Histoire de deux peuples
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À propos de ce livre électronique
Jacques Bainville
Né à Vincennes dans une famille attachée aux valeurs républicaines, Jacques Pierre Bainville est élève du lycée Henri-IV puis pendant une année de la faculté de droit de Paris2. Il est le neveu de l'écrivain du XIXe siècle Camille Bainville. Il commence son oeuvre en 1900, à l'âge de 20 ans, avec Louis II de Bavière. En 1900, à l'issue de son séjour en Bavière et après avoir été dreyfusard, Jacques Bainville monarchiste. C'est par réflexion et comparaison, que ce fils de famille républicaine, libre penseur et voltairien, peu sensible à tout sentiment nostalgique, s'est tourné vers le royalisme. Face au rayonnement d'une Allemagne unifiée par Bismarck, en pleine expansion économique et démographique, au pouvoir stable et fort, il juge que la République - « la fille de Bismarck », écrira-t-il dans son Bismarck et la France - est un régime malthusien, essoufflé, livré à des gens médiocres et aux querelles intestines, incapable de faire face à cette Allemagne qui le fascine autant qu'elle l'inquiète.
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Histoire de deux peuples - Jacques Bainville
Sommaire
Avant-propos
Chapitre I : La monarchie héréditaire des Capétiens et l'anarchie allemande
Chapitre II : Les traités de Westphalie : l'anarchie allemande organisée et la sécurité de la France garantie
Chapitre III : La France entre la Prusse et l'Autriche
Chapitre IV : La révolution et l'Empire préparent l'unité allemande
Chapitre V : « La politique que le peuple élaborait depuis 1815 » nous conduit à Sedan
Chapitre VI : La catastrophe
Chapitre VII : Le réveil de la Walkyrie
Avant-propos
Ce livre est, en somme, une histoire à grands traits de notre pays.
Quand on étudie les rapports de la France avec le reste de l'Europe, on s'aperçoit que la plus grande tâche du peuple français lui a été imposée par le voisinage de la race germanique. Avec nos autres voisins, Anglais, Espagnols, Italiens, s'il y a eu des conflits, il y a eu aussi des trêves durables, de longues périodes d'accord, de sécurité et de confiance. La France est le plus sociable de tous les peuples. Il le faut bien pour qu'à certains moments nous ayons eu, et assez longtemps, l'Allemagne elle-même dans notre alliance et dans notre amitié. Il est vrai que c'était après l'avoir vaincue. Il est vrai que c'était après de longs efforts, de durs travaux qui nous avaient permis de lui retirer, avec la puissance politique, les moyens de nuire. Car le peuple allemand est le seul dont la France ait toujours dû s'occuper, le seul qu'elle ait toujours eu besoin de tenir sous sa surveillance.
Une idée domine ce livre. Nous pouvons même dire qu'elle nous a obsédé tandis que nous écrivions ces pages sous leur forme première.
Le sol de la France était occupé par l'ennemi qui se tenait, dans ses tranchées, à quatre-vingts kilomètres de la capitale. Lille, Mézières, Saint-Quentin, Laon, vingt autres de nos villes étaient aux mains des Allemands. Guillaume II célébrait son anniversaire dans une église de village français. Tous les jours, Reims ou Soissons étaient bombardées. Tous les jours un frère, un ami tombait. « Fallait-il que nous revissions cela », disaient les vieillards qui se souvenaient de 1870. Deux invasions en moins d'un demi-siècle ! Comment ? Pourquoi ? Etait-ce l'oeuvre du hasard ou bien une fatalité veut-elle que, tous les quarante-quatre ans, l'Allemagne se rue sur la France ?
Lorsqu'on se pose ces questions, la curiosité historique est éveillée. La réflexion l'est aussi...
