La Croisière jaune: Expédition Citroën Centre-Asie
Par Georges Le Fèvre
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À propos de ce livre électronique
A PROPOS DE L'AUTEUR
Georges Le Fèvre est un journaliste et écrivain français né à Paris le 22 décembre 1892 et mort à Sadirac (Gironde) le 16 novembre 1968. Il est dans les années 1930, l’un des « héros » de l’expédition Citroën Centre-Asie, connue sous le nom de « Croisière Jaune ». Il est également cofondateur du prix Renaudot en 1926.
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Aperçu du livre
La Croisière jaune - Georges Le Fèvre
ELISSEEFF
Préface à l’édition de 1933
par André Citroën
Le 30 novembre 1932, le grand amphithéâtre de la Sorbonne n’était pas assez vaste pour contenir la foule qui fêtait ce soir-là le retour des membres de l’Expédition Citroën Centre-Asie.
Aux côtés de M. Albert Lebrun, Président de la République, qu’entouraient de nombreuses personnalités : le Général Gamelin, M. Philippe Berthelot, le Vice-Amiral Durand-Viel, Chef d’état-major général de la Marine, Mgr de Guébriant, Supérieur des Missions étrangères, M. G. Grandidier, Secrétaire général de la Société de géographie, M. Labbé, Directeur de l’enseignement technique, M. Charléty, Recteur de l’Université de Paris, Mme Philippe Berthelot, Mme Doumergue, Mme Herriot, Mme Citroën, etc… deux anciens Chefs de l’Etat, MM. Millerand et Doumergue, avaient tenu à rehausser de leur présence l’éclat de la cérémonie.
Ecoutant alors, sur l’estrade, en présence du Maréchal Pétain, du Général Weygand et du Général Gouraud, les paroles si élogieuses du Maréchal Franchet d’Esperey, Président de la Société de géographie, et apprenant l’attribution de la Grande Médaille d’or, je fus d’autant plus fier de cette suprême distinction qu’elle consacrait dix ans d’efforts, et d’autant plus ému, qu’en m’honorant elle rendait un éclatant hommage à la mémoire de notre grand disparu, mon ami regretté, Georges-Marie Haardt.
*
* *
Il y a plus de dix ans en effet que, pour la première fois, au mois de janvier 1921, mes usines commencèrent à construire des voitures munies d’appareils qui devaient leur permettre de circuler hors des routes, en terrains variés.
Dès les premières expériences, aucun doute ne subsistait : le problème de la locomotion dans la neige et dans le sable était résolu par les autochenilles. Et je tiens à remercier ici encore le grand ingénieur qui a montré une fois de plus ce que pouvait le génie créateur français, l’inventeur des autochenilles : M. Adolphe Kégresse. C’est alors que des coloniaux, des militaires, des explorateurs, nous posèrent le problème de la traversée du Sahara. L’intérêt d’une telle expérience me parut si grand que je considérai comme un véritable devoir de la tenter. L’expédition Touggourt-Tom-bouctou fut décidée, et les chefs immédiatement désignés : Georges-Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil.
Georges-Marie Haardt, directeur général de mes usines, était mon collaborateur depuis quinze ans. Des sentiments très profonds d’amitié m’avaient lié à cet homme à l’âme ardente, pétrie d’idéal, et toujours prêt à se dévouer aux plus nobles causes. Il possédait au plus haut point le sang froid, l’esprit de décision, la netteté, l’autorité de commandement et le sens pénétrant du contrôle, nécessaires aux véritables conducteurs d’hommes. J’étais sûr qu’il devait apporter dans la tâche nouvelle que je lui confiais toutes ces qualités remarquables qui l’avaient toujours mené au succès.
Quant à Louis Audouin-Dubreuil, il fallait entendre parler de lui par ceux qui l’avaient connu dans l’Extrême-Sud tunisien, où sa forte intelligence et son énergie inlassable trouvèrent à se développer et à s’affirmer pendant plus de deux ans comme officier aviateur, dans le commandement d’un groupe d’auto-mitrailleuses rattaché aux entreprises sahariennes.
A l’aube du 16 décembre 1922, 5 autochenilles emportant 10 explorateurs s’élançaient de Touggourt vers le sud, et le 7 janvier 1923, après avoir franchi le Sahara par le Hoggar et le Tanezrouft, la première mission Haardt-Audouin-Dubreuil entrait à Tombouctou. Démontrant la possibilité d’établir des communications rapides entre l’Algérie et l’Afrique occidentale, et jetant les jalons des grandes liaisons entre les colonies africaines, elle faisait aussi entrevoir l’emploi de l’automobile comme moyen d’exploration à travers le monde.
L’élan était donné, le mouvement créé ; d’autres missions pouvaient suivre ses traces.
*
* *
Au lendemain même du premier raid Touggourt-Tombouctou, j’organisais avec Georges-Marie Haardt sa deuxième mission : l’expédition Citroën Centre-Afrique, connue dans le public sous le nom de « Croisière Noire ». Cette expédition demanda plus d’un an de préparation méthodique.
La longueur de l’itinéraire s’étendant sur 20 000 kilomètres de désert, de brousse, de savane, de marécages et de forêts, nécessita l’envoi de cinq missions auxiliaires chargées du ravitaillement en essence, vivres et matériel, depuis l’Algérie jusqu’à l’Océan indien.
