Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE JEAN-PIERRE A vous tous Gens de la terre A vous tous Qui avez désiré A vous tous Qui avez été frustrés A vous tous Au désir insatisfait A vous tous Qui avez noyé Votre amour désiré Qui avez été noyés Dans le flot parlé Le flot parlé des mots Des mots sans cesse répétés Des mots sans cesse rencontrés Des mots sans cesse assénés A vos désirs rejetés Des mots jamais dénoncés De leur crime insensé De leur assassinat perpétré Au nom de Dieu ou de l’Homme D’un Dieu de la normalité D’un Homme de l’historicité A vous tous Gens de la terre A vous tous Je vous dédie Ce long poème Cette longue histoire d’un calvaire Le chemin de croix De l’innocent Jean-Pierre Gros Jean comme devant A la fin de la fable Dur comme Pierre La pierre du chemin De Golgotha Mais aux deux noms unis Comme le seraient deux amis Comme le seraient deux pôles aimantés Comme le seraient les deux faces d’une pièce argentée Deux amis aujourd’hui découplés Deux pôles aujourd’hui sectionnés Deux faces aujourd’hui séparées A vous tous Gens de la terre Je dédie L’histoire de Jean-Pierre L’histoire d’une mort assassinée 686 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE oOo Non Non Non Tu ne partiras pas Non Tu resteras Non Tu dois rester Que deviendrais-je sans toi Sans le flot de tes mots lactés Sans le son de ta voix crémeuse Sans le regard de tes yeux rieurs Sans le oui sans le non de ton doigt nieur ou acquiesceur Sans la certitude à la nuit de ne pas me réveiller seul la certitude au matin de ne pas me rendormir seul la certitude au turbin de ne pas rentrer le soir seul la certitude dans le train de ne pas attendre le lendemain seul Non Tu ne peux pas partir Tu dois rester Tu le dois TU LE DOIS Mais hélas Te voilà partie Et c’est moi Moi qui reste Seul et triste De t’avoir laissé partir Seul et triste De n’être plus seul en pensée D’être obsédé par ton souvenir Par ton spectre immatériel mais inhumainement cruel Et ma vision se trouble 687 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE D’une pénétration rageuse Du souvenir tant et tant honni Du passé tant et tant haï De l’espoir de ne plus être De ne plus me souvenir oOo Je me souviens Je me souviens D’un long jour au goût de fraise D’un jour au goût de fuite Le sable glacé de la plage d’hiver Gisait inerte au pied de la dune La vague glacée de la mer d’hiver Battait violente à la lèvre du littoral Le vent glacé du ciel gris de l’hiver Cognait mordant au front bas de l’horizon Et tu te pelotonnais au creux de la dune Et tu soufflais dans tes doigts glacés Et tu parlais d’une lèvre givrée Et tu causais d’une langue raidie Tes yeux flambaient d’une belle passion Car ton sujet t’incendiait D’un feu sans égal ni pareil Le feu de la conviction Qui s’enracine à la terre profonde De ton passé et de ta vie loupée oOo Quand je sens les genêts battre dans la nuit Je ne peux que revoir la vieille maison sur la lande La vieille mère la mère d’autrefois Hurlant et causant Moralisant d’un verbe inutile De ses « Il faut » De ses « Y a ce qui est bien et le reste est mal » De ses « Je ne comprends pas « avec tes désirs de fuite » « Il n’y a que le pain que l’on gagne « A la sueur de son front « Il n’y a que la maison bâtie pierre à pierre sou à sou heure à heure jour à jour « Il n’y a que ces objets si utiles « Que l’on a désirés vingt ans » et qui tombent en panne le troisième jour comme Jésus qui ressuscite Langage absurde d’un passé désuet Mais je tremble du cœur 688 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE papillote des paupières me trémousse de la tripe Nostalgie bleue tendre infinie Nostalgie insaisissable D’une chaleur de feu de bois D’une horloge de grand-mère Qui tique taque au mur de la salle à manger D’un plancher ciré Parce que c’est joli D’un vestibule qui sent bon la lavande Et des chambres qui embaument le thym L’hiver on s’oubliait on s’effaçait Devant la cheminée revigorante Derrière la froideur glaçante La vie saisie A ce contraste de faces Le devant du plaisir de la jouissance Le derrière de la souffrance de la peur Peur d’aller aux cabinets dehors la nuit Peur de monter l’escalier dans l’ombre le soir Peur d’ouvrir les yeux plus tard