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Quatre decennies de feminisme kanak

Quatre décennies de féminisme kanak Des mobilisations féministes radicales ont tenté d'imposer, au début des années 1980, la lutte contre les dominations masculines à l'agenda politique de l'indépendantisme kanak. Si elles ont en partie échoué, leur audience s'est néanmoins élargie dans les années 1990 à travers le mouvement associatif. La période récente voit pourtant leur voix s'amoindrir dans un contexte qui semble inciter à mettre au second plan les divergences internes et à ne pas prêter le flanc aux instrumentalisations racistes de l'idéal d'égalité entre les sexes. Cette hiérarchisation des priorités pourrait s'avérer risquée, en particulier si l'écriture d'un droit coutumier kanak en venait à officialiser la différenciation des rôles sexués. J'ai été la première à barbouiller partout « féministe ». Je ne dis pas « féminine » car pour moi, c'est trop petit « féminine ». On devrait arrê-ter de dire « section féminine » car c'est comme si on disait « Fais-toi belle et tais-toi ! ». Il faut dire simplement « féministe » (Suzanne Ounei, 8 mars 2013 1).

Quatre décennies de féminisme kanak Des mobilisations féministes radicales ont tenté d’imposer, au début des années 1980, la lutte contre les dominations masculines à l’agenda politique de l’indépendantisme kanak. Si elles ont en partie échoué, leur audience s’est néanmoins élargie dans les années 1990 à travers le mouvement associatif. La période récente voit pourtant leur voix s’amoindrir dans un contexte qui semble inciter à mettre au second plan les divergences internes et à ne pas prêter le flanc aux instrumentalisations racistes de l’idéal d’égalité entre les sexes. Cette hiérarchisation des priorités pourrait s’avérer risquée, en particulier si l’écriture d’un droit coutumier kanak en venait à officialiser la différenciation des rôles sexués. J’ai été la première à barbouiller partout « féministe ». Je ne dis pas « féminine » car pour moi, c’est trop petit « féminine ». On devrait arrêter de dire « section féminine » car c’est comme si on disait « Fais-toi belle et tais-toi ! ». Il faut dire simplement « féministe » (Suzanne Ounei, 8 mars 2013 1). Le rééquilibrage entrepris à la suite de la lutte nationaliste et des accords passés avec l’État français pour réduire les inégalités en défaveur des Kanak, en tant que communauté, a eu également pour effet de diminuer les inégalités de genre et a bénéficié aux Calédoniennes dans leur ensemble. Entre 1989 et 2009, la part des femmes diplômées de l’enseignement supérieur a été multipliée par sept et le taux d’emploi féminin a progressé de 11 points alors que celui des hommes restait stable (source INSEE, 2011). Parmi les mesures favorables aux femmes dans cette période, citons aussi la légalisation de l’IVG en 2000 alors que pendant vingt-cinq ans la Nouvelle-Calédonie était restée en dehors de la loi Veil, l’application de la loi sur la parité politique en 2004 et l’attribution en 2005 de prestations familiales de solidarité aux non salarié·es dépourvu·es de revenus ce qui est le cas de nombreuses mères célibataires, jusque-là exclues des allocations familiales. Tous ces acquis ont encore davantage profité aux femmes kanak – les plus défavorisées – MOUVEMENTS N° P AR C HRISTINE S ALOMON * 1. http://ustke.org/ actualites/actualitepolitique/Le-regard-dequatre-femmes-at_358. html * Anthropologue, son champ d’études porte sur les transformations des rapports sociaux de sexe et inclut dans un même cadre critique le genre, l’âge et « l’ethnicité ». Ses recherches s’attachent aux formes de résistance et aux écarts par rapport à la norme, subversions individuelles et contestations collectives. 91 automne 2017 • 55 Kanaky Nouvelle-Calédonie : situations décoloniales qu’aux autres. Toutefois, bien que les mutations aient été profondes et aient contribué à effriter les frontières de l’ancienne distinction au sein du monde kanak entre une sphère publique masculine et une sphère domestique féminine, l’exigence d’égalité – ne serait-ce qu’en droits – des femmes avec les hommes ne s’est pas imposée au mouvement natioLorsque le courant opposé au naliste alors même que, depuis les années 1970, en son sein, des marxisme fit scission pour créer féministes ont combattu l’oppresun autre parti et mit en place sion des femmes. L’historique des luttes des femmes pour leur émanune section féminine, ce ne fut cipation proposé par cette contripas pour élaborer une stratégie bution souligne également les émancipatrice, mais pour faire de résistances qu’elles ont rencontrées et interroge le glissement la couture et de la cuisine. d’un féminisme militant radical vers un féminisme institutionnel modéré qui paraît tributaire d’accommodements avec les nostalgies conservatrices de ceux qui, au nom d’une identité kanak essentialisée, défendent des principes de masculinité et de séniorité et appellent à récu2. « La société kanak ser comme occidentale l’idée d’égalité 2. n’utilise pas la notion d’égalité au même titre que la société occidentale. De toutes les façons, il ne faut pas avoir honte de dire que l’on est une société qui n’est pas égalitaire car ce système inégalitaire permet d’assurer la cohésion entre les individus... » (La Parole, journal du Sénat coutumier, n° 16, décembre 2012, p. 28). 