Le premier itinéraire prévu pour cette expédition comportait l’Abyssinie et le territoire de Djibouti, mais quelques jours avant le départ, ayant été rendre visite au Président de la République pour lui soumettre nos projets de voyage, M. Doumergue avait attiré notre attention sur l’isolement de Madagascar et sur l’intérêt que pouvait présenter l’étude des voies de liaisons continentales entre le bloc de nos colonies africaines et la grande île de l’Océan indien.
Du 28 Octobre 1924 jusqu’au 26 juin 1925, les autochenilles et leurs seize passagers parcoururent l’Afrique, de Colomb-Béchar à Tananarive. Des collections intéressant la science, une documentation photographique et cinématographique considérable, tels furent les résultats de l’expédition.
Désormais l’Afrique entière est ouverte à l’automobile. Des liaisons de toutes sortes se multiplient à travers le Continent noir, des pistes de notre immense empire colonial sont jalonnées, et l’on peut maintenant, sans grandes difficultés, rouler de l’Algérie à l’Afrique occidentale, de la Tunisie à l’Afrique équatoriale, du Congo belge dans les colonies anglaises et portugaises.
Je décidai alors d’élargir, dans une nouvelle mission à travers le plus vieux continent du monde, berceau de la civilisation, l’œuvre entreprise de « vulgarisation scientifique ».
*
* *
Georges-Marie Haardt, infatigable, passionné des grands voyages transcontinentaux, avait songé, en effet, dès 1928, à poursuivre à travers l’Asie son œuvre d’exploration.
Pourquoi avoir choisi l’Asie ?
Plus que celle des autres continents, plus encore que celle de l’Afrique, la carte de l’Asie frappe l’homme d’Occident par sa densité massive, par son opacité, par ce caractère de masse protoplasmique, immense et sans noyau où la vie humaine semble affluer vers les zones périphériques en s’écartant de l’épicentre qui n’est qu’une vaste dépression désertique.
Or, ces déserts de l’Asie centrale séparent des masses humaines considérables : les Chinois des Russes ; les Hindous des Mongols. Ne pourrait-on retrouver les anciennes pistes de cette « Route de la Soie » suivies jadis, au septième siècle, par le pèlerin chinois Hiuan-tsang ; au treizième siècle par le grand voyageur vénitien Marco Polo f Serait-il possible d’ouvrir à la circulation ce grand couloir au long duquel s’effectuaient alors les échanges commerciaux entre la Chine, la Perse, l’Arabie et même l’Europe ?
Et n’y aurait-il pas, pour l’automobile de l’avenir, un rôle à jouer, un rôle d’agent de liaison entre des peuples qui s’ignorent ?
Comme les années précédentes, je résolus de seconder les efforts et la préparation de la troisième mission Haardt-Audouin-Dubreuil, qui toucherait à tous les domaines : scientifique, artistique, économique.
J’y fus encouragé dès la première heure par le ministère des Affaires étrangères, le ministère des Colonies et celui des Postes et Télégraphes, dont le précieux appui permit aux organisateurs de l’Expédition d’obtenir plus facilement et plus sûrement les autorisations nécessaires pour pénétrer dans les différents pays de l’Asie, pour pouvoir se servir de la télégraphie sans fil, pour pouvoir enfin pousser leurs travaux sans inquiétude. Les grandes Institutions scientifiques françaises, d’autre part, et en particulier la Société de géographie, qui fut la première à donner son précieux concours, grâce à l’obligeance bien connue de son dévoué Secrétaire général, M. Grandidier, le Muséum d’Histoire naturelle, encourageaient les efforts de Haardt.
Je trouvai également un concours moral et matériel des plus précieux dans la Maison Pathé-Natan, désireuse de participer à l’expédition, pour pouvoir constituer une documentation cinématographique qui soit, pour le public, la plus belle illustration de ce voyage en lui permettant de se rendre compte des secrets du continent asiatique et des difficultés rencontrées par les valeureux explorateurs.
J’ajoute enfin que la « National Géographie Society » de Washington nous donnait également son concours, consacrant ainsi à l’expédition un caractère formel de mission scientifique à l’étranger.
Les collaborateurs ne firent point défaut au chef de l’expédition. Aux uns revenait la tâche de l’étude et de la préparation du matériel, aux autres celle de l’organisation des ravitaillements, de la reconnaissance des itinéraires et des pourparlers avec les gouvernements ; programme d’étude qui exigea près de trois années de travail et de voyages préparatoires ; aux exécutants enfin, la tâche la plus ardue : celle de la réalisation.
Les problèmes posés sont, comme on le voit, bien plus complexes que ceux d’un voyage transafricain et les lecteurs de cet ouvrage en auront un vivant aperçu au début du livre où se trouvent exposées, dans leurs traits essentiels, les multiples difficultés d’une longue préparation.
A une mise au point technique minutieuse que mes usines assumèrent sans défaillance dans les délais que les modifications de la dernière heure précipitèrent souvent, s’ajouta en effet un ordre nouveau de préparatifs qui, dans le domaine diplomatique et financier, accumula des obstacles dont, seule, l’indéfectible patience de Haardt pouvait venir à bout.
