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LES PAYSANS-MINEURS DU BRIANCONNAIS

Ce texte, présenté lors d'une conférence en 2011, est le résumé présentant un mémoire de maitrise s'intitulant "Les paysans mineurs de Villard Saint Pancrace; entre monde paysan et complexe industriel". Ce texte cherche à élargir le sujet à l'ensemble des communes du Briançonnais.

LES PAYSANS-MINEURS DU BRIANCONNAIS DE VAUBAN A NOS JOURS Lenne Aymeric Conférence donnée à Goult en octobre 2011 INTRODUCTION : Situé aux confins de la Provence, le Briançonnais est aujourd’hui un territoire dédié aux tourismes sportifs ou culturel. Mais cet espace a connu pendant près de 300 ans une activité minière intense et particulière autour du charbon. Cette histoire méconnue débute avec l’arrivée des ingénieurs de Vauban lors de la construction des fortifications du Briançonnais qui utilise cette énergie pour faire fonctionner les fours à chaux. Elle ne s’est achevée que très récemment, il y a seulement une vingtaine d’année, en 1989, au moment où la dernière exploitation paysanne est abandonnée. Les mines paysannes du briançonnais constituent un phénomène historique encore mal connu. Souvent le monde de la mine est perçu comme un phénomène industriel, bien étudié par les historiens et connu du grand public. Chaque région française possède ses bassins industriels miniers de charbon. On peut citer ainsi les bassins du Pas de Calais, de Saint Etienne, de Carmaux, ou plus évident en Provence, le complexe minier de Gardanne. Dans tous ces cas, le mineur est un ouvrier ; un ouvrier avec ses codes et son identité défini par rapport au monde de la mine. Le mineur, dans ces bassins a parfois était un paysan, ce ne fut que de manière transitoire, avant de devenir un ouvrier-mineur. Ce schéma se retrouve dans la quasi-totalité des mines de charbon en Europe. Or, en Briançonnais, en s’attardant sur le monde de la mine, on s’aperçoit très rapidement que ce schéma n’a pas été le seul, loin sans faut, a existé dans l’exploitation minière. En 1989, une association s’intéresse à ces mines et ces mineurs. Des premières recherches sont engagées avec B. Ancel archéologue ou J.-L Tornatore, ethnologue. Ce dernier, dans sa thèse, pose la question de savoir, et je le cite, « pourquoi les mineurs du Briançonnais ne sont pas devenu des ouvriers ? ». Cette problématique invite à penser que toute activité minière implique un monde ouvrier. En analysant ce qui se passe en Briançonnais, c’est pour évoquer justement un processus où le mineur n’est jamais devenu un ouvrier mais est resté fondamentalement un paysan, dans ses pratiques d’exploitation, dans ses représentations, dans son identité, jusque dans la mémoire qu’il tire de cet épisode historique. On peut donc se demander pourquoi, au moment où le charbon et son exploitation représente un monde fondamentalement industriel et donc ouvrier, le Briançonnais a choisi une voie pas ou si peu industrielle, pas ou si peu moderne ? Et comment se fait-il que cette voie reste constante, avec néanmoins quelques adaptations, pendant près de 300 ans ? Dans un premier temps, je décrierai l’ensemble des contraintes naturelles (climatiques, géographiques et géologiques) de cette exploitation minière, mais aussi le cadre culturel (avec l’ensemble du cadre économique, sociale et humain) qui constitue le cadre général de cette exploitation du charbon en briançonnais. Et est-ce que l’ensemble de ces contraintes constitue un véritable déterminisme au sens des géographes. Dans un deuxième temps, je m’attacherai à évoquer les grands moments de cette exploitation avec comme idée maîtresse que le charbon briançonnais a toujours été un charbon de « secours »pour ces paysans ou pour le pays. Enfin, j’essayerai de définir l’identité de ces paysans- mineurs et de répondre, à la suite de J.