Prince Des Tenebres, Porteur de - Emily Walker
Prince Des Tenebres, Porteur de - Emily Walker
Prince Des Tenebres, Porteur de - Emily Walker
by
Emily Walker
B.A., University of Victoria, 2013
MASTER OF ARTS
All rights reserved. This thesis may not be reproduced in whole or in part, by photocopy
or other means, without the permission of the author.
ii
Comité de mémoire
Prince des Ténèbres, Porteur de lumière : Une exploration des représentations du Diable
en tant qu’ange déchu en France au XIXe siècle
par
Emily Walker
B.A., University of Victoria, 2013
Comité de mémoire
Résumé
Comité de mémoire
Table de matières
Remerciements
Je tiens à remercier mon directeur de mémoire, Dr. Emile Fromet de Rosnay, pour ses
seconde lectrice, Dr. Eva Baboula, pour avoir accepté de participer dans cette étude
diabolique et qui m’a donné sa patience et ses conseils précieux. Mes remerciements vont
aussi à mon examinatrice externe Dr. Mary Elizabeth Leighton. J’aimerais remercier
Je remercie fortement mes parents qui m’ont donné leur confiance et leur amour, et ma
sœur qui m’a aidé avec son soutien inépuisable et qui m’a remonté le moral quand j’en
avais besoin.
Le plus grand merci se tourne, sans doute, vers Dylan, qui a toléré mon radotage
diabolique et qui m’ont encouragé dans les moments les plus difficiles. Sans ses mots de
Acknowledgements
I would like to thank my supervisor, Dr. Emile Fromet de Rosnay for his advice,
support and encouragement. I would like to sincerely thank my second reader, Dr. Eva
Baboula, for having accepted to participate in this study and who gave me her patience
and her precious advice. I would also like to thank my external examiner Dr. Mary
Elizabeth Leighton. I would like to equally thank all my friends and colleagues in the
Department of French.
I strongly thank my parents for giving me their confidence and their love all these years,
and my sister who supported me constantly and who kept me smiling over these years.
The biggest thanks goes, without a doubt, to Dylan, who put up with my diabolical
ramblings and who encouraged me in the most difficult moments. Without his words of
motivation and love, this study never would have been achieved.
ix
Dédicaces
Dedication
n’y a pas forcément un seul Diable, plutôt nombreux diables : on peut trouver des traces
l’Islam. Dans ce mémoire, il s’agit surtout du Diable dans le contexte chrétien car la
tradition chrétienne et sa philosophie ont été les plus énoncées dans la conceptualisation
du Mal au moyen du personnage du Diable1. Il convient de noter, par ailleurs, que toutes
Sainte Bible.
ne peut qu’appeler le Mal dans ma vie et dans celle de mes proches. Le Mal reste toujours
inexplicable, une chose universelle dont chaque âme épreuve d’une manière individuelle.
Cette étude ne tente pas de répondre à la question de l’existence du Mal, ni d’en fournir
une explication. Elle n’a pas pour but non plus de récapituler des événements historiques
du XIXe siècle en France, ni de reformuler toutes les représentations et les études traitant
-E.M.W
1
Russell, Jeffrey Burton. Mephistopheles: The Devil in the Modern World. Ithaca, NY : Cornell UP, 1986. 11.
2
INTRODUCTION
Le Diable continue, depuis des siècles, à captiver les esprits philosophes, littéraires et
artistiques. Son personnage possède une richesse qui provient de l’entrelacement de ses
origines bibliques, son importance théologique et philosophique ainsi que des dizaines de
milliers d’œuvres artistiques et littéraires qui sont nées de son iconographie. Comme met
de l’avant Jeffrey Burton Russell, le Diable est par ailleurs essentiel pour comprendre la
maléfique à un Dieu bienveillant. Quand les Lumières ont affaibli le pouvoir de l’église,
le Diable était libéré de ses contraintes religieuses : il a cessé d’être une personne et est
devenu une personnalité, un personnage qui peut occuper divers rôles (Russell,
Mephistopheles 156). Face à l’incertitude, « cet ordre nouveau qui voit s’affaiblir
l’autorité de l’Église, mais aussi face à l’idéologie révolutionnaire qui dévie en Terreur,
des hantises archaïques apparaissent » (Faton 4). Le malheur a noirci les années de la
malheur, cette violence dont chacun témoignait, les esprits artistiques à cette époque sont
indifférente voire antipathique. Or, dans certaines œuvres artistiques traitant du Diable au
XIXe siècle, on remarque des traces compatissantes indiquées par l’angoisse exprimée sur
le visage. Il ne s’agit pas, dans ces œuvres, du Diable bestial : les artistes présentent le
sujet sous forme d’un ange déchu, au corps humain. Cette étude explorera quatre
représentations du Diable dans cette forme d’ange déchu : L’Ange déchu de Cabanel,
L’ange déchu / L’homme ailé / Vers la lumière, et « Depuis quatre mille ans il tombait
dans l’abîme » une illustration de Laurens pour La fin de Satan. Il convient de noter que
ces quatre œuvres ont été choisies pour la présente étude en raison de leur proximité
chronologique, entre les années 1847 et 1890 ; leur composition, un portrait dont le
Diable est la figure principale ; et leur présentation du Diable en tant qu’ange déchu sous
forme humaine.
diverses manières dont le Diable est représenté en tant qu’ange déchu chez les artistes
français au XIXe siècle, notamment chez Cabanel, Doré, Redon et Laurens. Nous
discuterons également de quels facteurs on peut tenir compte pour expliquer ces
premier chapitre, nous présenterons des difficultés inhérentes aux études diaboliques et la
façon dont les critiques principaux abordent ces problèmes. En discutant des recherches
principales traitant du Diable, celles de Graf, Muchembled, Pagels et Russell entre autres,
nous examinerons la division entre celles qui se basent à la fois sur les sources textuelles
et d’autres tirant des ressources visuelles. Nous indiquerons qu’il y a une lacune dans
4
cette littérature et qu’il faut incorporer les deux types de données dans les études
fourni par ce développement guidera notre analyse au chapitre suivant. Nous conclurons
Dans le deuxième chapitre, nous fournirons une analyse de chacune des œuvres à
l’étude dans un ordre chronologique. Avant de présenter l’analyse de chaque œuvre, nous
offrirons une notice bibliographique non exhaustive de l’artiste qui vise à souligner les
faits saillants qui ont influencé la production de l’œuvre à l’étude. De plus, nous situerons
chacune des œuvres de l’artiste dans l’ensemble de leurs travaux pour mieux suivre la
progression du concept de l’ange déchu dans l’imaginaire artistique. Pour chaque œuvre,
indiqué dans la composition. Nous démonterons les divergences dans les représentations
du Diable en tant qu’ange déchu et nous verrons qu’il existe des similitudes entre les
quatre œuvres, malgré la diverse formation des artistes. Nous discuterons des thèmes
principaux des quatre œuvres, dont l’isolement, le moment transitoire dans la chute et les
Dans le troisième chapitre, nous proposerons une explication pour les quatre
les artistes comme motif pour exprimer leur angoisse dans un monde instable. L’étude de
déchu, peut être compris comme une interprétation artistique de la place de l’homme dans
le monde moderne.
6
Chapitre 1 : LA PROBLÉMATIQUE
conceptuel sera présenté. Dans la section 1.1, les problèmes inhérents des études
diaboliques seront discutés. Nous aborderons la difficulté inévitable dans les nombreuses
Prince des Ténèbres, ainsi que la complexité de l’étude des anges déchus dans un
contexte diabolique. Dans la section 1.2, nous examinerons les ouvrages les plus
pertinents traitant de l’étude du Diable et la manière dont ils se divisent entre ceux qui
richesse, qui exige, c’est du moins notre propos, une étude interdisciplinaire. À cet
égard, nous suggérerons qu’il est possible de passer les limites des mouvements
artistiques afin de mieux fournir un aperçu compréhensif et cohérent. Dans la section 1.3,
dès ses origines angéliques dans l’Ancien Testament comme l’adversaire à sa disparition
limite au XVIIIe siècle. Nous observerons la manière dont les représentations artistiques
qu’occupe le Diable dans la pensée populaire à certaines époques. Dans la section 1.4,
nous présenterons les objectifs de la recherche et les questions de recherche qui les sous-
tendent.
7
1.1 Les problèmes inhérents des études diaboliques
passé lointain. Parler du Diable, il ne s’agit pas d’une discussion singulière de Satan que
l’on considère le diable principal de la Bible, reconnu d’ailleurs comme le roi de l’enfer,
le Prince des Ténèbres . Il est difficile de déterminer si ce même Satan renvoie au serpent
rusé qui a séduit Ève au jardin d’Éden, ayant pour conséquence la chute de l’humanité.
utilisées de façon interchangeable tandis que d’autres apparaissent bel et bien dans les
contextes précis où elles renvoient aux personnages distincts. Ainsi dans l’étude du
Diable, est-il surtout question du concept du Diable et de tout ce qu’il englobe, y compris
résultant de son existence – ou l’absence de son existence – ainsi que les créations
l’idée du Diable ou bien, comme le maintient Russell, les quatre modes2 du Diable.
Diable existe en tant que 1) une entité indépendante de Dieu 2) un aspect de Dieu 3) un
être qui a été créé, un ange déchu, et 4) un symbole du Mal humain (Russell,
Mephistopheles 23). On peut se servir de ces modes en tant qu’un cadre conceptuel à
travers lequel il est possible de mieux comprendre la manière dont le concept du Diable
2
Terminologie empruntée à Russell (Mephistopheles: The Devil in the Modern World. Ithaca, NY : Cornell
UP, 1986.) : ce terme désigne la manière ou les fonctions de l’existence du Diable.
