui ne cesse d’augmenter au
niveau de mes genoux. Puis il referme enfin le livre. Il
noue ma main gauche avec la main droite de Noï à l’aide
d’un morceau de laine blanche.
Cela doit tirer à sa fin, me dis-je un peu soulagé. Mais il
faudra que je patiente encore car toute l’assemblée doit en
faire de-même. Chacun noue son petit bout de laine autour
de nos poignets et y glisse un billet de banque, accompagné
des vœux de bonheur, de prospérité et de fécondité. Une
demi-heure plus tard, nous sommes complètement ligotés
et décorés, comme un arbre de Noël.
La douleur au niveau de mes genoux est devenue
insupportable, mais je patiente encore quelques minutes
pour ne pas décevoir mon épouse.
Et oui, Noï est officiellement ma femme maintenant. Puis
vient le meilleur moment de la cérémonie, la récompense
suprême. Il ne s’agit pas du tout d’embrasser la mariée,
comme cela se fait chez nous, mais j’ai enfin le droit de me
lever après plus d’une heure et demie de tortures.
Je crois que je conserverai toute ma vie le souvenir de mon
mariage. Noï est tellement heureuse que je ne lui avouerai
jamais quel a été mon martyre pendant ce temps
interminable. J’ai du mal à me lever et tout le monde s’en
aperçoit et rit.
52
Quelques minutes plus tard, les douleurs ont disparu, et je
peux profiter pleinement de l’ambiance. Le repas, qui a été
préparé à l’avance, est vraiment copieux et varié.
Je m’aperçois très vite qu’il n’y a pas de boissons
alcoolisées, bien que les Thaïlandais en raffolent pendant
les fêtes. Noï me fait comprendre que ses parents n’ont pas
d’argent pour en acheter. J’envoie aussitôt ses jeunes sœurs
en chercher à l’épicerie du village.
Cinq bouteilles de « Mékong » , le whisky local, deux
cartons de bière « Tchang » , la bière de l’éléphant, et deux
sacs de glaçons.
La fête peut alors se dérouler dans les meilleures
conditions, plus rien ne manque et chacun peut trinquer
avec le « choc di » , bonne chance en thaï, au bonheur des
mariés.
Tout le monde nous félicite et nous souhaite d’avoir
beaucoup d’argent et de nombreux enfants. Je pense, en
moi-même, que pour l’argent il n’y a pas de problèmes, il
peut nous visiter quand il veut. Mais pour les enfants, nous
attendrons encore un peu, nous avons bien le temps.
La fête se déroule merveilleusement et je crois avoir un peu
trop levé mon verre à la santé des mariés. Puis il y a le
repas, composé essentiellement de riz, de poisson, de fruits
de mer et de légumes. Les saveurs sont nombreuses et très
variées, allant de l’aigre-doux au très pimenté en passant
par toute une diversité de goûts.
Je découvre la plupart des plats et en note les noms afin
que Noï, qui est maintenant ma femme, puisse m’en
préparer de temps en temps.
Puis vient le temps de la musique et des danses
traditionnelles auxquelles je suis initié par ma belle-mère.
Je suis dans un état euphorique, ce qui me permet toutes les
extravagances dans ce domaine, pour la plus grande joie
53
des convives. Je me sens ici chez moi, peut-être plus que
dans mon ancienne vie. Je suis bien, nous sommes heureux.
La nuit tombe bientôt et chacun regagne sa demeure. Noï et
moi rentrons au bungalow par la plage, lentement, en
contemplant le ciel et les millions d’étoiles, témoins de
notre bonheur. Je me dis alors que je vie ici sur une autre
planète, et je me demande pourquoi Dieu me comble
autant.
Tant de joies et de bonheur sont parfois inquiétants. Je me
demande si le ciel ne va pas me tomber sur la tête à tout
moment, et m’enlever tous ses présents. Cela doit être les
réminiscences, les souvenirs inconscients de l’époque
récente où je vivais dans l’autre système, d’après des règles
débilitantes et inhumaines.
Les seuls imprévus qui pouvaient alors se produire, étaient
l’arrivée de factures ou d’impôts, que l’on découvrait en
rentrant le soir après le travail.
Je veux oublier tout ça, ou plutôt non, je désire le garder
dans un recoin de ma mémoire, comme référence, comme
exemple de ce qu’il ne faut plus faire.
Noï me tient par la taille et me serre contre elle.
« Ton ni, kun pen pua » me dit-elle, ce qui signifie :
maintenant tu es mon mari.
Cette nuit est particulièrement belle, c’est encore un cadeau
du ciel pour les jeunes mariés que nous sommes.
Assis l’un contre l’autre, sur un tronc d’arbre qui a du être
ramené par la mer, nous gardons les yeux fixés sur
l’horizon sans pouvoir prononcer un mot.
La nuit nous enveloppe de son manteau protecteur, la lune
veille ce soir sur tous les amoureux du monde. Mon âme ne
cherche même pas à s’exprimer : pourtant je la sens vibrer
en moi. Elle semble satisfaite, en accord avec ma
personnalité.
54
Ce matin, j’ai reçu une lettre de mon père. C’est la
première qui m’arrive de France depuis mon départ, deux
mois et demi plus tôt. Les nouvelles sont bonnes, la famille
se porte bien, ce qui me rassure. Il ne comprend pas
pourquoi je suis ici et se demande ce que je fais de mes
journées, puisque je ne travaille pas.
Cela l’inquiète que je ne travaille pas. Mon brave père,
avec qui je m’entends très bien, est complètement
conditionné par la société. Pour lui, une journée sans travail
est une journée perdue. Il ne peut concevoir la vie sans
cela. Il se culpabiliserait s’il occupait ses journées a des
activités autres que celles de sa profession.
Comme tous ceux qui habitent en occident, il pense que
vivre pour soi est possible, mais après la journée de labeur
seulement. Ils appellent ça les loisirs. Je rigole tout seul. Ils
ont réussi à nous faire croire que nous ne pouvions
seulement mener une existence correcte que quelques
heures par semaine, et tout le monde, ou presque, a accepté
cela. Il est des moments où je doute que l’homme soit l’être
le plus intelligent de la planète.
Même le moins évolué des animaux prend le temps de
vivre.
Lorsque j’observe l’organisation de la mini-société qu’est
le village, je me dis que ses habitants sont certainement
plus près de la vérité que nous les occidentaux.
En adoptant leur système de vie, je m’aperçois qu’il ne me
faut pas plus d’une heure, le matin, pour ramener la
nourriture de la journée. Poissons, coquillages et fruits sont
partout en abondance. De plus, le troc et l’échange de
services fonctionnent très bien dans le village. Je répare
parfois les moteurs des bateaux de pêches, gratuitement,
mais en retour, on m’offre souvent du poisson, du riz, des
55
fruits et beaucoup d’autres choses. Tout le monde
s’entraide, ce qui a l’avantage de ne pas avoir recours à des
entreprises, même pour des travaux importants. Les
journées sont, de cette manière, beaucoup plus variées et
chaque besogne réalisée en groupe est rapidement
exécutée, et ceci dans une ambiance amicale, dans la joie et
la bonne humeur. Les contraintes sont de ce fait peu
nombreuses et la vie coule alors doucement et
agréablement.
Nos sociétés occidentales ont encore beaucoup de progrès à
faire avant de trouver un tel équilibre. Que s’est-il donc
passé ? Pourquoi l’occident, qui détient la plus grande
partie de la matière grise de la planète, fonctionne-t-il aussi
lamentablement ?
Il semble que l’homme soit devenu l’esclave de ses désirs.
Il a recherché le bonheur à travers le matérialisme et s’y est
perdu.
Peut-être que le progrès technologique s’est divulgué
beaucoup trop rapidement, en négligeant l’évolution
spirituelle qui devait aller de pair ?
Mais tout cela ne serait-il pas volontaire ?
En faisant référence à mon cas personnel, je me dis qu’il
n’y a rien de tel, pour maintenir l’homme dans l’ignorance,
que de l’enfermer dans un travail et des problèmes qui lui
absorbent toute son énergie.
Pendant ce temps-là, il n’a pas la force de se poser des
questions d’ordre sociologique, psychologique ou
philosophique. Il lutte simplement pour sa survie tout au
long de son existence.
Il a été très bien conditionné afin de penser qu’il n’y a
qu’une seule manière de vivre : la sienne.
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Il ne peut pas y avoir de hasard, tout cela ne peut-être
qu’une entreprise volontaire, afin de dominer et de
maîtriser les populations.
En observant l’évolution de la situation en France, je me
rends compte que ce but a été atteint en deux étapes. La
première consistait à ce que tout le monde gagne de
l’argent assez facilement et achète tout ce qu’il pouvait
désirer à crédit bien sûr.
La deuxième étape avait pour but d’augmenter
progressivement les charges et les impôts afin de diminuer
le pouvoir d’achat de tous et de réduire ainsi leurs marges
de manœuvres.
Lorsque ce point fut atteint, l’individu ne pouvait plus se
révolter ni se mettre en grève, de peur de perdre tout ce
qu’il avait si difficilement acquis. Sa situation financière
était devenue beaucoup trop fragile.
Seuls les fonctionnaires avaient les moyens de se mettre en
grève et ils ne s’en privaient pas. Leurs revendications
visaient simplement l’augmentation de leurs salaires et la
réduction du temps de travail. De cette manière l’écart se
creusait encore entre les salariés du privé et ceux de
l’administration, à l’avantage de ces derniers.
Je me rends compte à présent, que tout est fait en occident
pour que les gens n’aient pas le temps de se poser de
questions.
S’il en était autrement et que le but recherché par nos
gouvernements fût l’évolution des populations, ils feraient
en sorte qu’elles comprennent qu’elles sont sur un mauvais
chemin. Ils organiseraient alors nos sociétés afin que
chacun ait le temps de vivre et d’analyser sa situation.
Mais il semble que tout soit réalisé, actuellement, afin que
l’individu ne se retrouve pas face à lui-même, face à son
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âme, face à sa petite voix, car celle-ci se chargerait alors de
l’instruire et tout s’éclairerait progressivement.
Il y en avait pourtant beaucoup chez qui la petite voix se
faisait entendre. J’en avais rencontré certains aux cours de
mes recherches dans le domaine de la spiritualité. Mais la
plupart avaient du mal à s’extraire des conceptions erronées
de notre société.
Ils cherchaient à évoluer spirituellement, mais voulaient en
même temps la garantie de réussir leurs vies sur le plan
matériel.
Ils étaient d’accord pour rechercher leur dimension
spirituelle, mais voulaient être sûrs de ne manquer de rien.
En agissant de la sorte, ils se dirigeaient dans le même sens
que ceux qui ne s’intéressaient pas à ce domaine. Ils
participaient à la même course au profit et à
l’enrichissement, tout en pratiquant une activité annexe : la
spiritualité. Celle-ci devenait alors un simple loisir.
J’avais moi aussi commis la même erreur et je m’en rends
bien compte aujourd’hui.
On ne peut pas tricher dans ce domaine, car il y a deux
chemins bien distincts qui nécessitent un choix
catégorique. Le premier est celui de la course après le
matérialisme. Le deuxième est la réalisation des désirs de
l’âme.
Il y a là incompatibilité entre les deux chemins.
Si l’on choisit le premier, on ne pourra jamais évoluer car
les balbutiements de l’âme seront alors étouffés. Par contre,
dans le deuxième cas, en suivant les impulsions de l’âme, il
y a possibilité de ne manquer de rien sur le plan matériel en
menant une activité professionnelle en rapport avec celleci.
En repensant à mon ancienne vie, je me rends compte
maintenant que j’essayais de tricher. Je pensais qu’en
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étudiant le domaine de la spiritualité, je réussirais mieux
sur le plan matériel.
J’avais, de ce fait, voulu mettre le spirituel au service du
matérialisme. Ce qui signifiait que j’avais voulu soumettre
mon âme à ma personnalité, et cela bien sûr à l’encontre
des lois de la nature.
L’âme est l’essence du corps et de la personnalité. C’est
donc elle qui doit dominer. Pour aller dans le sens des lois
de l’Univers, le corps et la personnalité doivent se
soumettre à l’âme. C’est la seule manière qu’il y ait de
retrouver le bonheur et l’équilibre.
Depuis que je tiens compte de ma petite voix intérieure que je ne perçois pourtant qu’occasionnellement et pas
toujours clairement - j’ai pu remarquer comment ma vie
s’est améliorée et combien la chance me sourit. Je me dis
alors, que celui qui a la possibilité de communiquer
pleinement avec son âme, doit être complètement lucide et
épanoui sur tous les plans. Il doit être un surhomme.
Voilà donc ou est le chemin, ma recherche doit rester
orientée vers ce but unique, percevoir davantage mon âme,
chaque jour qui passe.
C’est le seul moyen de se connaître vraiment.
Il faut que j’observe et que je comprenne comment, et à
quels moments ces contacts sont possibles, afin de les
favoriser.
Je sais déjà qu’il y a certaines conditions à remplir, mais il
y a des critères que j’ignore totalement. Une seule
possibilité s’offre alors à moi, c’est d’observer le
cheminement qui aboutit à ce contact, lorsqu’il se produit.
En procédant de la sorte, il me sera plus facile, par la suite,
de le réaliser.
Il faut aussi, pendant l’expérience, que je m’imprègne
fortement de tout ce que je peux percevoir, que je sente
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intérieurement le processus, que je l’analyse et le
comprenne.
Je dois me familiariser avec cet état de conscience afin
qu’il prenne de plus en plus de place en moi. Son
développement ne peut m’être que salutaire.
J’ai tout mon temps, je veux comprendre ce qu’il y a au
fond de tout cela. Je désire savoir où aboutit ce chemin. Je
ne veux pas mourir idiot, j’ai perdu suffisamment de temps
comme ça à vivre la vie de quelqu’un d’autre que moi.
Ce matin, mes yeux se sont ouverts à sept heures. Le chant
des oiseaux est le premier son qui arrive à mes oreilles,
Puis il y a le bruit des vagues qui viennent mourir sur la
plage.
Je m’assieds sur le lit et observe ma petite femme qui dort
encore. C’est un plaisir de la contempler ainsi, enveloppée
dans ses longs cheveux noirs. Je voudrais être un peintre et
rendre cette image immortelle à l’aide de mes pinceaux.
Je me contenterai toutefois de bien m’en imprégner, pour
qu’elle reste gravée dans ma mémoire. Il est des instants
que l’on voudrait éternels. Il est des moments que l’on
savoure longuement car on les sait éphémères.
Je me répète tous les jours que je suis un être comblé de
toutes pars, de peur de l’oublier, de m’y habituer et de
sombrer dans l’ingratitude.
Je ne désire rien de plus que ce que j’ai et ce que je vis. J’ai
très bien compris que plus n’est pas forcément mieux. Tout
est dans la qualité et non pas dans la quantité.
De plus, la qualité ne peut-être perçue que par l’œil de celui
qui a été éveillé aux réalités de ce monde. C’est de
l’intérieur de lui-même que l’individu a la possibilité de
percevoir la beauté, la qualité, l’essence de tout ce qui
l’entoure.
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Je me lève doucement, sans faire de bruit pour ne pas
déranger cet ange qui dort.
Je suis amoureux, je suis content d’être amoureux, j’aime
cela, j’aime aimer. L’amour embellit la vie, il rend tout
plus beau, ou plutôt il permet de voir la beauté que nous
étions incapables de percevoir. Il nous enlève nos œillères,
les verres opaques que nos avons devant les yeux.
L’amour guérit de la bêtise, de l’ignorance, de l’égoïsme et
du pessimisme. Il transforme l’homme en oiseau, une
paysanne en princesse, un mécanicien en demi-dieu.
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Pendant que l’eau du café chauffe, je coupe en morceaux
les fruits qui vont composer mon petit déjeuner. Une grosse
mangue, une banane et un demi-ananas.
Je m’installe sur la terrasse, à la place du roi. C’est ainsi
que je nomme mon endroit favori. Deux fauteuils en rotin,
une table basse, une tasse de café, une assiette de fruits, la
vue sur la mer et une légère brise.
Voilà les composantes de mon bonheur matinal. Ce
moment, à lui seul me comble. Qu'y a-t-il de plus magique
que cet instant ?
De plus merveilleux, il n’y a rien, mais les moments qui
rivalisent avec celui-ci sont nombreux tout au long de la
journée.
Il y a la longue baignade matinale, la pêche abondante, les
poissons aux mille couleurs, la douche fraîche et
revitalisante, les repas que Noï me prépare, sa gentillesse et
sa beauté toujours présentes, la sieste de l’après-midi,
souvent très câline, les promenades sur l’île, les soirées
merveilleuses, les sublimes couchers de soleil et les nuits
tropicales d’un charme inégalable.
Tout n’est que beauté, douceur, paix de l’esprit, amour et
magie.
J’habite dans un autre monde, sur une autre planète qui ne
connaît pas encore les problèmes, les guerres, les jalousies.
Un endroit pur, préservé des bassesses humaines. Un
cadeau de Dieu aux hommes. Cadeau qu’ils ont su
préserver au cours des millénaires écoulés.
Quand je regarde l’usage que nous avons fait de nos
contrées occidentales, je demande au Créateur de nous
pardonner notre folie.
Notre âme a été corrompue volontairement, et nous, nous
n’avons pas réagi, nous avons laissé faire en échange de
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notre petit confort personnel. Nous avons troqué notre âme
contre quelques babioles ou une illusion de pouvoir.
Du point de conscience où je me situe, je vois déjà le
mauvais chemin que prend notre civilisation. Moins de
trois mois d’isolement et de recul m’ont suffit pour
comprendre tout cela.
La Vérité est donc capable de se montrer à tous ceux qui en
manifestent le désir. Il suffit pour cela qu’ils prennent un
peu de recul.
De mon illusion à la lucidité d’esprit que j’ai découverte en
moi, il n’y a eu que cette courte période pendant laquelle
j’ai donné à mon âme la possibilité de s’exprimer. Ce qui a
été possible pour moi doit l’être pour tous, alors je prie
pour qu’ils aient un patron comme le mien et même plus
tyrannique encore, qui les opprime suffisamment afin de
rompre la chaîne qui les retient à leur prison mentale.
La souffrance, à partir d’une certaine limite, déclenche la
prise de conscience systématiquement. Elle devient alors le
salut de l’homme.
Mais ceci ne peut être compris qu’après coup, une fois
l’orage passé. Sur le moment, il semble que tout s’écroule,
que le ciel nous tombe sur la tête. Il est même possible de
perdre la foi en toute chose.
Ce n’est que bien après tous les problèmes terminés et la
tourmente passée que vient l’heure du bilan.
Nous nous apercevrons alors que tous ces tracas nous ont
aidé à sortir de l’impasse dans laquelle nous stagnions. Ils
auront été d’autant plus douloureux que nous nous
accrochions à nos anciennes conceptions avec force.
Lorsque nous ferons le bilan définitif de la situation nous
réaliserons que nous sortons plus grands, plus conscients et
plus libres de cette phase douloureuse. Cela nous servira à
comprendre comment résoudre les prochains problèmes qui
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se présenteront à nous. Nous n’essayerons plus alors de les
combattre, nous les analyserons, nous les décortiquerons
afin de comprendre quelle leçon ils essayent de nous
enseigner et sur quelle partie de notre vie il faut lâcher
prise. Une fois ce principe compris, les difficultés qui se
présenteront à nous seront gérées de manières différente et
constructive.
Richard comprenait rapidement les leçons de la vie. Il était
capable, désormais, de saisir l’origine et l’aboutissant de
chaque situation difficile qu’il avait rencontrée dans son
passé.
Il pouvait observer le lien entre elles et la logique de la
progression de ses épreuves jusqu’à ce jour.
Il n’y avait aucun hasard dans tout ça et ses expériences
s’imbriquaient
méthodiquement
afin,
semble-t-il,
d’augmenter son ouverture de conscience.
Tout cela, il l’avait compris en trois mois seulement, car
toutes les conditions nécessaires à sa progression et à la
compréhension de l’existence étaient réunies
Le destin est là pour aider chacun de nous, lorsqu’il
n’évolue plus, lorsqu’il refuse de grandir et de devenir
adulte. Il provoque alors les situations les plus imprévues,
qui vont complètement ébranler les bases sur lesquelles
nous nous reposons. Plus nous serons accrochés à nos
anciennes habitudes et plus il sera difficile de nous les faire
lâcher. Les épreuves deviendront alors extrêmement
douloureuses et nous harcèleront jusqu’à ce que nous
capitulions et acceptions les changements. Nous
chercherons alors les nouvelles bases sur lesquelles nous
devons construire notre futur.
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Une fois les bons choix effectués, la paix ne tardera plus à
revenir et tout se calmera, à condition de ne plus
recommencer
les
mêmes
erreurs.
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Chapitre IV
Aujourd’hui est le premier jour, depuis mon arrivée, où je
n’ai pas le moral. Tout semble aller de travers, un rien
m’irrite, m’énerve et je ne supporte même pas la présence
de Noï.
J’ai préféré partir ce matin de bonne heure afin de m’isoler
sur la pointe rocheuse de l’île.
Je broie du noir sans aucune raison apparente, je suis
angoissé, je n’ai envie de rien et n’arrive pas à positiver.
Je ne perçois que l’aspect négatif des choses. S’il me restait
un peu d’humour, je dirais que je ne vois que les trous dans
le gruyère.
Je baigne, ou plutôt je suis englué dans une mer d’émotions
et de pensées négatives. J’en viens à douter du bien fondé
de mon séjour ici, de mon mariage avec Noï, de la véracité
de mes théories sur l’existence.
Je me demande même si les contacts avec mon âme ne sont
pas, en réalité, les fruits de mon imagination.
Il est des jours où l’on ferait mieux de rester couché et de
dormir jusqu’au lendemain. Je me demande ce qu’il peut
bien se passer en moi, mais aussi quels enseignements
retirer de cette torture intérieure.
Inutile de demander conseil à ma petite voix amie, elle est
totalement muette. Il y a, à sa place une autre petite voix
que je ne connais pas. Elle est là pour me saper le moral,
pour me faire douter de moi et me faire renoncer au chemin
que je suis depuis quelques mois.
- «Que fais-tu ici, me dit-elle, tu perds ton temps. Avec ce
que tu sais maintenant, tu devrais rentrer chez toi. Tu as
compris certaines choses et tu n’iras pas plus loin. Tu
pourras toujours revenir plus tard, si tu en as envie, rien ne
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t’en empêchera. Tu as pris de longues vacances, tu t’es bien
reposé, à présent il faut rentrer travailler. Tu ne vas quand
même pas vivre toute ta vie ici ?
Il y a un temps pour les loisirs et un temps pour le travail.
Si tu trouves que tu n’avais pas assez de temps libre, dans
ton ancien métier, alors organise-toi différemment, il y a de
nombreuses possibilités dans notre société. Allons, soyons
sérieux, ici ce n’est pas la vraie vie, tu te lasses déjà. Tous
les jours se ressemblent et tu es en train de sombrer dans la
monotonie. »
C’est vrai qu’elle n’a pas tout à fait tort… je continue de
l’écouter afin d’avoir un autre son de cloche, afin de voir
où elle veut me conduire et si sa logique tient la route.
- « Regarde un peu ta vie ici, reprend-elle, toutes tes
journées sont sensiblement identiques.
Ce genre de vie est peut-être valable pour les Thaïs, mais
pas pour toi occidental. Tu as d’énormes possibilités que tu
n’exploites pas ici. Tu es en train de te rouiller et tu seras
très vite dépassé dans ton métier si tu ne suis pas
l’évolution de la technologie.
De plus, si tu tombes malade, es-tu sûr que l’on te soignera
bien dans ce pays ?
Tu prends beaucoup de risques en prolongeant ton séjour
ici. Pense à tes parents qui sont tellement fiers de toi.
Veux-tu les décevoir ? »
Je doute de ma vie, de mes choix, de mes engagements, de
mes idées. Je suis aujourd’hui rappelé auprès d’une réalité
différente. Je m’examine sous un angle d’où la logique me
déconcerte. Suis-je donc dans l’erreur. Je suis tiraillé entre
deux tendances opposées. L’une m’entraîne dans un monde
totalement inconnu. J’ignore absolument ce que je vais y
trouver. Tout y est abstrait et inconcevable par la logique.
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C’est le pays de l’imagination, de l’intuition, des grands
rêves idéalistes de l’homme. Je n’ai aucune garantie de
quoi que ce soit et je me contente d’y avancer à tâtons, sans
en connaître le but. D’ailleurs, il n’y a peut-être pas de but.
Je suis seulement aspiré, aimanté par un point qui se situe
au centre de moi-même.
La deuxième tendance est celle de la logique
mathématique, qui se manifeste par cette voix dont
j’ignorais l’existence jusqu’à présent.
Elle est sensée, cohérente et je ne distingue dans ses
raisonnements aucune contradiction.
Je sais que tous ses arguments sont irréfutables, qu’elle
énonce certains faits avec la force de la vérité et qu’elle ne
triche pas, qu’elle ne ment pas.
Alors je reste là, assis sur un rocher, à regarder la mer, les
nuages éparpillés dans le ciel et je m’aperçois que je n’ai
plus aucune base sur laquelle me reposer. Mes rêves sans
limite semblent s’éteindre aujourd’hui et je n’arrive même
pas à voir de quoi sera fait mon lendemain.
Je suis de plus en plus énervé. C’est comme si la haine
m’habitait. Je rejette tout ce qui m’entoure. Tout ce qui me
paraissait si beau, si merveilleux jusqu’à présent, me
semble désormais quelconque. Je suis devenu aveugle à la
beauté, au merveilleux. La nature m’a retiré le pouvoir de
communiquer avec elle. Notre lien a disparu, elle m’a
abandonné.
Il ne me reste plus qu’à attendre que ça passe, qu’elle me
fasse à nouveau signe et me reprenne sous sa protection.
- « Tu es un rêveur, reprend la voix, je te donne
aujourd’hui la possibilité d’y voir clair dans ta vie et toi tu
te lamentes. Réagis donc un peu, où est passée ta forte
volonté, ton désir de réussite, et toute ton énergie. Tu es en
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train de refuser le combat de la vie. Tu as fui ton pays, car
tu n’avais pas la force d’affronter tes problèmes.
Aujourd’hui, tu t’es bien reposé, tu es en forme pour
reprendre ta place. Ta belle maison, ta voiture et Cloé
t’attendent. Ne tarde plus sinon tu risques de tout perdre.
Tu n’auras bientôt plus aucune couverture sociale et tu ne
cotises plus à ta caisse de retraite.
Comment feras-tu en cas de maladie grave ou lorsque tu
seras vieux et sans revenus ? Y-as-tu pensé ?
Essaye, si tu veux, de trouver une solution intermédiaire.
Repars travailler et débrouille-toi pour te libérer trois ou
quatre mois par an. Tu pourras alors revenir ici pendant les
mois les plus froids de l’année.
Il existe un tas de solutions et toi tu as choisi la plus
radicale. Il faut que tu redeviennes raisonnable. »
- Qui es-tu, toi qui me conseilles aujourd’hui et pourquoi
ne t’es-tu pas manifesté avant ce jour ?
- « Je suis ta logique protectrice, c’est grâce à moi que tu
ne peux t’égarer longtemps dans l’illusion. Je me suis
souvent manifesté à toi, mais tu n’avais pas une conscience
objective de ma présence.
C’est moi qui t’ai poussé à travailler, à gagner de l’argent,
à construire ta belle maison. C’est moi aussi qui ai stimulé
ta volonté de réussite. Je n’ai toujours voulu que ton bien et
ne t’ai donné que de bons conseils. Tu as beaucoup de
capacités et tu peux réussir dans la vie. On ne fait sa place,
dans la société, que par la volonté et le travail. Tu as
prouvé que tu étais bien plus capable que la plupart de tes
amis et que tu pouvais gagner beaucoup d’argent. Quant à
Noï, si tu l’aimes vraiment, tu n’as qu'à la ramener en
France, ainsi tu pourras continuer à gagner de l’argent sans
te priver de sa présence. »
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- Tu penses vraiment à tout, tu es incroyable.
Richard passa la journée à dialoguer avec cette voix dont
l’intelligence était déconcertante. Il arriva à la conclusion
que celle-ci ne lui donnait que de bons conseils et ne
voulait que l’aider.
Elle lui montrait les nombreuses possibilités qui s’offraient
à lui et ne cherchait pas à l’orienter vers un choix qui lui
déplaisait. Bien au contraire, elle semblait vouloir l’aider
en recherchant uniquement son bien.
Aucun conseil tordu ni sournois, tout était clair et limpide.
Elle voulait seulement son bonheur, sans aucune
contrepartie.
Elle conseillait Richard de manière à ce qu’il ait une vie
confortable et de l’argent tout en conservant la possibilité
de rester avec Noï. Quel mal y avait-il à cela ?
Richard restait vigilant tout de même, il repensait aux
démons dont parlaient les religions.
- Même si celles-ci en donnaient une description un peu
enfantine, il savait qu’il y avait un principe qui existait
derrière tout cela.
Mais dans son cas précis, il n’y avait aucun doute, cette
petite voix intérieure ne voulait que son bien. A aucun
moment, elle n’avait essayé de le faire renoncer à Noï ou à
une chose à laquelle il était attaché.
Fatigué de réfléchir et de retourner dans sa tête les
avantages et les inconvénients d’un séjour prolongé sur
l’île, il s’endormit à l’ombre des cocotiers et put ainsi
retrouver la paix de l’esprit.
Des jacassements me font brutalement ouvrir les yeux.
Deux merles noirs aux becs jaunes se disputent, semble-til, à moins d’un mètre de moi. J’inspire profondément et
70
m’assieds, afin de me remettre les idées en place. Les
merles continuent leur tintamarre jusqu’à ce que je les
envoie se quereller plus loin, en leur lançant un caillou.
Le soleil est bas sur l’horizon, la nuit ne tardera pas à
tomber. J’ai dû dormir trois ou quatre heures au minimum.
Comme je n’ai rien mangé depuis ce matin, mon estomac
me rappelle à son bon souvenir.
Je me sens reposé, mais pas plus optimiste pour autant. Je
suis las de penser et décide de faire le vide, de tout oublier,
d’observer ce qui se passe en moi, sans chercher à
intervenir.
Je veux simplement comprendre pourquoi un changement
s’est produit dans ma façon de penser et dans ma
conception de la vie.
Je reprends lentement le chemin du bungalow en marchant
le long de la plage, les pieds dans quelques centimètres
d’eau. Noï a dû s’inquiéter de mon absence prolongée. De
toutes manières, elle sait que je ne peux aller bien loin, vu
la dimension restreinte de l’île.
Ça y est, elle m’a aperçu et vient à ma rencontre. Ses
cheveux flottent au vent et elle esquisse un léger sourire
forcé. Elle n’a pas dû comprendre pourquoi j’étais parti ce
matin. D’ailleurs je ne l’ai pas compris moi-même, à part le
fait que je désirais être seul. Elle arrive face à moi, me fixe
un long moment, comme pour essayer de saisir ce qui se
passe dans ma tête, puis me serre dans ses bras tendrement.
- Licha, dit-elle, tam maï kun paï lew ? Richard pourquoi
es-tu parti ?
- Maï mi pana tilak. Il n’y a pas de problème, ma chérie.
Ma réponse semble la soulager et nous regagnons notre
demeure en nous tenant par la main.
Ce soir est un soir de fête, semble-t-il, vu le repas
somptueux qu’elle nous a préparé.
71
Elle a certainement voulu me faire plaisir en cuisinant tous
ces plats, mais je doute que je puisse en venir à bout. Tout
est bien trop copieux et j’ai bien cru, sur le moment, que
nous avions des invités.
Il y a d’abord une salade de papaye verte, puis du poulet au
curry rouge, un poisson grillé de plus d’un kilo, des moules
cuites avec une sauce ail, citron vert et piment, le riz bien
sûr et des mangues pour désert.
Un repas de roi et ce soir, ce roi, c’est moi. Elle a même
ouvert deux superbes noix de coco vertes que nous buvons
en guise d’apéritif.
J’ai un peu honte d’avoir été aussi désagréable ce matin.
Elle est toujours si attentionnée, qu’elle ne mérite pas de
subir mes états d’âme.
- Aloï maï ? aimes-tu ? Me dit-elle.
- Aloï tilak, c’est délicieux ma chérie.
Je n’ai pas besoin de flatter la cuisinière, je ne peux être
que sincère, car tout est vraiment savoureux.
Un moment plus tard, je suis repu, je n’ai même pas gardé
un peu de place pour les mangues qui sont pourtant mes
fruits préférés.
Ce n’est que lorsque le soleil disparaît derrière l’horizon,
que je commence à comprendre pourquoi j’ai été
aujourd’hui d’une humeur aussi exécrable. La lune est
noire, elle se couche presque en même temps que le soleil.
J’avais remarqué, sans jamais trouver la moindre
explication, que lorsque la lune était noire, mon moral était
au plus bas et que je ne croyais plus en rien. Depuis mon
arrivée ici, j’avais complètement oublié cet état de choses,
rien ne semblait plus m’affecter dans mon petit paradis.
Mais aujourd’hui, je comprends que l’influence de cet astre
mystérieux s’exerce sous toutes les latitudes et non pas
uniquement dans mon pays, c’est évident.
72
Aucun livre n’avait pu me donner d’explication sur ce
phénomène et j’étais resté sur ma faim, me disant que
l’homme avait encore beaucoup à apprendre en ce qui
concerne ses relations avec les astres et l’univers.
