Document généré le 3 déc. 2021 20:24
International Review of Community Development
Revue internationale d’action communautaire
Citoyenneté, nationalité et immigration
Citizenship, nationality and immigration
Ciudadanía, nacionalidad e inmigración
Catherine Wihtol de Wenden
Villes cosmopolites et sociétés pluriculturelles
Résumé de l'article
Numéro 21 (61), printemps 1989
À la veille du bicentenaire de la Révolution française et de l’avènement d’une
citoyenneté européenne, les symboles constitutifs et les mythes fondateurs de
l’État-nation se trouvent plus que jamais posés au centre du débat politique.
Avec une immigration de moins en moins étrangère, de moins en moins
immigrée, de plus en plus résidante, ici et maintenant, et de moins en moins
tournée vers les pays d’origine, la France est désormais, encore plus qu’hier,
une société pluriethnique et pluriculturelle, interrogée dans son histoire, dans
son identité et dans son devenir. L’immigration, devenue défi politique, impose
de nouvelles règles du jeu, de nouveaux enjeux et de nouveaux acteurs qui
contribuent à redéfinir le contenu de la citoyenneté et les liens qu’elle
entretient avec la nationalité.
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1034076ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1034076ar
Aller au sommaire du numéro
Éditeur(s)
Lien social et Politiques
ISSN
0707-9699 (imprimé)
2369-6400 (numérique)
Découvrir la revue
Citer cet article
Wihtol de Wenden, C. (1989). Citoyenneté, nationalité et immigration.
International Review of Community Development / Revue internationale d’action
communautaire, (21), 43–48. https://doi.org/10.7202/1034076ar
Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 1989
Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/
Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
https://www.erudit.org/fr/
Citoyenneté, nationalité et immigration
C. Wihtol de Wenden
À la veille du bicentenaire de
la Révolution française, de l'avènement d'une citoyenneté européenne, la citoyenneté en est à
l'heure du bilan : les interrogations sur l'identité française, la
mise à l'épreuve de l'ordre national par l'immigration, la désacralisation de certains symboles, ont
montré que le thème d'une nouvelle citoyenneté commençait à
s'imposer.
Les débats récents ont eu l'intérêt et le mérite de poser des
questions fondamentales autour
du
phénomène
migratoire.
Qu'est-ce que la citoyenneté aujourd'hui ? Que sera-t-elle demain ? Quels rapports entretientelle avec la nationalité ? Il est apparu que le problème de la nationalité n'était pas secondaire par
rapport à celui de la citoyenneté,
car il y a eu à la fois évolution des
enjeux sur ce point et transformation des demandes des intéressés.
Ces interrogations ont été
réactivées par l'actualité. Certains
proposent de repenser le contrat
social en substituant au pacte global constitutif de l'État celui d'une
société reposant sur des microsolidarités entre les citoyens.
D'autres avancent l'idée d'un nouveau civisme enraciné localement, ici et maintenant. D'autres
enfin parlent d'une citoyenneté
plurielle fondée sur la moindre
pertinence des liens entre citoyenneté, nationalité et droits politiques. Un peu partout, on
cherche à réinventer le citoyen
comme être souverain, mais aussi
et surtout comme nouvel enjeu
politique, car on a pris conscience
que la cristallisation de la citoyenneté-nationalité opérée au long du
XIXe siècle autour de l'idée de
communauté culturelle et du
mythe de l'homogénéité nationale
ne fonctionnait plus.
Dans le même sens, l'émergence de formes de participation
à la vie de quartier dans les milieux associatifs des banlieues urbaines, le mouvement des jeunes
de décembre 1986, la mobilisa-
tion autour du projet de réforme
du code de la nationalité, les expériences de conseillers municipaux immigrés associés dans
deux municipalités, ont fait apparaître le paradoxe d'une citoyenneté caractérisée par une crise de
représentation entre le pays légal
et le pays réel, repliée sur l'identité nationale à l'heure de la mondialisation des échanges économiques et culturels. Dans les faits,
une autre citoyenneté que celle
qui est liée à la nationalité et au
vote est en train de naître, souvent animée par ceux qui se trouvaient hier à la périphérie de l'espace politique français : une citoyenneté d'intervention, parfois
plus instrumentale que symbolique, mais enracinée là où l'on vit,
caractérisée par la valorisation d'identités privées comme appartenances communautaires négociables dans la vie publique.
