Lepitre Aux Soufis
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Hrite de lorientalisme du XIXe sicle (MAKDISI 1983, p. 43-49), et accentue par lavnement du wahhabisme et du salafisme, la rputation anti-soufie dIbn Taymiyya na cess de voiler la ralit de son uvre porte mystique2. Ce nest que tardivement que lon a vu laudace de certains chercheurs percer, ici et l, lpais brouillard couvrant limmense hritage du ay alislm. Force est de constater que lentreprise nen est qu ses balbutiements. Cependant, ces travaux pionniers ont permis de rvler les affinits dIbn Taymiyya et de son cole hanbalite avec la mystique musulmane3. Une chose est certaine, il nexiste aucun crit du savant hanbalite condamnant le soufisme en tant que tel4. Faire du ay al-islm un opposant la mystique, reviendrait ngliger son acuit danalyse et sa modration en termes de jugement. Selon Ibn Taymiyya, il ne faut rien rejeter en bloc, et la seule chose quil soit correct de faire, cest [cependant] de juger vridique le vrai et de traiter le mensonge de vain5. Lide dune antinomie entre un sunnisme orthodoxe, incarn par le savant hanbalite, et la mystique rsulte en ralit dune lecture partielle et hors contexte de son uvre. En effet, les crits dIbn Taymiyya, saisis dans leur contexte historique, tmoignent non seulement dune doctrine favorable la mystique, mais sen trouvent fortement influencs. Ce qui nest pas sans surprendre Chodkiewicz (1984a, p.192193) qui, propos de la position du docteur
1.Je tiens remercier Madame Denise Aigle, Messieurs ric Geoffroy et Pierre Lory pour leurs prcieux conseils. Jexprime galement ma reconnaissance mes professeurs darabe, messieursWalid al-Hafez et Jamal Chehayed, pour leur inestimable apport. Enfin, je salue le travail de relecture de Robin Beaumont, Jean-Charles Coulon, JeanYves LHopital et de mon pouse Georgette Musong Assef. 2.Pour la wahhabisation progressivede lislam sunnite et lhostilit de Muammad b. Abd al-Wahhb (17031792) envers le soufisme, voir PESKES 1999. 3.MAKDISI, 1973, 1974, 1984; MICHEL1981; HOmERIN 1985; GEOFFROY 1995b. 4.Pour un aperu des doctrines soufies incrimines par Ibn Taymiyya, voir LAOUST 1962, p. 32-34. Sur linfluence posthume d Ibn Taymiyya, voir LAOUST 1939, p. 475-575,et LAOUST 1962, p. 44-47.
5.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 434; cit par MICHOT 2007, p. 56. Plus aveugle sera cependant la condamnation du soufisme par les pigones wahhabites dIbnTaymiyya, dont le fondateur Muammad b.AbdalWahhb noprait pas de distinction entre les pratiques populaires et celles du soufisme. Voir PESKES 1999, p. 153 et 159.
Bulletin dtudes Orientales, LX, 2011, Ifpo, Damas, p. 91-122.
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hanbalite sur lextinction mystique (fan), affirmait: un tel langage parat surprenant et presque incongru sous la plume dun auteur peu port aux professions de foi soufies.
Prcisions mthodologiques
Ltude de la perspective taymiyyenne du soufisme ncessite des prcautions dordre mthodologique. Rappelons que soufisme est un terme synthtique qui, dans sa ralit vcue, comprend une riche palette de types spirituels donnant lieu diverses doctrines et pratiques6. En outre, celles-ci ont volu au fil du temps, mais peuvent tout aussi bien se distinguer dune rgion lautre une mme poque (CHABBI 1977, p.5-8). Dautre part, lide, encore persistante, dune opposition intrinsque entre orthodoxie sunnite et mystique contribue une approche incertaine du soufisme. En effet, lorthodoxie, pas plus que le soufisme, ne dsigne une doctrine fixe dans le temps et dans lespace. McGregor (2009, p.69-74) souligne que le terme orthodoxie, emprunt la chrtient, est inadapt pour rendre pleinement le caractre pluraliste et complexe de la vie religieuse dans les socits musulmanes. Les apprciations paradoxales mises par les docteurs de la Loi propos des soufis illustrent parfaitement cette orthodoxie gomtrie variable. titre dexemple, Ibn Taymiyya a comment plusieurs crits mystiques, dont ceux du soufi hanbalite Abd al-Qdir al-ln (m.1166)7; lun des matres de ce dernier, ammd al-Dabbs (m.1130), bnficiait dune grande estime auprs du ay al-islm8. Cette attitude contraste avec celle du hanbalite Ibn Aql (m. 1119) qui, deux sicles plus tt Bagdad, avait svrement critiqu Dabbs, lui reprochant de pratiquer un soufisme suspect9. Bien quen voie dabandon, labstraction outrancire et les procds gnralisateurs et comparatistes abusifs (CHABBI 1977, p.7) ont nanmoins constitu un obstacle majeur des tudes plus approfondies sur le rapport entre hanbalisme et soufisme et plus particulirement sur luvre mystique dIbn Taymiyya. Ses crits, souvent de circonstance (CHODKIEWICZ 1984b, p.99), ncessitent que lon en prcise le contexte, et donc la porte. Dune manire gnrale, luvre dIbn Taymiyya ne peut tre comprise sans une connaissance du contexte politique, social et religieux dans lequel il voluait. Son action est si troitement lie lhistoire des premiers Mamlouks quon ne peut pleinement comprendre lune sans lautre (LAOUST 1960, p.2). Dailleurs, Ibn Taymiyya est-il lennemi du soufisme, des soufismes ou bien dune certaine forme de soufisme? Nous constatons que le pluriel na t que rarement employ dans ce genre de questionnement. Henri Laoust (1939, p.89-93) fut parmi les premiers souligner les affinits du ay al-islm avec le soufisme, nuanant de ce fait la rputation
6.Pour une typologie spirituelle du taawwuf, voir GEOFFROY 1995a, p. 283-360. 7.La vnration dIbn Taymiyya pour ce matre soufi est si grande quil le qualifie de ple des connaissants (qub al-rifn), voir IBN TAYmIYYA, Al-Istiqma, vol. I, p. 85. Pour le commentaire des Fut al-ayb de ln, voir IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 455-548. Voir galement MICHEL 1981. 8.Ibn Taymiyya classe ammd al-Dabbs et Abd al-Qdir al-ln parmi les mai ahl al-istiqma, (voir IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 516). 9.MAKDISI 1963, p. 376, n.1 et p. 383, n. 1.
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anti-soufie dans laquelle tait cloisonn le savant hanbalite. Des tudes postrieures sont venues confirmer ces affinits (MAKDISI 1983, p.54), allant mme jusqu suggrer son appartenance la confrrie soufie Qdiriyya (MAKDISI 1973). La relative abondance darguments en faveur dune adhsiondIbn Taymiyya au soufisme ne saurait tre dcisive, sans un examen attentif des interactions entre le suppos adepte et les multiples dimensions de la mystique musulmane. En effet, lemploi du terme soufisme limite notre comprhension de la mystique certains de ses aspects. Dune manire gnrale, la mystique pose un problme dapproche mthodologique, car il ne sagit pas seulement de sen tenir une analyse phnomnologique de lexprience religieuse. Lobjet tudi est alors un mystre personnel, de soi ineffable au surplus, celui des rapports les plus profonds qui puissent tre sur terre entre lme et Dieu (GARDET et ANAWATI 1976, p.14). Anawati et Gardet (1976, p.15) insistent sur la ncessit de distinguer entre lexprience mystique elle-mme et son expression conceptuelle ou verbale. En effet, le chercheur, ne disposant que dcrits, peut se trouver devant une exprience mystique profonde mal conceptualise ou bien inversement, devant une doctrine mystique harmonieuse sans aucune ralit vcue. Anawati et Gardet (1976, p.15) ajoutent que lexprience mystique tant quelque chose dessentiellement personnel, ne peut tre interprte qu la lumire de la vie mme du mystique, audel de son expression verbale. Cette prcaution dordre mthodologique est rappele par Garcin (2006, p.11) qui met en garde lhistorien gnraliste contre les erreurs dapprciation dans lapproche du soufisme. Quant linterrogation de lhistorien concernant la lgitimit dune enqute simplement historienne sur le soufisme, surtout si elle est le fait dun historien qui nest pas lui-mme musulman (GARCIN 2006, p.12-14) le spcialiste du soufisme, Gril (2006, p.72), rpond quil nest pas ncessaire dtre soufi, ni mme musulman, pour pntrer cet univers. [], il suffit den connatre les codes. Bien que formule, la question de ladhsion dIbn Taymiyya au soufisme reste somme toute secondaire aux yeux de lislamologue. Dailleurs, toute affirmation sur le sujet ncessiterait que lon tablisse les critres objectifs permettant didentifier un adepte du soufisme, dans le Damas mamelouk des XIIIe et XIVe sicles10. La tche est dautant plus difficile que le taawwuf revt de multiples formes, notamment cette poque11. Plutt que ladhsionen elle-mme, le chercheur sur la mystique sintressera lorigine et au degr de cette affiliation12. Est-elle uniquement dordre social (confrrique)13? Sagit-il dune
10.Question galement pose par D. Gril pour un contemporain dIbn Taymiyya vivant en Haute-gypte. Voir GRIL 2006, p. 56. 11.POUZET 1991, p. 207-243. Dautre part, les questions poses au dbut de Lptre des soufis, font part de la multiplicit des voies soufies (suluk), sur lesquelles Ibn Taymiyya doit se prononcer. 12.Outre les matres authentiques du soufisme (mai ahl al-istiqma) quIbn Taymiyya cite explicitement, il serait intressant de retracer la filire mystique dont ses crits se font lcho. Le gigantisme de son uvre, la complexit du contexte historique et la persistance des prjugs son propos, risquent cependant de rendre lenqute longue et fastidieuse. 13.Sur les voies soufies, voir GRIL 1996bet GEOFFROY 1996.
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pratique rgulire de certains rites, de simples affinits avec les doctrines et lthique du soufisme14,ou bien dune adhsion totale, vcue dans sa forme extrieure comme dans ses ralits mtaphysiques (aqiq)? Ces remarques et interrogations suggrent une redcouverte de luvre dIbnTaymiyya et de son milieu selon une approchemicro-historique15, accompagne dune dmarche attentive aux multiples dimensions et expressions de la mystique musulmane. En effet, il ne sagit plus dtudier les autorits religieuses sous langle exclusivement islamologique, mais de privilgier une approche attentive aux individus et leurs paroles, saisis dans leurs relations dautres individus, []. Lhistorien se doit de suivre le destin dun homme ou dun groupe dhommes et avec lui la multiplicit des espaces et des temps, lcheveau des relations dans lesquelles il sinscrit (AIgLE 2010, p.16).
Lptre des soufis et le contexte historique
dfaut de pouvoir nous prononcer, dans limmdiat, sur une ventuelle affiliation du ay al-islm au soufisme, nous proposons dexaminer son opinion vis--vis du taawwuf et de ses adeptes, opinion quil expose dans lptre al-fiyya wa-l-fuqar16, dont nous proposons ci-aprs une traduction. Lptre des soufisdbute par un court expos sur lorigine du soufisme, la suite de quoi IbnTaymiyya abordele sujet principal de son ptre, les tats spirituels (awl sing. l). Aprs avoir pass les tats spirituels des soufis au crible du Coran, de la Sunna et du consensus des Salaf, le savant hanbalite rpond aux questions initiales sur les diffrentes catgories de soufis. Relativisant limportance des dsignations et des catgories quil a numres prcdemment, Ibn Taymiyya conclut en invoquant la hirarchie des croyants et leurs qualits intrinsques selon la Rvlation. Le style simple et didactique de Lptre des soufis nous indique quelle est destine un large public. Les questions, formules au dbut de lptre, semblent confirmer cette hypothse. En effet, il sagit de discerner, parmi les diffrentes sortes de soufis, les caractristiques de chaque fraction et den dterminer la lgalit. Toutefois, le caractre gnraliste de lptre nempche pas IbnTaymiyya de faire rfrence, ft-ce furtivement, aux dbats doctrinaux autour du soufisme, notamment sur les conditions de la saintet (walya), quil voque en fin dexpos. Quant au lecteur spcialiste, il est avis que cette rponse contient des propos ncessitant de longues explications, qui ne peuvent se faire ici17. Bien que le cadre historique semble tre celui des premiers renonants (zuhhd sing. zhid) de Bassora, une lecture attentive confronte aux donnes historiques nous permet dentrevoir un texte dune brlante actualit 18. Ce que Homerin, dans sa traduction
14. propos des doctrines et pratiques soufies, voir GRIL 1996a. 15.Sur la micro-histoire, voir AIgLE 2010, p. 14-18. 16.Texte arabe dans IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 5-24, dsormais: Lptre des soufis. 17.Avis partag par HOmERIN 1985, p. 220. 18.Le texte tant trs allusif, nous ne pouvons le dater avec prcision.