-L Tornatore, si l’on doit parler de mineurs-paysans ou de paysans-mineurs ? I LE CADRE GENERAL DE L’EXPLOITATION DU CHARBON EN BRIANCONNAIS : UN DETERMINISME GEOGRAPHIQUE FONDAMENTAL ? Le briançonnais constitue, en tant que territoire de montagne, un ensemble a priori contraignant pour toute activité humaine. C’est tout d’abord un espace de montagne, un site défini par des éléments géographiques incontournables. Ce climat réduit la période de culture du 15 mai au 15 septembre ; l’activité agricole s’étale sur seulement un tiers de l’année, et laisse ses populations sans activité le reste de l’année. L’altitude élevée dans cette partie de l’Europe et les fortes dénivellations, avec des « montagnes qui montent aux nues et des vallées qui descendent aux abîmes », d’après Vauban, limitent les activités humaines. Cela provoque ainsi, en liaison avec le régime méditerranéen pluviométrique et ses précipitations violentes, une forte érosion des sols, des glissements de terrains, des crues torrentielles dévastatrices, ou des avalanches qui détruisent maisons et champs. Ainsi l’espace agricole est très fortement restreint : seulement 10 % de la surface totale est exploitable par l’agriculture et 40% pour les pâturages. Cela implique un mode d’exploitation agricole spécifique à ces sociétés de montagne. Si les conditions géographiques imposées à ce site du Briançonnais apparaissent très difficiles à toutes activités humaines, cet espace de montagne jouit d’une situation qui lui a permis, à certaines époques, de pallier aux difficultés naturelles. Au premier abord, le Briançonnais peut paraître enclavé, éloigné des centres et des axes de communication. Tout au long de l’histoire, la situation a parfois était très favorable. Ainsi, lors du transfert de la papauté en Avignon, les liens entre l’Italie et la nouvelle capitale pontificale ont assuré une prospérité indéniable aux briançonnais. Cet éloignement, cet enclavement relatif a aussi permis au Briançonnais de forger une société particulière. L’institution monarchique ne s’est que peu préoccupée de cette société peu à même d’assurer une quelconque part à sa prospérité. Très tôt, s’est ainsi forgée une société indépendante appelée « république des escartons ». Fondée en 1343 sur le modèle des « républiques des Pyrénées », elle s’approche, par ses statuts, d’une gestion démocratique, et de fait, rend presque autonome et indépendant cette région de France, jusqu’à la révolution. la noblesse en est exclue et la bourgeoisie ne représente qu’une faible part des habitants du Briançonnais. Corollaire à cette organisation singulière, existe un égalitarisme prononcé à l’intérieur des communautés et entre les communautés. Si ainsi en apparence, les conditions de vie paraissent extrêmement difficiles, le Briançonnais a toujours présenté une démographie forte avec des densités très élevées. C’est ainsi une des régions de montagne de la chaîne alpine les plus densément peuplées, du moyen âge au XIXème siècle. Cet équilibre et ce dynamisme démographique n’ont pu existé que grâce à une émigration forte, qu’elle soit saisonnière ou définitive, gage d’un équilibre toujours précaire. Ainsi, dans ces sociétés de montagne, l’équilibre de ces populations entre leurs besoins et la ressource disponible est toujours susceptible de grandes variations difficiles à anticiper. Tous dérèglements, de quelques ordres que ce soit, influence directement les mécanismes sociaux économiques du Briançonnais. Pour ces paysans, la pluriactivité est donc une nécessité. L’été est donc consacré à l’agriculture tandis que l’hiver certains émigrent comme colporteurs ou instituteurs itinérants, certains travaillent dans de petites industries artisanales (textile par exemple avec une spécialité reconnu dans tout le grand sud-est de peignage de chanvre). Dans ce Briançonnais aux contraintes fortes, s’ajoute, pour une histoire des mines, une géologie fortement tourmentée. Le bassin houiller briançonnais recèle un des plus grand gisement de charbon d’Europe. IL s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste qui débute au Nord, vers le grand Saint Bernard, et se termine au sud au col de Larche. Il s’étend sur une bande de 100 Km de large au maximum. En Briançonnais, il affleure à la surface quasiment dans toutes les communes, de part l’érosion des vallées de la Guisane et de la Durance. De ce premier tableau pourrait naître l’idée d’une formidable richesse, facile d’accès. Or, ce charbon est en fait un anthracite de mauvaise qualité, constitué pour l’essentiel de poussières qui rende son conditionnement difficile et de matières volatiles, cendreuses difficiles à brûler. Lorsque l’armée arrivera pour fortifier la frontièreenà Briançonnais vers 1720-30, des tests seront effectués et rapidement son usage sera abandonné car ce charbon, nous dit, l’intendant, « répand une fumée infecte qui l’a fait proscrire des chambrées des garnisons parce qu’il nuisait à la santé et aux habits des