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Valeurs de jeunes couples à double revenu

2006, La revue internationale de l'éducation familiale

VALEURS DE JEUNES COUPLES À DOUBLE REVENU Comparaison interculturelle en Europe Anne Marie Fontaine, Cláudia Andrade, Marisa Matias, Jorge Gato, Marina Mendonça L'Harmattan | « La revue internationale de l'éducation familiale » 2006/1 n° 19 | pages 31 à 51 ISSN 1279-7766 ISBN 9782296157996 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-la-revue-internationale-de-l-educationfamiliale-2006-1-page-31.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. Valeurs de jeunes couples à double revenu. Comparaison interculturelle en Europe. Anne Marie Fontaine, Claudia Andrade, Marisa Matias, Jorge Gato, Marina Mendonça2 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) L’activité professionnelle de la femme a entraîné de nouvelles exigences au sein de la famille. Concilier les rôles familiaux et professionnels, par exemple, devient un problème plus sensible. Toutefois, pour définir ce qui est acceptable et souhaitable, les couples se réfèrent aux valeurs véhiculées par la société dans laquelle ils vivent, qui elles-mêmes influenceront les rôles et la répartition des tâches au sein de la famille. L’étude présentée ici examine les valeurs partagées par de jeunes couples européens ayant des enfants en bas âge. Elle compare l’adhésion à certaines valeurs culturelles de couples de neuf pays différents : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et la Suisse. Ces pays se distinguent les uns des autres quant au style de valeurs culturelles dominant – égalitaire ou conservateur – et quant à l’homogénéité de l’adhésion des couples à ces styles culturels. Les couples suisses, allemands et hollandais partagent des styles culturels plus égalitaires, alors que les italiens et les portugais sont plus conservateurs. Les valeurs culturelles partagées par les couples de ces pays sont plus homogènes que celles 2 Faculté de Psychologie et de Sciences de l’Éducation de l’Université de Porto – Rua Dr. Manuel Pereira da Silva, 4200-392 – Porto, Portugal . Courriel: Anne Marie Fontaine - fontaine@fpce.up.pt La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 31 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) ______________________________________________ des couples belges, français, finlandais ou autrichiens. L’analyse de certains facteurs sociaux aide à mieux comprendre ces différences. Mots-clés : relations famille-travail, valeurs culturelles, styles culturels, interculturel, traditionalisme, individualisme. ________________________________________________________ Famille et valeurs © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Bien que, dans la plupart des sociétés, l’importance de la famille soit loin d’être mise en cause, les changements économiques et sociaux de ces dernières décades ont introduit de profondes modifications au sein de celle-ci. En effet, l’instabilité de l’emploi, en réponse à la valorisation de la compétition comme voie privilégiée de développement et d’excellence, et celle des unions dont le maintien dépend plus du degré de satisfaction des partenaires que de conventions sociales, rend le futur incertain. Sans nier l’impact d’autres facteurs éventuels, la participation des femmes à la vie professionnelle peut être interprétée comme une stratégie de gestion de cette incertitude. La proportion de femmes qui exercent une activité professionnelle s’accroît d’ailleurs progressivement dans les divers pays d’Europe (EUROSTAT, 2003) et de profondes altérations des rôles familiaux traditionnels y sont associées. Le modèle de famille où le travail professionnel de l’homme représentait la seule ressource économique a été remplacé par celui de la famille à double emploi ou parfois même par une famille dont la survie dépend uniquement de l’activité professionnelle de la femme. Parallèlement, le rôle expressif cesse d’être un apanage exclusivement féminin. Il semble que les hommes désirent eux aussi s’impliquer davantage dans la vie intra-familiale : on observe un investissement plus important du rôle paternel, bien que l’accroissement des heures que les pères consacrent à leurs enfants ne soit pas encore suffisant pour affirmer que la division des tâches est vraiment égalitaire (Perista, 2000). Ces changements sociaux s’accompagnent de nouvelles exigences : exigences de conciliation des rôles familiaux et professionnels et d’équité dans la division des tâches. Ces exigences constituent des objectifs désirables. L’évaluation par les partenaires du degré d’atteinte de ces objectifs est déterminante pour leur sentiment de satisfaction et de bien-être personnel, ainsi que pour celui de leur famille. Les déséquilibres au niveau des investissements familiaux et professionnels et les conflits qu’ils suscitent peuvent 32 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Familles à double revenu donc être sources de stress et se traduire aussi, tant en termes familiaux que professionnels, par une réduction de l’efficience des acteurs (Wang, Lawler, Walumbwa et Shi, 2004). Toutefois les familles vivent également dans des contextes culturels particuliers dont les systèmes de valeurs peuvent modérer la perception et les effets du conflit entre exigences familiales et professionnelles. © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Les valeurs culturelles définissent ce qui, dans chaque société, est considéré bon et juste, soit la perception de la manière correcte de penser, de sentir ou d’agir. Ainsi, le contexte culturel particulier dans lequel les familles s’insèrent influencera les valeurs et croyances de leurs membres. Au niveau individuel, les valeurs caractérisent les orientations