8
et les représentations artistiques subséquentes développement. Plusieurs critiques
discorde/le désaccord subséquents participent en créant une tradition dont, petit à petit,
certaines opinions et représentations ont été retenues et d’autres ont été débarrassées
lorsqu’on aborde les anges déchus. Il convient de noter que les anges déchus ne sont pas
tous envisagés comme étant le Diable. Dans cette optique, le Diable n’est pas non plus
caractérisé toujours comme ange déchu. Or, nous avançons qu’aucune représentation
d’un ange déchu ne peut être séparée de cette tradition historique et de ce mythe
implicitement une connotation, ou bien un renvoi, religieux. Être déchu, c’est tomber,
c’est perdre son grade. Dans le contexte angélique, on peut considérer le Diable comme
Étant donné que le concept du Diable est millénaire, une analyse approfondie de
culturelles et historiques, serait une tâche herculéenne. Ainsi la plupart des critiques se
médiévaux, et aux des bornes chronologiques telles que les représentations avant le siècle
des Lumières (voir, entre autres, Arasse, Carus, Wray). Certains chercheurs, dont Elaine
Pagels3 et Arturo Graf4, centrent leurs études sur la signification théologique du Diable :
ils étudient ainsi une manifestation très spécifique du Diable, c’est-à-dire le Diable judéo-
chrétien tels qu’il apparaît dans la Bible hébraïque et chrétienne. Dans son œuvre, Pagels
examine les origines du Diable avant l’ère chrétienne et continue jusqu’à la dernière
moitié du XIIe siècle : elle propose que le Diable représente la philosophie de « nous
contre eux » dans le contexte judéo-chrétien. Si Pagels présente les implications sociales
et le rôle du Diable dans un sens plus large, elle n’entre pas dans les ramifications
3
Pagels, Elaine. The Origin of Satan. New York : Random House, 1995.
4
Graf, Arturo. L’Art du Diable. Trad. Pierre Baril. New York : Parkstone Press International, 2009.
10
Les travaux comprenant une analyse au-delà de cette époque-là sont ceux de
Robert Muchembled5 et de Jeffrey Burton Russell6, qui ont pour but d’examiner le
concept plus général du Diable et la façon dont ce concept s’enrichit au cours des siècles.
Muchembled commence son analyse au XIIe siècle, ce qui ignore les racines les plus
médiévale. Son histoire illustrée fournit une progression artistique des images
diaboliques, ceci dit le Diable en tant qu’ange déchu est notamment absent de son œuvre :
Muchembled présente des images plus reconnues du Diable cornu et fendu. Il convient de
noter, par ailleurs, que l’analyse des représentations diaboliques de Muchembled s’avère
l’explique Russell, chacune de ces dénominations méritent un contexte bel et bien précis
(Mephistopheles 23).
jours. Bien que les recherches antérieures du Diable semblent être non exhaustives, c’est-
à-dire, que toutes les représentations ne sont pas prises en compte, Russell réussit à
période de la Réforme jusqu’au présent, Russell note la présence d’une grande variété des
5
Muchembled, Robert. Une histoire du diable: XIIe-XXe Siècle. Paris : Éditions du Seuil, 2000.
6
Russell, Jeffrey Burton. Mephistopheles: The Devil in the Modern World. Ithaca, NY : Cornell UP, 1986.
11
« diables romantiques » qui sont aussi diversifiés que les auteurs romantiques. En tenant
compte de ceci, Russell examine l’image aux multiples facettes du Diable ainsi que les
raisons possibles de son existence. Dans son cinquième livre The Prince of Darkness, il
afin de représenter le changement d’attitude au cours des siècles. Les œuvres qui entrent
tendance de ne focaliser que sur l’aspect visuel et non sur les implications culturelles. Le
Diable sa forme reconnue. Sooke conclut sa présentation avec une analyse d’une œuvre
datant du XVIe siècle : il ne discute pas des représentations ultérieures car il s’intéresse
plutôt à l’image stéréotypée du Diable que celles qui sont plus modernes. De l’autre part,
l’œuvre de Muchembled considère des images qui ne sont pas typiquement diaboliques, y
compris le Diable en tant que femme et le Diable de nos jours. Les deux travaux
présentent bien les différences visuelles qui changent et transforment au fur et à mesure,
Il existe plusieurs complexités dont les frontières qui se chevauchent entre ce que
l’on considère le Diable « biblique » et celui du concept du Diable qui comprend les
histoires folkloriques et mythiques qui lui entourent. Bien que le Diable au XIXe siècle
soit pratiquement retiré de son importance religieuse, ce n’est pas dire que l’on peut
entièrement ignorer ses origines bibliques. Elles représentent la base de laquelle sort le
7
How the Devil Got His Horns. Dir. Alastair Sooke. BBC, 2012.
12
e
concept plus large du Diable. On ne peut guère étudier le Diable au XIX siècle sans ces
racines bibliques et mythiques car chaque niveau du développement, dès son apparence
dans les traditions avant le christianisme jusqu’au moment où son importance diminue
cette complexité, il faut étudier le Diable à travers l’Histoire qui ne formule pas les
telles que la mythologie, l’art et la littérature (Russell, Prince 23). Le Diable au XIXe
siècle, en particulier sous forme de l’ange déchu à l’étude, est en fait l’aboutissement de
siècle.
Dans la section suivante, nous tracerons l’évolution du Diable dès son apparence
dans l’Ancien Testament en se concentrant sur les aspects angéliques de son personnage.
Nous discuterons des deux représentations précoces du Diable : une qui le représente
d’une manière ambivalente sous forme d’un ange et une qui signale le développement de
son personnage sur le plan artistique, c’est-à-dire, l’ajout des caractéristiques jugées plus
façon dont les aspects angéliques du Diable sont repris par les artistes afin de représenter
esthétiquement la chute des anges. En étudiant les représentations du Diable qui ont été
faites avant le XIXe siècle, on peut reconnaitre la manière dont l’imaginaire artistique a
13
contribué au développement du concept du Diable, à travers lequel on peut mieux situer
Il est possible de discerner, dans d’autres religions, voire les précoces, les traces
du personnage diabolique, mais ce n’est que dans le judaïsme, puis dans le christianisme
qu’apparaissent les qualités et les caractéristiques que l’on y associe d’habitude (Graf
15). Or, dans la Bible hébraïque, soit l’Ancien Testament, le Diable, que l’on appelle
dans ce contexte Satan, n’est pas l’être maléfique de l’occident que l’on connaît de nos
jours. En fait, dans les apparitions les plus anciennes du Diable dans l’Ancien Testament,
le Diable n’est pas mauvais ; il est plutôt un serviteur obéissant de Dieu qui occupe une
variété des rôles : messager, obstacle et adversaire (Forsythe 107). C’est bel et bien ces
Diable. Loin de la figure maléfique s’opposant à Dieu que l’on constate dans les années
qui suivent, le Diable dans l’Ancien Testament occupe un rôle très différent.
Une des premières apparitions du mot que l’on reconnaît de nos jours comme
satan se trouve dans Nombres au moment où « l’ange de l’Eternel se plaça sur le chemin
pour résister [à Balaam] » (Nombres 22 :22). Dans la version hébraïque, l’ange se place
en tant que l'sä†än lô, un substantif qui signifie « ce qui oppose, obstrue » ou
pas bien, une obstruction est une bonne chose (Forsythe 109). Ce terme qui indique un
adversaire ou une obstruction a été ensuite traduit en grec comme diabolos, dont provient
14
le mot « diable » (Pagels 39). À son sens propre, l'sä†än lô n’indique pas un être
malfaisant, mais plutôt un rôle ou une obligation spécifique que donne Dieu.
Diable. Dans le Livre de Job, le Diable joue le rôle du messager, « il arriva auprès de Job
un messager » (Job 1 :14), mal’ākh en hébreu qui se traduit à ángelos en grec. Dans ce
contexte, le Diable n’est pas un opposant à Dieu, mais plutôt un bəәnê hāʼĕlōhîm, un terme
hébraïque qui signifie « un des êtres divins » ou « fils de Dieu » (Pagels 39) ; le Diable
était ainsi membre de la court céleste. Ce n’est que lorsque les séparatistes radicaux, qui
ont voulu la séparation d’Israël des influences étrangères8, commencent d’utiliser le satan
afin de caractériser leurs opposants que cet ange se transforme en figure maléfique que
personnage du Diable, mais aussi de son rôle. À cause de cette appropriation de noms
traduits, on mélange souvent ce que l’on considère des aspects, ou bien des facettes,
différents du Diable. Parler d’un Diable qui ne fait que son rôle dans la court célestielle,
ce ne soit pas une discussion d’un être qui fait du mal de sa propre volonté. De plus, un
Diable aux origines angéliques est très différent qu’un être né de l’Enfer. Cette ambiguïté
vis-à-vis du nom, des origines et du rôle du Diable fournit aux esprits artistiques ainsi que
littéraires une créativité et une flexibilité. Malgré cela, ce n’est qu’au XIXe que l’on
important qui déclenche des histoires variées en ce qui concerne ses origines. Quelques
8
Pour en savoir plus, consultez Pagels, Elaine. The Origin of Satan. New York : Random House, 1995. 47-8.
15
sectaires empruntent, adaptent ou bien créent des histoires qui racontent la façon dont
l’arrogance et l’orgueil ont initié la chute du Ciel (Pagels 47). Une histoire qui domine
toutes les variantes suggère que le Diable a occupé un poste élevé dans la hiérarchie
céleste, mais il a fait preuve d’insubordination et a été ainsi expulsé du Ciel. Cette
Ce passage, qui raconte en fait la chute d’un prince, constitue la base de l’aspect
latin (Pagels 48). On remarque la présence de l’orgueil qui précipite la chute : le sujet du
passage tente d’être « semblable au Très-Haut », mais ceci n’est pas possible et il tombe
dans « les profondeurs de la fosse ». Dans ce passage, il existe les thèmes universels de
d’obscur, ainsi le mythe de la chute des anges émerge-t-il dans les origines du
christianisme.
