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Revue européenne de psychologie appliquée 54 (2004) 173–177 www.elsevier.com/locate/ Article original Thérapie cognitive et schémas cognitifs : un aspect du paradoxe S. Rusinek a,*, P. Graziani b, D. Servant c, M. Hautekeete a, I. Deregnaucourt a a b UFR de psychologie, université de Lille-III, UPRES TEC, BP 149, 59653 Villeneuve-d’Ascq cedex, France Département de psychologie, PsyCLE (EA 3273), université de Provence, 29, avenue R.-Schuman, 13621 Aix-en-Provence cedex 01, France c Clinique de l’Anxiété, CHU de Lille, 57, boulevard de Metz, 59000 Lille, France Reçu le 30 mai 2003 ; accepté le 19 octobre 2003 Résumé D’une part il est dit que les schémas responsables des psychopathologies se sont formés lentement durant l’enfance ce qui en a fait des structures stables, rigides et quasiment non-modifiables. D’autre part il est supposé que la thérapie cognitive a pour but de modifier ces schémas, parfois en quelques séances pour les techniques les plus brèves. Pour explorer ce paradoxe, nous avons mesuré l’activité de 13 schémas précoces maladaptés chez 36 patients (20 hommes et 16 femmes) souffrant de trouble panique avec agoraphobie avant et après une thérapie de groupe de dix séances (une par semaine) ayant notablement réduit leurs symptômes. Nous comparons ces mesures à celles effectuées auprès de sujets ne souffrant d’aucun trouble psychiatrique. Nos résultats semblent montrer que si la thérapie modifie les symptômes, elle n’a pas d’effet immédiat sur le niveau d’activité des schémas précoces maladaptés. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract On one hand, schemas responsible for psychopathologies are said to be slowly formed during the childhood which means they become stable, rigid and practically non-modifiable structures. On the other hand, cognitive therapy aims at modifying these schemas, sometimes a few appointments are enough for the shortest techniques. To explain this paradox, we have measured the activity of 13 early maladaptive schemas among 36 patients (20 men and 16 women), suffering from panic disorders with agoraphobia, before and after a 10 weekly session group therapy—the symptoms being totally reduced. We compare these measures with those made on subjects free from any psychiatric disorders. Our results indicate that if therapy modifies symptoms, it has no immediate effect on early maladaptive schemas. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Schémas ; Thérapie cognitive ; Anxiété Keywords: Schemas; Cognitive therapy; Anxiety 1. Introduction Une grande partie de la thérapie cognitive se fonde sur l’approche de Beck (Beck, 1974; Beck et Emery, 1985; Beck et Freeman, 1990) qui postule l’existence chez chacun de nous, de schémas mnésiques servant de filtres au traitement de l’information. Ces schémas, décrits par Beck, sont les structures et processus guidant nos comportements. Ils se composent de souvenirs, d’habilités motrices, de connaissances pragmatiques et discursives, etc. Horowitz (1994) en * Auteur correspondant. Adresse e-mail : rusinek@univ-lille3.fr (S. Rusinek). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.erap.2003.10.001 parle aussi comme une collection de représentations mentales associées qui fonctionnent comme une unité. Il est courant de considérer que leur expression, le produit comportemental visible de leur action, se retrouve dans le discours. Il situe dans des événements cognitifs identifiables dans le langage de chacun et il est ainsi possible de repérer dans les thèmes récurant du discours d’un patient les conséquences des schémas à l’origine de son trouble. Il paraît donc logique de considérer que les thèmes repris dans le discours des patients anxieux sont l’expression de la structure pathologique et l’expression des processus qu’elle engendre et qui la régissent. L’étude de ces thèmes schéma- 174 S. Rusinek et al. / Revue européenne de psychologie appliquée 54 (2004) 173–177 tiques est donc un moyen d’atteindre le contenu des structures mnésiques de considérer le traitement des patients souffrant d’anxiété ou d’autres troubles (Ball, 1998; Ball et Cecero, 2001; Blackburn et Cottraux, 1988; Cottraux et Blackburn, 1995; O’Hara, 2001). Pour ce qui est de l’anxiété, elle sera dans cette optique considérée comme