prioritaires de chacun. (Ros, 2001). Les structures cognitives, affectives et les dimensions comportementales par lesquelles elles se manifestent jouent un rôle essentiel dans l’établissement des objectifs personnels et établissent des critères pour l’évaluation de soi et des autres (Brown, 2002 ; Rokeach, 1973). On peut donc s’attendre à ce que les valeurs exercent une influence sur la répartition des rôles familiaux. Selon Ros (2001), l’étude des valeurs peut être considérée selon deux perspectives. Elles peuvent être analysées comme résultat de l’influence de variables sociales, économiques ou politiques. Ce point de vue implique la recherche des antécédents des profils de valeurs à un niveau « macro ». C’est la perspective dans laquelle nous nous situerons. Toutefois, les valeurs peuvent aussi être considérées comme des variables indépendantes qui expliqueraient les attitudes et comportements individuels ou de groupes ou, au contraire, seraient influencées par ceux-ci. Plusieurs recherches, par exemple, ont démontré, non seulement que la division du travail reflète les croyances sociales à propos de la famille, mais encore les perpétue, structurant ainsi les relations de genre et de classe (Coltrane, 2000). Diverses catégories de valeurs peuvent être considérées et leur pertinence dépendra des objectifs de la recherche. Les résultats ici présentés dérivent du travail effectué dans le cadre d’une recherche internationale3 dont le but était de comparer la conciliation des rôles 3 Le Projet FamWork “Family Life and Professional Work: Conflict and Synergy”, financé par l’Union européenne, a été mené par un consortium de 7 pays européens représenté par les universités suivantes: l’Université de Fribourg (Suisse), l’Université de Graz (Autriche), l’Université de Mons (Belgique), l’Université de Munich (Allemagne), l’Université de Nijmegen (Pays-Bas), l’Université de Palermo (Italie), l’Université de Porto (Portugal), La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 33 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Valeurs Culturelles © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Bien que le lien entre valeurs et comportements ne soit ni direct, ni linéaire, il semble consensuel que la culture influence la façon de penser, de sentir et d’agir des personnes (Wang et al., 2004). Dans certaines cultures, certains problèmes paraîtront plus importants que dans d’autres, certaines stratégies seront perçues comme plus acceptables et certaines solutions plus désirables. D’ailleurs, l’efficacité, au niveau de l’adaptation aux transitions de vie normatives, est plus élevée lorsqu’est assurée une certaine convergence entre les solutions choisies par les individus et les normes et valeurs culturelles du contexte dans lequel ils vivent (Feldman et al., 2001). Ainsi, la fixation des buts du couple et son degré de satisfaction quant aux résultats obtenus dépendront des valeurs culturelles auxquelles il se réfère. Plusieurs études interculturelles qui évaluèrent la contribution de la culture à la vie familiale et professionnelle, ont constaté que la culture est un puissant prédicteur du développement familial et professionnel (Wang et al., 2004 ; Feldman et al., 2001). Les réactions individuelles face au conflit « famille-travail » varient aussi en fonction de la culture. Les résultats de Wang et collaborateurs (2004), par exemple, soulignent l’effet modérateur des valeurs culturelles et l’impact sur les intentions d’abandon du travail, des conflits entre les exigences des contextes professionnels et familiaux. Ont été sélectionnées les valeurs qui pourraient exercer une certaine influence sur l’organisation des rôles familiaux et professionnels et la répartition des tâches au sein de la famille, soit les valeurs traditionnelles vs modernes, individualistes vs collectivistes ainsi que les valeurs d’équité de genre (Fontaine et al., 2005). En général, en effet, les sujets plus « traditionnels » valorisent davantage le maintien de l’ordre, la sécurité, l’harmonie, manifestent plus de résistance au changement et se soumettent plus facilement aux attentes externes liées à la tradition, alors que ceux plus « modernistes » valorisent l’indépendance au niveau des actions, pensées et sentiments, l’ouverture à de nouvelles expériences et l’hédonisme (Schwartz, 1994). Schwartz et Bilsky, (1987) suggèrent auxquelles se sont joints deux membres associés: l’Université de Jyväskylä (Finlande) et l’Université de Toulouse-le-Mirail (France). 34 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) familiaux et professionnels de 9 pays européens : la Finlande, l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas, la France, le Portugal et l’Italie. L’observation des dimensions culturelles relevant pour l’orientation d’options quant à la conciliation des rôles familiaux et professionnels a donc été privilégiée. © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Dans de nombreuses sociétés, l’égalitarisme est considéré une variable médiatrice entre d’autres valeurs et la division des tâches familiales (Apparala, Reifman et Munsch, 2003; Coltrane, 2000). De plus hauts niveaux d’égalitarisme sont, en général, assumés par les personnes partageant des valeurs plus modernes et individualistes (Raeff, 1997), alors que les niveaux les plus bas sont observés chez celles qui défendent des valeurs traditionnelles (Apparala et al., 2003). Ainsi, les hommes et les femmes plus traditionnels seront moins égalitaires et partageront probablement moins de tâches domestiques que les autres. Par contre des attitudes plus libérales, non traditionnelles sont associées à des attitudes plus égalitaires et à une plus grande contribution des hommes aux tâches domestiques (Apparala et al., 2003, Coltrane