VALEURS DE JEUNES COUPLES À DOUBLE REVENU
Comparaison interculturelle en Europe
Anne Marie Fontaine, Cláudia Andrade, Marisa Matias, Jorge Gato, Marina
Mendonça
L'Harmattan | « La revue internationale de l'éducation familiale »
2006/1 n° 19 | pages 31 à 51
ISSN 1279-7766
ISBN 9782296157996
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Valeurs de jeunes couples à double revenu.
Comparaison interculturelle en Europe.
Anne Marie Fontaine,
Claudia Andrade,
Marisa Matias,
Jorge Gato,
Marina Mendonça2
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L’activité professionnelle de la femme a entraîné de nouvelles
exigences au sein de la famille. Concilier les rôles familiaux et
professionnels, par exemple, devient un problème plus sensible.
Toutefois, pour définir ce qui est acceptable et souhaitable, les
couples se réfèrent aux valeurs véhiculées par la société dans
laquelle ils vivent, qui elles-mêmes influenceront les rôles et la
répartition des tâches au sein de la famille. L’étude présentée ici
examine les valeurs partagées par de jeunes couples européens ayant
des enfants en bas âge. Elle compare l’adhésion à certaines valeurs
culturelles de couples de neuf pays différents : l’Allemagne,
l’Autriche, la Belgique, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas,
le Portugal et la Suisse. Ces pays se distinguent les uns des autres
quant au style de valeurs culturelles dominant – égalitaire ou
conservateur – et quant à l’homogénéité de l’adhésion des couples à
ces styles culturels. Les couples suisses, allemands et hollandais
partagent des styles culturels plus égalitaires, alors que les italiens et
les portugais sont plus conservateurs. Les valeurs culturelles
partagées par les couples de ces pays sont plus homogènes que celles
2
Faculté de Psychologie et de Sciences de l’Éducation de l’Université de
Porto – Rua Dr. Manuel Pereira da Silva, 4200-392 – Porto, Portugal .
Courriel: Anne Marie Fontaine - fontaine@fpce.up.pt
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des couples belges, français, finlandais ou autrichiens. L’analyse de
certains facteurs sociaux aide à mieux comprendre ces différences.
Mots-clés : relations famille-travail, valeurs culturelles, styles
culturels, interculturel, traditionalisme, individualisme.
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Famille et valeurs
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Bien que, dans la plupart des sociétés, l’importance de la famille
soit loin d’être mise en cause, les changements économiques et
sociaux de ces dernières décades ont introduit de profondes
modifications au sein de celle-ci. En effet, l’instabilité de l’emploi, en
réponse à la valorisation de la compétition comme voie privilégiée de
développement et d’excellence, et celle des unions dont le maintien
dépend plus du degré de satisfaction des partenaires que de
conventions sociales, rend le futur incertain. Sans nier l’impact
d’autres facteurs éventuels, la participation des femmes à la vie
professionnelle peut être interprétée comme une stratégie de gestion
de cette incertitude. La proportion de femmes qui exercent une
activité professionnelle s’accroît d’ailleurs progressivement dans les
divers pays d’Europe (EUROSTAT, 2003) et de profondes altérations
des rôles familiaux traditionnels y sont associées. Le modèle de
famille où le travail professionnel de l’homme représentait la seule
ressource économique a été remplacé par celui de la famille à double
emploi ou parfois même par une famille dont la survie dépend
uniquement de l’activité professionnelle de la femme. Parallèlement,
le rôle expressif cesse d’être un apanage exclusivement féminin. Il
semble que les hommes désirent eux aussi s’impliquer davantage dans
la vie intra-familiale : on observe un investissement plus important du
rôle paternel, bien que l’accroissement des heures que les pères
consacrent à leurs enfants ne soit pas encore suffisant pour affirmer
que la division des tâches est vraiment égalitaire (Perista, 2000).
Ces changements sociaux s’accompagnent de nouvelles
exigences : exigences de conciliation des rôles familiaux et
professionnels et d’équité dans la division des tâches. Ces exigences
constituent des objectifs désirables. L’évaluation par les partenaires
du degré d’atteinte de ces objectifs est déterminante pour leur
sentiment de satisfaction et de bien-être personnel, ainsi que pour
celui de leur famille. Les déséquilibres au niveau des investissements
familiaux et professionnels et les conflits qu’ils suscitent peuvent
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Familles à double revenu
donc être sources de stress et se traduire aussi, tant en termes
familiaux que professionnels, par une réduction de l’efficience des
acteurs (Wang, Lawler, Walumbwa et Shi, 2004). Toutefois les
familles vivent également dans des contextes culturels particuliers
dont les systèmes de valeurs peuvent modérer la perception et les
effets du conflit entre exigences familiales et professionnelles.
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Les valeurs culturelles définissent ce qui, dans chaque société, est
considéré bon et juste, soit la perception de la manière correcte de
penser, de sentir ou d’agir. Ainsi, le contexte culturel particulier dans
lequel les familles s’insèrent influencera les valeurs et croyances de
leurs membres. Au niveau individuel, les valeurs caractérisent les
orientations prioritaires de chacun. (Ros, 2001). Les structures
cognitives, affectives et les dimensions comportementales par
lesquelles elles se manifestent jouent un rôle essentiel dans
l’établissement des objectifs personnels et établissent des critères
pour l’évaluation de soi et des autres (Brown, 2002 ; Rokeach, 1973).