Alors que ces traces bibliques élaborées se sont vues développées, il n’y avait pas
de consensus général vis à vis du rôle précis qu’exerce le Diable : en raison de ce manque
personnage aux multiples facettes, que l’on reconnaît comme personnification du Mal,
Le VIe siècle était une période critique pour le christianisme : son iconographie
n’était pas bien établie, la crucifixion n’était pas encore un motif central et les choix des
Selon Hughes, il se peut que la plus ancienne version du Diable en art chrétienne se
trouve à Rome dans la catacombe de Saint Pierre et Saint Marcellinus. Il s’agit d’une
fresque9 datant du IIIe siècle qui représente le Diable en tant que serpent enroulé de
l’arbre de la connaissance du bien et du mal10. Ceci dit, comme le rapport entre le serpent
et le Diable n’a pas été encore constaté, on peut suggérer que cette analyse est
Parmi toutes les mosaïques qui y sont retrouvées, il en existe une qui est plus petite au
sein de laquelle est présentée la scène biblique du dernier jugement (Figure 1)11. Cette
scène fait référence au passage dans l’évangile selon Matthieu qui décrit la séparation des
9
Voir de Montebello, Phillipe. The Vatican : Spirit and Art of Christian Rome. New York : Metropolitan
Museum of Art, 1983. 366
10
Voir Stevenson, James. The Catacombs: Rediscovered monuments of early Christianity. London : Thames
and Hudson, 1978.
11
Nous remarquons que cette mosaïque est peut-être la representation la plus ancienne du dernier jugement.
Dans cette mosaïque, le Diable fait partie de la composition: ainsi s’avère t-il un concept que l’on cherche
sur le plan visuel au lieu d’un sujet autonome que l’on reconnaît facilement.
17
Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera
les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les
brebis d’avec les boucs;
Et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.
(Matthieu 25:31-33)
Dans cette mosaïque, Jésus-Christ s’assoit sur un trône entre deux anges, à son droit celui
de l’abandonné. Différent du
plus rudimentaire. Malgré le fait qu’il représente l’obscurité, cet ange brille d’une
manière éclatante. De plus, il importe à noter que cet ange est placé dans l’avant scène ce
qui semble souligner non seulement sa grandeur, mais aussi son importance. Nul ne peut
nier ni confirmer par contre s’il s’agit dans cette mosaïque de la représentation la plus
autre scène du dernier jugement sur l’île de Torcello dans la cathédrale de Santa Maria
Assunta (Figure 2). Dans cette mosaïque immense qui couvre un mur entier, il est évident
que l’Enfer existe en tant que partie fondamentale de l’hiérarchie cosmique (Sooke). Au
centre de la rivière fougueuse de l’Enfer s’assoit une figure bleue avec une barbe
sauvage. Il est entouré d’une multitude des démons ailés ainsi que les têtes désincarnées
des pécheurs. Deux anges rouges protègent l’entrée, portant des lances qui poussent les
âmes malheureuses. De nouveau, la couleur bleue est répandue dans la scène, une
juxtaposition distincte contre le rouge ardent de l’Enfer. Bien que tous les yeux soient
fixés ailleurs dans la scène, ceux de l’homme bleu regardent devant lui, peut-être dans le
13
Il existe, bien entendu, d’autres représentations du Diable entre la mosaïque de Ravenne et celle de
Torcello. Dans le cadre de cette étude, il n’est question que ces deux représentations pour mieux suivre le
développement de l’iconographie du Diable.
19
rappeler au fidèle « ce qui l’attend s’il ne mène pas une vie chrétienne et vertueuse »
(Arasse 15).
religions précoces. Les premiers chrétiens ont bien compris que les dieux païens
existaient en tant que démons, il y avait ainsi une « demonization of what was once
divine » (Dr. Sophie Lunn-Rockliffe cité par Sooke). Ces anciennes religions, y compris
leurs dieux et leur aspect sauvage fournissaient un prototype de ce qui sera plus tard le
Diable médiéval. En faisant recours aux images déjà établies et en cooptant certains
attributs des dieux païens, les premiers chrétiens ont indiqué leur croyances au moyen de
dieu Pan. Créature sauvage et incontrôlable, Pan donne au Diable sa forme reconnu :
cornes de bœuf, les oreilles d’une âne, les jambes et les pieds ressemblaient aux sabots
d’un chèvre (Graf 24). Des images plus anciennes étaient imprégnées de nouvelles
caractéristiques, ce qui créait une figure plus maléfique, « l’apparence du Diable rappelle
tout ce qui est inhumain » (Arasse 15). Le Diable s’est mis à s’éloigner progressivement
Dieu, il devient un opposant malveillant. Il est une figure autonome qui savoure la
souffrance et le tourment qui lui entoure. De la même manière que ses actions et son rôle
plus sur la chute, mais plutôt sur les conséquences et la punition subséquente.
la chute, il y a plutôt une fixation sur le Diable dans l’Enfer. Alors que le pouvoir de
l’église augmente, le bel ange d’Ésaïe et l’ange bleu de Ravenne disparaissent, perdus
dans l’Enfer fougueux. L’image bestiale du Diable est non seulement monstrueuse, mais
aussi facile à retenir, ayant pour résultat une fonction didactique pour démontrer un
changé d’une figure assez neutre qui était un serviteur de Dieu à une figure malin qui est
représentations artistiques qui, au cours des décennies, ont supprimé les caractéristiques
plus angéliques et ont souligné celles qui indiquent la malveillance. Dans la prochaine
section, nous aborderons une représentation du XVe siècle qui reprend les thèmes
angéliques et met en valeur l’ange déchu et l’histoire de la chute. Ceci dit, il n’est pas
14
Il est à noter que l’image populaire de l’Enfer au Moyen Âge consiste d’un endroit fermé et très étroit,
débordant de pécheurs sans beaucoup d’espace. Voir fol.39r du Psautier d’Henri de Blois.
21
1.3.3 La transformation du Diable dans Les Très Riches Heures du duc de Berry
Commandé aux frères Limbourg vers 1410-1412, le livre d’heures Les Très Riches
psaumes pénitentiaux se
tournés à l’envers, vers le bas Figure 3 Très Riches Heures du duc de Berry – La chute
des anges. Pol, Jean et Hermann Limbourg. XVe siècle.
de la page. On note bien les
Musée Condé, Chantilly, France. Fol. 64.
sièges vides où ils
15
Il est suggéré que les frères Limbourg s’inspirent de l’œuvre qui s’appelle Les Anges Rebelles d’un peintre
italien anonyme car les deux œuvres ont une composition très semblables. Voir « Maître des anges
rebelles » notice sur cartelen.louvre.fr.
22
s’assoyaient auparavant. Encore une fois, on remarque la prédominance de la couleur
bleue. Un matériau cher, la couleur bleue était un choix convenable pour un manuscrit de
luxe chargé par un noble très riche. Il est aussi possible que, dans cette miniature il
indique l’ancienne nature céleste des anges déchus, au lieu de l’obscurité et le Mal
présents dans les ancienne représentations. Les frères Limbourg en profitent afin
d’insister sur le fait qu’il s’agit bel et bien des anges et non pas des démons (Mane 93).
Dans un jeu de perspective forcée, les anges rebelles s’élargissent vers le bas de la page :
la figure la plus large et la plus centrale est celle du chef des anges, l’ange déchu, Lucifer
(Figure 4).
Distinct des autres anges descendants, Lucifer est couronné, indice de son ancien
grade. Les panaches de fumée dorée sont plus grandes que celles de ses compagnons et,
apparence diabolique et
Figure 4 Très Riches Heures du duc de Berry – détail le
roi des anges déchus. Fol. 64. maléfique qui avait gagné en
popularité dans les années précédentes. Ses mains sont élégantes, son visage apollonien et
expressif est encadré d’une chevelure dorée. Les sentiments qu’exprime cet ange ne sont
23
pas bestiaux, mais humains. Le froncement de sourcils et le tortillon de la bouche
indiquent une angoisse sans précédent. Il est possible donc que les artistes aient
Or, un peu plus tard dans le même manuscrit, il existe une autre image du Diable :
cette fois-ci il apparaît dans le forme plus connu d’une grande bête cornue et fendue
(Figure 5). On déduit qu’il s’agit de la même figure dans les deux images en raison de la
maintenant déformés et
fumée montent vers le ciel, Figure 5 Très Riches Heures du duc de Berry – L’Enfer.
rappelant celles dorées des Pol, Jean et Hermann Limbourg. XVe siècle. Musée
Condé, Chantilly, France. Fol. 108.
anges rebelles. Il n’y a aucune
24
trace du bleu ni de l’or pur : tout est noirci par le gris et le noir, sauf la couronne dorée du
Le visage du Diable, autrefois sans rides et expressif, n’est plus humain, sans plus
de trace de son angoisse (Figure 6). Ses mains et ses pieds se sont transformés en griffes
sentiments de sympathie
l’importance artistique en ce qui concerne les origines du Diable, mais aussi encadre la
complexité de son personnage, ange déchu, démon, Satan le roi de l’Enfer, Lucifer
25
l’archange rebelle. La tragédie est évidente dans cette transformation d’un bel ange, dont
le visage exprime une angoisse et une peur, à une bête monstrueuse qui dévore les âmes
damnées. En créant ces deux scènes juxtaposées, les frères Limbourg représentent la
Sous ce rapport, on comprend que les artistes se servent de l’aspect externe, soit
physique, afin de représenter l’aspect interne, soit l’état de l’âme. La chute du Diable du
transforme ainsi pour externaliser la corruption de son âme. Est-il possible que la
deuxième miniature traitant du Diable dans Les Très Riches Heures du duc de Berry, qui
dépeint d’une manière très vive les effets physiques de la chute, puisse être interprétée
comme étant un jugement, un châtiment ou bien une punition justifiée pour la révolte des
anges ? Dans cette optique, que signifie les portraits des anges déchus qui gardent leur
Après le coup de génie de Michel-Ange qui a créé une représentation des démons
aux traits humains dans son Dernier jugement, le Diable « n’est plus pensé, par les
humanistes, que comme une superstition ; le vrai Diable, il est en l’homme » (Arasse 17).
apparaît moins sous forme bestiale : ses traits extérieurs indiquent l’état de l’âme déchu.