*
* *
Quelques-uns des hardis voyageurs ayant participé aux deux voyages se sont plu, en me racontant leurs impressions, à comparer la Croisière Noire et la Croisière Jaune. Nous considérons, me dirent-ils, la première comme un raid sportif, et la seconde comme un raid… diplomatique.
La vérité, c’est qu’à notre époque encore, la traversée de l’Asie oppose au voyageur des difficultés de tous ordres. Celles qu’eut à vaincre le Groupe Pamir dans sa traversée de l’Himalaya appartiennent au genre de l’épopée sportive et je constate que grâce à l’énergie d’un Ferracci, nos voitures pénétrèrent dans des régions où jamais le grondement d’un moteur n’avait été entendu, où les montagnards des humbles villages perdus dans les plis géants de la plus haute chaîne du globe n’avaient non seulement jamais vu une automobile, mais ne savaient même pas ce qu’était une roue de charrette, tout le trafic se faisant, depuis des siècles, à dos d’hommes ou sur des chevaux de bât.
Au même moment, le Groupe Chine, commandé par le Lieutenant de vaisseau Victor Point, homme d’élite, et qui réunissait – je puis le dire aujourd’hui, hélas – toutes les qualités d’un « héros moderne », surmontait de dures épreuves. Le récit que vous lirez tout à l’heure vous les fera comprendre et partager.
Enfin, les souffrances endurées par l’Expédition réunie au complet sur la route de Pékin, au cœur de l’hiver, dans les solitudes glacées du Gobi où par des froids dépassant – 35° centigrades, les vaillants mécaniciens entraînés par l’énergique exemple de Maurice Penaud, travaillèrent les mains nues sur le métal nu, avec une placidité et un optimisme quotidiens, méritent mieux qu’un hommage admiratif ; elles exigent d’être relatées comme autant d’actions pouvant servir d’enseignements aux jeunes générations avides de beaux exemples.
*
* *
Aujourd’hui que l’œuvre est accomplie et que les résultats essentiels sont obtenus, c’est avec une profonde émotion que ma pensée se tourne vers le chef disparu, vers mon vieil ami et collaborateur Georges-Marie Haardt, dont la volonté de réussite eut raison de tous les obstacles, dont le courage et la ténacité méthodique furent les facteurs de la triomphale réussite. J’associe à cet hommage le jeune chef du groupe Chine, le Lieutenant de vaisseau Victor Point, dont l’expérience des choses chinoises et le courage sauvèrent plus d’une fois le sort de l’expédition.
Aux côtés de Haardt et de Point, je remercie de tout cœur ceux qui pendant trois ans ont consacré leurs efforts à la réussite de l’expédition Citroën Centre-Asie.
Louis Audouin-Dubreuil qui collabora étroitement, dans un esprit de désintéressement complet avec Georges-Marie Haardt, montrant des qualités de chef, une belle résistance physique et une persévérance égale dans l’effort.
André Gœrger, Secrétaire général de l’Expédition, collaborateur de la première heure du chef de mission, et qui pendant les années précédant le départ, se rendit sur la frontière chinoise et en Perse par la Russie pour préparer la marche de l’expédition et organiser ses ravitaillements.
L’ingénieur Petropavlovsky, depuis dix ans en Chine, qui prépara les ravitaillements dans ce pays immense, jetant à l’intérieur d’une région désertique d’innombrables convois de chameaux de transport.
Le Capitaine de corvette Pecqueur, adjoint au chef de mission, dont le concours en Afghanistan d’abord, et en montagne ensuite, où il dirigeait le groupe de reconnaissance, fut particulièrement brillant.
Les savants Joseph Hackin, Conservateur du Musée Guimet ; Chef d’une importante mission en Afghanistan, Directeur de la Maison franco-japonaise de Tokyo ; et son collaborateur Jean Cari.
Le Père Teilhard de Chardin, l’éminent géologue dont les travaux ont une réputation internationale.
Charles Brull, ingénieur, Directeur de nos laboratoires et chargé de la préparation technique du matériel.
Le Dr Maynard Owen Williams, délégué par la National Géographie Society de Washington, actuellement en Amérique, et dont l’effort splendide ne le céda en rien à celui de ses camarades français.
Les docteurs Pierre Jourdan et Robert Delastre, tous deux chirurgiens et qui, au cours du voyage, prodiguèrent leurs soins aussi bien aux membres de la Mission qu’aux populations rencontrées.
L’artiste Alexandre Iacovleff peintre déjà célèbre par ses études africaines et qui rapporte d’Asie une ample moisson de documents nouveaux.
André Sauvage, cinéaste, metteur en scène, qui eut une lourde tâche, ainsi que ses opérateurs, Morizet, Sivel et Specht.
Jean Michaud, qui a fait preuve de tant de dévouement au Chef de la mission.
Les radio-télégraphistes Laplanche, Schuller et le second-maître Roger Kervizic.
Je tiens à adresser un hommage tout à fait particulier aux « poilus » de l’Expédition ; d’abord aux mécaniciens qui avaient déjà participé à la Première traversée du Sahara en automobile et à la Croisière noire :
Maurice Penaud, chef mécanicien ;
Clovis Balourdet, Maurice Piat, Joseph Remillier.
Ensuite, à ceux qui ont participé à l’Expédition Centre-Asie :
Antoine Ferracci, chef-mécanicien du Groupe Pamir ;
Bourgoin, Cecillon, Chauvet, Collet, Conté, Corset, Jocard, Dielmann, Le Roux, Normand, Nuret, Varnet, Gauffreteau et Gustave Kégresse.
