RÉGULATIONS DES INVESTISSEMENTS AGRICOLES À GRANDE
ÉCHELLE
Études de Madagascar et du Mali
Perrine Burnod et al.
De Boeck Université | Afrique contemporaine
2011/1 - n° 237
pages 111 à 129
ISSN 0002-0478
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Burnod Perrine et al., « Régulations des investissements agricoles à grande échelle » Études de Madagascar et du
Mali,
Afrique contemporaine, 2011/1 n° 237, p. 111-129.
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Régulations des investissements
agricoles à grande échelle
Études de Madagascar
et du Mali
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En plus des projets largement médiatisés de Daewoo Logistics et
Malibya, de nombreux projets agricoles à grande échelle ont été annoncés à Madagascar et au Mali (zone Office du Niger). Sur la base d’une
comparaison des dynamiques d’investissement dans ces deux pays,
l’article présente la nature des projets réellement en cours sur le terrain. Il analyse ensuite les modes effectifs de régulation de ces investissements, en étudiant non seulement les dispositifs mis en œuvre par
les États et leurs services, mais également les réactions des élus et des
populations locales.
Mots clés : Agriculture – Investissement – Afrique – Acquisition de terre
Les récentes annonces d’acquisitions de terres à grande échelle
ont fait apparaître le continent africain comme une cible nouvelle et privilégiée des appropriations foncières (Cotula et al.,
2009 ; von Braun et Meinzen-Dick, 2009 ; Banque mondiale,
2010). Elles renforcent une image de l’Afrique selon laquelle la
mise en valeur des terres arables resterait à faire 1.
Deux projets d’investissement de grande ampleur ont été largement commentés par les médias et ont fait de Madagascar et du Mali des cas
emblématiques. À Madagascar, le projet Daewoo, porté par une société privée
sud-coréenne, visait la mise en valeur de 1,3 million d’hectares. Sa révélation
au grand public a contribué à la destitution du président Ravalomanana, rappelant la sensibilité et la forte dimension politique de la question foncière. Le projet Malybia, à l’initiative du gouvernement libyen, planifie la mise en valeur de
Perrine Burnod, Pierre-Marie
Bosc, Jean-Philippe Tonneau
et Jean-Yves Jamin sont chercheurs
et Amandine Adamczewski est
doctorante au Cirad (Centre de
coopération internationale de
recherche agronomique pour le
développement). Hermine Papazian
est ingénieure agronome diplômée de
l’Ensat (École nationale supérieure
d’agronomie de Toulouse). Ils
travaillent en équipe dans une
approche intégrant l’économie,
l’agronomie et la géographie sur les
problématiques
de gestion foncière et territoriale
dans les pays du Sud. Ces travaux
s’intègrent dans les activités de
l’Observatoire du foncier à
Madagascar et de l’Observatoire
des agricultures du monde.
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
111
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Perrine Burnod, Hermine Papazian, Amandine Adamczewski,
Pierre-Marie Bosc, Jean-Philippe Tonneau, Jean-Yves Jamin
1. Cf. la récente de l’étude de la
Banque mondiale (2010) intitulée
“Awakening Africa’s Sleeping Giant”
qui présente l’Afrique comme un
continent pour lesquels les potentiels
productifs n’ont pas encore été
exprimés.
112 Les investissements dans l’agriculture africaine
Afrique contemporaine 237
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cent mille hectares sur les meilleures terres irrigables du Mali (zone Office du
Niger). La construction d’un canal d’irrigation d’un débit de cent trente mètres
cube atteste de l’ampleur des aménagements projetés.
Masquant divers projets de moindre ampleur, ces deux-là illustrent de
manière emblématique l’apparition de nouveaux investisseurs, privés et publics,
dans le secteur agricole. Ils témoignent du renforcement des stratégies de délocalisation et d’intégration verticale de la production agricole. Ils remettent au
premier plan les questions de sécurisation foncière et, plus largement, de modèles de développement agricole. Ils contribuent aussi à redéfinir le rôle des gouvernements des pays hôtes en matière d’intervention dans le secteur agricole,
dans une perspective de développement durable. L’orientation des politiques
agricoles vers le développement de fermes dites modernes risque de se faire au
détriment des exploitations agricoles familiales (Borras et Franco, 2010).
Afin de limiter les risques et de favoriser les éventuels avantages associés
à ces projets d’investissement, les listes de recommandations et les principes
prônant des investissements responsables se multiplient (Cotula et al., 2009 ;
Daniel et Mittal, 2010 ; von Braun et Meinzen-Dick, 2009 ; FAO, Fida, Unctad
et Banque mondiale, 2010). Parmi les mesures phares mentionnées figurent la
consultation des populations, la sécurisation des droits fonciers, ainsi que l’implication des autorités locales.
Sur la base d’une comparaison des dynamiques en cours à Madagascar
et au Mali, l’objectif de l’article est d’analyser les modes effectifs de régulation de ces investissements, en étudiant non seulement les dispositifs mis en
œuvre par les États et leurs services, mais également les réactions des élus et
des populations locales.
Malgré leurs impacts médiatiques, les projets d’investissements privés
dans le secteur agricole sont mal connus de la société civile et des décideurs politiques, au niveau tant national qu’international. Les informations délivrées par
la presse ne ref lètent qu’imparfaitement les dynamiques en cours et les contextes
agricoles dans lesquels ces investissements souhaitent s’insérer. Pour pallier ce
manque d’information, deux études de terrain ont été conduites en 2010 dans la
zone Office du Niger (ON) au Mali (Papazian, 2010 ; Adamczewski et al., 2010)
et à Madagascar (Randrianiriana et al., 2010). Ces études, dans le prolongement
des premières analyses sur l’investissement agricole (Uellenberg, 2008 et 2010 ;
Burnod et al., 2009 ; Cotula et al., 2009 ; Diallo et al., 2010), se sont basées
sur divers textes juridiques et documents de projets et, surtout, sur le matériel
obtenu lors visites de terrains et d’entretiens (soixante-dix à Madagascar et deux
cents au Mali) conduits auprès de décideurs publics, d’agents des ministères,
d’investisseurs, d’élus locaux, d’ONG, des populations locales et d’organisations
paysannes. L’article s’appuie sur ces deux études.
Une première partie dresse l’état des lieux des projets d’investissements en différenciant les projets annoncés des projets réellement en cours.
La deuxième partie analyse les modes effectifs de régulation de ces investissements en s’intéressant en particulier au rôle de l’État et des services techniques.
La troisième partie traite des régulations informelles suscitées par les mouvements sociaux. La quatrième partie conclut sur les implications en termes de
politiques publiques et de recherche.
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Au Mali, les investissements se concentrent dans la zone ON par son important potentiel en terres irrigables et de la politique de promotion menée par
l’État, encourageant l’installation d’opérateurs capables de financer de nouvelles infrastructures hydro-agricoles. Sur la base des quantités d’eau disponible
en saison sèche (Kuper et al., 2001), la superficie potentiellement aménageable
de la zone ON pourrait atteindre deux millions et demi d’hectares (carte 1). À
l’heure actuelle, seuls 98 000 hectares sont aménagés, soit moins de 5 % du
potentiel annoncé.