3. Elle succéda fin 1974 à Nidoïsh Naïsseline à la direction des Foulards Rouges. Cette présidence féminine demeure un cas unique dans l’histoire des groupes politiques kanak. 56 • MOUVEMENTS N° Un féminisme radical kanak éphémère et rapidement oublié •Depuis la première moitié des années 1970, quelques jeunes militantes révolutionnaires kanak des Foulards Rouges et du Groupe 1878, autour de Déwé Gorodé 3 et de Suzanne Ounei, portées par le contexte international des luttes féministes, révoltées par le rôle d’intendance octroyé aux femmes alors que la parole restait une prérogative masculine, engagèrent un débat sur la question de la place des femmes dans la lutte et la société à construire, débat qu’elles continuèrent ensuite dans le Parti de libération kanak (Palika) fondé en 1976. Au congrès de Témala, en 1980, à l’issue d’âpres discussions, les féministes et ceux qui les soutenaient dans ce parti emportèrent la décision de créer une section féminine afin que les femmes puissent définir elles-mêmes les contours de la lutte pour leur émancipation. Les réticences à une organisation séparée des femmes se révélèrent toutefois fortes et la résolution ne fut pas appliquée. Bien que le matérialisme historique soit devenu officiellement la philosophie politique du parti, l’analyse critique des hiérarchies de genre, d’âge et de rang au sein de la société kanak resta limitée. Lorsque le courant opposé au marxisme fit scission pour créer un autre parti (Libération kanak socialiste, en 1981) et mit en place une section féminine, ce ne fut pas pour élaborer une stratégie émancipatrice, mais pour faire de la couture et de la cuisine, en continuité avec le modèle des activités proposées aux femmes par les missions pendant la période coloniale. Suzanne Ounei, qui était dans cette section, décida alors de la quitter et de se tourner vers des jeunes femmes de sa connaissance à Nouméa et à la tribu proche de Saint-Louis pour constituer une organisation « autonome, indépendantiste et féministe » : 91 automne 2017 Quatre décennies de féminisme kanak le Groupe de femmes kanak et exploitées en lutte (GFKEL). Ce petit groupe dont les deux premières banderoles proclamaient « Pas de libération kanak sans libération des femmes » et « Femmes prenez la parole » soutenait que les femmes kanak devaient lutter à la fois contre la domination coloniale et contre la domination patriarcale, sans prioriser un combat au détriment de l’autre et que, pour surmonter leur subordination et combattre les résistances masculines à l’émancipation des femmes au sein même du mouvement nationaliste, il leur fallait s’organiser indépendam4. Cette dynamique fut ment 4. celle du MLF en France Le noyau d’origine fut renforcé par des jeunes femmes de Koindéet, bien avant, celle des Ouipoin, tribus dans lesquelles, en janvier 1983, à la suite d’un affronteanarchistes espagnoles qui, en 1936, choisirent ment avec les gendarmes, douze hommes avaient été arrêtés. Les fondade s’autonomiser de trices du GFKEL étaient venues leur apporter vivres, couteaux et sabres la CNT pour fonder le d’abattis qui leur avaient été confisqués lors de la répression. Elles privimouvement Mujeres Libres. légiaient en effet la propagande par le fait, à savoir la réalisation d’actions susceptibles de susciter l’adhésion d’autres femmes et le respect Le GFKEL soutenait que les des hommes du camp nationafemmes kanak devaient lutter liste. C’est ainsi que le GFKEL se fit connaître en manifestant sa solià la fois contre la domination darité avec les prisonniers policoloniale et contre la domination tiques kanak de Koindé-Ouipoin chaque jour pendant toute une patriarcale, sans prioriser un semaine devant le haut-commissacombat au détriment de l’autre. riat à Nouméa et par une action où cinq militantes s’enchaînèrent à ses grilles jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre ainsi que par l’irruption d’un commando féminin dans les studios de RFO pour prendre la parole pendant le journal télévisé. Le 24 septembre 1984, le GFKEL, invité par le Front Indépendantiste, participa au congrès constitutif du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et en devint l’un des groupes fondateurs, représenté au 5. Tract intitulé « pas bureau politique. Ses membres tenaient à être de toutes les actions du d’indépendance kanak et socialiste sans Front, y compris les plus risquées, les occupations de terre ou, à Nouméa, libération des femmes », la défense de la cité kanak Pierre Lenquette contre les attaques de nervis 30 avril 1984. loyalistes. Mais, expliquant qu’« un peuple n’est pas libéré si une partie de 6. Cf. l’article « Ras le ce peuple, en l’occurrence les femmes, continue de subir des injustices et viol », in Bwenando, 5 une oppression quotidiennes », le GFKEL s’attachait aussi à dénoncer, y 40, 22 mai 1986. Déwé Gorodé, restée au compris dans Bwenando le journal du FLNKS, l’oppression spécifique des Palika, continuait de