Diable, parmi la vaste collection des œuvres traitant du Diable, qui illustrent les
Il est près de deux mille cinq cent ans plus tard après le passage d’Ésaïe, que
l’histoire riche de la chute des anges est adaptée par Milton dans son œuvre Le Paradis
perdu (1667). Dans cette épopée, Milton s’inspire de l’histoire traditionnelle de la chute
des anges et de l’humanité afin de créer une œuvre si « coherent and compelling that it
became the standard account for all succeeding generations » (Russell 95). Le Diable
dans le Paradis perdu est sans doute un des portraits les plus complexes et approfondis :
Milton lui donne non seulement une histoire élaborée, mais aussi une voix.
Le Diable chez Milton est un génie de mots, bien articulé et éloquent, ses discours
sont d’une qualité shakespearienne qui met en valeur la complexité de son personnage.
De la même manière que les frères Limbourg ont crée un portrait artistiquement
égocentrique, il ignore l’existence de tout autre créature. Mais avant tout, le Diable
are human and powerful because the poet drew that dark power from the depths of his
own psyche » (Russell 97). Cette humanisation continue dans la représentation physique
du Diable et des démons chez Milton qui « conservent dans leur chute encore bien des
vestiges de leur beauté et leur majesté originelles » (Graf 46). De ce fait, Milton met en
base dont les artistes et les écrivains au XIXe élaboreraient le thème de la volupté
séduisante.
27
L’histoire traditionnelle du Diable, y compris la guerre en Ciel, et la chute des
anges rebelles, a continué à être une source d’inspiration pour les œuvres artistiques et
littéraires après le succès du Paradis perdu (Russell 92). Grâce à ce portrait approfondi
que crée Milton, on s’intéresse encore à la chute elle-même, et non seulement aux
anges » (Graf 9). Mais pourquoi considère-t-on ce mythe comme étant si captivant ? Est-
il possible que l’histoire tragique de ces anges qui ont cherché le libre arbitre donne
forme aux questions théologiques qui rendent perplexes. Malgré le fait que tant plus des
anges sont tombés au même moment du Diable, ce n’est que ce dernier qui serait bien
Ce projet se concentre sur l’étude des représentations des anges déchus dans le
contexte diabolique. Bien qu’il existe plusieurs œuvres qui étudient le Diable, à la fois
comme un concept théologique ainsi qu’un motif artistique, peu considèrent cet aspect
angélique de son personnage. En particulier, des critiques ont tendance à axer leurs
analyses sur le développement du Diable dès ses origines avant christianisme jusqu’aux
vues affaiblies à cause de la philosophie rationaliste des Lumières (Russell 12). Une
grande diversité est ainsi présente non seulement dans la variété des œuvres traitant du
Diable, mais également à l’égard des diverses manières dont le sujet est discuté.
Dans une tentative de combler l’écart entre les œuvres qui étudient le développement
physique des représentations artistiques du Diable, mais qui n’entrent pas dans les détails
culturels, et celles qui présentent une analyse plus théologique, mais qui ignorent les
28
e
représentations artistiques, surtout au XIX siècle, ce projet vise à répondre aux questions
suivantes :
◊ De quelle manière le Diable en tant qu’ange déchu est-il représenté dans les
Dans ce chapitre, nous avons présenté, d’une part, les problèmes sémantiques des
études diaboliques et, d’autre part, les critiques antérieures les plus pertinentes qui
L’Ancien Testament à la reprise du mythe de la chute des anges par Milton dans Le
Ce chapitre comporte cinq parties. Dans la section 2.1, nous examinerons L’ange
représentation particulière du Diable dans son œuvre. Dans la section 2.2, nous
étudierons une gravure de bois de Doré pour son édition illustrée du Paradis perdu de
Milton. Pour cette étude, nous apprécierons la liberté prise par l’illustrateur et la relation
observerons la manière dont Redon s’inspire du motif de l’ange déchu en examinant son
tableau L’ange déchu / L’homme ailé / Vers la lumière. Nous nous interrogeons sur son
style symboliste et l’influence baudelairienne sur son œuvre. Dans la section 2.4, nous
Nous conclurons le chapitre avec une discussion des thèmes principaux des quatre
œuvres, dont l’isolement, le moment transitoire dans la chute et les sentiments évoqués
Il est à noter que les termes ange déchu, Satan et le Diable seront utilisés de façon
contexte diabolique préalable dans lequel les artistes ont créées leur œuvre. On se limite
au terme ange déchu pour l’étude du tableau de Redon car il est incertain s’il avait
1840, Cabanel entre dans l’École Nationale des Beaux-Arts afin de se préparer au
concours du prix de Rome16. Grâce à sa pension de la villa Médicis à Rome, il a suivi les
l’étude, L’ange déchu, son deuxième envoi de Rome, mesure 121cm par 189cm et a été
le champ libre pour les sujets des tableaux qu’a faits Cabanel, l’artiste a donc décidé que
« le principal motif de [son] tableau [serait] le génie du mal : Satan ! sur qui jadis Dieu
s’était complu à répandre les grâces de la beauté divine : aujourd’hui puissance brisée,
courbant la tête devant son créateur et maître, de qui il avait osé se faire rival » (lettre à
Bruyas, Rome 1847). Ce ne serait pas la seule occasion où Cabanel s’inspire du Paradis
perdu pour ses œuvres : il continue en 1867 avec la parution de son tableau Adam et Ève
chassés du Paradis17 qui met en œuvre l’expulsion d’Adam et d’Ève. Le Diable apparaît
aussi dans ce tableau, mais ne figure que dans les ombres au coin inférieur gauche.
16
Le prix de Rome est une bourse française pour les peintres et les sculpteurs qui leur a permis d’habiter à
Rome pendant trois à cinq ans.
17
Voir Adam et Ève chassés du Paradis. 1867. Huile sur toile. Collection privée.
31
2.1.2 L’analyse de L’ange déchu (1847)
rocher couvert des vignes épineuses ; dans l’arrière-plan une procession des anges
remonte vers le Ciel, un parmi eux, indique leur ancien camarade. L’ange déchu lui-
même ne les considère pas, il lance plutôt un regard noir au delà du cadre du tableau, ses
yeux brillants et perçants. Cabanel a dédié la plupart du tableau au corps de l’ange déchu,
qui est de manière décisive humain et ne contient aucune trace bestiale, sauf les grandes
ailes qui émergent de son dos. Il n’y a aucun doute que cet ange déchu est le sujet
Figure 7 L’ange déchu (1847). Alexandre Cabanel. Huile sur toile. Musée Fabre,
Montpellier.
principal de l’œuvre : son corps remplit non seulement la plupart de la composition, mais
aussi possède les qualités les plus détaillées en ce qui concerne la technique artistique
une forme apolloniennes. Contrairement aux représentations des anges précédentes, qui
étaient présentés d’une manière androgène et sans sexe distinctif, cet ange a un corps
masculin. Bien que ses organes génitaux ne soient pas visibles, la musculature
réaliste. La peau du sujet possède une qualité lumineuse qui contribue à son apparence
idyllique. À la différence d’autres anges dans l’arrière-plan qui portent des robes
volumineuses qui couvrent leur corps entièrement, l’ange déchu est nu. En représentant
son sujet tout nu, Cabanel crée une inversion intéressante de la progression de l’histoire
traditionnelle du génie du Mal dans laquelle Adam et Ève cachent leur nudité après leur
expulsion du paradis —dans ce cas, Satan est dénudé et perd ses robes célestes. Il se peut
que le manque de robes indique la perte de son grade dans la hiérarchie céleste. Il est
aussi possible que cette nudité désigne une vulnérabilité : il n’y a aucune protection
contre les éléments, il est exposé. Or, cet ange déchu n’exhibe guère honte à sa nudité,
contrairement à Adam et Ève, il ne se cache pas le corps, il est plutôt affalé sur le rocher.
Caractéristique d’une figure classique, le sujet n’a pas de chevelure sauf ses
cependant, il est plus probable que cela signale une qualité éthérée et sans âge. Les
cheveux ne sont pas blonds dorés typiques d’un ange, mais ils sont néanmoins une teinte
plus claire que les cheveux foncés et sauvages que l’on a remarqué dans les anciennes
représentations des anges déchus et des démons, telles que la miniature des frères
Limbourg. Les cheveux sont levés, peut-être en raison d’un coup de vent. Il se peut que le
33
rocher sur lequel s’allonge l’ange déchu, est au sommet et ainsi exposé aux éléments. Par
contre, il est aussi possible que Cabanel crée l’implication du mouvement : au lieu d’un
sujet stationnaire, l’ange déchu est sur le point de tourner ou, peut-être, à la fin de sa
chute.
