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SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 Séminaire « Patrimoine Humanités Numériques » Architectural et Architectural heritage and digital humanities *,1 2 2 Isabelle et Isabelle Fasse Fasse*,1 , etFrédérique FrédériqueBertrand Bertrand 1ENSA 2ENSA Marseille, Equipe MAP-GAMSAU, Marseille, France Marseille, ENSA Paris-La Villette, France Résumé. Le séminaire « Patrimoine architectural et Humanités numériques » est une pédagogie tournée vers les enjeux patrimoniaux de l’analyse et de la conservation du patrimoine architectural mettant en œuvre les outils numériques. Il s’inscrit dans le contexte de l’extension des sciences du patrimoine et le rôle que prennent les différentes solutions numériques qui modifient et interrogent les conditions de production et de diffusion des savoirs. La pédagogie que nous présentons, en lien étroit avec les activités d’un laboratoire de recherche, est ainsi fondée sur une démarche pluridisciplinaire abordée sous un aspect méthodologique, mais également pratique des technologies numériques au service du patrimoine architectural, de son analyse et son diagnostic. Innervé par un écosystème issu de la recherche autour de l’analyse de cas variés d’édifices patrimoniaux, les objectifs et modalités de cet enseignement permettent de sortir des cadres constitués de la formation numérique appliquée à l’architecture en allant audelà des modèles, pratiques et environnements numériques pour la conception en architecture, urbanisme et paysage. Cet article est un article de réflexion pédagogique qui examine les convergences entre recherche, formation et pratique numérique au service du patrimoine architectural et urbain. Mots clés. Humanités numériques, Patrimoine, Architecture, Recherche, Mots-clés. Pédagogie. Abstract. The seminar "Architectural Heritage and Digital Humanities" is a pedagogy focused on the heritage issues of the analysis and conservation of architectural heritage using digital tools. It is part of the process of heritage sciences extension and of the role that different digital solutions are playing in modifying and questioning the conditions of production and dissemination of knowledge. The pedagogy that we present, in close connection with the activities of a research laboratory, is thus based on a multidisciplinary approach approached under a methodological aspect, but also on practical digital technologies at the service of architectural heritage, its analysis and its diagnosis. Infused by an ecosystem resulting from research around the analysis of various cases of heritage buildings, the objectives and modalities of this teaching allow to go beyond the constituted * Corresponding author: isabelle.fasse@marseille.archi.fr © The Authors, published by EDP Sciences. This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/). SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 frameworks of the digital training applied to architecture by going beyond the models, practices and digital environments for the design in architecture, urbanism and landscape. This article is a pedagogical reflection article that examines the convergences between research, training and digital practice in the service of architectural and urban heritage. Keywords. Digital humanities, Heritage, Architecture, Research, Pedagogy. 1 Contexte du séminaire Le séminaire Patrimoine Architectural & Humanités numériques 2 est une offre de formation initiale portée par l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille et mise en œuvre par l'équipe GAMSAU du laboratoire MAP (UMR CNRS/MC 3495, Modèles et Simulations pour l’Architecture et le Patrimoine, laboratoire associant le Centre National de la Recherche Scientifique et le Ministère de la Culture). L’objectif général du séminaire est de permettre aux étudiants de s’ouvrir à des connaissances et des savoir-faire concrets autour des pratiques numériques émergentes mobilisables pour observer, décrire, réinvestir des artefacts patrimoniaux à différentes échelles. Les nouvelles technologies d’acquisition de données, de modélisation et de représentation du bâti, les outils de simulation du comportement mécanique