À Madagascar, les investissements visent principalement les régions
côtières de l’île présentant les meilleures conditions agronomiques (qualité des
sols, faible relief et forte pluviométrie). Les terres recherchées sont majoritairement des tanety (haut des versants et plateaux) permettant une mécanisation des travaux agricoles et non les terres de bas-fond propices à la culture du
riz irrigué. Au niveau national, les « réserves en terres arables » sont estimées
entre quinze et vingt millions d’hectares selon la FAO (2007) et entre huit et
neuf millions d’hectares selon le ministère de l’Agriculture (2008). Les méthodologies et les définitions utilisées sont sujettes à caution car les terres considérées comme cultivables peuvent être déjà utilisées en tant que pâtures ou
réserve en bois énergie. Néanmoins, les réserves en terres arables apparaissent
considérables au regard des deux millions d’hectares actuellement cultivés par
les deux millions et demi d’exploitations familiales (RGA, 2005).
Cette abondance proclamée a attiré de nombreux investisseurs, nationaux et internationaux, cherchant pour la plupart à obtenir un bail et non à
acheter les terres. En zone ON, sur la période 2004-2009, 870 000 hectares
ont fait l’objet de demandes de bail, soit l’équivalent de dix fois la superficie
des terres actuellement aménagées et plus du tiers du potentiel aménageable.
À Madagascar, sur la même période, l’ensemble des projets annonçaient vouloir mettre en valeur une superficie totale de près de trois millions d’hectares,
soit 15 à 37 % des « réserves en terres arables ». Ainsi, à l’échelle des territoires
concernés, la vague d’investissement sur une période relativement courte visait
près d’un tiers des « réserves en terre ».
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
113
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Entre annonces démesurées et faibles réalisations
Huit systèmes hydrauliques du projet initial de l’Office du Niger :
périmètres aménagés et potentiel de terres irrigables (en ha)
r
Kokéri
142 320
Kouroumari
139 815
a
Farimaké
124 995
ak
Méma
119 475
Di
Nampala
Nigeria
Karéri
477 325
Macina
716 610
Kala inférieur
92 130
Mopti
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Niono
Fala de
Molodo
Kala supérieur
94 740
Limite de la zone irriguée potentielle
suite à la création du barrage
Fala de
Boky-Wéré
Nig
Kokéri Système hydraulique et sa superficie
142 320 en hectare
er
Barrage
de Markala
20 km
D’après Office du Niger, Étude du schéma directeur de développement
de la zone de l’Office du Niger, décembre 2000.
Zones aménagées en culture irriguée
(environ 88 000 ha en janvier 2008)
Zones d'affectations de baux emphytéotiques dont le raccordement
au réseau n'est pas terminé
Madagascar et Mali, des réalités contrastées. À Madagascar, seize des cinquante-deux projets annoncés entre 2005 et 2010 sont portés par des entrepreneurs nationaux de taille modeste. La plupart, propriétaires de plantations
cannières, sont attirés par les opportunités offertes par le marché des agrocarburants. Leur projet, reposant sur la valorisation de la canne à sucre produite en milieu paysan et insuffisamment exploitée par les sucreries actuelles,
n’aurait qu’une emprise foncière limitée. Seuls deux projets visent à acquérir
des grandes superficies afin de les sous-louer ensuite à des investisseurs étrangers. Les projets portés par des opérateurs malgaches ne représentaient ainsi
qu’1 % des trois millions d’hectares visés par l’ensemble des investisseurs.
2. L’Office du Niger est l’institution
publique en charge de la gestion
des terres de la zone ON, relevant
du domaine l’État.
3. SNF est une société de distribution
d’hydrocarbures ; Tomota est une
société spécialisée dans la papeterie
114 Les investissements dans l’agriculture africaine
et a récemment racheté les huileries
d’État de la filière coton.
Afrique contemporaine 237
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ge
Burkina
Faso
Guinée
Atelier de cartographie de Sciences Po / Afrique contemporaine, mai 2011
Niger
Ni
Mali
Un grand écart entre superficies visées
et réalisations sur le terrain
Antsiranana
Projets d’investissements agricoles à Madagascar,
2005-2010
Diana
Superficies par région (en hectares)
Sofia
Mahajanga
supérieur à 150 000
entre 125 000 et 150 000
entre 40 000 et 125 000
entre 10 000 et 40 000
inférieur à 10 000
Boeny
Alaotra-Mangoro
Superficies visées
Antananarivo
Atsinanana
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Vakinankaratra
Superficies mises en valeur
en 2010
Fianarantsoa
Altitude (en mètres)
Atsimo-Andrefana
2 867
Toliara
1 000
500
0
Un redécoupage administratif
des régions a eu lieu en avril 2007,
la carte en tient compte.
Source : Observatoire du foncier (Madagascar) 2010.
100 km
Au Mali, en zone ON, la part des superficies sollicitées par des opérateurs nationaux est beaucoup plus importante. Près de 90 % des huit cent quarante demandes de bail enregistrées à l’ON 2 ont été déposées par des Maliens et
celles-ci représentent 45 % des 870 000 hectares demandées par l’ensemble des
investisseurs (Papazian, 2010). La majorité des opérateurs nationaux recherchent des superficies limitées : 80 % des demandes sont comprises entre un et
cinquante hectares et 30 % sont inférieures à cinq hectares. Agriculteurs individuels ou organisés en associations, ils souhaitent étendre leurs exploitations ou
s’installer en zone ON pour cultiver du riz ou développer du maraîchage. Seuls
3 % des investisseurs nationaux souhaitent obtenir des baux entre 500 hectares
et 100 000 hectares. La somme de ces demandes s’élève à 300 000 hectares (plus
de trois quarts de la superficie totale demandée par des Maliens). Les entreprises privées qui portent ces projets sont déjà actives au Mali (SNF, Tomota 3) ou
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
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en 2010
Atelier de cartographie de Sciences Po / Afrique contemporaine, mai 2011
Toamasina
de 2005 à 2009
4. Les investisseurs sont originaires
par ordre d’importance décroissant
des pays suivants : Royaume-Uni,
France, Italie, Allemagne, Belgique,
Pays-Bas, Israël, Liban, Maurice,
Afrique du Sud, Australie.
5. Des parcelles de deux
à cent hectares sont allouées
à chaque exploitation.
6. Le canal de quarante kilomètres
devant assurer un débit de 180 m 3/s
a été achevé mi-2010. Il constitue
le quatrième ouvrage de cette
importance depuis la création de
l’Office. Néanmoins, il se limite pour
l’heure au canal d’amenée des eaux
d’irrigation et débouche sur des
terres non aménagées. Les trente
116 Les investissements dans l’agriculture africaine
hectares cultivés en riz sous irrigation
gravitaire pour des tests
agronomiques sont situés en dehors
des terres du futur bail du projet.
Ces activités ne permettent pas de
tester les objectifs du projet qui sont
de cultiver du riz sous pivot et
de pratiquer l’élevage intensif
en stabulation.