composée de différents schémas qu’il est possible de repérer par l’usage d’outils standardisés comme des entretiens structurés ou des questionnaires (Cottraux et Blackburn, 1995). Plusieurs de ces questionnaires ont été proposés par Schmidt et al. (1995), créés d’après la position théorique de Young (1990) issue de celle déjà développée par Beck (Beck 1974; Beck et al. 1974; Beck et Emery, 1985; Beck et Freeman, 1990). Young (Young 1990; Young et Klosko, 1993) fait l’hypothèse que les premiers schémas se constituent très tôt dans l’enfance par interaction avec l’environnement et les personnes évoluant dans cet environnement. Ces schémas précoces sont nécessaires au développement de l’enfant car ils servent à affronter le monde dans de bonnes conditions. Seulement, Young (Young 1990; Young et Klosko, 1993) propose aussi que les interactions avec les « figures protectrices » peuvent mener l’enfant à développer précocement des schémas inadaptés qui engendreront par la suite l’apparition d’un trouble. En fait chacun de nous développerait l’ensemble des schémas décrits, par nécessité, seulement certains continueraient à les utiliser de manière préférentielle alors qu’ils ne sont plus adaptés. Ces schémas inadaptés connaissent des processus d’autorenforcement médiatisés par le traitement préférentiel des informations congruentes. De nombreuses études ont utilisé de tels outils pour étudier les schémas précoces inadaptés et différents troubles, montrant que des configurations spécifiques d’activation de schémas pourraient être corrélées avec l’expression de certains troubles (i.e. Waller et al., 2001 ; Petrocelli et al., 2001 ; Rusinek, 1999). Le paradoxe est que si nous nous référons à la théorie, les schémas sont des structures excessivement stables, construites durant toute l’enfance, possédant des règles d’autorenforcement qui font qu’elles ne peuvent quasiment pas être changées (Beck et Emery, 1985;Young, 1990). C’est justement au moment où les schémas sont très puissants, qu’ils ne peuvent plus être changés par les évènements extérieurs, car tout événement extérieur est réinterprété dans le sens du schéma qu’apparaît la pathologie. Mais pratiquement, nous affirmons en thérapie cognitive que nous sommes capables en quelques semaines, suivant des protocoles de thérapies brèves, de modifier ces schémas, de faire disparaître leur influence sur les comportements (Blackburn et Cottraux, 1988; Cottraux et Blackburn, 1995). Il existe ainsi une contradiction entre la pratique et la théorie. Pour étudier ce paradoxe nous avons proposé à des patients de suivre des thérapies de groupes fondée sur l’approche cognitive et nous avons mesuré leur trouble et les schémas précoces maladaptés repérés par Young (Schmidt et al., 1995; Young, 1990; Young et Klosko, 1993) avant et après cette thérapie en comparant leurs résultats à ceux de sujets ne souffrant d’aucun trouble psychiatrique. 2. Méthode 2.1. Sujets Soixante douze sujets répartis en deux groupes ont participé à cette étude. Le premier groupe se compose de 36 sujets souffrant d’agoraphobie avec attaques de panique diagnostiquée en fonction des critères du DSM IV (American Psychiatric Association, 1994). Ce groupe comprend 20 hommes (âge moyen = 32 ans et 7 mois) et 16 femmes (âge moyen = 31 ans et 4 mois). Le second groupe se compose de 36 sujets ne souffrant d’aucun trouble psychiatrique actuel ou antécédent pairés avec les sujets du premier groupe en fonction du sexe, de l’âge (âge moyen des hommes = 32 ans et 3 mois et âge moyen des femmes = 31 ans et 9 mois) et du niveau socioculturel. 2.2. Matériel Pour mesurer les symptômes paniques chez les patients anxieux nous avons utilisé le questionnaire des cognitions agoraphobiques de (Chambless et al. (1984) voir Bouvard et Cottraux, 2002). Cette échelle comporte 14 items faisant références à des pensées telles que : « Je vais faire une crise cardiaque » ou « Je vais perdre le contrôle de moi », dont le sujet doit évaluer la fréquence sur une échelle de 1 « Jamais » à 5 « Tout le Temps ». Nous demandions aux sujets, pour répondre, de se focaliser sur les pensées qu’ils avaient eues durant les dix derniers jours. Les schémas cognitifs ont été mesurés pour l’ensemble des sujets à l’aide du questionnaire d’attitudes de Rusinek (1999), traduction du questionnaire SQ II de Young (Schmidt et al., 1995). Ce questionnaire composé de 160 affirmations telles que « Personne ne me comprend vraiment », auxquelles il est demandé de réagir en entourant un chiffre pouvant aller de 1 à 6 (plus la note est élevée, plus le sujet considère que l’affirmation lui correspond). Les questions, lors du traitement des résultats sont regroupées en fonction des schémas qu’elles composent. Nous noterons que d’une part l’homogénéité interne pour chaque schéma est relativement importante (en moyenne, r638 = 0,664 ; p < 0,0001), et que d’autre part, les analyses en composantes principales que nous avons menées font ressortir clairement parmi les treize premiers facteurs (87 % de la variance), les 13 schémas étudiés, c’est-à-dire : • Incompétence : dix items sur le thème de la croyance en un niveau d’aptitude et de réussite inférieur à celui des autres... • Carence émotionnelle : 15 items représentant une plainte passée et présente sur le manque de partage émotionnel avec les autres, le manque de considération et d’affection... • Isolement : 24 items sur les thèmes de la solitude, du rejet des autres, de l’incapacité à s’investir dans des relations sociales... • Autocontrôle insuffısant : 19 items qui sont liés par l’énervement facile, le manque de volonté pour achever les tâches, le refus d’agir contre sa volonté... 175 S. Rusinek et al. / Revue européenne de psychologie appliquée 54 (2004) 173–177 • Méfiance : 17 items en relation avec la méfiance vis-àvis d’autrui... • Abnégation / Sacrifice de soi : 17 items sur le dévouement sans limites à la cause des autres... • Sens moral implacable : 15 items dont les thèmes principaux sont le désir de perfection pour soi-même, l’incapacité à être satisfait par ses actions... • Abandon : neuf items sur le sentiment que les relations appréciées avec autrui vont cesser, comme toujours... • Attachement : sept items sur l’incapacité à se détacher de l’opinion et des influences des parents et des « partenaires »... • Vulnérabilité : huit items concernant la peur d’une catastrophe imminente... • Dépendance : 12 items sur le besoin des autres pour comprendre ce qui se passe et réaliser des actions... • Inhibition émotionnelle : cinq items en relation avec l’incapacité à exprimer des sentiments • Peur de la perte de contrôle : trois items sur la peur de réagir impulsivement et de faire mal physiquement ou moralement à autrui... Tableau 1 Résultats des comparaisons entre les évaluations des semaines 1 et 10 pour les sujets anxieux au questionnaire des cognitions agoraphobiques Tous les sujets anxieux Moyenne semaine 1 50,88 Moyenne semaine 10 43,72 Femmes anxieuses 50,56 44,37 Hommes anxieux 51,15 43,20 t35 = 9,69 p < 0,0001 t15 = 7,02 p < 0,0001 t19 = 7,11 p < 0,0001 affirment mieux se sentir et être moins handicapés par leur trouble quotidiennement. Cliniquement, pour 19 hommes sur 20 et 14 femmes sur 16, nous avons pu noter un effet bénéfique majeur sur trois critères : développement de l’autonomie, facilité accrue de confrontation aux situations phobogènes, réduction de l’anxiété subjective à l’évocation des situations phobogènes. Au niveau de la mesure de l’impact cognitif du trouble évalué à l’aide du questionnaire des cognitions agoraphobes, elle est aussi réduite significativement pour l’ensemble des patients entre la première et la dernière séance, comme le montre le Tableau 1. 2.3. Procédure 3.1. Comparaisons patients anxieux–sujets non-anxieux Nous avons proposé aux participants souffrant de troubles paniques avec agoraphobie dix semaines de thérapie en groupe, à raison d’une séance de deux heures par semaine. Les séances de groupe ont été basées essentiellement sur des techniques de thérapies comportementales et cognitives (relaxation, résolution de problèmes, gestion de la respiration, exposition avec anticipation de la réponse, restructuration cognitive... cf. Rusinek et al., 1999; Servant, 2001). Sans reprendre le questionnaire d’attitude pour ne pas biaiser les évaluations, un travail d’identification de croyances dysfonctionnelles était réalisé à partir de la première séance. La première semaine, avant le début de la thérapie, les patients anxieux remplissaient le questionnaire des cognitions agoraphobes et le questionnaire d’attitudes. Ils remplissaient à nouveau ces deux questionnaires à la fin de la dernière séance. De plus, chaque patient était rencontré individuellement avant le début de la thérapie et au maximum une semaine après la dernière séance, pour une évaluation clinique de leur trouble et un débriefing. Pour les sujets témoins du second groupe, nous avons effectué deux évaluations des schémas à l’aide du questionnaire d’attitude à dix semaines d’intervalle, au moment de la première et de la dernière séance de thérapie des patients anxieux. 