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(1985,p.220), signalait comme de simples digressions, sont en ralit des rfrences implicites ses contemporains. Le passage concernant les moyens illicitesdaboutir livresse spirituelle vise trs probablement ses contemporains 19. Il y dnoncela consommation de vin, de haschichmais galement lamour et la passion des formes, ainsi que le sam. Nous savons par ailleurs le penchant des aydariyya20 de Damas pour le haschich21. De mme, il est attest que la pratique du sam, son poque, tait dans certains cas accompagne de danse et de vin22. Quant lamour et la passion des formes, il semble quIbn Taymiyya se rfre ceux de ses contemporains qui sadonnaient la contemplation de jeunes garons imberbes23. Ailleurs, le savant hanbalite fait allusion la fameuse divergence propos de celui qui prononce la rpudiation (alq) en tat dbrit24. Il semble que dans ce passage il apporte furtivement un argument pour soutenir sa position, qui consiste refuser le regroupement des trois formulations de divorce en une seule. Pour rappel, cette position lui valut, en 1318, linterdiction du sultan dmettre des fatw-s sur le sujet et, en septembre 1320, il fut condamn lemprisonnement pour avoir enfreint linterdiction sultanienne. Cest encore ses contemporains quIbn Taymiyya adresse ses griefs lorsquil fait allusion aux drives du soufisme tatique (fiyyat al-arzq), institutionnalis et financ par les grands de ce monde. ce sujet, L. Pouzet mentionne la confrrie Qalandariyya qui reut, de Kitbu, dix mille pices dargent en 129625. Bien que ces allusions restent priphriques, lptre illustre parfaitement ltroite corrlation entre luvre et lenvironnement immdiat du savant hanbalite.
Types spirituelset degrs de ralisation
linstar du Kitb al-taarruf de Kalb (m. 998)26, Lptre des soufis dbute par lanalyse lexicale du terme f.Ibn Taymiyya analyse, travers le prisme de la linguistique et de la logique, quelques-unes des filiations proposes par les manuels de soufisme. Il en dduit que ladjectif de relation f ne peut faire rfrence qu lhabit de laine (f)27. La suite de lptre nous induit penser que cette prcision est loin dtre anodine. En effet, les autres origines possibles du terme f, que le savant hanbalite a limines, sont des termes
19.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 10-11. 20. propos des aydariyya et de la consommation de haschich, voir MICHOT 2001a, p. 40, n. 3; GEOFFROY, p. 69-70. Sur leur implantation Damas, voir POUZET, 1991, p. 228-229. 21.Sur la consommation du haschich dans les milieux mystiques, voir MICHOT 2001a, p. 38-51et GEOFFROY 2010, p.70-72. 22.Ibn Taymiyya raconte une telle scne dont il dit avoir t tmoin (voir IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p.418-419; trad. MICHOT 1991, p. 23-24). 23.POUZET 1983, p. 132; HOmERIN 1985, p. 226, n. 32. 24.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 11. 25.Voir infra, n. 169. Sur lintrt des mirs mamelouks pour certains ordres soufis,voir GARCIN 2006, p. 32. 26.Kalb, Trait de soufisme, p. 25-31. 27.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 6; Kalb, Trait de soufisme, p. 30.
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logieux28tels ahl al-uffa29 (les Gens du banc), lerang (aff) avanc se tenant devant Dieu et llite (afwa) de la crationde Dieu. IbnTaymiyya tente, tout au long de son expos, de distinguer les soufis authentiques des pseudo soufis30, qui se complaisent dans le fait den porter le titre31. Cest dans ce mme esprit quIbn Taymiyya voque lapparition tardive du terme f, qui selon lui daterait de lpoque de asan al-Bar (m. 728). Conscient des ralitsmtaphysiques (aqiq) sous-jacentes au terme taawwuf, Ibn Taymiyya relativise ses manifestations extrieures et aborde lessence mme du cheminement soufi: les tats spirituels, que Kalb nomme par ailleurs les sciences des soufis32. Lapparition tardive du terme et du phnomne soufi Bassora ne fait pas pour autant du taawwuf une innovation (bida) aux yeux dIbn Taymiyya. Bien au contraire, les tats spirituels du soufi et la science qui en dcoule remontent, selon lui, au Prophte et ses compagnons. En outre, les tats spirituels (awl) atteints par les Compagnons sont ceux mentionns dans le Coran33 . Pour les ahl al-sunna wa-l-ama, de qui le savant hanbalite se rclame, le Coran, la Sunna et le consensus de la communaut musulmane (ima), forment les trois fondements de la religion34. Et cest selon ces trois principes que lon doit juger les paroles et les actes des hommes dans leur ralit intrieure (bin) et leurs manifestations extrieures (hir)35. Sans rejeter le consensus de ses contemporains, qui reste selon lui discutable, Ibn Taymiyya affirme que le seul consensus qui soit bien tabli est celui des vertueux Anctres (al-salaf al-li) car, aprs eux, les divergences se sont accrues et la communaut (umma) sest divise36. De l procdent ses nombreuses rfrences aux trois premires gnrations(alqurnalala)37, qui reprsentent, ses yeux, lge dor de lislam (al-qurn al-ala al-mufaala). Cest mme un principe fondamental dans le concept historique dIbnTaymiyya (OLESEN1991, p.55). La meilleure des poques est, selon un hadith, celle laquelle le Prophte fut envoy38. De ce fait, plus on sloigne de lpoque de laRvlation,plus la religion est en proie aux innovations et, par consquent, aux
28. lexception du nom de la tribu antislamique (ufa b. Bir b. Addi b. bia) quIbn Taymiyya carte pour des motifs historiques. 29.Voir WATT 1960. 30.Sur les pseudosoufis, voir GEOFFROY 1995a, p. 175-187. 31.Le problme de la forme et des ralits mtaphysiques du soufisme tait dj soulev au Xe sicle par Huwir (m. 1072) : cest aujourdhui un nom sans ralit alors que ctait jadis une ralit sans nom, cit par CHODKIEWICZ 1984c, p. 42. 32.Cit par Kalb, Trait de soufisme, p. 91 : Sache que les sciences des soufis sont les sciences des tats spirituels. 33.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 8. 34.Sur la mthodologie dIbn Taymiyya et les fondements de la religion, voir LAOUST 1939, p. 226-259; IBN TAYmIYYA, La profession de foi dIbn Tamiyya, p. 84, n. 260. 35.IBN TAYmIYYA, La profession de foi dIbn Tamiyya, p. 84. 36.IBN TAYmIYYA, La profession de foi dIbn Tamiyya, p. 84. 37.Pour la dfinition dal-qurn al-ala, voir IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XXVII, p. 384-385. 38.MUSLIm, a, 44:52:213 (k. fail al-aba); cit dans IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 14.
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divisions39. Le soufisme nchappe gure cet effet de corrosion, d lloignement dans le temps de lpoque prophtique. Et ce nest quen luttant activement contre les innovations, contraires aux fondements de la religion, que lon peut en limiter leffet dissolvant sur lhritage du Prophte40. La rfrence aux trois premires gnrations (al-qurn al-ala) permet IbnTaymiyya, non pas de condamner, mais bien au contraire, dexcuser certains excs des gnrations postrieures, prives de la lumire immdiate du Prophte, des Compagnons ou des Suivants. Ainsi, Ibn Taymiyya ne dsapprouve pas ceux qui, Bassora, sadonnaient une certaine exagration, dans le renoncement (zuhd), la dvotion (ibda), la crainte de Dieu (awf), etc.41 . Loin de limage de rigoriste quon lui prte, la position du ay al-islm est faite de nuances, et mme dindulgence envers livresse spirituelle et les extatiques. Il va mme jusqu excuser les paroles insenses profres par ces derniers alors quils sont en tat divresse spirituelle 42. Par ailleurs, il fait preuve de la mme mansutude envers les locutions thopathiques (atat) de Bism (m.877)43, de Nr (m. 907) ou de ibl (m.945):
Ainsi, il se produisit chez [certains] matres soufis, une extinction mystique (fan) et une ivresse spirituelle (sukr) entranant laltration de leur discernement au point que certains ont tenu, en cet tat, des propos quils considrrent comme errons, une fois revenus eux-mmes. De tels faits sont rapports propos dAb Yazd [al-Bism] par exemple, dAb al-asan al-Nr, dAb Bakr al-ibl et de leurs semblables44.
Fidle sa mthodologie 45, lindulgence dIbn Taymiyya ne concerne cependant que les causes licitesde livresse spirituelle, cest--dire le sam du Coran46, la mention des noms de Dieu (ikr), ou toute cause involontaire, tellelaudition fortuite (sam lam yaqidhu)47. Cest ainsi quil condamne, avec une grande fermet, ltat divresse spirituelle obtenue par des moyens jugs illicites: la consommation denivrants, telles les boissons alcoolises et le haschich48[], lamour et la passion des formes, [] laudition (sam)49 des voix ravissantes (al-awt al-muriba)50.
39.Sur le thme de la dgnrescence du temps, voir GEOFFROY 1995a, p. 176-177. 40.Concernant sa position vis--vis des innovations, voir IBN TAYmIYYA, La profession de foi dIbn Tamiyya, p. 83, n. 256. 41.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 6. 42.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 10. 43. propos dAb Yazd Bism et de ses at, voir MASSIgNON 1999, p. 273-287. Cest galement Massignon que nous empruntons lexpression locutions thopathiques. 44.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 220-221. 45.Cest--dire aux trois fondements de la religion: le Coran, la Sunna et le consensus des Salaf. 46.Concernant sa position sur le sam, voir MICHOT 1991. 47.Concernant laudition fortuite, voir MICHOT 1991, p. 65-67. 48.Sur le haschich, voir le recueil des fatwa dIbn Taymiyya traduit par MICHOT 2001a, p. 77-153. 49.Kalb vante les bienfaits du sam, de mme que unayd y est favorable (voir Kalb, Trait de soufisme, p.183-184). 50.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 10-11.
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Toutefois, Ibn Taymiyya signale que le Prophte et les Compagnons ne perdirent point le discernement lors des inspirations subites (wrid) et que leur tat est en tout point prfrable. Il se rfre ainsi lexprience de lascension cleste (mir) du Prophte, dont ltat resta inchang, comme sil navait jamais quitt sa demeure51. Et dans la ligne du Prophte et des Compagnons, le savant hanbalite inclut certains matres du soufisme, qui surent rester stables :
De par lentendement et le discernement qui les accompagnaient lors de leurs tats spirituels, ne sont tombs, dans de telles extinctions mystiques, ivresses spirituelles, etc., ni Ab Sulaymn al-Drn, ni Marf al-Kar, ni Fuayl b. Iyd [et encore moins] unayd et ses semblables52.
Mais lextatique, perdant tout discernement, est dautant plus excusable quun tel tat est mentionn dans le Coran propos du prophte Mose, qui tomba foudroy lorsque Dieu se prsenta au Mont 53. Considrant ltat spirituel de Mose comme vnrable, lev et mritoire, Ibn Taymiyya note cependant que ltat spirituel de Muammad, de par sa stabilit, est plus complet, plus lev et prfrable. Cette opinion se retrouve galement chez Kalb, qui affirme que celui dont lextase est forte reste matre de soi et calme54. Sappuyant sur les propos de unayd, lauteur du Taarruf prcise que lextase nest pas un but en soi; lextase est transitoire alors que la connaissance (marifa), elle, est stable et ne passe pas 55. De mme, Kalb considre que ltat demprise (alaba) conduisant la perte de discernement reste admissible, mme si un tat stable lui est prfrable56. Selon Ibn Taymiyya, lapplication personnelle (itid) des soufis et les divergences qui en dcoulent (tanzu f-hi) ont conduit certains imams jeter lanathme sur le soufisme en tant que tel. Cependant, le ay al-islm rejette explicitement une telle condamnation du soufisme, de mme quil dsavoue toute exagration dans lloge des soufis57. Dans un autre passage des Mam al-fatw, il affirme propos de la voie soufie :
[Pourtant] ce qui est correct, cest seulement dentriner ce qui, en cette [voie] et en dautres, est en accord avec le Livre et la Sunna, et de dnoncer ce qui, en elle et en dautres, est en opposition avec le Livre et la Sunna58.