Afrique contemporaine 237
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totalement inconnues. Elles annoncent vouloir développer des cultures oléagineuses pour le marché alimentaire ou celui des agrocarburants. Mais leurs projets ne semblent pas stabilisés et ces entreprises affirment qu’elles s’orienteront
vers d’autres spéculations en fonction des opportunités du marché.
À Madagascar, les projets les plus médiatisés ont été ceux de
1 300 000 hectares de Daewoo et de 465 000 hectares de Varun, respectivement
portés par des grandes sociétés originaires de Corée du Sud et de l’Inde (Teyssier
et al., 2010). Mais ces deux projets, aujourd’hui abandonnés, ont masqué des projets agricoles de moindre ampleur. Trente-cinq projets ont été annoncés par des
entrepreneurs privés de tailles moyennes, généralement novices dans le secteur
agricole et majoritairement originaires d’Europe 4 (Andrianirina-Ratsialonana
et al., 2010). La plupart avaient pour objectif le développement d’agrocarburant
à base de Jatropha sur des superficies comprises entre 5 000 et 100 000 hectares. Les autres planifiaient des projets agro-alimentaires (céréales) ou forestiers
sur des superficies comprises entre 5 000 et 200 000 hectares.
Au Mali, dix-huit projets d’investissements étrangers portent sur des
superficies allant de 2 500 à 100 000 hectares et visent, au total, la mise en
valeur d’environ 470 000 hectares. Une première catégorie d’investissements
regroupant des entreprises étrangères de taille modeste apparaît similaire à
celle observée à Madagascar : huit projets de production d’oléagineux originaires des États-Unis, du Canada, d’Espagne, du Soudan, ou du Burkina Faso.
Deux autres catégories d’investissements révèlent des dynamiques différentes
de celles présentes à Madagascar. Quatre projets sont entrepris directement
par des États étrangers via des fonds souverains (Libye, Chine, Arabie Saoudite
et Burkina Faso). Leur objectif est de contribuer aux objectifs de sécurité alimentaire de leur propre pays à travers la mise en culture de grandes superficies.
Enfin, une dernière catégorie regroupe des projets à l’initiative d’organisations
économiques interétatiques (la Cen-Sad et l’UEMOA) ou de bailleur étranger
(Millennium Challenge Corporation, États-Unis). Élaborés en réponse aux
propositions faites par le gouvernement malien, ces trois projets envisagent de
redistribuer les terres à de petits investisseurs agricoles 5 afin de développer la
production de riz pour le marché national ou sous régional. Souhaitant promouvoir une agriculture familiale intensive en capital, ces projets s’inscrivent
dans une logique de mise en valeur radicalement différente des autres investissements planifiant des exploitations en régie à grande échelle, basées sur le
salariat.
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tiers des cinquante-deux projets annoncés n’ont pas dépassé le stade de la prospection ou se sont arrêtés (Andrianirina-Ratsialonana et al., 2010). La somme
des superficies recherchées par les investisseurs est à présent de 150 000 hectares alors qu’elle s’élevait à 3 000 000 d’hectares fin 2009. La dynamique d’investissement ne s’est pas pour autant éteinte. Quatorze entreprises privées, le
plus souvent d’origine européenne (onze sur quatorze), ont débuté leur projet
agricole orienté vers la production d’agrocarburant (onze sur quatorze). Mais les
superficies réellement cultivées ne s’élèvent qu’à 22 000 hectares et, à l’exception
de plantations réalisées hâtivement et sur le point d’être abandonnées, elles ne
correspondent qu’à des tests agronomiques. De plus, à ce jour, seul un opérateur
a obtenu un contrat dûment signé par les services de l’État et le ministère en
charge du Foncier. Quinze autres entreprises (cinq étrangères, dix malgaches)
seraient toujours en train de préparer leur plan d’investissement.
Au Mali, 94 % des superficies concernées par les baux ne font l’objet que
d’accords provisoires, et seuls 2 % de celles-ci ont été mises en valeur (Papazian,
2010 ; Adamczewski et al., 2010). Sur les 870 000 hectares sollicités par les
investisseurs, seuls 50 000 hectares ont fait l’objet de baux entérinés par l’ON.
Ainsi, 820 000 hectares ne sont attribués que de façon provisoire sur la base de
lettres d’accord de principe. Selon le décret de gérance des terres de l’ON, cette
lettre doit être suivie, dans un délai d’un an, d’études techniques permettant
la signature d’un bail. Les travaux d’aménagement ne peuvent démarrer avant
cette signature et le promoteur dispose d’un délai de trois ans pour mettre en
valeur au moins la moitié de la superficie sous peine de résiliation du bail préalablement signé. Aujourd’hui, plus de 90 % de ces lettres devraient être résiliées
faute d’études réalisées (près d’un cas sur deux pour les onze projets maliens de
plus de 10 000 hectares et les dix-huit projets étrangers). Finalement, très peu
de terres ont été mises en culture et celles qui ont été cultivées sont en majeure
partie le fruit du travail de l’agriculture familiale. Sur les 50 000 hectares faisant l’objet de baux, seuls 11 000 hectares sont cultivés, et pour un tiers grâce à
des sous-locations, illégales, au bénéfice de petits exploitants familiaux. Sur les
820 000 hectares attribués de façon provisoire, seuls 820 hectares ont été cultivés et, seulement, pour moitié irrigués. Le projet Malybia a engagé des travaux
d’aménagements conséquents mais ces derniers n’ont pas été suivis par de nouvelles mises en culture 6 . Finalement, seul le projet MCC/MCA, l’unique à disposer d’un titre foncier, a réussi à engager des travaux d’aménagement et la mise en
culture de plus de 1 000 hectares sous irrigation gravitaire, grâce à l’attribution
de lopins de terres aux exploitations familiales.
À l’instar de nombreux pays du Sud (Banque mondiale, 2010), beaucoup
de projets d’investissements ont ainsi été abandonnés ou sont mis en veilleuse.
À Madagascar, la crise politique a découragé certains investisseurs et, plus
encore, leurs financeurs. Mais cette crise est loin d’être le seul facteur explicatif, en témoigne le maintien de projets étrangers à Madagascar et l’abandon de
projets au Mali dans un contexte politique favorable. L’arrêt des projets n’est
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
117
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Les superficies mises en valeur restent limitées. À Madagascar, plus d’un
L’États, agent de promotion des investissements
Les pays du Sud ont souvent été présentés dans la presse comme victimes des
nouvelles dynamiques d’investissement, voire d’un certain néocolonialisme. Or,
il apparaît que les gouvernements jouent un rôle clé dans la promotion et l’accueil
des investisseurs (Cotula et al., 2009). Cette promotion est souvent justifiée par
les États comme une solution adéquate pour pallier à la forte décroissance des
investissements publics et de l’aide au développement dans le secteur agricole
depuis un quart de siècle.
Les États malgache et malien ont activement participé au développement
des dynamiques d’investissements. À Madagascar, au lendemain d’une évaluation de la Banque mondiale en 2005 sur le climat des investissements et en accord
avec ses recommandations (Daniel et Mittal, 2010), le gouvernement a entrepris
une politique forte de promotion des investissements étrangers. Celle-ci s’est
traduite par la création d’un guichet unique d’accueil des investissements en
2006 (l’Economic Development Board of Madgascar, EDBM), l’annonce dans le
Madagascar Action Plan d’une volonté politique d’augmentation de l’investissement en 2007, et l’adoption d’une loi sur l’investissement en 2008, mentionnant
notamment la possibilité pour les étrangers d’accéder à la propriété foncière.