3. Résultats Il nous faut d’abord noter un effet majeur bénéfique de la thérapie sur le bien être et les symptômes paniques des patients au bout des dix séances de thérapie. Cet effet s’observe lors des entretiens cliniques où la totalité des patients Au niveau des schémas, il existe des différences entre les sujets souffrant de trouble panique et les sujets du groupe témoin dès la première semaine, différences explicables par l’existence même du trouble anxieux, dans sa structuration, sa cause, son fonctionnement. Ces différences vont, en toute logique, dans le sens de schémas bien plus activés pour les sujets anxieux que pour les sujets témoins. Nous pouvons les résumer facilement ainsi : il y a une différence significative systématique pour les 13 schémas étudiés entre sujets anxieux et sujets non-anxieux, tant au niveau de l’ensemble des sujets qu’au niveau des hommes et des femmes (MANOVAs générales en fonction des groupes et t de Student sur chaque schéma). À cela, nous ne noterons que trois exceptions ne concernant que les femmes : il n’existe pas de différence significative entre les femmes anxieuses et les non-anxieuses pour le schéma carence émotionnelle (t30 = 1,135 ; p = 0,2654 ; Manx = 3,985 ; Mnon-anx = 3,437), le schéma sacrifice de soi (t30 = 1,637 ; p = 0,112 ; Manx = 3,171 ; Mnon-anx = 2,451) et enfin pour le schéma sens moral implacable (t30 = 1,774 ; p = 0,0861 ; Manx = 1,827 ; Mnonanx = 1,284). À la dixième semaine, les différences systématiques sont toujours présentes, et vont toujours dans le même sens. Dans l’ensemble des comparaisons effectuées entre sujets anxieux et sujets non-anxieux, globalement et par sexe, la seule n’étant pas significative concerne le schéma carence émotionnelle (t30 = 0,943 ; p = 0,3534) pour les femmes (Manx = 3,289 ; Mnon-anx = 2,786), comme à la première semaine. Nous avions déjà montré en comparant des sujets anxieux-trait à des sujets non-anxieux-trait de telles différen- 176 S. Rusinek et al. / Revue européenne de psychologie appliquée 54 (2004) 173–177 ces systématiques au niveau des 13 schémas précoces maladaptés testés (Rusinek, 1999). Nous avions alors fait l’hypothèse de l’inclusion de ces 13 schémas dans la structuration de l’anxiété. 3.2. Comparaisons semaine 1/semaine 10 Les comparaisons effectuées sur chaque schéma entre la première semaine (début de la thérapie pour les sujets anxieux) et la dixième semaine (fin de la thérapie) en fonction des groupes et du sexe montrent que l’effet de la thérapie est quasiment nul sur ces schémas. En effet, toutes les comparaisons s’avèrent être non-significative sauf : • pour le schéma carence émotionnelle significativement plus actif chez les hommes anxieux à la première semaine (t19 = 2,75 ; p = 0,0127 ; M1 = 3,961 ; M10 = 2,828), mais aussi chez les hommes non-anxieux (t19 = 4,7 ; p = 0,0002 ; M1 = 2,962 ; M10 = 1,565) ; • pour le schéma peur de perdre le contrôle qui était significativement plus actif lors de la première évaluation pour les hommes anxieux (t19 = 2,521 ; p = 0,0208 ; M1 = 4,047 ; M10 = 3,079), les hommes non-anxieux (t19 = 2,701 ; p = 0,0142 ; M1 = 2,798 ; M10 = 1,891) ainsi que pour les femmes non-anxieuses (t15 = 2,66 ; p = 0,0178 ; M1 = 3,595 ; M10 = 2,567), alors qu’il est plus actif lors de la seconde évaluation pour les femmes anxieuses (t15 = 3,071 ; p = 0,0078 ; M1 = 2,753 ; M10 = 3,648). Les rares différences observées sont donc difficilement imputables à l’effet de la thérapie puisqu’on les retrouve, presque à l’identique, chez les sujets du groupe témoin. 