Les seuls renseignements que j’avais pu récolter, disaient
que la lune régissait le psychisme de l’homme et que la
pleine lune avait tendance à perturber les malades mentaux.
Mais sur la lune noire, rien, pas l’ombre d’une légère
théorie.
Une fois de plus, je devrai comprendre par moi-même ce
phénomène, en observant ce qui se passe en moi durant
cette phase de la lune.
Pour le moment, je me contenterai de ne jamais prendre de
décision importante, concernant ma vie, pendant l’une de
ces périodes. J’attendrai simplement que ce mauvais
moment soit passé, sans changer quoi que ce soit dans mes
conceptions de l’existence.
Le fait d’avoir découvert une origine extérieure à mes états
d’âme me rassure. J’ai déplacé la cause de mes idées noires
hors de moi, ce qui m’autorise à me dissocier d’elles.
Je ne m’identifie plus à elles, car elles me sont étrangères,
elles ne sont pas moi.
Je perçois tout cela comme une agression extérieure, ce qui
me permet alors de réagir, de me protéger et de les chasser.
Je comprends maintenant qu’une des erreurs de l’homme,
est de faire siennes les émotions et les pensées qu’il reçoit
de l’extérieur. Non seulement il a du mal à les dissocier
entre elles, mais en plus, il pense que c’est lui qui les crée.
Elles deviennent sa propriété, une partie de lui-même et il
va alors les défendre contre toutes les idées contraires. Il se
sentira à ce moment-là, personnellement agressé par toutes
théories et pensées opposées à celles qu’il a fait siennes.
73
Je comprends maintenant ce que signifient le détachement
et le lâcher prise. Le chercheur s’arrête, la plupart du
temps, à leurs aspects matériels, alors que ceux-ci ne sont
que secondaires. La clef, si je puis dire, est le lâcher prise
sur les idées que nous avons fait notres et que nous
charrions depuis de nombreuses années, mais aussi sur
celles qui circulent en nous en permanence, celles qui nous
traversent, qui nous incitent tout au long de la journée.
Il en est de même pour les émotions et, c’est à cause de
cette phase de la lune qu’aujourd’hui j’ai eu droit a ce
bombardement d’émotions négatives. J’avais commis
l’erreur de croire qu’elles étaient miennes et m’y étais
accroché ; alors qu’il aurait été si facile de les percevoir, de
les observer et de les laisser repartir. Cela aurait aussi évité
de faire fonctionner mes réflexions sur un plan aussi
pessimiste que celui de ces émotions.
Je le saurai pour la prochaine fois, mais ceci me donne
aussi un enseignement quant à l’attitude à avoir face à
toutes les formes de pensées et d’émotions qui me
passeront par la tête dans l’avenir. J’aurais maintenant
suffisamment de recul et de compréhension pour en faire le
tri et ne conserver que celles qui servent mont objectif.
Il reste encore un autre mystère, c’est cette voix nouvelle,
qui a passé la journée à me donner de nombreux conseils. Il
faudrait que je connaisse son origine, ainsi que la nature de
ses suggestions.
Mais pour aujourd’hui c’en est suffisant, je préfère passer
une soirée tranquille avec ma petite femme bien aimée. Il
fera jour demain.
Richard venait de découvrir une des clés qui ouvrait la
porte de la liberté de penser. Il vivait dans un endroit où la
74
nature était restée très pure, ce qui l’avait préservé, jusqu’à
présent, de la visite des émotions et pensées négatives.
Celles-ci s’étaient manifestées aujourd’hui, car des
conditions exceptionnelles avaient permis leur apparition.
Par contre, dans les grands centres urbains, où elles se sont
accumulées depuis de nombreuses décennies, elles
affectent considérablement la vie de la population.
Les gens sont littéralement bombardés par ce type de
vibrations et cela tout au long de leurs journées. Il en
résulte de l’énervement, de l’agressivité et du pessimisme
qui aboutissent à la dégradation des rapports humains et au
repli sur soi-même.
Ils ont, à la longue, pris l’habitude de vivre dans de
pareilles conditions et ne se rendent pas compte qu’ils sont
gouvernés par ces vibrations. Ils n’imaginent pas qu’il
existe d’autres lieux où règne la paix de l’esprit, ni d’autres
manières de penser et de vivre, car ils se sont identifiés à ce
qu’ils captent du monde extérieur. Ils sont rentrés dans un
cercle vicieux duquel ils auront du mal à sortir, car ils ne
savent pas qu’ils y sont enfermés.
C’est pour cette raison qu’il y a un tel mal de vivre en
occident ainsi qu’un grand nombre de gens dépressifs.
Pour guérir de ce mal moderne, il faut d’abord en avoir
conscience. La première condition à atteindre est de
s’extraire de son cadre de vie et de séjourner là où la nature
n’a pas encore été souillée par les pensées négatives des
hommes.
La deuxième de ces conditions est de réaliser ce que vient
de découvrir Richard, ce qui permettra dans l’avenir, de ne
plus s’identifier à ce type de vibrations. Le troisième point
découlera des deux précédents et consistera à rechercher
une vie plus saine, qui passe nécessairement par
l’installation de l’individu dans un lieu où il pourra à
75
nouveau communiquer avec Mère Nature. Sans cela, il
risquera de plonger de nouveau dans son enfer intérieur, si
lentement qu’il en aura même pas conscience.
Aujourd’hui est l’anniversaire de Noï. Je me suis levé de
bonne heure et je lui ai composé un bouquet de fleurs avec
les nombreuses variétés qui poussent sur l’île. J’en
dénombre une bonne douzaine de couleurs et de formes
différentes. Le résultat est très réussi pour un amateur
comme moi, peu habitué offrir des fleurs à une femme.
Mais celle-ci mérite bien un peu d’attention de ma part, elle
est tellement merveilleuse.
Elle dort encore. Je m’approche lentement d’elle, sans faire
le moindre bruit, mon bouquet à la main.
- Sabaï di wan keute ! C’est à dire, bon anniversaire ! Elle
ouvre les yeux tout en restant encore un peu dans les
nuages. Je lui tends alors le bouquet et répète le « bon
anniversaire » que j’ai appris quelques jours auparavant
dans ma méthode de Thaï, en prévision de ce grand jour.
Vingt ans est un moment important dans la vie qu’il faut
absolument marquer d’un souvenir inoubliable.
Elle regarde le bouquet toute surprise, le prend, puis me
serre dans ses bras.
- Kun maï lum, me dit-elle. Tu n’as pas oublié. Elle est tout
heureuse et semble très touchée par mon geste; Je ne
pensais pas que cela lui ferait autant plaisir. Il est vrai que
c’est la première fois que je tente cette expérience.
- Tilak, wani paï tio ti Tran doué kan, lui dis-je. Ce qui
signifie, ma chérie, aujourd’hui nous allons nous promener
ensemble à Tran.
Et la voilà qui chante sa chanson préférée, celle qui traduit
le plus de joie et de bonheur pour elle. Je crois en
comprendre le sens général, mais pas trop les détails.
76
Il s’agit bien sûr d’une chanson d’amour, car les
Thaïlandais sont des romantiques et je pense l’être moi
aussi. C’est une raison de plus d’aimer ce pays et son
peuple si sympathique.
Aujourd’hui nous irons nous promener à Tran, cela lui fait
tellement plaisir et moi ça m'apprendra à mieux connaître
le pays.
Nous avons près de deux heures devant nous avant le
départ du petit bateau local qui fait la traversée. Elles ne
seront pas de trop pour permettre à Noï de se préparer. Il y
a un point commun à tous les pays du monde, c’est que les
femmes sont toutes aussi lentes pour se faire belles, si je
puis dire, car Noï n’a besoin en réalité d’aucun artifice pour
faire rayonner sa beauté.
De toute manière, j’ai de quoi occuper ce temps utilement.
Je dois mettre sur mon cahier de bord, toutes mes
réflexions de la veille.
Je m’installe sur la terrasse et commence à écrire. Il ne
s’écoule pas dix minutes avant que Noï m’amène un café et
une assiette de fruits, composées de mangues et de papayes
coupées en morceaux après avoir été pelées.
Tout est prêt à manger, je suis vraiment comme un roi.
Mais le roi prend aussi soin de la reine que celle-ci du roi.
Je ne profite pas exagérément des traditions thaïlandaises,
qui font que la femme est dévouée à son mari.
Je la respecte trop pour abuser de sa gentillesse. Le café du
matin est un plaisir sans cesse renouvelé. Je pense que je ne
pourrai jamais m’en passer. De plus, le déguster dans un
coin aussi idyllique ne fait qu’en augmenter la saveur.
La vie est aussi faite de plaisirs simples, de bons petits
moments où même l’habitude peut devenir une jouissance.
C’est la vie au présent dans toute son intensité.
77
Je transcris les étapes successives de mon cheminement de
pensées de la veille. Je ne veux rien oublier d’important de
mes états d’âme, de mes pensées, de mes réflexions, de
tous les mécanismes qui se sont produits en moi pendant
cette journée noire.
Je me dis alors que si les émotions négatives aimantent les
idées négatives, les émotions positives doivent alors attirer
les pensées constructives et optimistes. Ces émotions
deviendraient alors la clef de l’inspiration. C’est peut-être
pour cela que l’homme a toujours recherché cette
inspiration aux endroits où la nature est particulièrement
belle. L’émotion qu’elle déclenche alors réagit comme une
pompe sur le monde abstrait, celui où séjourne l’âme.
J’en arrive bien vite à la conclusion que l’homme est obligé
de maintenir sans cesse son orientation de pensée en
direction du plan de l’âme. Sans cela, il risque de subir
l’attraction permanente de son ego, de son individualisme
et de sombrer de nouveau dans le monde des idées
opposées à son intérêt spirituel.
Je comprends alors la notion « d’impermanence » si chère
au Bouddhisme. Tout est en perpétuel mouvement, en
mutation et rien ne peut être figé pendant longtemps. Deux
forces s’affrontent en l’homme et le tiraillent dans deux
directions contraires.
Il y a d’abord les impulsions de l’âme qui tentent d’attirer
celui-ci dans le monde spirituel en lui enseignant la
véritable connaissance.
Ensuite, il y a l’ego qui pousse l’individu à rechercher son
profit personnel sans se soucier du reste du monde. Celui-ci
a une connaissance très limitée des lois qui régissent
l’Univers et l’homme. Il l’oriente, la plupart du temps, vers
des choix qui semblent tout à son avantage, mais qui à la
78
longue se révéleront des erreurs qui déclencheront une
foule de problèmes et de grandes souffrances.
Ça y est, je viens de saisir l’origine de la deuxième petite
voix, qui s’était manifestée hier, pendant toute la journée. Il
s’agissait de la voix de mon ego, qui ne recherche que mon
intérêt sur le plan matériel, mais qui a une compréhension
limitée de moi-même. Il ignore la dimension de l’âme et
essaye d’organiser ma vie dans un contexte limité par sa
connaissance.
Il utilise mon mental dans sa totalité afin de m’influencer
dans le sens qu’il pense être le plus juste et le plus
profitable pour moi. Il n’est pas vraiment le mal puisqu’il
agit, d’après lui, pour mon bien. Sa seule erreur est d’avoir
une vision restreinte. La vérité devient une erreur dans un
contexte beaucoup plus large, et ça, il ne le sait pas. Il
pourrait en avoir conscience s’il avait la possibilité de
percevoir les vibrations de l’âme, mais cela lui est
impossible, ce n’est pas dans sa nature. Je suis donc
condamné, comme tout le monde d’ailleurs, à osciller entre
les désirs de mon âme et ceux de mon ego. C’est pour cette
raison qui l’homme est souvent décrit comme un être
itinérant, un nomade. Il erre entre deux mondes, il est
tiraillé sans cesse de l’un à l’autre suivant les influences
intérieures et extérieures qu’il subit. C’est aussi pour cela
que la vie parait être pleine de contradictions. Comment
donc trouver le bon chemin et la meilleure attitude à
adopter dans de telles conditions ?
Voilà une question à laquelle il est difficile de répondre.
Deux formes de réponses risquent de nous parvenir suivant
l’instant pendant lequel nous nous la posons.
Si nous sommes sous influence de l’âme ou de l’égo à ce
moment là, les réponses risquent de prendre des colorations
différentes.
79
De toute manière, chaque question importante que l’on se
pose, doit l’être à un moment où le contact avec l’âme est
propice. Sans cela, ce ne sera que peine perdue. Le point
d’où se fait la réflexion doit être le plus élevé possible. La
vérité se situe sur le plan de l’âme et non sur celui de l’ego.
Une fois celle-ci saisie, même très partiellement, elle doit
se décanter et trouver une adaptation sur le plan matériel et
pratique au travers de l’ego. L’âme doit organiser et
influencer l’ego et non le contraire. Celui-ci devra
progressivement se soumettre à elle.
Je suis tout de même déçu. Moi qui pensais conserver l’état
d’esprit dans lequel je baignais, en permanence. Moi qui
croyais avoir trouvé le bonheur définitivement, je dois
remettre tout en question.
J’en arrive à la conclusion que notre condition est bien
fragile, et qu’il faut veiller perpétuellement à ce que nous
restions concentrés sur notre recherche intérieure. Sans
cela, nous risquons d’osciller, pendant de nombreuses
années, entre deux conceptions opposées et contradictoires
de l’existence.
Mais bien que l’on ne puisse pas accéder, dans ce monde, à
un bonheur parfait et définitif, je pense que l’on peut tout
de même s’en rapprocher. Le désir de vivre en harmonie
avec la nature et ses lois ne peut qu’apporter la paix de
l’esprit.
Et même si cette paix n’est pas permanente, elle sera tout
de même vécue pendant la plus grande partie de nos
journées. Il faut donc chercher à se rapprocher du but,
même si ce but ne peut-être atteint complètement. Le
résultat nous sera toujours profitable, et notre bien-être,
notre équilibre, iront en grandissant.
80
Je regarde l’île s’éloigner et me rappelle le jour où je suis
arrivé, quatre mois plus tôt. Je n’imaginais pas alors tout ce
qui m’attendait. Je ne connaissais même pas l’existence de
Noï. Quatre mois, c’est très court, mais il peut se passer
tellement de choses pendant cette période.
J’échange quelques phrases avec notre chauffeur qui parait
ravi de constater que je parle un peu sa langue. Noï lui
explique que je suis son mari et que je vis avec elle sur
l’île. Il nous demande si nous désirons avoir un enfant. Noï
lui répond, bien sûr, mais plus tard.
Les questions ici sont très directes et parfois surprenantes.
Certaines peuvent être très embarrassantes, et j’ai appris à
la longue à m’en tirer par une pirouette, une acrobatie
verbale, ou une plaisanterie.
Les enfants eurasiens sont très aimés dans ce pays. Les
Thaïs disent qu’ils apportent la chance dans la maison où
ils naissent et de plus ils les trouvent très beaux. Mais nous
n’en sommes pas encore là. Je suis pour la spontanéité,
mais pour ce cas précis je préfère laisser passer du temps.
Un enfant doit être longuement désiré en ce qui me
concerne. Il ne faut pas uniquement chercher à se faire
plaisir en lui donnant la vie. Il faut aussi penser à son
avenir.
Le moteur pétarade et trouble le silence des lieux. La mer
est calme car elle est abritée par la côte, peu éloignée de
l’île. Le soleil me chauffe la peau et me vitalise. La légère
brise marine rend la température agréable. Un couple de
dauphin passe à une centaine de mètres du bateau. Ils
nagent paisiblement à la surface et disparaissent dans les
profondeurs pour ressurgir une vingtaine de mètres plus
loin. Le conducteur est debout à l’arrière de la barque,
tenant dans la main le gouvernail.
81
Il sourit chaque fois que nos regards se croisent. Il semble
très heureux, en harmonie avec ce lieu de paix malgré ses
moyens d’existence très modestes. C’est une grande leçon
pour moi qui me considère comme un des enfants gâtés de
l’occident.
Nous avons tout le nécessaire ainsi que beaucoup de
superflu en Europe, et nous sommes pourtant si mal dans
notre tête. Alors que cet homme, malgré sa condition,
semble parfaitement heureux. Peut-être aussi parce qu’il
n’a conscience que du moment présent.
La différence fondamentale, c’est qu’il vit dans le Présent
alors que nous vivons pour le futur. C’est tellement simple,
là réside certainement l’état d’esprit conduisant à la paix et
au bonheur. Il aime ce qu’il fait et fait ce qu’il aime.
Nous accostons bientôt au débarcadère et prenons un « Tuk
Tuk », un taxi local pour nous rendre dans le centre ville
distant de quelques kilomètres seulement. Il roule
suffisamment lentement pour que nous ayons le temps
d’observer le paysage ainsi que les habitations. Elles sont
pour la plupart en bois, construites sur pilotis. Dans
chacune d’elle, des enfants jouent et les femmes
s’acquittent de leurs besognes journalières, à un rythme
lent, qui est le reflet de cette vie au présent dans laquelle ils
ont coutume d’être en permanence.
Le sourire est partout, il embellit les journées et facilite le
contact humain.
Notre taxi nous arrête près du marché, où nous sommes
déjà venus plusieurs fois.
Noï adore y faire l’achat des denrées qui font défaut sur
l’île. Elle connaît beaucoup de vendeuses et chacune d’elle
prend des nouvelles de sa famille ou des voisins.
L’ambiance est calme, détendue malgré la foule. Il n’y a
82
aucune bousculade et la politesse, l’amabilité et la bonne
humeur sont générales. Les hommes, aussi bien que les
femmes me sourient. Il est vrai que je suis le seul
occidental dans le marché.
Il est tellement agréable de se promener dans un monde où
l’on ne rencontre pas le moindre problème, où l’on peut
échanger quelques phrases avec des gens que l’on croise
pour la première fois. Le contact est si facile, si naturel, il
embellit la vie et fait que l’on ne se sent jamais seul dans
ces régions de l’Asie.
Je ne peux m’empêcher de repenser à mon pays natal, au
contact si difficile à établir entre ses habitants, à la solitude
qui est devenue une des véritables maladies de notre
civilisation.
Je me dis alors que si le progrès doit forcément passer par
la dégradation des rapports humains, alors je le refuse. Je
préfère revenir à une vie moins sophistiquée, comme elle
l’est dans ce pays, mais conserver la communication,
l’échange entre les individus. Nous ne pouvons vivre bien
longtemps repliés sur nous-mêmes sans nous dégrader
psychologiquement.
Depuis mon arrivée en Thaïlande, j’ai pris conscience de
l’importance des rapports humains. Je me suis rendu
compte qu’ils équilibraient l’homme et qu’ils lui donnaient
de la force, de l’assurance et de la confiance en lui.
Noï s’arrête devant un étal de sculptures artisanales sur
bois. Il y a bien sûr de nombreux modèles de bouddha, des
éléphants de différentes tailles et des singes par groupes de
trois. Le premier a ses mains devant la bouche, le deuxième
devant les yeux et le troisième sur ses oreilles.
Le marchand m’explique que cela veut dire, je ne dis rien,
je ne vois rien et je n'entends rien.
83
Je vois, quant à moi, dans l’expression de cette sculpture,
plutôt un enseignement du bouddhisme. Je le traduirais
par : je ne dis pas le mal, je ne vois pas le mal et je
n’entends pas le mal.
C’est le moyen de rester concentré sur les aspects positifs
des gens, des choses, des évènements et d’en oublier les
aspects négatifs. Les Thaïlandais appliquent cela dans la
vie de tous les jours et cela les rend plus gais, plus heureux,
tout en limitant les problèmes avec l’entourage.
Nous devons regarder les bons côtés des gens tout en
ignorant les mauvais. C’est d’une grande simplicité mais
aussi d’une grande efficacité. Ce seul principe, s’il était mis
en pratique chez nous, améliorerait considérablement les
rapports entre individus, ce qui rendrait la vie tellement
plus conviviale.
Nous choisissons ensemble un bouddha en bois doré. Il
sera le premier des objets qui doit composer l’autel que Noï
désire créer dans le bungalow, selon la tradition
bouddhiste. Elle est très heureuse de voir que j’accepte
aussi facilement sa religion ou plutôt sa philosophie.
Je n’ai aucun mérite, car je considère le bouddhisme
comme la pratique la plus tolérante au monde.
Un peu plus loin, ce sont les fruits et les légumes qui
remplissent les étals. Ils sont nombreux, variés et je ne
connais pas la plupart d’eux. Parmi les légumes verts, j’en
reconnais quelques-uns qui sont semblables à ceux de chez
nous, mais la majorité m’est inconnue.
Les fruits sont de formes et de couleurs multiples. Il y a
ceux que je connais comme les mangues, papayes, ananas,
oranges, citrons, lychees, pommes cannelle, noix de coco.
Il y a aussi des fraises qui proviennent du Nord, et de très
nombreuses variétés de bananes. Puis il y a tous les fruits
nouveaux pour moi et que je découvre aujourd’hui. Le
84
durian est l’un d’eux. Il se présente en forme de boule,
légèrement ovalisée et entièrement couverte d’épines. Le
plus petit doit peser près d’un kilo, jusqu’à quatre à cinq
kilos pour les plus gros.
La chair, de couleur jaune et parfois verte, est savoureuse,
mais l’odeur qui s’en dégage rappelle celle d’un camembert
bien fait. Mieux vaut le manger en se pinçant le nez pour
ne pas être incommodé par cette puanteur.
Je dénombre une bonne dizaine de sortes de fruits que je
n’ai jamais goûtés. Nous achetons certains d’entre eux sans
savoir si je vais en aimer la saveur. Ce sera la surprise.
Tout est vraiment bon marché et nous repartons les bras
chargés, en n’ayant dépensé que l’équivalent d’une
vingtaine de francs français.
Puis il y a le poisson. Il y en a de toutes les tailles : thons,
bonites, marlins, daurades coryphène, espadons,
maquereaux. La mer en regorge dans ces régions tropicales
et ils constituent une source de protéines suffisante pour la
population côtière.
Riz, poisson et fruits composent l’alimentation principale
des thaïlandais du Sud et je ne m’en plaindrai pas, car
j’adore cela.
J’ai dû vivre dans ce pays ma dernière incarnation, me disje, car j’en aime absolument tout. Le climat, la végétation,
les gens, la cuisine, la religion, les coutumes.
Je réalise, en me promenant dans le marché, que je me sens
ici chez moi bien plus qu’en France. J’aurais tendance à
oublier les années que j’ai vécues avant ma venue sur l’île.
Je suis un nouveau-né qui prend conscience de tout ce qui
l’entoure. Je découvre la vie à l’âge de vingt huit ans. Le
nouveau Richard n’a vraiment rien de commun avec
l’autre, celui que j’ai laissé dans le midi de la France.
85
Je voudrais communiquer mon expérience au monde entier.
Leur dire de prendre une année sabbatique et de partir sur
les routes ou les mers du globe. Partez donc à la découverte
de la planète, vous y trouverez quelque chose dont vous ne
pouvez soupçonner l’existence et qui transformera votre
vie. Il s’agit de votre essence, de votre âme que vous avez
refoulée tout au fond de vous-même, recouverte de mille
fausses croyances et d’autant de vieilles et mauvaises
habitudes.
Si vous voulez naître à nouveau, dans un monde meilleur,
alors partez, partez à l’aventure et qu’un homme neuf
revienne pour transformer ce monde qui va faire naufrage.
Lâchez votre existence présente, sortez de votre prison
mentale dans laquelle vous vous êtes enfermés tout seul.
Respirez l’air du grand large à pleins poumons, il contient à
lui seul la dynamique de mutation.
Les phrases se succèdent dans ma tête, pendant que je
continue à marcher avec Noï. L’une appelle l’autre ; je n’ai
qu’à tirer le fil conducteur et les voilà qui coulent, coulent
et emplissent mon cerveau. Chaque fois que se produit ce
phénomène, je pourrais écrire un livre de mille pages sans
que les idées me manquent. J’ai accès à un réservoir sans
limite qui peut m’éclairer sur toutes les questions que je me
pose.
Par ce principe, tout individu, qui est guidé par un motif
sincère, peut accéder à la véritable connaissance, sans
limite, Universelle.
Cela me donne le vertige et m’effraye un peu car je sais
que la responsabilité de l’individu augmente
proportionnellement à la connaissance qu’il détient. Dans
ces conditions, il est impossible de faire marche arrière. On
ne peut désirer la lumière uniquement par curiosité. Il s’agit
là de l’engagement conscient dans un chemin, dans Le
86
Chemin. Tout se brouille subitement, ma vue s’obscurcit, je
sens ma conscience m’abandonner, je la laisse partir, mes
jambes se dérobent sous moi et des larmes coulent sur mes
joues, je…
Je me vois m’envoler dans les airs, je suis un oiseau,
j’observe la ville d’en haut, puis la côte découpée et la mer
turquoise.
Le décor change subitement, je suis sur une colline et
contemple la vallée en contrebas.
Les couleurs sont mille fois plus éclatantes et lumineuses
que sur notre Terre. Où suis-je ? Je n’ai jamais vu une telle
beauté, une telle harmonie. J’en suis bouleversé.
Je me trouve dans un état à mi-chemin entre la joie et la
tristesse. Un état difficile à décrire. Ma joie est immense
mais je sens qu’elle est ternie par la souffrance des
habitants de notre planète; Cela m’empêche de vivre cette
merveilleuse sensation dans sa plénitude.
J’ai l’impression de toucher le bonheur du doigt. Il est là,
juste à ma portée. Je respire à pleins poumons comme pour
mieux fixer cette sensation en moi, pour ne jamais plus
l’oublier. Elle sera désormais mon but.
C’est elle que je cherchais inconsciemment, depuis
toujours, mais jamais dans la bonne direction. Aujourd’hui
je te retrouve, je te reconnais, toi qui habite en moi depuis
la nuit des temps. Je viendrai de temps en temps te
retrouver lorsque le poids de la vie sera un fardeau trop
lourd pour mes épaules, lorsque j’aurais besoin de me
recharger, de reprendre des forces. Tu seras mon gîte de
montagne, c’est en toi que je me reposerai, et au matin je
repartirai, serein et plein d’enthousiasme, rejoindre mon
corps, afin qu’il accomplisse sa tâche ou une portion de
plus du chemin. La nature est notre mère, elle nous reçoit
en elle lorsque nous le désirons intensément...
87
- « Licha, Licha ».
La voix de Noï me parvient faiblement. Je suis tellement
bien, je veux rester encore un peu, je n’ai pas envie de
rentrer tout de suite. Sa voix devient maintenant plus forte.
Le décor se brouille. Je tombe dans un tourbillon qui
m’aspire et contre lequel je ne peux lutter.
Je reprends brutalement conscience de mon corps.
- « Licha, Licha, kun pen alaï » Richard, Richard qu’est ce
que tu as ?
J’ouvre les yeux…. Je suis couché sur un banc et tout le
monde m’entoure. J’ai dû m’évanouir. Je me sens pourtant
très bien, aucune fatigue. Je m’assieds et souris à Noï qui
paraît très inquiète.
- Sabaï di tilac. Je vais bien ma chérie, lui dis-je.
Je me lève comme si je venais de faire un petit somme. Je
ne comprends pas ce qui s’est passé. Aucun signe de
faiblesse ne persiste. Quelqu’un m’apporte un verre d’eau.
Je le bois lentement pendant que tout le monde m’observe,
puis je souris ce qui semble les rassurer. Ils retournent tous
à leur travail tout en plaisantant. L’incident est clos.
Chapitre V
Nous continuons notre visite de la ville en oubliant ce petit
imprévu. Noï m’observe discrètement par moments car elle
n’est qu’en partie rassurée.
L’heure tourne et nous n’avons pas encore déjeuné. Nous
passons dans une ruelle où les petits restaurants se
succèdent. Ma surprise est grande de constater la présence
de nombreux occidentaux. Il s’agit principalement de
routards, jeunes ou moins jeunes qui parcourent le pays. Ils
88
ont l’air bien sympathique avec leurs cheveux longs et
leurs vêtements locaux.
Ils sont tous très calmes, souriants, bien dans leur peau.
Nous nous asseyons à une table et commandons deux
assiettes de riz frit aux fruits de mer.
Nos voisins de table nous saluent avec un anglais qui ne
paraît pas être leur langue natale. Après avoir échangé
quelques phrases, je comprends qu’ils sont français.
Ils ont une trentaine d’années et voyagent en Asie depuis
déjà trois ans. Laos, Cambodge, Vietnam, Birmanie,
Thaïlande. Ils ne semblent pas vraiment pressés de rentrer
et veulent plutôt s’installer dans ce pays. Ils me racontent
leurs aventures, leurs déboires et les plus grands moments
qu’ils ont vécus au cours des trois dernières années.
- Quand tu as connu l’Asie, me dit l’un d’eux, tu ne peux
plus rentrer en France et reprendre ton ancienne vie. Ici les
gens savent vivre, on se sent bien tout le temps et l’on ne
peut jamais mourir de faim; Ils ont su préserver ce que
nous avons perdu depuis longtemps.
-L’Asie, c’est la vraie vie, elle t’enseigne tout et surtout les
valeurs essentielles.
Je les écoute, sans les interrompre et constate que nous
sommes arrivés à des conclusions identiques en ce qui
concerne l’existence. C’est fou ce que la philosophie est
contagieuse dans ce pays.
Le futur, ils ne veulent pas en entendre parler. Ce n’est pas
la peine de vouloir anticiper des problèmes qui ne
viendront jamais. Seule la vie au présent est importante, le
reste est de l’illusion.
Si nous adoptons, d’après eux, cette manière de vivre, alors
nous serons suffisamment robustes pour affronter les
imprévus lorsqu’ils se présenteront. Pourquoi avoir peur du
89
futur, pourquoi refuser de vivre heureux. Ce n’est pas
interdit, c’est le droit que possède chacun d’entre nous.
Nous passons une bonne partie de l’après-midi à échanger
nos idées, nos points de vue, tout en buvant du café et du
thé. Lorsque nous nous quittons vers dix-sept heures, nous
nous serrons énergiquement la main, en nous souhaitant le
« choc di», bonne chance en Thaï.
Ces vœux sont vraiment sincères et ne sont pas une simple
formule de politesse. Je me sens très proche d’eux, même
si nous n’avons pas eu le même cheminement. J’espère les
revoir un jour.
La rencontre que Richard avait faite cet après-midi là, bien
que paraissant insignifiante, allait changer son attitude, son
comportement psychologique. Jusqu’à présent, il n’avait pu
se séparer totalement du doute lié à son ancien système de
vie.
Bien qu’étant consciemment convaincu de se trouver sur le
chemin de la vérité, ce doute sournois était resté ancré dans
son subconscient, diminuant ainsi sa force et sa conviction.
La rencontre avec les deux routards, dans ce restaurant de
Tran, lui avait fait comprendre qu’il n’était pas le seul à
penser de la sorte. En fait, il avait découvert à travers les
propos des deux français, que ceux qui aspiraient comme
lui à une existence simple et saine, étaient tout de même
nombreux. On ne pouvait les rencontrer qu’au cours de
voyages et non pas dans les grands centres urbains, car ils
ont plutôt tendance à fuir ces derniers.
Donc Richard prenait conscience qu’il n’était plus seul
dans ce cas. Cela allait renforcer considérablement ses
convictions profondes et éliminer du même coup le doute
qui est toujours présent chez celui qui suit un chemin
marginal.
90
Encore quelques achats avant que la nuit tombe, dont un
cadeau surprise pour l’anniversaire de Noï, et nous voilà
déjà dans la petite embarcation qui nous ramène sur notre
île bien aimée.
Le soleil a disparu derrière l’horizon, la lune est haute dans
le ciel, elle est dans son premier quartier. Les étoiles
scintillent, elles semblent me faire des clins d’œil, par
amitié, par complicité. Nous nous comprenons et nous
connaissons bien maintenant. Elles sont à la fois des guides
et des témoins, elles nous observent et nous influencent
tout au long de notre vie.
Je repense au malaise que j’ai eu dans le marché. C’est
assez étrange ce qui m’est arrivé. Est-ce vraiment un
malaise, une expérience psychique ou les deux à la fois.
Je me souviens de la beauté du lieu dans lequel je me
trouvais alors. Les couleurs du paysage n’avaient rien à
voir avec celles qui m’entourent habituellement, et ceci
malgré la splendeur de notre région. Elles rayonnaient de
leurs différentes teintes. Elles semblaient être des sources
de lumières. Mais ce qu’il y avait de plus merveilleux, c’est
la paix qui régnait en ce lieu. Une paix indescriptible,
enveloppante, apaisante, réconfortante. Elle se manifestait
de l’intérieur et non de l’extérieur de moi-même. C’était
une sensation très puissante qu’il me semblait avoir déjà
connue et que je retrouvais d’un coup. Elle m’avait fait
prendre conscience du véritable bonheur, total et illimité,
que je n’aurai de cesse de retrouver ou peut-être même de
construire dans notre monde physique.
Noï se blottit contre moi tendrement ; nous avons passé une
bonne journée, une autre bonne journée. Elles sont toutes
merveilleuses depuis que j’ai posé mon sac de voyage dans
ma petite résidence. S’ils savaient, tous ceux qui sont
91
englués dans le système occidental, s’ils savaient à quoi
peut se résumer le bonheur. Mais le verraient-ils seulement
? Un séjour dans un lieu comme celui-ci ne s’improvise
pas. Il correspond à un cheminement intérieur, à quelque
chose de subtil, qui a couvé en soi pendant longtemps.