Se rfrant aux fondements de lislam, son rformisme religieux sapplique ainsi purer la mystique musulmane des innovations (bida) et des imposteurs59, lexemple
51.Notons quici, Ibn Taymiyya analyse le mir du Prophte dans la perspective dune exprience mystique. 52.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 221. 53.Coran 7: 143; cit dans IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 13. 54.Kalb, Trait de soufisme, p. 124. 55.Kalb, Trait de soufisme, p. 124. 56.Kalb, Trait de soufisme, p. 128. 57.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 18. 58.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 82(trad. MICHOT 2000, p. 1). 59.Ide du muaddid exprime dans IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 434-435.
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de all, que les matres [du soufisme], tel unayd, le Prince de lOrdre, ont dsavou et exclu de la voie60.
Soufis et hirarchie spirituelle
Aprs lexpos sur les conditions de licit de lextase, le ay al-islm positionne le soufi dans la hirarchie spirituelle, telle quelle est dfinie par le Coran : Ceux que Dieu a combls de bienfaits ; avec les prophtes, les vridiques (iddqn), les tmoins (uhad) et les vertueux (lin) : voil une belle assemble !61 . Ainsi, Ibn Taymiyya affirme que les plus mritants (afal) des hommes, aprs les prophtes, sont les vridiques (iddqn)62. De mme que pour les tats spirituels, le ay al-islm sapplique faire la part des choses quant ceux qui estiment quaprs les prophtes, les hommes les plus mritants sont les soufis, du fait quils ont atteint le degr de iddq. Sans contredire lassertion faisant des soufis les plus mritants des hommes, le savant hanbalite prcise que le soufi nest quun vridique (iddq) parmi dautres classes (naw) de vridiques et que le degr de iddq nest pas lexclusivit des soufis. En prsentant le cadre lgal des tats spirituels et le statut du soufi authentique (iddq), Ibn Taymiyya atteste de ce que fut le soufisme originel63. Le savant hanbalite distingue trois catgories parmi ceux qui se rclament du soufisme. Il y a tout dabord les soufis des ralits mtaphysiques (fiyyat al-aqiq), ceux-l mmes qui ont atteint le degr de iddq. Ils sont, selon lui, rares et ne frquentent pas ncessairement les nqh. Puis viennent les soufis financs(fiyyat al-arzq), du fait quils bnficient des fruits des fondations pieuses (wuqf ou awqf, sing. waqf). Ces derniers doivent se conformer trois conditions : le respect de la Loi divine, le respect des rgles de la Voie, et le dtachement par rapport aux biens de ce monde 64. Arrivent en dernier lieu, les soufis des apparences (fiyyat al-rasm), qui nont de soufi que le titre. Cette hirarchie spcifique aux soufis est relativise par celle de la Rvlation65, qui sapplique lensemble du genre humain. Ainsi, les Amis de Dieu (awliy sing. wal) ne
60. Mam alfatw, vol. XI, p. 18. 61.Coran 4: 69; trad. D. MASSON, lexception de iddqn et lin que nous avons traduits par vridiques et vertueux . Cit dans Mam alfatw, vol. XI, p. 17. 62.Ce passage de lptre vise implicitement la doctrine de la walya (saintet) de lcole dIbnArab qui, selon la comprhension dIbn Taymiyya, prtend la suprmatie du wal (saint) sur le nab (prophte). Sur ce dbat et la position dIbn Taymiyya, voir CHODKIEWICZ 1984a, p. 146-158; LAOUST 1939, p. 179-203. 63.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 18. 64.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 19. 65.Dans ce cas bien prcis, il sagit du Coran et du hadith quds, dit des actes surrogatoires(nawfil) , cit par BUr, a, 81:38:2 (k. al-raqq); IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 22-23. Trad. infra, p. 135. Ibn Taymiyya mentionne trente reprises ce hadith dans les Mam al-fatw. Pour lusage de ce hadith par les auteurs soufis, voir GRAHAm 1977, p. 173-174. Extrait de notre traduction : Dieu a dit:quiconque montre de lhostilit un de Mes Amis (wal), Je lui dclare la guerre. Mon serviteur ne sapproche de Moi que par ce que Jaime le plus, par les devoirs religieux que Je lui ai enjoints, puis Mon serviteur ne cesse de se rapprocher de Moi par des uvres surrogatoires (nawfil) jusqu ce que Je laime. Quand Je laime, Je suis son oue par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main par laquelle il saisit et son pied avec lequel il marche. Cest donc par Moi quil entend, quil voit, quil saisit, et quil marche. []
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sont pas exclusivement des soufis, de mme que tous les soufis ne peuvent prtendre au statut de wal66. Les Amis de Dieu, selon la Rvlation, se distinguent par leurs actes et se rpartissent ainsi en deux catgories : les modrs (muqtaidn)67, quil dnomme galement les compagnons de la droite (ab al-yamn) 68. Ce sont ceux qui se rapprochent de Dieu par les actes obligatoires (fari). Tandis que les rapprochs de Dieu (muqarrabn)69, encore appels les devanciers (sbiqn)70, sont ceux qui se rapprochent de Dieu par les actes obligatoires suivis des actes surrogatoires (nawfil). Et ce sont ceux-l qui ne cessent de se rapprocher de lui, jusqu ce quIl les aime, ainsi quil est dit dans le ad al-nawfil. Lexgse dIbn Taymiyya semble originale dans la mesure o aucun auteur antrieur na, notre connaissance, associ les catgories coraniques des ab al-yamn et des muqarrabn avec les actes obligatoires et les actes surrogatoires dont il est question dans ce hadith quds. Dune manire gnrale, les exgtes antrieurs Ibn Taymiyya considrent le degr des muqarrabn (Coran 56:11) comme le plus lev auprs de Dieu, le jour de la rsurrection,sans pour autant prciser la manire datteindre cette proximit71. Dans le mi al-bayn de abar (m. 923) que par ailleurs Ibn Taymiyya considre comme la plus exacte des exgses72 muqarrabn dsigne ceux que Dieu rapprochera de Lui le jour de la rsurrection (qiyma) et quIl fera entrer au paradis (anna)73. travers son exgse, IbnTaymiyya souligne le double processus qui permet datteindre le degr de la proximit divine (qurb)74. Il y a, dune part, la tentative de rapprochement (taqarraba) du serviteur par ses actes et, dautre part, lactionde grce du Seigneur, qui fait entrer Son serviteur parmi Ses rapprochs (muqarrabn)75. Pour le savant hanbalite, il sagit dune faveur, qui nest accorde quaux croyants, qui craignent Dieu (muttaqn),
66.Concernant le thme de la walya (ou wilya), voir CHODKIEWICZ 1984c . Sur la raction dIbn Taymiyya contre la doctrine de la saintet (walya) chez Ibn Arab (m. 1240), voir supra, n. 62. 67.Pour les occurrences demuqtaid, voir Coran 31: 32 ; 35:32. 68.Pour ab al-yamnet ab al-maymana, voir Coran 56:8, 27, 90-91; 74:39; 90:18. 69.Pourmuqarrabn, voir Coran 3:45; 7:114; 26:42; 56:11, 88; 83:21, 28. Nous ne citons pas les versets o muqarrabn dsigne les anges rapprochs de Dieu. 70.Pour sbiqn, voir Coran 23:61; 35:32 ; 56:10. D. Masson traduit sbiqn par les premiers arrivs. Toutefois, notre choix se base sur le sens de sbiq(n), exprim dans les autres occurrences coraniques, ainsi que sur les diffrentes exgsesque nous citons ci-aprs (n. 71), o le terme sbiqn dsigne ceux qui devancent les autres croyants dans la foi, la prire, les bonnes actions, etc. 71.abar, mi al-bayn, vol. XX, p. 183-184; Talab, al-Kaf wa-l-bayn, vol. IX, p. 202-203; Mward, al-Nukat wal-uyn, vol. V, p. 449; IBN Aiyya, al-Muarrar al-wajz, vol. V, p. 240; IBN AL-awz, Zd al-masr, vol. VIII, p. 134; Rz, Maft al-ayb, vol. XIX, p. 146-147. Concernant lopinion dIbn Taymiyya propos des exgtes cits ci-dessus, voir IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XIII, p. 345-385. 72.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XIII, p. 385. 73.abar, mi al-bayn, vol. XXII, p. 290. 74.Pour lexprience de la proximit divine chez arrz (m. 890), voir NWYIA 1991, p. 252-267. 75.Taqarraba, Ve forme verbale de la racine qrb, implique lide dune recherche active de la part du sujet (dans notre cas, le serviteur). Alors que muqarrabn, participe passif de la IIe forme verbale, signifie ceux qui sont rapprochs (ici, Dieu rapproche Ses serviteurs de Lui-mme).
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qui respectent les obligations religieuses (fari) et qui nagissent que dans le but de se rapprocher de leur Seigneur76. Si lassociation du ad al-nawfil aux versets de la sourate al-Wqia (Coran 56:7-11) semble propre Ibn Taymiyya, en revanche, lide des actes de rapprochement et de la faveur divine existait dj chez les auteurs classiques du soufisme77. Nous retrouvons ce thme dans les propos de Nr (m. 907), cits et comments par Kalb (m. 995):
Ta proximit ne saurait tre le fait de mes attributs ; mais au contraire, sapprocher de Toi ne peut se faire que par Toi et ne provenir que de Toi. [] des hommes se sont rapprochs78 de Toi par leurs uvres et leurs actes dobissance, et Tu ne les as traits avec bienveillance que par pure faveur de Ta part []79.
Le savant hanbalite identifie ainsi les soufis des ralits mtaphysiques aux rapprochs (muqarrabn), quil assimile par ailleurs llite (), alors que les modrs (muqtaidn), identifis aux compagnons de la droite, reprsentent le commun des croyants (mm) 80. Si, dans leur grande majorit, les commentaires, traditionnels et mystiques, ne sattardent pas sur le rapport entre la proximit divine et les actions de lhomme, une seule exgse, notre connaissance, semble sen approcher. Il sagit des aqiq al-tafsr81 de Abd al-Ramn al-Sulam (m.1021), o les muqarrabn (Coran 56:11) dsignent ceux qui rendent le culte le plus sincre Dieu et qui Lui obissent par dsir et par amour82. Dans le supplment son exgse (Ziydt aqiq al-tafsr83), Sulam toffe le commentaire du verset en question:
[] donc celui qui recherche la proximit (taqarraba) de Dieu dans ce monde, doit le rechercher avec un cur pur (bi-qalb hir) et agir avec droiture (bi-amali li). propos des sbiqn muqarrabn, certains ont dit que sils parlent cest de Lui (f-hi) quil parlent, sils agissent cest pour Lui (la-hu), sils demandent cest Lui (min-hu) que sadressent leurs demandes, sils entendent cest de Lui (min-hu) quils entendent; ceux-l sont llite de Dieu (at Allh) et du nombre de Ses intimes (ahl al-wilyati-hi). Ibrhm al-aww84 a dit: ce sont ceux qui se htent vers Lui (bdir ilay-hi) et sempressent dagir avec zle dans ce quils visent. Ils attestent de Son unicit (waada-hu) dans leurs curs (amir). Ils se htent vers le Possesseur (al-Malik), le Suffisant par Soi (al-an)85, et ils se sont affranchis
76.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 22-23. 77.Lide de ces deux degrs de la vie spirituelle dune part, lobservancedes obligations religieuses par le serviteur (ibda), et dautre part, laction de la grce divine (minna) envers son wal est galement exprime par Tirmi (m.898) dans son Kitb atm al-awliy. Voir CHODKIEWICZ 1984c, p. 44-45. 78.Le verbe utilis est: taqarraba. 79.Kalb, Trait de soufisme, p. 118. 80.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 6-7. 81. propos de cet ouvrage majeur de Sulam, voir THIBON 2009, p. 396-404. 82.[] wa abad-hu bi-ala al-ibda wa-inqd ilay-hi bi-l-awq wa-l-maaba, extrait de Sulam, aqiq al-tafsr, vol. II, p. 300. Il sagit dune dition non critique signale (mais non value) par THIBON 2009, p. 396, n. 625. 83.Voir THIBON 2009, p. 404-406. 84.Ibrhm al-aww (m. 904), voir Ab NUAYm AL-Ibahn, ilyat al-awliy, vol. X, p.225-231. 85.GLOTON 2007, p. 28 et p.201.
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de lasservissement et des causalits de ce monde (wa ataq anfusa-hum min raqq al-alq wa asbb al-duniy)86.