femmes, l’asservissement domestique, la non-reconnaissance politique à son côté à dénoncer 6 part entière, les violences sexuelles et domestiques : l’oppression des femmes et les violences qu’elles « C’était très difficile de mener de front la lutte au sein du FLN pour l’insubissent, notamment dépendance et la lutte pour faire admettre un certain nombre de choses dans les poèmes de quant à la position des femmes dans la société, la prise de la parole, son premier recueil paru Sous la cendre l’arrêt des viols, tout ça. Au tout début quand on n’était pas encore dans des conques, Nouméa, le FLN, on avait dénoncé le viol lors d’un meeting place des Cocotiers. Editions PopulairesIls ne sont pas venus nous agresser, mais dire que ça avait été mal EDIPOP, 1985. MOUVEMENTS N° 91 automne 2017 • 57 Kanaky Nouvelle-Calédonie : situations décoloniales perçu qu’on parle de ça en pleine place des Cocotiers avec un mégaphone. Après, quand on était dans le FLN, à chaque fois qu’on affirmait des positions féministes, on nous disait : on n’a pas le temps de parler de tout ça, pour l’instant c’est la lutte pour l’indépendance qui compte. Nous on ne voyait pas pourquoi l’un empêchait l’autre parce que c’est ça qu’ils nous sortaient. On estimait que si on n’en parlait pas dès le début, on allait être les laissées-pour-compte dans l’avenir. Un jour on a dit dans un meeting que nous, on ne voulait pas que les femmes soient les laissées-pour-compte de l’indépendance » (Danielle 7. Entretien de l’auteure Prébin, secrétaire du GFKEL 7). avec Danielle Prébin Tant sociologiquement qu’idéologiquement, ce groupe d’une trentaine et Gisèle Pidjot à de jeunes femmes, très libres, contrastait avec les « mamans » (terme par La Conception, le 20 décembre 1995. lequel sont désignées celles qui élèvent des enfants dans des couples socialement reconnus) du Mouvement pour un souriant village mélanésien, association féminine d’entraide fondée en 1971 par une religieuse européenne, sœur Marie-Philomène, et par Scholastique Pidjot, l’épouse du président de l’Union calédonienne (l’UC). Implantée dans les tribus catholiques et mobilisée pour assurer la réussite du Festival Très transgressives par rapport Mélanésia 2000 en 1975, le but iniaux normes de genre et d’âge de tial de cette association était d’encourager les femmes à aller de la société kanak, les militantes l’avant et à embellir leur foyer afin du GFKEL se trouvèrent vite que les maris arrêtent de boire. De leur côté, très transgressives par marginalisées au sein du rapport aux normes de genre et mouvement nationaliste. d’âge de la société kanak, les militantes du GFKEL se trouvèrent vite marginalisées au sein du mouvement nationaliste : une déléguée mandatée au bureau politique du FLNKS se fit récuser parce qu’on la trouvait trop jeune ; lors d’une autre réunion du bureau politique, la représentante du groupe reçut un cendrier au visage et, quelques temps après, au congrès de Hienghène du FLNKS (1986), alors qu’elle parlait, le micro lui fut coupé… En butte à l’hostilité ouverte de certains cadres indépendantistes et à la pression des familles qui les sommaient de rentrer dans le rang, en l’absence de la fondatrice du groupe (Suzanne Ounei) partie vivre en Nouvelle-Zélande, les militantes se découragèrent et commencèrent à se disperser à partir de 1986, au moment même où des femmes rurales du Nord intéressées par les articles parus dans Bwenando écrivaient pour demander au GFKEL de venir les rencontrer. La structuration d’un féminisme radical kanak fut donc relativement éphémère – quatre ans – et n’obtint pas que le mouvement indépendantiste adopte un idéal de genre égalitaire. Certes, Jean-Marie Tjibaou, qui avait bénéficié pour préparer et organiser le Festival Mélanésia 2000 du soutien du Mouvement pour un souriant village mélanésien et à qui le rôle des femmes dans la lutte n’avait pas échappé, nomma une femme – Yvonne Hnada – en charge du travail et 58 • MOUVEMENTS N° 91 automne 2017 Quatre décennies de féminisme kanak des affaires sociales dans son Conseil de gouvernement de 1982 à 1984 8. L’Union calédonienne elle-même, en 1986, finit par intégrer à sa commission exécutive une femme, suivie l’année suivante par deux autres. Cependant interrogée par le journal Kanaky 9 sur la façon dont les hommes vivaient l’arrivée de militantes à la direction du parti, Philomène Machoro, qui avait été la première à y siéger, répondait : « Ce sont eux qui ont décidé d’introduire des femmes dans la commission exécutive. Ils acceptent. Mais il y a aussi les féministes qui refusent leur rôle de femmes. Celles-là, on se moque d’elles. On ne peut pas bousculer les choses comme ça. Cela viendra petit à petit ». La question de l’émancipation des femmes, qui constituait une source potentielle de discorde au sein du mouvement nationaliste, fut vite éludée dès que le GFKEL cessa ses activités et, de fait, ne constitua jamais qu’une préoccupation périphérique du FLNKS. La Constitution de Kanaky, élaborée en 1987, ne fait pas mention de l’égalité entre hommes et femmes et la question ne fut pas même abordée 10. Lorsqu’après la création des Provinces (suite aux