ILLIMITÉ
En justes noces
Le majordome crevait d’aise quand le jour tant attendu fut venu. On avait magnifiquement décoré la grande entrée pour la circonstance, organisé un repas dans la salle à manger. Cela parut bizarre à Morel d’être servi par un extra qu’on avait embauché pour l’occasion et il regardait d’un drôle d’air sa place habituelle à côté du buffet. Il ne savait pas s’il était plus heureux d’avoir enfin sa chère Jeanne pour femme ou de jouir ainsi de la reconnaissance des maîtres, après trente ans de loyaux services. La comtesse offrit une broche à madame Serisy, Euphrasie une magnifique tabatière, qui avait appartenu à son mari, à Morel. Le comte fit un discours, qu’il voulut grandiloquent, dans le goût du majordome, pour féliciter les mariés. Mais il n’avait pas prévu que le majordome en ferait un aussi.
– Hmm ! hmm ! commença celui-ci, je me souviendrai toute ma vie du jour où, jeune valet inexpérimenté, je franchis pour la première fois le seuil de cette auguste demeure, ainsi que de la bienveillance qui fut celle de feu monsieur le comte à cette occasion…
Puis il détailla une à une toutes les étapes de sa (longue) carrière. Alors qu’il marquait un temps de pause, on crut qu’il en avait terminé et on applaudit à tout rompre. Mais non, il en vint ensuite, pour encore un bon quart d’heure, aux anecdotes, amusantes ou dramatiques, qui avaient émaillé son existence au château : l’incendie, le jour où Edmée était tombée dans le puits, celui où madame Vilniou avait salé sa charlotte aux framboises, celui où un visiteur l’avait pris pour le comte. Il détailla longuement cet épisode qu’il semblait affectionner. Ce fut enfin fini.
– Allons à présent reprendre la place qui est la nôtre, dit-il à son épouse, une fois le repas terminé.
Tous deux ne s’avouèrent pas qu’ils étaient finalement bien contents de retrouver la familière cuisine et leurs bureaux
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