Lopinion gnrale dIbn Taymiyya sur le aqiq al-tafsr est mitige, estimant que si le signifi (madll) reste valide, en revanche, largument (dall) est erron87. Par ailleurs, il souligne quune partie des aqiq se base sur des chanes de transmission faibles, notamment celles remontant afar al-diq (m. 765)88. IbnTaymiyya nadmet pas lauthenticit des propos attribus limam chiite, et pense quil sagit des dires de Sulam lui-mme. Une autre critique vise les erreurs concernant les transmetteurs, tout en admettant que les propos transmis sont corrects. Pour le reste, les interprtations restent valables tant quelles ne contredisent pas le Coran ou la Sunna89. Il semblerait par consquent que la conception de la proximit divine dIbnTaymiyya, ainsi que sa hirarchie spirituelle, soient inspires de luvre de Sulam. Ainsi, le signifi (madll) tir des aqiq, est transpos dans le cadre de sa doctrine des trois fondements de lislam, moyennant un dall irrfutable: le hadith quds des actes surrogatoires (nawfil).
CONclUSION
Au vu des crits du ay al-islm, il nous semble dsormais malais de voir en lui lennemi acharn du soufisme. Ses griefs ne visent en ralit que certaines formes de la mystique, juges dviantes90. Ses ractions, souvent virulentes, sexpliquent notamment par son interprtation du contexte sociopolitique. En effet, linstabilit politique91, la crise morale et religieuse92, la passivit des oulmas93, les prils extrieurs ainsi que le danger reprsent par les minorits rebelles94, menacent, selon lui, la religion de Dieu, enseigne et vcue par le prophte de lislam. La translation temporelle vers lge dor de lislam lui permet dune part dexposer ce que fut la mystique idale, celle du Prophte, des Compagnons et des Suivants, et dautre part de poser le cadre juridique incontestable de ses fatwa. Les griefs du savant hanbalite envers certaines doctrines et pratiques du soufisme sinscrivent dans le cadre dun rformisme religieux visant dbarrasser la ara et le taawwuf, corps et cur de lislam, de ses innovations et de ses exagrateurs.
86.Traduit partir du texte arabe dans Sulam, Ziydt aqiq al-tafsr, p. 192-193. 87.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XIII, p. 362. 88.Pour les sources de Sulam, voir BWERINg 1996; THIBON 2009, p. 405, n. 681. 89.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XIII, p. 242-243. 90.Voir supra, n. 4. 91.Un aperu de lorganisation de ltat mamelouk et de la rivalit entre mirs est donn dans GARCIN 1995, p.343352. 92.De son propre aveu, cest pour rpondre ces problmes quil entreprit, vers 1299, la rdaction de sa profession de foi Wsiiyya, la demande du cadi chafite de Wsi qui se disait inquiet de ltat dignorance dans lequel les autorits mongoles laissaient les populations musulmanes dIrak, cit dans IBN TAYmIYYA, La profession de foi dIbn Tamiyya, p.14. Sur son rformisme en gnral, voir LAOUST 1962. Sur les polmiques autour de la conversion lislam du souverain mongol zn n (r. 1295-1304), voir AIgLE 2008. 93.Ibn Taymiyya juge contreproductif le rigorisme des fuqah. En effet, leur interprtation de la loi est si rigide, selon lui, quils sobligent la contourner par des subterfuges juridiques. Voir LAOUST 1962, p. 29. 94.Pour leffort de guerre mamelouk, voir GARCIN 1995, p. 352-354; AmITAI-PREISS 1995, p. 214-235; AIgLE 2008, p. 1-4.
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Lacharnement dont il fit preuve dans la rhabilitation de la pense mystique fut sans doute la hauteur de la mission quil estimait tre sienne:
Dieu fera [cependant], immanquablement, surgir dans cette [religion], successivement aux Messagers, des gens par qui [Son] argument (ua) sera notifi et qui dbarrasseront des falsifications des exagrateurs, des prtentions (intil) des substituteurs et des interprtations des ignorants95.
Dans Lptre des soufis, le ay al-islm sefforce de montrer que le terme taawwuf, loin dtre une appellation sans ralit,dsigne une science islamique part entire, au mme titre que le fiqh. Le soufisme implique, selon lui, la gnose (marif), les tats spirituels (awl), les bonnes murs (alq), les rgles de biensance (db), etc.96. Le soufisme, ou la science des tats spirituels97, a pour finalit de conduire, progressivement, le cheminant au degr de la proximit divine (qurb). Imd al-Dn al-Wsi (m. 1311), le disciple quIbn Taymiyya avait initi la lecture du hadith, affirme en effet que la voie pour atteindre cette proximit divine nest autre que limitation (mutbaa) du Prophte98, dans ses uvres extrieures comme dans ses tats spirituels99. Voil pour ce qui est de la quintessence du soufisme selon Ibn Taymiyya. Son aspect thique ne diffre pas de celui des mystiques et des traditionalistes primitifs: ordonner le bien et interdire le blmable. Quant sa mthode dexgse, il sagit probablement dun procd de mise en conformit des grands thmes du soufismeavec les trois sources fondamentales de son sunnisme100. Si cette hypothse se voyait confirme, luvre du ay al-islm serait alors considrer selon une double perspective: la rhabilitation des sciences sotriques, dans le dessein dune revivification du sunnisme en mal de sens101. Un autre lment en faveur dune telle hypothse rside dans sa gnralisation des thmes du soufisme lensemble des croyants. Il affirme que la doctrine des stations et des tats spirituels (al-maqamt wa-l-awl), quil nomme galement les actes du coeur (aml al-qulb) fait partie des fondements de la foi et des bases de la religion (min ul al-mn wa qawid al-dn). Par consquent, cette doctrine sapplique obligatoirement lensemble des hommes (fa aqlu : hihi al-aml amu-h wiba al am al-alq). Il ajoute que les actes extrieurs (hir) de la dvotion nont aucune utilit sans les actes intrieurs (bin), car les aspects sotriques des sciences et des actes (al-umr al-bina min al-ulm wa-l-aml) reprsentent le vritable fondement de la religion.
95.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 435; trad. MICHOT 2007, p. 57. 96.IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 21. 97.Sur la doctrine des stations et tats spirituels (al-maqamt wa-l-awl), voir GARDET et ANAWATI 1976, p. 41-43; IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 5-15. Pour lnumration des Stations et tats spirituels, voir Kalb, Trait de soufisme, p. 91-161; Anr, Chemin de Dieu : trois traits spirituels, p. 86-150. 98.Pour les soufis, le Prophte incarne le modle parfait du matre spirituel, en qui squilibrent lexotrique et lsotrique. Voir GRIL 1996c, p. 29. 99.GEOFFROY 1995b, p. 89. 100.Rle qui fut attribu azl (m. 1111) par lorientalisme du XIXe sicle. 101.Voir IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 5-15. Par ailleurs, il affirme que, selon les ahl al-sunna wa-l-ama, la religion (dn) et la foi (mn) consistent en paroles et en actes: en paroles du cur et de la langue, en actes du cur, de la langue et des membres, (voir IBN TAYmIYYA, La profession de foi dIbn Tamiyya, p. 73).
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Bien que destine un large public, Lptre des soufis dvoile les grandes lignes de la doctrine mystique du ay al-islm. Saintet et prophtie, ara et arqa, cheminement initiatique et grce divine, llite et le commun, etc., autant de thmes quIbnTaymiyya dtaille par ailleurs et qui mriteraient, selon nous, une investigation plus approfondie.
Lptre des soufis et des pauvres en Dieu 102
[5]
Louange Dieu seul. Prire et salut sur celui aprs qui il ny a point de prophte. Le ay al-islm que Dieu sanctifie son me fut interrog au sujet des soufis (fiyya)103. Ils sont [de plusieurs] sortes (aqsm), et il en est de mme pour les pauvresen Dieu (fuqar). Par consquent, quelle est la particularit de chaque fraction (qism) ? Quelle obligation incombe chacune delles et quelle voie doit-elle suivrede prfrence (yastaibbu)104? Il rpondit: Louange Dieu. Quant au terme fiyya, il ntait pas rpandu dans les trois premires gnrations [de lislam] (qurn) 105, mais cela sest produit par la suite. Il a t rapport que plus dun imam et plus dun matre (ay) lont employ, tels limam Amad Ibn anbal106, [le ay] Ab Sulaymn al-Drn107 et bien dautres. Il est rapport que Sufyn al-awr108 fit usage de ce terme alors que dautres mentionnent cela propos de asan al-Bar109.
102.La prsente traduction a t ralise partir du texte arabe lu dans IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, p. 5-23. Les chiffres souscrits entre crochets renvoient aux pages de cette dition. Pour une traduction en langue anglaise du mme passage voir HOmERIN 1985, p. 221-237. Notre travail se voulant complmentaire celui de Homerin, nous renverrons le lecteur vers les notes de ce dernier pour ce qui est des divergences entre les diffrentes ditions de cette ptre, ainsi que pour la plupart des rfrences bibliographiques concernant les personnages cits. Notre traduction reste dans lensemble conforme cette dernire, cependant, nous estimons que certains choix oprs par Homerin peuvent mener des contresens, notamment sur des points essentiels de la doctrine dIbn Taymiyya; points que nous signalerons dans nos notes. Pour les versets coraniques, nous nous sommes rfrs la traduction de D. Masson, toute variation par rapport cette dernire tant signale en note. 103.Les questions qui suivent laissent, dune part, penser quil existait lpoque dIbn Taymiyya une multitude de voies mystiques et, dautre part, des interrogations quant lauthenticit de ces voies. La richesse du tissu asctique et mystique, dans la rgion de Damas, est signale par POUZET 1991, p. 207-243. Sur les Grands courants du taawwuf dans le domaine syro-gyptien lpoque mamelouke, voir GEOFFROY 1995a, p. 205-239. 104.Le verbe yastaibbu est comprendre dans le sensde ce qui est recommandable. 105.Lexpression al-qurn al-ala dsigne les trois premires gnrations aprs le Prophte. Homerin a opt pour les trois premiers sicles, ce qui, selon nous, est un contresens. La suite du texte ainsi que dautres passages du Mam al-Fatw nous confortent dans notre choix. Voir nos remarques ce sujet supra, p. 114-115. 106. propos dIbn anbal (m. 855) et les soufis, voir MELCHERT 2006, p. 103-120. 107.Ab Sulaymn al-Drn (m. 830) fait partie de la deuxime gnration de disciples de asan al-Bar (m.728). Avec Drn le mouvement mystique instaur Bassora stend Damas. Il est lauteur dune des premires esquisses de la doctrine des stations spirituelles (maqmt), voir GARDET et ANAWATI 1976, p. 27. Autres rfrences bibliographiques dans HOmERIN 1985, p. 221, n. 13. 108.Sufyn b. Sad al-awr (m. 778), un traditionniste de Coufa. Voir galement rfrences dans HOmERIN 1985, p.221, n.14. 109.asan al-Bar (m. 728) faisait partie de la gnration des Suivants (tbin). Considr comme le patriarche de la mystique musulmane, il figurera plus tard quasi systmatiquement dans les chanes initiatiques
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Il y eut divergence propos de la signification [6] attribue au terme f110. Il sagit en ralit dun adjectif dattribution, tels qura, madan, etc. On a avanc que le terme se rapportait aux gens du banc (ahl al-uffa). Ceci est erron, car sil en avait t ainsi, on aurait dit uffiyy. De mme quil est erron dattribuer lorigine du terme f au rang (aff) avanc qui se tient devant Dieu ou bien llite (afwa) de la crationde Dieu111. Sil en avait t ainsi, on aurait dit affiyy ou bien afawiyy. On a prtendu que le terme f se rapportait ufa b. Bir b. Addi b. bia, une tribu arabe qui dans lancien temps habitait dans les environs de La Mecque et laquelle on rattache (yunsabu ilay-him) des asctes (nussk)112. Si dun point de vue lexical cela semble acceptable, en revanche largument est faible, car cette tribu ntait point clbre et la plupart des asctes ne la connaissaient pas. Et si les asctes taient rattachs cette tribu, [ce rattachement] aurait t encore plus probant lpoque des Compagnons, des Suivants et de leurs successeurs [immdiats]. De plus, la majorit de ceux qui se disaient soufis ne connaissaient pas cette tribu et nauraient jamais admis la filiation une tribu antislamique, nexistant plus lpoque dont il est question. Il est dit et cela est connu que [le terme] f se rapporte au port dun [habit] de laine. En fait, les soufis sont apparus pour la premire fois Bassora et les premiers avoir bti un clotre soufi (duwayra)113 furent certains disciples (ab) de Abd al-Wid b.Zayd114; celui-ci faisait partie des disciples dal-asan [al-Bar]. Il y avait Bassora une certaine exagration, dans le renoncement (zuhd), la dvotion (ibda), la crainte de Dieu (awf), ainsi que sur dautres sujets [7] que lon ne trouvait pas chez les habitants des autres mtropoles (amr). Cest pourquoi il tait dusage de dire: la jurisprudence selon [les gens de] Coufa et la dvotion selon [ceux de] de Bassora115. Daprs sa chane de transmetteurs remontant Muammad b. Srn116, Ab-l-ay al-Ibahn117 a rapport que ce dernier avait mentionn un groupe (qawm) ayant prfr des habits de laine, selon les termes suivants: cest un groupe qui a opt pour [lhabit de] laine, prtendant imiter le Christ fils de Marie. Cependant, lexemple (hady) de notre prophte, qui shabillait
soufies. Voir GARDET et ANAWATI 1976, p. 24-26; RITTER 1970; MOURAD 2006. Rfrences supplmentaires dans HOmERIN, 1985, p. 221, n. 15. 110.Sur lorigine, lutilisation et lvolution de lappellation individuelle (f) ou collective (fiyya) voir MASSIgNON 1999, p. 153-156. 111.Ahl al-uffa, aff et afwa sont galement voqus dans Kalb, Trait de soufisme, p. 25-31. Autres rfrences dans HOmERIN 1985, p. 222, n. 16, 17 et 18. 112.Cette origine nest pas cite par les auteurs soufis classiques, mais figure chez Ibn al-awz, voir HOmERIN 1985, p. 222, n. 19. Dans la suite du texte, nous avons convenu de traduire nussk par asctes, zuhhd par renonants et ubbd par dvots. 113.Cest--dire lagglomration cnobitique dAbbdn, voir MASSIgNON 1999, p. 214. 114.Abd al-Wid b. Zayd (m. 793), disciple de asan al-Bar, est considr comme le matre dAb Sulaymn al-Drn. propos de Abd al-Wid, voir Ab NUAYm AL-Ibahn, ilyat al-awliy, vol. 6, p. 155-165. 115.Sur les origines du soufisme voir MELCHERT 1996; KARAmUSTAFA 2007. 116. propos de Muammad b. Srn (m. 728) et la condamnation des tats dextase artificielle, voir MASSIgNON 1999, p. 153, 197-198. Autres rfrences bibliographiques dans HOmERIN 1985, p.223, n. 21. 117.Ab Nuaym al-Ibahn (m. 1038), lauteur de ilyat al-awliy.