accords de Matignon en 1988), la délégation du haut-commissariat rattachée au Service aux droits des femmes fut remplacée par des missions provinciales, la province Nord – dirigée par les indépendantistes – nomma ce service « Mission de LA Femme », dénomination qui véhicule une vision essentialisée du genre et évacue la notion controversée de droits des femmes. Encore en 2004, l’appellation choisie pour le secteur nouvellement créé au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (confié à Déwé Gorodé, féministe du Palika) fut celle de secteur de « la condition féminine », notion utilisée par le marxisme mais critiquée lors de la rupture opérée par le féminisme matérialiste et antinaturaliste parce qu’elle est compatible avec le postulat d’une spécificité féminine – la maternité – justifiant un idéal de complémentarité des sexes plutôt que d’égalité. 8. Depuis la création de l’institution par la loi-cadre en 1956, c’était la première fois qu’une femme y siégeait, qui plus est une Kanak. Yvonne Hnada, infirmière de profession et militante au Parti socialiste calédonien, devint immédiatement la cible de violents quolibets racistes et sexistes des élus loyalistes du Congrès ainsi que des journalistes des Nouvelles Calédoniennes qui la présentaient comme incompétente. 9. Journal de l’Association information et soutien aux droits du peuple kanak (AISDPK) n° 8, juin 1987, p. 12. 10. Seuls d’ailleurs des hommes participèrent à son élaboration (cf. Michel Miaille, communication à la journée « Faire de la coutume kanak un droit », Paris, EHESS, 24 novembre 2015). Une audience élargie au travers du mouvement associatif rural •Néanmoins, dans les années 1990, à la faveur du rééquilibrage social initié par les accords, les aspirations des femmes kanak à l’émancipation se redéployèrent, notamment en milieu rural où les associations de La question de l’émancipation femmes se multiplièrent : à côté des femmes, qui constituait une des groupes de femmes des Eglises protestantes et de ceux source potentielle de discorde au affiliés au Mouvement pour un sein du mouvement nationaliste, souriant village mélanésien, se constituèrent dans de nombreuses fut vite éludée dès que le GFKEL « tribus » des associations laïques cessa ses activités. sur une base résidentielle, se regroupant à l’échelle communale et provinciale. Cet espace social féminin, utilisé au départ pour sortir de l’isolement domestique, promouvoir la vannerie (un artisanat des femmes) et un meilleur accès aux ressources économiques, devint assez rapidement une tribune pour protester contre les abus d’alcool des hommes et MOUVEMENTS N° 91 automne 2017 • 59 Kanaky Nouvelle-Calédonie : situations décoloniales 11. L’enquête citée informe que, toujours en 2002, 61 % des Kanak rurales et 70% des Kanak urbaines refusaient l’autorité de l’homme dans la famille avec une forte différence entre les jeunes femmes de moins de 35 ans et les plus âgées (70% vs 38%) (http://www.recherchesnouvelle-caledonie.org/ spip.php?article48). 12. Il s’agit d’un vêtement couvrant et ample, avec une encolure au ras du cou et des manches, que les missionnaires ont progressivement imposé aux femmes en remplacement des jupes de fibres assimilées à de la nudité. Les compétitions féminines de cricket se font dans cette tenue, chaque équipe portant une robe en tissu différent. Le fait qu’elle ait été interdite dans les lycées et à l’école de formation des infirmières jusque dans les années 1970 avec les chaussures nu-pieds (les « claquettes »), ce qui était une façon de signifier que les Kanak n’y étaient pas bienvenu·e·s, a par la suite contribué à ce qu’elle soit appropriée comme un symbole identitaire. 13. Introduit par les missionnaires anglais au XIXe siècle aux Iles Loyauté, le cricket est en Nouvelle-Calédonie le sport le plus pratiqué par les femmes kanak. 60 • MOUVEMENTS N° contre les violences faites aux femmes qu’ils engendrent. L’enquête en population générale féminine, Santé conditions de vie et de sécurité des femmes calédoniennes (Inserm, 2002-03), révèle l’ampleur du mouvement associatif puisqu’en 2002, un quart des femmes kanak rurales participaient régulièrement aux activités d’une association de femmes. Dans ces associations, les femmes bien qu’elles n’aient pas combattu la subordination dans les mêmes termes que le GFKEL, soulignaient dans la sphère domestique la contradiction entre la gestion féminine effective et l’autorité masculine, au sens du commandement, contestée par une majorité d’entre elles 11. L’idée d’égalité faisait son chemin et, à la veille de l’Accord de Nouméa, lors du « Grand palabre du conseil consultatif coutumier » – une institution issue des accords de Matignon préfigurant le Sénat coutumier – les associations de femmes vinrent en force le faire savoir : « Les représentantes des associations féminines demandent, en premier lieu, à être considérées comme égales des hommes dans la communauté kanak. Dans cette perspective, elles souhaitent vivement que soient modifiés leurs droits dans les domaines de l’adoption, de la séparation, du divorce, du mariage, de la succession en cas de décès du conjoint. Les