et des ambiances thermiques et lumineuses, les outils de gestion d’informations impactent fortement l’organisation du travail dans le champ patrimonial, aussi nous proposons dans ce séminaire d’interroger la faculté de ces approches à faire comprendre et transmettre le bâti patrimonial en tant qu’artefact matériel et enjeu de connaissances. Ce séminaire a ainsi pour vocation d’enrichir, chez de futurs architectes, la capacité de compréhension des édifices existants en s’éloignant volontairement des processus de projet. C'est en cela qu’il permet de mobiliser d’une façon plus vaste les compétences dans la description, l’analyse et l’interprétation d’un passé/présent à rendre intelligible et finalement dans le dessein de révéler des futurs possibles d’un édifice bâti. 1.1 Modalités et formats pédagogiques Les modalités et formats d’enseignement marquent les liens possibles entre pédagogie, pratique et recherche. Le format spécifique de cet enseignement est celui d’un séminaire au plus proche des chercheurs et acteurs du patrimoine bâti. Il a pour objectif de mettre les étudiants en situation d’apprentissage, mais également d'application et de compréhension des connaissances transmisses dans des environnements qui relient pratique et recherche. Le séminaire mobilise pour cela des disciplines connexes à l’architecture et au numérique, telle que l’archéologie, la géologie, la physique du bâtiment. Soutenues par l’ensemble des pratiques traditionnelles et numériques des différentes disciplines convoquées, les modalités pédagogiques font appel à des mises en situation sur les différents sites étudiés, et ainsi favorisent la (re)connaissance des procédés de conservation/restauration et des caractéristiques de modification de la matière comme les altérations de la pierre dans le bâti ancien, confortent par l’expérience sensible la compréhension de dispositifs de valorisation/diffusion des connaissances relatives à un bâtiment ou typologie de bâtiments étudiés, et font ressortir un nombre important de 2 http://www.GAMSAU.map.cnrs.fr/pahn/index.html 2 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 problématiques autour de la digitalisation des usages et pratiques dans le domaine du patrimoine bâti. Les interventions pédagogiques interrogent également les processus en cours de digitalisation dans le champ de la conservation-restauration du patrimoine. Elles abordent les techniques de relevé et d’acquisition du bâti, les systèmes d’information géographiques et la visualisation d’informations de type Infovis 3 et les modèles de simulation et de représentation. Pour permettre le croisement de ces différentes approches, il est mis en avant l’usage de méthodes hybrides entre techniques traditionnelles et numériques lors de l’approche sur site des patrimoines étudiés qui forment le socle de cet enseignement. Au-delà des connaissances théoriques et pratiques apportées dans le cadre de ce séminaire, pour soutenir les capacités réflexives et savoir-faire des étudiants en termes de communication, ceux-ci selon leur niveau (Master I ou II) sont amenés à rattacher ces connaissances à un état de l’art et/ou une problématique par la confection d’un article ou d’un mémoire pouvant préluder la rédaction d’un mémoire de TPE-R (Travail personnel d’étude et de recherche). Ainsi près avoir suivi une introduction à la recherche en premier année de master qui leur permet de définir une problématique dans le champ de l'architecture, du patrimoine et des applications des outils numériques, les étudiants sont accompagnés par les enseignants et chercheurs, et formalisent leurs réflexions par la rédaction de fiches de lecture croisées, d’articles de réflexion scientifiques, par la réalisation de posters présentant leur travail et finalement d’un mémoire contenant une analyse et une interprétation de la part de l'étudiant. Les étudiants étudient dans ce contexte les règles, démarches et méthodes pour apprendre à structurer une problématique, en bénéficiant d’indications et conseils relatifs à la rédaction et à la présentation formelle de travaux de recherche. 