soldats ».De plus, ce gisement houiller briançonnais se présente sous la forme de filons de faible épaisseur, de quelques dizaines de centimètres à 2-3 mètres d’épaisseur, rarement plus. Cependant, ces filons sont présents partout sur le territoire et très facile d’accès car la montagne coupe ces filons à de multiples endroits et chacun peut creuser sa galerie ou son trou sans aucun problème technique ou financier. Ce sont sûrement ces deux contraintes d’ordre géologique qui sont à l’origine, qui déterminent l’exploitation du charbon en Briançonnais : disponible d’accès facile pour le chauffage de la population mais difficile à mettre en valeur dans une perspective d’exploitation d’envergure industrielle de part la faiblesse de ses filons et la difficulté de conditionner cette houille à des fins marchandes et industrielles. II L’HISTOIRE D’UN CHARBON DE SECOURS L’histoire de ce charbon est donc l’histoire d’un charbon de secours. Pour ces populations de montagne, c’est un élément de leur survie : les forêts sont anéanties année après année face à une demande de ces nombreuses populations ; il faut donc trouver un substitut au bois. Pour la France, face aux crises que représentent les deux conflits du 20 ème siècle, il faut trouver un charbon de substitution à ceux provenant habituellement des bassins du nord et de l’est. L’utilisation du charbon est, au début, amenée par les ingénieurs héritiers de Vauban qui doivent fortifier la frontière briançonnaise à la suite du traité d’Utrecht de 1714-1715 ramenant la frontière au col du MontGenèvre. Pour la construction de ces forts, les architectes utilisent habituellement les matériaux locaux : pierres, bois, chaux…Or le briançonnais doit faire face à une véritable pénurie de bois : la population est nombreuse et l’utilise pour se chauffer dans cette région de montagne où les hivers sont rudes. Les ingénieurs vont alors se tourner vers l’utilisation de ce « charbon de terre ». Cela nous est connu par des sources indirectes. On retrouve une quinzaine de fours à chaux dans les alentours immédiats des forts sur les 150 encore visibles dans tout le briançonnais. De plus, un premier règlement d’exploitation est rédigé par la communauté de Villard-Saint-Pancrace en 1733. Ce règlement cherche à ménager les intérêts de l’Etat et de ses ingénieurs pour rationaliser leur approvisionnement en charbon et les intérêts de la communauté qui ne veulent pas être dépossédé d’un bien qu’elle croit posseder, à l’image de ce qu’elle pratique avec les biens communaux. Déjà deux optiques s’affrontent et elles vont marquées profondément l’histoire de l’exploitation minière en Briançonnais. A partir des années 1740-1750, les sources ne mentionnent plus d’exploitation. Après ces besoins pour les fortifications, il semble que la population n’est pas fait sienne ce procédé de chauffage et de cuisson de la chaux. Les forêts sont donc encore être très fortement exploitées. En 1785-1786, le commissaire à la guerre installé à Briançon, le baron Schlaberg, créée une compagnie avec des marchands de Lyon dont le but est de fournir la garnison en charbon pour le chauffage tout autant que pour la cuisson de la chaux, de briques et de tuiles. Immédiatement, les communautés s’organisent et sollicite « la protection du roi » pour « jouir des mines de charbon qui y sont situées, comme faisant partie des propriétés que la pays briançonnais occupe depuis 1343 ». IL s’agit « d’empêcher les étrangers ne viennent bénéficier sur les habitants desdits mines de charbon afin de s’en réserver l’exploitation directe ». On ne serait être plus clair. Les communautés considèrent ces mines de charbon comme un bien communal dont elle se réserve la jouissance et la gestion. Par la virulence de leur correspondance, on se rend compte que ce charbon commence à compter pour cette économie locale. De plus en plus de villages exploite leurs gisements, des réseaux commerciaux se mettent en place avec la Grave et le Queyras, dépourvus de charbon, tout comme avec la garnison de mont-Dauphin. Avec la révolution, Schlaberg disparaît tout comme son ambitieux projet. C’est le premier échec d’une tentative d’exploitation moderne du charbon en Briançonnais. Cette exploitation va connaître son véritable essor et va s’installer dans le paysage économique et social du briançonnais au 19ème siècle en deux phases. On peut le voir avec les dates de mises