Bulletin de la SFAC
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LES AGGLOMÉRATIONS ANTIQUES
DU CENTRE-EST DE LA GAULE :
PREMIERS RÉSULTATS D’UN PROGRAMME COLLECTIF
DE RECHERCHE EN COURS
par Pierre Nouvel, Stéphane Venault, Gilles Bossuet, Loïc Gaétan, Stéphane Izri,
UMR 6249 Chrono-environnement119
Le développement de plusieurs programmes locaux (à Mandeure, Ph. Barral dir., 2001-2011 ; à
Alésia, O. de Cazanove dir., 2005-2013) avait tracé la voie d’une reprise des recherches sur les habitats
groupés antiques du Centre-Est de la Gaule. Pro tant de la découverte de très nombreux sites de ce
type via les fouilles préventives et la prospection aérienne, mais aussi de la mise en évidence de processus
complexes et précoces d’urbanisation nécessitant une approche sur le temps long120, il semblait possible
de renouveler profondément le corpus et les conclusions des nombreuses études menées sur ce thème
jusque-là121. La multiplication des nouvelles découvertes a partiellement rendu caduques les conclusions
de ces travaux synthétiques. Dépassant les approches formelles et fonctionnelles jusque-là privilégiées,
l’étude de la genèse de l’évolution et de la variété du phénomène urbain au cours de la n de l’époque
gauloise et durant l’Antiquité est ainsi, depuis quelques années, au cœur des ré exions scienti ques,
autant nationales que régionales122. Dans un tel cadre, notre démarche ne prétend pas être novatrice,
mais aspire à intégrer un espace chronologique plus vaste et à étudier, avec le même intérêt, des formes
d’occupation plus fugaces que les traditionnelles « agglomérations secondaires » explorées jusque-là.
Cette démarche nécessite une mise à niveau de la documentation disponible en homogénéisant littérature grise ancienne et nouveaux apports de l’archéologie préventive. Elle nécessite et permet aussi, grâce
aux importants moyens nanciers alloués par l’État (en premier lieu le Service régional de l’archéologie
de Franche-Comté), la mise en place de programmes d’acquisition de données à différentes échelles
(prospections aériennes et, surtout, prospections géophysiques et terrestres intégrées). Ces reprises de
données, acquisitions de terrain et démarches synthétiques sont possibles grâce à l’action conjuguée
d’une trentaine d’acteurs issus de nombreux horizons institutionnels, ressortant plus particulièrement
de l’UMR 6249 Chrono-environnement : membres de l’Université de Franche-Comté (enseignants,
étudiants de master et doctorants, allocataires ou non), des organismes de fouilles préventives (Inrap,
Archeodunum, Eveha), des collectivités territoriales (SMAP de Besançon, Service archéologique préventif du département de l’Allier ou musée de Lons-le-Saunier, par ex.), ou encore bénévoles (association Aresac). Il pro te par ailleurs des résultats des opérations de prospections-inventaires123 et de
prospections aériennes124.
À moyen terme, ce projet doit aboutir à l’élaboration de synthèses générales abordant la question
de la fonction et du statut des agglomérations, mais aussi de leurs interrelations.
119. Ce texte a été écrit avec la collaboration de tous les
partenaires du programme collectif de recherche « Agglomérations antiques, de Bourgogne, Franche-Comté et Champagne
méridionale : Inventaire archéologique, cartographie et analyses spatiales ».
120. Ph. BARRAL, « Dynamique de création et de romanisation des agglomérations dans l’Est de la France », R EDDÉ et
al. 2011, p. 207-215 ; BARRAL, NOUVEL 2012 ; Ph. BARRAL et
al., « Langres, construction d’un pôle urbain de la n de l’âge
du Fer au début du Haut-Empire », Archaeologia Mosellana, 9,
2014, p. 361-364.
121. M. MANGIN, B. JACQUET, J.-P. JACOB (éd.), Les
agglomérations secondaires en Franche-Comté romaine (Annales
littéraires de l’Université de Besançon. Série Archéologie, 34),
Paris, 1986 ; BÉNARD et al. 1994 ; PETIT, MANGIN 1994.