On peut donc s’attendre à ce que les valeurs exercent une influence
sur la répartition des rôles familiaux.
Selon Ros (2001), l’étude des valeurs peut être considérée selon
deux perspectives. Elles peuvent être analysées comme résultat de
l’influence de variables sociales, économiques ou politiques. Ce point
de vue implique la recherche des antécédents des profils de valeurs à
un niveau « macro ». C’est la perspective dans laquelle nous nous
situerons. Toutefois, les valeurs peuvent aussi être considérées
comme des variables indépendantes qui expliqueraient les attitudes et
comportements individuels ou de groupes ou, au contraire, seraient
influencées par ceux-ci. Plusieurs recherches, par exemple, ont
démontré, non seulement que la division du travail reflète les
croyances sociales à propos de la famille, mais encore les perpétue,
structurant ainsi les relations de genre et de classe (Coltrane, 2000).
Diverses catégories de valeurs peuvent être considérées et leur
pertinence dépendra des objectifs de la recherche. Les résultats ici
présentés dérivent du travail effectué dans le cadre d’une recherche
internationale3 dont le but était de comparer la conciliation des rôles
3
Le Projet FamWork “Family Life and Professional Work: Conflict and
Synergy”, financé par l’Union européenne, a été mené par un consortium de
7 pays européens représenté par les universités suivantes: l’Université de
Fribourg (Suisse), l’Université de Graz (Autriche), l’Université de Mons
(Belgique), l’Université de Munich (Allemagne), l’Université de Nijmegen
(Pays-Bas), l’Université de Palermo (Italie), l’Université de Porto (Portugal),
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Valeurs Culturelles
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Bien que le lien entre valeurs et comportements ne soit ni direct,
ni linéaire, il semble consensuel que la culture influence la façon de
penser, de sentir et d’agir des personnes (Wang et al., 2004). Dans
certaines cultures, certains problèmes paraîtront plus importants que
dans d’autres, certaines stratégies seront perçues comme plus
acceptables et certaines solutions plus désirables. D’ailleurs,
l’efficacité, au niveau de l’adaptation aux transitions de vie
normatives, est plus élevée lorsqu’est assurée une certaine
convergence entre les solutions choisies par les individus et les
normes et valeurs culturelles du contexte dans lequel ils vivent
(Feldman et al., 2001). Ainsi, la fixation des buts du couple et son
degré de satisfaction quant aux résultats obtenus dépendront des
valeurs culturelles auxquelles il se réfère. Plusieurs études
interculturelles qui évaluèrent la contribution de la culture à la vie
familiale et professionnelle, ont constaté que la culture est un puissant
prédicteur du développement familial et professionnel (Wang et al.,
2004 ; Feldman et al., 2001). Les réactions individuelles face au
conflit « famille-travail » varient aussi en fonction de la culture. Les
résultats de Wang et collaborateurs (2004), par exemple, soulignent
l’effet modérateur des valeurs culturelles et l’impact sur les intentions
d’abandon du travail, des conflits entre les exigences des contextes
professionnels et familiaux.
Ont été sélectionnées les valeurs qui pourraient exercer une
certaine influence sur l’organisation des rôles familiaux et
professionnels et la répartition des tâches au sein de la famille, soit les
valeurs traditionnelles vs modernes, individualistes vs collectivistes
ainsi que les valeurs d’équité de genre (Fontaine et al., 2005). En
général, en effet, les sujets plus « traditionnels » valorisent davantage
le maintien de l’ordre, la sécurité, l’harmonie, manifestent plus de
résistance au changement et se soumettent plus facilement aux
attentes externes liées à la tradition, alors que ceux plus
« modernistes » valorisent l’indépendance au niveau des actions,
pensées et sentiments, l’ouverture à de nouvelles expériences et
l’hédonisme (Schwartz, 1994). Schwartz et Bilsky, (1987) suggèrent
auxquelles se sont joints deux membres associés: l’Université de Jyväskylä
(Finlande) et l’Université de Toulouse-le-Mirail (France).
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familiaux et professionnels de 9 pays européens : la Finlande,
l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas, la
France, le Portugal et l’Italie. L’observation des dimensions
culturelles relevant pour l’orientation d’options quant à la conciliation
des rôles familiaux et professionnels a donc été privilégiée.
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Dans de nombreuses sociétés, l’égalitarisme est considéré une
variable médiatrice entre d’autres valeurs et la division des tâches
familiales (Apparala, Reifman et Munsch, 2003; Coltrane, 2000). De
plus hauts niveaux d’égalitarisme sont, en général, assumés par les
personnes partageant des valeurs plus modernes et individualistes
(Raeff, 1997), alors que les niveaux les plus bas sont observés chez
celles qui défendent des valeurs traditionnelles (Apparala et al.,
2003). Ainsi, les hommes et les femmes plus traditionnels seront
moins égalitaires et partageront probablement moins de tâches
domestiques que les autres. Par contre des attitudes plus libérales, non
traditionnelles sont associées à des attitudes plus égalitaires et à une
plus grande contribution des hommes aux tâches domestiques
(Apparala et al., 2003, Coltrane et Ishii-Kuntz, 1992; Coltrane, 2000).
Dans les pays à valeurs plus traditionnelles, la femme qui exerce une
activité professionnelle devra répondre à des demandes familiales
plus nombreuses que celle qui vit dans un pays dont les valeurs sont
plus égalitaires. Dans les cultures moins individualistes, par contre,
on peut s’attendre à plus d’appui de la part de la famille étendue.