Si l’on enlevait une de ces fourmis de la fourmilière
humaine de l’Europe et qu’on la replaçait dans un autre
contexte - celui dans lequel je vis, par exemple - je ne suis
pas sur du bon résultat que cela donnerait. La plupart
tournerait en rond du matin au soir, d’autres risqueraient
même de sombrer dans la folie. Ils ont été tellement
conditionnés, les automatismes sont ancrés si
profondément en eux, qu’ils se trouveraient en perpétuel
déséquilibre, en perpétuel manque d’activités. De plus, ils
se culpabiliseraient de n’être pas productifs, de ne pas
travailler.
Il est vrai que la plupart ne connaisse que ça, le travail. Ils
n’existent qu’à travers lui. Ils ne sont pas des hommes, ils
sont des professions.
Certains me diraient que de toutes façons il faut que tout le
monde travaille et que si j’ai pu venir jusqu’en Thaïlande,
c’est grâce à l’avion et donc grâce à cette société que je
critique tant.
A ceux là, je répondrais que je ne suis ni contre le travail ni
contre le progrès. Il suffit, pour que tout redevienne plus
humain, de repenser les proportions travail-loisirs. Il faut
aussi redéfinir le but du travail et revoir la consommation à
outrance à la baisse.
Mais pour changer tout cela, il faudrait que les populations
le désirent vraiment, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Chacun ne pense qu’à s’enrichir afin de rivaliser avec ses
voisins et ses amis, et exposer au grand jour les preuves de
92
sa réussite sociale. Tout cela dans le but plus ou moins
conscient d’être apprécié et même aimé de son entourage.
Mon île, ils n’en voudraient même pas, ou alors pour y
passer une semaine de congés dans laquelle ils
s’ennuieraient certainement, trop habitués qu’ils sont de
vivre à cent à l’heure.
Il ne resterait donc que ceux qui aspirent à la rencontre
avec eux-mêmes. Ceux-là sont des marginaux, des purs,
rien ne peut les corrompre, même pas les promesses de
richesses.
Ils sont d’une autre planète sur laquelle les valeurs sont
simples, différentes, là où l’on n’a besoin de rien, ou
presque, car l’on sait que l’on a déjà tout.
Ceux-là, même s’ils ne savent pas ce qu’ils cherchent, sont
les seuls à aller dans la bonne direction. Certes, ils
zigzaguent un peu parfois, mais ils ont choisi le bon
chemin. Les autres sont dans l’erreur et si l’on me dit que
je suis intolérant, je dirai que c’est vrai. Je suis intolérant
avec la bêtise lorsqu’elle arrive à un tel niveau. Bon
d’accord, il n’y a pas longtemps que je m’en suis rendu
compte, mais l’important c’est d’en avoir pris conscience.
C’est vrai que je suis intolérant, mais j’ai tellement envie
de partager mon bonheur avec tous. Je voudrais les faire
profiter de mon expérience, mais je sais que c’est
impossible, qu’une telle démarche doit avoir une solide
motivation intérieure sans quoi c’est l’échec à la moindre
petite difficulté rencontrée.
- Du calme Richard, tu t’emballes trop vite, me dit ma
petite voix amicale, Tchaï yen yen, ce qui se traduit mot a
mot, cœur frais, frais, ce qui signifie calme ton cœur ou
relax.
- Tu parles Thaï maintenant, il ne manquait plus que ça.
93
- Profite donc du moment présent, reprend-elle, tu es en
train d’oublier la beauté de la nuit. Contrôle le flot de tes
pensées, tu dois apprendre à en diminuer ou en arrêter le
débit, c’est important. Tu es en train de t’éloigner du
présent.
Richard était stimulé par l’enthousiasme de celui qui
découvre une dimension bien plus large de l’existence. Il
réalisait les immenses possibilités qui pouvaient s’offrir à
lui dans un futur proche, ainsi que ses responsabilités
croissantes. Ces dernières étaient plus un désir de partager
ses découvertes avec d’autres qu’une volonté d’imposer ses
points de vue. Il fallait tout de même être très vigilant, car
de l’un à l’autre, il n’y avait que peu de distance. Le désir
de bien faire et l’idéalisme excessif se sont souvent
confondus dans le passé, surtout dans les religions.
Tous deux ont une même origine, mais le deuxième est
passé sous le contrôle de l’ego.
La difficulté, lorsque l’âme commence à communiquer
avec la personnalité, c’est de trouver une adaptation
pratique et tolérante aux idées abstraites qui ont été
perçues. Il est arrivé bien trop souvent que la personnalité
se sente investie d’une mission divine et parte au combat
afin d’essayer de convaincre, dans un premier temps, et
finalement pour imposer ses grandes idées, tombant ainsi
dans le fanatisme.
Le plus sain, pour Richard, était d’affiner ce contact, de le
définir le plus précisément possible. Cela se traduirait par
une adaptation de ces nouvelles connaissances dans la vie
pratique.
Il devait contrôler son enthousiasme ainsi que le flot des
idées qui se déverseraient en lui par moments. Pour
résumer, il fallait qu’il apprenne à mieux se connaître.
94
Nous arrivons à destination les bras chargés de nos achats.
J’ai l’impression d’être parti depuis une semaine. La notion
du temps est vraiment très variable suivant l’occupation ou
le lieu dans lequel on est.
J’ai caché la bague en or que j’ai achetée pour Noï, dans le
sachet de fruits. Son étui a la même couleur que celle des
oranges et passe de ce fait inaperçu.
Je vais prendre une douche pendant qu’elle range nos
achats. Je ne tarde pas à entendre les cris de surprise
espérés. Ça y est, elle a découvert son cadeau et, d’après
l’agitation qui règne dans la chambre, il a certainement
dépassé l’effet escompté.
Elle passe sa soirée à l’admirer et à m’embrasser. Vu sa
réaction, je pense que je renouvellerai ce type d’expérience.
De plus, l’or en Thaïlande est bien meilleur marché que
chez nous et constitue un véritable capital, qui peut-être
revendu en cas de gros problèmes financiers, pour un
montant légèrement inférieur à sa valeur d’achat.
Il est une véritable réserve de sécurité tout en permettant à
la femme de s’en parer. En Asie, acheter de l’or c’est
épargner, cela évite que l’argent soit dépensé inutilement.
Demain, tout le monde sur l’île saura que Noï a une belle
bague. Si je la laissais faire, elle irait réveiller tout le
village afin de montrer son premier bijou en or.
Vu de chez nous, les réactions de Noï pourraient paraître
celles d’une gamine. Mais on dit souvent que les Thaïs sont
des enfants, surtout en ce qui concerne la spontanéité, la vie
au présent et l’insouciance. Cela n’est qu’une partie des
nombreuses choses qui font que je n’ai plus envie de
rentrer en France et que je me sens ici chez moi.
95
Cette manière de vivre, que j’ai découverte il y a seulement
quelques mois, semble correspondre à peu près totalement
à ce que j’attendais inconsciemment de l’existence.
Je ne pourrais plus reprendre mes anciennes habitudes et
jouer le rôle un peu trop sérieux que chacun de nous
s’attribue. Je ne veux plus passer mon temps à essayer de
paraître quelqu’un que je ne suis pas. En occident, le
bonheur est toujours pour demain, pour plus tard, lorsque
nous aurons de l’argent, une belle maison, une superbe
voiture et tout ce qui peut aller de pair. Parfois même ce «
plus tard » signifie à l’âge de la retraite, c’est à dire 65 ans.
C’est le comble de la débilité car lorsque l’individu est
resté conditionné durant 65 ans de sa vie, je doute qu’il
retrouve une certaine autonomie à cet âge-là.
Le plus triste, dans tout cela, c’est que les occidentaux
pensent qu’il n’y a que leur manière de vivre qui soit
valable. Ils imaginent être les exemples à suivre et croient
que le reste de la planète nous envie.
S’ils étaient dans le vrai, alors ils vivraient de plus en plus
heureux, ce qui n’est pas le cas.
Ils ont créé une machine qu’ils ne maîtrisent plus et qui les
entraîne dans un tourbillon.
Lorsque l’on s’approche de la Vérité, cela doit avoir une
répercussion dans sa vie de tous les jours. Une amélioration
de sa condition doit forcément découler d’un tel
cheminement. En observant le « Mal être » qui se propage
dans nos contrées, je ne peux qu’en déduire que nous
sommes dans l’erreur.
Alors s’élève de mon cœur une douce prière pour tous les
hommes. Une larme de compassion, une goutte de cette
essence que j’ai reçue en présent et qui transforme
lentement toutes les parties de mon être. Elle seule peut
96
raviver le cœur desséché des hommes. Elle seule peut les
faire sortir de leurs bulles hermétiques.
Je réalise la chance que j’ai eue et imagine comment aurait
pu se dérouler toute ma vie sans cela. Cette idée me donne
envie de vomir.
Ce matin est le début d’une étape nouvelle. Je suis rempli
d’une confiance illimitée. Je déborde d’optimisme et je sais
pourquoi.
La rencontre d’hier, avec mes amis routards, m’a fait
prendre conscience que nous sommes nombreux sur toute
la planète à rechercher la Vérité et la Liberté. Bien sûr,
nous nous trouvons éparpillés et ne rentrons en contact
entre nous que très rarement.
Mais cela est tout à fait logique car le chemin est individuel
et intérieur. Peut-être alors faut-il que chacun ait trouvé le
sien avant qu’ait lieu le rassemblement, le grand
rassemblement sur le plan physique qui ne fera que
concrétiser celui qui se sera déjà produit à un niveau plus
subtil, celui de l’âme humaine.
Il me revient à l’esprit le terme d’« Elu » cité
abondamment dans la bible et je me dis, au travers de mes
découvertes personnelles, que ce mot désigne seulement
ceux qui se sont lassés de somnoler et qui ont décidé de
s’éveiller à la Vérité. Il s’agit là d’une auto-élection et non
pas d’une sélection réalisée par un être supérieur.
Le pouvoir de changer la vie, la société, le Monde est entre
les mains de chacun de nous. Mais bien que je sache que la
majorité des populations ne pense qu’aux intérêts
individuels, je comprends que cela ne sera pas un obstacle
au renversement des valeurs. Ils ne suffira que de quelques
millions d’hommes et de femmes qui possèdent la
Connaissance et une bonne volonté pour accomplir ces
97
transformations. Quelques millions d’hommes centrés sur
le bon chemin, qui focaliseront un schéma de pensées
conforme aux lois du créateur. Ils le réaliseront grâce à la
puissance et à la convergence de leurs désirs dans une
direction commune.
Peu importe que ces hommes-là soient dispersés sur toute
la planète, il travaillent ensemble dans le monde des
causes, et ceci sans jamais ou presque jamais se rencontrer.
A partir de cette théorie, je n’ai plus à m’en faire pour
l’avenir. Je vivrai désormais conformément à ce que je
ressens, sans essayer de trouver une suite logique, un
aboutissement concret à mon existence. Cela aura
l’avantage de me rapprocher du présent. Le doute, quant à
lui, se présentera parfois à ma porte, mais il ne sera jamais
invité à entrer. Il se découragera de ce fait et disparaîtra
définitivement.
Je porte ma tasse de café à la bouche et en aspire une
gorgée, les yeux perdus en direction de la mer. Il est tout
juste sept heures passées et Noï dort toujours. Elle est
moins matinale que moi et c’est un bien, car cela me
permet de rester seul à une heure où mon âme éprouve
souvent le besoin de communiquer avec ma personnalité.
Le ciel est bien sûr dégagé, la mer est encore d’huile et le
silence envelopperait l’île s’il n’était de temps en temps
troublé par le chant d’oiseaux en quête de nourriture.
Le café est bon. Il me semble meilleur chaque jour, bien
qu’il provienne du même paquet. Est-ce mon sens du goût
qui s’affine ou alors ma conscience qui s’élargit en toutes
choses ?
Je suis peut-être en train de découvrir le secret des secrets,
celui du bonheur. Il était tellement bien caché, si proche de
nous que nous ne le voyions pas. Il avait été dissimulé dans
le présent, l’éternel présent qui contient tout.
98
Nous vivons dans un monde d’illusions, disent les lamas
tibétains et j’ai mis longtemps à comprendre ce que cela
signifiait. Je croyais que ce monde n’existait pas, mais ce
n’est pas le cas. Ce monde existe seulement dans le
présent, alors que les hommes ont pris l’habitude de faire
alterner leur conscience entre les projets qu’ils ont créés
mentalement et les réminiscences d’un passé mal digéré.
L’illusion nous envahit lorsque nous sortons de la
conscience du présent.
C’est tout simple, c’était trop simple. Le secret était bien
gardé et nous aurions pu parcourir le monde durant des vies
entières à sa recherche sans même en apercevoir un pâle
reflet.
Je rigole tout seul assis sur la terrasse. Je sais que je suis
sur le bon chemin, cela ne fait plus aucun doute. Je deviens
de plus en plus autonome. D’abord, cela s’est manifesté
dans l’organisation de ma vie, sur les plans pratique et
matériel. J’ai appris à vivre avec l’essentiel - qui est en fait
le minimum nécessaire - et cessé d’alimenter mes désirs de
posséder tout ce que je n’ai pas.
Puis cette autonomie s’est imposée progressivement dans
ma manière de penser. Ma confiance en moi a grandi dans
ce domaine et guidé ma route sans avoir recours à des
références extérieures ou à des idées empruntées à d’autres.
Mon guide, mon Maître n’a donc plus aucune raison d’être.
A ce point de ma route, je ne dois plus passer mon temps à
l’attendre ou à le rechercher car j’ai désormais compris
qu’il n’était que le reflet de mon guide véritable : Mon
âme, qui deviendra progressivement ma seule référence. Je
dis progressivement car il faut que j’affûte ce contact qui
n’est encore que grossier et mal défini. Une fois que le
canal qui nous sépare aura un débit suffisant, tout
99
deviendra plus clair, et même l’impermanence du contact
ne sera plus un handicap.
Le café tiédit dans ma tasse. Je n’en ai bu qu’une seule
gorgée, absorbé que j’étais dans mes pensées.
J’inspire profondément comme pour me charger de cette
atmosphère paisible. Je m’en imprègne jusque dans les
moindres recoins du corps. Un léger courant électrique,
rempli de fraîcheur, remonte le long de ma colonne
vertébrale jusqu’à la nuque. Il me détend et me vitalise
davantage. J’étends un peu de miel sur une tartine de pain
de mie grillé, puis la trempe dans le café. J’en savoure
chaque bouchée en regardant les cocotiers qui s’inclinent
sur la plage en direction de la mer. Magie du matin sans
cesse renouvelée. Qu'y- a- t-il de plus beau ?
Je sais que l’intensité de mes perceptions ne dure pas toute
la journée. L’ « impermanence » de mes états d’âme - qui
est tout a fait naturelle - fait que je m’attache intensément à
ces moments de communion, car je sais, par expérience,
qu’ils sont éphémères. Ce n’est pas bien grave, car ils
m’auront empli de joie, de bonheur et de paix pour la
journée entière.
Je coupe en morceaux, après l’avoir pelée, une grande
mangue à la couleur orangée. J’en déguste chacun des
bouts en les laissant fondre dans ma bouche. La nature s’est
surpassée pour créer des fruits aussi délicieux. Je crois que
je ne m’en lasserai jamais.
En portant le dernier morceau à ma bouche, j’entends la
mer qui m’appelle, elle m’invite à nager, à communier avec
elle. Je saisis le masque et les palmes qui sont posées sur la
terrasse. Je regarde dans la chambre afin de m’assurer que
Noï dort toujours. Comme c’est le cas, je referme la porte
et me dirige vers la plage. Il doit être près de huit heures et
le soleil commence déjà à chauffer. Je conserve mon tee100
shirt blanc pour ne pas attraper de coup de soleil sur le dos
et rentre dans l’eau tiède. Ce matin a quelque chose
d’inhabituel, quelque chose de magique, de merveilleux.
Bien sûr ils le sont tous, mais celui-ci plus
particulièrement.
J’enfile mes palmes, ajuste mon masque et m’étire dans
l’eau. Deux petits poissons argentés viennent m’accueillir.
Ils avancent tout près et semblent observer mon regard,
l’espace d’un instant, puis se déplacent tout contre moi,
devenant ainsi mes pilotes.
Je palme très lentement en survolant les coraux
multicolores. Les poissons, de ce fait, ne sont aucunement
effrayés et m’acceptent comme l’un d’entre eux. Je fais
partie de la grande famille qui habite la mer.
Cette paix intense, semble aujourd’hui ne plus vouloir me
quitter. Ma faculté de penser se ralentit encore. Mon
cerveau n’éprouve plus le besoin de réfléchir, de
synthétiser des idées, de construire des projets.
Je suis curieux de savoir où me mènera ce processus et
veux aller plus loin. De toutes manières, je sais
intuitivement que je ne risque rien, qu’il n’y a aucun
danger à explorer son âme, lorsque la motivation de cette
entreprise est pure.
Le rythme de mes pensées se ralentit encore. Il est
maintenant proche de l’immobilisme. Je continue de
progresser au milieu des pâtés de coraux, escorté par un
banc de poissons rayés de jaune et de noir. Je suis dans un
état proche du sommeil. Celui qui correspond au moment
où l’on s’endort, où l’on voit défiler devant ses yeux les
premières images qui annoncent le début de l’état de rêve.
Je n’ai jamais été aussi bien de ma vie. J’ai la sensation de
vivre sur deux plans de conscience simultanément. Je
maintiens volontairement cet état pour profiter des
101
impressions que je reçois de ceux-ci. Mes cinq sens ne sont
aucunement diminués, mais la différence essentielle c’est
que mon mental ne s’implique pas dans les informations
que ceux-ci captent.
Sur le plan de la pensée pure, celui que je crois être du
domaine de l’âme, je dispose d’une source d’idées
immense que je peux cueillir si je le désire. Je n’en fais rien
et préfère laisser ma volonté inactive. Je ne désire rien
d’autre que de baigner dans cet état
Je continue mon voyage dans ce monde étrange, immense,
illimité. Je sens passer près de moi les réponses aux
questions essentielles que je me pose, mais je n’essaie
même pas de les capter, de peur de perdre cet état de
conscience.
Je désire seulement faire durer l’expérience le plus
longtemps possible, tant que je pourrais garder ma volonté
désactivée et ma pensée au ralenti. Pendant tout ce temps,
je sens que des modifications s’opèrent en moi, des
transformations, et je ne tiens pas à m’y opposer. Je n’ai
aucune crainte, je sais que je vis un grand moment.
Ma conscience se dilate encore et encore et je me rends
compte qui je suis vraiment. Je suis tant de personnalités et
tant de choses à la fois. Je suis tout mais ne peux vivre que
ce que je choisis d’être. Je me limite tout seul. Je suis bien
plus que le Richard que je connais et dont la vie s’est
déroulée jusqu’à présent dans un monde si étroit. Tout est à
ma disposition, je n’ai qu’à me servir. Je peux même être
un prophète si je le désire vraiment, car dans ce monde
subtil toute la connaissance et tous les outils sont à ma
disposition pour réaliser une petite vie ou bien une mission
planétaire.
Nous sommes ce que nous avons décidé d’être : dieu ou
diable, prolétaire ou saint. Le choix est entre nos mains, et
102
lorsque les circonstances semblent être responsables de
l’orientation de notre vie, c’est que nous acceptons qu’elles
le soient.
Je palme lentement et régulièrement. Pendant que mon
corps est occupé à se propulser dans l’élément liquide, ma
pensée est libre et peut vagabonder dans l’autre monde, sur
l’autre rive. Je suis en méditation prolongée, soutenue par
le battement régulier des palmes. Mon esprit est un oiseau
qui vient de s’évader de la cage que constituait mon corps.
Il connaît désormais les grands espaces et ne vivra que
pour retourner planer au-dessus des nuages. Il n’acceptera
plus de rester prisonnier des cinq sens du corps. Il connaît
sa véritable nature, il l’a découverte dans cette autre
dimension de conscience et ne sera plus jamais le même,
car il a goûté à la liberté.
Je suis dans un cocon de bien-être, de paix et d’énergie.
Energie de la pensée créative qui peut, si elle est bien
dirigée, donner une forme concrète à chaque idée qui habite
ce plan subtil. Libre à moi de cueillir l’une d’elles pour la
ramener sur le plan de la conscience objective. Si je fais
cela, il me suffira par la suite de me la remémorer et de
m’en servir de fil d’Ariane pour capter toutes les autres qui
sont en harmonie avec celle-ci.
C’est de cette manière qu’opèrent les artistes et les
créateurs d’idées nouvelles. Ils modifient la trajectoire de
l’humanité en lui apportant de nouveaux concepts.
Lorsque le peintre capte une image de ce plan là, et qu’avec
l’aide de ses pinceaux il la transporte dans notre monde
physique, il participe à la création du monde de demain.
Le peintre, le sculpteur, le poète et tous ceux qui sont
capables de percevoir le monde de l’autre rive, le
transportent lentement, pierre par pierre sur le plan de la
matière.
103
Je prends conscience, que j’ai moi aussi mon rôle à jouer
dans ce domaine. Non pas que je le désire, mais c’est plutôt
que je ne peux pas faire autrement, car sans cela le contact
serait rompu définitivement. Naviguer entre les deux rives
devient de plus en plus facile lorsque le voyage est
régulièrement renouvelé. Il le sera encore plus lorsque l’on
ramène une cargaison d’idées qui vont servir au travail
collectif de construction du monde nouveau que les
hommes pressentent.
Je ne sais pas encore dans quel domaine je pourrai me
rendre utile et je ne tiens pas à me presser. Le puzzle est
incomplet, il est encore trop tôt.
Je préfère, pour l’instant, me laisser porter afin de mieux
connaître ce monde qui s’ouvre à moi. Tout le reste
découlera des idées captées durant mes explorations. Je
n’ai pas à m’en faire, je n’ai pas à chercher à définir
quelque chose de précis à l’aide de ma volonté, car je sais
que les pensées nouvelles s’ordonneront entre elles sans
que j’intervienne, pour me livrer un schéma bien précis qui
correspondra à ma nature propre. Vouloir faire ne serait
qu’un obstacle et déboucherait sur des projets qui ne
correspondraient pas à mes spécificités, à mes dispositions
naturelles que je n’ai pas encore découvertes.
Je me contenterai donc de rester passif et de regarder
prendre forme les idées et les images d’elles-mêmes. Il faut
laisser tourner la terre, il faut lâcher prise et cesser de
s’impliquer dans tout. J’ai tout mon temps, je n’ai pas un
train à prendre et la vie est si belle.
Je suis un rêveur, un explorateur, un oiseau du grand large.
Je n’ai plus aucun désir, aucun projet, car ce qu’il y a de
mieux pour moi a été mis de côté pour m’en faire un
présent, le moment venu. Je n’ai plus à construire
mentalement mon futur car celui-ci ne me fait plus peur. Je
104
ne crains plus de manquer de quoi que ce soit car je sais
que tout est à ma disposition. Je suis béni des dieux.
Richard n’éprouvait plus la notion de temps. Il nageait
lentement, acceptant l’expérience jusqu’au bout ou du
moins tant qu’elle durerait. Puis il sortit de l’eau et s’assit
sur la plage, à l’ombre d’un cocotier. Son état de paix
intérieure intense ne le quittait plus.
Il était assis là, face à la mer, le regard perdu vers
l’horizon. Un déclic s’était produit en lui, mais il n’arrivait
pas à comprendre ce qui s’était passé. Il était pourtant
toujours le même mais avec quelque chose en plus.
Il n’éprouvait même pas le besoin de réfléchir, de
comprendre, cela n’avait aucune importance.
Cependant, les réponses à ses interrogations arrivaient à
lui, sans qu’il ait besoin d’user volontairement de ses
facultés mentales.
Il comprit, l’espace d’un instant, le processus de son
expérience.
Avant celle-ci, il y avait Richard en tant qu’individualité
d’un côté et son âme de l’autre.
La conscience alternait d’une à l’autre de ses deux parties
de lui-même. Il percevait son âme, sous la forme d’une
voix étrangère à lui-même et s’identifiait uniquement à sa
personnalité.
Parfois, lors de certains moments de silence intérieur, il
s’était senti dilaté, grandi, plus vaste sur le plan de la
conscience. Après ces moments-là, il redevenait comme
avant, avec cependant des informations nouvelles, chaque
fois plus enrichissantes. Son « Je » s’était déplacé de sa
personnalité à son âme, l’espace d’un moment.
Aujourd’hui, tout avait basculé : le « Je » restait fixé sur le
plan de l’âme. Il pouvait tout observer de sa vie d’en haut
105
de cette montagne. Sa vue, de ce fait, s’était
considérablement élargie, et tout lui apparaissait dans un
contexte beaucoup plus grand, pouvant lui révéler les
raisons d’un situation difficile ainsi que la juste solution
pour y remédier.
Donc, Richard ne s’identifiait plus à sa personnalité, mais à
son âme. Cette personnalité, elle était toujours lui, mais elle
ne représentait plus qu’une petite partie de lui-même. Il se
voyait maintenant bien plus vaste que ce qu’il pensait être
auparavant, et n’éprouvait plus le besoin de s’identifier à
certains de ses traits de caractère ou à certains aspects de sa
personnalité.
Il était bien plus que cela et il avait conscience du pas de
géant qu’il venait de réaliser sur le chemin de la Vérité
Le voile séparant les deux mondes venait de se déchirer
pour lui.
Sa vue se troubla et il se mit à pleurer à gros sanglots. Il
ressentait quelque chose d’étrange contenant à la fois la
joie et la tristesse, mais de manière indissociable. Il était
sur le point d’équilibre entre les deux, ou alors il se situait à
un niveau où cette dualité n’était encore que potentielle et
non manifestée.
Ses larmes coulaient abondamment et il n’essaya même pas
de les calmer. Il avait l’impression de se purger de
beaucoup de souffrances qu’il avait accumulées au cours
des âges.
- C’est donc cela mon identité, je suis tellement heureux.
Pourtant je perçois aussi la souffrance de tous les hommes.
Je la perçois en moi et j’ai mal. Le lien entre tous les
peuples de la terre n’est plus pour moi quelque chose
d’abstrait, je le ressens très fort. Il s’agit du lien qui unit les
âmes ; Il est là, il existe vraiment, il n’était donc pas une
106
légende. Nous sommes tous embarqués sur le même navire.
Le mal que l’on peut faire à autrui, on se le fait à soimême, car nous sommes tous les cellules d’un même corps
qu’est l’humanité.
Je viens de recevoir un drôle de cadeau. Une conscience
plus vaste. Cela implique une responsabilité plus grande. Il
ne s’agit pas là de se sentir obligé de s’occuper de tout et
de tout le monde. Bien au contraire, il faut conserver une
sorte de non-implication dans les problèmes de tous, afin
de pouvoir d’abord s’en extraire, et ensuite prendre de
l’altitude pour les observer dans un contexte plus large.
C’est sous cette condition seulement que nous pouvons
nous rendre utile.
La meilleure des choses que l’on peut apporter à autrui,
c’est une conscience plus large. Mais il faut avant tout que
celui-ci ait envie d’élargir cette conscience.
Accepter la différence des autres, leurs erreurs, leurs
tâtonnements. Compatir à leurs souffrances. Avoir un
regard fraternel, paternel parfois, aimer tous ceux qui se
débattent dans ce monde illusoire. Tout le mal qu’ils se
font entre eux n’a pour origine que l’inconscience, leurs
peurs et leurs souffrances.
Eux aussi partiront un jour pour le voyage qui mène en
haut de la montagne ; du point où la vue embrasse toutes
nos vies, toutes nos erreurs, tout notre être.
De ma position d’ « adulte », je suis revenu à celle d’un
enfant ; l’enfant qui sait qu’il a beaucoup à apprendre par
opposition à l’adulte qui croit tout savoir et qui, de ce fait,
se ferme à la conscience.
Seul l’enfant peut connaître l’essentiel, car son esprit est
grand ouvert sur l’Univers.
Que vais-je devenir maintenant ?
Comment vais-je organiser ma vie ?
107
Je viens aujourd’hui de renaître.
Chapitre VI
- « Licha, mi jot mai ka » Richard, il y a une lettre me dit
Noï en me tendant une enveloppe sur laquelle sont collés
des timbres français.
Je lis le non de l’expéditeur ; c’est Éric qui me répond
enfin.
Je m’assieds sur un des fauteuils de la terrasse et ouvre
l’enveloppe sans aucune précipitation. Le courrier est la
seule chose qui me relie au monde moderne, et bien qu’il
me remplisse de joie, je suis toujours un peu inquiet chaque
fois que j’ouvre une lettre en provenance de France.
Les nouvelles, aujourd’hui, sont bonnes et toutes mes
appréhensions disparaissent rapidement.
Eric et tous nos amis communs vont bien et me
transmettent leurs amitiés. Ils ont tous écrit un petit mot de
sympathie à la fin de la page et y ont apposé leurs
signatures.
Tout cela me touche profondément et déclenche en moi une
émotion si intense que les larmes viennent bientôt troubler
108
ma vue, m’obligeant à interrompre la lecture
momentanément.
Noï, qui est assise près de moi, m’observe tout en essayant
de déterminer, au travers de mes réactions, si les nouvelles
sont bonnes ou si quelques problèmes me rappellent en
France. Elle a toujours l’angoisse que je retourne dans mon
pays d’origine pour résoudre une situation difficile et que
je ne revienne plus. Les larmes qui s’échappent de mes
yeux ne font qu’augmenter ses craintes. Je sens sa main se
poser sur la mienne et y exercer une forte pression. Je lève
les yeux et lis dans son regard toute la tristesse du monde.
Je souris. J’ai très bien compris ce qui se passe dans sa tête
et je la rassure rapidement.
- « Maï mi pana Tilac » lui dis-je : il n’y a pas de problème
ma chérie.
Sa main se décrispe lentement, et mon sourire sincère
achève de la convaincre qu’il n’y a que de bonnes
nouvelles dans cette lettre.
Je continue ma lecture, je m’en délecte. Cela fait un bien
fou. L’éloignement rapproche les amis. Quel paradoxe !
Voilà une excellente nouvelle : Eric a trouvé un acquéreur
pour ma maison et de plus au prix que j’en demandais.
C’est formidable. Il est rentré en contact avec mon père qui a une procuration chez mon notaire - et l’acte de vente
devrait se signer avant la fin du mois.
Je n’ai même pas à me déplacer, l’argent sera directement
viré sur mon compte ; c’est parfait.
On dirait que mes affaires se déroulent bien mieux en mon
absence.
Par contre, Eric arrivera le mois prochain en Thaïlande, ce
qui risque de poser un petit problème de logement pour Noï
et moi.
109
C’était trop beau. En plus je m’étais vraiment attaché à ce
bungalow de bois, bien plus qu’à ma trop grande maison.
Je relis la lettre plusieurs fois, lentement. Je ne veux pas en
oublier le moindre mot. Tous mes copains m’adressent leur
amitié bienveillante. Ils ne comprennent pas trop ce que je
fais aussi loin de chez moi, mais cela n’a aucune
importance, ils me gardent une place dans leurs cœurs. «
N’oublie pas les copains » écrit l’un.
« Prends soin de ta vieille carcasse » écrit l’autre.
« Nous avons tous bu un verre à ta santé, samedi soir »
écrit un autre.
Puis il y a un post-scriptum ; c’est à propos de Jean-Claude
qui est reparti en bateau, il y a quelques jours. Il a entamé
son deuxième voyage autour du monde et se dirige en ce
moment vers Gibraltar. Après cela il y aura les îles
Canaries, les Antilles, l’Océan Pacifique et peut-être même
l’Asie.
Bon voyage et bonne chance Jean-Claude ! J’ai bien du la
relire une dizaine de fois avant de me décider à la ranger.
Puis j’en ai résumé les grands traits à Noï qui fut
définitivement rassurée.
Le fait qu’Eric revienne et reprenne possession de sa
demeure ne semble vraiment pas l’inquiéter.
- Où allons nous habiter ? Lui demandais je.
- Pas de problème, nous allons construire une maison près
de la plage. Mes parents possèdent un grand terrain un peu
plus loin, dit-elle.
Le temps que je réagisse et la voilà déjà partie en direction
de chez ses parents. Elle réapparaît dix minutes plus tard et
me confirme qu’ils sont d’accord pour que nous
construisions notre nouveau bungalow sur le terrain qui
leur appartient, et que les travaux commenceront la
semaine prochaine avec l’aide des habitants du village.
110
Alors, dans ce cas, je n’ai plus qu’à m’incliner et laisser le
destin faire son oeuvre.
Depuis l’expérience que j’ai vécue deux semaines plus tôt
sur le plan de la conscience, je me sens moins impliqué en
toutes choses et garde un certain recul.
Ce qui me paraissait jadis important, aujourd’hui me
semble dérisoire. Je regarde maintenant la vie de tous les
jours du haut de ma montagne, et les petites tracasseries
quotidiennes ne perturbent plus mon état d’âme.
Je suis dans un état quasi permanent de silence intérieur, et
ne veux en aucun cas m’en éloigner. Il semble qu’une
métamorphose continue de s’opérer en moi, sans que ma
volonté ait besoin d’intervenir. Il s’agit d’une sorte de
digestion des vibrations que j’ai ingurgitées lors de mon
expérience. Tout se décante à l’intérieur de moi, tout
s’organise en fonction des données nouvelles qui sont
cependant totalement abstraites.
J’observe simplement tout cela avec une neutralité totale et
une confiance sans limite. Je comprends ce que peut
signifier : « Le détachement du monde physique. » Il ne
s’agit pas là d’inhiber ses désirs, mais de les dépasser. Je
m’en rends vraiment compte au moment des repas. Lorsque
je déguste mon plat favori, ou bien un autre que j’apprécie
moins, et bien ma surprise est grande de constater qu’il n’y
a plus cette différence - sur le plan de la satisfaction
gustative - entre les deux. En fait, ce que je mange n’a plus
aucune importance.
