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Les loges d'Orange en Outaouais

2019, Histoire Québec

L'Ordre d'Orange était / est une association fraternelle secrète, protestante, anticatholique, antifrançais et ultra conservatrice. Le Pontiac en Outaouais fut la première région au Québec où l'Ordre s'est installé. Nous avons trouvé 15 des 17 vestiges des loges en Outaouais.

Les loges d’Orange en Outaouais par Wes Darou Wes G. Darou a pris sa retraite de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) en 2010. Il détient un doctorat en éducation de l’Université McGill et une maîtrise en génie environnemental de l’Université de Waterloo. Ses champs d’intérêt portent sur l’éducation en Afrique, l’égalité entre les sexes, la communication interculturelle et le développement communautaire des Premières Nations. Ses publications récentes incluent des articles sur la mine Haycock à Cantley, le counseling avec les Premières Nations et bien sûr, l’Ordre d’Orange. L’Ordre d’Orange, une association fraternelle secrète, protestante, anticatholique et ultra conservatrice, fut établi en 1798 à Loughgall, en Ulster (Irlande). Il est arrivé au Canada à la fin du 18e siècle1. En raison de sa proximité avec l’Ontario, le Pontiac, en Outaouais, fut la première région au Québec où l’Ordre s’est installé. Le groupe, qui était anticatholique en Irlande, est aussi devenu antifrançais au Canada2. En Ontario, ses actes étaient extrêmes, même violents : • Tuer un manifestant catholique à Almonte en 1824. • Brûler le parlement des deux Canada à Montréal en 1849. • Déclencher l’émeute « Stoney Monday » à Bytown (aujourd’hui Ottawa) en 1849. • Brûler l’église Ste-Bridget à Perth en 1863. • Organiser 29 émeutes à Toronto entre 1839 et 1866. • Contrôler certains systèmes de justice. • Contrôler (probablement) un tiers de l’Assemblée législative d’Ontario en 1915. • Influencer les politiciens au Parlement fédéral, incluant quelques premiers ministres, dont John A. Macdonald, John Abbott, Mackenzie Bowell et John Diefenbaker.3 En Outaouais, l’Ordre d’Orange n’était pas du tout aussi extrême. Au 20e siècle, son activité publique la plus importante était le défilé annuel du 12 juillet pour fêter le triomphe de Guillaume II de l’Orange-Nassau en 1690. Par contre, l’Ordre observait des principes comme ceux exprimés dans un document de 1925 : L’Ordre d’Orange est une association protestante et patriotique qui existe dans le seul but d’une grande mission politique (note : c.-à-d. l’ascendance protestante). • Aimer Jésus, le seul médiateur entre Dieu et l’homme. • Maintenir la foi protestante comme la plus pure forme de christianisme. • Combattre les efforts de l’Église catholique dans ses intentions de rendre catholique romain le Canada. • Maintenir la séparation de l’Église et de l’État. • Maintenir des liens avec le Royaume-Uni. • Soutenir la monarchie et l’Union Flag. • S’opposer aux privilèges linguistiques au-delà de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. • • Encourager et limiter l’immigration aux blancs de l’Angleterre, des États-Unis et du Nord de l’Europe. Être juste, prévenant et tolérant avec les différences de foi et de principes(!!!)4 Il faut dire que les loges tenaient un rôle social important à une époque où, par exemple, les gens ne bénéficiaient d’aucunes assurances. Il n’existe que deux loges orangistes actives au Québec : une à Shawville en Outaouais et l’autre à Kinnear’s Mills dans les Appalaches5. Les loges étaient plus présentes (et extrêmes) dans les communautés où il n’y avait pas de présence catholique6. Shawville, par exemple, est la seule ville de taille qui même aujourd’hui n’a pas d’église catholique. Sa loge demeure la plus militante. Presque chaque petite ville de la région où il y avait une présence protestante avait sa loge. Dans le Pontiac, c’était donc dans chaque ville. Dans la vallée de la Gatineau, les villes semblaient alterner entre communautés protestantes et catholiques7. À l’est de Buckingham, on ne trouvait pas de loge avant Avoca8. Il y avait trois loges dans la région de Gatineau d’aujourd’hui. On trouve plusieurs références aux loges dans les comptes rendus des conseils municipaux des villes de Templeton, Gatineau et Aylmer entre 1936 et 1968, où les villes ont accordé des réductions de frais municipaux9. Curieusement, toutes les propositions ont été faites par des francophones ! Il n’existe aucune trace physique de ces loges gatinoises aujourd’hui. Voici une liste, sûrement incomplète, des loges existantes dans la région de l’Outaouais. LOL (c.