Assiste-t-on pour autant à l'ouverture d'un nouvel espace d'expression ? La redéfinition de la
citoyenneté implique-t-elle une le-
Revue internationale d'action communautaure
21/61
Citoyenneté, nationalité et immigration
Aussi, après avoir analysé la
multiplicité des jeux qu'entretiennent entre elles citoyenneté, nationalité et immigration, on montrera en quoi l'immigration
concourt à cerner le contenu de la
nouvelle citoyenneté.
Citoyens, nationaux,
électeurs et étrangers
immigrés
44
définition de l'image dans laquelle
se reconnaît la société ? Promus
récemment acteurs du passage
au politique, les jeunes issus de
l'immigration des banlieues urbaines nous invitent à réfléchir à
ce qu'est la citoyenneté, à ce
qu'elle peut être, à ce qu'elle devrait être. Il convient de mettre les
pendules à l'heure. Face au malaise ambiant de la société industrielle sur ces questions et en
même temps à la fascination récente pour celles-ci, la citoyenneté fait figure de combat culturel
dans une période charnière pour
les mythes fondateurs et dans
une communauté politique qui
n'est plus acquise une fois pour
toutes, mais doit être en permanence recommencée.
Autour de la citoyenneté s'effectuent en effet un processus de
recomposition des identités et une
transformation des enjeux, souvent animés par des mouvements
issus de l'immigration. Tout en
mettant en avant leur vécu d'une
citoyenneté plus participative
exaltant l'exercice des droits civiques, les « beurs », les « pluri-nationaux » cherchent à réconcilier
pluralisme ethnique, culturel et
communauté politique. Des
formes d'intégration nouvelles
s'en dégagent, se référant à un
espace à la fois local et européen,
des pratiques socio-politiques et
de nouvelles élites sont nées autour du mouvement associatif.
Les thèmes de la crise de l'État-nation, de la crise de l'identité
française, sont à l'ordre du jour,
portés par les changements de
structure nationale et socio-culturelle de la population française.
Durant plus d'un siècle et demi, le lien national-citoyen a
construit l'espace politique, et le
concept de citoyenneté s'est figé
au XIXe siècle, indissolublement
lié à la nation, célébré et enseigné
tant par des philosophes comme
Taine ou Renan que par les fondateurs de l'État-nation de la Troisième République.
Aujourd'hui, la désacralisation
de ces symboles et l'installation
durable de communautés étrangères ont contribué à la mise en
question des liens entre citoyenneté, nationalité et droits politiques. La notion juridique d'étranger (le non-national) et celle, socio-économique, d'immigré (celui
qui est venu d'ailleurs à la recherche de travail) sont devenues
un véritable butoir des joutes politiciennes, souvent en décalage
par rapport à une réalité passée
alors que des situations de double
appartenance transcendent maintenant les limites imposées par le
cadre national.
À nouveau, la France apparaît
comme une entité en formation,
dont les valeurs sont à réinventer
et ne peuvent être fondées ni sur
l'assimilation, ni sur l'exclusion.
Revoir les principes de communauté politique sur lesquels le
système politique français s'est
développé pour domestiquer les
conflits sociaux et culturels : tel
paraît être le défi.
Mais qu'entend-on par citoyen, national, électeur, et quel
rapport ces termes ont-ils avec
l'étranger, ou l'immigré ?
Le Petit Larousse définit le citoyen comme le membre d'un
État, considéré du point de vue de
ses devoirs et de ses droits politiques. Est-ce à dire qu'il y a prééminence du rapport à l'État ?