Ce n’est pas que je maîtrise mieux mes désirs ou que j’ai
perdu mon sens du goût ; pas du tout, je me délecte autant
avec l’un ou l’autre de ces plats.
Alors que s’est-il donc passé qui puisse modifier ma
perception du goût des aliments ?
111
Je pense que je fonctionne différemment dans beaucoup de
domaines et que cet exemple est le reflet d’une manière
nouvelle de percevoir le monde qui m’entoure.
Mes préoccupations se situent désormais à un niveau plus
subtil. Elles se sont déplacées d’un centre d’intérêt à un
autre et ont, de ce fait, cessé d’alimenter en énergie mes
désirs du passé, désirs qui ont alors cessé d’exercer leur
contrôle sur moi.
En plus de cela, j’apprécie beaucoup plus ce que je mange
mais n’en retire plus la même satisfaction psychologique.
Je mange quand j’ai faim et arrête lorsque je suis rassasié,
mais cela n’occupe plus la même place dans tête. Je ne suis
plus dépendant de mes appétits comme je l’étais
auparavant, car l’essentiel est bien loin de ces sortes de
préoccupations.
Une autre conception qui a changé en moi est ma manière
d’être heureux. On pourrait se dire que lorsque l’on est
heureux, on l’est et un point c’est tout. Eh bien ! pas du
tout.
Avant, mon bonheur était une forme d’enthousiasme qui
découlait de mes observations du monde qui m’entourait.
Je me disais : « Je suis vraiment bien » et en disant cela je
m’en persuadais. C’était presque de l’autosuggestion.
Maintenant, je ne peux pas dire la même chose, car le
bonheur m’habite. Je n’ai même pas le désir de l’exprimer.
Il est là ; il est en moi, et c’est tout. Je ne dis plus, « Je suis
heureux » mais quelque chose de plus simple comme « Je
suis. » Cela signifie que je me sens vivre pleinement, que je
sens la vie me traverser et que je ne me débats plus dans le
monde des effets.
Je dis « Je suis », car en fait je ne peux plus dire « Je suis
heureux », ou bien « Je suis malheureux », car du point de
conscience où je me situe, cette dualité n’existe plus. Le
112
point d’équilibre dans lequel je vis, contient cette dualité en
potentialité, elle n’y est pas manifestée. Seul l’homme
donne à une essence ses deux aspects opposés et
contradictoires en apparence : le bien et le mal, le bon et le
mauvais goût, la joie et la tristesse, l’enthousiasme et la
déprime.
Si l’on prend du recul, si l’on ne s’implique plus en tout,
alors on peut constater combien est merveilleuse la
création.
Ce principe est peut-être l’un des plus important que j’aie
découvert depuis mon arrivée ici. La «non-implication»
dans les problèmes, les ennuis, les discussions, est peut-être
une autre des clés qui ouvrent la porte de la Liberté, et que
je découvre l’une après l’autre.
En regardant mon passé, je m’aperçois que je m’impliquais
alors en tout. J’avais des avis sur tout et sur tout le monde
ce qui occasionnait des tensions et des problèmes avec mon
entourage aussi bien qu’avec moi-même.
Je me rends compte que toutes ces prises de position
étaient vraiment inutiles et ne servaient en définitive qu’à
m’affirmer, qu’à défendre ma personnalité - qui avait été
construite potentiellement à l’aide de données souvent
erronées – contre ce que je considérais comme des attaques
extérieures. J’avais bien trop peur que l’on me prouve que
j’étais dans l’erreur. Quand je repense à cette période de
ma vie, je me dis qu’à l’époque, je n’avais pas
suffisamment de données d’une situation précise pour avoir
une prise de position aussi catégorique.
Seules l’ignorance et la peur étaient les causes de cette
implication et de cet entêtement à prouver que j’avais
toujours raison.
Je me rends compte aussi que si beaucoup de choses nous
affectent, c’est que nous les laissons nous affecter. La
113
cause en est souvent la « non-acceptation » d’une situation
qui se présente et qui est incontournable et inévitable.
Cette « non-implication» doit être observée dans tous les
domaines et ne doit surtout pas prendre la forme d’un « Jemen-foutisme» vis à vis de tout ce qui se passe autour de
nous. Cette sorte de position aurait alors pour conséquence
le dessèchement de notre cœur.
Il s’agit simplement d’éviter d’avoir des avis sur la plupart
des évènements ou des situations qui se présentent à nous.
Une sorte de neutralité qui ne cherche plus à empêcher la
terre de tourner. Notre malheur naît souvent de ce qui nous
essayons de tout contrôler.
La «non-implication» entraîne la paix de l’esprit, alors que
l’implication crée la dualité. Celui qui accède à un certain
niveau de la connaissance comprend qu’il ne peut pas avoir
un avis dans beaucoup de domaines. Surtout dans le
comportement de son entourage, car il sait qu’il ne dispose
pas de toutes les données nécessaires à la compréhension
totale d’une situation.
La sagesse, bien souvent, a pour conséquence un
comportement qui peut paraître bizarre aux yeux du
commun des mortels. Celui qui la possède laissera parfois
les hommes aller vers une erreur flagrante, car ils doivent
en retirer une leçon importante. Vouloir les empêcher de
commettre cette erreur ne ferait alors que repousser une
prise de conscience qui doit avoir lieu.
L’homme ordinaire s’implique toujours dans de telles
situations et cherche coûte que coûte à éviter que l’erreur
soit commise. Le sage, avec la connaissance qu’il possède
et sa « non-implication», laissera les évènements se
produire dans un sens qui semble une erreur en apparence,
mais qui en réalité sera profitable, car elle aboutira à un
élargissement de conscience.
114
L’homme conscient devrait vivre en permanence dans un
plan de conscience qui se situe au-delà de cette dualité qui
existe en toutes choses.
La dualité, en réalité, est créée par l’homme qui se
positionne par rapport à un évènement, une situation, un
comportement. Conserver un état de « non-implication »,
c’est supprimer la dualité en toutes choses… voilà donc la
clef.
Richard apprenait vite, très vite, car il vivait dans des
conditions extrêmement favorables à la rencontre avec son
âme, ou son Moi profond comme l’on dit parfois. La nature
en ce lieu était restée telle qu’elle fût créée. Elle rayonnait
sur les êtres qui y vivaient et les purifiait, les nettoyait de
tous ces « miasmes » qui restent souvent accrochées aux
hommes dans nos contrées occidentales.
D’un autre côté, Richard avait commencé à trouver les
réponses aux questions qu’il se posait - et même à celles
qu’il ne se posait pas au début de son séjour - à partir du
moment où il avait cessé de chercher à l’extérieur de luimême.
Ces deux conditions réunies allaient provoquer en lui une
transformation alchimique de tout son être, lente mais sûre.
La lenteur étant indispensable pour que l’homme ait le
temps de digérer la Vérité. Celle ci ne peut être révélée que
progressivement, afin qu’elle reste supportable. Une
révélation de celle-ci qui serait trop brutale risquerait de
faire sombrer le chercheur dans un trop grand déséquilibre
psychologique, pouvant aller jusqu’à la folie. Cela pour la
simple raison, que l’individu ne trouverait plus aucune base
sur laquelle s’appuyer, car la Vérité lui révélerait que toutes
les conceptions anciennes, sur lesquelles il a construit son
existence, sont totalement erronées.
115
Par contre, lorsque la lumière se fait progressivement et
laisse suffisamment de temps à une personne pour
l’assimiler, elle lui profite vraiment. Le chercheur saute
alors d’une erreur à une erreur moins grande, jusqu’à ce
qu’il ait compris toutes les grandes leçons de la vie.
Les mots erreur et vérité sont un peu trop catégoriques. Il
n’y a pas la Vérité d’un côté et l’erreur de l’autre. Ce serait
bien trop facile.
Lorsque l’on analyse une situation donnée à différents
niveaux de compréhension, on s’aperçoit très vite que l’on
considère comme erreur cette situation ou cette action, par
rapport à une compréhension plus large de ce problème. La
Vérité devient alors visible.
Si l’on élargit encore un peu son champ de conscience, on
s’aperçoit alors que cette vérité ou cette action qui nous
paraissait juste devient alors une erreur par rapport à ce
nouveau plan d’analyse.
Cela signifie que l’erreur n’est jamais totale pas plus que la
vérité.
Chaque vérité est vérité par rapport à un plan d’analyse
plus limité, mais devient à son tour une erreur par rapport à
une analyse beaucoup plus large qui tient compte d’autres
facteurs en présence, ignorés jusqu’alors.
C’est pour cette raison qu’il faut être très prudent lorsque
l’on emploie les mots erreur et vérité. C’est pour cela aussi
que nous devons être tolérants envers les autres, ainsi
qu’avec nous même, car nous ne sommes peut-être pas
capables de comprendre certaines situations que traverse
notre entourage.
Pour pouvoir aider quelqu’un, il faut être capable de
comprendre le niveau de conscience dans lequel il se
trouve et celui qui se situe juste au-dessus, car les solutions
aux problèmes se trouvent dans ces deux plans. Une
116
analyse bien trop large ou beaucoup trop étroite n’aboutit à
aucune aide possible et profitable.
Nous ne devons jamais perdre de vue tout cela et saisir
cette notion de « non-implication » qui est aussi une forme
de respect des autres.
Dans ces conditions, la tolérance devient le résultat d’une
large compréhension du fonctionnement de l’individu, et
n’est plus une grande théorie abstraite, au nom de je ne sais
quelle règle de morale.
L’écoulement du temps est surprenant ; il n’est pas linéaire,
mais très variable en intensité, en vitesse. Ce n’est pas lui
qui est important, mais seulement la conscience qu’un être
peut en avoir.
En quelques mois, j’ai vécu plusieurs années, plusieurs vies
même, car je ne suis plus prisonnier de lui. Ce n’est pas lui,
ce n’est plus lui qui m’impose sa loi, mais moi qui lui
impose la mienne. Il s’est habitué maintenant, il m’obéit. Il
est devenu l’allié, l’associé dans mon voyage vers
l’inconnu. Je peux faire appel à lui lorsque je le désire, et
modifier sa vitesse d’écoulement. Il s’est soumis à moi, à
mon âme plus précisément.
Le temps est étroitement lié à la conscience de l’être et
cette dernière est contrôlée par l’âme. L’âme a donc le
pouvoir sur le temps. Il lui est soumis.
Il a fallu une semaine, juste une petite semaine pour
achever notre nouveau bungalow. Ils étaient douze ou
quinze à le construire, sans jamais s’arrêter de sourire, de
plaisanter et de travailler. Une simple semaine qui
ressemblait à toutes les autres, pour celui qui sommeille
dans sa petite existence, mais qui m’enseigna de grandes
choses sur les hommes, leurs rapports , l’entraide, l’amitié.
117
Pendant chaque minute, chaque heure de cette semaine, je
pouvais apercevoir, derrière l’apparence, tout ce que le
commun des mortels ne peut voir.
Là aussi, la nature m’enseignait, mais d’une manière
inhabituelle, nouvelle. Le voile des apparences, qui avait
été déchiré pour moi, laissait apparaître le monde des
causes et ses rouages.
C’est de cette manière que je pus découvrir, pour la
première fois, les symboles et même bien plus que les
symboles, les symboles en action qui, s’organisant,
s’associant entre eux formaient ce que l’on peut appeler un
rituel. C’est à partir de cette semaine-là que mon oeil
intérieur put voir ce qu’il y avait derrière les choses, les
actes, les situations.
Il était en train de se jouer devant moi, une scène ordinaire
de la vie quotidienne, mais celle-ci me révélait une sorte de
secret.
Il s’agissait, en fait, d’une représentation simple de ce que
devait être le fonctionnement de notre planète dans un
temps plus ou moins lointain.
Cette organisation, ce travail collectif, ainsi que l’état
d’esprit dans lequel nous étions tous s’imposaient à moi
avec la force de la Vérité. Je m’arrêtais parfois,
contemplais l’équipe au travail et me disais : voilà
comment devrait se passer toute action sur notre Terre.
Il ne s’agissait pas là d’un rêve d’idéal, mais d’une
confidence que me faisait notre Mère nature. Elle
m’enseignait encore une fois avec sa grande douceur.
Douce et puissante à la fois.
- « Regarde ce qui se passe et comprends. Tout
fonctionnera bientôt comme cela sur la terre. Nous
attendons simplement que vous le désiriez de toutes vos
forces. Tout est simple. Tout est même trop simple pour
118
que vous le voyiez. Dépouillez-vous encore et encore et
vous aurez la vision juste. Le bonheur est à la portée de vos
mains. Cessez d’écouter les menteurs, ouvrez simplement
vos yeux et votre cœur. »
Alors, pour ne pas attirer l’attention, j’observais sans
m’arrêter de travailler et je vis. Je vis des hommes heureux
de construire ensemble. Je vis des hommes heureux de
vivre ensemble. Je vis des hommes heureux. Je vis des
hommes, de vrais hommes. Personne ne leur avait
enseigné, ils n’avaient lu aucun livre philosophique ou
mystique et pourtant ils savaient.
Ils connaissaient l’essentiel, le bonheur, la joie de vivre en
harmonie. En harmonie avec la nature, en harmonie entre
eux.
Ils nous aidaient sans rien attendre en retour, sans
contrepartie. Ils m’aidaient même moi, le blanc. Moi le
blanc qui devait être sûrement arrogant comme tous les
blancs. Moi qu’ils ne connaissaient que si peu et depuis si
peu de temps.
Peu importe, pour eux : ils suivaient simplement les
impulsions de leurs âmes, par instinct; Personne ne leur
avait appris qu’il fallait s’entraider. Ils le faisaient car il ne
peut en être autrement. C’était la vie, tout simplement. La
vraie vie.
Ils n’ont pas eu à passer par le même chemin que nous
occidentaux et pourtant ils connaissent l’essentiel. Ils
n’auront peut-être même pas à passer par le même chemin
que nous. Ce serait certainement une perte de temps.
Je repense au précepte inscrit sur la table d’émeraude :
«Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et
toute ce qui est en bas est comme ce qui est en haut.»
Je commence à présent à en comprendre le sens. Tout n’est
qu’enseignement pour celui qui sait observer. Il devient
119
alors possible à l’homme de comprendre Dieu en observant
la création.
Les principes de fonctionnement de ces deux aspects de
Dieu sont gouvernés par les mêmes principes, les même
lois.
A nous de déchiffrer les messages, les enseignements, la
Vérité.
La construction de notre bungalow - qui était un simple
travail de routine aux yeux de l’observateur non éclairé revêtait pour moi un sens sacré.
Chacun participait à ce travail en respectant une trajectoire
harmonieuse, mais il n’était pas conscient de ce qu’ils
étaient en train de construire. Là où tout le monde ne voyait
qu’une cabane en bois, moi, du haut de ma montagne, je
découvrais, prenant forme lentement devant mes yeux, un
temple.
Un temple dédié à Dieu. Un temple construit au nom de
Dieu. Pour lui, par lui et avec lui. Chacun y mettait le
meilleur de lui-même, sans chercher à s’appliquer, sans
chercher à faire bien. Ils étaient dans le bien, dans le parfait
sans le savoir, sans le vouloir.
Certains clouaient la charpente de bois, d’autres
construisaient la salle d’eau, d’autres le plancher de la
terrasse. Il y avait aussi les femmes. Trois d’entre elles
fabriquaient les nattes de palmes qui allaient nous abriter
de la pluie. Et puis, il y avait Noï et sa mère qui préparaient
le repas. Tout le monde s’occupait, s’activait au rythme
lent et régulier que la nature leur imposait.
L’air était rempli de joie, de sourires et parfois de chansons
et moi, discrètement, j’observais et je comprenais. Il n’y
avait plus de différence entre eux et moi, plus de différence
de race de couleur de peau ou de langage. Mais simplement
des hommes et des femmes qui construisaient ensemble.
120
C’est alors que Mère Nature m’a murmuré ces quelques
mots, comme pour m’enseigner une loi.
- « Observe les hommes, vois comme ils sont proches
lorsqu’ils regardent dans la même direction. Ne sont-ils pas
tous frères et sœurs ? Tout commence à se dégrader
lorsqu’ils se mettent à se regarder les uns les autres. »
Je compris, à cet instant-là, que ce que je voyais n’était pas
une image de l’avenir mais celle d’un passé lointain.
Alors moi, qui étais-je dans tout ça ?
Ma question dut alors résonner très fort car la réponse, une
réponse surprenante se fit entendre.
- « Toi, ce n’est pas pareil, tu viens du futur. Tu fais parti
de ceux qui ont fait un long voyage pour retrouver l’état de
bonheur perdu.» A quoi bon faire un tel voyage, me dis-je,
si c’est pour revenir au point de départ ?
- « Tu n’as pas encore vu la différence, mais elle est de
taille. Au bout de ce long voyage, il y a la conscience. La
conscience d’être. La conscience de la place que l’homme
tient dans l’Univers. » Mais alors, qu’est-ce qui me sépare
d’eux ?
- Vous ne vivez pas dans la même sphère de conscience. La
leur est limitée, la tienne est en perpétuel élargissement et
contient aussi la leur. Tu es sur le chemin du retour alors
qu’eux sont encore sur le chemin du départ. »
Alors, comme je ne compris pas tout, je retournais dans le
silence et continuais à scier les chevrons de bois.
Il ne fallait surtout pas réfléchir, car j’aurais alors brisé
cette harmonie. Il ne fallait rien forcer, rien brusquer, s’y
fondre simplement.
Une semaine, juste une semaine pour tout terminer. Une
semaine et près de trois mille francs français. Voilà ce
qu’il nous a fallu pour avoir notre chez nous, notre petit
121
coin de paix. Il ne manquait plus qu’un enfant, comme
disait la maman de Noï. Je n’avais pas répondu et m’étais
contenté de sourire, comme eux. D’un sourire qui embellit
tout, qui apaise ceux à qui il s’adresse et même les autres.
Je partis acheter une caisse de bière, car la coutume veut
que l’on face une petite fête pour inaugurer la maison. Puis
nous avons pris le repas tous ensemble. Nous étions vingt
ou vingt-cinq à partager toutes sortes de mets délicieux.
Poissons et langoustes grillés, coquillages en sauces piment
et ail, riz, patates douces, légumes et fruits à profusion.
Ce devrait être, en principe, Noï et moi qui devions régaler
l’assistance, pourtant, tout le monde avait participé.
Chacun avait amené tellement de nourriture que nous
n’avions plus qu’à fournir le riz et la bière.
Et lorsque tout fût terminé - le nettoyage aussi - il ne restait
plus aucune trace de rien. Seulement Noï, moi, notre
bungalow, la lune, les étoiles et cette paix indéfinissable
des nuits tropicales.
Nous nous sommes installés sur la terrasse, l’un contre
l’autre, le regard perdu vers les étoiles, tant que nos yeux
ont pu rester ouverts. Je me souviens seulement du bruit
des vagues venant mourir sur le sable et de la mélodie
qu’avait composé pour nous tous les animaux de l’île.
J’ai rêvé et rêvé encore ; cela a duré toute la nuit. De ses
rêves insensés, violents où cohabitaient ma famille mes
amis et mes ennemis d’un jour. Les situations conflictuelles
étaient nombreuses ou plutôt il n’y avait que ça.
Tous les comptes étaient en train de se régler, tous les
problèmes non résolus de mon passé. Ils s’affrontaient
entre eux et j’étais une sorte d’arbitre. Je n’intervenais que
très peu, car je sentais que ma présence était suffisante et
que tout devait se résoudre sans moi et devant moi.
122
C’était comme si l’on avait retenu deux individus pour les
empêcher de se battre, pendant longtemps, trop longtemps,
des années peut-être, et que tout-à-coup plus personne ne
s’interposait. Ils restaient tout d’abord très surpris,
marquant un temps d’arrêt pour reconsidérer la situation,
puis s’avançaient pour régler le problème dont ils avaient
oublié l’origine.
Tous ces conflits prenaient forme devant moi, en ma
présence rendue obligatoire.
Je vis mon père, mes frères, mes amis - vrais et faux régler tout cela. Certaines de ces préoccupations
remontaient à mon enfance. J’étais impliqué dans chaque
situation. Il pleuvait des insultes mais aussi des gifles et des
coups de poing.
Certains voulaient s’en prendre à moi et s’avançaient, l’air
agressif, me reprochant je ne sais quoi. Je les attendais sans
broncher, sans peur. J’étais invulnérable, inébranlable dans
ma paix intérieure. Ils s’en rendaient bien vite compte et
rebroussaient chemin.
Je vis toutes sortes de situations se régler en ma présence.
Je n’intervenais toujours pas. Tout paraissait se mettre en
ordre progressivement.
Ce n’est que lorsque je me suis réveillé, que je crus
comprendre.
Une épuration venait de se faire dans mon subconscient.
Un grand nettoyage auquel mon âme présidait. Face à la
force d’une réalité, les petits problèmes disparaissent
d’eux-mêmes. J’avais été débarrassé de nombreux miasmes
psychiques que je traînais depuis trop longtemps. Elles
avaient certainement dû influencer ma vie, dans le passé,
sans que j’en aie conscience.
123
Cette nuit, elles étaient remontées des profondeurs du
subconscient pour venir m’affronter et disparaître
définitivement.
C’est grâce à la Vérité - qui visite chaque jour plus
profondément toutes les parties de mon être - que tout ceci
est remonté du fond ou des recoins de mon ego.
Face à la Vérité, le mensonge n’a plus de prise et se
dissout. Face à la force de l’âme, l’ego se soumet. Mais
avant cela, il y a les conflits, le « lâcher prise» difficile à
réaliser dans certains domaines. Pour pouvoir voler, il faut
lâcher du lest, tout le lest, même celui auquel on s’est
attaché avec le temps et l’habitude.
Nous passons la journée à aménager, à transporter nos
affaires, mes valises, la vaisselle, la maison des Esprits, la
statue de bouddha.
Les meubles que nous avions achetés sont peu nombreux et
simples, très simples ; un lit en bois, une table et quatre
fauteuils en rotin, un réchaud, une petite bibliothèque et
une armoire. Puis, c’est fini. Il n’y a plus rien à transporter,
plus rien à aménager. Ça y est, nous sommes maintenant
vraiment chez nous.
Noï chante une chanson, toujours la même et je crois que je
l’aime autant qu’elle doit l’aimer. J’en connais maintenant
les paroles : c’est bien sûr une chanson d’amour.
Elle brûle de l’encens sur l’autel et présente les offrandes :
bananes, mangues, poulet et fleurs.
Elle joint les mains et récite une prière dans le silence de
son cœur.
Je suis si loin de mes réalités françaises, sur une autre
planète où tout ce que j’ai pu apprendre chez nous, pendant
vingt huit ans, ne me sert plus à rien ou presque.
124
J’ai l’impression d’avoir été trompé sur tout, on m’a menti
sur tout. Peut-être pas sur la religion. Mais si, sur la
religion aussi.
« Cessez d’écouter les menteurs» m’avait dit Mère Nature.
Mais qui sont-ils donc ?
Alors je remontais dans le passé, encore et encore. Je
revenais à ma petite enfance afin de refaire le parcours à la
lumière de mon âme.
Je suis tout petit, deux ans peut-être et je suis assis sur le
pas de la porte de ma classe. C’est l’école Michelet à Sète.
Je suis seul. J’ai toujours été seul. Seul mais pas isolé, pas
dans la solitude. Je suis seul car j’aime l’être.
C’est la récréation et les enfants jouent, hurlent, se
disputent, se battent parfois. Je ne comprends pas leurs
jeux. Ils ne m’amusent pas. J’ai pourtant essayé, mais rien
à faire, cela ne m’amuse pas. Et comme je n’aime pas me
forcer, et comme je n’aime pas jouer à jouer, alors je ne
joue pas, car je m’ennuie dans leurs jeux.
Et je reste seul et je suis bien. Je ne suis pas un sauvage, un
asocial. J’ai aussi des copains, mais ils sont comme moi, ils
n’aiment pas ces jeux. Nous parlons parfois et nous nous
comprenons. Il suffit que nos regards se croisent une seule
fois, pour savoir que nous somme pareils. Notre vie est à
l’intérieur, jamais à l’extérieur.
Nous ne sommes pas comme eux, ces condensés de forces
vives et aveugles. Ils me font maintenant penser à une balle
de billard électrique.
Où sont les menteurs ?
Je n’en vois pas, je ne vois que des aveugles et pourtant, à
l’époque, j’aurais bien aimé leur ressembler. On appelle ça
le doute de soi. Et puis j’ai six ans. Je suis à l’école
primaire. Nous avions déménagé pour habiter près de
125
l’étang. J’aime l’étang. J’aime son odeur bien que certains
disent que ça pue.
Je passe de longues heures à me promener près de l’étang.
De longues heures avec moi-même. Je rencontre parfois
d’autres enfants. La plupart font partie de ceux dont je
n’aime pas les jeux. Puis il y a eu Claude. Le jour où je l’ai
rencontré il m’observait de loin. Il me regardait me
rapprocher lentement de lui. Nos regards s’étaient croisés,
malgré la distance et je sus à ce moment là, qu’il était
comme moi.
Il est devenu mon meilleur copain. Cela ne pouvait être
autrement, je l’ai compris dès le premier instant.
Nous avions les mêmes rêves, immenses, sans limites et
nous rivalisions d’imagination. Il était comme moi et non
pas comme les autres. Ceux qui ont des jeux où l’on ne
s’amuse pas, ceux qui n’ont pas de rêves.
Au contact l’un de l’autre, nous étions devenus des
aventuriers. C’est là que je commençais à découvrir la vraie
vie ; celle qui est riche à l’intérieur comme l’extérieur.
Nous étions déjà contre la loi des hommes, des parents.
Nous étions libres. Le seul moyen de rester libre était d’être
discrets, secrets même. Personne ne savait quoi que ce soit
de nos aventures, de nos expéditions sur l’étang avec un
radeau de fortune, de la découvertes de grottes dans la
montagne de Saint-Clair, de notre cabane dans les arbres à
dix mètres au-dessus du sol. A nous deux, nous étions
invulnérables et j’appris très vite comment régler un
différent à l’aide de mes poings.
Puis il eut Annie. Elle avait six ans comme moi et venait de
rentrer à l’école primaire, la même que la mienne, mais
dans l’autre classe.
Le jour de la rentrée, j’avais aperçu ses grands yeux dont je
n’arrivais plus à me détacher. Elle me regardait tout le
126
temps et j’étais très intimidé, le souffle coupé. J’ai bien dû
attendre deux semaines avant de lui adresser la parole.
J’avais peur qu’elle soit comme les autres. Mais non, ce
n’était pas possible, elle ne pouvait être que comme moi.
Nous étions proches, très proches. Nous nous retrouvions
au cinéma paroissial tous les dimanches. Nous attendions
que la lumière s’éteigne pour nous rejoindre. Pour regarder
le film à l’abri du regard des autres. Ceux qui ne
comprennent rien. Là, elle posait sa tête sur mon épaule,
moi, je lui tenais la main et nous ne bougions plus d’un
millimètre jusqu’au générique de fin, de peur de rompre la
magie de l’instant.
J’avais le meilleur des copains et Annie comme fiancée.
Oui, fiancée, c’est ainsi qu’on disait à l’époque. J’étais
donc comblé. Rien d’autre ne comptait et j’étais pleinement
heureux.
Où étaient donc les menteurs à ce moment là ?
Je ne les vois pas. Il y en a peut-être, mais je ne les vois
pas.
Les années passent, Annie a disparu pendant les vacances
d’été. Je n’ai jamais plus eu de ses nouvelles.
Puis j’ai neuf ou dix ans. Claude est toujours là et nos
aventures sont nombreuses, dangereuses parfois, mais nous
n’avons pas peur.
Nous avons décidé de mettre de l’argent de côté pour
acheter, dans quelques années, un bateau et faire le tour du
monde. Comme nos deux familles étaient très pauvres et
que nous n’avions que très peu d’argent de poche, nous
avions décidé de nous le procurer autrement. Après une
réunion du haut conseil, composé de nos deux seules
personnes, nous avions trouvé deux solutions acceptables.
127
La première était de devenir enfants de chœur. Cela
rapportait de l’argent, surtout lors des baptêmes et
mariages. Notre premier métier fut vite appris et le mois
d’après, l’argent commençait à rentrer sous forme de dons
effectués par les mariés ou les parents du bébé baptisé.
La deuxième solution était le vol. Claude avait trouvé le
moyen de rentrer dans un des cinémas de la ville, pendant
les jours de fermeture.
Il en ressortait son sac àdos rempli de paquets de bonbons.
Il les revendait à l’école pour la moitié de leur valeur.
Moi, de mon côté, j’utilisais ma passion de la philatélie qui
me permettait de rester pendant des heures dans une
librairie. Je contemplais des planches de timbres plus
magnifiques les uns que les autres et cela sans trop attirer
l’attention. J’en ressortais bien sûr avec une ou deux dans
mon cartable, que je revendais à un bon prix.
Puis il y eut ce curé, qui voulait chaque fois prendre
l’argent que les mariés donnaient aux enfants de chœur.
Nous étions obligés de le cacher. Un dimanche, Claude
était malade, il n’avait pas pu être là lors du mariage et à dû
être remplacé par un autre enfant de chœur, un débutant.
Je lui expliquais donc qu’il fallait cacher l’argent que l’on
nous donnait, de n’en rien dire à Monsieur le curé et que
nous partagerions dehors. Il me dit qu’il était d’accord,
mais je n’avais pas confiance en lui car il n’était pas des
nôtres.
Après la cérémonie, la mariée donna l’enveloppe à l’enfant
de chœur que se trouvait prés d’elle, et ce n’était pas moi.
Alors je le vis partir dans la sacristie et remettre l’argent au
curé qui le garda pour lui.
Il va me payer ça, pensais-je sur le moment, et je partis
l’attendre dans la rue. Là, je lui administrai une correction
dont il doit encore garder le souvenir.
128
C’est là qu’apparaît le premier menteur sous les traits d’un
curé. On ne peut vraiment pas faire confiance à un adulte.
Le dimanche d’après, ils étaient là, ils m’attendaient. Le
curé, l’enfant et ses bleus. Le curé m’appela et demanda
des explications. Alors, le regardant droit dans les yeux et
le considérant comme faisant partie de ceux qui voulaient
faire échouer notre rêve, je lui fis une leçon de morale. Je
parlais et parlais encore, sans m’arrêter. Je lui dis que ce
n’était pas bien ce qu’il faisait et qu’il n’avait pas le droit
de prendre notre argent. Il y eut un long silence, puis il me
dit :
- « Vas t'habiller pour servir la messe.» L’affaire était
classée sans suite.
Dans les semaines qui suivirent, non seulement nous étions
autorisés à garder l’argent, mais Claude et moi avions
décidé de prélever discrètement notre pourcentage sur la
quête.
Nos économies grandissaient de semaines en semaines.
Notre rêve pourrait bientôt se réaliser.
Puis il y eut le lycée, les copines, les boums, les fêtes, et
tout ce cortège de menteurs qui voulaient nous faire croire
que la vie c’était du sérieux, que ce n’était pas de la
plaisanterie et que nous n’étions pas là pour nous amuser.
Nous avions tenu bon plusieurs années, mais nous
présentions qu’ils étaient les plus forts. Ils semblaient tous
poursuivre le même but : détruire nos rêves pour nous
mettre sur des rails, pour nous faire rentrer dans le moule
de l’homme standard du 20e siècle.
Le coup de grâce nous fut porté lorsque les parents de
Claude partirent habiter Paris. Je me sentis alors seul contre
le monde entier. Nous partageâmes le magot qui s’élevait à
plus de cent mille francs et nous promîmes de nous
129
retrouver à la fin de nos études pour réaliser notre voyage
en voilier. Nous prêtâmes même serment.
Nous nous écrivions souvent, puis moins souvent, puis
rarement et enfin plus du tout.
Je savais qu’il était maintenant ingénieur et qu’il avait une
excellente situation dans l’administration. Il n’avait jamais
quitté la région parisienne.
A la lumière de mon âme, je contemplais maintenant le
tableau et je me dis qu’ils nous avaient assassinés. Ils
avaient tué l’impulsion qui émanait de nos âmes et qui était
ce qu’il y avait de plus noble en nous.
Ils sont coupables, coupables de meurtre.
- Mais qui sont-ils ?
- Ce sont les menteurs.
- Où sont-ils ?
- Partout.
Ils sont de deux sortes. Il y a les menteurs conscients d’être
des menteurs et ceux qui nous mentent en nous disant
qu’ils savent, bien qu’ils ne sachent rien.
Les menteurs inconscients sont peut-être les plus
nombreux. Ils sont partout. Ils occupent des postes à
responsabilités, depuis lesquels ils organisent la vie de la
société sans la moindre connaissance intérieure de
l’homme.
Il y a aussi les enseignants de toutes sortes. Ceux des
écoles, des lycées, des universités, mais aussi ceux des
religions et même les parents. Ils nous mentent en
brandissant des titres ou des diplômes qui sont censés
prouver qu’ils savent. Mais ils ne savent rien ou pas grand
chose. Ceux qui savent vraiment ne peuvent rester très
longtemps dans un tel système. Ils en sont bien vite exclus.
130
L’origine de cette maladie qui se nomme ignorance - et
dont tous les menteurs de cette catégorie sont atteints - est
toute simple, logique, inévitable.
