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Document généré le 3 déc. 2021 20:24 International Review of Community Development Revue internationale d’action communautaire Citoyenneté, nationalité et immigration Citizenship, nationality and immigration Ciudadanía, nacionalidad e inmigración Catherine Wihtol de Wenden Villes cosmopolites et sociétés pluriculturelles Résumé de l'article Numéro 21 (61), printemps 1989 À la veille du bicentenaire de la Révolution française et de l’avènement d’une citoyenneté européenne, les symboles constitutifs et les mythes fondateurs de l’État-nation se trouvent plus que jamais posés au centre du débat politique. Avec une immigration de moins en moins étrangère, de moins en moins immigrée, de plus en plus résidante, ici et maintenant, et de moins en moins tournée vers les pays d’origine, la France est désormais, encore plus qu’hier, une société pluriethnique et pluriculturelle, interrogée dans son histoire, dans son identité et dans son devenir. L’immigration, devenue défi politique, impose de nouvelles règles du jeu, de nouveaux enjeux et de nouveaux acteurs qui contribuent à redéfinir le contenu de la citoyenneté et les liens qu’elle entretient avec la nationalité. URI : https://id.erudit.org/iderudit/1034076ar DOI : https://doi.org/10.7202/1034076ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Lien social et Politiques ISSN 0707-9699 (imprimé) 2369-6400 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Wihtol de Wenden, C. (1989). Citoyenneté, nationalité et immigration. International Review of Community Development / Revue internationale d’action communautaire, (21), 43–48. https://doi.org/10.7202/1034076ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 1989 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Citoyenneté, nationalité et immigration C. Wihtol de Wenden À la veille du bicentenaire de la Révolution française, de l'avènement d'une citoyenneté européenne, la citoyenneté en est à l'heure du bilan : les interrogations sur l'identité française, la mise à l'épreuve de l'ordre national par l'immigration, la désacralisation de certains symboles, ont montré que le thème d'une nouvelle citoyenneté commençait à s'imposer. Les débats récents ont eu l'intérêt et le mérite de poser des questions fondamentales autour du phénomène migratoire. Qu'est-ce que la citoyenneté aujourd'hui ? Que sera-t-elle demain ? Quels rapports entretientelle avec la nationalité ? Il est apparu que le problème de la nationalité n'était pas secondaire par rapport à celui de la citoyenneté, car il y a eu à la fois évolution des enjeux sur ce point et transformation des demandes des intéressés. Ces interrogations ont été réactivées par l'actualité. Certains proposent de repenser le contrat social en substituant au pacte global constitutif de l'État celui d'une société reposant sur des microsolidarités entre les citoyens. D'autres avancent l'idée d'un nouveau civisme enraciné localement, ici et maintenant. D'autres enfin parlent d'une citoyenneté plurielle fondée sur la moindre pertinence des liens entre citoyenneté, nationalité et droits politiques. Un peu partout, on cherche à réinventer le citoyen comme être souverain, mais aussi et surtout comme nouvel enjeu politique, car on a pris conscience que la cristallisation de la citoyenneté-nationalité opérée au long du XIXe siècle autour de l'idée de communauté culturelle et du mythe de l'homogénéité nationale ne fonctionnait plus. Dans le même sens, l'émergence de formes de participation à la vie de quartier dans les milieux associatifs des banlieues urbaines, le mouvement des jeunes de décembre 1986, la mobilisa- tion autour du projet de réforme du code de la nationalité, les expériences de conseillers municipaux immigrés associés dans deux municipalités, ont fait apparaître le paradoxe d'une citoyenneté caractérisée par une crise de représentation entre le pays légal et le pays réel, repliée sur l'identité nationale à l'heure de la mondialisation des échanges économiques et culturels. Dans les faits, une autre citoyenneté que celle qui est liée à la nationalité et au vote est en train de naître, souvent animée par ceux qui se trouvaient hier à la périphérie de l'espace politique français : une citoyenneté d'intervention, parfois plus instrumentale que symbolique, mais enracinée là où l'on vit, caractérisée par la valorisation d'identités privées comme appartenances communautaires négociables dans la vie publique. Assiste-t-on pour