Ceci s’est confirmé par la multiplication des f lux d’entrée des investissements
directs étrangers passant de quatre-vingt-quinze millions de dollars en 2005 à
1 445 millions de dollars en 2008 (Cnuced, 2010).
7. « Investir à l’ON » ou « L’ON :
un créneau d’investissement pour
les promoteurs privés, nationaux et
étrangers », www.office-du-niger.org
8. Au mois d’avril 2010, trois cent
cinquante communes disposaient d’un
guichet foncier (sur 1 550) et avaient
délivré 52 000 certificats fonciers
(Observatoire du foncier, 2010).
118 Les investissements dans l’agriculture africaine
9. Lorsque la superficie souhaitée est
supérieure à cinquante hectares, les
investisseurs doivent obtenir l’accord
du ministère de l’Aménagement du
territoire et de la Décentralisation.
Afrique contemporaine 237
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pas non plus lié à leur objectif de production. Alors que les projets encore actifs
visent la production d’agrocarburants à Madagascar, en zone ON, ils s’orientent
vers la production de denrées alimentaires (oléagineux, riz et dans une moindre mesure canne à sucre). Ce ralentissement de la dynamique d’investissement
semble principalement expliqué par les évolutions du contexte économique
international (crise financière, f luctuations des cours des denrées agricoles),
un manque de compétences en agronomie, et la sous-évaluation des investissements à réaliser pour accéder au foncier et mettre en valeur les parcelles (coûts
des études techniques et de la procédure, construction des infrastructures routières, coût des aménagements hydro-agricoles estimé en zone ON entre cinq
et sept mille euros par hectare). Nombreux sont en effet les investisseurs qui
découvrent au fur et à mesure les réalités sociales et institutionnelles des territoires dans lesquels ils souhaitent intervenir et les réalités de la production
agricole (temps de l’expérimentation, risques agricole et phytosanitaire, niveau
d’investissement initial). Le faible état d’avancement des projets en zone ON,
notamment par des investisseurs privés de taille moyenne, semble également
révéler des logiques de spéculation.
Quand l’État exproprie les usagers locaux. Dans le secteur agricole, à la différence du secteur secondaire ou tertiaire, l’État a un poids considérable dans la
réalisation des projets d’investissements. Il contrôle le foncier. Paradoxalement,
alors que le Mali et de façon plus marquée Madagascar sont engagés dans une
politique de décentralisation de la gestion foncière, les modalités d’accès à la
terre des investisseurs attestent d’une recentralisation de cette gestion et d’un
renforcement du pouvoir de l’État central.
À Madagascar, conséquence de la récente réforme foncière, le domaine
privé de l’État, géré par les services des domaines, s’est considérablement réduit.
Les terres non titrées faisant l’objet d’une emprise individuelle ou collective –
ou en d’autres termes, les terres objets de droits locaux – ne relèvent plus du
domaine privé de l’État. Ces terres acquièrent le statut de propriété privée non
titrée. Elles dépendent à présent de la responsabilité des communes qui peuvent, par la création d’un guichet foncier, reconnaître les droits fonciers des
usagers et délivrer un certificat, de valeur juridique similaire à celle d’un titre 8
(Teyssier et al., 2009). Ainsi, lors d’une demande de bail par un investisseur
sur des terres présumées « vacantes et sans maîtres », plusieurs étapes exigées
par les services des domaines sont censées garantir que le terrain sollicité est
réellement non approprié, non certifié et non titré 9 .
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
119
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Au Mali, en zone ON, le rythme d’investissement de l’État et des bailleurs
de fonds ne suffit plus pour assurer le développement des aménagements – avec
un coût estimé à plus de trois millions, pour un montant de cinq mille euros par
hectare (Hydropacte, 2010) – et répondre aux enjeux de développement du secteur agricole. Dans ce contexte, l’objectif de l’État est non seulement de recourir
à l’investissement privé pour financer les infrastructures mais également, suite
à une perte de confiance et un manque d’intérêt pour l’agriculture familiale, de
favoriser le développement de grandes exploitations agricoles intensives. Cette
politique incitative s’est concrétisée par la création, en 2005, de l’agence pour
l’investissement (API). Elle a ensuite été réitérée dans le cadre du Projet de
développement économique et social (PDES), présentant la zone ON comme
« l’un des plus grands pôles de développement du Mali » pour l’agro-industrie.
En 2008, dans le cadre de la mise en application du schéma directeur de la
zone ON (SDDZON), différents appels à investissements privés et publics ont
été lancés avec pour objectif d’aménager 120 000 hectares à l’horizon 2020 7.
Atteindre cet objectif, sachant que seuls 100 000 hectares ont pu être aménagés
en l’espace de quatre-vingts ans, présuppose une conduite des travaux extrêmement rapides et des investissements financiers conséquents et immédiatement
disponibles. La politique de promotion de l’investissement a été suivie par une
politique de partenariat avec d’autres pays, matérialisée par l’accueil de cinq
projets étrangers de grande ampleur (le tableau ci-dessous décrit ces différents
partenariats et les projets d’investissement associés).
Partenariat
intergouvernemental
entre l’État malien
et l’État libyen
Partenariat
intergouvernemental entre
l’État malien et l’État chinois
(à travers la société Sukala
SA)
Partenariat
intergouvernemental
entre l’État malien et
le gouvernement américain
(en tant que bailleur de
fond)
Projet Malibya
Agriculture
Projet d’extension
de la Sukala SA
Projet d’Irrigation
du MCA Alatona
Afrique contemporaine 237
Caractéristiques du partenariat
Projets et modalités de mise en valeur
Aménagement de 11 300 hectares (prioritairement pour la
riziculture) qui seront vendus (pour les nationaux) ou loués
(pour les étrangers). Trois formules envisagées : parcelles de
quatre et cinq hectares pour une agriculture familiale ; dix à
vingt hectares pour des investisseurs privés ayant une capacité
technique et financière suffisante ; blocs de trente à soixante
hectares pour de grands investisseurs privés capables de créer
des entreprises agricoles. Schéma similaire à celui du MCC.
Aménagement de 14 000 hectares (riziculture et maraîchage)
qui seront immatriculés et vendus à des exploitants agricoles
(vente de parcelles de cinq, dix, trente, quatre-vingt-dix, voire
cent vint hectares, à raison de trois à quatre millions de FCFA/
hectare avec titre foncier) pour une exploitation directe individuelle (avec la liberté de sous-louer ou revendre les parcelles).
Le projet est rattaché à la présidence du Mali. Le MCA-Mali est
une société associant des représentants américains et maliens,
qui gèrent les prises de décision et la mise en œuvre du projet sur
le terrain en partenariat. Tout est financé par l’État
américain, à travers le Millennium Challenge Corporation (MCC),
pour un montant total de 117 milliards de francs CFA.
