Pour une écologie numérique

Eric Vidalenc est chef du projet Prospective Energie Ressources à l’ADEME. Il est aussi auteur de billets sur le blog d’Alternatives Économiques.
Il publie Pour une Écologie Numérique aux éditions Les Petits Matins et tente, dans cet essai, de (ré-)concilier transitions numériques et écologiques. Binaire l’a lu et vous le recommande. Antoine Rousseau

Le titre déjà est intriguant : pourquoi diable faudrait-il que l’écologie soit numérique ? Tant qu’à faire, pourquoi ne pas parler de robotisation écologique ou d’artificialisation naturelle ! L’oxymore est criant, et pourtant…

Les transitions écologique et numérique se complètent pour certains,  s’opposent pour d’autres. Ainsi Jérémy Rifkin et sa « troisième révolution industrielle » ou encore notre regretté Michel Serres et sa « Petite Poucette », qui voient à travers ces transitions une grande convergence sociétale, permettant l’organisation de collectifs, le renforcement des processus participatifs, la décentralisation, etc. En même temps, on ne peut plus vivre « sans numérique » (pensez à la dernière fois que vous avez regardé une série, envoyé un message, écouté de la musique, etc.) ; ce monopole radical a des conséquences dramatiques sur notre environnement, que cela soit en terme de pollution ou d’accès aux ressources naturelles (voir le billet récent d’Eric Drezet sur ce sujet).

Pour une écologie numérique. Eric Vidalenc, éd. Les Petits Matins

Dans cet essai qui propose une écriture dialectique, Eric Vidalenc montre que ces transitions sont beaucoup plus ambivalentes qu’une lecture rapide pourrait le laisser penser. Comme l’écrit Éloi Laurent dans une tribune publiée dans Libération le 18 novembre 2018, entre ceux qui pensent que le numérique, via l’intelligence artificielle (IA) notamment, va tout résoudre et ceux qui pensent que le numérique doit être mis de côté pour mener la transition énergétique, la ligne de crête est étroite pour réconcilier les deux trajectoires.

« Pour une écologie numérique » est un essai court, intense sans être technique, qui commence par illustrer comment le numérique peut être à la fois un atout et un frein de la transition écologique, avant de proposer, dans une dernière partie, de remettre le numérique à sa place en proposant des transformations des usages et des politiques.

Antoine Rousseau

Internet a 50 ans le 29 octobre 2019

Il y a seulement 50 ans, Internet n’existait pas. Nous ne pouvions pas imaginer à quel point nos manières de vivre, travailler, apprendre, se déplacer ou même s’amuser allaient se transformer. Quelles autres inventions du siècle dernier ont-elles eu autant d’impacts sur nos vies ?  A l’occasion de cet anniversaire, binaire avait envie de mettre à l’honneur les ressources et initiatives de nos amis et partenaires.

Un évènement à ne pas rater !

La Société Informatique de France organise un évènement spécial le mardi 29 octobre 2019 de 17h à 19h30 au CNAM à Paris. Le programme est composé d’interventions courtes de nombreux acteurs d’internet qui seront accessibles à un large public. Pour rendre hommage à la première connexion établie entre deux universités américaines, Stanford et UCLA, une connexion sera établie avec UCLA où une célébration de l’anniversaire a également lieu.

Pour y participer, inscription obligatoire auprès de Marla Da Silva  (places limitées).

Un dossier à éplucher !

Interstices, l’excellente revue de culture scientifique en ligne qui vous invite à explorer les sciences du numérique, a préparé un dossier spécial à l’occasion de cette date charnière. Vous y retrouverez des articles sur l’histoire de cette grande aventure, des interviews de ceux qui ont vécu l’essor d’internet ou bien encore quelques clés de compréhension sur ce qu’est Internet. Le dossier complet est à retrouver sur Interstices.