autant à l'ouverture d'un nouvel espace d'expression ? La redéfinition de la citoyenneté implique-t-elle une le- Revue internationale d'action communautaure 21/61 Citoyenneté, nationalité et immigration Aussi, après avoir analysé la multiplicité des jeux qu'entretiennent entre elles citoyenneté, nationalité et immigration, on montrera en quoi l'immigration concourt à cerner le contenu de la nouvelle citoyenneté. Citoyens, nationaux, électeurs et étrangers immigrés 44 définition de l'image dans laquelle se reconnaît la société ? Promus récemment acteurs du passage au politique, les jeunes issus de l'immigration des banlieues urbaines nous invitent à réfléchir à ce qu'est la citoyenneté, à ce qu'elle peut être, à ce qu'elle devrait être. Il convient de mettre les pendules à l'heure. Face au malaise ambiant de la société industrielle sur ces questions et en même temps à la fascination récente pour celles-ci, la citoyenneté fait figure de combat culturel dans une période charnière pour les mythes fondateurs et dans une communauté politique qui n'est plus acquise une fois pour toutes, mais doit être en permanence recommencée. Autour de la citoyenneté s'effectuent en effet un processus de recomposition des identités et une transformation des enjeux, souvent animés par des mouvements issus de l'immigration. Tout en mettant en avant leur vécu d'une citoyenneté plus participative exaltant l'exercice des droits civiques, les « beurs », les « pluri-nationaux » cherchent à réconcilier pluralisme ethnique, culturel et communauté politique. Des formes d'intégration nouvelles s'en dégagent, se référant à un espace à la fois local et européen, des pratiques socio-politiques et de nouvelles élites sont nées autour du mouvement associatif. Les thèmes de la crise de l'État-nation, de la crise de l'identité française, sont à l'ordre du jour, portés par les changements de structure nationale et socio-culturelle de la population française. Durant plus d'un siècle et demi, le lien national-citoyen a construit l'espace politique, et le concept de citoyenneté s'est figé au XIXe siècle, indissolublement lié à la nation, célébré et enseigné tant par des philosophes comme Taine ou Renan que par les fondateurs de l'État-nation de la Troisième République. Aujourd'hui, la désacralisation de ces symboles et l'installation durable de communautés étrangères ont contribué à la mise en question des liens entre citoyenneté, nationalité et droits politiques. La notion juridique d'étranger (le non-national) et celle, socio-économique, d'immigré (celui qui est venu d'ailleurs à la recherche de travail) sont devenues un véritable butoir des joutes politiciennes, souvent en décalage par rapport à une réalité passée alors que des situations de double appartenance transcendent maintenant les limites imposées par le cadre national. À nouveau, la France apparaît comme une entité en formation, dont les valeurs sont à réinventer et ne peuvent être fondées ni sur l'assimilation, ni sur l'exclusion. Revoir les principes de communauté politique sur lesquels le système politique français s'est développé pour domestiquer les conflits sociaux et culturels : tel paraît être le défi. Mais qu'entend-on par citoyen, national, électeur, et quel rapport ces termes ont-ils avec l'étranger, ou l'immigré ? Le Petit Larousse définit le citoyen comme le membre d'un État, considéré du point de vue de ses devoirs et de ses droits politiques. Est-ce à dire qu'il y a prééminence du rapport à l'État ? Qu'un contrat social définit les droits et les devoirs politiques ? Que l'on se réfère implicitement à la démocratie ? Qu'en est-il aujourd'hui de valeurs telles que l'individualisme et l'esprit communautaire ou de la pluralité des formes de citoyenneté à un niveau infra- ou para-étatique ? Y a-t-il des types de citoyenneté qui émergent et d'autres qui perdent de leur vigueur, y a-t-il en quelque sorte une « citoyenneté à deux vitesses », opposant le citoyen au civisme un peu mou frappé par l'idéologie sécuritaire et dont la participation politique se limite à déposer de temps en temps un bulletin dans une urne électorale, au « nouveau citoyen », plus enraciné dans la vie locale, animateur d'un civisme identitaire, collectif, fondé sur la politisation d'intérêts culturalo-politiques à négocier dans l'État-nation ? C'est avec la Révolution française qu'a commencé l'histoire moderne de la citoyenneté : on réinvente le citoyen comme être souverain, on l'associe au contrat social sans pour