en concession. Premier temps, les années 1827-1840. C’est à cette période que chaque commune va vouloir posséder ses concessions minières. La raison est très simple. En 1827, est promulgué le Code forestier qui réduit drastiquement l’usage séculaire que pouvait faire les anciennes communautés des bois communaux. Ce code amène de très nombreux contrôles et se révèle très efficace. Ainsi, les Briançonnais ne disposent plus de leur principale ressource pour se chauffer. Ils vont donc se tourner très rapidement vers le charbon et adapter leur système économique local à ce nouvel impératif. Une quinzaine de concession, sur les cinquante qui seront accordées pour tout le Briançonnais, sont alors mise en place sur cette période. Deuxième temps, les années 1860-1870 : deux considérations concomitantes entrent en jeu. C’est d’abord un facteur climatique. E. Leroy-Ladury a mis en évidence, pendant cette période, un refroidissement. L’activité agricole, dans ce monde de montagne, s’en ressent presque immédiatement. Parallèlement, cette décennie marque une très forte hausse démographique dans les vallées du Briançonnais. Les besoins en chauffage sont donc plus importants. Ce sont ces deux changements profonds qui influencent le fragile équilibre entre la ressource agricole, plus rare et difficile à obtenir avec ce climat qui change, et les besoins qui augmentent avec la hausse démographique. Il faut donc trouver des mécanismes sociaux et économiques qui permettent de trouver un autre équilibre. Et c’est l’exploitation du charbon qui permet de construire ce nouvel équilibre. Pourquoi ? Premier élément : le charbon fournit le chauffage supplémentaire à ces populations qui en ont un besoin vital. Deuxième élément : au lieu de partir, de migrer, temporairement ou définitivement, les populations briançonnaises vont pouvoir trouver une activité hivernale supplémentaire, et va parfaitement s’intégrer dans la système de la pluriactivité. Sur la base des calculs de Nadine Vivier, dans sa thèse sur l’économie rurale en Briançonnais, on peut estimer, pour la deuxième moitié du 19ème siècle que si l’exploitation minière n’avait pas existé l’émigration définitive aurait été deux fois plus importante pour le Briançonnais. Si cette exploitation est d’une importance sociale cruciale pour les briançonnais, cette exploitation du charbon ne représente pratiquement rien en valeur économique. En 1867, le bassin briançonnais produit officiellement l’équivalent d’une journée de production du bassin de Saint Etienne, c'est-à-dire environ 10 000 tonnes. C’est la fourchette basse dans la mesure où rien n’est réellement mesuré puisque qu’il n’existe pas de marché et que l’on se base sur les déclarations d’impôt des mineurs qui sous-estiment leurs productions, afin de limiter leurs contributions. A partir de 1880, et avec les dernières mises en concession, tout le territoire briançonnais est alors en exploitation. Et si l’arrivée du train représente pour certains l’espoir d’un avenir meilleur, pour les mineurs, rien ne change ; le charbon briançonnais reste un charbon local parce que domestique. Au 20ème siècle, ce charbon continue d’être un charbon local mais les deux conflits mondiaux vont lui donner une vocation nationale : le charbon briançonnais devient alors un charbon au secours des populations et de l’économie qui doivent faire face aux conséquences de la guerre. Lors de la première guerre mondiale, les puits les plus productifs du nord de la France sont aux mains des allemands ou inexploitable du fait de leur proximité du front. L’Etat souhaite développer les petits bassins, dont le briançonnais est un bon exemple. A partir de 1915, des entreprises qui prospectaient les mines du Briançonnais depuis les années 1905-1910 vont accélérer leur investissement du fait de la hausse de prix du charbon et acquérir certaines mines, remettre en service certaines exploitations et engager de nombreux travaux de recherches. Des mineurs venus principalement des mines du Pas-de-Calais sont envoyés en Briançonnais et les mineurs des mines paysannes sont embauchés dans ces mines industrielles. En 1917, le Briançonnais peut alors augmenter radicalement sa production et passe alors à 60 000 tonnes cette année-là. A la fin de la guerre, l’espoir est grand pour les ingénieurs des mines de voir ces investisseurs s’engager à long terme dans un processus de production