Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Donbass

région industrielle dans l'Est de l'Ukraine et le Sud-Ouest de la Russie

Le Donbass (en ukrainien : Донбас ; en russe : Донба́сс ; mot-valise soviétique formé du toponyme « Donets » (affluent du Don) et du mot « bassin » (russe : бассейн)) est un bassin houiller situé en Ukraine orientale, l'ouest de la Russie et au nord de la mer d'Azov[1]. C'est une région économique et culturelle importante, disputée depuis le début de la guerre russo-ukrainienne par la Russie et l'Ukraine, qui comprend deux oblasts (provinces) : l'oblast de Donetsk et l'oblast de Louhansk. Il recouvre approximativement la portion de la steppe pontique dont l'appellation traditionnelle était « Méotide », à laquelle le nom de « Donbass » s'est complètement substitué depuis l'époque soviétique. La ville de Donetsk est considérée comme la capitale officieuse du Donbass, s’agissant de sa plus grande agglomération et ayant la position la plus centrale parmi ses grandes villes. Il y a de nombreuses délimitations géographiques de ce bassin, aucune n'étant officielle. La plus courante aujourd'hui[Quand ?] est celle qui le confond avec la réunion des oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk, quoique les veines de charbon historiques n'en recouvrent qu'une partie, tout en débordant à l’ouest sur l'oblast ukrainien de Dnipropetrovsk et à l’est sur la Russie méridionale[2]. L’eurorégion de même nom rassemblait les oblasts de Donetsk, Louhansk en Ukraine et l’oblast de Rostov[3] en Russie.

Donbass

Image illustrative de l’article Donbass
Le Donbass (en rouge).
Administration
Pays Ukraine (de jure)
Russie en partie (de facto)
Statut politique
Capitale Donetsk (officieuse)
Démographie
Population 6 221 602 hab. (2021)
Géographie
Coordonnées 48° 00′ nord, 37° 48′ est
Les oblasts de Donetsk et de Louhansk au sein de l'Ukraine orientale, qui selon l'acception contemporaine constituent la région du Donbass.

Depuis le renversement du président ukrainien prorusse Viktor Ianoukovytch en , le Donbass est l'enjeu d'un conflit armé entre d'une part les séparatistes prorusses et, depuis 2022, les armées russes, et d'autre part le gouvernement ukrainien dont ils ne reconnaissent pas la légitimité et qu'ils considèrent comme « fasciste » et « nazi ». C'est le plus important des conflits post-soviétiques. Deux entités sans reconnaissance internationale sont proclamées par les séparatistes : la république populaire de Donetsk et la république populaire de Lougansk. Ils contrôlent de fait une grande partie du Donbass ukrainien, avec l'aide informelle de la Russie. Le protocole signé à Minsk le par les représentants de l'Ukraine, de la Russie, des deux républiques séparatistes et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), sous l'égide des dirigeants allemand et français, Angela Merkel et François Hollande, a eu pour but de faire cesser le conflit armé dans le cadre d’un plan en treize points prévoyant d'en faire des régions autonomes de l'Ukraine, à l'instar de la Crimée. Mais les séparatistes refusent de reconnaître la souveraineté ukrainienne et huit ans plus tard, le , la Russie reconnaît officiellement les républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk ; trois jours plus tard, elle déclenche une invasion générale de l'Ukraine[4] et six mois plus tard annexe le Donbass et le sud de l'Ukraine le , après quatre référendums non reconnus par la communauté internationale, réalisés quelques jours plus tôt dans chacun des quatre régions concernés : Kherson, Zaporijjia, Donetsk et Louhansk.

Carte détaillée du Donbass au sein de l'Ukraine orientale.

Ce toponyme est un mot-valise signifiant bassin (minier) de la Donets (ukrainien : Донецький басейн, translittéré Donetskiy bassein ; russe : Донецкий бассейн, Donetskiy bassein), la Donets étant une rivière traversant la région pour se jeter dans le fleuve Don[1].

Histoire et témoignages

modifier

De l'époque des Tatars à la révolution industrielle

modifier
 
Pauvres récoltant le charbon par Nikolaï Kassatkine (Donbass, 1894).