autant le lier au national (la constitution de 1793, puis la Commune de Paris, en 1871, ont voulu briser la liaison automatique entre nationalité et citoyenneté). Le citoyen n'était pas non plus prioritairement un électeur : ce n'est qu'au long du XIXe siècle que la citoyenneté entendue comme contrôle du pouvoir politique a fait place à la citoyenneté fondée sur l'élection. Le citoyen-électeur symbolise l'appartenance à la communauté politique et la disposition collective de la souveraineté. L'État s'attache alors à définir qui est citoyen et qui ne l'est pas, distinguant entre citoyens actifs, citoyens passifs et sujets colonisés. Censitaire jusqu'à la révolution de 1848, le suffrage politique devint ensuite « universel », mais resta masculin jusqu'en 1945. Le droit de vote fut alors accordé aux femmes, puis, par la loi du 5 juillet 1974, aux jeunes de 18-20 ans. Si la citoyenneté a été progressivement liée à la nationalité au cours du XIXe siècle, il est des cas de nationaux qui ne furent pas tout à fait citoyens, et à l'inverse, quelques exemples de citoyens, révolutionnaires, puis communards, qui n'étaient pas des nationaux, mais des étrangers. La colonisation française a créé des situations où l'on pouvait être national sans être citoyen français, dans le cas des Algériens. Mais, si l'on a pu être citoyen sans être national et national sans être citoyen dans quelques épisodes de l'histoire de France, le droit de vote n'a pas non plus toujours constitué le critère de la citoyenneté, ni le fondement de la participation à l'exercice de la souveraineté, de même que l'on trouve en Europe des pays qui ont accordé le droit de vote à des étrangers, donc à des non-nationaux et à des non-citoyens. La participation à l'exercice de la souveraineté n'a pas toujours été liée à l'expression des suffrages et le droit de vote n'a pas toujours été le symbole de la démocratie et de la citoyenneté. La citoyenneté ne s'est pas toujours accompagnée du droit de vote ; mis à part les cas de déchéance des droits civiques pour condamnation pénale, l'histoire abonde en exemples de citoyenneté ou de naturalisation à plusieurs degrés, où les nouveaux venus dans ce statut étaient ci- toyens sans être électeurs. La loi du 28 juin 1889 sur l'acquisition de la nationalité française distinguait entre la « grande » et la « petite » naturalisation : l'étranger naturalisé jouissait de tous les droits civiques et politiques attachés à la qualité de citoyen français, mais il n'était eligible aux assemblées législatives que dix ans après le décret de naturalisation, à moins qu'une loi spéciale abrège ce délai, qui pouvait être réduit à une seule année. Plus tard, la loi de 1927, plus libérale, maintiendra le principe d'une citoyenneté « à deux vitesses », puisqu'elle exclut le naturalisé de toute fonction élective pendant dix ans. Le décret-loi du 12 novembre 1938, en son article 20, institue un délai de cinq ans entre la naturalisation de l'étranger et son inscription sur les listes électorales. Cette clause, concernant l'éligibilité, ne sera levée que tardivement, par une loi du 2 novembre 1983 qui supprime les incapacités électives consécutives à l'acquisition de la nationalité française. À l'inverse, plusieurs pays européens ont accordé le droit de vote à des étrangers, dissociant ainsi nationalité et droit de vote au niveau local, sans qu'il y ait réciprocité. Il n'existe en effet aucune règle de droit international obligeant les États à limiter le bénéfice du droit de vote à leurs nationaux. Si les États disposent, au regard du droit international, du pouvoir discrétionnaire de refuser aux étrangers les droits traditionnellement attachés à la citoyenneté, on peut aussi s'interroger sur le droit qu'ils possèdent d'imposer aux étrangers des obligations généralement attachées à la nationalité. Si l'obligation militaire a été essentiellement l'apanage des nationaux, la soumission à l'impôt, qui concerne l'étendue de la souveraineté territoriale, assujettit aussi les étrangers. Dans certains pays européens, le droit de vote peut être accordé à des étrangers en raison d'une même souveraineté qui liait autrefois les ressortissants. C'est le cas au RoyaumeUni, pour les citoyens du Commonwealth et d'Irlande, qui ont le droit de participer à toutes les élections britanniques, en Australie, pour les ressortissants du Commonwealth et les citoyens irlandais. Le droit de vote peut aussi être fondé sur la durée du séjour : quelques pays d'immigration