Ils ont décidé un jour qu’ils savaient. Cela a dû se passer
lorsqu’ils ont été gratifiés d’un titre, ou reçu un diplôme.
Alors, ils ont cessé d’apprendre afin de se consacrer à
l’enseignement. Voilà l’erreur, la grande erreur, croire que
l’on sait.
Il n’y a pas plus bête et ignorant que celui qui croit savoir.
Comme il croit savoir, il pense qu’il n’a plus rien à
apprendre, et il s’enfonce lentement dans la bêtise.
La plupart des parents n’ont pu échapper à cet état d’esprit.
Comment pourraient-ils enseigner à leurs enfants les
principes essentiels qu’ils n’ont pas encore découverts
eux-mêmes. Il n’y a pas plus bavard que l’ignorant.
Et puis, il y a les menteurs conscients, les fourbes, les
sournois qui exploitent l’inconscience à leurs profits.
Ce sont les politiques, les journalistes, beaucoup de
dirigeants religieux.
Ils mettent toute leur énergie en action pour maintenir les
hommes dans l’ignorance et l’inconscience.
Ils sont des vicieux, des ordures. Voilà pourquoi tout
tourne dans le mauvais sens. Voila pourquoi nous tombons
tous dans les pièges qu’ils nous tendent.
Mon âme me révèle aujourd’hui, à sa lumière, la trajectoire
erronée que nous avons suivie.
Enfants, nous savions l’essentiel, mais ils nous l’ont fait
bien vite oublier afin que nous devenions des machines,
des mécaniques bien huilées.
Claude et moi savions où nous devions aller. Nous avions
des rêves à réaliser. Nous ne craignions pas la vie, nous
l’aimions. Nous étions heureux.
131
Les gens comme nous n’ont aucune place dans la société. Il
fallait les convertir ou les éjecter.
Ils nous avaient convertis.
Mais aujourd’hui je les ai vaincus à moi seul. Alors j’ai
pris du papier à lettres et, après plus de douze ans, j’ai
repris contact avec Claude. J’ai écrit et écrit encore, jusqu’à
l’épuisement. J’ai écrit pour lui dire qu’ils n’avaient pas été
les plus forts et que j’honorais aujourd’hui mon serment.
J’ai écrit, au cas où son âme serait encore capable
d’entendre la mienne. Peut-être n’était-elle pas encore
suffisamment ensevelie sous des mètres cubes de
mensonges et de fausses valeurs. Peut-être allait-il penser
que j’étais fou. Cela n’a aucune importance. Je fais ce que
je dois faire, sans me préoccuper du résultat, au nom de
notre amitié.
Je lui expliquais à propos des menteurs. Comment ils
avaient réussi à me faire vivre une vie qui n’était pas la
mienne, à me faire construire une maison trop grande pour
moi. Comment ils m’avaient endormi et comment avait
opéré le Destin pour me sortir de ce sommeil. Puis, je lui
décrivais ma vie ici, mon bungalow, ma petite femme et
mon cheminement intérieur.
Je concluais par une phrase que nous nous répétions
souvent enfants : A la vie, à la mort. Elle rappelait notre
amitié scellée.
La lettre partit le jour même.
132
Chapitre VII
Magie sans cesse renouvelée des matins qui s’éveillent. Ils
sont chargés d’énergie nouvelle et de paix. Le réveil
indique sept heures et quart. Noï dort sur le ventre, une
main posée sur moi, comme pour s’assurer de ma présence.
Ses longs cheveux noirs enveloppent une partie de son
corps. Elle soupire lorsque je me dégage lentement de son
bras. Elle cherche une position nouvelle, et retourne bien
vite dans ses rêves.
Je me sers un grand verre d’eau fraîche et vais prendre
place sur la terrasse. Je le bois à petites gorgées tout en
parcourant des yeux la nouvelle construction.
Ce bungalow représente beaucoup pour moi. Il est le
symbole de ma liberté retrouvée. Je ne sais pas ce que me
réserve l’avenir et si je retournerai en Europe, mais quoique
je fasse, j’aurais toujours mon petit paradis dans un coin de
la tête. Paradis qui m’aidera à affronter toutes les épreuves
et situations difficiles.
Je sais maintenant que j’aurai toujours un toit pour
m’abriter et de quoi manger tous les jours. Ceci m’enlève
beaucoup de soucis et de doutes sur l’avenir.
J’ouvre mon livre de bord pour continuer à prendre des
notes. C’est mon troisième cahier et il est en train, lui aussi,
de se terminer. Je n’en reviens pas d’avoir tant de choses à
écrire, moi pour qui la moindre page d’écriture était encore
une véritable corvée, il y a seulement quelques mois.
J’écris principalement mes sensations, mes impressions et
ne me relis jamais. Je le ferai lorsque j’aurai terminé, afin
d’observer mon cheminement, mais aussi pour retrouver
133
certains états d’esprit que j’ai vécus et que j’aurais peutêtre oubliés.
A ce stade de mon récit, je dois effectuer une pause et
résumer les points importants.
Je dois noter les principes essentiels que j’ai découverts
depuis mon arrivée, ainsi que les changements importants
qui sont intervenus en moi. Ceci de la manière la plus
brève possible. Une sorte de condensé. Je note sur le haut
de la page : « Liste des points et découvertes essentiels » et
je commence la liste.
- La paix intérieure.
- Une vie douce et agréable.
- Une plus large compréhension de l'existence.
- Je n’ai plus peur du lendemain et de l’imprévu.
- Je vie en fonction de moi et non plus pour être reconnu
par mon entourage.
- J’ai supprimé le superflu.
- Je suis indépendant sur le plan de la pensée.
- J’ai découvert mon âme.
- Je suis désormais mon âme et non plus seulement mon
ego.
- Je vis de plus en plus au présent.
- J’ai appris à aimer : Aimer ma femme, la vie, la nature.
J’aime aimer.
- J’ai compris la place que doit occuper le matérialisme.
- J’ai accès à une source de connaissance sans limite.
- J’ai observé Mère Nature me ressourcer et me nettoyer.
- J’ai retrouvé ma faculté de rêver, de créer ma vie.
- J’ai compris pourquoi l’occident fait fausse route.
- J’ai regagné mon indépendance par rapport à l’argent.
Désormais c’est lui qui est à mon service et non le
contraire.
- Je cherche davantage à « Etre » qu’à « Faire. »
134
- Je savoure chaque minute de la vie.
En réalisant la liste de mes découvertes, je prends
conscience des nombreuses leçons que j’ai apprises en
quelques mois seulement. L’ancien Richard était vraiment
très ignorant. Il me semble impossible d’avoir vécu tant
d’années sans connaître ces principes.
Mes recherches - en me fiant à mes perceptions intérieures
- sont loin d’être terminées. Je pense même qu’elles ne font
que commencer. L’âme recherche perpétuellement son
expression, son expansion. Cela signifie que la
connaissance est sans limite et que l’individu interrompt
son voyage seulement lorsqu’il décide qu’il a atteint son
but. Cela ne signifie pas qu’il est arrivé à la fin du chemin,
mais plutôt qu’il a décidé de faire une halte provisoire ou
parfois définitive, pour la vie en cours.
En tenant compte de ce principe, je comprends que je suis à
la veille de nombreuses autres découvertes. Cela tant que
j’aurais le courage de marcher - ou bien tant que mes
capacités me permettront d’assimiler les nouvelles leçons.
Cela me donne un peu le vertige. De toutes manières, je ne
crains rien, je serai libre de m’arrêter quand je le désirerai.
Chacun a la possibilité d’aller où il veut et à son propre
rythme.
Une telle démarche est toujours incomprise par ceux qui
stagnent dans leurs vies routinières et sécurisantes en
apparence. Ils ont perdu l’habitude de se poser des
questions. Ils ont préféré entrer dans une forme de léthargie
qui semble les rassurer. Il s’agit, dans la plupart des cas,
d’autoprotection; ils élèvent des barrières autour d’eux, ils
s’enferment dans une bulle, tout cela pour se protéger des
agressions extérieures.
135
Cette attitude est motivée par la peur. Peur de voir les
conditions extérieures venir perturber les plans qu’ils ont
établis en vue d’accéder à l’image qui est pour eux la plus
représentative du bonheur.
Alors ils se protègent, ils se ferment à la pensée nouvelle,
par crainte de s’apercevoir qu’ils se sont trompés, et qu’il
faut tout recommencer sur de nouvelles bases.
C’est pour cette raison aussi qu’ils critiquent tant ceux qui
aspirent à une vie différente. Avec le temps, ces marginaux
risquent fort de devenir des révélateurs de la vérité et de
l’erreur, en montrant au grand jour qu’il n’y a pas qu’une
seule façon de vivre.
Ils deviendront alors des hommes à abattre, des hommes
trop dangereux pour ceux qui organisent et jalonnent le
chemin de l’humanité. Chemin sans issue où celle-ci doit
se perdre. Ils nous ont fait croire que l’étape inévitable pour
accéder au bonheur passait obligatoirement par l’argent,
par la richesse.
Je l’ai cru, comme tout le monde, et je n’ai fait pendant
longtemps que rechercher mon enrichissement, pensant
qu’il n’existait pas d’autre possibilité pour être heureux.
Il faudrait que chacun se rende compte - comme j’ai pu le
découvrir moi-même - que le bonheur est à portée de main.
Que chacun y a droit, et que l’argent n’est pas une étape
obligatoire.
On peut-être heureux et pauvre ou malheureux et riche. Les
exemples ne manquent pas autour de nous. L’erreur est
maintenant flagrante, évidente. Alors pourquoi attendent-ils
pour reconsidérer les valeurs de la vie ?
Faudra-t-il que le Destin se charge d’ébranler tout le
système comme il l’a déjà fait dan mon cas personnel ?
136
Les idées se bousculent dans ma tête, et cela dès que je
prends le stylo. Je n’ai pas encore fini de transcrire une
idée, qu’une autre est déjà là, prête à prendre la suite. Elles
s’imbriquent les unes dans les autres et je n’ai pas toujours
le temps de les développer toutes.
J’en viens à me demander si ma compréhension serait aussi
grande, si je n’avais pas tenu mon livre de bord. J’en doute
fort.
Il semble que pour moi, l’écriture soit nécessaire. Elle est la
boule de cristal qui me relie au plan de l’âme. Elle est un
support, une onde porteuse capable d’amener certaines
pensées subtiles jusqu’à ma conscience objective.
Les premiers jours, mes notes étaient saccadées, elles
manquaient d’harmonie. Je cherchais mes mots et me
fatiguais, m’épuisais à donner à l’écriture une consistance.
Aujourd’hui, tout est différent. Je n’ai qu’à prendre le stylo
- sans essayer de penser à ce que je dois écrire - pour que
celui-ci se mette en action. Les phrases prennent forme
d’elles-mêmes. Les mots trouvent d’autres mots avec
lesquels ils s’accordent parfaitement. Ma volonté n’a plus à
intervenir; je me branche à la source et ne fait rien d’autre.
Tout le reste en découle : les mots, les phrases, les idées,
tout se déverse en moi et au travers de mon stylo.
J’ai ouvert une brèche entre les deux mondes, par laquelle
s’écoule une vibration inconnue de moi. Elle coule et coule
encore. Elle ne demande qu’à remplacer les vibrations plus
denses avec lesquelles les hommes ont rempli les plans de
la pensée humaine et celui des émotions.
Elle me traverse, puis jaillit hors de moi sous forme de
rayonnement. Elle me transforme lentement en un être
nouveau.
Je deviens alors un pont entre les deux mondes, une arche
vivante.
137
Pendant cette expérience, mon ego ne désire plus rien. Il se
soumet à cette vibration sans aucune arrière-pensée. Il se
donne consciemment. Il s’oublie afin que les idées qui sont
nécessaires à la construction d’un monde meilleur puissent
se déverser sur la Terre des hommes.
Je ne subis pas, je participe. Je participe à la plus
merveilleuse des entreprises que puisse connaître notre
planète. Dans cette forme d’expérience, j’éprouve la plus
grande des joies, la plus grande satisfaction de ma vie.
Satisfaction de quoi ?
Je n’en sais rien, peut-être celle d’avoir l’impression de
participer à quelque chose de grand et d’utile. Quelque
chose qui nous dépasse de beaucoup.
Tout ceci, je le sais, est totalement abstrait, mais j’ai une
conviction profonde et puissante d’être là où je dois être et,
de faire ce qu’il y a de plus important pour moi, dans cette
vie.
Je suis habité par une confiance sans limite qui à la force de
la Vérité. Aucune idée ou projet ne peut rivaliser
d’importance avec les moments que je suis en train de
vivre.
Mais tout cela est trop grand pour moi : je ne peux le
contenir. C’est pour cette raison peut-être que j’écris. Pour
que cette vibration continue son chemin jusque dans le
cœur des hommes, au travers des mots.
Je prends conscience qu’une forme de vocation s’est
révélée en moi, que je dois continuer à écrire et écrire
encore, pour ceux qui se posent les mêmes questions que je
me suis posées. Ce ne sont pas des mots, pas même des
idées que je dois transmettre, mais seulement cette
vibration qui m’habite parfois. Je dois lui permettre de
s’exprimer de la manière dont elle a décidé. Je ne m’y
opposerai surtout pas, et je sais que c’est au travers de
138
l’écriture que cela se fera. Donc, je vais écrire pour les
autres.
Pour les autres et aussi pour moi-même, car c’est par
l’écriture que se dévoile ma voie. Je n’ai pas la moindre
question à me poser, ni savoir ce que je dois écrire : roman,
récits ou autres. Cela n’a aucune importance. La vibration
habitera mes mots, et c’est elle qui choisira ces même
mots, qui les ordonnera, afin d’atteindre le but qu’elle s’est
fixée.
Ce ne sera pas moi qui écrirai, mais elle. Je ne me poserai
donc même pas la question de savoir si c’est bien écrit ou
non. Ce n’est ni de mon ressort ni de ma compétence. Je
comprends à présent l’expression « oubli de soi .» Cela ne
signifie pas passivité, mais plutôt participation à une
oeuvre merveilleuse.
Je n’ai rien perdu de moi, bien au contraire, je me suis
développé, j’ai grandi, j’ai élargi ma sphère de conscience.
En réalisant les deux dernières pages, j’en viens à me
demander si je commence à perdre la raison ou bien si je
suis en train de m’approcher d’une forme d’illumination,
dont j’ai déjà lu le récit dans un livre sur la vie de bouddha.
Je relis une deuxième fois.
- « Ce n’est pas possible que ce soit moi l’auteur de ces
pages d’écriture.» Je rigole tout seul et à haute voix. Une
sorte de fou rire s’empare de moi. Je ris de plus belle, j’en
pleure même. Je referme le cahier, un peu sceptique sur ce
que je viens de découvrir. Peut-être vaut-il mieux que je ne
relise jamais plus mes notes. Cela risque de me faire douter
de moi et de mes perceptions.
Je prépare maintenant mon petit déjeuner. L’odeur du café
s’échappe de la terrasse. Elle se mélange à celle du pain
grillé.
139
Pendant que le café continue de s’écouler du filtre, je
découpe les fruits en morceaux : une mangue, une tranche
de papaye et un peu d’ananas. L’instant sacré du matin
s’approche, et je commence déjà à saliver lorsqu’une voix
me fait sursauter.
- Je vois que j’arrive au bon moment !
Je me retourne afin de voir qui vient troubler mon petit
déjeuner, sans avoir réalisé que l’on s’était adressé à moi
en français.
- Eric ! Mais quand es-tu donc arrivé ?
- Hier soir, très tard.
Il me regarde droit dans les yeux, comme s’il cherchait des
réponses à de nombreuses questions qu’il se pose.
Nous nous serrons dans les bras amicalement. Il y a entre
nous maintenant une complicité, un lien, une expérience
commune sur cette terre d’Asie.
- As-tu fait bon voyage ?
- Sans problème, comme d’habitude ; peut-être un peu long
tout de même. C’est normal, j’étais pressé d’arriver et de te
voir.
Ces derniers mots avaient été prononcés avec une grande
douceur. Il me considérait maintenant avec beaucoup plus
d’importance qu’avant mon départ.
Nous n’avions jamais été de très grands amis, tout juste de
simples copains. Nous ne nous connaissions que très peu,
finalement.
Depuis qu’il s’était mis à voyager, il était devenu un
étranger pour nous. Il ne parlait presque jamais de la
Thaïlande et se tenait toujours en retrait des conversations
et des fêtes.
On lui disait souvent que sa tête était restée là-bas, et lui, il
se contentait de sourire. A présent, c’était différent, je
l’avais rejoint dans son monde. Nous étions des complices.
140
Pendant que je nous sers le café, je sens son regard posé
sur moi. Il ne me quitte pas. Il ne dit rien.
Je ne sais pas trop par où commencer, j’aurais tant de
choses à lui raconter.
Puis, il rompt le silence.
- Alors ?
- Alors quoi ?
Je prends un malin plaisir à le faire patienter. Je fais
semblant ne pas comprendre. Je joue avec lui, avec son
impatience. Il s’en rend bien sûr compte.
- Arrête, raconte-moi tout.
- Rien de spécial, excepté que je suis marié, que j’ai fait
construire mon bungalow et que je ne veux plus rentrer.
- C’est tout, et bien en voilà des nouvelles.
Je continue à jouer au chat et à la souris. Je tourne autour
du pot. J’ai peur de comprendre le sens de sa question,
mais je n’en suis pas sûr.
- Pour tout t’avouer, çà, je le savais déjà, me dit-il.
- Alors, que veux-tu savoir au juste ?
- Tu sais de quoi je parle, Richard, cesse de te payer ma
tête.
Je reprends un air sérieux. Il n’y a plus aucun doute, Eric
parle d’expérience intérieure et non pas de détails de
l’organisation de la vie sur le plan matériel.
- Nous en parlerons un peu plus tard, si cela ne te dérange
pas. Donne-moi plutôt des nouvelles de la France, de mes
parents, de tous nos amis.
Je ne peux pas encore lui confier ce qui est du domaine de
mon âme, mes découvertes, mes impressions. Je préfère
attendre un peu.
Alors il me raconte en détail tout ce qui s’est passé depuis
mon départ. Il me donne tous les détails de la vie de chacun
de nos amis communs.
141
Je l’écoute avec attention. Il me transporte dans ce monde
occidental, dans cette petite ville du midi de la France. J’en
éprouve d’un côté un certain plaisir, mais de l’autre une
répulsion. Cela fait remonter à la surface toutes ces années
perdues. C’était avant, lorsque je n’étais pas encore vivant.
C’était lorsque je poursuivais, dans un demi-sommeil, un
futur illusoire, une image fantôme.
Richard écoutait Eric sans l’interrompre. Il parlait d’une
voix très amicale de tous ceux qu’ils connaissaient. Il
faisait toujours ressortir les qualités de chacun et se servait
de l’humour lorsqu’il effleurait l’un de leurs défauts.
Jamais il ne critiquait, il restait à distance de chaque
anecdote, sans jamais s’y impliquer ou donner son avis.
Puis il racontait les différentes conversations qu’il avait
eues avec les parents de Richard - qui ne comprenaient pas
pourquoi leur fils avait fui une vie aussi bien réussie - et
terminait en lui transmettant le bonjour et les regrets de
Cloé.
Richard resta un long moment silencieux, le regard perdu
en direction l’horizon, ressassant avec une légère
mélancolie son passé mal digéré. Puis il inspira
profondément et poussa un grand soupir, comme pour se
libérer de l’emprise qu’exerçait encore sur lui, son
ancienne vie.
- Tu sais Eric, tout ce que tu me racontes me fait à la fois
du bien et du mal. Du bien car tu me parles de gens que
j’aime beaucoup - malgré les idées qui nous séparent - et
du mal car je replonge momentanément dans un passé que
je déteste.
C’est vraiment un étrange sentiment.
- Je connais tout cela Richard. Je pense que nous sommes
passés par des étapes analogues et c’est de cela que je
désirerais m’entretenir longuement avec toi. Recevoir des
142
nouvelles de la famille et des amis remue parfois les
entrailles, mais ce n’est rien à côté de ce que tu vas
ressentir le jour que tu rentreras. J’ai dû rester un an en
France afin de travailler et gagner de l’argent pour revenir
ici, chez moi, et retrouver ma femme. Ça a été vraiment
très dur pour moi.
- Ta femme….. Mais tu ne m’en as jamais parlée ?
- Je ne parle jamais de rien à personne, car peu de gens sont
capables de comprendre. Comme je vois que tu t’es
totalement intégré à ton nouveau style de vie, je pourrais
maintenant te confier beaucoup de choses sur ma vie. Mais
je peux t’avouer que j’ai eu des doutes lorsque tu es parti.
Je pensais que tu ne t’adapterais pas, car tu semblais alors
trop préoccupé par le fric et la réussite. Les lettres que j’ai
reçues de toi m’ont prouvé que je m’étais trompé et que tu
étais sur la bonne route.
- Dis-moi vite Eric, ta femme, où est-elle ?
- Elle dort chez moi. C’est une cousine de Noï. Elle vit à
Tran, dans sa famille, lorsque je rentre en France. Tu feras
sa connaissance tout à l’heure. Tu verras, elle est
merveilleuse.
- Tu sembles très amoureux ?
- Mais je le suis, mon pote. Et toi alors ?
- Moi, et bien je n’ai pas pu résister à la beauté et au
charme de Noï, et je crois être aussi amoureux que toi.
Lentement, une forme de complicité s’installait entre Eric
et Richard. Un lien se formait. La pudeur de Richard
commençait à s’estomper pour laisser apparaître sa
véritable nature. Sa nature profonde qu’il avait découverte
progressivement depuis son arrivée sur l’île. Il se rendait
compte qu’Eric n’était pas seulement un copain, mais un
frère.
143
Ils vibraient sur le même plan, cela ne faisait plus aucun
doute pour lui. Alors ils commencèrent à aborder le sujet
qui tenait tant à cœur à Eric.
- Tu sais Richard, il faut que je te fasse une confidence.
Lorsque j’ai découvert la Thaïlande, il y a plusieurs années,
j’ai été complètement envoûté. Je n’arrivais plus à me
décoller de ce pays. Ce n’est que lorsque mon dernier franc
fut dépensé que je rentrais en France le cœur gros, laissant
Wan - qui est devenu ma femme depuis - en pleurs à
l’aéroport de Bangkok.
Ce pays, je sentais que c’était le mien, et je n’avais qu’une
idée en tête, c’était d’y retourner et de retrouver celle qui
m’attendait.
Depuis, j’ai alterné mon temps entre la France et ce pays si
cher à mon cœur. A chaque séjour je me transformais, je
n’avais plus rien à voir avec celui que tu avais connu.
Comme je ne pouvais communiquer à personne ma
passion, alors je me renfermais, me repliais sur soi-même,
en ne pensant qu’à une chose, gagner le maximum d’argent
afin de pouvoir rester ici le plus longtemps possible.
Richard resservait du café pendant qu’Eric continuait son
récit.
- J’aimais ce pays pour sa beauté, la douceur de son climat,
la gentillesse de ses habitants, mais aussi et surtout parce
qu’il me transformait progressivement en un être plus
complet, plus conscient, plus libre. Ce que j’ai découvert
en moi pendant mes nombreux séjours n’aurais pu l’être en
France, au milieu des tensions et problèmes divers. J’aime
la France Richard, mais je ne supporte plus ce que les
hommes en ont fait. Sous prétexte de rechercher le progrès,
ils nous transforment progressivement en esclaves. Le plus
incroyable, c’est que presque personne ne s’en aperçoit. Ici,
144
au moins, la vie apparaît sous ses traits essentiels et surtout,
surtout, nous avons une paix royale.
- C’est vrai qu’ici, il n’y pas le moindre problème. Il suffit
de respecter la loi et les gens pour que les Thaïlandais nous
laissent vivre de la manière que nous désirons. Ils sont
d’une incroyable tolérance.
- C’est dans cette paix de l’esprit que j’ai découvert une
dimension de l’être humain que j’avais oubliée depuis
l’enfance. Je décidais donc de tout oublier et de
reconsidérer les valeurs de la vie, une à une, à la lumière de
cette dimension intérieure. Là, chacune d’elle me révélait
sa véritable nature et j’aperçus les erreurs que j’avais
commises. Je dégageais, tout au long de mes séjours
successifs, l’essentiel du superflu, la vérité de l’erreur et
ma nature individuelle, de ma culture et de mon éducation.
Tous les concepts auxquels adhère l’occident furent alors
reconsidérés et peu d’entre eux me semblèrent propices à
l’évolution de l’homme. Bien au contraire tout paraissait
converger vers une forme d’abrutissement général qui, je
pense, n’était pas le fruit du hasard. Alors, je me suis juré
de me préserver quoi qu’il arrive et de suivre la direction
que je pressentais comme étant la meilleure pour moi.
- Ce n’est donc pas un hasard, Eric, que je sois arrivé aux
mêmes conclusions que toi. J’ai suivi sensiblement le
même cheminement de pensées sans aucune concertation
mutuelle. Cela confirme encore une fois qu’il n’y a plus
aucun doute à avoir, et que nous sommes sur la bonne
route.
- Le doute, cela fait longtemps qu’il ne se présente plus à
moi. Il a compris qu’il ne peut plus m’ébranler, que mes
bases sont maintenant trop solides pour que je tombe dans
son piège.
145
Eric ne pouvait plus s’arrêter de parler. C’était la première
fois qu’il partageait la joie de ses découvertes et cette
sensation de liberté et de bonheur à laquelle peu de gens
ont goûté. Richard l’écoutait, l’observait. Il pouvait
facilement se rendre compte que son ami Eric était encore
habité par les tensions des villes, et qu’il lui faudrait
patienter une bonne semaine avant de se ré harmoniser
avec les vibrations de leur île.
En parlant de la sorte, il se nettoyait. Il extirpait de son être
toutes les tensions et les soucis qu’il avait endurés pendant
une année entière. Une année loin de sa femme, loin de son
île, loin de son âme et loin des hommes. Une année de
solitude au milieu d’une foule d’étrangers. Une longue
année qu’il avait sacrifiée afin qu’il ne soit plus obligé de
retourner travailler en France avant longtemps, ou peut-être
jamais.
Il aurait pu continuer à parler comme cela pendant des
heures, peut-être même des jours, jusqu’à l’épuisement,
jusqu’à ce qu’il ait été totalement lavé de tout ce qui lui
encombrait le cœur.
L’arrivée de Wan mit fin provisoirement à leur
conversation, ou plutôt à son monologue.
Il y eut les présentations, puis le réveil de Noï, puis une
ambiance de fête, de retrouvailles qui envahit le bungalow.
Elle prit la forme, comme c’est la tradition ici, d’un bon
repas pris en commun, arrosé par le « Sangtip», un whisky
local.
L’atmosphère était joyeuse, amicale. Tout le monde levait
son verre « au retour d’Eric ! » et lui, au bout du troisième
verre, se mit à pleurer. Il pleurait toutes les larmes de son
corps. Il pleurait de joie, d’être retourné au pays de ses
rêves, mais aussi de tristesse, sur cette longue année de
solitude.
146
Au cinquième verre, Eric et Richard tombèrent dans les
bras l’un de l’autre. Richard pleurait lui aussi. Il remerciait
Eric de lui avoir fait connaître ce petit paradis et lui dit
qu’il n’oublierait jamais ce qu’il avait fait pour lui.
Pendant ce temps, les deux cousines étaient mortes de rire,
à cause de l’émotion générale, à cause du comique de la
situation, mais aussi à cause du Sangtip.
La fête dura jusqu’à tard. Ce fut une journée inoubliable
dédiée à l’amour, à l’amitié et à la liberté.
Chapitre VIII
Les jours et les semaines s’écoulaient paisiblement. Eric et
Richard passaient beaucoup de temps ensemble. Ils
comparaient leurs chemins respectifs, afin de mieux
comprendre leur transformation, ou plutôt leur éveil
intérieur.
Cependant, ils ne négligeaient pas de passer chaque jour
plusieurs heures dans la solitude, afin de conserver et
d’affiner le contact avec leur âme. Cela plus par besoin que
par discipline.
Noï et Wan étaient aussi très heureuses de se retrouver.
Leurs rires résonnaient souvent dans le silence de l’île.
La vie, pour les quatre amis, n’était que joie, bonheur et
douceur. Pour un observateur occidental, elle semblerait
147
irréelle, illusoire. Surtout si ce dernier vit dans l’enfer
d’une grande ville.
Pour la Thaïlande, ce type d’existence est habituel et non
exceptionnel. Les Thaïlandais - à part peut-être ceux qui
habitent la capitale - vivent intensément au présent. Ils ne
se font pas de soucis pour le lendemain et vaquent à leurs
occupations dans la joie et à leur rythme.
Le bonheur, dans ce pays, se rencontre partout. Il tente
souvent de retenir les touristes qui visitent ce pays pour la
première fois. Certains d’entre eux reviennent pour s’y
installer, et redécouvrent ainsi les valeurs de base qui
devraient régir la vie de chaque individu.
Thaïlande, qui signifie terre des hommes libres, n’a pas
reçu ce nom par hasard. C’est peut-être l’expression qui
caractérise le mieux ce pays.
J’ai un peu de mal à me lever ce matin. Je n’ai pas assez
dormi. Hier, Eric et moi avons eu une conversation qui
s’est terminée vers une heure du matin.
Je sais que je ne suis pas obligé de me lever de bonne
heure, mais le matin est pour moi le meilleur moment pour
réfléchir, écrire et trouver des idées nouvelles. Après, ce
n’est plus pareil. La magie disparaît jusqu’à la tombée du
jour.
Notre débat avait été très enrichissant. Eric, qui étudiait le
bouddhisme depuis deux ou trois ans, avait soulevé un
point dont l’importance est primordiale. Il s’agissait des
désirs.
L’homme doit-il supprimer ses désirs, les maîtriser ou les
dépasser ?
Répondre totalement à cette question n’est pas chose facile.
Celui qui y est parvenu a certainement compris beaucoup
sur la vie, ainsi que sur le fonctionnement de l’homme.
148
Dans le bouddhisme, il est dit que les désirs engendrent la
souffrance et que pour faire disparaître celle-ci, il suffit de
supprimer les désirs.
Eric était de cet avis, quoique cette théorie lui paraissait
incomplète.
Il est vrai que c’est un peu trop simple. Je sais que dans
chaque principe enseigné par une religion ou une
philosophie se cache une vérité. Quelle est donc celle qui
se dissimule derrière cet enseignement ?
Peut-être faut-il, pour mieux comprendre, remonter à
l’époque de la fondation du Bouddhisme. Il y a prés de
deux mille cinq cents ans, la plupart des individus ne se
préoccupaient que de satisfaire leurs besoins et leurs désirs.
Seule une faible minorité était vraiment en quête de vérité.
Les enseignements devaient donc s’adapter à ces deux
types d’individus.
Pour les grandes masse populaires, un tel principe - celui
de supprimer les désirs - ne pouvait que diminuer les
difficultés de l’existence. Avoir moins de désirs à satisfaire
impliquait une vie plus simple, mieux équilibrée et de
meilleurs rapports avec ses semblables.
Cette théorie avait donc l’avantage d’améliorer les relations
humaines tout en diminuant la souffrance liée aux désirs
insatisfaits.
Pour le chercheur de Vérité, c’est un peu différent. Celuici, voulant pousser cette théorie jusqu’à l’extrême, devait
supprimer toute forme de désir.
J’avais inconsciemment suivi ce principe, en France,
pendant plusieurs années, et j’en étais arrivé à une certaine
conclusion.
Le désir semblait être le moteur de la vie. Celui qui a un ou
plusieurs désirs qui le gouvernent, dispose d’une énergie
supérieure à celui qui les a éteints.
149
Si je me lève le matin sans avoir le moindre but, je suis
sans énergie, sans vitalité. J’ai l’impression que la vie se
ralentit lentement en moi et que je me dirige
progressivement vers la mort.
Par contre, je me suis aperçu qu’une forte motivation
permet parfois de soulever des montagnes. Puisque la
motivation découle de la force du désir, alors il me paraît y
avoir une certaine contradiction dans un tel principe.
L’absence de désirs mènerait donc à la mort et non pas à la
vérité. Il ne fait aucun doute qu’une personne qui n’a pas le
moindre désir, n’a même plus celui de vivre.
Alors, qu’en est-il au juste ?
J’ai mis le doigt sur un point sensible, une nuance doit se
dissimuler derrière tout cela. Si le désir gouverneur
devenait simplement le désir de connaître la Vérité. Quelles
en seraient les conséquences ?
Tout d’abord, celui qui serait dans ce cas conserverait une
énergie, une dynamique permanente qui lui permettrait de
travailler sans relâche et sans faiblir afin de réaliser son
désir ou son rêve.
Il resterait centré principalement sur ce but, en oubliant tout
le reste, ou du moins en le laissant à l’arrière plan de ses
préoccupations.
Cela aurait l’avantage de ne plus alimenter les désirs dits
inférieurs, issus de la nature animale de l’homme. Ceux-ci
ne s’éteindraient pas, mais garderaient le fonctionnement
normal nécessaire à l’équilibre du corps.
Il y aurait donc une erreur qui se serait glissée dans le
principe bouddhiste qui conseille aux hommes de ne plus
alimenter les désirs.
Erreur volontaire ou erreur de traduction, je n’essaie même
pas de le savoir. Cela n’a aucune importance. Seul le
principe découvert compte. L’essence est prioritaire sur la
150
religion. Le fond l’est sur la forme. Les écrits ne sont qu’un
essai. Ils sont là pour faire ressentir l’essence d’un
enseignement et ne doivent en aucun cas prévaloir sur cette
essence. Ils sont à son service, ils lui sont soumis.