Avant l'arrivée des Cosaques du Don, au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, la région aujourd’hui appelée « Donbass » appartenait au Khanat de Crimée et avait un peuplement épars de Tatars de Crimée, de Nogaïs, de Circassiens et de leurs serviteurs slaves, agriculteurs[5]. À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle le contrôle de la région était partagé entre un hetmanat cosaque et le khanat de Crimée[6] vassal de l'Empire ottoman, jusqu'à la conquête russe, dans les années 1770. Sous l'Empire russe, la « Méotide » (Мэотіда en ukrainien, Майетида en russe) formait la frontière historique entre la Zaporoguie et les terres colonisées par les Cosaques du Don, libérateurs des agriculteurs slaves jusque-là asservis par les Tatars.

Sloviansk, la première ville de cette région, fut bâtie en 1676 pour permettre l'exploitation des mines de sel gemme. Lors de la révolution industrielle, dans les années 1870, on commença à exploiter les vastes ressources en houille de la région, découvertes dès 1721[7]. C'est alors que le toponyme de Donbass est apparu, quoique la région dépendît administrativement des ouiezd de Bakhmout, de Slovianserbsk et de Marioupol, au sein du gouvernement de Iekaterinoslav. La prospérité de l’industrie houillère conduisit à une explosion démographique dans la région, notamment par l'arrivée de colons russes[8].

Donetsk, qui est aujourd’hui[Quand ?] la métropole de la région, est fondée en 1869 par l'industriel gallois John James Hughes. Le Donbass est dès lors un important bassin houiller et s'impose comme un des bastions de l'industrie lourde[9],[10] sur le site de la vieille ville zaporogue d’Oleksandrivka. Hughes y établit un laminoir et met en exploitation les premiers charbonnages de la région. La ville prend d'abord le nom de Youzovka. Sa prospérité provoque un exode rural massif drainant les gouvernements de l'Empire russe périphériques[1] et l'exploitation de la mine de sel de Soledar à partir de 1876.

Selon le recensement de l'Empire russe de 1897, les Ukrainiens ethniques représentaient 52,4 % de la population de la région, et les Russes[11] 28,7 %. Les Grecs, les Allemands, les Juifs et les Tatars, alors les principales minorités ethniques du Donbass, comptaient pour 36,7 % de la population dans le district cosmopolite de Marioupol[12].

L'ère soviétique

modifier
 
Affiche de propagande soviétique (1921) proclamant le Donbass « cœur de la Russie. »

Conséquence de la guerre civile russe (1917–1922), le Donbass, comme d’autres territoires habités par des Ukrainiens russophones, fut annexé à la république socialiste soviétique d'Ukraine. Les cosaques de la région furent soumis à une « décosaquisation » entre 1919 et 1921[13]. Une décennie plus tard, le pays fut à nouveau décimé par la famine (Holodomor) de 1932–33 et la politique de russification de Joseph Staline. De nombreux paysans ukrainiens, réticents à se laisser priver de leurs moyens de production par les autorités soviétiques, furent catalogués par le NKVD comme koulaks, et la propagande les accusa d'être des « affameurs du peuple[14],[15] » alors qu'ils faisaient eux-mêmes parties des victimes de la famine[16]. Selon l’Association des Ukrainiens de Grande-Bretagne, la population de ce qui est aujourd’hui[Quand ?] l'oblast de Louhansk se serait alors effondrée de 25 %, et celle de l'oblast de Donetsk, de 15 à 20 %[17]. Selon d’autres estimations, 81,3 % des victimes de la famine en RSS d'Ukraine auraient été Ukrainiens, et 4,5 % Russes[18].

Au cours des années précédant la Seconde Guerre mondiale, ce bassin minier était en proie à la misère et aux pénuries ; la recherche permanente de « saboteurs » par le NKVD désorganisait la production et décourageait toute initiative et prise de risque, tandis que le « stakhanovisme » se traduisait pour les ouvriers par un allongement de la journée de travail, et les récalcitrants étaient arrêtés[19] et déportés en Sibérie ; leurs remplaçants manquaient de formation[20].

Lors de l'opération Barbarossa, Adolf Hitler, considérant que les ressources du Donbass étaient un atout décisif, donna l'ordre de mobiliser un maximum de forces pour s'en emparer, et les nazis mirent la région en coupe réglée entre 1941 et 1942[21] : en outre des milliers d’ouvriers furent envoyés au travail forcé vers les usines d'Allemagne. Dans ce qu’on appelait alors l’oblast de Stalino (qui est aujourd’hui[Quand ?] l’oblast du Donetsk), 279 000 personnes trouvèrent la mort au cours de l’occupation, et pour l’oblast de Vorochilovgrad (aujourd’hui[Quand ?] l’oblast de Louhansk), 45 649 victimes[22]. La reconquête du Donbass par les armées du général Ieremenko a lieu en août 1943. La guerre avait prélevé son tribut, laissant la région à la fois ravagée et dépeuplée.