1.2 Connexions aux laboratoires de recherche : partenaires et acteurs Les connexions avec les chercheurs et travaux du laboratoire ont pour objectifs de confronter les étudiants à des environnements de recherche, et de faciliter l’adoption des postures scientifiques dans l’élaboration de leurs problématiques de travail dans le domaine du patrimoine et de l’architecture. Au contact des chercheurs et ingénieurs qui interviennent dans les modules d’enseignement, les étudiants sont amenés à mieux comprendre et appréhender les enjeux et mécanismes de l’analyse scientifique, de l’instrumentation, ainsi que les caractéristiques et règles sous-jacentes des environnements et modèles numériques. C'est pour favoriser les échanges sur ces questions d’ordre théorique et pratique, que les différentes interventions des chercheurs des équipes GAMSAU et CICRP (centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine) du laboratoire MAP ont lieu dans les locaux de l’équipe MAP-GAMSAU. Mais dans l’objectif d’intégrer le travail et la réflexion des étudiants dans un cadre professionnel, afin d’exposer les dialogues entre les métiers de la Recherche et les métiers de l’Architecture et du Patrimoine, la collaboration avec les équipes GAMSAU et CICRP va audelà de leurs membres et s’élargit à leurs partenaires académiques, institutionnels ou privés. Cette collaboration permet de mettre à disposition des étudiants de nombreux documents et informations en leur faisant découvrir chaque année des nouveaux cas d’études comme des sites archéologiques, des vestiges et patrimoines nécessitant analyse, restauration, rénovation, et pour lesquels différents outils et échelles d’observation sont requis. 3 https://www.infovis.org/ 3 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 L’enjeu est lors de l’étude et l’analyse de ces sites, de favoriser les rencontres avec les différents acteurs privés et publics en charge de la conservation, restauration et valorisation de ces édifices patrimoniaux pour en retour sensibiliser ceux-ci aux travaux de recherche par le biais des présentations et restitutions des étudiants. En retour les acteurs bénéficient du regard des étudiants sur leurs recherches et pratiques, les étudiants explorent des potentiels en croisant les méthodes, protocoles et instruments/outils sur de nouveaux objets d'études. C'est dans cet échange avec les chercheurs qu’émergent certains sujets pouvant être développés dans le cadre de TPE-R ou de thèse comme par exemple le travail de TPE-R de Roxane Roussel [4] sur le recours à la photogrammétrie, l’annotation numérique et la réalisation d’un thésaurus, sur des statues en pierre du parc de la Magalone à Marseille étudiées avec l’aide de chercheurs du CICRP et du MAP-GAMSAU. Ce séminaire a également donné naissance au travail de recherche de Quentin Vogel au croisement entre diagnostic, valorisation et communication : « Vers une protection intrinsèque du patrimoine du XXème siècle : La maquette physico-numérique comme support de production de sens et de diffusion des savoirs » doctorat co-encadré par le laboratoire de recherche en histoire de l’architecture INAMA et le MAP-GAMSAU. 2 Une articulation forte entre données, outils et échelles d’observation Les potentialités de production de sens et nouvelles connaissances dépendent du croisement possible des données à l’origine de l’analyse d’un artéfact patrimonial et de l’interopérabilité des outils pour permettre leur corrélation. Ces données hétérogènes peuvent être documentaires (textuelles, graphiques, orales), analytiques (analyses de prélèvement, caractérisations expérimentales, cartographies, simulations numériques, etc.) ou issues d’acquisitions numériques sur le bâtiment étudié. Le résultat de leur traitement dépendra également des caractéristiques suivantes : les différentes sources peuvent être selon leur nature abondantes, voire redondantes ou au contraire manquantes. La production de données numériques massives du fait de la digitalisation des processus et métiers, interroge fortement cette hétérogénéité des données concernant leur nature et répartition. C’est ainsi, à partir de l’étude de ces données et indices, que s’articulent différentes échelles d’observation, dont les croisements sont également interprétés selon le niveau de représentation de l’édifice étudié. Le questionnement de ces sources, dans le cadre de notre séminaire, fait donc appel à ces échelles et niveaux d’observations qui peuvent ainsi aller de l’identification d’un fragment archéologique, d’un élément d’architecture, à la typologie architecturale du bâti vernaculaire d’une vallée ou au processus industriel d’anciens fours à chaux à Marseille. En effet les sujets d’études abordés dans le séminaire par les étudiants se veulent représentatifs de la variété du patrimoine: un patrimoine monumental comme celui des églises de la Madeleine et de St.