Munich: et si c'était Hitler qui avait reculé?
Par Alain Bigard
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À propos de ce livre électronique
C'et une affaire entendue, on n'a même plus le droit d'en discuter: Munich fut une honteuse capitularion de deux démocraties devant deux dictatures qui étaient, selon l'expression de René Rémond, "de mèche".
"Munich est passé dans le langage courant pour désigner certains évènements. Typiquement, ils obéissent au schéma suivant: une puissance ou une coalition de puissances, appartenant à ce qui est considéré comme le camp du Bien pose à une puissance B ce que l'on appelle aujourd'hui une "ligne rouge". Un jour, B franchit cette ligne rouge, et... il ne se passe rien. Alors quelqu'un, quelque part, s'écrie: "C'est Munich!". Et tout le monde reprend en choeur:"C'est Munich!". Généralement, on ne se demande pas si A était habilitée à poser une ligne rouge, ni si elle avait les moyens de la faire respecter.
Curieusement, le premier "Munich", le "Munich" originel, n'a pas suivi ce schéma. Aucune ligne rouge ne fut franchie. Pour bien comprendre ce qu'il s'est passé, il nous faudra examiner les évènements jour par jour et parfois heure par heure, en respectant dans toute la mesure du possible la chronologie. Une chronologie fine permet de dissiper les causalités factices.
Il y a des légendes tenaces, comme celle d'un Daladier insultant les Parisiens venus l'acclamer au Bourget. Il y a aussi des omissions. Combien d'historiens ont parlé de "Munich" sans dire un mot du problème hongrois ou sans apercevoir à l'horizon la ligne Siegfried?
Toutes les notes sont des références bibliographiques. Elles peuvent donc parfaitement être omises en première lecture.
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Aperçu du livre
Munich - Alain Bigard
Introduction
« La question intéresse au premier chef la France qui, depuis la guerre de Cent ans, étend jusqu’à la Bohême son rayonnement moral. »
Maurice Schumann
« Depuis que la France « rayonne », je me demande comment le monde entier n’est pas mort d’insolation.»
Jean-François Revel
C’est une affaire entendue, on n’a même plus le droit d’en discuter : Munich fut une honteuse capitulation de deux démocraties devant deux dictateurs qui étaient, selon l’expression de René Rémond, « de mèche ». Le mot « Munich » est passé dans le langage courant pour désigner certains évènements.
Typiquement, ils obéissent au schéma suivant : une puissance ou une coalition de puissances A, appartenant à ce qui est considéré comme le camp du Bien, pose à une puissance B ce que l’on appelle aujourd’hui une « ligne rouge ». Un jour, B franchit cette ligne rouge, et ... il ne se passe rien. Alors quelqu’un, quelque part, s’écrie : « C’est Munich ! ». Et tout le monde reprend en chœur: « C’est Munich !». Généralement, on ne se demande pas si A était habilitée à poser cette ligne rouge, ni si elle avait les moyens de la faire respecter. Ou l’on ne se pose la question que bien longtemps après.
Curieusement, le premier « Munich », le « Munich » original si l’on peut dire, n’a pas suivi ce schéma. Aucune ligne rouge ne fut franchie. Pour bien comprendre ce qui s’est passé, il nous faudra examiner les évènements jour par jour et parfois heure par heure, en respectant dans toute la mesure du possible la chronologie.
La crise des Sudètes est survenue dans un contexte très particulier où le rapport des forces entre l’Allemagne d’une part, la France et la Grande-Bretagne d’autre part, était en train de basculer en faveur de la première.
Tout le monde connaît l’ampleur de la vague pacifiste qui a traversé l’Europe suite au traumatisme provoqué par la Première guerre mondiale, mais on risque de la sous-estimer. On peut entendre aujourd’hui beaucoup de partisans d’un désarmement généralisé. Mais il est difficile de trouver en Occident des partisans d’un désarmement unilatéral. Les premières enquêtes d’opinion qu’on commençait à mener montraient qu’il y en avait un grand nombre en Angleterre. D’ailleurs, l’Angleterre n’avait toujours pas de conscription.
On oublie souvent de signaler que pour effacer les dettes contractées pendant la Première guerre mondiale, les États-Unis exigeaient des débiteurs un désarmement. Ce qu’on oublie également, c’est que le traité de Versailles obligeait tous ses signataires (et pas seulement l’Allemagne) à réduire leur armement sous le contrôle de la Société des Nations (Partie I, article 8). L’Allemagne a commencé à réarmer clandestinement dès 1932. La France se présentait comme la vestale du traité de Versailles, sans se rendre compte qu’elle était de plus en plus seule. Ce furent les gouvernements de Front populaire qui renoncèrent à cette politique, inquiétés qu’ils étaient par la guerre d’Espagne. Mais dans les usines françaises on travaillait 40 heures par semaine, alors que dans les usines allemandes, on faisait les 48 heures.