Lors de la période de reconstruction du Donbass, après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux ouvriers russes sont venus repeupler la région, bouleversant une fois de plus sa composition culturelle : en 1926 en effet, il n'y avait encore que 639 000 Russes[23] ; mais dès 1959, cette population avait quadruplé, passant à 2,55 millions. Les réformes scolaires de 1958–59, qui prohibaient la langue ukrainienne au Donbass, ont accéléré cette russification[24],[25]. Lors du recensement soviétique de 1989, 45 % de la population du Donbass se revendiquait d’appartenance russe[26].

L’Ukraine indépendante

modifier
 
Monument aux Cosaques du Don à Louhansk : « Aux fils de la gloire et de la volonté ».

Lors du référendum de 1991 pour l’indépendance de l’Ukraine, 83,9 % des électeurs de l’oblast de Donetsk et 83,6 % de l’oblast de Louhansk votent oui[27]. Mais cette indépendance se solde par une détérioration sévère de l’économie du Donbass : dès 1993, la production industrielle s'effondre, et les salaires s’affaissent en moyenne de 80 % par rapport à 1990. Le Donbass s'enfonce dans la crise, et le ressentiment se concentre contre le nouveau gouvernement de Kyïv. Les mineurs du Donbass se mettent en grève en 1993, amorçant un conflit que l'historien Lewis Siegelbaum qualifie de « lutte entre le Donbass et le reste du pays ». L'un des meneurs déclare que les gens du Donbass ont voté pour l’indépendance parce qu'ils voulaient « rendre le pouvoir aux structures locales, aux entreprises et aux villes, et non pour un pouvoir centralisé simplement déconcentré de Moscou à Kiev »[27].

Cette grève a été suivie en 1994 par un référendum consultatif portant sur diverses questions constitutionnelles dans les oblasts du Donetsk et de Louhansk, organisé en même temps que les premières élections législatives de l’Ukraine indépendante[28]. On demandait entre autres si le russe devait devenir une langue officielle en Ukraine ; si le russe devait être la langue administrative dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk ; si l'Ukraine devait devenir un État fédéral, et si elle devait être associée plus étroitement à la Communauté des États Indépendants[29]. Près de 90 % des électeurs votèrent en faveur de ces propositions[30], mais aucune ne fut adoptée : l’Ukraine demeura un État centralisé, ayant pour seule langue officielle l'ukrainien[26]. Néanmoins, les grévistes du Donbass ont obtenu plusieurs concessions de Kyïv, soulageant ainsi la crise économique dans la région[27].

Les grèves se multiplièrent tout au long des années 1990, malgré un recul des aspirations à l'autonomie. Avec la suppression des fonds d'aide à l'industrie lourde du Donbass, plusieurs usines ont cessé leur activité, et sous la pression des réformes exigées par la Banque mondiale, le gouvernement ukrainien s'est vu contraint de fermer plusieurs mines[27]. Le président Leonid Koutchma, vainqueur de l’élection présidentielle de 1994 grâce au soutien du Donbass et des autres régions d'Ukraine orientale, a été réélu[27] en 1999 : il avait en effet rétabli les mesures d'aides financières au Donbass[27] ; quant aux branches encore rentables de l'industrie nationale, elles furent privatisées et, moyennant une corruption rampante, tombèrent au début des années 2000 aux mains d'une petite coterie régionale désignée comme « les oligarques » : il y a parmi ces hommes Viktor Ianoukovytch et Rinat Akhmetov. L'historien Hiroaki Kuromiya décrit ces oligarques comme le « clan du Donbass »[27]. Cette pratique clientéliste a fait du Donbass « la région la moins démocratique et la plus sinistre d’Ukraine »[27].

Au cours de la décennie suivante, pour le reste de l'Ukraine, le Donbass passa pour une région arriérée, à la culture mafieuse, et un vivier de sécessionnistes prorusses ; c'est ainsi que dans un article de Narodne slovo, l'éditorialiste Viktor Tkachenko écrivait en 2005 que le Donbass était le repaire d'une « cinquième colonne », et que le fait de parler ukrainien dans la région n'était « bon ni pour la santé ni pour la survie »[31]. En dépit de cette image, au cours des années 1990 des enquêtes montraient qu'une majorité des habitants du Donbass restait favorable à son maintien au sein de l'Ukraine[32].