En suivant la chaîne des temps, nous suivions la chaîne des responsabilités et des causes. Comme nous sommes liés les uns aux autres ! Comme il est vrai, selon le mot d'Auguste Comte, que les vivants sont gouvernés par les morts ! Tour à tour, les Français ont recueilli le fruit de la sagesse de leurs devanciers et souffert de leurs erreurs. Nous n'échappons pas à cette loi de dépendance. Comprenons du moins comment elle agit , c'est l'objet de cet ouvrage.
Nous n'avons eu qu'à continuer l'histoire des deux peuples jusqu'à la date où nous sommes aujourd'hui pour qu'on vît encore que toutes les fautes se payent et que les plus graves tiennent aux idées. Sur l'Allemagne, on a commis méprise sur méprise. Le bilan, pour le passé, en est tragique. Quel sera celui de l'avenir ?
J. B.
Avril 1915-avril 1933.
Chapitre I
La monarchie héréditaire des Capétiens et l'anarchie
allemande
Dès que la persévérance de plusieurs générations capétiennes eut commencé de donner à la France une figure, le problème des frontières de l'Est se posa. Le royaume, ayant grandi, se heurtait soudain à un monde hostile. L'Allemagne montait la garde devant le Rhin, et c'était vers le Rhin qu'il fallait tendre pour que l'oeuvre fût achevée, classique, pour qu'elle satisfît la raison. L'instinct des chefs poussait les dues de France, héritiers de la tradition gallo-romaine, à refaire la Gaule de César. Et déjà il se révélait que, vers la Germanie, la lutte serait difficile et longue... Si longue, si difficile, qu'au XXe siècle, loin d'être achevée, elle aura repris dans les conditions les plus inhumaines, les plus terribles qui se soient vues depuis les invasions barbares. Sur cinq côtés de l'hexagone, les successeurs de Hugues Capet avaient donné à la France sa forme et ses limites. Ils ont disparu avant d'avoir achevé leur tâche. Et l'oeuvre de tant d'années a même été entamée, compromise, sur cette frontière du Nord-Est où la nation française avait porté si longtemps son effort.
La menace anglaise a existé à plusieurs moments de notre histoire : elle n'est pas la plus grave pour la France. L'Anglais a eu plus d'une fois des intérêts communs avec nous. Entre-t-il en conflit, passe-t-il son canal, on peut le jeter à la mer, le « bouter hors du royaume », le prier de rester dans son île. Mais l'Allemand ? Il vit avec nous porte à porte. Il voisine, il communique avec nos vallées et nos rivières. Faites refluer sur ce point la masse germanique : avec sa plasticité, elle affluera sur un autre point. La France est en péril d'invasion tant qu'elle ne possède pas ces frontières que l'on a très vite appelées des frontières naturelles parce que ce sont nos frontières nécessaires. La France n'est pas en sûreté tant que le voisinage de l'Allemagne pèse sur elle, tant que les armées allemandes se trouvent à quelques jours de marche de Paris. La France, jusqu'en temps de paix, est menacée par ce peuple prolifique et migrateur, toujours prêt à loger dans le nid des autres. Mais l'Allemagne, de son côté, se croit atteinte, se croit blessée, si elle est refoulée au delà du Rhin, si elle abandonne à l'ascendant de la langue et de la civilisation française les colonies germaniques fixées sur l'ancien domaine de la Gaule impériale. Ainsi le royaume de Lothaire a gardé au cours des siècles son caractère de territoire contesté. Toutes les solutions essayées, toutes les combinaisons politiques mises en oeuvre, n'ont pu résoudre le vieux conflit. Pays-Bas de 1815, grand-duché de Luxembourg, terre d'Empire : ces inventions qui succédaient aux anciennes villes si clairement nommées « de la barrière » et qui marquent aujourd'hui notre limite, ont été à l'origine de simples compromis. Ces sortes d'Etats tampons ont pu devenir des nations dans toute la force du terme, comme la Belgique vient de le prouver magnifiquement. Cependant les marches de l'Est et du Nord-Est restent des champs de bataille que jamais on n'a réussi à neutraliser d'une manière définitive.