au fond du lit De peur de voir quelque génie menaçant Grimacer dans l’ombre insondable de la chambre De peur de perdre l’autre peur La peur appréhensive de la main griffue Qui une nuit se posera sur l’épaule Lacèrera la chair frémissante Et un hurlement de douleur exquise S’enflera dans mes poumons J’ai peur de perdre à jamais Cette beauté divine du passé qu’il faudra bien un jour oublier De perdre à jamais le souvenir Des circonstances sécurisantes De la mère qui accourt de l’au-delà de l’ombre Et de ne plus alors avoir Que la peur panique Du parachutiste qui s’aperçoit Que le parachute est bloqué Faites Seigneur Que ce souvenir demeure survive Mais je le haïs Je le déteste Comme on haït 689 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Un goût de soupe aigre Comme on déteste Une odeur d’humidité moisie J’ai peur aujourd’hui De la perdre en souvenir Et de la garder en mémoire J’ai peur aujourd’hui De la souffrance de l’avoir en tête De la souffrance de la perdre peut-être Quand je sens les genêts battre dans la forêt Je hurle au soleil J’entonne les louanges de la lune Je brandis les étoiles Mais je veux oublier perdre Mais je veux garder me souvenir Et le passé me hante De sa présence lancinante De son absence menaçante Et je hurle aux loups A la grand-mère du petit chaperon rouge Ah si ce souvenir avait de grandes dents « Pour mieux te manger mon enfant » Je me perdrais dans le ventre goulu De la bête frémissante Du souvenir omnipotent Ah si ce souvenir avait de grands yeux « Pour mieux te regarder mon enfant » Je me perdrais dans les prunelles avides De la bête jouissante Du souvenir lancinant Comme une vision voyeuriste Ah si … Mais avec des si … Les si sont lassants et tristes Et ils laissent la bouche amère Ils laissent la langue pâteuse Ils vous laissent sur votre faim Et ils souffrent de n’être que des pis aller De la masturbation intellectuelle ou sentimentale Non J’ai horreur des souvenirs Je ne veux voir et entendre que la réalité Je refuse le passé Et comme un bœuf au joug de la charrette Je tire la flèche sans même y penser Machinal et automatique Sentant le flanc de l’autre 690 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Se gonfler de la peine d’être enchaîné Mon bonheur est dans les chaînes Pourvu qu’on les habille de papier crépon Coupez Les rubans multicolores Et entortillez-les aux maillons inscindables Et souhaitez retrouver votre liberté Dans la pensée transcendantale Du bonze qui flambe dans son essence Priant d’une main carbonisée Que demain soit différent d’aujourd’hui Et je danse de joie Avec les genêts de la forêt Je danse et je ris Du plaisir d’avoir exorcisé La peur et l’enchaînement Dans la peur Par l’enchaînement Il faut trouver dans le joug La force finale de la joie oOo Le sable glacé de la plage d’hiver Gisait inerte au pied de la lande La vague glacée à la mer d’hiver battait violente les deux lèvres littorales Le vent glacé du ciel gris de l’hiver Cognait mordant le front bas de l’horizon Et le creux de la dune s’enfonçait Les doigts glacés se raidissaient Et tu n’étais même pas une présence Pour tes lèvres givrées ta langue raidie tes yeux illuminés D’un discours visionnaire Tout à coup brisé D’un silence si triste Que même la rumeur de la nature vitale Semblait s’extravaser D’une tombe en une autre De linceul en cercueil De mort en mort Sans amour ni sans fin La mort régnait Sur ce visage crispé Par la peur à tout jamais De n’être qu’un appendice Disgracieux et inutile A la chair froide et moite D’une histoire ensevelie Vaste drap mortuaire 691 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Glacé et mal lissé Gris de putrissure Bistre de salissure Qui te tenait de son étreinte Indesserrable parce qu’indésirable Non N’aie pas peur de l’avenir Copule avec le passé honni Et tu le tueras d’un coup de verge Tu l’enterreras d’un coup de rein Le bonheur est dans la mort La mort des amours anciennes La mort en premier lieu Et avant tout De la pieuvre tentaculaire Qui t’a nourri d’un amour empoisonné « Tu m’aimes parce que c’est interdit « Tu m’aimes parce que je t’interdis « Tout autre amour toute autre femme « Je te veux tout à moi « Et j’en ai le droit « Puisque je suis ta mère « Et si tu dis non « Je te tuerai ton plaisir « D’un souvenir lancinant « D’un interdit moral » oOo Et la bête informe Rit dans l’ombre de la nuit tombante Rit de son triomphe en forme de joug De sa violence en forme d’amour La bête immonde Qui vous prive du monde Et son narcissisme mamellique Tue sa propre progéniture Plutôt que de la céder à autrui Véritable truie possessive Qui ne veut jamais partager Ce qu’elle a enfanté Avec le moindre étranger oOo Et le rire ébranla les fondations du temple Le rire secoua les murs de pierre de la famille La société toute entière s’en trouva convulsée Et les yeux des témoins en furent révulsés oOo 692 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Hurlez Hurlez Mes amis Mes amours Jean-Pierre va mourir Par la faute d’une mère possessive Chassez la bête Tuez le monstre Rendez-lui la vie D’un mot tendre D’un geste doux D’une embrassade copine D’un baiser de frère Tout de chaleur chargé Et le violet tourmenté Du passé barbarique A peine de l’éclair jaune zébré Du malheur maternel Cède la place à un rose léger Qui illumine en un instant La voûte immense des cieux Les fougères en forme crossée Murmurent et s’entrouvrent Pour laisser le bonheur passer D’un pas hésitant Du pas de l’ami incertain Du pas du peut-être désiré Du peut-être pas encore assumé Et Jean-Pierre revit D’une lueur nouvelle Au creux de la dune Il retrouve l’appel de la vie Et se reprend d’un pas incertain Dans la carrière suicidaire C’est le moment magique De la rencontre prophétique oOo Elle était belle Il était beau Elle était très belle Il était très beau Et tous les deux forts de leur beauté oOo D’emblée il lui posa la main sur l’épaule D’emblée il lui parla au creux de l’oreille D’emblée il lui baisa les lèvres tendres D’emblée la retenue n’exista plus entre eux 693 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE La chair se rencontrait comme de naturel Et de bébé en bébé du bébé au bébé Ils retrouvèrent leur bonheur enfantin frustré par une mère raisonneuse et un père insignifiant Ils jouèrent sur la plage Ils dansèrent dans le soleil Ils grimpèrent aux dunes Et l’azur bleu du ciel Fut leur horizon déjà leur décor et puis leurs coulisses Ils se perdirent d’un bond Dans l’infini brûlant du cosmos L’amour était leur univers Le contact de la chair leur monde Baiser sur baiser Embrassade sur embrassade oOo Rassure-moi de ton bras Assure-moi de tes caresses Renforce-moi de tes lèvres Endors-moi au creux du bonheur Du bercement de tes jambes Ouvertes comme la coque d’un navire Emporté au gré dansant De la communion paradisiaque Le suc lacté de l’amour Se mêlant aux flots agités puis calmés De la jouissance découverte Au détour d’un chemin creux Jusqu’alors rêvé mais inconnu A tout jamais connu Et qui ne sera jamais plus rêvé oOo Et l’amour dura l’espace d’une lune Ils dansèrent des nuits entières La musique les berça de ses rythmes violents ou de sa langueur enivrante Perdu aux senteurs d’un cou parfumé Il ne pensait qu’au plaisir de cette chair caressée de sa chair caressante Elle ne pensait qu’au plaisir d’être consommée d’en être rassurée d’en retrouver des racines d’être terreau à cette racine prodigieuse 694 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE qui pourtant le premier jour l’effraya tant Et le temps volait comme un vaste oiseau bleu A travers le rose diffus de l’aurore phallique Et le temps volait comme un vaste oiseau bleu Que déjà teintait le rose diffus de l’aurore phallique Et le temps volait comme un vaste oiseau bleu Dont le bleu se fanait au rose diffus de l’aurore phallique Et le temps avait volé Comme un vaste oiseau ci-devant bleu Que l’aurore phallique au rose diffus Avait maintenant envahi de son emprise Et l’oiseau bleu se retrouva N’être plus qu’une volaille Incapable de voler oOo Moi Mon désir le plus cher Moi C’est d’pouvoir m’installer Moi D’avoir un appart’ment Moi C’est d’avoir de beaux meubles Moi Et d’avoir du beau linge Moi C’est d’avoir des torchons Moi Et d’avoir un’ voiture Moi Enfin d’avoir un’ femme Moi Qui me serait un’ tendr’ et douce femme Qui me réveillerait le matin Qui me préparerait le déjeuner Qui m’embrasserait avant que je parte Qui m’attendrait tout le