Qu'un contrat social définit les
droits et les devoirs politiques ?
Que l'on se réfère implicitement à
la démocratie ? Qu'en est-il aujourd'hui de valeurs telles que l'individualisme et l'esprit communautaire ou de la pluralité des
formes de citoyenneté à un niveau infra- ou para-étatique ? Y
a-t-il des types de citoyenneté qui
émergent et d'autres qui perdent
de leur vigueur, y a-t-il en quelque
sorte une « citoyenneté à deux
vitesses », opposant le citoyen au
civisme un peu mou frappé par
l'idéologie sécuritaire et dont la
participation politique se limite à
déposer de temps en temps un
bulletin dans une urne électorale,
au « nouveau citoyen », plus enraciné dans la vie locale, animateur d'un civisme identitaire, collectif, fondé sur la politisation d'intérêts culturalo-politiques à négocier dans l'État-nation ? C'est
avec la Révolution française qu'a
commencé l'histoire moderne de
la citoyenneté : on réinvente le
citoyen comme être souverain, on
l'associe au contrat social sans
pour autant le lier au national (la
constitution de 1793, puis la Commune de Paris, en 1871, ont voulu
briser la liaison automatique entre
nationalité et citoyenneté). Le citoyen n'était pas non plus prioritairement un électeur : ce n'est
qu'au long du XIXe siècle que la
citoyenneté entendue comme
contrôle du pouvoir politique a fait
place à la citoyenneté fondée sur
l'élection. Le citoyen-électeur
symbolise l'appartenance à la
communauté politique et la disposition collective de la souveraineté. L'État s'attache alors à définir
qui est citoyen et qui ne l'est pas,
distinguant entre citoyens actifs,
citoyens passifs et sujets colonisés. Censitaire jusqu'à la révolution de 1848, le suffrage politique
devint ensuite « universel », mais
resta masculin jusqu'en 1945. Le
droit de vote fut alors accordé aux
femmes, puis, par la loi du 5 juillet
1974, aux jeunes de 18-20 ans.
Si la citoyenneté a été progressivement liée à la nationalité
au cours du XIXe siècle, il est des
cas de nationaux qui ne furent
pas tout à fait citoyens, et à l'inverse, quelques exemples de citoyens, révolutionnaires, puis
communards, qui n'étaient pas
des nationaux, mais des étrangers. La colonisation française a
créé des situations où l'on pouvait
être national sans être citoyen
français, dans le cas des Algériens. Mais, si l'on a pu être citoyen sans être national et national sans être citoyen dans quelques épisodes de l'histoire de
France, le droit de vote n'a pas
non plus toujours constitué le critère de la citoyenneté, ni le fondement de la participation à l'exercice de la souveraineté, de même
que l'on trouve en Europe des
pays qui ont accordé le droit de
vote à des étrangers, donc à des
non-nationaux et à des non-citoyens. La participation à l'exercice de la souveraineté n'a pas
toujours été liée à l'expression
des suffrages et le droit de vote
n'a pas toujours été le symbole de
la démocratie et de la citoyenneté.
La citoyenneté ne s'est pas
toujours accompagnée du droit de
vote ; mis à part les cas de déchéance des droits civiques pour
condamnation pénale, l'histoire
abonde en exemples de citoyenneté ou de naturalisation à plusieurs degrés, où les nouveaux
venus dans ce statut étaient ci-
toyens sans être électeurs. La loi
du 28 juin 1889 sur l'acquisition
de la nationalité française distinguait entre la « grande » et la
« petite » naturalisation : l'étranger naturalisé jouissait de tous les
droits civiques et politiques attachés à la qualité de citoyen français, mais il n'était eligible aux
assemblées législatives que dix
ans après le décret de naturalisation, à moins qu'une loi spéciale
abrège ce délai, qui pouvait être
réduit à une seule année. Plus
tard, la loi de 1927, plus libérale,
maintiendra le principe d'une citoyenneté « à deux vitesses »,
puisqu'elle exclut le naturalisé de
toute fonction élective pendant dix
ans. Le décret-loi du 12 novembre
1938, en son article 20, institue un
délai de cinq ans entre la naturalisation de l'étranger et son inscription sur les listes électorales.