Selon Apparala et collaborateurs (2003), des attitudes plus
égalitaires sont aussi plus fréquentes lorsque les individus sont plus
jeunes, partagent des convictions politiques plus libérales, présentent
un niveau d’éducation formelle plus élevé, et lorsqu’au sein des
couples, la femme exerce une activité professionnelle. Bien que le
processus de socialisation assure la transmission des valeurs à tous les
membres d’une même culture, différents groupes attribuent des
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que dans les cultures plus collectivistes, les valeurs contribuent à la
promotion du bien-être du groupe (par exemple, la sécurité familiale,
le respect des aînés, …). Au sein de ces cultures, les personnes
attribuent une importance prioritaire à la collectivité et aux nécessités
du groupe par opposition aux nécessités individuelles et personnelles.
Lorsque le groupe de référence est la famille, on parlera de
« Familisme ». Dans ce cas les individus prendront des décisions qui
répondent aux intérêts de la famille et adopteront des comportements
qui correspondent aux rôles sociaux prescrits par celle-ci. Les cultures
individualistes, quant à elles, se réfèrent à un modèle social qui
présente des individus maintenant entre eux des liens ténus et qui se
perçoivent eux-mêmes comme indépendants de la collectivité (Bean,
Curtis et Marcum, 1977; Triandis, 1995). Ces individus valorisent
avant tout la liberté individuelle, la poursuite des objectifs personnels
et l’auto - détermination, agissent en fonction de leurs propres
décisions et assument la responsabilité inhérente à leurs choix (Raeff,
1997).
significations différentes à ces valeurs (Braithwaite et Blamey, 2001).
Le genre, en particulier, est associé à des niveaux distincts d’adhésion
à ces valeurs. En effet, dans la plupart des pays, les femmes partagent
des valeurs plus égalitaires que les hommes. En outre, l’égalitarisme
est plus fortement associé au statut civil pour l’homme et à la classe
sociale pour la femme (Apparala et al., 2003). Les hommes mariés
sont moins égalitaires que les célibataires et les femmes de statut
social élevé le sont plus que celles de bas statut. Poeschl (2000) a
obtenu les mêmes résultats sur des échantillons portugais.
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L’objectif de l’étude qui sera ici présentée est de comparer le
système de valeur de 9 pays européens à partir d’éléments recueillis
auprès de couples à double emploi ayant des enfants en bas âges. Ces
résultats font partie intégrante d’une étude plus vaste qui prétendait
identifier et analyser les facteurs potentiellement responsables des
diverses formes de conflits ou de synergies entre la vie familiale et la
vie professionnelle au cours de cette phase de la vie familiale (projet
FamWork). Les valeurs culturelles constituent l’un de ces facteurs
potentiels.
Après avoir justifié la sélection des variables culturelles en
fonction de leur impact probable sur la conciliation des rôles, la
qualité de l’instrument construit à partir de celle-ci sera testée d’abord
sur l’échantillon portugais, ensuite sur l’échantillon des autres pays,
de façon à garantir la stabilité interculturelle des échelles
d’évaluation. Ensuite, l’observation de formes d’association
systématique de variables au sein de groupes différents nous mènera à
l’identification de cinq styles culturels, regroupés en deux types, le
type « égalitaire » et le type « conservateur ». Enfin l’incidence de ces
styles culturels dans chacun des pays concernés sera observée,
caractérisant globalement chacune de ces sociétés. Finalement seront
identifiés certains facteurs macro-sociaux qui pourraient aider à
comprendre les différents niveaux d’adhésion aux systèmes de
valeurs observés par les couples vivant dans des sociétés différentes.
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Etude empirique
Échantillon
L’étude porte sur un vaste échantillon, formé de 1802 couples
provenant de 9 pays différents (Allemagne, Suisse, Autriche, PaysBas, Portugal, Belgique, Italie, France et Finlande) (Tableau 1). La
répartition par pays est relativement homogène, à l’exception de la
France et de la Finlande qui ont intégré l’étude plus tardivement. Les
deux membres du couple exercent une activité professionnelle
(minimum 15 heures par semaine), vivent ensemble et ont un enfant
au moins dont l’âge peut varier entre 1 an et 5 ans.
Allemagne
Suisse
Autriche
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Pays-Bas
Portugal
Belgique
Italie
France
Finlande
Total
Nombre de sujets
Âge moyen
432
37,0
406
36,7
426
35,2
552
37,4
490
35,0
404
33,4
472
36,7
110
35,3
312
35,4
3604
35,9
Instrument
Afin de mettre en évidence les éventuelles similitudes ou
différences culturelles entre chacun des pays impliqués, ont été
sélectionnés des items provenant de divers instruments largement
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Tableau 1 : Échantillon
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Dans un second temps, aux échelles précédentes a été ajoutée
celle qui se rapportait aux représentations des rôles de genre (8
items). Une nouvelle analyse en composantes principales a été menée
à partir des données recueillies auprès de 400 jeunes adultes
portugais. Quatre dimensions ont été mises en évidence: le
traditionalisme, l’ouverture à l’expérience, l’équité de genre et
l’individualisme (Tableau 2).