La guerre du Donbass

modifier

La guerre du Donbass est une guerre hybride opposant, d' à , le gouvernement ukrainien à des séparatistes prorusses et à la Russie. C'est une phase de la guerre russo-ukrainienne se déroulant dans l'Est de l'Ukraine (Ukraine orientale), principalement au Donbass. Entre et , ce conflit a causé plus de 14 000 morts selon l'Organisation des Nations unies (3 405 civils, 4 400 membres des forces ukrainiennes et 6 500 membres des groupes armés prorusses)[33] et le déplacement de près d'un million et demi de personnes[34].

Elle débute en dans le contexte des manifestations de l'Euromaïdan dénonçant la corruption du pouvoir en place[35]. La révolution ukrainienne de février qui s'ensuit entraîne le renversement du gouvernement prorusse de Viktor Ianoukovytch et l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement intérimaire dirigé par les proeuropéens[35] Oleksandr Tourtchynov (le ) et Arseni Iatseniouk (nommé Premier ministre le ).

Le , des troubles prorusses et des manifestations anti-Maïdan éclatent, principalement dans l'Est de l'Ukraine et notamment à Kharkiv, la plus grande ville d’Ukraine après Kyïv[36].

À partir du , date qui préfigure l'annexion de la Crimée, des troupes russes s'emparent de cette péninsule qui fait partie de l'Ukraine[35],[37],[38]. Rapidement, un référendum local, dont la légalité n'est pas reconnue par l'Ukraine ni la grande majorité de la communauté internationale, se tient le sur le rattachement de la Crimée à la Russie[35]. L'indépendance de la Crimée avait été déclarée par le vice-Premier ministre de la région dix jours avant le référendum[35].

Au début d', dans la région du Donbass appartenant à l'Ukraine, composée des oblasts de Donetsk et de Louhansk, et dans ses régions limitrophes, les manifestations anti-Maïdan évoluent en insurrection armée des prorusses contre le nouveau gouvernement ukrainien. Cette insurrection armée devient séparatiste et deux entités non reconnues internationalement sont proclamées : la « république populaire de Donetsk » (le ), puis la « république populaire de Lougansk » (le )[39],[40]. Dès le , l'armée ukrainienne intervient dans l'Est du pays. Elle y progresse en et avant d'être stoppée, puis de finalement reculer face aux séparatistes. La Russie, pays frontalier, est accusée de soutenir militairement les insurgés en y menant une guerre hybride[41],[42],[43],[44].

Le , un premier accord de Minsk est négocié et signé pour faire cesser la guerre du Donbass. Toutefois cet accord en douze points, censé établir un cessez-le-feu, ne dure que quelques semaines[45]. En , les combats s'intensifient et l'armée séparatiste prorusse progresse.

Les et , François Hollande et Angela Merkel se déplacent en Russie et en Ukraine pour négocier un nouveau plan de paix élaboré dans le cadre d'un règlement global. Le , ils signent à Minsk, en présence de Petro Porochenko, président de l'Ukraine, et de Vladimir Poutine, président russe, un nouvel accord de cessez-le-feu (communément appelé Minsk II) prévoyant l'arrêt des combats, contre l'engagement des différentes parties sur une feuille de route en treize points[46]. Le conflit baisse alors d’intensité mais des combats sporadiques ont encore lieu jusqu’en . L’accord Minsk II reste la référence pour résoudre le conflit de façon durable : elle est encore au centre des discussions lors de la rencontre de , dite au format Normandie, en présence du nouveau président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Du au , l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) constate une augmentation accrue d'incidents armés et d'explosions dans les deux républiques du Donbass, les deux parties du conflit s'en rejetant mutuellement la responsabilité.

Le , la Russie reconnaît l'indépendance — vis-à-vis de l'Ukraine — et la souveraineté des deux républiques séparatistes autoproclamées, la république populaire de Donetsk (RPD) et la république populaire de Lougansk (RPL). Les accords conclus entre la Russie et ces deux républiques mentionnent notamment un devoir de coopération et d'entraide[47]. Selon l'OSCE et l'Union européenne (UE), ces accords constituent une violation du droit international[48],[49] et, selon le secrétaire général des Nations unies, « une violation de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de l'Ukraine » ainsi qu'une décision « incompatible avec les principes de la Charte des Nations unies »[50] ; ils entraînent de facto une rupture de l'accord Minsk II par la Russie[50],[51].