Cette clause, concernant l'éligibilité, ne sera levée que tardivement,
par une loi du 2 novembre 1983
qui supprime les incapacités électives consécutives à l'acquisition
de la nationalité française. À l'inverse, plusieurs pays européens
ont accordé le droit de vote à des
étrangers, dissociant ainsi nationalité et droit de vote au niveau
local, sans qu'il y ait réciprocité. Il
n'existe en effet aucune règle de
droit international obligeant les
États à limiter le bénéfice du droit
de vote à leurs nationaux. Si les
États disposent, au regard du
droit international, du pouvoir discrétionnaire de refuser aux étrangers les droits traditionnellement
attachés à la citoyenneté, on peut
aussi s'interroger sur le droit qu'ils
possèdent d'imposer aux étrangers des obligations généralement attachées à la nationalité. Si
l'obligation militaire a été essentiellement l'apanage des nationaux, la soumission à l'impôt, qui
concerne l'étendue de la souveraineté territoriale, assujettit aussi
les étrangers. Dans certains pays
européens, le droit de vote peut
être accordé à des étrangers en
raison d'une même souveraineté
qui liait autrefois les ressortissants. C'est le cas au RoyaumeUni, pour les citoyens du Commonwealth et d'Irlande, qui ont le
droit de participer à toutes les
élections britanniques, en Australie, pour les ressortissants du
Commonwealth et les citoyens irlandais. Le droit de vote peut aussi être fondé sur la durée du séjour : quelques pays d'immigration européens ont emprunté
cette voie, limitant généralement
le droit de vote aux élections locales. Il en est ainsi en Suède
depuis 1975, au Danemark depuis 1981, en Norvège depuis
1982, aux Pays-Bas depuis 1985.
Ne serait-il pas possible d'être
citoyen d'un pays, ne serait-ce
que par l'élection et l'éligibilité au
niveau local et par une participation effective aux affaires de la
cité, sans en être un national ? Ce
qui se joue aujourd'hui, c'est une
nouvelle conception de la citoyenneté, dissociée le cas échéant de
la nationalité et même du vote,
tirant sa légitimité du droit du sol,
de la résidence prolongée dans
l'espace local, puisant son dynamisme dans une participation effective, concrète, enracinée ici et
maintenant mais évolutive et
prospective. L'immigration et surtout les jeunes qui en sont issus
ont beaucoup contribué à ce réexamen critique et constructif de
la citoyenneté.
45
Revue internationale d'action communautaure
Citoyenneté, nationalité et immigration
46
La nouvelle citoyenneté :
une nouvelle frontière pour
les non- et les bi-nationaux
Qui parle de citoyenneté en
France ? Par une sorte d'ironie de
l'histoire, ce sont ceux qui se trouvent à la périphérie du système
politique français qui contribuent
le plus aujourd'hui à définir le
contenu de la « nouvelle citoyenneté », à réinventer ou à conquérir un nouvel espace politique, à
repenser le contrat social. Dans
les milieux associatifs des jeunes
issus de l'immigration, certains
ont dessiné dans la lutte une nouvelle figure du citoyen collectif,
dans un contexte de crise de la
représentation, de remise en
cause du lien national-citoyen, à
la recherche d'une nouvelle légitimité politique, avec un retour aux
symboles fondateurs (États généraux de l'immigration, carte de citoyen, cahiers de doléances...).