Intelligents, solides, énergiques, dévoués, tous possédaient en outre de précieuses connaissances techniques. Leur persévérance, leur bonne humeur, les conditions vraiment exceptionnelles dans lesquelles ils entretinrent leur matériel, soit au cours de la traversée de l’Himalaya, à 4 500 mètres d’altitude, soit pendant les six semaines précédant l’arrivée à Pékin, où ils eurent à subir des températures de 35° au-dessous de zéro, contribuèrent pour une grande part au succès final.
Je n’aurai garde d’oublier les missions de reconnaissance qui contribuèrent largement au succès.
C’est d’abord le précieux concours du Colonel anglais Vivian Gabriel, qui guida dans le Pamir nos explorateurs.
Ensuite le raid d’Elie de Vassoigne en Afghanistan et au Pamir, le voyage de Jean Waddington, aux Indes, en Birmanie et au Siam.
Le voyage d’Abel Berger jusqu’à Pékin, celui de Jacques Salesse jusqu’à Ouroumtsi, celui de Costantini jusqu’à Hérat.
A tous, j’adresse ici l’hommage que méritent leur vaillance et leur dévouement.
A tous les artisans d’un effort dont l’envergure est sans précédent dans les annales de l’Exploration, je suis fier et profondément ému de rendre ici un témoignage de gratitude et d’hommage durable.
Tous ont accompli leur mission sans défaillance.
*
* *
Depuis le retour de l’Expédition le grand public n’ignore pas, certes, les travaux effectués pendant ces trois cent quatorze jours passés en Asie. Il a vu, dans les halls d’une Exposition, les collections de toute sorte, fruits d’un travail opiniâtre ; sur l’écran, le grand film lui rendra plus tangibles et plus émouvantes les péripéties vécues par les personnages de cette aventure.
Par le récit passionnant qui va suivre, Georges Le Fèvre, l’Historiographe de la Mission, va faire revivre, avec le talent direct qu’on lui connaît, des heures qu’il a courageusement vécues, jour par jour et kilomètre par kilomètre, avec ses camarades. Les lecteurs du monde entier pourront donc connaître enfin ce que fut dans ses détails la merveilleuse histoire.
Il appartenait à un groupe de Français de l’avoir inspirée dans cette Asie si mystérieuse encore et qui oppose à l’Europe le prestige ombrageux de sa civilisation millénaire.
Je m’honore pour ma part d’avoir associé la grande industrie de l’automobile à ce geste désintéressé qui pourra contribuer, je l’espère, aux exigences toujours renouvelées de la Science et du Progrès.
ANDRÉ CITROËN.
INTRODUCTION
Pendant dix années, de 1922 à 1932, les Expéditions dont M. André Citroën fut l’animateur ont fixé leur but, développé leur effort, accompli leur tâche. Sur les terres de l’Afrique et de l’Asie, marquées de leur empreinte, elles ont laissé la trace sensible du rayonnement de notre pays.
Le 20 janvier 1922, prenant la piste chamelière qui se dirige vers le Hoggar, les autochenilles vont préparer la traversée du Saraha. Le 16 mars 1932, au terme de la longue et dure traversée de l’Asie, Georges-Marie Haardt meurt à Hong-Kong.
Haardt, quel fut-il et pourquoi entreprit-il ses expéditions lointaines ? Pour expliquer l’homme et l’œuvre, il faut avoir recours à M. André Citroën, dont Georges-Marie Haardt était le collaborateur et l’ami.
En donnant à l’industrie automobile en France une impulsion nouvelle et un essor définitif, M. André Citroën avait déjà, en 1920, avancé de plusieurs années le rythme de la vie moderne. Après avoir remporté une grande victoire sur le temps, il lui restait à préparer une difficile conquête sur l’espace. En effet, il pressentait alors les bienfaits multiples qui pouvaient et devaient résulter d’un accord intime entre l’Industrie, la Science et l’Art et combien cet accord, réalisé par les grandes liaisons transcontinentales, pouvait hâter entre les races diverses la compréhension mutuelle.
De telles idées, de telles entreprises, pour la préparation et le succès desquelles tant de conditions sont requises, demandent des chefs. Elles les ont eus. M. André Citroën, l’animateur, le créateur, trouva en Georges-Marie Haardt l’organisateur, le réalisateur qu’il fallait.
Haardt accomplissait son effort avec enthousiasme parce qu’il avait foi dans son œuvre. Sa pensée, qui devait à son imagination un attrait spontané vers les grandes aventures, trouvait aussi dans son esprit calme et réfléchi les raisons primordiales et les conclusions pratiques des entreprises les plus audacieuses. Il préparait longuement et organisait minutieusement les expéditions, ne laissant rien au hasard et prévoyant les éventualités les plus diverses qui pouvaient se présenter. Les difficultés qui survenaient en cours de route, le trouvaient toujours calme et résolu. A force de patience et de ténacité, il avait raison du succès. Le but atteint, après chaque retour, il rassemblait, avec un goût très sûr, la documentation scientifique et artistique recueillie par la Mission et qui permettait au public d’avoir, sinon une vue d’ensemble, du moins un résumé saisissant de l’œuvre accomplie.