Retour au code source

On ne se prive pas de vous inviter à découvrir ou redécouvrir la série Code Source réalisée en 2007 par Inria qui retrace l’histoire de l’institut depuis sa création en 1967. Profitons de l’occasion pour faire un zoom sur cette fameuse année 1969

Code_Source Inria_1969

 

Il y aura sans doute encore beaucoup d’autres contenus à découvrir en suivant le hashtag  #50ansinternet

Marie-Agnès Enard

Réseaux sociaux, le monde est-il si petit ?

Les réseaux sociaux sont des applications basées sur les technologies du Web qui offrent un service de mise en relation d’internautes pour ainsi développer des communautés d’intérêts.

TRANSCRIPTION DE LA VIDÉO

Production 4minutes34 et s24b pour le MOOC SNT de Class´Code, travail éditorial de SNJazur.

Cette vidéo introduit une des thématiques de l’enseignement en Sciences Numériques et Technologie de seconde au lycée, rendez-vous sur le MOOC SNT pour se former sur ce sujet, en savoir plus sur les notions abordées, les repères historiques, l’ancrage dans le réel, et les activités qui peuvent être proposées.

Numérique, matériaux, objectifs climatiques : l’impossible équation ?

Eric Drezet, ingénieur de recherche au CNRS au sein du laboratoire CRHEA à Sophia Antipolis, est membre du Groupement De Service EcoInfo : « Pour une informatique éco-responsable ». Il nous donne ici un aperçu des travaux réalisés par ce collectif de scientifiques. Lecture très utile pour celles et ceux qui – comme nous chez Binaire – veulent comprendre  les enjeux croisés de l’essor du numérique et de la préservation des ressources. Antoine Rousseau

Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rendu public, le 8 octobre 2018, une étude sur les effets d’un réchauffement global des températures de 1,5 °C. Ce rapport indique que pour atteindre cet objectif, les émissions nettes de CO2 mondiales doivent être nulles vers 2050 et celles d’autres gaz à effet de serre (GES) comme le méthane avoir considérablement réduit, alors que le G20 vient de battre un record d’émissions de CO2 en 2018.

Dans le but de réduire l’impact de l’utilisation des ressources naturelles, l’ONU a présenté le rapport d’un groupe d’experts universitaires et scientifiques lors de l’Assemblée générale du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) en mars 2019. L’extraction des ressources (métaux, minéraux non métalliques, combustibles fossiles, biomasse, eau) a plus que triplé depuis 1970 et l’utilisation des énergies fossiles a augmenté de près de moitié. Depuis 2000, l’extraction s’intensifie, tirée principalement par les pays asiatiques, mais aussi par les occidentaux qui ont encore besoin de 9,8 tonnes de matériaux par personne en 2017. L’UNEP estime que l’utilisation globale des matériaux va doubler entre 2011 et 2060, entraînant une hausse significative des émissions de GES.

La surexploitation des ressources © Eric Drezet

L’industrie électronique : dématérialisée ou sur-matérialisée?

Le développement du numérique entraîne des besoins en matériaux nouveaux pour des raisons d’esthétique, de gain de poids, de fonctionnalités, etc. Alors qu’en 1980, les TIC se contentaient d’une dizaine de métaux, trente ans plus tard, plus d’une soixantaine étaient utilisés selon l’OPESCT. Le rapport de l’UNEP constate une hausse de l’utilisation de minerais métalliques sur la période 2000-2015, ce qui accroît l’emploi des énergies fossiles et de l’eau. Près de 10% de l’énergie primaire mondiale sert à extraire et raffiner des métaux. De nombreuses études font état de conflits liés à l’eau suite au développement de l’extraction des métaux sur tous les continents : dégradation de la qualité et accès de plus en plus tendu dans des régions déjà arides. 90 % de la perte de biodiversité et du stress hydrique sont dus à l’extraction et au traitement des ressources naturelles [7] (matériaux, énergies fossiles et production agricole). Selon un rapport du World Resources Institute, plus d’un milliard de personnes vivent actuellement en situation de stress hydrique, ils pourraient être près de 3,5 milliards en 2025.