-Théodore, un patrimoine militaire tel la citadelle d’Ajaccio en lien avec le studio de projet, un patrimoine industriel tels que les fours à chaux ou la savonnerie du fer à cheval de Marseille, un patrimoine vernaculaire comme les chapelles de Puyloubier ou autres bâtis vernaculaires pour leurs qualités typologiques et de résilience, sans compte ce que l’on peut qualifier de petit patrimoine comme les collections d’éléments architecturaux antiques conservés au dépôts archéologique de Marseille. À chaque échelle, qu’elle soit physique et/ou sémantique, une réflexion sur l’outil numérique adapté doit être menée et mise en œuvre pour former un écosystème permettant de produire un traitement de l’information pertinent. 4 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 Fig. 1. Échelles et types de données. Extrait du mémoire de Caroline Marcotte, Automne 2021, Ensa Marseille, intitulé : « le patrimoine vernaculaire face au changement climatique ». 2.1 La cartographie numérique et l’Infovis comme agrégateur d’indices Le recours à la cartographie numérique et à l’Infovis se fait dans l’objectif d’agréger des données et indices complémentaires aux documents d’archives, aux informations historiques, juridiques, réglementaires concernant les édifices étudiés en dehors des relevés qui pourront être effectués. La cartographie permet d’intégrer des données liées au territoire, au climat, à la géologie, l’hydrographie, aux reliefs, à la topologie, etc., et de croiser ces différentes données sur la base d’un système d’information qui permette la jonction entre des jeux de données numériques de natures différentes. L’étudiant peut ainsi être amené à réfléchir à une hiérarchie des éléments bâtis selon des critères d’ancienneté, d’authenticité, d’usage mais également sur leur capacité de résilience en croisant certaines caractéristiques topologiques du bâti avec des caractéristiques du site (orientation, apports solaires, ilots de chaleur, présence de l’eau, etc.). En ce qui concerne l’Infovis, ces techniques de visualisation permettent d’effectuer une forme de tri sur des jeux de données massives et d'en faire une représentation graphique abstraite, qui donne à voir ce qui n’est pas toujours lisible ou cristallisé dans la forme, l’image ou la représentation des édifices (événements historiques, climatiques, etc.). Ainsi à l’appui de ces méthodes, la connaissance du patrimoine architectural, sa modélisation sont étendues à une approche non seulement synchronique mais également diachronique. 5 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 Fig. 2. Approche diachronique. Extrait des mémoires de Caroline Marcotte et de Maelle Gery, sur le patrimoine vernaculaire de la plaine de l’Issole face au changement climatique. Automne 2021, Ensa Marseille. 2.2 La photographie numérique comme moteur d’analyses Le MAP-GAMSAU a contribué à développer l’usage de la photographie numérique comme moyen de collecte d’informations tridimensionnelles en ouvrant les portes à l’opportunité de capitaliser, via des approches collaboratives, des analyses architecturales et archéologiques à plusieurs échelles. Dans ce contexte, lors de l’apprentissage à nos étudiants des différentes techniques d’acquisition 3D, l’apprentissage de la photogrammétrie est central. Cet apprentissage commence par la connaissance théorique des étapes du processus photogrammétrique puis la mise en pratique de prises de vues, d’acquisition d’images numériques grâce à la participation d’une photographe spécialisée en imageries scientifiques du CICRP et d’un ingénieur d’étude spécialiste des techniques de numérisation 3D du GAMSAU [1]. Ces interventions donnent une qualité professionnelle à ces exercices de photogrammétrie et ont également pour objectif d’introduire les nouvelles méthodes d’analyse pour la conservation préventive, curative et la restauration du patrimoine culturel [2]. Cette démarche s’inscrit également dans une volonté de démarche de science ouverte avec une approche des principes FAIR4, afin que les données générées soient facilement découvrables, accessibles, interopérables et réutilisables pour les étudiants mais également par les chercheurs des laboratoires. 