industrielle. Or, il n’en est rien et dès 1919-1920, les mines briançonnaises retrouvent leur niveau de production d’avant guerre ; aux alentours de 10-12 000 tonnes. La raison est simple ; les investisseurs étaient en fait à ce moment là des spéculateurs qui ont exploité à outrance les gîtes les plus riches sans prêter attention à l’éventuel avenir de ces mines. Mais cet épisode a fait connaître le bassin à d’autres entreprises qui vont venir, à partir des années 1920, en Briançonnais investir. Elles prennent possession d’une dizaine de concession qu’elles exploitent de manière industrielle. Elles embauchent de nombreux mineurs, modernisent l’appareil de production, tentent de commercialiser leur production hors du briançonnais. De nombreux espoirs naissent pour les ingénieurs des mines et ces investisseurs. En 1928, une société souhaite même construire une centrale électrique fonctionnant avec la houille locale dans le but d’alimenter une usine chimique. La crise de 1929 empêchera le projet de réellement débuter et les mines industrielles débauchent, se concentrant sur les filons les plus productifs. La guerre 1939-1945 va donner à nouveau au Briançonnais un rôle important. Les mines industrielles vont augmenter très fortement leurs productions à partir de 1942 qu’elle vont exporter dans près de quarante départements français. C’est l’âge d’or des mines industrielles comme paysannes, c’est ce moment qui est resté dans l’imaginaire des briançonnais, dans la mémoire. Mais cet épisode est à relativiser car lorsque se pose la question des nationaliser des gisements houillers français, le Briançonnais n’apparaît à aucun moment dans les différentes discussions, et pour cause, en 1947, sa production représente 0,043 % de la production nationale. Cependant, les entreprises vont continuer leurs investissements jusqu’au milieu des années 1950, avant de se rendre à l’évidence : le bassin briançonnais n’est pas rentable si on l’exploite de manière industrielle, en terme d’organisation de l’exploitation et de débouchés marchands : trop cher à faire fonctionner, il n’est donc pas rentable. C’est alors que débutent les différentes fermetures de sites qui se font de manière apaisée, sans réelle opposition de la population, qui s’achèveront, pour les principales mines en 1962. A cette période, les mines paysannes continuent de fonctionner. Mais le fuel domestique occupe de plus en plus de place dans les foyers briançonnais car moins cher et plus pratique. La plupart des mines paysannes ferment dans la décennie 1970, avec comme exception notable la fermeture de la dernière mine du Briançonnais au printemps 1989, à Villard-SaintPancrace. A très gros traits, voici la chronologie du bassin briançonnais. Ce charbon a été, pendant près de trois cents ans, un charbon domestique utilisé pour le chauffage de la population mais surtout il a surtout permis de fournir une activité hivernale à une société paysanne de montagne où l’équilibre entre ressources et besoins a toujours été particulièrement fragile. Si des entreprises industrielles ont bien essayé, relativement tôt de venir exploiter ce gisement, elles se sont toujours heurtées aux difficultés du terrain. Dans ces conditions, il n’a pu exploité de manière industrielle et rentable qu’au moment des grandes crises que traversaient la France, et devenir à ce moment là un charbon de secours. II MINEURS-PAYSANS OU PAYSANS-MINEURS ? Cette question constituait l’axe central de la thèse de J.-L Tornatore sur les mineurs du bassin briançonnais, étudié par en ethnologue dès 1992. Cette problématique est sûrement la plus intéressante que l’on puisse appliquer aux mines du briançonnais, et par delà, à d’autres bassins miniers. Mais cette question suppose une transition entre monde paysan et monde industriel comme inéluctable et ancienne pour la France. Or, le Briançonnais obéit-il aux mêmes schémas économiques, sociaux et culturels que d’autres bassins et le fait-il au même rythme ? Pourquoi pendant près de 300 ans cette exploitation a perduré ? Je m’attarderai sur le cas du village de Villard Saint Pancrace, sujet d’une étude approfondie qui permet de saisir la très grande diversité de ces mines. Sur les cinq concessions que possède ce bourg, les diverse situations économiques et sociales sont particulièrement représentative de ce qui se passe en Briançonnais. Mineurs-paysans ou paysans mineurs : un langage