Les ressources naturelles dans les TIC © Eric Drezet

La demande en matériaux pour l’industrie électronique ne cesse de croître. La délocalisation de la production a entraîné l’effondrement des prix et l’explosion des ventes. Dans les foyers où on avait un seul ordinateur il y a 20 ans, on en trouve aujourd’hui souvent plusieurs, accompagnés de tablettes, smartphones, box, consoles de jeu… Une des plus fortes progressions concerne les smartphones qui sont de plus en plus sophistiqués. En 2017, il s’en est vendu 1,6 milliards d’unités. Ils ont généralement une durée d’utilisation de moins de deux ans car tout pousse à leur renouvellement (obsolescence, coût de réparation, marketing, pression sociale…). En fin de vie, le recyclage de métaux rares comme l’indium, le gallium, le tantale, les terres rares, est presque nul, ce qui accroît la pression sur les ressources. Dernier constat, la percolation des TIC dans tous les secteurs d’activités : l’électro-ménager, la voiture, la télévision, la médecine, l’agriculture, l’enseignement, la finance, le commerce, le transport, le tourisme, les services de l’État… Selon Bihouix et De Guillebon5, une part significative de la production mondiale de métaux rares est employée dans les TIC, c’est le cas de l’indium qui en consomme près de 80 % dans les écrans.

Consommer plus, c’est extraire plus, produire plus et émettre plus de GES

Entre 2000 et 2015, les effets sur le changement climatique et les impacts sur la santé induits par l’extraction et la production de métaux ont presque doublé. Alors qu’il faudrait l’abaisser, l’empreinte énergétique directe du numérique progresse chaque année et pourrait atteindre 8 % en 2025. Le poids de la fabrication pèse lourd dans la vie des produits électroniques : pour un smartphone elle représente 90 % de sa consommation énergétique totale et des émissions de GES 400 fois supérieures à l’utilisation pour une utilisation en France, sans compter l’usage d’Internet.

Un grand pas en avant © Eric Drezet

Le prélèvement des ressources est la clé

L’industrie électronique repose sur d’importantes quantités de ressources :

      • énergétiques : processus d’extraction, de fabrication, de transport, d’usage jusqu’au recyclage ; 
      • matérielles : fabrication des composants électroniques (métaux, plastiques, verre…) ;
      • chimiques : traitement des matériaux (minerais, composants électroniques, plastiques…) ;
      • hydriques : processus d’extraction des matériaux, élaboration des composants électroniques.

Quand on extrait une tonne de minerai, on ne récupère que quelques grammes d’un métal rare. À mesure que les concentrations baissent, les volumes de minerai extraits augmentent comme la quantité de déchets miniers. Pour extraire seulement six des cinquante métaux présents dans un smartphone, le volume de minerai représente 40 fois celui du produit fini10.

Les préoccupations concernant le cuivre et les métaux rares employés dans les TIC portent également sur des impacts toxiques. L’emploi d‘explosifs dans les mines, le traitement chimique des minerais, le drainage minier acide et le stockage des déchets miniers sont autant de sources de pollutions locales autour des sites d’extraction et de traitement.

De nombreuses études ont montré les gains énergétiques du recyclage des métaux. Ils sont supérieurs à 90 % pour l’aluminium, l’or, l’argent et juste en dessous pour le cuivre. Le recyclage n’est donc pas seulement un levier de préservation de l’environnement, de la biodiversité et des ressources, c’est également un enjeu énergétique et climatique. Mais il ne saurait seul couvrir la hausse de la demande.

Perspectives

Les tendances actuelles du numérique (intelligence artificielle, bitcoin, voiture électrique ou autonome, cloud…) sont-elles compatibles avec les contraintes environnementales et sociétales, alors que l’on sent poindre une conscience collective, notamment chez les plus jeunes ? Les objets connectés se répandent dans tous les secteurs d’activité, comme l’usage des TIC dans le grand public et l’entreprise, des pays émergents aux pays les plus avancés. Quelle part de ces milliards d’appareils sera recyclée en fin de vie ? Quelle amélioration pour notre qualité de vie ?

Les conclusions du rapport de l’UNEP prônent la nécessité d’augmenter l’efficacité des ressources, même si ce n’est pas suffisant. Il préconise de passer à une économie circulaire en étendant le cycle de vie des produits, en généralisant l’écoconception, la standardisation, le réemploi et le reconditionnement.