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de coton et dautres [sortes de tissus], nous est prfrable . Il y eut galement dautres histoires de ce genre. Cest pourquoi la plupart des choses que lon raconte concernant lexagration dans ce domaine ne se rapportent quaux dvots (ubbd) de Bassora. lexemple de lhistoire de celui qui mourut ou qui perdit connaissance lors de laudition du Coran; comme lhistoire de Zurra b. Awf, le juge de Bassora118, qui tomba raide mort alors quil rcitait, lors de la prire du matin, le verset:{Lorsque lon sonnera de la trompette}119 (Coran 74:8). Ou bien lhistoire dAb ahr al-Am qui mourut, alors que li al-Murr120 lui rcitait le Coran. Et ainsi, on rapporte dautres histoires propos de ceux qui moururent laudition du Coran. Dautres parmi [les gens de Bassora] taient foudroys (yuaqna)121 lors de la rcitation du Coran. Cependant, les Compagnons ne connurent point cet tat spirituel (l). Par consquent, lorsque de tels phnomnes apparurent, une partie des Compagnons et des suivants les dsavourent, tels Asm la fille dAb Bakr, Abd Allh b. al-Zubayr122, Muammad b. Srn et dautres. La rprobation se fit de deux manires : Il y avait ceux qui pensaient quil ne sagissait que de feinte et de simulation. Ainsi, il est mentionn que Muammad b. Srn a dit:Ce qui permettra de trancher entre nous et ceux qui sont foudroys (yuaqna) lors de laudition du Coran, cest [lpreuve suivante]: celui qui tombe (arra) lors de la rcitation du Coran, [8] tandis quil est plac [en hauteur] sur un mur (al it), alors celui-ci est sincre. Et parmi les rprobateurs, il y avait ceux qui dsavourent ceci123 [totalement] car ils y voyaient une innovation contraire lexemple (hady) des Compagnons, ainsi quil est mentionn propos de Asm et de son fils Abd Allh. Lopinion de la majorit des oulmas est que celui qui est touch [par un tel tat], alors quil est dans lincapacit [de le repousser], ne peut tre blm. Nanmoins, [ces oulmas estiment] quun tat inbranlable (l al-bit - sic) lui est prfrable. cet effet, lorsque limam Amad [b. anbal] fut interrog ce sujet, il rpondit:Yay b. Sad al-Qan124 perdit connaissance tandis quon lui rcitait le Coran. Sil y avait bien eu quelquun capable de repousser [un tel tat], cela aurait t Yay. En effet, je nai vu personne plus raisonnable (aqal) que lui. Dautres histoires de mme sorte sont rapportes. On raconte que [limam] fi fut [galement] touch par un tel [tat]125. Ce fut galement le cas de
118.Zurra b. Awf (m. vers 713). Selon Homerin, la prcision de la fonction de Zurra vite toute confusion avec son homonyme, compagnon du Prophte. En effet, plus loin, Ibn Taymiyya affirme que de tels tats ntaient pas arrivs aux Compagnons. Voir HOmERIN 1985, p. 223, n. 22 et p. 239, n. 61, 62 et 63. 119.Traduction de D. Masson. 120. propos de li al-Murr (m. 793), voir HOmERIN 1985, p. 223, n. 23. 121.Traduction base sur le passage coranique o Mose tombe foudroy (Coran 7:143). Autre traduction possible: terrass. 122. propos dAsm bint Ab Bakr et de son fils Abd Allh b. al-Zubayr, voir HOmERIN 1985, p. 224, n. 24 et 25. 123.Cest--dire le fait de tomber mort ou de perdre connaissance lors de laudition du Coran. 124. propos de Yay b. Sad al-Qan (m. 813), voir HOmERIN 1985, p. 224, note 28. 125.Rapport par azl (m. 1111), voir HOmERIN 1985, p. 224, note 29.
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Al b. Fuayl b. Iy126, dont lhistoire est clbre. En bref, [cet tat spirituel] est arriv beaucoup, dont on ne peut mettre en doute la sincrit. Cependant, les tats spirituels (awl) atteints par les Compagnons sont ceux mentionns dans le Coran: le frmissement des curs, le frissonnement des peaux et les larmes aux yeux, ainsi que le Trs-Haut la mentionn:
{Seuls, sont vraiment croyants: ceux dont les curs frmissent la mention du Nom de Dieu; ceux dont la foi augmente lorsquon leur rcite ses Versets; - ils se confient en leur Seigneur. -}(Coran 8:2). {Dieu a fait descendre le plus beau des rcits: un Livre dont les parties se ressemblent et se rptent. La peau de ceux qui redoutent leur Seigneur en frissonne, puis leur peau et leur cur sadoucissent linvocation du nom de Dieu.} (Coran39:23). {Ils tombaient prosterns en pleurant quand les Versets du Misricordieux leur taient communiqus.} (Coran 19:58). {Tu vois leurs yeux dborder de larmes lorsquils entendent ce qui est rvl au [9] Prophte, cause de la Vrit quils connaissent en lui.} (Coran 5:83). {Ils tombent sur leurs faces en pleurant; leur humilit augmente.} (Coran 17:109).
Ltat spirituel de ceux-l127 est condamn par ceux dont les curs sont endurcis (qiswa) et couverts dimpurets (rayn), et qui ont de laversion (af) envers la religion;[en ralit] ce sont leurs propres tats qui sont rprhensibles. Alors que dautres estiment que leur tat [extatique] est le plus parfait. Ils pensent ainsi avoir parachev les tats spirituels et en avoir atteint les plus hauts degrs. Ces deux positions extrmes sont blmables. Cependant, on distingue trois degrs 128[dans les tats spirituels de ceux qui sadonnent laudition du Coran]: Le premier de ces degrs, cest ltat spirituel de celui qui est injuste envers lui-mme (al-lim li nafsi-hi). Son cur est endurci et ne sadoucit point laudition du Coran ou linvocation [du nom de Dieu] (ikr). Celui-l est, en certains points, semblable aux Juifs [qui furent avec Mose]129. Ainsi que Dieu la dit:
{Vos curs, ensuite, se sont endurcis. Ils sont semblables un rocher, ou plus durs encore. Il en est, parmi les rochers, do jaillissent les ruisseaux; il en est qui se fendent, et leau en sort ; il en est qui scroulent par crainte de Dieu. Dieu nest pas inattentif ce que vous faites-}(Coran 2:74). {Le moment nest-il pas venu pour les curs des croyants de shumilier en entendant le Rappel de Dieu et ce qui est descendu de la Vrit et de ne plus ressembler ceux qui avaient autrefois reu le Livre? Ceux-ci trouvrent le temps long; leurs curs sendurcirent. Beaucoup dentre eux taient des pervers.} (Coran57:16).
Le deuxime degr, cest ltat spirituel du croyant pieux (taqiyy), qui comporte une certaine faiblesse supporter ce qui peut atteindre (yaridu) son cur. Cest celui-ci qui
126.Al b. Fuayl b. Iy (m. avant 803), un court passage sur son dcs dans MASSIgNON 1999, p. 173. Pour les sources, voir HOmERIN 1985, p. 224, note 30. 127.Ceux qui, lors de laudition du Coran, subissent les tats de foudroiement, de la perte de connaissance, etc. 128.Seuls deux des trois degrs sont cits explicitement, le troisime degr dans les tats spirituels est celui des Compagnons. Ces trois degrs, omniprsents dans luvre dIbn Taymiyya, proviennent de Coran (35:32): lim linafsi-hi, muqtaid et sbiq bi-l-ayrt; verset quil cite en toute fin de Lptre des soufis. Voir infra, p. 136. 129.Les compagnons de Mose auxquels Dieu sadresse dans ce verset.
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meurt ou bien qui perd connaissance aprs avoir t foudroy. Cet [tat] [10] est d la puissance de linspiration subite (wrid)130 ainsi qu lincapacit du cur la supporter. Il en est parfois de mme pour celui qui le bas monde procure [indistinctement] joie, peur, tristesse ou bien attachement. En effet, ce [vacillement] le mnera soit la mort, soit la maladie ou bien la folie. Ainsi, parmi les idoltres des formes (ubd al-uwar)131, il y a celui que lamour passionnel (iq) a conduit la maladie, la mort ou bien la folie. Et ainsi de suite. [Cet tat] ne peut survenir qu celui dont lme ainsi affaiblie est inapte le repousser ou bien celui qui en est submerg (malb)132, linstar du corps, qui est atteint par ce qui le conduit la maladie ou la mort. Celui qui est atteint par un tel [phnomne], alors quil na commis ni ngligence (tafr) ni transgression (udwn), ne peut tre considr comme responsable (anb); et on ne doit pas douter de son tat. Et il en est ainsi pour celui qui coute le Coran, selon les convenances lgales, et qui ne nglige rien de ce qui est requis dans ce domaine. Et il en est de mme pour les curs qui sont atteints par ce qui est appellivresse spirituelle(sukr), lextinction mystique (fan)133, ou bien par toute autre chose se rapportant laperte du discernement, contre la volont de celui qui vit ltat spirituel. Par consquent, si la cause [dun tel phnomne] nest pas proscrite (mar), lextatique (sakrn) nest pas condamnable (mamm), mais excus (mar), car ce dernier est sans discernement. Par ailleurs, on est arriv [ltat divresse] par la consommation denivrants, tels le amr (boissons enivrantes) et le haschich134. Or, ceci est, sans conteste, considr comme illicite par les musulmans. Celui qui estime licite livresse par le biais des enivrants est un infidle (kfir). Livresse peut [galement] tre cause par lamour et la passion des formes, ainsi quil est dit: Des deux ivresses,celle de la passion et celle du vin.