122. Voir en dernier lieu REDDÉ et al. 2011 ; BARRAL,
NOUVEL 2012.
123. Sud de l’Yonne (B. Poitou dir.), région de Bibracte
(P. Nouvel dir.), vallée du Doubs (D. Daval et J.-Cl. Mottaz
dir).
124. Champagne-Ardennes (S. Izri dir.), Bourgogne
orientale (P. Nouvel dir.), Nivernais, (A. Magdelaine dir.),
Franche-Comté (J. Aubert dir.).
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Objectifs du programme de recherche
Le territoire qui correspond à notre champ d’étude se superpose, grosso modo, au territoire des
anciennes cités des Sénons, des Lingons, des Éduens et des Séquanes125. Cette délimitation ( g. 1) tient
avant tout à l’existence d’un réseau de partenariats et de collaborations scienti ques entre quelques
chercheurs issus de trois régions administratives, la Franche-Comté, la Champagne-Ardenne et la
Bourgogne. Intitulé « Agglomérations antiques, de Bourgogne, Franche-Comté et Champagne méridionale : inventaire archéologique, cartographie et analyses spatiales », ce collectif s’est xé concurremment
plusieurs objectifs :
1. Localisation des agglomérations laténiennes et romaines étudiées
dans le cadre du Programme collectif de recherche. © DAO P. Nouvel, 2014.
125. M. KASPRZYK, P. NOUVEL, « Les mutations du réseau
routier de la période laténienne au début de la période
impériale. Apport des données archéologiques récentes »,
REDDÉ et al. 2011, p. 21-48 ; P. NOUVEL, C. CRAMATTE, « Le
massif du Jura à l’époque romaine. Terre de frontière ou de
peuplement ? », A. RICHARD et al. (éd.), Le peuplement de l’Arc
jurassien de la Préhistoire au Moyen Âge (Annales Littéraires de
l’Université de Franche-Comté. Série Environnement, sociétés et
archéologie, 17), Besançon, 2013, p. 385-410.
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Établir une liste renouvelée des sites correspondant à cette notion d’habitat groupé
Cela sous-entend plusieurs approches complémentaires. Il s’agit tout d’abord d’établir les critères
consensuels qui peuvent être manipulés pour caractériser ces types de sites sur la période considérée. Les
différentes ré exions menées sur les corpus urbains antiques régionaux, ainsi que la fouille d’ensembles
de taille modeste présentant une physionomie inédite (par ex. à Choisey ou à Ranchot dans le Jura, ou
encore à Chamvres dans l’Yonne), ont aujourd’hui contribué à modi er les contours de ce que l’on
nomme « l’habitat groupé antique ». Il apparaît nettement plus varié qu’on ne le supposait naguère126.
Des formes d’habitat spéci ques (« streetbuilding » des Anglo-Saxons)127, associées à la présence d’espaces publics (en particulier de voirie) et d’activités diversi ées (plus d’artisanat spécialisé) permettent
d’identi er de nouvelles catégories d’habitats groupés de faible ampleur, qui entrent de facto dans le
champ d’étude de l’archéologie dite « urbaine », au sens où l’entendent certains géographes. En d’autres
termes, le corpus d’étude intègre l’ensemble des sites qui ne correspondent pas à des complexes religieux
isolés ou à des établissements ruraux comme les grands établissements ruraux de type villa étudiés par
ailleurs128. Dans le cadre d’une recherche portant sur les fonctionnements des réseaux urbains antiques,
il importe dorénavant, pour apprécier dans toute sa richesse la variété des sites d’habitats groupés, de
prendre en compte l’agglomération depuis son acception la plus étroite, le hameau, jusqu’à sa forme la
plus aboutie, la capitale de cité129. C’est le cadre que nous nous sommes xés.