et Ishii-Kuntz, 1992; Coltrane, 2000). Dans les pays à valeurs plus traditionnelles, la femme qui exerce une activité professionnelle devra répondre à des demandes familiales plus nombreuses que celle qui vit dans un pays dont les valeurs sont plus égalitaires. Dans les cultures moins individualistes, par contre, on peut s’attendre à plus d’appui de la part de la famille étendue. Selon Apparala et collaborateurs (2003), des attitudes plus égalitaires sont aussi plus fréquentes lorsque les individus sont plus jeunes, partagent des convictions politiques plus libérales, présentent un niveau d’éducation formelle plus élevé, et lorsqu’au sein des couples, la femme exerce une activité professionnelle. Bien que le processus de socialisation assure la transmission des valeurs à tous les membres d’une même culture, différents groupes attribuent des La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 35 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) que dans les cultures plus collectivistes, les valeurs contribuent à la promotion du bien-être du groupe (par exemple, la sécurité familiale, le respect des aînés, …). Au sein de ces cultures, les personnes attribuent une importance prioritaire à la collectivité et aux nécessités du groupe par opposition aux nécessités individuelles et personnelles. Lorsque le groupe de référence est la famille, on parlera de « Familisme ». Dans ce cas les individus prendront des décisions qui répondent aux intérêts de la famille et adopteront des comportements qui correspondent aux rôles sociaux prescrits par celle-ci. Les cultures individualistes, quant à elles, se réfèrent à un modèle social qui présente des individus maintenant entre eux des liens ténus et qui se perçoivent eux-mêmes comme indépendants de la collectivité (Bean, Curtis et Marcum, 1977; Triandis, 1995). Ces individus valorisent avant tout la liberté individuelle, la poursuite des objectifs personnels et l’auto - détermination, agissent en fonction de leurs propres décisions et assument la responsabilité inhérente à leurs choix (Raeff, 1997). significations différentes à ces valeurs (Braithwaite et Blamey, 2001). Le genre, en particulier, est associé à des niveaux distincts d’adhésion à ces valeurs. En effet, dans la plupart des pays, les femmes partagent des valeurs plus égalitaires que les hommes. En outre, l’égalitarisme est plus fortement associé au statut civil pour l’homme et à la classe sociale pour la femme (Apparala et al., 2003). Les hommes mariés sont moins égalitaires que les célibataires et les femmes de statut social élevé le sont plus que celles de bas statut. Poeschl (2000) a obtenu les mêmes résultats sur des échantillons portugais. © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) L’objectif de l’étude qui sera ici présentée est de comparer le système de valeur de 9 pays européens à partir d’éléments recueillis auprès de couples à double emploi ayant des enfants en bas âges. Ces résultats font partie intégrante d’une étude plus vaste qui prétendait identifier et analyser les facteurs potentiellement responsables des diverses formes de conflits ou de synergies entre la vie familiale et la vie professionnelle au cours de cette phase de la vie familiale (projet FamWork). Les valeurs culturelles constituent l’un de ces facteurs potentiels. Après avoir justifié la sélection des variables culturelles en fonction de leur impact probable sur la conciliation des rôles, la qualité de l’instrument construit à partir de celle-ci sera testée d’abord sur l’échantillon portugais, ensuite sur l’échantillon des autres pays, de façon à garantir la stabilité interculturelle des échelles d’évaluation. Ensuite, l’observation de formes d’association systématique de variables au sein de groupes différents nous mènera à l’identification de cinq styles culturels, regroupés en deux types, le type « égalitaire » et le type « conservateur ». Enfin l’incidence de ces styles culturels dans chacun des pays concernés sera observée, caractérisant globalement chacune de ces sociétés. Finalement seront identifiés certains facteurs macro-sociaux qui pourraient aider à comprendre les différents niveaux d’adhésion aux systèmes de valeurs observés par les couples vivant dans des sociétés différentes. 36 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Etude empirique Échantillon L’étude porte sur un vaste échantillon, formé de 1802 couples provenant de 9 pays différents (Allemagne, Suisse, Autriche, PaysBas, Portugal, Belgique, Italie, France et Finlande) (Tableau 1). La répartition par pays est relativement homogène, à l’exception de la France et de la Finlande qui ont intégré l’étude plus tardivement. Les deux membres du couple exercent une activité professionnelle (minimum 15 heures par semaine), vivent ensemble et ont un enfant au moins dont l’âge peut varier entre 1 an et 5 ans. Allemagne Suisse Autriche © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Pays-Bas Portugal Belgique Italie France Finlande Total Nombre de sujets Âge moyen 432 37,0 406 36,7 426 35,2 552 37,4 490 35,0 404 33,4 472 36,7 110 35,3 312 35,4 3604 35,9 Instrument Afin de mettre en évidence les éventuelles similitudes ou différences culturelles entre chacun des pays impliqués, ont été sélectionnés des items provenant de divers instruments largement La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 37 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Tableau 1 : Échantillon © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Dans un second temps, aux échelles précédentes a été ajoutée celle qui se rapportait aux représentations des rôles de genre (8 items). Une nouvelle analyse en composantes principales a été menée à partir des données recueillies auprès de 400 jeunes adultes