européens ont emprunté cette voie, limitant généralement le droit de vote aux élections locales. Il en est ainsi en Suède depuis 1975, au Danemark depuis 1981, en Norvège depuis 1982, aux Pays-Bas depuis 1985. Ne serait-il pas possible d'être citoyen d'un pays, ne serait-ce que par l'élection et l'éligibilité au niveau local et par une participation effective aux affaires de la cité, sans en être un national ? Ce qui se joue aujourd'hui, c'est une nouvelle conception de la citoyenneté, dissociée le cas échéant de la nationalité et même du vote, tirant sa légitimité du droit du sol, de la résidence prolongée dans l'espace local, puisant son dynamisme dans une participation effective, concrète, enracinée ici et maintenant mais évolutive et prospective. L'immigration et surtout les jeunes qui en sont issus ont beaucoup contribué à ce réexamen critique et constructif de la citoyenneté. 45 Revue internationale d'action communautaure Citoyenneté, nationalité et immigration 46 La nouvelle citoyenneté : une nouvelle frontière pour les non- et les bi-nationaux Qui parle de citoyenneté en France ? Par une sorte d'ironie de l'histoire, ce sont ceux qui se trouvent à la périphérie du système politique français qui contribuent le plus aujourd'hui à définir le contenu de la « nouvelle citoyenneté », à réinventer ou à conquérir un nouvel espace politique, à repenser le contrat social. Dans les milieux associatifs des jeunes issus de l'immigration, certains ont dessiné dans la lutte une nouvelle figure du citoyen collectif, dans un contexte de crise de la représentation, de remise en cause du lien national-citoyen, à la recherche d'une nouvelle légitimité politique, avec un retour aux symboles fondateurs (États généraux de l'immigration, carte de citoyen, cahiers de doléances...). L'« heure des sages » a beaucoup contribué à alimenter ce dé- bat, bien que la question de la citoyenneté y ait été quelque peu évacuée : « Nous participons déjà à la vie sociale de ce pays, nous créons, nous sommes intégrés à notre manière », a-t-on pu entendre lors des auditions de la commission pour la réforme du code de la nationalité, à l'automne 1987. Cette citoyenneté d'intervention, qui peut être dissociée de la nationalité, s'inscrit dans une dynamique interne enracinée là où l'on vit, pour « tous ceux qui vivent ensemble les mêmes problèmes », et dans une perspective à la fois locale et interculturelle. C'est une réponse à la crise de la démocratie ; c'est aussi l'espoir de ne plus se trouver enfermé dans un carcan institutionnel, mental, politique, social, culturel ; c'est enfin l'idée que quelque chose peut « bouger » grâce à une réactivation de la politique « par le bas », concrètement et sur des objectifs simples (l'emploi, la vie locale, le logement, l'éducation, la culture, la défense des droits, le respect de la justice, la lutte contre le racisme...). Cette nouvelle citoyenneté partagée par les autres jeunes est faite à la fois d'une volonté de négociation collective d'une culture qui leur est propre (jeune, métissée, autonome, diversifiée, civique) et d'un appel aux symboles de la démocratie : appel à l'inscription sur les listes électorales, accent mis sur les droits civiques, réactivation du thème du droit de vote au niveau local pour les étrangers, valorisation des expériences d'immigrés élus par leurs compatriotes à des postes de conseillers associés au conseil municipal, comme à Mons-en-Baroeul (depuis 1985) et à Amiens (depuis 1987). Mais les méthodes modernes de l'usage des médias et du marketing politique n'en sont pas pour autant délaissées. Il peut s'agir aussi d'investir des terrains de participation non occupés et de revalori- ser ce qui existe déjà : associations de parents d'élèves, associations d'usagers divers, dès lors que les deux lieux traditionnels du vécu de la démocratie que sont l'État-nation et l'entreprise ne fonctionnent plus avec autant d'intensité. La nouvelle citoyenneté consiste alors à légitimer le vécu d'un nouvel espace plus informel dont l'enjeu est le quartier, afin d'y contrôler le pouvoir politique. Beaucoup d'associations sont porteuses de cette nouvelle citoyenneté fondée sur le droit du sol : ainsi, la citoyenneté n'est plus liée à la nationalité, ni à l'État-nation. Mais si la nouvelle citoyenneté s'exprime dans la vie locale, dans des quartiers parfois exclus, avec une volonté d'expression collective, elle cherche aussi à ouvrir un nouvel espace politique : l'espace européen. Certains groupes