L'œil bleu
Par Danielle S. Marcotte et Réjean Roy
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À propos de ce livre électronique
Danielle S. Marcotte
Passionnée d’histoire, Danielle S. Marcott e est une écrivaine basée à Tsawwassen, en Colombie-Britannique Anciennement animatrice, journaliste et réalisatrice à la radio pendant plus de trente ans, elle a également vécu au Québec et dans les Maritimes. Elle a publié huit livres en français et signé la traduction anglaise de six d’entre eux.
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Aperçu du livre
L'œil bleu - Danielle S. Marcotte
Danielle S. Marcotte
Texte : L'œil bleu.BOUTON D’OR ACADIE
De la même autrice chez Bouton d'or Acadie :
La promesse du bout du monde
Les pirates d'outres-tombe
Titre : L'oeil bleu
Texte : Danielle S. Marcotte
Illustrations et conception graphique : Réjean Roy
Direction littéraire : Marie Cadieux
Adjoint à l’édition : Jonathan Duguay
Révision linguistique : Réjean Ouellette
ISBN (papier) : 978-2-89750-360-4
ISBN (pdf) : 978-2-89750-361-1
ISBN (ePUB) : 978-2-89750-362-8
Dépôt légal : 1er trimestre 2024
Impression : Marquis
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous les pays.
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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Titre: L'œil bleu / Danielle S. Marcotte ; illustrations, Réjean Roy.
Noms: Marcotte, Danielle S., 1952- auteur. | Roy, Réjean, 1971- illustrateur.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20230584438 | Canadiana (livre numérique) 20230584446 |
ISBN 9782897503604 (couverture souple) | ISBN 9782897503611 (PDF) | ISBN 9782897503628 (EPUB)
Classification: LCC PS8626.A7364 O35 2024 | CDD jC843/.6—dc23
Créé en Acadie – imprimé au Canada
www.boutondoracadie.com
Illustration en noir et blanc : Carte de l'Amérique du Nord. Trajet du 1er voyage : Southampton, Ile de Vancouver, Montery, Acapulco, Veracruz et Southampton. Trajet du 2e voyage : Southampton, Louibourg, Ile Madame, Halifax et Memramcook. Trajet du 3e voyage : Memramcook, Halifax, Cap-François, La Nouvelle-Orléans, Memramcook et Richibouctou.Chapitre 1
Dans le dédale des petites ruelles, Alexis se rend compte à la nuit tombée qu’il ne connait pas le chemin du retour vers le port. Il a un pincement au cœur. Sa gorge se noue. Il est anxieux tout à coup sans trop comprendre pourquoi.
Il sait que quelque part au loin, dans la rade, sous le vent chaud qui berce les Grandes Antilles, le petit navire où l’attend son capitaine se balance doucement en paix. Rien à craindre autour de son navire lorsqu’il le retrouvera. Et rien non plus ne semble le menacer dans ce quartier pauvre de la ville où il s’est égaré. Pourtant, une peur inexpliquée monte en lui.
Il tente de rassembler ses idées pour se calmer et retrouver son chemin. Il se remémore tout ce qu’il sait de cette colonie française de Saint-Domingue. Celle-ci se trouve dans la partie ouest d’une ile encadrée par l’océan Atlantique et la mer des Caraïbes.
Il y est arrivé en ce matin de juin 1788 en tant que marin sur un voilier marchand britannique. Quelques heures plus tard, son capitaine anglais, Ron Smith, l’a envoyé en dehors de la ville de Cap-Français pour effectuer une livraison à un riche planteur. Alexis est le seul matelot à bord qui parle bien français et qui peut s’acquitter facilement de cette mission dont il était très fier et heureux jusqu’ici.
D’après les marins d’expérience, il y a des Européens dans cette ile depuis près de trois-cents ans, se rappelle-t-il. Que ce soient des colons espagnols, des pirates anglais, hollandais ou français, ils ont presque exterminé les indigènes en leur apportant nos maladies. Un grand nombre d’autochtones ont aussi succombé aux persécutions dans les grandes fermes établies par les Blancs. Donc, ce n’est pas des membres de ces tribus que me vient cette angoisse. Je n’en ai vu aucun jusqu’ici !
Maintenant, les Français cultivent dans ces plantations surtout du sucre, de l’indigo, du café. Faire pousser ces plantes qui rapportent gros exige de nombreux travailleurs. À présent, les grands propriétaires terriens font venir d’Afrique par milliers des ouvriers noirs réduits en esclavage pour y travailler à peu de frais. Cela permet aux Blancs riches d’amasser des fortunes encore plus considérables.
Au milieu de ce ramassis de cabanes, je suis entouré de gens de race noire. Est-ce qu’ils m’en veulent parce que je suis un Blanc ? Je sens une tension dans l’air... J’aurais dû noter plus de points de repère, mais, à la nuit tombée comme maintenant, plus rien ne semble pareil de toute façon !
Pendant la journée, Alexis a observé bien des choses dans ce nouvel endroit, et pas seulement à propos des planteurs et des esclaves. Par exemple, plusieurs petits commerces sont tenus par des Blancs pauvres et bon nombre de Noirs libres. Dès qu’il est descendu du navire pour faire cette commission du capitaine Smith, Alexis a compris que ces quatre groupes de personnes dans cette ville ne s’aiment pas.