Le traditionalisme se réfère au maintien de la cohésion familiale
grâce à l’exercice de l’autorité et à l’obéissance ; l’équité est associée
à une conception de vie basée sur le respect des besoins et des droits
des autres (et tout particulièrement ceux des femmes) ; l’ouverture à
l’expérience met en évidence l’indépendance d’esprit et d’action dans
la poursuite de buts considérés importants par la personne, valorisant
notamment la recherche de stimulation dans de nouvelles
expériences ; l’individualisme se traduit par la prévalence des buts
individuels sur les projets familiaux, même lorsque ceux-ci sont
conflictuels : les personnes individualistes vivent essentiellement en
fonction de buts personnels. Cette première analyse a, à nouveau,
permis de réduire la dimension de l’instrument, formé après
élimination des affirmations ambiguës, de 25 items (Tableau 2).
4
Normative Gender Role Attitudes Scale (Athenstaedt, 2000), Familism
Scale (Bardis, 1959, in Shaw and Wright, 1967; Garcia, Malpeceres, Musitu,
Allat, Fontaine, Campos e Arango, 1994), Feelings and Behaviours in
Various Situations (George, Berry, van de Vijver, Kagitcibasi and Poortinga,
sous presse), Individualism-Collectivism (Marshall, 1997), Colindex – Souséchelle d’Attitudes Individualistes (Chan, 1994; Triandis, 1989), et Schwartz
Values Scale (Schwartz, 1987)
5
Les valeurs du coefficient α de Cronbach varient de .70 à .80.
38
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utilisés par d’autres auteurs dans le cadre d’études interculturelles4 en
rapport avec la vie familiale. Une première version de l’instrument a
été élaborée afin de permettre l’évaluation de valeurs plus
« traditionnelles » ou plus « modernes » de la part des sujets (39
items), ainsi que leur partage entre une perspective plus
« individualiste » ou plus « collectiviste/ familiste » quant aux rôles
familiaux et professionnels et à leur conciliation (39 items). Une
analyse en composantes principales sur un échantillon de 494
étudiants universitaires portugais a confirmé la capacité du
questionnaire à évaluer les dimensions prévues de forme consistante5
tout en permettant une réduction considérable de la dimension des
échelles (6 items chacune) (Fontaine et Matias, 2002).
Tableau 2 : Échelles de valeurs culturelles
Traditionalisme
(α = .76)
- La famille devrait avoir le droit de contrôler le comportement de tous ses membres.
- Enfants et adolescents de moins de 18 ans devraient toujours obéir à leurs parents.
- Politesse (bonnes manières)
- Garder l’estime des autres (sauver la face)
- Sûreté de l’Etat (protéger ma nation contre les ennemis)
- Obéissance (accomplissement des devoirs)
- Piété (observer les préceptes religieux)
- Discipline personnelle (maîtrise de soi, résistance à la tentation)
Equité de genre
(α = .71)
- Garçons et filles devraient avoir les mêmes obligations dans le ménage.
- La femme doit veiller à ce qu’il y ait à la maison chaque jour au moins un repas
chaud à table. *
- Les jeunes enfants pâtissent du fait que leur mère a une activité professionnelle à
l’extérieur de la maison. *
- On ne peut pas exiger des femmes qu’elles s’occupent seules des travaux ménagers.
- Que les hommes gagnent généralement plus provient du fait qu’ils s’investissent
professionnellement plus que les femmes.*
- L’organisation du ménage est une affaire de femme.*
- Les femmes sont aussi aptes que les hommes à diriger une entreprise industrielle.
- Une formation supérieure intéresse avant tout les hommes, étant donné que dans les
positions de direction, ils sont plus représentés que les femmes.*
* item dont la cotation est inversée
(α = .70)
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Individualisme
(α = .71)
- On devrait pouvoir faire ce que l’on veut sans prendre en considération l’avis de la
famille.
- Quand on se trouve devant un problème personnel grave, il vaut mieux trouver soimême la manière de le résoudre que de suivre le conseil d’autres membres de la
famille.
- On devrait toujours faire ce qui convient le mieux à soi-même, quoiqu’en disent les
autres membres de la famille.
- Chacun devrait toujours suivre sa propre idée
La stabilité interculturelle de cette structure a été confirmée par
l’analyse des structures de covariance
(analyses factorielles
confirmatoires, AFC) réalisée successivement sur les échantillons de
chacun des pays, méthode conseillée par Gorman-Smith, Tolan et
Henry, (2000, cités par Henry, Tolan et Gorman-Smith, 2005 ;
Fontaine, Andrade, Matias, et Gato, 2004). La consistance interne de
ces échelles est toujours satisfaisante (Tableau 2).
La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006
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Ouverture à l’expérience
- Une vie exaltante (expériences stimulantes)
- Plaisir de la vie (plaisir de la table, plaisir érotiques, amusements, etc.)
- Une vie riche en mouvements (chargée de défis, de nouveautés et de changements)
- Curiosité (intérêt pour tout)
- Amour du risque (recherche de l’aventure et du risque)
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Une fois définies les valeurs culturelles à observer, il s’agissait
de découvrir dans quelle mesure elles étaient capables de mettre en
évidence des groupes de sujets contrastés en fonction de l’adhésion à
chacune d’entre elles.