particulier révélateur d’une réalité particulière. Tout d’abord la dichotomie de langage ne s’observe qu’à partir des années 1910 quand les premières mines industrielles s’installent véritablement en Briançonnais. Avant, la typologie du service des mines ne qualifiait pas spécifiquement ces mines. Avec l’arrivée des mines industrielles, les ingénieurs souhaitent qualifier ce monde qui échappe presque entièrement à leur rationalité. Ce n’est qu’en 1925, pour la première fois, que ces mines sont appelées « mines paysannes ». Mineurs-paysans ou paysans mineurs : le régime des concessions comme « hérésie » archaïque dans un monde sensé être moderne. Si l’on s’attarde sur la propriété des concessions, le code minier de 1810 exige un seul propriétaire pour faire la liaison avec l’administration et surtout pour assurer une gestion rationnelle de ces mines en terme d’exploitation. Or, la possession de ces mines ne va pas du tout être gérer selon les codes modernes de l’époque mais comme un bien communale qui appartient potentiellement à tous les habitants de la commune. A l’origine toutes les concessions ont un ou deux concessionnaires, généralement le maire, qui accorde le droit d’exploitation selon les rapports politiques à l’intérieur de son village, à l’image de ce qui se pratique pour les biens communaux, tels que les bois communaux. Mais très rapidement, ce droit d’exploiter est confondu avec un droit sur la concession. De plus, comme dans de nombreuses sociétés paysannes, le bien est transmis lors des héritages en indivision. Ainsi, au bout de trois ou quatre générations, on se retrouve avec une centaine de propriétaires sur la concession. La gestion rationnelle de l’exploitation à l’intérieur de la concession devient alors impossible. De nombreux conflits ont alors lieu. La propriété de la concession est alors littéralement pulvérisée. Au début du 20ème siècle, les notaires recherchent les propriétaires légaux telles qu’on le ferait pour un champ. La concession de Saint-Jacques, en 1970, est ainsi partagée en 5760 parts que se partage de très nombreux propriétaires. Les concessionnaires calquent leur pratique sur la gestion patrimoniale d’un champ ou d’une maison. Or cette pulvérisation est totalement contraire à l’esprit de loi. On peut ajouter à cela que de nombreux exploitants ne sont pas concessionnaires mais s’arroge le droit d’exploiter car dans leur esprit, il s’agit d’un bien communal, auquel tout le monde à droit. Avec comme corollaire l’exclusion totale de ce qui est étranger à la communauté, étranger du village d’à coté mais aussi industriel, qui ne comprenant pas ce système, peut parfois acheter une part de la concession, croyant l’acheter en entier et qui se retrouve avec 276/6743 ème de concession et ne peut plus rien entreprendre car les autres exploitants s’oppose à lui, en vertu du fait que c’est un étranger, un intrus de la communauté. Mineurs-paysans ou paysans mineurs : une exploitation moderne car adaptée aux contraintes du terrain. Si l’on étudie les techniques employées, une énorme diversité existe, marquée par les nombreuses contraintes de la montagne. Certains mineurs grattent simplement la terre pour retirer le charbon nécessaire pour le chauffage de leur famille pour l’hiver. L’année suivante, ils recommencent un peu plus loin. D’autres possèdent des mines qui s’enfoncent dans le sol de manière oblique directement dans le filon pour rentabiliser immédiatement l’investissement que cela représente. Or, à la fonte des neiges, l’eau pénètre et ennoie toute la mine. Les mineurs ne disposant que de peu de moyens, ils utilisent la force la gravité pour tout, transformant les contraintes de la montagne en avantage : exemple le plus frappant est l’utilisation des goulottes de descente du charbon ou de câbles avec bennes pour le transport à travers la forêt proches de chemins ou de routes. Assez rapidement, l’exploitation s’organise devant les échecs précédents. Le savoir empirique des mineurs leur permet de creuser de véritables réseaux miniers, de 500 à 600 mètres, outillés et organisés rationnellement. Mais cette exploitation reste profondément paysanne. Les équipes de mineurs sont généralement familiales, au sens large du terme, peu nombreuses, de 2-3 en général à rarement plus de 5, sans aucun travail des enfants et des femmes, dans lequel l’organisation au travail se fait selon l’âge avec les jeunes