De Bouvines à Sedan et à la Marne, vingt fois le peuple français et le peuple allemand se sont affrontés. Mais les guerres, les combats n'ont été que les éclats d'une rivalité permanente. Durant les armistices, d'une étendue souvent considérable, la politique et la diplomatie poursuivaient l'effort des armées au repos, tendaient, tout en prenant des avantages, à supprimer le risque de guerre, à réduire le rival à l'impuissance. Ici, de très bonne heure, grâce à des conditions politiques particulières, ce fut la France qui prit le pas sur l'ennemi.
Economes du sang français, les gardiens héréditaires de notre sécurité devaient mettre à profit toutes les circonstances qui désarmeraient le colosse germanique, le diviseraient contre lui-même, détourneraient son attention. Ces circonstances, on les provoquerait au besoin. Le royaume d'Allemagne avait, à l'origine, une forte avance sur le royaume de France. L'État germanique était même adulte avant qu'il existât un Etat français. Il fallut tâter tous les défauts de la gigantesque cuirasse, pratiquer d'opportunes interventions dans les troubles, querelles et embarras de l'Allemagne. Il fallut se mêler activement à la politique intérieure allemande. C'est ainsi que s'est formée l'histoire d'une lutte incessante, étendue sur la série des siècles. mais où, les guerres d'extermination ne se concevant pas entre populations si nombreuses, c'étaient le calcul et l'intelligence qui devaient l'emporter. Des deux nations, celle qui aurait le meilleur cerveau gagnerait la partie.
Le génie éminemment réaliste des Capétiens, habile à se servir des événements, apte à s'instruire des expériences, ne s'était pas trompé sur la manière dont il convenait de traiter le problème allemand. La preuve que les Capétiens avaient vu juste, ce sont les résultats atteints, résultats prodigieux si l'on rapproche les points de départ, si l'on compare l'humble duché de France au puissant royaume d'Allemagne qui était comme le résidu de l'Empire carolingien... Que la monarchie française, dans les applications, ait commis quelques fautes, qu'elle n'ait pas été infaillible, nul n'en sera surpris. Ce qui frappe, c'est que jamais elle n'ait persévéré dans l'erreur et surtout qu'elle n'ait ni varié sur les principes, ni perdu de vue le but à atteindre. Les coups de barre maladroits ont été réparés à temps, la marche redressée au premier signe qu'on faisait fausse route. Nous trouverons deux moments, dans l'histoire diplomatique de l'ancien régime, où de lourdes erreurs ont failli tout gâter. C'est sous Louis XIII, à la bataille de la Montagne Blanche, et sous Louis XV, à la première guerre de Sept Ans. En définitive rien n'a été compromis parce que le principe directeur, si on avait pu l'interpréter mal, n'avait jamais été méconnu.
C'était un bien petit seigneur que le roi de France des premières générations capétiennes en face du puissant Empereur romain de nation germanique, héritier de Charlemagne, successeur des Césars, « moitié de Dieu », et qui prétendait à la suzeraineté dans tout le monde chrétien. Il y eut un siècle où cette prétention faillit devenir une réalité, où l'on crut que le Saint-Empire dominerait la chrétienté tout entière. Jusqu'alors la couronne impériale était restée élective. Barberousse et ses successeurs, qui représentaient l'idée allemande aux XIIe et XIIIe siècles comme les Hohenzollern l'ont représentée de nos jours, avaient entrepris de fonder l'unité de tous les pays allemands pour étendre ensuite leur domination à l'Europe. Le premier point de ce programme consistait à consolider le pouvoir impérial. Privés du bénéfice de l'hérédité, usufruitiers d'une couronne élective qui, à chaque changement de règne, remettait toutes choses en question, les Hohenstaufen ne croyaient pas à l'accomplissement de leurs vastes projets. La transmission directe et par héritage de la couronne leur était apparue comme la condition même de la puissance politique.