Le projet de l’UEMOA est un projet régional, mais il est dirigé
au niveau national par le gouvernement malien qui gère sa mise
en œuvre (en nommant des bureaux d’étude maliens,
des sociétés de travaux maliennes).
Culture de canne à sucre en régie sur 20 000 hectares
(en plus des 5 000 hectares déjà existants et cultivés) avec
emploi d’ouvriers permanents et saisonniers (actuellement,
pour les 5 000 hectares, sont employés 1 700 ouvriers
permanents et jusqu’à 8 000 emplois saisonniers pour
la plantation, la coupe de la canne, ou le travail dans
les usines sucrières).
Riziculture en grande mécanisation (superficie des parcelles
allant de vingt à cinquante hectares), élevage intensif
en stabulation avec recours au salariat agricole (exploitation
en régie). Équipements pour labour et repiquage conséquents.
Création annoncée de dix mille emplois par le projet (volet
agricole et industriel). Soit 100 000 hectares exploités en
régie.
Sur les premiers 14 000 hectares prévus : 9 000 hectares de
plantation à grande échelle gérés par la société Caneco, et
5 000 hectares « donnés » aux agriculteurs en compensation
de la perte de l’accès à leurs terres (1 465 hectares) mais avec
une obligation de cultiver la canne à sucre (4 135 hectares),
de vendre leur production à la société Caneco et d’assumer le
paiement de la redevance hydraulique. Soit deux tiers exploités
en régie et un tiers sous agriculture contractuelle.
État malien : actionnaire de 40 % du capital de la société,
investi sous forme de terre (30 000 hectares).
État chinois : actionnaire de 60 % du capital de Sukala SA,
pour la mise en œuvre du projet par la CLETC (société chinoise
de l’industrie légère pour la coopération technico-économique
avec l’étranger), et pour son financement (Banque import-export
de Chine).
État malien : apport de capital sous forme de terres du domaine
privé de l’État (100 000 hectares) ; État libyen : mise en œuvre du
projet (à travers la société libyenne Malibya Agriculture) et financement du projet par la LAP (Libya Africa Portofolio Investment).
Négociation toujours en cours sur l’entité qui devra financer la
compensation des personnes privées de terre ou affectées par
le projet.
État malien : apport de capital sous forme de terre
(40 000 hectares) et financement des compensations
aux personnes affectées par le projet. Prise en charge du volet
agricole du projet (production de canne à sucre) à travers
la création de la société Caneco.
Groupe industriel Illovo : financement des aménagements
hydro-agricoles et prise en charge du volet industriel du projet
(fonctionnement des usines sucrières).
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Projet de l’UEMOA Partenariat
intergouvernemental
entre les États des pays
membres de l’UEMOA.
Nature du Partenariat
Partenariat public-privé
entre le gouvernement
malien et le groupe
industriel ILLOVO (avec un
encadrement par
la Banque mondiale)
Nom du projet
Projet Sucrier de
Markala (PSM)
Projets d’investissements agricoles au Mali
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120 Les investissements dans l’agriculture africaine
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
121
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Les lois foncières promulguées dans le cadre de cette réforme imposent
une redistribution des pouvoirs en termes de gestion foncière et reconnaissent
les droits locaux. Les premières études de cas, dans des communes dotées ou
non d’un guichet foncier, démontrent que lors des procédures de demande de
bail, les pratiques de certains investisseurs, agents de l’État et élus, induisent
un contournement de ces dispositions légales et le non-respect des droits fonciers existants (Burnod et al., 2010). Plusieurs raisons expliquent cette distance
entre le cadre légal et sa mise en œuvre effective : difficultés techniques associées à l’ampleur des superficies visées, méconnaissance ou ignorance volontaire des nouvelles lois foncières ou souhait de voir le projet se développer. Lors
des travaux conduits par les services des domaines, les plans de repérage utilisés ne sont pas mis à jour, les usagers et les propriétaires fonciers présents dans
la zone visée ne sont pas informés et les agents des guichets fonciers ne sont pas
associés aux visites de terrain.
De plus, les investisseurs bénéficient de l’appui politique de représentants de l’État (chefs de région ou hauts représentants de l’État selon l’importance de l’opérateur et les réseaux de l’intermédiaire qu’il recrute) et, dans la
majorité des cas, des élus locaux. Leurs projets prévoient le développement de
nombreuses activités économiques et sociales et sont perçus, à l’instar de projets
de développement, comme des opportunités réelles de développement des territoires (écoles, puits, impôts fonciers). Dans ces conditions, les revendications
au niveau local sont limitées ou rapidement atténuées par les discours des élus
et les promesses des investisseurs. Les droits fonciers existants sur des terres
de pâtures, des zones de culture pluviale ou des forêts – y compris parfois celles
sécurisés par un titre foncier – ne sont pas respectés. Ces pratiques illustrent le
maintien d’un « comportement domanial » sur l’ensemble du territoire (Teyssier
et al., 2009). La qualification de l’ensemble des terres dites « domaniales » nie
de fait le statut légal conféré aux droits fonciers locaux par la réforme législative
et permet aux décideurs de gérer leur territoire à leur convenance.
Contrairement aux nouvelles législations, l’État conserve son pouvoir
dans la gestion des terres et, in fine, la cession des terres aux investisseurs est
facilitée, les droits des usagers locaux ne sont pas reconnus et, par conséquent, la
possibilité de compenser les populations affectées n’est même pas mentionnée.
Au Mali, la zone ON fait partie du domaine privé de l’État et sa gestion
relève de l’Office du Niger pour le foncier et l’eau d’irrigation. L’ON détient le
pouvoir d’attribuer les terres en bail et aussi de mettre un terme à leur exploitation en zone irriguée. Il accorde aux exploitants agricoles familiaux sélectionnés des contrats ou des permis d’exploitation pour cultiver des parcelles déjà
aménagées10 . Le maintien de ce contrat ou permis est conditionné au payement
d’une redevance hydraulique, proportionnelle à la superficie exploitée (entre
45 000 et 67 000 francs CFA par hectare selon les variétés cultivées, les saisons
de culture et le degré d’aménagement de la parcelle). L’ON décide également
de l’attribution des terres en zone non aménagée. Il remet au demandeur une
lettre d’accord de principe, et sous réserve de la validation des études d’impacts,
10. La superficie est attribuée en
fonction du nombre de travailleurs,
à raison d’un hectare par équivalent
« travailleur homme » présent dans la
famille et, surtout, des disponibilités
foncières. La pression foncière est
en effet forte au sein des casiers.
En témoigne la division par trois des
superficies exploitées par famille
en l’espace de vingt-cinq ans pour
n’atteindre que 3,14 hectares (Bélière
et al., 2003) et le développement
généralisé d’un marché informel des
transferts de droits d’usage
(Coulibaly et al., 2006).
11. Le projet financé par le MCC a
signé sa convention et obtenu un titre
foncier directement par la
présidence, ceux de l’UEMOA et
Malibya ont obtenu une convention
auprès du ministère de l’Agriculture,
le PSM auprès du ministère de
l’Industrie et du Commerce et, enfin,
la Sukala SA auprès du ministère du
Logement, des Affaires foncières et
de l’Urbanisme (Papazian, 2010).