portugais. Quatre dimensions ont été mises en évidence: le traditionalisme, l’ouverture à l’expérience, l’équité de genre et l’individualisme (Tableau 2). Le traditionalisme se réfère au maintien de la cohésion familiale grâce à l’exercice de l’autorité et à l’obéissance ; l’équité est associée à une conception de vie basée sur le respect des besoins et des droits des autres (et tout particulièrement ceux des femmes) ; l’ouverture à l’expérience met en évidence l’indépendance d’esprit et d’action dans la poursuite de buts considérés importants par la personne, valorisant notamment la recherche de stimulation dans de nouvelles expériences ; l’individualisme se traduit par la prévalence des buts individuels sur les projets familiaux, même lorsque ceux-ci sont conflictuels : les personnes individualistes vivent essentiellement en fonction de buts personnels. Cette première analyse a, à nouveau, permis de réduire la dimension de l’instrument, formé après élimination des affirmations ambiguës, de 25 items (Tableau 2). 4 Normative Gender Role Attitudes Scale (Athenstaedt, 2000), Familism Scale (Bardis, 1959, in Shaw and Wright, 1967; Garcia, Malpeceres, Musitu, Allat, Fontaine, Campos e Arango, 1994), Feelings and Behaviours in Various Situations (George, Berry, van de Vijver, Kagitcibasi and Poortinga, sous presse), Individualism-Collectivism (Marshall, 1997), Colindex – Souséchelle d’Attitudes Individualistes (Chan, 1994; Triandis, 1989), et Schwartz Values Scale (Schwartz, 1987) 5 Les valeurs du coefficient α de Cronbach varient de .70 à .80. 38 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) utilisés par d’autres auteurs dans le cadre d’études interculturelles4 en rapport avec la vie familiale. Une première version de l’instrument a été élaborée afin de permettre l’évaluation de valeurs plus « traditionnelles » ou plus « modernes » de la part des sujets (39 items), ainsi que leur partage entre une perspective plus « individualiste » ou plus « collectiviste/ familiste » quant aux rôles familiaux et professionnels et à leur conciliation (39 items). Une analyse en composantes principales sur un échantillon de 494 étudiants universitaires portugais a confirmé la capacité du questionnaire à évaluer les dimensions prévues de forme consistante5 tout en permettant une réduction considérable de la dimension des échelles (6 items chacune) (Fontaine et Matias, 2002). Tableau 2 : Échelles de valeurs culturelles Traditionalisme (α = .76) - La famille devrait avoir le droit de contrôler le comportement de tous ses membres. - Enfants et adolescents de moins de 18 ans devraient toujours obéir à leurs parents. - Politesse (bonnes manières) - Garder l’estime des autres (sauver la face) - Sûreté de l’Etat (protéger ma nation contre les ennemis) - Obéissance (accomplissement des devoirs) - Piété (observer les préceptes religieux) - Discipline personnelle (maîtrise de soi, résistance à la tentation) Equité de genre (α = .71) - Garçons et filles devraient avoir les mêmes obligations dans le ménage. - La femme doit veiller à ce qu’il y ait à la maison chaque jour au moins un repas chaud à table. * - Les jeunes enfants pâtissent du fait que leur mère a une activité professionnelle à l’extérieur de la maison. * - On ne peut pas exiger des femmes qu’elles s’occupent seules des travaux ménagers. - Que les hommes gagnent généralement plus provient du fait qu’ils s’investissent professionnellement plus que les femmes.* - L’organisation du ménage est une affaire de femme.* - Les femmes sont aussi aptes que les hommes à diriger une entreprise industrielle. - Une formation supérieure intéresse avant tout les hommes, étant donné que dans les positions de direction, ils sont plus représentés que les femmes.* * item dont la cotation est inversée (α = .70) © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Individualisme (α = .71) - On devrait pouvoir faire ce que l’on veut sans prendre en considération l’avis de la famille. - Quand on se trouve devant un problème personnel grave, il vaut mieux trouver soimême la manière de le résoudre que de suivre le conseil d’autres membres de la famille. - On devrait toujours faire ce qui convient le mieux à soi-même, quoiqu’en disent les autres membres de la famille. - Chacun devrait toujours suivre sa propre idée La stabilité interculturelle de cette structure a été confirmée par l’analyse des structures de covariance (analyses factorielles confirmatoires, AFC) réalisée successivement sur les échantillons de chacun des pays, méthode conseillée par Gorman-Smith, Tolan et Henry, (2000, cités par Henry, Tolan et Gorman-Smith, 2005 ; Fontaine, Andrade, Matias, et Gato, 2004). La consistance interne de ces échelles est toujours satisfaisante (Tableau 2). La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 39 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Ouverture à l’expérience - Une vie exaltante (expériences stimulantes) - Plaisir de la vie (plaisir de la table, plaisir érotiques, amusements, etc.) - Une vie riche en mouvements (chargée de défis, de nouveautés et de changements) - Curiosité (intérêt pour tout) - Amour du risque (recherche de l’aventure et du risque) © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Une fois définies les valeurs culturelles à observer, il s’agissait de découvrir dans quelle mesure elles étaient capables de mettre en évidence des groupes de sujets contrastés en fonction de l’adhésion à chacune d’entre elles. L’analyse en clusters, référée comme une méthode plus orientée vers l’analyse des similitudes entre personnes qu’entre variables (Bergman, 1996; Bergan et Magnusson, 1997; Cairns, Bergman et Kagan, 1998, in Henry, Tolan et Gorman-Smith, 2005), permet d’identifier des similitudes entre certains groupes