L'« heure des sages » a beaucoup contribué à alimenter ce dé-
bat, bien que la question de la
citoyenneté y ait été quelque peu
évacuée : « Nous participons déjà
à la vie sociale de ce pays, nous
créons, nous sommes intégrés à
notre manière », a-t-on pu entendre lors des auditions de la commission pour la réforme du code
de la nationalité, à l'automne
1987. Cette citoyenneté d'intervention, qui peut être dissociée de
la nationalité, s'inscrit dans une
dynamique interne enracinée là
où l'on vit, pour « tous ceux qui
vivent ensemble les mêmes problèmes », et dans une perspective à la fois locale et interculturelle. C'est une réponse à la crise
de la démocratie ; c'est aussi l'espoir de ne plus se trouver enfermé
dans un carcan institutionnel,
mental, politique, social, culturel ;
c'est enfin l'idée que quelque
chose peut « bouger » grâce à
une réactivation de la politique
« par le bas », concrètement et
sur des objectifs simples (l'emploi,
la vie locale, le logement, l'éducation, la culture, la défense des
droits, le respect de la justice, la
lutte contre le racisme...). Cette
nouvelle citoyenneté partagée par
les autres jeunes est faite à la fois
d'une volonté de négociation collective d'une culture qui leur est
propre (jeune, métissée, autonome, diversifiée, civique) et d'un
appel aux symboles de la démocratie : appel à l'inscription sur les
listes électorales, accent mis sur
les droits civiques, réactivation du
thème du droit de vote au niveau
local pour les étrangers, valorisation des expériences d'immigrés
élus par leurs compatriotes à des
postes de conseillers associés au
conseil municipal, comme à
Mons-en-Baroeul (depuis 1985)
et à Amiens (depuis 1987). Mais
les méthodes modernes de l'usage des médias et du marketing
politique n'en sont pas pour autant délaissées. Il peut s'agir aussi d'investir des terrains de participation non occupés et de revalori-
ser ce qui existe déjà : associations de parents d'élèves, associations d'usagers divers, dès lors
que les deux lieux traditionnels du
vécu de la démocratie que sont
l'État-nation et l'entreprise ne
fonctionnent plus avec autant d'intensité. La nouvelle citoyenneté
consiste alors à légitimer le vécu
d'un nouvel espace plus informel
dont l'enjeu est le quartier, afin d'y
contrôler le pouvoir politique.
Beaucoup d'associations sont
porteuses de cette nouvelle citoyenneté fondée sur le droit du
sol : ainsi, la citoyenneté n'est
plus liée à la nationalité, ni à l'État-nation. Mais si la nouvelle citoyenneté s'exprime dans la vie
locale, dans des quartiers parfois
exclus, avec une volonté d'expression collective, elle cherche
aussi à ouvrir un nouvel espace
politique : l'espace européen.
Certains groupes misent beaucoup sur elle, dans les associations issues de l'immigration, bien
que son contenu ne soit pas entièrement défini et que le projet de
réforme du code de la nationalité
leur ait, un temps, imposé de se
repositionner sur la dimension nationale.
Ce projet, lancé en 1985 par le
Front national, accompagné du
slogan « Être français, cela se
mérite », a été repris ensuite dans
la plate-forme du RPR et de
l'UDF, qui prévoyait que « la nationalité devrait être demandée et
acceptée ». Il excluait de l'acquisition de plein droit de la nationalité française les enfants d'étrangers nés en France et qui y résident. Il revenait ainsi sur un principe très ancien dans le droit
français, constamment réaffirmé
par le législateur républicain, et
qui a constitué un puissant facteur
d'intégration. Les jeunes concernés seraient soumis à une démarche volontaire, la nationalité
devenant de surcroît soumise à
des conditions de recevabilité
proches de la procédure de natu-
ralisation. Une même suspicion
frappait tout mariage mixte, qui ne
conférerait plus au conjoint étranger, sur simple demande et au
bout de six mois de mariage, la
nationalité française. Bien que ce
projet n'ait pas eu de suites, sinon
médiatiques, il a conduit bien des
jeunes issus de l'immigration à
prendre conscience de la réalité
du droit du sol et du poids instrumental de la nationalité française.