En me référant à mon cas personnel - c’est celui que je
connais le mieux - je peux déjà tirer certaines conclusions à
la lumière de cette théorie.
A partir du jour où j’ai connu le bonheur de rencontrer mon
âme, sur son plan, je n’ai plus eu d’autres désirs que de
retrouver cet état de bien-être et de connaissance.
Tous les autres désirs étaient passés au deuxième plan, sans
que je m’en sois préoccupé.
Depuis, je n’ai plus qu’une motivation principale dans la
vie et toutes les autres découlent de celle-ci.
Que s’est-il donc passé ?
Je pense simplement avoir déplacé le centre de mes
préoccupations. Cela a suffit à mettre en veilleuse tous les
désirs inférieurs, dont la suractivité est souvent la cause
principale de nos souffrances.
Je n’ai rien fait pour aller dans ce sens et j’ai l’impression
de ne manquer de rien du tout : de ne pas subir les
privations de ceux qui choisissent la voie difficile de la
lutte contre les désirs. Lutter contre eux ne sert qu’à leur
donner de la force.
Dans mon cas personnel, je n’ai eu aucun effort à faire. Je
n’ai pas eu besoin de lutter contre une partie de moi-même;
Je ne m’en suis même pas occupé.
Mais on ne peut pas déplacer le centre de nos
préoccupations simplement en le désirant. Pour ma part, ce
fut l’expérience de mon âme et la paix intérieure que j’y ai
découverte qui sont à l’origine du changement survenu
dans ma conception de la vie. Un tel bonheur ne peut
151
jamais plus être oublié, et l’individu qui l’a connu n’aura
de cesse de le retrouver.
Cette étape est donc plus que nécessaire, elle est le salut de
l’individu.
En regardant le chemin que j’aie parcouru depuis des
années, je me dis que tout mes désirs, en réalité, n’étaient
qu’un seul et même désir : celui de retrouver le bonheur qui
passe obligatoirement par l’état de conscience du plan de
l’âme.
Je dis retrouver, car cet état, il me semble que je l’avais
toujours connu. Peut-être l’avais-je simplement oublié.
Tous les désirs de l’individu sont uniquement motivés par
le désir inconscient de retrouver cet état de bonheur.
L’erreur ne se trouve que dans les moyens utilisés pour
revenir à la source. Ceux-ci ne font, la plupart du temps,
que nous en éloigner.
Il ne faut surtout pas lutter contre sa nature animale, mais
plutôt découvrir son âme, sa nature spirituelle. Une fois
cette étape atteinte, notre nature inférieure se soumet à elle
sans problème, sans résister.
La méthode doit être douce, naturelle, non violente. Il ne
faut rien brusquer et seulement se laisser porter par le
courant.
Je crois que le retour vers la Nature est une étape
inévitable. Elle seule peut nous nettoyer de tout ce qui nous
encombre, de toutes les idées erronées que nous inculque la
société.
Ce n’est qu’une fois ce nettoyage terminé que l’essentiel de
la vie et notre nature spirituelle peuvent se révéler à nous.
Tout peut alors être analysé avec une grande lucidité car les
nuages ont été dispersés.
Un processus s’est amorcé, un chemin a été ouvert ; il ne
reste plus à l’explorateur qu’à le parcourir, le découvrir.
152
Les révélations y sont fréquentes et surprenantes, les
satisfactions nombreuses.
C’est alors que l’âme de notre Mère Nature se met à
m’enseigner :
« Tu as bien compris le fonctionnement et la nécessité des
désirs de l’homme. Je vais cependant te faire une
confidence. Depuis 2500 ans, l’homme a considérablement
évolué. A cette époque reculée et proche à la fois, peu
d’individus étaient capables de percevoir les vibrations de
leur âme. La seule possibilité de les maintenir dans la
bonne direction était alors de leur faire maîtriser les désirs.
Ce n’était pas une erreur, mais une vérité incomplète,
adaptée au niveau spirituel des hommes de l’époque.
Depuis l’incarnation du Christ il y a 2000 ans, les hommes
capables de percevoir les vibrations de leur âme sont
beaucoup plus nombreux. C’est pour cette raison que la
maîtrise des désirs n’a plus la même importance qu’avant.
Le message de notre époque serait plutôt : écoutez votre
cœur, écoutez votre âme, tout le reste en découlera. Tu es
sur la bonne voie, tu développes le discernement car tu
écoutes ton âme. »
Je ferme les yeux, pour mieux entendre les enseignements
de notre Mère. Je suis heureux d’avoir la confirmation de
mes conclusions.
Cela me donne davantage de confiance et de force. Je suis
sur la bonne voie, je le comprends. Je regrette seulement de
ne pas pouvoir garder en permanence mon état de paix et
de communion. Ce n’est certainement pas le fruit du
hasard. Il y a sûrement une forme d’exercice qu’il me faut
pratiquer régulièrement afin de retrouver cet état.
153
Rien n’est acquis, rien n’est définitif, tout est en
mouvement, tout est non permanent sur le plan d’existence
où nous sommes.
Je ne dois certainement pas mériter de conserver cette paix
intérieure en permanence. Elle est un cadeau éphémère;
C’est comme si Mère Nature me disait : « Viens avec moi,
je vais te faire goûter la paix intérieure » Et une fois que j’y
suis plongé, elle continue : « Respires la bien et souviens
t’en. Il faudra que tu apprennes à le retrouver par toi-même.
»
Celui qui a connu une telle expérience ne peut plus
l’oublier. Il parcourra la Terre entière, s’il le faut, pour la
retrouver.
Rien n’a d’équivalent en ce monde, rien ne peut s’en
approcher. Elle est l’initiation, la naissance de l’Homme,
l’instant le plus sacré de la vie. Elle est le début du chemin,
de la voie individuelle.
Un bruit me fait sursauter. Quelqu’un vient.
- Alors Richard, tu dors, tu rêves ou tu médites ?
- Bonjour Eric, tu es déjà réveillé ?
- Mes yeux se sont ouverts tous seuls à six heures. Depuis,
des tas d’idées me traversent la tête. Cela fait longtemps
que ça ne m’était pas arrivé. Certainement depuis l’an
passé, lorsque je vivais ici.
J’ai l’impression d’avoir de nouveau accès au grand
réservoir d’informations et de pensées.
- Dis-moi Eric, en France, cela ne t’arrivait jamais de
retrouver cet état ?
- Rarement, seulement quand je me rendais dans une église
de la vallée de l’Aude. Son atmosphère était tellement
empreinte de sacré et de silence qu’elle me replongeait
dans un état de méditation proche de celui qui nous habite
ici.
154
- Je me suis souvent demandé, si c’était l’île qui avait une
certaine particularité vibratoire - capable de nous plonger
dans cet état intérieur ou si cela venait de nos conditions
d’existence très sommaires ?
- Je me suis moi aussi posé cette question, Richard.
Aujourd’hui je crois avoir trouvé la réponse.
Il y a d’un côté l’île et la paix qui l’habite. Elle nous en
enveloppe, nous calme, nous apaise et nous permet de
retrouver notre âme dont nous avions oubliée l’existence.
Mais il y a aussi un autre aspect qui a une grande
importance : c’est que nous nous sommes éloignés de la
société occidentale dans laquelle la vie n’est que tensions.
Tensions dues aux problèmes qui nous assaillent
constamment et qui nous empêchent de nous relâcher tout
au long des jours qui défilent.
Les problèmes à résoudre y sont tellement nombreux qu’ils
absorbent toute notre attention. Nous nous cantonnons
alors dans un état d’esprit totalement opposé à celui que
l’on devrait avoir pour mieux communier avec notre âme.
Ici, par contre, les soucis quotidiens sont absents, et notre
pensée est libre de vagabonder où bon lui semble. La
Nature peut alors - par son pouvoir réparateur - nous
remettre sur le bon chemin.
- Donc il y a deux conditions réunies qui favorisent notre
transformation. La première est de sortir d’un système qui
nous agresse. La seconde est de mener une vie simple, près
de la Nature.
- Il y aurait un troisième point important, Richard, que nous
avons effleuré hier soir. Il s’agit de la maîtrise de nos
pensées, ou plutôt de la motivation qui dirige nos pensées.
Celles-ci doivent être orientées dans une certaine direction,
dans le but de trouver les réponses aux questions
essentielles de l’existence.
155
- Tu fais allusion à la méditation, je suppose ?
- On peut appeler cela ainsi, bien que je n’aime pas ce mot.
Il donne une image totalement passive à un exercice qui ne
l’est pas. Lorsque l’on parle de méditation, on imagine
toujours une personne assise en tailleur, les yeux fermés,
qui attend je ne sais quelle manifestation ou message de
l’au-delà.
- Et comment verrais-tu la méditation, Eric ?
- D’après mon expérience personnelle, il semblerait que la
conscience de l’homme qui s’éveille, oscille entre le plan
physique et le plan de l’âme. Tout au long de mes journées,
je reçois des impressions du monde qui m’entoure au
travers de mes cinq sens. Je perçois aussi des émotions, des
idées en rapport avec le monde physique. Puis, il y a mes
préoccupations liées à celui-ci. Cela constitue la conscience
que j’ai du triple monde physique : celui de la matière,
celui des émotions et enfin celui du mental. La plupart des
individus ne vivent qu’en ayant seulement conscience de
cette partie de l’homme et ne perçoivent l’autre dimension
de la vie - l’âme - qu’inconsciemment, pendant les périodes
de sommeil. Lorsqu’une personne découvre son âme comme cela a été notre cas - elle entrouvre la porte de
l’autre dimension d’elle même. A partir de ce moment là,
elle va chercher à affiner ce contact jusqu’à ce qu’il
devienne naturel et permanent.
Es-tu d’accord avec moi jusque là ?
- Absolument, jusque là je t’approuve totalement.
- La méditation, pour moi, serait donc tout ce qui peut me
faciliter le contact avec mon âme.
- Concrètement Eric, comment vois-tu cela ?
- J’ai analysé - comme tu as du le faire toi-même- tous les
critères qui devaient être pris en compte, et tout ce qui
156
pouvait favoriser ce contact. J’ai observé le processus
lorsqu’il se produisait et voici mes conclusions :
Tout d’abord, il semble indispensable d’arrêter le flot de
pensées qui nous traversent ou nous habitent en
permanence. Il faut se vider la tête de toutes nos
préoccupations. Il faut entrer dans le silence intérieur. Ce
n’est qu’à ces conditions que l’âme peut se manifester à
nous. Pour changer l’eau d’un bain, il faut d’abord évacuer
l’eau sale, nettoyer la baignoire, et c’est lorsque cela est
terminé que l’on peut la remplir d’eau propre. Cela semble
logique, tout le monde sait cela. Pour les pensées c’est le
même principe ; il faut vidanger tout ce qui nous encombre
la tête afin de faire de la place aux idées nouvelles.
- Tout cela est bien facile à dire, mais pour le faire c’est
tout autre chose.
- Tu as raison Richard. Heureusement, Mère Nature est là
pour nous aider. Lorsque l’on habite dans un cadre aussi
beau, aussi pur et que l’on n’a pas de soucis importants, le
silence intérieur se fait progressivement - et souvent sans
même le rechercher - et le monde de l’âme apparaît. Une
fois que la porte est ouverte sur l’autre monde, il faut y
entrer, s’y mouvoir, apprendre à trouver les réponses aux
questions que l’on se pose. Il faut aussi comprendre qui
nous sommes et quel chemin nous devons suivre dans la
vie. Comme le contact avec l’âme n’est pas toujours
évident à réaliser, il faut trouver un fil d’Ariane afin d’y
revenir facilement.
- C’est ce fil que j’appelle la méditation.
- Nous sommes d’accord, Richard.
Eric et Richard aimaient comparer leurs découvertes, leurs
conclusions sur les sujets les plus divers touchant l’homme,
l’âme, la santé, l’équilibre psychologique et les religions.
157
Ils étaient d’accord, la plupart du temps, sur les principes
essentiels, mais divergeaient souvent dans la manière
d’approcher les sujets. Ils pensaient que cet état de choses
était dû à la différence des perceptions de chacun d’eux. La
Vérité est toujours Une, mais chaque individu la voit au
travers de sa personnalité et de ses expériences passées.
Un objet observé sous plusieurs angles peut apparaître très
différent pour chacun des observateurs, mais n’en demeure
pas moins le même objet. Seule la perception de celui-ci est
variable, l’objet lui, reste identique.
Comparer leurs expériences réciproques ne les faisait pas
avancer davantage sur le chemin de la Vérité, mais cela
renforçait leurs convictions et leur foi.
Le chemin intérieur - ils le savaient bien - est un chemin
individuel, que chacun parcourt dans la solitude.
Cependant, ils étaient très heureux de poursuivre un but
identique, ils se sentaient un peu moins seuls. Ils avaient
l’impression - lorsqu’ils échangeaient leurs idées - de
refaire le monde et cela avait le pouvoir de stimuler leur
imagination. Ils rêvaient le monde de demain, un monde où
chacun aurait sa place, un monde où la vie coulerait
doucement en tenant compte des aspirations de l’âme
humaine. C’est au cours de telles spéculations, qu’il arrive
parfois que l’âme de la Terre révèle aux hommes une
image du futur conforme à son idéal. Ceux-ci ne cesseront
alors de travailler afin de donner vie à cette image - en
s’oubliant eux-même - dans une joie indescriptible. Chacun
d’eux oeuvrera à son niveau, sans se soucier du résultat
immédiat. Une seule chose aura de l’importance : aller dans
le bon sens, celui du salut des hommes, celui de la paix
intérieure.
Ils deviendront alors des créateurs, des visionnaires.
L’onde porteuse, sur laquelle ils se déplaceront dans la vie,
158
leur permettra de survoler le monde matériel et ses
exigences. Celui-ci n’aura plus pour eux qu’une seule
fonction : être au service de leur projet, de leur
construction.
Ils seront, durant toutes leurs vies, incompris par les
hommes. Ils seront même rejetés à cause de leurs idées qui
dérangent. Ils sont venus pour briser les chaînes de
l’ignorance et y mettront toute leur énergie.
Rien ne comptera pour eux que d’aller dans le sens
pressenti. Ils y trouveront leur substance, leur raison de
vivre et tout le reste n’aura plus aucune importance.
Eric et Richard avaient un jour mis le pied sur ce chemin.
Ils se sentaient attirés vers une direction sans savoir ce
qu’ils y trouveraient. Peu importe, ils étaient animés par
une conviction profonde et inébranlable d’être sur le
chemin de la Vérité.
Il n’y avait aucune logique à cela. La logique ne fait pas
partie de ce monde-ci, ou alors faudrait-il connaître les
desseins de Dieu. C’est pour cette raison que la science ne
pourra jamais connaître Dieu. Elle utilise les mauvais outils
: le mental, la logique.
La logique des fourmis n’est pas celle des hommes et celle
des hommes n’est pas la logique de Dieu.
Celui qui cherche à capter les émissions de télévision avec
un poste radio peut y passer toute sa vie sans obtenir le
résultat espéré, et cela même s’il est un expert dans ce
domaine.
Pour réussir cette entreprise, il faut respecter les deux
conditions suivantes :
Tout d’abord construire un récepteur capable de produire
l’image et le son. Ensuite, il faudra qu’il puisse capter
d’autres gammes de fréquences que celles de la radio.
159
Le processus est le même pour l’individu qui cherche le
contact avec l’âme. Il doit fermer ses cinq sens et son
mental inférieur, et chercher à percevoir d’autres
fréquences par l’intermédiaire de son intuition.
Il doit s’éloigner de la conscience objective afin que celleci ne constitue plus une barrière, empêchant les perceptions
intérieures de remonter au niveau du conscient.
Richard et Eric passaient de longues heures, chaque jour, à
parler de leurs expériences, de leurs perceptions, de leur vie
intérieure. Puis, un jour, ils s’aperçurent que de telles
discussions les vidaient progressivement de leur substance.
Leurs expériences se faisaient de plus en plus rares, et
finalement cessèrent. Alors, ils décidèrent, d’un commun
accord, de ne plus essayer de se transmettre ce qu’ils
vivaient intérieurement, de garder cela pour eux. Ce serait
leurs jardins secrets, un lieu où personne n’aurait la
permission de pénétrer.
Une voie intérieure ne peut être qu’individuelle. Chercher à
comparer ses expériences avec autrui n’a pour résultat
qu’une perte de temps et la diminution de la foi en ses
propres possibilités.
Bien que tous les chemins aboutissent au même endroit, ils
demeurent tout de même très différents. Les comparer
pourrait faire apparaître de grandes contradictions et semer
le doute dans la tête de chacun.
La parole ne doit pas être utilisée en excès, sous peine de
vider l’individu de son énergie intérieure. Elle doit être
contenue le plus souvent possible. Parler, c’est extérioriser
les idées qui sont en nous ; trop parler c’est se vider de
toutes les pensées qui forment notre individualité
psychique.
160
Ils prirent donc davantage d’indépendance mais
continuèrent, cependant, à pratiquer ensembles certaines
activités , comme la plongée et la pêche.
Leur relation amicale devait être préservée et ne devait en
aucun cas devenir routinière.
Alors, Richard loua pour une semaine le voilier d’un
pêcheur du village et partit avec Noï sur la grande bleue. Il
désirait visiter les nombreuses îles de la région et se
retrouver avec lui-même. Noï, qui adorait la mer, fut ravie
de cette initiative. Elle aurait, comme elle disait, son mari
pour elle toute seule pendant une semaine entière.
Le jour commence à pointer son nez, timidement. L’aurore
permet encore de voir briller les étoiles dans le ciel infini.
Chaque matin nouveau est une renaissance de la nature et
de soi-même. Je détache le bout que relie l’embarcation à
un cocotier et hisse l’unique voile.
Le vent léger nous éloigne lentement de la côte.
Tout le monde dort encore. Seul le chant des coqs vient
ébranler le silence, vestige de la nuit.
Je tiens la barre et louvoie entre les pâtés de corail que Noï,
debout près de la proue, me signale en montrant du doigt.
Encore quelques mètres et tous dangers seront écartés.
Notre île, à cette distance, parait vraiment minuscule ; une
perle de paix posée sur l’océan.
Je réalise que j’y ai passé près de huit mois sans jamais
m’en lasser. Seules quelques escapades à Tran étaient
venues ponctuer mon séjour.
Aujourd’hui est mon premier vrai départ. Une petite
semaine loin de mes habitudes et de mes repères. Une
semaine pour me faire voir notre vie sous un angle plus
vaste, et pour goûter à une solitude encore plus grande.
161
Nous gardons le silence. Aucun de nous deux n’éprouve le
besoin de parler. Seuls les quelques claquements de voile et
le clapotis des vagues sur l’étrave nous font ressentir la
paix qui nous habite. Nous passons au large de la pointe
Nord de l’île. Le voyage est maintenant vraiment
commencé. Le vent est un peu plus soutenu. Il lève une
légère houle qui fait tanguer le bateau. Il réagit très bien,
gîte légèrement et donne, par moment, des coups de reins
comme un jeune étalon.
Je modifie sensiblement notre cap et choque l’écoute de la
voile.
Noï vient s’asseoir tout près, ce n’est pas bien difficile à
comprendre : « Enfin seuls tous les deux».
Mon petit chat est parfois un peu égoïste ; il voudrait que
nous soyons ensemble tout le temps et que personne ne
vienne s’interposer entre nous. Cette attitude est un peu
excessive mais elle a un côté très agréable : celui de se
sentir aimé.
La température est très douce. Le vent nous rafraîchit et
finit de nous réveiller d’une nuit de sommeil bien trop
courte : Nous nous sommes couchés très tard, afin de
préparer tout le matériel nécessaire à notre voyage. Il devait
être solidement arrimé afin de ne pas le perdre en cas de
chavirement, où tout simplement pour éviter qu’il se
déplace dans une mer trop formée.
Puis il y a eu un sommeil agité, des rêves de départs
manqués et de naufrages, et un réveil définitif à quatre
heures trente du matin.
Maintenant, tout est redevenu calme et paix. Un couple de
dauphins nous escorte à une vingtaine de mètres sur notre
droite. Ils nagent tranquillement et ne prêtent, semble-t-il,
aucune attention à nous. Nous sommes simplement des
compagnons de voyage.
162
J’ai l’impression de partir faire le tour du monde et cela me
donne un sentiment de liberté sans limite. Je comprends ce
que doivent ressentir les vagabonds des mers lorsqu’ils
lèvent l’ancre le matin du départ.
Je repense à Jean-Claude qui doit être quelque part entre les
Canaries et les Antilles. Il a beaucoup de courage, le
courage de vivre sa vie. Une vie d’aventure, d’incertitude,
celle d’un enfant qui refuse de devenir un adulte débile
ayant perdu la foi. Un être totalement libre et heureux de
gaspiller ses journées comme bon lui semble, sans se
soucier du qu’en dira-t-on ni du jugement de tous les
coincés de la vie.
Il va où le vent de son âme le pousse. Il accomplit deux
voyages simultanément : celui qui passe par toutes les mers
du globe, mais aussi et surtout le voyage intérieur, pendant
lequel il apprend à connaître son être dans les moindres
détails, les moindres recoins. Il prend conscience de tous
les mécanismes subtils du mental humain. Il réalise
comment celui-ci nous bâtit les pièges dans lesquels nous
nous prenons.
La liberté, la vraie, se rencontre dans des moments aussi
intenses que ce départ matinal. Seuls une minorité
d’occidentaux peuvent comprendre cela : les artistes, les
aventuriers, les indépendants, les rêveurs, les enfants. Les
autres croupissent dans leur prison dorée. Ils n’ont jamais
goûté aux embruns, au vent du large. La société leur a fait
croire que l’on ne pouvait être heureux que dans cette
prison dorée, et eux, ils ont fait tout leur possible pour s’en
convaincre.
Je les entends parler de ceux qui sont libres, avec un certain
dédain, du mépris même. « Ce sont des fous, la mer est
dangereuse et les naufrages nombreux. Ils vivent sans le
moindre confort. Ils n’auront pas de retraite. Ils n’ont
163
aucune assurance sociale. Ce sont des clochards, des
parasites. »
Mais les hommes libres perçoivent rarement leurs voix et,
lorsqu’ils les entendent, ils ne les jugent pas et prient pour
eux. Ils demandent à Dieu de les sauver de leur bêtise. Et
Dieu répond à la prière. Il dit : « Je ne peux rien pour eux,
je suis au septième jour de la création et je me repose.
Seuls les hommes doivent travailler ce jour là ; mais eux,
ils dorment. La seule chose que je puisse faire pour eux,
c’est de les réveiller. Mais comme ils ont le sommeil trop
lourd, seule la souffrance peut accomplir cette tâche. Alors
je leur envoie mes guerriers pour les tourmenter, afin de les
aider contre leur gré ; mais eux me maudissent, pensant que
je suis injuste. Ils refusent de grandir, mais il n’ont d’autre
choix. »
« Partir, dit-on, c’est mourir un peu ». Je dirais que c’est
pour mieux renaître. Le départ implique l’abandon de tout
ce que l’on possède, ou presque ; mais on ne doit pas
commettre l’erreur de reconstruire le même schéma
ailleurs.
Le départ est une opportunité, une occasion à ne pas
manquer de se dépouiller du superflu encombrant. C’est
une grande lessive, un nettoyage salutaire, une bénédiction.
L’homme n’a pas une nature sédentaire ; il est un
aventurier. Il croit qu’il est heureux dans sa prison dorée,
mais il ne l’est pas. La nuit, lorsque mon âme vagabonde
dans le ciel infini, j’entends ses cris de désespoir s’élever
de la terre. Je perçois ses pleurs, ses lamentations. Il se
rend compte qu’il est enfermé et implore la lune - qu’il voit
briller au travers des barreaux - de l’aider.
164
Il pleure, il souffre, il prie. Il réclame la délivrance, même
si celle-ci doit-être douloureuse. Il l’accepte sans aucune
condition, sans hésitation.
Puis vient le matin, le soleil annonçant une journée
nouvelle et le réveil dans le corps de chair. Le souvenir de
la prière - bien qu’inconscient - persiste encore quelques
instants, puis disparaît définitivement. Alors il revêt les
habits de ses vieilles habitudes et repart sur le chemin de
routine.
Mais aujourd’hui sera différent, car la lune va exaucer sa
prière nocturne. Un des guerriers de Dieu va croiser sa
route et ébranler son existence. Il va beaucoup souffrir,
mais il va aussi se réveiller. Il va maudire le ciel, mais peu
importe, il remerciera plus tard. Dieu va lui donner la
possibilité d’accomplir le destin qu’il réclame toute les
nuits.
Le vent a légèrement faibli mais le voilier avance à bonne
allure. J’ai amarré la barre avec un bout et constate que
nous gardons un cap correct. Je ne suis donc plus de corvée
de pilotage et peux aller m’asseoir à l’ombre de la voilure.
Noï se réveille, me sourit et s’étire longuement. Elle réalise
tout à coup que je ne suis plus à mon poste - bien que le
voilier poursuive sa route. Elle se retourne brusquement et
constate qu’il n’y a aucun fantôme à la barre. Cela la fait
rire. J’aime son rire, il embellit toutes les situations.
- Di lew, rao kin café dué kan daï, dit-elle. C’est bien, nous
pouvons boire le café ensemble.
Puis elle ouvre le thermos et en verse dans nos tasses en
plastique.
Les mouvements du bateau rendent sa dégustation
périlleuse, mais quel délice ce café de Chiang Maï.
165
La mer est encore recouverte d’une légère brume neigeuse.
Comment peut-on vivre sans elle ? Sans son odeur iodée,
sa fraîcheur, son immensité.
En elle, le temps s’arrête ; je n’ai plus le désir de penser ;
tout mon être est immobile. Il n’aspire plus à rien, il est
dans le silence. Il vibre sur la mélodie que la mer joue pour
lui. Vouloir expliquer mon état intérieur signifie le détruire
en partie. Il est du domaine de l’abstrait, du non manifesté.
Il est d’un autre monde.
Comment décrire cette paix intérieure ? Cela est
impossible. Ou alors faudrait-il la faire ressentir. C’est cela,
faire ressentir et non plus vouloir expliquer. Raconter la
mer, la douceur de vivre, mon île, les cocotiers, les
poissons multicolores et ma merveilleuse petite femme.
Habiller cette vibration avec des mots, des phrases. Les
laisser couler, les laisser s’échapper de moi comme un trop
plein. J’y suis, il s’agit bien d’un trop plein, car je ne peux
tout contenir. Tout doit s’écouler à travers moi. Je dois être
un conduit entre le monde de l’âme et le monde physique.
Je ne puis tout garder pour moi ; je dois laisser se déverser
cette musique afin qu’elle puisse mieux être captée par
ceux qui sommeillent dans leurs vies. La rendre mieux
perceptible aux autres. Je suis une sorte de relais, de réémetteur d’ondes radio.
Noï chante sa chanson d’amour préférée. Sa voix douce et
mélodieuse rend l’instant encore plus magique. Elle semble
toujours heureuse. Le bonheur, elle ne l’a jamais appris,
elle a toujours vécu auprès de lui, elle ne connaît que lui.
Elle n’imagine même pas que l’on puisse vivre en son
absence.
166
Elle est née pure et elle l’est restée. Elle a toujours refusé
de partir travailler dans une grande ville pour gagner
beaucoup d’argent. Cela ne l’a jamais intéressé.
Elle se contente simplement de vivre. De faire ce qu’elle a
envie de ses journées, sans se soucier du futur.
Elle vit dans le jardin d’Eden et elle y est bien. Pourquoi
voudrait-elle autre chose ? Dans ce jardin, j’y ai vécu toute
mon enfance. Je l’aimais tant. Puis, un jour, j’en suis sorti
afin de voir si à l’extérieur c’était aussi beau. J’ai pris
l’habitude de vivre sans lui, et ensuite, j’ai fini par
l’oublier.
Maintenant que je l’ai retrouvé, je ne désire plus le quitter.
Je ne veux plus commettre la même erreur que dans le
passé. Je suis rentré enfin chez moi.
167
Chapitre IX
Déjà plusieurs îles sont posées sur l’horizon. Elles ne sont
pas à une grande distance les unes des autres, ce qui permet
de naviguer sans matériel sophistiqué. Ici, inutile de faire le
point - d’ailleurs j’en serais incapable - il suffit de mettre le
cap sur l’île que l’on désire visiter.
Noï m’indique celle qui serait, d’après elle, une des plus
belles. Encore une petite heure et nous pourrons débarquer
et surtout prendre une repas consistant. Mon estomac crie
famine. Nous n’avons encore rien mangé aujourd’hui, bien
qu’il soit près d’une heure de l’après-midi.
Noï écaille le poisson que nous avons attrapé à la traîne. Il
doit peser près de 3 kg et fera aussi bien notre repas de
midi que celui du soir.
Nous ne sommes plus qu’à quelques minutes de la pointe
Sud de l’île. Noï me fait passer assez loin de la côte, afin de
garder une distance de sécurité par rapport aux récifs. Ils se
trouvent à fleur d’eau dans ces parages.
Puis, en un instant, l’île nous apparaît dans toute sa beauté
sauvage. Une anse s’enfonce profondément en son cœur.
Elle se termine par une magnifique petite plage dont le
sable est d’un blanc immaculé. Elle sera notre première
168
escale. Nous glissons lentement entre deux parois
rocheuses verticales.
Le vent est pratiquement inexistant, mais la voile est
suffisamment gonflée pour nous emmener à destination.
La mer est totalement lisse dans la petite crique. Elle est
comme un miroir. Sur notre gauche coule une petite
cascade. Elle se jette dans la mer d’une hauteur de cinq ou
six mètres.
Les oiseaux sont nombreux à habiter dans les cavités
creusées par l’érosion dans les parois abruptes. Leurs cris
résonnent en de nombreux échos et rendent le lieu un peu
inquiétant.
L’eau est d’un vert émeraude. Elle est d’une limpidité que
je n’ai jamais vue ailleurs. Même notre île bien aimée ne
peut rivaliser de beauté avec celle-ci.
Les poissons sont innombrables, il y en a des milliers. Je
n’en ai jamais observé autant à la fois. C’est sur un
véritable aquarium que nous nous déplaçons.
Nous zigzaguons entre les pâtés de corail rendus visibles
par la transparence de l’eau. Encore quelques mètres et le
bateau s’immobilise sur le sable. Noï saute dans l’eau et va
attacher un bout au cocotier le plus proche. Pendant ce
temps, j’affale la voile et la ferle par simple sécurité.
Ça y est, nous y sommes. Les manœuvres d’accostage étant
terminées, la tension nerveuse se relâche et je peux enfin
admirer la beauté du lieu dans son ensemble.
Aucune trace de vie, ni de maison. L’île est totalement
déserte. Nous passerons le reste de la journée et la nuit ici.
Nous pourrions même y passer plusieurs jours sans
problème. Il y a de l’eau en abondance, nous avons une
bonne réserve de riz et le poisson ne manque pas.
Quelle merveille ! Dieu s’est surpassé en créant cette île.
Elle ne semble pas de ce monde. Nous avons débarqué sur
169
une autre planète, inconnue des hommes. Tout est beauté et
harmonie. Nous sommes au Paradis.
L’anse ne doit pas mesurer plus de cent mètres de large. La
plage en occupe tout le fond. Les cocotiers, bananiers et
papayers y sont nombreux. Nous ne manquerons pas de
fruits non plus.
Je prépare le feu pendant que Noï débite le poisson en
tranches. Puis, je vais ramasser quelques fruits pour
compléter notre repas.
L’odeur du poisson grillé se répand sur toute la plage. Noï
arrose de temps en temps les darnes avec une sauce de sa
composition ; citron vert, eau, sauce poisson, ail et piment.
Cela évitera qu’il soit trop sec tout en le parfumant.
Le repas sera copieux et bon marché : poisson grillé, riz,
bananes et papaye pour dessert, eau de coco vert comme
boisson.
Il est près de quinze heures lorsque notre repas se termine.
Je suis rassasié. J’ai mangé plus que j’aurais du. Une petite
sieste à l’ombre des cocotiers s’impose. Noï ne se fait pas
prier non plus. Nous nous installons sur la natte, l’un contre
l’autre, heureux et fatigués, comme des enfants ayant joué
à Robinson Crusoé toute la journée.
En observant les cumulus ventrus qui passent dans le ciel,
je sens mes paupières se fermer contre ma volonté. Le
sommeil vient nous cueillir, nous ne résistons pas, il est le
bienvenu.
Déjà des images se forment derrière mes paupières : des
paysages aux couleurs sublimes. Des teintes que je ne
connais pas. Tout est lumière. L’atmosphère est bleutée,
d’un bleu lumineux, transparent, irradiant. Elle
m’enveloppe d’une paix d’ouate d’où je ne désire plus
sortir. Je n’ai plus qu’à me laisser aller, qu’à perdre
conscience. Je flotte ou je vole, je ne sais plus, je…
170
- Richard ! Richard !
Je me sens secoué mais je n’ai pas envie d’ouvrir les yeux.
Je suis tellement bien et tellement fatigué. Qu'y-a-t-il
encore ? Pourquoi ne me laisse-t-on pas dormir ? Je
voudrais encore en profiter un moment, laissez-moi.
Je suis réveillé par une sensation d’eau fraîche qui coule
sur mon visage. J’ouvre les yeux.
- Richard, Pen alaï ? Richard, qu’est ce que tu as ?
J’ai des difficultés à reprendre conscience. Je me sens
poisseux.
Noï me regarde, inquiète. J’esquisse un léger sourire qui ne
suffit pas à la rassurer.