4 Findable, Accessible, Interoperable, Reusable 6 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 Fig. 3. Superposition d’acquisitions lasergrammétrique et photogrammétrique. Église de la Madeleine, Marseille, mémoire de Clovis Fayols, « Le clone numérique et la lumière dynamique pour l’analyse architecturale patrimoniale et le diagnostic des altérations ». Printemps et automne 2021. 2.3 L'annotation comme outils de coopération La numérisation d’un élément patrimonial se fait ainsi à partir de techniques disponibles au laboratoire et mises à la disposition des étudiants par l’intermédiaire des matériels et ressources suivants : scan 3D, matériel photographique, lumières et accès aux plateformes et prototypes développés par l’équipe GAMSAU. Cette mise à disposition matérielle est accompagnée par la mise en pratique de protocoles identifiés par le laboratoire et rendus accessibles à tous (architectes, historiens, géographes, étudiants, etc.). Ces protocoles répondent aux exigences de connaissances et de description des objets d’étude et non seulement à celles de leur numérisation 3D. Une fois les acquisitions numériques effectuées, le traitement des photos, nuages de points 3D, est mis en œuvre à l’appui de différentes solutions logicielles propriétaires comme Agisoft Métashape ou des solutions open source comme Meshroom, CloudCompare ou Meshlab selon le niveau des étudiants. Grâce à la définition de ce cadre méthodologique, les étudiants poursuivent leur progression notamment vers l'utilisation de plateformes de traitement informatique répondant au besoin de permettre à des non-spécialistes d’accéder à une technologie très sophistiquée via des interfaces web standard et de capitaliser (archivage, structuration, etc.) les contributions provenant de différents utilisateurs au sein d’une base de données partagées. Aïoli est un prototype de plateforme on-line développé au sein du laboratoire MAPGAMSAU qui permet la mise en relation d’un ensemble de photos données par un nuage de points 3D et la diffusion d’informations d’analyse et d’observations réalisées sur une photo aux autres photos. Cette plateforme, issue du travail de thèse d’Adeline Manuel [3], permet aux étudiants de reporter un diagnostic visuel, un constat d’état, une lecture sémantique de l’élément étudié et analysé [4]. Pédagogiquement, le fait de partager les projets permet de faire travailler simultanément un étudiant à la description d’éléments d’architecture alors qu'un autre étudiant établit un diagnostic des mêmes éléments à partir du même jeu de photos. Ces outils et méthodologies proposés par le laboratoire permettent ainsi aux étudiants de mener une réflexion plus profonde sur l’établissement de relations cohérentes et continues entre des données hétérogènes qui sont susceptibles d’être utilisées pour l’analyse, la compréhension et la modélisation des artefacts patrimoniaux. Les travaux de recherche autour du chantier numérique de Notre-Dame et plus particulièrement des membres du GT numérique de Notre-Dame sont pour les étudiants un exemple des potentialités de visualisations et annotations collaboratives [5]. 7 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 Fig. 4. Traitement des annotations sur la plateforme Aïoli à partir d’un nuage de points et jeu de photos, images extraites d’exercices pédagogiques. 