L’analyse en clusters, référée comme une méthode plus orientée
vers l’analyse des similitudes entre personnes qu’entre variables
(Bergman, 1996; Bergan et Magnusson, 1997; Cairns, Bergman et
Kagan, 1998, in Henry, Tolan et Gorman-Smith, 2005), permet
d’identifier des similitudes entre certains groupes de sujets en
fonction de multiples dimensions. Ainsi les profils les plus proches
sont regroupés de façon à maximiser et les similitudes intra-groupe et
les différences inter-groupes. De nombreuses méthodes existent pour
mettre en évidence des clusters à partir de données multivariées
(Arabie et Hubert, 1992, in Henry, Tolan, Gorman-Smith, 2005).
Chacune présente des avantages et des inconvénients. Toutefois, les
aspects critiques les plus saillants sont le choix du nombre de clusters,
en l’absence de théorie susceptible d’orienter la décision, et en
l’absence de sophistication statistique pour apprécier la validité des
choix a posteriori (Morgan et Ray, 1995, in Henry, Tolan et GormanSmith, 2005).
Pour mener à bien nos analyses en clusters, nous avons utilisé
séquentiellement les méthodes hiérarchique et non-hiérarchique
(Seber, 1984, in Henry, Tolan et Gorman-Smith, 2005). En effet, dans
certains domaines d’études, comme c’est le cas des études sur la
famille, l’utilisation conjointe des deux méthodes a permis de
renforcer leurs avantages et dépasser leurs limitations (Henry, Tolan
et Gorman-Smith, 2005). La méthode hiérarchique6 (utilisant la
stratégie de Ward et la distance Euclidienne) permet de représenter
des structures emboîtées. Elle est utilisée en premier lieu pour définir
le nombre de clusters à extraire ainsi que les centroïdes de départ,
nécessaires pour l’utilisation postérieure de la méthode non
6
La méthode hiérarchique exige que le chercheur définisse la distance
métrique qui lui servira d’unité de mesure pour évaluer l’amplitude des
distances entre sujets dans un espace multivarié. Le choix porte sur la
distance euclidienne, la plus fréquente dans ce type d’analyse, dont la
sensibilité aux différences d’échelles a été contrôlée grâce à la standardisation
des variables, méthode acceptable qui rend la métrique des diverses variables
équivalente (Henry, Tolan, Gorman-Smith, 2005). La méthode hiérarchique
exige aussi la sélection d’une méthode qui permette de décider l’appartenance
au cluster et la différenciation entre clusters. La méthode de Ward unit les
clusters à partir du degré de similitude entre observations dans le même
cluster.
40
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Identification des Styles Culturels
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7
La méthode non hiérarchique d’analyse en clusters du programme SPSS
(vs. 11.5) utilise le plus souvent l’algorithme K-means . Les solutions
présentées par cette méthode sont sensibles à l’absence de normalité des
distributions, ainsi qu’à l’ordre d’entrée des variables (Henry, Tolan,
Gorman-Smith, 2005).
8
Ont été considérés simultanément : le nombre de sujets par cluster, la
proportion de variance des résultats expliquée par chacune des solutions (R
carré) et, bien sûr, la possibilité d’interprétation théorique des diverses
solutions. Des comparaisons post hoc utilisant un test t pour comparer les
moyennes des variables dans toutes les combinaisons de cluster ont aussi été
menées. Les groupes ainsi formés ont été comparés au niveau de chacune des
variables culturelles grâce à une analyse de variance (ANOVA). Bien que les
différences soient statistiquement significatives, ces résultats ne peuvent être
considérés comme test d’hypothèse de la validité de la solution choisie. Ils
prouvent uniquement que la solution a permis de séparer les variables de
façon satisfaisante, maximisant les différences entre variables (Aldenderfer,
Blashfield, 1984, in Henry, Tolan, Gorman-Smith, 2005).
9
Les valeurs ont été regroupées en fonction de leur distance à la moyenne, en
divisant l’échantillon en 5 groupes sensiblement égaux, incluant chacun 20%
de l’échantillon pour chacune des variables culturelles : le signe « 0 » signale
les scores du groupe de sujets qui se situent autour de la moyenne, les signes
« ++ » ou « - - », les groupes qui se situant à l’extrémité de la distribution, et
les signes « + » et « - », de ceux qui se situent à un niveau intermédiaire.
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hiérarchique. La méthode non- hiérarchique permet la mise en
évidence de clusters clairement différenciés et mutuellement
exclusifs. Elle exige que le chercheur spécifie a priori le nombre de
clusters à extraire7. Des solutions à trois, quatre, cinq ou six clusters,
également plausibles, ont été discutées et testées par cette méthode.
Un ensemble de critères pour déterminer le nombre idéal de clusters
ont été analysés et la combinaison de ces critères nous a amenés à
privilégier une solution à cinq clusters8. Chacun des cinq clusters
regroupe respectivement 876, 694, 867, 686 et 537 sujets.
Les tableaux 3 (3a et 3b) présentent les niveaux d’adhésion aux
variables culturelles au sein de chacun des groupes. Les valeurs
moyennes d’adhésion sont disponibles dans le tableau 3a ; afin de
rendre la lecture plus aisée, ces résultats ont été synthétisés dans le
tableau 3b 9. Le profil de valeurs de chacun des groupes représente
des styles culturels distincts qui peuvent être identifiés.
Deux types de clusters peuvent être mis en évidence : un plus
« égalitaire » et un autre plus « conservateur ». Leurs différences se
manifestent essentiellement par les positions antagoniques de leurs
membres quant aux valeurs de traditionalisme et d’équité de genre;
une plus grande hétérogénéité des résultats s’observe au niveau des
autres variables culturelles : ouverture à l’expérience et
individualisme (Tableau 3b).