4. Discussion La conclusion est simple : même si la thérapie semble efficace, pour l’ensemble, les schémas testés ne connaissent pas de changement lors de cette thérapie, leur activité ne « diminue » pas chez les patients anxieux. L’une des affirmations du paradoxe exposé pourrait donc être ainsi acceptée : les schémas sont effectivement des structures stables qui ne changent pas aisément, du moins pas en dix semaines de thérapie. Mais il n’en reste pas moins que l’effet des thérapies cognitives est à considérer sur les dits schémas. L’interprétation alternative serait de considérer que la thérapie comportementale et cognitive employée n’a donc pas un effet direct sur les schémas, mais sur « autre chose ». Il se pourrait que seuls quelques dysfonctionnements cognitivoémotionnels soient rapidement améliorés par la thérapie, montrant ainsi des effets bénéfiques notables sur la symptomatologie et le bien être des patients. Par la suite, ces effets pourraient peu à peu permettre une modification de l’action des schémas ou des schémas eux-mêmes ; ce que des mesures à plus long terme semblent montrer chez des patients souffrant de stress post-traumatique (Paunovic et Ost, 2001). Il est aussi à considérer que les évaluations que nous avons réalisées ne permettent de répondre à notre question. Le questionnaire d’attitudes pourrait être compris comme plus en lien avec une mesure de la personnalité, or nous n’avons pas recruté les patients participants à cette étude sur un critère de personnalité. Mais si effectivement les schémas eux-mêmes peuvent être parfois décrits comme des traits, il n’en est pas moins vrai qu’ils sont considérés comme responsables des troubles sur l’ensemble des axes. Mais, si le paradoxe semble pouvoir être résolu de cette manière, il existe de nouvelles questions tout aussi problématiques quant à notre compréhension du concept de schéma, de son utilité et de l’action des thérapies comportementales et cognitives. D’abord, il peut paraître tout aussi paradoxal que des sujets puissent avoir des troubles moindres avec des schémas tout aussi actifs tels que nous les décrivons théoriquement. Ensuite, si les schémas sont des structures stables et rigides comme nous l’avons laissé entendre, il est étonnant de constater que deux d’entre eux, à savoir les schémas carence émotionnelle et peur de perdre le contrôle, connaissent des modifications en dix semaines sans que celles-ci soient imputables à une quelconque action psychologique. Il ne nous a pas semblé non-plus qu’un événement social important ayant pu avoir une telle action se soit déroulé durant ces dix semaines entre les deux évaluations. Il se peut bien sûr que l’outil utilisé, malgré ses multiples validations connaisse un manque de fidélité, mais à notre connaissance jamais personne ne l’a relevé. Il faudrait peut-être accepter le concept de schémas plus modérément, plus en interaction avec un état d’humeur, une émotion (Hautekeete, 2001). 5. Conclusion En conclusion, nous avons peut être apporté une petite réponse à notre compréhension du formalisme du concept de schéma, bien que d’autres situations et troubles devraient être testés pour que nous puissions être formels. Cependant nous nous posons depuis de nombreuses autres questions, tant au niveau pratique qu’au niveau fondamental. Lorsque nous faisons des thérapies cognitives, changeonsnous une structure profonde ou modifions-nous les comportements juste durant un temps ? Mais dans ce cas, si les schémas existent toujours chez le patient avec la même intensité, ne risquent-ils pas de faire réapparaître le trouble ? Serait-il possible qu’une thérapie ne modifie pas les schémas, mais permette juste aux patients de mieux vivre avec ? Savons-nous exactement mesurer les schémas ? Et faute de définitions claires, chacun de nous n’a-t-il pas sa propre représentation du concept, chacun de nous ne comprend-il pas quelque chose de différent lorsque nous définissons un schéma comme le schéma Inhibition Émotionnelle par : « cinq items en relation avec l’incapacité à exprimer des sentiments... » ? Dans ce cas, savons-nous ce que nous faisons ? S. Rusinek et al. / Revue européenne de psychologie appliquée 54 (2004) 173–177 Références American Psychiatric Association, 1994. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. 4th Edition (DSM-IV). American Psychiatric Association, Washington. Ball, S.A., 1998. Manualized traitment for substance abusers with personnality disorders: dual focus schema therapy. Addictive Behavior 23 (6), 883–891. Ball, S.A., Cecero, J.J., 2001. 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