Sous ce rapport, on remarque qu’il existe une tension dans le corps de l’ange,
malgré la nature stationnaire de sa pose. Bien que le bas du corps ait l’air d’être détendu,
on note que la position des bras et des mains n’est pas décontractée ce qui indique une
contracte, comme le démontre les tendons dans le genou. On observe aussi que le sujet se
contracte les muscles abdominaux, ce qui crée une courbe tendue dans le torse. Tel que
mentionné plus haut, les bras et les mains sont crispés et Satan serre les mains avec tant
de force que son petit doigt frise la peau. De plus, la manière dont il se contracte le bras
directement devant son visage n’indique pas une position détendue : l’ange déchu
démontre plutôt une tension partout dans son corps comme s’il est sur le point de se
pas voir la moitié inférieure du visage, l’emphase est par conséquent mis sur les yeux de
l’ange déchu. Sous les sourcils ridés, ses yeux se tournent vers le haut en dépassant le
cadre du tableau et regardant au-delà du spectateur. Bien que les représentations plus
traditionnelles et classiques d’un homme apollonien seraient aux cheveux blonds et aux
yeux bleus, cet homme est roux et aux yeux bruns. Ceci sert peut-être à le distinguer des
autres créatures célestes dont il a précédemment fait partie. Malgré le fait que les sourcils
ombragent les yeux, ceux-ci captent quand même la lumière en brillant avec les larmes à
couler. Une seule larme tombe de chaque œil, la peau qui les entoure est rosée. Bien que
tristesse. Il est par contre en plein colère, vindicatif et sombre. Son attention n’est pas
attirée aux autres anges qui lui passent par dessus la tête, Satan lui détourne le dos. Il est
35
possible qu’il soit envieux de ceux qui ne sont pas tombés et qui demeurent toujours au
Ciel. Ceci dit, il a le regard fixé vers le haut, alors sinon ces anges, que contemple-t-il ?
Dans une lettre à son bienfaiteur M. de Bruyas, Cabanel décrit son tableau en
notant que le Diable « cache la honte de sa défaite : cependant toujours fier, désespéré,
vindicatif », il courbe « la tête devant son créateur et maître » (lettre à Bruyas, Rome
1847). Cette courbure est bien plus évidente dans une esquisse du même tableau (Figure
Figure 9 Esquisse de L’ange déchu (1846). Alexandre Cabanel. Huile sur toile. Musée
Duplessis, Carpentras.
Dans cette esquisse, on ne voit pas le visage du Diable : le positionnement des mains et
des bras l’obscure. En comparaison avec le regard brulant et la tension physique de Satan
dans le tableau final, cet ange déchu a l’air beaucoup plus vaincu. La manière dont il
saisit les cheveux évoque une angoisse plutôt qu’une fierté. Le paysage noirci et les
36
nuages foncés contribuent à l’aspect plus sombre de l’esquisse. Cela peut expliquer la
décision prise par Cabanel de changer le positionnement et les couleurs du tableau pour la
version finale. Il veut créer un Diable « vindicatif » et « fier », il faut donc qu’il se serve
du langage corporel ainsi que une ligne de vision afin de représenter d’une manière
céleste menée par Satan : son ange déchu regarde ainsi à celui qui a commandé son
transformation physique tel que démontré dans les représentations antérieures, soit Les
très riches heures du Duc de Berry, où le Diable, une fois déchu, a des caractéristiques
bestiales et grotesques. Cependant, l’ange déchu cabanelien n’est pas sans trace visible de
son expulsion. Ses ailes, qui ont été auparavant blanc pur comme ses anciens camarades,
sont désormais différents (Figure 10). On hésite à utiliser des termes « souillés » ou
« détruits » pour les décrire, en raison de l’implication péjorative. On peut suggérer que
Cabanel aurait utilisé des couleurs plus traditionnellement « souillé », telles que le brun
de la boue ou le gris des cendres, s’il voulait cet effet. Cependant, il a incorporé une
palette de couleurs très précise pour les ailes : or, bleu roi, turquoise foncé et vert forêt
doré.
37
Au premier regard, les rémiges primaires semblent être noires, confondues avec
les rochers sur lesquels elles reposent, mais certaines de ces plumes plus illuminées sont
évidemment d’un turquoise riche et foncé. Les plus éloignées des rémiges primaires sont
d’un bleu roi foncé, indicateur peut-être de son ancien statut céleste, comme il avait
Figure 10 L’ange déchu – détail- les ailes de son dos. La partie la plus riche en couleur
du tableau, la combinaison des couleurs sur les ailes n’est pas par hasard. Le mélange de
bleu roi, vert, or et turquoise rappelle le plumage d’un paon, un oiseau que l’on associe
38
traditionnellement à l’orgueil et la vanité (Ferguson 23). En incorporant ces couleurs
son péché d’orgueil. Cet aspect instigateur de son expulsion du Ciel est ainsi lié
intrinsèquement à son personnage physique, ses ailes exhibent désormais des traits
Comme nous l’avons dit plus haut, on se rend compte du mouvement au sein de la
peinture malgré la position fixe du personnage. La courbure des ailes et la direction dont
laquelle le Diable étend la jambe indiquent une direction diagonale vers le bas, en
descendant de la tête de l’ange déchu vers le coin inférieur droit du cadre. Ce mouvement
dessus de lui le font. L’un fait un geste vers le Diable tandis que l’autre se tourne vers
l’étreinte de son camarade. Peut-être est-il réticent à le regarder. Moins vif que le Diable,
la milice céleste ne possède pas la même qualité lumineuse de l’ange déchu, il est ainsi
Cabanel distingue avec grande prudence Satan des autres anges : il est de loin le
plus grand, coloré, défini et lumineux. Tout détail qui figure dans sa représentation sert à
lui séparer des autres anges. Son personnage, et par conséquent son histoire, s’avère ainsi
39
le motif principal du tableau. Cela non seulement crée un contraste entre ceux qui
habitent au Ciel et celui qui a été expulsé de là, mais aussi fournit au spectateur une
représentation visuelle de l’histoire du Diable. Même sans le titre L’ange déchu, on peut
déduire immédiatement que cet ange est bel et bien distinct des autres. Il est possible que
ceux qui ne connaissent pas le Paradis perdu de Milton ne sachent pas qu’il s’agit du
Diable dans ce tableau, mais ceci est peu probable car ceux dans le monde académique de
Il est impossible de penser aux grands illustrateurs français sans penser à Gustave
Doré. Né à Strasbourg en 1832, il était considéré enfant prodige : avant l’âge de quinze
ans, il a créé des caricatures pour un journal parisien. Dans sa vie il a illustré plus de deux
cent livres et il a dessiné plus de dix mille œuvres artistiques. Malgré ce succès énorme, il
l’acceptait pas. Certains l’ont jugé trop naïf et théâtral et l’ont critiqué pour son refus
d’utiliser des mannequins pour ses dessins. Doré a crée ses œuvres en tirant inspiration de
de toutes choses, et il crayonne des rêves, comme d’autres sculptent des réalités » (Zola
cité par Lemaire 216). Cela peut expliquer la profondeur et l’aspect éthéré des
figure nue, fendue et aux ailes membraneuses du livre IX (Figure 13). Bien qu’il s’agisse
despair ! » tant pour les similarités dans la composition aux autres œuvres à l’étude ainsi
2.2.2 L’analyse de « Me miserable ! which way shall I fly / Infinite wrath, and
Dans cette gravure sur bois (Figure 14), on remarque encore une fois la figure de
l’ange déchu dépeint dans une scène rocheuse ; cependant cette fois-ci, il est tout seul, ses
anciens camarades ne sont pas présents. Aucune trace de vie y demeure, même pas un
l’arrière-plan, on observe un
scène nocturne.
Au contraire de l’ange
déchu cabanelien qui domine la Figure 14 « Me miserable ! which way shall I fly / Infinite
wrath, and infinite despair ! » (1866). Gustave Doré.
plupart de la composition, celui Lithographie. Bibliothèque Nationale de France, Paris.
Vers 73-4.
42
de Doré est placé vers l’arrière. En effet, la roche derrière lui s’étend presque jusqu’en
haut du cadre, se prolongeant au-delà des bouts d’ailes de l’ange. Bien que le paysage
rocheux de l’œuvre de Cabanel soit de nature plus horizontale et soit composé de lignes
bien plus sévères et étroites, celui de Doré s’oriente verticalement et les montagnes
derrière l’ange déchu sont faites avec des lignes beaucoup plus souples. Leurs bords
courbent doucement, au contraire des rochers dans le coin inférieur gauche et droit qui
sont plus carrés. Ceci crée une illusion de nuage qui mélange le ciel nocturne et la falaise
des montagnes.
supérieure de la cuirasse a des verticilles complexes, ce qui peut indiquer une cotte de
or il porte des cnémides18 sur le tibia droit. En raison du positionnement du pied gauche,
il est difficile à vérifier s’il les porte sur le tibia gauche. Ceci dit, il est probable qu’il n’en
porte qu’un. Le costume indique sans aucun doute que l’ange déchu est un guerrier,
même si aucune arme n’est présente dans la scène contrairement aux images précédentes
où il porte une lance (Figure 12). Cette tenue militaire incomplète nous explique encore
chute qui l’a dépouillé de ces indicateurs de son grade, son bouclier pour sa protection et
Sous ce rapport, on remarque que la tête du Diable n’est pas courbé en honte,
mais elle est plutôt droite. Semblable à l’ange déchu cabanelien, celui de Doré est rasé et
aux cheveux bouclés légèrement du style classique. Il tourne la tête en regardant derrière
lui, son attention peut-être fixée sur ses ailes membraneuses. Au contraire des ailes de
l’ange déchu cabanelien qui ont l’air détendues, celles de Satan chez Doré sont relevées.
Une fois lumineuses et à plume (Figure 12), les ailes du Diable existent maintenant en
tant que manifestation physique de son expulsion du Ciel. Leur qualité membraneuse
rappelle deux créatures : les reptiles mythiques qui avaient une connotation négative à
C’est possible que ses ailes soient l’objet de son regard, mais il est plus probable
que l’ange déchu contemple la direction d’où il était récemment venu. Il lève le menton et
18
Les cnémides sont un élément de protection des tibias utilisées durant l'Antiquité.
44
fronce les sourcils, sa main gauche saisissant les cheveux. Il se peut que Doré s’inspire de
humaine (Spivey 25) ; cependant, pourvu que la sculpture soit retourné au Vatican avant
despair ! ». La légende désigne aussi que le Diable est en colère vers le Ciel, « Infinite
wrath », or il n’existe aucune trace de cette rage dans cette gravure, Doré ne dépeint que
l’angoisse et la misère.