misent beaucoup sur elle, dans les associations issues de l'immigration, bien que son contenu ne soit pas entièrement défini et que le projet de réforme du code de la nationalité leur ait, un temps, imposé de se repositionner sur la dimension nationale. Ce projet, lancé en 1985 par le Front national, accompagné du slogan « Être français, cela se mérite », a été repris ensuite dans la plate-forme du RPR et de l'UDF, qui prévoyait que « la nationalité devrait être demandée et acceptée ». Il excluait de l'acquisition de plein droit de la nationalité française les enfants d'étrangers nés en France et qui y résident. Il revenait ainsi sur un principe très ancien dans le droit français, constamment réaffirmé par le législateur républicain, et qui a constitué un puissant facteur d'intégration. Les jeunes concernés seraient soumis à une démarche volontaire, la nationalité devenant de surcroît soumise à des conditions de recevabilité proches de la procédure de natu- ralisation. Une même suspicion frappait tout mariage mixte, qui ne conférerait plus au conjoint étranger, sur simple demande et au bout de six mois de mariage, la nationalité française. Bien que ce projet n'ait pas eu de suites, sinon médiatiques, il a conduit bien des jeunes issus de l'immigration à prendre conscience de la réalité du droit du sol et du poids instrumental de la nationalité française. Lors des auditions organisées par le comité des sages, à l'automne 1987, beaucoup des interviewés ont répondu à P« impôt du sang » et à la « nationalité du mérite » par la participation associative enracinée dans les banlieues urbaines et dans la réalité du « vivre ensemble », nouvelle version du « vouloir vivre collectif » : la nationalité ne doit pas être entendue comme une conséquence, mais au contraire comme une condition de l'intégration. Loin d'être une nationalité dégradée, vulnérable, moins authentique que celle du sang, la nationalité acquise par le sol et vécue par une citoyenneté effective n'en est pas moins légitime : « la nationalité se définit autour de ce qu'on a vécu, nous participons déjà, cette volonté d'intrégration est une chance pour la France ». Le droit à l'indifférence, sinon à la ressemblance, l'allégeance aux valeurs universelles de la laïcité, de la démocratie et de la Révolution française sont mis en avant. Dans un contexte où les immigrés et ceux qui en sont issus sont devenus membres permanents et constitutifs de la communauté politique, peut-on être restrictif à la fois visà-vis du droit de vote et vis-à-vis de l'acquisition de la nationalité ? Même si le droit de vote, ne serait-ce qu'au niveau local, continue à être refusé aux parents, le vote des jeunes de nationalité française et issus de l'immigration a révélé au grand jour le passage au politique qui s'est réalisé de- puis deux ou trois ans. Le vote des « Beurs » (bien que ce vocable soit loin d'être reconnu comme représentatif de l'ensemble de la population concernée) a fait naître un nouveau jeu politique, avec de nouveaux enjeux pour la classe politique. L'intérêt qu'il suscite est à la mesure de la nouveauté et de la méconnaissance du phénomène, lié à l'arrivée à l'âge de la majorité des enfants issus de l'immigration maghrébine. Quelques enquêtes de terrain ont montré que les jeunes Beurs se distinguaient des autres jeunes par un plus grand intérêt pour la politique et par des positions plus radicales : 84 % auraient voté pour François Mitterrand lors des élections présidentielles de 1988. Malgré l'hétérogénéité de cette catégorie et le fort taux de non-inscription et d'abstentionnisme électoral de ses plus jeunes membres (sont inclus les fils de harkis, ceux qui, nés en France, sont issus des trois nationalités du Maghreb, ceux dont les parents ont opté pour la nationalité française de leurs enfants durant leur minorité, et d'éventuels naturalisés), le caractère massif de l'orientation de leur vote vers le parti socialiste fait parler de lobby ethnique. L'Amicale des Algériens ne s'y trompe pas, quand elle dit explicitement, au printemps 1988, que « les jeunes Franco-Algériens sont français en France avec tout ce que cela implique. Hier cela a été une contrainte, aujourd'hui, ce peut être positif. Il faut savoir s'en servir ». Mais il est aussi des formes d'intégration très participatives à droite chez de jeunes Franco-Maghrébins militants du RPR, qui font fi des messages de SOS racisme, de France Plus ou de collectifs « civiques ». Enfin, il faut également compter avec