130.Dfinition propose par Kasimirski:Inspiration subite, ide qui surgit spontanment dans lesprit. E.Geoffroy signale une synonymie entre wrid et hl chez Ibn Arab. Ce dernier mentionne trois types de raction vis--vis du wrid: celui qui en devient fou, celui qui en est temporairement submerg et celui qui matrise son tat. Voir GEOFFROY 1995a, p. 316. 131.Ubd al-uwar: il sagit probablement de ceux qui sadonnaient la contemplation de jeunes garons imberbes. Voir nos remarques, supra, p. 113. 132.Kalb emploie galement le terme emprise (alaba). Voir Kalb, Trait de soufisme, p. 126-128. 133.Selon Ibn Taymiyya lextinction mystique (fan)est de trois genres.[Il y a premirement le fan] de ceux qui, parmi les Prophtes et les Amis de Dieu (awliy), ont atteint la perfection. [Puis vient le fan] de ceux dentre les Amis de Dieuet les Vertueux qui cheminement (qidn) [vers cette perfection]. [Vient en dernier lieu, le fan] des hypocrites impies (mulidn) et assimilationnistes (muabihn), cit dans IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. X, p. 218. 134.amr dsigne aussi bien le vin que les boissons enivrantes en gnral. Le contexte de lptre laisse penser quil sagit dune appellation gnrique pour lensemble des boissons conduisant ltat divresse. Pour la suite du texte nous emploierons le terme amr sans le traduire. Sur la condamnation des enivrants par Ibn Taymiyya, voir MICHOT 2001a, p. 79.
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Dautre part, livresse peut tre occasionne par laudition des voix ravissantes (alawt al-muriba)136, ceci est galement condamnable, car il nest pas autoris un homme de sadonner laudition de chants (awt) qui na pas fait lobjet dune prescription [lgale], et qui conduit laperte du discernement, cette dernire tant considre comme illicite. En effet, il est illicite daboutir [livresse] par des moyens illgaux. [La mme condamnation sapplique ] ce qui survient lors de cette [exprience], quil sagisse dun plaisir motionnel (laa qalbiyya) ou bien spirituel (laa riyya), et ce mme si les causes [ lorigine de cet tat], contiennent des lments de foi; car [ces lments de foi] sont rendus caducs (mamra) par [linterdiction gnrale relative ] laperte du discernement. En effet, Dieu ne nous a pas autoris la jouissance du cur ou de lesprit par le biais des plaisirs de la foi, ni par dautres biais, lorsque ceux-ci entranent ncessairement laperte de notre discernement. linverse, cet tat nest pas condamnable, si la cause en est licite (mar), ou bien si elle survient de manire accidentelle et que celui qui en est victime ne peut le repousser. En effet,livresse spirituellepeut survenir sans que le serviteur ait cherch la provoquer, lexemple dune audition fortuite (sam lam yaqid-hu)137, dclenchant ses motions endormies [jusque-l] (yuarriku skina-hu). Ou bien dans dautres cas similaires. Dans ce cas, nul blme (malm) sur [lextatique], ni sur ce qui peut maner de lui [comme paroles] alors quil est dans un tat dabsence de discernement138. Par consquent, il est excusable. En effet, Dieu ne demandera pas compte ceux qui ont perdu le discernement, pour des raisons qui ne sont pas juges illgales, tels le comateux, le fou, etc. Quant celui qui a perdu tout discernement, suite la consommation de amr, estil responsable de ltatauquel il a abouti ? Il y a, ce sujet, deux dbats clbres. Il y a [,dune part,] la fameuse divergence propos de celui qui prononce la rpudiation (alq) en tat dbrit139; [Et, dautre part, la controverse] concernant celui qui a perdu tout discernement suite la consommation de ban140. Selon certains hanbalites et chafites, ce cas relve de la mme disposition [lgale] que le amr. En revanche, Ibn anbal [lui-mme]
135.Vers cits par Quayr, Risla, vol. 1, p. 176-177. Rfrences supplmentaires dans HOmERIN 1985, p. 227, n. 33. Autre traduction, propose par Michot: Il y a deux ivresses : livresse dune passion et livresse dun vin. Quand donc se dgriserait celui qui, dune double ivresse, est atteint ?, cit par MICHOT 2001b, p. 171. 136.Le arab est pour Ibn Taymiyya, dans le Livre du Sam et de la Danse, une situation de jouissance provoque par instrument, voix, boisson, plaisir et qui peut mener, quand elle est particulirement forte une absence du sujet, cit par MICHOT 1991, p. 42. Pour la traduction de al-awt al-muriba, voir ibid., p. 108. 137. propos du sam fortuit voir MICHOT 1991, p. 96-97, n. 7. 138.Cette assertion permet dexcuser les locutions thopathiques(aat) de certains soufis, voir supra, p. 115. 139.Nous savons par ailleurs quIbn Taymiyya rejette la validit de la runion des trois rpudiations (alq) en une seule, sinscrivant ainsi en faux contre lopinion majoritaire de son cole. Voir nos remarques, supra, p. 113. 140.Le ban,assimil la marijuana par Homerin, dsigne habituellement la jusquiame, une plante herbace vnneuse dont on tirait calmants et narcotiques, voir MICHOT 2001a, p. 79, note 1.
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et lcole hanafite font une distinction entre le ban et le amr, car seul ce dernier donne lieu une addiction. Cest pourquoi [12] [seule] la consommation du amr aboutit la sanction lgale (add). La puissance de linspiration subite (wrid) a conduit certains parmi ceux [qui ont t mentionns] la folie (mann)141. Soit de par la confusion qui sest empare deux, soit pour dautres raisons. Les sages parmi ces fous (uqal al-mann), que lon compte parmi les asctes (nussk), sont parfois appels les ravis en Dieu (muwallahn)142. leur propos, certains savants ont affirmqu ceux-l, Dieu a donn la raison et les tats spirituels; puis il leur a ravi la raison, ainsi tombrent les obligations [lgales] qui leur incombaient. [Concernant] ces tats spirituels, qui sont accompagns de la perte de connaissance, de la mort, de la folie, de livresse ou bien de lextinction jusquau point o [lextatique] na plus conscience de lui-mme si les causes en sont licites, et si celui qui [traverse cet tat] est sincre dans son incapacit repousser ce qui lui survient, celui-ci est alors agr pour le bien quil a accompli et pour la foi quil a obtenue. De mme quil est excusable [en ce qui concerne son tat], du fait de son incapacit repousser ce qui survient contre son gr. Celui-ci est en tout point meilleur que ceux qui nont pas atteint son degr (manzila), cause de leur manque de foi, de la duret de leurs curs, et cause de motifs similaires qui les poussent abandonner ce que Dieu aime et faire ce que Dieu dteste. Cependant, [ceux qui sont ravis], on prfrera celui dont lentendement nest pas annihil, et ce, quel que soit le degr de foi quil ait reu, identique ou bien suprieur [ceux qui sont ravis]. Ainsi fut ltat spirituel des Compagnons (QDA)143 et de notre Prophte (PSDL)144. En effet, celui-ci fut lev aux Cieux, o Dieu lui rvla ce quIl lui rvla145, puis il se rveilla comme sil navait pas quitt [sa demeure]; en effet son tat ne stait point altr. Cest pourquoi son tat spirituel est suprieur celui de Mose (PSDL)146 qui tomba . Ltat spirituel de Mose est foudroy lorsque Dieu se manifesta sur le Mont147 [certes] vnrable (alla), lev (liyya) et mritoire (fila), cependant ltat spirituel de Muammad (PSDL) est plus [13] complet (akmal), plus lev (al) et plus mritoire (afal). Ce quil faut retenir, cest que ces phnomnes de zle dans la dvotion et dexagration dans les tats spirituels viennent de Bassora. La cause148 en est une peur intense [de Dieu] (iddat al-awf). Ce qui a t mentionn propos de la peur de Utbat al-ulm, de A al-
141.Homerin a traduit mann par possessed, voir HOmERIN 1985, p.228. 142. propos de ces fous de Dieu et du prestigedont ils jouissaient au sein de la cit, notamment lpoque dIbn Taymiyya, voir GEOFFROY 1995a, p. 309-333; GRIL 2006, p. 58. 143.Pour la suite du texte labrviation QDApour Que Dieu les agre ou Que Dieu lagre. 144.PSDLpour Prire et salut de Dieu sur lui. 145.Rfrence au Voyage nocturne du Prophte, mentionn dans Coran 53:1-18. 146.En rgle gnrale, cette formule nest employe que pour le Prophte. Nous avons opt pour le nom francis Mose plutt que Ms. 147.Voir Coran 7:143. Les expressions tomba foudroy et Dieu se manifesta sur le Montproviennent de la traduction de D. Masson. 148.Selon Kalb, les tats qui exercent plus ou moins leur emprise peuvent tre la peur, la crainte rvrencielle, la vnration profonde, ou la honte. Voir Kalb, Trait de soufisme, p. 126.
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Sulaym149 et des autres, est assurment une affaire remarquable. Il ny a aucun doute sur le fait que leur tat spirituel est plus parfait et plus mritoire que [ltat] de celui qui ne les a ni gals, ni dpasss [en mrite] dans la crainte de Dieu. Cependant, est plus mritoire ltat spirituel de celui qui craint Dieu de manire modre (muqtaidan) ; crainte linvitant faire ce que Dieu aime et dlaisser ce quIl dteste et ce sans sadonner aux excs [mentionns ci-dessus]. Ce fut ltat spirituel des Compagnons(QDA). Il est relat quaprs la mort de A al-Sulaym (QDA), quelquun le vit en rve et lui demanda ce que Dieu avait fait de lui. Il rpondit: Dieu ma interpell et ma dit: Oh, A, nas-tu pas honte de me craindre un tel degr? Ne test-il pas parvenu que je suis le Tout Recouvreur [des fautes](afr)150 et le Misricordieux(ram) ?. Et ainsi, on a mentionn dautres, semblables aux [gens de Bassora] qui, dans leurs tats spirituels (awl), le renoncement (zuhd), labstention scrupuleuse (wara), la dvotion (ibda) et bien dautres choses, furent plus zls que les Compagnons (QDA) et [allrent au del de] ce quavait prescrit le Messager. Ce qui a eu pour consquence la division des gens en deux groupes : un groupe condamnant et dnigrant [les extatiques]. [Ce groupe] est sans doute all trop loin dans sa condamnation. [14] Un [autre] groupe a exagr leur propos, et a considr leur voie comme la plus parfaite et la plus leve des voies. La vrit, cest que dans ces dvotions et les tats spirituels [qui en rsultaient], [les gens de Bassora] faisaient preuve dune application personnelle (mutahidn)151, tout comme leurs voisins de Coufa, qui sappliquaient sur les questions de justice (qa), de pouvoir (imra), etc. Puis, mergea parmi [les gens de Coufa], [le principe] de lopinion personnelle (ray)152, qui tait, en certains points, contraire la Sunna et que la majorit des gens ont dsapprouv. Llite parmi les gens du fiqh et de lopinion (ray), ont [de la mme manire] diverg propos des [gens de Coufa qui ont mis une opinion errone] et ainsi deux groupes se formrent : un groupe qui les condamnait de manire exagre et [ linverse] un groupe qui les louait et les glorifiait lexcs, en les considrant comme les plus grands savants en matire de fiqh. Et peut-tre mme les prfraient-ils aux Compagnons, linstar des [exagrateurs] qui louaient les dvots [de Bassora] et qui, sans doute, les prfraient aux Compagnons. Cest un domaine propos duquel les gens se sont diviss (yaftariqu). En ralit, le musulman doit savoir que la meilleure des paroles est celle de Dieu, la meilleure des guidances, celle de Muammad (PSDL), la meilleure poque, celle laquelle il fut envoy [aux Compagnons]153, la meilleure des voies et des chemins vers Dieu, celle que suivirent [le Prophte] et ses compagnons. De ce qui prcde, nous savons que les croyants doivent craindre Dieu selon leur capacit (wus) et leur degr dapplication (itihd), ainsi que Dieu la dit: {Craignez Dieu autant que vous le pouvez. []}(Coran 64:16). Le
149. propos de ces deux personnages voir HOmERIN 1985, p. 229, n. 37. 150.GLOTON 2007, p. 95. 151.Pour la traduction de mutahidn, HOmERIN a opt pour lexpression suivante: ils formulaient leurs propres opinions. Voir HOmERIN 1985, p. 229. 152.Pour les dbuts de la mthodologie juridique, voir URVOY 2006, p. 125-143. 153.MUSLIm, a, 44:52:213 (kitb fail al-aba).