règles portant sur la propriété des terres et des biens doivent, tout autant, être modifiées dans un souci d’une plus grande égalité » (rapport du Grand palabre, juillet 1997). À côté de la Fédération des associations des femmes mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie regroupant à l’échelle du pays l’ensemble des associations locales, trois associations « nationales » de défense des droits des femmes, dirigées elles aussi par des femmes kanak, s’étaient constituées : SOS Violences sexuelles (1992), Femmes et violences conjugales (1998) et l’Union des Femmes citoyennes (1998) dont l’objectif était de permettre aux femmes de peser sur la citoyenneté calédonienne en construction. Deux mobilisations témoignent, au début des années 2000, de la force du mouvement associatif et de sa capacité à dénoncer le sexisme et le racisme. Une brasserie qui avait lancé une marque (la bière Adèle) dont le logo était une Kanak en robe mission 12 tenant une batte de cricket fut contrainte de l’abandonner après une marche de protestation organisée par la Ligue féminine de cricket 13 et l’Union des Femmes citoyennes dénonçant l’utilisation de l’image de la femme et du sport afin de vendre de l’alcool (22 avril 2000). Deux ans plus tard, ayant découvert la circulation sur l’intranet de la Caisse d’épargne d’un montage dégradant présentant une femme kanak en maillot de bain, affublée d’une tête de guenon et appelée Miss Kanaky, plus de 300 femmes à l’initiative de la commission des femmes du syndicat indépendantiste USTKE manifestèrent à Nouméa devant le siège de la Caisse d’épargne avec pour slogans : « halte au racisme anti-kanak », « halte au racisme anti-femmes » (14 juin 2002), obligeant l’établissement à présenter des excuses. Certains hommes politiques indépendantistes persistaient cependant à justifier l’absence des femmes du devant de la scène politique, prétendant que « c’est un problème inventé par des idéologues antikanak ! Chez 91 automne 2017 Quatre décennies de féminisme kanak nous, les femmes ne s’intéressent pas aux affaires publiques » (Roch Wamytan, L’Express, 5 novembre 1998). Mais, aux élections provinciales de 1999, après deux mandatures sans aucune élue indépendantiste, trois femmes (deux dans le Nord et une dans le Sud) furent présentées par le FLNKS en position éligible. Les années suivantes, le débat particulièrement houleux sur la parité – puisqu’il se trouva des hommes politiques kanak (loyalistes comme indépendantistes) pour demander son ajournement au motif que les femmes kanak n’étaient pas « prêtes » – mobilisa encore davantage sur les enjeux d’égalité. Seules désormais les institutions coutumières créées par l’Accord de Nouméa faisaient figure de bastions exclusivement masculins. Une association rassemblant des femmes kanak de tous bords politiques, formée pour la circonstance, l’association des Femmes kanak du XXIe siècle, rencontra le Sénat coutumier, et demanda que des femmes puissent y siéger. Le porte-parole du Sénat coutumier leur répondit : « Notre grand défi ce sont les traditions à sauvegarder même si l’évolution et la modernité sont inexorables. […] Il y a des réformes à faire et une réorganisation à mettre en place. En revanche, la parité n’a rien à voir avec la coutume » (Les Infos, 13 juin 2003). Sans s’arrêter à cette fin de non-recevoir, deux élues féministes kanak, Eliane 14. Eliane Ixeco avait Ixeco 14 et Déwé Gorodé, proposèrent ensemble, avant le premier renouprésidé l’association vellement des Sénateurs coutumiers de 2005, de remplacer la nomination Femmes et Violences des sénateurs selon les « us et coutumes » par leur élection, ce qui aurait conjugales avant d’entrer en politique et ouvert l’institution aux femmes. Le rejet de cette initiative fit écrire à d’être élue à la province Déwé Gorodé dans le journal de l’Agence de développement de la Sud sur la liste Avenir culture kanak : « Dire que la femme ne doit pas parler des affaires coutuEnsemble, un parti non indépendantiste mières parce que ça a toujours été comme ça est une position dangereuse nouvellement créé. dans la mesure où nous-mêmes ne sommes plus comme avant. Et Le débat houleux sur la parité – puis, les conseils des anciens, les conseils de district, les conseils puisqu’il se trouva des hommes d’aire, le Sénat coutumier luipolitiques kanak pour demander même sont des structures qui, son ajournement au motif que pour la plupart, ont été mises en place parce que les politiques ont les femmes kanak n’étaient pas choisi de prendre en compte la « prêtes » – mobilisa sur les enjeux réalité coutumière dans l’accord de Nouméa et avant cela, dans les d’égalité. accords de Matignon, afin qu’il y ait une représentation de la coutume dans les institutions. Elles n’existaient pas auparavant, mais pourtant on est bien dedans ! Si vous campez sur ce genre de position, vous risquez de devenir un Sénat-musée, complétement dépassé » (Mwa Vèè, 2005, 48, p. 23). Toutefois, dès ce moment, quelques voix féminines se démarquèrent en adoptant une position conciliante avec le culturalisme conservateur. Ainsi la responsable du service de la Mission de la femme à la province