2.4 Modèles et simulations pour la représentation et la communication La valorisation des connaissances et la communication du patrimoine architectural sont des sujets de réflexion auxquels les étudiants portent un grand intérêt du fait de la proximité des enjeux de la représentation dans la conception de projets architecturaux et urbains. Ils étudient, de ce fait, à la fois le concept et les démarches de restitution tout en examinant les modèles préconisés ainsi que l’apport des outils numériques en termes de représentation et de simulation, en particulier ceux de la réalité virtuelle, augmentée ou mixte. L’emploi de la réalité augmentée et virtuelle dans le domaine patrimonial permet une approche avec une perception subjective, centrée sur l’utilisateur et ainsi admet une autre forme d’appropriation d’un contenu scientifique. Par ce biais, se pose aux étudiants la question de la modélisation : comment modéliser et représenter géométriquement ces bâtiments anciens, et dans quel objectif ? Quel niveau de détail peut-on choisir, de l’esquisse volumétrique à une acquisition ou représentation 3D plus précise, et comment renseigner cette maquette sur la base de données de plus en plus massives mais souvent hétérogènes et parfois incomplètes pour permettre des simulations et analyses répondant aux besoins de la maîtrise d’œuvre ou de la maîtrise d’ouvrage, c’est-à-dire pour la gestion et l’exploitation de ce patrimoine, pour sa rénovation ou restauration, pour sa valorisation ou communication ou pour des préconisations liées à des modifications d’usage ou stratégies d’interventions. Fig. 5. Four à chaux Vallon de Tuves, les Savisnes, Marseille. Nuage de points dense et réalité virtuelle. Mémoire de Clothilde Goellner, Printemps 2020, encadré par Anne-Marie D’Ovidio, archéologue de la ville de Marseille en charge du suivi archéologique des fours à chaux de Marseille. 8 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 Dans cette démarche de recherche et d’expérimentation d'outils allant de l’acquisition numérique à la modélisation architecturale, s’introduit la question de la maquette BIM et HBIM et celle plus récente du double ou jumeau numérique. La présentation de travaux de recherche sur les techniques d’acquisition 3D et le BIM [6], permettront aux étudiants de prendre toute la mesure des hypothèses formulées avant toute restitution 3D d'édifices, tandis que la question de la prédictivité, de l’interprétation et du poids possible des données manipulées pourra trouver réponse grâce aux échanges avec des conservateurs en archéologie [7] et archéologues du bâti [8]. 3 Un écosystème centré sur des objets d’étude La notion d’écosystème numérique peut être abordée tant du point de vue d'un travail interdisciplinaire (archéologie, histoire d’un lieu, représentation, analyse territoriale) sur un objet d’étude commun et des données communes (open data, fonds cartographiques, etc.), que comme une chaîne de traitement numérique où l’interopérabilité des données est assurée au cours du traitement, de la modélisation et de la simulation. Fig. 6. Identification des écosystèmes mis en place correspondant à une évolution de l’environnement recherche-formation-acteurs et métiers. En s’appuyant sur un corpus d’objets d’étude dicté par des objectifs d'analyse scientifique et d'observation de pratiques de recherche, les domaines de compétence sollicités et formes d’enseignement mobilisés favorisent l’émergence d’un environnement, d’un écosystème propice permettant d’expérimenter l’interdisciplinarité au service du patrimoine architectural bâti dans une réflexion ancrée dans le réel. D’un point de vue pédagogique, saisir l’opportunité de ce rapprochement avec les pratiques dans le domaine du patrimoine architectural et patrimonial, par l’intermédiaire d’activités de recherche sur ce même terrain, permet de rompre avec le manque de croisement disciplinaire souvent décrié dans l’enseignement. Il s’agit finalement de répondre aussi à la nécessité de sensibiliser les acteurs publics à la mise en place de cet écosystème numérique qui s’appuie sur la digitalisation des pratiques et connaissances, et facilite ainsi la communication et les retours d’expérience. 