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[Prophte] a dit(PSDL) :[15] Si je vous ordonne quelque chose, accomplissez-le selon ce dont vous tes capables154. Dieu dit: {Dieu nimpose chaque homme que ce quil peut porter. []}(Coran 2: 286). Ainsi, de nombreux croyants, des pieux qui sont des Amis de Dieu (awliy)155 qui nest pas parvenue la perfection du savoir et de la foi qui tait parvenue aux Compagnons, craignaient Dieu dans la mesure de leur capacit et Lui obissaient selon leur degr dapplication. Par consquent, il est inconcevable quils soient exempts derreursdans leurs savoirs156, leurs doctrines (aqwl), leurs actes ou bien concernant leurs tats spirituels. Ils seront rcompenss dans la mesure de leur obissance [ Dieu] et pardonns pour leurs erreurs, comme Dieu le Trs-Haut la dit: {Le Prophte a cru ce qui est descendu sur lui de la part de son Seigneur. Lui et les croyants; tous ont cru en Dieu, en ses anges, en ses Livres et en ses prophtes. Nous ne faisons pas de diffrence entre ses prophtes. Ils ont dit:Nous avons entendu et nous avons obi. Ton pardon notre Seigneur! Vers toi est le retour final!}[..]{Notre Seigneur! Ne nous punis pas pour des fautes commises par oubli ou par erreur []. (Coran 2:285-286). [Dans un hadith rapport par Muslim], Dieu le Trs-Haut a dit:Et jai [pardonn]157. Par consquent, celui qui considre la voie des savants ou des juristes [deCoufa] ou bien des dvots (ubbd) ou des renonants (zuhhd) [de Bassora], suprieure celle des Compagnons,il est dans lerreur et dans lgarement et cest un innovateur (mubtadi). Quant celui qui condamne, et qui dsigne comme fautifs (mab) et hassables (mamqt) ceux qui, tout en sappliquant dans la voie de lobissance, commettent des erreurs, celuici est [lui-mme] dans lerreur et dans lgarement et cest un innovateur (mubtadi). De mme, dans lamour, la haine, lamiti et lanimosit, les gens mettent des jugements et il arrive que, parfois, ils soient dans le vrai et parfois dans le faux. En effet, beaucoup de gens, sils aiment quelque chose chez un homme, alors ils lui portent un amour absolu, au point de saveugler sur ses dfauts. Ou bien, sils dtestent quelque chose chez un homme, alors ils lui portent une haine absolue, au point de saveugler sur ses qualits. []158. [16] Une doctrine [aussi excessive] provient des innovateurs, des kharidjites, des mutazilites, et des murdjites. Selon les ahl al-sunna wa al-ama, le Coran, la Sunna et le consensus [des oulmas] indiquent que le croyant mrite (yastaiqqu) la promesse de Dieu et sa grce : cest--dire la rcompense pour ses bonnes actions et le chtiment pour ses mauvaises actions. En effet,
154.BUr, a, 96:2:7288 (kitb al-itim). 155.Le terme de wal faisant rfrence la proximit, nous avons opt pour Ami au lieu de Saint. Dautre part, voir les avertissements de J-C. Garcin propos de lemploi du terme Saint: GARCIN 2006, p. 33-34. 156.Cette prcision vise implicitement les doctrines qui affirmeraient linfaillibilit du wal, et par extension sa suprmatie sur le nab. Pour Ibn Taymiyya, seuls les prophtes sont infaillibles (mam). De ce fait, linfaillibilit ne peut stendre aux Compagnons les meilleurs de la cration aprs le Prophte et encore moins aux imms chiites et aux Saints. En revanche, le savant hanbalite estime le consensus des Salaf comme infaillible. Voir Ibn Taymiyya, La profession de foi dIbn Tamiyya, p. 81; LAOUST 1939, p. 239. Sur le rapport prophtie/saintet et sur la doctrine de linfaillibilit, voir supra, n. 62. 157.MUSLIm, a, 1:57:200 (kitb al-mn). 158.Lditeur signale plusieurs incohrences qui rendent le texte incomprhensible. Voir la remarque de HOmERIN 1985, p. 231, n. 39.
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une mme personne rassemble en elle aussi bien ce qui est digne de rcompense que ce qui mrite le chtiment ; ce qui est louable et ce qui est blmable ; ce qui est apprciable et ce qui est dtestable. Ainsi en est-il. Il est donc connu que le taawwuf est originaire (mana) de Bassora. Et il y avait dans cette ville ceux qui suivaient la voie de la dvotion (ibda) et du renoncement (zuhd), en sy appliquant leur manire (itihd). Tout comme il y avait Coufa, ceux qui suivaient la voie de la jurisprudence (fiqh) et de la science [religieuse] (ilm), en sy appliquant (itihd) [galement] leur manire. Cependant, les premiers ont t identifis une apparence vestimentaire: le vtement de laine. Ainsi, ils furent nomms f. Nanmoins, leur voie ne se limite pas au port dun vtement de laine, dautant que celui-ci nest ni une exigence de leur part, ni une des conditions de leur voie. Cette dnomination leur a t attribue cause de leur apparence (hir al-l). Selon [les soufis], le taawwuf renferme des ralits mtaphysiques (aqiq)159 et des tats spirituels (awl) bien connus. Les dfinitions du soufisme, ses murs (alq) ainsi que la manire (sra) [de cheminer sur la voie], ont t abordes par les [auteurs soufis]. Ainsi, il est dit que le f est celui qui est pur de tout ce qui est trouble (kadar), qui est empli de mditation, et pour qui lor et la pierre se valent160. [Il est dit par ailleurs] que le taawwuf, cest la dissimulation des sens spirituels (kitmn al-man) et labandon des prtentions (tark al-daw)161. Il existe dautres dfinitions de la sorte. Ils ont par ailleurs identifi le soufi [17] au vridique (iddq)162. [Sachant que] les meilleurs des hommes, aprs les prophtes, sont les vridiques (iddqn). Ainsi que Dieu la dit:{Ceux que Dieu a combls de bienfaits; avec les prophtes, les vridiques (iddqn), les tmoins (uhad) et les vertueux (lin): voil une belle assemble!}163 (Coran4:69). Cest pourquoi, ils164 estiment quaprs les prophtes, les plus mritants sont les soufis. En vrit, le soufi nest quun vridique parmi dautres classes (naw) de vridiques; cest celui qui sest distingu par le renoncement et la dvotion, selon une manire qui lui est propre et dans laquelle il sapplique. De ce fait, le vridique fait partie de cette voie [soufie]. De mme quil est mentionn des vridiques parmi les oulmas et des vridiques parmi les dirigeants (umar). Cependant, [le soufi] est meilleur (aa) que le vridique absolu (al-iddq al-mulaq), sans pour autant dpasser le degr du vridique parfait (al-iddq al-kmil) qui fut celui des Compagnons, des Suivants et de leurs successeurs [immdiats].
159.Une autre traduction pourrait tre: vrits spirituelles. 160.Dfinition attribue Sahl al-Tustar (m. 896), cite dans Kalb, Trait de soufisme, p. 30. 161.Le soufi afar al-alad (m. 959) dit avoir questionn, en rve, le Prophte sur ce quest le taawwuf;celuici lui aurait rpondu: tark al-daw wa kitmn al-man. La chane de transmission dbute avec Ibn al-awz (m.1200) et se termine avec Al b. afar al-anbal al-aml. Voir IBN AL-Nar, ayl tr Badd, vol. III, p. 242-243. 162.La plus ancienne mention de ce terme remonterait Abd al-Wid b. Zayd (m. 793). Voir MASSIgNON 1999, p.215. 163.D. Masson a traduit les termes iddqn et lin, par les justes et les saints. Concernant notre choix de traduction voir supra, n. 61. 164.Cest--dire, les soufis eux-mmes.
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Par consquent, dire que les renonants et les dvots de Bassora sont des vridiques quivaut ce qui est dit propos des juristes de Coufa : ce sont galement des vridiques ; chacun selon leur application dans la voie de lobissance Dieu et son envoy. De par leur poque165, ils furent parmi les plus illustres vridiques. En revanche le vridique de la premire priode [de lislam] fut plus parfait queux. Il y a diffrents degrs et types de vridiques, cest pourquoi il existe pour chacun dentre eux des tats spirituels et des pratiques dvotionnelles spcifiques que [le cheminant, tour tour] ralise (aqqaqa), parachve la perfection (akama), [puis] dpasse (alaba al). Nanmoins, il peut exister dautres que celui-ci, issus de catgories diffrentes, plus parfaits et plus mritant que lui. cause de leur 166 application personnelle (itid) et des divergences qui en dcoulrent (tanzu f-hi), les gens se sont disputs (tanzaa) propos de la voie [soufie]. Un groupe a condamn les soufis et le soufisme, en affirmant quil sagissait [18] dinnovateurs et quils taient en dehors de la sunna. Une telle condamnation, dont les propos restent clbres, est mentionne propos dun groupe dimams. Ils ont t suivis [dans leur condamnation] par les gens du fiqh et du kalm. Un [autre] groupe a exagr propos [des soufis], prtendant quils taient les plus mritants (afal) et les plus parfaits (akmal) aprs les prophtes. [En ralit], ces deux positions extrmes sont condamnables. La vrit, cest que [les soufis] sappliquent dans lobissance Dieu, tout comme dautres sy sont appliqus. Cest pourquoi il y a parmi [les soufis], lerapproch de Dieu (al-sbiq almuqarrab) de par son application et le modr(muqtaad) qui fait partie des gens de la droite (ahl al-yamn)167. Dans chacune de ces deux catgories, il y a celui qui, tout en sappliquant [dans sa voie], sest tromp; ou bien un autre a pch, puis sest repenti ou ne la pas fait168. Parmi ceux qui se rclament [des soufis], il y a [galement] linjuste (lim li-nafsi-hi) qui est rebelle envers son Seigneur. En effet, des innovateurs et des hrtiques (ahl al-zandaqa) se sont rclams des soufis. Cependant, les soufis authentiques (al-muaqqaqn min ahli-ltaawwuf) ne les considrrent pas comme des leurs. lexemple de all, que les matres [du soufisme], tels unayd le Prince de lOrdre et dautres, ont dsavou et exclu de la voie; ainsi quil est rapport par le ay Ab Abd al-Ramn al-Sulam dans ses abaqt alfiyya, et par al-fi Ab Bakr al-ab dans son Tr Badd. Voil ce que fut le soufisme originel (al), mais ce nest quaprs quil sest divis en plusieurs branches et espces (taaaba wa tanawwaa), donnant lieu [19] trois catgories (anf) de soufis: ceux des ralits mtaphysiques (fiyyat al-aqiq), les soufis
165.Il faut comprendre: de par la proximit de leur poque avec celle du Prophte et des Compagnons. 166.Cest--dire,litihd des soufis et les divergences qui dcoulent de leurs efforts personnels. 167.Cette terminologie figure dans les versets 7 11 de la sourate al-Wqia (n56). Voir nos remarques propos de lexgse de ces versets, supra, p. 118-119. 168.Il sagit dune nouvelle rfrence implicite linfaillibilit rserve aux seuls prophtes. Voir nos remarques supra, n. 156.
