Contra Apolinar
Contra Apolinar
Contra Apolinar
Membres du jury : Olivier MUNNICH, Professeur des universits, Universit Paris 4 Marie-Odile
BOULNOIS, Directeur dtudes, cole Pratique des Hautes tudes Franoise VINEL, Professeur des
universits, Universit Strasbourg 2 Jean-Nol GUINOT, Directeur de recherche, CNRS Jean-Michel
POFFET, o. p., Directeur de recherche, CNRS
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communiquer au public condition den mentionner le nom de lauteur et de ne pas le modifier,
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Remerciements
Remerciements
Que soient vivement remercies toutes les personnes qui ont port ce travail, veill et contribu
sous bien des formes son accomplissement.
Ma gratitude va en premier lieu mon directeur de thse, Monsieur Olivier Munnich, qui a
accept de diriger ce travail, la suivi avec tant dattention, par ses conseils clairs, ses relectures
minutieuses, sa confiance dans la poursuite et lachvement de celui-ci.
Je remercie aussi tous les professeurs qui mont aide par leurs remarques, leurs suggestions
et leurs critiques au cours des diffrentes tapes du travail et des dplacements, Madame MarieOdile Boulnois, Monsieur Ekkehard Mhlenberg Gttingen, Monsieur Volker Hennig Drecoll
Tbingen, le Pre Jean-Michel Poffet lcole biblique et archologique de Jrusalem, le
Pre Joseph Paramelle, Messieurs Bernard Meunier et Guillaume Bady lInstitut des Sources
Chrtiennes.
Je ne puis terminer ces prliminaires sans remercier tous ceux qui mont soutenue dans ce
travail ou qui ont accept de le relire, avec beaucoup de disponibilit et de zle, et je me dois
de citer tout spcialement Matthieu Cassin, un collaborateur fidle. Je veux mentionner tout
particulirement lquipe des Sources Chrtiennes qui ma accueillie si chaleureusement et offert
un cadre de travail privilgi, notamment Monique Furbacco qui sest rendue si disponible pour
les dernires mises en forme.
tous les membres de mon jury, je suis reconnaissante de maccorder tout le temps que
suppose une lecture critique de ces pages trop arides, qui massure cependant que leffort de ces
quatre annes naura pas t vain.
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[Epigraphe]
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Veux-tu parler de ce qui concerne lincarnation du Monogne ? Eh bien, tentons
dexposer le plus clairement possible ce quil en est de son mystre, dans la
mesure du moins o cela est possible des tres qui voient dans un miroir et en
nigme .
Cyrille dAlexandrie, Dialogue sur lincarnation du Monogne
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Introduction
Introduction
I. Le contexte historique et doctrinal
Comment concevoir un Dieu devenu homme, sans quil prt seulement lapparence dun
homme, sans quil ft un simple homme adopt par Dieu, sans que sa substance divine en
ft altre, sans que sa divinit et son humanit conduisissent une dualit de personne et
une quaternit dans la Trinit : tels sont les dfis philosophiques que lance ses adversaires
1
Apolinaire (vers 310-392) , devenu vque de Laodice en Syrie dans la seconde moiti
e
du IV sicle. Tels sont les points auxquels Grgoire (335-394), vque de Nysse en
e
Cappadoce, rpond la fin du IV sicle, en rfutant un des ouvrages de son adversaire
dans un trait de controverse.
Cette polmique christologique nest pas isole dans lhistoire de la doctrine chrtienne
2
mais elle nat dans un contexte deffervescence littraire o les intellectuels chrtiens
saffrontent avec leur tradition thologique locale, mais aussi les armes de la culture grcolatine classique et les outils conceptuels de la philosophie paenne pratique leur poque,
quils sapproprient et rutilisent pour formuler le contenu dune nouvelle doctrine quils
dfinissent progressivement. Les textes qui rendent compte de ces dbats dides rvlent
au philologue contemporain la synthse propre chaque auteur entre concepts, mthodes,
arguments philosophiques paens, culture littraire, rhtorique et tradition biblique, ce qui
fait leur densit mais aussi leur complexit. En outre, ils montrent que les frontires tablies
entre les uvres philosophiques paennes et les uvres patristiques sont bien tnues : elles
sont plutt le fruit de concertations ou de confrontations entre des penseurs qui revendiquent
des doctrines propres mais qui, pour les tayer, se servent des mmes armes.
Apolinaire de Laodice, qui avait la rputation dtre un grand admirateur dpiphane le
3
Sophiste, un grand exgte et un fin contradicteur de Porphyre , et Grgoire de Nysse, qui,
de son ct, avait reu une solide formation en mdecine, en philosophie et en rhtorique
sous la direction de grands matres, et avait mme un moment interrompu sa carrire
Nous avons dcid dorthographier le nom d Apolinaire avec un seul l , respectant ainsi lusage du nom en grec ,
la suite de G. Dorival (Les chanes exgtiques grecques sur les Psaumes, 4 vol., Louvain, 1986, 1989, 1992, 1995). Lorthographe
avec deux l provient de la tradition latine par assimilation orthographique avec dautres noms, tel Apollon. Ainsi, la tradition latine a
transmis le nom de cet auteur sous la forme Apollinarius majoritairement, mais on trouve galement lorthographe Apolinarius. Dans
la mesure o lusage dApolinaire avec un seul l ne porte pas confusion avec un autre auteur antique, nous avons pris le parti
dtre fidle lorthographe dorigine. Toutefois, nous respecterons lusage orthographique de tous les critiques que nous citerons
au cours de notre travail.
2
Apolinaire de Laodice et Grgoire de Nysse appartenaient un cercle dvques qui, dune part, avaient une grande culture
profane, dautre part, avaient rdig de nombreux ouvrages non pas seulement pastoraux mais aussi thologiques, et, par surcrot,
participaient aux synodes et aux conciles cumniques de leur temps, en y tenant un rle de premire importance. Telles sont les
raisons qui nous amnent qualifier nos deux auteurs dintellectuels chrtiens.
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Cf. Grgoire de Nazianze, Lettre 11, d. P. Gallay, CUF, t. I, Paris, 1964, p. 16-18. Pour la biographie de Grgoire de Nysse, cf.
la prsentation par M. Aubineau, introduction au Trait de la Virginit, SC 119, Paris, 1966, p. 29-82 ; celle de P. Maraval, introduction
la Vie de sainte Macrine, SC 178, Paris, 1971, p. 35-67 ; id., introduction aux Lettres, SC 363, Paris, 1990, p. 15-52. Cf. chapitre
1, Circonstances de composition , p. 27, n. 1.
5
De Incarnatione, dit par H. Lietzmann (= Lietz.), Apollinaris von Laodicea und seine Schule, Tbingen, 1904, p. 206, l.
Nous reviendrons sur cette expression thologique tout au long de notre travail. Nous avons fait le choix de traduire
systmatiquement le mot par intellect dans notre tude, la suite de D. Bertrand, Le platonisme des Pres nest-il pas
aristotlicien ? , Being or Good? Metamorphoses of Neoplatonism, d. A. Kijewska, Lublin, 2004, p. 283-303 ; id., Traduction de
/mens dans les crits patristiques , StPatr., XL, Fourteenth International conference on Patristic Studies held, d. F. Young,
M. Edwards and P. Parvis, Louvain, Paris, 2006, p. 177-181. Le dsigne la plus haute facult de lhomme. Quant lassimilation
du Verbe de Dieu au , elle prend un sens trs particulier dans la doctrine dApolinaire sur laquelle nous reviendrons, mme si,
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Introduction
en plus le milieu des penseurs chrtiens, o lon portait le soupon sur sa conception de
lhumanit rduite du Christ ; finalement on condamna sa doctrine plusieurs reprises
partir de 377 partir dun concile Rome, jusquen 381 Constantinople. Mais Apolinaire
continuait de propager sa conception de la christologie, et bien quofficiellement condamn,
lapolinarisme se dveloppait dans tout lOrient, et semait des troubles politiques dans
7
lglise de Cappadoce durant les annes 380-387 .
Au mme moment, Grgoire de Nysse, la suite de Basile, tait engag dans la lourde
8
polmique contre lanomen Eunome , qui appartenait au parti radical de larianisme, et ds
avant la condamnation de celui-ci au concile de Constantinople (381), rdigeait plusieurs
9
annes durant une rfutation en plusieurs livres , dans lesquels il proposait un expos de
thologie spculative sur le dogme trinitaire, o lon peut voir laboutissement de la pense
e
trinitaire du IV sicle, grce la maturation permise par les controverses des gnrations
10
successives . Mais peine avait-il achev ses traits contre Eunome quil se trouvait dj
engag dans les mmes annes sur un autre front, contre Apolinaire, o il sagissait de
dfinir avec justesse le mode dunion de Dieu et de lhomme dans le Logos incarn contre
des drives doctrinales poussant trop loin lunit entre le divin et lhumain en Christ, combat
que le Laodicen lui-mme revendiquait face ceux qui pensaient si fort la distinction que
lunit de personne dans le Christ en tait absente. Souvrait alors un champ de violentes
avant lui, la tradition patristique avait dj associ le Dieu en raison de la solidarit ontologique du verbe et de lintellect (Cf. M.O. Boulnois, Le paradoxe trinitaire chez Cyrille d'Alexandrie, Hermneutique, analyses philosophiques et argumentation thologique,
(Coll. tudes Augustiennes, srie Antiquit 143)Paris, 1994. p. 129-135. Chez Apolinaire, le Fils nest pas au Pre ce quest le Logos
lintellect (), mais il est lintellect mme. Toutefois, lorsquApolinaire appelle le Dieu incarn , il ne dfinit pas
tant la divinit comme Intellect dans lhomme, ce qui serait trop rducteur, mais il veut dire quelle assure la fonction du
humain vis--vis de la chair. Lexpression a dabord un sens fonctionnel.
7
Nous reviendrons sur la chronologie de ces vnements dans le chapitre 1, Circonstances de composition , p. 27-43.
Mentionnons ds prsent les Lettres de Grgoire de Nazianze qui tmoignent des troubles causs par les apolinaristes en
Cappadoce (cf. Lettre 125, 5, d. P. Gallay, CUF, II, Paris, 1967, p. 15-16 ; Lettre 202 Nectaire, d. P. Gallay, SC 208, p. 86-95),
cellesde Basile (Lettres, 265 des vques dgypte exils,CUF, t. III, d. Y. Courtonne, p. 122-125 ; et Lettre 263, 4 Aux Occidentaux,
CUF, t. III, p. 125, o Basile demande aux vques dOccident leur aide pour lutter contre les troubles ecclsiaux qui agitent lOrient).
e
Cf. Y. Courtonne, Un tmoin du IV
sicle oriental, Saint Basile et son temps daprs sa correspondance, Paris, 1973.
8
Cf. R. P. Vaggione, Eunomius, The Extrant Works, Oxford, 1987, p. XIII : bien des auteurs ont crit contre Eunome : Apolinaire
lui-mme, Basile de Csare, Didyme lAveugle, Diodore de Tarse, Thodore de Mopsueste, Thodoret de Cyr et Sophronius. Des
attaques moins directes se trouvent encore chez Grgoire de Nazianze et Cyrille dAlexandrie (cf. E. Cavalcanti, Studi Eunomiani,
Rome, 1976, p. XII-XIV et 129-137). Mais cest Grgoire de Nysse qui fournit la plus volumineuse rfutation (cf. B. Pottier, Dieu et le
Christ selon Grgoire de Nysse, Turnhout, 1994, p. 17).
9
Les Gregorii Nysseni Opera, I et II, d. W. Jaeger, 1960,ditent en deux volumes les Contra Eunomium libri I, II, III et
la Refutatio Confessionis Eunomii. Les premiers trois livres rfutent lApologie de lApologie dEunome, tandis que la Rfutation,
lgrement postrieure, rpond la Profession de Foi quEunome tient devant Thodose en 383, pendant le concile de Constantinople.
10
Les traits de Grgoire contre Eunome sont les derniers des crits dune controverse en plusieurs tapes. Vers 363-364,
Eunome avait prsent une Apologie en vingt-huit paragraphes, que Basile avait rfute en trois livres vers 364-366. Environ douze
ans aprs, Eunome avait rpliqu en rdigeant son Apologie de lApologie, entre 378 et 382. Cet crit est perdu, sauf les extraits
conservs chez Grgoire, qui ont t dits et tudis par R. P. Vaggione, The Extant Works, op. cit., p. 79-159). Le Contre Eunome
de Grgoire, qui y rplique, a t rdig entre 380 et 383 et constitue le quatrime temps de la controverse (nous reprenons la datation
propose par B. Pottier, Dieu et le Christ, op. cit., p. 19). La Profession de foi dEunome en 383 ne rpond pas directement Basile
ou Grgoire, mais elle se situe dans le prolongement de la controverse. La Rfutation dEunome par Grgoire y mettra un point
final, qui conclut la troisime manche de la longue polmique.
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e
batailles, qui se poursuivirent pendant le V sicle et au-del, sur la question christologique,
et fut lorigine des deux grands conciles dphse (431) et de Chalcdoine (451).
Nos investigations portent prcisment sur le dbat doctrinal entre Grgoire et
Apolinaire, qui se situe la charnire, dans lhistoire de la doctrine chrtienne, de deux
e
grands champs de rflexion, lun, majoritairement trinitaire, pendant les trois quarts du IV
sicle, lautre majoritairement christologique, qui concentre lintrt de thologiens de plus
e
e
en plus nombreux la fin du IV sicle et au V sicle. Les crits de controverse de
Grgoire contre Apolinaire constituent donc un point de jonction entre une pense aboutie
sur les rapports du Pre et du Fils et une rflexion qui est ses dbuts sur la question
de lunit humano-divine du Christ pendant lincarnation. Pour cette raison, elle mrite un
intrt particulier : elle permet de voir comment la rflexion christologique sest articule par
rapport la pense trinitaire et comment de nouveaux outils argumentatifs ont t intgrs
dans la rflexion doctrinale.
Cf. Codex Vaticanus gr. 405, codex Venetus Marcianus gr. 496, codex Florentinus Laurentianus 7, 4 qui sont, pour ce texte, les
Nous citerons cette uvre sous le nom dAntirrheticus tout au long du travail.
13
Nous la dsignerons par lappellation de Lettre Thophile dans le prsent travail. La tradition manuscrite hsite intituler cette
e
e
lettre contre Apolinaire (codex Vaticanus gr. 446 (XII s.) Florentinus Laurentianus 7, 4 (XIV s.), codex Vindobonensis theol. gr. 42
e
e
e
(XII s.) ou contre les apolinaristes (codex Venetus Marcianus gr. 68 (XII s.) ; codex Leidensis Gronovianus 12 (XVI s), codex
e
Vaticanus gr. 1433 (XIII s.). Lhsitation na pas de consquence sur la connaissance de la doctrine propre Apolinaire par rapport
celle de ses disciples.
14
Notre travail ne consistera pas en une rdition critique du texte. La Lettre Thophile contre les apolinaristes (= Theoph.)est
dite dans Gregorii Nysseni Opera III/1, Leiden, 1958, p. 119-128 ; lAntirrheticus (= Antirrh. ), dans Gregorii Nysseni Opera III/1,
Leiden, 1958, p. 131-233.
15
s.), Le dfi dun Dieu fait homme, Paris, 2004. Dans ce volume figure
une traduction de lAntirrheticus, des deux traits Contre Apolinaire du Pseudo-Athanase, et de la Lettre pictte.
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Introduction
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Nous prcisons demble que toutes les traductions des textes patristiques que nous citerons sont personnelles, lorsque nous
nindiquons pas de nom de traducteur, mais ds lors que nous reprenons la traduction dun critique, nous lindiquons en note.
17
Trad. M. Lonce de Saporta, Chefs duvre des Pres de lglise, t. X, Paris, 1838, p. 473-483.
18
Pour lhistoire de cette accusation dans les polmiques doctrinales, cf. notre analyse partie IV, chapitre 2, Lunit du
Christ , p. 605-634.
19
Sur ce point, la Lettre Thophile peut tre rapproche des autres Lettres de Grgoire pour plusieurs raisons. Dabord, cette
Lettre Thophile nest pas la seule qui constitue une apologie doctrinale de lauteur. Par exemple, dans la Lettre 3, au retour dun
voyage en Palestine, en effet, il se dfend de porter atteinte limmutabilit du Verbe pendant lincarnation face certaines accusations
prtendues provenir des apolinaristes (cf. P. Maraval, intr. SC 363, p. 36-37). Par ailleurs, elle dresse un tableau pittoresque de la
vie ecclsiale des annes 380 (cf. Epist. 1 ; 2 ; 29 etc.). De ce point de vue, elle est proche de lexorde du premier des Discours
thologiques de Grgoire de Nazianze, qui voque le trouble sem par Eunome (Discours 27, 2, SC 250, d. P. Gallay, Paris, 1978,
p. 71-75).
20
Nous citerons cet ouvrage sous le nom dApodeixis tout au long du travail. La datation de ces crits sera un des objets
15
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H. Lietzmann, Apollinaris von Laodicea und seine Schule, Tbingen, 1904. Cet ouvrage est ldition de rfrence pour la
doctrine de lapolinarisme. Nous nous y rfrerons donc tout au long de notre expos.
23
Origne rfute lexgse de lvangile de Jean par Hraclon dans son commentaire volumineux (d. Preuschen, Der
Johannes Kommentar, GCS 10, 1903). Pour une tude de cette polmique, cf. J.-M. Poffet, La mthode exgtique d'Hraclon et
d'Origne, Fribourg, 1985.
24
25
Gregorii Nysseni Opera, I et II. Les fragments dEunome cits par Thodore de Mopsueste et Cyrille dAlexandrie, sont dits par R.
P. Vaggione, Eunomius, The Extant Works, op. cit., p. 163-190.
26
Cf. M. Cassin, Rfuter sans lasser le lecteur : pratique de la rfutation dans le Contre Eunome de Grgoire de Nysse ,
communication donne au Congrs patristique dOxford, aot 2007, paratre dans les Studia Patristica.
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Introduction
27
signification . On aurait ainsi attribu Apolinaire des thses quil naurait jamais soutenues
28
lui-mme . Ce peut tre une des causes de linadquation entre le contenu des fragments
dApolinaire et certaines accusations de Grgoire et des Pres qui se sont attaqus
lapolinarisme. Peut-on mettre ces incohrences sur le compte dincomprhension ou sontelles dues de la mauvaise foi polmique ? quels textes dApolinaire les Pres ont-ils eu
accs ? Autant de questions parfois insolubles, mais sur lesquelles les nouvelles ditions
des fragments exgtiques dApolinaire, identifis dans les chanes, apportent parfois des
claircissements. Nous aurons revenir sur la question de lauthenticit des fragments de
lApodeixis.
LAntirrheticus, quant lui, soulve dautres problmes dinterprtation. Hormis la
question de la datation sur laquelle nous reviendrons, se pose celle du destinataire,
car en fonction du lectorat suppos, Grgoire peut donner une forme diffrente sa
rfutation. partir dlments de critique interne, nous tenterons donc de dfinir la finalit
de lAntirrheticus. Par ailleurs, la rfutation linaire, telle quelle est pratique par Grgoire,
pose aussi le problme de la structure, aussi bien celle de lApodeixis que celle de louvrage
de Grgoire lui-mme, difficiles dterminer. Dans quelle mesure peut-on affirmer que
Grgoire respecte exactement lordre du raisonnement de son adversaire ? La logique qui
procde lorganisation des ides de Grgoire est-elle propre lAntirrheticus ou reprendelle celle de lApodeixis ? En examinant de prs les principes de composition de lcrit de
Grgoire, nous tenterons de prciser lordre de composition des deux crits de polmique
tout en dfinissant galement la pratique grgorienne dun tel genre littraire. Plus nous
avons tudi le texte de Grgoire, plus nous sommes entre dans la pense dApolinaire
partir de ses fragments doctrinaux, plus nous avons remarqu quel point le contexte
polmique tait un creuset de dformation de la pense de ladversaire beaucoup plus fort
et subtile quil ny parat premire vue. Cette constatation devrait-elle sappliquer non pas
seulement au contenu rfut mais aussi la composition densemble de lApodeixis ?
Le corpus de textes concernant la controverse entre Grgoire de Nysse et Apolinaire,
compos dune lettre et de deux traits de controverse, lAntirrheticus etlApodeixis,
dont lun rfute lautre de faon linaire, est un matriau danalyse htrogne pour le
critique. En outre,les deux traits de polmique ont une matire trs dsquilibre, puisque
celui dApolinaire nest conserv que sous la forme dune collection de fragments dont
lauthenticit nest pas prouve pour chacun. Quant la lettre, par rapport lensemble des
thmatiques de la polmique abordes dans lAntirrheticus, elle nen traite quun seul. Cela
explique que lessentiel de notre travail portera sur lAntirrheticus. La Lettre Thophile
compltera seulement la matire fournie par le trait de rfutation de Grgoire lorsque nous
27
Nous distinguerons dans notre tude ce qui relve de la doctrine apolinarienne, cest--dire dApolinaire, de ce qui relve
des ides apolinaristes, cest--dire de ses disciples, qui peuvent avoir fait voluer la doctrine du matre.
28
Le corpus des crits de controverse anti-apolinarienne, que nous dfinirons dans le chapitre 1 Prsentation historique
et littraire , p. 56-61, pose un problme rcurrent au critique moderne, parce quil assimile la doctrine apolinarienne celle des
apolinaristes. Par exemple, la thorie de lunion de la chair au Logos nest pas explique dans les mmes termes dun auteur lautre,
comme en attestent le De incarnatione Dei Verbi (Lietz. p. 304, 19-305, 4), en comparaison du Quod unus sit Christus ( 10, Lietz.
p. 301), de la Confession dAntioche, (Lietz. p. 293-294), de lApologie de Valentin, 3-4 (Lietz. p. 288-289). Elle ne suggre pas
toujours lide dune consubstantialit de la chair au Verbe comme les Cappadociens en ont accus Apolinaire. Il faut ajouter cela
un autre phnomne sur lequel nous reviendrons dans la suite de notre tude (p. 46-55) : la plupart des fragments dApolinaire ont t
transmis par ses disciples. Par consquent, leur authenticit nest pas toujours garantie, et elle pourrait avoir fait lobjet dinterpolations
postrieures. Depuis ldition dH. Lietzmann (1904), aucune tude nest parue sur cette question. Pourtant, les nouvelles ditions
des fragments exgtiques dApolinaire pourraient aider prciser ce qui est le propre de la doctrine et au langage apolinarien et
ce qui a t interpol par les apolinaristes.
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en viendrons traiter le point doctrinal commun. Nous naccorderons pas une place gale
aux deux uvres anti-apolinaristes de Grgoire, le genre littraire et lobjet trait tant trop
disparates.
Elle est cite dans les tudes sur la chronologie de Grgoire (cf. G. May, Die Chronologie des Lebens und der Werke , criture
et culture philosophique dans la pense de Grgoire de Nysse, d. M. Harl, p. 61) et dans les tudes doctrinales (cf. J. Zachhber,
The Human Nature in Gregory of Nyssa, Leiden, Boston, 2000, p. 205-206).
30
31
M. Canvet, Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, tude des rapports entre le langage et la connaissance de Dieu,
Paris, 1983.
33
Antirrh. 153-154. Sur largumentation propos de la rsurrection du Christ, lAntirrheticus a t tudi en relation avec la Lettre
3, lhomlie pascale De Tridui spatio, et le Contre Eunome III. Cf. tudes de J. Danilou, Ltre et le temps chez Grgoire de Nysse,
Leiden, 1970 ; J. Lebourlier, propos de ltat du Christ dans la mort , RSPT, 46, 1962, p. 629-649 ; 47, 1963, p. 161-180 ; L.
R. Wickam, Soul and Body : Christs Omnipresence , Easter Sermons, 1981, p. 272-292 ; H. R. Drobner, Gregor von Nyssa. Die
drei Tage zwischen Tod und Auferstehung unseres Herrn Jesus Christus, Leiden, 1982 ; R. Winling, La rsurrection du Christ dans
lAntirrheticus adversus Apollinarem , REAug., 35/1, 1989, p. 39-42.
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Introduction
de M. Harl et une autre de Fr. Vinel, au colloque sur lusage de lcriture dans luvre de
34
Grgoire de Nysse, qui sest tenu Paris en 2007 .
Cest dans cette nouvelle dynamique que se situe notre tude, qui part du principe
que le texte de Grgoire prsente une valeur littraire et une complexit doctrinale qui
mritent attention. Selon une approche philologique et philosophique, nous proposons une
analyse de largumentation de Grgoire en confrontation avec les fragments doctrinaux
dApolinaire qui aident faire ressortir les enjeux du texte. Nous voudrions montrer que cest
en analysant la cohrence densemble de largumentation de Grgoire contre Apolinaire
quon peut mieux comprendre et affiner encore la comprhension de la christologie du
Cappadocien et celle contre laquelle il la construite.
Une telle dmarche sinscrit dans une conjoncture scientifique sur lapolinarisme tout
fait favorable. En effet, depuis quelques dcennies, ce champ dtudes a suscit un regain
dintrt dans la critique. Les historiens de la doctrine chrtienne et les philologues, dans
e
e
leurs efforts conjoints pour mieux comprendre lhistoire des ides des IV et V sicles,
la relation et lenchanement des polmiques doctrinales les unes aux autres, se penchent
sur les crits de ceux qui ont t accuss dhtrodoxie, dont Apolinaire, dcouvrant dans
sa doctrine un maillon prcieux pour percevoir lvolution de la rflexion christologique
cette poque. On constate ce renouveau dintrt pour luvre dApolinaire de deux faons,
dabord par la multiplication des ditions critiques rcentes de nouveaux fragments, ensuite
par les tudes sur sa doctrine.
Lapolinarisme, en effet, avait dabord t lobjet de plusieurs monographies au dbut
e
35
36
37
du XX sicle, celle de J. Draeseke , celle de G. Voisin et celle de Ch. E. Raven .
E. Mhlenberg, qui a rdig en 1969 la quatrime monographie sur lapolinarisme, synthse
38
de rfrence sur cette doctrine, a intgr et dpass ces trois tudes antrieures . Cest
la raison pour laquelle nous utiliserons son travail, qui prsente un vritable apport pour les
recherches sur lapolinarisme, mais nous reprendrons trs peu les trois tudes antrieures.
En effet, hormis le fait que notre approche nest pas une tude de thologie systmatique
sur lapolinarisme, la manire daborder les textes a beaucoup volu depuis un sicle, et
la connaissance de la priode historique des crits que nous tudions a considrablement
avanc. On ne peut donc plus prendre comme rfrence les rsultats des tudes du dbut
du sicle dernier qui tudiaient les uvres des textes de lpoque patristique au crible du
34
M. Harl, La polmique de Grgoire de Nysse contre lusage de Zacharie 13, 7a par Apollinaire , p. 89-99 ; Fr. Vinel, Grgoire
de Nysse et la rfrence aux ptres pauliniennes dans le Contre Apollinaire , p. 101-113 et H. Grelier, Qui est larbitre du dbat
dans le Contre Apolinaire , p. 115-131, dans Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, Actes du Colloque de
Paris, 9-10 fvrier 2007, d. M. Cassin et H. Grelier, Paris, 2008. Et le dernier colloque international sur Grgoire de Nysse, qui sest
tenu Tbingen en septembre 2008, portait sur les Opera dogmatica minora,ce qui montre lintrt croissant des tudes grgoriennes
pour ces petits traits.
35
J. Draeseke, Apollinarios von Laodicea, TU, 7, 3, 1892. Cette tude est la premire en date sur lapolinarisme. En plus dune
analyse doctrinale densemble, elle prsente ldition de fragments attribus Apolinaire. Lauthenticit dun bon nombre de textes
dits par J. Draeseke dans le corpus apolinarien a t rejete par H. Lietzmann.
36
G. Voisin, Lapollinarisme. tude historique, littraire et dogmatique sur le dbut des controverses christologiques au IV
Ch. E. Apollinarianism. An Essay on the Christology of the Early Church, Cambridge, 1923.
E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, Gttingen, 1969. Cf. aussi son tude postrieure : Apollinaris von Laodicea
und die origenistische Tradition , Zeitschrift fr die Neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der lteren Kirche, 76, 1985,
p. 270-283.
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verdict rtrospectif dhrsie ou dorthodoxie. Quand nous les citerons, ce sera souvent pour
faire ressortir justement lvolution de la perception de la polmique contre Apolinaire dans
e
la critique au XX sicle.
Le travail dE. Mhlenberg a pu bnficier des amples recherches dH. de Riedmatten,
39
en France dans les annes 1950 , et de R A. Norris, Oxford, au dbut des annes
40
1960 , qui ont apport une contribution importante la connaissance de lapolinarisme,
laquelle se rfrent tous les critiques postrieurs. Lintrt pour Apolinaire dans la recherche
41
des annes 1907-1980 a consist essentiellement, exception faite de quelques tudes ,
en ldition critique de nouveaux fragments qui lui ont t attribus dans les chanes
42
43
44
exgtiques sur les ptres de Paul , lvangile de Matthieu
, de Jean
, sur les
45
46
47
48
49
H. de Riedmatten est lauteur de nombreux articles de rfrence pour la christologie dApolinaire, dont les plus importants
sont : Some neglected aspects of Apollinarist Christology , Dominican Studies, I, 1948, p. 239-260 ; Sur les notions doctrinales
opposes Apollinaire , Revue Thomiste, 51, 1951, p. 553-572 ; La christologie dApollinaire , StPatr.,II, TU 64, Berlin, 1957,
p. 208-234.
40
41
Secolo, Milan, 1977, p. 339-483, que nous a indiqu M. Alexandre mais que nous navons trouv ni en France, ni en Allemagne ni
en Isral.
42
K. Staab, Pauluskommentar aus der griechischen Kirche aus Katenenhandschriften gesammelt, coll. Neutestamentliche
J. Reuss, Matthus-Kommentare aus der griechischen Kirche,TU, 61, Berlin, 1957, p. 1 -54.
J. Reuss, Johannes-Kommentare aus der griechischen Kirche, TU, 89, Berlin, 1966, p. 3-64.
E. Mhlenberg, Psalmenkommentare aus der Katenenberlieferung, 3 vol., PTS 15, 16, 19,Berlin, 1975, 1977, 1978 ;
M. Harl, La Chane palestinienne sur le Psaume 118, SC 189-190, Paris, 1972. Cf. aussi ltude de M.-J. Rondeau, Les commentaires
e
e
patristiques du Psautier (III
-V
sicles), 2 t., Rome, 1982, 1985 ; H. de Riedmatten, Une dition des fragments exgtiques
de Didyme et d'Apollinaire sur le Psautier , Aevum, 52, Rome, 1978, p. 231.
46
47
J. Reuss, Lukas-Kommentare aus der griechischen Kirche (TU 130), Berlin, 1983, p. 3-10.
Fr. Petit, La Chane sur la Gense, dition intgrale, 4 t., Louvain, 1992-1996.
48
L. Vians, La chane monophysite sur zchiel 36-48, texte critique, traduction, commentaire, thse prsente en janvier
me
1997 pour le doctorat de lcole Pratique des Hautes tudes, V
section, Paris.
49
M. Aussedat, Les chanes exgtiques grecques sur le livre de Jrmie, chapitres 1-4, thse prsente en dcembre 2006,
Pour ldition rcente des fragments dApolinaire dans des versions syriaques armniennes, arabes, thiopiennes, nous
Cf. E. Mhlenberg, Zur exegetischen Methode des Apollinaris von Laodicea , Christliche Exegese zwischen Nicea und
Chalcedon, d. J. Van Oort et U. Wickert, Kampen, 1992, p. 132-147 ; L. Vianes-Abou Samra, Leschatologie dApollinaire de
Laodice travers les fragments sur les Psaumes , Annali di storia dellesegesi, La pluralit delle identit cristiane antiche,21/1,
2004, p. 331-371 ; J.-N. Guinot, Thodoret et le millnarisme dApollinaire , Annali di Storia dellEsegesi, 15/1, 1998, p. 153-180.
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Introduction
Pour notre part, dans la mesure o notre travail porte non pas sur lapolinarisme
directement, mais sur largumentation de Grgoire contre la doctrine du
soutenue par Apolinaire, nous avons consult ponctuellement et non pas intgralement
la collection des fragments exgtiques dApolinaire, qui constituent un objet dtude en
soi, et nous feraient outrepasser largement le point doctrinal dachoppement entre les
deux adversaires ainsi que les limites imparties notre sujet. Nous nous sommes donc
concentre sur le corpus des fragments doctrinaux dApolinaire, qui ont t, pour quelques
uns, lobjet dune rdition depuis le travail dH. Lietzmann en 1904. Ainsi avons-nous pris
comme texte critique de rfrence pour les fragments dApolinaire transmis par lranists
52
de Thodoret de Cyr la nouvelle dition tablie par H. de Riedmatten . Nous avons
aussi tenu compte des analyses dA. Tuilier au sujet des interpolations apolinaristes et
53
monophysites de quelques autres fragments . En outre, parmi les uvres du corpus
apolinariste doctrinal que nous avons utilis, nous avons pris en compte deux attributions
rcentes Apolinaire : celle dE. Cattaneo qui a prouv lappartenance au Laodicen de
54
Trois homlies pseudo-chrysostomiennes sur la Pque et celle de M. R. Hbner qui a
prouv lattribution Apolinaire du Contra Sabellianos, attribution conteste cependant par
55
M. Simonetti .
Paralllement lattrait grandissant de la critique pour luvre exgtique dApolinaire,
sest dvelopp, depuis les annes 1990, aux tats-Unis, le got de lapolinarisme chez
deux thologiens. K. McCarthy, qui a notamment propos une traduction et une tude du
56
Kata meros pistis dApolinaire , tente de prciser les polmiques dans lesquelles Apolinaire
52
H. de Riedmatten, Les fragments d'Apollinaire l'Eranists , Das Konzil von Chalkedon, I, d. A. Grillmeier, Wrzburg,
1951, p. 203-212. tude prise pour rfrence dans la nouvelle dition de lranists par G. H. Ettlinger, Theodoret of Cyrus, ranists,
Oxford, 1975. Selon H. de Riedmatten, H. Lietzmann sappuie sur le texte dit par J. L. Schulze (Theodoreti Cyr Opera omnia, vol.
4, Hallae, 1769/74) qui se fonde lui-mme sur le manuscrit Vaticanus gr. 624, le plus mauvais manuscrit. Le critique entend diter
e
les fragments daprs le manuscrit dOxford, Bodleianus Clarke 2 (fin XIII ) que Schulze avait cart doffice, tromp sur la date de
ce manuscrit, quil pensait tre tardif.
53
A. Tuilier, Remarques sur les fraudes des Apollinaristes et des Monophysites. Notes de critique textuelle , Texte und
Textkritik, eine Aufsatzsammlung, d. J. Dummer, TU 133, Berlin, 1987, p. 581-590. Il traite surtout du De Unione 8 et 17, Lietz.
p. 188, 192-193.
54
Trois homlies pseudo-chrysostomiennes sur la Pque comme uvre d'Apollinaire de Laodice, coll. Thologie historique,
58, Paris, 1981.Le texte grec est dit par P. Nautin, Homlies pascales, II, Trois homlies dans la tradition d'Origne, SC36, Paris,
rd. 2003. Toutefois, nous nous servons plus des analyses doctrinales dE. Cattaneo, que du texte lui-mme des trois homlies.
En effet, la perspective spirituelle de ces discours sadapte souvent mal aux raisonnements spculatifs de la polmique que nous
tudions. En revanche, ltude dE. Cattaneo a le mrite dintgrer le matriau exgtique dApolinaire conjointement ses fragments
doctrinaux.
55
M. R. Hbner, Die Schrift des Apolinarius von Laodicea gegen Photin (Pseudo-Athanasius, Contra Sabellianos) und Basilius
von Caesarea, PTS 30, Berlin-New, York, 1989. Le texte grec se trouve dit sous le nom du Pseudo-Athanase, PG 28, 95-121. M.
Simonetti pense que cette uvre aurait t crite par un apolinariste anonyme dans les annes 380-400 ( Sulla recente fortuna del
Contra Sabellianos Ps. Atanasiano , RSLR, 26, 1990, p. 117-132). Pour notre part, lorsque nous avons utilis ce texte, nous avons
constat une grande cohrence avec les fragments doctrinaux dApolinaire dont nous lavons rapproch (cf. partie 3, chapitre 2, knose
exaltation, Ph 2, 6-11, p. 381-429). Les passages que nous avons analyss nont pas rvl de discordance doctrinale et lexicale avec
les fragments dApolinaire. Mais compte tenu de nos recherches, nous ne sommes pas en mesure de trancher le dbat sur ce point.
56
K. McCarthy Spoerl, A Study of Kata Meros Pistis by Apollinaris of Laodicea, Diss. Toronto, 1990 ; Apollinarius and the
Response to Early Arian Christology , StPatr.,26, 1993, p. 421-427 ; Apollinarian Christology and the Anti-Marcellan Tradition ,
Journal of Theological Studies, 43, 1994, p. 545-568 ; The liturgical Argument in Apollinarius : Help and Hindrance on the Way to
Orthodoxy , Harvard Theological Review, 91/2,1998, p. 127-152 ; Apollinarius on the Holy Spirit , StPatr 37, 2001, 571-592.
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sest engag et a labor sa christologie, contre Marcel dAncyre et contre les ariens. Ses
travaux ont permis dclaircir de nombreux points sur lapolinarisme jusqualors inconnus,
et constituent un vritable apport pour la recherche. B. E. Daley, dans plusieurs articles,
a analys lemploi par Apolinaire des outils conceptuels de la christologie en confrontation
avec ceux de Grgoire de Nysse, pour tenter de dterminer la position de chacun de ces
57
auteurs dans lhistoire de la doctrine sur lunit du Christ jusquau concile de Chalcdoine .
Ces tudes les plus rcentes prsentent un intrt non ngligeable pour notre travail, mme
si lapproche de la controverse apolinariste est diffrente de la ntre, puisquelle porte en
premier sur la doctrine.
B. E. Daley, Divine Transcendence and human Transformation : Gregory of Nyssa's Anti-Apollinarian Christology , Modern
Theology, 18/4, oct. 2002, p. 497-506 ; Heavenly man and Eternal Christ: Apollinarius and Gregory of Nyssa on the Personal
Identity of the Savior , Journal of Early Christian Studies, 10/4, 2002, p. 469-488 ; id., The Human Form Divine : Christ's Risen
Body and Ours According to Gregory of Nyssa , StPatr, 41, Louvain, 2006, p. 201-218.
58
Dans le premier chapitre Circonstances de composition , nous situerons les crits de controverse anti-apolinariste par rapport
aux deux traits Contre Apolinaire du Ps.-Athanase, aux Lettres de Grgoire de Nazianze, la Lettre pictte dAthanase, au
Panarion dpiphane, p. 56-61.
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Introduction
lanc par lapolinarisme aux thologiens de son poque, et dautre part de voir comment
Grgoire construisait sa propre rflexion thologique. Nous nous sommes donc donn
comme objectif dexaminer la manire dont simbriquent et se compltent deux types
de discours et de preuves argumentatives caractristiques du discours doctrinal chez
Grgoire : raisonnements spculatifs et dveloppements exgtiques. Ce faisant, il
sagissait dexaminer dans le dtail du texte, d'un point de vue littraire et philosophique,
la synthse que Grgoire opre entre la tradition dinterprtation biblique et les outils
philosophiques quil exploite.
Pour ce faire, nous tions partie du principe communment admis que, dans les crits
doctrinaux de Grgoire, sopposent deux modes de raisonnements, lun de nature plutt
59
spculative, et lautre de nature exgtique . Nous avions donc entrepris notre travail en
distinguant deux tapes danalyse, lune portant sur largumentaire exgtique, lautre sur
largumentaire doctrinal. Trs vite, nous nous sommes aperu que cette distinction ntait
pas pertinente pour rendre compte du dynamisme argumentatif de Grgoire. En effet,
lcriture est toujours dune manire ou dune autre le socle initial du dbat, le point de
rfrence, le moyen argumentatif des deux adversaires, et lexgse de Grgoire dans son
trait de controverse est doctrinale et souvent spculative : on faussait ainsi la rflexion
en voulant dissocier les raisonnements spculatifs des dmonstrations exgtiques. Nous
avons donc dcid, au regard de la pratique du discours de controverse qui est celle de
Grgoire, de rserver une place importante lusage de lcriture dans nos analyses, et
dtudier de faon dtaille lenjeu et linterprtation de tel ou tel verset dans la polmique,
en le resituant dans lhistoire de la tradition interprtative chez les Pres antrieurs ou
contemporains de Grgoire et dApolinaire, afin de voir comment est utilis ou rutilis
tel ou tel verset ou argument dans la polmique. Cela explique lorganisation gnrale de
notre travail : aprs une prsentation des circonstances historiques et littraires des textes
tudis, nous rservons une place ltude de lexgse, en deux parties, o sont dabord
poss les principes, les mthodes et le rle quoccupe lcriture dans lAntirrheticus, o
sont ensuite examins en dtail les principaux versets de la polmique de Grgoire contre
Apolinaire. Analyser largumentation du Cappadocien sur chaque point de la thologie
du dApolinaire partir de la succession des versets qui lui servent de
fondement rend bien mieux compte de lesprit et du mouvement de largumentation de
Grgoire qui revient sur la mme ide doctrinale sous diffrents angles.
Ltude de largumentation de Grgoire, puisquelle se situe la croise dune approche
doctrinale et littraire, vise aussi dgager les principes d'criture de la controverse
thologique telle que Grgoire la pratique : la nature et lorigine des arguments, les
ressorts rhtoriques, les procds de composition utiliss. Peut-on parler de la controverse
doctrinale en termes de genre littraire ? En outre, Grgoire ne conoit pas seulement
la rfutation comme une rponse aux thses adverses, mais aussi comme lespace
dlaboration privilgi de sa propre thologie. cette question sadjoint donc un autre
champ denqute qui est son corollaire sur le plan doctrinal : quelle est la particularit
de largumentation christologique de Grgoire contre Apolinaire par rapport celle qui
est dveloppe dans dautres polmiques, comme celle dEunome ? Pour ce faire, au fur
et mesure de lanalyse des points traits par Grgoire, il faudra identifier les principes
philosophiques, scripturaires et littraires sur lesquels Grgoire fonde sa dmonstration
59
Cf. M. Canvet, Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, op. cit., p. 73-74 ; B. Pottier, Dieu et le Christ selon Grgoire
de Nysse, op. cit., p. 30-31 : ce critique parle dune alternance Spculation-criture propos de la structure du Contre Eunome (pour
les dveloppements de nature spculative, il se rfre ltude de J. Danilou sur la thria (Ltre et le temps chez Grgoire de
Nysse, Leiden, 1970, p. 1-17).
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ainsi que la source de ses arguments.Ces analyses feront dautant mieux ressortir ce quoi
tient le conflit entre les deux doctrines dApolinaire et de Grgoire et mettra en vidence la
logique propre chaque auteur. de nombreuses reprises, nous comparerons lexposition
dun mme argument dans le Contre Eunome, lAntirrheticus et la Lettre Thophile
pour voir dans quelle mesure il y a reprise, radaptation, ou au contraire innovations
argumentatives, reposant par exemple sur un autre socle scripturaire. La polmique contre
Apolinaire sera donc un chantillon danalyse pour observer dun point de vue philologique
la manire dont une controverse doctrinale sarticule avec dautres controverses, sur la
base dun lien entre les argumentations, qui cre ainsi une histoire de largumentaire
thologique. Pour tre en mesure dapprcier avec le plus de justesse ces phnomnes
de rappropriation de largumentation dune controverse lautre, il faudra voir comment
le raisonnement de Grgoire se situe par rapport la tradition patristique antrieure et
contemporaine, pour en connatre lorigine et en prciser linventivit. En revanche, nous
naborderons pas les rpercussions et la rception de la polmique entre Grgoire et
e
Apolinaire dans la suite des discussions christologiques, au V sicle dans la polmique
christologique sur les deux natures du Christ, mme si elles mriteraient dtre tudies.
La raison dun tel choix est due notre dmarche heuristique. Nous avons port notre
intrt, en effet, sur le phnomne de reprise des arguments et du matriau scripturaire
utiliss dj lors des polmiques antrieures, parvenues maturit, dans une adaptation
celle qui commence clater contre Apolinaire sur un champ doctrinal nouveau, le mode
dunion de la divinit et de lhumanit en Christ. Luvre de Grgoire reprsente un bon
chanon danalyse en raison du lien entre la polmique contre Eunome et la controverse
contre Apolinaire.
LAntirrheticus sera donc lchantillon danalyse qui permettra de dfinir la pratique
littraire grgorienne de la controverse et largumentaire christologique dans le dbat contre
Apolinaire, afin de voir quel niveau, tant littraire que doctrinal, se situe linventivit de
lauteur.
Cherchant exposer les enjeux et la teneur propre de largumentation de Grgoire
contre Apolinaire dans son Antirrheticus, nous avons vite constat, que pour en percevoir
la pertinence et la nature, il fallait la resituer dans le contexte du dbat, ce qui impliquait de
reconstituer dabord la logique dmonstrative dApolinaire dans lApodeixis et ses enjeux
propres. Mais puisque celle-ci se trouve ltat de fragment, on est oblig de saider,
pour le comprendre, des autres fragments doctrinaux, selon les points de convergences
thmatiques. Cest en empruntant cette dmarche que lon peut confronter la doctrine
des deux auteurs pour faire ressortir leur logique propre. Cette mthode a cependant une
faiblesse dont nous sommes consciente, cest quelle fait fi de la chronologie des uvres
dApolinaire : en effet, en comparant les fragments qui ont des points de convergence entre
eux, on peut gommer totalement lvolution de la pense entre le dbut et la fin de sa
production doctrinale, et par exemple relever des contradictions qui en ralit proviendraient
dune volution, ou au contraire faire des rapprochements entre la doctrine expose dans
60
lApodeixis et dautres uvres alors que leur problmatique thologique serait diffrente .
Mais la recherche actuelle possde trop peu dlments pour dater les diffrents fragments
dApolinaire et tablir une chronologie. En labsence dindice historique, tenter de restituer
la cohrence de la pense dApolinaire partir de tout le corpus des fragments apparat
donc comme un moindre mal.
60
e
Or un courant de la critique du dbut du XX s. a considr que la production doctrinale dApolinaire avait t labore en
deux priodes, selon la thorie anthropologique quil soutenait. Nous reviendrons sur cette question dans la premire partie de notre
travail et surtout dans le premier chapitre de la partie IV, Termes et enjeux anthropologiques , p. 530-602 .
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Introduction
Cette manire de procder nous a amene traiter chaque point doctrinal selon une
dmarche mthodologique rcurrente : nous commenons par poser le problme doctrinal,
nous reconstituons ensuite la logique dApolinaire, nous examinons enfin la rfutation de
Grgoire. Telle est la raison pour laquelle la prsente monographie fera souvent alterner
des moments o nous traitons dun point doctrinal chez Apolinaire de faon synthtique,
puis du mme chez Grgoire en rponse la thorie du Laodicen. Selon le relief que
telle ou telle question thologique ou verset revt dans le systme doctrinal dApolinaire,
les dveloppements sur la christologie propre celui-ci seront plus ou moins longs en
comparaison de ceux de Grgoire, mais toujours exposs en premier pour quon puisse
distinguer clairement ce quoi rpond Grgoire.
Cette mthode, selon laquelle nous resituons dabord tel ou tel extrait de lApodeixis
dans ce quon peut connatre de lapolinarisme avant dtudier en dtail largumentation
de Grgoire dans lAntirrheticus,sest impose rapidement lorsque nous avons constat
que, selon les principes de la rhtorique de la polmique, Grgoire rend souvent ridicule
la pense de son adversaire en nen citant quun petit extrait qui ne laisse pas souponner
lenvergure ou le poids thologique de largument. Mais si le Nyssen sest donn la peine de
rfuter Apolinaire, cest que sa doctrine tait suffisamment perfectionne pour reprsenter
un danger ses yeux. Notre enqute est donc partie du principe que la christologie
dApolinaire devait tre plus ingnieuse que la faon dont la prsente Grgoire. Et cherchant
en restituer la cohrence, nous nous sommes aperue que la finesse de largumentation
de Grgoire ressortait du mme coup beaucoup mieux, car on voyait apparatre plus
clairement la diffrence des fondements philosophiques et des mthodes thologiques entre
les deux auteurs.
En outre, cest toujours partir du dsir de comprendre pourquoi Grgoire dveloppe tel
raisonnement face tel extrait dApolinaire que nous avons t amene exposer parfois
longuement la doctrine de ce dernier. Cest aussi le meilleur moyen de mesurer lcart entre
la faon dont Apolinaire semble utiliser les notions-clefs de la christologie et la manire dont
Grgoire en comprend lutilisation sous la plume de son adversaire. Aussi lAntirrheticus et la
Lettre contre les apolinaristes sont envisager comme des textes o lauteur se positionne
dans sa dmonstration par rapport la pense de son adversaire. Et cest alors que le
discours de controverse de Grgoire nous introduit dans lhistoire des dbats polmiques,
do lon peut difficilement lisoler, si on veut en comprendre lorigine et son profit dans
llaboration doctrinale des premiers sicles.
Ltude de la controverse s'articulera autour de plusieurs axes danalyse : la premire
partie prsentera les pices du dossier dun point de vue historique et littraire. Nous en
resituerons lenjeu dans le contexte de la vie et de laction dApolinaire, qui sont bien moins
connues que celles de Grgoire de Nysse, en prcisant ensuite la place que les textes
occupent dans la production littraire de leurs auteurs, et pour parfaire la prsentation de
lAntirrheticus, nous donnerons une tude de sa composition, et une analyse des fragments
dApolinaire cits par Grgoire.
Dans une deuxime partie, nous analyserons le statut que Grgoire donne lcriture
dans son argumentation en examinant successivement la faon dont il lintroduit dans
son discours, les principes hermneutiques selon lesquels il lanalyse, le dynamisme
argumentatif quil lui confre.
La troisime partie prsentera une tude dtaille du dbat exgtique en passant
en revue les principaux versets du dossier scripturaire de la controverse. Il sagira de
resituer chaque argumentation exgtique dans la tradition interprtative et dans luvre
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des auteurs, afin de prciser lusage quils font de lcriture et de mettre en vidence les
nouvelles interprtations que fait surgir la polmique sur lunit du Christ.
La quatrime partie se prsentera comme la synthse doctrinale sur lenjeu
fondamental de la controverse, savoir ltre du Christ. Cette question est dveloppe
dans lAntirrheticus en plusieurs tapes ; dabord dans le raisonnement de Grgoire, elle
sinscrit dans une conception dynamique de lIncarnation selon sa vise sotriologique,
ensuite, dans la dmonstration dApolinaire, elle est labore partir dune conception
anthropologique prcise, puis, lors de son exposition, elle est rgie par des principes
thologiques et philosophiques diffrents selon les deux auteurs, enfin, elle est labore
tout spcialement partir dune analyse de la Passion et de la rsurrection du Christ.
Ces analyses successives visent prciser comment se situe la pense de Grgoire
par rapport la doctrine dApolinaire, comment se situe son argumentation christologique
contre Apolinaire par rapport celle quil dveloppe contre Eunome, comment se situent
les raisonnements dApolinaire et de Grgoire par rapport aux traditions scripturaires et
polmiques de leur poque.
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Puisque luvre et la vie de Grgoire de Nysse sont connues , mais que celles dApolinaire
de Laodice le sont beaucoup moins, il savre ncessaire de resituer dans lhistoire du
e
IV sicle la production littraire et la carrire de ce dernier, pour comprendre les enjeux
politiques et ecclsiaux qui se profilent derrire les polmiques doctrinales et les luttes
politiques dont la controverse entre les deux vques est le reflet.
Pour la biographie de Grgoire de Nysse, nous renvoyons ltude la plus rcente dA. M. Silvas, Gregory of Nyssa : The Letters,
Introduction, Translation and Commentary, Leiden, Boston, 2007, p. 1-58. Les principales sources sur la vie de Grgoire sont le Trait
de la Virginit (intr. sur la biographie de Grgoire,SC 119, p. 29-82) ; les Lettres (biographie dresse par P. Maraval, p. 15-52) ; la
Vie de sainte Macrine (lment de biographie prsents aussi en SC 178, p. 35-67) ; G. May, Die Chronologie des Lebens und der
Werke des Gregor von Nyssa , art. cit., p. 51-67.
62
H. Lietzmann, Apollinaris von Laodicea und seine Schule, Tbingen, 1904, p. 1-42 : vie dApolinaire ; p. 43-93 : sources
A Study of the Kata Meros Pistis of Apollinaris of Laodicea, thse de doctorat, Toronto, 1990, p. 5-53. Cette tude est la
plus rcente sur la vie et la carrire ecclsiale dApolinaire. Son approche, trs renseigne et taye par les sources antiques apporte
un regard neuf sur les anciennes notices sur lvque de Laodice, comme celle de R. Aigrain, dans le Dictionnaire dhistoire et de
gographie ecclsiastiques, III, col. 962-982, parue en 1924 (Paris). Le travail de K. McCarthy a le mrite de passer en revue la
biographie dApolinaire en lien avec les turbulences politiques et ecclsiales de son poque.