9 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 4 Thématiques abordées en regard du patrimoine architectural étudié, illustrations Les thématiques et sujets abordés par nos étudiants en lien avec les méthodes et approches scientifiques et numériques sur le patrimoine architectural, concernent en grande partie les questions de représentation et de visualisation des connaissances relatives au patrimoine bâti, les questions de transformation de ces connaissances liées aux transformations de ce patrimoine ainsi qu’à leur simulation, et finalement la transmission et valorisation de ces analyses sous différents aspects graphiques 2D ou 3D. Un nombre croissant d’étudiants intègre également dans leur réflexion la question de la transition numérique face aux enjeux environnementaux. On peut remarquer cette tendance lors des échanges avec les différents acteurs et intervenants. Les étudiants, sous un spectre assez large, transposent aisément les questions liées aux édifices étudiés aux questions de rénovation et restauration d’édifices moins singuliers allant de l’architecture XXème au petit patrimoine vernaculaire, et interrogent ainsi la qualité des enveloppes, des matériaux utilisés, la structure de ces bâtiments, leur réglementation en regard de considérations écologiques et environnementales. 7. Page Web du Séminaire Patrimoine architectural et Humanités numériques 5. Fig. 5. La démarche participative et l’implication citoyenne sur le repérage, la compréhension des qualités du patrimoine (architecturales, environnementales, de résilience, etc.) se révèlent également être un thème novateur qui peut être étendu à de nombreux cas de figure. Ainsi le projet Territographie 6 du MAP fondé sur les sciences participatives [9] dans le patrimoine a été une source d’inspiration et un modèle pour les étudiants. Tout comme le projet SESAMES7 qui met en partage des démarches de caractérisation sémantique 5 Cette page définit les contours programmatiques de ce cursus, donne accès à des informations et contenus relatifs aux intervenants, illustre par l’exemple les travaux des étudiants, au cours d’un parcours articulant pédagogie et recherche [10] 6 http://territographie.map.cnrs.fr/ 7 http://anr-sesames.map.cnrs.fr/do.html 10 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 d’édifices et protocoles numériques donnant lieu à un corpus et des modèles dont les étudiants ont pu s’emparer dans le cadre du séminaire. 5 Conclusions En s’appuyant sur ces visites, sur des rencontres de professionnels et de chercheurs, cet enseignement permet aux étudiants d’acquérir une réflexion et une expertise dans l’usage des outils numériques appliqués à des objets d’études dans le champ du patrimoine bâti. Initier à la recherche par la pratique et former à des technologies d’avenir, font partie des objectifs de cet enseignement qui pourrait encore être adapté ou combiné à d’autres modalités pédagogiques comme des workshops sur des cas d’étude ou secteurs particuliers emblématiques des caractéristiques d’un territoire, d’un site ou de typologies architecturales spécifiques. Les modalités et le format de cet enseignement ont un fort impact en termes d’apprentissage et de transfert de compétences, en regard des attentes et motivations des étudiants très orientées vers des pratiques opérationnelles en lien avec une expérience concrète du patrimoine et à la pointe des connaissances et des techniques. Actuellement, sans qu’ils soient fondés sur les mêmes objectifs pédagogiques, un lien étroit avec d’autres enseignements en licence ou master se fait par le biais du corpus réalisé à partir des édifices étudiés et modèles numériques constitués. D’où l’importance d’archiver [11] et de pérenniser les travaux et pratiques en tant qu'éléments, activités, objets d'étude et processus pédagogiques qui puissent servir de support à de futurs apprentissages ou pédagogies en lien avec les évolutions des sciences du patrimoine. En dehors des questions de transpositions ou de pratiques numériques, on note au final l’intérêt des étudiants pour une meilleure connaissance des pratiques scientifiques (dégradation des matériaux, connaissance des principes et protocoles de restauration/conservation, imagerie scientifique, acquisitions et modélisations numériques) qu’ils vont eux-mêmes réinvestir dans d'autres enseignements du master. Compétences et savoirs que l’on voit depuis quelques années se développer dans d'autres formations universitaires comme par exemple la licence PRO « Infographie, Patrimoine, visualisation et modélisation 3D » 8 de l’université de Cergy, le master « Sciences Humaines et Sociales mention Humanités numériques, parcours médiation numérique de la culture et les patrimoines » de l’université de Tours en lien avec le CESR 9, ou encore la chaire pour les technologies numériques dans la conservation du patrimoine de l'Université de Bamberg en Bavière et son programme de master correspondant 10. Initié en septembre 2018 par Marine Bagnéris [12], maître de conférences à l’école d’architecture de Marseille, ce séminaire est repris les années suivantes par Isabelle Fasse-Calvet avec Antoine Gros, maître de conférence associé, remplacé à partir de septembre 2021 par Frédérique Bertrand. Nous remercions à cette occasion tous les intervenants passés et actuels qui ont permis ce croisement de disciplines et l'évolution pédagogique de ce séminaire. 8 Cette formation a pour objectif de créer un lien entre le monde de l’illustration 3D et celui de la science en développant des compétences graphiques pour les secteurs de la recherche et ayant une coloration particulière orientée sur la reconstitution du patrimoine. Site web : http://lpmn.today 9 Le CESR est une Unité mixte de recherche du CNRS et de l'Université de Tours. À ce titre, les étudiants de Master sont en permanence en contact avec les activités de recherche du Centre, notamment avec les nombreux colloques qui y sont organisés et auxquels ils peuvent assister. 10 https://www.uni-bamberg.de/en/ma-dthc/ 11 SHS Web of Conferences 147, 05001 (2022) SCAN’22 https://doi.org/10.1051/shsconf/202214705001 Références 1. A. Pamart et P.Alliez, Live presentation of Culture 3D Cloud (C3DC) platform. Presented at the PARTHENOS Workshop Digital 3D objects in Art and Humanities: challenges of creation, interoperability and preservation, Bordeaux (2016) 2. R. May, O. Guillon, A. Pamart et J.-M. Vallet, Imagerie numérique et conservationrestauration : état de l’art et perspectives. In Situ. Revue des patrimoines, 39 (2019) 3. A. Manuel, Annotation sémantique 2D/3D d’images spatialisées pour la documentation et l’analyse d’objets patrimoniaux, thèse de doctorat en Science des Métiers de l’ingénieur, sous la dir. de Livio De Luca, (2016) 4. R. Roussel, M. Bagnéris, P. Bromblet et L. de Luca. A digital diagnosis for the " autumn " statue (Marseille, France) : Photogrammetry, digital cartography and construction of a thesaurus, 27th CIPA International Symposium, Ávila, Spain (2019) 5. L. de Luca. A digital ecosystem to document, in space and time, the restoration of NotreDame de Paris. (FAIR Heritage -17&18 juin 2020), Virtual event. https://www.canal-u.tv/chaines/mshvaldeloire/fair-heritage-1718-juin-2020/dr-livio-deluca-a-digital-ecosystem-to-document 6. V. Croce, G. Caroti, L. de Luca, K. Jacquot, A. Piemonte et P. Véron, From the Semantic Point Cloud to Heritage-Building Information Modeling: A Semiautomatic Approach Exploiting Machine Learning, Remote Sensing, 13, 461 (2021) 7. A.-M. d’Ovidio, Four à chaux du vallon de la Panouse, Rapport de fouille 2016-2018. Le vallon de la Panouse, Bilan Scientifique de la Région PACA (2018) 8. G. Simon, Représenter l’incertitude temporelle pour la prendre en compte dans l’étude de la fabrique urbaine, COL&MON. https://colemon.hypotheses.org/400 (2019) 9. J.-Y. Blaise, I.Dudek et G.Saygi, Citizen contributions and minor heritage: feedback on modeling and visualising an information mash-up, (IEEE International Conference on Data Science and Advanced Analytics (DSAA), Turin, Italie, (2018). 10. Séminaire Patrimoine Architectural & Humanités numériques. http://www.GAMSAU.map.cnrs.fr/pahn/index.html 11. I. Dudek et J.-Y. Blaise, MEMORIA - la préservation des processus d'étude comme enjeu éthique (In Le guide de bonnes pratiques pour la diffusion des données en SHS, Presses universitaires de Provence (2018) 12. M. Bagnéris, F. Cherblanc, P. Bromblet, E. Gattet, L. Gügi, N. Nony, V. Mercurio et A. Pamart. A complete methodology for the mechanical diagnosis of statue provided by innovative uses of 3D model. Application to the imperial marble statue of Alba-laRomaine (France). Journal of Cultural Heritage, 28, 109–116 (2017) 12