jour durant Qui m’accueillerait le soir avec joie Qui me fêterait au lit retrouvé Qui me borderait dans un sommeil repu Qui me regarderait rêver la nuit durant Qui m’adulerait et me servirait Avant d’enfin m’offrir le bonheur suprême D’être le père d’un fils merveilleux D’un fils tout de lumière Capable de me ressembler de me dépasser 695 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE de réaliser mes rêves gâchés Par tant de malheur et de rêve frustré Moi Mon désir le plus cher Moi C’est de rire à la vie Moi Dans mon fauteuil profond Moi Ma petit’ femm’ bébé Me tétant de plaisir Moi Pendant qu’à la télé Moi Leurs conneries me s’raient Moi Des sujets d’ discussion Moi Le lendemain matin au boulot Moi Mon désir le plus cher … oOo Non Je le refuse Je refuse cette servitude Je veux être Je veux pouvoir penser Je veux pouvoir rêver Je veux lire Boris Vian Me perdre dans le surréalisme M’enivrer au nouveau de la vie Fuir les odeurs de la cuisine Rejeter les obligations de souillons Non Je refuse Je refuse de me laisser aller Je refuse de me réduire à une robe de chambre et à un balai à des bigoudis et des produits de beauté Je refuse de n’avoir à choisir Qu’entre le laisser aller des laisser pour compte Et le chic parfumé de l’objet sexuel à monsieur Je veux sentir le vent de l’au-delà De l’au-delà des mers De l’au-delà des mots Je veux construire un couple inoui Dont chaque instant sera une perle divine Dans l’amas de fumier de la vie d’autrui Je veux vivre la poésie Je veux découvrir le monde 696 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Je veux partir partir à deux vers les horizons fumeux de l’inconnu lointain Je veux voir la vallée La vallée du bonheur Dont on raconte l’histoire Celle qui là-bas rayonne Comme le soleil au levant Avant de montrer son nez Celle qui là-bas s’enivre D’une vie sans frein D’une créativité sans limite D’une beauté sans définition Tu m’emmerdes avec ton bonheur bourgeois Ton bonheur d’ouvrier parvenu Qui accepte les limites les aliénations de la vie Car on les lui sert sur un morceau de sucre Le morceau de su-sucre Au chien-chien à sa mé-mère oOo T’es une vieille conne Tu comprends rien à la vie Tous les ouvriers sont des bourgeois alors ? oOo Et le monde se désagrégea Elle voulult voir le théâtre Il refusa Elle voulut lire la poésie Il s’en écarta Elle voulut visiter la peinture Il s’en retira Elle voulut avoir des amis Il s’en fit jaloux Elle voulut prendre ses distances Il s’en fit possessif Et le piège se referma Et la mouche fut prise au vinaigre Et elle rêva de l’homme idéal Un homme parfait et sublime Mais un homme interdit oOo Grand svelte souple élancé Tout en lui n’était que finesse Il ne reste plus à la déesse du rêve 697 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Qu’à ajouter d’un coup de baguette magique La tête de l’homme enfant qu’elle crée Une tête souriante fine et mystérieuse Mais qui cède sans cesse la place Au doute inavoué A l’appel à l’aide inassouvi C’est donc ainsi qu’il vint L’homme qu’elle avait cherché en vain Sans un mot Sans un geste Sans un bruit Mais tout en mots tout en gestes tout en bruits Et l’aventure commença oOo Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Module bétonné Résonne cristallin D’un gong de visiteur Double déclic de clé Auto-sécurisante Ouvre la lourde porte Au discret auditoire Qui envahit la cage Super-capitonnée De petits cris perçants Simples rires complices Caresses d’un timide Ou adieux d’une vierge Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Je m’ennuie de l’absence D’auditoire humain Je n’suis que rossignol Mais aussi un peu clown J’ai besoin des enfants Qui rient sur les gradins Et je ne suis que seul Alors mon auditoire Je me vous l’imagine Au rebord du divan Perché et attentif Et tout attentionné Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Beau rossignol qui chante 698 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Qui compose ses trilles Burine ses accords Vaste pont aérien Envol d’éternité De pieds et de voyelles Heureux ou malheureux Du bonheur de ses branches Du bonheur de la feuille Qui s’entombe à l’automne Promise aux beaux massifs Du printemps à venir Aux frondaisons