*
* *
La première traversée du Sahara en automobile, dont un des plus importants résultats fut d’établir la liaison entre l’Algérie et l’Afrique occidentale française, permit à Georges-Marie Haardt et à moi-même de rédiger notre premier bulletin de victoire.
Alors que nous étions sur le chemin du retour, nous eûmes la joie de voir arriver à notre avance celui qui avait soutenu nos espoirs et autorisé le succès : M. André Citroën, accompagné de Mme Citroën, la première Européenne qui soit allée aussi loin dans le désert saharien, nous attendait au nord du Hoggar, au puits de Tadjmout.
Ce soir-là, le 24 février 1923, Haardt me déclare simplement : « Je suis content. C’est le commencement de grands voyages, le début d’une œuvre de vulgarisation. »
A peine de retour à Paris, on prépare la seconde mission… La Croisière noire s’achève à Madagascar le 26 juin 1925.
Georges-Marie Haardt ne pense déjà plus au passé. Il songe à l’avenir et regarde vers d’autres continents. Un soir, à Paris, nous sommes réunis, lui, mon camarade d’aviation et ami Guilbaud et moi. Ensemble, nous élaborons le projet d’une mission au Pôle sud. Mais bientôt, après une étude approfondie, l’idée est abandonnée. Haardt me parle alors des Pamirs et de la Chine. Un premier projet montre les difficultés mais aussi l’intérêt d’un voyage au Centre-Asie. M. André Citroën approuve. Haardt se met au travail. Pendant deux ans, il prépare sa mission.
Les voitures, des autochenilles perfectionnées, spécialisées, sont au point. Les hommes, savants, artistes, mécaniciens, sont résolus. Cependant, au dernier moment, les nouvelles de Chine ne sont pas bonnes. Tant pis ! On part, on ira de l’avant, on passera, on arrivera. En avril 1931, l’expédition divisée en deux groupes, l’un partant de Beyrouth, l’autre de Pékin, se dirige vers son premier but : le Centre-Asie.
*
* *
La Syrie ouvre à la Mission ses belles routes désertiques où les Français, grands fonctionnaires et beaux soldats, montent une garde vigilante et pacifique. L’Irak et son roi, la Perse et son prince impérial, l’Afghanistan et ses gouverneurs, Le Cachemire et son maharajah, les Indes enfin et les officiers anglais font tour à tour à l’expédition un accueil d’une politesse raffinée ou de la plus haute courtoisie.
La Mission ayant franchi l’Asie occidentale, Georges-Marie Haardt passe avec ses voitures la chaîne de l’Himalaya, puis il atteint les Pamirs. Mais le dur effort de la montagne, en exaltant ses forces, les avait soudain compromises et pour la première fois sérieusement atteintes. Quand il arriva au sommet du Pamir il nous sembla, en le voyant arrêté un instant dans son élan, qu’il venait d’atteindre le plus haut sommet de sa vie. Son regard embrassait le cycle des hautes montagnes d’alentour, comme s’il contemplait son œuvre qu’il découvrait soudain dans toute son étendue.
Cependant la route de l’est est ouverte : la Chine réserve à l’expédition l’accueil de ses yeux bridés et de son sourire impénétrable. Les gouverneurs du Turkestan chinois, d’une politesse extrême, mais d’une grande méfiance, s’opposent aux travaux scientifiques et retardent la marche de la mission. Les journées se passent en longues palabres qui n’altèrent pas la bonne humeur et la patience de Haardt.
La marche de jour et de nuit de l’expédition, en lisière de l’Ala-Chan et du Gobi et en Mongolie, avec les difficultés de la route, les incertitudes des rencontres, les soucis du ravitaillement, le travail par un froid intense, avait exigé, de la part des hommes et des voitures, un effort jusqu’à l’extrême limite de la résistance, et l’expédition fut heureuse de trouver, vers la fin du voyage, quelques jours de repos dans les missions des Pères allemands et belges.
Pékin, enfin, fait un accueil inoubliable aux voyageurs venus de la Méditerranée à travers l’Asie : c’était le 12 février 1931.
Le 23 février, Georges-Marie Haardt, qui était plus souffrant depuis quelques jours, travaille avec moi dans sa chambre. Nous arrêtons ensemble le programme des différents travaux que l’expédition doit faire en Indochine. Haardt est content. Il évoque en souriant le voyage, il me parle du retour, de Paris, des réceptions et des conférences. Il se préoccupe de savoir le lieu où il pourra réunir la documentation qui a été recueillie au cours du voyage. Tout en parlant, il marche de long en large dans sa chambre.
– Je vais beaucoup mieux, me dit-il. Le temps est beau. Sortons.
Nous allons dans les jardins du temple du Ciel. L’air est si doux, l’atmosphère si limpide que Georges-Marie Haardt prolonge sa promenade. Il s’arrête devant une tombe.
– Voyez cette tombe, me dit-il.
Après un long silence, il reprend :
– Nous avons accompli notre tâche. Les chenilles ont tracé leur sillon sur la terre d’Afrique et la terre d’Asie. Nous avons commencé, d’autres continueront.
Soudain, il eut un frisson.
– J’ai froid, dit-il. Rentrons.
*
* *
Georges-Marie Haardt, mon ami, vous rappelez-vous le désert de Gobi ?