Le , les troupes russes entrent en Ukraine et poursuivent leur invasion depuis les territoires séparatistes, la Biélorussie, la Russie et le territoire de la Crimée[52].

Démographie et politique

modifier
 
Districts à majorité de locuteurs russes (en rouge ; recensement de 2001).

Actuellement, le Donbass est une région majoritairement russophone, avec une majorité d'Ukrainiens ethniques et une forte minorité de Russes. Jusqu'à la crise ukrainienne de 2013–14, la politique y était dominée par le « Parti des régions », détenteur de près de 75 % des suffrages au Donbass lors des élections législatives de 2007. Les têtes de liste de ce parti, tel l'ex-président ukrainien Viktor Ianoukovytch, sont originaires du Donbass.

Les résidents d'origine russe se concentrent dans les grands centres urbains. Dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk, ils utilisent le russe qui est leur langue maternelle, et qui, étant parlé par de nombreux Ukrainiens, y sert de lingua franca. L’importance de la langue russe dans les villes d'Ukraine orientale remonte à l'ère industrielle, qui a provoqué l'exode rural de nombreux Russes des régions voisines (en particulier depuis l’oblast de Koursk). C'est ainsi que lors du recensement de 1897, près de 63,17 % de la population de Kharkiv était d'origine russe. La question de savoir si ces ruraux ont été forcés de rejoindre la population d'Ukraine après la formation de l'Union Soviétique, ou si les Ukrainiens ont été exterminés par une famine organisée par le régime de Staline (Holodomor) reste très controversée, et elle est en tout cas irrecevable pour les habitants de ces deux oblasts. Presque tous les Juifs qui n'avaient pas fui ont été déportés ou exécutés au cours de l'occupation allemande de 1942-43[réf. nécessaire].

La proportion des russophones dépasse celle des Russes ethniques : 74,9 % dans le Donetsk, 68,8 % à Louhansk[53] alors que dans ces régions ukrainiennes, en 2001, les minorités de russes ethniques pesaient pour 39 % dans l’oblast de Louhansk et 38,2 % dans celui de Donetsk[54].

Le Donbass compte aussi une importante communauté musulmane, représentant jusqu'à 20 % de la population dans certaines zones[54].

 
Le processus de russification dans l'oblast de Donetsk : les deux colonnes du haut donnent les évolutions linguistiques ; celles du bas, la composition nationale.
  • Russe
  • Ukrainien
  • divers
(selon les recensements officiels de 1897, de 1926 et de 2001).

Selon le linguiste George Chevelov, au début des années 1920, la proportion de collèges et lycées enseignant l’ukrainien était inférieure à la proportion des Ukrainiens ethniques dans le Donbass[55] (malgré un décret de l'Union soviétique relatif aux écoles de la RSS d'Ukraine, dans le cadre de la politique d'ukrainisation[56]).

Les sondages portant sur les identités régionales en Ukraine ont montré que près de 40 % des résidents du Donbass se réclament d'une « identité soviétique »[57]. Roman Horbyk de l’université de Södertörn, écrit à ce propos que « leurs institutions inachevées et archaïques » ont privé les résidents du Donbass, « paysans accourus de toutes les régions voisines d'Ukraine et de Russie vers les mines et les usines, d'une identité nouvelle à la fois urbaine et nationale »[55].

Économie

modifier
 
Terrils miniers le long du Kalmious dans le Donbass.

C'est pour exploiter ces ressources du sous-sol que fut lancé, en 1868, un important réseau de chemin de fer. L’économie du Donbass est dominée par l’industrie lourde : charbonnages et sidérurgie ; et si la production annuelle de houille a nettement décru depuis les années 1970, le Donbass demeure un important producteur. L’extraction de charbon dans le Donbass a conduit à creuser des mines très profondes : l’extraction de lignite intervient à une profondeur de 600 m, celle d’anthracite et de charbon bitumineux, matériaux plus nobles, vers 1 800 m de profondeur[7]. Jusqu'au début de la guerre, au mois d'avril 2014, les oblasts de Donetsk et de Louhansk produisaient à eux seuls près de 30 % des exportations de l’Ukraine[58].