fertiles Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher oOo Il y a là-bas Au-delà des mers Des pays pleins de lumière Où des nègres dansent nus Sous les safoutiers verdissants Il y a là-bas Au-delà des montagnes L’inconnu de l’aventure Le goût du partir à tout jamais Vers un demain toujours nouveau toujours plus beau toujours plus loin D’un demain qui n’en finira pas de se renouveler D’un demain qui sera toujours Un nouveau départ Un point d’arrivée Il faudra tous les matins Tuer le jour de la veille Pour pouvoir atteindre le soir Un soir nouvellement créé Par un esprit impatient un esprit debout un esprit toujours en marche Un soir nouvellement créé Et que demain il faudra tuer Et chaque soir sera mort Dès que la nuit nous enveloppera Dès que nos jambes se mêleront Dès que je poserai mes lèvres sur ton front Ma langue sur tes lèvres Ma bouche sur tes seins Mes doigts sur tes chairs frissonnantes 699 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Ma main sur ton beau sexe boisé Dès que nos corps se mêleront En une union fuguée et concertée En une sympathie palpitante De deux poitrines enivrées De deux ventres enserrés Dans l’étreinte bouillonnante De nos désirs autocollants L’amour vois-tu ce sera pour nous La recherche de la pente permanente De la roue libre incessante Visant pourtant A prendre d’assaut les cimes enneigées Les cimes ensoleillées Où la neige est si froide Où le soleil est si chaud Que l’on gèle en plein soleil Que l’on s’évapore comme une eau qui bout A l’étreinte du névé glacé Viens viens viens faire l’amour L’amour qui nous mènera là-haut Pour ensuite redescendre dans la vallée Pour ensuite repartir à l’assaut Des montagnes enneigées Viens connaître la jouissance Viens que je te chatouille ton clitoris Viens que je t’embrasse tes mamelons Viens faire l’amour comme on prie la Vierge comme on prend l’hostie de la communion Pour ensuite jouir d’avoir joui jouir de pouvoir réjouir Viens jouir Pour connaître le plaisir de l’après Viens jouir de l’arrivée Pour pouvoir connaître le partir Pour pouvoir jouir du retour oOo Mais Tout à coup Il fronce le sourcil Un rien Un peu plus D’une dureté certaine Il fronce le sourcil Qu’est-ce ? 700 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Qu’est-ce qui lui traverse l’esprit ? A-t-il ressenti tout à coup Une bouffée de vertige Et s’est-il repris d’un coup de rein vif A la roche d’où il dévissait ? oOo Mais Crois-tu Mais Sais-tu ce que tu dis Pourquoi sans cesse partir Pourquoi ne pas rester ici Et imaginer l’au-delà Je me vois ici ou là Elever mes enfants Dorloter mon époux Et raconter des histoires des histoires de fée au bébé des histoires d’amants à mon amant Apprends à rester ici bas Et tu sauras le bonheur heureux Le bonheur qui commence Mais ne finit jamais Apprends à connaître Le plaisir du toujours Le plaisir du stable oOo Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher A l’instant à l’instant Doucement je pédale Mon oreille engourdie Par le ronronnement Du gravier qui crissait Et mon œil allangui Par le picotement De la brise d’avril Je voyaix dans la nuit Au ciel noir griffonné Un bel oiseau de Chine Au plumage doré Mais elle a refermé D’une main boudinée 701 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Les deux battants de bois De mon rêve éveillé Et je retombe triste Au bitume noirâtre Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Au bitume noirâtre Noirâtre tu as dit Mais pourquoi dis-moi donc Rime-t-il ce noirâtre Avec le noir marâtre O mon indigne mère D’une main épointée tu piquais tu brûlais Pour punir le rappel De ton phallus manqué Ce pénis éclaté A la nuit de tes noces D’un aria éraillé De cet homme effaré D’avoir cherché sa mère D’avoir trouvé marâtre Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher oOo Viens Au cinéma au restaurant Nous irons manger Des douceurs sans prix Puis nous nous tiendrons la main Dans l’ombre de la salle Nous rêverons des beautés colorées de l’écran Et puis je t’enlèverai D’une main infaillible inflexible Et puis je t’emmènerai Au cœur de la ruche Là où les abeilles bourdonnent Là où les abeilles travaillent Je t’emmènerai au cœur du monde Là où chaque geste tue le précédent Et annonce le suivant