122 Les investissements dans l’agriculture africaine
12. Au lieu d’engager une démarche
concertée permettant de définir
les intérêts communs des parties
et de construire un projet dont
les populations pourraient en être
membres actifs et bénéficiaires,
le projet est défini en dehors de tout
processus de concertation. Il sert en
priorité les intérêts de l’investisseur
et, ex post, est créé un concept
nouveau de « population affectée
par un projet » dont le caractère
opérationnel et effectif demeure
questionnable.
Afrique contemporaine 237
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délivre un bail de trente ou cinquante ans. L’ON peut également mettre un
terme au contrat si l’opérateur ne s’acquitte pas de la redevance hydraulique, n’a
pas dans les trois ans (renouvelable une fois) mis en valeur 50 % de la superficie
attribuée ou n’a pas respecté les modalités d’irrigation prévues. Contrôlant de
façon forte l’accès à la terre et la gestion de l’eau, l’ON a longtemps été qualifié
d’« État dans l’État » (Jamin et Doucet, 1994). Or, les modalités actuelles d’accès au foncier des grands investisseurs privés témoignent d’un affaiblissement
notable de ce pouvoir.
Alors que l’ONi a traité les demandes d’accès à la terre des investisseurs
maliens, l’État central, sans consulter de façon préalable l’Office, a attribué de
façon provisoire près de 300 000 hectares à des investisseurs étrangers au travers de conventions (soit 30 % des superficies faisant l’objet de demande de bail).
Le gouvernement a créé en 2009 le secrétariat d’État auprès du Premier ministre chargé du développement intégré de la zone ON (Sedizon), nouvel organe
de tutelle de l’ON, tutelle auparavant assurée directement par le ministère de
l’Agriculture. Cette création récente a pour but, selon le gouvernement, de pallier au manque de coordination entre les différents ministères, censés s’occuper
des projets d’investissements selon leur composante principale (agricole, industrielle)11. La création du Sedizon traduit surtout une volonté du gouvernement
de ramener le pouvoir décisionnel à la capitale, afin de reprendre le contrôle sur
la zone de l’ON jusqu’alors assuré de manière ferme et pratiquement indépendante par les hauts responsables de l’ON à Segou (Papazian, 2010).
L’ON est ainsi redevenu un simple service de l’État, étroitement encadré, voire contourné par un échelon central supérieur. L’État souhaite de cette
manière superviser ou accompagner au plus près les investisseurs étrangers auxquels il a fait appel. Cependant, rien ne garantit que le pouvoir central s’engage
effectivement par cette « reprise en main » à réguler et contrôler de manière
durable les nouveaux investissements pour rendre les projets cohérents et compatibles avec les usages et les usagers actuels de la zone ON (Adamczewski et
al., 2010). Ainsi, les décisions d’extension du périmètre répondent majoritairement à des volontés politiques et ne sont parfois pas compatibles avec les réalités du terrain, que seuls les agents de l’Office maîtrisent.
Des dispositifs de régulation non effectifs. À Madagascar comme au Mali,
l’État dispose de différents dispositifs de régulation. Si ces derniers ne sont pas
effectifs dans la protection des droits fonciers des usagers, ils ne le sont pas
plus dans les autres domaines. Les investisseurs sont censés s’adresser à un
guichet unique pour l’investissement afin de les informer des taxes et avantages
fiscaux en vigueur (API au Mali, EDBM à Madagascar). En plus des procédures
nécessaires à l’obtention d’un contrat foncier, les investisseurs doivent réaliser
des études d’impact environnemental et social (EIES) pour obtenir un permis
environnemental accompagné d’un cahier des charges (pour tout projet supérieur à dix hectares au Mali, à mille hectares à Madagascar).
Or, l’API et l’EDBM demeurent peu efficaces dans leur fonction
d’aiguillage et de présentation des mesures réglementaires. Ces guichets uniques ne représentent souvent qu’une étape administrative pour les investisseurs. Les opérateurs, notamment lorsqu’ils sont étrangers, préfèrent négocier
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
123
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Comme à Madagascar, les terres exondées visées par les investisseurs
sont pour partie utilisées par les populations locales pour produire des cultures pluviales, conduire leurs troupeaux ou prélever du bois énergie. Ces terres
exondées relèvent du domaine de l’État mais ne sont pas toujours immatriculées à son nom. D’après les textes (article 43 du CDF), les droits fonciers des
populations et des autorités locales d’origine coutumière en charge de les faire
respecter devraient être sur ces terres légalement reconnus. Dans la pratique,
les textes sont assez peu appliqués, leur précision même étant souvent discutable. De plus, dans le cadre de la décentralisation, effective au Mali depuis 1996,
il existe très peu de collaboration avec les communes rurales, qui interviennent
finalement a minima dans la gestion foncière, notamment dans le cadre des
aménagements agropastoraux.
Ainsi, lors des procédures d’attribution des terres, ni les communes ni
les usagers ne sont consultés et les droits locaux ne sont pas reconnus. Quand
bien même ils le sont (souvent sous la pression des contestations au niveau
local), aucune directive nationale explicite et détaillée n’existe pour la prise en
charge et le dédommagement des populations affectées par un projet (PAP12).
La seule référence est la directive OP12 de la Banque mondiale, mais les projets
ne s’y réfèrent pas systématiquement (à l’exemple des projets de Malibya et
Tomota). La prise en charge des PAP est gérée au cas par cas. Certains projets
financent ou devront financer l’ensemble des indemnisations des PAP (projet
rizicole du MCA et projet sucrier Sukala II, respectivement financés par les
États-Unis et la Chine). Pour d’autres, l’État devrait prendre en charge ces frais
en échange des investissements (usine, route, canal) réalisés (projet sucrier
PSM avec l’Afrique du Sud). La lenteur des négociations politiques pour définir
qui finance ces indemnisations, la difficulté de l’État à mobiliser le financement nécessaire en temps et en heure, et l’absence de directives systématiques
sont autant d’entraves à la compensation effective et équitable des populations
(Papazian, 2010).
13. Ministère de l’Environnement,
cellules de suivi environnemental des
différents ministères, spécifiquement
à Madagascar, Office national pour
l’environnement. Au Mali, le ministère
de l’Environnement ne dispose pas
des moyens pour contrôler les
pratiques des investisseurs, en partie
faute d’accord définitif sur le montant
de la taxe imposée aux investisseurs
et de volonté politique
(taxe initialement arrêtée à 1,5 %
du coût du projet).
14. À Madagascar, depuis
octobre 2010, une circulaire impose
aux investisseurs le passage par
un comité d’évaluation (comité
interministériel pour les demandes
de plus de 250 hectares, Conseil
des ministres pour une demande
124 Les investissements dans l’agriculture africaine
supérieure à 2 500 hectares)
afin d’obtenir une autorisation
de prospection foncière.
15. Ces études sont entièrement
exécutées par un consultant à
la charge du promoteur. Au Mali,
elles peuvent atteindre 1 500 euros/
hectare si elles sont réalisées dans
le cadre des règles imposées
(Papazian, 2010).