de sujets en fonction de multiples dimensions. Ainsi les profils les plus proches sont regroupés de façon à maximiser et les similitudes intra-groupe et les différences inter-groupes. De nombreuses méthodes existent pour mettre en évidence des clusters à partir de données multivariées (Arabie et Hubert, 1992, in Henry, Tolan, Gorman-Smith, 2005). Chacune présente des avantages et des inconvénients. Toutefois, les aspects critiques les plus saillants sont le choix du nombre de clusters, en l’absence de théorie susceptible d’orienter la décision, et en l’absence de sophistication statistique pour apprécier la validité des choix a posteriori (Morgan et Ray, 1995, in Henry, Tolan et GormanSmith, 2005). Pour mener à bien nos analyses en clusters, nous avons utilisé séquentiellement les méthodes hiérarchique et non-hiérarchique (Seber, 1984, in Henry, Tolan et Gorman-Smith, 2005). En effet, dans certains domaines d’études, comme c’est le cas des études sur la famille, l’utilisation conjointe des deux méthodes a permis de renforcer leurs avantages et dépasser leurs limitations (Henry, Tolan et Gorman-Smith, 2005). La méthode hiérarchique6 (utilisant la stratégie de Ward et la distance Euclidienne) permet de représenter des structures emboîtées. Elle est utilisée en premier lieu pour définir le nombre de clusters à extraire ainsi que les centroïdes de départ, nécessaires pour l’utilisation postérieure de la méthode non 6 La méthode hiérarchique exige que le chercheur définisse la distance métrique qui lui servira d’unité de mesure pour évaluer l’amplitude des distances entre sujets dans un espace multivarié. Le choix porte sur la distance euclidienne, la plus fréquente dans ce type d’analyse, dont la sensibilité aux différences d’échelles a été contrôlée grâce à la standardisation des variables, méthode acceptable qui rend la métrique des diverses variables équivalente (Henry, Tolan, Gorman-Smith, 2005). La méthode hiérarchique exige aussi la sélection d’une méthode qui permette de décider l’appartenance au cluster et la différenciation entre clusters. La méthode de Ward unit les clusters à partir du degré de similitude entre observations dans le même cluster. 40 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Identification des Styles Culturels © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) 7 La méthode non hiérarchique d’analyse en clusters du programme SPSS (vs. 11.5) utilise le plus souvent l’algorithme K-means . Les solutions présentées par cette méthode sont sensibles à l’absence de normalité des distributions, ainsi qu’à l’ordre d’entrée des variables (Henry, Tolan, Gorman-Smith, 2005). 8 Ont été considérés simultanément : le nombre de sujets par cluster, la proportion de variance des résultats expliquée par chacune des solutions (R carré) et, bien sûr, la possibilité d’interprétation théorique des diverses solutions. Des comparaisons post hoc utilisant un test t pour comparer les moyennes des variables dans toutes les combinaisons de cluster ont aussi été menées. Les groupes ainsi formés ont été comparés au niveau de chacune des variables culturelles grâce à une analyse de variance (ANOVA). Bien que les différences soient statistiquement significatives, ces résultats ne peuvent être considérés comme test d’hypothèse de la validité de la solution choisie. Ils prouvent uniquement que la solution a permis de séparer les variables de façon satisfaisante, maximisant les différences entre variables (Aldenderfer, Blashfield, 1984, in Henry, Tolan, Gorman-Smith, 2005). 9 Les valeurs ont été regroupées en fonction de leur distance à la moyenne, en divisant l’échantillon en 5 groupes sensiblement égaux, incluant chacun 20% de l’échantillon pour chacune des variables culturelles : le signe « 0 » signale les scores du groupe de sujets qui se situent autour de la moyenne, les signes « ++ » ou « - - », les groupes qui se situant à l’extrémité de la distribution, et les signes « + » et « - », de ceux qui se situent à un niveau intermédiaire. La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 41 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) hiérarchique. La méthode non- hiérarchique permet la mise en évidence de clusters clairement différenciés et mutuellement exclusifs. Elle exige que le chercheur spécifie a priori le nombre de clusters à extraire7. Des solutions à trois, quatre, cinq ou six clusters, également plausibles, ont été discutées et testées par cette méthode. Un ensemble de critères pour déterminer le nombre idéal de clusters ont été analysés et la combinaison de ces critères nous a amenés à privilégier une solution à cinq clusters8. Chacun des cinq clusters regroupe respectivement 876, 694, 867, 686 et 537 sujets. Les tableaux 3 (3a et 3b) présentent les niveaux d’adhésion aux variables culturelles au sein de chacun des groupes. Les valeurs moyennes d’adhésion sont disponibles dans le tableau 3a ; afin de rendre la lecture plus aisée, ces résultats ont été synthétisés dans le tableau 3b 9. Le profil de valeurs de chacun des groupes représente des styles culturels distincts qui peuvent être identifiés. Deux types de clusters peuvent être mis en évidence : un plus « égalitaire » et un autre plus « conservateur ». Leurs différences se manifestent essentiellement par les positions antagoniques de leurs membres quant aux valeurs de traditionalisme et d’équité de genre; une plus grande hétérogénéité des résultats s’observe au niveau des autres variables culturelles : ouverture à l’expérience et individualisme (Tableau 3b). Tableau 3a: Valeurs culturelles moyennes dans les cinq clusters Traditionalisme Equité de genre Ouverture à l’Expérience Individualisme Cl. 1 -.74 .79 Cl. 2 -.82 .66 Cl. 3 .77 -.07 Cl. 4 .70 -1.39 Cl. 5 .27 -.49 .09 .44 .54 .17 -1.38 -.65 .95 -.56 1.08 -.26 Note : toutes les valeurs sont standardisées Tableau 3b: Valeurs culturelles moyennes dans les cinq styles Moyenne Type Conservateur Nouveaux ConvenFamilistes tionnels 0 0 + + -0 - ++ - ++ 20% 0 20% + 20% -20% + 0 Néo Conserv. + -0 ++ 20% © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Les deux styles qui appartiennent au type « égalitaire » présentent des profils identiques au niveau du traditionalisme, de l’équité de genre et de l’ouverture à l’expérience. Ils se distinguent toutefois quant à leur degré d’individualisme, mettant en évidence deux possibilités différentes d’égalitarisme. Pour les personnes qui présentent de bas niveaux d’individualisme, l’équité devrait être garantie à tout individu parce qu’il s’agit d’un droit social fondamental. La justice sociale et la solidarité sont probablement plus importantes que les besoins individuels de chacun. Les personnes qui adoptent ce style ont été identifiées comme Solidaires. Par contre, celles qui partagent de hauts niveaux d’individualisme valorisent le droit de chacun à poursuivre ses propres objectifs et considèrent aussi qu’il s’agit d’un droit universel qui doit être accessible à tout un chacun : dans ce cas, les valeurs d’équité n’entrent pas en contradiction avec les aspirations des individus à poursuivre leurs propres buts. Les personnes qui adhèrent à ce style de valeurs ont été qualifiées de Réalisateurs Égalitaires. (Figure 1) 42 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Traditionalisme Equité de Genre Ouverture à l’Expérience Individualisme Type Égalitaire SoliRéalisa daires -teurs Égalit. + + 1,5 1 0,5 0 -0,5 Solidaires -1 Réalisateurs Égalitaires -1,5 Traditionalisme Équité de Genre Ouverture à l' Individualisme Expérience © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Les styles qui appartiennent au type « conservateur » peuvent être caractérisés par leur haut niveau de traditionalisme. Ils sont hétérogènes au niveau des autres variables culturelles (Figure 2). Un premier groupe présente simultanément des scores élevés de traditionalisme et d’ouverture à l’expérience, mais un niveau d’équité de genre moyen et d’individualisme bas : les personnes qui appartiennent à ce groupe ont été qualifiées de Nouveaux Familistes. L’importance qu’elles attribuent aux projets familiaux affaiblit probablement leur besoin d’affirmation en tant qu’individus. Proches des types égalitaires du fait qu’elles sont ouvertes à l’expérience et assument, bien que de façon plus modérée, les valeurs d’équité de genre, elles se distinguent toutefois de ceux-ci par leur traditionalisme. L’autorité familiale n’est pas mise en cause, mais comme elles sont ouvertes à la nouveauté, elles reconnaissent que « garçons et filles devraient avoir les mêmes obligations dans le ménage » et que « ce n’est pas la femme qui doit assurer toutes les tâches familiales ». Ce groupe semble donc faire la transition entre les types conservateurs et égalitaires. Il semble, en effet, concilier le traditionalisme avec des valeurs plus modernes de façon relativement harmonieuse. La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 43 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Figure 1 : Types de sujets Egalitaires 1,5 1 0,5 0 -0,5 NouveauxFamilistes -1 Conventionnels Néo-Conservateurs -1,5 Traditionalisme Équitéde Genre Ouvertureàl' Individualisme Expérience © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Un autre style réunit des personnes également très traditionnelles et peu individualistes, mais qui ne sont pas du tout ouvertes à l’expérience et se caractérisent par des scores relativement bas d’équité de genre : ce style a été qualifié de Conventionnel. Les personnes de ce groupe tendent à adhérer aux normes et stéréotypes sociaux en vigueur. Elles investissent la famille mais leur conformisme ne les pousse pas à explorer de nouvelles perspectives, de sorte qu’elles se voient contraintes à accepter les rôles de genre dominants dans leur société. Les personnes traditionnelles qui sont simultanément très individualistes, assez ouvertes à l’expérience mais dont les niveaux d’équité de genre sont les plus bas ont été qualifiées de NéoConservatrices. Elles luttent pour atteindre leurs propres objectifs, objectifs professionnels par exemple, ce qui, dans une société extrêmement compétitive, est une tâche exigeante qui ne pourra être facilitée que si elles adhèrent à des valeurs individualistes et si les rôles intrafamiliaux sont clairement distincts et prévisibles. Culture, valeurs et société La troisième étape de cette étude consiste à observer l’incidence de ces styles de valeurs au sein de chacun des pays constituant notre échantillon. Les cinq styles de valeurs sont présents au sein de chacun 44 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Figure 2 : Types de sujets Conservateurs des pays considérés, bien que l’intensité de leur représentation varie amplement. La répartition des différents styles par pays met en évidence deux ensembles qui se distinguent du fait d’être homogènes ou hétérogènes (Tableau 4). La Suisse, l’Allemagne et la Hollande forment un premier groupe homogène, dont la Suisse serait le représentant le plus pur. Les couples de ces pays sont majoritairement du type « égalitaire » (solidaires et réalisateurs égalitaires), le traditionalisme (styles conventionnel et néo-conservateur) n’étant que l’apanage d’une minorité. Situés au pôle opposé, le Portugal et l’Italie constituent un autre groupe homogène. Les couples de ces deux pays sont bien représentés au sein du type « traditionnel » et pratiquement absents au niveau du type « égalitaire ». Tableau 4 : Styles par pays © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Fribourg (CH) 42,1% 