Les chenilles s’arrêtent. Tel un rideau qui tombe, un nuage glacé de poussière descend lentement. La lourde silhouette des voitures, qui se détache en fresque sur l’immensité, est l’image vivante de l’expédition. Comme les pulsations du cœur révèlent la vie des êtres, les moteurs tournant au ralenti rythment la vie des chenilles. S’ils s’arrêtaient pendant plus d’une heure, le froid mortel envahirait leurs corps d’acier et la vie mécanique serait paralysée.
Les voitures ont une âme. Chacune d’elles, dotée de moyens précis appropriés à une fin déterminée, a sa personnalité. Ensemble, par la cohésion de leurs efforts, elles ont une âme collective qui donne à l’expédition sa pleine signification, sa valeur exacte et toute sa puissance d’action.
Le bivouac s’élève.
Les chenilles se transforment. Ainsi, chaque soir, après la longue marche trépidante, une autre vie commence pour elle. Les voitures deviennent demeures. Les panneaux couverts de poussières se rabattent. Les portes glissent. Les coffres s’ouvrent. Les tentes se déplient.
Le chirurgien a sorti ses trousses. Il prend son bistouri. Il brise une ampoule. Un mécanicien arrive pour se faire panser. Des nomades attendent. Ils exhibent leurs plaies recouvertes de cendre.
Sur le moteur de la voiture-atelier le tour est branché. Les mécaniciens, leurs mains nues craquelées, la peau de leurs doigts collant au métal gelé, se hâtent de faire une réparation urgente.
La voiture-popote pousse ses feux. L’essence sous pression fait bouillir des marmites. Dans un instant la soupe distribuée dans les gamelles, où elle refroidira vite, sera avalée en hâte sous la tente.
Dans la voiture scientifique le géologue ouvre sa lourde caisse pleine de pierres témoins. Le naturaliste examine des insectes. Les opérateurs de cinéma nettoient leurs appareils où le grain de sable, en pénétrant, a rayé, comme une pointe d’aiguille, les objectifs de précision.
Dans la voiture-commandement, un groupe tient conseil. La blanche lumière des lampes électriques du bord éclaire les figures qui se penchent sur les cartes.
Bientôt, rompus de fatigue, engourdis par le froid, les hommes s’endorment sous les tentes, sauf deux d’entre eux qui, d’heure en heure, se relaient pour veiller à la marche des moteurs et assurer la sécurité.
Alors, dans la nuit, où souffle le vent glacé, la T.S.F. élève la grande voix de l’Expédition. Par-delà les montagnes et les mers elle tisse autour du camp l’invisible et puissant réseau des ondes. La Mission, qui bivouaque au cœur de l’Asie, alerte Srinagar, les Indes, la division navale d’Extrême-Orient, Beyrouth, Pékin, Paris,
Le camp repose.
Georges-Marie Haardt, vous rappelez-vous ces heures rudes que vous aimiez, ces nuits de bivouac après les marches épuisantes, ces voitures dont la masse métallique luisait sous les rayons froids de la lune, ces hommes, vos camarades d’expédition, qui partageaient vos espoirs, votre certitude du succès ; vous rappelez-vous les douces pensées, les beaux projets du retour ?
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Georges Le Fèvre a écrit ce livre.
Depuis dix ans, Haardt et moi nous avions, dans la collaboration la plus confiante et la plus amicale, écrit et publié les impressions et les observations de nos précédentes expéditions. Auparavant, en effet, nous n’avions pas eu avec nous un historiographe et il nous appartenait de prendre des notes afin de recueillir la documentation nécessaire à la composition de nos ouvrages.
Trois livres ont paru.
Aujourd’hui, le quatrième porte la signature de Georges Le Fèvre.
Homme de lettres et homme d’action, Georges Le Fèvre était désigné pour cette tâche. Ses études géographiques et ethnographiques, ses précédentes œuvres, en particulier la mission qu’il a accomplie au Groenland et dont il a tiré un film, ses voyages dans le monde entier où il a étudié et exprimé d’une façon vivante le spectacle de la misère, l’avaient préparé plus que tout autre à comprendre et exprimer les pays et les races de l’Asie. Au cours de ce long voyage de Beyrouth à Pékin, Georges Le Fèvre a, en effet, rempli sa tâche avec autant d’exactitude que d’intelligence et de courage.
Je le revois, assis à côté de moi, tandis que nous roulons sur les pistes de la Perse et de l’Afghanistan. Luttant contre le sommeil et la fatigue, il prend des notes. Malgré les cabots, malgré la chaleur implacable, malgré la poussière étouffante, il observe, il questionne, il écrit.
Je le revois aussi, plus tard, au cours des rudes étapes en montagne dans les Pamirs… et plus loin encore, dans le désert de Gobi… Le soir, sous la tente, au bivouac… Un vent glacial souffle. Le froid est si vif qu’une serviette qui vient d’être mouillée est déjà glacée, toute rigide. Le Fèvre installe sa petite table qu’il accroche à la voiture. Il enlève ses gants. Il entoure ses doigts gercés de ce chatterton avec lequel les mécaniciens réparent les câbles.
La T.S.F. s’est tue. Dans le silence de la nuit, j’entends le tac tac de la machine à écrire.
Voilà pourquoi nous passons la plume à Georges Le Fèvre qui, en partageant nos joies, nos souffrances, nos espoirs, a senti comme nous le mystère de l’Asie et la grande âme de l’Expédition.