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64
Apolinaire . Dans notre travail, nous passerons en revue les tapes de la carrire politique
dApolinaire, pour tenter de mieux cerner les relations dApolinaire avec les Cappadociens
et de comprendre pourquoi Grgoire en est venu rdiger une rfutation des positions
dApolinaire et par quelles sources il en avait pris connaissance.
Car paradoxalement, mme sil nous reste peu de fragments du Laodicen, et certains
qui ont t transmis dans la tradition grce au subterfuge dun pseudonyme dont lautorit
et lorthodoxie taient reconnues, Apolinaire avait beaucoup crit, enseign et les
communauts apolinaristes taient actives dans toutes les glises dOrient.
N Laodice en Syrie vers 310 , Apolinaire tait originaire, par son pre, dAlexandrie.
66
Grce celui-ci, qui tait grammairien de profession avant de devenir prtre, il reut une
solide formation la rhtorique et une culture considrable, ce dont se moque Grgoire
de Nysse dans son Antirrheticus en faisant allusion lun de ses matre (
67
) , qui, daprs lHistoire ecclsiastique de Socrate, tait le paen piphane
68
le Sophiste . Le pre comme le fils prouvaient une grande admiration pour ce sophiste
69
au point quun jour, rapportent Socrate et Sozomne , les deux Apolinaire, pre et fils,
refusrent de quitter une sance de lecture publique dun hymne compos par piphane en
lhonneur de Dionysos, malgr linterdiction donne par lvque de Laodice, Thodote.
Ce dernier les excommunia, puis aprs un temps dexpiation de leur peine, les admis
nouveau dans lglise.
Cet incident, qui est le premier fait de la vie dApolinaire rapport par les historiens
antiques, rvle le soin et le got quavaient les deux Apolinaire pour la culture grecque
classique. piphane de Salamine, qui consacre toute une partie de son Panarion
attaquer la doctrine dApolinaire le Jeune, mentionne cependant son habilet rhtorique
70
et sa culture hellnique , et Basile, dans lune de ses lettres dclare que grce la
64
E. Mhlenberg apporte une contribution sur laffaire dEustathe qui a ml Basile et Apolinaire ainsi que sur lordination
illgale de Vital par Apolinaire comme vque dAntioche, Apollinaris von Laodicea, Gttingen, 1969, p. 26-63.
65
Cf. Socrate, Hist. Eccl., II, 46, 2, SC 493, d. P. Maraval, Paris, 2005, p. 238. On peut dduire la date de naissance dApolinaire
daprs lincident avec son matre piphane le Sophiste, qui valu une premire excommunication Apolinaire sous Thodote, puis un
retour dans la communion avec lglise de Laodice. Or la mort de Thodote est date de 335, selon McCarthy (cf. A Study of Kata
Meros Pistis, p. 8). Apolinaire tait adolescent et lecteur ce moment-l et il fallait avoir au moins 18 ans pour tre lecteur (Cf. Ch. E.
Raven, Apollinarianism, Cambridge, 1923, p. 129), donc Apolinaire est n vers les annes 310.
66
67
Socrate, Hist. Eccl., II, 46, 4-5 ; SC 493, p. 238. Sozomne, Hist. Ecc., VI, 25, 9 et 13, SC 495, d. G. Sabbah, trad. A.-J. Festugire,
Paris, 2005, p. 370. Sozomne, en Hist. Eccl., V, 18, 1, SC 495, p. 186, dclare quil tait form toute espce de savoir et toute
forme de culture littraire.
69
Cet incident se produisit entre 328 et 335, priode dont datent les deux excommunications des Apolinaire, selon ltude de
piphane, Panarion, Haer. 77, 24, GCS Epiphanius 3, d. K. Holl, Berlin, 1985, p. 437, 27-31 :
, ,
( Cet homme avait t form en effet par une ducation non ordinaire, stant lanc
avec la propdeutique de l'art oratoire et lenseignement hellnique et ayant appris toute la dialectique et la sophistique ).
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facilit de sa plume, Apolinaire dispose dune langue qui lui permet de traiter tous les
thmes, et quil a rempli la terre de ses ouvrages (
,
71
) . Cette dernire mention fait allusion labondante
production littraire dApolinaire.
Sur le plan doctrinal, daprs le tmoignage de Philostorge, Apolinaire et son pre se
voulaient dardents dfenseurs de la foi dfinie au concile de Nice en 325, cest--dire de la
72
consubstantialit du Pre et du Fils . Et ils considraient lvque dAlexandrie, Athanase,
comme le champion de cette foi de lglise. Cest ce dont tmoigna leur sympathie envers
lui lors de son passage par Laodice en 346. En effet, en 345, lvque arien dAlexandrie
mourut et lempereur dOrient, Constantin, permit Athanase qui tait en exil en Occident
73
depuis 339 de revenir . Sur le chemin du retour, lanne suivante, Athanase passe par
Laodice, au moment o larien Georges, qui avait succd Thodote, en tait lvque. Or
celui-ci tait un opposant virulent dAthanase ; il avait mme t prsent au concile de Tyr en
74
335, qui avait dpos et exil Athanase pour la premire fois . Apprenant quAthanase tait
dans le voisinage, il interdit quiconque de son diocse, Laodice, de communiquer avec
lui. Selon Sozomne, Apolinaire ignorait cet interdit, rencontra Athanase et devint grand ami
avec lui. George excommunia alors Apolinaire, pour la seconde fois, et ne ladmit plus dans
75
la communion de lglise de son vivant (il mourut vers 360) . La seconde excommunication
correspond exactement au canon 2 du concile dAntioche en 333. Ce canon interdisait
toute communication avec qui tait excommuni, sous peine dtre excommuni soi-mme.
Ce deuxime incident porta ombrage Apolinaire, au cours de sa carrire ecclsiale, et
suscita la mfiance des autres thologiens contemporains, malgr le soutien dAthanase.
Ce que rapporte Sozomne suggre quApolinaire ne connaissait pas Athanase avant 346.
76
En outre, les tmoignages de ses disciples et dApolinaire lui-mme, ainsi que du parti
77
de ses adversaires, comme piphane , voquent une correspondance frquente et des
consultations thologiques entre Apolinaire et Athanase la suite de cette rencontre.
Les deux premires notices quil reste des activits dApolinaire durant cette premire
priode dcrivent ses excommunications successives, dues des actes de dsobissance
78
la discipline clricale . Comme la suite de sa carrire le montrera, ce nest l que le dbut
dune longue suite dexcommunications de la communion avec les glises locales. Il sera en
71
72
H. M. Gwarkin, Studies in Arianism, 1900, p. 130-132. Cf. aussi A. Martin, Athanase dAlexandrie et lglise dgypte au IV
sicle (328-373), collection de lcole franaise de Rome, 216, Rome, 1996, p. 5-6.
74
75
Cf. Athanase, Apologie contre les ariens, 8, 3, d. H. G. Opitz, Athanasius Werke, Berlin, 1934, vol. 2, fasc. 12, p. 94.
Sozomne, Hist. Eccl.,VI, 25, 7-8, SC 495, p. 368. Il semble donc Apolinaire tait en dehors de la communion de lglise
Cf. Le trait Contra Nestorianos et Eutychianos, 111, 40, PG 86/1, 1377 C attribu Lonce de Byzance. Le disciple
dApolinaire, Timothe de Bryte, parle de lettres crites Apolinaire par Athanase et Srapion de Thmuis. Une lettre dApolinaire
Srapion nous est parvenue ltat fragmentaire. Cf. frg. 159-161, Lietz. 253, 18-254, 26.
77
78
Panarion, haer. 77, 2, 1, d. K. Holl., GCS, Epiphanius, III, op. cit.,, p. 416.
Cf. K. McCarthy Spoerl, A Study of Kata Meros Pistis, p. 11-12.
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effet condamn dans les annes 370 en Occident puis en Orient. En dpit du support influent
dAthanase, Apolinaire a donc souvent t en dehors de la structure ecclsiale avant 360.
Aucune des sources antiques ne prcise les activits dApolinaire entre les annes 346
et 362, date laquelle il rapparat. Il est probable que, durant cette priode, il ait enseign et
compos de nombreuses uvres littraires, des commentaires bibliques, les trente volumes
contre le noplatonicien Porphyre et un certain nombre duvres polmiques contre des
79
80
81
hrtiques de son temps, Marcel dAncyre , Eunome , Origne . Le Kata Meros Pistis est
82
le trait de polmique le plus long qui ne nous soit pas parvenu ltat fragmentaire . Ces
diffrentes polmiques appuyaient sa rputation de champion de lorthodoxie trinitaire, qui
lui conciliait un respect pour ses doctrines singulires au sujet de lIncarnation. Il semble
aussi avoir eu des liens avec le mouvement monastique qui commenait se dvelopper,
comme en tmoigne le fait quil ait envoy des moines en dlgation au concile dAlexandrie
83
runi par Athanase en 362 .
Tome aux Antiochiens, 9, 3, Athanasius Werke, Zweiter Band, Die Apologien , 8. Lieferung, d. H. Chr. Brennecke,
Berlin, 2006, p. 349. Mais ce fait nest pas confirm par Sozomne, Socrate et Thodoret. Nous revenons sur la question de llection
dApolinaire dans le paragraphe suivant.
84
e
Julien, Lettre 61, d. J. Bidez, CUF, tome I, 2 partie, Paris, 1960, p. 73-75. Les sources antiques donnent des informations trs
contradictoires sur ce point. En effet, daprs G. Sabbah, Julien na pas interdit laccs des coles aux lves chrtiens, malgr ce
quen dit Grgoire de Nazianze, Discours 4, 101-105 ; Rufin, Hist. Eccl., X, 33, GCS Eusebius, Die Kirchengeschichte, II, 2, d. E.
Schwartz, Th. Mommsen, Berlin, 1999, p. 994-995) ; Socrate, Hist. Eccl., III, 12, 7, SC 493, p. 300, et Thodoret, Hist. Eccl., III, 8. La
4
seule loi conserve par le Code thodosien, XIII, 3, 5 (d. Th. Mommsen, Dublin, Zrich, 1971 , p. 741), peut viser les matres chrtiens
(G. Sabbah, Sozomne, Hist. Eccl., SC 495, p. 186, n. 2). Cf. aussi ltude de J. Bidez, La vie de lempereur Julien, Paris, 1965, p.
263-266 ; J. Bouffartigue, Lempereur Julien et la culture de son temps, coll. des tudes augustiniennes 133, Paris, 1992, p. 596-597.
85
Sozomne anticipe, selon G. Sabbah (SC 495, p. 187, n. 4), car Basile est n en 330 et il a atteint sa renomme surtout dans les
annes 370, comme vque, tout comme Grgoire de Nazianze, n galement vers 330, qui navait lpoque de Julien crit que
ses premiers discours et ntait prtre que depuis 361. Mais Sozomne se reporte ce que dit Grgoire dans ses discours (Discours
4, 96, d. J. Bernardi, SC 309, p. 240-243 et Discours 5, 39, p. 375-377).
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moque dApolinaire en voquant son troisime Testament, ses Psautiers nouveaux qui
86
contredisent celui de David ainsi que le charme de ses vers . Sur un autre ton, Sozomne
rapporte aussi, dans son Histoire ecclsiastique, lactivit littraire dApolinaire en raction
la politique de lempereur Julien en ces termes :
Cest alors que cet Apolinaire, usant pour loccasion de son vaste savoir et
de ses dons naturels, pour remplacer la posie dHomre, composa en vers
hroques lhistoire ancienne des Hbreux jusquau rgne de Sal et quil
divisa tout son ouvrage en vingt-quatre chapitres, ayant dnomm chaque
tome par une des lettres de lalphabet grec, selon le nombre de ces lettres et
leur ordre. Il travailla aussi des comdies la ressemblance des pices de
Mnandre, et il imita lart tragique dEuripide et la posie lyrique de Pindare.
Et pour le dire en bref, ayant emprunt aux Saintes critures les sujets de ce
quon nomme le cercle entier des connaissances, il produisit en peu de temps
des ouvrages gaux en nombre et en valeur (######### #############)
et qui, par la peinture des sentiments (########## ####), le style (######),
le caractre (#########) et la disposition (########), sont comparables aux
uvres renommes chez les Grecs pour ces qualits (##### #### ###########
87
## ####### ############) .
88
Un tel pangyrique, qui va jusqu comparer les thologiens Apolinaire lAncien et le Jeune
aux grands auteurs de la tradition grecque classique, met laccent sur les qualits littraires
et la matrise des canons de la littrature grecque et srement de la philosophie qui
favorisent une finesse dinterprtation dans lexgse et dans lexposition de la doctrine
dApolinaire.
Apolinaire a aussi t actif Antioche o il a enseign lexgse. Jrme raconte dans
89
90
une de ses lettres quil en avait suivi les leons dans lanne 373/374 , 377 ou 378 voire
91
plus tard encore , selon plusieurs hypothses de la critique :
Gr. Naz., Lettre 101, 73, SC 208, p. 68. Cf. aussi Lettre 102, 23, SC 208, p. 82. Il faut prciser que si Grgoire de Nazianze attaque
si violemment Apolinaire dans ses lettres sur ce point, cest surtout parce quil voit en lui un rival. En effet, lun et lautre staient
beaucoup adonns lart potique, reprenant les formes classiques en les adaptant des sujets chrtiens (cf. ltude rcente de
J. Prudhomme, Luvre potique de Grgoire de Nazianze : hritage et renouveau littraires, thse prsente pour obtenir le doctorat,
sous la direction dO. Munnich, Universit Lumire Lyon2, novembre 2006).
87
Sozomne, Hist. Eccl., V, 18, 3-4, SC 495, trad. reprise dA.-J. Festugire et B. Grillet, p. 188. La remarque de Basile
que nous avons cite au dbut de ce chapitre, tire de la Lettre 263, nest srement pas injustifie face cette production
littraire intense.
88
G. Sabbah note que Sozomne attribue Apolinaire le Jeune la totalit des uvres crites pour rpliquer aux mesures anti-
chrtiennes de Julien concernant lcole. En fait, il faut envisager soit une rpartition de ces uvres avec son pre, soit une
collaboration entre eux dont nous ne pouvons pas dfinir exactement la forme (SC 495, p. 186-187, n. 3).
89
90
91
G. L. Prestige, St. Basil the Great and Apollinaris of Laodicea, London, 1956, p. 14.
E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, p. 56.
P. Jay, Jrme auditeur dApollinaire de Laodice , REAug., 20, 1974, p. 36-41.
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Lettre 84, 3 Pammachius, d. I. Hilberg, CSEL 55, Vienne, 1996, 122, 24-123, 6 ; trad. fr. J. Labourt, CUF, t. V, Paris,
1954, p. 127.
93
94
Apollinaris von Laodicea , Christliche Exegese zwischen Nicaea und Chalcedon, d. J. van Oort et U. Wickert, p. 132). Pour les
rfrences aux ditions des fragments, cf. supra, introduction gnrale , n. 40-47.
95
96
97
Augustin, Lettres, 82, 23, CSEL 34, d. A. Goldbacher, Prague, Vienne, Leipzig, 1895, rimpr. 1970, p. 376.
Ceux-ci insistaient sur la distinction entre lhomme et Dieu dans le Christ, alors quApolinaire insiste au contraire sur lunit.
Nous serons amene revenir sur cette question partir des commentaires exgtiques dApolinaire daprs lAntirrheticus, cf.
Cf. ltude de L. Vians, Leschatologie dApollinaire de Laodice travers travers les Fragments sur les Psaumes , Annali
Cf. Tome aux Antiochiens, 9, 3, Athanasius Werke, Zweiter Band, Die Apologien , 8. Lieferung, d. H. Chr. Brennecke,
op. cit., p. 349. Un des buts de ce concile Alexandrie tait de rassembler lglise dAntioche, divise depuis 30 ans, o taient
en concurrence deux vques, Mlce, reconnu par tout lOrient sauf Athanase, et Paulin, vieux-nicen, reconnu seulement par
Athanase, cest--dire lvch dAlexandrie, en Orient et par lOccident. Cf. X. Morales, La thologie trinitaire dAthanase dAlexandrie,
Paris, 2006, p. 357-389.
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Le paragraphe 7 du Tome aux Antiochiens estle plus explicite sur le sujet. Cf. Athanasius Werke, d. H. Chr. Brennecke,
p. 346-347.
101
102
103
104
Sozomne, Hist. Eccl., VI, 4, 6, SC 495, p. 264 ; Socrate, Hist. Eccl. III, 25, 18, SC 493, p. 356.
3
Cf. Thodoret, Hist. Eccl. 5, 8, 5, d. L. Parmentier, rvision G. Chr. Hansen, GCS, Neue Folge Band 5, Berlin, 1998 , p. 287.
Cf. Jrme, De viris illustribus, 104, PL 23, 701 B.
Mlce avait t ordonn vque dAntioche en 360 par la frange arienne. Aussi Paulin avait-il t lu par les nicens
contre Mlce, et soutenu par Athanase notamment, qui ne reconnaissait pas Mlce comme vque orthodoxe. Apolinaire de son
ct avait consacr un de ses disciples, Vital, comme vque dAntioche. Or la position de Mlce volua et il confessa finalement
la doctrine de Nice.
105
106
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108
Dans la synodale (Tome aux Antiochiens), Athanase dclare que lon peut utiliser les expressions une hypostase ou trois
hypostases pourvu que lon dfinisse ce que lon entend par hypostase. Cf. X. Morales, La thologie trinitaire dAthanase
dAlexandrie, op. cit., p. 387-389.
110
E. Mhlenberg pense que les sections christologiques du Tome aux Antiochiens dAthanase ( 7, Athanasius Werke, zweiter
Band, 8. Lieferung, d. H. Chr. Brennecke, p. 346-347)refltent les discussions entre Apolinaire et Diodore Alexandrie (Apollinaris,
op. cit., p. 226-230). M. Simonetti pense au contraire que les discussions christologiques au concile dAlexandrie opposaient plutt
Apolinaire aux partisans de Paulin (La crisi ariana nel IV secolo, Rome, 1975, p. 370). Pour une analyse historique du synode et des
e
enjeux de ce Tome, cf. A. Martin, Athanase dAlexandrie et lglise dgypte au IV
sicle, op. cit., p. 542-635. Pour un tat de la
question, cf. ltude la plus rcente de X. Morales, La thologie trinitaire dAthanase dAlexandrie, op. cit., p. 384-387.
111
112
Eustathe tait disciple dArius, lu en 356 au sige de Sbaste, puis dpos et remplac par Mlce. Dans les annes
350-360, il dfend non pas l mais l. Basile fut dabord un ami proche, puis se brouilla propos de la question
pneumatologique. Basile le rencontre plusieurs reprises ( Sbaste en 373) pour sentendre sur la divinit de lEsprit. Plus tard, il
le convainc de signer une profession de foi conforme lorthodoxie (cf. Lettre 125 o figure cette profession de foi, d. Y. Courtonne,
Lettres, t. II, Paris, 1961, p. 30-34). Mais lors dun synode organis pour confirmer la communion des glises de Csare, Sbaste
et Nicopolis, Eustathe et son entourage ne viennent pas (cf. Basile, Lettre 244, d. Y. Courtonne, t. III, p. 73-83), et peu aprs, en
373, Basile reoit une lettre dEustathe linformant de la rupture de sa communion avec Basile (Lettre 244, 2, d. Y. Courtonne, t.
III, p. 74-76).
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En effet, Eustathe, aprs stre brouill avec son ami Basile, voulut le compromettre
en faisant peser sur lui des soupons de sabellianisme, laccusant de sympathie doctrinale
avec Apolinaire cause de son ancienne correspondance avec celui-ci. Eustathe dclarait
113
que ctait cause de la communion de Basile avec Apolinaire et Diodore quil se coupait
114
de lui .
Les seuls sources littraires quil nous reste de cette affaire sont les lettres de Basile,
destines plusieurs personnes (Lettres 129, 131, 223, 224, 226 et 244) ainsi que la
115
correspondance prtendue entre Basile et Apolinaire (Lettres 361-364) . Ces quatre
dernires lettres, 361 364, ont fait lobjet dun examen par la critique en raison des
problmes dauthenticit quelles posent. Elles ont notamment t tudies par H. de
Riedmatten dans deux articles, qui font autorit, o il prsente une nouvelle dition de ces
116
117
118
pices du dbat , tout en montrant leurs enjeux doctrinaux trinitaires . G. L. Prestige
119
120
121
dans une tude de la mme poque, puis E. Mhlenberg , Y. Courtonne , V. H. Drecoll
122
et enfin K. McCarthy Spoerl ont galement apport leur contribution sur ce point pour une
meilleure comprhension de laffaire. Mais dans la mesure o lobjet doctrinal qui oppose
Grgoire de Nysse dans son Antirrheticus Apolinaireest strictement christologique,o il
estde nature trs diffrente du dbat rapport dans ces quatre lettres, qui concernent le
113
114
115
116
un expos quil considre solidaire des deux premires de ces lettres ; celui-ci sintitule . ,
Lettre de Sebastiani (texte dit dans cet article p. 208-210). Cette pice contient un passage reproduit par Basile dans sa Lettre 129,
daprs une formule lance par Eustathe de Sbaste, qui laisserait croire que lauteur du texte en question est Basile lui-mme.Cf. les
analyses et ldition de ces textes par H. de Riedmatten, La correspondance entre Basile de Csare et Apollinaire de Laodice ,
Journal of Theological Studies 7, 1956, p. 199-210 et 8, 1957, p. 53-70.
117
La discussion entre Basile et Apolinaire porte sur la thologie trinitaire et plus prcisment sur la notion d. H.
de Riedmatten examine les nuances thologiques entre le Contre Eunome et ces quelques lettres pour examiner lauthenticit des
textes. Il montre que la diffrence entre la Lettre 362 et la Lettre de Sebastiani ont voir avec le Kata Meros Pistis dApolinaire, qui
prsentent lide commune que la est la proprit du Pre, communique par drivation au Fils et lEsprit. Au contraire, chez
Basile, la divinit est un bien ou prdicable commun, et la proprit du Pre est la paternit. Ce critique en conclut que la Lettre 362 et
la Lettre de Sebastiani sont de provenance apolinariste, et tend penser, par consquent, que les pices du dossier sont authentiques
( La correspondance entre Basile de Csare et Apollinaire de Laodice , Journal of Theological Studies 8, 1957, p. 67).
118
St Basile the Great and Apollinaris of Laodicea, London, 1956. Selon, L. G. Prestige, ces quatre lettres, 361-364, sont
e
authentiques. Cette hypothse a t remise en cause par Y. Courtonne, Un tmoin du IV
sicle oriental, Saint Basile et son temps
daprs sa correspondance , Paris, 1973, p. 225.
119
Apollinaris von Laodicea, surtout p. 101-104 : E. Mhlenberg a cherch lucider le contexte de cette affaire et la raison
pour laquelle un lve dApolinaire, Vital, prtre du parti de Mlce Antioche, avait t consacr par Apolinaire troisime vque
orthodoxe , dans la mesure o travers ces deux points la personnalit politique dApolinaire et sa place dans lglise dOrient
apparat avec plus dacuit.
120
examine la position de G. L. Prestige, et curieusement non celle dH. de Riedmatten, dont les deux articles sont pourtant antrieurs.
121
Die Entwicklung der Trinittslehre des Basilius von Csarea, Sein Weg vom Homusianer zum Neonizner, Gttingen,
1996, spcialement p. 25-37, o lauteur reprend les analyses de L. Prestige, de H. de Riedmatten et dE. Mhlenberg.
122
A Study of the Kata Meros Pistis, dissertation, Toronto, 1990, p. 30-39. K. McCarthy date le conflit entre Apolinaire et
Basile de 373-375.
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244,
3,
ibid.,
t.
III,
p.
76
:,
.
132
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De ce bref descriptif de la dfense de Basile travers ses lettres, retenons que le point
de vue de Basile sur la doctrine dApolinaire a volu au cours de cette affaire. Il tait en
effet favorable dans les annes 360, puis, cause de laffaire dEustathe en 376-377, Basile
dnonce la doctrine christologique dApolinaire dans la correspondance qui date de cette
priode, et prend parti contre lui dans sa Lettre 263 o il demande aux vques occidentaux
leur aide face aux troubles qui secouent les glises dOrient.
Au moment, donc, o Apolinaire va tre condamn pour la premire fois Rome en
377, Grgoire de Nysse ne peut pas ne pas avoir t inform par Basile de la doctrine
dApolinaire juge dissidente. Laffaire dEustathe est lun des vnements ecclsiaux de
poids permettant de comprendre le contexte dans lequel, quelques annes aprs, Grgoire
rdigera lAntirrheticus. Mais un autre vnement Antioche suscite aussi lattention des
vques orientaux au sujet dApolinaire. Il sagit de lordination par le Laodicen de son
disciple Vital.
Sur Vital, cf. Sozomne, Hist. Eccl. VI, 25, SC 495, p. 364-372 ; piphane, Panarion, Haer., 77, 20-24 ; GCS Epiphanius III,
p. 434-437.
134
135
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aussi que pendant cette priode, le parti apolinariste sorganisa et se runit dans des
137
communauts qui avaient leurs propres rites et vques .
Avec la conscration de Vital, Apolinaire est apparu comme linitiateur dun mouvement
schismatique en Orient, qui attirait sur lui une attention de plus en plus hostile. En effet,
auparavant, pendant que les ides christologiques dApolinaire taient en discussion depuis
les annes 360, et alors qu Rome, Damase condamnait Apolinaire pour des erreurs
doctrinales, lglise orientale ne semblait pas inquite des activits dApolinaire. Ce sont
plutt les tractations menes par les apolinaristes, notamment le voyage Rome de Vital,
qui ont suscit lappel Rome, et finalement qui ont provoqu sa condamnation.
Il est difficile de savoir quand Apolinaire a peru que son parti se trouvait dans une
position vulnrable Antioche. Entre 373 et 377/378, Apolinaire crivit plus dune fois
aux vques exils dgypte par Valens, Diocsare, en Palestine, pour demander
sa communion avec eux sur la base de leur commune communion Athanase. Des
fragments de cette lettre ont survcu, o Apolinaire donne son interprtation de passages
138
christologiques du Tome aux antiochiens dAthanase . Peu aprs 375, lorsque Trence
vint Antioche pour reprsenter le pouvoir imprial, Apolinaire lui crivit pour se dfendre
des falsifications de sa christologie qui circulaient. Il reste quelques fragments de cette
139
ptre Trence
. Vraisemblablement, face aux accusations, Apolinaire tint une
position doctrinale de plus en plus intransigeante. Les apolinaristes, ayant constitu un
parti Antioche sous Vital, se firent de plus en plus dennemis ecclsiaux, comme latteste
une lettre de Pierre dAlexandrie, le successeur dAthanase. Cette lettre, conserve par
140
lhistorien Facundus , et probablement compose aprs la condamnation dApolinaire
Rome en 377, relate comment Timothe, un disciple apolinariste, rclamait dtre
lu vque pour dclarer anathmes Pierre, Basile, Paulin, piphane, Diodore de Tyr,
revendiquant sa communion avec Vital seulement.
Les diffrentes tapes de la carrire dApolinaire rvlent un tat de crise samplifiant
dans lglise dOrient, n, en 373, de la rupture dEustathe avec Basile et accru de faon
dramatique par la conscration de Vital par Apolinaire. Pendant cette priode, Apolinaire et
ses disciples devenaient de plus en plus suspects et isols sur le plan politique. Finalement,
Basile prit la dcision dcrire en 377 aux vques dOccident dans sa Lettre 263 pour
demander la condamnation dindividus qui semaient le trouble dans lglise dOrient. Il
incluait Apolinaire dans cette dnonciation, avec Eustathe de Sbaste et Paulin.
Une lettre de Damase, qui est conserve dans sa version grecque dans lHistoire
141
ecclsiastique de Thodoret , relate que le pape convoqua un synode Rome auquel
participa Pierre dAlexandrie (fin 377-dbut 378). Timothe de Bryte, bien que disciple
142
dApolinaire, y aurait t prsent aussi . Le synode dposa Apolinaire et lui, condamna leur
enseignement sur la nature humaine imparfaite du Christ. En lien avec ces vnements, la
mme anne, piphane nomme, pour la premire fois, Apolinaire responsable de lhrsie
137
138
139
140
141
142
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143
piphane, Panarion, Haer. 77, 2, 1, GCS, Epiphanius, III, op. cit., p. 416-417.
Lettre 102, 17, SC 208, trad. P. Gallay, p. 78 : Grgoire de Nazianze explique que lapparente pit des expressions
dApolinaire a suscit la raction de Damase : Damase lui-mme, quand il a t mieux inform et quand il a appris en mme temps
quils en restaient leurs premires explications les a dclars hors de lglise et a fait dtruire avec anathme leur crit sur la foi, tout
en sindignant contre leur tromperie, dont sa simplicit lavait rendu victime (
,
, ).
145
146
Rufin, Hist. Eccl. XI, 20, GCS Eusebius, Die Kirchengeschichte, II, 2, d. E. Schwartz, Th. Mommsen, op. cit., p. 1024.
Le concile est mentionn dans la lettre synodale de Constantinople de 382, chez Thodoret, Hist. Eccl., V, 20, 2, d. L. Parmentier,
rv. G. Chr. Hansen, op. cit., p. 315 ; Grgoire de Nysse, Vie de Macrine,15, SC 178, p. 190. Le concile dAntioche peut tre dat
grce cette mention de Grgoire (cf. n. 4 de P. Maraval, SC 178, p. 191).
147
148
149
Cf. Les conciles cumniques, les dcrets, t. II, 1, sous la dir. de G. Alberigo et A. Duval (version fr.), Paris, 1994, p. 86.
Cf. E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, op. cit.,p. 57.
Ambroise, Lettres, (8)14, 4, CSEL, 82/3, d. M. Zelzer, Vienne, 1982, p. 199. Cette lettre a t crite lempereur Thodose aprs
le concile dAquile en 381 pour demander quun synode plus large se runisse Rome afin de rsoudre le problme de lapolinarisme
et rhabiliter des membres de la secte. Cf. aussi Jrme, Apologie contre Rufin, d. P. Lardet, SC 303, Paris, 1983, p. 158-159 ;
Sozomne, Hist. Eccl., VII, 11, 4, GCS, d. Bidez, op. cit., p. 314. Linvitation ce concile est relate aussi chez Thodoret, Hist. Eccl.,
V, 9, 8, GCS, d. L. Parmentier, rv. G. Chr. Hansen, op. cit., p. 290.
150
Code thodosien, XVI, 5, 12 et 13, SC 497, d. Th. Mommsen, J. Roug, intr. R. Delmaire, Paris, 2005, p. 248-252.
151
152
Thodoret, Hist. Eccl., V, 4, 1, GCS, d. L. Parmentier, rv. G. Chr. Hansen, op. cit., p. 282.
Cf. N. Q. King, The 150 Holy Fathers of the Council of Constantinople 381 A. D. , StPatr., d. K. Aland, F. L. Cross,
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153
mme . Thodoret rapport aussi que lorsque le matre de la milice, Sapor, vint Antioche
en 381 pour faire appliquer la loi dcrte peu auparavant qui stipulait la confiscation
des glises aux mains des hrtiques et leur attribution aux prlats souscrivant la
dfinition de la foi de Nice, Apolinaire aurait soutenu quil demeurait en communion avec
Rome, paralllement Paulin et Mlce bien quon ne sache pas sil justifiait ce fait
sur lapprobation provisoire de la part de Damase envers Vital en 376 ou sur sa propre
154
communion avec Athanase .
155
######## ## ##### ### ##### ########## #### #### #### ###### ### ######
##### ########## ### ##### ########## ### ####### ####### ##########,
# ######## ############# (## ### ### ##### ###### #######), ### #####
############### ######### ######### ########## ###########, ###### ###
#### ########## #### ### #### ###### ###### ### ########, ###### ########,
## ####, #### #### ######## (##### ### ### ######) ###########. Ils ont
os, ces misrables qui doivent prir misrablement (cf. Mt 21, 41), en plus de
tout le reste, faisant appel des vques dposs par tous les synodes orientaux
et occidentaux ou profitant du passage de ces vques (je ne puis prciser ce
point), et sinsurgeant contre toutes les constitutions impriales et tous vos
dcrets, ils ont os imposer le nom dvque lun des impies et des imposteurs
156
de chez eux, encourags avant tout, je crois, par mon tat cadavrique .
Cette indignation atteste quApolinaire tait trs actif Nazianze dans les annes 380.
Et plus tard, vers 387, Grgoire de Nazianze crit une autre lettre Nectaire, vque de
Constantinople, lui demandant son aide avec lappui de lempereur Thodose, pour mettre
157
un terme la recrudescence des activits des apolinaristes (Lettre 202, 4-7) . En outre,
ce tmoignage traduit le conflit ouvert entre la communaut de Grgoire de Nazianze et
le parti dApolinaire. Nectaire semble avoir ragi aux plaintes de Grgoire puisquen mars
388 est promulgue une loi interdisant encore le droit de rassemblement et dordinations
153
Grgoire de Nazianze, Carmen de vita sua, II, 1, 11, v. 609-619, Saint Grgoire de Nazianze, CUF, d. A. Tuilier, G. Bady,
Thodoret, Hist. Eccl. V, 3, 9, GCS, d. L. Parmentier, rv. G. Chr. Hansen, op. cit., p. 281
Pour une tude dtaille des lettres de Grgoire de Nazianze comme tmoignage sur lapolinarisme, cf. H. Lietzmann,
p. 67-74.
156
157
Gr. Naz., Lettres 125, 5,d. et trad. P. Gallay, CUF, II, Paris, 1967, p. 15-16.
Lettre 202 Nectaire, d. P. Gallay, SC 208, p. 86-95. P. Gallay date la lettre 202 vers 387, assez proche de la mort de Grgoire
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158
F. Conclusion
La vie dApolinaire, sa rputation en tant quhomme de lettres et exgte, son activit
ecclsiale brivement retrace, et la faon dont se sont succdes les condamnations
depuis celle de Rome jusqu celles de lOrient montrent quil tait un homme dglise
influent en Orient. En tmoigne dailleurs le jugement de Sozomne qui compare, dans son
Histoire ecclsiastique, Apolinaire Eunome comme deux chefs de partis auxquels se serait
160
rang tout lOrient, si la prsence des moines navait pas gn leur influence .
Le souci quavait Apolinaire de prouver que sa thologie tait dans la droite ligne
de Nice et dAthanase explique que ses contemporains orientaux aient mis du temps
le condamner. Face aux attaques, le nom dAthanase et les formulations doctrinales
de ce dernier, si proches des siennes par certains aspects, garantissaient ses yeux la
lgitimit de sa thologie. Mais ce phnomne montre aussi quel point pour des raisons
de biensances thologiques et ecclsiales, lexpos de sa doctrine pouvait apparatre
ambigu, subtilement proche dAthanase par certaines formules pour viter les attaques
massives. On peut supposer dans sa production doctrinale une stratgie quon aura
prendre en compte : Apolinaire, menac, tend exposer ses ides christologiques dans leur
singularit (lhumanit assume par le Christ nest pas intgre) par des termes qui, dans
certains contextes dlicats, sont suffisamment ambigus pour ne pas sembler sloigner du
langage nicen et du sillon dAthanase, reconnu comme orthodoxe. Grgoire de Nazianze
note dailleurs ce phnomne propos dApolinaire dans sa Lettre 102 Cldonius
pour expliquer quApolinaire suscite la fois lapprobation de certains thologiens et la
161
condamnation dautres hommes dglise . On entrevoit l toute la difficult pour le lecteur
contemporain de ne pas se laisser prendre au pige de la lettre de fragments doctrinaux
ayant parfois une densit polmique qui nous chappe en raison des lacunes contextuelles :
158
Code thodosien, XVI, 5 ,14, d. Th. Mommsen, trad. J. Roug, SC 497, p. 252-254 : Nous ordonnons dcarter de tous lieux,
des murailles des villes, de la runion des honntes gens, de la communion des saints, les apolinariens et tous les autres sectateurs
des diverses hrsies ; quils naient point le pouvoir dinstituer des clercs ; que la facult de tenir des assembles dans des glises
tant publiques que prives leur soit te. Quon ne leur accorde en aucun cas le droit de se crer des vques ; bien plus, que leurs
vques eux-mmes, privs du titre, perdent lappellation de cette dignit. Quils occupent des lieux o ils se trouvent le plus possible
spars de la communaut humaine comme par quelque retranchement .
159
160
Sozomne, Hist. Eccl., VI, 27, 8-9, SC 495, p. 384-385 : Il y eut risque en effet que lOrient, de la Cilicie la Phnicie, ne
se ranget au parti dApolinaire et que, de la Cilicie et du mont Taurus lHellespont et Constantinople, il ne se ranget au parti
dEunome (trad. A.-J. Festugire). Ce jugement montre que les Cappadociens ne sont pas les seuls percevoir Eunome et Apolinaire
comme deux adversaires principaux pour lunit de lglise. On peut poser lhypothse aussi que Sozomne aurait t influenc par
les Cappadociens dans son jugement sur lapolinarisme et leunomisme.
161
Lettre 102, 16-17, SC 208, p. 78 : Grgoire fait allusion la profession de foi prsente par Vital devant le pape Damase,
qui la juge favorablement au premier abord, en raison du langage suffisamment ambigu pour quil puisse tre considr comme
orthodoxe. Grgoire dclare quil en a eu lui-mme connaissance, et a eu la mme raction que Damase.
41
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celles-ci empchent alors de cerner avec prcision les attaques et les adversaires auxquels
Apolinaire rpond.
Parmi les points qui nous intressent, savoir la relation entre Apolinaire et les
Cappadociens, plusieurs lments ressortent. Dune part, les rapports entre les figures
ecclsiales que sont Apolinaire et Basile sont lis en partie lhistoire de lglise dAntioche,
o Basile a dabord rejet puis accept Mlce comme vque lgitime aux dpens de
Paulin, et de Vital, candidat des apolinaristes. En outre, on distingue deux priodes dans
les relations entre Apolinaire et Basile. Lchange de leurs lettres 261-264 au moment de
laffaire dEustathe laisse affleurer des divergences doctrinales mais un certain respect
mutuel : Basile refusait alors de considrer Apolinaire comme un ennemi en raison de son
pass respectable. En revanche, les lettres plus tardives de Basile, partir des annes 370,
rejettent lapolinarisme comme hrsie et dnoncent la doctrine et lactivit dApolinaire et
de ses disciples.
Pour ce qui est du rapport entre Apolinaire et Grgoire de Nazianze, les lettres de ce
dernier prsentent le premier et son parti comme des activistes sditieux dans les annes
380 Nazianze, aprs leur condamnation officielle. Quant savoir si Grgoire de Nazianze
a eu des tractations doctrinales personnelles avec Apolinaire, aucune source ne le dit.
Une conclusion simpose : parmi les sources littraires antiques qui font allusion
lhistoire ou la vie dApolinaire, le nom de Grgoire de Nysse nest jamais associ
lactivit ecclsiale du Laodicen. Aucune ne suggre une quelconque relation dApolinaire
lvque de Nysse.De mme chez Grgoire, aucun texte ne mentionne tel ou tel fait se
rapportant la carrire ou laction dApolinaire. Seul son Antirrheticus rfute les doctrines
dApolinaire. On peut alors se demander do il tenait sa connaissance de lapolinarisme,
notamment du trait de lApodeixis, sinon, entre autres, de ses confrres et des uvres
dApolinaire qui circulaient.
Pour tre en mesure de comprendre les enjeux de la rfutation de Grgoire, il
manque encore lexposition de lapolinarisme un lment important : une prsentation des
fragments qui seront le support de notre rflexion, et de la faon dont ils ont t lgus et
attribus Apolinaire par la tradition antique.
Apollinaris von Laodicea, p. 43-78 : tat des lieux des sources de lapolinarisme ; p. 79-128 : histoire de la tradition textuelle.
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manuscrite des fragments dApolinaire et quau cours de notre travail, nous dnommerons
chaque uvre daprs son nom franais, latin ou grec selon lusage le plus courant.
Les fragments doctrinaux dApolinaire qui sont dits par H. Lietzmann proviennent soit
de la tradition directe, soit de la tradition indirecte : ils ont t transmis soit par des ouvrages
e
de controverse, tel lAntirrheticus, soit par des florilges de Thodoret (V s.), de Lonce
e
e
de Byzance (VI s.), du trait Contra Monophysitas de lempereur Justinien (VI s.),de la
e
Doctrina Patrum de Incarnatione Verbi (VII s.), ou dun ouvrage Contra Monophysitas de
e
163
Lonce de Jrusalem (VI s.) . Quelques fragments ont t transmis par les actes du
concile du Latran de 649, et dautres encore par Euthyme Zigabne, dans sa Panoplie
e
164
dogmatique, au dbut du XII sicle (soit lpoque des premiers manuscrits que nous
possdons de lAntirrheticus). Nous renvoyons ltude dtaille dH. Lietzmann pour la
tradition manuscrite des fragments dApolinaire, relativement complexe, parce que trs
165
diversifie . Ce critique a galement dit sous le nom dApolinaire plusieurs opuscules
et lettres, transmis par la tradition directe ou dans des florilges sous les pseudonymes du
Pape Jules de Rome (Premire ptre Denys , De unione ), de Grgoire le Thaumaturge
(Kata meros pistis ) et dAthanase (Anakephalaisis, Quod unus sit Christus, Lettre
Jovien). Depuis le travail dH. Lietzmann, lattribution de ces uvres Apolinaire est
reconnue par la critique. Nous en exposerons les raisons.
Pour prsenter les diffrents fragments de Grgoire que nous utiliserons dans notre
travail, nous voudrions faire ltat des discussions entre les critiques depuis ldition
dH. Lietzmann (1904) sur lattribution Apolinaire de fragments problmatiques, en raison
de leur transmission, ou sur lauthenticit dune version prfre une autre dans le cas de
traditions parallles. Nous nous attacherons plus spcialement aux florilges qui ont permis
de dduire que telle citation tait dApolinaire, mme transmise par dautres traditions sous
166
un autre nom .
Dans la tradition indirecte des crits dApolinaire, lApodeixis est un cas isol, car elle
est la seule uvre connue dans son intgralit grce la rfutation suivie de Grgoire
de Nysse. Chronologiquement, lAntirrheticus est la source indirecte la plus ancienne de
luvre doctrinale dApolinaire dont nous disposons actuellement, non sans prsenter
toutefois des difficults dinterprtation concernant ce qui est livr comme fragment, sans
167
que lon sache toujours mesurer le degr de certitude des citations . Aux citations
dApolinaire transmises par Grgoire de Nysse, H. Lietzmann ajoute deux autres fragments,
106 et 107, qui ont t transmis par un florilge repris par la Doctrina Patrum et par
168
Justinien . Ces deux fragments renseignent le lecteur sur une division en chapitre
163
PG 86/2, 1864 A-1876 A : Lonce de Jrusalem a souvent t confondu avec Lonce de Byzance. Les historiens admettent
aujourdhui quil sagit dun personnage diffrent. Cf. M. Richard, Lonce de Jrusalem et Lonce de Byzance , Mlanges de
science religieuse, 1, 1944, p. 36-88, repris dans Opera minora III, art. n59, Turnhout, 1977.
164
165
Cf. PG 130.
H. Lietzmann, Apollinaris von Laodicea, p. 79-163.
166
Pour les ouvrages du pseudo-Jules conservs en syriaque, on consultera ltude de J. Flaming et H. Lietzmann,
Nous consacrons une partie de notre travail sur ce point. Cf. Partie I, chapitre 3, Lauthenticit des fragments dApolinaire ,
p. 137-189.
168
Lietz. p. 231.
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Dans son ranists, Thodoret cite des extraits de cinq crits dApolinaire :le Contre
176
Diodore, le , le sous le titre de
177
, une partie de l.
169
E. Mhlenberg (op. cit., p. 70) analyse les frg. 106 et 107, sans aucun procs, comme faisant partie de lAntirrheticus. H.
Lietzmann rattache le fragment 107 lApodeixis. Daprs lui, le frg. 106 devait se trouver entre les frg. 70-73 (Apollinaris, op. cit.,
p. 141 et p. 113-116). Selon H. de Riedmatten, les raisons selon lesquelles H. Lietzmann rattache ce fragment lApodeixis ne sont
pas dcisives (cf. La christologie dApolinaire , StPatr. II, TU 64, Berlin, 1954, p. 217, n. 3).
170
171
172
173
174
175
176
177
(KMP 14, 172, 4-6), p. 248, 71 (KMP 35, 181, 1-4) ; 72 (KMP 11-12, 171, 9-12).
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178
Cf. analyses et citations par E. Mhlenberg, Apollinaris, p. 92-93. Les fragments catniques sur He 1, 13 auxquels il renvoie
ne sont pas dits par K. Staab, Pauluskommentare aus der griechischen Kirche, op. cit., mais ils sont cits par E. Mhlenberg,
Apollinaris, op. cit., p. 92, n. 4 (manuscrit Parisianus gr. 238 folio 122v et AmbrosianusE 2 inf. folio 30v).
179
180
op.cit., p 92-93.
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Le point qui a attir lattention de la critique est le fait que, dans la suite de son florilge, il
ajoute avoir trouv dans la bibliothque dAndr de Sidon un vieux manuscrit comportant
des uvres dApolinaire. Il cite alors un passage qui correspond aux 27-31 du Kata
201
202
meros pistis
ainsi que le frg. 9 . Or la version du Kata meros pistis quil cite nest
pas exactement celle qui tait couramment admise : elle est considrablement plus longue
que celle de Thodoret. La question pose par ces divergences textuelles est donc de
savoir quelle est la version la plus ancienne. H. Lietzmann a considr le texte transmis par
Thodoret comme tant le plus authentique et a indiqu en bas de page la version transmise
par Lonce de Byzance, comme variante. Selon lui, ltat du texte donne limpression dune
186
187
Lietz. p. 185-192.
Lietz. p. 104, 133-135, texte p. 185-193. Chez Lonce, PG 86/2, 1961 A-B. On sait par le trait Contre les monophysites
attribu Lonce de Byzance que Jean de Scythopolis avait trouv cet crit dans les anciens exemplaires des uvres du Laodicen
(cf. PG 86/2, 1865 B-D).
201
202
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203
203
204
205
206
207
Le trait
213
(Contra adversarios) , quH. Lietzmann a complt
laide dune source syriaque sous le titre De fide et incarnatione ,a t transmis
comme une lettre du pape Jules. Mais lauteur dune compilation, Haereticorum
sententia de Verbi incarnatione qui fait suite la Doctrina Patrum (et qui nest donc
Lonce de Byzance. Le Contre les monophysites cite le Kata meros pistis 31, Lietz. p. 178, 17-179, 4 (PG 86/2, 1873 C-1876 A) ;
Eulogue cite aussi le Kata meros pistis 31, 178, 17-179, 3 (Photius, Bibliothque, CUF, t. V, d. R. Henry, Paris, 1967, p. 23, l. 24) ;
la Doctrina Patrum 2, 13, cite le Kata meros pistis 31, Lietz. p. 178, 17-179, 10 (d. Fr. Diekamp, p. 13-14).
208
209
Pour une tude dtaille de la transmission de ce texte, cf. K. McCarthy Spoerl, A Study of the Kata Meros pistis, op. cit., p. 66-74.
K. McCarthy, A study of the Kata Meros Pistis, op. cit.,p. 73.
210
211
212
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e
pas antrieur au VII sicle), lattribue Apolinaire. Ce texte pourrait en effet avoir t
cit dans les collections plus anciennes dcrits du Laodicen. Le fait quil prsente de
manire simultane des expressions monophysites et des affirmations sur lintgrit
de la nature humaine du Christ invite penser que les monophysites qui sen sont
servis lont interpol.
Lptre Jovien a t transmise par la tradition manuscrite sous le nom
214
215
dAthanase . On peut la dater de 363-364 . Les tmoins qui permettent
den attribuer la paternit Apolinaire sont la Doctrina Patrum et le Contre les
216
monophysites de Lonce de Jrusalem . Cette lettre, qui pourrait tre un des
premiers exposs de la christologie apolinariste consiste en une profession de foi
sur lIncarnation du Verbe, et recle la clbre formule
217
. La vritable ptre dAthanase Jovien, quant elle, nous a
t conserve par lempereur Justinien qui la tenait pour authentique sur la foi de
218
lapolinariste Timothe .
Lqui condense les thses apolinaristes formules dans le
219
Cinquime Dialogue sur la Sainte Trinit,du Pseudo-Athanase . Le tmoin qui
permet de reconnatre des citations dApolinaire dans ce dialogue est Thodoret, qui
220
en donne quelques passages dans son Eranists . Toutefois, ce dialogue nest pas
tout fait une uvre pseudpigraphe comme les autres puisque lapolinariste expose
les thses de son matre comme tel.
La position de la critique pour lattribution des uvres pseudpigraphes cites ci-dessus
e
est apparemment trs solide. Dans la premire moiti du VI sicle, Lonce de Byzance
atteste avec insistance que si les apolinaristes et les monophysites attribuaient Jules
de Rome, Athanase, et Grgoire le Thaumaturge les uvres dApolinaire, ctait pour
221
induire en erreur les fidles . Et ce tmoignage est confirm la mme poque par la
222
tradition littraire dite orthodoxe et spcialement par les uvres de lempereur Justinien
(527-565). Au moment de la raction chalcdonienne au dbut de son rgne, ce dernier
reproche aux anti-chalcdoniens ou hrtiques monophysites de diffuser sous le nom
223
de Jules et dAthanase les lettres Denys et Jovien.
221
222
223
Mais lhistoire de la tradition manuscrite est plus complexe encore que le simple
phnomne de pseudpigraphie. A. Tuilier a montr, dans un article, comment les lettres
Denys et lopuscule De unione ,transmis sous le nom du pape Jules, mais attribu
par la critique aux apolinaristes la suite de Lonce de Byzance, peuvent effectivement
remonter ce pape, tout au moins dans leur premire rdaction. partir dune tude
dtaille sur les variantes des manuscrits de ces crits, et en mettant en lumire les
contradictions dans le jugement de Lonce de Byzance sur ces textes, il dmontre
comment les apolinaristes avaient fait des interpolations dans ces textes pour les attribuer
Apolinaire : les apolinaristes et les monophysites disposaient en tout tat de cause
de recensions interpoles de textes orthodoxes et leur fraude consistait dvelopper ces
interpolations textuelles et sattribuer progressivement la paternit des uvres quils
Adversus fraudes apollinaristarum, PG 86/2, 1948 A-1976 A.
Cf. Lonce de Jrusalem, Contra monophysitas (PG 86/2, 1864 A-1876 A).
A. Tuilier, dans un article intitul Remarques sur les fraudes des apolinaristes et des monophysites. Notes de critique textuelle
dclare que la tradition manuscrite hsite entre Denys de Rome et Denys de Corinthe pour le nom du correspondant (Texte und
Textkritik, eine Aufsatzsammlung, d. J. Dummer,TU 133, Berlin, 1987, p. 582, n. 13).
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224
e
III. Les crits de controverse anti-apolinariste au IV sicle
La production littraire dApolinaire nous est parvenue surtout grce aux florilges plus
tardifs. Mais la connaissance actuelle de la doctrine dApolinaire tient aussi aux crits de
controverses contemporains dApolinaire, bien que peu nombreux. Grgoire de Nysse nest
pas le seul rfuter lapolinarisme, mme si la nature de son trait, qui consiste en une
rfutation suivie, est la seule en son genre pour ce qui est de la question apolinariste. Parmi
les autres textes que nous serons amene consulter, il faut citer les Lettres thologiques
de Grgoire de Nazianze et les deux traits intituls De incarnatione domini nostri Jesus
228
229
Christi, contra Apollinarium
du Pseudo-Athanase, ainsi que la Lettre pictte
qui
230
nest pas exclusivement dirige contre les apolinaristes .
La question de la paternit des deux traits du Pseudo-Athanase est encore discute
231
par la critique . Daprs J. Lebourlier, ils auraient t rdigs par deux auteurs diffrents. Il
fonde son hypothse sur la critique interne des textes, qui rvle, selon lui, des divergences
224
225
A. Tuilier, Remarques sur les fraudes des Apollinaristes et des Monophysites , art. cit.,p. 590.
Les premires tudes critiques se sont rapportes au jugement de Rufin qui prtendait quil y aurait eu une volution de
la christologie dApolinaire en fonction de son anthropologie (cf. Hist. Eccl. XI, 20, GCS Eusebius, Die Kirchengeschichte, II, 2, d.
E. Schwartz, Th. Mommsen, Berlin, 1999, p. 1024).
226
R. A. Norris fait ltat des lieux sur cette question et propose sa propre hypothse dans son ouvrage, Manhood and Christ,
op. cit., p. 82-87. Ce dbat est le point de dpart de larticle dH. de Riedmatten, La christologie dApollinaire de Laodice , StPatr.
II, Berlin, 1957, p. 208-234.
227
228
Le texte grec figure en PG 26, 1093 A-1132 A pour le Contre Apolinaire I et en PG 26, 1132 B-1165 B pour le Contre Apolinaire
II. R. Winling en a propos une traduction dans la collection des Pres dans la foi, parue en 2004.
229
230
Texte grec dit en PG 26, 1049-1070 (il nexiste pas encore ddition rcente dans les volumes Athanasius Werke).
e
Les discours de controverse contre Apolinaire se poursuivent au V sicle. Nous ne traiterons pas ce point. Indiquons seulement
quen plus des uvres de Cyrille dAlexandrie, il reste des fragments dun Contre Apolinaire rdig par Thodore de Mopsueste,
Fragmenta dogmatica, PG 66, 999-1000.