Une anecdote fera mieux comprendre la fracture qui s’était créé. Elle se place en août 1938, en pleine crise des Sudètes. André François-Poncet, ambassadeur de France à Berlin, sert d’interprète au général Vuillemin :
« Pendant le mois d’août, le général Vuillemin, chef de l’armée de l’air française, avait été invité en Allemagne par Goering, chef de l’aviation allemande. Il y avait été reçu cordialement. On lui avait montré les plus récents modèles; on l’avait promené à travers les camps d’instruction, les ateliers, les usines, les installations de DCA ; on ne lui avait rien caché, et il avait pu constater l’exactitude des renseignements que je transmettais à Paris, depuis des mois. À l’issue de sa visite et d’un déjeuner d’adieu, à Karinhall, Goering lui avait posé la question fatidique :
« Dans le cas d’une guerre germano-tchèque, que fera la France ? » Et le général avait répondu: « La France fera honneur à sa signature ! »
Mais dans l’automobile qui nous ramenait, quelques instants plus tard, à Berlin, il me confiait : « Si la guerre éclate, comme vous le croyez, à la fin de septembre, au bout de quinze jours, il n’y aura plus un avion français ! [1] »
Tout est dit. Si l’on tient absolument à considérer Munich comme une « capitulation », alors ici elle est déjà annoncée. Mais est-ce si simple ? L’objet de ce petit livre est d’examiner un peu plus profondément le problème.
L’invention de la Tchéco-slovaquie
Jarry introduisit une de ses pièces en disant qu’elle se passe « en Pologne, c’est-à-dire nulle part.» Cela provoqua un sourire amer chez les spectateurs, car tous savaient qu’il avait existé un royaume de Pologne et qu’il était démembré. Personne n’aurait pu dire comme lui, au XIXème siècle : « en Tchécoslovaquie c’est-à-dire nulle part ». Car la Tchécoslovaquie n’avait jamais existé.
C’est en tremblant que nous avons intitulé ce paragraphe « l’invention de la Tchéco-slovaquie, tant l’école historique française a usé et abusé de l’expression «l’invention de...», sous l’influence d’une sociologie constructiviste mal digérée. S’il y a invention, il doit y avoir un inventeur, une date et un lieu d’invention. Il y a effectivement un inventeur : il s’appelle Tomáš Masaryk. C’était un brillant philosophe et historien qui avait enseigné à l’université tchèque de Prague (il existait aussi à Prague une université allemande), puis à Oxford où il se replia pendant la Première guerre mondiale. Son élève Edvard Beneš, tout aussi brillant, préféra la France parce qu’il était républicain, tendance jacobine, et qu’il ne pouvait vivre dans une monarchie (mais nous verrons qu’il devra s’y résigner en 1938).
Beneš connait bien la France : en 1908, donc à 24 ans, il a soutenu à l’université de Dijon une thèse express intitulée : « Le Problème autrichien et la question tchèque. Étude sur les luttes politiques des nationalités slaves en Autriche.» Il n’y est nullement question de « Tchécoslovaquie ». Mais comme l’archiduc François-Ferdinand (celui qui sera assassiné à Sarajevo), il flirte avec l’idée de transformer l’Empire austro-hongrois en une fédération, ce qui aurait probablement aboutit à la naissance de deux États: un tchèque et un slovaque. La Tchéquie et la Slovaquie avaient vécu des vies séparées pendant quasiment dix siècles.
La Tchéquie, c’est le Royaume de Bohême, qui s’est incorporé la Moravie au 17ème siècle. Ce royaume a été battu par les Impériaux en 1620 à la bataille de la Montagne Blanche, défaite qui représente pour les Tchèques à peu près la même chose que celle du Champ des Merles pour les Serbes. En 1914, il n’existe plus que sur le papier : l’empereur François-Joseph a négligé de se faire couronner « Roi de Bohême », alors qu’il aurait eu soixante-six années pour le faire.
Le territoire que l’on appelle aujourd’hui la Slovaquie fut conquis par les Hongrois au 11ème siècle. La Ruthénie subcarpathique, qui constituera la quatrième composante de la Tchécoslovaquie, le fut en 1359, donc bien avant que la Bretagne ne fut française. Sur les cartes éditées à Budapest, la Slovaquie figurait comme « Hongrie du nord ». Les limites entre elle et la Hongrie du centre n’ont jamais été très bien définies, ce qui posera des problèmes au moment de l’Arbitrage de Vienne en novembre 1938, et en pose encore aujourd’hui.
Au terme du grand compromis de 1867, la Bohême-Moravie fit donc partie de la «Cisleithanie », qui relevait de Vienne, et la Slovaquie de la « Transleithanie », qui relevait de Budapest.
Revenons à l’invention. S’il y a invention, avons-nous dit, il doit y avoir une date et un lieu de l’invention. La réponse est ici plus complexe et nous allons devoir faire certains choix, un peu arbitraires.
Nous choisirons Paris le 10 octobre 1915. C’est la création de l’Alliance nationale tchèque de France ou « Comité politique », dont le statut précise :
« Le Comité politique a pour but « de réaliser par tous les moyens possibles le programme politique tchèque qui comprend l’indépendance des pays tchèques (Bohême, Moravie, Silésie, Slovaquie), unis dans un État tchèque.»
On voit que la notion de « Pays tchèques » est très inclusive. Pour dire les choses plus brutalement, il y avait déjà un impérialisme tchèque avant même qu’il existât un Etat tchèque.
Le tchèque et le slovaque sont des langues très proches, mais il y a entre elles ce que Freud a appelé « le narcissisme des petites différences ». Rappelons