adultes au roulage et où la spécialisation des tâches est totalement absente. D’ailleurs la responsabilité familiale et l’absence de spécialisation des tâches excluront presque totalement les accidents de ces exploitations paysannes. Ces groupes constituent des compagnies dirigées par un patron avec ses associés qu’ils paient en nature ou en argent selon l’accord verbal passé. L’exploitation est très libre quant aux horaires, souvent, le matin, pour soigner les bêtes l’après-midi, ainsi quant terme de période d’activité, elle est très irrégulière. Enfin, et surtout, l’exploitation dans les mines paysannes ne se fait jamais pendant la saison agricole, c’est un travail hivernal ; l’été étant réservé aux travaux des champs. Même dans les mines industrielles, l’été voit une chute des effectifs, qui sera compensé par l’arrivée d’étrangers. De même la mine industrielle de la Tour ferme ses portes lors de la foire agricole de Briançon au mois de septembre. On est donc devant un véritable artisanat de la mine, profondément et totalement déterminé par une vision paysanne et une temporalité paysanne de l’organisation de l’exploitation. C’est « le régime de la mine aux mineurs », nous dit un ingénieur des mines, représentatif de cette culture de la liberté individuelle, individualiste propre aux sociétés paysannes. Le symbole le plus éclatant est la cabane du mineur, proche de l’entrée des galeries. Chaque association possède la sienne parfois à quelques mètres de celle de son voisin. On est donc vraiment très loin des images d’Epinal du monde de la mine à la germinal, des corons, du carreau, du puits, des terrils… Pour résumer, je citerai cet avis me semblant pertinent de l’ingénieur des mines en 1894 qui dit que les mineurs « travaillent à peu près où ils veulent, comme ils l’entendent et quant ils leur plaît ». Mineurs-paysans ou paysans mineurs : un statut institutionnel flou représentatif d’un monde paysan. Lors de la fermeture des mines, de nombreux mineurs cherchent à obtenir une retraite. Les ingénieurs des mines rendent de nombreux rapports où ils précisent la situation particulière de ces mineurs qui sont en fait «plutôt des agriculteurs que des mineurs » et donc pour le service des mines « la question ouvrier ou employé ne se pose pas » ; on ne serait être plus clair. Ces paysans ne revendiquent un statut de mineurs qu’à des moments particuliers : lors de la guerre pour obtenir plus de ravitaillement, et auprès de la Caisse d’Allocation des Retraites des Ouvriers Mineurs pour tenter de toucher ces retraites auxquelles ils n’ont pas droit car ce sont des « travailleurs indépendants », considéré comme des « patrons » ; en effet, « les mineurs paysans ne sont pas des salariés ; ils travaillent et ont toujours travaillé pour leur propre compte ». Dans un monde où la mine n’a plus d’avenir, être un travailleur indépendant ne permet pas de bénéficier, comme les ouvriers de la solidarité nationale. Mineurs-paysans ou paysans mineurs : une mine paysanne dans une économie paysanne. Ce charbon exploité par les mines paysannes est très éloigné des schémas économiques habituels en terme de capital et de rentabilité. On se situe dans une économie paysanne où ces éléments n’ont que peu de place. En premier lieu, tout au long du 19ème siècle, le prix de vente du charbon est fixé par le conseil municipal : il n’y a donc pas de liberté des prix permettant de faire jouer la concurrence, ou de s’enrichir ; mai à aucuns moments cela ne pose de problèmes aux mineurs. Ensuite, on s’aperçoit rapidement que cette exploitation, très souvent, n’est pas rentable. Les enrichissements de mineurs sont très rares dans ces sociétés paysannes. Il semble que les profits engrangés, si ils existent ne sont pas investis dans la mine mais vraisemblablement pour l’activité agricole. Et s’il est très difficile d’aborder cette économie car les sources sont rares –tout est informel, sans comptabilité- et qu’il règne un véritable tabou sur ces questions, on s’aperçoit que les « salaires » sont officiellement très faibles. Ainsi, une journée de travail à la mine procure un salaire de 1,75 à 2,50 francs en 1893. Pour comparer, une journée de travail agricole paie 4 à 5 francs. Sans rentrer dans le détail, il est très inférieur à ce qui se pratique dans d’autres mines. Pendant la première guerre mondiale, les mineurs venus d’autres bassins vont très rapidement