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financs169 (fiyyat al-arzq) et ceux des apparences (fiyyat al-rasm). Les fiyyat al-aqiq sont ceux que nous avons dcrits prcdemment170. Quant aux fiyyat al-arzq, ce sont ceux-l qui ont bnfici des fruits des fondations pieuses (waqf, pl. wuqf ou awqf), tels, les nqh171. Cependant, ils ne font pas ncessairement partie des soufis des ralits mtaphysiques. Car ces derniers sont rares et la majorit dentre eux ne se caractrise pas par un besoin de [frquenter] les nqh172. Cependant, ils doivent [se conformer] trois conditions: la premire, cest le respect de la loi divine (ara), cest--dire accomplir les devoirs religieux (fari) et viter les interdits (marim). La seconde condition, cest le respect des rgles de biensance (db) de la Voie173, qui ne sont, la plupart du temps, que celles de la ara. Nous ne nous arrterons pas ici sur les coutumes hrtiques (al-db al-bidiyya) et les convenances institues (aldb al-waiyya) [par les hommes]. [Et enfin], la dernire des conditions, cest quils ne soient pas attachs aux biens de ce monde. Cependant, celui qui amasse les biens, ou qui na pas acquis les bonnes murs, ou qui ne se conforme pas aux principes de la ara, ou bien encore se livre la dbauche, celui-ci ne mrite pas [le rang, dont il est question ici]. Quant aux soufis des apparences , ils nont de soufi que le titre. Ils donnent de limportance aux habits [20], aux convenances institues [par les hommes], etc. Leur [soufisme] se limite lapparence vestimentaire des savants et des combattants dans la voie de Dieu. Leurs paroles et leurs actions ne sont que demprunt; au point o lignorant les confondrait avec les [soufis authentiques], alors quil nen est rien. Quant au terme pauvre (faqr), il figure dans le Livre de Dieu et les propos de sonprophte (PSDL)174. Et, dans les deux cas, ce qui est vis par le terme faqr, cest le
169.Daprs le texte, nous comprenons quil sagit du soufisme confrrique financ par les fruits des fondations pieuses. ce propos, Louis Pouzet signale que la majorit des confrries soufies de Damas taient institutionnalises et regroupes en syndicat; elles entretenaient de bons rapports avec le pouvoir, qui pouvait parfois se montrer gnreux donateur, lexemple des dix mille pices dargent que Kitbu offrit aux Qalandariyya. Voir POUZET 1991, p. 228; GARCIN 2006, p. 22. propos des fiyyat al-arzq, E. Geoffroy (2010, p.71) crit: Les rsidents des nqh taient, parat-il, si prospres que le voyageur Ibn ubayr, visitant Damas au XIIe sicle, voyait en eux les rois de ce pays. Beaucoup de matres soufis privs qui investissaient, eux, les zwiya, se sont montrs rticents face cette institutionnalisation du soufisme, et critiquaient les personnes rsidant dans les nqh. Ces personnes percevaient en effet une sorte de salaire, alors que les pauvres en Dieu , les soufis en gnral, sont censs sen remettre la providence divine, ou encore gagner leur vie. Michot (2007, p.24) traduit fiyyat al-arzq par soufis stipendis. Nanmoins, nous pensons que le terme stipendi a une connotation pjorative qui ne permet pas dexprimer pleinement lopinion du ay al-islm. En effet, rien dans la suite du texte ne laisse prsager une telle option. Ibn Taymiyya ne semble pas sopposer au financement des confrries mais affirme que celui qui amasse les biens ne peut prtendre tre un soufi. 170.Cest--dire ceux qui vivent, assimilent et matrisent les tats spirituels et les formes de dvotion. 171.nqh ou nkh (pl. awnik), terme persan dsignant le couvent soufi. Pour une diffrence entre nqh et zwiya, voir GEOFFROY 1995a, p. 166-175. 172.Homerin signale une divergence dans ldition de Rad Ri, voir HOmERIN 1985, p. 233, n. 45. 173.Sur limportance des rgles de biensance de la Voie, voir GRIL 1996b, p. 96. 174.Cette autre digression est trs probablement une rfrence un dbat de lpoque, que nous navons cependant pas pu identifier.
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contrairedu riche. Ainsi que le Prophte (PSDL) la dit175.Les pauvres et la pauvret sont de plusieurs sortes, y compris [la pauvret] qui est ligible la perception de laumne lgale (zakt). cela soppose la richesse, qui interdit de percevoir la zakt.Ainsi que le Prophte (PSDL) la dit: Il nest permis ni au riche, ni celui qui a les capacits de gagner sa vie, de percevoir la charit. Quant au [seuil de] richesse impliquant le payement de la zakt, selon la majorit des oulmas, cela se distingue du [cas voqu par le Prophte]. Cest lopinion de Mlik [b.Anas], de fi et dAmad [b. anbal]. Selon eux, [le seuil] impliquant le payement de la zakt est dfini par la possession du quota minimum (nib). Il peut [donc] tre autoris une personne imposable la zakt de percevoir la zakt. Ab anfa ne partageant pas cet avis. Dieu, gloire Lui, a mentionn les pauvres dans [diffrents versets du Coran]. Ceux ligibles percevoir laumne lgale sont mentionns dans un verset et ceux ayant droit au butin, dans un autre. Dans un premier [groupe de versets], il a dit: {Si vous donnez vos aumnes dune faon apparente, cest bien. Si vous le cachez pour les donner aux pauvres, cest prfrable pour vous. [] Quant aux aumnes que vous donnez aux pauvres qui ont t rduits la misre dans le chemin de Dieu [21] et qui ne peuvent plus parcourir la terre; Lignorant les croit riches, cause de leur attitude rserve. Tu les reconnais leur aspect: ils ne demandent pas laumne avec importunit } (Coran 2:271-273). Dans un second [groupe de versets], il a dit: {Ce que Dieu a octroy son Prophte comme butin pris sur les habitants des cits []. Le butin est destin aux migrs qui sont pauvres, qui ont t expulss de leurs maisons et privs de leur bien tandis quils recherchaient une faveur de Dieu et sa satisfaction et quils portaient secours Dieu et son Prophte; ceux-l sont les vridiques! } (Coran 59:7-8). Et il se peut quil y ait parmi ces pauvres un qui soit de loin plus mritant (afal) que les riches. [De mme] quil se peut quil y ait parmi les riches un qui soit beaucoup plus mritant que [ces pauvres]. Les gens se sont disputs, sagissant de savoir qui, du pauvre patient, ou du riche reconnaissant, tait le plus mritant176. En vrit, le meilleur dentre eux est le plus pieux. Sils ont le mme degr de pit, alors ils auront le mme rang [au paradis], ainsi que nous lavons illustr par ailleurs. Ainsi, les pauvres prcderont les riches au paradis, parce quils nont pas de comptes rendre. Puis ce sera [au tour] des riches de rendre compte. Celui dont les bonnes actions psent plus lourd que celles du pauvre, son rang au paradis sera plus lev; mme sil ne rentre quaprs lui. Quant au riche dont les bonnes actions sont moindres que celles du pauvre, son degr au paradis en sera moins lev. Du fait que le renoncement (zuhd) tait plus rpandu chez les pauvres, beaucoup assimilrent le faqr la voie du renoncement (zuhd), qui relve du genre soufisme. Le fait
175.Lditeur signale quil en est ainsi dans le manuscrit. Nous estimons que les propos qui suivent ne sont pas ceux du Prophte, mais dIbn Taymiyya. En effet, ceux-ci ne se trouvent dans aucun des corpus de hadiths habituellement cits par le savant hanbalite. Homerin pense quil sagit dun dit du Prophte, tout en signalant quil ne figure pas dans les principaux corpus de hadiths. Voir HOmERIN 1985, p. 234, n. 46. 176.Ibn Taymiyya a consacr plusieurs fatwa ce sujet, voir IBN TAYmIYYA, Mam alfatw, vol. XI, p. 119-121, 122133 et 195. Ce dbat est galement relat dans Makk, Qt al-qulb, vol. 1, p. 264.
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de dire quun tel est pauvre ou ne lest pas, ne se rapporte pas la pauvret matrielle; mais se rapporte la signification du terme soufi, cest--dire: les connaissances (marif), les tats spirituels (awl), les bonnes murs (alq), les rgles de biensance (db), etc. ce propos, il y eut divergence, savoir qui du faqr ou du soufi avait le plus de mrite? Il y eut un groupe qui prfra le soufi, tel Ab afar al-Suhraward177 et dautres. Alors que de nombreux groupes ont opt pour le faqr. Peut-tre [22] se distinguaient-ils par le fait que les [premiers] frquentaient les zwiya, tandis que les faqr [frquentaient] les nqh178. Ou, quelque chose comme cela. Cependant, la majorit des gens prfraient le faqr. La vrit, cest que le plus mritant dentre eux est le plus pieux. Si le soufi craint Dieu, alors il est meilleur dans la mesure o il pratique ce qui est aim de Dieu et sloigne de ce qui est dtest de Lui. Et [dans le cas inverse], cest le faqr qui est meilleur. Par consquent, sils sgalent dans laction aime [de Dieu] et dans labandon de ce qui est dtest [de Dieu], alors ils ont le mme rang [au paradis]. Les Amis de Dieu (awliy, sing. wal) sont les croyants pieux, quimporte [leurs titres], quils soient faqr, soufis, faqh, savants, commerants, combattants, artisans, princes, gouverneurs ou autre chose. Ainsi que Dieu, le Trs-Haut, la dit: {Non, vraiment, les amis de Dieu nprouveront plus aucune crainte, ils ne seront pas affligs; ceux qui croient en Dieu et qui le craignent } (Coran 10: 62-63). Un hadith [quds], figurant dans le a de Bur, rapport par Ab Hurayra179 propos du Prophte (PSDL) qui a dit: Dieu a dit:Quiconque montre de lhostilit un de Mes Amis (wal), Je lui dclare la guerre. Mon serviteur ne sapproche de Moi que par ce que Jaime le plus, par les devoirs religieux que Je lui ai prescrits, puis mon serviteur ne cesse de se rapprocher de Moi par des uvres surrogatoires (nawfil) jusqu ce que Je laime. Quand Je laime, Je suis son oue par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main par laquelle il saisit et son pied avec lequel il marche. Cest donc par Moi quil entend, quil voit, quil saisit, et quil marche. Quil Me demande [quelque chose], et Je [le] lui donnerai srement, et quil Me demande refuge, Je le lui accorderai srement. Aucune chose ne Me fait hsiter180 plus que [de prendre] lme de Mon fidle serviteur; il dteste la mort et Je dteste lui faire du mal. Mais cela est invitable. Ce hadith illustre parfaitement [23] ce que sont les Amis modrs de Dieu (awliy Allh al-muqtaidn) : ce sontlescompagnons de la droite et les rapprochs [de Dieu], les devanciers. La premire
177.Ab afar al-Suhraward (m. 1191), le ay al-irq. son propos voir CORBIN 1986, p. 285-305. Cependant, Homerin (1985, p.235, n. 51) signale que dans ldition Rad Ri, la place dAb afar, figure ( juste titre) le nom du soufi bagdadien ihb al-Dn Ab af Umar al-Suhraward (m. 1234), lauteur des Awrif al-marif. Cette dernire option nous semble plus plausible, dautant que Pouzet (1991, p.209) signale quAb af, un des relais de lenseignement du ay Abd al-Qdir al-ln (m.1166), marqua profondment les milieux soufis de la capitale syrienne. 178.Ibn Taymiyya ne prsente pas clairement la nuance entre soufis etfuqar, hormis la distinction relative aux lieux quils frquentent: zwiya ou nqh. Laoust (1939, p.22) note que les fuqar sontdes asctes ayant fait vu de renoncement aux biens de ce monde. Concernant zwiya, nq et rib lpoque mamelouke, voir GARCIN 2006, p. 17-26; GEOFFROY 1995a, p. 166-175. 179. propos de lusage de ce hadith, voir supra, n. 65. 180.Sur le thme de lhsitation de Dieu, dans le cadre de ce hadith, voir textes dIbn Taymiyya dans Michot 2004.
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catgorie [les compagnons de la droite] dsigne ceux qui se rapprochent de Dieu par les actes obligatoires. Tandis que la deuxime [catgorie] se rapporte ceux qui se rapprochent de Dieu par les actes obligatoires suivis des actes surrogatoires. Et ce sont ceux-l qui ne cessent de se rapprocher de lui, jusqu ce quIl les aime. Ainsi que le Trs-Haut la dit [dans ce hadith quds]181. Dieu a par ailleurs mentionn ces deux catgories dans le Coran [en ces termes]: {Nous avons ensuite donn le Livre en hritage ceux de nos serviteurs que nous avons choisis: il en est parmi eux qui se font tort eux-mmes; il en est parmi eux qui se tiennent sur une voie moyenne; il en est parmi eux qui, avec la permission de Dieu, devancent les autres par leurs bonnes actions []} (Coran35:32). {Oui, les purs vivront dans les dlices; tendus sur des lits dapparat, ils regarderont autour deux. Tu verras sur leurs visages lclat de la flicit. On leur donnera boire un vin rare, cachet par un cachet de musc ceux qui en dsirent peuvent le convoiter et mlanger leau du Tasnim, une eau qui est bue par ceux qui sont proches de Dieu.} (Coran83:22-28). [ ce propos], Ibn Abbs a dit:Les rapprochs [de Dieu] boiront [un vin] pur, tandis quil a t mlang pour les compagnons de la droite. Le Trs-Haut a dit: {Ils boiront une coupe dont le mlange sera de gingembre, puis une source nomme l-bas:Salsabil} (Coran 76:17-18). {Les compagnons de la droite! Quels sont donc les compagnons de la droite? Les compagnons de la gauche! Quels sont donc les compagnons de la gauche? Et les premiers arrivs182 qui seront bien les premiers, voil ceux qui seront les plus proches de Dieu.} (Coran56:8-11). {Si cet homme est au nombre de ceux qui sont proches de Dieu, il trouvera le repos, les parfums et les Jardins du Dlice. Sil est au nombre des compagnons de la droite:Paix toi!... Tu es avec les compagnons de la droite.} (Coran56:88-91). Cette rponse contient des propos ncessitant de longues explications, qui ne peuvent se faire ici. Et Dieu est le plus Savant.
181.Sur le dbat concernant le qurba al-nawfil et le qurb al-farid, entre Ibn Taymiyya et lcole dIbn Arab, voir CHODKIEWICZ 1984a, p. 189-200. 182.Sur la traduction du termesbiqn, voir nos remarques supra, n. 70.
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