Lors des auditions organisées par
le comité des sages, à l'automne
1987, beaucoup des interviewés
ont répondu à P« impôt du sang »
et à la « nationalité du mérite »
par la participation associative enracinée dans les banlieues urbaines et dans la réalité du « vivre
ensemble », nouvelle version du
« vouloir vivre collectif » : la nationalité ne doit pas être entendue
comme une conséquence, mais
au contraire comme une condition
de l'intégration. Loin d'être une
nationalité dégradée, vulnérable,
moins authentique que celle du
sang, la nationalité acquise par le
sol et vécue par une citoyenneté
effective n'en est pas moins légitime : « la nationalité se définit
autour de ce qu'on a vécu, nous
participons déjà, cette volonté
d'intrégration est une chance pour
la France ». Le droit à l'indifférence, sinon à la ressemblance,
l'allégeance aux valeurs universelles de la laïcité, de la démocratie et de la Révolution française
sont mis en avant. Dans un
contexte où les immigrés et ceux
qui en sont issus sont devenus
membres permanents et constitutifs de la communauté politique,
peut-on être restrictif à la fois visà-vis du droit de vote et vis-à-vis
de l'acquisition de la nationalité ?
Même si le droit de vote, ne
serait-ce qu'au niveau local, continue à être refusé aux parents, le
vote des jeunes de nationalité
française et issus de l'immigration
a révélé au grand jour le passage
au politique qui s'est réalisé de-
puis deux ou trois ans. Le vote
des « Beurs » (bien que ce vocable soit loin d'être reconnu
comme représentatif de l'ensemble de la population concernée) a
fait naître un nouveau jeu politique, avec de nouveaux enjeux
pour la classe politique. L'intérêt
qu'il suscite est à la mesure de la
nouveauté et de la méconnaissance du phénomène, lié à l'arrivée à l'âge de la majorité des
enfants issus de l'immigration maghrébine. Quelques enquêtes de
terrain ont montré que les jeunes
Beurs se distinguaient des autres
jeunes par un plus grand intérêt
pour la politique et par des positions plus radicales : 84 % auraient voté pour François Mitterrand lors des élections présidentielles de 1988. Malgré l'hétérogénéité de cette catégorie et le fort
taux de non-inscription et d'abstentionnisme électoral de ses plus
jeunes membres (sont inclus les
fils de harkis, ceux qui, nés en
France, sont issus des trois nationalités du Maghreb, ceux dont les
parents ont opté pour la nationalité française de leurs enfants durant leur minorité, et d'éventuels
naturalisés), le caractère massif
de l'orientation de leur vote vers le
parti socialiste fait parler de lobby
ethnique. L'Amicale des Algériens
ne s'y trompe pas, quand elle dit
explicitement, au printemps 1988,
que « les jeunes Franco-Algériens sont français en France
avec tout ce que cela implique.
Hier cela a été une contrainte,
aujourd'hui, ce peut être positif. Il
faut savoir s'en servir ». Mais il
est aussi des formes d'intégration
très participatives à droite chez de
jeunes Franco-Maghrébins militants du RPR, qui font fi des messages de SOS racisme, de
France Plus ou de collectifs « civiques ». Enfin, il faut également
compter avec les isolés, les intermittents de la politique et les loubards des banlieues, un peu militants et un peu délinquants par-
fois, dont l'unité et l'homogénéité
des comportements politiques,
parfois manipulés par les appareils des partis, ne font pas long
feu.
En France comme dans les
pays européens, la participation à
la vie de la cité et son corollaire, la
citoyenneté, ne peuvent se réduire au vote. Le passage au politique est aussi porteur de nouvelles formes de participation :
depuis 1981, le thème de la nouvelle citoyenneté a constitué une
revendication majeure, révélant
l'émergence de pratiques culturelles comme identité politique et
sociale à négocier dans un nouveau contrat de civilité et suppçsant un investissement dans l'État-nation. Le mouvement pour les
droits politiques s'est étendu dans
les milieux immigrés, alors qu'il ne
faisait pas l'unanimité dans les
années antérieures, soit pour la
reconnaissance de ces droits aux
non-nationaux (la citoyenneté au
niveau local pour les parents), soit
pour leur exercice (les mouvements d'inscription des jeunes issus de l'immigration mais de nationalité française sur les listes
électorales).