231
Par commodit, nous les dnommerons Contre Apolinaire I, Contre Apolinaire II, au cours de notre tude.
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232
doctrinales . J. Chawick, au contraire, dans ltude la plus rcente sur ces deux traits,
reprend lhypothse de J. Lebon, daprs laquelle les deux traits auraient t crits par
233
un seul disciple proche dAthanase , au moment o le monophysisme commence se
dvelopper. Le dbat sur lattribution de ces textes soulve aussi le problme de la datation
de ces deux traits,problme qui na pas t rsolu. H. Lietzmann propose la priode des
234
annes 380 . Daprs H. Chadwick, leur origine se trouve dans la gnration qui suit
la mort dAthanase en 373, une poque o les apolinaristes faisaient circuler des crits
sous les noms dAthanase ou de son grand dfenseur, le pape Jules ou le pape Felix ou
Grgoire le Thaumaturge. Rien naurait t plus ncessaire que dapporter lvidence du
235
rejet intransigeant de toutes les principales thses apolinaristes par Athanase .
Dans un tel contexte, il est possible que ces deux ouvrages aient t rdigs la
mme priode que celui de Grgoire. La critique est elle-mme divise pour savoir si
Grgoire de Nysse a eu une connaissance directe de ces textes pour rdiger sa rfutation
236
ou non . Deux constatations simposent selon nous : les thses prtes aux apolinaristes
dans ces deux opuscules ne sont jamais des citations textuelles, mais toujours des
reformulations, et le Pseudo-Athanase aborde sous un angle assez gnral les principaux
thmes apolinaristes (lhumanit assume par le Christ nest pas complte, Dieu est mort
dans la Passion, la chair du Christ vient du ciel et est antrieure son incarnation etc.), alors
que chez Grgoire, la discussion est beaucoup plus serre et porte souvent sur la lettre des
formules apolinariennes, cites textuellement, ou sur les preuves tires de lcriture ou de
la tradition conciliaire, et allgues par Apolinaire. Selon nous, lAntirrheticus de Grgoire et
les deux traits Contre Apolinaire sont donc deux formes de rfutation, lune suivie, lautre
plus thmatique, qui produisent des argumentations de nature diffrente. Par consquent,
contrairement ce que dit J. Danilou, il nous semble impossible de prouver avec certitude
que Grgoire sinspire directement de ces deux traits pour crire son Antirrheticus, parce
que son argumentation est bien plus prcise que celle des deux traits Contre Apolinaire.
Mais cela nexclut pas le fait quil ait peut-tre eu connaissance de ces ouvrages qui
devaient circuler. Penser que lauteur des deux traits Contre Apolinaire se soit report
lAntirrheticus de Grgoire est aussi une hypothse poser, tant donn que les trois textes
doivent tre peu prs contemporains. En ltat actuel de nos recherches, nous navons pas
trouv dlments dcisifs pour le dmontrer. On tendrait plutt penser quune telle filiation
est peu probable tant donn quon retrouve chez Grgoire des analyses exgtiques et des
schmas argumentatifs qui lui sont caractristiques on les trouve aussi dans la polmique
contre Eunome, alors mme quils sont totalement absents dans les deux traits Contre
232
233
J. Lebourlier, propos de ltat du Christ dans la mort , RSPT, 46, 1962, p. 642-643.
H. Chadwick Les deux traits contre Apolinaire attribus Athanase , . Hellnisme, juda sme et
christianisme Alexandrie. Mlanges offerts au P. Claude Mondsert, Paris, 1987, p. 251 ; J. Lebon, Une ancienne opinion sur la
condition de corps du Christ dans la mort , RHE, 23, 1927, p. 29-42.
234
Apollinaris von Laodicea, p. 88-89. La dernire tude en date sur ces deux traits est larticle dH. Chadwick, qui fait ltat
de la tradition manuscrite de ces deux textes et passe en revue les thmatiques gnrales abordes en relation avec les autres textes
conservs du dbat apolinariste.
235
236
H. Chadwick, Les deux traits contre Apolinaire attribus Athanase , art. cit., p. 250.
Selon J. Danilou, Grgoire aurait utilis le Contre Apolinaire I pour rdiger son Antirrheticus, cf. Ltat du Christ dans la
mort daprs Grgoire de Nysse , Historisches Jarhbuch, 77, 1958, p. 71. Au contraire J. Lebourlier soutient quune interdpendance
entre les deux textes est impossible (art. cit., RSPT , 46, 1962, p. 648). Nous reprenons les enjeux du dbat en dtail dans la partie
IV, chapitre 3, la divinit dans la mort et la rsurrection du Christ , p. 723-762.
50
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Apolinaire. En outre, les arguments que Grgoire dveloppe spcialement contre Apolinaire,
237
par diffrence avec son Contre Eunome, ne se trouvent pas chez le Pseudo-Athanase .
Un autre texte qui a beaucoup circul dans lAntiquit et qui dnonce pour une part
les thses apolinaristes est la Lettre pictte de Corinthe,attribue Athanase. Il est
intressant de voir, du point de vue de la transmission de ce texte, qupiphane le cite dans
son intgralit dans son Panarion dans la partie prcisment o il sattache lhrsie de
lapolinarisme : cela prouve quaux yeux des thologiens, il faisait partie du dossier anti238
apolinariste et quil est antrieur 377 . Lauteur de cette lettre dnonce une srie derreurs
doctrinales concernant lincarnation du Christ, dont certaines sont mettre au compte de
larianisme, dautres de lapolinarisme etc. Elle est une pice intressante pour lhistorien
des doctrines, car elle rend compte de la faon dont tait peru lapolinarisme par ses
e
adversaires lpoque o il sest dvelopp, cest--dire dans la deuxime moiti du IV
sicle. Apolinaire lui-mme en a eu connaissance, puisquil y fait allusion dans un fragment
conserv de sa Lettre Srapion et quil ragit face certaines accusations qui sont lances
239
aux apolinaristes sans quils soient nomms .
Pour notre travail, qui vise lucider les enjeux doctrinaux dans largumentation de
lAntirrheticus,la Lettre pictte aide comprendre ce que Grgoire avait entendu dire de
lapolinarisme indpendamment et peut-tre mme avant sa lecture de lApodeixis, parce
quelle rend compte des ides qui circulaient sur lapolinarisme. En effet, un problme
important quil faudra rsoudre est que Grgoire rfute longuement, avec virulence des
thses quApolinaire ne semble pas avoir soutenues, la plus connue tant celle de la
prexistence de la chair avec le Logos. Il est possible que Grgoire ait cit et discut des
extraits de lApodeixis, et lorsque le point o il en tait sy prtait, y ait greff des ides
apolinaristes dont il avait entendu parler indpendamment de lApodeixis. En effet, cette
240
accusation de la consubstantialit de la chair est commune lAntirrheticus
, aux Lettres
241
242
de Grgoire de Nazianze , aux traits du Pseudo-Athanase Contre Apolinaire
, ainsi
243
244
qu la Lettre pictte
et au Panarion dpiphane , alors mme quApolinaire sen
245
246
dfend dans son ptre Trence
, dans sa Premire ptre Denys
et ailleurs
encore. Face un tel cart, on peut souponner que les crits de controverse nhsitent pas
dformer les thses de ladversaire, ce qui fait partie des outils rhtoriquesdu discours
de polmique. Un crit comme la Lettre pictte attribue Athanase, qui avait un
rayonnement chez les thologiens, montre les ambiguts dans la reformulation des thses
juges htrodoxes : il est difficile de faire la part entre ce qui tait vhicul par les
237
238
Pour la diffrence des argumentations, cf. chapitre la divinit dans la mort et la rsurrection du Christ , p. 723-762.
piphane, CGS Epiphanius III, d. K. Holl, p. 417-427. Cette lettre fut aussi cite, entre autres, par Thodoret, les conciles
dphse et Chalcdoine, Cyrille de Jrusalem, Lonce de Byzance, la Doctrina Patrum de Incarnatione Verbi.
239
Frg. 159, Lietz. p. 253-264 : face aux accusations de ses adversaires, Apolinaire reconnat impie de considrer que la chair
est consubstantielle () Dieu. Il rappelle que la chair est divine en raison de son union Dieu, et non par nature.
240
241
242
243
244
245
246
51
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apolinaristes et ce qui avait t rellement soutenu par Apolinaire lui-mme. Ces raisons
nous ont conduite lutiliser avec prudence.
Enfin, parmi les uvres anti-apolinaristes dont Grgoire de Nysse a eu certainement
connaissance au moment de rdiger son Antirrheticus,et que nous avons dj mentionnes
propos de la vie dApolinaire, se trouvent les deux lettres 101 et 102, rdiges par Grgoire
247
de Nazianze en 382, destine Cldonius , qui il a confi lglise de Nazianze son
retour du concile de Constantinople la mme anne. Quelques annes plus tard en 387, il
crit galement Nectaire, vque qui lui avait succd Constantinople pour prsider la fin
248
du concile . Ces trois lettres voquent certes les activits des apolinaristes, mais donnent
surtout lire des points de leurs doctrines que le Nazianzne rfute en exposant sa propre
doctrine christologique. Ces pices sont prcieuses pour notre travail, parce que Grgoire
de Nysse et Grgoire de Nazianze reformulent les thses apolinariennes dune manire
trs similaire et que leurs rfutations reposent sur des arguments communs. Toutefois, du
point de vue du genre littraire, il sagit dune rfutation qui est de nature diffrente de celle
du Nyssen puisquelle a la forme de lettres et quelle ne cite pas dextraits dApolinaire.
En outre, la stratgie argumentative de Grgoire de Nazianze vise emporter ladhsion
de Cldonius et de Nectaire, pour quils prennent des mesures titre dvques contre les
apolinaristes.
249
Par ailleurs, dans sa Lettre 202, 9 Nectaire , Grgoire de Nazianze fait allusion
un livre dApolinaire quil a en sa possession et dont il reprend ensuite les points principaux
250
( 10-16). H. Lietzmann a dit ce passage comme fragment 165 et il le rapproche dun
251
fragment du Tome synodal ,rapport par lAdversus fraudes de Lonce de Byzance . Or
lordre des points doctrinaux dApolinaire mentionns par Grgoire de Nazianze correspond
tout fait lenchanement des thmes traits dans lAntirrheticus par Grgoire de Nysse.
252
Il y a dabord la christologie de lhomme cleste, fonde sur Jn 3, 13 et 1 Co 15, 45-47 ,
253
puis la question de la consubstantialit de la chair , de la thorie du o
254
Dieu se substitue lintelligence humaine , enfin le problme de la mortalit de la divinit
255
dans la Passion .
Par consquent, on peut se demander si le livre dont parle le Nazianzne nest pas
prcisment lApodeixis, que Grgoire de Nysse rfute.
247
248
il est dit explicitement que la divinit est morte dans la Passion est le frg. 95 (Antirrh. 219, 1-6), avec toutes les rserves quon peut
avoir devant ce passage qui pourrait avoir t retravaill par Grgoire. Mais nulle part ailleurs, Apolinaire na de formules proches qui
pourraient corroborer cette thse quon lui prte.
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Nous reviendrons sur ce point de doctrine dans la chapitre La divinit du Christ dans la mort et la rsurrection , p. 727-732.
Cf. partie IV, chapitre 1, Termes et enjeux anthropologiques , p. 530-602.
Grgoire de Nazianze dit que Dieu, qui est , est le troisime lment du compos humain :
lapolinarisme et des thses apolinaristes qui circulent. Une rfutation de lvque Paulin est galement mentionne (Panarion, 77,
21,p. 434-435).
261
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clairement que le trait dApolinaire tait lui-mme un trait de controverse, contre des
adversaires invents.
Les seuls faits historiques transmis dans les fragments dApolinaire dont on peut tre
sr quils servaient sa propre dmonstration, puisque Grgoire en attaque le bien-fond,
262
263
sont le synode qui aurait condamn Paul de Samosate et le concile de Nice en 325 .
Mais ces vnements historiques sont beaucoup trop reculs dans le temps pour donner
une ide de la datation de lApodeixis. Ils sont plutt interprter comme des vnements de
rfrence doctrinale qui garantissent la filiation de lauteur vis--vis dune tradition reconnue
orthodoxe aux yeux dApolinaire.
J. Draeseke et G .Voisin ont dclar que lApodeixis avait t rdige par Apolinaire
264
en 376-377 . Aux yeux du premier, il faudrait voir dans lApodeixis luvre qui a suscit
la rupture dApolinaire avec lglise . Une telle hypothse nest pas soutenable aux
yeux dE. Mhlenberg, car avant sa condamnation, Apolinaire dfendait dj en 373 une
christologie du Dieu incarn comme intellect en chair ( ), comme en atteste
265
la Lettre pictte dAthanase (date de 373) , la Lettre aux vques de Diocsare
266
dApolinaire (date de 376) qui formule expressment ce point , mme si la ngation
de lintelligence humaine nest pas perue comme le point essentiel de la christologie
267
dApolinaire par Diodore de Tarse ou Basile cette poque . Si on peut donc dater davant
376 la doctrine dApolinaire du en la reconnaissant vise par la Lettre
pictte qui date de 373, en revanche, il nest pas possible de nous prononcer sur la date
prcise de rdaction de lApodeixis, qui doit se situer dans la priode de 360-380.
En revanche, il possible de prciser la teneur de la christologie ou des types de
christologie en opposition auxquelles Apolinaire exposait sa thologie du .
Dans lApodeixis, Apolinaire mentionne nommment trois thologiens, dans le fragment
268
15, qui est certes une reformulation par Grgoire , mais celle-ci ne masque pas le sens
de lattaque dApolinaire. Il sen prend en effet aux thologiens, que la critique a appels
adoptianistes, mais qui, daprs Apolinaire, revendiquent la christologie de lhomme
262
: [Apolinaire] fait mention des dogmes du synode runi contre Paul de Samosate qui
prtendait que le Seigneur est divinis depuis le ciel . Grgoire ne prcise pas de quel synode il sagit, et la citation dApolinaire ne se
trouve pas dans la lettre synodale de 268, o est condamn le Samosaten. Nous reviendrons plusieurs reprises sur cette question,
cf. chapitre 3, Lauthenticit des fragments dApolinaire , p. 178-179 ; 204 ; 326 ; partie IV, chapitre 2 lunit du Christ , p. 623 sq.
263
264
265
montrer que la Lettre reprend point par point le dbat entre Apolinaire et Diodore. Cf. Lettre pictte, 1, 2, PG 26, 1052-1053.
266
Le fait que cette singularit doctrinale dApolinaire nait pas t remarque comme le point essentiel de sa doctrine explique
aussi, selon E. Mhlenberg, pourquoi Thodoret cite Apolinaire dans son florilge de lranistes : par rapport aux trois points tudis
dans les trois livres, Apolinaire fait figure dexemple (E. Mhlenberg, op. cit.p. 220).
268
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e
269
inspir . Il sagit de Paul de Samosate (III s.), Marcel dAncyre (mort en 375) et Photin de
e 270
Smyrne (IV s.) . Il est donc possible quApolinaire ait rdig son Apodeixis spcialement
271
contre les tenants de la christologie adoptianiste .
Or, dans lAntirrheticus et dans la Lettre Thophile, Grgoire rpond des attaques
formules par Apolinaire. Lorsque le Nyssen reformule ou cite les accusations de son
272
adversaire, dans les passages que Fr. Mller a dits comme tant des fragments ,
Grgoire sexprime toujours la premire personne du pluriel. On peut interprter le
choix du pronom de deux manires : soit lauteur sexprime avec un pluriel de majest,
soit il se fait le porte-parole dun cercle de thologiens dans son discours. tant donn
que Grgoire sexprime aussi avec la premire personne du singulier au cours de ses
dveloppements, alors que cest toujours le nous qui est employ lorsquil reformule un
grief de la part de son adversaire, la premire hypothse nest pas convaincante. Il parat
plus probant de penser que derrire ce nous sont dsigns les tenants dune certaine
forme de christologie, que revendique Grgoire. Reste savoir qui tait ainsi vis. Ce nest
certainement pas Paul de Samosate, Marcel ou Photin que Grgoire sassimile lorsquil
se dfend des attaques de son adversaire. Ces cibles sont des figures ecclsiales dj
anciennes dans les annes 380-390 ; le nom de Paul de Samosate est brandi comme un
spectre, pourrions-nous dire, lpoque de Grgoire et dApolinaire. Cela prouve donc quil y
avait une seconde catgorie de thologiens attaqus dans lApodeixis,aux thses desquels
adhre Grgoire.
La lecture de lAntirrheticus rvle que dans aucun fragment cit, Grgoire nest
attaqu personnellement. Cela constitue, selon nous, la preuve que lApodeixis ne lui tait
certainement pas adresse, ni lui, ni aux autres Cappadociens spcialement.
Mais cette premire constatation ne rsout pas le problme de savoir qui tait vis par
lApodeixis. E. Mhlenberg voque les orthodoxes plusieurs reprises dans son tude
de lapolinarisme lorsquil doit commenter les attaques dApolinaire, tout en reconnaissant
que la question de savoir quels thologiens contemporains Apolinaire dnonait dans
273
lApodeixis nest pas rsolue . Mais les quelques traits de la vie dApolinaire relevs
prcdemment ont montr quel point on ne pouvait pas opposer des orthodoxes, dun ct,
des hrtiques de lautre, puisque tous prtendaient lorthodoxie. Cette catgorisation
269
Marcel dAncyre, anti-arianiste, participe au concile de Nice de 325, mais il fut dpos en 336 sur ordre de Constantin, tax
de sabellianisme par les eusbiens (Eusbe de Csare crivit deux rfutations contre lui qui sont le Contre Marcel et la Thologie
ecclsiastique), puis par les Orientaux ds 341/342 pour sabellianisme, ensuite en 345, et enfin exil. K. McCarthy Spoerl montre
comment la thologie dApolinaire, notamment dans le Kata meros pistis , rpondait au no-sabellianisme de Marcel dAncyre dans
les controverses thologiques de la priode des annes 330-360 ( Apollinarius and the Response to Early Arian Christology , StPatr.
26, Louvain, 1993, p. 421-427). Marcel serait lun des adversaires auxquels Apolinaire se serait beaucoup confront.
270
Photin, vque de Smyrne est disciple de Marcel dAncyre. Il a t condamn en 345 et 347 aux conciles de Milan. Au
IV s., il est associ Paul de Samosate comme reprsentant de ladoptianisme, mais il a plus de lien avec Marcel en raison de
son monarchianisme.
271
A. Martin considre quApolinaire a rdig son Apodeixis pour accuser dhrsie le parti de Paulin, qui avait la rputation
davoir des sympathies pour le dogme de Marcel (Basile, Lettres 6, 5) et celui de Mlce (Athanase dAlexandrie et lglise dgypte
e
au IV
sicle, op. cit., p. 804). Un tel jugement demande tre vrifier.
272
Cf. frg. 52, Antirrh. 170, 15 ; frg. 54, Antirrh. 172, 16 ; frg. 55 ; 63, 174, 10-12 ; frg. 67, Antirrh. 185, 1 ; frg. 82, Antirrh.
201, 25-27 ; frg. 94 ; frg. 96, Antirrh. 219, 14-16 et 221, 6-7 ; 223, 11-12.
273
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rtrospective npouse pas bien les contours de lhistoire de lglise cette priode, et
encore moins le contenu des textes de polmique.
Pour tenter de reconnatre quels adversaires contemporains pouvaient tre viss par
Apolinaire, nous avons dress la liste des attaques dApolinaire que Grgoire reprend son
compte :
Dans le frg. 52 (Antirrh. 170, 15), Apolinaire sen prend ceux qui refusent de parler
dun Dieu n dune femme et crucifi (la formulation est trange, et il est difficile den
comprendre la pertinence).
Frg. 54 (Antirrh. 172, 16) : Apolinaire attaquent ceux pour qui celui qui a t crucifi
navait rien de divin en lui, pas mme son esprit ().
Frg. 55 (Antirrh. 174, 10-12) : il reproche ceux qui ne revendiquent pas la mme
christologie que lui de nier la prexistence du Logos et sa consubstantialit avec
Dieu.
Frg. 67 (Antirrh. 185, 1) : il sen prend ceux qui soutiennent, selon lui, une
christologie des deux personnes, lune tant le Dieu Logos et lautre, lhomme Jsus.
Frg. 82 (Antirrh. 201, 25-27) : il attaque ceux qui, daprs lui, introduisent une
quaternit dans la Trinit sils confessent le Christ comme tant un homme parfait et
un Dieu parfait.
Frg. 96 a (Antirrh. 219, 14-16 ; 221, 6-7) : Apolinaire sen prend ceux pour qui
lappellation de Christ nest valable quaprs lexaltation.
Frg. 96 b (Antirrh. 223, 11-12) : Apolinaire accuse ceux qui considrent que la
Passion concerne lhumanit et non la divinit du Christ.
Les axes christologiques attaqus que Grgoire reprend son propre compte sont donc en
rsum les points qui font une distinction trop forte entre lhumanit et la divinit (frg. 82 :
deux parfaits ; frg. 67 : deux personnes), et qui, par consquent, mettent la Passion sur le
compte de lhumanit seule du Christ et non pas sur lintgralit de sa personne, cest-dire sur sa divinit mme (frg. 52, 54, 96).
Tout au long de sa Lettre Thophile,Grgoire emploie aussi un nous lorsquil
se dfend de ne pas soutenir une christologie des deux Personnes (
274
) . Et au dbut de sa missive, il indique que la calomnie dApolinaire vise certains
de lglise catholique ( ) sans prciser qui
275
sont les thologiens viss , mais en ajoutant quil ne voit pas de qui Apolinaire veut
276
parler . Il retourne au contraire laccusation dApolinaire contre lui-mme en montrant sur
un ton polmique que ce grief sans fondement lui sert de prtexte pour btir sa propre
277
christologie . tant donn que Grgoire reprend son compte laccusation de soutenir
lexistence de deux Fils, on peut poser deux hypothses : soit Apolinaire accuse ainsi de
faon trs polmique tous les thologiens qui ne revendiquent pas lunicit de nature en
christologie sous la forme quil dveloppe, soit il vise une catgorie de thologiens plus
prcise, parmi lesquels Grgoire de Nysse ne peut pas tre vis directement parce quil
na pas dvelopp une christologie des deux Personnes mme sil en a t accus par
274
275
276
prcdente.
277
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278
Eunome , soit Grgoire reprend librement son compte des accusations qui ne lui sont
pas destines, comme technique de rfutation pour mieux attaquer le systme dApolinaire.
Pour y voir plus clair, il faut encore largir lenqute lensemble des fragments
doctrinaux dApolinaire. On retrouve les mmes accusations dApolinaire formules dans
279
sa Premire ptre Denys
. Dans cette lettre,en effet, il attaque les thologiens dont la
christologie, selon lui, se rapproche de celle de Paul de Samosate, et qui font de lhumanit
et de la divinit du Fils deux ou revendiquent en lui deux . Apolinaire
condamne alors deux catgories de thologiens : ceux qui conoivent deux Fils, le Logos et
280
lhomme Jsus , qui pour cette raison sont hrtiques, et ceux qui revendiquent bien lunit
de personne dans le Christ, conformment la vraie doctrine selon Apolinaire, mais qui
emploient un lexique erron, et partant sombrent dans lhrsie, en parlant de deux natures
281
( ) . Or dans son Antirrheticus, Grgoire revendique plusieurs reprises deux
natures ( ) dans le Christ. Il fait donc partie des thologiens qui, pour Apolinaire,
se fourvoient par abus de langage. Selon nous, cette Premire ptre Denys peut tre
une clef de lecture prcieuse pour comprendre les enjeux de la controverse de lApodeixis,
282
car elle accuse conjointement du mme grief les tenants dune christologie divisive ,
juge htrodoxe par la tradition, et les tenants dune christologie des deux natures
quApolinaire naccepte pas. Il nous semble quon retrouve cette dichotomie dans le dbat
de lAntirrheticus. Les deux textes sclairent mutuellement. Apolinaire, dans le fragment 15
de lApodeixis,condamne la christologie de linspiration dont il accuse Paul de Samosate
et dans la Premire ptre Denys, il dit que sont paulinisant () ceux
qui font du Logos et de Jsus deux Fils. Il veut dire par l que lhomme Jsus adopt par
Dieu ou devenu Dieu par grce implique la conception du Christ comme un homme inspir,
conjointement au Logos prexistant. Mais le fait quApolinaire condamne aussi ceux qui
parlent de deux natures du Christ, dans la Premire ptre Denys,prouve que ses
accusations concernent en fait globalement tous les thologiens qui ne parlent pas dune
seule nature ( ) du Verbe incarn. On peut mme postuler que lApodeixis et cette
ptre Denys datent de la mme priode de production doctrinale ou sinscrivent au moins
dans la mme polmique. Il faut ajouter au dossier lptre Jovien o Apolinaire ritre
ses accusations envers ceux qui revendiquent deux natures ( ) dans le Fils,
cest--dire deux Fils ( ), lun qui serait le vrai Fils de Dieu (
) et lautre qui serait devenu Fils de Dieu par grce ( ...
283
) . Le dualisme quattaque Apolinaire est prcis clairement dans
cette dernire missive Jovien. Il ne consiste pas sparer trop fortement lhumain du divin
en Christ, mais distinguer le Logos, Fils de Dieu, de lhomme assum devenu Dieu par
grce .
Sur ce point, ltude dE. Mhlenberg apporte des prcisions complmentaires
284
nos analyses . Reprenant lhypothse de G. Voisin selon lequel Apolinaire aurait
278
279
280
281
282
Cf. Partie III, chapitre 3, Knose, exaltation, Ph 2, 6-11 ; partie IV, chapitre sur lunit du Christ, p. 607-622.
G. Voisin date cette lettre de 368-370, Lapollinarisme, p. 198.
Premire ptre Denys , 1-2, Lietz. p. 256, 19-257, 7.
Premire ptre Denys , 2, Lietz. p. 257, 2-19.
Nous entendons par christologie divisive la doctrine qui spare distinctement lhumanit et la divinit dans la personne du
Christ, par opposition ceux qui revendiquent une unique nature du Verbe incarn.
283
284
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Lapollinarisme, p. 54.
Frg. 141, Lietz. p. 241.
E. Mhlenberg compare le frg. 141 (Lietz. p. 241, 15-17) au frg. 27, 29-31 du Contre les synousiastes de Diodore (d. M.
Brire, Fragments syriaques de Diodore de Tarse rdits et traduits pour la premire fois , Revue de lOrient Chrtien X, 1946,
p. 270).
288
289
290
valu sa dposition par les ariens. Exil, revenu, puis nouveau exil sous Valens, il regagna finalement son sige la mort de celuici en 378. Il confirma son rle comme chef de lpiscopat oriental au concile dAntioche en 379. Par la suite, il prsida le concile de
Constantinople en 381 et mourut pendant cet vnement. Cf. analyses dE. Mhlenberg, op. cit., p. 222.
291
P. Maraval date ce concile en 379 (cf. Macr. , 15, SC 178, p. 190). Il semble que Grgoire de Nysse devait y jouer un
rle de premire importance pour susciter le rapprochement entre la communaut de Mlce, chef des no-nicens , et celle de
Paulin, chef des vieux-nicens . Th. Ziegler pense que cest dans ce contexte que Grgoire aurait rdig le petit trait trinitaire Ex
communis notionibus (Les petits traits trinitaires de Grgoire de Nysse, thse soutenue lUniversit de Strasbourg, 1987, p. 122).
292
293
Socrate, Hist. Eccl., V, 9, 3, SC 505, d. P. Maraval, Paris, 2006, p. 172. Cf. GNO IX, p. 441-457.
En tmoigne le combat de Basile pour la reconnaissance de Mlce contre Paulin (E. Mlhenberg, op. cit., p. 226).
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Apolinaire dduit une conception christologique de deux personnes, la manire dont Diodore est prtendu la formuler, un Fils par
nature, un autre par adoption. , , , , , ,
.
296
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J. Draeseke, Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 42-45 ; G. Voisin, Lapollinarisme, op. cit., p. 99-100.
H. Lietzmann, Apollinaris und seine Schule, op. cit., p. 83-84.
M. Canvet soulve le problme dans son ouvrage Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, Paris, 1983, p. 9 et 165.
J. Danilou, Chronologie des uvres de Grgoire de Nysse , StPatr. 7, TU 92, Berlin, 1966, 163-164.
Pour J. Lebourlier, il sagit du synode de 382 et non pas du concile de Constantinople de 381 (cf. A propos de ltat du
J. Lebourlier, propos de ltat du Christ dans la mort , art. cit., RSPT, 47, 1963, p. 179-180.
Lhomlie pascale est date de 382 par J. Danilou ( La chronologie des sermons de Grgoire de Nysse , RSR, 29,
1955, p. 361) ; mais au plus tt de Pques 386 par H. Drobner dans son tude Gregor von Nyssa, Die drei Tage zwischen Tod
und Auferstehung unseres Herrn Jesus Christus, Leiden, 1982, p. 190-198. La datation se fonde sur les parallles qui existent avec
lAntirrheticus. Cf. la mise au point de J. Reynard, Lutilisation de lcriture dans le De Tridui Spatio , Grgoire de Nysse : la Bible
dans la construction de son discours, op. cit. p. 213.
304
Cf. J. Danilou, Compte-rendu des Gregorii Nysseni Opera dogmatica minora I , Gnomon, 31, 1959, p. 614.
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305
L. R. Wickham, Soul and Body : Christs Omnipresence (De Tridui Spatio) , dans The Easter Sermons of Gregory of
Nyssa. Translation and Commentary, d. A. Spira and C. Klock, Philadelphia, 1981, p. 281-282.
308
309
p. 190-198.
310
311
raction de Basile qui dclare refuser les doctrines apolinaristes en les disant trop profondes pour [son] intelligence (Basile, Lettres,
258, 2, d. Y. Courtonne, CUF, t. III, p. 102). Dans cette lettre 258, adresse piphane, et date de 376, Basile rapporte que les
doctrines dApolinaire avaient touch les communauts de Jrusalem avant mme le voyage de Grgoire. Toutefois, lopinion dE.
Mhlenberg ne fait pas lunanimit dans la critique : P. Maraval formule des rserves sur lvidence de lapolinarisme dans la Lettre
3, cf. La Lettre 3 de Grgoire de Nysse dans le dbat christologique , art. cit., p. 79.
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312
du Christ et dclare que le Logos sest uni avec un corps dot dune me . Or cette
conception est trs proche de la christologie du dApolinaire, o Dieu, qui
est , se substitue lintelligence humaine. Mais Grgoire, dans sa Rfutation de la
Profession dEunome, qui repose sur la ncessit de la rdemption de la raison humaine
(paragraphes 173-181) ne parle pas de la doctrine dApolinaire, si proche sur ce point
doctrinal de celle dEunome, alors quil dveloppe des arguments de mme nature dans
son Antirrheticus et que, ce faisant, il nhsite pas comparer Apolinaire Eunome. Pour
E. Mhlenberg, cela invite penser que Grgoire ne connaissait pas encore, en 383,
lenseignement dApolinaire selon lequel dans le Christ, la raison divine prend la place de
la raison humaine.
En outre, la date de composition de ce trait de controverse peut tre tablie laide
de celle de la Lettre Thophile dAlexandrie. En effet, ce dernier accdant lpiscopat
dAlexandrie en 385, la lettre de Grgoire date au plus tt de 385. Elle consiste en une
dfense du Cappadocien face une attaque des apolinaristes, qui accusent certains
thologiens de croire lexistence de deux Fils dans le Christ, lun par nature, lautre par
adoption. Mais il ne fait aucune mention de la christologie apolinariste, et notamment de la
doctrine du . En crivant sa lettre Thophile, il ne semble donc pas encore
connatre lApodeixis dApolinaire ; sinon, il en dirait plus que le bref rsum quil donne au
313
314
dbut de sa lettre . E. Mhlenberg, comme la plupart des autres critiques, tel G. May ,
ont dduit des silences de Grgoire dans sa Lettre Thophile que vraisemblablement,
315
Grgoire ne connaissait pas lApodeixis en 385 .
Contre les critiques qui se rangent lavis dE. Mhlenberg, J. Zachhber a propos
des contre-arguments dans son ouvrage The Human Nature in Gregory of Nyssa publi en
316
2000 .Ceux-ci reposent sur lvolution de largumentation sotriologique et eschatologique
dans les crits dogmatiques de Grgoire. Il remet dabord en cause largument de la
ncessaire antriorit de la Lettre Thophile par rapport lAntirrheticus. Selon lui, ces
deux crits sont trs diffrents tant dans leur but que par leur forme. Dans la Lettre
Thophile, Grgoire veut prsenter les apolinaristescomme un groupe schismatique et
dangereux dans lglise, alors que dans son Antirrheticus,il sen prend personnellement
317
Apolinaire, comme Basile lavait dj fait dans ses lettres . Par consquent, pour
J. Zachhber, Grgoire navait pas besoin de dtailler le contenu de la doctrine apolinariste
pour rpondre lattaque des deux Fils , qui est lobjet de toute la lettre. Le second
argument dE. Mhlenberg est donc remis en cause.
Selon nous, il est possible effectivement de remettre en cause largument de lantriorit
de lAntirrheticus par rapport la Lettre Thophile, parce quil repose seulement sur le
rsum au dbut de la lettre, qui dnoterait une mconnaissance de lapolinarisme. La
question pour Grgoire est surtout de prsenter une dfense de sa christologie. Il y a
312
Cf. Eunome, Profession de foi, d. R. P. Vaggione, Eunomius, The Extant Works, op. cit., p. 154, l. 40-156, 2 ; Gr. Nys.,
Theoph. 120, 14-19 : les erreurs quil impute Apolinaire sont la confession en un Logos charnel, en un homme crateur
G. May, Die Chronologie des Lebens und der Werke des Gregor von Nyssa , art. cit., p. 61.
E. Mhlenberg, Apollinaris, op .cit.,p. 91.
J. Zachhber, The Human Nature in Gregory of Nyssa, op. cit., p. 205-206.
Cf. Basile, Lettres 263, 4, d. Y. Courtonne, CUF, t. III, p. 124-125 ; Lettre 265, 2, CUF, III, p. 128-131 ; Lettre 244, 3,
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un enjeu ecclsial qui nous chappe : pourquoi Grgoire avait-il besoin de prsenter sa
dfense devant Thophile ? Or cest peut-tre par ce biais quon trouverait des lments
318
de rponse .
Daprs J. Zachhber, largument selon lequel lAntirrheticus est dat daprs 385
seulement, parce que Grgoire semble ignorer le contenu de lApodeixis cette date-l,
nest pas convaincant. Selon lui, lAntirrheticus serait antrieur la Rfutation dEunome.
Il se rallie donc lopinion de J. Lebourlier, et propose lenchanement chronologique
suivant : Contre Eunome III, Antirrheticus, Rfutation dEunome, Discours catchtique.
LAntirrheticus aurait donc t compos vers 382/383. Le Discours catchtique aurait
t crit plutt aprs la polmique contre Eunome autour des annes 385, peu aprs la
319
Rfutation . La chronologie laquelle il parvient est la suivante :
381-382 : Contre Eunome III,
382-383 : Antirrheticus,
383 : Rfutation dEunome,
Aprs 383 : Discours catchtique.
Pour notre part, nous voudrions exposer quelques lments qui sont apparus
ltude de lAntirrheticus, sans pourtant tre en mesure de trancher le dbat. Lhypothse
de datation de 387 pour lAntirrheticus,propose par G. May en 1971, la suite dE.
320
321
Mhlenberg et reprise par H. R. Drobner en 1982, repose sur largument, entre autres,
que Grgoire de Nazianze aurait eu connaissance de lApodeixis en 387 seulement, ce
qui pourrait expliquer que le Nyssen ne lait pas consulte non plus avant 387. G. May et
H. R. Drobner se rfrent au rsum que Grgoire de Nazianze donne, dans sa Lettre 202
Nectaire, date avec certitude de 387, de louvrage quil a lu dApolinaire sans donner
plus de prcisions. Ils laissent donc entendre que lcrit du Laodicen auquel Grgoire fait
allusion tait lApodeixis,en renvoyant ldition par H. Lietzmann de ce rsum. Or ce
dernier est dit comme fragment 165 dans le Tome synodal ,rapproch dun fragment
322
transmis par lapolinariste Valentin daprs lAdversus fraudes de Lonce de Byzance ,et
non comme fragment de lApodeixis. Personne jusqu prsent na prouv quil sagissait
323
de lApodeixis, mais cest lhypothse que nous avons propose plus haut . En outre,
dans cette lettre, Grgoire de Nazianze parle dun livre dApolinaire dont il dispose sans
324
dire explicitement quil vient juste de le dcouvrir . Par consquent, aucun dtail du texte
ne prouve quil a eu connaissance de lApodeixis en 387 seulement, si le livre dApolinaire
dont il parle tait vraiment lApodeixis. La dmonstration de ces deux critiques nous semble
318
319
Nous allons revenir sur ce point dans la suite du prsent chapitre, p. 80-83.
Pour une tude de la datation du Discours catchtique, cf. R. J. Kees, Die Lehre von der Oikonomia Gottes in der Oratio
Catechetica des Gregor von Nyssa, Leiden, 1995, p. 201-208. R. Winling, dans son introduction au volume des Sources Chrtiennes
ne se prononce pas : il mentionne brivement les diffrentes hypothses et donne la priode de 381-387.
320
321
322
323
324
G. May, Die Chronologie des Lebens und der Werke des Gregor von Nyssa , art. cit., p. 61.
H. R. Drobner, Die drei Tage zwischen Tod und Auferstehung, op. cit.,p.198
Cf. H. Lietzmann, Apollinaris und seine Schule,p. 263.
Cf. p. 59-61.
Lettre 202, 9, SC 208, p. 90 :
, :
Cependant, il nest sans doute pas inopportun que ta Rvrence apprenne de notre petitesse que mest parvenu en main un livre
dApolinaire, o les inventions dpassent toute la malice hrtique (trad. rev. P. Gallay, op. cit., p. 91).
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donc fragile. En revanche, cette correction ne vient pas invalider lhypothse selon laquelle
Grgoire de Nazianze aurait eu connaissance de lApodeixis tardivement, et peut-tre estce lui qui la fait connatre Grgoire de Nysse, tant donn la proximit des reformulations
325
de la doctrine dApolinaire par les deux Grgoire, que nous avons dj voque .
Un autre lment que nous voudrions apporter et sur lequel nous reviendrons
amplement dans nos analyses concerne largumentaire christologique de Grgoire dans
les polmiques contre Eunome et contre Apolinaire. bien des reprises, nous avons
constat la similitude des arguments, des images utilises (goutte de vinaigre jete dans
la mer, parabole de la brebis perdue) et des exgses (la rcapitulation de la doctrine de
lincarnation par lexplication de Ph 2, 6-11, etc.) entre le Contre Eunome III (spcialement
les tomes III et IV) et lAntirrheticus. Nous avons repr une srie argumentative nettement
identifiable dans le Contre Eunome III, la Lettre Thophile et lAntirrheticus, propos
de lunion de lhumain et du divin, explique partir de Ph 2. 7-11 et de limage de la
326
goutte de vinaigre . Les ressemblances argumentatives nous semblent tre un indice
valable qui pourrait plaider pour une proximit de composition entre les trois uvres, et plus
particulirement encore entre le Contre Eunome III et lAntirrheticus, qui ont en commun
beaucoup dautres arguments. Ce phnomne expliquerait que Grgoire de Nysse compare
327
plusieurs reprises Eunome et Apolinaire dans son Antirrheticus . Or Apolinaire nest
jamais cit dans le Contre Eunome de Grgoire. Cette remarque nous semble tre le critre
qui permet daffirmer que lAntirrheticus est postrieur au Contre Eunome III. Les analyses
de largumentation de Grgoire que nous mnerons dans la suite de notre travail viennent
corroborer lhypothse de J. Zachhber qui fait du Contre Eunome III et de lAntirrheticus
deux ouvrages de polmique composs successivement dans un dlai trs court.
Dun point de vue quantitatif, aprs le Contre Eunome III, cest avec le
Discours catchtique puis la Rfutation dEunome quon trouve le plus de similitudes
argumentatives. Il est possible que la Rfutation dEunome soit postrieure
lAntirrheticus,comme le propose J. Zachhber. Les points argumentatifs sur lesquels nous
nous sommes penche nont pas donn dindices dterminants qui permettent de lassurer
avec certitude et ce dautant plus que les nuances dmonstratives dune uvre lautre
sexpliquent aussi en fonction des destinataires et du genre littraire des pices. Elles
naident pas tablir une chronologie.
La seule affirmation prudente laquelle nous nous rangeons est que le Contre Eunome
III, lAntirrheticus, la Lettre Thophile, la Rfutation dEunome et le Discours catchtique
appartiennent une mme priode de rdaction dans la carrire de Grgoire, aprs le
concile de Constantinople.
vinaigre jete dans la mer, cf. Theoph. 126-127 ; Antirrh. 201 ; Eun. III, 3, 68-69, GNO II, p. 132-133.
327
Cf. Antirrh. 151, 8-10 ; 174, 19 ; 180, 3 ; 205, 23 ; 206, 6-7 ; 206, 22.
64
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1. LAntirrheticus
Sinterroger sur les destinataires de la rfutation de Grgoire soulve la question de lusage
des uvres de controverse cette poque.
Dans sa rfutation, Grgoire interpelle trs rarement son lecteur, ne donne aucun
indice sur ce dernier, et ne prcise pas les circonstances qui lont amen rdiger son
Antirrheticus. En revanche, dans son exorde, aprs une entre en matire trs travaille sur
le plan littraire et rhtorique, le Nyssen dclare quil va analyser une uvre dApolinaire
329
qui circule, pour montrer laberration de sa doctrine ( ) :
### ##### ### ### ###### ### ######## ####### ##########, ###### #######
#### ########## ### ## ## ####### ######### #### ######### ######
#########, ######### ## ###### ### ### ### ######### #### ### ####### ###
#######. Que toute personne qui aimerait comprendre labsence de force de
cette hrsie, sur tous les plans, parcoure le trait [dApolinaire] lui-mme. Quant
nous, nous navons pas assez de temps pour approfondir de tels propos, qui
offrent deux-mmes avec vidence et avant mme leur examen la preuve de leur
332
aberration .
Daprs cette dernire remarque lance sur un ton trs polmique, lAntirrheticus semble
tre destin toute personne qui voudrait sinformer de lapolinarisme et juger la qualit
de cette doctrine. Mais on peut aussi tenir cette rflexion pour une formule polmique, qui
333
est un moyen pratique de prendre cong du lecteur, en arrtant la rfutation en cours .
328
330
331
pratique de la rfutation dans le Contre Eunome de Grgoire de Nysse , communication prsente au colloque international dOxford,
aot 2007, paratre dans Studia Patristica.
65
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Dautres expressions montrent que le lectorat vis est large : Grgoire semble avoir faire
334
un public de connaisseurs et comptents ( ) , cest--dire
de thologiens probablement, moins que par ce genre de formule, il vise flatter son
lecteur, pour mieux emporter son adhsion. Ailleurs encore, Grgoire semble mentionner
un public non apolinariste :
334
335
-III
66
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339
ci-dessus, au mme titre que les formules de moquerie , sont donc mis en uvre dans
lAntirrheticus pour dissuader tout lecteur dadhrer au parti apolinariste.
Un autre problme pos par la question du destinataire dans une rfutation linaire
est de savoir dans quelle mesure Grgoire rend compte de lessentiel de la doctrine
apolinarienne et de lApodeixis.Ou bien, au contraire, nomet-il pas certains points
dmonstratifs de son adversaire ? Puisque nous ne possdons pas lApodeixis en dehors
de Grgoire, nous ne sommes pas en mesure de le cerner. Maisil semble que Grgoire
ne sadresse pas un lecteur qui ait sa disposition lApodeixis, la diffrence de la
rfutation dEunome, au sujet de laquelle R. P. Vaggione soulve lhypothse que peut340
tre Grgoire attendait de son lecteur quil dispost des uvres dEunome . Et cest
notre avis un indice qui montre que Grgoire ne considrait pas la rfutation dApolinaire
comme celle dEunome. plusieurs reprises, il invite le lecteur de son Contre Eunome qui
341
refuserait dadmettre ce quil dit se reporter directement aux crits dEunome . Il suppose
donc que le lecteur ait accs luvre dEunome et il nhsite pas le mettre dans une
342
position de vrificateur . Dans lAntirrheticus, Grgoire nincite jamais son lecteur aller
lire lApodeixis dApolinaire, sauf vraisemblablement dans la dernire phrase de son trait,
pour prendre cong de lui rapidement. Do limpression laisse sur les lecteurs modernes
que Grgoire avait beaucoup moins soign sa rfutation contre Apolinaire que celle contre
343
Eunome . Daprs notre tude, Grgoire tait moins engag personnellement dans la lutte
anti-apolinariste que dans celle contre Eunome, ce qui explique la fois que la fin du trait de
lApodeixis soit plus rapidement examin, et quil y ait un cart entre les reproches adresss
Apolinaire et le contenu rel des fragments de ce dernier. Grgoire semble connatre
la doctrine de lapolinarisme uniquement par les notes quil a prises sur lApodeixis et les
ides qui circulent sur lui, et non personnellement, la diffrence dEunome dont il a une
connaissance beaucoup plus prcise. En somme, il ne rpond pas Apolinaire, mais il
montre au lecteur, en lui donnant apprcier sa propre doctrine christologique, comment
celle du Laodicen nest pas juste.
En conclusion, Grgoire, pour dnoncer ce en quoi consiste lerreur apolinariste, montre
son lecteur ce quest la doctrine conforme la pit . Le discours de rfutation est
la frontire de lapologie et de la rfutation.
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Compte tenu de la date de cette missive de Grgoire de Nysse, qui se situerait donc
avant la Lettre Nectaire, rdige par Grgoire de Nazianze en 387, et les mesures prises
par lempereur en 388 contre les apolinaristes, la question historique principale que pose
la Lettre Thophile est donc de savoir quelles sont les raisons qui ont ncessit une
telle apologie de la part de Grgoire devant Thophile. Quel pouvait alors tre le rle de
lvque dAlexandrie ? Grgoire aurait-il t attaqu personnellement Alexandrie ? Ou
les thologiens de Cappadoce taient-ils lobjet de soupons Alexandrie ? Il peut y avoir
pour la rdaction de cette lettre des motifs dordre ecclsial ou doctrinal.
Pour tenter dapporter des lments de rponse, il convient dabord de relever quelques
traits de la carrire politique de Thophile (345-412) pour mesurer lautorit doctrinale dont
345
il disposait . Il tait devenu clerc, puis diacre sous ses trois prdcesseurs sur le sige
346
alexandrin, Athanase, Pierre II et Timothe . On connat ses actions par les historiens
Socrate, Sozomne, Thodoret qui en ont laiss une image assez ngative, comme un
personnage faux, et qui ont retenu de lui le manipulateur dpiphane et laccusateur de Jean
347
Chrysostome .
Sur le plan ecclsial, Thophile na cess pendant tout le temps de son patriarcat
de dfendre le sige dAlexandrie contre lascension de celui de Constantinople. Jusquau
concile de Constantinople de 381, en effet, Alexandrie tait le second sige de la chrtient
aprs Rome. Le concile le relgua au troisime rang aprs Constantinople, Nouvelle Rome.
On peut dduire de ce premier point que Grgoire, en exposant ses rcriminations
lvque dAlexandrie, sadressait alors un homme influent dans les glises dOrient. En
outre, eu gard lhistoire de lglise dAntioche, o, comme nous lavons vu, Grgoire
tait intervenu personnellement au concile de 379 pour tenter de runir la communaut de
Mlce et celle de Paulin, Thophile, quelques annes plus tard, contribua la cessation
du schisme dAntioche. Daprs Sozomne, Jean Chrysostome demanda Thophile de
collaborer avec lui pour la rconciliation de Flavien, vque qui avait pris la succession
de Mlce, avec lvque de Rome. En effet, jusqualors, Flavien, du parti de Mlce dont
348
Grgoire tait proche, navait t reconnu ni par Rome ni par lgypte .
En 397, la mort de Nectaire qui tait vque Constantinople, Thophile cherche
faire lire un de ses hommes, Isidore, contre le candidat dAntioche, Jean Chrysostome,
349
pour avoir la main mise sur ce sige piscopal , mais la suite de pripties, il dut se
rsigner llection de Jean Chrysostome.
Sa mauvaise rputation est lie trois vnements, dune part sa brouille avec
350
351
Isidore , et les quatre Longs frres , sa condamnation dOrigne au cours dun synode
345
346
Cf. Notice dans le Dictionnaire de spiritualit, t. 15, Paris, 1991, notice de H. Crouzel, col. 524-530.
Socrate, Hist. Eccl. V, 12, 5, SC 505, p. 186 ; Sozomne, Hist. Eccl., VII, 14, 4, SC 516, d. G. Sabbah, trad. A.-J. Festugire,
que lvque dAlexandrie ne le dissipt dans la construction de btiments publics (Hist. Eccl., VIII, 12, 6, SC 516, p. 286.)
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352
dans le dsert de Nitrie et son accusation de Jean Chrysostome qui lavait lui-mme
353
condamn en raison de son exil des Longs frres . Il eut pour successeur sur le sige
dAlexandrie son neveu Cyrille.
Thophile est aussi connu pour sa production littraire dont il nous reste des lettres,
354
des homlies, et une collection de fragments marque par la lutte contre lorignisme,
mais aussi contre lanthropomorphisme, non sans atermoiements entre ces deux doctrines.
Il a pourtant laiss la rputation dtre fidle la doctrine de Nice et de Constantinople.
Nous nous sommes cependant demand si la dfense de Grgoire adresse
Thophile au nom de ces quelques personnes de lglise catholique suspectes
355
par Apolinaire
pouvait avoir t suscite par un diffrend doctrinal entre Grgoire et
Thophile, ou au contraire une sympathie entre Apolinaire et Thophile, ou bien si elle
sexpliquait pour des raisons politiques, puisque lvque dAlexandrie jouait un rle de
premier plan dans lglise orientale. La christologie de Grgoire avait-elle attir les soupons
de Thophile pour quil ait se justifier devant lui, ou voulait-il simplement linformer dun
danger doctrinal ses yeux ?
Il reste peu dcrits de Thophile. Quelques lettres ont t conserves, traduites par
Jrme, dans le cadre de la lutte de lvque dAlexandrie contre les orignistes. Lune
delle contient un assez long passage anti-apolinariste. Il sagit de la Lettre festale pour
lanne 402, o Thophile dnonait lapolinarisme, quelques annes aprs la plainte de
356
Grgoire . Mais le point doctrinal que Thophile dnonce ne porte pas sur la christologie
des deux Fils , comme dans la lettre de Grgoire, mais sur labsence dintelligence
humaine dans le Christ, cest--dire sur la thologie du dApolinaire. Le
sujet des deux textes nest donc pas exactement le mme. En outre, P. Andrist note le
contraste entre la modration avec laquelle Thophile parle dApolinaire dans cette Lettre
festale 17 et la duret habituelle de ses attaques contre les orignistes et contre leur matre,
357
mme si, dans cette lettre, il fait preuve dune certaine retenue leur gard . Thophile
358
reconnat quApolinaire avait lutt contre Arius, Eunome, Origne et dautres hrtiques ,
351
Ammonios, le chef du groupe, Dioscoros, vque dHermoupolis, Euthymios et Eusebios. Ils taient des lecteurs dOrigne,
que Thodore avait condamn, et de Didyme, ainsi que des directeurs spirituels rputs en gypte. Cf. Sozomne, Hist. Eccl., VIII,
12, SC 516, p. 284-288.
352
353
enjoignit Thophile de comparatre devant un synode prsid par Jean Chrysostome. Cf. Socrate, Hist. Eccl. VI, 7, 11-19, SC 505,
P. Prichon, P. Maraval, Paris, 2006, p. 290-292.
354
Cf. les articles de M. Richard, Une homlie de Thophile dAlexandrie sur linstitution de lEucharistie , RHE, 33, 1937,
p. 46-56 ; Les fragments exgtiques de Thophile dAlexandrie et de Thophile dAntioche , Opera minora, II, op. cit., n38 ; id.
Nouveaux fragments de Thophile dAlexandrie (ACO III, p. 201, l. 5-9), Opera minora, II, op. cit., n39.
355
356
lapolinarisme, cf. spcialement 4-8, p. 189-191. Thophile attaquait le cur de leur doctrine et leur exgse de Rm 8, 6-7. Cf.
P. Andrist, Les protagonistes gyptiens du dbat apollinariste , Le dialogue dAthanase et Zache et les dialogues pseudoe
athanasiens : intertextualit et polmique religieuse en gypte vers la fin du IV sicle , Recherches augustiniennes et patristiques,
34, 2005, p. 63-141, spcialement p. 74-76.