Cependant la monarchie capétienne, dont les modestes débuts n'avaient éveillé la jalousie ni l'attention de personne, était déjà parvenue à s'affranchir de l'élection. Dès la cinquième génération, les successeurs de Hugues Capet avaient réussi a prendre cet avantage. Aussi, se sentant bien en selle, ils tournaient les yeux vers la Flandre, vers la Lorraine, vers toutes ces terres d'Empire qu'ils considéraient avec raison comme terres françaises. En même temps un instinct sûr avertissait les Capétiens que, si les rois d'Allemagne devenaient aussi indépendants qu'eux-mêmes, s'il arrivait que le Hohenstaufen entrât en possession de ce privilège du droit héréditaire qui faisait leur propre force, la jeune France serait menacée d'un péril grave, l'avenir de la dynastie créée par Hugues se trouverait peut-être à jamais compromis.
C'était un premier intérêt que lésait dans la personne des rois de France l'ambition des Hohenstaufen. Servis par une force qui n'était plus négligeable, appuyés sur une nation qui tous les jours prenait mieux conscience d'elle-même, les Capétiens étaient déjà de taille à opposer des difficultés sérieuses au dessein de leurs rivaux allemands. Mais il y avait ailleurs, en Europe, une puissance qui, elle aussi, se sentait atteinte par l'ambition des héritiers de Charlemagne. Le Pape ne pouvait admettre que l'Empereur, son associé dans le gouvernement du monde, s'affranchît du pacte commun. La première « moitié de Dieu »redoutait vivement que la seconde pût la réduire en esclavage, rompît l'équilibre du spirituel et du temporel. Le pouvoir impérial était soumis à la double servitude de l'élection et du sacre. L'Église pressentait qu'une fois affranchi de la première formalité, l'Empereur chercherait à éluder la seconde. L'expérience lui avait également appris à craindre pour sa propre indépendance que le Saint-Empire romain germanique ne devînt trop fort. Et elle comprenait que le bénéfice de l'hérédité apporterait à l'Empereur un formidable accroissement de puissance.
C'est pourquoi le Saint-Siège pensa, comme la jeune royauté française, qu'il importait d'arrêter net l'ambition des Hohenstaufen. A Paris et à Rome, on opta pour le statu quo ; en Allemagne, la prudence commanda de s'opposer à la grande transformation politique rêvée par l'Empereur. Une rencontre devait naturellement se produire, une alliance, se nouer entre ces deux intérêts identiques. Ainsi naissait une communauté de vues destinée à durer à travers les siècles, malgré les accidents, les passions, les malentendus, les circonstances aussi, qui ont pu quelquefois séparer Rome de la France, sans jamais briser complètement un lien formé par la nature des choses et les nécessités de la politique.
Derrière cet effort des Hohenstaufen pour acquérir l'hérédité, il n'y avait rien d'autre, en somme, que le dessein d'achever le royaume d'Allemagne. C'était la question de l'unité allemande qui se posait à l'Europe du moyen âge, comme elle s'est posée à l'Europe de la Renaissance et à l'Europe contemporaine. C'était le péril de la puissance germanique grandie à l'excès qui effrayait déjà les esprits politiques. Aussi les résistances qui vinrent du dehors au projet impérial posèrent-elles un principe en perpétuant et en aggravant la division et l'anarchie de l'Allemagne. Ce fut, dès ce moment, l'intervention de l'étranger, ce furent les combinaisons de la diplomatie qui maintinrent « les Allemagnes » dans l'état de particularisme où les avait introduites le morcellement féodal, état singulièrement aggravé par le régime de la monarchie élective, en sorte que, dès le moyen âge, dès avant le grand Interrègne, l'Allemagne répondait à la définition qu'en donnait plus tard Frédéric II : « Une noble République de princes. » Car si l'Allemagne - de même que l'Italie - est restée si longtemps émiettée, ce n'est pas qu'une mystérieuse fatalité l'ait voulu. Il n'est pas moins faux d'accuser la configuration du sol, le caractère des peuples. Ces sortes de prédestinations sont purement imaginaires. L'Allemagne, l'Italie, ont prouvé depuis quarante