Afrique contemporaine 237
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leur projet directement auprès d’élus ou de représentants de l’État afin de bénéficier d’avantages pour l’accès au foncier (à Madagascar, baisse du montant des
loyers pourtant déjà peu élevés, 0,80 euro/hectare), ou à l’eau (au Mali, baisses
notables des tarifs des redevances hydrauliques justifiées par l’investissement
dans les infrastructures relevant théoriquement de la responsabilité de l’État,
accès prioritaire en période d’étiage). Au Mali, cette négociation directe avec
l’État se déroule souvent sans la participation de l’ON, qui dispose pourtant des
informations nécessaires sur les disponibilités foncières et en eau d’irrigation.
Ces négociations se déroulent sans données techniques fiables et les accords
signés sont souvent irréalisables, notamment en termes d’allocation de la ressource en eau.
La réalisation des EIES est peu contraignante (elle n’est effective au
Mali que depuis 2008). Comme observé dans d’autres pays (Sulle et Nelson,
2009), les consultations réalisées lors de ces études n’associent qu’une partie
des représentants de la communauté villageoise et n’offrent pas aux populations
la réelle possibilité de s’opposer ou de demander une modification du projet. Les
cahiers des charges sont peu explicites et aucune des institutions concernées13
ne dispose des moyens réels de les faire respecter : au Mali, le projet Tomota n’a
pas été sanctionné pour déforestation afin de préparer les parcelles agricoles
sur 1 400 hectares en partie boisées ; le projet Malybia n’a pas non plus été
obligé de s’acquitter des taxes relatives aux extractions dans les carrières et aux
pollutions.
Jusqu’en 2010, aucune institution n’était en charge de sélectionner les
14
projets . Cela donne l’opportunité à des promoteurs éloignés des réalités du
terrain et du milieu agricole d’engager les procédures d’accès au foncier. Ces
derniers se retrouvent finalement dans l’incapacité financière de réaliser les
études nécessaires à l’obtention d’un bail15 . Au Mali, l’intervention du gouvernement et de l’ON dans l’attribution des terres va à l’encontre des dispositions
prises dans le schéma d’aménagement hydro-agricole (SDDZON). Les terres
sont ainsi attribuées sans prendre en compte les disponibilités en eau (limitée
en période sèche de février à juin) ou la capacité des réseaux d’irrigation et
de drainage. L’objectif d’attribuer 200 000 hectares supplémentaires à l’horizon 2020 a aussi été largement dépassé (820 000 hectares ont été attribués).
Certaines zones ne bénéficient pas d’un suivi rigoureux et ont pu être l’objet de
doubles attributions.
À Madagascar, comme au Mali, les procédures actuelles d’encadrement
des projets d’investissement ne se sont mises en place que depuis le développement des projets de grande ampleur et se sont adaptées au fur et à mesure des
problèmes rencontrés. Elles ne sont pour l’heure que faiblement contraignantes
pour les investisseurs et cela entraînera probablement des difficultés futures de
gestion des ressources.
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À Madagascar, dès l’automne 2008, l’affaire Daewoo a suscité un large mouvement de contestation. Les oppositions à ce projet d’agrobusiness à grande
échelle ont d’abord été formulées par la diaspora malgache (Collective de défense
des terres malgaches, puis relayées par des organisations non gouvernementales françaises et internationales (CCFD, Via Campesina, Peuples solidaires)
(Rakotondrainibe et al., 2010). Cette opposition internationale, sans écho dans
un premier temps au niveau national, a ensuite alimenté la crise politique malgache. Les opposants au régime, reprochant au président Ravalomanana divers
pratiques, se sont emparés de la question foncière. L’affaire Daewoo constituait
pour les opposants un exemple marquant de la façon dont le président bradait le patrimoine national et mettait en péril la survie des ménages malgaches
(Pelerin, 2009). Utilisant cet argument parmi d’autres, ils ont réussi à mobiliser les masses et à renverser le gouvernement en mars 2009. La crise politique a
conduit l’entreprise sud coréenne Daewoo Logistics a renoncé à son projet.
À présent, un fort contraste apparaît entre l’ampleur des manifestations
qui ont eu lieu à l’encontre du projet Daewoo au niveau national et les faibles
réactions sociales au niveau local face au développement de projets agricoles de
moindre ampleur. Ces faibles réactions locales s’expliquent tout d’abord par le
faible niveau d’information dont disposent les populations. Elles s’expliquent
ensuite par les promesses faites par les investisseurs et les arrangements établis
au niveau local. Même si les paysans ne disposent pas de certificat foncier, ils se
considèrent propriétaires et s’opposent à ce que leurs terres cultivées, boisées ou
pâturées soient mises à disposition d’un opérateur agricole. Ces revendications
sont généralement entendues par les investisseurs qui affirment « ne pas vouloir toucher aux terres cultivées » et « compenser amplement la perte des pâturages » grâce à la mise à disposition de fourrages. Elles ne donnent pas lieu à de
plus amples contestations même si, dans les faits, les investisseurs risquent d’en
devenir les seuls propriétaires ou bailleurs reconnus légalement. Les revendications sociales sont surtout fortement atténuées par les emplois créés ou les promesses d’emploi et d’infrastructures faites par les opérateurs (et peut-être par
l’inclusion partielle des éleveurs ou propriétaires d’animaux aux négociations).
Les faibles contestations s’expliquent enfin par l’absence d’impacts négatifs visibles lors de cette première phase de négociation ou d’implantation du contrat.
Il est néanmoins fort probable que des mouvements d’opposition ou des conf lits
apparaissent une fois le projet commencé, notamment suite au développement
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
125
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Quelles réactions sociales au niveau local ?
16. Les agriculteurs « expropriés »
se verront allouer un lopin
(sur les terres qu’ils cultivaient
auparavant en sorgho) sur lequel ils
devront obligatoirement cultiver de la
canne à sucre, suivre les instructions
de l’usine (qui irriguera l’ensemble
de ces lopins par aspersion), et
vendre l’ensemble de leur récolte
à cette dernière.
126 Les investissements dans l’agriculture africaine
17. À titre d’exemples, le projet
Malibya annonce pouvoir développer
10 000 emplois sur 100 000 hectares,
et le projet sucrier de la PSM
4 700 emplois sur 40 000 hectares.
Afrique contemporaine 237
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de culture sur les parcours villageois. Par le passé, des projets agro-industriels
ont en effet vu leurs parcelles endommagées par des feux de brousse.
Au Mali, des premières revendications sociales ont eu lieu au niveau
local… mais uniquement dans les zones où les premiers travaux se sont traduits
pour certains par la perte de l’usage de leurs parcelles agricoles ou de leurs aménagements pastoraux. Dans le cadre du projet sucrier PSM, en partie appuyé
par la Banque mondiale, les contestations locales ont contraint les promoteurs
sud-africains à changer partiellement leur modèle de production en régie afin
d’y adjoindre un approvisionnement basé sur agriculture contractuelle – laissant néanmoins très peu de marge de manœuvres aux futurs agriculteurs16 .