357
358
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il ne parle pas dexclure les apolinaristes des glises et il lance un appel au repentir sous
359
forme dune exhortation . Daprs lanalyse de P. Andrist, limpression qui se dgage
est que Thophile essaie de ramener son orthodoxie, avec mnagement, ceux qui se
360
rclament du Laodicen . Il dduit de cette attitude de lvque dAlexandrie quil devait y
avoir une communaut dapolinaristes dans le diocse de celui-ci. Dans les autres morceaux
conservs de Thophile, on ne trouve pas de polmique anti-apolinariste. Mais on a la
preuve par cette Lettre festale que Thophile a ragi lapolinarisme quelques annes
aprs la lettre de Grgoire.
Par ailleurs, une autre homlie du mme vque, postrieure aux uvres antiapolinaristes de Grgoire, prsente des formules christologiques proches de celles de
Grgoire. Il sagit de lhomlie Sur linstitution de lEucharistie, transmise sous le nom de
361
Cyrille dAlexandrie et reconnue comme ayant t prononce par Thophile, en 400,
362
daprs ltude de M. Richard . Il se trouve que dans ce sermon, Thophile dnonce des
moines hrtiques, que M. Richard identifie des orignistes et associe laffaire des quatre
Longs frres . La faon dont Thophile peroit et dcrit lorignisme sous la forme dun
nestorianisme, pour utiliser un langage presque anachronique, est intressante. Il reproche
en effet ceux quil attaque de croire un Christ qui est pur homme (
363
364
) , serviteur , de rejeter la consubstantialit du Christ et du Pre tout-puissant
cause de lincarnation (
365
) . Et la fin de son homlie, il rcapitule le
contenu de la foi dans le corps et le sang du Christ en dclarant quil ne spare pas pour
autant en deux personnes la [personne] divine et indivisible (
366
) .
Cette pointe finale sur lcueil des deux personnes montre comment, la fin du
e
IV et au dbut du V sicle, le thologien, lorsquil veut insister sur lunion de Dieu et de
lhomme en Christ, doit se prmunir des attaques de la christologie des deux personnes. On
est donc dans un contexte o les thologiens qui revendiquent lunit de nature accusent
les partisans des deux natures dans le Christ dintroduire deux personnes , et ceux qui
tiennent la distinction entre lhumain et le divin, parfois au prix dune sparation trop forte,
reprochent aux thologiens de tendance inverse leur confusion du divin et de lhumain.
e
Par consquent, mme si les extraits des pices de Thophile les plus proches de
lobjet de la lettre de Grgoire, bien que postrieures, nattestent ni une proximit particulire
des deux auteurs, ni une raction lapolinarisme sur la question prcise des deux Fils
dont parle le Cappadocien, ils donnent la note du contexte polmique dans lequel Grgoire a
359
360
361
362
363
364
365
366
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367
1. LAntirrheticus
Le trait de controverse de Grgoire a t transmis par un petit nombre de manuscrits, dont
e
le plus ancien remonte la fin du XI sicle, et a t conserv dans un bon tat puisque
les lacunes importantes sont rares.
La rfutation de Grgoire a t transmise par cinq codices seulement, que Fr. Mller
utilise pour tablir ldition dans les Gregorii Nysseni Opera, daprs les abrviations
suivantes :
e
e
V : codex Vaticanus graecus 405, dat du XII XIII s.
e
e
G : codex Venetus Marcianus gr. 496, dat de la fin du XI ou dbut du XII s.
e
F : codex Florentinus Laurentianus 7, 4, dat du XV s.
e 369
Ottob. 41 : codex Ottobonianus 41, dat du XVI s .
e
Laur. 10, 12 : codex Florentinus Laurentianus 10, 12, dat du XV s.
367
Cf. Theoph. 128, 16 : ( Tels sont les propos que nous tenons pour
notre dfense ).
368
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Pour tablir ldition de lAntirrheticus, il utilise galement le texte dit par Migne daprs
370
la version dA. Gallandi , qui reprend lui-mme la premire dition de Zacagnius qui date
371
de 1698 .
e
Le codex le plus ancien (parchemin du XI s.), le Venetus Marcianus graecus 496, 285
372
x 25, 5 mm, rdig sur deux colonnes de 42 lignes, de 185 folios , contient lAntirrheticus
dans son intgralitdes folios 1 recto jusquau 29 verso. Sur la premire page, dans la
table des matires, se trouve crit par une premire main le titre qui commence ainsi :
373
. La table des uvres contenues sachve avec la mention dune
uvre dpiphane dont le texte manque (
). Les folios 1 verso-2 recto sont presque illisibles
(ils correspondent Antirrh. 132, 25-136, 8). Le texte de Grgoire de Nysse est suivi du
Contre Marcel I et II d'Eusbe de Csare ainsi que de son trait Thologie ecclsiastique
(folio 29v-91v). Puis se trouvent le Dialogue de la vraie foi dAdamantius (folio 92r-125r),
le trait Ammonius sive de mundi opificio disputatio de Zacharias le scolastique (folio 125
verso- 142 verso), le Theophrastus seu dialogus de immortalitate animae dEne de Gaza
(folio 143 recto-159 recto), enfin les trois livres Ad Autolycum de Thophile dAntioche (folio
160 verso- 185).
374
Le codex Vaticanus gr. 405, de parchemin, 337 x 243 mm, est composite : les folios
e
e
1 204 datent de la fin du XI -dbut XII s. et contiennent des homlies de Basile, et le
De opificio hominis,lEpistola ad Petrum de Grgoire de Nysse et des extraits duvres
pseudpigraphiques. Le texte de ces pages est prsent en deux colonnes. Au folio 205
e
commence un nouveau codex avec un feuillet , qui date du XIII s. Les folios 205-229
contiennent lIn Hexaemeron de Grgoire de Nysse sur une seule colonne et, partir du folio
230 se trouve lAntirrheticus. Du folio 230 recto jusquau folio 237 verso, le texte est prsent
sous forme de deux colonnes, mais du folio 238 recto jusquau folio 272 verso, le texte est
dispos sous la forme dune colonne. Lensemble du texte est crit avec une encre sombre,
mais des corrections sont inscrites avec de lencre rouge dune premire main partir dun
manuscrit aujourdhui perdu. Ces corrections sont prcieuses pour ltablissement du texte.
c
Aussi Fr. Mller sest-il servi du texte corrig (V ). En marge se trouvent aussi des indications
e
sur le contenu de ce manuscrit. L. Zacagnius, au XVII s., sest appuy sur ce codex pour
diter lAntirrheticus.
370
A. Galland, Bibliotheca veterum patrum antiquorumque scriptorum ecclesiasticorum graecorum,t. VII, Venise, 1765-1781, p. 517
sq.
371
Description : Codices graeci manuscripti bibliothecae divi Marci Venetiarum, vol. II, codices 300-625, E. Mioni, Rome,
1985, p. 322.
373
Le copiste prcise quil y a un seul discours, la diffrence des trois discours de Thophile Autolycum qui suivent dans
le manuscrit.
374
Description : Codices Vaticani graeci, t. VII, codices 330-603, R. Devreesse, Vatican, 1937, p. 108-109.
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e
Les codices Laurentianus Florentinus 7, 4 et 10, 12 qui sont tous les deux du XV
375
sicle, crits sur du parchemin . Ils sont une copie du Vaticanus gr. 405 corrig, et pour
cette raison sont dun intrt secondaire.
e
Le codex Vaticanus Ottobonianus 41, plus tardif (XVI s.), papier, 338 x 221 mm, 169
376
folios , prsente le texte de lAntirrheticus dans les folios 1-52, suivi dextraits des homlies
de Grgoire de Nysse sur LOraison dominicale ainsi que des passages Sur les titres des
psaumes (folio 61).
Selon Fr. Mller, les codices Vaticanus gr. 405 (V) et Venetus Marcianus gr. 496(G)
proviennent dune source commune : plusieurs caractristiques se retrouvent dans les deux
377
textes, comme les multiples lacunes identiques dans les deux manuscrits . Mais il cite
aussi une srie de divergences textuelles qui permettent de prouver que le codex Vaticanus
378
gr 405 ne provient pas du codex Venetus Marcianus gr. 496 .
Dans lapparat critique, Fr. Mller distingue aussi le codex Vaticanus gr. 405 (V) de
c
ltat du texte, corrig, quil appelle V . On y lit, dans ces corrections, les traces dun autre
texte auquel aurait eu accs le correcteur, qui nest pas une source commune de V et de
G. Et ce correcteur a notamment combl un certain nombre de lacunes de V grce ce
texte auquel il a eu accs.
Quant aux trois codices restant, plus tardifs, les Florentinus Laurentianius 7, 4 et 10, 12
ainsi que le Vaticanus Ottobonianus 41, Fr. Mller nen retient quun seul dans son apparat
critique. Les trois reproduisent le texte de lAntirrheticus qui a t retouch par le correcteur
c
du codex Vaticanus gr. 405 (V ). Parmi ces trois codices, le Florentinus Laurentianus 7, 4 (F)
c
est un autre tmoin du texte V de lecture difficile. Fr. Mller garde seulement le Florentinus
Laurentianus 7, 4, parce quil est le seul qui provient du manuscrit Vaticanus gr. 405 luimme, alors que le Laurentianus 10, 12 et lOttobonianus 41 nont pas reproduit le texte de
V, mais celui du Florentinus Laurentianus 7, 4.
En outre, dautres codices ont transmis quelques fragments de lAntirrheticus. Fr. Mller
rpertorie cinq autres manuscrits, auxquels nous ajoutons ceux dans lesquels nous avons
repr des fragments :
e
Le codex Vindobonensis theol. gr. 40, manuscrit dat du XIII s, papier, 328/330
379
x 235/260 mm, 271 folios , cite au folio 153 verso Antirrh. 195, 27-196, 5 (avec
quelques variantes). Le passage de lAntirrheticus est reproduit sous le nom
dAthanase. Dans ce codex se trouve une compilation dcrits thologiques, qui ont
380
t pour la plupart des pices des Actes du concile dphse en 431 . On trouve
ainsi cits de nombreux passages de Cyrille dAlexandrie, dAnastase le Sinate,
de Michel Psellos, dEudoxe de Constantinople, de Nicphore de Constantinople.
375
e
Descriptions : Catalogus codicum manuscriptorum Bibliothecae Medicae Laurentianae, I, A. M. Bandini (XVII s.), p.
203-205 et 482-483. Les extraits de lAntirrheticus figurent au folio 116 dans le Laurentianus 7, 4 ; et au folio 207 dans le Laurentianus
10, 12.
376
377
378
Description : Codices manuscripti graeci Ottoboniani Bibliothecae Vaticanae, E. Feron et F. Battaglini, Rome, 1893, p. 31.
Cf. Fr. Mller, Opera dogmatica minora, III, p. LII-LIII.
Ibid. p. LIII-LIV.
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381
Le codex Vaticanus gr. 1719, papier, 21,2 x 15, 7, 103 folios cite aussi au folio 69
un extrait de l'Antirrheticus (p. 196, 3-5) qui prend place dans un florilge sur les deux
natures du Christ. Le passage cit de lAntirrheticus correspond au mme extrait
mentionn plus largement par le Vindobonensis gr. 40, mais en relation avec dautres
textes patristiques. Les extraits de Cyrille dAlexandrie sont les plus nombreux, mais
il y a aussi plusieurs extraits dAthanase dAlexandrie dont un passage de la Lettre
pictte (PG 26 1056 C-1052 C), des passages des Discours 2 et 38 de Grgoire
de Nazianze, de la Disputatio adversus Aetium Arianum du Pseudo-Basile. En plus
de lextrait de lAntirrheticus,le manuscrit reproduit un extrait de la Lettre au moine
382
Philippe . Il faut noter aussi la prsence dun extrait du Contre Eunome III de
383
Basile .
Le fait que ce soit le mme passage de Grgoire qui soit cit dans ce manuscrit et le
Vindobonensis gr. 40 est lindice que dans lAntirrheticus, ce quia retenu lattention de
la tradition patristique postrieure correspond aux endroits qui formulent explicitement la
coexistence de deux natures dans le Christ contre les partisans de toutes les formes
de monophysisme, alors quen ralit, dans lAntirrheticus Grgoire utilise rarement
lexpression de deux natures ( ) pour qualifier lunion de lhumain et du divin
384
dans le Logos incarn .
En outre, le manuscrit atteste une variante intressante car elle a des implications
thologiques. la fin de la phrase cite (
, ,
;) le verbe utilis nest pas , comme ldite Fr. Mller en suivant la leon
des autres manuscrits, mais . Or cest prcisment ce sens-l qui heurte
Apolinaire dans la christologie des tenants des deux natures dans le Christ, divine et
humaine. En effet, pour lui, une nature nexiste que dans la mesure o elle constitue une
385
unit vitale, autonome ( ) cest--dire lindividualit . Cest la raison
386
pour laquelle, selon lui, la notion de revt le mme sens que celui d .
Le choix du verbe dans ce passage o il est question des deux natures met
dautant plus laccent sur le contenu problmatique de la notion de en christologie.
384
e 387
Le codex Florentinus Laurentianus 9, 24 (papier, XIII s.) , au folio 179r, cite un
extrait de lAntirrheticus (p. 196, 3-5), et, aux folios 129-131 recto, contient un autre
passage dont le texte est trs diffrent des autres manuscrits.
e 388
Le codex Urbinas gr. 13 (XVII s.) : papier, 313 folios, 351 x 240 mm. Au folio 262v
jusquau folio 263r est cit un passage de lAntirrh. (d. Fr. Mller, p. 201, 25-202, 13)
daprs la premire dition de Zacagnius.
Il qualifie abondamment la divinit et lhumanit du Christ de nature (), mais parle seulement deux reprises de
deux natures pour dsigner en mme temps lhumain et le divin en Christ (Antirrh. 196, 5 ; 215, 12). Cf. infra, partie IV, chapitre
2 Lunit du Christ .
385
386
74
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Notre travail ne consistera pas en une rvision du texte tabli par Fr. Mller lorsque le
389
texte pose des problmes de comprhension . Nous nous contenterons de mentionner
les problmes textuels, lorsque nous les rencontrerons. Ils sont cependant assez rares. Les
plus importants sont les suivants :
Antirrh. 216, 25 : Fr. Mller retient le terme , ce qui na aucun sens dans la
phrase, alors que Migne donne la leon , et W. Jaeger propose .
Enfin, pour conclure, ajoutons que la tradition manuscrite est assez unanime sur le titre du
trait de Grgoire : les manuscrits les plus anciens, V, G, F, lintitulent :
. Cela manifeste clairement que le trait a t lu par la
tradition comme une dnonciation des thses dApolinaire prises dans leur ensemble plutt
que comme la rfutation de lApodeixis en particulier, ce que corrobore aussi le fait que
certains extraits dApolinaire semblent cits et utiliss par Grgoire pour servir de prtexte
des attaques traditionnelles, telle celle qui porte sur la prexistence de la chair du Logos,
plutt quils ne sont rfuts pour le contenu mme quils prsentent.
En outre, lissue de cette description des manuscrits, on constate que le texte de
lAntirrheticus na jamais t transmis dans les mmes manuscrits que le Contre Eunome,ce
qui sexplique entre autres pour des raisons matrielles, le Contre Eunome couvrant souvent
391
lui seul tout un codex . Mais dans les manuscrits qui transmettent des crits varis de
392
luvre de Grgoire, les deux ouvrages de controverse ne sont jamais associs ,alors
quau niveau textuel, il y a dans les deux traits de nombreux passages qui sont trs
proches. On observe donc une divergence trs nette entre le contenu et la rception des
deux textes de controverse pourtant contemporains.
2. La Lettre Thophile
La tradition manuscrite qui a transmis ce texte est plus abondante. Fr. Mller, dans son
introduction, fait la recension de tous les manuscrits par lesquels cette lettre est parvenue,
393
ceux quil retient pour son dition et ceux quil rejette . Il tablit le texte partir de neuf
e
manuscrits ainsi que dune version syriaque, la plus ancienne (VI s.) :
389
Il faudrait mener des enqutes sur les manuscrits eux-mmes dans les passages qui posent des problmes de traduction et
dinterprtation. E. Mhlenberg a attir notre attention sur un certain nombre derreurs ddition (par ex. au lieu de en Antirrh.
192, 14) et sur le fait quil faudrait refaire ldition de lAntirrheticus.
391
e
e
Cf. par ex. le codex Ambrosianus C 125, papier, XII -XIII s., qui transmet uniquement le Contre Eunome (235 folios).
392
Cf. codex Vaticanus graecus 1907, o se trouvent la Lettre Thophile (folio 50), et dans les folios 220-307, le Contre
Eunome.
393
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e
Le codex Venetus Marcianus gr. 68 (XII s.) (A) : parchemin, 325 x 235 mm, 239
394
folios . Ce manuscrit prsente des uvres varies de Grgoire de Nysse, une
Exhortation la pnitence (folios 161-170) transmise sous le nom de Grgoire mais
reconnue comme tant dAsterius dAmase. Il est noter que la Lettre Thophile
se situe en dernire position (folios 236-239 v) aprs lhomlie Adversus eos qui
baptismum differunt. Le texte est transmis dans son intgralit except les derniers
mots qui manquent.
e
Le codex Leidensis Gronovianus 12 (XVI s.), papier (L), 277 folios. Ce manuscrit
contient essentiellement des uvres de Grgoire, avec quelques autres textes
mineurs. Il prsente dans les premiers folios le Dialogue sur lme et la rsurrection
(folio 1-43), puis des petits traits trinitaires, tels lAd Ablabium (folio 44-49), lAd
Eustathium (folio 162), lAd Simplicium (folio 167-169). La Lettre Thophile se
trouve aux folios 202-205.
e
395
Le codex Vaticanus gr. 1907 (XII/XIII s.) (S) : papier, 370 x 265 mm, 308 folios,
divis en deux parties, lordre des folios ayant t restitu. Ce codex prsente la
plupart des uvres de Grgoire, parmi lesquelles lauthenticit de certaines a t
remise en cause. Un passage de la Lettre Thophile, qui correspond aux pages
119-128 de ldition de Mller,se trouve dans le folio 50, aprs quelques extraits
dhomlies ou petits traits de Grgoire, Contra usurarios, Adversus eos qui differunt
baptismum, De pauperibus, et prcdant un extrait du Contra Manichaeos oratio,
attribu Didyme et le Contra fatum de Grgoire.
e
e
Le codex Vaticanus gr. 1433 (XII -XIII s.) (Z), parchemin, 481 folios, 343 x 264 mm,
396
semble provenir de S . Ce manuscrit contient des uvres de Grgoire de Nysse.
e
e
Le codex Vaticanus gr. 720 (fin XI -XII s.) (R) : manuscrit de parchemin, 290 x
397
225 mm, 284 folios . Ce manuscrit comprend des uvres de plusieurs auteurs :
Timothe dAlexandrie, Athanase, Denys dAlexandrie, puis quelques extraits
de Maxime le Confesseur, tirs de la Mystagogie. Suivent alors deux opuscules
doctrinaux de Grgoire, lAd Ablabium (folio 26v-33v) et la Lettre Thophile (folios
33v-36v) dans son intgralit. Aprs les deux uvres dogmatiques du Cappadocien,
suivent des passages de Cyrille dAlexandrie, le premier tir de lExpositio de
Incarnatione Verbi (folios 36v-38),puis de Grgoire de Thaumaturge, dAnastase le
Sinate, de Jean Damascne.
e
398
Le codex Vaticanus gr. 446 (parchemin du XII s.) (E) : 230 x 187 mm, 391 folios .
Ce manuscrit prsente des uvres varies de Grgoire de Nysse. La Lettre
Thophile se situe aux folios 44v-49v dans son intgralit, aprs le petit trait De
infantibus qui praemature abripiuntur (folios 23v-44v) et le Contra fatum (folios 2-23).
Aprs la lettre Thophile suivent des petits traits trinitaires, des pangyriques de
Grgoire, des homlies liturgiques.
e
Le codex Ambrosianus C 135 (XI ) s., (M) : parchemin, 32, 3x 25, 8 cm, 388 folios
399
dont le texte est dispos en deux colonnes . Ce manuscrit ne comprend que des
extraits duvres de Grgoire de Nysse, tirs des discours encomiastiques, des
homlies liturgiques, des petits traits trinitaires (Ad Eustathium, Ad Ablabium,
De differentia essentiae et hypostaseos ), suivis dun passage du De professione
christiana, et au folio 226, de la Lettre Thophile archevque dAlexandrie contre
Apolinaire. Le texte de la lettre nest pas complet (Theoph. 120, 14-127, 4). Il est suivi
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e
e
401
Le codex Laurentianus Mediceus 86, 13 (XIII -XIV s.) (F) : dans ce manuscrit,
la Lettre Thophile prend place dans une srie de vingt-quatre lettres de Grgoire
de Nysse, elle se situe en quinzime position (folio 226 verso) sous le titre
. Entre les lettres 13 et 20 (daprs
402
la numrotation et ldition de P. Maraval) se trouve le Discours catchtique ;
entre la lettre 4 et la lettre 21, le De fide ad Simplicium, entre la lettre 21 et la lettre
10, le De professione christiana intitul comme une lettre adresse un certain
Harmonios. Cest donc la forme pistolaire qui a t le critre premier de choix du
texte de Grgoire Thophile pour le copiste.
e
Le codex Vindobonensis theol. gr. 42 (membranaceus XII s.) (W) : manuscrit qui est
une copie de M.
e
Rtroversion en grecque dune version syriaque du codex Vaticanus syr. 106 (VI s.)
par H. Langerbeck.
Daprs le stemma tabli par Fr. Mller :
400
e
e
du codex Vaticanus gr. 1907 (XII s.) proviennent le codex Vaticanus gr. 1433 (XIII
e
s.), le Vaticanus gr. 720 (XII s.),
e
du codex Vaticanus gr. 446 (XII s.) provient le codex Parisinus gr. 503 (parchemin,
e 403
XIV s.)
e
du codex Ambrosianus C 135 (XI s.) proviennent le codex Vindobonensis theol. gr.
e
42 (XII s.) que Fr. Mller nutilise pas car il noffre rien de nouveau ou dintressant
e
par rapport lAmbrosianus C 135, le codex Musei Britannici Old Royal 16 D I (XII
404
e 405
s.) et le codex Urbinus gr. 9 (XVII s.) . Ces deux derniers codices reprennent le
406
Vindobonensis theol. gr. 42 .
De cette brve description, il ressort que la plupart des manuscrits citent la Lettre Thophile
de Grgoire parmi les opuscules doctrinaux, comme en tmoigne lassociation si frquente
de quelques petits traits trinitaires, tel lAd Ablabium, avec la lettre, exception faite du codex
Le raisonnement de Grgoire est le suivant : si chaque manifestation du Verbe dans lAncient Testament est un Fils de Dieu,
alors il y aurait autant de Fils de Dieu que de thophanies. Cf. Appendice, Lettre Thophile contre les apolinaristes, p. 794-814.
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Laurentianus Mediceus 86, 13 qui range lcrit de Grgoire Thophile parmi une srie de
lettres de Grgoire.
Pour ce qui est du titre, les manuscrits hsitent aussi sur la cible vise par
Grgoire : certains manuscrits retiennent (, L, ) dautres lintitulent
(E, F, W, syr.). Daprs les lments de critique interne, Grgoire rpond
407
plutt une attaque formule par les apolinaristes que par Apolinaire uniquement , comme
en tmoignent les expressions au pluriel qui dsignent le parti apolinariste dans la lettre de
408
Grgoire . Le choix du pluriel retenu dans le titre par Fr. Mller est pertinent. Une telle
variante na pas de consquence doctrinale dans la mesure o laccusation des deux Fils
tait formule aussi par Apolinaire.
En outre, comme en tmoigne la liste des codices de la lettre, retenus pour ldition
409
critique de Fr. Mller
, la Lettre Thophile na pas t transmise par les mmes
manuscrits que lAntirrheticus. Dans la tradition manuscrite, daprs ce quil nous reste
prsent, les deux textes nont pas t associs. En outre, daprs la tradition manuscrite, la
lettre semble avoir connu plus de rayonnement que le texte de lAntirrheticus. Une tude sur
la rception des deux textes de Grgoire permettrait den connatre les raisons ; mais nous
ne la mnerons pas dans le prsent travail, nous concentrant sur les enjeux doctrinaux du
texte de lAntirrheticus lui-mme.
V.Conclusions
Au terme de ce parcours sur les circonstances historiques et littraires dans lesquelles
lApodeixis,lAntirrheticus et la Lettre Thophile ont t rdigs, il ressort que les trois
textes ont une histoire, une tradition manuscrite et une forme littraire diffrentes, chacun
ayant t rdig dans des circonstances diffrentes. LAntirrheticus est la seule uvre de
e
controverse contre Apolinaire au IV sicle qui se dploie sous une forme linaire. Elle
prsente donc des principes de composition et de rfutation de lapolinarisme qui lui sont
e
propres, comparativement aux autres crits de controverse anti-apolinariste du IV sicle.
Lhistoire de la transmission de lApodeixis est lie en grande partie au trait de Grgoire
lexception des fragments 106 et 107, la diffrence de lensemble des fragments
doctrinaux dApolinaire, qui sont transmis essentiellement par des florilges plus tardifs,
e
partir du V sicle. On ne peut donc pas sparer, dans le cas de luvre doctrinale
dApolinaire, le contenu de ces textes de la faon dont ils ont t utiliss dans les polmiques
ultrieures pour servir, entre autres, la cause monophysite. LApodeixis a ceci de particulier
par rapport lensemble des fragments doctrinaux dApolinaire quelle est luvre la plus
longue qui nous soit parvenue ltat fragmentaire. Elle donne donc une ide de la
cohrence doctrinale propos de la thorie du , malgr les lacunes. Quant
lAntirrheticus, lorsquon voit les carts entre le contenu de certains extraits dApolinaire
et les thses qui lui sont prtes partir de ces fragments, ce sur quoi nous reviendrons, il
semble que Grgoire, pour rfuter Apolinaire, ait utilis non pas seulement lApodeixis mais
ait galement repris les griefs qui circulaient contre les thses apolinaristes, et dont on a
407
Il y a parfois des divergences doctrinales entre Apolinaire et ses disciples, comme semble lattester la doctrine de la
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I. Prliminaires : lApodeixis
Avant de nous engager dans le dtail de la rfutation de Grgoire, rappelons la structure
densemble de lApodeixis, en reprenant grands traits le fil du raisonnement dApolinaire
daprs ce quen livre Grgoire.
E. Mhlenberg estime que lApodeixis devait tre divise en deux volets en raison des
413
thmes doctrinaux abords :
410
411
412
Premire partie : frg. 14-47. Seconde partie : frg. 48-105. G. Voisin voyait dans ces deux mouvements deux cibles
diffrentes : dans la premire partie, Apolinaire sen prendrait aux Antiochiens. Le Laodicen tablit contre eux que le Christ nest
pas un homme devenu Dieu, mais un Dieu fait homme ; do son insistance la fin de cette premire partie sur la prexistence du
Logos pour montrer que ce nest pas lhomme Jsus qui accde au rang de Dieu mais quil est de toute ternit Dieu. Dans le second
mouvement, Apolinaire sefforcerait de montrer que la thorie des orthodoxes qui revendiquent lintgrit de la nature humaine se
ramne en fait celle des hrtiques (cf. Lapollinarisme, op. cit., p. 175). Daprs nous, il ny a pas de raison dopposer les Antiochiens
aux orthodoxes (les premiers ntant pas considrs comme des htrodoxes). En revanche, dans lApodeixis, Apolinaire voulait
rduire ceux qui dfendaient deux natures dans le Christ des hrtiques en montrant quils concevaient deux personnes. Cf. chapitre
1, analyse des circonstances de composition de lApodeixis, p.62-63.
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Premire partie :
I. Dieu sest incarn dans lhomme Jsus (frg. 14-18), cest--dire quil est la fois
homme et Dieu
II. Explication anthropologique trichotomite : Apolinaire expose alors au niveau
anthropologique comment Jsus peut tre la fois Dieu et homme (frg. 19-31)
III. Lidentit de sujet entre le Logos prexistant et le Christ (frg. 32-47)
Seconde partie
I. Les chrtiens htrodoxes nient que Dieu puisse stre fait homme, comme les juifs
et les Grecs (frg. 48-65)
II. Lunit du Logos incarn exclut la conception selon laquelle lhumanit du Christ se
surajouterait sa divinit (frg. 66-69)
III. Syllogismes qui viennent confirmer que lincarnation de Dieu ne peut tre conue
que selon la thologie du (frg. 70-91)
IV. Par consquent, lhumanit du Christ est divine (frg. 92-104)
Conclusion : lenseignement catholique est la vrit que recherchait la philosophie
grecque (frg. 105)
Daprs notre tude de lAntirrheticus, il semble quApolinaire cherchait prouver par
deux approches dmonstratives complmentaires que lunit du Christ ne peut tre formule
que dans les termes . Dans un premier temps, il devait dmontrer sa
conception de lunion entre humanit et divinit partir de limpratif de lidentit du Logos
prexistant avec le Christ incarn, rappelant que le Fils et le Christ sont la mme personne ;
dans un second temps, il devait se concentrer sur la formulation de lunion humano-divine
au niveau de la structure ontologique du Logos incarn.
II.LAntirrheticus
Dans la mesure o lAntirrheticus est une rfutation linaire, largumentation de Grgoire
devrait reflter le cours de la dmonstration dApolinaire. On sattend donc pouvoir
reconstituer facilement lenjeu principal de lApodeixis et le cheminement par lequel
Apolinaire en vient formuler sa christologie du , en examinant le cours de
la pense de Grgoire. Or la premire constatation vidente et dconcertante est la difficult
quon peut avoir tablir une structure claire et organise de lAntirrheticus et partant de
lApodeixis. Rapidement, on tire la conclusion que la structure de lApodeixis ne se laisse pas
reconstituer facilement daprs la faon dont Grgoire lui-mme compose son Antirrheticus.
On peut cependant parvenir recomposer le fil argumentatif de lApodeixis partir dune
tude conjointe de lensemble des fragments doctrinaux, ensemble qui aide comprendre
la cohrence de la pense dApolinaire et de la rfutation par Grgoire des extraits de
lApodeixis. Par cette mthode, en effet, E. Mhlenberg a pu dcrire de manire complte
la structure densemble de lApodeixis et, de faon plus succincte, celle de lAntirrheticus.
Mais comme en tmoignent son tude et celle que nous allons proposer, il parat impossible
de prsenter une structure rigoureuse de lAntirrheticus ; ce trait semble rsister toute
tentative de rduction un plan formel. Compte tenu de cette difficult, lenjeu, pour nous,
sera donc de faire ressortir les articulations entre les diffrentes tapes argumentatives et
de prciser les principes de composition.
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Les rfutations de Grgoire sont de plusieurs ordres : elles peuvent porter sur une
ide traite globalement, telle la consubstantialit de la chair avec le Logos, l'examen
des consquences logiques de laquelle Grgoire consacre une partie entire. Une ide
globale peut tre lobjet au fil du texte de plusieurs rfutations partir de prliminaires
diffrents, comme cest le cas pour la thologie du , qui est le thme majeur
414
abondamment travaill et retravaill par Grgoire . La rfutation peut aussi porter sur un
dveloppement entier de lApodeixis, rsum par le Cappadocien, puis attaqu, comme
lors de la question du corps glorieux du Christ, o lauteur passe plus vite sur les extraits
dApolinaire et rfute ce qui lui semble essentiel. Au contraire, elle peut porter de manire
trs cible sur telle ou telle expression employe par Apolinaire, telle la distinction entre
et . En outre, selon que lobjet de la rfutation se situe au niveau
macrostructurel ou microstructurel, il peut engendrer des ramnagements par Grgoire.
Ce sera lobjet de notre analyse.
Dans les tudes critiques, la rfutation dApolinaire par Grgoire a la rputation dtre
415
peu soigne et de mauvaise qualit . Lune des questions que nous nous sommes poses
tait de savoir si cet a priori tait justifi ou s'il venait de la structure complique de
lAntirrheticus,o les thmes abords senchanent les uns aux autres sans que lon en
distingue facilement la logique. Il y aurait alors certains principes de composition qui, parce
quils procderaient dune manire de structurer le discours, qui nous chappe, rendraient
la comprhension de la pense obscure. Il nous semble que ces difficults sexpliquent par
lun des principes de la stratgie rfutative de Grgoire : il consiste justement utiliser les
extraits de lApodeixis dans un sens diffrent de leur contexte originel en fonction de ses
propres vises doctrinales et pour dstructurer la pense de ladversaire.
La mthode de Grgoire
Sur le plan mthodologique, Grgoire explique souvent son lecteur la faon dont il procde
dans son argumentation. Il prcise en effet :
414
415
contre Apolinaire, moins inspir ici que pour lutter contre Eunome (The Human Nature in Gregory of Nyssa,p. 220-221).
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,
.
Je laisse de ct les propos qui se trouvaient au
milieu [du raisonnement], par lesquels il pense que ceux qui ont les mmes ides que
lui nient ce qui touche au mystre, mais je mentionnerai toutefois un des propos quil
420
dit dans sa controverse pour nous calomnier .
Grgoire indique trs souvent lorsquil saute un passage au moyen de formules brves
du type : ( Je passe en effet ce qui se trouvait au milieu
421
[du raisonnement] ) . Mais dans ces passages, en gnral, la logique de la pense
dApolinaire est difficile reconstituer : il manque un jalon argumentatif, comme cest le cas
pour lanalyse du deuxime syllogisme (frg. 71-73), prsent de faon trop partielle pour
422
quon puisse en mesurer lenjeu exact .
Concernant les omissions ou les reformulations que Grgoire fait lui-mme, il prcise
plusieurs reprises quil ny omet pas dlments importants :
421
422
423
424
425
Antirrh. 154, 28 sq. ; 158, 10-30 ;174, 10-12. Cf les analyses de M. Harl, La polmique de Grgoire de Nysse contre lusage
de Zacharie, 13, 7a par Apollinaire , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, op. cit., p. 89-99.
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###### ## ### ######## ### ########### ####### ### #### ####### ##### ##
######## ## ####, ######## ######### ### ##### ### ###### ### #########
########, ### #### ####### ########## ### #####. Puisque en raison dun
certain manque de vigueur dans sa capacit expliquer, la pense ne ressort pas
avec beaucoup dvidence, je dnuderai dabord de son obscurit le sens latent
427
pour pouvoir ensuite soumettre examen son discours .
Une telle dclaration traduit les deux temps caractristiques de la technique de rfutation
de Grgoire, une reprise de lide gnrale et un passage au crible, dtaill, mot par mot.
Cest de cette faon que Grgoire rfute son adversaire la lettre du texte, et cest ce
428
qui diffrencie sa rfutation des traits contemporains contre Apolinaire . Sa technique
consiste prendre les expressions, les unes aprs les autres, pour les commenter. Une telle
mthode nest pourtant pas exempte de dformations polmiques, comme en tmoigne le
mme exemple de la rfutation du fragment 32. La formulation dApolinaire qui est livre
par Grgoire est ambigu :
### ##########, #####, ######### ####### ### ## ###### ##### ### ##### ###
########, ######## ### ####, ### ## ### ###### ## ## ### ############ #####
##### ######## #####. Et, dit-il, lhomme Christ prexiste, non pas en tant
que lesprit, cest--dire Dieu, est un autre que lui, mais en tant que le Seigneur
429
dans la nature du Dieu homme est esprit divin .
Or Grgoire commence par isoler la formule pour la
commenter. Mais examine pour elle-mme, elle est insoutenable. On ne peut prtendre
que lhomme Jsus ait exist avant lincarnation : pas mme Apolinaire na soutenu
cette thse. Par consquent, les extraits tronqus que donne Grgoire suffisent parfois
rduire la pense de ladversaire de manire trs arbitraire, sans avoir mme cherch la
comprendre. On dcle ici un des ressorts de la technique rfutative de Grgoire.
En dehors du principe danalyse linaire, lauteur recourt aussi tous les moyens
de lexamen littraire et logique que la rhtorique ancienne avait dfini pour l
426
427
428
429
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430
430
431
Grgoire de Nysse. Rfutation de la profession de foi dEunome. II Commentaire, thse de doctorat de troisime cycle de lUniversit
de Paris, 1968, p. 180-191.
432
Nous avons repris la typologie dresse par B. Pottier laquelle nous avons ajout quelques rubriques parce quelles sont
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moins probante, car Grgoire aurait alors tourn en drision la notorit dApolinaire et multipli les points ironiques contre ses talents
littraires ou exgtiques. Or, il ne fait quune brve allusion au matre qui la form la culture classique, piphane le Sophiste
(Antirrh. 206, 28). Cf. chapitre 1, Enjeux politiques de la vie dApolinaire , p. 31-33.
454
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lApodeixis pour en utiliser certains passages dans une perspective doctrinale personnelle,
diffrente de celle dApolinaire.
#### ### #### ### ########### # ###### #### ##### ######, ## ###### ##### ###
######### #### ### ####### ### #### ########### ## ##### ########. Toute
la vise de son crivaillerie consiste tablir que la divinit du Fils monogne est
455
mortelle et que ce nest pas son humanit qui a t affecte par la passion .
Grgoire dclare demble que la christologie dApolinaire repose sur lide que Dieu est
mort dans la Passion, or ce nest pas lide gnrale qui ressort la lecture de lAntirrheticus
ni mme celle des fragments de lApodeixis que Grgoire a retenus. Si la teneur de
son trait reflte le contenu de lApodeixis, lenjeu principal de ce dernier nest pas de
prouver que la divinit est mortelle mais que le Logos incarn est concevoir comme un
. La formulation initiale de Grgoire est donc surtout teneur polmique :
en brandissant demble cette thse de son adversaire, il est sr de choquer le lecteur.
Ce faisant, il vise peut-tre aussi dplacer lenjeu du dbat. En outre, Grgoire revient
plusieurs reprises sur la question de la mort de la divinit du Christ, comme nous le
456
457
verrons : le passage le plus important se situe la fin de lAntirrheticus (frg. 95) et
sintgre logiquement au mouvement dmonstratif (le dbat porte alors sur la question de
la Passion-rsurrection). Cela signifie que le thme de la mort du Christ devait tre trait
initialement la fin de lApodeixis. Grgoire semble donc anticiper sur la dmonstration
de son adversaire, puisqu'il rfute lide selon laquelle la divinit du Christ meurt dans
458
la Passion en premier lieu, entre lanalyse du titre de lApodeixis
et le mouvement
459
argumentatif sur la christologie de lhomme inspir . Dailleurs, lorsque Grgoire rfute, au
dbut de son Antirrheticus, lide selon laquelle la divinit du Verbe elle-mme serait morte,
il ne cite aucun fragment de son adversaire, contrairement aux autres points doctrinaux
quil aborde avant et aprs la question de la mortalit de Dieu, comme cest le cas pour la
christologie de lhomme inspir. Cela montre bien quApolinaire ne le traitait pas avant sa
thologie de lhomme cleste. Tel est le premier exemple dentorse lordre dmonstratif
de lApodeixis que lon peut dceler.
2. Anticipations
Grgoire ramnage encore lordre dexposition des ides de son adversaire par des
effets danticipations. De cette faon, il analyse un extrait de lApodeixis avant le contexte
dmonstratif o celui-l se trouvait originellement, et parfois lexamine nouveau, lorsquil
en est venu au raisonnement dans lequel lextrait sinscrivait.
455
456
457
458
459
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Nous avons opt pour la seconde solution car parler dun Dieu complet parat trange. Mais le sens de cette notion pour Apolinaire
tient prcisment la compltude de la nature. Cf. la dfinition quen donne Grgoire :
: Nous disons parfait, en effet, ce qui est accompli selon le principe propre de
sa nature, imparfait le contraire (Antirrh. 216, 31-217, 1).
87
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La christologie dApolinaire repose sur le principe aristotlicien quune substance ne peut tre compose de plusieurs
substances compltes (Mtaphysique, Z, 13, 1039 a 3-4). Appliqu la christologie, ce principe implique que les lments divin et
humain ne sont pas des substances compltes, du moins pour ce qui est de lhumanit du Christ. Cf. infra, partie IV, chapitre 2,
Lunit du Christ .
465
466
467
468
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Nous avons vu que labsence de knose du Christ tait prsente comme deuxime consquence de la consubstantialit
de la chair Dieu. En proposant en dernier lieu seulement son analyse de lhymne paulinienne, Grgoire repousse-t-il pour la fin de
ce point dmonstratif la preuve biblique de Ph 2, 6-11 ? M. Harl, dans son article La polmique de Grgoire de Nysse contre lusage
de Zacharie 13, 7a par Apollinaire , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, op. cit., p. 90-91, a montr
comment, dans le cas de la thmatique du pasteur , la stratgie argumentative de Grgoire consistait dvelopper dabord sa
propre exgse de ce mot avant dexposer celle dApolinaire. On aurait faire au mme phnomne dans le cas de Ph 2, 6-11, mais
dans des proportions plus importantes, puisquelles concernent un passage scripturaire entier.
470
,
: Mais, comme sil rougissait de lui-mme et avait honte de laberration de ses
propos, il semble retourner dune certaine faon ce quil a prouv avant et vouloir prouver que la ressemblance du Fils avec les
hommes (cf. Ph 2, 7) existe aprs [la prexistence] . Une telle introduction au fragment 42 laisse entendre quApolinaire en vient
une nouvelle ide. Le verbe est utilis par les ariens pour montrer que le Verbe est advenu un jour et quil nexistait pas
de toute ternit (Ath., Contra arianos, I, 5, 3, Athanasius Werke, erster Band, erster Teil, d. K. Metzler, Berlin, 1998, p. 114, etc.).
Apolinaire rutilise ce terme d'une tout autre manire puisquil lapplique la chair, pour montrer que sous le rapport de lEsprit, le
Verbe incarn est ternel, mais sous le rapport de la chair, il est advenu un jour dans le temps.
471
, , : Et, ditil, lhomme Christ prexiste non pas en tant que lEsprit, cest--dire Dieu, est un autre que lui-mme, mais en tant que le Seigneur
dans la nature du Dieu homme est Esprit divin (cf. 1 Co 3, 17 .
472
On entrevoit dailleurs dans le frg. 32 la doctrine de lunique nature, quApolinaire expose mthodiquement
89
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473
,
: Comme preuve que le Christ est toujours dans la chair et dans le sang, il a ajout la parole de lAptre qui dit que par lui
nous avons reu la dlivrance par son sang, lacquittement des pchs par sa chair (Ep 1, 7) .
475
Cf. frg. 38, que Grgoire dit citer textuellement, Antirrh. 155, 18-25 : ,
, , , ,
, , ,
: Il est vident dans ces propos (cf. He 1, 1) que lhomme en personne qui nous a parl du Pre tait
Dieu, crateur des sicles, resplendissement de la gloire, empreinte de son hypostase, puisquil est Dieu par son propre esprit et ne
possde pas Dieu en lui comme un autre que lui, mais lui-mme par lui-mme, cest--dire par sa chair, purifie le monde des pchs .
476
: Le discours du prophte (cf. Za 13, 7) montre, dit-il, quil est consubstantiel Dieu
non pas par sa chair, mais par son esprit uni la chair .
477
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478
Cf. E. Mhlenberg, Apollinaris, op. cit., p. 71-72. R. Winling envisage la troisime partie du trait aprs le commentaire de Ph
91
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nature charnel, et alors on considre que le Pre et le Fils ne sont pas de mme
nature, refusant par l la doctrine de Nice (Antirrh. 157, 10-158, 9).
La structure densemble du mouvement argumentatif montre que le thme de la knose
dcrit en Ph 2, 6-11 est dj voqu deux reprises par Grgoire (Antirrh. 148, 26-149, 2 ;
Antirrh. 151, 5-7), avant quil nen vienne au commentaire linaire du passage scripturaire
en question. Cest, en effet, la consquence qui est expose en deuxime position, bien
avant le commentaire suivi que propose Grgoire (Antirrh. 158, 31-162, 5).
Mme sil entreprend sa longue analyse de Ph 2, 6-11 en donnant limpression de
passer un nouveau point de lApodeixis, il semble rfuter sous la forme dune synthse
personnelle de la dynamique de lincarnation la thorie de la consubstantialit de la chair
qui dcoule du fragment 32. Les deux allusions Ph 2, 6-11 antrieures lexgse de
ces mmes versets montrent que ce passage biblique tait utilis par Apolinaire en rapport
avec ce qui prcde et le contenu du fragment 32. Cest la raison qui nous amne intgrer
lexgse linaire de Ph 2, 6-11 par Grgoire dans le deuxime mouvement dmonstratif
de lAntirrheticus, en dpit du changement de tonalit.
Quant la suite des fragments examins par Grgoire (frg. 43-47), E. Mhlenberg
et R. Winling les rattachent une nouvelle partie argumentative en raison dune inflexion
480
thmatique diffrente . Mais dans la mesure o ils sont des extraits de lanalyse par
Apolinaire du mme passage de Ph 2, 6-11 qui sert prouver partir de la knose que le
Christ et le Logos prexistant sont une personne identique, nous les rattacherons plutt,
pour notre part, la deuxime partie de lAntirrheticus, car il ny a pas de changement
481
thmatique tranch. Mais cette interprtation nest pas la seule possible . La ntre permet
de ne pas dissocier lexamen de Ph 2, 6-11 par Grgoire et par Apolinaire.
En somme, le dcalage dans lAntirrheticus entre lutilisation de Ph 2, 6-11 par Grgoire
dabord, et celle d'Apolinaire ensuite, met en vidence des ramnagements structurels
dans ce trait par rapport lApodeixis. Il y a selon nous une distorsion entre l'interprtation
de Ph 2, 6-11 par Grgoire et celle d'Apolinaire telle quelle devait se trouver dans le
contexte originel de lApodeixis, en ce sens que la fonction argumentative que Grgoire
donne son analyse exgtique de lHymne aux Philippiens nest pas la mme que celle
dApolinaire.Grgoire propose sa propre explication du passage paulinien pour rfuter la
thse dApolinaire sur la consubstantialit de la chair, puis rfute linterprtation quen donne
ce dernier : non plus dans la mme perspective que lui, mais en lien avec la thse selon
laquelle lunion dun homme parfait et dun Dieu parfait implique une dualit de personne.
En conclusion de cette question structurelle, le commentaire suivi de lHymne aux
Philippiens par Grgoire pose des questions de comprhension qui mettent en cause la
technique mme du discours de controverse : un point peut tre rfut non pas selon
la perspective originelle dans laquelle il est dvelopp, mais selon un autre angle qui
ncessite des amnagements avec le contexte argumentatif. La rfutation se joue donc
deux niveaux, dune part, au niveau de lordre dexposition des ides dans luvre rfute,
dautre part, au niveau de la logique et de lordre propres luvre qui rfute. Grgoire ne
donne pas le mme statut quApolinaire aux lments dmonstratifs quil reprend de lui.
480
E. Mhlenberg, op. cit., p. 77, considre lexgse de Grgoire comme un excursus, puis ajoute quil attaque ensuite
Apolinaire en laccusant non plus de croire la prexistence du corps de Jsus (cf. frg. 32-41) mais de revendiquer que la similitude
du Christ prexistant avec les hommes est une proprit quil acquiert en sincarnant.
481
Selon nous, la troisime partie de lAntirrheticus commence partir du frg. 49, en Antirrh. 168, 26 seulement, en raison
prcisment du lien entre le commentaire exgtique de Ph 2, 6-11 par Grgoire et celui dApolinaire.
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4. Distorsions macro-structurelles
Parmi les carts relevs entre lorganisation de lApodeixis et celle de lAntirrheticus se
trouve le problme de lexploitation de la srie des syllogismes dApolinaire. En effet,
ce dernier devait justifier sa doctrine du , aprs lavoir expose, par
une srie de syllogismes portant sur les fondements sotriologiques de sa christologie,
dmontrant lunit substantielle du Christ avec le Logos et prouvant la ncessit dune
conception anthropologique trichotomite o Dieu se substitue lintellect humain dans le
482
Christ . Il semble que lauteur ait rserv dans son Apodeixis une partie pour confirmer
sa doctrine sous la forme serre du syllogisme. Grgoire, quant lui, ne traite pas
pour lui-mme cet ensemble de syllogismes, mais il rfute les points doctrinaux qui le
heurtent indpendamment de la cohrence logique dans laquelle Apolinaire devait les
exposer. Il prend les premiers syllogismes pour les rfuter un un, sans en reproduire
toujours la logique pour le lecteur, puis se concentre sur le contenu thmatique de chacun
des raisonnements de son adversaire en laissant de ct la structure dmonstrative
syllogistique. En outre, pour lexamen des huit premiers syllogismes, le lecteur remarque
encore une cohrence densemble : on y voit la justification de la thologie du
. Nous avons intitul ce quatrime mouvement Rfutation de la christologie du
. En revanche, pour le dernier syllogisme, Grgoire expose une rfutation
dans une perspective thmatique tout fait diffrente. En effet, daprs lorganisation
de lAntirrheticus,nous avons pu isoler clairement un neuvime syllogisme qui nest pas
trait avec les huit syllogismes antrieurs, mais analys par Grgoire dans un mouvement
densemble plus large sur lanthropologie trichotomite dApolinaire et ses consquences
483
christologiques . Nous lavons intgr au cinquime mouvement de lAntirrheticus intitul
Examen de la trichotomite anthropologique applique au Christ .
La lecture attentive de ce passage prouve quil rorganise la matire de lApodeixis
avec libert : lenjeu nest pas de restituer et dattaquer la logique dmonstrative de son
adversaire, mais de rfuter les rsultats doctrinaux auxquels il aboutit. Grgoire conoit le
discours de rfutation avant tout comme un dbat dides et non pas de raisonnements.
B. Les rptitions
Dans lAntirrheticus, les redites sont abondantes, et elles remettent en cause la facture
mme du trait. Toute la question est de savoir si elles taient intentionnelles, si elles
font partie de la stratgie de persuasion du lecteur, marquant ainsi sa mmoire avec les
arguments les plus importants contre Apolinaire, ou si, au contraire, elles attestent une
certaine lourdeur stylistique et dnotent en somme une faiblesse de lcriture ou de la
pense. Il se peut encore qu'elles refltent le manque de soin d'un crit rdig la hte.
Mais dans la mesure o elles sont nombreuses, on peut chercher voir si elles revtent
des fonctions argumentatives. Faut-il attribuer ces rptitions des traits stylistiques de
lauteur ou bien les considrer comme constitutives de sa rflexion ? Contribuent-elles
paradoxalement faire avancer la pense de lauteur ?
Les redites que l'on trouve sont de plusieurs natures, dans lAntirrheticus, selon que ce
sontdes arguments, des dmonstrations, des versets bibliques qui sont rpts.
482
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1. Rptition dide
484
485
486
487
488
489
Sur le plan doctrinal, la rptition la plus importante porte sur la dfinition de lhomme.
Par tous les moyens dmonstratifs, Grgoire revient sans cesse sur lide quon ne
peut concevoir la nature humaine sans sa facult intellective (
484
) ; lintellect (/ ) est le signe distinctif de lhomme
485
( ) . Cette ide revient comme un leitmotiv, mme dans
des dmonstrations o on ne lattendrait pas. Elle est dmontre par une argumentation
486
logique partir de la distinction entre les animaux et lhomme ou partir de la libert
487
humaine sautodterminer , elle est expose sous la forme dune dfinition concise de
488
489
lhomme dans un raisonnement par dduction , ou au contraire comme prliminaire
490
491
la rflexion , ou nonce en passant, comme une prcision , enfin elle est prouve
492
493
par une argumentation fonde sur des versets tels Rm 8, 7 ; Rm 7, 23
; Dn 3, 86 ,
ou dmontre simplement par la mention de versets qui donnent la preuve que lcriture
494
parle du ou du . Cette conception de la nature humaine engage plusieurs
reprises une rflexion sur le rapport entre le nom et la chose, lappellation et les proprits
495
quelle comprend . Ce thme, qui nest pas en lui-mme lobjet principal du dbat qui
porte sur lhumanit du Christ est pourtant largument majeur aux yeux de Grgoire, qui
suffit prouver lerreur dApolinaire. Linsistance avec laquelle il revient sur le fait quon
ne peut parler de lhomme sans concevoir en mme temps son / est lindice
que le point de divergence doctrinale entre Apolinaire et Grgoire porte prcisment sur
lexistence de lintelligence humaine dans le Christ : celui-ci soutient une humanit intgrale
en montrant quon ne peut penser lhomme sans sa raison, celui-l soutient une humanit
rduite en montrant comment Dieu assume lui-mme le principe hgmonique en lhomme.
Chacun des auteurs fonde son argumentation sur des principes philosophiques diffrents.
Face ce motif argumentatif qui vient simmiscer dans les raisonnements successifs, quel
que soit le point de dbat en cours, on peut se demander si lauteur cherche persuaser
Antirrh. 219, 26-27.
Antirrh. 219, 27-28.
Antirrh. 140, 22-142, 18.
Antirrh. 198-199.
Antirrh. 133, 23-30.
Antirrh. 163, 23-28 : on dfinit lhomme non pas par ses cheveux, sa chair, ses sensations, sa capacit se nourrir mais par
, , : La
vrit du nom [dhomme] est prouve par le fait quest raisonnable ltre vivant dnomm ainsi. La raison [discursive] est le fait, bien
videmment, de lintelligence. Si bien que sil est homme, il est ncessairement aussi dot dintelligence, mais sil nest pas dot
dintelligence, il nest pas homme non plus . Ladjectif revt ici le sens de la raison comme facult de pense mais aussi
de parole.