Boucles de rétroactions © Eric Drezet

Cela passe par la mise en place de politiques efficaces en matière d’utilisation rationnelle des ressources, de consommation et de production durables. En suivant ce tableau de marche, d’ici 2060 l’utilisation mondiale des ressources pourrait ralentir d’un quart et les émissions de GES pourraient baisser de 90 %.

Quelques pistes

Dans le secteur des TIC comme dans d’autres, il va falloir agir de manière globale car les enjeux sont systémiques.

Au niveau législatif, il est urgent de renoncer à la production de biens et d’équipements jetables, non durables, non réparables, non recyclables. La première étape consiste à appliquer une taxe proportionnée à leur impact environnemental et à terme en interdire la fabrication. La loi contre l’obsolescence devrait également être considérablement renforcée.

Au niveau industriel, le marché grand public avec ses produits à courte durée de vie, peu réparables techniquement ou économiquement, doit disparaître au profit d’un marché de qualité professionnelle. Les équipements doivent être robustes, évolutifs, facilement réparables à un coût modéré et alimenter l’économie circulaire en fin de vie.

Au niveau consommateur, il est temps de prendre conscience que le bonheur ne réside pas dans une consommation effrénée et délaisser les produits à courte durée de vie au profit de produits plus durables, plus respectueux de l’environnement.

Globalement, il est urgent de ralentir de manière très significative nos prélèvements en ressources non renouvelables et sanctuariser les puits de carbones naturels comme les forêts primaires tout en reboisant d’espèces adaptées les espaces non productifs. La finance devra proscrire le soutien des activités nuisibles à notre avenir. Tout est à repenser, réorganiser, restaurer dans le respect des limites évoquées.

E. Drezet  (Iaboratoire CNRS-CRHEA, Sophia Antipolis)

Ils ne savaient pas que c’était insoluble, alors ils l’ont résolu

Un nouvel « entretien autour de l’informatique », celui de Daniel Le Berre, Médaille CNRS de l’Innovation 2018, enseignant-chercheur en informatique à l’Université d’Artois, au Centre de recherche en informatique de Lens. Daniel Le Berre est l’initiateur et le développeur principal du solveur Sat4j, un logiciel libre utilisé par des millions de personnes à travers le monde. Cet article est publié en collaboration avec The Conversation.
Daniel Le Berre. Crédits : Frédérique PLAS / CRIL / CNRS

Binaire : tu es chercheur en intelligence artificielle. Comment devient-on chercheur en IA ?

Je suis un pur produit de l’Université. Je n’avais aucune idée de ce qu’était le métier d’enseignant-chercheur avant d’en rencontrer à la fac à Brest. J’ai été particulièrement impressionné par la diversité des connaissances en informatique de mes enseignants en licence et maitrise d’informatique et je me suis dit : quel métier formidable ; je veux faire ça ! Cela m’a donné envie de faire une thèse. J’ai choisi l’informatique car j’aime depuis le collège utiliser des ordinateurs (on avait un Bull Micral 30 à la maison pour faire la comptabilité de la ferme). Je suis de cette génération qui a eu la chance d’une initiation à l’informatique au lycée. Ça a disparu ensuite pour n’être réinstallé que depuis peu. Après Brest, je suis parti à Toulouse pour sa réputation en intelligence artificielle. C’est là que j’ai découvert le problème SAT autour duquel j’ai travaillé depuis. Après ma thèse, je suis parti en post-doc en Australie, c’est à cette période que j’ai découvert la conférence SAT au cours d’un atelier à Boston en 2001. Quelques semaines après mon arrivée à Lens en septembre 2001, on me proposait de co-organiser la compétition SAT. J’avais plongé dans le grand bain, le bain des grands !

B : on ne va pas faire durer plus le suspense. Si tu nous disais ce que c’est que ce fameux problème SAT, sans doute le problème le plus étudié en informatique. 

Le problème SAT est un problème parmi les plus simples des problèmes compliqués. 