Cette ré exion liminaire, adossée à un dépouillement systématique des données existantes ou des
résultats des acquisitions récentes a permis d’établir une liste renouvelée de sites agglomérés certains ou
potentiels130. Ce jeu de données s’est fortement accru ces deux dernières années, non pas particulièrement
par la mise en évidence de groupements jusque-là passés inaperçus dans la littérature ancienne, mais
surtout grâce à l’exploitation des données issues des toutes dernières prospections terrestres et aériennes.
Nous verrons ci-dessous les cas exemplaires d’Alluy, dans la Nièvre, et de Bricon, en Haute-Marne.
Nous comptons aujourd’hui près de 350 sites de ce type, là où une grosse cinquantaine seulement avait
été repérée lors des inventaires précédents. La qualité des données reste cependant extrêmement variable,
même si nous disposons aujourd’hui du plan presque complet d’une quarantaine d’entre eux ( g. 1), ce qui
justi e dès aujourd’hui une ré exion sur les formes de l’occupation et sur les hiérarchies urbaines.
Élaborer un corpus homogène permettant d’étudier les formes de l’occupation urbaine et son évolution
depuis la période laténienne jusqu’au haut Moyen Âge
Alors que nos prédécesseurs s’étaient plutôt concentrés sur les questions de fonctions et de hiérarchies urbaines, il nous a semblé que les multiples découvertes réalisées ces vingt dernières années permettaient aujourd’hui de privilégier une analyse des formes urbaines (puisque l’on dispose aujourd’hui
d’un très grand nombre de plans complets) et des parcours de sites, depuis leur émergence jusqu’aux
mutations complexes du début du Moyen Âge. Ce sont pour une part l’abondance de la documentation,
mais aussi la mise à disposition de nouveaux outils (en particulier des bases de données et des systèmes
informatiques géographiques, SIG) qui permettent, aujourd’hui plus qu’hier, cette nouvelle approche.
Il a donc été décidé de développer un protocole commun de traitement de l’information, débouchant
126. Ph. BARRAL, N. COQUET, P. NOUVEL, « Les agglomérations antiques de Franche-Comté, Bilan et perspectives »,
J.-F. PININGRE, A. RICHARD (dir.), 1995-2005, Dix ans d’archéologie en Franche-Comté, SRA Franche-Comté, 2012 (bilan scienti que hors-série), p. 149-169 ; P. NOUVEL, « Les voies romaines
en Bourgogne antique : le cas de la voie dite de l’Océan attribuée à Agrippa », Voies de communication des temps gallo-romains
au XXe siècle. Actes du 20e colloque de l’association bourguignonne
des sociétés savantes, Saulieu, 2012, p. 9-57.
127. COQUET 2011.
128. P. NOUVEL, « De la ferme au palais. Les établissements
ruraux antiques de Bourgogne du nord, IIe-IVe siècles p.C. »,
P. LEVEAU, C. RAYNAUD, R. SABLAYROLLES (éd.), Les formes de
l’habitat rural gallo-romain : terminologies et typologies à l’épreuve
des réalités archéologiques (Aquitania, Suppl., 17), Bordeaux,
2009, p. 361-390.
129. VENAULT, NOUVEL 2013, p. 21-30.
130. COQUET 2011 ; VENAULT, NOUVEL 2013, p. 37-40.
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sur une cartographie et une synthèse harmonisée des informations disponibles pour chacun des sites
suf samment documentés. En s’appuyant sur une cartographie de l’état et de la qualité des données disponibles131, notre effort a plus particulièrement porté sur l’élaboration de plans phasés, scandés en cinq
étapes illustrant le processus d’urbanisation (La Tène moyenne, La Tène nale, Haut-Empire, Antiquité
tardive, haut Moyen Âge). Ce travail de reprise des données a déjà concerné 42 sites aux pro ls très
variés132, documentés autant par les sources anciennes que par des opérations d’archéologie préventive,
de prospections-inventaires ou de prospections aériennes. L’exemple de Tonnerre, que l’on peut consulter ici ( g. 2), montre l’intérêt de ces analyses, qui mettent en évidence des processus de développement
d’agglomérations ouvertes au cours de La Tène moyenne, les phases de perchement et de forti cation
liées au phénomène des oppida (début du Ier s. av. n. ère), suivies des phases de développement du
Haut-Empire puis de rétraction à partir de la n du IIIe s. de n. ère.