Tableau 3a: Valeurs culturelles moyennes dans les cinq clusters
Traditionalisme
Equité de genre
Ouverture à
l’Expérience
Individualisme
Cl. 1
-.74
.79
Cl. 2
-.82
.66
Cl. 3
.77
-.07
Cl. 4
.70
-1.39
Cl. 5
.27
-.49
.09
.44
.54
.17
-1.38
-.65
.95
-.56
1.08
-.26
Note : toutes les valeurs sont standardisées
Tableau 3b: Valeurs culturelles moyennes dans les cinq styles
Moyenne
Type Conservateur
Nouveaux ConvenFamilistes tionnels
0
0
+
+
-0
-
++
-
++
20%
0
20%
+
20%
-20%
+
0
Néo
Conserv.
+
-0
++
20%
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Les deux styles qui appartiennent au type « égalitaire »
présentent des profils identiques au niveau du traditionalisme, de
l’équité de genre et de l’ouverture à l’expérience. Ils se distinguent
toutefois quant à leur degré d’individualisme, mettant en évidence
deux possibilités différentes d’égalitarisme. Pour les personnes qui
présentent de bas niveaux d’individualisme, l’équité devrait être
garantie à tout individu parce qu’il s’agit d’un droit social
fondamental. La justice sociale et la solidarité sont probablement plus
importantes que les besoins individuels de chacun. Les personnes qui
adoptent ce style ont été identifiées comme Solidaires. Par contre,
celles qui partagent de hauts niveaux d’individualisme valorisent le
droit de chacun à poursuivre ses propres objectifs et considèrent aussi
qu’il s’agit d’un droit universel qui doit être accessible à tout un
chacun : dans ce cas, les valeurs d’équité n’entrent pas en
contradiction avec les aspirations des individus à poursuivre leurs
propres buts. Les personnes qui adhèrent à ce style de valeurs ont été
qualifiées de Réalisateurs Égalitaires. (Figure 1)
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Traditionalisme
Equité de Genre
Ouverture à
l’Expérience
Individualisme
Type Égalitaire
SoliRéalisa
daires -teurs
Égalit.
+
+
1,5
1
0,5
0
-0,5
Solidaires
-1
Réalisateurs
Égalitaires
-1,5
Traditionalisme
Équité de
Genre
Ouverture à l' Individualisme
Expérience
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Les styles qui appartiennent au type « conservateur » peuvent
être caractérisés par leur haut niveau de traditionalisme. Ils sont
hétérogènes au niveau des autres variables culturelles (Figure 2). Un
premier groupe présente simultanément des scores élevés de
traditionalisme et d’ouverture à l’expérience, mais un niveau d’équité
de genre moyen et d’individualisme bas : les personnes qui
appartiennent à ce groupe ont été qualifiées de Nouveaux Familistes.
L’importance qu’elles attribuent aux projets familiaux affaiblit
probablement leur besoin d’affirmation en tant qu’individus. Proches
des types égalitaires du fait qu’elles sont ouvertes à l’expérience et
assument, bien que de façon plus modérée, les valeurs d’équité de
genre, elles se distinguent toutefois de ceux-ci par leur
traditionalisme. L’autorité familiale n’est pas mise en cause, mais
comme elles sont ouvertes à la nouveauté, elles reconnaissent que
« garçons et filles devraient avoir les mêmes obligations dans le
ménage » et que « ce n’est pas la femme qui doit assurer toutes les
tâches familiales ». Ce groupe semble donc faire la transition entre les
types conservateurs et égalitaires. Il semble, en effet, concilier le
traditionalisme avec des valeurs plus modernes de façon relativement
harmonieuse.
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Figure 1 : Types de sujets Egalitaires
1,5
1
0,5
0
-0,5
NouveauxFamilistes
-1
Conventionnels
Néo-Conservateurs
-1,5
Traditionalisme Équitéde
Genre
Ouvertureàl' Individualisme
Expérience
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Un autre style réunit des personnes également très traditionnelles
et peu individualistes, mais qui ne sont pas du tout ouvertes à
l’expérience et se caractérisent par des scores relativement bas
d’équité de genre : ce style a été qualifié de Conventionnel. Les
personnes de ce groupe tendent à adhérer aux normes et stéréotypes
sociaux en vigueur. Elles investissent la famille mais leur
conformisme ne les pousse pas à explorer de nouvelles perspectives,
de sorte qu’elles se voient contraintes à accepter les rôles de genre
dominants dans leur société.
Les personnes traditionnelles qui sont simultanément très
individualistes, assez ouvertes à l’expérience mais dont les niveaux
d’équité de genre sont les plus bas ont été qualifiées de NéoConservatrices. Elles luttent pour atteindre leurs propres objectifs,
objectifs professionnels par exemple, ce qui, dans une société
extrêmement compétitive, est une tâche exigeante qui ne pourra être
facilitée que si elles adhèrent à des valeurs individualistes et si les
rôles intrafamiliaux sont clairement distincts et prévisibles.