Là où chaque mot assassine la phrase Et prépare la prochaine Viens dans mon monde De vie sans fin ni début Parce que chaque instant en est Une fin et un début Viens conjuguer ton verbe A mon sujet 702 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Viens accorder ton adjectif A mon substantif oOo Mais Jean-Pierre Je vais donc me fâcher Je vais donc te fesser Comme la maman que tu n’as jamais eue Je vais donc te forcer A régler tes désirs à ceux des autres Je vais t’apprendre à donner Je t’inderdis de prendre Nous femmes ne sommes pas Ta chair à canon Mais plutôt et comprends-le vite Nous sommes Une fleur délicate Que l’on doit savoir charmer Avant de jamais pouvoir En respirer le parfum Nous sommes une fleur timide Dont la corolle est toujours fermée Et ne s’ouvre qu’au matin Quand le soleil la caresse De ses doigts immatériels Mais puisque tu n’es Qu’un vilain garçon Capricieux et pervers Je refuse de te parler de te voir de t’écouter Vas au diable Et fais l’amour avec Belzébuth oOo Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Le corbeau famélique Qui hurle à la tour noire De nos rêves perdus De nos rêves tués De deux mains fatales La main de la misère La main de la morale Et si mon rêve est mort Tué assassiné Il n’en survit pas moins 703 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE L’enfant à tout jamais L’enfant qui voudrait rire Mais qui serre les dents Car il a trop grandi Lui qui voudrait pleurer Mais qui serre les dents Car il a trop grandi Lui qui voudrait mourir Mourir d’une mort molle Comme d’un rire jaune Mais qui serre les dents Car il a trop grandi L’enfant qui voudrait vivre Des bourgeons qui éclatent Des feuilles qui s’étirent Des feuilles qui s’étalent Fleurs qui s’épanouissent Puis fleurs qui se flétrissent Se fanent et s’effacent Comme larmes qui sèchent A la joue enfiévrée De l’amour interdit L’enfant qui voudrait vivre Mais qui serre les dents Car il a trop grandi Demain j’irai cracher Sur les murs de l’école Où s’ennuient les potaches De leurs maîtres vieillots Qui compensent leur âge Toutes leurs dents serrées Du silence imposé Par leur pédagogie Du silence poli Demain j’irai cracher Sur les murs de l’école Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Mon histoire d’enfant Qui comme une roue roule Rapide rotative Et ronde et rayonnante Au gravier qui crissait Sable de la chaussée Emportant avec elle Les senteurs de la ville Les rumeurs de la foule Demain j’irai pisser Sur les files d’attente Devant l’ANPE Demain j’irai pisser Sur les souliers luisants 704 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Des ministres heureux Qui beuglent de plaisir Et bêlent de bonheur Quand tous les prix se barrent Quand les jeunes s’emmeurent Des pensées interdites Des rêves rejetés Demain j’irai pisser Sur le beau chapeau claque Du grand clown président Qui nous godille l’âme D’un fin fouet aveuglant Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Une amour retrouvaille Que l’on rêve arrêtée Au versant de la vie Que l’on rêve nichée A la chaleur douillette D’un bras qui vous enserre Chair recroquevillée D’un continu sans borne Sans source ni naissance L’éternel du jamais Jamais né éternel Jamais mort pré-charnel Demain j’irai chier Sur le singe du cirque Monsieur Loyal d’usine Demain j’irai chier Sur la hyène du cirque Vieil Auguste d’usine Demain j’irai chier Sur toutes vos maximes La vie vois-tu jeune homme C’est apprendre à mourir C’est apprendre à souffrir C’est apprendre à se taire C’est apprendre à mentir Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher La mort assurément Puisque vivre est fini oOo Jean-Pierre Ne dis pas cela Jean-Pierre Ne te laisse pas aller au désespoir Notre destin vois-tu 705 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE C’est Etre pris Au pendulement pendule qui ment pendu qui ment Au pendulement ivre Entre l’arbrisseau qui végète Et la hache qui rejette Entre l’arbrisseau qui se bat Et la hache qui abat Aussi Jean-Pierre Au revoir A toujours Pour toujours Pleure mais survis Pleure et oublie-moi Car je suis indigne De ton souvenir oOo Non Non je le refuse Je refuse ton arbrisseau et ta hache Je veux croire A autre chose A un autre destin