les isolés, les intermittents de la politique et les loubards des banlieues, un peu militants et un peu délinquants par- fois, dont l'unité et l'homogénéité des comportements politiques, parfois manipulés par les appareils des partis, ne font pas long feu. En France comme dans les pays européens, la participation à la vie de la cité et son corollaire, la citoyenneté, ne peuvent se réduire au vote. Le passage au politique est aussi porteur de nouvelles formes de participation : depuis 1981, le thème de la nouvelle citoyenneté a constitué une revendication majeure, révélant l'émergence de pratiques culturelles comme identité politique et sociale à négocier dans un nouveau contrat de civilité et suppçsant un investissement dans l'État-nation. Le mouvement pour les droits politiques s'est étendu dans les milieux immigrés, alors qu'il ne faisait pas l'unanimité dans les années antérieures, soit pour la reconnaissance de ces droits aux non-nationaux (la citoyenneté au niveau local pour les parents), soit pour leur exercice (les mouvements d'inscription des jeunes issus de l'immigration mais de nationalité française sur les listes électorales). Du côté des décideurs, les termes du débat sur la réforme du code de la nationalité, largement suscités par la classe politique, ont imposé aux intéressés et aux associations de préciser la nature de leur adhésion à la communauté nationale. Réflexe frileux de l'opinion contre une société de fait pluriculturelle et nostalgie pour le mythe de l'homogénéité et d'une entité indivisible ? Façon artificielle de créer un consensus par exclusion ? Sentiment d'être agressé par le vécu d'une citoyenneté plus participative de la part de double-nationaux, voire de Non-Français ? Pour beaucoup de jeunes issus de l'immigration, ce débat s'est inscrit à contre-courant d'un mouvement d'exaltation de la ci- 47 Revue internationale d'action communautaure Citoyenneté, nationalité et immigration 48 toyenneté et des droits civiques, et d'intégration à leur manière à une double référence à la fois locale et européenne où l'espace national mobilisait peu. De nouveaux jeux se sont fait jour, à travers l'affirmation d'un droit de cité et la négociation d'une présence dans la vie publique, dans la société française et dans la quotidienneté. Catherine Wihtol de Wenden CNRS Bibliographie Ouvrages LAACHER, Smaïn, coord. 1987. Questions de nationalité. Paris, CIEMI L'Harmattan, coll. « Migrations et changements » : 256 p. LEVEAU, Rémy et Gilles KEPEL (sous la dir. de). 1988. Les Musulmans dans la société française. Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, coll. « Références » : 202 p. WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1987. Citoyenneté, nationalité et immigration. Paris, Arcantère : 223 p. WiHTOL de WENDEN, Catherine, coord. 1988. La Citoyenneté. Paris, Edilig, Fondation Diderot : 368 p. WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1988. Les Immigrés et la politique. Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques : 400 p. Articles de revues DAZI, Fatiha et Rémy LEVEAU. 1988. « L'intégration par le politique. Le vote des « beurs », Études, septembre : 179-188. LEVEAU, Rémy et Catherine WIHTOL de WENDEN. 1988. « La « seconde génération », Pouvoir, décembre. MUXEL, Anne. 1988. Les Jeunes Migrants de la deuxième génération et leur inscription dans le système politique actuel. Journée d'étude du CEVIPOF, « Clés pour l'élection présidentielle », 29 janvier, document ronéoté :13 p. WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1984. « Les immigrés, enjeu politique », Les Temps modernes, « L'immigration maghrébine en France. Les faits et les mythes », 452-453-454 (mars-avrilmai) : 1858-1876. WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1985. « Questions sur la citoyenneté », Esprit, « Français/immigrés », 6 (juin) : 24. WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1986. « Les immigrés et la politique : insertion et participation », Les Cahiers de l'Orient, 3 (3e trimestre) : 73-96. WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1987. « Les politiques de participation des immigrés à la vie de la cité dans les États européens », Actes, 61 (automne) : 3-6. WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1988a. « Être citoyen aujourd'hui », Pourquoi ?, « Un enjeu, la citoyenneté », 234 (avril): 14-18. WIHTOL de WENDEN, Catherine, coord. 1988b. « Citoyenneté, intégration, immigration » (dossier), Les Cahiers de l'Orient, 3e trimestre.