Culture, valeurs et société
La troisième étape de cette étude consiste à observer l’incidence
de ces styles de valeurs au sein de chacun des pays constituant notre
échantillon. Les cinq styles de valeurs sont présents au sein de chacun
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Figure 2 : Types de sujets Conservateurs
des pays considérés, bien que l’intensité de leur représentation varie
amplement. La répartition des différents styles par pays met en
évidence deux ensembles qui se distinguent du fait d’être homogènes
ou hétérogènes (Tableau 4). La Suisse, l’Allemagne et la Hollande
forment un premier groupe homogène, dont la Suisse serait le
représentant le plus pur. Les couples de ces pays sont majoritairement
du type « égalitaire » (solidaires et réalisateurs égalitaires), le
traditionalisme (styles conventionnel et néo-conservateur) n’étant que
l’apanage d’une minorité. Situés au pôle opposé, le Portugal et l’Italie
constituent un autre groupe homogène. Les couples de ces deux pays
sont bien représentés au sein du type « traditionnel » et pratiquement
absents au niveau du type « égalitaire ».
Tableau 4 : Styles par pays
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Fribourg (CH)
42,1%
31,3%
16,3%
3,4%
6,9%
Munich (D)
39,8%
29,6%
20,4%
2,3%
7,9%
Nijmegen (NL)
41,7%
22,1%
22,8%
4,0%
9,4%
Graz (A)
28,9%
24,2%
23,9%
7,3%
15,7%
Jyväskylä (Fin)
25,0%
4,5%
40,4%
9,6%
20,5%
Toulouse (F)
8,4%
34,3%
19,3%
25,9%
12,0%
Mons (B)
8,9%
24,8%
16,6%
26,2%
23,5%
Palermo (I)
3,2%
3,4%
24,6%
32,4%
36,4%
Porto (P)
7,6%
5,5%
29,4%
26,1%
31,4%
Total
23,9
19,0
23,7
14,7
18,7
Les autres pays présentent des configurations plus hétérogènes.
Néanmoins certaines similitudes peuvent être observées entre la
France et la Belgique et entre l’Autriche et la Finlande. Dans le
premier cas, les deux pays sont très bien représentés au niveau des
réalisateurs égalitaires et des néo-conservateurs. Cela semble indiquer
que, dans ces pays, les membres des couples sont probablement très
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Réalisat
Néo- ConventionNouveaux
Solidaires eurs
Conserv
nels
Familistes
Egalit.
ateurs
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Une diversité de facteurs pourrait être invoquée pour essayer
d’expliquer ou de comprendre ce phénomène. Nous n’en réfèrerons
que quelques uns. Il semble que l’une des variables macro-sociales
distinguant les groupes de pays homogènes qui occupent des positions
polaires soit la religion dominante. Il semble plausible que,
indépendamment de la pratique religieuse de chacun, les régions qui
se situent dans le premier groupe homogène (Suisse, Allemagne,
Pays-Bas) soient sous l’influence de valeurs culturelles véhiculées par
la religion protestante alors que ceux du second groupe (Portugal et
Italie) seraient sous l’influence de valeurs véhiculées par la religion
catholique. Or, les différences les plus marquantes entre ces deux
groupes de pays portent sur les valeurs de traditionalisme et d’équité
de genre. On sait, par ailleurs, que la structure de pouvoir de l’église
catholique est plus hiérarchisée que celle des églises protestantes et
que la plupart des fonctions au sein de cette hiérarchie ne sont pas
accessibles aux femmes. Dans les sociétés plus influencées par le
protestantisme, la responsabilité individuelle est la clé de la salvation
et du progrès dans un contexte d’égalité de chances, notamment entre
hommes et femmes : ceci pourrait expliquer les niveaux inférieurs de
traditionalisme et les niveaux supérieurs d’équité de genre dans ces
régions.
L’expérience d’intégration d’immigrants dans la culture d’accueil
peut aussi expliquer la plus grande ouverture de certains pays. La
Suisse, L’Allemagne, les Pays Bas ou la Belgique sont, depuis plus
longtemps que le Portugal et l’Italie, des pays d’accueil qui sont
parvenus à intégrer en leur sein des générations successives
d’immigrants. S’ils se sont montrés capables de partager leur propre
culture, cette intégration a produit inévitablement des chocs de
valeurs et a questionné le statut et l’origine de celles-ci. Reconnaître
que les critères qui président à l’évaluation et à l’orientation du
comportement individuel ne peuvent être appliqués à tous et se rendre
compte qu’il faut tenir compte de l’origine de chacun, développe la
capacité de comprendre les autres à partir de ses propres cadres de
référence. Ce type d’attitude serait, selon Hofstede (1991), à l’origine
d’un véritable multiculturalisme. Le contact avec d’autres cultures
contribue à la prise de conscience que tant les valeurs traditionnelles
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focalisés sur la poursuite d’objectifs personnels, comme la carrière,
par exemple, (très individualistes). La plupart des couples d’Autriche
et de Finlande sont relativement proches du type égalitaire, bien
qu’une proportion significative soit aussi du type conventionnel. Ces
résultats permettent de constater que les différents pays concernés
partagent effectivement des systèmes de valeurs culturelles différents.
du pays que celles des autres ne constituent pas des normes absolues
ou universelles mais sont le résultat de multiples influences qui
dépendent du contexte social dans lequel chacun a vécu. Les citoyens
de ces pays donneront moins d’importance à la tradition et
développeront donc une plus grande ouverture face aux valeurs
émergentes.