- Sabaï di tilak. Ça va bien ma chérie.
Il me faut plusieurs minutes pour retrouver toute ma
mobilité. Je me lève lentement et regarde vers le large. Le
soleil est bien bas.
J’ai dû dormir trois bonnes heures, dont une bonne partie
au soleil - l’ombre s’étant déplacée. Mon cœur bat
anormalement vite. Mes vaisseaux doivent être
complètement dilatés.
Un bon bain me remettra d’aplomb.
Je rentre dans l’eau lentement, Noï m’accompagne. Des
frissons parcourent mon corps encore engourdi. Noï reste
près de moi, m’observant discrètement. Ses inquiétudes
semblent se dissiper. Elle nage en apnée, resurgit devant
mon visage, m’enlace, m’embrasse.
Je nage en direction du large. Elle passe dans mon dos,
attrape mes épaules et se laisse porter.
Les poissons nous entourent ; ils nous observent parfois de
très près, sans la moindre crainte. Certains viennent nous
picorer la peau lorsque nous restons immobiles l’espace de
quelques secondes. Même les poissons-perroquet se
171
laissent approcher. Ils ont une taille bien supérieure à ceux
que j’ai l’habitude de croiser dans les eaux de notre île.
Peut-être que personne n’est venu pêcher par ici depuis
longtemps : cela expliquerait leur grosseur peu courante.
Le soleil va bientôt se coucher. Il est dans l’axe de la
crique dont il éclaire encore le fond.
La lumière qu’il rayonne donne à la végétation des
couleurs nuancées variant du vert clair au vert foncé, puis
au jaune et jaune orangé.
Il semble maintenant entrer dans l’eau et la colore jusqu’au
fond de l’anse.
Nous nageons dans une mer écarlate. Les cigales chantent
leur dernier couplet avant de prendre un repos bien mérité;
Nous les retrouverons demain.
Puis c’est le silence. Un silence presque inquiétant. Nous
devons sortir de l’eau au cas où il y aurait des requins.
Nous savons qu’ils se nourrissent la nuit : pas
d’imprudence.
La nuit est presque totale lorsque nous nous retrouvons sur
le sable. Elle tombe rapidement sous les tropiques : encore
une dizaine de minutes et c’est le noir complet. Les
moustiques sont affamés en ces lieux. Il faut vite allumer
un feu pour nous éclairer, mais aussi pour éloigner ces
insectes voraces. Ils ont horreur de la fumée et c’est une
chance pour nous. Sans cela, ils nous pomperaient tout
notre sang l’espace d’une nuit.
Nous mettons aussi le feu à de la bourre de coco, aux
quatre coins de notre campement. De cette manière nous
aurons la paix.
Il n’existe aucun paradis sur terre, je dois me rendre à cette
évidence. Même cet endroit merveilleux a un inconvénient
: ces ignobles insectes.
172
Je ne vais tout de même pas me plaindre. Il s’agit d’un
problème minime, d’autant plus que nous avons emmené
notre bonne et chère moustiquaire et qu’il y a suffisamment
de noix de coco sèches pour faire de la fumée pendant
plusieurs semaines.
Le vent est totalement tombé. Les colonnes de fumée
montent à la verticale. Étrange spectacle que de nous voir
assis au milieu de ce cercle de feu. Un observateur pourrait
très bien imaginer que nous sommes en train de pratiquer
une forme de magie Vaudou ou autre.
La scène est vraiment pleine de mystère. Je décide de
l’immortaliser à l’aide de mon appareil photo - que je
n’utilise pas aussi souvent que je le devrais.
Le repas du soir sera le même que celui de midi, à part
peut-être le dessert : bananes grillées dans leur peau,
agrémentées d’un peu de lait de coco et de sucre, une fois
la cuisson terminée.
La nuit est peuplée d’innombrables animaux qui doivent
dormir durant la journée. Ils profitent de l’obscurité pour
sortir, se croyant à l’abri de tous dangers. Ce soir, ils se
sont donnés le mot pour composer ensemble une mélodie.
Certainement en notre honneur, du moins c’est ce que
j’essaie de faire croire à Noï sans trop y parvenir.
Cette mélodie est souvent troublée par les cris d’oiseaux
nocturnes ou par ceux de quelques singes qui habitent la
falaise.
Nous leur répondons parfois, en imitant leurs cris. Si je
devais qualifier la nuit sur cette île en un mot, je dirais :
étrange ou bien mystérieuse.
Le repas terminé, il est encore trop tôt pour dormir. Alors
Noï m’apprend une chanson en Thaï. Je répète après elle
chaque phrase, puis je les entonne. Ma prononciation est
173
loin d’être parfaite, ce qui la fait partir dans d’interminables
éclats de rire.
Cette soirée est totalement irréelle, elle ne semble pas
appartenir à notre époque. Elle est d’un autre temps, d’une
autre dimension. Le feu de camp a le pouvoir d’élever nos
pensées. Il est comme le feu des alchimistes, il transmute
tout ce qui est à son contact.
Je me demande ce que je fais sur cette terre. Je n’ai pas
l’impression d’être de cette planète. Cette vie est
simplement le reflet d’une autre, beaucoup plus réelle que
celle-ci. Pourtant, je me suis attaché à ce coin de l’Univers.
Je l’aime profondément. La mer, les îles, la végétation
tropicale, les Thaïlandais et Noï, dont je suis fou amoureux.
Tout cela emplit mon cœur de joie et de bonheur.
S’il existe une autre vie, comme je le pressens, dans une
autre dimension de l’univers - ou de mon être, ce qui est du
pareil au même - je ne suis pas pressé d’y retourner. Je dois
plutôt essayer d’amener la réalité de l’autre monde dans le
nôtre et, un soir comme celui-ci, je suis convaincu que cela
est possible et j’y crois fermement.
Étrange mutation que celle qui se déroule en moi depuis
quelques mois. J’ai d’abord fui le monde, pour essayer de
mieux me connaître, ensuite j’ai recherché la paix et le
bonheur dans une autre dimension - celle de l’âme - et
maintenant, la chose que je désire le plus, c’est ramener ce
que j’y ai trouvé dans le monde des hommes.
Je veux rendre concrètes mes perceptions intérieures, je
veux matérialiser mon rêve, ou plutôt celui de l’âme de
notre Mère la Terre. Je veux participer à cette oeuvre
gigantesque, même si je ne suis qu’une goutte d’eau dans
l’océan. J’y trouve une joie sans limite et le sentiment
d’être à la bonne place.
174
Si j’écoutais mon mental, il me dirait que c’est le rêve d’un
fou, que peu d’hommes veulent ce changement et qu’ils se
trouvent très bien dans leur gangue. Ils désirent seulement
avoir un peu plus d’argent et de confort. Ils ne se
préoccupent que d’eux-mêmes. Ils ont perdu la foi en toute
chose et se sont fermés aux perceptions intérieures. Ils
pensent que l’être sensible, qui sommeille en eux, est un
être faible et qu’il vaut mieux, dans ce monde, être froid,
dur et fort pour survivre.
Si l’on demandait aux hommes ce qu’ils désirent le plus,
une très grande majorité ne penseraient qu’à l’aspect
matériel de la vie : avoir une belle maison, une superbe
voiture, une résidence secondaire et un compte en banque
bien rempli.
Il ne reste donc qu’une minorité de gens qui désirent
vraiment un monde meilleur. Certains ont confiance en eux
et en leur perception du futur. Ils ont une conviction
profonde d’être sur la bonne voie et n’ont pas peur de se
marginaliser pour se préserver. Mais d’autres se cherchent
encore, ils sont sans cesse ballottés entre les mondes
extérieur et intérieur et ont besoin d’avoir plus de confiance
en eux. Il ne manquerait qu’un déclic pour qu’ils se
trouvent vraiment, pour qu’ils aient le courage de
reconsidérer leurs vies et fassent les transformations
nécessaires à leur épanouissement.
C’est à ceux-là que j’aimerais communiquer mon
expérience. Elle prendrait peut-être résonance dans le cœur
de certains. Il ne s’agirait pas de leur faire croire que le
bonheur n’existe que sous ces latitudes, mais seulement de
leur faire prendre conscience que l’on peut vivre autrement.
D’une manière plus indépendante sur le plan de la pensée,
mais aussi sur le plan matériel.
175
Le message serait : « Sauvez votre peau, sauvez votre âme,
il en est encore temps. »
Ce soir, j’éprouve un désir sans limite de communiquer
avec ceux qui ont besoin d’un coup de pouce pour changer
de vie. Je vais reprendre mon livre de bord et sélectionner
les écrits qui pourraient servir à la rédaction d’un ouvrage.
Ce sera certainement le récit de mon aventure dans les îles,
mais aussi de mon aventure intérieure.
Les photos devront y être nombreuses, afin de pouvoir faire
rêver le lecteur ; le rêve sera indispensable pour qu’il sorte
de sa bulle mentale, de sa prison dorée.
Ce qui habite mon cœur, je ne peux plus le garder pour
moi, il faut que je le communique, sans quoi, tous
redeviendrait comme avant.
Je vais donc continuer à écrire et, en plus, je prendrai de
nombreuses photos de notre voyage en voilier, des îles, des
plages, de la mer.
Les photos seront un support et même un tremplin pour
l’imagination du lecteur. Elles seront le fil conducteur ;
elles feront ressentir les vibrations de l’âme de la nature.
Nul ne peut rester éternellement insensible à la beauté de
notre paradis terrestre.
Allongés sur notre natte, nous contemplons la voûte
céleste. Elle nous enchante vraiment, elle nous donne le
vertige. J’essaie d’expliquer à Noï ce que sont les étoiles.
Elle ne s’était jamais posé la question. Elle n’avait pas eu
besoin, jusqu’à ce jour, de mes explications pour les aimer.
Elle ne me croit pas vraiment lorsque je lui dis que ce sont
des soleils, des systèmes solaires et des planètes comme
notre Terre qu’il y en a des milliards.
Elle se moque de moi, croyant que je lui raconte des
histoires. Tu parles trop, me dit-elle.
176
Elle préfère regarder que comprendre. Devant une telle
splendeur, la plus grande des théories s’efface pour laisser
la place au silence.
- Tu as raison, ma chérie, c’est toi qui es dans le vrai. A
force de parler du ciel, on en oublie la beauté. Toi, tu l’as
toujours su, moi, il a fallu que je le réapprenne. Ce soir, un
bonheur immense m’habite et je comprends pourquoi : je
contemple ma vie et tout ce qui m’entoure du haut de la
montagne où se situe mon âme. De ce point de conscience,
j’ai suffisamment de recul pour ne plus m’impliquer dans
les problèmes d’ordre mineur. J’aperçois l’essentiel,
l’essence en toute chose et toute situation.
Pour accéder à cet état de paix et de silence intérieur, il m’a
fallu gravir la montagne. J’ai peiné, marché, souffert, mais
je m’élevais chaque jour davantage au-dessus des
problèmes dans lesquels je m’étais englué tout seul, audessus du brouillard de l’illusion.
Aujourd’hui, ma vision est claire et je suis surpris de
constater comme tout est simple, presque trop simple. C’est
le mental calculateur de l’homme qui lui complique tant la
vie.
Il crée mentalement un futur dans lequel il sera - d’après lui
- comblé et heureux. Son erreur est de ne pas avoir une
vision claire de son existence. En agissant de cette manière
- sans avoir une connaissance suffisante de lui-même - il
fabrique les pièges dans lesquels il va se prendre tout seul.
En occident, nous pensons à tort que le mental développé
chez un être humain est un signe d’évolution. Nous avons
même trouvé le moyen d’évaluer le quotient intellectuel
afin de sélectionner les meilleurs éléments dans ce
domaine.
Nous n’avons pas encore compris que le mental est
simplement un outil de synthèse. Il permet d’effectuer des
177
opérations du même type que celles réalisées par les
ordinateurs.
Déjà, aux Etats-Unis, on entend parler du quotient
émotionnel. Il serait l’aptitude qu’aurait un individu à
s’adapter à une situation nouvelle. C’est déjà un progrès.
L’intelligence, la vraie, est celle qui se trouve sur le plan de
l’âme humaine. Elle est une source inépuisable de
connaissance. Elle est « LA SOURCE. »
En voulant construire un futur adapté à nos désirs, nous
vivons en permanence loin du présent.
Le futur, nous n’avons pas à le créer, car c’est le travail de
notre Mère Nature. Elle sait ce qu’il y a de mieux pour ses
enfants et elle nous le donne. Mais nous, les gamins
désobéissants, nous n’écoutons rien et ne voulons en faire
qu’à notre tête. Alors notre Mère, pleine d’amour pour
nous, nous laisse faire nos bêtises. Elle sait que nous en
retirons des leçons, ou du moins, elle l’espère.
Du haut de ma montagne, je peux discerner tout cela et
bien d’autres choses. Tout mon corps vibre à l’unisson
avec les lois de l’Univers. Je n’ai plus aucun désir, à par
celui de participer à la création du monde de demain : celui
que notre Mère a préparé pour nous. Tout cela en vivant au
présent, intensément. Je peux écrire un livre pour faire
profiter les autres de mon expérience, mais je peux aussi ne
rien faire du tout. Me contenter « d’être » sans rien faire. Je
deviendrai alors un ré-émetteur des ondes émanant de
l’âme terrestre. Je les rendrai plus accessibles aux autres.
Les influencer par rayonnement, inconsciemment.
Nous sommes les cellules d’un même corps qu’est
l’humanité. Nous sommes interdépendants les uns des
autres. Toute action constructive, tout travail réalisé sur luimême par un individu, profitent au reste de l’humanité.
178
L’important est « d’être. » Faire ou ne pas faire est
secondaire et personnel. C’est à chacun de ressentir
comment il peut vraiment manifester ce qui vient de
l’intérieur de lui-même. Il faut absolument éviter l’excès
d’enthousiasme qui a souvent pour résultats, un manque
total de tolérance et le désir ardent d’imposer ses idées,
sous prétexte qu’elles sont bonnes pour tous et qu’elles
sont nobles
Être, être, être et rien d’autre. Baigner dans cette paix
intérieure, s’y complaire et attendre le moment où se
manifestera à nous une idée. L’idée. Alors nous réaliserons,
l’espace d’un instant, ce pourquoi nous nous somme
incarnés. Notre rôle et notre utilité. Le moyen par lequel
nous pourrons transmettre l’onde, la vibration de l’âme
universelle.
Tout se fera d’un seul coup, dans un domaine qui était
insoupçonnable la veille. Cela nous paraîtra même
impossible au début.
Il s’agira de la révélation, de notre voie personnelle. Elle ne
sera pas un but en elle-même, mais un moyen. Elle
annoncera le début du chemin et non sa fin. A partir de cet
instant nous saurons où nous devons aller et ce que nous
devons faire. Par contre, nous ne serons pas du tout à quel
endroit aboutit le chemin. Peu importe, désormais nous ne
perdrons plus de temps à douter et à zigzaguer dans la vie.
Nous marcherons avec une conviction et une foi
inébranlable. Nous travaillerons à créer, à rendre notre
vision accessible à ceux qui sont en résonance avec nous.
Tout cela dans la paix du cœur et à un rythme lent et
constant. Un travail de fourmi qui pourrait paraître
dérisoire aux yeux du profane, mais un travail de fond, un
travail de profondeur, un travail sur l’âme des hommes et
sur la nôtre.
179
Cela sans se préoccuper du résultat qui tarde parfois à
apparaître. Celui qui crée n’a pas besoin d’être approuvé,
d’être aimé. Il manifeste ce qui vit en lui et c’est tout. Il ne
s’identifie pas à son oeuvre car elle ne lui appartient pas.
Elle vient de l’autre monde pour être vue ou lue. Elle vient
parce qu’elle devait venir. Elle nous a utilisé, mais elle
aurait pu aussi bien choisir quelqu’un d’autre.
Lorsque nous créons, nous ouvrons simplement les volets
pour laisser entre le soleil dans la maison. Le soleil ne nous
appartient pas pour autant.
Richard et Noï s’étaient maintenant endormis. Leurs
visages étaient semblables à ceux des jeunes enfants qui
dorment, enveloppés de l’amour de leur mère , rassurés, se
sentant protégés.
Ils étaient tendrement enlacés, heureux d’être ensemble. Il
ne faisait aucun doute qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.
Le Destin avait travaillé subtilement pour que leur
rencontre eût lieu. Il ne pouvait en être autrement. Un futur
inimaginable un an plus tôt. Alors que s’était-il donc passé
?
Peut-être que Richard avait saisi une des circonstances
favorables qui se présentent aux hommes au cours de leur
existence. Il était monté dans le train de son destin, laissant
sa famille et ses amis sur le quai de la gare. Il en avait eu
assez d’être le spectateur de sa vie ; il avait réveillé son
esprit d’aventure.
Il avait eu le courage de lâcher prise sur ses habitudes
installées de longue date. Tout lâcher sans rien avoir en
contrepartie, sans garantie ; se démunir, se dépouiller
totalement et reprendre tout à zéro.
180
Le courage, cette qualité qui fait souvent défaut aux
hommes. Sans lui, ils ne peuvent se dégager du fardeau
qu’ils transportent inutilement.
Un peu de courage, un peu de mobilisation sont nécessaires
afin d’accomplir son destin.
Richard pouvait le comprendre, maintenant qu’il avait
franchi le pas. Mais, un an plus tôt, tout était tellement
confus dans sa tête. Il aurait pu continuer à sommeiller
pendant encore longtemps, si le destin ne lui avait pas
donné un coup de pouce précieux.
Maintenant, il était à la bonne place : à la sienne. Sa vie
pourrait paraître dérisoire, inutile, inintéressante aux yeux
de ceux qui sont plongés dans le système. Mais il ne faut
pas se fier aux apparences. Dans de telles conditions
d’existence, Richard avait appris plus sur lui-même, en
seulement quelque mois que pendant les dix dernières
années.
Il avait retrouvé la paix de l’esprit en se réconciliant avec
son âme. Cette âme, que tout le monde possède, qui reste
pourtant une inconnue pour les habitants des grandes villes
et pour ceux qui sont plongés dans la société de
consommation à outrance.
Le jour pointe son nez timidement, les oiseaux entonnent
un cantique pour célébrer le soleil tellement espéré. Mes
yeux se sont ouverts sur un paysage peu familier : je me
croyais dans notre bungalow. Il m’a fallu une bonne minute
pour comprendre où j’étais, pour que tout se remette en
ordre dans ma tête. Noï est déjà réveillée, elle prépare le
petit déjeuner. Je n’ai pas envie de me lever tout de suite.
Je préfère laisser la douceur de l’aube m’envahir lentement.
Cette paix indescriptible que le jour nouveau nous apporte,
181
et que nous oublions par la suite, lorsque le soleil est déjà
haut dans le ciel.
L’odeur du café parvient lentement jusqu’à moi. C’est elle
qui vient me chercher et me force à me lever. Je ne sais
résister à son arôme, à son appel. Je me lève et m’étire dans
tous les sens pour chauffer la machine un peu engourdie.
Sans dire un mot, Noï me serre dans ses bras et me couvre
de bisous pour me souhaiter le bonjour.
Le petit déjeuner est prêt ; le service est digne d’un hôtel
trois étoiles. Café, pain grillé au feu de bois et fruits. C’est
comme à la maison, sauf que le pain de mie a un goût de
fumée qui le rend encore plus savoureux.
Le repas se fait dans le silence. Les échanges de regards
sont plus précis que les mots : ils en disent bien plus long.
Ne pas parler pour ne rien dire : la communication, entre
nous, se passe à un autre niveau. Nous n’avons pas besoin
de ces interminables échanges de points de vue. Nous
n’avons pas besoin d’avoir des avis sur tout - ou bien
prouver à l’autre que nous sommes intelligents. Nous nous
passons de tout cela ; il n’y a pas de place pour l’inutile
dans notre vie.
Le superflu n’existe pas pour nous. Nous n’éprouvons pas
le désir de tricher avec notre entourage, et surtout avec
nous-mêmes. Nous ne jouons pas un rôle, nous n’essayons
pas de paraître ce que nous ne sommes pas. Cela ne nous
donnerait aucune satisfaction. Notre vie est simplifiée à
l’extrême.
Je repense à mon passé, lorsque je voulais réussir
socialement, matériellement. Tout cela plus pour mon
entourage que pour moi-même. Je voulais être reconnu par
les autres comme quelqu’un d’intelligent, de travailleur,
d’efficace.
182
Si je voulais que les autres reconnaissent mes qualités,
c’est certainement pour m’en convaincre moi-même. Je
voulais, inconsciemment, que l’on pense du bien de moi
pour me persuader que j’étais quelqu’un de bien. Sans cela,
je n’aurais pas eu besoin de l’approbation d’autrui.
Donc, si je voulais avoir une bonne image de moi, c’est que
j’en avais une mauvaise. Alors, d’où vient ce manque de
confiance en soi qui touche tant de personnes en occident ?
Est-ce les traces indélébiles de notre éducation ? Ou de
notre culture ?
Est-ce un déséquilibre affectif qui nous oblige à vouloir
réussir pour être davantage appréciés, reconnus, ou pour
être mieux aimés ?
Cette maladie qui ronge l’occident ne serait-elle pas tout
simplement le manque d’amour ?
Nous voulons être aimés car nous manquons d’amour ;
voilà la vérité.
Si nous sommes si nombreux à manquer d’amour, c’est que
tout le monde n’en donne pas assez : nous ne savons plus
aimer. Lorsque notre amour se pose sur quelqu’un de notre
choix, nous attendons, en retour, qu’il nous le rende bien. Il
s’agit là d’un échange : je donne, mais j’attends en retour,
ou alors je reprends mon amour. Quelle grossière erreur !
L’amour n’est pas une transaction commerciale. Il doit se
donner sans rien attendre en retour, sinon ce n’est pas de
l’amour. Il doit certainement s’agir d’autre chose, une
forme de sentiment primaire que l’on essaye de monnayer,
mais en aucun cas ce ne sera de l’amour.
L’amour, le vrai, se donne, il ne s’échange pas. Il est sans
arrière pensée, il n’a pas besoin de se justifier. Aimer, c’est
d’abord donner ; donner ce que nous avons en nous, ce qui
coule à travers nous, lorsque nous voulons bien nous
brancher à la source. Ce n’est pas NOTRE amour que nous
183
donnons, mais celui qui est omniprésent dans l’Univers. Il
existe en quantité tellement importante, que nous n’avons
pas besoin de l’économiser, de le rationner. Nous devons le
donner aussi souvent que nous le pouvons.
Distribuons-le, il ne nous appartient pas, il est destiné à
tout le monde, sans exception, même au pire d’entre nous.
Un amour compréhensif, compatissant, qui nécessite un
certain recul vis à vis de toutes les situations difficiles.
Sans ce recul, il est impossible d’avoir une vue d’ensemble,
un champ de vision suffisamment large pour saisir l’origine
d’un problème ou d’un conflit.
Pour y parvenir, il faut grimper en haut de la montagne, là
où se situe la conscience de l’âme. Gravir une à une les
octaves de la pensée et se maintenir à cette altitude le plus
longtemps possible. De ce lieu, seulement la vision est
claire et la compréhension intégrale.
Le bonheur total serait d’habiter en permanence en haut de
cette montagne. Mais je sais que c’est impossible. Notre
corps de chair nous rappelle bien vite. Il nous demande de
ramener dans la plaine, parmi les hommes, quelques unes
des idées de ce monde. Alors nous nous rappelons la
promesse que nous avons faite à l’aube des temps : gravir
la montagne pour aller chercher les idées qui permettront à
chacun de gravir la montagne. Une telle promesse ne peut
s’oublier.
Alors je me contenterai de m’y ressourcer chaque fois que
je le pourrai. C’est déjà beaucoup.
Noï m’observe, depuis un moment, en souriant. Elle
emploie toujours la même expression lorsqu’elle me
surprend en train de rêver ou de réfléchir : « Tu voles avec
les oiseaux ?»
184
Je trouve, que cette formule traduit précisément l’état
d’esprit dans lequel je suis, dans ces moments là.
Aujourd’hui, ma réponse l’amuse davantage :
- Pom maï bin cap noc, pom pen noc.
Ce qui signifie : je ne vole pas avec les oiseaux, je suis un
oiseau.
Elle me ressert une tasse de café ; elle sait que j’adore ça.
Elle aime prendre soin de moi ; c’est une tradition que de
bien s’occuper de son mari, dans ce pays. Vu de chez nous,
les Thaïlandaises pourraient sembler être des femmes
soumises, mais il n’en est rien ; elles font cela par pure
gentillesse.
Moi, de mon côté, j’en fais autant ; je suis toujours
attentionné et prévenant. Cela ne me coûte pas grand chose,
mais la vie n’en est que bien plus agréable.
A peine la dernière gorgée de café avalée qu’elle saisit
savon et serviettes et m’entraîne sur un petit chemin qui
s’enfonce au cœur de la végétation.
- Paï abnam dué kan. Nous allons nous doucher ensemble,
dit-elle.
Je la suis sans poser de question. Nous marchons entre les
buissons, puis gravissons une petite colline en pente douce.
Le bruit d’une cascade se fait déjà entendre : elle ne doit
pas être très loin. Juste derrière un bosquet de bananiers, je
découvre subitement l’endroit le plus enchanteur au
monde. Une petite vallée plantée d’une centaine de
cocotiers au fond de laquelle coule une petite rivière. Elle
se déverse dans une piscine naturelle d’une hauteur de trois
mètres environ. L’eau y est d’une pureté incroyable. Je
savoure d’avance le bain que je vais prendre. Les oiseaux
sont partout, sans doute attirés par l’eau. Leurs chants
rendent l’endroit encore plus magique. Ils ne semblent pas
185
avoir peur de nous et viennent nous observer de très près.
Nous évitons les gestes brusques pour ne pas les faire fuir.
Nous ôtons nos habits et entrons nus dans l’eau fraîche. De
petits courants électriques parcourent mon corps dans tous
les sens. Vingt-quatre heures sans se laver, je commençais
à me sentir poisseux.
Nous nous arrosons en tapant dans l’eau avec le plat de la
main. Les rires et les cris emplissent toute l’île. Elle n’a
sans doute jamais connu un tel vacarme. Les oiseaux
semblent plus curieux qu’effrayés.
Je me place sous la chute d’eau. C’est une sensation
merveilleuse, un véritable massage du cuir chevelu, des
épaules et du dos. Noï escalade les rochers et plonge dans
toutes les positions. Dommage que je n’ai pas amené
l’appareil photo, j’aurais pu en faire de belles. Elle est
vraiment très belle, nue, debout sur ce rocher, se préparant
à plonger. Ses longs cheveux voilent ses petits seins
fermes. Ils réapparaissent de temps en temps, l’espace de
quelques secondes. Je ne peux détacher mon regard de cette
beauté des îles. J’ai vraiment beaucoup de chance. Elle est
très belle, belle et excitante. Elle m’attire comme un
aimant. Je la prends dans mes bras la serre et l’embrasse. Je
suis un homme comblé.
Sur le chemin du retour, nous faisons provision de fruits :
bananes, papayes, mangues et un jack d’au moins cinq
kilos. Ces arbres fruitiers ont certainement été plantés par
l’homme, il y a de nombreuses années ; peut-être afin de
constituer une réserve de fruits pour les pêcheurs de
passage.
Nous rentrons au campement les bras chargés. J’ai
l’impression de revenir du marché avec des provisions pour
trois jours.
186
Nous sommes parés côté fruits, eau et riz ; il ne manque
plus que le poisson et peut-être quelques coquillages. La
mer est là, toute proche, constituant une réserve inépuisable
pour les deux Robinson que nous sommes.
Quand je pense au prix que coûte le poisson, chez nous en
Méditerranée, cela me donne le vertige. Ici, pas besoin de
faire suivre le porte-monnaie partout. Les achats de
nourriture sont vraiment très rares. La nature nous gâte, elle
est très généreuse ; peut-être pour me remercier d’être
revenu auprès d’elle.
Noï me demande de rester sur l’île deux ou trois jours.
C’est une excellente idée. Nous aurons, de ce fait, tout le
temps de l’explorer.
De plus, une île pour nous deux seulement ; une île
tropicale, paradisiaque, généreuse.
Il me semble que c’est elle qui ne veut plus nous laisser
repartir. Comment refuser une telle invitation ? Nous ne
sommes pas tributaires d’un itinéraire et, le seul repère
dans le temps dont nous devons tenir compte, c’est la durée
de location du bateau. Et même ça, ce n’est pas vraiment
un problème ; il me suffirait, dans le cas où nous
rentrerions chez nous plus tard que prévu, de payer le
propriétaire du bateau - qui est aussi un ami - pour le temps
de location supplémentaire. Donc, la vie est à nous,
prenons la comme elle vient et c’est tout.
Noï et Richard, bien qu’étant issus de cultures différentes
se retrouvaient sur de nombreux points ; ils aimaient
profondément la nature, la mer et une vie simple et saine.
Ils n’avaient besoin ni l’un ni l’autre de tout le confort
moderne et de la technologie pour être heureux.
Noï savait tout cela d’instinct, sans s’être vraiment posé de
questions. Elle vivait selon les désirs de son cœur et sans
187
aucune référence extérieure. Richard, lui, avait dû
réapprendre l’essentiel en toute chose. Il était passé par
l’erreur avant de trouver la vérité. Tout un passé à gommer,
toutes les anciennes références à oublier. Mais de toutes ces
années, il lui restait quelque chose d’utile, tout de même : il
s’agissait de la force de volonté qu’il s’était forgé. Une
telle énergie, mise au service de la Vérité, ne pouvait que
lui ouvrir les portes de la connaissance.
188
Chapitre X
Tant que l’homme reste absorbé dans son travail, tant qu’il
est obnubilé par le désir de gagner de l’argent, de se nourrir
ou de réussir sa vie professionnellement, il ne se pose
aucune question d’ordre philosophique ou mystique. Il peut
traverser des vies entières, sans éprouver le moindre désir
de savoir ou de comprendre. Il reste alors un automate,
obéissant simplement à ses habitudes, tentant d’oublier que
la mort est au bout du chemin.
Si, par un coup de baguette magique, les conditions
d’existence changeaient et que les hommes ne soient plus
obligés de travailler pour se nourrir et se payer tout le
superflu, tout risquerait de basculer. Tous ceux qui, des
décennies durant, auraient subi leur vie standardisée, se
retrouveraient dans un espace trop grand pour eux, avec du
temps à ne plus savoir qu’en faire. L’angoisse les
envahirait bien vite car ils n’auraient pas l’habitude de
gérer autant de temps disponible.
Cette nouvelle situation risquerait fort de les perturber
psychologiquement et, en définitive, leur faire plus de mal
que de bien.
C’est pour cette raison que la mutation de la société se fera
progressivement. L’homme ne devra pas être livré à luimême du jour au lendemain, mais lentement,
progressivement.
Seule, une minorité d’individus - dont la soif de
connaissance est sans limite - pourra du jour au lendemain
être livrée à elle-même. L’intensité de leur désir de
comprendre sera le garant d’un équilibre et d’un
avancement sur un chemin semé d’embûches.
189
Le cœur de l’oiseau est épris de liberté et de grands
espaces, pas celui du mouton. Ce dernier préfère la sécurité
de l’enclos à un horizon sans limite. C’est dans sa nature et
l’on n’y peut rien.
Il faudrait que le mouton raisonne de la même manière que
l’oiseau, qu’il se mette dans sa peau, pour éprouver ce
sentiment de liberté. Sans cela, il ne possédera jamais que
la conscience d’un mouton.
Je ne peux qu’entrevoir - à travers mes expériences
personnelles - les possibilités illimitées qui s’offrent à
l’homme. S’il apprend à se déplacer sur l’échelle vibratoire
de la pensée, il a la possibilité de voir et de percevoir
l’Univers au travers des sens de l’oiseau, des anges, ou
même de Dieu. Il n’a besoin que d’accorder son récepteur
personnel aux différentes fréquences de la pensée.
Pour accorder notre conscience à un certain niveau
vibratoire, il suffit de nous fixer sur une pensée en rapport
avec ce plan et de s’y maintenir.
Les idées qui se trouvent au même plan que celle-ci ne
tardent pas à venir à nous et les réponses espérées font
bientôt leur apparition sous formes d’expressions non
manifestées et totalement abstraites. Une fois l’une d’entre
elles perçue, il ne reste plus qu’à l’observer. Elle prend
alors une forme concrète et définie en nous, sans que notre
volonté intervienne. Les idées, expressions et phrases se
densifient. La pensée abstraite peut désormais être perçue
concrètement avec toute sa signification : elle est
descendue au niveau de conscience du mental.
Il suffira alors de renouveler l’expérience chaque fois que
cela sera nécessaire : décision importante à prendre ou
problème à résoudre.
190
L’île de Phi Phi est en vue depuis plus de deux heures. Elle
se rapproche lentement, elle se fait désirer longuement,
peut-être pour nous préparer à l’aimer.
Elle est l’île la plus touristique de la région et de
nombreux films d’aventure y ont été tournés. J’appréhende
un peu la foule, mais Noï avait tellement envie de
connaître cet endroit !
Nous avons passé trois nuits sur notre merveilleuse île
déserte et une nuit seulement à Kho Lanta, qui n’a pas su
nous retenir plus longtemps.
Le voilier tangue dans des creux d’un mètre cinquante.
Aucun de nous n’a le mal de mer. Il suffit d’accepter les
mouvements comme étant inévitables, et d’apprendre à
s’harmoniser avec eux. Alors ils deviennent plaisir et nous
détendent complètement, nous engourdissent l’esprit. Nous
sommes à la fois humains, bateau, mer, vent, embruns et
soleil.