Du côté des décideurs, les
termes du débat sur la réforme du
code de la nationalité, largement
suscités par la classe politique,
ont imposé aux intéressés et aux
associations de préciser la nature
de leur adhésion à la communauté nationale. Réflexe frileux de l'opinion contre une société de fait
pluriculturelle et nostalgie pour le
mythe de l'homogénéité et d'une
entité indivisible ? Façon artificielle de créer un consensus par
exclusion ? Sentiment d'être
agressé par le vécu d'une citoyenneté plus participative de la
part de double-nationaux, voire de
Non-Français ?
Pour beaucoup de jeunes issus de l'immigration, ce débat
s'est inscrit à contre-courant d'un
mouvement d'exaltation de la ci-
47
Revue internationale d'action communautaure
Citoyenneté, nationalité et immigration
48
toyenneté et des droits civiques,
et d'intégration à leur manière à
une double référence à la fois
locale et européenne où l'espace
national mobilisait peu. De nouveaux jeux se sont fait jour, à
travers l'affirmation d'un droit de
cité et la négociation d'une présence dans la vie publique, dans
la société française et dans la
quotidienneté.
Catherine Wihtol de Wenden
CNRS
Bibliographie
Ouvrages
LAACHER, Smaïn, coord. 1987. Questions
de nationalité. Paris, CIEMI L'Harmattan, coll. « Migrations et changements » : 256 p.
LEVEAU, Rémy et Gilles KEPEL (sous la
dir. de). 1988. Les Musulmans dans la
société française. Paris, Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, coll. « Références » : 202 p.
WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1987.
Citoyenneté, nationalité et immigration.
Paris, Arcantère : 223 p.
WiHTOL de WENDEN, Catherine, coord.
1988. La Citoyenneté. Paris, Edilig,
Fondation Diderot : 368 p.
WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1988.
Les Immigrés et la politique. Paris,
Presses de la Fondation nationale des
sciences politiques : 400 p.
Articles de revues
DAZI, Fatiha et Rémy LEVEAU. 1988.
« L'intégration par le politique. Le vote
des « beurs », Études, septembre :
179-188.
LEVEAU, Rémy et Catherine WIHTOL de
WENDEN. 1988. « La « seconde génération », Pouvoir, décembre.
MUXEL, Anne. 1988. Les Jeunes Migrants
de la deuxième génération et leur inscription dans le système politique actuel. Journée d'étude du CEVIPOF,
« Clés pour l'élection présidentielle »,
29 janvier, document ronéoté :13 p.
WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1984.
« Les immigrés, enjeu politique », Les
Temps modernes, « L'immigration maghrébine en France. Les faits et les
mythes », 452-453-454 (mars-avrilmai) : 1858-1876.
WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1985.
« Questions sur la citoyenneté », Esprit,
« Français/immigrés », 6 (juin) : 24.
WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1986.
« Les immigrés et la politique : insertion
et participation », Les Cahiers de l'Orient, 3 (3e trimestre) : 73-96.
WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1987.
« Les politiques de participation des immigrés à la vie de la cité dans les États
européens », Actes, 61 (automne) : 3-6.
WIHTOL de WENDEN, Catherine. 1988a.
« Être citoyen aujourd'hui », Pourquoi ?, « Un enjeu, la citoyenneté »,
234 (avril): 14-18.
WIHTOL de WENDEN, Catherine, coord.
1988b. « Citoyenneté, intégration, immigration » (dossier), Les Cahiers de
l'Orient, 3e trimestre.