Il est à noter que l’expression faciale de l’ange déchu, aspect intégral de l’image,
est presque cachée dans l’ombre. Ceci sert à mettre en valeur le positionnement du corps
illuminé de Satan contre le mur : il non seulement s’allonge contre le rocher comme s’il a
besoin de soutien physique, mais aussi se contracte les muscles des jambes. Semblable au
positionnement de l’ange déchu chez Cabanel, la figure s’étend la jambe droite tandis
qu’il s’appuie la jambe gauche contre le rocher. Cette orientation du corps externalise la
lutte interne de l’ange déchu, qui démontre une tension. Doré la juxtapose avec la nature
légère et douce des lignes qui courbent légèrement dans ses ailes et dans le rocher.
45
Il est évident que Doré met en valeur la perte du pouvoir du Diable, il est petit
dans la composition, sans arme et tout seul. Contrairement à l’ange déchu chez Cabanel
qui domine la composition, celui de Doré est diminué par le paysage rocheux. Ceci crée
une ambiguïté dans les sentiments évoqués par cette représentation du Diable : sans
contexte, il serait difficile de faire un rapport étroit entre les sentiments dépeints par le
miltonien dans cette gravure est à un moment intermédiaire dans sa chute, il est ni au Ciel
ni en Enfer. Il se lève les ailes comme s’il est toujours en mouvement, tandis que l’ange
intermédiaire de l’ange déchu dans son tableau L’ange déchu (vers 1890), aussi bien
l’aspect esthétique de cette œuvre inspireront à Redon 1875) Odilon Redon. Huile
sur carton. Musée Nationale
entre autres le thème de l’ange déchu et il a crée d’Art Moderne, Amsterdam
plusieurs tableaux qui l’explorent (Figure 17, 18). Ceci dit, on ne considère guère ces
par les thèmes de joie et de la vie en couleur. Ce changement distinct dans son style a été
Dans la section suivante, nous analyserons le tableau L’ange déchu / L’homme ailé /
Vers la lumière en commençant avec le corps, la musculature et les ailes de l’ange déchu.
Nous continuerons avec une discussion du mouvement dans l’image et fournirons une
personnel de l’artiste.
2.3.2 L’analyse de L’ange déchu / L’homme ailé / Vers la lumière (vers 1890)
L’ange déchu de Redon représente un milieu entre la figure centrale qui domine la
scène chez Cabanel et le petit ange bouleversé chez Doré : son corps occupe un tiers de la
composition (Figure
l’ange de Cabanel, il
est complètement nu
et n’éprouve aucune
honte à ce sujet. On
génitale, mais le
en saillie indique
Figure 19 L’ange déchu / L’homme ailé / Vers la lumière (vers 1890).
que cet ange déchu Odilon Redon. Huile sur carton. Musée des Beaux Arts, Bordeaux.
est de sexe masculin. Ses muscles sont néanmoins moins définis que ceux des anges de
48
Cabanel et de Doré. Typique de l’art symboliste, Redon ne met pas l’accent sur les détails
réalistes, et ainsi, bien que le personnage possède tous les attributs nécessaires pour
déduire qu’il s’agit d’un être masculin, sa figure n’est pas aussi détaillées que celles d’un
portrait académique. De plus, les proportions de l’ange de Redon sont un peu exagérées
comparées à celle de Cabanel et de Doré : ces derniers utilisant un style bien plus précis.
Le torse détendu et le nez plat de l’ange de Redon sont tous les deux caractéristiques d’un
personnage bien plus primitif. Il est ainsi possible que Redon suggère une impression
primordiale dans le tableau. Une autre hypothèse serait que Redon évoque une qualité
du Ciel. Par contre les ailes de l’ange chez Redon gardent le plumage blanc que l’on
associe aux anges. Une seule aile est visible dans le tableau, l’aile droite est placée en
angle derrière l’homme : seuls les bouts des ailes sont visibles. Le haut de l’aile visible
49
capte la lumière, le reste est dans l’ombre. Les bas des ailes ne sont pas pointus comme
l’on pouvait s’y attendre, mais plutôt carrés. Cela contribue à l’aspect géométrique et
pierreux de l’ange déchu, qui pourrait être une statue qui est descendue de son piédestal
en éloignant les caractéristiques physiques du visage de son ange d’un modèle plus
classique comme celles de Doré ou de Cabanel. Comme l’on a dit plus haut, la figure a
un profil en pente qui donne au visage un aspect primitif. Différentes des personnages
classiques qui ont des caractéristiques faciales plus angulaires et définies, celles de
l’ange déchu chez Redon sont moins détaillées, dénotées par le contraste entre la lumière
et l’ombre. Même les yeux sont ombragés, alors il est difficile de préciser la direction de
son regard. On peut présumer qu’il regarde devant lui vers la lumière, contrairement au
Diable cabanelien dont le regard dépasse le spectateur, ou à l’ange déchu de Doré qui
L’ange déchu de Redon est en train de marcher, sa jambe droite au pied levé. On
peut comprendre qu’il ne s’agit pas d’un grand pas audacieux en raison du
positionnement de ses mains, qui étendent devant lui d’une façon tentative. Redon
50
amplifie cette hésitation dans le corps de l’ange déchu qui est légèrement accroupi, le
torse courbé et les jambes fléchies. Ceci n’est pas un mouvement aventureux, plutôt un
déplacement prudent. Il est à noter que le pied gauche est hors du cadre qui suggère que
son trajet n’est pas directement à gauche, mais en direction diagonale vers le spectateur.
On ne peut le confirmer car les nuages sur lesquels il marche obscure les détails de ses
pieds.
visible chez Redon : la figure se promène plutôt sur une mer de nuages au milieu d’un
ciel bleu. La couleur bleue est très importante dans l’œuvre de Redon, il l’associe aux
symboles de l’infini (Coustet 84)19. L’absence d’objets solides contribue à cet aspect
éthéré et léger du tableau. Les rochers présents dans les œuvres précédentes suggèrent un
caractéristique terrestre en ce qui concerne le lieu de la scène : leur absence dans l’œuvre
de Redon crée une ambivalence d’endroit, peut-être la scène se déroule entre le monde et
le Ciel. Redon contraste les couleurs des nuages : ceux à gauche sont d’un blanc pur
tandis que ceux sous l’ange sont d’un noir foncé qui implique des ombres. Un titre
alternatif pour ce tableau est Vers la lumière, cela peut indiquer la direction dans laquelle
l’ange déchu marche ; ceci dit, il est plus probable que Redon a l’intention de représenter
l’œuvre, l’ange déchu, ce mouvement devient plus symbolique. On peut suggérer que
19
La couleur bleue indique aussi la Vierge : Redon lui était dédié à l’âge de 6 dans l’espoir d’un remède
miracle pour sa maladie. Voir Coustet 84-5.
51
Bien que cette analyse du titre alternatif qui évoque un aspect rédempteur au
tableau soit entièrement possible, il est impossible de le dire avec certitude. À ce moment
dans sa vie, Redon note que « le sens du mystère, c’est d’être tout le temps dans
l’équivoque, dans le double, triples aspects, des soupçons d’aspect . . . formes qui vont
être, ou qui le seront selon l’état d’esprit du regardeur. Toutes choses plus que
œuvre comme étant une représentation de ce moment ambigu qui se situe entre deux
l’ange déchu reste entre les deux, appui sur une seule jambe. Cette notion d’un moment
transitoire et ambiguë est reprise par Laurens dans son illustration pour La Fin de Satan
à l’École des Beaux-Arts à Paris sous la direction d’Alexandre Bida où il s’est distingué
comme peintre d’histoire. Laurens était peintre et sculpteur plutôt que dessinateur, alors
bien que les thèmes historiques et religieux de l’extrait d’Hugo sont en accord avec les
sujets préférés de Laurens, le dessin « Depuis quatre mille ans il tombait dans l’abîme »,
publié en Cent Dessins : Extraits des œuvres de Victor Hugo, est très différent de
l’ensemble de l’œuvre de Laurens. Ses œuvres les plus connues sont en huile sur toile et
possèdent les dimensions beaucoup plus grandes que le livre d’Hugo. Ceci dit, afin
52
d’avoir une apparence homogène dans l’édition finale, toutes les illustrations dans Cent
peuvent expliquer son choix d’illustrer un extrait de La Fin de Satan de Hugo. Publié à
titre posthume en 1886, La Fin de Satan est la tentative chez Hugo de donner à la France
une épopée comme le Paradis perdu (Bavar xii). Dans son poème Hugo s’attaque aux
poème avec la chute de l’archange Lucifer du Ciel. Hugo présente d’une manière
254) en Diable « au froid hideux de l’aile membraneuse » (Hugo 6). Laurens capture un
aperçu de la chute du Ciel qui dure quatre mille ans. Il est à noter que Laurens choisit de
mettre en valeur l’aspect humain du Diable, plutôt que la transformation. Dans la section
siècle)
composition. Il tombe en
ombres. La plupart de l’arrière-fond se compose des lignes diagonales qui sont sévères :
cela met en valeur le mouvement descendant du sujet. Il est possible que lignes
également possible que les lignes indiquent la vitesse de sa chute, il est projeté, expulsé
54
forcement. Ils se terminent derrière son corps, peut-être une implication qu’il est vers la
Ses bras sont les premiers à briser la barrière de nuages, courbés afin de se protéger
contre l’impact inévitable. Les muscles du Diable sont très définis, plus que ceux de
Cabanel ou de Doré, et cette musculature implique une puissance physique, une force
brute. La forme délicate de l’ange déchu chez Doré est absente et l’aspect primitif, c’est-
développé. Encore une fois, l’ange déchu est nu, il ne porte aucun vêtement ni arme. Par
le fait que l’aspect primitif et primordial redonien n’est pas présent, on peut déduire que
cette nudité symbolise sa perte de grade ainsi que sa vulnérabilité. Contrairement aux
autres anges déchus qui sont dans les scènes lumineuses, celui de Redon dans un ciel
nuageux et bleu et celui de Cabanel sur un rocher désertique, cet ange déchu tombe dans
un ciel nocturne et inquiétant. Il est ainsi plus exposé aux éléments qui peuvent lui nuire.