31,3% 16,3% 3,4% 6,9% Munich (D) 39,8% 29,6% 20,4% 2,3% 7,9% Nijmegen (NL) 41,7% 22,1% 22,8% 4,0% 9,4% Graz (A) 28,9% 24,2% 23,9% 7,3% 15,7% Jyväskylä (Fin) 25,0% 4,5% 40,4% 9,6% 20,5% Toulouse (F) 8,4% 34,3% 19,3% 25,9% 12,0% Mons (B) 8,9% 24,8% 16,6% 26,2% 23,5% Palermo (I) 3,2% 3,4% 24,6% 32,4% 36,4% Porto (P) 7,6% 5,5% 29,4% 26,1% 31,4% Total 23,9 19,0 23,7 14,7 18,7 Les autres pays présentent des configurations plus hétérogènes. Néanmoins certaines similitudes peuvent être observées entre la France et la Belgique et entre l’Autriche et la Finlande. Dans le premier cas, les deux pays sont très bien représentés au niveau des réalisateurs égalitaires et des néo-conservateurs. Cela semble indiquer que, dans ces pays, les membres des couples sont probablement très La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 45 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Réalisat Néo- ConventionNouveaux Solidaires eurs Conserv nels Familistes Egalit. ateurs © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Une diversité de facteurs pourrait être invoquée pour essayer d’expliquer ou de comprendre ce phénomène. Nous n’en réfèrerons que quelques uns. Il semble que l’une des variables macro-sociales distinguant les groupes de pays homogènes qui occupent des positions polaires soit la religion dominante. Il semble plausible que, indépendamment de la pratique religieuse de chacun, les régions qui se situent dans le premier groupe homogène (Suisse, Allemagne, Pays-Bas) soient sous l’influence de valeurs culturelles véhiculées par la religion protestante alors que ceux du second groupe (Portugal et Italie) seraient sous l’influence de valeurs véhiculées par la religion catholique. Or, les différences les plus marquantes entre ces deux groupes de pays portent sur les valeurs de traditionalisme et d’équité de genre. On sait, par ailleurs, que la structure de pouvoir de l’église catholique est plus hiérarchisée que celle des églises protestantes et que la plupart des fonctions au sein de cette hiérarchie ne sont pas accessibles aux femmes. Dans les sociétés plus influencées par le protestantisme, la responsabilité individuelle est la clé de la salvation et du progrès dans un contexte d’égalité de chances, notamment entre hommes et femmes : ceci pourrait expliquer les niveaux inférieurs de traditionalisme et les niveaux supérieurs d’équité de genre dans ces régions. L’expérience d’intégration d’immigrants dans la culture d’accueil peut aussi expliquer la plus grande ouverture de certains pays. La Suisse, L’Allemagne, les Pays Bas ou la Belgique sont, depuis plus longtemps que le Portugal et l’Italie, des pays d’accueil qui sont parvenus à intégrer en leur sein des générations successives d’immigrants. S’ils se sont montrés capables de partager leur propre culture, cette intégration a produit inévitablement des chocs de valeurs et a questionné le statut et l’origine de celles-ci. Reconnaître que les critères qui président à l’évaluation et à l’orientation du comportement individuel ne peuvent être appliqués à tous et se rendre compte qu’il faut tenir compte de l’origine de chacun, développe la capacité de comprendre les autres à partir de ses propres cadres de référence. Ce type d’attitude serait, selon Hofstede (1991), à l’origine d’un véritable multiculturalisme. Le contact avec d’autres cultures contribue à la prise de conscience que tant les valeurs traditionnelles 46 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) focalisés sur la poursuite d’objectifs personnels, comme la carrière, par exemple, (très individualistes). La plupart des couples d’Autriche et de Finlande sont relativement proches du type égalitaire, bien qu’une proportion significative soit aussi du type conventionnel. Ces résultats permettent de constater que les différents pays concernés partagent effectivement des systèmes de valeurs culturelles différents. du pays que celles des autres ne constituent pas des normes absolues ou universelles mais sont le résultat de multiples influences qui dépendent du contexte social dans lequel chacun a vécu. Les citoyens de ces pays donneront moins d’importance à la tradition et développeront donc une plus grande ouverture face aux valeurs émergentes. © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Finalement, on peut constater que les « nouveaux familistes » sont relativement bien représentés dans chacun des pays. Ils représentent en moyenne 23,7% des couples et leur système de valeurs semble faire la transition entre des valeurs plus traditionnelles et d’autres plus égalitaires. Dans le cas de sociétés plus traditionnelles, comme le Portugal et l’Italie, ils sont le produit de l’ouverture inévitable de la société grâce à l’accès à l’information véhiculée par les médias, aux nouvelles formes de communication offertes par l’internet et, dans le cas du Portugal, aux changements qu’a impliqués l’adhésion à l’Union européenne. Ces couples tout en continuant à valoriser comme groupe de référence la famille et ses traditions, sont ouverts à l’expérience, ce qui les pousse à adhérer, bien que de façon modérée, aux valeurs d’équité de genre. Au sein des sociétés plus égalitaires, les nouveaux familistes représentent le maintien d’une certaine tradition, sans se heurter aux valeurs sociales dominantes moins traditionnelles. Notons qu’en Finlande, les nouveaux familistes représentent plus de 40% des couples. La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 47 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Enfin, les différences quant au niveau de développement socioéconomique de chacun des pays peuvent aussi aider à comprendre les divers types de solidarités sous-tendus par l’adhésion aux valeurs culturelles. Dans les pays les plus riches, la