Louis AUDOUIN-DUBREUIL.
LES MEMBRES DE L’EXPÉDITION
ET DES MISSIONS ANNEXES
G.-M. HAARDT, chef de la Mission.
L. AUDOUIN-DUBREUIL, chef-adjoint.
GAUFFRETEAU, popotier.
Colonel VIVIAN GABRIEL, de l’Armée britannique.
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PROLOGUE
I
LA POLITIQUE DES ITINÉRAIRES
La lumière jaillie de deux réflecteurs n’éclairait dans la pénombre qu’une grande table à épures, chargée de cartes. Itinéraires de Sven Hedin et d’Aurel Stein, travaux de Stielers au 1 750 000e, documents extraits des atlas de Julius Perthes, relevés de l’état-major français et éditions anglaises de la Geographical Section, ces planches coloriées, en toutes dimensions et à toutes les échelles, représentaient l’Asie.
Promenant sur un continent la pointe de son crayon, Georges-Marie Haardt exposa le projet d’André Citroën : une grande transversale Méditerranée-Pacifique ; Beyrouth, cette porte française de l’Orient, reliée à notre colonie de l’Indo-Chine, par l’automobile. Pour la première fois depuis Marco Polo, un continent massif, imperméable aux Européens, serait traversé de part en part. Mieux qu’un raid sportif : une Croisière, dont les passagers seraient des savants, des artistes, des techniciens ; le moteur au service d’une Idée. L’itinéraire s’établirait de part et d’autre du 40e parallèle, dans cette trouée d’invasions suivie depuis les premiers âges par les migrations indo-européennes qui, des monts Célestes, ont déferlé sur plus de 4 000 kilomètres jusqu’à la mer Noire et la Baltique.
– Nos voitures, poursuivit Haardt, quittant la façade méditerranéenne de l’Asie, atteindraient la mer Caspienne qu’elles contourneraient par le sud (Askhabad) pour entrer dans le Turkestan russe et pénétrer au Sinkiang, dans le bassin du Tarim. Traversant ensuite les grandes solitudes du Gobi jusqu’au fleuve Jaune, l’expédition atteindrait Kalgan, puis Pékin et redescendrait vers Saigon.
Haardt se tut. Échappant au mirage de la carte, ses deux compagnons Louis Audouin-Dubreuil et André Gœrger s’approchèrent de la fenêtre. Le front appuyé à la vitre, ils restaient silencieux, regardant vivre la place de l’Opéra dont la circulation à cette heure était intense.
– Les grands carrefours du monde, conclut Haardt, ont eux aussi leurs règlements de voirie. Trouver les voies d’accès ne suffit pas ; il nous faut un permis de circuler. Or, la police de l’Asie centrale dans ces régions est faite par deux immenses pays : la Russie soviétique et la Chine.
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Au début, en mai 1929, l’attitude des Soviets ne fut pas défavorable à l’Expédition. Le Commissaire du peuple aux Communications interdisant d’ailleurs la route sud, par le Turkestan russe, plus directe, proposait un tracé par Astrakhan, le nord de la mer d’Aral, Akmolinsk, Semi-Palatinsk et la frontière chinoise à Bakthy. Le plus septentrional des itinéraires.
Aucune objection à ce que la mission fût scientifiquement équipée. On autorisait le cinéma et un poste de T.S.F., à condition qu’ils fussent utilisés par des opérateurs russes. Quant aux armes, il était inutile d’en emporter, la protection de la caravane étant assurée tant par les conditions générales de sécurité en U.R.S.S. que par les soins particuliers du Gouvernement soviétique.
André Gœrger, nommé secrétaire général de l’Expédition, fut chargé de reconnaître la route en Russie jusqu’au Sinkiang et d’y échelonner les ravitaillements¹. Parti aussitôt, il rentra à Paris en août 1929, déclarant que l’itinéraire nord proposé par les Soviets présentait un sérieux inconvénient : sa longueur. L’acheminement de l’essence dans les steppes kirghizes exigerait un effort de plusieurs mois. Etudiant une variante par Astrakhan, il avait trouvé entre les bouches du Volga une région qui sur plus de cent kilomètres n’était qu’un marécage, une vase trempée d’eau. A son avis, la traversée de l’Asie n’était réalisable que si nous obtenions l’autorisation de traverser le Turkestan russe, par le sud.
– Je l’ai, lui répondit Haardt.
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Par ailleurs, l’opinion chinoise² était depuis quelques années hostile à toute exploration étrangère sur ce qu’elle appelait son territoire national. Si des voyageurs étrangers voulaient traverser les déserts de l’Asie Centrale, n’était-ce pas en prospectant des terrains miniers ou pétrolifères pour enlever à la Chine ses richesses ? Voyages suspects car, ajoutaient les Chinois, « s’ils pouvaient être de quelque utilité scientifique, nos propres savants n’eussent pas manqué de les faire eux-mêmes au cours des siècles précédents. »
Haardt hésitait depuis longtemps sur le choix d’un négociateur, lorsqu’il reçut un jour une lettre dont la signature lui était inconnue.