Nous n’avons pas encore échangé un mot depuis notre
départ de Kho Lanta. Le silence est le maître. Il a une
valeur analogue à celui qui habite les lieux de prière :
temples bouddhistes ou cathédrales.
Il est dense, puissant, pénétrant, amour de Mère Nature
pour ses enfants retrouvés. Il est le lien qui nous relie l’un à
l’autre, ou plutôt, c’est dans ce silence intérieur que
s'établit le lien qui nous unit. Il est favorable à la
communion des âmes, de nos deux âmes sœurs.
Il est la porte d’accès à l’autre monde, la condition
incontournable sans laquelle l’homme reste un animal
sauvage, guidé uniquement par ses instincts.
Le voilier continue sa route, guidé par le pilote
automatique de fortune que j’ai fabriqué. Noï se balance,
assise sur la proue, les jambes pendantes. Elle est
191
abondamment aspergée par les embruns et éclate de rire à
chaque nouvelle douche.
Je reste rivé derrière mon objectif et prends quelques
photos de ma petite sirène, avec Kho Phi Phi en toile de
fond.
Plus nous approchons de l’île et plus elle me parait
merveilleuse. Le sable est d’un blanc éclatant, reflétant le
soleil avec une telle intensité qu’il me serait difficile de
l’observer sans lunettes de soleil. Les plages sont couvertes
de cocotiers qui dissimulent parfois les nombreux
bungalows destinés aux touristes. Certaines sont désertes,
d’autres peuplées de chaises longues et de parasols.
Nous approchons du ponton principal, certainement destiné
au débarquement des vacanciers. Au dernier moment, je
décide d’aller plutôt m’échouer sur la plage, nous serons
tranquilles. A peine débarqués, nous sommes assaillis par
les rabatteurs des hôtels. Ils nous proposent du bungalow
rudimentaire à la chambre de luxe avec air conditionné.
Nous choisissons un bungalow en bois avec douche,
ventilateur et moustiquaire, pour un prix raisonnable.
Quelques minutes plus tard, nous sommes installés. Nous
n’avons pas eu à chercher un logement, l’offre de service
en Thaïlande étant omniprésente. La vie n’en est que
simplifiée.
Puis, c’est l’instant sacré de la douche fraîche. J’ai dû y
rester un long moment, un trop long moment, pour Noï qui
attend que j’en sorte. Elle n’a finalement pas assez de
patience et vient me rejoindre.
Notre peau, brûlée par le sel et le soleil, se délecte de l’eau
douce. Nous voudrions cette douche éternelle. Le temps
semble s’arrêter….
192
J’ai du mal à m’habituer à la foule de touristes et de
commerçants qui peuplent l’île. Il y a du monde partout.
Nous saisissons, au passage, des bribes de phrases en toutes
les langues. Toutes les nationalités semblent représentées.
Noï dévisage chaque étranger ; elle n’en a jamais vu autant.
La couleur de leur peau varie du blanc bleuté au rouge en
passant par toutes les nuances de rose. Certains sont
exagérément brûlés par le soleil.
Nous nous installons à la terrasse d’un café afin de profiter
du spectacle de la rue.
Il me semble ne pas appartenir à ce monde, je me trouve à
l’extérieur. Je n’en suis que le spectateur.
Je commande pour Noï, un « banana split » et pour moi un
café glacé.
Nous restons longtemps assis à cette terrasse, consommant
café et thé. Noï s’amuse beaucoup et me donne un coup de
genou sous la table lorsqu’un individu attire
particulièrement son attention, soit par sa physionomie, soit
par son accoutrement pittoresque.
Paradoxalement, ma présence au milieu de cette foule
d’inconnus me facilite le voyage intérieur. Je peux y
méditer aisément ; les idées ne manquent pas d’affluer. J’ai
un peu de mal à comprendre ce phénomène, mais peu
importe, je m’envole vers les sphères où réside mon âme,
tout en gardant une conscience intense du monde qui
m’entoure.
Je me sens toujours comme un petit enfant face à
l’immensité du monde de l’âme.
Comment se prendre au sérieux après une telle expérience?
J’ai envie de communiquer, par la pensée, l’amour que je
perçois intérieurement, à tous ces inconnus. A peine ai-je
capté cette idée qu’un courant de fraîcheur parcourt ma
colonne vertébrale de bas en haut. J’ai l’impression que je
193
rayonne ce que je ressens intérieurement. Je le distribue
comme on peut le faire avec de l’eau fraîche dans le désert,
à tous les gens qui ont soif.
Je ressens mon rôle d’utilité dans le monde. Peu importe
que je transmette cet amour par l’écriture ou que je le
rayonne dans l’anonymat. Je suis une antenne, un relais des
ondes vibratoires de l’âme.
Combien sommes-nous dans ce cas ? Impossible à savoir.
Le chemin intérieur se parcourt dans la solitude.
Je me dis qu’il faut être égoïste pour mener une vie en
rapport avec ses aspirations intérieures. C’est un moyen
que l’on a de se protéger, de se préserver. Sans cet
égoïsme, nous ne ferions que mener la vie des autres et non
pas la notre. Il faut donc cesser de se culpabiliser :
l’égoïsme est un point incontournable et nécessaire sur le
chemin. Etre égoïste quelque temps pour faire le plein
d’amour, pour après le redistribuer dans la plus grande
générosité.
Il ne faut pas concentrer notre vision sur un des aspects de
notre vie - souvent trop en rapport avec notre éducation ou
notre culture - mais plutôt essayer de la saisir dans son
ensemble et dans ses liens avec l’Univers.
Nous sommes bien plus que ce que nous pensons être.
Notre rôle sur Terre est d’une trop grande importance ; on
ne doit pas gâcher notre vie bêtement.
Je sens que de grandes révélations me seront bientôt
accessibles, qu’il se joue en ce moment sur terre, un drame
dont l’homme est le Héros. Héros, fils d’un dieu et d’un
humain, fils du ciel et de la terre.
L’homme recevra bientôt son héritage céleste, dont il
ignore totalement la nature. Il va avoir une très grande
surprise, bien plus grande que la plus belle qu’il puisse
imaginer.
194
Il retrouvera la place qui est la sienne. Je n’ose penser : à la
droite du père, car j’ai un peu l’impression de blasphémer.
Mais cette idée s’impose avec une telle force…
Je retiens un peu les rênes de mon char. Mes perceptions
semblent s’emballer et cela me fait un peu peur. Peur de me
perdre dans le labyrinthe des idées. Peur de la folie.
Pourtant, je sais qu’il n’en est rien, que ce qui me traverse
est bien trop chargé de Vérité pour être du domaine de
l’imaginaire et de l’illusion. Mais je préfère freiner, limiter
ce flot qui se déverse en moi et revenir un peu à des choses
plus terre à terre. Il est dur de quitter un tel monde pour
revenir dans celui de la matière, avec ses préoccupations
ordinaires. Je le fais pourtant avec grand plaisir. Je ne
cherche aucunement à fuir notre monde physique pour
atteindre un certain paradis ou le Nirvana. J’aime trop notre
terre , sa nature sauvage, ses océans, ses animaux et les
gens. Bien sûr pas tous les gens, mais je garde seulement à
l’esprit tous ceux que j’aime. Les autres, ne sont pas ceux
que je n’aime pas, mais ceux que je ne sais pas encore
aimer.
J’éprouve parfois un sentiment de tristesse. Tristesse liée à
la solitude que ma voie m’impose, mais aussi tristesse de
ne pas pouvoir donner autant d’amour que je le voudrais.
Peut-être pas dans ce pays, mais surtout en occident.
L’amour, bien qu’il soit la chose qui manque le plus dans
nos contrées dites civilisées, l’amour, personne n’en veut.
C’est de l’argent, des biens et du confort qu’ils veulent. Ils
ne connaissent, la plupart du temps, qu’un amour sélectif et
possessif, réservé à la famille.
Ils créent un contexte, une situation ou un groupement dans
lequel leur vision restreinte de l’amour a une place bien
définie, une place réservée pour lui et bien limitée.
195
Ils voient le monde à l’envers ; l’Amour est le lien invisible
qui rassemble les choses ou les gens. Il est l’origine et non
la conséquence.
C’est encore une manière que nous avons, nous
occidentaux, d’essayer de soumettre le Monde à la vision
que nous avons du futur : adapter le Monde à soi et non
s’adapter au Monde. C’est une vision égocentrique de
l’Univers, qui révèle le manque de maturité de l’homme et
sa nature adolescente.
Comprendre le Monde et l’Univers, et non essayer de les
soumettre à nos rêves limités ; voilà ce que devrait faire
l’occidental.
Mais pour cela, il faudrait qu’il lâche prise sur ses rêves ou
plutôt sur les rêves qui ont été crées pour lui, et qu’il a fait
siens. Lâcher prise et partir à la recherche de ses propres
rêves qui seront la clé de sa renaissance.
Rêver et rechercher en soi la plus belle vision du bonheur,
la plus large de ses manifestations et non pas un bonheur
limité et réservé à notre propre usage.
Les heures sont passées bien vite et la nuit est tombée
brutalement. La faim se fait sentir ; elle nous oriente vers la
rue principale où se trouvent la plupart des restaurants. Là,
poissons, crustacés et coquillages emplissent les étals. Ils
nous invitent à entrer. Thons, daurades, soles, poissons
perroquet et espadons, dont la chair est d’une finesse
inégalable. C’est sur lui que nous arrêtons notre choix et,
quelques minutes plus tard, deux filets accompagnés de
patates douce, de légumes et de riz sont posés devant nous,
dans deux immenses assiettes.
Vu la quantité, un seul plat aurait été suffisant pour nous
deux.
196
Nous nous délectons du poisson et boudons un peu le riz.
Même de cette manière, nous ne pouvons en venir à bout.
Nos yeux veulent encore manger mais nos ventres refusent.
Une longue balade tout au long de la plage s’impose. Elle
aidera la digestion.
Je sens Noï heureuse et je le suis moi aussi. Nous savons
apprécier ce que le destin nous offre.
Le chant d’un coq me réveille lentement. Je regarde le
réveil posé sur la table de nuit : six heures cinq.
J’aime me réveiller de bonne heure et jouir des premières
clartés du matin, en solitaire. J’aime aussi sentir mon corps
reprendre vie lentement, laisser s’échauffer tous les
mécanismes physiques et biologiques.
Je fais durer la phase merveilleuse qui sépare le sommeil
du réveil total. Peut-être pour garder un lien avec ma
conscience abstraite et psychique.
Je sors de la chambre en silence et m’étire lentement. Le
matin présente à peine ses premières lueurs.
Notre bungalow d’une nuit, bien que rudimentaire, se situe
au milieu de la végétation.
Je m’assieds sur la terrasse afin de déguster le spectacle à
peine commencé.
Je reste là, dans l’immobilisme du corps et de la pensée. Je
laisse la magie de la naissance d’un jour nouveau s’opérer
en moi et autour de moi.
La nuit a nettoyé la terre de tous les déchets de pensées et
d’émotions que les hommes ont crées et rejetés autour
d’eux pendant la journée - c’est encore une autre forme de
pollution. L’atmosphère est de nouveau vierge, comme au
temps où Dieu n’avait pas encore crée le monstre que l’on
appelle homme.
197
La pensée de Mère Nature peut alors circuler librement et
visiter ceux qui désirent l’accueillir. Je ne ressens - dans
des moments comme celui-là - plus le moindre désir, et
j’oublie totalement les notions de passé et de futur. Je vis
dans l’indescriptible présent, dans sa paix, dans une joie
qui n’éprouve même pas le besoin de s’exprimer. Je me
sens fort et autonome. Mon âme et mon corps ne font
qu’un, et tendent vers une seule et même direction.
L’envie d’écrire couve en moi depuis notre départ en
bateau. Je l’ai observée grandir lentement et ne peux plus la
contenir. Il faut que je mette sur papier toutes les idées
nouvelles qui s’imposent à moi. Mon cahier de bord
m’accompagne toujours, ce n’est pas sans raisons.
Je l’ouvre, écris la date d’aujourd’hui et marque un long
temps d’arrêt avant de commencer le récit de mes
impressions et les détails de notre voyage. J’attends que les
phrases se forment en moi, que les mots s’ordonnent d’euxmêmes sous la dictée de mon âme. Pas besoin d’être un
écrivain, pas besoin de chercher les idées, de prévoir un
plan pour la construction du récit. Je ne fais que patienter,
je suis totalement passif, ma volonté n’a pas à intervenir.
Des mots, des bribes de phrases passent dans ma
conscience sans s’arrêter, puis, tout se calme.
Une impression d’une grande douceur m’envahit, c’est
l’annonce du début de l’écriture, le signe qui m’indique
que je suis dans l’état favorable à une perception intérieure
suffisamment claire.
Ma personnalité est en sommeil, ma volonté désactivée. Je
deviens transparent et permets à la pensée subtile de
s’imprimer en moi, et de descendre au niveau de la
conscience objective. Mon stylo commence son travail ; il
est connecté directement sur ma conscience intérieure.
198
- « J’éprouve aujourd’hui le besoin de remonter sur la
montagne. Là où ma vision est suffisamment large et claire
pour donner les réponses à toutes les questions que je puis
me poser. De ce lieu, situé au centre de moi-même,
j’aperçois les liens subtils entre les événements et les gens ,
que le hasard n’existe pas , que tout est attraction et
répulsion , que nos actions d’aujourd’hui déclencheront les
événements futurs de notre vie.
Je me réjouis du fonctionnement merveilleux de cette
immense mécanique qui se nomme Univers. J’ai envie de
pleurer devant la perfection de la création.
Je me penche sur ma vie, sur mon passé, et j’observe la
logique de ma progression. Un évènement appelle l’autre,
ils s’imbriquent les uns dans les autres.
Du haut de ma montagne, j’observe les gens qui m’ont fait
du mal, afin de mieux en comprendre les raisons. Je me
rends compte qu’ils n’ont été que les outils de mon destin.
Sans eux je n’aurais pas pu continuer mon cheminement, je
n’aurais pas pu prendre les décisions les plus importantes
de ma vie. Ils ont été mes stimulateurs, ce sont leurs actions
qui m’ont catapulté de plus en plus loin.
Comment leur en vouloir après une telle vision, ils ont été
indirectement mes bienfaiteurs. Leurs mauvaises actions ne
font du tort qu’à eux-même, elles pèsent sur leur Karma.
Cependant, ils n’ont pas d’excuse pour leur comportement ;
je peux les remercier, mais pas encore les aimer. Mais il y a
aussi une deuxième raison qui m’empêche de les haïr :
c’est qu’ils portent sur leurs dos le poids de leurs actions, et
qu’ils les acquitteront.
Je cherche à percevoir ce qui s’élève de la Terre. J’entends
des cris, des pleurs, des lamentations. Tant de souffrances !
Tant de souffrances !
199
Notre Terre bien aimée est un laboratoire, une forge. En
elle se transforment des animaux en dieux, par la magie de
l’expérience et de la souffrance.
Jusqu’à quand cela va-t-il encore durer ? L’homme n’a-t-il
pas enduré suffisamment de tourments et de malheurs ?
Je pleure, je pleure et je doute. Je ne peux me dissocier de
cette immense douleur qui s’élève de l’âme des hommes.
Pourquoi ? Pourquoi tout cela ? Pourquoi tant de douleurs
et de désolation ? Suis-je sûr qu’il y ait une justice ?
Cette souffrance m’affecte profondément. C’est la première
fois qu’elle me touche avec autant d’intensité. Je sanglote,
du haut de ma montagne et je prie. Je demande une
réponse, je veux aujourd’hui comprendre. Sans cela, je
n’arriverai pas à chasser le doute.
J’implore, je veux savoir. Le jour où Mère Nature doit me
faire ses confidences est arrivé. Je le sens, je le sais. »
Pendant que je note ces dernières phrases, je sens une
langueur m’envahir lentement, une grande douceur mêlée
d’une affection maternelle enveloppante et rassurante. Mes
doutes s’enfuient rapidement laissant la place à une joie
intérieure sans limite.
C’est l’âme de la Terre qui semble répondre à mes
interrogations. Elle ne formule aucune réponse concrète.
Elle se contente de baigner mon âme dans la sienne. Elle
me permet de m’y fondre, l’espace d’un long moment.
Ma conscience disparaît totalement pendant cette
expérience. Tout se passe dans l’autre dimension de mon
être, à une altitude où ma conscience objective ne peut
accéder. J’ai simplement la vague impression d’échanges
électromagnétiques.
Je ne sais pas combien de temps j’ai passé dans cet état ;
peut-être une minute, ou peut-être dix ou trente. Cela n’a
aucune importance. Ce n’est qu’au moment où ma
200
conscience objective reprend pied qu’une voix intérieure se
fait entendre.
Il semble que ce que j’ai perçu inconsciemment est en train
de se matérialiser en moi sous forme d’idées, puis de
phrases, dictées par une voix qui raisonne au centre de moimême.
Elle déborde de douceur, de bienveillance et d’amour et
m’émeut au plus haut point. Des torrents de larmes coulent
sur mes joues et des sanglots se bousculent dans ma gorge.
- « Mon cœur saigne de vous voir dans la désolation.
Confiez-moi vos peines. Allégez-vous de votre fardeau.
Revenez vers moi mes chers enfants ; venez et je vous
consolerai. En moi vous retrouverez la paix. Vous ne
pouvez que souffrir en essayant de vivre en dehors de moi.
Acceptez mon aide et mon amour et tout s’apaisera en
vous. »
La voix s’est tue mais la présence persiste. Ces quelques
phrases ne sont pas des explications, elles sont bien audelà. Elles ont surtout servi à renforcer la vibration qui
m’habite.
L’âme de la Terre est là, présente en chacun de nous ; elle
l’a toujours été, et cela depuis la nuit des temps. Et nous,
grands enfants qui nous voulons autonomes avant l’âge,
nous refusons d’écouter ses conseils, ses impulsions qui
cherchent à nous indiquer le bon chemin.
Nous sommes tous les cellules qui composent l’immense
corps qu’est notre planète. Ces cellules veulent mener
chacune une vie indépendante, sans tenir compte du corps
dont-elle font partie intégrante.
Cette situation porte un nom lorsqu’elle se déroule dans le
corps d’un homme ; elle se nomme maladie ou parfois
cancer. La nature ne peut alors qu’agir de deux manières :
201
la première étant la mort de l’individu, et la deuxième, la
guérison en provoquant la destruction des cellules rebelles.
Voilà donc les deux possibilités qui s’offrent aux hommes.
Je ne peux que me rappeler l’histoire de l’Atlantide. Sa
progression, la perte de la foi chez les atlantes, les
avertissements de la Nature et finalement la destruction
finale. C’était il y a 12000 ans. Si loin dans le temps et si
proche à la fois. Peut-être qu’en ce moment se joue le
même scénario qu’à cette époque. Peut-être nous a-t-on
donné une deuxième chance ?
Oui, c’est cela, une deuxième chance. Il n’y aura pas mort
du corps cette fois-ci, mais seulement destruction des
cellules rebelles aux lois de Dieu.
Cette théorie s’impose à moi avec toute la puissance de la
Vérité. Les jours de souffrance ne sont donc pas encore
terminés. Pas avant la guérison totale de l’humanité.
La présence - éparpillée sur toute la Terre - de tous ceux
qui sont restés fidèles à leur essence, contribue lentement à
cette guérison. C’est pour cette raison qu’il faut tenir bon.
Tenir bon en se préservant de l’orage qui vient.
Il faut garder la foi en nous, en ce qui est en nous et en
notre créateur. Foi et patience. Tout va donc dans le bon
sens, malgré l’apparence contraire. La maladie a gagné trop
de terrain, les défenses immunitaire de la terre vont bientôt
rentrer en action. Nous devons bien comprendre tout cela
afin de déchiffrer les évènements qui vont se produire sur
Terre, dans un futur proche, et aussi pour maintenir notre
conscience au-dessus du chaos qui sera inévitable. Chaos
salutaire, qui permettra de reconstruire sur des bases plus
solides, plus saines et plus proches de la nature intérieure
de l’homme.
202
Je réalise les liens invisibles qui existent entre le passé, le
présent et le futur. Aucun hasard dans les évènements qui
se produisent sur la Terre depuis des millénaires, mais une
progression, une suite logique.
Je comprends maintenant la souffrance et ses origines :
qu’il y a une justice, et que cette justice n’est que la
conséquence logique et inévitable du comportement des
hommes face aux lois de la création et du Créateur.
Chaque situation nouvelle appelle obligatoirement la
suivante, et l’homme génère lui-même son futur et ses
propres souffrance.
La cause principale de tant de tourments ? L’ignorance et
rien d’autre.
Le mal n’est donc que de l’ignorance. Une vue trop étroite
de la vie qui pousse l’homme à défendre ses propres
intérêts, sans se soucier du reste de l’Univers. Une vision
égocentrique qui laisse croire à chaque individu qu’il est
l’être le plus important de la planète et que la création n’a
été réalisée que pour lui ; qu’elle est son terrain de jeux ;
que tout lui est permis ; qu’il n’y a pas de limite à ses
extravagances et à ses dégâts ; que la Terre est sa propriété
et qu’il peut en faire ce qu’il en veut.
Et la remise en question qui engendre la prise de
conscience, quand et comment doit-elle se produire ?
La réponse se dessine lentement dans ma conscience. Elle
est aimantée par ma question et profite du silence qui
m’habite pour se manifester, pour prendre forme par
l’intermédiaire de mon cerveau.
Lorsque l’homme essaye de vivre sans tenir compte des
lois de l’Univers, il s’éloigne de la route qui serait la
meilleure pour lui et pour son bonheur. Il s’éloigne mais
reste tout de même relié à cette route par un lien. Ce lien
203
pourrait se comparer à un élastique qui se tend d’autant
plus que l’homme s’écarte de cette route.
Il arrive un moment où l’élastique est tellement tendu, qu’il
l’empêche de progresser dans la direction qu’il s’obstine à
suivre et le rappelle brutalement et avec d’autant plus de
puissance qu’il aura fait de distance dans le mauvais sens.
Alors, on observera son désarroi, son doute, son désespoir,
et la souffrance qu’il subit de voir s’effondrer tout son
travail et tous ses rêves en un jour.
La souffrance, la voilà toujours présente. Sans elle,
l’homme ne se remettrait presque jamais en question. C’est
par elle qu’il apprend la plupart du temps. Il suffirait, pour
l’éviter, qu’il entame un travail de nettoyage en lui.
Qu’il se préoccupe plus de se connaître que d’amasser des
richesses.
L’ignorance est la première cause de la souffrance.
Je crois avoir lu ceci dans un livre sur le bouddha. Cette
théorie prend aujourd’hui pour moi la valeur d’une vérité.
Puis, il y a aussi le mensonge. Le mensonge qui détruit les
rapports entre les hommes.
Le mensonge nait de la peur. Peur de ne pas réaliser nos
rêves mesquins. Peur de ne pas être cru, de ne pas être
appréciés, de ne pas être aimés. Peur de ne pas atteindre
nos buts par des moyens honnêtes. La peur qui nous pousse
à tricher, à nous mentir d’abord à nous-même.
Le mensonge est né de nos peurs, de nos angoisses. Il
exprime une fuite devant une réalité que l’on n’arrive pas à
assumer.
Derrière chaque mensonge, il y a un être en détresse. Un
être qui se lamente de ne pas être une personne assez bien.
Un être qui se cache, car il n’aime pas sa propre nature.
204
Il ne s’aime pas tel qu’il est, et préfère donner une fausse
image de lui, plutôt que de se transformer progressivement
en celui qu’il aimerait être.
Le mensonge doit être banni définitivement du cœur de
celui qui désire s’améliorer. Derrière le mensonge
sommeille la Vérité. Détruire le mensonge, c’est laisser
s’exprimer la Vérité. Apprendre à aimer la vérité, c’est
commencer à haïr le mensonge.
Un bruit, derrière moi, me fait sursauter. Je tourne la tête,
intrigué, encore perdu dans mes pensées. C’est à peine si je
réalise où je suis. J’ai un peu de mal à redescendre de ma
montagne.
Noï apparaît dans l’encadrement de la porte, vêtue d’un
grand Tee-shirt blanc qu’elle a pris dans mes affaires. Ses
yeux sont encore ensommeillés. Il doit être encore de
bonne heure. Je regarde ma montre et découvre qu’il est
déjà onze heures.
J’ai été absorbé dans mes pensées pendant plusieurs heures.
Elles m’ont paru tout au plus une demi-heure.
Noï vient s’asseoir sur mes genoux, se blottit contre moi
sans prononcer un mot. Elle reste immobile, contemplant le
décor qui l’entoure. Comme moi, elle aime bien se réveiller
lentement.
La vie me comble vraiment. Qu’ai-je donc fait pour mériter
tant de bonheur ?
Je n’ai besoin de rien d’autre, j’ai tout ce que je désire dans
la vie.
Une étrange sensation me visite parfois. J’ai peur de tout
perdre et de retourner en France, dans le système. Il doit
certainement s’agir d’un sentiment de culpabilité, lié à mon
passé et à l’éducation que j’ai reçue étant enfant.
Cette sensation se manifeste de moins en moins souvent.
C’est le signe de ma guérison intérieure et de mon
205
autonomie de pensée. Le passé doit s’endormir pour laisser
la place au merveilleux présent régénérateur. Le salut de
l’homme est en lui.
C’est dans ce présent que je me sens vraiment exister. C’est
en lui que je me suis découvert. Avant cela, je n’existais
pas, je n’avais pas ma propre conscience du monde. J’étais
ce que mon éducation et ma culture avaient fait de moi.
J’avais construit ma personnalité en empruntant des
concepts à mon entourage.
Je ne connaissais pas ma propre nature, je n’imaginais
même pas que l’on pouvait avoir une nature propre. J’avais
passé vingt-huit ans de ma vie à reproduire des schémas
standards. En résumé, j’étais ce que l’on avait fait de moi.
Aujourd’hui, j’ai accédé à la liberté de pensée. Je suis
devenu un être adulte et autonome - adulte, dans le sens
responsable de moi-même n’ayant plus besoin de la tutelle
de la société, et autonome sur le plan psychologique et
pratique.
C’est désormais ma nature profonde qui m’indique le
chemin à suivre et plus personne n’aura le moindre pouvoir
de décision sur ma vie.
Lorsque nous sommes sur la bonne route, nous ne
manquons jamais de rien. Nous sommes comblés par la vie,
et le destin vient toujours nous apporter son aide dans le
cas de graves imprévus. Il ne vient pas résoudre les
problèmes à notre place, mais nous donne les idées et les
possibilités d’en venir à bout.
Je ne peux qu’être optimiste malgré une conjoncture
mondiale défavorable à l’ouverture des consciences. Tout
va dans le bon sens en dépit des apparences. Les obstacles
qu’opposent les sociétés occidentales à l’épanouissement
de l’individu, ne constitueront, à la longue, que des
tremplins. Ils donneront à l’homme le goût de la liberté, de
206
l’amour et de la connaissance. Tout ce dont il aura été privé
pendant longtemps. Pendant trop longtemps.
A ce point de ma quête, j’ai compris beaucoup de choses.
La lumière s’est faite sur de nombreuses questions que se
posent ceux qui parcourent le chemin qui mène à la
connaissance.
L’autonomie de pensée que j’ai acquise, me donne une
force, une indépendance et une assurance sans limite. Le
doute a pratiquement disparu en ce qui concerne
l’organisation pratique de ma vie. Il subsiste encore dans
certaines questions d’ordre métaphysique, mais je sais que
ceci est normal. Il ne peut jamais disparaître totalement.
Tant que l’homme aura des choix à faire, le doute sera
toujours présent. Ce n’est que lorsque le bon choix est
effectué que ce dernier s’estompe.
Je n’ai pas besoin d’un gourou ou d’un Maître spirituel, car
j’ai compris que la véritable connaissance ne se trouve
qu’en soi.
Pour l’atteindre, il est nécessaire de gommer tout ce que
nous avons appris depuis notre naissance : fausses
croyances, principes liés à notre culture et à notre
éducation, idées standards diffusées par la télévision à tous
les hommes de la planète. Tout effacer et tout
recommencer. Plus nous voudrons conserver nos anciennes
bases et plus nous piétinerons.
Il faut avoir la force et le courage de tout oublier. Pour cela,
la nature est d’une aide précieuse. Elle effectue, en peu de
temps, le nettoyage nécessaire. Elle nous évite un colossal
travail de recherche sur le plan intellectuel qui s’avère
souvent épuisant. Elle nous évite aussi le risque de nous
perdre dans le labyrinthe de notre mental raisonneur et
compliqué.
207
Et puis, il y a la solitude inévitable. La solitude sans
laquelle rien ne peut-être fait. La solitude qui permet de
trouver ses propres réponses. Sans elle nous risquons
d’emprunter aux autres des réponses toutes faites : une
solution de facilité, mais aussi une erreur. Erreur de
rechercher à l’extérieur de nous-même ce qui se trouve à
l’intérieur. Tout chercheur sincère ne peut-être qu’un
solitaire.
Alors il faut s’en accommoder et la vivre comme une
circonstance favorable et non comme une privation. Bien
sûr, il y a une frustration de ne pas pouvoir communiquer à
son entourage ce que nous vivons à l’intérieur. Mais c’est
une bonne chose, cela nous permet de rester chargés de
l’énergie et de la vibration qui émanent de notre âme. Il est
inutile de se vider de cette énergie en voulant la
communiquer à des tas de gens qui n’acceptent pas sa
visite. Ce n’est que gaspillage et peine perdue. Mieux vaut
se préserver, et garder soigneusement en nous le secret que
nous avons découvert. Cela peut paraître de l’égoïsme,
mais il en faut pour ce type d’aventure ; sans cela nous
risquons fort de mener une vie qui n’est pas la nôtre.
Nous sommes donc condamnés à vivre dans la solitude,
tout en continuant nos occupations au milieu des hommes.
Cette solitude a encore un autre avantage : c’est elle qui
nous
protège contre les jugements d’autrui. Personne
ne sait alors ce qui se passe dans notre tête et dans notre
cœur. Nous pouvons ainsi mener la vie que nous voulons
sans attirer l’attention, et sans être importunés. Apprendre à
se taire, à ne pas se dévoiler, pour préserver notre
tranquillité et empêcher que l’on nous agresse, pour éviter
de se défendre contre l’ignorance et la bêtise.
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Ermite dans la foule est une image qui reflète assez bien ce
principe. Et encore une fois, apprendre à se taire et cesser
de s’impliquer en tout. Je me répète souvent cette maxime :
Celui qui sait ne parle pas.
Celui qui parle ne sait pas.
Cela m’aide beaucoup à freiner le flot de paroles qui essaye
de s’échapper de moi en toute circonstance. Eviter d’avoir
des avis sur tout, de se positionner par rapport aux actes et
aux paroles de ceux que l’on croise dans la vie. Laisser la
terre tourner. Laisser faire les choses. Cesser de s’impliquer
afin de garder le recul nécessaire à la liberté de pensée.
Apprendre à calmer nos émotions, qui surgissent parfois
comme une éruption volcanique.
Il y a une expression, dans le langage Thaï, qui résume
assez bien cela : « Tchaï yen yen », ce qui signifie cœur
frais frais, par opposition à « Tchaï ron », qui veut dire
cœur chaud, ce qui donne l’idée d’un sang bouillonnant. En
anglais ce serait : be cool. En français, je dirais : s’oublier
soi-même.
Sur le chemin qui nous ramène sur notre île, mon cœur se
réjouit du soleil, de la mer immense, des mouvements du
voilier, des oiseaux qui nous survolent et de la beauté d’un
ciel matinal, parsemé de gros nuages ventrus.
Le bonheur nous accompagne, il s’est accroché à moi un
jour où je ne le cherchais plus vraiment, le jour où j’ai
cessé de vouloir, pour commencer à « être. »
Lorsque l’on cherche le bonheur, il reste introuvable. Mais
lorsque l’on s’approche de sa nature intérieure, de son
essence, il vient alors à l’improviste et reste près de nous.
Je l’ai compris lorsque j’ai franchi LA PORTE INTERIEURE.
Mar c San
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Biographie :
Né en 1953 à Sète, dans le midi de la France, Marc San
s'intéresse très jeune à la spiritualité. Il n'a jamais cessé de
rechercher la vérité: "Pourquoi sommes-nous ici bas? Quel est
le but de la vie? Pourquoi tant de souffrances?" Après trente
ans de recherche à travers les textes, les groupes spirituels, les
arts martiaux et les voyages en Asie, il entrevoit enfin la
source de la connaissance. Au cours d'un voyage intérieur, son
âme lui révèle certaines vérités immuables. Depuis, il ne
cherche qu'à affiner ce contact afin de ramener dans notre
monde des principes pouvant être utiles à tous.
Dos-couverture :
Sur le chemin qui nous ramène sur notre île, mon cœur se
réjouit du soleil, de la mer immense, des mouvements du
voilier, des oiseaux qui nous survolent et de la beauté d’un
ciel matinal parsemé de gros nuages ventrus.
Le bonheur nous accompagne, il s’est accroché à moi un
jour où je ne le cherchais plus vraiment, le jour où j’ai
cessé de vouloir pour commencer à « être. »
Lorsque l’on cherche le bonheur, il reste introuvable. Mais
lorsque l’on s’approche de sa nature intérieure, de son
essence, il vient alors à l’improviste et reste près de nous.
Je l’ai compris lorsque j’ai franchi LA PORTE
INTERIEURE.
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