entamé des négociations pour multiplier par deux voire trois les salaires pratiqués. Ils ne comprennent pas comment ces mineurs peuvent accepter ces salaires. Or, pour eux, il ne s’agit pas d’un salaire mais d’une activité qui permet de rester au pays et s’occuper de leur famille, de leur exploitation. Ainsi, en hiver, « un salaire même minime est une aubaine » nous dit le garde mine en 1890. Mineurs-paysans ou paysans mineurs : un rapport au sol paysan. Si l’on observe le paysage général du briançonnais, les terrils sont peu nombreux, et ceux visibles sont le seul fait des mines industrielles. Or, comment se fait-il que 2000 à 3000, voire plus, « mine » n’ait laissé que si peu de traces. En fait elles se situent en forêt ou en altitude pour ne pas empiéter sur les champs, et, de ce fait, reste invisible. Par exemple, à Villard, les quelques 500 mines qui ont dues existées en près de trois siècles se situent toutes dans les bois. Mineurs-paysans ou paysans mineurs : représentations, culture, mémoire. Dans ce monde paysan, la culture minière classique telle qu’elle est présente dans d’autre bassin est totalement inconnu des paysans mineurs. Ce dernier cherche par tous les moyens à préserver son indépendance, sa liberté et refuse toute les solidarités classiques. Ainsi, il n’y aucune association de solidarité car tous « les exploitants sont absolument opposés à toute idée de mutualité » dès 1899. Vision à court terme représentative de ce individualisme mais vision paradoxale car une coopérative aurait permis d’être plus fort pour négocier un prix de vente plus important, et renforcer ainsi leur indépendance respective. La sainte-Barbe, fête des mineurs par excellence, n’a pas fêté en Briançonnais. A Villard, on fête la Sainte Antoine. Pour J.-L. Tornatore, cette dernière est la fête d’une communauté alors que la Sainte-barbe est la consécration d’un collectif conscient d’intérêts communs. Concernant la syndicalisation, elle est révélatrice de ce monde paysan. C’est seulement en 1918 qu’est créé un syndicat des mineurs du Briançonnais mais il est à l’instigation de deux mineurs du Nord nous dit le sous-préfet. Après cet épisode, et vraisemblablement après leur départ, il n’agira plus. A Monêtier, en 1924, les mineurs d’une mine industrielles s’élèvent contre la spécialisation des tâches et veulent conserver une certaine indépendance dans leur travail. En 1947, lors des grandes grèves des mineurs en France, aucun mineur briançonnais ne fera grève et des témoignages oraux préciseront que les mines paysannes seront très actives pour pallier aux manques qui commencent à se faire sentir. Ils ne se sentent donc pas solidaires d’autres mineurs. La fermeture des mines, industrielles comme paysannes, n’est pas, à l’image de ce qui se passe dans les autres bassins miniers un bouleversement, un déchirement. Les paysans mineurs poursuivant leur stratégie de pluriactivité vont se tournés alors vers des secteurs porteurs en Briançonnais : tourisme, administration, SNCF et climatisme. CONCLUSION : Les mines paysannes du Briançonnais ont abouti à créer une situation unique et originale en France dans l’histoire de l’exploitation minière. Cette exploitation, qui s’étend sur un temps long –près de trois siècles !-, s’est parfaitement adaptée à l’ensembles des contraintes géologiques, géographiques, sociales et historiques qui l’ont déterminées et encadrées. En cela, derrière un aspect de prime abord archaïque, la mine paysanne est une exploitation moderne car c’est une réponse adaptée pertinente à la contrainte. Moderne, car les techniques employées s’adaptent à la géologie difficile et aux éléments naturels que sont la pente ou la neige. Moderne car elle s’appuie avec efficacité sur l’organisation sociale de la communauté villageoise et, plus particulièrement, sur la structure familiale. Moderne car les débouchés répondent à chaque fois aux demandes locales avec rapidité et souplesse. Moderne enfin car l’exploitation du charbon constitue une véritable économie rurale intégrée. Le charbon parvient ainsi à alimenter un processus de production préindustriel (chaux par exemple) et pourvoit aussi aux besoins vitaux de la communauté (chauffage et travail hivernal surtout). A l’aune de ces trois siècles d’exploitation minière, la mine paysanne apparaît comme un phénomène moderne car elle a su en permanence s’adapter à tous les types de contraintes.