solidarité est assumée par l’État, grâce à la mise en place de diverses structures sociales. Les gouvernements implantent des mesures susceptibles d’appuyer les jeunes couples et de nombreuses structures sont disponibles pour faciliter leur tâche de conciliation des rôles familiaux et professionnels. Les sociétés moins développées économiquement possèdent moins de ressources pour assumer de telles fonctions. Dans ce cas, la famille sera la principale source de solidarité et d’appui. Comme le traditionalisme renforce la cohésion familiale, il est compréhensible qu’au sein de ces pays, les couples soient plus conservateurs. © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Malgré le fait que la plupart des cultures occidentales semblent partager un système de valeurs commun lorsqu’on les compare aux cultures orientales, les résultats de l’étude présentée ici illustrent la variation qui peut être observée lorsqu’on analyse des valeurs plus circonscrites. En effet, les styles culturels associés aux rôles familiaux et professionnels des hommes et des femmes ont permis de distinguer divers groupes de pays européens. Au sein de chacun de ces pays, certains couples adhèrent à des valeurs plus égalitaires alors que d’autres sont plus conservateurs. Bien que tous les styles soient représentés au sein de tous les pays, certains pays sont plus homogènes que d’autres. L’influence de certains facteurs sociaux a été brièvement analysée pour aider à mieux comprendre l’adoption de styles culturels différents de la part de groupes de pays contrastés. Cette analyse s’est limitée à quelques exemples de facteurs macrosociaux susceptibles d’influencer l’orientation dominante vers certaines valeurs culturelles, tels que la religion dominante, les ressources économiques ou l’immigration, mais ne prétend en aucun cas être exhaustive. Si ces valeurs culturelles sont partiellement déterminées par l’influence de variables sociales, économiques ou politiques, elles constituent aussi le cadre de référence à partir duquel les politiciens, les organisations, les travailleurs et les familles interprèteront la réalité. Ainsi, c’est en fonction de ces valeurs de référence que certains problèmes seront valorisés alors que d’autres paraîtront secondaires. Ce sont elles qui orienteront l’adoption de solutions et qui définiront les principaux responsables de leur mise en place: les individus ou la communauté. De plus, si le système de valeurs influence la répartition des tâches familiales et professionnelles au sein du couple, il médiatisera aussi la perception d’une inégalité relative et la satisfaction des conjoints face aux solutions adoptées. L’étude de l’influence modératrice des variables culturelles sur l’effet qu’exerceraient les diverses formes de conciliation des rôles familiaux et professionnels sur le bien être et l’efficacité du couple, devrait être approfondie au cours d’études postérieures. En effet, l’efficacité des stratégies de résolution de problème varie en fonction de leur degré de convergence avec le système dominant de la société dans laquelle elles se manifestent. La prise de conscience de ce phénomène est essentielle pour l’orientation de politiques sociales qui visent à rendre plus aisée la conciliation des demandes familiales et professionnelles, ainsi que pour les options d’intervention auprès des familles. En effet, 48 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Conclusion les mesures mises en place ne seront efficaces que si elles rejoignent les attentes des familles et s’harmonisent avec les valeurs qui sont les leurs. Le problème se pose de façon plus aiguë face à l’hétérogénéité culturelle de certains pays comme la Belgique, la France, l’Autriche ou la Finlande. Comme on peut s’attendre à de fortes variations d’efficacité des interventions en fonction des valeurs partagées par les diverses familles, l’offre d’un éventail plus large de mesures d’appui, parmi lesquelles les familles pourraient choisir celles qui leur conviennent le mieux, semblerait plus adéquat. La sensibilité des praticiens face à ce type d’interaction pourrait aussi accroître l’impact de leurs interventions. © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Références bibliographiques Apparala, M., Reifman, A. et Munsch, J. (2003). Cross-national comparison of attitudes toward fathers´ and mothers´ participation in household tasks and childcare. Sex Roles, 48, 189-203. Bean, F., Curtis, R., Marcum, J. (1997). Familism and marital satisfaction among Mexican Americans : the effects of family size, wife´s labor force participation, and conjugal power. Journal of Marriage and the Family, 759-767. Braithwaite, V. et Blamey, R. (2001). 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Enfin, comme l’étude n’a porté que sur des couples ayant des enfants en bas-âge, toute généralisation à d’autres phases de la vie familiale serait injustifiée. 50 La revue internationale de l’éducation familiale, n°19, 2006 © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) © L'Harmattan | Téléchargé le 24/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Coltrane, Scott (2000). Research on Household Labor: Modeling and Measuring the Social Embeddedness of Routine Family Work. Journal of Marriage and the Family, 62, 1208-1233 .Coltrane, S. et Ishii-Kuntz, M. (1992). Men´s housework: A life course perspective. Journal of Marriage and the Family, 54, pp. 43-57 .EUROSTAT(2003).Online:www.europa.eu.int/comm/eurostat/struct uralindicators] Fontaine, A-M. et Matias, M. (2002). Familismo / individualismo em jovens adultos: Construção de um instrumento e estudos exploratórios. Revista Galego-Portuguesa de Psicoloxía e Educación, 8 (10), Ano 7, 2348-2362. 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