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2. Redites argumentatives
Plus gnantes premire vue sont les rptitions au niveau de largumentation, cest--dire
lorsquun mme schma dmonstratif est repris plusieurs fois. Largumentation contre lide
selon laquelle la divinit du Christ meurt dans la Passion en est l'un des exemples les plus
reprsentatifs. Grgoire revient six reprises sur ce point doctrinal : daprs lui, Apolinaire
496
soutiendrait que la divinit mme est mortelle . Et les diffrents arguments quil avance
pour prouver lternit de Dieu se retrouvent plusieurs fois :
er
1 emploi (Antirrh. 136, 26-138, 9) : Grgoire prouve que la divinit du Fils ne
peut pas mourir en raison de lunit de substance entre le Pre et le Fils. Argument
dfendu partir de 1 Co 1, 24 : le Christ est appel par Paul Puissance du Pre .
me
2
emploi (Antirrh. 168, 5-20) : mme raisonnement dfendu partir dune base
scripturaire diffrente : Mt 27, 46.
me
me
3
emploi (Antirrh. 178, 17-179, 7) et4
emploi (Antirrh. 218, 14-31) :
argumentation partir de lanalogie avec la mort humaine : si lme ne meurt pas, a
fortiori la divinit ne meurt pas non plus.
me
me
5
emploi (Antirrh. 153-154) et 6
emploi (Antirrh. 224, 25-226, 6) : explication
au niveau physique du mcanisme de la mort et de la rsurrection du Christ.
Par consquent, chaque argument utilis pour justifier que la divinit ne meurt pas dans la
Passion est rpt au moins une fois. Face une telle constatation, on peut sinterroger
sur la logique qui prside cette mthode argumentative. Or, si on resitue chaque
argumentation dans lhorizon dmonstratif o elle se trouve, on observe la chose suivante :
496
er
1 emploi (Antirrh. 136, 26-138, 9) : cit par Grgoire comme le point doctrinal le
plus grave soutenu par Apolinaire.
Cf. infra, partie IV, chapitre 3, La divinit du Christ dans la mort et la rsurrection .
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me
2
emploi (Antirrh. 168, 5-20) : argument utilis pour montrer labsurdit qui rsulte
de la conception dune seule nature dans le Christ : ce serait mettre au compte de sa
divinit tout ce qui se rapporte son humanit.
me
3
emploi (Antirrh. 178, 17-179, 7) : lpisode de la Passion est repris par Grgoire
pour justifier le fait que ce nest pas parce que la Passion et la mort sont mettre sur
le compte de lhumanit du Christ quelles impliquent que celui-ci tait un homme
inspir par Dieu, et non pas Dieu lui-mme.
me
4
emploi (Antirrh. 218, 14-31) : lenjeu du dbat est sotriologique : il sagit de
prciser comment Dieu doit tre atteint par la Passion pour que luvre rdemptrice
de lincarnation puisse seffectuer.
me
me
5
emploi (Antirrh. 153-154) et 6
emploi (Antirrh. 224, 25-226, 6) : il sagit
dexpliquer la mort au niveau de la humaine, et de montrer ce qui, partir de
ltat de mort, produit la rsurrection, savoir la puissance de vie de la divinit dans
chaque lment du compos humain.
Du point de vue de la technique de la rfutation telle que Grgoire la pratique, on constate
que les mmes arguments ont beau tre utiliss au moins deux fois chacun pour prouver une
seule ide (que la divinit est immortelle mme dans la Passion), lenjeu argumentatif auquel
ils sont lis nest nanmoins jamais le mme. Par consquent, on conclut quil y a bien
reprises darguments, sans pourtant qu'il y ait un effet de redites puisque lenvironnement
dmonstratif est toujours diffrent. La rflexion se dploie donc selon un mouvement o
sont repris les mmes outils argumentatifs, adapts chaque fois au contexte dmonstratif
auquel Grgoire les intgre.
3. Rptitions scripturaires
La question de la mort du Christ comme Dieu nest pas la seule qui pourrait attester
cette mthode rfutative. une chelle plus petite, on pourrait citer lexgse de Za 13,
497
7a( pe, veille-toi contre mon berger et contre lhomme, mon parent () ) ,
verset qui revient quatre fois, selon des perspectives diffrentes dans les trois dernires
rfutations, au sein du mouvement argumentatif par lequel Grgoire analyse la question de
lunit substantielle de la chair avec le Logos.
Lors de la deuxime mention de Za 13, 7, cest le terme qui suscite
une difficult thologique et justifie le rejet du verset par Grgoire. En effet, il rcuse
498
lidentification du berger de Zacharie au Christ , prnant ainsi une lecture obvie et
historique, alors quApolinaire applique ce verset au nom du Pre propos du Fils , selon
499
lusage notestamentaire qui en faisait un testimonium de la Passion .
497
Lors de la troisime mention, Grgoire sen prend linterprtation dApolinaire, qui voit
dans le la preuve que le Fils est consubstantiel au Pre (, )
Avec le choix de , Apolinaire utilise la version dAquila et non pas celle de la LXX, qui donne . Cf. Septuaginta,
Antirrh. 155, 4-5 : Quant nous, nous pensons, quil sagit dune menace contre ceux qui usent dinjustice lgard de
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:
Lunion se fait avec quelque chose et lassomption est bel et bien [assomption] de quelque chose : chacun des deux termes
signifie une relation avec quelque chose dautre et celui qui assume est uni ce qui est assum et ce qui est uni est uni par
assomption (Antirrh. 184, 27-30).
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505
5. Effets dinclusion
505
506
507
actif et hgmonique par nature. Grgoire cherche prouver que la divinit et lhumanit ne sont pas des composantes dune mme
nature, mais deux natures diffrentes, parce quelles ont des proprits distinctes.
508
, :
[lhomme est sauv] par lassomption de la chair dont il est naturel dtre dirige. Elle avait besoin dun intellect incorruptible qui ne
puisse pas tomber sous son emprise par manque de connaissance, mais qui sharmonist elle sans violence . Nous reviendrons
sur lanalyse de ce fragment 76 dans la partie IV, chapitre 1, Termes et enjeux anthropologiques , p. 585. Apolinaire conoit la chair
comme complment du Logos, partir du caractre passif de celle-l qui a naturellement besoin dun guide.
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le premier point rfutporte sur la mort du Christ comme Dieu (Antirrh. 136,
13-138, 9). Or le dernier mouvement du trait reprend longuement la question du
comportement de la divinit dans la Passion et la rsurrection du Christ (Antirrh. 217,
9-233, 18).
C. Les silences
Sur quels principes Grgoire a-t-il fait la slection des extraits dApolinaire ? Ceux sur
lesquels il voyait une divergence doctrinale, ceux sur lesquels il avait des arguments
pour rpondre ? Ceux qui lintressaient aux dpens de passages quil jugeait moins
intressants ? Lenjeu est-il de rendre compte de lApodeixis dApolinaire comme un tout
cohrent, ou est-il de nen relever que les erreurs ? Dans les premires pages de sa
rfutation, notre auteur dit en passant quil tient prsenter une rfutation quilibre de
509
chaque parie du trait de son adversaire , mais le lecteur na pas le moyen de le vrifier.
Un des facteurs qui rend difficile la reconstitution de lApodeixis est le fait que Grgoire
gomme dans son Antirrheticus tous les lments structurels du trait dApolinaire qui
pourraient rendre compte dune organisation logique de la pense, de ses articulations ou
de sa progression. Mais cest aussi un des ressorts de lcriture polmique : en gommant
tous les contours dune pense construite, Grgoire la rend confuse et nerve. Cest un
moyen de donner au lecteur une mauvaise impression de la thologie dApolinaire. De ce
point de vue, la rfutation est donc conue par lauteur comme une rplique qui porte sur
les conclusions doctrinales de ladversaire, et non pas comme un compte-rendu qui, tout en
rfutant, rendrait compte de la pense et de largumentation de lauteur.
509
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### ##########, #####, ######### ####### ### ## ###### ##### ### #####
### ########, ######## ### ####, ### ## ### ###### ## ## ### ############
##### ##### ######## #####. Et il prexiste, dit-il, lhomme Christ, non pas
en tant que lEsprit, cest--dire Dieu, est autre que lui-mme, mais en tant que le
510
Seigneur dans la nature du Dieu homme est esprit divin .
Grgoire travaille leffet produit sur le lecteur en mettant en valeur lexpression : ,
, , qui, expose ainsi, parat tre une erreur doctrinale vidente.
Contrairement la faon dont il procde le plus gnralement, cest seulement aprs avoir
cit le fragment quil dclare : ( tels
511
sont les propos de lcrivailleur, cits la lettre ) . Par ce procd, le lecteur ne dispose
pas du contexte qui permettrait de comprendre comment Apolinaire en est venu une telle
formulation. Lellipse de Grgoire est stratgique.
valuer les omissions de Grgoire reste cependant assez dlicat, car lauteur se justifie
toujours de ne pas traiter les passages de son adversaire en dclarant quils sont mauvais
512
ou insenss . Le jugement port par R. P. Vaggione sur le Contre Eunome pourrait tre
formul aussi sur lAntirrheticus : les problmes majeurs () ne proviennent pas tant de ce
513
que Grgoire nous donne, mais de ce quil ne nous donne pas de luvre rfute . Cest
toujours sur le registre polmique que les silences sont expliqus : Grgoire laisse de ct
514
les passages qui lui apparaissent les plus inconvenants , il crit parfois que le lecteur voit
515
immdiatement quApolinaire ne dit rien de sens . Souvent, il donne comme motif que
516
la pense de son adversaire nest pas claire ni comprhensible ; exceptionnellement, il
justifie le fait quil saute un passage argumentatif de son adversaire parce que linterprtation
510
Frg. 32, Antirrh. 147, 12-15. Fragment que Grgoire dit citer textuellement. Pour le sens de cette citation dApolinaire,
Les mmes observations peuvent tre faites partir du Contre Eunome. Cf. R. P. Vaggione, The Extant Works, op. cit.,
p. 93-94.
513
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517
En conclusion, on ne peut pas valuer les omissions des points de doctrine que
Grgoire a rejets doffice sans mme en informer le lecteur. En revanche, il faut reconnatre
que lauteur ne rend compte dans lAntirrheticus daucune des articulations et des lments
structurels de lApodeixis. Plusieurs interprtations sont possibles et non exclusives lune
de lautre. On peut comprendre ces silences comme une stratgie polmique, qui vise
dconsidrer la pense de ladversaire en la rendant dcousue, dstructure. Mais on peut
y voir aussi leffet dune pratique de la rfutation linaire selon laquelle Grgoire rdigerait
ses crits de controverse partir de notes quil aurait prises au pralable sur louvrage
rfuter. Il se serait fait lire ( haute voix) ou aurait lu louvrage dApolinaire en prenant en note
les points mritant dtre rfuts, sur lesquels il se sentait directement attaqu ou voulait
montrer lerreur de la christologie apolinariste. Il rdigerait ensuite sa rfutation partir des
519
points doctrinaux litigieux. Cest lhypothse dE. Mhlenberg, qui nous parat pertinente ,
puisque justement, un des indices qui prouverait avec le plus dvidence cette technique
selon laquelle Grgoire rfute luvre de son adversaire partir de notes est le fait que
toutes les articulations et les lments de structure de lApodeixis napparaissent plus dans
lAntirrheticus. Les silences sur la composition de lApodeixis sexpliquent peut-tre pour les
deux raisons la fois.
rfutation, Grgoire ne manque pas de souligner laccointance de la pense dApolinaire avec la sienne lorsquil examine les extraits
de lApodeixis. Cf. 139, 23 ; 140, 13-17 ; 143, 25, etc.
518
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Prliminaires
Reformulation dune des intentions dApolinaire donne dans lexorde (frg. 13) :
ncessit de la rflexion sur le contenu de la foi (Antirrh. 135, 8-17)
520
Rfutation de lunion de la chair avec le divin (frg. 32), interprte par Grgoire
comme lantriorit de la chair du Christ son incarnation.
1. Consquences absurdes de la prexistence de la chair :
Marie est coternelle au Pre (raisonnement par labsurde) : Antirrh. 148, 14-25.
La knose na pas eu lieu : Antirrh. 148, 26-149, 2 ; 151, 5-7.
Les proprits de la chair sappliquent au Logos prexistant : Antirrh. 149, 4-10.
Impossibilit de penser la capacit de croissance et de progrs chez Jsus : Antirrh.
149, 10-150, 9.
La nature de Dieu est charnelle, destine se dissoudre, puisque la chair est
compose (, ) Antirrh. 150, 10-151, 4.
2. Examen des preuves scripturaires dApolinaire :
520
Dans cette partie de lAntirrheticus, la notion de consubstantialit de la chair ne figure pas dans les fragments
dApolinaire. A-t-il employ ce terme pour parler de la chair et du Logos ? Dans son De unione , 8, Apolinaire dit que le
Christ est consubstantiel Dieu selon lesprit ( ) et consubstantiel lhomme selon sa chair
( ) (Lietz. p. 188). Plus loin encore, Grgoire reproche Apolinaire de considrer la chair
comme tant consubstantielle Dieu (cf. Antirrh. 200, 16-17).
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III. Rponse aux objections que le Christ, sil est homme parfait , nest pas
Dieu mais homme inspir (Antirrh. 168, 26-184, 30)
Aprs avoir formul lunion du divin avec la chair, Apolinaire attaquait la christologie
de ceux qui rapportent les tapes de lincarnation non pas Dieu, mais son humanit.
1. 2 Rg 2, 11 : Elie nest pas le modle de lhomme inspir, mais la prfiguration du Dieu
fait chair (Antirrh. 169, 21-170, 14)
2. Dieu nest pas de nature charnelle mais sest incarn en sunissant la nature
humaine par amour de lhumanit, sans tre altr dans sa divinit (Antirrh. 170,
16-171, 24)
3. Apolinaire au contraire conoit que le corps du Christ appartient au Logos prexistant
(Antirrh. 171, 24-172, 15)
4. Rponses laccusation selon laquelle celui qui a subi la Passion ntait pas Dieu
mais un homme inspir, habit par Dieu (frg. 54) (Antirrh. 172, 16-182, 5) :
a. Distinction partir de Ph 2, 6-7 et Col 2, 9 entre ce quon voit du Christ (son humanit)
et ce quon conoit de lui (sa divinit), la divinit habitant en plnitude lhumanit du Christ
(Antirrh. 172, 16-174, 7)
b. Rfutation de lutilisation par Apolinaire du en Za 13, 7 pour qualifier
laffinit du Fils par rapport au Pre (Antirrh. 174, 7-29)
c Distinction entre la puissance dun prophte et celle du Christ, qui est la Puissance
mme (Antirrh. 174, 30-175, 30)
d. Examen des preuves scripturaires dApolinaire propos du comportement de la
divinit du Christ dans la Passion :
1. Rponse laccusation des deux personnes ( ) dans le Christ (frg. 67) par
une contre-attaque de la conception apolinarienne de la constitution humaine du Christ :
a. Rfutation dune anthropologie trichotomite partir de 2 Co 4, 16
b. Rfutation de la constitution humaine du Christ selon Apolinaire o le humain
est remplac par Dieu () dans le compos humain quil assume (Antirrh. 185, 29-186,
21).
c. Rfutation de lide que le Christ tient sa ressemblance avec le reste de lhumanit
de son union humano-divine sur le modle Esprit-chair (Antirrh. 186, 21-187, 13)
2. Examen des syllogismes dApolinaire qui visent prouver que lincarnation
du Logos ne peut tre conue que sous la forme du ( Antirrh.
187, 14-208, 27)
deux natures (), lune, active, lautre, passive. Deux lments dont les proprits
sopposent ne peuvent constituer une seule nature.
Rfutation de la consquence logique (Antirrh. 196, 5-197, 2) : contre Apolinaire qui
soutient que la chair est divine, Grgoire dmontre que la chair du Christ nest pas divine, ni
cleste, ni coternelle au Logos ; sinon, elle serait immuable, elle naurait pas besoin dtre
dirige par un guide immuable. Ce nest pas la chair cleste qui est atteinte par le pch,
cest la nature humaine terrestre.
Rfutation de lide que la chair est dirige sans violence () par Dieu, comme
infaillible (Antirrh. 197, 3-199, 11) : si la chair du Christ est prive de sa facult de libre
choix, elle nest pas libre, mais sous la contrainte.
Syllogisme 8 (frg. 87 ; Antirrh. 206, 29-208, 27) : Si Dieu stait uni un homme
parfait, son humanit aurait t prive de sa facult dautodtermination (qui
est propre aux hommes et aux anges) Rfutation de Grgoire : a. Argument
scripturaire : puisque Jsus dit lui-mme quil sest fait homme (Jn 8, 40), lincarnation
aurait rendu esclaves les hommes et les anges. b. Par labsurde : Si la libert dfinit
ltre vivant, tous les esclaves sont des morts. Conclusion : renversement de la
perspective dApolinaire. Pour prserver la libert dautodtermination humaine du
Christ, il ne faut pas le priver de sa facult raisonnable : le Christ avait besoin, pour
tre libre, de possder un humain.
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Dn 3, 86 : les esprits et les mes des justes dsignent les anges et les hommes
(Antirrh. 211, 19-212, 10).
3. Lexaltation : dbat autour du titre de Christ ( partir dAc 2, 36 ; frg. 96). Rponse
lattaque dApolinaire selon laquelle certains thologiens prtendent que le Christ nexiste
pas depuis le commencement, de faon tre le Logos prexistant (Antirrh. 219, 14-223, 10)
Dfense de Grgoire en 4 temps :
er
1
temps : raisonnement logique : partir du rapport entre le nom dun tre et ses
proprits : le Christ est ternel car il est appel Puissance, Sagesse de Dieu (1
Co 1, 24), or si on rejette lexistence du Christ depuis le commencement, on nie en
mme temps ses proprits (Puissance, Sagesse de Dieu), coternelles Dieu
(Antirrh. 219, 16-220, 9).
me
2
temps : exgse trinitaire du Ps 44, 7-8 qui montre que le Christ est lOint de
529
Dieu de toute ternit (Antirrh. 220, 9-221, 5) .
me
3
temps : le Logos prexistant, Oint de Dieu, est le mme que le Christ exalt
sur la croix, mais cest son humanit qui a t divinise sur la croix (Antirrh. 221,
6-222, 9).
me
4
temps : porte sotriologique de lexaltation du Christ. Ce quil tait avant
lincarnation, il le confre toute la nature humaine (Antirrh. 222, 9-223, 10).
3. Rponse lattaque dApolinaire qui condamne les christologies o la souffrance
dans la Passion est mise au compte de lhumanit et non pas de la divinit du Christ
(Antirrh. 223, 11-224, 24) : la divinit est prsente dans chaque lment du compos humain
qui souffre en raison de son union celui-ci. De mme que Dieu navait pas besoin dtre
engendr puisquil est ternel, il na besoin ni de mourir ni de ressusciter : cest la preuve
que cest lhumanit laquelle il sest uni qui meurt et ressuscite.
4. Explication de laction de la divinit au niveau de la hu ma ine dans la
mort et de la rsurrection : preuve que le Logos incarn est Christ de toute ternit tout
en tant devenu Christ (Antirrh. 224, 25-226, 6).
Image rcapitulative de la vertu sotriologique de la rsurrection du Christ pour toute
lhumanit : le roseau fendu en deux morceaux que lon rassemble ensuite (Antirrh. 226,
6-227, 9).
5. Digression : La christologie du dApolinaire ne rsout pas la
question de limmutabilit de Dieu dans lincarnation (frg. 97 ; Antirrh. 227, 10-228, 17)
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III. Conclusion
Le relev des commentaires de Grgoire sur la faon de procder pour examiner louvrage
de son adversaire, la mthode quil emploie, et les constats que lon peut faire sur la
composition densemble mettent le lecteur qui veut dterminer avec prcision les enjeux
doctrinaux et leur enchanement logique, devant une relative complexit structurelle,. Celleci semble sexpliquer en partie par le fait que Grgoire conoit l doctrinale
comme une rfutation linaire qui attaque ladversaire non pas sur lorganisation logique
de sa pense mais sur les rsultats thologiques trouvs errons au gr de sa lecture de
lApodeixis. Cest en partie ce qui explique que la rfutation linaire soit si peu structure.
Il est possible aussi que Grgoire nait pas toujours compris ou cherch comprendre
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les enjeux rels de la dmonstration de son adversaire, mais quil interprte les notions
christologiques de celui-ci travers le prisme de sa propre christologie.
En nous attardant sur le phnomne des rptitions, si frquent, nous avons voulu voir
sil fallait en conclure, comme la plupart des critiques, que la rfutation de Grgoire tait
mal mene, parce que mal organise, et par surcrot acheve avec brusquerie : Grgoire
semblerait avoir oubli le dbut de son trait quand il dveloppe la mme argumentation
quelques paragraphes plus loin. Mais un lment rpt revient toujours dans un contexte
argumentatif neuf qui, par consquent, lui donne une coloration diffrente : lorsquil sagit
dun dbat autour dune notion, cest la perspective dmonstrative qui change ; lorsquil
sagit dun argument, il est articul dautres arguments chaque fois diffrents, et formul
partir de prliminaires nouveaux (qui sont fournis par le cours dmonstratif de lApodeixis) ;
lorsquil sagit dune reprise dargumentation le cas le plus gnant elle se situe, un
niveau plus large, dans un environnement dmonstratif qui nest jamais le mme. Tous
les exemples analyss montrent donc que les rptitions font partie de la mthode de
rfutation chez un auteur, qui progresse dans lanalyse de la pense de son adversaire
par touches successives, la faon du motif gomtrique de la spirale. Le principe de
rptition caractrise donc le genre de la rfutation linaire au niveau structurel, telle
quelle pratique par Grgoire dans lAntirrheticus.
fragments doctrinaux dApolinaire qui ont t transmis par la tradition indirecte, cest--dire
par les florilges. Dans quelle mesure ltat dans lequel ils sont cits est-il conforme au texte
dorigine, ou ny a-t-il pas adaptation de la part de celui qui les cite ?
Toutes les ditions critiques des uvres dApolinaire et notamment de lAntirrheticus
se sont heurtes cette difficult.
En effet, H. Lietzmann, en 1904, a dit comme tant des fragments tirs de lApodeixis
toutes les phrases dApolinaire que Grgoire introduisait dans son Antirrheticus par ou
un mot de cette nature, et tout ce qui faisait allusion dans le trait de Grgoire la pense
dApolinaire, quil sagisse des citations de ce dernier ou des jugements du Cappadocien
530
ports sur son adversaire . Il attribuait ainsi cent cinq fragments Apolinaire, quils soient
authentiques ou non. Toutefois, il distinguait dans son dition, par une diffrence de taille
de caractres, ce qui relevait du rsum et ce qui lui apparaissait tre une citation textuelle.
Il avait choisi dditer ensemble tout ce qui se rapportait dune manire large ou prcise
la doctrine dApolinaire, en raison de la relle difficult faire la part de ce qui relve de la
531
citation et de ce qui est reformulation par Grgoire .
Fr. Mller, quant lui, a tabli le texte de l'Antirrheticus,dans la collection des Gregorii
Nysseni Opera, en 1958 en se fondant sur ldition dH. Lietzmann. Il a fait le choix de
faire ressortir dun point de vue typographie, en caractres espacs, la plupart fragments
quH. Lietzmann avait reprs, quils aient t des citations ou des rsums rdigs par
532
Grgoire . Par consquent, en 1958, cest toujours ldition dH. Lietzmann qui reste
ltude de rfrence pour les fragments dApolinaire. Ldition de Fr. Mller pose cependant
quelques problmes dinterprtation en raison de ses choix typographiques qui ne sont pas
toujours cohrents : en effet, hormis le fait quil ne distingue pas dans ldition du texte les
citations exactes et les rsums par Grgoire, il indique comme faisant partie des fragments
dApolinaire les conjonctions de coordination et , qui sont souvent utilises par
533
Grgoire pour introduire une citation : dans quelle mesure font-elles partie du fragment ? .
En outre, lorsquil dite un fragment qui correspond une accusation dApolinaire, lance
ses adversaires, que Grgoire reprend son compte en utilisant le pronom de la premire
personne du pluriel, il laisse le pronom personnel en caractre espac comme sil faisait
534
partie de la citation alors quil est une modification opre par Grgoire . Ces remarques
appellent une question : quditer comme extrait de lApodeixis face une matire si peu
abondante, de nature si varie ? La mise en valeur des extraits dApolinaire dans ldition
530
H. Lietzmann, Apollinaris, op. cit., p. 208-232. Il labore son examen des fragments, en discutant la premire dition tablie
par J. Drseke, Apollinarios von Laodicea. Sein Leben und seine Schriften, TU VII, 3-4, Leipzig, 1882.
531
H. Lietzmann, Apollinaris, op. cit., p. 139. Il se refuse proposer galement un plan de lApodeixis, parce que, selon lui,
les citations de Grgoire ne permettent pas de comprendre la logique dorganisation de la pense dApolinaire.
532
Une preuve assez significative se trouve au dbut de lAntirrheticus, o Grgoire introduit explicitement un rsum de la
doctrine dApolinaire, que Fr. Mller dite comme un fragment, en largissant lespacement des caractres, en Antirrh. 135, 9-12.
Lditeur na pas retenu tous les fragments inventoris par H. Lietzmann. En effet, ceux qui de toute vidence ntaient ni des citations
ni des rsums par Grgoire ont t rejets demble.
533
Cf. qui introduit les frg. 80 et 81 (Antirrh. 199, 14-15 ; 18-20) ; introduit par exemple le frg. 79 (Antirrh. 198,
19-20), le frg. 67 (Antirrh. 1-6), le frg. 22 (Antirrh. 140, 17-19), le frg. 19 (Antirrh. 140, 3-5) etc.
534
( Nous prtendons, dit-il, que le Christ nest pas depuis le commencement de faon ce quil soit Dieu Logos ). Que la phrase
soit textuelle ou non, le trahit une premire modification opre par Grgoire. Apolinaire utilisait , si le grief
est rapport la lettre.
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du texte de lAntirrheticus par Fr. Mller est relativement approximative. Mais comment faire
autrement ?
En 1969, dix ans aprs ldition du texte dans les Gregorii Nysseni Opera,
E. Mhlenberg a rexamin les choix de Fr. Mller et dH. Lietzmann dans sa monographie
sur lapolinarisme. En effet, dans son tude, il a voulu dterminer citations et rsums
de lApodeixis dans lAntirrheticus partir danalyses formelles, stylistiques et doctrinales.
Cette distinction tait ncessaire car Grgoire, dans de nombreux cas, introduit dj une
polmique, ne serait-ce que dans la faon dont il rsume la pense de ladversaire. Pour
mesurer les carts entre la doctrine relle dApolinaire et la faon dont Grgoire la peroit
ou la restitue, il est indispensable de pouvoir dterminer ce qui relve de la pense,
des expressions thologiques, du raisonnement dApolinaire et de ce qui est de lordre
de la dformation par ses adversaires. En outre, lopposition entre citation textuelle et
reformulation est elle-mme utilise par Grgoire, qui, parfois, en introduisant la pense
535
dApolinaire, prcise sil cite le texte la lettre ou si, au contraire, il fait un rsum . La
mme mthode dans la faon de citer la pense adversaire se retrouve dans sa polmique
536
contre Eunome .
Le travail dE. Mhlenberg a discut et prcis le choix ddition dH. Lietzmann et de
Fr. Mller. Prenant comme point de dpart la distinction tablie par Grgoire entre citations
textuelles et rsums, le critique commence par dresser la liste des treize fragments, que
537
Grgoire dclare citer textuellement . Aprs cette premire liste de fragments, il analyse
une cinquantaine d'autres fragments un par un, dont il prcise le degr d'authenticit.
Parmi eux, il en considre vingt-neuf comme tant d'une exactitude parfaite, un certain
538
nombre comme tant des reformulations ou des rsums de Grgoire . Certains restent
indterminables : il met en balance les arguments qui plaideraient en faveur d'une
authenticit exacte et ceux qui dnoteraient plutt une pense rsume. Son travail a
apport une relle contribution scientifique sur laquelle nous nous appuierons tout au
long de notre tude. En effet, dans bien des cas, il nous parat difficile daller plus loin
que les analyses quil a menes, en raison du manque de matire dont on dispose
propos du corpus apolinarien. Toutefois, il a laiss de ct, sans examen, un certain
nombre de fragments, qui avaient t au pralable rejets par Fr. Mller comme ntant
pas des citations dApolinaire. Un tel parti-pris se dfend dans la mesure o il avait labor
son tude partir des acquis de Fr. Mller. Mais la perspective de Fr. Mller napparat
pas toujours cohrente. En effet, certains fragments ne sont pas dits comme tels
parce quils ne sont pas des citations textuelles, dautres qui sont explicitement prsents
comme des reformulations par Grgoire sont donns dun point de vue typographique
comme des citations. Dans la mesure o ldition des fragments nest pas systmatique, il
nous semblera pertinent de rexaminer certains passages non retenus par Fr. Mller, qui
prsentent des formulations relativement proches de loriginal et qui, pour cela, mritent
attention.
La mthode de ce critique, pour prciser le degr de vracit dune citation, a consist,
pour la premire fois, examiner de prs largumentation de Grgoire, afin dy dceler des
535
Cf. exemple note ci-dessus (Antirrh. 135, 9-12). Pour les exemples de citations textuelles introduites comme telles par
Cf. les analyses de R. P. Vaggione, Eunomius, The Extant Works, op. cit., p. 89-94.
Nous allons les prsenter dans la suite du prsent chapitre.
Voir ce sujet les remarques de Ch. Kannengiesser, Une nouvelle interprtation de la christologie d'Apollinaire ,
112
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Nous avons repris la liste dresse par E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 65.
543
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544
plutt faire confiance lauteur . Les contradictions se situent en gnral entre lide
quattaque Grgoire dans le corps de son argumentation et le contenu des fragments, soit
de lApodeixis, soit des autres uvres doctrinales. En effet, soit le Cappadocien fait une
utilisation tronque et hors contexte de certains extraits textuels de lApodeixis et en
dforme ainsi le sens originel, soit le manque de prcisions dun extrait dApolinaire, cit
la lettre par Grgoire, le rend obscur. Mais nous navons pas trouv dincohrence entre
un passage prsent comme une citation textuelle par Grgoire et dautres extraits ou, plus
gnralement, la doctrine dApolinaire.
Telle est la raison pour laquelle, lorsque Grgoire dclare citer son adversaire
textuellement, nous lindiquons en note, sans en discuter la teneur.
### ##########, #####, ######### ####### ### ## ###### ##### ### ##### ###
########, ######## ### ####, ### ## ### ###### ## ## ### ############ #####
546
##### ######## #####. Et lhomme Christ prexiste, dit-il, non pas en tant
544
R. P. Vaggione, qui analyse la faon dont Grgoire cite Eunome, souligne le fait que le Cappadocien prcise de faon
assez systmatique si les citations quil donne de son adversaire sont textuelles, sil en rsume la pense ou laisse de ct tel ou tel
passage, ce dont il se justifie toujours. Par consquent, ce critique pense que lon peut faire confiance Grgoire lorsquil dclare
citer textuellement un passage. (Eunomius, The Extant Works, op. cit., p. 90-91).
545
546
Ce fragment est introduit par qui, selon J. D. Denniston, peut avoir la mme fonction que dans une
numration (The Greek Particules, Oxford, 1970, p. 21-22). Dans cet emploi, le sens de nest plus adversatif,
mais additionnel ( encore ), parfois renchri par . Il se trouve souvent dans des numrations, comme ici dans une
numration des fragments d'Apolinaire. Cette utilisation syntaxique prouve que ces deux conjonctions proviennent de
Grgoire et nappartiennent pas aux fragments dApolinaire. Le est aussi un trait par lequel Grgoire introduit de
nombreuses citations de son adversaire, plutt textuelles. Dans cet emploi, il est en concurrence avec . Cf. Antirrh.
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que lEsprit, cest--dire Dieu, est un autre que lui-mme, mais en tant que le
547
Seigneur dans la nature du Dieu homme est esprit divin.
Or, au cours de sa rfutation, Grgoire reprend des passages de ce fragment pour les
commenter. Il les cite au style indirect, par des formules du type
... Dans cette reprise, on voit trs bien
comment le passage au style indirect naltre rien de la pense de ladversaire. Selon nous,
cet exemple montre comment lexactitude dune citation peut tre dfendue malgr quelques
modifications syntaxiques, condition que celles-ci se situent seulement au niveau de
linsertion de la citation dans le discours de Grgoire.
C'est la raison pour laquelle le critre du style indirect ou direct ne sera pas pour nous
le moyen de distinguer une citation exacte dune citation paraphrastique. Cette dernire
catgorie implique, selon nous, des modifications dune autre nature, au niveau du lexique
ou du contenu, qui peuvent altrer le sens de lassertion apolinarienne cite.
Ces prliminaires mthodologiques tant poss, examinons les fragments dont
lauthenticit pose des problmes dinterprtation. Plusieurs critres ont permis de supposer
lexactitude dune citation : la question de la disposition dun fragment dans la dmonstration
de Grgoire, la prsence dune citation scripturaire dans le fragment, la rptition dun
fragment dans le cours de lAntirrheticus, la prsence de pronoms dans un extrait, modifis
ou non par Grgoire, les critres formels.
1. Problmes de disposition
Certains fragments posent un problme dauthenticit en raison de leur emplacement au
sein de largumentation de Grgoire. Daprs lide quils contiennent et les prsupposs
quils requirent en eux-mmes, ils paraissent tre disposs par Grgoire un endroit
illogique de la dmonstration. Cela voudrait-il dire que le Cappadocien en retravaille la forme
au moment o il le cite ? Le meilleur exemple en est le fragment 18 :
, ;
( Mais si non seulement le Fils de lhomme est du ciel et que le Fils de Dieu est dune
548
femme, comment le mme nest-il pas Dieu et homme [ la fois] ?) . E. Mhlenberg hsite
considrer cette question rhtorique comme une citation textuelle, parce que le matriau
scripturaire sur lequel reposerait une telle assertion nest pas cit par Grgoire, mais utilis
dans largumentation qui suit ce fragment 18. En effet, la citation dApolinaire suppose la
mention de Lc 1, 35, partir de laquelle est construit le raisonnement, et que Grgoire
549
reprend seulement dans son commentaire, aprs avoir cit le fragment 18 . Cet effet de
550
disposition lui semble problmatique . Mais on peut aussi considrer que Grgoire a omis
un passage o se trouvaient les preuves bibliques, entre ce qui est expos dans le fragment
17 et le fragment 18, qu'il cite textuellement. La rfutation du Cappadocien consisterait alors
exposer sa propre conception de l'incarnation et de la conception virginale partir du
verset scripturaire donn par Apolinaire, sans restituer le support danalyse scripturaire dans
162, 17 : le frg. 42 b, explicitement mentionn comme textuel par Grgoire, est cit avec un introductif, ainsi que le frg.
63 b (Antirrh. 179, 14), le frg. 81 (Antirrh. 194, 3); le frg. 80 b (Antirrh. 199, 14) ; le frg. 104 (Antirrh. 232, 16).
547
548
549
.
550
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lordre selon lequel il tait trait dans lApodeixis. Lemplacement du fragment, selon nous,
ne nuit pas son authenticit quon peut supposer.
2. Fragments scripturaires
Parmi les fragments que lon peut supposer authentiques, il faut citer les extraits trs brefs
qui contiennent une citation scripturaire. On peut penser quil sagit des preuves bibliques
allgues par Apolinaire.
Ainsi en est-il du fragment 20, introduit par Grgoire de la manire suivante :
( Ensuite, il insre dans
551
ses propos : Le mystre sest manifest dans la chair(1 Tm 3, 16) ) . Dans un tel cas,
le fragment se rduit lexpression scripturaire. Du point de vue de ldition, la question
se pose de savoir dans quelle mesure on peut encore parler dun fragment dApolinaire,
lorsque sa forme se rduit un verset. En loccurrence, cest la formule dintroduction par
Grgoire ( .) qui donne leffet dune citation. Mais on est en
Ce fragment, si on peut lappeler comme tel,
prsence dun cas limite.
est de tout faon
lire dans la continuit de la pense expose dans le fragment 19, analys ci-aprs.
Le mme phnomne se produit pour le fragment 21, qui se trouve dans la mme
552
phrase que le fragment 20 et qui reprend Jn 1, 14
:
( Le Logos sest fait chair selon lunion ). la citation johannique (
) est ajoute la formule , qui est trs probablement dApolinaire,
553
comme le confirme le rapprochement avec le fragment 64 . Le tour + ACC est un
trait stylistique rcurrent dans le langage thologique dApolinaire, comme nous pourrons
le constater dans de multiples fragments doctrinaux, trop nombreux pour tre exposs ds
554
prsent .
Il faut encore citer le cas des fragments 44 (, , ,
555
le Seigneur sest manifest dans la forme dun esclave ) , 46 (
, , il sest abaiss lui-mme dans
556
la chair et a t exalt par Dieu selon la divine exaltation ) , qui semblent tre de brefs
extraits de lanalyse de Ph 2, 6-11 par Apolinaire. Grgoire ne les insre pas dans lune de
ses propres phrases, mais les cite tels quels, dans une phrase part entire, ce qui est un
autre indice en faveur de leur authenticit.
557
Premier temps du frg. 22 :### ### ######, #####, # #### ############ ###
#### ### ######## ####### ################### ## ### ### #### ( Mais
la chair n'est pas sans me : en effet il est dit qu'elle combat contre l'Esprit (cf.
551
552
553
554
Antirrh. 140, 13
Antirrh 140,14.
Antirrh. 182, 6-9.
Cf. De unione , 11, Lietz. p. 190 ( ) ; 14, Lietz. p. 191 (
). Cf. aussi dans lApodeixis, frg. 41 (Antirrh. 158, 15-17), 59 et 60 (Antirrh. 176, 4-5 et 10-13), 61 (Antirrh. 177, 6-7).
555
556
557
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562
Le initial provient de Grgoire, qui introduit trs souvent de la sorte les fragments
textuels ou paraphrass. Cette conjonction fait le lien avec ce qui prcde, mme si Grgoire
563
a omis un passage de la pense dApolinaire entre le fragment 21 et ce fragment 22 .
Le terme est donc restituer en caractres espacs normalement, dans ldition de
Fr. Mller.
Si on isole les expressions scripturaires dans ce fragment, il faut bien admettre que ce
qui serait proprement formul par Apolinaire (ou reformul par Grgoire si on considre le
fragment inauthentique) est trs bref. Pour nous en convaincre, citons nouveau le fragment
en mettant en gras les termes bibliques que devait srement citer Apolinaire : ,
,
. La seule formule qui est lobjet de litige est : (si
on excepte l'ajout d'Apolinaire de l o Ga 5, 7 utilise le verbe ).
Or Grgoire reprend cette formule pour la commenter :
564
( il faonne autour de Dieu une chair, qui nest pas sans me ) . Cet effet
de reprise plaiderait en faveur dune citation textuelle dApolinaire, que Grgoire citerait
565
pour sen moquer ( !) . Par la suite, dans sa rfutation, il ne
reprend pas lexpression , prsente dans le fragment, pour qualifier la chair,
566
mais ladjectif . Cela nous incite penser que la formule
est plutt dApolinaire et que le fragment 22, dans l'tendue reconnue par Fr. Mller, est
une citation textuelle.
Le fragment 24, dans ltendue propose par Fr. Mller,
( Du ciel le Seigneur a t divinis ) et
( Il est descendu du ciel, sest fait chair, sest fait
567
homme ) , reprend deux citations prtendues tre tires des Actes du synode runi contre
Paul de Samosate et du concile de Nice. Nous reviendrons plusieurs reprises sur lorigine
568
de ces citations conciliaires . Selon le mme phnomne que dans le cas de citations
bibliques, ltendue du fragment se confond avec les citations des conciles. Il ny a pas de
raison de mettre en doute lattribution Apolinaire de ces deux passages, cits titre de
preuves.
Le fragment 26,
( [Apolinaire] dit que Paul aussi appelle le Premier homme me existant
569
avec un corps ) , est retenu par H. Lietzmann. Mais il nest pas reconnu comme
une citation textuelle par Fr. Mller et E. Mhlenberg, en raison de la prsence du
562
563
564
565
566
567
568
du synode runi contre Paul de Samosate, la seconde, du concile de Nice. Pour une tude dtaille sur ce point, Cf. Partie II, chapitre
2, p. *** ; et surtout Partie IV, chapitre 1, Lunit du Christ , p. ***.
569
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( aussi ), qui trahirait le jugement de subjectif de Grgoire. Selon nous, cet lment nest
pas dterminant. La difficult d'valuer son exactitude textuelle provient du fait que la citation
reprend le verset d1 Co 15, 45 ( ). Dans tous
les cas, elle est mettre en parallle avec un autre passage de la rfutation du fragment
28, o il est dit : mais Paul, dit-il, appelle le dernier [homme] esprit vivifiant (
570
, , ) , qui est dit comme fragment
571
29 par H. Lietzmann , mais qui nest pas retenu comme un fragment par Fr. Mller.
E. Mhlenberg, quant lui, considre que le fragment 29 nest pas une citation textuelle
dApolinaire, mais la fin de la pense exprime dans le fragment 28, qui, pour lui, nest pas
572
textuel .
Or le contenu du fragment 26, que nous avons cit plus haut, est repris au dbut du
fragment 28. Voici en effet le fragment 26 :
#### ### ### #### ###### ### ###### ### ##### ##### ### ###### #####.
Et le fragment 28 :
#### ### ### ######## ### # ###### ##### ##### ### ###### ##### ### ###
#### ######, ## ##### ### ######## ########, ### ## ###### ### #### ####
######## ### ######## ####### ####. De mme Paul appelle aussi le Premier
Adam une me, qui existe avec un corps et nest pas sans corps, mais qui
donne son appellation lensemble, mme si elle est appele me pour elle573
mme prcisment aussi parce quelle comprend lesprit .
Il est possible que Grgoire ait dabord voulu examiner la premire partie du fragment 28 (qui
correspond au fragment 26), puis lait nouveau cit et examin avec la suite du passage.
574
Cest un procd quil exploite souvent .
La seule diffrence que lon observe entre les deux fragments, 26 et 28, propos de
la premire phrase, porte sur le mot premier , dans le fragment 26 et
dans le fragment 28. Faut-il rejeter lexactitude des deux fragments pour cette
unique nuance, ou au contraire passer outre, pour laffirmer ? Le sens nen est pourtant pas
altr ( est le terme biblique). Par consquent, soit on passe sur cette lgre
variante et on considre que la rptition dune mme phrase est lindice de lauthenticit
du fragment 28 dans sa globalit, mais, en raison du lien thmatique et formel entre les
fragments 26, 28 et 29, on admettra alors lauthenticit des trois fragments. Soit on considre
les deux fragments 26 et 28 comme tant des citations non exactes et, en raison du lien
entre les fragments 28 et 29, on reconnat linauthenticit des fragments 26, 28 et 29.
Le fragment 28 mrite attention, lui aussi. E. Mhlenberg hsite le considrer
575
textuel, en raison de la formulation par laquelle Grgoire lintroduit . En effet, lexpression
inaugurale : ( Nous ferons mention de ce
576
qu'il a dit ) laisse entendre que les paroles rapportes dApolinaire ne sont peut-tre pas
570
571
572
573
574
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authentiques. Mme si Grgoire ne prcise pas quil cite la lettre son adversaire, le
verbe peut introduire des citations de diffrentes natures (paraphrase
trs proche du sens initial, reformulation, citation exacte). Lintroduction par Grgoire ne
permet donc pas de se prononcer sur le degr dexactitude de la citation.
Regardons donc la rfutation du fragment par Grgoire. Pour introduire son propre
commentaire, le Cappadocien dclare : ( disant cela, [Apolinaire]
577
reconnat... ) . Cette formule suggre que Grgoire va commenter une citation quil vient
de donner la lettre. En outre, il reprend au style indirect la pense de son adversaire,
prsente dans la dernire partie du fragment 28 :
( Disant cela, il reconnat que les trois lments
sont appels de faon globale par le nom dme, en ce sens que les dsignations de corps
578
et dme sont comprises dans le mme mot ) . Cette paraphrase explicative du fragment
parle en faveur de son authenticit : Grgoire cite son adversaire, puis en reprend les
lments pour les expliquer. Ici, la mthode danalyse de Grgoire produit limpression que
le fragment 28 est cit textuellement et non quil est une reformulation, en dpit de la variante
que nous avons souleve entre les fragments 26 et 28.
En conclusion, prenant pour argument que le fragment 26 est une anticipation du dbut
du fragment 28 (
) et que ce dernier est trait par Grgoire, dans sa rfutation, comme
une citation exacte, nous posons lhypothse que les fragments 26, 28 et 29 sont des
reprises plutt textuelles de lApodeixis. Si une telle supposition est juste, il faudrait aussi
diter comme fragments les deux brefs passages dAntirrh. 144, 24-25 et 146, 14-15.
3. Effets de rupture
Lauthenticit dun fragment peut tre dduite dun lment syntaxique htrogne par
rapport au fil du discours de Grgoire, qui, parce quil heurte, cre une rupture dans
la phrase, voire une incorrection syntaxique, donne lindice quil sagit dune citation
dApolinaire.
Lhtrognit peut tre due la prsence dun pronom dmonstratif, qui renvoie
un lment antrieur dans le discours quon a des difficults dterminer. Par exemple, le
fragment 41 qui est un commentaire dApolinaire sur Za 13, 7 :
#####, ####, ### ###### # ########## #####, ### ## #### ### ##### ######## ##
###, #### #### ## ##### ######### ## #####. Le discours prophtique, ditil, montre par cela que [le Christ] nest pas consubstantiel Dieu selon la chair,
579
mais selon lesprit qui est uni la chair.
Le pose problme, bien quil soit dit par Fr. Mller comme appartenant au
fragment. On peut linterprter comme provenant dApolinaire et, dans ce cas, il renvoie
un lment de lApodeixis, que Grgoire ne cite pas ici, mais qui pourrait tre les paroles
mme de Za 13, 7, sur lesquelles se fonde Apolinaire pour dfendre la consubstantialit
du Fils avec le Pre. Mais on peut aussi penser que le provient de Grgoire et
renvoie un des lments dont il a parl prcdemment. E. Mhlenberg envisageait les
deux possibilits dans son ouvrage, notamment la possibilit dune citation non textuelle,
577
578
579
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#### ### #### ### ########## ######## #### ###### ###### ############,
# #### ######### ####### ##########. En effet, [Apolinaire] dit : Voici
lgalit prexistante du mme Jsus Christ avec le Pre, la similitude avec les
581
hommes survenue ensuite.
Le fragment hors contexte parat peu comprhensible. Il sagit vraisemblablement dun
extrait du raisonnement dApolinaire, o il cherchait prouver que le Logos prexistant et
lhomme Jsus sont la mme personne. Le propre du Logos prexistant est dtre gal
au Pre, la caractristique du Logos incarn est dtre semblable aux hommes. Mais le
apparat en rupture avec le dbut de la phrase et donne leffet dintroduire une citation
exacte. Ce que vient confirmer la faon dont Grgoire introduit la citation en en reprenant
les mots. En voquant la ressemblance du Fils avec les hommes qui est advenue
582
, Grgoire prpare
lexpression dApolinaire : . Cet effet de reprise
dans le discours de Grgoire peut tre interprt comme un indice de lexactitude de la
citation.
On peut galement ranger dans cette catgorie les fragments qui prsentent un mode
dnonciation diffrent du contexte dans lequel Grgoire le cite. Cest le cas des trois
phrases interrogatives des fragments 56, 57 et 58, que Grgoire cite et commente lune
aprs lautre : , , ; ( Qui en effet est saint, dit-il, depuis
583
584
sa naissance ? , ; ( Qui est sage sans avoir t instruit ? )
et enfin : , , ; ( Qui, dit-il, accompli avec
585
puissance les uvres de Dieu ) . Ces trois propositions sont en contraste avec la syntaxe
densemble du mouvement argumentatif dans lequel elles prennent place, par leur brivet
et leur mode interrogatif. Tel est le critre sur lequel E. Mhlenberg les considre comme
586
authentiques .
Il en va de mme pour le fragment 16. En effet, celui-ci se prsente sous la forme dune
question, qui devait prendre place dans une joute oratoire :
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Comment diras-tu quil est homme issu de terre, lhomme qui est attest tre
587
descendu du ciel et le Dieu qui est proclam Fils de lhomme et Fils de Dieu .
Le mode interrogatif et lemploi de la seconde personne du singulier dtonent dans le
contexte o la citation se trouve. En effet, dans le rsum de lApodeixis que Grgoire a
588
donn prcdemment (frg. 15) , trois thologiens sont cits, Paul de Samosate, Marcel et
Photin. Le passage au tu dans le fragment 16, sans adversaire dsign explicitement,
donne penser que Grgoire reproduit textuellement un extrait de son adversaire. Ici, cest
donc le fait quApolinaire sen prenne un adversaire, au style direct, sur un ton agonistique,
qui parle en faveur de lauthenticit du fragment.
Le fragment 59 est encore un autre exemple de citation dont on peut prouver
lexactitude par le fait quil est insr dans largumentation de Grgoire selon un effet de
rupture syntaxique. En effet, Grgoire le cite ainsi :
, ( Que veut-il dire dans ce propos :
589
[le Christ] ayant une activit distincte selon la chair, tant gal selon lesprit ? ) . Le
raisonnement dApolinaire est prsent dans cet extrait de faon tronque, ce qui rend son
sens obscur, hors de son contexte. Le fait quil soit intgr dans la phrase de Grgoire dune
manire si abrupte et par larticle , qui lintroduit comme une citation en guillemets, prouve
quil sagit dune citation textuelle.
Le fragment 73 reprsente un cas extrme. Il est en effet impossible de se prononcer
sur le degr dauthenticit de ce fragment parce quil est prsent de faon tronque :
, , , ( Puisquil tait aussi un
590
homme cleste, dit-il, ce terrestre ) . Grgoire le cite pour lexpression
quil rfute. Mais il est impossible de connatre largumentation dans laquelle
se situait une telle pense. Le caractre tronqu de ce passage pourrait tre un critre de
591
son authenticit. On manque dlments pour laffirmer .
Le fragment 86 prsente des problmes similaires. Il correspond la prmisse dun
syllogisme, cite seule : , ,
592
( Si aucune crature nest adorable avec le Seigneur comme sa chair ) .
Grgoire ne restitue pas le syllogisme dans son intgralit mais simplement le dbut, pour
en commenter le contenu. Il nopre pas damnagements de sa forme syntaxique pour
lintgrer dans son propos. De telles observations inciteraient tenir ce fragment pour
textuel.
Comme autre exemple de citation apparemment textuelle, prsente par Grgoire sans
transition avec ce qui prcde, mais de manire abrupte sur le plan syntaxique, il faut
encore voquer le fragment 98, qui semble tre le dernier extrait textuel de lApodeixis dans
lAntirrheticus. Grgoire lintroduit, le cite et ouvre son commentaire ainsi :
### #### (## ### ## ## ### ######) ## ### ### ######### #### ###### ###
###### ##### ########, ### # #### ########### ######### #### ######## #####;
### ### ###### ### #### ########### ######## ### ### #######; ### ## ###
587
588
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4. Fragments rpts
La rptition dun mme extrait attribu Apolinaire au dbut et la fin dune rfutation peut
tre un autre moyen de dcider de son exactitude sil est cit deux fois dans les mmes
termes. Le cas du fragment 47 est intressant parce quil est cit deux fois, mais de faon
non identique :
593
Antirrh. 227, 10-12 : ce fragment est apparemment une citation textuelle, en raison de sa forme interrogative, selon ltude
125
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Premire fois : #########, ### #####, ## ######## ##### ###### ### ### #####
## #### ########## ### ###### ( Il est glorifi, en effet, dit-il, titre dhomme :
mais il dtient la gloire avant le monde, titre de Dieu, existant avant les
596
sicles ) . Seconde fois : ######### ## ## ######## ## ####### #########,
#### ## ### ##### ### ### ##### ## #### ########## ( Il est glorifi, titre
dhomme, lev de labsence de gloire, mais il possde la gloire avant le monde,
597
titre de Dieu prexistant ) .
La seconde fois, Grgoire intercale lexpression , qui fait rfrence
lexaltation dcrite dans lHymne aux Philippiens, v. 10-11, mais il ne reprend pas les
derniers mots du fragment 47 quil avait cits la premire fois ( ). Selon E.
Mhlenberg, ces modifications tmoignent de la ngligence avec laquelle Grgoire cite
598
la pense de son adversaire . Les variations dans la citation peuvent sexpliquer par le
contexte argumentatif de Grgoire propre chaque mention. Le fait que le mme extrait soit
cit majoritairement dans les mmes termes prouve quil sagit dune citation textuelle, mais
comment interprter alors lajout de lexpression la seconde fois ?
Est-ce une interpolation de Grgoire, ou cette formule appartenait-elle lextrait originel
(mais le Cappadocien lavait omis en la citant la premire fois) ? La rfutation du fragment
47, lorsquil est cit la seconde fois, apporte des lments de rponse. Grgoire commente
en effet lantagonisme entre la gloire et labsence de gloire :
( en effet labsence de gloire est assurment la nature passible de la chair et la
599
gloire ternelle est donc la puissance pure et impassible ) . Ce commentaire, qui porte
prcisment sur les mots cits seulement la seconde fois dans le fragment 47, nous semble
attester que la seconde mention du fragment est la plus authentique.