« Prenez-moi, lui écrivait Victor Point. Trop jeune pour avoir pu faire la guerre, je veux commencer ma vie en servant une grande cause, dussé-je m’y sacrifier sans réserves. »
Officier de marine, le lieutenant de vaisseau Point avait déjà commandé pendant deux ans une canonnière sur le haut Yang-Tsé pendant les troubles communistes de 1926 en Chine. Bien qu’il n’eût pas trente ans, il était apte à remplir une mission délicate en Extrême-Orient à un moment particulièrement défavorable. Des explorateurs comme le Suédois Sven Hedin, l’Américain Andrews et l’Anglais sir Aurel Stein, commençaient en effet à se décourager devant les difficultés qui leur étaient faites par la Fédération des Sociétés Scientifiques Chinoises (la F.S.S.C. dont la xénophobie était beaucoup plus politique que corporative, mais sans l’accord de laquelle rien ne pouvait être fait.
Comment obtenir cet accord ?
Point, après s’être rendu à Pékin et assuré l’appui de M. de Martel, alors ministre de France en Chine, obtint de la F.S.S.C. qu’elle réunît une commission qui examinerait le projet d’un accord. Quinze jours plus tard cette commission abordait la rédaction d’un contrat qui comportait quatorze articles comme la proclamation du Président Wilson. On les discuta jusqu’à trois heures du matin.
L’Expédition aurait un directeur chinois et un directeur français, des membres chinois et des membres français. La F.S.S.C. nommerait les membres chinois et ratifierait le choix des membres français. Point se leva pour protester, mais on venait de donner la parole au plus ancien, donc au plus savant docteur de Pékin, qui se leva pour poser une question importante : « La Mission serait-elle franco-chinoise ou sino-française ? » Et, développant des considérants interminables, il émit un vœu qui fut acclamé : « On appellerait l’expédition : Expédition de la Dix-neuvième année de la République. » Il était stipulé que tout ce qui pouvait mettre en jeu directement ou indirectement la défense nationale et la souveraineté de la Chine était interdit : pas de levers d’itinéraires ; pas de fouilles archéologiques de grande envergure ; un membre de l’état-major chinois contrôlerait la prise de vues cinématographiques, etc., etc…
Point voyait avec inquiétude se rétrécir peu à peu les libertés d’une organisation purement française. Mais il fallait faire des concessions ou abandonner tout espoir de traverser la Chine.
Quelques jours plus tard la discussion du contrat était inscrite à l’ordre du jour de la F.S.S.C. réunie en séance plénière. Les résultats en étaient connus d’avance comme ceux d’une bataille que se livrent deux généraux chinois. A mains levées, l’Assemblée votait l’approbation de la Chine à la « Grande Expédition sino-française de la Dix-neuvième année ».
Il ne restait plus à présent qu’à obtenir l’autorisation… du Gouvernement chinois.
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Avant toute chose, le Maréchal Tchang-Kaï-Check voulut savoir ce que la F.S.S.C. (Fédération des Sociétés Scientifiques Chinoises) pensait d’une telle expédition. Lorsque le lieutenant de vaisseau Point lui répondit qu’un contrat venait d’être signé, qu’en outre Haardt avait obtenu des Soviets l’autorisation de passage et qu’il se proposait de traverser avec des automobiles la province du Sinkiang et les déserts de l’Asie centrale comme il avait traversé le Sahara, pour relier Pékin par une voie continentale à la Caspienne et à la Méditerranée, le chef du gouvernement de Nankin opina tout en continuant à signer des pièces. Son visage cependant restait impénétrable. Peut-être pensait-il que des voitures roulant dans le sable raccourciraient singulièrement les distances entre le pouvoir central et de lointaines provinces qui tendent à reconquérir leur autonomie ? Qui sait si ce nouveau mode de transport ne pourrait pas être utilisé plus tard pour une expédition militaire ?
Il décrocha son téléphone. Ordre au Ministre des Communications d’accueillir favorablement les demandes du délégué français.
L’expédition était autorisée à se servir d’un poste puissant de T.S.F. (500 watts) pour communiquer avec tous les postes chinois dont on lui donnerait les indicatifs d’appel.
Succès complet. Point rentra à Pékin. Il s’y était assuré, dès son arrivée, une précieuse recrue dans la personne de M. Petro, ingénieur des Ponts, depuis quinze ans en Chine et parlant couramment le chinois ; Petro s’était chargé d’étudier immédiatement les itinéraires et d’organiser les ravitaillements.
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L’autorisation de principe accordée par Nankin était un viatique moral et indispensable, certes, mais quelle valeur avait-elle au Sinkiang, dans ce pays aussi grand que la France, entouré de déserts et que 3 000 kilomètres séparent des côtes les plus proches ? Sur les cartes, le Sinkiang fait partie de la Chine mais, politiquement, il est aussi hermétique du côté chinois que du côté russe.
Quelques renseignements recueillis auprès du grand explorateur suédois Sven Hedin, de missionnaires anglais et du Consul britannique de Kachgar, nous avaient fait prévoir là, depuis longtemps, des difficultés de passage. Depuis la révolution chinoise, le Gouverneur du Sinkiang était en effet devenu pratiquement maître absolu dans sa province où nul ne pouvait entrer, sans engager avec lui, et directement, des pourparlers.
Point exposa donc télégraphiquement au Président-Maréchal King³ les buts de l’Expédition composée, précisa-t-il, de savants, d’artistes, de techniciens, dont la plus noble