Parallèlement, il a semblé nécessaire de compléter ce jeu de données par la mise sur pied de programmes d’acquisition ambitieux sur des sites représentatifs, mais encore trop mal connus. En pro tant
de l’expérience acquise à Mandeure (Doubs, Ph. Barral dir.) ou à Alésia / Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or,
O. de Cazanove dir.), nous avons combiné des prospections géophysiques et terrestres carroyées sur six
sites dont les conditions d’accès étaient des plus favorables (Dammartin-Marpain et Grozon dans le
Jura, Beneuvre et Mâlain en Côte-d’Or, Palleau et Mellecey en Saône-et-Loire). Nous verrons plus loin
les résultats remarquables obtenus à Beneuvre.
Mieux apprécier le processus d’urbanisation des Gaules et l’évolution des réseaux urbains
jusqu’au début du Moyen Âge
En n, un troisième axe a pour objectif d’exploiter ces données a n de mieux caractériser, d’une
part les processus d’apparition et de mutation du fait urbain sur le temps long, d’autre part la variété du
paysage aggloméré, les hiérarchies et les structures urbaines à chacune des étapes concernées, en dernier
lieu les réseaux à moyenne et à large échelle.
C’est dans ce but qu’ont été élaborés et abondés une base de données descriptive et un SIG multiscalaire, intégrant l’ensemble des points de découvertes sur chacun des sites exploités. C’est à partir
de ce corpus homogénéisé que pourront s’engager les travaux d’analyses comparatives et se dégager des
thématiques transversales. Parallèlement, le corpus doit permettre d’aboutir à la rédaction de notices en
vue de l’édition d’un atlas, qui s’inspire des travaux préexistants133 mais en privilégiant une approche
chronologique plutôt qu’une vision fonctionnelle. Il doit également servir de base à la publication de
synthèses sur des agglomérations, en particulier celles dont les connaissances sont aujourd’hui renouvelées par nos découvertes.
Deux années de recherche riches en résultats
Ce corpus associe en réalité une grande variété de types d’occupations groupées, représentatives
d’un phénomène d’urbanisation complexe et variable dans le temps. Le groupe restreint des capitales
de cité (Autun, Besançon, Langres, Sens, Troyes) est relativement bien maîtrisé, même s’il a lui aussi
nécessité une reprise documentaire complète sous SIG a n de disposer, là comme ailleurs, de carte par
phases et de données planimétriques ables134. Un regard accru a cependant été porté sur le groupe
intermédiaire des agglomérations secondaires complexes, pour la plupart d’origine laténienne. Au-delà
131. « Carte de abilité des Unités de Découverte »,
VENAULT, NOUVEL 2013, p. 232-257.
132. S. VENAULT, P. NOUVEL (éd.), Projet collectif de recherche :
agglomérations antiques de Bourgogne, Franche-Comté et Champagne méridionale, inventaire archéologique, cartographie et analyses
spatiales, Dijon, 2012 ; VENAULT, NOUVEL 2013, p. 36-136.
133. PETIT, MANGIN 1994.
134. Voir en part. le cas de Sens dans l’Yonne : P. NOUVEL,
« Sens / Agedincum, la capitale des Sénons », Gallia, 72, 1, à
paraître.
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de l’intégration des données provenant de sites déjà bien connus (Alise-Sainte-Reine, Vertault, par ex.),
il nous a semblé nécessaire de faire le point sur des sites qui ont fait l’objet d’opérations préventives
récentes (par ex. Avrolles, Avallon, Entrains-sur-Nohain, Saint-Germain-en-Montagne, Saint-Moré,
Saint-Valérien ou Tonnerre, g. 2). Mais notre effort a surtout porté ici sur l’acquisition de nouvelles
données qui concernent des complexes encore méconnus.