Le fragment 47 nest pas le seul extrait de lApodeixis que Grgoire cite plusieurs
reprises, dans des termes presque identiques. Il faut mentionner aussi le cas du fragment
600
81, que nous avions analys , o lon retrouve galement une variante entre la premire
et la seconde mentions :
Premire fois : ### ### ######### ######, ####, ####### #### #######, ### ##
#### ( Et si, en effet, un Dieu parfait avait t conjoint un homme parfait, ils
601
seraient deux ) . Seconde mention : ### #########, ####, ####### # ####,
####### ######, ### ## ####, ### ## #a#### #### ####, ### ## ##### ( Et si
Dieu avait t conjoint un homme, un parfait avec un parfait, ils seraient deux,
602
lun qui serait Fils de Dieu par nature, lautre, Fils adoptif ) .
Comme dans le cas du fragment 47, on observe des ajouts dans la seconde mention
de Grgoire, mme si lide doctrinale est la mme dans les deux cas. Apolinaire rejette
la conception christologique selon laquelle ladjonction dune humanit et dune divinit
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Antirrh. 169, 21-23. Lexpression renvoie au Christ, Dieu incarn, qui est sous-entendu. Il est cit juste avant
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606
vrais les prodiges dlie ? ) . Une telle proximit avec le contenu du fragment 51 plaide
en faveur de son authenticit. En outre, dans la mesure aussi o lexpression
provient dApolinaire, puisquelle est lobjet de discussion de toute la premire partie
de lAntirrheticus et du mouvement dmonstratif quinaugure ce fragment 51, il est fort
probable que cet extrait soit livr par Grgoire avec exactitude.
### #### ####### ##### ### #### ######## #### ##### ########, ########
#### ####, ###### ###### ######## ### ####. ## ### ### #### ##### ####; Il
ajoute encore cela : Si celui qui a reu Dieu est vrai Dieu, beaucoup seraient
610
dieux, puisque beaucoup reoivent Dieu. Que dirons-nous donc face cela ?
Grgoire, dans sa rfutation, prend la lettre un tel passage et dveloppe un raisonnement
qui en pousse labsurde les consquences. Selon nous, le syllogisme nest pas le critre
suffisant pour assurer avec certitude que lexpression est cite avec exactitude. Grgoire
pourrait trs bien reformuler par ses propres mots lide dApolinaire avec ce procd formel.
606
607
Cf. H. Lietzmann, Apollinaris, op. cit., p. 242-246. Il ne faut pas oublier que le texte dit par H. Lietzmann est une compilation
des citations dApolinaire tires du Cinquime dialogue sur la Trinit par le Ps-Athanase (cf. chapitre 1, Prsentation historique et
littraire , tude sur les fragments doctrinaux dApolinaire, p. 40).
609
Nous ne commentons pas pour linstant le sens de cette pense et les prsupposs philosophiques sur lesquels elle repose
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Mais il est impossible aussi daffirmer cela avec certitude. Telle est la raison pour laquelle
nous ne rejetons pas lhypothse dE. Mhlenberg.
Ce critique considre aussi le fragment 17 comme une citation exacte en raison de sa
611
forme syllogistique :
### ####, #####, ## ### ######## ### ####### ####### ########. ########
#####, ### #### ####### ########### ## ### ######## ### ########
########### ## #### ########### # ######. Il nest pas homme provenant
de terre lhomme descendu du ciel. Cependant il est homme, mme sil est
descendu du ciel : en effet, le Seigneur ne nie pas une telle appellation dans les
612
vangiles .
Deux critres permettent de considrer ce fragment comme une citation textuelle. Dabord,
juste aprs, Grgoire commente le fragment en dclarant :
; ( Comment sauve-t-il la cohrence logique dans ces propos ? ).
Grgoire attaquerait ici le paradoxe dun homme issu du ciel, dvelopp par Apolinaire.
Mais, puisque le grief porte sur la rigueur dun enchanement de propositions, il na de
pertinence que si cet enchanement est expos. Cest la remarque formelle de Grgoire
qui permettrait authentifier lextrait. Le second critre est que, dans sa rfutation, Grgoire
613
reprend plusieurs reprises les termes de ce fragment .
Le syllogisme nest pas le seul critre formel utilis par Apolinaire dans la formulation
de sa doctrine. La logique de son raisonnement est souvent construite partir dun
enchanement de propositions subordonnes hypothtiques, qui constituent souvent lune
ou lautre proposition dun syllogisme que Grgoire na pas restitu dans son intgralit. Le
critique se trouve alors confront une assertion, brve, dont la forme syntaxique rigoureuse
plaide en faveur de son authenticit.
Par exemple, le fragment 91 est introduit et cit ainsi :
Dans ce fragment, sur le sens duquel nous reviendrons , il est difficile de savoir si
la formulation initiale dApolinaire est reprise avec exactitude ou quasi-exactitude. E.
Mhlenberg estime que la construction formelle parle en faveur de lauthenticit de la
616
citation . Un lment reste indubitable : le terme tait employ par
Apolinaire, car il est lobjet principal de la rfutation de Grgoire. Mais celle-ci ne donne
aucun indice de lexactitude de la forme syntaxique.
On se trouve face au mme problme dans le cas du fragment 92, qui est introduit ainsi :
611
612
613
etc. Nous reviendrons sur largumentation de Grgoire dans la partie III, chapitre 2, La conception virginale : Lc 1, 35 .
614
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Premire partie : #### ######, ####, ### #### ### #### #### #######
########### ########, #### ### ## ##### #### ##### #### #######, ###
########## ### ########## #### #######. Si lhomme cleste est compos
de tous les lments qui se trouvent galement en nous, qui sommes terrestres,
de faon avoir un esprit pareil celui des hommes terrestres, il nest pas
630
cleste, mais rceptacle dun Dieu cleste . Seconde partie : #### ###, ## ##
####### ### ## ######### #########, ########## ##### ##### ## ######## ###,
##### ##########, #### ####### ######## ############# ####. Il dit en effet
624
625
626
627
par Grgoire pour tre analys partie aprs partie. Originellement, il devait tre un syllogisme : lhomme est constitu en trois lments,
or le Seigneur est homme, donc le Seigneur est constitu de trois lments. Nous ne revenons pas sur ltude qua propose E.
Mhlenberg, montrant que Grgoire restituait seulement des morceaux du syllogisme dApolinaire, mais apparemment avec exactitude
(cf. Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 70).
628
629
630
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que, si cet homme tait priv de lintellect, il serait cleste, mais sil est intgre, il
631
nest plus cleste, mais devient un rceptacle du Dieu cleste .
Les deux passages prsentent la mme doctrine et la mme construction, puisquils sont
formuls, tous deux, avec une proposition subordonne hypothtique, qui doit tre le reflet
dun syllogisme plus ample dans lApodeixis. Lenjeu porte sur la dfinition et la nature de
lhomme cleste ( ). Dans le premier extrait, Apolinaire tendrait
prouver que si le Christ avait le mme esprit ( ) que lhomme commun, il ne
pourrait pas tre Dieu incarn, mais seulement un rceptacle de Dieu. Dans le second
passage, Apolinaire affirmerait que si le Christ ne possdait pas dintellect humain (
), il serait homme cleste, mais que sil tait pleinement homme, il ne pourrait
tre quun rceptacle du Dieu cleste. La pense des deux passages est effectivement
trs proche : la prsence de lintellect humain dans le Christ est un obstacle ce que
le Christ soit dorigine cleste , selon Apolinaire. Mais le lexique nest pas le mme.
Dans le premier passage, Apolinaire parle du , dans le second, il mentionne le
. En outre, dans la seconde partie du fragment 90, Grgoire voque une notion qui
napparat dans aucun autre fragment de lApodeixis, celle dintgrit (), quil reprend
632
dans son commentaire sous la forme . Or, dans les autres fragments textuels
cits par Grgoire, lorsquApolinaire veut condamner la christologie qui soutient lintgralit
633
de la nature humaine, il emploie toujours ladjectif , dorigine aristotlicienne .
Cette dernire constatation nous invite nous interroger : serions-nous en prsence du
seul passage que Grgoire rapporte dApolinaire, o ce dernier parlerait de la compltude
humaine avec le terme , ou faut-il croire que Grgoire a lgrement modifi la
terminologie de son adversaire dans cet extrait, en insrant un mot qui lui serait propre,
? En effet, dans un autre passage de lAntirrheticus, o Grgoire se dfend de
634
laccusation de confesser deux Fils (frg. 81) , parce quil conoit un homme parfait uni un
Dieu parfait, il utilise aussi ce terme. Au cours de sa dfense, il commence par reprendre les
635
termes dApolinaire, prsents dans le fragment 81 ( , ) , puis utilise
636
ladjectif ( ), qui parat lui tre propre . Il fait
ainsi voluer la notion dhumanit complte/parfaite dans le sens dune humanit intgrale.
Cest prcisment la thse quil dfend contre son adversaire, qui, lui, se rfre au principe
aristotlicien que deux substances parfaites ne peuvent constituer une seule substance
parfaite. Il nous semble donc que ladjectif appartient plutt la terminologie de
Grgoire qu celle dApolinaire.
Pour faire le point sur le fragment 90, la premire partie de lextrait pourrait tre une
citation exacte de lApodeixis, en raison de sa forme syllogistique et surtout du lexique
utilis. En effet, Apolinaire fonde sa christologie de lorigine cleste du Christ sur 1 Co 15,
631
632
Antirrh. 214, 5.
633
Cf. frg. 81 (Antirrh. 199, 19-20 ; frg. textuel comme latteste le fait quil soit cit deux reprises par Grgoire), 42 (Antirrh.
162, 18-19 : Grgoire dclare le donner la lettre), 92 (Antirrh. 216, 10 ; frg. textuel daprs E. Mhlenberg). Cf. la signification
aristotlicienne de ce terme, cf. partie IV, chapitre 2, Lunit du Christ .
634
( Si, dit-il, Dieu avait t conjoint un homme, un parfait avec un parfait, ils seraient deux, lun, Fils de Dieu par nature,
lautre, Fils par adoption ).
635
636
Antirrh. 200, 4.
Antirrh. 200, 7.
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45-47, dont il reprend les termes dans le fragment en exploitant la dichotomie entre les
hommes terrestres ( ) et lhomme cleste ( ). En outre,
lexpression de rceptacle de Dieu est reprise et commente par Grgoire dans la suite
637
de son raisonnement . Il est donc fort probable quelle soit authentique. En revanche, il
nest pas sr selon nous que la deuxime partie du fragment 90, dit par Fr. Mller, soit
textuelle. La prsence du mot pourrait trahir une reformulation de Grgoire. Soit il
rsume la pense de son adversaire dans ce deuxime syllogisme, soit il la restitue dans
une formulation trs proche de ltat originel. Nous ne pouvons pas trancher entre ces deux
hypothses, mais nous mettons des doutes sur lauthenticit dun terme, .
En bilan de ces premires analyses, lauthenticit attribue aux fragments examins
ci-dessus repose sur des critres fragiles et beaucoup dincertitudes. Il ressort que cest
souvent la rfutation de Grgoire qui permet de voir dans quelles proportions la citation
parat exacte. Plus Grgoire reprend de mots, dexpressions, voire de propositions dans
son argumentation pour les commenter, plus on peut mesurer le degr dauthenticit dun
extrait. Une telle mthode repose sur le prsuppos, que lorsque que Grgoire reprend
lui-mme dans son raisonnement un lment dun fragment quil a cit au pralable,
cet lment provient rellement dApolinaire. En effet, on ne comprendrait pas pourquoi
Grgoire examinerait en dtail une expression dans sa rfutation dun fragment si elle ntait
pas dApolinaire. Mais peut-tre ce prsuppos mthodologique a-t-il lui-mme des limites.
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qui, sous l'apparence de la foi, prtendent que le Christ est un homme inspir en
638
raison de sa naissance d'une femme et des souffrances [quil a endures] .
Selon E. Mhlenberg, il s'agit d'un simple rsum. En tmoigne le contexte dans lequel se
situe ce fragment. Peu avant, Grgoire introduit le fragment 13 en dclarant quil va rsumer
les propos de son adversaire :
639
640
641
romans grecs, d. M. Ph. Lebas, Paris, 1841, p. 9-15 ; Cf. aussi G. Conca, Nicetas Eugenianus, De Drosillae et Chariclis amoribus,
Londres, 1990).
644
645
646
Dans un pome intitul Chiliades, 9, 277, l. 619 (d. P. L. M. Leone, Ionnis Tzetzae historiae, Naples, 1968).
Antirrh. 170, 16-19.
Frg. 52, Antirrh. 170, 16-19 :
( Ceux qui sont impies sous lapparence de la foi rougissent dun Dieu n dune femme
et crucifi par les juifs, comme ceux-l aussi [en rougissent] ).
134
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: au sens de preuve dans une argumentation, cf. Platon, Gorgias, 520 e, CUF, t. III/2, d. A. Croiset, Paris,
1967, p. 215 ; Aristophane, Les nues, v. 369, CUF, d. V. Coulon, trad. H. Van Daele, Paris, p. 179. Dans la logique
aristotlicienne, le terme est utilis comme un argument de conclusion par opposition (cf. Rhtorique, 1357 a
33 sq., CUF, t. I, d. M. Dufour, p. 80-81).
649
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653
Les fragments 30 et 31 sont retenus par H. Lietzmann comme tous les passages
qui sont introduits par . Fr. Mller a considr quil ne sagissait pas de citations
proprement dites, il les a donc dits en caractres normaux, dans la continuit du texte
de Grgoire. E. Mhlenberg ne revient pas sur ce choix ddition et nen fait pas tat dans
son analyse suivie, comme s'il tait vident quil ne sagissait pas de citations textuelles.
La pense d'Apolinaire est prsente au style indirect par Grgoire, ce qui explique aussi
pourquoi la critique a considr ces passages comme des rsums de lApodeixis. notre
avis, il faut dissocier le mode d'nonciation et la teneur des propos relats, comme nous
lavons dj voqu au dbut du prsent chapitre, pour valuer le degr de la citation.
Nos analyses ne prendront donc pas comme critre rdhibitoire de lauthenticit des deux
fragments la prsence du style indirect. Grgoire, dans son Antirrheticus,cite Apolinaire
tantt au style direct avec l'incise , tantt au style indirect, comme c'est le cas dans
ces deux fragments 30 et 31, o des propositions infinitives sont construites partir dun
verbe principal . Le texte livr par Grgoire est le suivant :
Pour une tude sur largumentation de Grgoire propos de ce fragment, cf. partie III, chapitre 1 Lhomme descendu
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terrestre (cf. Gn 2, 7), parce que le corps faonn avec de la terre a t dot d'une
654
me ) . Fragment 31 : ###### ## ##### # # # # #### # ### ##### #########,
##### ## ##### ## ######## ######## ( il dit que celui-ci [le deuxime homme]
655
est appel du ciel (cf. 1 Co 15, 47) parce que l'Esprit cleste s'est incarn ) .
Indpendamment de la question de la syntaxe, se pose celle de lauthenticit. Dans ces
propos rapports, quest-ce qui provient dApolinaire ? Les deux fragments prennent et
commentent 1 Co 15, 47 (le Premier homme, issu du sol, est terrestre; le second, spirituel,
est du ciel). Chacun des deux fragments cite une partie du verset paulinien 1 Co 15, 45.
Dans le fragment 30, lexpression biblique , tire d1 Co 15, 47, est textuelle :
Apolinaire la citait pour la commenter, comme latteste tout le mouvement dmonstratif dans
lequel se situe le fragment. Dans le fragment 31, c'est la formule [d'homme] venu du
ciel ( ) quApolinaire reprenait de Paul pour la commenter. Nous avons isol
en caractres gras les mots dorigine biblique dans la citation du fragment ci-dessus.
En outre, les deux phrases sont construites de la mme faon : une proposition
principale et une subordonne causale. Que la pense dApolinaire soit donne avec
exactitude ou reformule par Grgoire, les fragments reprennent ici les mots de la Bible,
ou des expressions inspires dApolinaire, comme celle de lEsprit cleste qui sest
incarn ( ). Cette dernire est conforme, en effet, la
doctrine dApolinaire. Mais, au niveau de la structure, rien ne permet de prciser sil sagit
dune reformulation de Grgoire ou dune citation authentique dApolinaire. Le fait que les
deux fragments (30 et 31) rcapitulent le sens d1 Co 15, 45 dans une syntaxe brve et
concise, marque par un paralllisme, pourrait tre d soit Apolinaire, soit Grgoire.
Examinons largumentation de Grgoire pour voir si elle livre des indices. Sur le plan
de lnonciation, Grgoire rplique ces deux assertions par une srie de questions
rhtoriques.
Fragment 30. Pense d'Apolinaire : #### ### ####### ## ## ### ######, #####
## ### ## ### ### ####### #######. Rfutation de Grgoire :### # ####, ####
####### #####, ## ############ ## #### ### ### #######; ###### ## ####
##### #### ### #### #######; ### ##### ### ##### ######### #######, ##
## #### ##### ##### ########## ; ( Est-ce que lintellect, quil nomme esprit,
na pas t introduit en mme temps que le faonnement dAdam ? Donc en quoi
consiste sa ressemblance avec Dieu ? Quest-ce qui dcoule de linsufflation
656
divine si on ne croit pas que cest lintellect ? )
Fragment 31 : Pense
d'Apolinaire : ###### ## ##### ## ####### ### ##### #########, ##### # # ### #
# ## ######## # ####### . Rfutation de Grgoire : ### ##### ##### #####; ###
#### ### ##### ######## ### #####, ### ### # # # ####### ; Quelle criture
dit cela ? Auquel des saints rapporte-t-il son propos selon lequel lEsprit cleste
657
sest incarn ?
Lorsque les fragments 30 et 31 sont mis en regard avec leur rfutation par le Cappadocien,
il ressort une diffrence systmatique quant au mode dnonciation entre ce qui est rapport
654
655
656
Antirrh. 146,23-27.
657
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Premire mention : ##### ### ### ##### ##### ### ####### ### ### ########,
#### ### ##### ##### #### ( Nous prtendons, dit-il, en effet, que le Christ
658
nest pas depuis le commencement de faon ce quil soit le Dieu Logos ).
Seconde mention : ### ### ### #### ###### ### ##### ##### ### #######;
( Comment donc prtendons-nous, dit-il, que le Christ nest pas depuis le
659
commencement ? )
Dans les deux cas, laccusation dApolinaire est rapporte au style indirect. La seconde
fois, elle donne limpression dtre une reprise partielle de laccusation initiale, qui conclut
658
659
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660
Pour une tude dtaille de ce passage, cf. partie IV, chapitre 2, Lunit du Christ .
E. Mhlenberg, Apollinaris, op. cit., p. 70. Selon ce critique, le frg. 96 est un rsum qui est lire et comprendre dans la
continuit du fragment 95. Nous reviendrons sur les problmes poss par ce fragment 95 dans le chapitre La divinit du Christ dans
la mort et la rsurrection , p. 715 sq..
662
663
des extraits (frg. 84 a et b), mais ils ne senchanent pas, ce qui ne met pas en cause leur authenticit (Apollinaris von Laodicea,
op. cit., p. 70).
664
Antirrh. 205, 2.
Antirrh. 205, 13-14.
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est donc important. Or, sil sagit dune reformulation par Grgoire, selon lhypothse
dE. Mhlenberg, cela voudrait dire quune pense dApolinaire rsume par Grgoire
nest pas ncessairement lobjetdun dtournement de sens, mais peut tre conforme au
raisonnement original. Si tel est le cas propos du fragment 55, cela prouve que la qualit
du traitement dun extrait de lApodeixis ne dpend pas toujours de son degr dauthenticit.
Une citation textuelle peut tre cite et utilise par Grgoire de manire si polmique que
son sens initial en est altr. Inversement, une reformulation synthtique peut cerner avec
justesse la pense de ladversaire.
#####, ####, ### ###### ###### ###### ## ######### ### ### ## ###
########### ### ########### ###### #### ####### ### ### ### ##########
########## #####, # ### #### #### ### ####### # ### ######## ###########
######. Il est bon de considrer seulement la foi pieuse : car la foi irrflchie
na t daucun profit pour ve, de sorte quil convient dexaminer aussi celle des
chrtiens pour ne pas quelle saccorde son insu avec les opinions des Grecs et
669
des juifs .
Apolinaire ouvrait son trait en prenant lexemple de la foi irrflchie dve pour dnoncer
le danger dune foi qui ne serait pas lobjet dun examen thologique. Grgoire rapporte
brivement le contenu de lexorde de son adversaire pour la comparaison dApolinaire entre
la foi chrtienne qui ne ferait pas lobjet dune rflexion thologique et la doctrine des juifs et
des paens. Ce point est formul nouveau par Apolinaire dans le fragment 49, qui doit tre
670
compris comme une citation exacte, si lon en croit ce que dit Grgoire . On dduit de ce
rsum de Grgoire que lenjeu de lApodeixis est donc de dfinir ce qui fait la particularit
de la doctrine chrtienne, savoir un Dieu incarn. Ce quil est difficile de mesurer, cest la
longueur du texte de lApodeixis que Grgoire rsume ici.
667
668
669
670
( En effet, les Grecs et les juifs, dit-il, sont manifestement impies, puisquils nacceptent pas dcouter celui
qui est n dune femme ). Cf. aussi frg. 51.
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#### ### ########## ###### ### ####### ######## ######## ## ##### ####
############ ############, ######### ## ### ####### ###### ## ### ########
### ######### ### ######## ########## ########. [Apolinaire] dit en effet que
le fait de nommer le Christ homme inspir est contraire aux enseignements de
laptre et tranger aux conciles. Paul, Photin et Marcel sont prtendus tre les
672
initiateurs dune telle subversion .
Comme nous le verrons plus loin dans notre lanalyse doctrinale de ce passage, Grgoire
cite ici une formule-clef contre laquelle sinsurge la doctrine apolinarienne, celle de
lhomme inspir ( ). Le rsum de Grgoire, dans le fragment 15, porte
vraisemblablement sur un long passage de lApodeixis. En effet, en dclarant que la notion
dhomme inspir nest conforme ni lenseignement des aptres , ni aux conciles ,
Grgoire reprend les tapes de la rflexion de son adversaire. En effet, dans lApodeixis,
Apolinaire semble avoir dvelopp une longue analyse sur 1 Co 15, 45-47, sur Gn 2, 7,
sur Rm 7, 23 (Antirrh. 138-147), puis un examen de certains formules conciliaires, tires du
synode runi contre Paul de Samosate, et du concile de Nice (Antirrh. 142, 25-28). Ces
remarques prouvent que, dans ce rsum (frg. 15), Grgoire prsente en fait le contenu du
premier volet danalyse de lAntirrheticus.
##### #### #### ######## ### ###### #### ### ##### ### ######## ########
### #### ### ### ######## ###### ### #### ### ### ###### ####### ######.
Apolinaire dit encore que le Dieu incarn existant avant les sicles est ensuite
n dune femme et en est venu faire lexprience des souffrances et de la
673
ncessit de la nature .
671
672
Antirrh. 138, 12-16. Pour une tude dtaille du passage, cf. partie IV, chapitre 2, Lunit du Christ .
673
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Grgoire lui rplique en laccusant de ne mme pas appeler homme celui qui a pous
la condition humaine. Mais il ne commente pas lexpression problmatique du dbut de la
citation : ( Dieu incarn existant avant les sicles ),
alors que, dans le fragment 32 quil citait la lettre, disait-il, il stait indign devant une
674
expression quil comprenait dans le sens de la prexistence de la chair . Or lexpression du
fragment 50, , si elle tait textuelle, lgitimerait lattaque
de Grgoire contre Apolinaire au sujet de la prexistence de la chair du Logos incarn.
Nous navons trouv aucune affirmation semblable dans les autres fragments doctrinaux
dApolinaire. Ce dernier parle dun Dieu incarn ( ) lorsquil rflchit sur le
675
Christ, mais non lorsquil envisage le Logos prexistant . Par consquent, il nous semble
que Grgoire ne cite pas ce passage de lApodeixis la lettre, lexpression
tant trange ici. Hormis la prsence de cet lment discordant, la teneur gnrale du
passage pourrait tre conforme la doctrine dApolinaire, comme nous avons pu le voir
dans les fragments 14 et 52, qui utilisent une formulation semblable. notre avis, cest
seulement le mot qui est douteux cet endroit. En somme, on est en prsence
dun cas o il est difficile de savoir si Grgoire rsume la pense de son adversaire en la
dformant ou reprend un passage prcis quil modifie de faon trs polmique en changeant
lun ou lautre vocable.
Or ce fragment 50 pose le mme problme textuel et doctrinal que les fragments 34
et 48. dits par H. Lietzmann, ils ont t rejets comme inauthentiques par Fr. Mller.
E. Mhlenberg lui-mme ne revient pas sur le choix de son prdcesseur, mais V. Drecoll a
attir notre attention sur ces deux passages. En effet, lhypothse de leur authenticit aurait
de lourdes consquences sur la comprhension de la thologie dApolinaire.
Le fragment 34, tel quil est rpertori par H. Lietzmann, se prsente ainsi :
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##### #### ######## #### ### #### ## ######## ######## ### ## ## #######
##### ########, #### ######### ## ##### ###########, #### ### ### ######
##, #### ########### #### ## ######### ######## #### #### #, ##### #####
#######, ######## ####. [Apolinaire] dit que cest en tant intellect incarn
que le Fils est n d'une femme, et non pas en se faisant chair dans la Vierge, mais
tant pass par elle, la manire dun tuyau, et quil sest alors manifest tel quil
tait avant les sicles, tant dans sa manifestation mme un Dieu charnel ou,
681
comme Apolinaire lui-mme le nomme, un intellect incarn .
L'incise de la fin de la phrase, comme lui-mme le nomme , pour introduire lexpression
dApolinaire , dnote que ce qui prcde, tout du moins la formule Dieu
charnel ( ) n'est pas repris textuellement d'Apolinaire. Or le sens de
ce passage est trs proche du fragment 34 ( , ,
,
), bien que les enjeux dmonstratifs des deux passages soient diffrents. Si dans
le fragment 48 se trouve un indice qui rvle linauthenticit de la citation, alors a posteriori,
le fragment 34 nest pas non plus un extrait textuel de lApodeixis.
677
Cf. frg. 154, Lietz. p. 248 ; frg. 164, Lietz p. 262 ; frg. 163, Lietz. p. 255 ; Premire ptre Denys , 7, Lietz. p. 259.
678
679
, , ( De sorte quil ny a
aucun danger que nous largissions le discours sur la trinit une quaternit, comme Apolinaire le dit, ni mme que nous asservissions
les anges lhomme, comme le raconte cet individu contre nous ). E. Mhlenberg, Apollinaris, op. cit., p. 83, remarque que ce
fragment s'intgre parfaitement la syntaxe de Grgoire. Nous ajoutons que le (Antirrh. 201, 26) n'a aucune raison d'tre dit
en caractres espacs, puisqu'il nappartient pas la citation. En revanche, les termes et taient srement utiliss
par Apolinaire (cf. partie III, chapitre 2, lunit du Christ ).
680
Antirrh. 227, 16-17 : lexpression se trouve dans un commentaire de Grgoire sur le fragment 97. Le mode interrogatif
direct de ce fragment laisse entendre quil sagit dune citation textuelle (Antirrh. 227, 10-13). Cf. aussi Antirrh. 154, 26, o lexpression
est utilise pour introduire un jugement de Grgoire sur la doctrine dApolinaire.
681
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Antirrh. 154, 23. Cf. tude de ce passage, Partie 2, chapitre 2 Le dynamisme argumentation de lcriture .
Par exemple, dans le De unione , 8, Apolinaire qualifie le Christ de consubstantiel () au genre humain (Lietz. p.
188, 12) par son corps. Dans lApodeixis, il utilise les termes et pour qualifier le Fils par rapport au Pre dans un
contexte trinitaire. Grgoire en conclut quApolinaire croit en une chair consubstantielle Dieu.
684
Nous reviendrons sur cette question dans notre tude doctrinale, cf. partie IV, chapitre 2 lunit du Christ .
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question de leur authenticit ncessite une autre mthode danalyse, qui intgre lhistoire de
leur transmission, au mme titre que le reste des fragments doctrinaux dApolinaire, extraits
des florilges et dits par H. Lietzmann.
685
# #### ############ #### ###### ### ### ######### ########## (###### ####
## ### #####) ### ### ####### #### #### #########, #### ### ## ######## ####
####### ###########, #### ####### ########## ######## ### ########
#### ## ######## #########, ############# #### #### ## ######### ######
### ####### ## ##### ######### #### #### #############. #### ### ## ####
## ######### ### ################## ### ## ### ### ### ####### ###
########### ###### ######## ## ###### ## #### #### #### ### ## ####,
#### ###### ####. ### ######## # ### ######, ####### ##### #### ## ####
#### ####### #### #### ### ##### ########## ### ### #####. La chair
est toujours mise en mouvement par un autre, qui la meut et la conduit (quel
quil soit), et nest pas un tre vivant accompli par elle-mme, mais entre
en composition pour quadvienne un tre vivant accompli. Ainsi, elle est
venue constituer une unit avec llment hgmonique et elle est entre en
composition avec llment hgmonique cleste, approprie lui par son
caractre passible et recevant le divin qui lui est appropri en tant que principe
actif. Par consquent, en effet, un tre vivant tait constitu de ce qui est mu
et de ce qui meut, et non pas de deux ou encore de deux parfaits, capables de
se mouvoir deux-mmes. Cest pourquoi un homme est un tre vivant autre
que Dieu, non pas Dieu, mais esclave de Dieu. Mme sil sagit dune puissance
685
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687
688
Doctrina Patrum, d. Fr. Diekamp, rd. E. Chrysos, p. 77, l. 4-9 ; Lietz. p. 232.
PG 86/1, 1121 D-1124 A.
Cf. d. Mansi, Collection conciliorum, 1901, rimpr. 1960, X, 1117 a.
Lietz. p. 141 et p. 113-116. Pour E. Mhlenberg, op. cit. p. 70, rien nempche de considrer ce fragment comme authentique
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cleste, il en va de mme. Mais la chair, devenue chair de Dieu, est aprs cela un
689
tre vivant, compos en une seule nature .
Ce fragment prsente plusieurs liens thmatiques avec dautres fragments de lApodeixis,
cits par Grgoire. Pour ce qui est de la question de lunit vitale, on pourrait le rapprocher
du fragment 85, qui nest pourtant pas une citation textuelle ( , ,
, : La chair du Seigneur,
690
dit-il, est adore, comme une personne et une unit de vie avec lui ) . Peut-tre Grgoire
fait-il allusion dans son rsum (fragment 85) au mme contexte que le fragment 107, cit
ci-dessus ou au fragment lui-mme. Mais le fragment 107 prsente galement des affinits
avec le fragment 81 (voire le fragment 92), notamment propos de limpossibilit dune
union dun Dieu parfait avec un homme parfait . Ces liens doctrinaux inviteraient
situer ce fragment 107 plutt autour des fragments 80-85.
Toutefois, comme nous le verrons dans notre tude sur lunit du Christ, ce fragment
107, qui dveloppe la thorie de lunit de nature ( ) du Logos incarn, prsente
des liens plus forts encore avec des opuscules tels que le De unione ou le De fide et
incarnatione . DanslAntirrheticus,en effet, la question de lunit vitale du Christ, formule
en ces termes, ne fait quaffleurer.
Cette constatation, qui mriterait une tude comparative plus pousse, suggre que,
si le fragment 107 provient bien de lApodeixis, Grgoire aurait laiss dlibrment de
ct certains aspects de la doctrine expose dans lApodeixis. En effet, lide essentielle
du fragment 107 est peu voque et rfute dans lAntirrheticus. Ou bien, au contraire,
la diffrence dinflexion thologique entre ce fragment et la thse principale rfute dans
lAntirrheticus pourrait tre le critre sur lequel on rejetterait lappartenance du fragment 107
lApodeixis.
Nous nous sommes demand sil pouvait y avoir eu, dans la transmission du fragment
107, une confusion sur le titre de luvre originelle do le fragment tait cit. Ce fragment
est introduit par Justinien comme provenant dun trait Sur lincarnation divine :
( et le
691
mme Apolinaire, impie, dit encore ceci dans son discours Sur lincarnation divine ) . Le
concile de Latran, quant lui, introduit la citation dApolinaire comme provenant du trait Sur
692
lincarnation ( ) . Or il existe dans le corpus des uvres
693
attribues aux apolinaristes un trait qui sintitule et,
dans le corpus apolinarien, un trait intitul , dont il reste deux fragments
694
(frg. 9 et 10) . On pourrait poser lhypothse que la proximit des titres de ces deux
uvres avec celui de lApodeixis (
) pourrait avoir t la source dune confusion dans lattribution des fragments
dApolinaire. Mais Justinien cite aussi dans son trait Contra monophysitas le fragment 81
695
de lApodeixis en lattribuant la mme uvre que le fragment 107 . On en conclut donc
689
690
Frg. 107, rattach lApodeixis, Lietz. p. 232 ; trad. rev. E. Cattaneo, Trois homlies sur la Pque, op. cit., p. 178.
Antirrh. 204, 30-205, 1.
691
692
693
694
695
PG 86/1, 1121 D.
Cf. ibid.
Lietz. p. 303-307.
Lietz. p. 206-207.
PG 86/1, 1141 A.
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que lhypothse dune erreur dattribution du fragment en raison dune confusion sur le titre
des uvres est peu probable.
Conclusion
Pour dresser le bilan de cette analyse, que nous navons pas voulu mener comme
un rexamen systmatique de tous les fragments dits par H. Lietzmann, parce
quE. Mhlenberg a lui-mme propos une tude dtaille, nous voudrions soulever deux
points significatifs.
Dune part, le deuxime mouvement de lAntirrheticus, qui porte sur la consubstantialit
de la chair, que Grgoire interprte comme la prexistence de la chair, compte moins de
fragments textuels (frg. 32, 38, 41, 42, 44, 46, 47) que de rsums et dallusions la
doctrine dApolinaire. Dans aucun des fragments dont on peut tre sr de lauthenticit, il
nest question de la thse de la consubstantialit de la chair, encore moins de celle de la
prexistence de la chair du Logos. Cette remarque, qui dcoule de lanalyse textuelle des
fragments, invite prendre avec prudence laccusation de Grgoire contre Apolinaire sur
ce point.
Dautre part, on ne peut pas garantir lexactitude textuelle des derniers fragments
cits par lAntirrheticus. Ceux-ci semblent tre plutt des rsums ou des reformulations.
E. Mhlenberg montre comment les fragments 101-104 seraient des paraphrases de
696
Grgoire . On peut seulement certifier lauthenticit de certaines expressions parce
697
quelles sont lobjet du dbat , mais non celle des extraits dans leur totalit. tant donn
que Grgoire examine les derniers fragments plus rapidement que les prcdents, en les
reformulant plus globalement, on peut poser lhypothse quil na pas rfut lintgralit
lApodeixis, mais quil a laiss de ct les derniers points de la dmonstration dApolinaire.
Il les a de toute vidence traits de faon beaucoup moins dtaille que les prcdents.
Aprs avoir prsent les diffrents critres sur lesquels on pouvait se fonder pour
valuer le degr dauthenticit des fragments dApolinaire, nous constatons que les
rfutations de Grgoire donnent beaucoup dindices. En effet, dans la mesure o sa
mthode consiste souvent commenter des expressions de son adversaire, quil a cites
au pralable dans un extrait plus large, on peut arriver dceler le cheminement de la
pense dApolinaire en fonction de lobjet de la rfutation. Dun point de vue formel, les
citations dApolinaire prennent lallure de syllogisme le plus frquemment. Mais il est difficile,
selon nous, de faire la part entre ce qui relve dun rsum syllogistique par Grgoire de
la pense dApolinaire et ce qui tait expos originellement sous cette forme. plusieurs
reprises dans les versets cits, nous avons vu comment Grgoire sintressait au lexique
dApolinaire plutt qu larticulation logique de sa pense. Cest ce dont tmoigne aussi
une autre chelle le fait que Grgoire ne rende pas compte dans son trait des lments
structurels de lApodeixis.
La classification des fragments dApolinaire en trois catgories, selon quils semblent
tre des citations exactes, paraphrases ou des reprises libres, permet, dans le cas des
deux dernires catgories, de dissocier les rsums de Grgoire qui portent sur un large
passage de lApodeixis et les extraits retravaills par le Cappadocien qui portent sur un point
prcis. Notre classification aura ainsi soulev la question des diffrents niveaux de citation,
696
697
et .
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selon que Grgoire rcapitule dans un fragment lide gnrale dune partie ou quil reprend
point par point les lments de doctrine de ladversaire, comme nous avons pu le voir
propos de la question de lhomme cleste.
Tout au long de notre travail, dans la mesure o nous navons pas propos de nouvelle
dition critique de lAntirrheticus, nous appellerons fragments par commodit ceux qui
ont t dits par Fr. Mller et auxquels sest report E. Mhlenberg, mme sils ne sont
pas tous des citations exactes de lApodeixis. Nous garderons ainsi la mme numrotation.
Un tel parti-pris permettra de se reprer plus facilement dans luvre de Grgoire daprs
ldition de Fr. Mller, mais aussi dans les tudes sur lapolinarisme, qui se fondent toutes
sur les travaux dH. Lietzmann et de Fr. Mller. En revanche, tout au long de nos chapitres,
lorsque nous citons un fragment dApolinaire, par prudence mthodologique, nous prcisons
toujours si Grgoire dclare le citer textuellement ou non, ou encore quel en est son degr
dauthenticit.
Conclusion
Ltude sur les fragments dApolinaire montre quel point on doit user de prudence
devant la faon dont Grgoire cite son adversaire, en dpit mme peut-tre des remarques
par lesquelles il lintroduit tel ou tel extrait dApolinaire. Le fait que lApodeixis soit
cite de manire si partielle, et partiale, le fait quon ne puisse identifier avec prcision
les adversaires supposs dApolinaire dans lApodeixis ainsi que les destinataires de
lAntirrheticus, le fait que la datation de lApodeixis demeure incertaine, que lenjeu historique
de la Lettre Thophile ne nous est pas connu non plus prcisment et que, par surcrot,
la tonalit du discours de Grgoire est polmique voire ironique, ce qui implique des
dformations, tous ces silences et toutes ces questions auxquelles on ne peut donner de
rponse avec certitude incitent, eux aussi, une grande prudence dans linterprtation
des attaques de Grgoire contre Apolinaire. Il nest pas sr que la doctrine de ce dernier
concorde parfaitement avec la faon dont elle est formule et prsente par Grgoire. Mais
cela ne veut pas dire pour autant que Grgoire ne rpond pas avec une certaine finesse
son adversaire. Il est possible encore que Grgoire ait trs bien compris les enjeux et les
limites que prsentait la christologie de son adversaire, mme si, parfois, il prtend ne pas la
comprendre, ou lexpose comme tant incomprhensible. Comme on le verra, lingniosit
avec laquelle il rfute son adversaire montre que cest parfois dans le corps mme de sa
rfutation quil rvle les problmes poss par la thologie dApolinaire, plutt que dans les
passages quil cite de lApodeixis.
On peut chercher comprendre la manire dont Grgoire procde dans son
argumentation, on peut chercher prciser le contenu de la doctrine dApolinaire, rendre
compte dune certaine cohrence, mais le matriau danalyse est disproportionn : un long
trait de polmique contre quelques fragments de laccus, des argumentations compltes
de lun contre des bribes de dmonstration de lautre, une doctrine de lun juge orthodoxe
par la postrit, une christologie de lautre considre comme hrtique par la tradition. En
dpit de ces difficults, nous chercherons mettre en vidence la source du dbat et faire
ressortir comment deux logiques thologiques saffrontent.
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698
699
Tout au long de notre travail, nous entendons par discours tout nonc dvelopp.
Cf. la dfinition de la citation par A. Compagnon sapplique trs bien la citation scripturaire dans le discours de controverse :
Une bonne dfinition de la citation, c'est--dire une base acceptable (...) sera : un nonc rpt et une nonciation rptante ;
il ne faut jamais cesser de l'envisager dans cette ambivalence, la collusion, la confusion en elle de l'actif et du passif (La seconde
main ou le travail de la citation, Paris, 1979, p. 56).
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I. L'autorit de lcriture
A. L'criture, critre de vrit
Dans ses crits polmiques o la vrit de Dieu est en jeu, Grgoire se rfre lcriture
comme la source dautorit suprme, reconnue par ladversaire. En cela, il ne diffre ni
de ses devanciers ni de ses successeurs. Dans son ouvrage sur Grgoire de Nysse et
l'hermneutique biblique, M. Canvet dclare : Grgoire affirme comme ses devanciers,
que l'criture est canon (cann) et loi (nomos) de pit pour les Chrtiens. Ces deux
termes, toujours conjoints, indiquent que l'criture seule peut servir de point de dpart et
702
de rfrence une recherche mtaphysique .
700
701
702
M. Canvet, Grgoire de Nysse et l'hermneutique biblique, op. cit., p. 67. Basile emploie une expression lgrement diffrente,
150
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Dans un contexte polmique, tous les partis tirent naturellement l'criture eux, en
cherchant s'abriter derrire son autorit. Par diffrents procds stylistiques, Grgoire vise
ainsi persuader son lecteur que c'est lui que revient la meilleure utilisation de l'criture,
cest--dire celle qui est conforme la vrit. Il insiste de nombreuses reprises sur le fait
que sa rflexion thologique a toujours pour fondement les critures. Il ne manque pas de
reprocher son adversaire de ne pas se fonder sur la Bible, chaque fois qu'il n'est pas
703
d'accord avec lui . Ces attaques, qui sont souvent plus du ressort de la polmique que
fondes rellement sur le plan doctrinal, montrent par antithse combien lcriture doit tre
le critre de vrit et la rfrence pour Grgoire.
Mme si les termes de loi () ou de canon () ne sont pas utiliss
propos de l'criture dans lAntirrheticus lui-mme, d'autres de ses uvres explicitent
trs nettement la faon dont Grgoire conoit le statut de l'criture dans sa rflexion
thologique.Dans son Dialogue sur l'me et la rsurrection, il dclare :
###### ###### ####### ### ### ######### ###### ##### # ######### ####
###### #########, ##### ####### ####, #, ## ### ## # ######## ## ###
######### #####. nous utilisons la sainte criture comme canon de tout
dogme et comme loi : contraints de la regarder, nous acceptons seulement ce qui
704
entre en consonance avec le but de ce qui y est crit. .
705
Cette revendication quant lutilisation de lcriture, souvent cite par la critique , est la
rgle fondamentale de la mthode thologique de Grgoire dans les dbats doctrinaux.
Non pas seulement parce que ces derniers ont pour origine la Bible, qui est, aux yeux des
auteurs, le lieu de la Rvlation, mais parce que dans les raisonnements logiques, il faut
un critre de vrit externe qui sert darbitre entre le raisonnement qui nest pas conforme
la vrit et celui qui est juste. Dans son Dialogue sur lme et la rsurrection, Grgoire
nonce ce principe fondamental dans un contexte tout fait intressant : il lattribue son
personnage Macrine qui compare la mthode en philosophie et la mthode en thologie
propos de la thorie de lme. propos du discours des philosophes, elle dclare :
Il sagit dun trait propre lutilisation de lcriture dans le discours de controverse. Nous analyserons dans la suite de ce
chapitre quelques versets qui ont cette fonction. On la retrouve dans la polmique contre Eunome (cf. M. Cassin, Contre Eunome
III : lexgse structure-t-elle largumentation ? , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, op. cit., p. 87).
704
705
mutuelles dans la Trinit selon Grgoire de Nysse : de linnovation exgtique la fcondit thologique , art. cit., p. 21.
706
151
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il a pour norme de vrit lcriture. Dans lAntirrheticus, il rend cette ide de soumission du
discours thologique lcriture par limage du guide () quil applique celle-ci :
### #### ### ### ##### ###### ########## ### ### ####### ##### ## ###
###### ######### ############# C'est pourquoi nous disons, conduits par
les saintes critures, que le Christ est toujours considr simultanment avec
707
l'ternit du Pre.
Cette remarque vient ponctuer une dmonstration o Grgoire reprend d1 Co 1, 24 et
dHe 1, 1-3 les appellations du Logos, Sagesse ( ), Puissance ( ),
empreinte ( ), resplendissement (), pour montrer que le Fils
708
est coternel au Pre . Grgoire, en se montrant au lecteur comme guid par lcriture,
se prsente comme un partisan de la vrit scripturaire. Lautorit reconnue lcriture est
ainsi lie la construction de lethos du thologien dans son discours.
Dans son Contre Eunome, Grgoire rappelle encore combien lcriture est la norme de
rfrence du discours doctrinal :
#### ## #### ######## ### ##### #########, ##### ### #### ########
########## ####### ################. ###### ### ######### ####### ###
######## ### ###### ####### # ########### #### #######, ##### #####
###### ## ######### ### ##### ### ### ####### ##### ###########. Mais
allons plus avant dans la suite du discours, car peu de dfinitions ont encore t
proposes pour tablir notre doctrine. En effet, puisque le critre sr de la vrit
en toute doctrine, c'est le tmoignage inspir, je pense qu'il est bon de rendre
709
crdible notre discours en le rapprochant des paroles divines.
Par une telle affirmation, Grgoire rappelle que largumentation doctrinale doit avoir
comme soubassement l'criture, qu'il s'agisse de la terminologie employe, ou des ides
thologiques qui sont dployes ( ). La Bible est le critre
de vrit ( ) parce quelle est une preuve dorigine divine
( ). Dans lAntirrheticus, Grgoirele rappelle de nombreuses
reprises.
707
Antirrh. 220, 2.
708
Il reprend largument trinitaire dvelopp abondamment dans la polmique anti-arienne, contre Eunome. Le dossier des textes
patristiques sur ce point est abondant depuis Athanase, il est repris par les Cappadociens (cf. De Deit. GNO X/2, p. 123, 16-125,
8 ; Eun. III, 6, 52 , GNO II, p. 204, l. 9-23 ; Basile, Contre Eunome, I, 17, trad. B. Sesbo, SC 299, p. 234 etc. Cf. aussi M. Harl,
Aporrhoia et la gnration du Fils , Le dchiffrement du sens, Paris, 1993, p. 281-290.
709
Eun. I, 294, GNO I, p. 113, 14-19 ; trad. fr. M. Canvet, Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, op. cit., p. 70.
710
711
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devient lui aussi le vrai discours, la rfrence normative. Ainsi, dans son Adversus Arium
et Sabellium,Grgoire dclare-t-il :
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733
734
735
Luc , David , l'Ecclsiaste etc.). Pour Grgoire, nommer lauteur dun dit biblique, cest
le porter garant de la vrit du texte cit, en raison de son autorit. Du point de vue nonciatif,
le discours de Grgoire, mais aussi dApolinaire, fait alors entrer dans largumentation
une varit de figures bibliques, qui sont autant de garants du caractre sacr de la
rfrence biblique qui contribue asseoir lautorit de la dmonstration doctrinale. En ce
sens, lcriture devient une troisime voix polyphonique, distincte de celles de Grgoire et
dApolinaire : elle est bien la voix de quelquun, dun Dieu qui parle travers des hommes,
mais elle est une voix clate en ce sens quelle se dmultiplie travers des interlocuteurs
varis. Dans la stratgie du discours de controverse o il sagit demporter ladhsion du
lecteur, Grgoire joue avec cette diversit dautorits qui viennent se corroborer les unes
les autres, comme nous allons le voir dans le dtail des rfutations.
## ## ### ###### ##### ### ###### ########### ##### #### ###### ## ###
########### #########, #### ###### ### ##### ####### ############ ####
##### ##############. Que donc le Seigneur est sagesse qui dpasse tout
intellect (cf. Ph 4, 7), aucun homme pieux ne pourrait le nier, car il est conduit
736
admettre cela par les paroles des saints Pres et des aptres.
Dans une telle rflexion, o Grgoire attaque lopposition dApolinaire entre la sagesse
() et lintellect () pour montrer que le Verbe incarn nest pas sagesse
illuminatrice mais esprit divin incarn (frg. 70), il cite la tradition apostolique, cest-dire les auteurs du Nouveau Testament, laquelle il fait allusion en reprenant Ph 4, 7,
et celle des Pres, comme deux arguments dautorit conjoints. Ce faisant, employant le
verbe , il reprend limage, que nous avons vue prcdemment, au sens concret
733
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de conduire par la main , qui traduit nouveau lide dune filiation interprtative, dans
737
laquelle il entend noncer son discours thologique .
La tradition est prise parti pour renchrir sur lautorit de lcriture, en vue de grossir
lerreur doctrinale de ladversaire. Dans un autre passage o Grgoire analyse un syllogisme
de son adversaire (frg. 74) qui prouve la doctrine du , il rplique ainsi :
### ### ##### #### ## ##### ####### ; #### ###### ####### ###### ##### ## ##
### #### ##########, #### ############ ## ########, ### # ## #### #######
######## #####, # ## #### #### ######## ####### ; Qui parmi les saints a
dfini que le divin est intellect ? Dans quelles critures avons-nous appris que
Dieu est le mme que lintellect, de faon accepter ce qu'il dit, savoir que
l'homme en Christ est sans intellect, mais que Dieu devient intellect dans celui
738
qui est sans intellect... .
Le verbe , qui est utilis spcialement propos de la promulgation des dcrets
739
conciliaires , est lindice que les saints ( ), dont fait mention Grgoire,
dsignent la tradition conciliaire. Ces derniers, cits conjointement aux critures (),
jouent le rle dargument dautorit dans la rfutation de Grgoire. Celui-ci leur reconnat le
mme statut dans le discours de polmique.
La tradition des Pres est prsente dans lAntirrheticus nonpas seulement lappui de la
rfutation de Grgoire ou pour corroborer lautorit de lcriture, mais aussi en rponse aux
assertions synodales sur lesquelles Apolinaire se fonde pour tablir sa thorie christologique
de lhomme cleste . Les dcrets de deux conciles sont utiliss par Apolinaire et repris
par Grgoire dans le dbat. Il sagit du concile de Nice (325) et du synode qui a condamn
e
740
Paul de Samosate au III sicle . Dans largumentation dApolinaire, les Actes des deux
conciles sont repris parce quils comportent lexpression . Du synode runi
737
Le verbe est souvent utilis par Grgoire pour dsigner cette lvation de l'esprit et ce chemin
dans les mots, quand ils sont tracs et mens par Dieu (M. Canvet, Grgoire de Nysse et l'hermneutique
biblique, op. cit.,p. 58). Cf. la rfrence au De prof. christ.
( Les prophtes et les aptres, ports par lEsprit Saint, ont recours
beaucoup de noms et de concepts pour nous conduire lintelligence de la nature incorruptible, car un concept nous dirige droit
vers un des autres concepts dignes de Dieu ) (trad. revue de M. Canvet). Le verbe est trs frquent chez Grgoire,
et son emploi est traditionnel (cf. Lampe, A patristic greek lexicon, s. v.).
738
739
1934-1935, p. 2 ; Gesta Ephesena, ACO I, 1, 2, d. E. Schwartz, Berlin, Leipzig, 1927, p. 11, l. 19, o il est question des canons (
) que des saints Pres ( ) ont ratifi () contre Nestorius.
740
Il s'agit probablement du dernier concile d'Antioche runi contre Paul de Samosate en 268. cf. P. Maraval, Le christianisme de
Constantin la conqute arabe, Paris, 1997, p. 320. Cf. les tudes de G. Bardy, Paul de Samosate, Louvain, 1923 ; H. de Riedmatten,
e
e
Les actes du procs de Paul de Samosate, tude sur la christologie du III
au IV
sicle, Fribourg, 1952, p. 14 sq. Les actes
des conciles successifs tenus Antioche contre Paul de Samosate ne nous restent que dans la tradition indirecte. La formule reprise
par Grgoire ne se trouve dans aucun des tmoignages indirects consults. Dans le document conciliaire rapport par Eusbe de
Csare (Histoire Ecclsiastique VII, 30, 11 (SC 41, d. G. Bardy, Paris, 1955, p. 217), il est dit : [Paul] ne veut pas confesser avec
nous que le Fils de Dieu est descendu du ciel ( ). piphane de Salamine, dans son
Panarion, ne rapporte pas la formule cite par Apolinaire (cf. GCS, Epiphanius III, d. K. Holl, op. cit., p. 2-13). Cf. notre tude plus
dtaille, quatrime partie, chapitre 2, p. 623 sq.
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741
Sans entrer plus en dtail de leur utilisation argumentative , nous voudrions relever
le fait que, dans notre controverse, les assertions conciliaires sont prises comme source
dautorit au mme titre que lcriture, selon une pratique rcurrente dans toutes les
747
polmiques de Grgoire . Lcriture en raison de son inspiration tmoigne de la vrit,
mais la valeur de tmoignage stend aussi aux vrits transmises par la tradition, cest-748
dire aux dogmes des Pres .