Crédits : Yeatesh at the English Wikipedia [CC BY-SA 3.0]
Imaginez un immeuble avec des pièces éclairées par des ampoules. Chaque ampoule peut être éclairée par un ou plusieurs interrupteurs, dans une position donnée (ouvert ou fermé). Chaque interrupteur peut contrôler une ou plusieurs ampoules, et on connaît pour chaque ampoule les interrupteurs associés. Les interrupteurs sont au pied de l’immeuble. On cherche à éclairer toutes les pièces de l’immeuble. Ce n’est pas toujours possible (par exemple si l’on dispose de deux pièces reliées chacune seulement à une position différente de l’interrupteur, on ne pourra jamais éclairer les deux pièces en même temps). Dès que l’on associe plus de 2 interrupteurs à une ampoule, ce problème est difficile.

Un algorithme simple permet de résoudre le problème. On met tous les interrupteurs à off et on essaie. Si ça ne marche pas, on essaie ensuite toutes les configurations possibles avec un seul interrupteur à on, puis deux… Si j’ai 3 interrupteurs, cela fait 8 configurations à tester ; avec 4, ça en fait 16… A chaque interrupteur que j’ajoute, je double le nombre de configurations à tester. On vous parle souvent de croissance exponentielle dans les journaux. Là c’est vraiment exponentiel. C’est vite effrayant : dès que le nombre d’interrupteurs est plus grand que 270, le nombre de configurations à tester est plus grand que le nombre d’atomes dans l’univers !

SAT est une abréviation pour « boolean SATisfiability problem » ou en français « SATisfaisabilité de formules booléennes ». En résumé, on nomme problème SAT un problème de décision visant à savoir s’il existe une solution à une série d’équations logiques données. Un algorithme qui résout le problème SAT est appelé un solveur SAT. Je suis un spécialiste de ces solveurs SAT.

B : SAT est un problème très branché en informatique. Pourquoi ? A quoi ça sert de le résoudre ?

La raison de sa popularité est qu’il sert de problème pivot pour résoudre beaucoup d’autres problèmes : on traduit le problème original en SAT, on utilise un solveur SAT pour obtenir une réponse, et ensuite on interprète ce résultat par rapport au problème original. Cela fait des solveurs SAT des outils de résolution de problèmes combinatoires génériques.

L’application la plus visible du problème SAT est  la vérification de processeurs. C’est cette application qui a motivé à la fin des années 90 la conception des solveurs SAT modernes, capables de résoudre des problèmes avec des millions d’interrupteurs.  Un autre problème a donné lieu à beaucoup de travaux en Intelligence Artificielle au début des années 90, celui de la planification : choisir quelles actions effectuer pour atteindre un but étant données une situation initiale et une description des actions possibles. Des chercheurs ont montré qu’ils arrivaient à résoudre super efficacement le problème de planification avec des solveurs SAT. En fait, il y a tout un paquet de problèmes différents que l’on rencontre en pratique qui demandent des techniques semblables. On se rend compte pour une liste croissante de ces problèmes qu’une approche générique par traduction à SAT est plus efficace qu’une approche dédiée. Cela s’explique notamment par les performances impressionnantes des solveurs SAT actuels.

Le problème SAT est posé sur des variables qui valent 0 ou 1 (les positions des interrupteurs, on ou off). C’est simple un booléen et c’est facile à réaliser sur un ordinateur.  Du coup, on peut réaliser des solveurs vraiment bien optimisés. On a par exemple inventé des structures de données super intelligentes pour mémoriser ce qu’on a déjà appris ou ce qu’il nous reste à apprendre du problème posé. Et cela compense largement le fait qu’au lieu de travailler directement sur le problème original, comme la planification, on bosse sur une représentation du problème avec SAT.

Visualisation d’un problème SAT. Crédits : Daniel Le Berre

Le problème est finalement assez simple mais il faut se montrer très intelligent pour le résoudre rapidement. Il faut trouver des raisonnements plus intelligents que ceux consistant par exemple à vérifier l’une après l’autre les solutions possibles.