2. Un exemple de parcours d’agglomération depuis La Tène moyenne jusqu’au haut Moyen Âge.
Tonnerre/Tornodurum (Yonne). © DAO P. Nouvel, 2012.
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Dans le contexte régional, l’apport des prospections-inventaires réalisées autour de Bibracte mais
surtout celui des opérations de prospections aériennes ont été primordiaux, et il paraît nécessaire de
s’arrêter quelques instants sur deux cas représentatifs du renouvellement récent des données.
L’agglomération antique d’Alluy se situe en rive gauche de l’Aron, à env. 1 km de cette rivière
tributaire de la Loire. Elle est positionnée au carrefour d’une voie reliant la Saône à la Loire moyenne
(Autun/Cosne) et d’une autre reliant Decize au bassin de l’Yonne par la dépression périmorvandelle135.
D’autres axes, peut-être plus secondaires, permettent de relier Decize, Nevers ou encore Bourbon-Lancy.
Ce site correspond très probablement à l’Alisincum signalé sur l’itinéraire d’Antonin ; jusqu’en 2011, il
n’était connu qu’à travers quelques prospections terrestres ponctuelles et désordonnées. Le dépouillement des orthophotographies IGN de juillet 2011, couplé à l’exploitation des clichés obliques d’Alain
Magdelaine et à des prospections terrestres systématiques, a permis de renouveler totalement la vision
que l’on pouvait avoir de son organisation et de son évolution sur la période qui nous occupe. À la suite
de ces travaux, il est possible d’y con rmer l’existence d’une agglomération complexe, couvrant env.
42 ha ( g. 3). Si sa partie occidentale, sous le bourg moderne, reste encore méconnue en dehors de
quelques structures partiellement révélées ( g. 3, A et B), ses quartiers nord ( g. 3, C) et surtout est
( g. 3, D à K et O) ont été documentés par les clichés aériens et les véri cations au sol. Ils se structurent
autour de plusieurs rues formant un réseau irrégulier. Les constructions, qui adoptent pour beaucoup
un plan barlong perpendiculaire à la rue, semblent parfois précédées d’une galerie ( g. 3, I). Les prospections terrestres livrent ici un abondant mobilier, en particulier des scories liées au travail des métaux.
Le vaste complexe occupant l’est de la zone ( g. 3, K), un peu en marge de l’agglomération, appartient
à un lieu de culte. Les orthophotographies de l’IGN de juillet 2011 révèlent deux ensembles superposés,
3. L’agglomération gauloise et romaine d’Alluy/Alisincum (Nièvre)
d’après les découvertes récentes. © DAO P. Nouvel, 2013.
135. VENAULT, NOUVEL 2013, p. 51-57.
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nettement observables au sol par ailleurs. Le premier associe un temple à plan centré caractéristique,
composé d’une cella et d’un déambulatoire d’env. 12 m de côté ; il est ouvert à l’est sur une galerie
apparemment cruciforme. La zone livre force tessons de céramiques gauloises et romaines et d’amphores Dressel 1. Ces structures antiques sont partiellement oblitérées par un important système fossoyé
sub-quadrangulaire, constitué d’un talus et d’un fossé de plus de 6 m de large d’après les observations au
sol. Il a également été possible de positionner un certain nombre d’axes quittant l’agglomération, bordés
de constructions périphériques et de nécropoles ( g. 3, L à N).