La seule chose qui couvre une partie de son corps est ses cheveux qui sont coupés court
est possible qu’il se protège contre les éléments. Ceci dit, il est également possible qu’il
se détourne de la colère céleste. Bien qu’il fasse nuit dans la scène et que les orbes soient
tous en dessous de lui, son dos et l’arrière de ses jambes sont illuminés d’une manière
très brillante. La lumière ayant des connotations célestes, il se peut que le Diable se cache
le visage en honte : il ne veut pas regarde la lumière du Ciel dont il vient d’être expulsé.
légende sous le dessin note que « derrière lui, dans les nuits éternelles. // Tombaient plus
lentement les plumes de ses ailes » (Hugo 5). Il est incertain dans le texte s’il perd des
plumes mais garde les ailes, ou s’il perd des ailes en entier. Plus tard dans l’histoire, le
Diable « se vit pousser d’horribles ailes ; // il vit qu’il devenait monstre et que l’ange en
lui // mourait. . . » (Hugo 6). Cette transformation rappelle le changement des ailes à
plumes vers des ailes membraneuses que l’on remarque chez Doré. Or, Laurens décide de
représenter cet ange déchu sans ailes, ayant pour résultat l’humanisation du Diable. Sans
contexte de la légende, il serait difficile de préciser cette figure comme étant l’ange
déchu, Satan pendant sa chute. Laurens évoque un moment transitoire dans la chute, ni
2.5 Discussion
Nous avons présenté une analyse approfondie de chaque représentation de l’ange déchu
en notant les similitudes et les divergences entre les œuvres. Nous avons vu la manière
dont certains artistes, dont Cabanel, Doré et Laurens, ont indiqué la chute de l’ange au
moyen des changements dans les ailes. Nous avons aussi remarqué l’influence des
œuvres littéraires sur l’imaginaire de ces artistes et la liberté artistique qu’ils ont pris.
56
Dans les sections suivantes, nous explorerons les aspects des œuvres physiques, y
compris la technique, le bienfaiteur s’il y en a un, et la diffusion, ainsi que les grands
thèmes et motifs des quatre œuvres qui auront mis en contexte historique dans le chapitre
3.
Bien que ces quatre œuvres traitent du même sujet dans les façons semblables, c’est-à-
dire les artistes présentent un portrait de l’ange déchu plein d’émotion sous forme
humaine vers la fin de sa chute ou en plein mouvement, et ont été toutes créées entre
1847 et 1890, elles se destinent aux publics différents. Inspiré du Paradis perdu, Cabanel
a crée son tableau, son deuxième envoi de Rome, pour son bienfaiteur M. de Bruyas.
Avant d’être placé dans le bureau de Bruyas, l’œuvre a été jugé par l’Académie et a été
mal reçu en raison de sa beauté classique, dit trop romantique. L’Académie n’a pas retenu
Doré, partie de l’œuvre illustrée du Paradis perdu chargée par une maison d’édition
anglaise, s’est vue circuler partout en Europe. Comme les deux artistes ont assisté aux
Salons de Paris, il est possible qu’ils aient vu l’œuvre de l’autre. Ceci dit, en raison de
l’échec de L’ange déchu à l’Académie, il est peu probable que ce tableau a fait partie des
expositions au Salon. Peintre académique, Laurens a aussi assisté aux Salons et il était
très reconnu pour son choix de représenter des scènes obscures de l’histoire
grand succès comme peintre, elles ont été mises de côté. Redon a assisté à certaines
57
expositions à Paris, cependant, il n’a exposé que ces œuvres en noire et blanche. Ces
créations traitant de paysage et de couleur dont fait partie son Ange déchu, n’étaient pas
exposées. Ainsi, son tableau ne se destine pas à un public, comme celui de Doré, Cabanel
et Laurens : il est plutôt une méditation artistique sur un thème prévalent dans la vie de
Redon.
Lorsque l’on considère la composition de chaque image, on remarque que tous les
anges déchus apparaissent seuls sauf celui de la représentation cabanelienne. Au lieu des
scènes claustrophobes où le Diable est entouré des démons ou des pécheurs, les artistes
moyen de l’art. Dans l’œuvre de Doré, partie d’une progression d’images qui illustrent la
chute du Diable, l’ange déchu est non seulement isolé, mais aussi diminué dans la
composition. Dans cette image, la solitude de l’ange met l’accent sur sa douleur et son
angoisse : il est seul dans sa souffrance, coupés de ses camarades. Par contre, Cabanel
« met en scène deux races : une irrévocablement vouée, prédestinée au mal et au malheur
. . . l’autre, chaste et pure [qui] s’élève radieusement vers Dieu en le glorifiant » (lettre à
Bruyas, Rome 1847). Cette juxtaposition souligne l’ostracisme du Diable : comme nous
avons mentionné, Cabanel distingue Satan des autres anges au moyen de son corps nu et
sa domination de la composition. Il n’y a aucun autre être dans cette image qui lui
physique soit l’externalisation de l’état de l’âme et la beauté céleste du Diable soit ainsi
corrompue, la présence des traces angéliques indique que tout n’est pas perdu. Chez
Cabanel et Redon, les ailes gardent un peu du blanc céleste ainsi que leur aspect à plume.
Les ailes chez Doré se transforment en ailes membraneuses, mais le Diable possède
toujours un visage d’une beauté classique. Dans la représentation laurensienne, les traces
angéliques ne sont pas évidentes si l’on ne connaît pas La Fin de Satan. Dans le texte,
une seule plume de l’aile du Diable reste au Ciel après la chute, ayant pour résultat que le
Diable est sauvé à la fin du récit. Ceci dit, ces détails ne sont pas présents dans le dessin
Dans les anciennes représentations, les artistes mettent l’emphase sur les
Laurens et chez Doré met en valeur non seulement la chute et son pouvoir
transformateur, mais aussi le Diable en tant que personnage hors de l’Enfer. À cet effet, il
ses sentiments envers son état déchu et sa punition éternelle. Dans l’œuvre cabanelienne,
le regard perçant et les larmes aux yeux indiquent une colère et, comme le note Cabanel,
59
une nature vindicative. Par contre, la représentation de Doré n’a pas cette rage, il exprime
plutôt une angoisse ou une souffrance. Ces deux anges sont discutablement ‘les plus
déchus’ des quatre anges : comme les deux artistes se sont inspirés de Milton dont le
Diable a révolté ayant pour conséquence son expulsion du Ciel, leur ange est vers la fin
Nous avançons que le Diable laurensien peut être considéré comme un aperçu du moment
précis de la transformation d’un être céleste à un être infernal. Chez Laurens, ce moment
transitoire, ce point de mi-chemin est mieux représenté par la forme humaine, aucune
trace angélique ni diabolique se trouve dans cette image. Les implications de ce rapport
entre l’ange déchu et l’humanité seront explorées dans le chapitre suivant, qui fournira un
Dans ce chapitre, nous avons analysé quatre œuvres qui présentent chacune une
représentation bel et bien distincte du Diable en tant qu’ange déchu. Dans un premier
temps, nous avons identifié que certaines représentations sont davantage musclés,
notamment celle de Cabanel, Doré et Laurens, que d’autres. Nous avons constaté la
manière dont les artistes utilisent la forme et la couleur des ailes pour connoter l’état
déchu de l’ange et pour le distinguer des autres anges. Dans un second temps, nous avons
dans les anciennes productions telles que le roi des anges des frères Limbourg.
Contrairement aux anciennes représentations, les quatre œuvres à l’étude ne semblent pas
Dans ce chapitre, nous examinerons les divers facteurs dont on peut tenir compte
qu’ange déchu dans les quatre œuvres comme elles ont été analysées dans le chapitre
précèdent. Ce chapitre comprend trois parties. Dans la section 3.1, nous discuterons du
contexte social en France à la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle pour
remettre en valeur les effets du bouleversement politique sur le monde artistique. Nous
rationaliste des Lumières, s’est affaibli : ayant pour résultat une diminution de la
section 3.1 se concentrera sur la réaction chez les romantiques au monde rationaliste et la
façon dont ces derniers ont approprié le Diable pour exprimer la lutte personnelle avec
l’agitation politique présente en France. Dans la section 3.2, nous proposerons d’autres
darwinisme. Dans la section 3.3, nous avancerons que l’on peut comprendre l’ange déchu
comme symbole ou bien métaphore de l’humanité : la possibilité d’un Diable racheté sera
mise en question.
62
3.1 Le Diable et les Romantiques
civiles, des traités et des accords ainsi que des changements gouvernementaux succèdent
à la Révolution. La symbiose mutuelle entre l’état et l’église s’est vue brisée par la
romanticisme a fait en sorte que le personnage du Diable s’est renouvelé en tant que
12).
plus humains, une réalisation qui fait non seulement que le Diable est faillible, mais aussi
liées à ce personnage, les Romantiques ont utilisé ce motif afin d’exprimer la lutte
l’argumente Jones, si l’ordre social est bel et bien menaçant, révolter contre ce dernier
pourrait être un mouvement positif, voire vertueux (123). Le Diable incarne ainsi une
63
forme héroïque de résistance au pouvoir de l’autorité. Chez les Romantiques, il était plus
D’un mouvement pour sortir de leur pessimisme noir, les Romantiques se sont mis à
l’homme à vivre dans le mal, à jouir dans le mal : volupté des larmes, volupté de la
3.1.1 La révolte
À cet effet, tous les quatre artistes abordent le sujet du Diable en tant qu’ange
déchu avec une composition similaire, pourtant, chacun des artistes adopte une
représentation qui lui est propre. Peintre académique préféré de Napoléon III, Cabanel a
fait une œuvre du Diable qui est davantage classique : le sujet étant présenté de façon
créer une image de Satan qui met en œuvre sa beauté divine tout en évoquant sa honte
(lettre à Bruyas, Rome 1847). Bien que le Diable ait « osé se faire rival » à Dieu, sa
rébellion.