Nord, pourtant au Palika : « Il ne faut pas s’imposer, mais démontrer MOUVEMENTS N° 91 automne 2017 • 61 Kanaky Nouvelle-Calédonie : situations décoloniales notre valeur. […] Il faut que nous trouvions des solutions ensemble, avec nos hommes, nos autorités coutumières » (Valentine Eurisouké, Les Nouvelles Calédoniennes, 8 mars 2003). Ou encore des femmes du district de Guahma à Maré qui expliquèrent aux coutumiers de leur district que leur féminisme ne devait pas les inquiéter, ce n’était pas un féminisme occidental, c’était un « féminisme indigène » (Charlotte Wadrawane et Fara Caillard, Mairie de Maré, 9 août 2005). La contre-offensive patriarcale •Cette notion de « féminisme indigène » faisait écho à une nouvelle politique kanak, qui se distinguait de plus en plus de celle du FLNKS, visant non la souveraineté du pays, l’indépendance, mais la reconnaissance de droits spécifiques – le droit coutumier par exemple – et l’instauration de politiques différentialistes concernant les Kanak. Cette stratégie « autochtoniste » allait davantage s’affirmer dans la seconde moitié des années 2000, grâce notamment à l’activisme du Sénat coutumier et au renfort de juristes et de magistrats (des hommes européens). Leur volonté d’élargir les prérogatives du droit coutumier donna lieu à une mesure particulièrement préjudiciable aux femmes kanak victimes de violence : l’extension en 2007 du droit civil coutumier (circonscrit aux affaires Cette notion de « féminisme familiales et foncières) à la fixation indigène » faisait écho à une d’indemnités par des juges coutumiers, peu enclins à soutenir les nouvelle politique kanak, femmes. L’association SOS Viovisant non la souveraineté du lences sexuelles s’insurgea contre pays, l’indépendance, mais cette inégalité de traitement avec les femmes de statut de droit comla reconnaissance de droits mun, déclenchant une controverse spécifiques et l’instauration juridico-politique que trancha six ans plus tard l’État en permettant à de politiques différentialistes la juridiction pénale de droit comconcernant les Kanak. mun, en l’absence de demande contraire de l’une des parties, de statuer sur les intérêts civils des victimes de statut coutumier kanak. Les femmes kanak qui s’exprimèrent sur la question se prononcèrent évidemment contre cette extension du droit coutumier et pour un traitement égalitaire avec les autres femmes, notamment Fara Caillard, responsable de l’association des Femmes citoyennes, de celle des Femmes kanak du XXIe siècle et de l’Union des Femmes francophones d’Océanie nouvellement constituée, qui déclara à ce sujet dans une interview aux Nouvelles Calédoniennes le 18 février 2011 : « Il faut que les femmes kanak puissent avoir recours à la juridiction de droit commun ». Mais les partisans du pluralisme juridique ayant fait valoir qu’on ne pouvait choisir sa justice ou son statut tout en continuant à s’affirmer kanak, elle se défendit ensuite de vouloir renier son statut (de droit coutumier) et infléchit son discours : 62 • MOUVEMENTS N° 91 automne 2017 Quatre décennies de féminisme kanak « Selon moi, notre statut a un sens et je le défends. Il représente notre repère identitaire et nous lie à notre espace clanique et à notre environnement culturel [….] Je crois qu’il faut faire simplement évoluer ce statut et nos droits pour que les choses avancent en faveur des femmes kanak » (LNC, 22 novembre 2012). À partir du moment où le Sénat coutumier rendit public son projet Le Sénat coutumier rappela alors relatif à la « définition du socle commun des valeurs de la coules limites à ne pas dépasser : tume et des principes fondamen« Le pouvoir décisionnel de la taux des droits autochtones », femme kanak s’exerce dans déclarant la coutume et la religion (chrétienne) comme « socles de son environnement familial, l’identité kanak », il ne fut plus social et institutionnel mais question du statut des femmes autrement que comme épouses et pas à la manière d’une femme mères. La Charte du peuple kanak occidentale ». de 2014 énonce en effet dans ses « principes généraux » que la société kanak est « une société patriarcale » dans laquelle la « transmission des droits, des pouvoirs et des responsabilités » est « basée sur l’homme » (article 56), qu’en revanche « les femmes sont appelées à servir dans d’autres clans » (art. 57) et que « les droits individuels s’expriment dans les droits collectifs du groupe (famille/clan) » (art.58). Lors de sa discussion, les militantes politiques ou associatives kanak, qui exprimèrent leurs inquiétudes vis-à-vis de la vulgate patriarcale, furent prestement rabrouées. La présidente de la commission de la femme du Conseil économique, social et environnemental de la Nouvelle-Calédonie (une instance consultative représentant la société civile), membre du Palika, présenta la première version d’un rapport sur « l’exercice du pouvoir décisionnel des femmes du point de vue de la famille » (octobre 2014) qui recommandait « d’adopter une loi de pays pour sécuriser la femme kanak et ses droits, d’instaurer la parité dans les instances coutumières et leur permettre d’in15. Proposition déjà tégrer le conseil