Les Blancs riches, les « petits Blancs » pauvres, les esclaves et les Noirs libres se détestent tous. En fait, la haine et le mépris des uns envers les autres courent comme une maladie infectieuse le long des quais et autour des étals du marché. Ces sentiments font oublier le soleil radieux et la beauté de cette ile tropicale... et rendent le jeune homme nerveux. Autour de lui, depuis qu’il y a mis les pieds, les gens échangent des réparties maussades ou colériques en français. Les maitres se montrent particulièrement brutaux envers leurs esclaves. Cela l’effraie et lui répugne à la fois.
Son cœur se serre. Personne n’a porté de gestes menaçants envers lui et personne ne le suit... autant qu’il sache. Et pourtant, il se sent inquiet, tourne à droite et tourne à gauche, fébrile, entre des masures délabrées qui lui apparaissent toutes pareilles. Il devient de plus en plus perdu dans ce quartier où personne ne lui ressemble.
Pieds nus comme lui, les gens qu’il croise portent des vêtements très humbles semblables aux siens, mais leur peau est noire. Tous lui jettent des regards curieux et inquiets, comme s’il était un être dangereux et menaçant. Entre eux, ils échangent quelques mots qu’il ne comprend pas. Pourtant, Alexis parle français et anglais et baragouine quelques mots d’espagnol, les trois langues officielles des colonies de la région, avec le hollandais.
Illustration en noir et blanc : Alexie marche en tennant sa main en visière au-dessus de ses yeux. Plusieurs personnes de couleur flânent dans la rue derrière lui. Un clocher est visible au loin.Il se rend compte soudain qu’en fait les langues africaines sont sans doute plus utilisées dans les Antilles que les européennes. Les Noirs y sont beaucoup plus nombreux que les Blancs, même quand on compte les gens de passage comme lui, les marins, les soldats, les fonctionnaires...
Je ne sais pas pourquoi ils m’observent comme ça », pense-t-il, inquiet. « Ce n’est pas moi, un pauvre marin acadien de dix-sept ans perdu ici, qui vais leur faire du mal ! J’ai à peine un petit couteau dans sa gaine à ma ceinture et mes deux mains nues. Qu’est-ce que j’ai fait pour tant les effrayer ?
Les petites rues éclairées de-ci de-là par la faible lueur de quelques feux dans les arrière-cours se ressemblent toutes aussi. Les flammes font briller à l’occasion les longs cheveux blonds du garçon. Ces reflets et ses yeux pâles annoncent haut et fort qu’il est un étranger dans ces sombres ruelles. Il presse le pas. En regardant autour de lui, il se rend compte qu’il est maintenant seul dans la rue.
Vite, il avise quelques caisses et un baril abandonnés près d’une clôture de planches de bois en piètre état. Il y grimpe en silence en espérant apercevoir le reflet des bougies aux fenêtres des maisons riches de la ville ou la silhouette d’un clocher dans la pénombre pour s’orienter. Effectivement, il devine au loin ce qui lui semble le centre de Cap-Français.
Si je continue à droite, je devrais m’y retrouver, pense-t-il. Ses yeux pâles sont bientôt attirés par un regroupement derrière une palissade voisine. Que font ces gens autour d’un feu ?
À ce moment même, la lune apparaît entre les nuages et des personnes à la peau noire rassemblées autour des flammes se mettent à chanter des airs qui lui semblent curieux et déroutants. Quelqu’un au milieu du groupe, une espèce d’officiant ou de prêtre, offre quelque chose à boire à une femme. Ses lèvres à peine trempées, elle se met à gesticuler et à crier dans une langue inconnue. On dirait qu’elle est possédée par une force mystérieuse, note Alexis.
C’est tout ce qu’il a le temps d’observer. Derrière lui, un homme immense s’approche en silence et le frappe de son gourdin. Alexis, assommé, dégringole sans bruit sur le sol.
Chapitre 2
Avant de reprendre conscience Alexis voit comme en rêve un étrange œil bleu exorbité qui le regarde. Les paupières très blanches se ferment étrangement au milieu de l’œil puis s’ouvrent à nouveau. Le regard bleu le fixe sans ciller. Puis la vision passe et le jeune homme se réveille seul aux abords d’un champ.
La lune est maintenant haute dans le ciel. Il met plusieurs minutes à comprendre ce qu’il fait là. Il se rappelle en premier qu’il est matelot à bord d’un voilier qui a quitté Halifax, en Nouvelle-Écosse, il y a plusieurs semaines. Le petit navire marchand a effectué quelques arrêts pour débarquer et embarquer des produits dans différents ports des Antilles. De cela, et de ses observations à chaque endroit, il se souvient bien.
Illustration en noir et blanc : Un navire entre dans un port.Il se remémore ensuite son arrivée à l’ile de Saint-Domingue... quand ? Ce matin peut-être ? Le capitaine Smith lui a donné une mission de confiance parce qu’il parle français. En l’engageant en avril, il lui a demandé expressément s’il était bilingue en inscrivant son nom au registre : Alexis Bourgeois. Son français paraissait être un avantage aux yeux du capitaine, à la surprise d’Alexis.
Le garçon connait bien la longue histoire d’inimitié entre les Français et les Anglais. Lorsqu’il a travaillé sur des navires dans le passé, de l’Atlantique au Pacifique, Alexis a dû cacher qu’il maitrisait cette langue pour être accepté sur certains navires. Il a été facile pour lui de tromper tout le monde grâce à ce subterfuge. Puisqu’il est né