Le mobilier recueilli en prospection reste modeste, essentiellement des vases et des amphores,
mais permet de con rmer l’importance de l’occupation laténienne, qui ne semble que partiellement
superposée à l’occupation antique. Elle a livré un lot volumineux d’amphores Dressel 1, près desquelles
on notera la présence de tessons de type gréco-italique, caractéristiques du milieu du IIe s. av. n. ère. Ces
éléments sont à mettre en parallèle avec la découverte de monnaies gauloises, en particulier de deux statères imitations de Philippe II de Macédoine. L’agglomération d’Alluy est donc antérieure à la fondation
de Bibracte, située à une vingtaine de km à l’est. Le mobilier céramique et les faciès monétaires recueillis
au XIXe s. révèlent une occupation qui se poursuit jusqu’à la n de l’Antiquité. La mention de la découverte d’une monnaie en or portant le nom de l’empereur Anastase souligne d’ailleurs l’importance du
lieu au cours de l’Antiquité tardive. La présence d’une riche nécropole à sarcophages contigüe à l’église
actuelle plaide d’ailleurs pour une occupation continue du site jusqu’à l’époque moderne.
Parmi les nombreuses agglomérations inédites découvertes en prospection aérienne, le cas de Bricon
« La Maison-Dieu » (Haute-Marne) est l’un des plus caractéristiques. Situé le long de la voie antique de
Langres à Bar-sur-Aube, il est connu depuis le XIXe s.136, et les érudits locaux concluaient à la présence
d’une riche villa gallo-romaine. Les prospections pédestres à l’aide d’un GPS et, surtout, l’apparition en
juillet 2010 de la quasi-totalité du plan ont permis de reconsidérer cette hypothèse. Si l’on pouvait déjà le
pressentir auparavant, puisque les ruines se situent à un carrefour routier, le plan des structures antiques
prouve qu’il s’agit d’une petite agglomération gallo-romaine d’une quinzaine d’hectares, à l’endroit où la
vallée du Brozé entaille la cuesta du haut-Pays. Les clichés de 2010 (S. Izri et P. Nouvel) ont été exploités
en 2013 a n de proposer un premier plan correspondant à la presque totalité du site ( g. 4). On y observe
facilement un carrefour de rues empierrées bordées de constructions, couvrant une super cie évaluée à
6 ha. L’essentiel des constructions apparaissant sur les clichés relève du type « streetbuilding », bâtiments
allongés et perpendiculaires aux axes principaux. Ils livrent au sol de nombreuses scories qui révèlent des
activités artisanales et plus particulièrement métallurgiques. On notera par ailleurs, au centre, un quartier
comportant des aménagements plus monumentaux, notamment deux fontaines ou bassins au milieu de
la place centrale, et un probable bâtiment à vocation communautaire (formé d’une cour ouverte sur un
porche) situé au nord de cette même place. Les quelques véri cations de terrain con rment que cette
petite bourgade s’est développée depuis l’époque gauloise mais semble s’étioler dès la n du IIIe s. de n.
ère, ne livrant pas de témoin d’une occupation certaine au cours du haut Moyen Âge.
Les campagnes de prospections aériennes ou de dépouillement orthophotographiques réalisées
entre 2010 et 2014 ont permis de découvrir une série de sites similaires et totalement inédits, sur lesquels
nous disposons maintenant de données de la même qualité (Bayel, Brienne-la-Vieille et Plaine-saint-Langes
dans l’Aube, Bologne, Jonchery, Leurville, Champigny-lès-Langres en Haute-Marne, Blesme dans la
Marne, Larret en Haute-Saône, Mellecey, Saint-Ambreuil et Saint-Prix en Saône-et-Loire, Serbonnes
et Villeneuve-sur-Yonne dans l’Yonne). Ce dossier remarquable est complété par la vingtaine de sites
découverts ou réétudiés par nos opérations pédestres, en particulier aux alentours de Bibracte/Autun et
dans les environs de Langres. C’est ainsi qu’ont été mis en évidence des phénomènes complexes d’émergence de sites routiers, à l’époque laténienne mais aussi et surtout au début du Ier s. de n. ère, lors du
percement des grandes voies du réseau dit « d’Agrippa », décrit par Strabon137.
136. S. IZRI, dans VENAULT, NOUVEL 2013, p. 123-124.
137. KASPRZYK, NOUVEL 2011 ; NOUVEL 2012.
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4. Une petite agglomération gallo-romaine révélée par les prospections aériennes récentes :
Bricon (Haute-Marne). © DAO S. Izri / N. Coquet, 2013.