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Finalement, on peut constater que les « nouveaux familistes »
sont relativement bien représentés dans chacun des pays. Ils
représentent en moyenne 23,7% des couples et leur système de
valeurs semble faire la transition entre des valeurs plus traditionnelles
et d’autres plus égalitaires. Dans le cas de sociétés plus
traditionnelles, comme le Portugal et l’Italie, ils sont le produit de
l’ouverture inévitable de la société grâce à l’accès à l’information
véhiculée par les médias, aux nouvelles formes de communication
offertes par l’internet et, dans le cas du Portugal, aux changements
qu’a impliqués l’adhésion à l’Union européenne. Ces couples tout en
continuant à valoriser comme groupe de référence la famille et ses
traditions, sont ouverts à l’expérience, ce qui les pousse à adhérer,
bien que de façon modérée, aux valeurs d’équité de genre. Au sein
des sociétés plus égalitaires, les nouveaux familistes représentent le
maintien d’une certaine tradition, sans se heurter aux valeurs sociales
dominantes moins traditionnelles. Notons qu’en Finlande, les
nouveaux familistes représentent plus de 40% des couples.
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Enfin, les différences quant au niveau de développement socioéconomique de chacun des pays peuvent aussi aider à comprendre les
divers types de solidarités sous-tendus par l’adhésion aux valeurs
culturelles. Dans les pays les plus riches, la solidarité est assumée par
l’État, grâce à la mise en place de diverses structures sociales. Les
gouvernements implantent des mesures susceptibles d’appuyer les
jeunes couples et de nombreuses structures sont disponibles pour
faciliter leur tâche de conciliation des rôles familiaux et
professionnels. Les sociétés moins développées économiquement
possèdent moins de ressources pour assumer de telles fonctions. Dans
ce cas, la famille sera la principale source de solidarité et d’appui.
Comme le traditionalisme renforce la cohésion familiale, il est
compréhensible qu’au sein de ces pays, les couples soient plus
conservateurs.
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Malgré le fait que la plupart des cultures occidentales semblent
partager un système de valeurs commun lorsqu’on les compare aux
cultures orientales, les résultats de l’étude présentée ici illustrent la
variation qui peut être observée lorsqu’on analyse des valeurs plus
circonscrites. En effet, les styles culturels associés aux rôles familiaux
et professionnels des hommes et des femmes ont permis de distinguer
divers groupes de pays européens. Au sein de chacun de ces pays,
certains couples adhèrent à des valeurs plus égalitaires alors que
d’autres sont plus conservateurs. Bien que tous les styles soient
représentés au sein de tous les pays, certains pays sont plus
homogènes que d’autres. L’influence de certains facteurs sociaux a
été brièvement analysée pour aider à mieux comprendre l’adoption de
styles culturels différents de la part de groupes de pays contrastés.
Cette analyse s’est limitée à quelques exemples de facteurs macrosociaux susceptibles d’influencer l’orientation dominante vers
certaines valeurs culturelles, tels que la religion dominante, les
ressources économiques ou l’immigration, mais ne prétend en aucun
cas être exhaustive.
Si ces valeurs culturelles sont partiellement déterminées par
l’influence de variables sociales, économiques ou politiques, elles
constituent aussi le cadre de référence à partir duquel les politiciens,
les organisations, les travailleurs et les familles interprèteront la
réalité. Ainsi, c’est en fonction de ces valeurs de référence que
certains problèmes seront valorisés alors que d’autres paraîtront
secondaires. Ce sont elles qui orienteront l’adoption de solutions et
qui définiront les principaux responsables de leur mise en place: les
individus ou la communauté.
De plus, si le système de valeurs influence la répartition des
tâches familiales et professionnelles au sein du couple, il médiatisera
aussi la perception d’une inégalité relative et la satisfaction des
conjoints face aux solutions adoptées. L’étude de l’influence
modératrice des variables culturelles sur l’effet qu’exerceraient les
diverses formes de conciliation des rôles familiaux et professionnels
sur le bien être et l’efficacité du couple, devrait être approfondie au
cours d’études postérieures. En effet, l’efficacité des stratégies de
résolution de problème varie en fonction de leur degré de
convergence avec le système dominant de la société dans laquelle
elles se manifestent. La prise de conscience de ce phénomène est
essentielle pour l’orientation de politiques sociales qui visent à rendre
plus aisée la conciliation des demandes familiales et professionnelles,
ainsi que pour les options d’intervention auprès des familles. En effet,
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Conclusion
les mesures mises en place ne seront efficaces que si elles rejoignent
les attentes des familles et s’harmonisent avec les valeurs qui sont les
leurs. Le problème se pose de façon plus aiguë face à l’hétérogénéité
culturelle de certains pays comme la Belgique, la France, l’Autriche
ou la Finlande. Comme on peut s’attendre à de fortes variations
d’efficacité des interventions en fonction des valeurs partagées par les
diverses familles, l’offre d’un éventail plus large de mesures d’appui,
parmi lesquelles les familles pourraient choisir celles qui leur
conviennent le mieux, semblerait plus adéquat. La sensibilité des
praticiens face à ce type d’interaction pourrait aussi accroître
l’impact de leurs interventions.
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Finalement, il est important de prendre conscience des limitations
de l’étude présentée ici. Malgré l‘implication d’un nombre important
de couples dans chacun des pays, ceux-ci ne constituent pas un
échantillon représentatif des jeunes couples des pays concernés. Il
serait donc téméraire de prétendre généraliser les résultats sans
réplications préalables. Enfin, comme l’étude n’a porté que sur des
couples ayant des enfants en bas-âge, toute généralisation à d’autres
phases de la vie familiale serait injustifiée.
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