Les mines de charbon du Donbass, compte tenu de leur profondeur, des fréquents coups de grisou et de poussière, des risques d’effondrement, enfin de la vétusté des infrastructures[59] sont parmi les plus dangereuses au monde. Depuis la fin des années 2000, les mines clandestines, encore plus dangereuses, se sont multipliées à travers la région[9],[10].

L’exploitation intensive des mines de charbon et l’activité sidérurgique du Donbass ont gravement porté atteinte à l’environnement. Les principaux problèmes de la région sont la carence en eau potable et la contamination par les eaux d'exhaure, la pollution de l’air autour des cokeries et des laminoirs et enfin la pollution de l’air et de l’eau par les terrils et leur instabilité.

À cela s’ajoute que plusieurs décharges de déchets chimiques du Donbass ne sont pas surveillées : elles constituent une menace permanente pour l’environnement. Enfin, il faut aussi mentionner un héritage de l’ère soviétique : le projet de minage nucléaire de 1979 (Ядерний вибух у Донецькій області) à Ienakiieve.

Eurorégion du Donbass

modifier

Le projet est initié par le Conseil de l'Europe en 2006[60] et concerne les oblasts de Rostov (Russie), et Louhansk (alors Ukrainiens). Bloqué par le gouvernement ukrainien « orange » jusqu’en 2010, le projet a formellement abouti à l’enregistrement d’une eurorégion nommée Donbass incluant aussi l’oblast alors ukrainien de Donetsk en 2012[61].

Depuis 2014 avec la guerre du Donbass, une partie des oblasts de Donetsk et de Louhansk n'est plus sous contrôle des autorités ukrainiennes. Depuis octobre 2022, le Donbass étant occupé par la Russie, le projet d'eurorégion est de facto caduc.