La tradition, titre de rceptacle et de garante de la vrit des critures, a sa place
dans le discours de controverse par les citations des dcrets conciliaires, par la mention
des saints , des Pres . Mais le terme mme d'glise est aussi employ. Dans
la Lettre Thophile, Grgoire emploie lexpression d glise catholique (
749
) , ce qui est une faon de dnoncer clairement Apolinaire comme un
hrtique. Dans lAntirrheticus, au cours de sa longue rfutation de la thse selon laquelle
le Christ est un homme qui a l'Esprit divin comme intellect, Grgoire en appelle lautorit
de la tradition de l'glise pour dnoncer lerreur thologique de son adversaire :
Antirrh. 142, 25. Sur lauthenticit de cette citation, cf. Partie IV, chapitre 2, p. 624 sq.
Antirrh. 142, 28. Cf. Expositio fidei CCCXVIII Patrum, dans Les conciles cumniques, sous la direction de G. Alberigo,
Antirrh. 157, 27. Les deux auteurs entendent le terme dans le mme sens, mais Grgoire veut montrer que la conception
de la chair avec le Logos, si celle-ci lui est consubstantielle, met mal la communion de nature entre le Pre et le Fils.
744
745
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747
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750
Nous ne respectons pas la ponctuation donne par Fr. Mller, qui fait de cette phrase une interrogation. Cela nous
parat trange dans la mesure o Grgoire formule ici des assertions de foi. En outre, il ny a aucun indice stylistique qui
plaiderait en faveur dun mode interrogatif.
751
Nous avons traduit dlibrment par lment divin , et non pas Dieu , pour rendre la phrase plus
comprhensible en franais.
752
Cf. Origne, De principiis, IV, 2, 2, SC 268, d. H. Crouzel, M. Simonetti, Paris, 1980, p. 300, l. 50.
753
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D'un point de vue de la rception historique du christianisme ancien, ces allusions aux
e
conciles dans lAntirrheticus montrent qu la fin du IV sicle, dans des crits de polmique
doctrinale, les thologiens, quel que soit leur parti-pris doctrinal, cherchent se situer par
rapport une tradition ecclsiale, garante, elle aussi, de la vrit reue des vangiles, dont
les conciles valident les assertions doctrinales. Mais, comme pour lcriture, il y a un usage
polmique de lassertion conciliaire dans le discours de controverse, qui est utilise, titre
dautorit reconnue, pour condamner ou valider les formulations de ladversaire.
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Dans cet exemple, la citation biblique figure dans la protase d'un systme hypothtique,
comme point de dpart allgu par Apolinaire. Par un systme denchanement logique,
Grgoire en vient pousser jusqu' l'absurde le raisonnement de son adversaire, par les
lois de la logique.
Parfois, c'est le Cappadocien qui, dans la protase, prend son propre compte la
citation scripturaire et prsente les consquences logiques, qui, pour lui, impliquent une
seule assertion doctrinale possible. En tmoigne l'exemple ci-dessous o l'auteur refuse
la distinction d'Apolinaire entre l'galit de puissance que partagent le Pre et le Fils et la
diffrence de leur activit (frg. 59-60). Grgoire veut montrer, au contraire, partir de Jn 5,
21 utilis par Apolinaire pour asseoir sa dmonstration, que lactivit de donner la vie est
commune au Pre et au Fils :
#### ### ###### ########## ######## ### # ##### ####### #### #######
### ######## #### #### ### ##### ########, ### ## ##### ############
### ######## ######## ## ###### ######. ### ###### ##### ## ### ######
### #### ##### ########### ### #########, ##### ### ### ## ##### ###
###### ## ## ### ###### ## ## ### ########. ## ### ## ## ### ## ########
#### #####, # ## #####, ##### ##### ##########, ###### ##### ####### ### ###
######### ######## ######, ####### ##### ## ### ###### ######### #######
#### ## ##### ### ###### #### #### ###### ## ##### ### ### ##### ### ###
###### ###### ### ## ######## #####. Lorsque nous entendons le Seigneur
poursuivre ainsi : Le Pre ressuscite les morts et donne la vie et le Fils donne
la vie qui il veut (Jn 5, 21), nous ne concevons pas d'aprs cela que certains
sont rejets de la volont vivificatrice. Mais puisque nous avons entendu et nous
croyons que tout ce qui est au Pre est au Fils (cf. Jn 16, 15), il est vident que
nous considrons aussi la volont du Pre comme tant l'une de tout ce qui est
dans le Fils (cf. Jn 14, 15). Si donc la volont du Pre est dans le Fils, et que le
Pre, comme le dit l'aptre, veut que tous soient sauvs et parviennent la
connaissance de la vrit (1 Tm 2, 4), de toute vidence, celui qui possde tout
ce qui est au Pre et qui a en lui le Pre tout entier, a aussi parfaitement en lui,
755
avec tous les autres biens du Pre, la volont de sauver.
Ici, le raisonnement de Grgoire procde par rapprochement de plusieurs versets
johanniques (Jn 5, 21 ; Jn 16, 15 ; Jn 14, 15), auxquels sadjoint une citation paulinienne
(1 Tm 2, 4). Ils sont organiss dans un syllogisme pour montrer que la volont de sauver
est commune au Pre et au Fils. La majeure est constitue par les deux membres du verset
scripturaire qui est lobjet de litige. La mineure est construite partir de Jn 16, 15 ( tout
ce qui est au Pre est au Fils ) et de 1 Tm 2, 4, ce qui permet de prouver lidentit de
volont divine entre le Pre et le Fils, puis la volont commune de ressusciter lhumanit.
Lcriture est prsente dans chaque proposition subordonne qui inaugure une tape du
raisonnement. Elle est toujours le point de dpart do dcoule lassertion rationnelle.
Lutilisation des citations bibliques dans un tel raisonnement formel produit leffet dune
unique lecture possible de lcriture.
Selon le mme procd, lcriture peut tre utilise dans une proposition participiale
qui inaugure un raisonnement. Ainsi :
755
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# ### ##### ### ## ###### ### ###### ##### ### #### (## ### ### ### ####
### ###########) ### ############ ## ### ########### ####### ######
######### ##### Celui qui dit : La pense de la chair est ennemie de Dieu
(en effet elle ne se soumet pas la loi de Dieu) (Rm 8, 7), nonce les proprits
756
visibles de la capacit de choisir et de raisonner.
Ici, l'criture est prmisse du raisonnement : le discours doctrinal consiste tirer les
consquences logiques et rationnelles de lassertion biblique.
Inversement, dans le raisonnement, lcriture est parfois cite la fin dun
enchanement de propositions comme la consquence logique. Rtrospectivement, les
propositions rationnelles, que Grgoire nonce avant la citation biblique, sont prsentes
comme les seules prmisses admissibles qui se trouvent tre en consonance avec le
langage de l'criture. Telle est, par exemple, la rfutation du fragment 27 dans lequel
Apolinaire dclare, daprs Grgoire, que le deuxime homme qui vient du ciel est dit
spirituel (cf. 1 Co 15, 45-47) ( ).
Cest l'indice, pour le Laodicen, que lhomme qui a t mlang Dieu n'a pas dintellect
757
( ) . La dmonstration s'achve sur
une consquence ainsi formule :
#### ###, #####, ###########, ######## ### ############ #### ### #### ###
#### ### ###### ### ####### ############. ##### ### ## ### #############
#### ## ####### ###########, ##### ######### #### ### ############ ########
### #### ##### ########### ########## #### ### ######## ##### #######
# ## #### ###### ### ######## ##### ### ####### ##### ### #####. ####
### ############# ########## ##### ### ####### #####, ############
######## ### ### ##########, ### ## ### ######## #### #### ### ######
#### #######. Tel le cleste, dit-il, tels aussi les clestes (1 Co 15, 48),
de sorte qu'on reconnatra ncessairement que l'intellect est en tous ou en
personne. En effet, de mme que les proprits de l'homme terrestre se voient
dans ses descendants, de mme, ncessairement, selon la formulation de
l'aptre, celui qui a t prouv en tout la ressemblance de notre vie except le
pch (He 4, 15) l'intellect n'est pas pch sest appropri toute notre nature.
Ainsi, en effet, la pense de l'aptre est vraie : nous sommes sa ressemblance,
dit-elle, si nous confessons que lui aussi est advenu notre ressemblance, afin
758
que devenu tel que nous, il nous rende tels qu'il est.
Dans cette spculation logique partir d 1 Co 15, 48 et He 4, 15, Grgoire construit un
enchanement de propositions, qui entrane une seule comprhension possible des deux
versets. En tmoigne la prsence rcurrente des termes et , qui
confrent un caractre de ncessit au raisonnement. La rflexion sappuie sur la rfrence
1 Co 15, 48, puis s'taie avec celle d'He 4, 15, avant de conclure sur une rexposition
de 1 Co 15, 45. En achevant son raisonnement par la reprise du verset initial, prsent
par le tour ( et en effet, la pense de laptre
est vraie... ), comme si ctait le discours doctrinal de Grgoire, par un renversement des
756
Antirrh. 141,7.
757
Antirrh. 145, 13-16. Ce fragment pose des problmes dauthenticit. Cf partie I, chapitre 3, lauthenticit des fragments
dApolinaire , p. 171-172.
758
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rles, qui garantissait la vracit des propos de laptre, l'auteur montre la conformit de sa
dmonstration avec le lieu biblique initial, qui tait pris pour rfrence par Apolinaire dans
le fragment 27. Mais lorganisation logique donne penser que cest lui qui en fait la juste
interprtation, et non Apolinaire.
Cette forme dintgration de l'criture dans la trame du raisonnement logique nous
semble pousse l'extrme dans un passage o Grgoire attaque la pense d'Apolinaire
selon qui le Christ n'a qu'une volont qui est divine, puisqu'il a un intellect divinet non
humain. Commentant le verset de la Passion, Mt 26, 39 : , ,
( Sil
est possible que cette coupe passe loin de moi ! Cependant non pas comme je veux, mais
comme tu veux ), le Nyssen opre un raisonnement spculatif partir du verset, cit
par Apolinaire, pour confondre son interprtation. Il commence par formuler une premire
aporie du raisonnement de ladversaire :
## ### ### ######### #### ##### ##### ####### ## ##### ##### #######,
#### ## ###, ##### # ##### ########## ### ### ##### ############ #########
### ###### ## ####### ####. Si en effet c'est la voix du Dieu Monogne
qui dit : Que soit faite non pas ma volont, mais la tienne (Mt 26, 39), le
raisonnement tourne toujours sur lui-mme, cause d'une contradiction et ne
759
connat jamais d'arrt .
Daprs Grgoire, si Apolinaire prtend quil ny a quune seule volont du Christ, qui est
non pas homme terrestre, mais Dieu descendu du ciel (cf. frg. 63), alors celui qui dclare
non pas ma volont mais la tienne est Dieu lui-mme, ce qui est incohrent.
La rflexion de Grgoire ne sarrte pas l : aprs avoir relev cette premire
contradiction, il exploite toutes les possibilits logiques qui dcoulent de l'assertion de
son adversaire. Lorsque Grgoire cherche aller jusquau bout du raisonnement de son
adversaire tel quil le comprend, cest toujours sur le mode de la logique pure, syllogistique,
pour la pousser jusqu labsurde. La phrase cite ci-dessus ne fait quintroduire un long
raisonnement casuistique :
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ralise pas. Ne fera-t-il pas ce que l'autre veut? Mais celui qui prie veut que lui
arrive ce qu'il ne veut pas. Par consquent, quelle que soit la manire dont de
760
toute faon on le comprend, ce sens est instable , puisquil se contredit lui761
mme et se dtruit lui-mme.
Grgoire veut montrer que la stricte logique dApolinaire conduit au paradoxe. Labsurdit
de linterprtation adverse est dmontre partir dun retournement de la proposition initiale
et repose sur lquivalence que Grgoire fait dcouler du verset non pas comme je veux,
mais comme tu veux (Mt 26, 39) :
Je veux quarrive ce que je ne veux pas = je veux que ce que je veux narrive
jamais.
Grgoire rduit alors cette premire quivalence une seconde :
: verbe rare. Il est utilis par Plutarque pour parler de la mer Crassus, 17, CUF, Vies, t. VII, d. R. Flacelire
762
763
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procds dans lexgse de Thodoret de Cyr, qui prsente un mode de lecture d'une
764
manire qui lui confre un caractre de ncessit .
Ces remarques au niveau stylistique mettent en vidence la faon dont Grgoire conoit
lutilisation de lcriture, pour une part, dans la rflexion doctrinale. Dans la mesure o
la rfrence scripturaire a majoritairement le statut de preuve dans largumentation, elle
peut tre prsente ce titre, par Grgoire, comme un outil distinct de par sa nature du
raisonnement logique dans lequel elle est intgre. Par exemple, tandis quil cherche les
fondements bibliques sur lesquels Apolinaire fonde sa thorie de lIntellect incarn , le
Cappadocien fait une remarque significative :
#### ##### ###### ###### #### ######## ######## ####### ; ###### #### ######
## ########## ######; # ### ###### ##### ######## ###### ######### ## ####
#### ### ##### ########## ######## ##### #####. ## ### ### ##########
### # ####### ### ##### #########, ##### ########## #### ###########
## ###### #### ; Daprs quel Paul, donc, lhomme est appel intellect en
chair ? Quil dise quel autre Paul il tient en cachette ! Le serviteur de JsusChrist, appel aptre, (cf. 1 Co 1, 1) na rien dit de tel dans ce quil a crit. Si donc
ni la rigueur logique (##########), ni lensemble des tmoignages (# #######)
ne confirment cette expression, d'o cette cration trange de doctrine tire-t-elle
765
sa preuve ?
Dans cet extrait, Grgoire associe deux notions, celle d qui renvoie
lenchanement logique dun raisonnement, produit par la raison humaine, et celle de
, qui dsigne les preuves, scripturaires ou conciliaires, qui servent fonder
766
la dmonstration . Celles-ci peuvent tre qualifies d extra-techniques , selon la
terminologie aristotlicienne, en ce sens quelles ne sont pas fournies par les moyens
personnels de lauteur, mais sont donnes au pralable, par opposition aux preuves
techniques qui peuvent tre fournies par la mthode et les moyens personnels de
767
lauteur . Comme le montrent les allusions Paul, juste avant cette rflexion de Grgoire,
lcriture constitue le tmoignage () par excellence dans le discours de
controverse.
Mais la faon dont Grgoire utilise les rfrences scripturaires dans ses raisonnements,
et dveloppe des spculations logiques partir delles, comme nous lavons vu au niveau
stylistique, montre que les valeurs littraires d et de constituent un
tout dans llaboration doctrinale : lcriture est une partie intgrante de la construction
logique. Aussi, dans le discours de controverse chez Grgoire, raisonnements spculatifs
et explications exgtiques ne sont pas conus par lauteur comme deux modes de
rflexion distincts, comme la montr par exemple lexgse de Mt 26, 39. Certes, dans
le raisonnement spculatif, l'autorit de la pense et sa valeur persuasive proviennent de
764
J.-N. Guinot, L'exgse de Thodoret de Cyr, Paris, 1995, p. 296. Ce critique met en vidence les diffrentes prises
de position de Thodoret au cours de ses raisonnements exgtiques, qui comporte des degrs : par exemple, l'exgte prend
nettement position en faveur de l'interprtation mtaphorique ou en indiquant sa prfrence par un adverbe qui en souligne le bienfond, ou bien en donnant son sentiment personnel , ou encore en donnant un caractre de ncessit lexgse quil propose. Les
mmes remarques peuvent tre appliques la mthode de Grgoire de Nysse.
765
766
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Chrysippe (SVF, II, d. J. Ab Arnim, Stuttgart, 1964, p. 68-71) qui utilise l o Aristote emploie (Rhtorique
1410 a 4). J. Danilou commente un passage du De anima et resurrectione (PG46, 52 A), o Grgoire qualifie la dmarche d'Aristote
par rapport celle de Platon, et, reprenant les termes de Grgoire, dclare : Tandis que Platon philosophe sur l'me sur un
mythe ( ), Aristote cherche de faon scientifique () l'enchanement ncessaire () des phnomnes
().
771
772
Plotin, Ennades, I, 8, 2,d. et trad. E. Brhier, CUF, Paris, 1960, p. 116, 11-14.
Plotin, Ennades III, 2, 10, d. et trad. . Brhier, CUF, Paris, rd. 1995, p. 38.
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selon des liens logiques, comme la montr lexgse de Mt 26, 39. Mais elle se situe aussi
la fin dune squence de propositions, tel un sceau, qui vient clore le raisonnement, pour
confirmer la validit de lenchanement formel et imposer une unicit dinterprtation, comme
la montr par exemple lanalyse de 1 Co 15, 48 par Grgoire.
Ainsi, dans lAntirrheticus, comme dans le discours de controverse tel que Grgoire
le pratique, lcriture est prise dans un systme de logique et cre l du
raisonnement. Cela ouvre, selon nous, un type dexgse spculative dans ce genre de
production littraire. Une telle intgration de la Bible dans le discours de Grgoire provient
de lautorit quil lui reconnat. Le traitement du matriau scripturaire chez Grgoire obit
ainsi, lui aussi, une forme d' qui nest pas proprement exgtique, mais dabord
logique. Ainsi n'y a-t-il pas, selon nous, d'opposition dans la mthode entre le raisonnement
spculatif et lexgse biblique : la frontire de l'un et de l'autre est volontiers permable
chez Grgoire. La logique spculative est utilise par Grgoire pour lucider le sens de
l'criture.
### ##### ##### #####; ### #### ### ##### ######## ### #####, ### #####
########; ### ##### #### ### ########## ########, ### ##### #### ###
###### ############ ##### ##########, ### ### ## # ##### #### #######,
##### ## ###### ##### ##### ########## ## ##### ######### ##### #
################# ######## ## ######## ###### #### ### ## #######
######### #######. # #### ############ ## ## ##### ########### ## ### ###
######## ### #### ######### ## ##### ### ########## ## ### ####### #######
####### ####### #####. ##### ## ########## # ########### ### #### #####.
Quelle criture dit cela ? Auquel des saints attribue-t-il laffirmation que
lesprit sest incarn ? Nous navons rien entendu de tel dans les vangiles,
773
Mais tel est aussi le point de vue dApolinaire, mme si Grgoire ne cite pas explicitement de rflexions hermneutiques
166
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774
La polmique porte sur 1 Co 15, 45. Juste avant cet extrait, Grgoire a rfut linterprtation par Apolinaire de ce
exgtiques, mais aux yeux de Grgoire, le contenu quil vhicule nest pas conforme la vrit.
777
Sur la question terminologique, la part dune attaque polmique ou dune vritable conviction thologique est difficile faire.
778
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### ########, ## ####### ##### #####. Lequel des vanglistes a dcrit une
779
union la chair ? Lequel des rcits crits apostoliques a enseign l'assomption
de l'homme ainsi, dans ces termes ? Quelle loi, quels prophtes, quelle parole
inspire, quelle doctrine synodale, nous a confi une telle chose en dpt ? De
ces deux expressions, il attribue donc la seconde nous-mmes, la premire, il
780
dit qu'elle lui est propre.
Sans expliquer pour linstant la nuance de sens thologique entre les deux formules union
781
la chair , assomption de lhomme , on observe toutefois comment Grgoire se sert
de largument scripturaire, purement polmique, lorsquil veut contester les distinctions de
sens qulabore son adversaire pour dfinir le mode dunion de la divinit et de lhumanit
dans le Christ : il dclare que les assertions doctrinales dApolinaire ne se trouvent pas dans
lcriture. Ce faisant, il expose aussi un principe hermneutique : toute assertion thologique
doit tre fonde sur l'criture. Cest ici en fin de rfutation que Grgoire passe au crible de
l'criture la formule apolinarienne . La Bible est comme lultime filtre
d'analyse qui vient invalider la position de l'adversaire. partir du moment o la terminologie,
ou l'ide, ne peut s'appuyer sur aucun terme de la Bible, c'est qu'il y a erreur. Grgoire
prcise auparavant, par le biais de limage du sel, limportance de la rfrence scripturaire
dans llaboration doctrinale :
### ### ## # ## #### ### ###### ##### ### #### ### ######## ##### ###
######## #######, ## ######## ### ### ###### #### ######### #### ###
###### ###########. Tant que l'on ne propose pas au sujet du mystre un
782
783
discours quon a prpar avec le sel divin de l'criture , nous laisserons le sel
784
785
devenu insipide de la sagesse extrieure passer au-del des croyants .
Grgoire reprend ici limage biblique du sel (cf. Mt 5, 13), quil dtourne de son sens originel,
pour lappliquer de faon mtaphorique la prsence de lcriture (
) dans le discours thologique. Le sel affadi dont parle lcriture propos du croyant
affaibli est devenu ici lattribut de la sagesse paenne ( ). Grgoire veut
dire par cette image que le discours thologique qui nest que raisonnement spculatif est
dnatur. Cest la prsence de la Bible, toutes les tapes de la rflexion doctrinale, qui
donne son got de vrit et garantit sa droiture. Pour Grgoire, lune des caractristiques
de lhrtique est l'absence de teneur biblique dans le raisonnement. Par exemple, dans
un autre passage o le Cappadocien commentel'exgse de lHymne aux Philippiens (Ph
2, 6-11) par Apolinaire, il dclare encore :
779
780
781
782
Chez Grgoire de Nysse, cf. Beat. , GNO VII/2, p. 116, 4 ; De inf. , GNO III/2, p. 89, l. 21.
783
assaisonne par le sel de lenseignement divin dans son commentaire Sur le titre des Psaumes, I, 8, 25 (Tit. Ps . , SC 466,
d. J. Reynard, p. 246, l. 17-18).
784
785
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#### ### ######## ####### ### ###### ########## ; ##### ## ## ######## ###
######## # ###### ; # ## ## ####### ###### ### ### ## ####### ########
##### ## ######### ### ###### ; Quel entranement a appris les arts
Beselel (cf. Ex 31, 1) ? Do vient la connaissance de tant de domaines chez
Salomon ? Quant Amos, le pinceur des sycomores, comment a-t-il eu la si
grande capacit de prophtiser, alors quil provenait des chevriers (Am 7,
789
55) ?
L'criture est invoque dans largumentation pour ruiner l'assertion de ladversaire. Elle
est un rservoir dexemples que lauteur exploite pour confirmer ses ides, et qui affermit
le raisonnement en raison de son autorit. Ici, Grgoire ne cite pas de versets qui
attestent la croissance et les progrs humains du Christ, mais choisit des exemples
vtrotestamentaires. Faut-il en conclure quil entend rpondre sur le plan anthropologique
lassertion christologique de son adversaire ? Aucun indice ne permet de dterminer
avec prcision lenjeu argumentatif dans ce passage. Le matriau biblique peut dailleurs
tre utilis, titre dillustration, de faon arbitraire, voire sophistique, dans le cadre de la
polmique. Ce pourrait tre le cas de cette rplique de Grgoire, qui fait fi du contexte
dans lequel Apolinaire en venait formuler son syllogisme, ainsi que de son enjeu
790
christologique . Chacun des partis de la controverse extrait des versets pour justifier ses
ides, comme ici pour donner des exemples de dons inns. Il n'est pas toujours vident
de faire la part entre l'attaque due la polmique et celle qui est rellement fonde, dans
la mesure o la cohrence dtaille de l'analyse d'Apolinaire dans son Apodeixis nous
chappe.
En ce qui concerne le lexique thologique utilis, Grgoire formule deux griefs contre
son adversaire selon les points doctrinaux analyss. Dune part, il lui reproche dinventer des
mots qui nexistent pas dans la Bible, propos du Christ. Dautre part, il laccuse de faire de
vaines distinctions de sens entre des termes bibliques qui sont synonymes, et dintroduire
ainsi des interprtations errones. Le Cappadocien voit dans lexpression
786
789
790
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791
, parce quelle
#### ########## ### ####### ####, ### ### ###### ### ### ###### ##### #####,
#### ######## ### ##### ##### ################ #### ###### ###### ###
792
######### ###### ########### ###########. Que soit intellect incarn
le Dieu Monogne, qui est au-dessus de tout, travers tout et en tout, nous ne
lavons pas entendu dun des saints ni nacceptons que soit insre dans les
793
paroles divines cette trange nouveaut de langage .
Dans ce passage, Grgoire soffusque de voir Apolinaire rduire la divinit du Verbe incarn
la seule facult de lintellect humain, alors que Dieu est celui qui est au-dessus de tout .
Largument scripturaire est donc utilis dans les polmiques doctrinales pour valider ou
rejeter au contraire les expressions thologiques de ladversaire. De mme, avec limage du
minotaure, Grgoire fustige le concept dhomme-Dieu, employ par Apolinaire pour railler
les tenants des deux natures dans le Christ. Il laccuse alors de faire des crations de mots
794
() la manire des potes , et ailleurs encore, il lui reproche de faire de la
795
thologie comme un mythe potique ( ) . Une telle mthode nest pas
celle de la thologie, selon lui, dont le support lexical doit tre lcriture.
Telle est la raison pour laquelle la thologie du suscite la reprise
si frquente par Grgoire de largument scripturaire. toutes les tapes de la doctrine
apolinarienne quil analyse, Grgoire intgre lcriture dans son argumentation comme un
arbitre lexical.
En tmoigne un autre passage o Grgoire revient sur l'ide d'Apolinaire, selon laquelle
le Christ n'aurait pas de humain. Mais cette fois-ci, il se dfend de lattaque de son
adversaire qui dclare que, selon les chrtiens, lhomme qui a t crucifi navait rien de
796
divin en lui, pas mme llment hgmonique () qui est . Pour ce
faire, il cite lcriture pour prouver que lhomme qua assum le Christ nest jamais envisag
dans la Bible sans . Son raisonnement procde en deux temps. Dabord, il cite
plusieurs versets qui prouvent, dun point de vue anthropologique, que la Bible na jamais
ni la facult hgmonique de lhomme. Ainsi mentionne-t-il le Ps 51, 12 o se trouve le mot
, Pr 1, 5 o se trouve lexpression , et enfin 1 Co 2, 11 o est prsent le mot
. Ensuite, il applique ce premier acquis dmonstratif au Christ, qui, titre dhomme,
nest ni , , , mais qui est aussi dot dun , et ce dautant
plus quil a t conu par ombration du divin quest lEsprit Saint. La rfutation de
Grgoire se fonde sur la synonymie de termes bibliques, tirs de contextes trs diffrents :
791
792
c
Les manuscrits ne donnent pas tous la mme version pour ce mot. Le manuscrit Vaticanus gr. 405 corrig (V ) et
le codex Florentinus Laurentianus (F) donnent , l o le Vaticanus gr. 405 et le codex Venetus Marcianus
donnent . Le mme problme se retrouve en Antirrh. 148, 23-24 et 144, 19. La confusion dans les
manuscrits est frquente. Dans notre passage, Grgoire dnonce Apolinaire comme tant un nouveau fabricant de
discours ( ), ce qui explique la leon retenue par Fr. Mller pour ltablissement du
texte.
793
794
795
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,
( On
consentira donc dnommer les parties de lhomme par tous les noms ; soit intellect,
soit esprit soit cur. En effet, les trois mots sont employs par lcriture pour dsigner
797
linstance hgmonique ) . La terminologie biblique, dans ses fluctuations, sert donc
d'argument contre Apolinaire. Le discours exgtique vise ainsi recenser les variantes
pour dsigner un mme objet. La fluctuation terminologique appelle une souplesse dans
l'interprtation. La Bible est ici invoque dans l'argumentation titre doutil terminologique
pour lanthropologie.
Ailleurs encore, elle sert darbitre lexical lorsque Grgoire considre quApolinaire
cherche des subtilits de sens dans des termes qui nont pas lieu dtre. Par exemple,
Grgoire reprend la distinction que fait Apolinaire entre les notions et ,
pour dsigner l'assomption de la chair humaine par Dieu. Apolinaire dclare en effet :
,
( Le genre humain n'est donc pas sauv par l'assomption
798
dun intellect et dun homme tout entier, mais par ajout de la chair ) .Dans le systme
apolinarien, sur lequel nous reviendrons, le Verbe sunit la chair qui vient complter
son tre de Verbe incarn, sans quil assume pleinement toute lhumanit. Il semble que
ce soit le sens de la distinction qui est tablie entre les deux notions. Grgoire s'attache
seulement la subtilit smantique entre et , et montre partir
799
de deux citations bibliques que les deux termes sont des synonymes . Il cite, en effet,
800
des extraits du Psaume 72, 24 ( , ) et du
Psaume 77, 70 (
801
) . Et Grgoire conclut en disant :
( Donc celui
qui a t pris avec la gloire a t lev, et celui qui a t tir des troupeaux pour tre
802
lev a t pris ) . Dans les deux exemples scripturaires cits, Grgoire considre les
verbes et dans leurs sens propres, et quivalents en
fonction de leur contexte. Non pas que Grgoire ignore la nuance des prpositions dans
chaque emploi, mais elles sont interchangeables dans les deux versets en raison de leurs
contextes : le verbe en Ps 72, 24 comprend lide dlvation spatiale
(), l o le mme verbe dans le Ps 77, 70 comprend lide dascension
sociale. Grgoire se sert donc de rfrences scripturaires pour invalider la distinction
smantique tablie par Apolinaire partir des deux prfixes - et -. Mais, sur ce
point, lusage de lcriture par Grgoire est polmique, car les verbes et
797
798
Cf. J. R. Bouchet, Le vocabulaire de lunion et du rapport des natures chez saint Grgoire de Nysse , Revue thomiste,
68/4, p. 568-569. Lauteur montre que les deux termes sont synonymes et signifie galement laltrit selon la nature de ce qui
prend et de ce qui est pris .
800
Avec ta gloire, prends-moi, dit David (Ps 72, 24). Le prfixe - semble indiquer lide dajout, ce que confirme le
complment .
801
Il a lu David, son serviteur et la pris, pour llever, des troupeaux de son pre (Ps 77, 70). Le prfixe - semble
indiquer llvation sociale de David, de ptre au rang de roi, daprs le contexte du psaume.
802
Antirrh. 191, 21-22. En ce qui concerne la traduction, nous ne parvenons pas trouver une cohrence entre les emplois
des substantifs en christologie chez Apolinaire et le sens concret verbal quemploient les psaumes.
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Par exemple, le terme est utilis en 1 Tm 4, 11 pour parler de l'lvation du Fils dans la gloire.
se trouve en Lc 9, 51 pour dsigner l'enlvement du Christ, sa disparition terrestre. Le verbe est employ aussi en Rm
15, 7, dans un dveloppement sur limitation du Christ, et dans bien dautres emplois encore. Le sens biblique d comprend
l'ide d'exaltation. Selon J. R. Bouchet, le contexte d'exaltation est rcurrent chez Grgoire lorsqu'il emploie le terme d' (cf.
Le vocabulaire de l'union christologique chez Grgoire de Nysse , op. c it., p. 568).
804
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Grgoire utilise aussi lcriture, comme un paravent, dans des formules qui font appel
au bon sens commun. Ainsi lorsquil commente le pch originel en termes de maladie, il
dclare :
, ( Et ce n'est pas notre
discours mais celui de la voix divine qui dclare que ce ne sont pas les gens en bonne
805
sant qui ont besoin de mdecin, mais ceux qui se portent mal [cf. Lc 5, 31] ) . Cette
technique, qui consiste se retrancher derrire lautorit de lcriture en raison de son
autorit contribue la vise persuasive de luvre.
En plus de cette faon dintgrer les allusions scripturaires ou de tirer lcriture lui,
Grgoire fait remarquer quil sinscrit dans la tradition apostolique. Se prsenter comme
partisan de la doctrine de l'vangile contre ceux que l'on considre comme hrtiques relve
encore de la rhtorique de polmique. Par exemple, Grgoire introduit ainsi certains de ses
raisonnements :
: cf. Clment dAlexandrie, Stromates, VI, X, 82, 2, SC 446, d. P. Descourtieux, Paris, 1999, p. 226 ; cf. Eun. III,
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## ## ### ###### ### ######## #### #### ## ###### ###### ## #### #####
### #### #### ### ####### #########, #### ## #####, ##### ## ######
########### ## ####, ##### ### ## ####### #### ###### ###### ##########
###### S'il lui est permis, autant qu'il le peut, d'inflchir les mots divins vers
810
ce qui lui semble bon, et, la manire des interprtes de songes , dajuster
lide qu'il veut la lettre [des critures], qu'il attribue ces ides ou d'autres
811
semblables aux divines paroles .
La rectitude du raisonnement doctrinal est garantie par l'ajustement () de
l'ide thologique ( ) la lettre du texte biblique ( ). Grgoire ajoute :
## ## #### ######## ##### ### ### ######## ########### #### ##### ######
########## #### #### ##########, ###### ########### #### ##########
######## ############ ### ########## #########. Mais si, dit laptre,
il faut rejeter de toute faon les fables des vieilles femmes et les nouveauts
812
profanes (cf. 1 Tm 4, 7 ; 6, 20), il ne faut nullement lui concder dajuster
ensemble des ides qui n'ont rien de commun et de coller ensemble des ides
813
incompatibles .
Lerreur dinterprtation de l'criture provient de mauvaises associations dides entre
le sens scripturaire et lassertion doctrinale soutenue, qui sont incompatibles entre elles
814
(, ) . C'est l'image de la jointure qui est prsente ici, avec les deux
verbes rattachs au schme (, ), ainsi que celle du
collage (). Appliqu l'exgse biblique, le principe d' consiste
faire entrer en consonance les ides mises partir du texte avec la lettre du texte luimme. Dans les deux extraits cits ci-dessus, il apparat clairement que lincongruit dune
ide doctrinale applique la lettre de lcriture fait natre non pas un discours thologique,
809
810
Lexpression est rare. Elle est une priphrase qui qualifie la plupart du temps Antiphon,
e
dAthnes (V s.) : celui-ci crivit en effet un trait Sur linterprtation des songes. Lexpression se trouve chez Lucien,
Histoire vraie, II, 33-34, CUF, t. 2, d. J. Bompaire, Paris, 1998, p. 122-123 ; Somnium sive vita Luciani, 17, l. 7 ; Antiphon,
Testimonia, frg. 7 ; d. H. Diels et W. Kranz, Fragmente der Vorsokratiker, II, Berlin, 1954, p. 337. Cf. autre emploi chez
Gr. Nys., Eun. III, 5, 5, GNO II, p. 161, 27. Il est apparemment le seul thologien utiliser cette priphrase. Lallusion par
Grgoire est pleine dironie : elle assimile Apolinaire un nouveau sophiste.
811
812
27
Le texte biblique d1 Tm 6, 20 dans ldition de Nestle-Aland, 1993 donne non pas ,
comme ldite Fr. Mller dans lAntirrh. , mais . Nous retrouvons le mme problme textuel que
celui que nous avions voqu propos dAntirrh. 189, 5-7 (p. 220-221, note 95). Le codex Vaticanus gr. 405 et le codex
Florentinus Laurentianus 7, 4 donnent . Fr. Mller retient dans son texte. La Vulgate donne
8
la leon profanas novitates. Cf. aussi C von Tischendorf, Novum Testamentum graece. Volumen II, Leipzig, 1872 ,
p. 864-865 : les codices les plus anciens de lptre Timothe retiennent la leon , les auteurs patristiques
retiennent majoritairement la leon .
813
814
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### ##### ## ###### ### ##### ##### ##### ##############, ###### #####
### ###### ### ######### #### ### ##### ##########, ######### #########
#### ##### ##### ## ##### ### ####. De la mme faon ces gens-l rapicent
des contes de bonnes femmes (cf. 1 Tm 4, 7) et ensuite tirent d'endroits divers
des mots, des formules et des paraboles, dans l'intention d'adapter leurs
815
contes les paroles de Dieu
Irne et Grgoire opposent tous deux les fables ( ) aux paroles
divines ( ). A. Le Boulluec commente ainsi cette image chez Irne,
qui a de grandes similitudes avec lutilisation quen fait Grgoire : Corps de la vrit
et paroles de Dieu d'un ct, laideur des fables et lambeaux disperss de l'autre : la
comparaison a une grande force polmique ; elle permet d'opposer la saine doctrine qui
prserve la convenance parfaite entre l'agencement des critures et l'unit de la vrit la
monstruosit de l'erreur, qui est elle-mme un assemblage htroclite, un habit fait de pices
et de morceaux, un tissu d'emprunts divers mythes paens, et qui dchire les membres de
816
la vrit pour les contraindre dessiner la forme de ce mensonge . Mme si Grgoire
nassocie pas limage du rapicement propos d1 Tm 4, 7, comme Irne, lide du collage
dlments incompatibles rend compte aussi de lassemblage htroclite.
De la composition maladroite et incohrente dans le discours hrtique dcoule un
dtournement du sens originel de lcriture en vue de la thse thologique, qui en devient
errone. Cest ainsi qu plusieurs reprises, Apolinaire est accus par Grgoire de manipuler
lcriture en vue de son propre , au lieu de se soumettre lui-mme au sens de celleci. Par exemple, propos de linterprtation du commencement de lptre aux Hbreux,
Grgoire sinsurge contre lui de la faon suivante :
### ## ##### ### #### ######## ######### #### ### ##### ###### ##########,
##### ####### ### ## #### ########### ####### ####, ## ##### ########
######, ## ##### ### ###### #########. Tout ce que dans l'ptre aux
Hbreux [Apolinaire] tire encore lui, en vue de son but, comporte dans
l'argumentation une absurdit si vidente qu'il est facile pour chacun de le
817
constater, condition d'avoir un minimum de bon sens .
Laccusation de Grgoire, qui porte sur linterprtation dHe 1, 1-3 par Apolinaire, est
formule par lexpression . Le verbe , qui
signifie tirer, traner au sens premier, est utilis ici comme image pour rendre compte de
lide selon laquelle le raisonnement doctrinal tombe dans lerreur, si lcriture est seulement
soumise au but dmonstratif par contrainte. Grgoire dit en effet un peu plus avant, dans
sa rfutation de la consubstantialit de la chair avec le Logos :
815
816
817
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###### ### #### ######### ### ### ### ######## ######### ######## ##
#### ##### ######## ### ### ### ### ########## ##### ## ###### ## ## ###
### ######, ## ## ## ##### ### ##### #### ### ###### ### #### ### ########
#####, ## ## ########## #### ### ###### ###### ########### ########.
[Apolinaire] ajoute ces paroles, comme tmoignage en faveur dune telle
conception, celle-ci : Avant qu'Abraham ft, je suis (Jn 8, 58), la parole de
Jean : Avant moi, il tait (Jn 1, 15) et un seul Seigneur par qui tout existe (1
Co 8, 6), Lui-mme est avant toutes choses (Col 1, 17) et une certaine parole
de Zacharie que nous omettrons (Za 13, 7), car il lui a fait violence pour la tirer en
818
vue de son but .
Dans les deux extraits cits, Grgoire formule la mme condamnation de lutilisation de
lcriture par Apolinaire avec lexpression , laquelle est
ici adjoint le participe . L'auteur prcise ainsi que, lorsque l'hrtique inflchit
le sens de l'criture, son , et le dtourne en le subordonnant son propre but
dmonstratif, cest au prix dun tour de force. A contrario, Grgoire, par cette dnonciation,
expose la rgle hermneutique selon laquelle la justesse dune interprtation est garantie
par la consonance du raisonnement au de l'criture (
819
) . Or, dans son Contre Eunome, il dfinit le but des critures comme tant le
820
salut, opr par le Christ comme mdiateur entre Dieu et les hommes (cf. 1 Tm 2, 5) .
Ce but global de lcriture est aussi invoqu indirectement dans lAntirrheticus, par
821
lexpression .
818
819
820
821
selon la chair, mais la considrant gale selon lEsprit ). Apolinaire semble vouloir montrer ici que lactivit qui relve du
dans le Christ est commune avec celle du Pre (par exemple, la volont de ressusciter les morts etc. [cf. Jn 5, 17 cit lappui]), mais
que lactivit qui relve de sa chair ( ) lui est propre. tant donn la faon dont Grgoire intgre cette proposition dans sa
phrase, par larticle , lextrait est vraisemblablement textuel.
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#### ### ### ##### ## ############## ########### ### ##### ###### ########
#### #### ### ######## ######### Quant nous, en effet, qui avons
826
compris le sens de la divine criture dans sa simplicit et sans laboration ,
827
nous reconnaissons au sujet des versets cits ceci...
Le critre de simplicit ( ) dans linterprtation scripturaire,
expos par Grgoire, fait partie des revendications topiques dans les polmiques
thologiques pour dnoncer, par contraste, lartifice avec lequel ladversaire construit ses
raisonnements. Dans lexpression quutilise Grgoire, ladjectif renvoie la
construction savante de largumentation. Dans la troisime homlie Sur lHexamron de
823
824
Frg. 60, Antirrh. 176, 5-13. La phrase dApolinaire, si elle est textuelle, nest pas cite intgralement. Nous en avons
Ce passage nest pas le seul o Grgoire souligne lobscurit du raisonnement de son adversaire (cf. aussi Antirrh. 147, 16-20).
Grgoire emploie avec ladjectif pour dsigner lme, pauvre et sans apparat (Epist. , 1, 14,
SC 363, p. 92).
827
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Basile, cet adjectif sert de la mme manire dconsidrer le discours philosophique par
rapport lenseignement spirituel, suprieur, qui est au contraire marqu par le caractre
828
simple et sans artifice ( ) . Labsence de sophisme est un
critre dterminant de lorthodoxie, selon Grgoire, comme pour ses prdcesseurs, au
829
cours de diffrentes polmiques .
lissue de ces analyses sur les principes hermneutiques revendiqus par Grgoire,
sa rflexion sur le statut de lcriture, lutilisation quil en fait et les blmes quil lance
Apolinaire, plusieurs lignes de force apparaissent. Dune part, le discours doctrinal entretient
un lien troit avec lcriture au niveau du langage. Pour Grgoire, lun et lautre doivent tre
consonants. Dautre part, les rfrences scripturaires ne doivent pas tre au service des
ides thologiques, mais la rflexion thologique doit se soumettre au de lcriture.
Pour ce faire, elle doit tre le point de dpart du raisonnement, la rfrence partir de
laquelle le raisonnement se dploie au cours de ses diffrentes tapes, et elle doit confirmer
laboutissement de la pense.
Dune part, lcriture se voit octroyer le statut darbitre lexical pour valider ou rejeter
des assertions thologiques discutes. Mais sur ce point terminologique, nous avons vu les
limites de largument scripturaire tel quil est exploit par Grgoire. En effet, celui-ci reproche
Apolinaire le manque de fondement biblique de lexpression Intellect incarn
propos du Christ ( ). Or, Apolinaire labore cette expression par combinaison
scripturaire. Par consquent, soit Grgoire lui reproche que cette formule ne se trouve
pas littralement dans la Bible, soit largument scripturaire est purement polmique. Nous
avons vu galement comment lcriture tait prise parti dans lAntirrheticus en raison de la
souplesse terminologique quelle recle, face aux subtilits smantiques et grammaticales
analyses par Apolinaire dans la lettre scripturaire.
Dautre part, la vracit ou lerreur dans le raisonnement thologique, pour Grgoire,
se mesure au rapport quil entretient avec lcriture, selon quil se soumet elle ou quil la
soumet lui. Pour ce faire, le langage doctrinal et le langage biblique, lun et lautre, doivent
entrer en consonance, selon le de lcriture, en vertu du critre de simplicit.
Si lon confronte maintenant les prceptes prns par Grgoire la nature du dbat
dinterprtation, on constate rapidement quil na pas toujours sa source dans le fait quun
auteur soumet son discours au but global de lcriture, tandis que lautre asservit lcriture
sa dmonstration thologique, comme le laisserait entendre Grgoire. Mais, daprs les
analyses que nous avons menes sur le dossier scripturaire de la controverse, le dbat
nat souvent dune conception diffrente du statut donn au langage biblique de tel ou tel
passage par Grgoire et Apolinaire, comme nous allons le prciser.
828
829
Homlies sur lHexamron, III, 8, SC 26 bis, d. St. Giet, Paris, 1968, p. 232.
Cf. lanalyse par A. Le Boulluec de la synthse irnenne du thme de la simplicit (La notion dhrsie dans la littrature grecque,
op .cit. I,p. 148-157). Son analyse rattache cette valeur chez Irne une attitude spirituelle et morale du chrtien, par opposition
lhrtique. En effet, la simplicit est conue comme lintgrit dun attachement indfectible au seul vrai Dieu et sa volont unique,
la navet humble du respect envers la tradition et linnocence exempte de simplicit. Sur la vertu de simplicit dans le
dbat entre Basile et Eunome, cf. M. Girardi, Semplicita e ortodossia nel dibattito antiariano di Basilio di Cesarea : la raffigurazione
delleretico , Vetera Christianorum, 15, 1978, p. 51-74.
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Lcriture n'a pas seulement la fonction d'outil polmique qui met lpreuve la thse de
l'adversaire, elle n'est pas seulement un filtre qui garantit la qualit de la pense qui en
mane, mais elle est aussi elle-mme l'objet du dbat, le lieu de litige christologique.
Quand la comprhension d'un passage par les deux auteurs converge, il n'y a pas
lieu de dbattre, et Grgoire le souligne dans son Antirrheticus. Ainsi dclare-t-il propos
de linterprtation par Apolinaire de la parabole du grain de bl jet en terre, qui donne
beaucoup de fruit (Jn 12, 24) :
##### ##### ### #### ### ###### #### ################ ### #### ### #######
###### ###############, ###### #### ### #### ### ### ####### #######
#####, #### ##########. J'omettrai volontairement tout ce qu'il dit propos
du grain qui meurt et qui renat ainsi avec de multiples grains (Jn 12, 24),
830
puisquil nous rejoint et confirme notre interprtation .
Mais lorsque les deux interprtations sont divergentes, le Cappadocien ne manque pas de
porter des soupons sur la pense d'Apolinaire et de souligner lcart entre son interprtation
et la sienne au dbut ou la fin de son exgse. Par exemple, il introduit sa propre exgse
dEp 1, 7 quil reprend dApolinaire, en appelant au bon sens commun :
### ### ######## ###### ##### ## ##### ## ### ##### ##### ### ###########
######## ##### ### ######## ## ######## ######### ### ########### ### ###
###### #####, ### ###### ### ####### ### ### ###### #########, ### ####
###### ###### ########, ### ## #### ##### ### #### ####### ##########.
Comme preuve que le mme est toujours dans la chair et le sang, il a expos la
parole de laptre qui dclare : par lui nous avons obtenu la dlivrance, par son
sang, lacquittement des pchs [par sa chair] (Ep 1, 7) quelle ait une autre
signification, mon avis, aucun de ceux qui ont du bon sens ne le mettrait en
831
doute .
Et la fin de sa longue exgse dEp 1, 7, sur laquelle nous reviendrons, Grgoire conclut
ainsi :
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Cf. le verset de Dn 3, 86 sur lequel nous reviendrons : mes et esprits des juste, bnissez le Seigneur . mes et
esprits pourraient dsigner la mme ralit, alors quApolinaire prend cette distinction sur le plan ontologique comme renvoyant
deux parties en lhomme. Il en va de mme en Jn 4, 23, o Apolinaire voit dans la formule adorer Dieu en esprit une preuve que
la Bible distingue lesprit de lme dans lhomme. Mais le terme desprit se trouve dans le doublet en esprit et en vrit en Jn 4,
23. Nous reviendrons sur ces versets (cf. Partie III, chapitre 5 les preuves scripturaires de lanthropologie , p. 461-516).
834
835
836
837
838
Cf. Gn 2, 7 o lhomme est dit me vivante . Lme dsigne alors lensemble du compos humain.
Peut-on compter au nombre des mtaphores lexpression de 1 Co 15, 45, o le Christ est dit homme du ciel ?
Cf. The New Science of Giambattista Vico, trad. angl. T. G. Bergin et M. Fisch, 1968, 401 sq.
N. Frye, Le grand Code, La Bible et la littrature, Paris, trad. fr. C. Malamoud, 1984, p. 43.
Par langage hiroglyphique , lauteur entend un usage des mots comme une espce particulire de signes. Il ny a pas
de sparation claire entre sujet et objet. Laccent est plutt mis sur le sentiment que le sujet et lobjet sont lis par une puissance ou
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840
Phase du langage qui commence avec Platon, et qui est produite par une lite. Dans cette deuxime phase, le langage
est plus individualis et les mots deviennent au premier chef lexpression extrieure de penses intimes ou dides. Sont davantage
spars le sujet et lobjet, et au premier plan du discours vient se placer la rflexion qui voque un regard jet dans le miroir.
Labstraction devient possible et on commence distinguer des manires valides de penser de celles qui ne le sont pas. On distingue
opration intellectuelle et opration affective. Lexpression est fonde sur une relation plutt mtonymique ( ceci est mis pour cela ).
Les penses indiquent quil existe au-dessus un ordre transcendant avec lequel on peut communiquer par la seule pense et
que seuls des mots peuvent exprimer. Ainsi, le langage mtonymique tend tre un langage analogique, une imitation verbale dune
ralit au-del de lui, qui peut tre transmise trs directement par des mots. Avec la thologie chrtienne, la pense prend une
forme dductive o chaque chose rsulte de la perfection de Dieu parce quon a besoin de prmisses irrfutables. Le commentaire
devient lun des grands genres mtonymiques et les images mtaphoriques traditionnelles sont utilises pour illustrer un raisonnement
conceptuel (cf. N. Frye, op. cit., p. 46-50).
840
e
Phase du langage qui commence au XVI sicle, qui nat dune insatisfaction cause par certains lments du langage.
On peroit que le raisonnement syllogistique ne mne rien de neuf, parce que ses conclusions sont dj contenues dans ses
prmisses et quainsi sa dmarche travers la ralit semblait de plus en plus tre une illusion verbale. Ce mode dapproche traite
le langage comme tant dabord la description dun ordre naturel objectif. Lidal atteindre par des mots est construit sur le modle
de la vrit par correspondance. Une structure verbale est place ct de ce quelle dcrit, et dclare vraie si elle parat lui
correspondre de faon satisfaisante. Le critre de vrit est li la source extrieure de la description plutt qu la cohrence interne
du raisonnement. La structure verbale est donc une espce de comparaison, pareille ce quelle dcrit. Lune de ces transformations
est le dveloppement de la science sur la base de lobservation inductive (cf. N. Frye, op. cit., p. 52-54).
841
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1 Th 5, 23.
Cf. Antirrh. 209, 2-4.
Cf. Antirrh. 209, 5 sq.
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844
dtres, les hommes et les anges . Mais il est possible dinterprter lexpression
employe par le rdacteur du Cantique des trois enfants de Daniel comme dsignant la
845
mme ralit avec un doublet de termes. Nous y reviendrons . Le conflit dinterprtation
entre Apolinaire et Grgoire provient du fait quils donnent un statut diffrent au langage dans
ce verset : pour Apolinaire, il est un outil descriptif, pour Grgoire, il procde par mtonymie.
Dans les quelques exemples que nous venons de citer, le diffrend interprtatif ne tient
pas une divergence de niveau de sens, entre une interprtation littrale par un auteur et
846
une interprtation spirituelle par son contradicteur . Lorigine du dbat tient la nature
du langage que les auteurs reconnaissent dans tel ou tel passage biblique.
Or prcisment, il est intressant de noter que N. Frye, aprs avoir fait tat des trois
tats du langage, cite titre dexemple de langage mtaphorique dans la Bible 1 Th 5, 23
et 1 Co 15, 44, qui sont les preuves allgues par Apolinaire pour dmontrer que lhomme
est compos de trois instances et que la Bible fait une distinction entre lme et lesprit.
N. Frye dit alors : toutes les langues qui ont un rapport avec la Bible font une distinction
entre me et esprit () et des distinctions semblables existent dans les langues modernes.
Personne ne prtendra que les deux mots ont t employs de manire cohrente dans la
Bible () la prire de Paul pour lesprit, lme et le corps de son correspondant (1 Th 5, 23)
nous fait penser que la diffrence entre lme et lesprit veut dire quelque chose. () Ici,
le Nouveau Testament adopte les modes de pense mtaphoriques plus anciens, plutt
847
que les modes de pense grecs plus modernes et plus rationnels . La distinction et
la fluctuation de sens des deux termes dans la Bible montre que la mthode danalyse
rationnelle et rigoureuse des thologiens peut poser des problmes hermneutiques quand
le texte scripturaire procde, pour sa part, diffremment.
V. Conclusion
Il rsulte du statut que Grgoire confre lcriture et la tradition dans lAntirrheticus
que leur utilisation nest pas indpendante de la notion d'hrsie. Le matriau scripturaire
est toujours employ selon l'antagonisme entre vrit et hrsie dans le discours de
controverse. Par ses rapides mises au point en cours de dmonstration, lauteur ne manque
pas dtablir les normes de l'hermneutique biblique. Mais comme nous avons remarqu,
la formulation de la norme ne va pas sans l'attaque ou la dnonciation de ladversaire. Si
848
la norme cre lerreur, lacte qui dcide de lerreur cre aussi la norme .
Dans tous les passages cits, l'auteur fait montre d'un souci constant de revenir la
source de la pense thologique, quest lcriture. Mais celle-ci a elle-mme un statut riche.
En effet, elle est la fois norme, critre de rfrence, de vrification de la droiture d'une
pense, et partant de la vrit. La convergence finale entre une conclusion dmonstrative et
le sens originel de l'criture est encore l'indice que la pense est arrive bon port. Toutefois
844
845
846
entre le sens naturel propre des mots du langage humain et le sens plus lev que lon recherche, ainsi que les lois du passage de
lun lautre, est au cur des controverses de Grgoire partir de 381 . Cette rflexion inaugurale ouvre immdiatement la question
du statut du langage, et selon nous, des statuts des langages biblique et doctrinal.