des anciens » 15. Le Sénat coutumier, consulté, rappela faite en 2002, plus de alors les limites à ne pas dépasser : « Le pouvoir décisionnel de la femme dix ans auparavant, kanak s’exerce dans son environnement familial, social et institutionnel par les deux élues indépendantistes kanak mais pas à la manière d’une femme occidentale ». La version finale expurde la province Nord. gée du rapport quelques mois plus tard reprend la Charte sur « les principes coutumiers relatifs à la femme : donner la vie, éduquer les enfants et transmettre le patrimoine ainsi que contribuer à nourrir et enrichir sa famille. Concernant les valeurs attachées à la femme, elle est le lien entre les générations et entre les clans (la fertilité est son caractère sacré). Elle a également la valeur d’échange, de paix sociale et de prospérité 16 ». Aucune 16. http://www. ces.nc/portal/page/ voix ne se fit plus entendre pour s’opposer ouvertement à la Charte, portal/ces/librairie/ seules quelques femmes kanak encartées dans des partis non indépenfichiers/29086252.PDF dantistes protestèrent ouvertement : « Le Sénat coutumier souhaite que la charte sur le droit du peuple autochtone de l’ONU soit reconnue, mais ne MOUVEMENTS N° 91 automne 2017 • 63 Kanaky Nouvelle-Calédonie : situations décoloniales reconnaît pas l’égalité des sexes. Parce que le rôle de la femme ne se limite pas à la procréation ! » (Véronique Gopoéa, LNC, 13 novembre 2014). Et c’est seulement une année après la proclamation de la Charte en avril 2014 que Fara Caillard, à son tour, fit remarquer que « la femme Il faut bien constater que le est très déconsidérée à l’intérieur féminisme institutionnel qui de cette charte. Pour le moment les femmes ne sont pas mises en se développa ensuite avec valeur en tant qu’actrices de dével’augmentation du nombre loppement au sein de la société d’instances et de postes dédiés à kanak et en même temps dans l’espace politique » (NC 1ère, 4 mai la « condition féminine » prit un 2015). tour assez différent du féminisme Si, pour les femmes kanak, atteindre dans les années 2000 radical de la génération un certain niveau d’institutionprécédente. nalité, dans les conseils municipaux, les assemblées de province, le congrès et le gouvernement local, avait été une victoire, il faut bien constater que le féminisme institutionnel qui se développa ensuite avec l’augmentation du nombre d’instances et de postes dédiés à la « condition féminine » prit un tour assez différent du féminisme radical de la génération précédente. Ce féminisme institutionnel voit dans la ratification de textes internationaux – à l’instar de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’egard des femmes (CEDEF) – et la participation aux conférences régionales – la plate-forme d’action régionale des femmes du Pacifique par exemple (qui pourtant ne mobilise qu’un très petit nombre de femmes, toujours les mêmes, choisies par les institutions) – des avancées qui semblent pouvoir se substituer à la mobilisation des femmes à la base. Son agenda, calqué sur celui des organisations internationales, contribue dans une large mesure à dépolitiser la question du genre et de l’égalité, même s’il est fait grand usage de ces notions (dont la prise en compte formelle conditionne l’accès à certains financements, européens notamment). L’activité des associations, dont la plupart dépendent entièrement des subventions versées par les institutions, tend elle aussi maintenant à reposer sur des salariées « chargées d’action » et à être absorbée par la programmation évènementielle des bailleurs de fonds : la journée internationale des droits des femmes, la journée pour l’élimination des violences à l’encontre des femmes, la journée mondiale de la femme rurale à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie, auxquelles s’ajoutent, pour la province Nord, la journée de la vannerie et de la robe mission et le grand marché des femmes. Des conflits de compétences entre les institutions et de leadership contribuent également à plomber la dynamique du mouvement associatif d’autant qu’il n’existe en son sein aucun débat d’idées, en particulier sur la compatibilité du référentiel universaliste de l’égalité hommes-femmes et du référentiel culturaliste qui s’est affirmé depuis une dizaine d’années. 64 • MOUVEMENTS N° 91 automne 2017 Quatre décennies de féminisme kanak Bien au contraire, on lit dans le rapport CEDEF de la Nouvelle-Calédonie présenté en 2013 que « La femme, gardienne de la parole coutumière, assure la transmission des valeurs coutumières et la pérennité de la coutume car elle est chargée de l’éducation des enfants. La parole coutumière partagée entre les hommes et les femmes traduit, selon la coutume, un équilibre, une égalité entre les hommes et les femmes dans le monde kanak ». Le concept d’égalité est vidé de son sens et utilisé de façon à coexister sans problème avec un discours qui se veut consensuel. Ainsi, la présentation du « plan stratégique pour l’égalité hommes-femmes 20152019 » du secteur de la Condition féminine du gouvernement énonce à la fois que l’égalité hommes-femmes est un droit fondamental démocratique reconnu