En revanche, le Diable chez Doré n’a pas encore terminé sa chute, ce Diable se
miltonien, Doré présente une image d’un rebelle qui se prête bien à l’idée de la révolte
noble valorisée chez les Romantiques. L’ange déchu de Redon se positionne également
entre deux mondes, mais les notions chargées d’émotivités de la rébellion, présentes chez
64
Cabanel, Doré et Laurens, n’y sont pas mises en œuvre. Ce Diable correspond davantage
ressemble à l’ange déchu chez Cabanel et Doré, ces anges ont l’air vaincu, leur révolte
du Ciel à l’Enfer quand il perd sa beauté céleste. Ce trajet dépeint dans le dessin peut être
considéré comme le mouvement le plus évident des quatre représentations. Cet ange
déchu n’exprime pas une force révolutionnaire, mais plutôt les conséquences d’une
révolte échouée. Donc, on constate la façon dont les artistes peuvent se servir du concept
du Diable et de l’histoire de la chute des anges afin de présenter, soit d’une manière
compatissante ou tragique pour mettre l’emphase sur les aspects positifs de la révolte, soit
d’une manière négative pour condamner ceux qui tentent de contester l’autorité.
3.1.2 La séduction
(Bénichou, désenchantement 491). D’une tentative de gagner ce qui était perdu, les
Romantiques ont ainsi mis en valeur le monde naturel, la beauté et les sentiments au lieu
et vertueux que seules la société et la civilisation viendraient corrompre » (Faton 6). Pour
eux, la nature était dévorante et destructrice, la beauté était une force puissante et
séduisante. Ces notions se traduisent dans les représentations du Diable en tant qu’ange
65
déchu à travers lesquelles des artistes présentent des thèmes de la tentation, de l’attraction
et de la séduction.
Toutes les quatre œuvres représentent un ange déchu qui est discutablement beau
d’un point de vue classique. Pour celui de Cabanel et de Doré, la structure faciale
rappelle les caractéristiques faciales symétriques des statues de l’Antiquité, le corps et les
cheveux indiquent une qualité apollonien. On peut suggérer que ces représentations du
Diable sont fortement attirantes, on se sent « the tug of attraction to the terrible, self
indulgent prince of darkness . . . the pull of that darkness of self turned forever narrowly
down into itself instead of opened up courageously to the broad world of light and
beauty » (Russell, Mephistopheles 99). Le regard puissant du Diable chez Cabanel incite
déchu. La séduction est moins évidente dans l’image de Doré : au lieu d’une séduction
physique voire sexuelle, il remet en question l’angoisse ressentie par le Diable ce qui peut
évoquer des sentiments compatissants. Par contre, l’ange déchu chez Laurens se tourne le
dos pour ne pas dévoiler le visage. Malgré le fait que son corps soit très musclé, son
séduction ne soit pas présente dans cette œuvre, on peut la considérer comme un
chez Cabanel et chez Doré, n’a pas les caractéristiques faciales qui sont détaillées ni une
nature attirante dans un sens traditionnel. Il ne regarde pas le spectateur, son regard se
focalise sur la lumière. Peut-être cette ligne de vision attire-t-elle le spectateur en incitant
la question : à quoi / à qui regarde-il ? Redon note qu’il « fait un art selon moi. Je l’ai fait
66
avec les yeux ouverts sur les merveilles du monde visible » (Redon 9). Son mouvement et
son apparence, qui ne sont pas d’une séduction classique, peuvent être donc considérés
1859, de l’origine des espèces de Darwin est, croit-on, l’une des œuvres les plus
monde naturel et celui du Ciel (16). Plus que tous les artistes à la fin du XIXe siècle,
Redon répond à ces découvertes et théories scientifiques dans ses œuvres. Il explore la
désorientation ressentie par d’autres esprits créatifs face à la perte des certitudes sociales
l’ange déchu qui marche d’une façon tentative vers la lumière. Le manque de paysage
plus, l’absence des objets concrets, sauf le sujet du tableau, crée un effet d’instabilité.
Nous avons proposé dans la section 2.3.2 une interprétation plausible du titre alternatif
Vers la lumière. Il est aussi possible que cette lumière vers laquelle marche l’ange est
son état déchu, peut être ainsi considéré comme une représentation de l’humanité dans
illumination intellectuelle, il est difficile de transposer cette explication dans les trois
autres œuvres à l’étude. L’Ange déchu de Cabanel a été crée en 1847, douze ans avant la
pas possible. Les lithographies de Doré et de Laurens ont été créées après la parution de
l’origine des espèces ; cependant, le style de Doré et le sujet de Laurens se prêtent aux
chute qui demeure à son personnage, fournit un moyen d’exprimer les questions les plus
essentielles du XIXe siècle, c’est-à-dire toute question traitant des origines de l’univers,
on parle d’un être tombé, il faut considérer l’état de l’âme : l’ange déchu fournit ainsi un
prétexte pour expliquer l’état d’humanité. On peut comprendre les souffrances physiques
incarnated by its own mistake in the midst of a perverted and brutal society where the
idea of god is altogether eclipsed » (Losada 441). Nous avançons donc que les
Dans son œuvre, Cabanel unit le Diable miltonien à une forme classique : il crée
un ange déchu qui est coupé de ses camarades célestes, sa révolte échouée. Or, cet ange
immédiate de l’angoisse en raison de son expulsion du Ciel. Au lieu de la grande bête qui
se réjouit dans son expulsion que l’on remarque chez les frères Limbourg, cet être déchu,
petit dans la composition, lamente ses circonstances. Inspiré des thèmes romantiques, il
se peut que Doré suggère la possibilité d’une rédemption diabolique en raison de son
regret. Ceci dit, le spectateur se rend compte que cette rédemption ne se réalise jamais car
ce n’est pas la fin miltonienne. La suggestion d’un Diable racheté est augmentée par
Redon qui incorpore le thème positif de la lumière dans son portrait de l’ange déchu. Un
peu semblable à l’ange bleu de Ravenne, l’ange redonien n’est pas forcement un être
Cette idée de la rédemption diabolique est moins évidente chez Laurens, malgré le
texte source de son illustration. L’angoisse du visage chez Doré et la lumière optimiste
chez Redon ne sont pas présentes. Or, Laurens présente l’ange déchu en moment
transitoire entre ange céleste aux ailes de plumes et bête infernale aux ailes
membraneuses : son ange est entièrement sous forme humaine. Ceci peut indiquer,
comme un point de vue négatif sur l’humanité qui est en train de descendre et qui se
cache le visage en honte. Cependant, la fin du texte original conclut avec la rédemption
du Diable grâce à l’aide de Liberté. Ainsi, on peut suggérer que la représentation qu’a
faite Laurens indique une attitude positive sur l’état d’humanité et la possibilité de
rédemption.
69
CONCLUSION
Nous avons examiné quatre représentations du Diable en tant qu’ange déchu qui sont à
rédemption de sa propre façon. Dans le premier chapitre, nous avons montré que la
terminologie utilisée pour parler du Diable peut s’avérer problématique car on ne peut
pas employer des termes de façon interchangeable dans tous les cas. Également, parler
des anges déchus, ce n’est pas toujours une étude diabolique. Dans le contexte de l’œuvre
redonienne, on ne peut ni nier ni confirmer s’il s’agit du Diable. Ceci dit, nous avons
démontré que le sujet de l’ange déchu tire ses origines du contexte diabolique. Dans ce
Diable afin de retracer ces origines angéliques dès les racines du mythe de la chute des
anges dans l’Ancien Testament jusqu’à la reprise de mythe par les Frères Limbourg et
Milton.
Dans le deuxième chapitre, nous avons examiné de près les quatre œuvres en nous
célestes dans l’image ainsi que le moment dans la chute capté par les artistes. Nous avons
souligné les similitudes et les divergences dans les quatre œuvres. Nous avons trouvé que
les artistes ont contribué à une humanisation du Diable en le représentant seul dans la
manière dont chaque artiste dépeint le moment transitoire du Diable, nous avons suggéré
que l’œuvre de Laurens fait un rapport entre ce moment et les êtres humains.
70
Dans le troisième chapitre, nous avons tenté de fournir une explication pour cette
représentation précise du Diable en tant qu’ange déchu à cette époque. Nous avons
contribué à la reprise du thème de l’ange déchu pour exprimer la lutte personnelle chez
l’artiste avec cette agitation sociale. En nous servant de l’œuvre de Losada pour un cadre
théorique, nous avons avancé que l’ange déchu fournit l’occasion pour une méditation
Cette étude est la première qui a fait une comparaison des représentations du Diable en
tant qu’ange déchu au XIXe siècle en France. Les œuvres à l’étude ne représentent qu’un
sur l’analyse de cette image précise et le contexte culturel qui l’explique ; une étude axée
sur les diverses représentations du Diable présentes en France au XIXe siècle, telles que
plus compréhensif du développement diabolique après les Lumières. Une étude de plus
Le XIXe siècle en France était « une époque de crise » (Poulet 9) : les esprits
créatifs se sont ainsi tournés vers le Prince de Ténèbres comme symbole pour illuminer le
doute, l’angoisse et aussi l’espoir présents dans un monde instable. Sous ce rapport, on
20
Voir Faton, Jeanne. Le Romantisme Noir de Goya à Max Ernst. Édition spéciale de Dossier de l’art
hors-série 20 (mars 2013).
71
remarque la manière dont chaque artiste approprie ce symbole ou bien ce concept de
l’ange déchu afin de présenter une image qui est à la fois individuelle et unique à l’artiste,
la rédemption.
72
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