Personnalités liées à la région

modifier

Notes et références

modifier
  1. a b et c (en) O. Klinova, « If instead of head, there is a gunshell : How the Donbass identity was formed », Ukrayinska Pravda (Istorychna Pravda,‎ (lire en ligne).
  2. (en) Hiroaki Kuromiya, Freedom and Terror in the Donbas : A Ukrainian-Russian Borderland, 1870s–1990s, Cambridge University Press, , 380 p. (ISBN 0-521-52608-6, lire en ligne), p. 12–13.
  3. (en) « Euroregion Donbass », sur Association of European Border Regions (consulté le )
  4. Benoît Vitkine, « Vladimir Poutine brandit ouvertement la menace d’une guerre d’ampleur », sur lemonde.fr, (consulté le )
  5. (en) Ivan Katchanovski, Zénon E. Kohut, Bogdan Y. Nebesio et Miroslav Yourkevitch, Historical Dictionary of Ukraine, (ISBN 978-0-8108-7847-1 et 0-8108-7847-X, lire en ligne), p. 135-136
  6. (en) Hiroaki Kuromiya, Freedom and Terror in the Donbas : A Ukrainian-Russian Borderland, 1870s–1990s, Cambridge University Press, , 380 p. (ISBN 0-521-52608-6, lire en ligne)
  7. a et b (en) coll., Encyclopædia Britannica, , « Donets Basin »
  8. (en) Andrew Wilson, « The Donbas between Ukraine and Russia: The Use of History in Political Disputes », Journal of Contemporary History, vol. 30, no 2,‎ , p. 274 (lire en ligne)
  9. a et b (en) « The coal-mining racket threatening Ukraine's economy », sur BBC News, (consulté le )
  10. a et b (en) Kateryna Panova, « Illegal mines profitable, but at massive cost to nation », Kyiv Post,‎ (lire en ligne, consulté le )
  11. (en) Hiroaki Kuromiya, Freedom and Terror in the Donbas : A Ukrainian-Russian Borderland, 1870s–1990s, Cambridge University Press, , 380 p. (ISBN 0-521-52608-6, lire en ligne), p. 41–42
  12. (en) « Le premier recensement général de l'Empire russe (1897) − décomposition de la population par langue maternelle et districts des 50 gouvernements de la Russie d’Europe », Démoscope Weekly, nos 647-648,‎ 15 au 30 juin 2015 (lire en ligne, consulté le )
  13. (en) « Soviet order to exterminate Cossacks is unearthed », sur Université d’York, (consulté le ) : « Dix mille Cosaques ont été systématiquement massacrés en l'espace de quelques semaines au cours du mois de janvier 1919 […] et s’il est vrai que cet effectif est négligeable au regard des victimes du reste de la Russie, il n'en constitue pas moins l’un des facteurs essentiels de la disparition des Cosaques en tant que nation. »
  14. (pl) Robert Potocki, Polityka państwa polskiego wobec zagadnienia ukraińskiego w latach 1930–1939, Lublin, Instytut Europy Środkowo-Wschodniej, , 440 p. (ISBN 978-83-917615-4-0)
  15. (en) Piotr Eberhardt (trad. du polonais), Ethnic Groups and Population Changes in Twentieth-Century Central-Eastern Europe : history, data, and analysis, Armonk (New York), M. E. Sharpe, , 559 p. (ISBN 0-7656-0665-8), p. 208–209
  16. Sheila Fitzpatrick, Le Stalinisme au quotidien : la Russie soviétique dans les années 1930, Flammarion, 2002, p. 75-76.
  17. (en) « The Number of Dead », sur Association of Ukrainians in Great Britain (consulté le )
  18. Sergeï Maksoudov, "Losses Suffered by the Population of the USSR 1918–1958", in The Samizdat Register II, ed. R. Medvedev (Londres et New York, 1981)
  19. (en) Hiroaki Kuromiya, Freedom and Terror in the Donbas : A Ukrainian-Russian Borderland, 1870s-1990s, Cambridge University Press, , 380 p. (ISBN 0-521-52608-6, lire en ligne), p. 253-255
  20. Sheila Fitzpatrick, Le Stalinisme au quotidien : la Russie soviétique dans les années 1930, Flammarion, 2002.
  21. (en) Hiroaki Kuromiya, Freedom and Terror in the Donbas : A Ukrainian-Russian Borderland, 1870s-1990s, Cambridge University Press, , 380 p. (ISBN 0-521-52608-6, lire en ligne), p. 251
  22. (en) Hiroaki Kuromiya, Freedom and Terror in the Donbas : A Ukrainian-Russian Borderland, 1870s-1990s, Cambridge University Press, , 380 p. (ISBN 0-521-52608-6, lire en ligne), p. 273
  23. (en) Andrew Wilson, « The Donbas between Ukraine and Russia: The Use of History in Political Disputes », Journal of Contemporary History, vol. 30, no 2,‎ , p. 275 (lire en ligne)
  24. L.A. Grenoble, Language Policy in the Soviet Union, Springer Science & Business Media, , 237 p. (ISBN 1-4020-1298-5, lire en ligne)
  25. (en) Bohdan Krawchenko, Social change and national consciousness in twentieth-century Ukraine, Londres, Macmillan, , 333 p. (ISBN 0-333-36199-7)
  26. a et b (en) Don Harrison Doyle, Secession as an International Phenomenon : From America's Civil War to Contemporary Separatist Movements, University of Georgia Press, , 397 p. (ISBN 978-0-8203-3008-2 et 0-8203-3008-6, lire en ligne), p. 286–287
  27. a b c d e f g et h (en) Oliver Schmidtke et Hiroaki Kuromiya, Europe's Last Frontier? : Belarus, Moldova, and Ukraine between Russia and the European Union, New York, Palgrave Macmillan, , 255 p. (ISBN 978-0-230-60372-1 et 0-230-60372-6), p. 103-105
  28. (en) Kataryna Wolczuk, The Moulding of Ukraine : The Constitutional Politics of State Formation, Central European University Press, , 315 p. (ISBN 978-963-9241-25-1, lire en ligne), p. 129–188