-à-d. Loyal Order Lodge) 1300 : Campbell’s Bay Située au 10, rue Borden, cette loge fut établie en 1859. Quand elle a été fermée il y a vingt ans, le propriétaire de la maison voisine l’a achetée pour agrandir et protéger son terrain10. Elle sert aujourd’hui d’entrepôt. Curieusement, c’est une francophone qui nous a dirigés vers la loge. Elle a mentionné qu’elle aimait beaucoup ses défilés annuels avec fanfare et pique-nique dans le parc non loin. HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 25 NUMÉRO 2 23 Les loges orangistes au Québec, 1878, Houston et Smyth, p. 52. LOL 1473 : Stark’s Corners Située au C48, chemin Parkman, 10 km au sud-ouest de Shawville, cette loge fut établie en 1877 et servait de salle de classe de 1900 à 1914. Stark’s Corners était une communauté dynamique et la loge y était très active. En 1964, 1 200 personnes ont assisté aux célébrations de la journée des orangistes11. La loge fut fermée dans les années 1970 et les membres transférés à la loge de Shawville12. LOL 27 : Shawville Située au 112, rue Centre, la loge de Shawville, établie en 1843, est la plus vieille loge au Québec et une des plus anciennes au Canada. Aujourd’hui, elle est composée de plusieurs autres loges qui ont perdu leur charte. La loge n’organise plus de défilé depuis longtemps. Son plus grand évènement aujourd’hui est un souper de crêpes auquel apparemment même les catholiques assistent. Il reste encore le drapeau britannique (Union Jack) à l’entrée13. LOL 63 : Yarm Située au C764, route 303 Nord, 5 km au nord de Shawville, cette loge fut établie en 1856. La bâtisse servait aussi d’école (comme plusieurs autres loges), d’église et de salle communautaire. Elle est la seule encore existante construite en bois rond. Originalement située à côté de la petite église méthodiste de Yarm, elle a été déplacée à la ferme adjacente et convertie en remise de foin14. Selon une autre source, elle aurait été détruite il y a 20 ans15. 24 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 25 NUMÉRO 2 LOL 65 : Charteris Située au C978, route 303 Nord, cette loge fut également établie en 1856 et la bâtisse actuelle a été construite en 1890. Le 16 juillet 1942, plus de 3 000 personnes ont assisté à la fête orangiste de Charteris16. À côté de la loge, on trouve l’église anglicane St-Matthew17. LOL 67 : Greermount Située au 396, chemin Greermount, à Thorne, 22 km au nord de Shawville où les terres plates se transforment en collines de la Gatineau, cette petite loge particulièrement jolie fut aussi établie en 1856. Elle est protégée par un propriétaire privé. LOL 1516 : Thorne Centre Située à Ladysmith, au nord de l’intersection des routes 303 et 366, la loge Thorne Centre fut établie en 1856 ou 1882. Elle était bien connue pour son défilé particulièrement actif18. Selon Houston et Smyth, elle représentait une communauté allemande19. Même si cette loge n’est pas active aujourd’hui, elle garde un certain intérêt. En 2013, le conseil municipal de Thorne a approuvé qu’on tonde le gazon de la loge20. Aujourd’hui, elle sert d’entrepôt à un camion-restaurant. LOL 144 : Wakefield Le 12 juillet annonçait un défilé avec des spectateurs qui n’étaient pas forcément protestants. Le tout se terminait par un pique-nique. La loge fut abandonnée dans les années 196025. La bâtisse fut plus tard convertie en une jolie maison privée. LOL 28 : Rupert Située au 17, chemin Shouldice, à La Pêche, cette loge est décrite dans une masse de documents du fonds Dr Stuart Geggie, au Centre régional d’archives de l’Outaouais26. Cette bâtisse servait aussi d’école, donc il y a deux portes, une était pour les filles et l’autre pour les garçons. Aujourd’hui, elle aussi est une résidence. Loyal Orange Lodge No 67, Greermount, collection personnelle de Nancy Conroy, avril 2018. LOL 46 : Bristol Située à l’intersection de la route 148 et du chemin d’Aylmer à Bristol21, cette loge fut établie en 1853 et a été vendue à un individu. LOL 46 est la plus délabrée des loges. LOL 35 : Lower Eardley Située au 39, chemin Elm, à Luskville, cette loge fut établie en 1875. Elle est maintenant transformée en jolie habitation22. LOL 69 : Aylmer Située à Aylmer, au coin des rues Principale et Jubilee (autrefois la rue Russell). Un ami se rappelle des défilés orangistes sortant de cette bâtisse dans les années 1950. Après sa fermeture, selon cette même personne, elle est