Dans le cadre du projet Malibya, la délimitation des couloirs de passage d’animaux n’a pas été respectée ; les camps de chantier ont été installés sur les pistes
de transhumance et la construction du canal a conduit à la destruction de cases
et de jardins (Brondeau, 2010). Les protestations, formalisées par des commissions au sein des communes rurales et relayées par les collectivités territoriales
et le gouverneur de la région ont contraint l’opérateur à réaliser une EIES et
l’État à indemniser ou à reloger les populations.
Cependant, le manque de coordination et de structuration de ces différentes contestations et les intérêts divergents des populations et élus locaux
face à ces projets potentiellement créateurs d’emplois17 et d’infrastructures ne
conduisent pas à une meilleure information sur ces projets et à une mise en débat
de la gestion du foncier et des ressources en eau dans la zone ON (Adamscewski
et al., 2010). Selon certaines personnes enquêtées, l’accueil des investisseurs se
fait au détriment des producteurs locaux : « Des engagements relatifs aux modalités d’usage de l’eau sont définis par les exploitants, les représentants de l’État
et les responsables de l’Office, mais l’État et l’Office sont les premiers à ne pas
les respecter. » De plus, il semble que l’Office et l’État mettent en place une
politique de gestion de l’eau paradoxale. « L’Office justifie l’augmentation du
montant de la redevance hydraulique en contre-saison pour les paysans afin
d’éviter les problèmes de disponibilité d’eau en période d’étiage et facilite, dans
le même temps, l’installation d’investisseurs privés sur des milliers d’hectares
pour faire de la canne à sucre qui consomme deux fois plus d’eau que le riz en
contre-saison. » Leur souhait serait que l’Office satisfasse le besoin des exploitations familiales en eau avant ceux des investisseurs étrangers.
La situation renvoie aux hypothèses formulées pour le secteur minier
par Magrin et van Vliet (2005). Dans les phases de négociations du contrat
ou de début des travaux, les revendications des populations sont faibles du
fait de l’asymétrie des pouvoirs entre les parties, des promesses formulées par
l’investisseur, des premiers emplois créés et d’absence d’impacts négatifs f lagrants. Les conf lits risquent de surgir lorsque les travaux agricoles nécessiteront moins de main-d’œuvre, lorsque l’emprise foncière du projet limitera les
déplacements des troupeaux et lorsque les communautés auront eu le temps de
se structurer et l’opérateur, pris dans des logiques économiques, sera réticent
à financer les infrastructures et les services qu’il avait initialement envisagés.
Pour reprendre les termes d’Hirshman (1970), si les populations n’ont pas la
capacité d’affirmer leur opposition et d’engager un débat (voice), elles risquent
de marquer leur opposition par des actions de destruction des cultures et des
infrastructures (exit).
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À Madagascar, comme au Mali, l’apparente ampleur des projets contraste fortement avec le nombre de projets réellement en cours, c’est-à-dire impliqués
dans des démarches pour finaliser et obtenir un bail ou dans la conduite des
travaux de terrains.
Les cadres législatifs malgaches et maliens offrent des gardes fous
pour le respect des droits fonciers et de l’environnement, pour la compensation des populations affectées ou pour l’usage raisonné des ressources en
eau. Mais ces cadres sont loin d’être respectés. Dans les deux pays, l’État joue
un rôle plus de promotion des investissements que de mise en œuvre d’une
réelle régulation. Les réactions sociales, exclusivement au niveau local, dans
la phase initiale au Mali et quasi absentes pour l’heure à Madagascar, ont permis quelques réaménagements en faveur des populations affectées sans pour
autant les associer réellement au projet. L’absence de coordination entre les
mouvements de contestation et les divergences d’intérêts limitent l’impact de
ces formes de régulation.
Le cas malgache illustre le fait que la reconnaissance légale des droits
fonciers est nécessaire mais non suffisante pour augmenter le pouvoir de négociation des populations face aux investisseurs (Vermeulen et Cotula, 2010). Le
renforcement de la réforme foncière, notamment par la consolidation et la multiplication des guichets fonciers, apparaît primordial pour poursuivre la difficile redistribution des pouvoirs en termes de gestion foncière et, ainsi, renforcer
les capacités de négociation des populations locales. Les guichets, structures
communales de proximité, peuvent, si les agents bénéficient d’une formation et
d’appui continus, favoriser l’accès à l’information sur les ressources et les statuts
fonciers de la commune et ainsi permettre aux usagers de se saisir des nouvelles
lois foncières et accompagner la gestion du territoire.
Le cas malien montre que l’État concède des modalités d’accès au foncier et à l’eau très inégales pour les investisseurs et les exploitations familiales. Les investisseurs bénéficient d’un accès privilégié à l’eau et au foncier sur
des milliers d’hectares en quelques mois et sans réelle contrainte. Au contraire,
les exploitations familiales peinent à obtenir quelques hectares sur lesquels les
Régulations des investissements agricoles à grande échelle
127
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Conclusion
18. Entretien avec un représentant
du Sexagon (syndicat des exploitants
agricoles de la zone ON).
19. Extraits d’entretien avec
un représentant d’un centre de
prestation de services de la zone ON.
128 Les investissements dans l’agriculture africaine
Afrique contemporaine 237
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fonciers demeurent insécurisés et fortement assujettis au paiement de la redevance hydraulique. Ce double mouvement d’incitation et de faible régulation
des investissements par le gouvernement révèle une perte d’intérêt pour l’agriculture familiale, pourtant à l’origine du dynamisme de la production agricole
en zone ON. Les synergies possibles entre agro-industries et exploitations familiales demeurent difficilement identifiables en l’absence de règles encadrant les
dynamiques d’investissement et garantissant la réalisation effective des promesses tenues par les opérateurs. L’avenir de l’agriculture familiale, qui a fait
ses preuves dans sa capacité à produire et à développer des pratiques culturales
innovantes, n’est cependant pas totalement fermé. En effet, d’une part, l’État et
certains bailleurs de fonds poursuivent l’aménagement des terres pour une distribution à des exploitations familiales, même si le rythme est très en deçà de la
demande. D’autre part, les exploitants de l’agriculture familiale se sont organisées, notamment en syndicats, face à l’accaparement des terres et commencent
à mobiliser l’opinion locale, nationale et internationale. Ces organisations souhaitent, selon un de leur représentant, « dénoncer ce qui doit l’être, et récupérer
leurs terres18 ». Selon un autre, « les producteurs sont déjà là pour répondre aux
enjeux de la zone ON, et la mise en place d’une synergie d’action – par la valorisation d’une agriculture contractuelle – entre les grands privés arrivants et les
occupants actuels de la zone, est aujourd’hui plus que nécessaire19 ».
La régulation de ces grands projets ne doit pas ainsi se cantonner ni au
niveau local ni à la question foncière. Afin d’alimenter les débats politiques sur
les modèles de développement possibles du monde rural, un important travail
d’analyse et d’information doit être réalisé associant l’État, les investisseurs, les
ONG, la société civile et la recherche. Le besoin de recherche-action en partenariat apparaît notamment nécessaire pour explorer les possibles interactions
entre diverses formes d’agriculture et valoriser les ressources de l’agriculture
familiale et des collectivités locales.
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