  29. (en) Hryhorii Nemyria, Regional Identity and Interests : The Case of East Ukraine, Between Russia and the West: Foreign and Security Policy of Independent Ukraine, Studies in Contemporary History and Security Policy,
  30. (en) Bohdan Lupiy, « Ukraine And European Security - International Mechanisms As Non-Military Options For National Security of Ukraine », Individual Democratic Institutions Research Fellowships 1994–1996, North Atlantic Treaty Organization (consulté le )
  31. (en) Hiroaki Kuromiya (trad. Oliver Schmidtke), Europe's Last Frontier?, New York, Palgrave Macmillan, (ISBN 978-0-230-60372-1 et 0-230-60372-6, lire en ligne), p. 102-103
  32. (en) Hiroaki Kuromiya (trad. Oliver Schmidtke), Europe's Last Frontier?, New York, Palgrave Macmillan, (ISBN 978-0-230-60372-1 et 0-230-60372-6, lire en ligne), p. 108-111
  33. Mathilde Roche et Elsa de La Roche Saint-André, « Qui est la journaliste française Anne-Laure Bonnel, censurée, selon Moscou, pour son travail sur le Donbass? », sur Libération (consulté le ).
  34. « Ukraine: pour les déplacés du Donbass, une crise sans fin », sur LExpress.fr, (consulté le ).
  35. a b c d et e « Guerre du Donbass en Ukraine : "On est dans un contexte qui peut-être assez explosif " », sur TV5MONDE, (consulté le ).
  36. « A Kharkiv, pro et anti-Maïdan se font face », Le Temps,‎ (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
  37. « Ukraine : qui sont les hommes armés qui ont contrôlé deux aéroports de Crimée ? », sur Franceinfo, (consulté le ).
  38. « Les éléments qui accréditent l'intervention de soldats russes en Ukraine », sur Le Monde, (consulté le ).
  39. (en) « Armed pro-Russian insurgents in Luhansk say they are ready for police raid », Kyiv Post, .
  40. (en) « Ukraine leader asks for UN peacekeepers in restive east of country »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), Yahoo! News, .
  41. « La présence de soldats russes dans l'est de l'Ukraine inquiète », sur lefigaro.fr, (consulté le ).
  42. « Ukraine : la Russie toujours accusée de fournir des armes aux séparatistes », sur Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, consulté le ).
  43. (en) « Senior Official Warns Security Council of Dangerous Escalation in Ukraine, Citing ‘Deeply Alarming Reports of Russian Military Involvement’ », sur un.org, .
  44. (en) « Putin’s Undeclared War: Summer 2014 – Russian Artillery Strikes against Ukraine. », sur bellingcat.com, (consulté le ).
  45. (ru) « Protocole de Minsk », sur Organization for Security and Co-operation in Europe, (consulté le ).
  46. Présidence de la République, « Ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur www.elysee.fr (consulté le ).
  47. « Conflit Ukraine-Russie : cinq questions sur les "accords d'amitié" signés entre Moscou et les républiques autoproclamées de Lougansk et Donetsk », sur Franceinfo, (consulté le ).
  48. « Ukraine : "violation flagrante du droit international" selon la ministre allemande Baerbock », sur France 24, (consulté le ).
  49. La rédaction, « "Acte illégal", "violation du droit international", "rejet du dialogue"... Les principales réactions aux déclarations de Vladimir Poutine », sur Nice-Matin, (consulté le ).
  50. a et b « Ukraine: la Russie reconnaît l'indépendance des territoires séparatistes », sur RFI, (consulté le ).
  51. « Ukraine : Poutine balaie les accords de Minsk, les premières sanctions occidentales dévoilées », sur France 24, (consulté le ).
  52. « La Russie lance une offensive fulgurante sur l'ensemble de l'Ukraine », sur Les Echos, (consulté le ).
  53. Recensement de 2001 : les langues.
  54. a et b (en) « About number and composition population of UKRAINE by data All-Ukrainian population census 2001 data », sur Commission Nationale des Statistiques d’Ukraine,
  55. a et b Games from the Past: The continuity and change of the identity dynamic in Donbass from a historical perspective, Université de Södertörn (19 mai 2014)
  56. (en) Lenore Grenoble, Language Policy in the Soviet Union, Springer Science+Business Media, , 237 p. (ISBN 978-1-4020-1298-3, lire en ligne), p. 84.
  57. (en) Taras Kuzio, « Soviet conspiracy theories and political culture in Ukraine:Understanding Viktor Yanukovych and the Party of Region », Communist and Post-Commnist Studies, no 44,‎ , p. 221-232 (DOI 10.1016/j.postcomstud.2011.07.006, lire en ligne)
  58. (en) Oliver Schmidtke et Hiroaki Kuromiya, Europe's Last Frontier? : Belarus, Moldova, and Ukraine between Russia and the European Union, New York, Palgrave Macmillan, , 255 p. (ISBN 978-0-230-60372-1 et 0-230-60372-6), p. 97
  59. D'après (en) S. Grumau, « Coal mining in Ukraine », Economic Review, no 44,‎ (lire en ligne)
  60. Olivier Audéoud, « Les eurorégions et l’élargissement », Strates,‎ (DOI 10.4000/strates.2072)
  61. « GEOPOLITIQUE / L'Europe des régions et ses limites 1 », sur La philosophie à Saint-Denis (consulté le )

Voir aussi

modifier
 
Une catégorie est consacrée à ce sujet : Donbass.

Articles connexes

modifier

Liens externes

modifier