A une autre vie Notre destin vois-tu C’est la liberté grande ouverte Hantés que nous sommes Du spectre menaçant mugissant De la conscience blessée Du reproche inutile Du piège flasque De la domesticité Paralysie végétative Qui tue l’initiative De son rachitisme d’esprit De son corps amoindri Arbrisseau qui s’en-nuit Sans succomber non plus Au tournis fou De la fuite 706 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE enfiellée Du refus de l’autrui de l’autre huis De l’huis calfeutré à l’échec tropique De l’huis largement ouvert béant de son cri inassouvi inavoué in-appris De l’oiseau blessé Dans la vie limitée Qui souhaite se jeter Au grand vent illimité De l’espoir cosmique De deux airs Qui l’un l’autre sans jalousie sans envie sans hérésie sans maladie sans nombril aigri Se répondent par avance Des questions qui devancent L’imagination même De deux êtres De deux pigeons Qui s’aimeraient d’un amour tendre oOo Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Arrête cette roue Cette roue qui s’enroule Tourne et s’en retourne Dans cette tête folle Il ne reste qu’attendre La fin ou le début L’avion le train la mort Mort de l’inachevé Mort de la vie absente A la gare du vide Ou au port du néant Du désir satisfait Satisfait de l’attente Désir insatisfait Frustré de son objet Demain j’irais vomir 707 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Sur la famille heureuse Sur ces enfants gâtés De ne plus frissonner Du vent du ciel de l’eau Demain j’irai vomir Dans le grand bénitier Des parents possessifs Demain j’irai vomir Dans la gueule ouverte Des moralisateurs Bien plus que bien pensants Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Les profondeurs aqueuses Et leur verdeur marine Et leurs algues dactyles Retour à mon océan Mère qui me fascine Et mère qui m’ennuie Fœtale aqua-marine Je rêve d’un soleil Au plus profond de l’ombre Et il ne me reste plus Que silence des mots Brouhaha de la foule Et il ne me reste plus Que chaînes du passé Que les cases trop pleines Les vides désirés Qu’on désire remplis O soleil de mes rêves Abreuve-moi soleil Sature-moi soleil De ta liqueur sauvage Ton vin capitonné Et tue en moi ce reste De survie inutile Et donne-moi enfin Le sommeil silencieux De l’absence suprême Des êtres désirés Demain j’irai souiller Le charnier silencieux Tout juste découvert La nuée bleu acier Des mouches dévorantes Policière et fasciste Sucent les chairs noircies Des grandes mandibules Qui bourdonnent voraces Sur les os dénudés Et blanchis de leur chair 708 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE Qu’allais-tu y trouver ? Qu’allais-tu y chercher Et ainsi dans la nuit La vermine inutile Claqua de ses deux dents Exigea et obtint Qu’un talon de fer vînt Et d’un petit bruit sec L’écrasât au bitume De noirâtre marâtre oOo En fait c’est lui Lui qui est toujours le baisé Baisé par le système Qui le force à prendre Telle ou telle route Et il s’y engouffre Tête baissée comme taureau renâclant fonçant sur l’épée du torero pour quoi pour rien pour le sang pour la frime Pour le fracas de la foule Pour le frimas de la fin de la mort de la nuit de toujours le calme retrouvé la paix même si c’est de la tombe Tête baissée Les yeux clos et fermés A double tour de paupières et il se fait méchant le taureau torero le taureau picador éventre d’une lance vengeresse le cheval ignoble de la foule des autres des cons oOo Et le bitume noirâtre Clôt cette chute fatale fœtale D’une flaque rougeoyante puis brunissante et puante 709 Jacques COULARDEAU – LES CONTES DE LA MONTAGNE LIVRADOISE D’un sang versé Pour ne plus l’entendre couler D’un sang renversé A la chaussée feutrée D’un monde sale et fade Retour à l’éternel noirâtre Mais pourquoi dis-moi donc ce mot rime-t-il avec marâtre Pourquoi dis-moi donc Pourquoi dis-moi Pourquoi dis pourquoi POURQUOI ? oOo Et le poème se clôt Sur un dernier cri A vous tous Gens de la terre Pour que vous vous souveniez A tout jamais De l’histoire dramatique De Jean-Pierre Ce loup qui ne savait pas donner qui ne savait que prendre Ce loup qui hurlait Dans la nuit de la vie Faute de savoir trouver Le soleil resplendissant De la musique immortelle de l’amour généreux Qui refuse la fuite 710