devenue un garage, un bureau de dentiste et ensuite une garderie23. LOL 1329 : Buckingham Située au 395, chemin Donaldson, à Buckingham, cette loge est mal aimée et à vendre (au moment de la publication). Par contre, l’église anglicane Saint-Stephen, en face, est spectaculaire, construite largement en pierres des champs non taillées. Un peu dans la même veine que LOL 69 Aylmer, un ami se rappelle des défilés orangistes qui partaient de cette bâtisse et aussi d’une conversation avec un résident de Buckingham, anglais de souche. Il lui a demandé s’il y avait des batailles entre les Anglais et les Français durant sa jeunesse. Il a répondu, « Pas du tout, on avait des batailles entre nous (les catholiques) et les orangistes! »24 Loyal Orange Lodge No 46, Bristol, collection personnelle, Wes Darou, juin 2018. LOL 1313 : Danford Lake Située à l’est de l’église Unie, au 55-71 QC-301, à Danford Lake. Comme beaucoup d’autres, cette loge est devenue aujourd’hui un entrepôt. LOL 1160 : Aylwin Originalement, cette loge se trouvait à Aylwin, mais à sa fermeture, elle a été déménagée à son site actuel, au 389, route 105, à Kazabazua. Elle est aujourd’hui un magasin d’antiquités, propriété de la famille Peck depuis 197327. La loge comprend un magnifique plafond en fer-blanc. HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 25 NUMÉRO 2 25 Conclusions Que l’on aime ou n’aime pas l’Ordre d’Orange, il représente un patrimoine social et culturel important pour les anglophones protestants de l’Outaouais et, comme on l’a découvert, pour certains catholiques également! Sur une période de plus de 100 ans, les loges se sont transformées de bastions du protestantisme en salles communautaires ouvertes à tous. Plusieurs de ces loges existent encore. Certaines sont actuellement bien protégées, comme celles qui sont devenues des maisons ou des entreprises privées (Thorne Centre, Eardley, Aylmer, Wakefield, Rupert et Kazabazua). La loge de Shawville est encore active et donc non menacée. Certaines autres sont utilisées comme entrepôt ou grange (Campbell’s Bay, Stark’s Corners, Charteris et Greer Mount) et d’autres sont en décrépitude. Il est important de les documenter, ou du moins de les protéger à un certain degré. Loyal Orange Lodge No 28, Rupert, collection personnelle, Wes Darou, avril 2018. NOTES 1 DAROU, Wes, « L’Ordre d’Orange en Outaouais », Hier Encore, no 10, 2018, p. 19-25. 2 HOUSTON, Cecil J. et William J. SMYTH, The Sash Canada Wore, Deuxième édition, Milton (ON), Global Heritage Press et l’Université de Toronto, 1999. 14 BROWNLEE, 2005, Op. cit., p. 53. 15 Courriel de Gloria TUBMAN, 30 avril 2018. 16 The Equity, Shawville, 15 juillet 1992, p. 3. 3 HOUSTON et SMITH, Op. cit., p. 154. 17 BROWNLEE, 2005, Op. cit., p. 49. 4 ORANGE ASSOCIATION, Its Principles and What It Is Doing. Provincial Grand Lodge of Quebec, 1925. 5 GRAND ORANGE LODGE OF BRITISH NORTH AMERICA. Provincial Grand Lodge of Quebec, [En ligne] http:// orangelodge.com/app/directory/4/provincial-grand-orange-lodge-of-quebec [Consulté le 4 juin, 2018]. 18 JOLIVET, Simon, « Orange, vert et bleu : Les orangistes au Québec depuis 1849 », Bulletin d’histoire politique, vol. 18, no 3, 2010. 19 HOUSTON et SMITH, Op. cit., p. 53. 6 HOUSTON et SMITH, Op. cit., p. 51. 21 Courriel de Gloria TUBMAN, 1er mai 2018. 7 Courriel de Susan DERBY, 1er mai 2018 8 HOUSTON et SMYTH, Op. cit., p. 52. 22 LEROUX, Manon, L’autre Outaouais. Gatineau (QC), Pièce sur pièce, 2012, p. 155. 9 Procès-verbaux de la Ville de Gatineau, 16 mars 1936, de la Ville de Templeton, 6 mars 1963 et de la Ville d’Aylmer, 4 mars 1968. [En ligne] https://www.gatineau.ca/portail/ default.aspx?p=guichet_municipal/archives/documents_ numerises [Consulté le 10 novembre 2018]. 10 Conversation avec Manley BROWN, 17 mai 2018. 11 BROWNLEE, Jo-Anne, Une tournée historique autoguidée de Clarendon, Shawville (QC), The Equity, 2005. 12 Conversation avec Clare WILSON, 17 mai 2018. 26 13 Conversation avec Clare WILSON, 18 mai 2018. HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 25 NUMÉRO 2 20 21 Municipalité de Thorne, Procès-verbal du 7 mai 2013. 23 Conversation avec Jean-Louis FROMENT, 21 avril 2018. 24 Conversation avec Louis BRUNET, 2 juin 2018. 25 GEGGIE, Norma, Wakefield and its People : Tours of the Village, Chelsea, Chelsea House Publications, 1990. 26 BAnQ, fonds Stuart Geggie, 1983-05-002 \ 1 27 MABEL’S SHED, [En ligne] https://amandasantiques.weebly.com/about.html [Consulté le 4 juin 2018].