par la loi et qui doit se traduire dans tous les aspects de la vie, et que « la prise en compte de l’égalité hommes-femmes dans la société traditionnelle relève également d’une volonté des autorités coutumières qui pourrait être traitée sur la base du Socle commun des valeurs kanak », lequel spécifie pourtant on ne peut plus clairement son attachement au patriarcat (voir plus haut). Autre rupture, l’accent mis maintenant sur la mixité comme si – l’égalité étant déjà acquise ou quasiment – toute organisation et toute lutte séparées des femmes étaient dépassées. Lors de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars 2016, la mixité des débats et l’idée d’asDans un contexte où trop de filles socier davantage les hommes à la kanak sont encore socialisées à réflexion – en particulier les maris et les coutumiers – ont été présense montrer en public humbles et tées comme la grande nouveauté silencieuses devant les hommes, alors même que la réunion était consacrée à l’élaboration d’une la non-mixité ne saurait être « charte pour l’égalité » pour considérée comme un archaïsme. « combattre la persistance et la reproduction des inégalités, des stéréotypes sexistes et des discriminations » : « On est sorti de la démarche de développement de la femme qui mettait l’accent sur leurs spécificités, le combat doit se faire avec tout le monde et sur tous les thèmes » (Astrid Gopoéa, chef de cabinet du secteur de la condition féminine du gouvernement » (LNC, 1er mars 2016). Or, s’il est évidemment souhaitable que des hommes rejoignent le mouvement en faveur de l’égalité et les revendications féministes, leur rôle ne peut être équivalent à celui des femmes et, dans un contexte où trop de filles kanak sont encore socialisées à se montrer en public humbles et silencieuses devant les hommes, la nonmixité ne saurait être considérée comme un archaïsme. Comme l’a souligné Christine Delphy à propos du féminisme français 17, l’affirmation 17. C. DELPHY, « Retrouver l’élan du d’une « égalité-déjà-là » est une mystification qui laisse croire que, dans un féminisme », Le Monde rapport social de domination et d’oppression, les dominants peuvent diplomatique, mai 2004, renoncer de bon gré à leurs privilèges. Un tel message ne peut qu’obscurpp. 24-25. cir la conscience des femmes, les conduire à accepter leur situation comme si elles ne pouvaient espérer mieux et délégitimer toute révolte. MOUVEMENTS N° 91 automne 2017 • 65 Kanaky Nouvelle-Calédonie : situations décoloniales D’ailleurs lorsqu’un collectif baptisé Femmes en colère de Nouvelle Calédonie, soutenu par Fara Caillard et la Ligue des droits de l’homme, voulut manifester le 1er juin 2016 contre les violences faites aux femmes et pour obtenir la destitution d’un indépendantiste kanak en charge des affaires coutumières au gouvernement, interpellé en flagrant délit L’égalité formellement reconnue de violences volontaires sur son ex-compagne, mais que le comité est loin d’être l’égalité réelle directeur de son parti (l’UC) avait qui ne peut s’atteindre qu’en décidé de maintenir au sein de l’exécutif, seules une cinquantaine déconstruisant – et non en de personnes, européennes dans validant juridiquement – leur quasi-totalité, se rasseml’assignation aux différences blèrent. La neutralisation des capacités de sexe. de mobilisation des femmes kanak et la confusion entretenue autour de la notion d’égalité peuvent évidemment s’interpréter diversement. Il ne s’agit certainement pas d’une conversion subite des féministes kanak aux normes masculinistes et patriarcales. La révérence vis-à-vis de la coutume ou la crainte de se faire accuser de trahir l’identité kanak ne suffisent pas non plus à l’expliquer. Une interprétation plus probable serait que, face à la montée du courant « autochtoniste », la plupart des féministes institutionnelles, comme la majorité de la classe politique indépendantiste, considèrent inopportun de creuser les divergences à la veille d’un scrutin qui peut décider de la pleine souveraineté du pays. Elles préfèrent donc œuvrer, en accord avec l’État et les loyalistes, pour que soit inscrite dans « les valeurs calédoniennes » l’égalité entre les femmes et les hommes, en forçant en quelque sorte la main au mouvement nationaliste dans son ensemble qui jusqu’ici n’avait pas souscrit à ce principe. Cependant avec une telle inscription la partie n’est pas gagnée, l’égalité formellement reconnue est loin d’être l’égalité réelle qui ne peut s’atteindre qu’en déconstruisant – et non en validant juridiquement – l’assignation aux différences de sexe. Des régressions sont en outre toujours possibles, sur18. Comme le formule tout quand on choisit de laisser en dehors de l’application du principe le rapport de la mission d’égalité tout un pan de la structure sociale qui prône « des responsabilid’écoute et de conseil sur l’avenir institutionnel tés différentes dans l’organisation sociale traditionnelle pour les hommes de la Nouvelleet pour les femmes 18», euphémisme qui recouvre des inégalités (en droit Calédonie civil notamment) au détriment des femmes et leur subordination. (octobre 2016). • 66 • MOUVEMENTS N° 91 automne 2017