Nous terminons ce rapide tour d’horizon par les quelques résultats obtenus à Beneuvre, en croisant cette fois l’ensemble des méthodes disponibles. Déjà partiellement connu par quelques clichés
aériens de R. Goguey138, ce site a en effet fait l’objet (comme ceux de Grozon, de Dammartin-Marpain
et de Mâlain) d’une attention toute particulière de notre équipe. En s’appuyant sur le redressement
d’une nouvelle série de clichés aériens acquis en 2011, il a été possible de délimiter des zones de
prospections géophysiques et terrestres combinées139, concernant une étendue nettement plus vaste
que celle supposée jusqu’alors. La prospection magnétique récente, sur une surface de 27 ha, a permis de con rmer et de localiser précisément ces vestiges, qui correspondent pour l’essentiel à des
rues, à des constructions de type « streetbuilding » et à des installations artisanales. Par ailleurs, de
nombreuses autres structures sont apparues à l’issue de cette nouvelle phase d’investigations ( g. 5).
138. BÉNARD et al. 1994, p. 125-132.
139. L. GAËTAN, Cl. L APLAIGE, « L’agglomération de
Beneuvre », VENAULT, NOUVEL 2013, p. 173-198.
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5. L’agglomération gallo-romaine de Beneuvre (Côte-d’Or).
Synthèse des observations tirées des prospections aériennes, géophysiques et terrestres.
© L. Gaetan / G. Bossuet, 2013.
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Les éléments de voirie constituent une part importante du nouvel apport d’informations. Principalement
d’orientation nord-sud, ces différents axes de circulation régissent l’organisation urbaine de l’agglomération. La prospection de 2013 nous a fait connaître l’emplacement exact des voies venant de Vertault (à
l’ouest) et de Langres (au nord). Il ne s’agit donc pas d’une station sur un axe est-ouest, mais bien d’un
carrefour régional. De nouvelles structures fossoyées découvertes sur les marges orientales de l’agglomération nous amènent également à ré échir sur l’origine laténienne de la ville antique, déjà supposée par
les nombreuses découvertes mobilières anciennes. Dans ces quartiers orientaux, les premières constructions sont trois enclos quadrangulaires fossoyés qui correspondent soit à des unités funéraires, soit à des
enclos cultuels, semblables à ceux fouillés à Fontaine-la-Gaillarde ou à Nitry dans l’Yonne. Ces aménagements sont en effet surmontés par des structures maçonnées dont l’organisation révèle un grand
sanctuaire à l’intérieur d’un péribole délimitant un espace d’env. 2,5 ha. Au centre se trouve un grand
temple entouré d’une galerie périphérique, alors qu’un second temple à plan centré est apparu plus au
sud. Nos prospections ont également révélé un important système fossoyé, qui délimite au nord et au
sud-est l’espace urbanisé, en intégrant le complexe cultuel. Il peut correspondre à des structures parcellaires antérieures mais aussi, vu leur ampleur, à une forti cation arasée, qui rappelle celle entourant
l’agglomération et le sanctuaire de Mirebeau, à 40 km au sud-est, étudiée il y a une dizaine d’années en
fouilles préventives et programmées (dir. S. Venault, M. Joly et Ph. Barral)140.
Les travaux réalisés cette année ont encore complété ce tableau. Il sera donc possible de proposer, à relativement court terme, une nouvelle synthèse sur le fait urbain dans les cités antiques du
Centre-Est de la Gaule. Elle passera bien sûr par des vecteurs traditionnels, la publication de synthèses,
de notices de sites et d’atlas mais aussi, ce qui est plus nouveau, par la mise en accès ciblée des bases de
données et des systèmes informatiques géographiques.
BIBLIOGRAPHIE
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140. Voir par ex. Ph. BARRAL, M. JOLY, « Le sanctuaire de
Mirebeau-sur-Bèze », REDDÉ et al. 2011, p. 543-556.