On fait même des trucs de plus en plus compliqués, comme de faire causer un solveur SAT qui cherche à trouver une solution et un autre qui essaie de montrer qu’il n’y en a pas. 

B : tu as reçu la médaille de l’innovation pour tes travaux sur le solveur SAT4j. Que fait ce solveur en particulier ?

SAT4j est mon troisième solveur SAT en Java, un langage de programmation très populaire chez les développeurs, mais pas dans la communauté SAT. Java n’est pas considéré comme particulièrement rapide alors que la rapidité est le coeur du sujet pour un solveur SAT, parce qu’il y a énormément de choses à calculer à l’intérieur. Alors, ça peut sembler une drôle d’idée de développer un solveur SAT en Java. Pourtant, Java est utilisé par des gens d’horizons divers. Il n’y a pas de raisons pour que les programmeurs Java, et c’est une énorme communauté, soient exclus de la technologie des SAT solveurs, que cette techno soit réservée aux programmeurs d’autres langages ! SAT4j a été conçu pour la communauté Java, pour y diffuser les avancées de la communauté SAT, et en appliquant les principes du génie logiciel que j’enseigne à mes étudiants. Depuis juin 2008, la plate-forme ouverte Eclipse, souvent connue comme un environnement de développement de logiciel mais encore plus utilisée par de nombreuses sociétés comme base de leurs outils, s’appuie d’ailleurs sur Sat4j pour résoudre “ses dépendances logicielles”  : savoir quels composants sont nécessaires pour ajouter une fonctionnalité particulière, sachant qu’ils ne sont pas tous compatibles. Du coup, Sat4j est sans doute le solveur SAT le plus utilisé dans le monde.

J’ai juste mis les résultats d’une communauté scientifique  à la portée d’un public très large.

B : quand on parle d’IA aujourd’hui, on veut souvent dire apprentissage automatique ou réseaux de neurone. Ton IA à toi se situe ailleurs. Où ?

Mon labo est spécialisé en “Intelligence artificielle symbolique” : on formalise le raisonnement, en particulier le raisonnement mathématique. Cela nous permet de faire des outils qui obtiennent automatiquement des preuves. Les solveurs SAT permettent d’obtenir des raisonnements dans une logique très pauvre. Mais nous nous intéressons aussi à des raisonnements dans des logiques plus sophistiquées, en rajoutant des ingrédients aux fils et interrupteurs de départ. Nous sommes là en plein dans l’intelligence artificielle.  

Un avantage par rapport aux approches d’apprentissage statistique, c’est qu’avec l’IA symbolique, on peut expliquer les résultats : on dispose des étapes du raisonnement, des preuves, ce qu’on n’a pas avec les résultat d’un réseau neuronal. Évidemment, quand on n’y arrive plus avec l’IA symbolique, on peut essayer avec de l’apprentissage automatique. Dans de nombreuses applications, on combine d’ailleurs ces deux types d’approches. 

Quand j’étais en thèse je faisais un truc qui ne servait à personne, qui n’était pas du tout sexy à l’époque, car on ne pouvait résoudre que des problèmes avec quelques centaines d’interrupteurs.  Cependant, chacun apportait sa contribution à l’enrichissement des connaissances, qu’elles soient théoriques ou pratiques.  En 2001, à partir de toutes les connaissances accumulées jusque là, des étudiants de master de Princeton ont fait progresser considérablement le domaine en construisant un solveur fondé sur un excellent compromis entre complexité et efficacité. Il y a vraiment eu un avant et un après ce solveur.  Cela a permis de résoudre certains problèmes avec des dizaines de milliers d’interrupteurs, une vraie révolution pour l’informatique. L’apprentissage automatique a apporté une autre révolution, beaucoup plus médiatisée celle-là.

Mais l’intelligence artificielle a de nombreuses facettes. Attendez-vous à voir arriver d’autres révolutions en informatique.

Serge Abiteboul (@sergeabiteboul) et Charlotte Truchet (@chtruchet)

Retrouvez Daniel Le Berre sur twitter : @dleberre