847
848
-III
182
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elle est elle-mme suffisamment opaque pour devenir l'objet mme de recherche, dun dbat
dont il faut instituer certaines rgles pour garantir la juste interprtation. Ainsi le matriau
biblique est-il la fois lobjet du dbat et loutil dmonstratif. Il est utilis selon des modalits
diffrentes en fonction de son rle dans chaque dmonstration. Comme nous le verrons
en analysant les pices scripturaires les plus importantes de la controverse, les principes
dexgse revendiqus par Grgoire dans lAntirrheticus, tels la simplicit dinterprtation,
la terminologie biblique dans llaboration de la doctrine, ne suffisent pas, eux seuls,
rgler le diffrend exgtique. Celui-ci provient aussi dune comprhension diffrente du
statut du langage selon les versets, en fonction des enjeux thologiques.
Cf. M. Cassin, Contre Eunome III : lexgse structure-t-elle largumentation ? , Grgoire de Nysse : la Bible dans la
Notre typologie est trs proche de celle qua dresse M. Cassin propos du Contre Eunome III (art. cit., p. 86-87). Cela
prouve lutilisation commune du matriau scripturaire par Grgoire dans ses diffrents crits de controverse.
183
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3.
4.
5.
6.
,
. ). Parmi les exemples
invents, Aristote distingue les paraboles des fables. Dans les controverses
thologiques, les paraboles sont fournies par le Nouveau Testament, comme celle
de la brebis perdue quexploite longuement Grgoire.. La frontire entre la fonction
de preuve et celle dexemple nest pas nette : les mises en srie des versets qui
renvoient lhumanit de Jsus, utilises par Grgoire pour rfuter la thse de la
prexistence de la chair, prte Apolinaire, peuvent tre interprtes, dun point de
vue argumentatif, comme des exemples ou comme des tmoignages scripturairesCf.
Antirrh.229, 9-27 ; 156, 1-13..
Il y a les versets qui, eux seuls, constituent un argument par leur autorit mme.
Par exemple, une des tapes argumentatives de la rfutation du
consiste citer comme seuls arguments une longue accumulation une srie de
versets (Jn 1, 14 ; Mt 3, 16 ; Ps 84, 10 ; Ps 84, 12 ; 1 Tm 3, 16) qui invalide la
formule dApolinaire par sa seule autoritAntirrh.147, 3-11.. Dans cet emploi,
lcriture peut constituer aussi chaque proposition dun syllogisme, comme le sens
de Dn 3, 86, qui est prouv uniquement partir dun syllogisme o Lc 20, 36 est la
majeure et le Ps 103, 4, la mineure ; ou encore les deux versets des Ps 72, 24 et
77, 70, dj mentionns pour prouver la synonymie biblique entre et
Antirrh.193, 19-22.. Dans cette catgorie peuvent aussi se situer les versets
qui tissent une trame argumentative, telle limage du Bon pasteur, qui est employe
pour rcapituler le mouvement de lincarnation du Logos, traite dans largumentation
de Grgoire par un procd damplificationAntirrh.152. Nous allons y revenir dans la
suite du chapitre..
Il y a les versets bibliques qui sont l'objet initial d'analyse de la discussion (Ep 1, 7 ;
Za 13, 7 ; Ph 2, 6-11 ; 1 Co 15, 45 etc.).
Il y a les versets qui sont prsents dans la rflexion pour donner une coloration
scripturaire au discours, en gage de vrit doctrinale. Ils dnotent aussi linutrition
de Grgoire par la Bible. Parfois, ils ont presque le rle de fleur de rhtorique. Par
exemple, le Nyssen qualifie lcart de sens entre un dcret du concile de Nice
et son interprtation par Apolinaire comme tant aussi grand que lest lOrient
184
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de lOccident (Ps 102, 12)Antirrh.143, 18.. Dans cet emploi, elle revt aussi une
fonction ornementale, comme nous le verrons propos des versets cits dans
lexordeCf. Antirrh.131-132 (Ps 127,3)..
Les analyses du prsent chapitre visent tudier en dtail quelques passages qui nous
semblent les plus denses et les plus significatifs du travail quentreprend Grgoire sur le
matriau biblique, pour lintgrer sa rfutation en vue dune efficacit non seulement
dmonstrative mais aussi persuasive. Lenjeu est de faire ressortir le dynamisme que
produisent les rfrences scripturaires dans largumentation.
Antirrh. 151, 21 154, 27. Ce verset est rarement cit chez les Pres cappadociens : quelquefois par Basile, Regulae brevius
tractatae (PG31, 1089 C ; 1269 C), Sur le baptme I, 2, 10 ; I, 2, 26, SC 357, Paris, 1989, p. 134 et 184 ; Homlies sur les Psaumes
(PG 30, 304 C ; 465 A [sur Ps 59]). Chez Grgoire de Nysse, Ep 1, 7 nest cit quune autre fois en Cant. cant. 1 (sur Ct 24, 6).
Hormis notre passage, ce verset ne sert jamais tayer la doctrine de lincarnation : cest une preuve quil tait utilis par Apolinaire.
Dans les deux mentions de ce verset dans lAntirrh. , on observe deux variantes textuelles. Dune part, la formule finale par sa chair
27
( ) ne figure pas dans le Nouveau Testament, dit par Nestle-Aland, 1993 , ni mme dans une variante
8
du texte biblique (cf. C. von Tischendorf, Novum Testamentum graece. Volumen II, Leipzig, 1872 , p. 666). Il est probable que cet
ajout provienne dApolinaire. Dautre part, Grgoire utilise le mot l o le texte biblique donne . Pour cette
variante, cf. J. A. Brooks, The New Testament Text of Gregory of Nyssa, Atlanta, 1991, p. 212.
852
853
Antirrh. 152-154.
Antirrh. 151, 10-11. Juste avant la rfutation dEp 1, 7, Grgoire cite une autre preuve scripturaire dApolinaire, Za 13, 7, sans dire
le rle que jouait cette dernire citation. Mais avant mme de lexaminer (ce quil fera aprs lexgse dEp 1, 7), Grgoire dveloppe
lui-mme sa propre conception de la figure du berger et de la Passion du bon berger pour expliquer Ep 1, 7. Cf. M. Harl, La
polmique de Grgoire de Nysse contre lusage de Zacharie 13, 7a par Apollinaire , Grgoire de Nysse : La Bible dans la construction
de son discours, op. cit., p. 90-91 spcialement.
185
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le dit, que la chair na pas t acquise par la divinit en vue dun bienfait, mais
854
quelle est consubstantielle et connaturelle .
En loccurrence Grgoire transpose la polmique dans le cadre du procs, selon un topos
rhtorique utilis dans les controverses doctrinales.
Sa rfutation est construite en deux volets, l'un qui dveloppe la vise de l'incarnation
partir de l'image biblique du Bon pasteur (Jn 10 ; Lc 15, 3-7), l'autre qui explique le
mcanisme de la rsurrection du Christ. Mettant en regard les deux volets argumentatifs,
nous voudrions montrer quils ne sont pas construits de la mme faon, parce que lcriture
na pas le mme statut dans lun et lautre. Cette diffrence dutilisation va de pair avec le
choix des livres bibliques exploits. En ce sens, nous voudrions prouver que lutilisation de
la Bible conditionne la nature de largumentation. Cela engage alors des rapports diffrents
855
entre le discours de Grgoire et celui de lcriture.
A. 1
er
856
Le substrat biblique de rfrence semble tre plutt Lc 15, 3-7 que Mt 18, 12, tant donn les termes utiliss, ce que vient
confirmer lutilisation explicite que fait Grgoire de la parabole en Ref. 175, GNO II, 383, 25-386. Le choix de la parabole de la brebis
perdue (Lc 15, 3-7) est devenu topique pour expliquer la porte rdemptrice de lincarnation chez les Pres. Grgoire exploite aussi
la parabole de la brebis perdue en Eun. III, 10, 11, GNO II, p. 292, 18 sq.
857
Lutilisation de limage lie au contexte pascal est un lieu thologique important (cf. lagneau sacrifi en Is 52, 13-53, 8). Pour ne
citer quun exemple o il est particulirement explicite, Origne, dans son Contre Celse, traite ainsi cette image partir dIs 53-54 :
,
. ,
, . ,
, ( C'est lui qui
porte nos pchs et endure pour nous les douleurs, et nous, nous le considrions comme afflig, frapp, maltrait. Mais il a t bless
cause de nos pchs, affaibli causes de nos iniquits ; le chtiment qui nous rend la paix tait sur lui, par ses meurtrissures, nous
avons t guris. Tous, nous errions comme des brebis, chaque homme dans sa voie particulire ; et le Seigneur l'a livr pour nos
pchs, et lui, maltrait, n'ouvre pas la bouche. Comme un agneau conduit l'abattoir, comme une brebis muette devant celui qui la
tond, ainsi n'ouvre-t-il pas la bouche , Contre Celse, I, 54, 23-31, SC 132, trad. M. Borret, Paris, 1967, p. 224-225).
186
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858
F. Nikolasch, Das Lamm als Christussymbol in den Schriften der Vter, Wiener Beitrge zur Theologie, Vienne, 1963,
spcialement p. 156-171. Ce critique montre comment cette image a t dveloppe dans le discours thologique dabord chez les
gnostiques, dans le systme valentinien. Elle sert toujours montrer la finalit de l'incarnation qui est la divinisation de l'homme. La
brebis perdue dans le mythe gnostique est la partie spirituelle de l'humanit qui doit tre libre de sa corporit, c'est--dire du mal
dans lequel elle est tenue en captivit. Dans la signification oppose de cette comparaison par les orthodoxes depuis Irne, la
brebis perdue reprsente toute l'humanit, pleine et entire, avec ses souffrances, les faiblesses de sa corporit que le rdempteur
a prises sur ses paules en sincarnant (cf. Irne, Haer., III, 19, 3 : Car jamais [lhomme] ne se ft attendu ce qu'il descendt
dans les profondeurs de la terre (Ep 4, 9) pour y chercher la brebis perdue ( ) (Lc 15, 4-6), c'est-dire son propre ouvrage par lui model (), et ce qu'il remontt ensuite dans les hauteurs ( ) pour
offrir et remettre son Pre l'homme ainsi retrouv, effectuant en lui-mme les prmices de la rsurrection de l'homme (
) (cf. 1 Co 15, 20) (SC 211, d et trad. A. Rousseau, L. Doutreleau, Paris, 1974, p. 380). Alors que dans
la polmique anti-doctique, l'image de la brebis perdue est utilise pour montrer que le Christ a t vraiment homme et nen na pas
seulement pris lapparence, dans la polmique contre Apolinaire, l'enjeu est quelque peu diffrent : il s'agit de prouver que le Christ
a t homme intgralement et non pas partiellement, c'est--dire qu'il a assum un corps et une me. L'incarnation de Dieu signifie
ainsi l'unit de l'homme en lui et de tous les hommes.
859
Cf. J. Zachhber, The Human Nature in Gregory of Nyssa, op. cit., p. 220-225 : il montre comment lenjeu principal de la
dmonstration de Grgoire est darriver combiner la ncessit salvatrice de la mort et de la rsurrection du Christ avec la ncessit
salvatrice de sa pleine humanit. Daprs ce critique, ce passage de lAntirrheticus est le premier qui dveloppe cet argument (cf.
Partie IV, chapitre III, la divinit du Christ dans la Passion et la rsurrection).
860
R. M. Hbner, Die Einheit des Leibes Christi bei Gregor von Nyssa, Leiden, 1974, p. 129-165. Lauteur montre comment
par limage de la brebis perdue et par la description de la rdemption au niveau physique dans la rsurrection ( physische
Soteriologie , ibid., p. 145), Grgoire de Nysse sinscrit dans une tradition patristique qui provient dIrne, dans laquelle se situe
aussi Athanase, et qui repose sur des prolgomnes philosophiques propres aux stociens. Selon lui, la doctrine de la rdemption
physique a t labore avec la parabole de la brebis perdue pour la premire fois dans la polmique antidoctique (ibid. p.
300-301).
861
Mme insistance dans le dveloppement de cette image en Ref. 175, GNO II, p. 383, 25-386, 11.Grgoire veut montrer
par l que le Verbe de Dieu nest pas dans le Christ comme lme dans le compos humain. Pour lutilisation christologique du modle
anthropologique chez les ariens et les apolinaristes, cf. M.-O. Boulnois, Lunion de lme et du corps comme modle christologique,
de Nmsius dEmse la controverse nestorienne , d. V. Boudon-Millot, B. Pouderon, Les Pres de lglise face la science
mdicale de leur temps, Paris, 2005, p. 452 sq. Nous reviendrons de nombreuses reprises sur ce thme dans la partie IV de notre
travail.
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862
dans le Psaume 76 au verset 21, que ne cite pas Grgoire . Dans le contexte du psaume,
limage est utilise pour clbrer la dlivrance du peuple juif de la servitude gyptienne.
Lallusion ce passage dans un expos, o lauteur explique la dlivrance du Christ de
la servitude du pch, nest assurment pas fortuite. Le contexte pascal est commun aux
deux textes.
Comme nous pourrons le constater la lecture du tableau ci-dessous, chaque lieu
biblique produit un enrichissement de sens de limage initiale, tout en explicitant Ep 1, 7, qui
est lobjet premier de largumentation : Lc 15 expose le thme de lerrance due au pch,
l o Ep 1, 7 fait mention des pchs ( ), le Ps 76 expose celui de la
dlivrance par le Christ, qui fait cho la dlivrance des pchs (
et ) (Ep 1, 7), et Jn 10, dveloppe le thme du pasteur qui sacrifice
son sang pour son troupeau, thme qui fait cho lexpression
dEp 1, 7.
2. Principe de composition
La trame scripturaire tant prsent expose, voyons comment est insre lcriture dans
le discours de Grgoire.
Pour mettre en vidence la structure de largumentation de Grgoire, nous avons
dcompos les deux mouvements de rflexion dans deux tableaux, que nous tudierons
successivement. Dans chacun deux, nous avons volontairement spar en deux colonnes
ce qui est d'origine strictement biblique (termes, images, citations) et ce qui relve de
la rflexion du thologien. Dans la colonne de gauche, nous rappelons la structure de
l'argumentation ; dans la colonne de droite, nous donnons une traduction. Chaque ligne
du tableau correspond une nouvelle tape de l'argumentation : elles permettent de faire
ressortir comment le discours de Grgoire est labor par rapport celui de la Bible pour
chaque jalon argumentatif. En outre, sont mis en caractre gras les mots qui font l'unit
thmatique de chaque partie (dans le premier volet, reprsent dans le tableau 1, il s'agit
de l'image du pasteur et de la brebis, dans le second volet, reprsent dans le tableau 2,
il s'agit de l'antithse entre la dcomposition des lments humains dans la mort et leur
runification dans la rsurrection). Enfin, sont souligns tous les connecteurs logiques, afin
daider dgager le statut des citations scripturaires par rapport au mouvement densemble.
Les mots repris de la Bible sont mis en italique dans la traduction (ce qui permet de noter
non pas seulement les citations textuelles mais les allusions).
Tableau 1 : l'incarnation (Antirrh. 152)
862
On note ici un procd catactristique de lutilisation par Grgoire de lcriture, que nous appellerons la technique de la
citation oblique . Il sagit des citations bibliques mises en relation entre elles ou avec le corps du dveloppement de lauteur, au moyen
dun mot qui, lui, nest pas cit, et qui se trouve gnralement dans un verset qui prcde ou qui suit la citation retenue par Grgoire.
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Structure
argumentative
Commentaire de
Grgoire
Citations
bibliques
Traduction
1.
...
Qui
ne
L'humanit
brebis
connat
perdue
pas
par
(He
ce
le
2,
divin
pch.
10)
mystre
...
selon
...
lequel
le
conducteu
de
notre
salut
(cf.
va
Lc
chercher,
15,
comme
3)
un
pasteur,
...
la
brebis
?
perdue
Nous,
les
hommes,
sommes
.
cette
(cf.
brebis,
Lc
nous
15,
qui
3-5)
nous
sommes
dtourns
du
troupeau
des
cent
brebis
raisonnab
cause
du
pch.
Et il prend sur ses
, propres paules
189
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Structure
argumentative
Commentaire de
Grgoire
Citations
bibliques
Traduction
2. Le Christ, Bon ,
(Lc 15,
toute la brebis. Car
pasteur la ramne 5)
l'garement n'tait
sur ses paules. ,
pas dans une partie
(Lc 15, 4)...
de la brebis, mais
,
puisqu'elle s'est vade
.
tout entire, il la ramne
...
tout entire : ce nest
190
pas seulement la peau
qui est porte, tandis
Sous contrat 863
Creative Commons : Paternit-Pas d'Utilisation Commercialeque l'intrieur est
.
Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/
abandonn, comme
le veut Apolinaire.
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Mais ce qui se trouve
sur les paules du
1.
...
Qu
ne
L'huma
brebis
connat
perdue
pas
par
(He
ce
le
2,
divin
pch.
10)
mystre
...
selon
...
lequel
le
conduc
de
notre
salut
(cf.
va
Lc
cherche
15,
comme
3)
un
pasteur
...
la
brebis
perdue
Nous,
les
homme
somme
cette
(cf.
brebis,
Lc
nous
15,
qui
3-5)
nous
somme
dtourn
du
troupea
des
cent
brebis
raisonn
cause
du
pch.
Structure
argumentative
Commentaire de
Grgoire
Citations
bibliques
la brebis pour la
sauver
...
,
15, 4).
Traduction
1.
...
Qui
ne
L'humanit
brebis
connat
perdue
pas
par
(He
ce
le
2,
divin
pch.
10)
mystre
...
selon
...
lequel
le
conducteu
de
notre
salut
(cf.
va
Lc
chercher,
15,
comme
3)
un
pasteur,
...
la
brebis
?
perdue
Nous,
les
hommes,
sommes
.
cette
(cf.
brebis,
Lc
nous
15,
qui
3-5)
nous
sommes
dtourns
du
troupeau
des
cent
brebis
raisonnab
cause
du
pch.
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Structure
argumentative
Commentaire de
Grgoire
Citation biblique
Traduction
193
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Le
C'est
...
pourquoi,
Christ
pasteur,
ce
portant
qui
la
se
brebis
manifesta
sur
comme
....
lui,
brebis,
ne
,
c'estlaisse
pourtant
dire
pas
comme
demprein
homme,
derrire
tait
lui, Ps 76,
connu
(cf.
car
mais
il
ses
nest
traces,
pas
selon
marqu
ce
par
qui
le
est
pch.
crit,
ne
ltaient
pas.
Car
il
,
ne
montrait
aucune
trace
de
pch
ou
d'gareme
dans
sa
vie
.
humaine,
celui
qui
portait
sur
lui
la
brebis.
Mais
les
traces
de
Dieu
qui
devaient
naturellem
tre
imprimes
Structure
argumentative
Commentaire de
Grgoire
Citation biblique
Traduction
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Le
C'e
...
pourqu
Christ
pasteur
ce
portant
qui
la
se
brebis
manifes
sur
comme
....
lui,
brebis,
ne
,
c'estlaisse
pourtan
dire
pas
comme
dempre
homme
derrire
tait
lui, Ps 7
connu
(cf.
car
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Car
il
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ou
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sa
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celui
qui
portait
sur
lui
la
brebis.
Mais
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de
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qui
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naturell
tre
imprim
Structure
argumentative
Commentaire de
Grgoire
Citation biblique
Traduction
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Le
C'est
...
pourquoi,
Christ
pasteur,
ce
portant
qui
la
se
brebis
manifesta
sur
comme
....
lui,
brebis,
ne
,
c'estlaisse
pourtant
dire
pas
comme
demprein
homme,
derrire
tait
lui, Ps 76,
connu
(cf.
car
mais
il
ses
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traces,
pas
selon
marqu
ce
par
qui
le
est
pch.
crit,
ne
ltaient
pas.
Car
il
,
ne
montrait
aucune
trace
de
pch
ou
d'gareme
dans
sa
vie
.
humaine,
celui
qui
portait
sur
lui
la
brebis.
Mais
les
traces
de
Dieu
qui
devaient
naturellem
tre
imprimes
Structure
argumentative
Commentaire de
Grgoire
Citation biblique
Traduction
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Le
C'e
...
pourqu
Christ
pasteur
ce
portant
qui
la
se
brebis
manifes
sur
comme
....
lui,
brebis,
ne
,
c'estlaisse
pourtan
dire
pas
comme
dempre
homme
derrire
tait
lui, Ps 7
connu
(cf.
car
mais
il
ses
nest
traces,
pas
selon
marqu
ce
par
qui
le
est
pch.
crit,
ne
ltaien
pas.
Car
il
ne
montra
aucune
trace
de
pch
ou
d'gare
dans
sa
vie
humain
celui
qui
portait
sur
lui
la
brebis.
Mais
les
traces
de
Dieu
qui
devaien
naturell
tre
imprim
Structure
argumentative
4. Conclusion
et transition : le
pasteur sacrifie
sa vie pour ses
brebis
Commentaire de Grgoire
Citation biblique
Traduction
...
...
.
(Jn 10, 11)
(He 2,
14) ....
... (He
2, 10)
Ce tableau met en lumire plusieurs phnomnes qui mritent dtre relevs. Dabord,
il est frappant de voir que la cohrence de tout le mouvement dmonstratif de Grgoire tient
lantagonisme des images de la brebis perdue et du Bon pasteur-agneau pascal (mots en
gras). Le discours de Grgoire ne fait que traiter en amplification une image, dont lorigine est
biblique, en exploitant les diffrentes harmoniques que chaque passage scripturaire dgage
autour du thme de la brebis et du pasteur. Lc 15 voque la brebis perdue ; le Ps 76, 20,
limage des traces ; Jn 10, la voix du bon pasteur ; He 2, 10-18 ; le prtre qui se sacrifie
la place de lagneau.
Deuximement, en ce qui concerne la disposition des citations ou allusions bibliques
dans le corps du raisonnement, chaque nouvelle tape de rflexion, correspondant
chaque ligne du tableau 1, le discours de Grgoire est second par rapport celui de la Bible.
En effet, cest toujours une citation biblique qui inaugure chaque nouvelle ligne du tableau,
cest--dire chaque tape de la rflexion. Lcriture est premire par les images quelle
recle (notamment celle de la brebis perdue) et par la trame dexposition de lincarnation
quelle propose ; dabord lgarement de la brebis, due au pch, ensuite le pasteur qui part
sa recherche, puis qui revient en la portant sur lui. C'est elle qui lance les images et les
thmes. L'allusion biblique engendre le discours de Grgoire qui lui, la commente. Par le
biais de limage sont ainsi dcrites, lune aprs lautre, les tapes de lincarnation du Christ,
except celle de la rsurrection, qui sera traite dans le second volet argumentatif.
Dans cette partie de lAntirrheticus, la rflexion thologique de Grgoire a pour statut
de commenter lcriture. Mais il ne sagit pas dun commentaire la faon de gloses
successives sur un enchanement de versets. Au contraire, en utilisant limage de la
brebis perdue, quil traite sur le mode dune mtaphore file par amplification, lauteur se
charge de recomposer la logique du salut par un montage de diffrents versets mis
868
en symphonie . En tmoigne la prsence des liens de coordination logiques (mots
souligns) : les commentaires de Grgoire sont introduits dans la majorit des lignes du
tableau par un lien causal ou explicatif (, , ). Ils ont pour fonction
dexpliquer le sens thologique de limage, de recrer lenchanement logique dune tape
868
Lexpression est de M.-O. Boulnois, Le cercle des glorifications mutuelles dans la Trinit selon Grgoire de Nysse : de
linnovation exgtique la fcondit thologique , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, op. cit., p. 40.
197
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B. 2
nd
869
198
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Structure
argumentative
1. Le Christ n'a
pas abandonn
l'humanit dans la
mort.
Discours de Grgoire
Discours biblique
,
,
,
...
...
,
.
(Rm 11, 29)
2. Mais il a
surpass la
puissance de
la mort par la
puissance de vie
qu'il communique.
Sa rsurrection
a pour vertu
,
...
...
.
Traduction
199
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de runifier les
lments spars. ,
... ...
...
<
>
873
(Lc 23, 43) ,
200
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de l'me et du
corps
.
,
...
Mais en restant
uni aux deux
parties du
compos humain,
il lunit aussi la
divinit
,
...
(cf.
Lc 23, 43).
201
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Structure
Par cette union,
il produit la
runification
des lments
humains,
cest--dire la
rsurrection de
lhomme
Discours de Grgoire
Discours biblique
...
(Ac 3, 15)
....
Il rconcilie alors
l'humanit avec
Dieu
Traduction
Mais le Dieu Monogne
ressuscite lui-mme
l'homme auquel il s'est
mlang, aprs avoir
spar l'me du corps
et les avoir unis de
nouveau, ainsi advient
le salut commun de la
nature. C'est pourquoi il
est nomm conducteur
de la vie.
En effet, par celui qui
est mort pour nous et
qui a t ressuscit,
le Dieu Monogne a
rconcili le monde
(cf. 2 Co 5, 19),
avec lui,
.. nous ayant rachets,
tels des captifs, par
202
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Conclusion :
...
synthse du sens
, ...
d'Ep 1, 7
Appel un arbitre ,
fictif
.
, ,
, ...
..,
,
,
.
(cf.
He 2, 14).... ...
,
,
[ ]
(Ep 1, 7)
la parent de son
sang avec nous, nous
associant tous lui
par son sang et par sa
chair : par consquent,
la parole de l'aptre
concerne ce point, elle
qui dit que nous avons
la rdemption par son
sang, la rmission des
pchs par sa chair.
...
Tel est notre discours :
Lgende :
875
les mots dorigine biblique sont en italique dans la colonne de la traduction, ce qui
permet de dissocier ce qui est citation textuelle et ce qui est paraphrase
Plusieurs lments ressortent la lecture de ce second tableau. Dune part, llment
thmatique qui donne la cohrence lensemble de la dmonstration sur la mort et la
rsurrection du Christ est lantithse entre la dsagrgation et la runification du compos
humain (mots en gras dans le tableau). Cette manire dexpliquer au niveau de la
ltat du Christ dans la mort et laction de la divinit dans la rsurrection reprend
des lments de la tradition philosophique, comme nous le verrons dans un prochain
875
chapitre , mais nest pas dorigine biblique. Or le lexique de la dissolution-sparation et
de la runification des composs humains ne se trouve pas dans les citations bibliques
mentionnes, mais seulement dans l'argumentation de Grgoire. En effet, comme le montre
le tableau 2, les mots qui assurent lunit thmatique, et que nous avons mis en caractres
203
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gras, se situent uniquement dans la colonne du discours de Grgoire, et non pas dans
celle des citations bibliques : la Bible nest donc plus utilise ici comme la source doutils
terminologiques dans la dmonstration.
Dautre part, du point de vue de la composition, sur chaque ligne du tableau 2,
les citations bibliques sont toujours mentionnes en deuxime position par rapport au
raisonnement de Grgoire. En effet, chaque tape argumentative souvre avec une avance
dmonstrative de Grgoire, quil vient justifier ensuite par un verset. La Bible a trs
nettement ici le statut de preuve : elle ne vient pas lancer la rflexion, mais lappuyer.
Dailleurs, Grgoire emploie le mot pour qualifier deux versets, Lc 23, 43 et Rm
8, 21, quil cite lappui de sa thse, selon laquelle la divinit ne se spare daucun des
876
lments humains dans la mort . Lc 23, 43 ; 23, 46 et Is 49, 16 sont les trois preuves
scripturaires sur lesquelles repose le cur du raisonnement ; la prsence de la divinit
dans chacun des lments du compos humain du Christ pendant sa mort. Lcriture est
donc bien prsente, dans la mesure non pas o elle procure la trame du raisonnement,
mais o elle fournit les preuves pour chaque tape argumentative. Cest donc la voix de
Grgoire qui mne la rflexion. En tmoigne encore la nature des liens de coordination
logique utiliss par Grgoire (mots souligns) : les citations bibliques sont majoritairement
introduites par les conjonctions causales (, , ) : elles ont pour rle de
justifier, de corroborer largumentation ou de lillustrer ().
En outre, lutilisation du corpus scripturaire mrite attention. En effet, Grgoire cite en
grande partie des versets des ptres notestamentaires qui portent sur la rsurrection et
la rdemption (2 Co 5, 19 ; He 2, 14) dans un langage non plus imag, mais conceptuel.
Il mentionne galement quelques versets coloration potique, tel le Ps 84, 10 et Is 9, 16
(la Jrusalem cleste dessine dans la main de Dieu) afin dexpliquer le sens du mot
paradis . Mais la tonalit de ce matriau scripturaire tranche avec celle du raisonnement
de Grgoire, de nature conceptuelle. Cela est lindice, selon nous, que le discours de
Grgoire se dmarque clairement du langage biblique par la terminologie employe, la
diffrence du premier mouvement o le langage biblique dbordait le cadre des versets cits
pour constituer la trame mme du discours de Grgoire. Il y avait donc confusion des voix,
o lcriture tait prdominante. Au contraire, dans le second mouvement, le raisonnement
propre Grgoire est distinct du langage biblique, quil cite comme preuve. Ici, lauteur nest
pas sousmis une trame scripturaire qui lui imposerait un schma argumentatif, mais il
recourt aux rfrences scripturaires pour tayer sa doctrine de la rsurrection, qui, au niveau
de llaboration du discours, est premire. Il y a vraiment argumentation dans ce deuxime
volet, en ce sens que lauteur avance une thse, qui lui est propre et quil vient corroborer
par un ensemble de preuves scripturaires. Pour ce faire, il traite et organise les versets
scripturaires selon une logique thologique qui procde selon les lois du raisonnement
humain par induction ou par syllogisme.
En somme, si lon compare les deux tableaux, on observe deux rapports diffrents
du discours de Grgoire celui de la Bible, selon que ce qui est repris de lcriture est
plutt dordre figuratif, ou plutt conceptuel. Dans le premier mouvement, le ple smantique
dominant est scripturaire (image de la brebis) : la trame de rflexion est biblique. Dans le
second mouvement, au contraire, il est plutt philosophique (dislocation-runification dans
la mort-rsurrection) : la structure argumentative provient alors de Grgoire. Mais dans les
deux mouvements, cest le discours doctrinal qui cre la cohrence logique et lorganisation
dun matriau biblique composite.
876
Antirrh. 154, 2 = 6
me
ligne du tableau.
204
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y a, lui aussi, particip semblablement, afin d'abolir par la mort celui qui avait l'empire de la mort (...) et de dlivrer ceux que la crainte de
205
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sacrifi pour son peuple afin de le sauver de la mort et du pch. C'est aussi ce passage
notestamentaire qui donne une cohrence globale l'enchanement du premier volet sur
l'incarnation avec le second volet sur la rsurrection.
Afin de montrer comment le discours de Grgoire est bti sur lordre dexposition du
mystre du salut dcrit en He 2, 10-18, nous avons, dispos en regard ci-dessous, le
passage dHe 2, 10-18 et les tapes principales du raisonnement de Grgoire propos dEp
1, 7. On pourra voir ainsi les similitudes dans la progression de la pense :
ptre aux Hbreux
Antirrheticus
He 2, 10 : Le Christ, Ep 1, 7 :
879
Le Christ s'est fait homme : He 2, 14 : ,
, [
]. Antirrh . 152, 1 et 153, 2 : le Christ
880
est ;
He 2, 16 :
,
Antirrh . 154,
883
. He 2, 17 : 16 : (....) ...
Antirrh . 153, 26-27 :
,
Antirrh
884
.
153,
1-4
:
He 2, 18 :
885
Antirrh . 153,
3 :
Comme le montre cette comparaison, on retrouve le mme enchanement logique entre
les deux auteurs : en tmoignent les expressions notes en caractres gras dans le tableau
ci-dessus. La rflexion de Grgoire est labore non seulement partir des thmatiques
bibliques, mais aussi de lordre dexposition rcapitulative du salut. En effet, les deux auteurs
voquent dabord lide de lunion du Christ avec la nature humaine, puis le moyen par
lequel le Christ opre le rachat du pch : la destruction de la mort par sa mort. Chez
Grgoire de Nysse, ces deux points thologiques font lobjet de deux volets distincts, lun qui
repose sur la parabole de la brebis perdue, lautre qui dcrit le phnomne de la rsurrection
et ce en quoi elle rachte lhumanit (cest--dire ce en quoi elle la fait revivre). Grgoire
reprend dHe 2, 10-18 lappellation du Christ comme prtre (). Le vocabulaire
quil utilise est galement trs proche de lptre : il dfinit lassomption de lhumanit par le
Christ avec le verbe . Et la fin de son dveloppement, peu avant de conclure, il
cite explicitement He 2, 14, comme en tmoigne lexpression
(Antirrh. 154, 17-18), commune aux deux textes mis en regard (lexpression est
mise en caractres gras dans le tableau ci-dessus). Cela prouve que dun point de vue
thologique, les versets dEp 1, 7 et He 2, 14 taient associs, en raison de la proximit
la mort livrait toute leur vie l'esclavage (...) en consquence, il devait se faire en tout semblable ses frres, afin de devenir un Grand
prtre misricordieux et fidle dans le service de Dieu, pour expier les pchs du peuple (trad. Bible de Jrusalem, Paris, 1999).
206
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de leur formulation. Grgoire profite de ce lien entre les deux versets pour enrichir le sens
dEp 1, 7 avec le contexte dHe 2, 14, cest--dire avec la trame propose par les versets
10-18. Toutefois, les quelques diffrences de disposition entre le raisonnement de Grgoire
et celui de l'Eptre aux Hbreux montrent que l'auteur radapte sa source en fonction de
l'organisation gnrale de son propos, qui intgre lui-mme d'autres passages scripturaires.
La trame de prsentation du rachat de lhumanit par le Christ, telle quelle se trouve en
He 2, 10-18, nest naturellement pas propre cet crit notestamentaire, on la trouve dans
bien dautres ptres pauliniennes, mais le thme caractristique de ce passage biblique
est celui du Grand prtre. Or il est prcisment lobjet du commentaire de Grgoire dans le
dveloppement de la parabole du Bon pasteur. En quelque sorte Grgoire relit la parabole
vanglique la lumire et dans les termes de lhistoire du salut rcapitule dans lptre
aux Hbreux.
Les rapprochements possibles entre le mouvement de pense scripturaire et celui de
Grgoire montrent comment l'utilisation du matriau biblique par l'auteur ne consiste pas en
une simple compilation de versets tirs de diffrents livres bibliques et juxtaposs les uns
aux autres, mais en une superposition de diffrents passages scripturaires. En tmoigne
la trame d'exposition des ides qui est tisse partir de plusieurs passages bibliques la
fois. En effet, du point de vue de la composition,He 2, 10-18 sert de trame premire, avec
la thmatique de la thologie sacrificielle du Christ dans sa fonction sacerdotale, comme en
atteste la formule inaugurale du conducteur de notre salut , premire allusion explicite
qui en provient. Sy superpose lhistoire de la brebis perdue (Lc 15, 3-7),qui volue dans
le sens de la parabole du Bon pasteur, telle quelle est dveloppe en Jn 10, notamment
par la familiarit de la voix du pasteur avec ses brebis. Le lien thmatique est celui du
Christ, Grand Prtre, qui se sacrifie pour son peuple, et qui est, ce titre, agneau immol.
Le rapprochement n'est pas d Grgoire de Nysse. Il tient son origine de la littrature
prophtique vtrotestamentaire (Is 53, 7), et il est un lieu thologique important chez les
auteurs patristiques. En atteste, par exemple, la fin du Discours thologique 31 de Grgoire
de Nazianze, qui dclare : , , .
, . ( Il est brebis (cf. Is 53, 7) parce qu'il est gorg. Il est agneau,
parce qu'il est parfait (Jn 10, 9). Il est Grand prtre (He 2, 18), parce qu'il offre le
886
sacrifice .
Enfin, la prsence implicite du chapitre 2 de l'ptre aux Hbreux pourrait expliquer
pourquoi, lorsque Grgoire cite Ep 1, 7 (
, ), au dbut et la fin de son analyse, il ajoute
, que nous avons marqu entre crochet parce que la formule ne fait
887
pas partie du texte biblique . Elle est dailleurs rpertorie comme une variante du texte
888
biblique par J. A. Brooks . tant donn que lon trouve lexpression
en He 2, 14, il est possible que lajout au verset dEp
1, 7, pour faire pendant , soit d un phnomne de contamination d'un
889
verset par un autre, en loccurrence dEp 1, 7 par He 2, 14 .
886
887
888
889
et qui ont pour effet parfois de donner une signification nouvelle au verset dorigine (comme nous le verrons dans notre tude de
lexorde, cf. infra).
207
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,
, ,
,
.
,
,
.
.
,
.
,
,
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(
, ,
) ,
,
,
,
. ,
,
,
,
.
,
, ,
.
,
,
, ,
.
890
Le lecteur qui ouvre lAntirrheticus dans lattente dy trouver une rfutation du trait
dApolinaire intitul Dmonstration de la divine incarnation la ressemblance de lhomme
y lit dabord une exgse suivie de plusieurs versets, Mt 7, 15 ; Gn 30, 38 ; Ps 127, 3. Il y
a demble une ambigut nonciative : Grgoire prte en effet sa voix lcriture et plus
prcisment au Christ, dont il dit :
##### ## ####### ######## ### ### ##### # ### ###### #### #########
######### ### ### #############, ####### ########, ####, #### ### ##
210
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A. Le traitement de Mt 7, 15-16
Lenjeu de l'exorde est d'inciter le lecteur voir en Apolinaire le loup-rapace de lvangile
(cf. Mt 7, 15 ; Jn 10, 12). Lutilisation de ce verset par Grgoire pour introduire sa discussion
avec Apolinaire ne lui est pas propre. Le loup-rapace de Mt 7, 15 est devenu en effet un
892
motif topique dans les crits de controverse . Mais Grgoire retravaille limage biblique en
lui donnant une envergure nouvelle, par le truchement dautres versets.
Pour ce faire, l'auteur opre plusieurs inflchissements du sens initial de ce verset. En
effet, alors que chez Matthieu, le fruit est envisag de faon morale selon la dichotomie
bien-mal ( Tout bon arbre produit de bons fruits, tandis que larbre gt produit de mauvais
fruits ), chez Grgoire, la thmatique du bon ou du mauvais fruit volue selon lantagonisme
de la vrit et du mensonge, comme latteste lextrait ci-dessous. Comme on le peut le voir,
lauteur enrichit aussi le sens de limage en assimilant le faux-prophte avec le voleur de
la parabole du Bon pasteur de Jn 10 :
polmiques utilises par Jsus lui-mme contre les ennemis de lglise. Pour une tude dtaille de lvolution de linterprtation
polmique de ce verset, cf. A. LeBoulluec, La notion dhrsie dans la littrature grecque, op. cit., t. I, p. 26 : daprs lui, Ignace est
le prcurseur du rle que joue Mt 7, 15 dans lhrsiologie (cf. Lettre aux Philadelphiens, II, 2, SC 10 bis, d. P. Th. Camelot, Paris,
4
2007 , p. 122). Le verset est employ de faon polmique parJustin, Apologie 16, 14 ; I, 16, 13, 3, SC 507, p. 176 (pour voquer la
distorsion entre les paroles et le comportement de ceux qui se disent chrtiens) ; par Irne, dans la polmique contre les gnostiques,
o limage est utilise pour dfinir ce qu'A. Le Boulluec appelle la pithanologia hrtique , contre ceux dont les penses diffrent des
paroles, ceux qui produisent une exgse mensongre. Ce sont des loups qui se cachent sous des peaux de brebis, ces loups dont
le Seigneur a recommand de se garder, car ils disent les mmes choses que nous, mais leurs penses sont diffrentes (Haer.,
I, prface, 2 ; SC 264, p. 22 = piphane, Panarion, 31, 9, 6). Chez Origne, limage sert le grief de faux-semblant lanc contre les
hrtiques qui ont extrieurement les traits communs de tous les chrtiens, mais qui sont en ralit des imposteurs, qui feignent d'tre
l'intrieur de l'glise alors qu'ils ne sont qu'extrieurement chrtiens (cf. Commentariorum Series In Mattheum. 21, GCS Origenes,
XI, d. E. Klostermann, Berlin, 1976, p. 37, l. 25-31).
211
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un dehors domestique, il convient de chercher les bons et les mauvais fruits par
lesquels lapparence de la tromperie est dvoile (## ## ## #### ### ######
893
#############) .
Dans cette ligne interprtative effleure lide traditionnelle que lhrtique est le disciple du
894
Pre du mensonge ( ) , qui disperse le troupeau, cest--dire qui
sme le trouble public. La dernire assimilation est topique dans les polmiques doctrinales,
y compris dans la controverse anti-apolinarienne. En effet, Grgoire de Nazianze, dans
l'exorde de sa Lettre 101 Cldonius, dconsidre de la mme manire Apolinaire :
Basile, Contre Eunome, I, 1, SC 299, p. 142 ; Grgoire de Nysse, De Deit. , GNO X/2, p. 141, l. 18 etc. Lassociation de lhrtique
au diable lui-mme fait partie des outils rhtoriques de la polmique. Cf. ltude dA. Le Boulluec sur ce thme dans la littrature
e
e
hrsiologique des II et III sicles, La notion dhrsie dans la littrature grecque, op. cit., t. I, p. 176-184 (chez Irne).
895
Pour lutilisation de dans la littrature post-classique, cf. note 2 de P. Gallay, SC 208, p. 37. Le terme
dsigne lorigine le percement dune galerie de mine, puis linvention de mots. Thodoret lapplique la doctrine
dApolinaire (cf. Eranists 3, 312, d. Ettlinger, p. 249, l. 1). Il faut rapprocher ce mot de (1 Tm 6, 20 ; 2 Tm 2,
15), qui est aussi utilis par Grgoire plusieurs reprises (dont Antirrh. 144, 18-19) pour dnoncer les innovations de son
adversaire (cf. chapitre prcdent, Principes et mthodes hermneutiques ).
896
897
212
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dchirer le troupeau par des discours pilleurs et violents, puisqu'ils guettent des
circonstances malheureuses, vu qu'ils ne sont pas en mesure de s'imposer au
grand jour ! Je crains aussi que les brigands et les voleurs ne sintroduisent par
898
escalade dans l'enclos pour capturer sans se cacher, ou drober par tromperie,
de faon sacrifier, massacrer et dtruire, pillant dans des vols, dvorant les
899
mes, comme le dit un des prophtes (Ez 22, 25 ; 34, 2-10) .
Derrire l'image des loups-voleurs, Grgoire de Nazianze dsigne les partisans d'une
cabale (autour d'un certain Maxime) qui avait t monte contre sa personne pour l'vincer
900
du sige piscopal de Constantinople . Limage a ainsi une rsonance politique, elle est
utilise pour dpeindre toute situation de crise, ou de scission lintrieur de lglise. Le
rapprochement de lexorde du Nyssen avec les deux ouvertures des discours de Grgoire
de Nazianze montre une constante dans lutilisation de limage biblique du voleur au milieu
du troupeau, pour dsigner lhrtique : celle-ci met en valeur les consquences de lerreur
doctrinale sur la situation ecclsiale.
Dans lexorde de lAntirrheticus, ladversaire est prsent demble comme un fauteur
de trouble parce quil divise lglise. Cette ide est nonce par Grgoire au prix dun
deuxime inflchissement du sens de Mt 7, 16. Il interprte limage des bons fruits
comme signifiant laccroissement des chrtiens, tandis que le mauvais fruit produit la perte
901
de fidles :
898
Jn 10, 10.
899
Grgoire de Nazianze, Discours26, 3, trad. revue de J. Mossay, SC 284, Paris, 1981, p. 230.
900
On retrouve le mme thme en guise d'ouverture du Discours catchtique, o Grgoire de Nysse dclare :
,
, ( Le discours de catchse
est ncessaire pour ceux qui sont prposs au mystre de la pit, afin que l'glise s'accroisse par l'augmentation du nombre des
sauvs (Ac 2, 47), tandis quest propos aux oreilles de ceux qui ne croient pas un discours didactique conforme la doctrine (Or.
cat. , prol., SC 453, p. 136, trad. revue de R. Winling).
902
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Le systme dnonciation dans cet exorde mrite attention. En effet, les lieux bibliques qui
succdent Mt 7, 15 ne sont plus introduits explicitement par Grgoire, comme le montre
lextrait ci-dessous (les allusions bibliques sont mises en italique) :
## ###### ### ##### ### ### ##### ## ####### ### ### ##### ## ##### ###
###### ######## ### ###### ### ############# ## ######### #######
#### ### ### ########## ###### ### ##### ############ ####### ### ###
####### ####### ###### ## ###### ### ########## ### ###########,
## ## ############ ## ###### #### ### ## ##### ########### ### ######,
########### ## ## #### ######## ### ########### ######## ######
######## ### ### ###### ### ########### ############# (###### ### ####,
##### #######, # ### ######## #########), ###### #### ######## #### ###
##### ###### ########## ## #######. Si donc quelquun augmente par ses
discours le troupeau, fait stendre la vigne sur toutes les parois de la maison
et la fait crotre autour de la table du Matre (cf. Ps 127, 3), transformant ceux qui
proviennent de lolivier sauvage (cf. Rm 11, 17 sq.), errant, en rejetons doliviers
(Ps 127, 3) et sil jette des baguettes mystiques dans la source douce et potable
de lenseignement, grce auxquelles les troupeaux se reproduisent (cf. Gn 30,
38), de sorte que ce que possde Laban diminue tandis que la part de Jacob se
redresse et saccrot avec une progniture marque dun signe (Gn 30, 38) si
quelquun peut montrer un tel fruit de lenseignement (car le fruit, comme il a t
dit, cest laugmentation de la vrit), il est vraiment prophte, parlant sous la
903
motion de lEsprit selon le dessein de Dieu .
Le cadre de la polmique est pos en termes bibliques ici : Grgoire fait une contamination
scripturaire entre le Ps 127, 3 et Rm 11, 17 (opposition de lolivier sauvage et de lolivier
904
franc) . En effet, l o le Psaume 127 compare les fils des rejetons dolivier en cercle
autour de la table ( / ), Grgoire
parle de ceux qui proviennent de lolivier sauvage (Rm 11, 7) qui sassemble autour de la
table (
), greffant pour ainsi dire le motif de lolivier sauvage sur le verset
du psaume. Le sens du verset du psaume est donc retravaill la lumire notestamentaire :
Grgoire reprend la comparaison de Paul qui compare les paens convertis lolivier
sauvage qui devient franc, et entretient, par cette contamination scripturaire, la dichotomie
entre ceux qui sont en dehors ou au dedans de lglise, entre le prdicateur qui convertit
905
les plans dolivier sauvage en olivier franc et celui qui les arrache une autre manire de
dsigner les orthodoxes et les hrtiques.
903
904
,
,
,
( En revanche si quelqu'un arrache les sarments de la
vigne, s'il rend dserte la table divine en arrachant les plants, et qu'il complote contre l'abreuvoir de l'Esprit, si bien que les brebis
ne conoivent plus devant les baguettes du patriarche, que le troupeau ne se multiplie plus avec les prognitures marques d'un
signe mais qu'il les dtourne du pturage nourrissant, c'est--dire des traditions des Pres, qu'il les fasse vivre hors de l'table et les
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L'allusion
l'histoire
de
Jacob
et
de
Laban
s'explique
par
la
thmatique
de
l'accroissement
du
troupeau, image de l'glise, vers laquelle Grgoire a fait voluer le sens de Mt 7, 15. Cette cl interprtative
est prsente dans la tradition patristique comme en atteste la mention dans une autre polmique antrieure
celle d'Apolinaire. Origne, en effet, dans son Contre Celse, explique de la faon suivante le sens des brebis
marques d'un signe qui viennent boire l'abreuvoir, o se trouvent des baguettes et prosprent (Gn 30, 38
sq.) : , .
Nous chez qui les
nations varies ont t marques et sont gouvernes par la parole de Dieu, richesse donne qui est figurativement appele Jacob.
C'est l'arrive de ceux qui viendront des nations la foi au Christ qu'indique l'histoire de Laban et de Jacob (Contre Celse, IV, 43,
SC 136, d. et trad. M. Borret, Paris, 1968, p. 296).
907
Le terme de est utilis par les Pres pour dsigner l'eau de la vie, l'enseignement de vie de Jsus (Origne, frg. 54sur
Jn 4, 12, GCS, Origenes Werke, d. E. Preuschen, Leipzig, 1903, p. 528, 27) ; l'eau de lvangile chrtien (Theod., Hist. Eccl. V,
31, 1, GCS Neue Folge, Band 5, d. L. Parmentier, op. cit., p. 330-331) ; l'eau de la doctrine (Athan., De Decretis synodi, 2, 6,
Athanasius Werke, II, 1, d. H.-G. Opitz, Berlin-Leipzig, p. 2) ; l'eau du baptme (Didyme, De Trinitate 2, 22, PG 39, 556 C). Quand
il est associ la vigne, il dsigne le vin eucharistique. Cf. Clment dAlexandrie, Pdagogue, II, 2, 32, 2. Commentant les paroles
du Christ lors de la Cne, Clment dclare :,
, ( Prenez, buvez : ceci est mon sang ; sous le
sang de la vigne, il dsigne par allgorie le Logos qui a t rpandu pour beaucoup, en rmission des pchs, la boisson sainte de la
joie ), SC 108, trad. revue de Cl. Mondsert, Paris, 1991, p. 68-70. Grgoire de Nysse emploie limage de la source pour caractriser
lenseignement : cf. Eun. III, 1, 59, GNO II, p. 22-23 : il voque avec le mot la souce du discours ( ) qui est
dverse avec la grce de lenseignement ( ). Cf autres emplois non imags chez Grgoire, Inst. , GNO
VIII/1, p. 57,7 ; Epist. 17, 27, SC 363, p. 230 ; Vit. Moys. , 2, 66, SC 1 bis, p. 14 : ,
( La source de la foi jaillit potable et limpide, puise par lenseignement saint ). Limage
est utilise en dehors de la littrature patristique, pour dsigner la source de la sagesse. Philon emploie lexpression
pour dsigner la source dsaltrante de la sagesse (De posteritate Caini, 125, 4, coll. Les uvres de Philon dAlexandrie,
6, d. R. Arnaldez, Paris, 1972, p. 118 ; 155, 4, p. 136 ; Quod Deus sit immutabilis, 96, 2, uvres de Philon, 7-8, d. A. Moss,
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utilis par les auteurs patristiques dans plusieurs emplois, dont celui du vin eucharistique.
tant donn la prsence de la table du matre ( ) qui prcde la
mention , il est fort probable que Grgoire superpose un second niveau
smantique l'image de la boisson de l'enseignement , associant alors la table de la
Parole et celle de l'Eucharistie, ce qui justifierait a fortiori l'emploi de mystique ()
pour qualifier les baguettes . Ladjectif suggrerait alors le mystre du sacrement de
909
l'Eucharistie . Grgoire nest pas le seul associer limage de la source de lenseignement
avec lEucharistie. Thodoret de Cyr en effet utilise la mme image dans son commentaire
sur le Ps 35, 9 : , ,
( [le psalmiste] fait allusion par ces
mots non seulement aux sources de lenseignement divin, mais aussi la jouissance de la
910
nourriture mystique ) . Le discours dogmatique enrichit le sens de chaque image biblique
en les superposant les unes aux autres et en ajoutant des qualifications personnelles, tel
ladjectif . Cela contribue brouiller la frontire sur le plan de lnonciation entre
dit biblique et discours de Grgoire.
La confusion apparente des voix atteint son point maximal la fin de la longue phrase
cite dans lexemple ci-dessus. Celle-ci est mme la limite de la cohrence de sens,
si le lecteur na pas prsent lesprit larrire-fond biblique. Alors que lon attendrait un
schma de pense allant de la particularit du verset biblique une reformulation gnrale,
on observe dans la subordonne une assertion impersonnelle, comme nous lavons not,
hors de tout contexte biblique :
## ###### ### ##### ### ### ##### ## ####### ### ### ##### ## ##### ###
###### ######## ### ###### ### ############# ## ######### ####### ####
### ### ########## ###### ### ##### ############ ####### ###### ###
####### ####### ###### ## ###### ### ##### ##### ### ###########, ## ##
911
############ ## ###### ,
qui a pour consquence logique lhistoire de Laban et de Jacob, laquelle renvoie un
contexte historique biblique trs prcis : ,
.
Grgoire transpose la situation de polmique dans lhistoire biblique, Apolinaire et
Grgoire devenant comme Laban et Jacob. Alors la trame scripturaire, amplifie si
Paris, 1963 : ( sources deau cleste ) ; De Specialibus Legibus IV, 56, 1, uvres de Philon,
25, d. et trad. A. Moss, Paris, 1970, p. 232 : ( fontaine suave do
coulerait un ruisseau propre pour les mes assoiffes de bon ordre ) ; Libanius compare la beaut de la philosophie la source la plus
dsaltrante ( ), Oratio XIII, 12, 4, d. R. Foerster, Libanii opera, II, Leipzig, 1904, p. 67. Thodoret
de Cyr reprend cette image qui qualifiait la sagesse paenne, pour lappliquer la sagesse chrtienne. Il utilise alors la priphrase des
sources de la sagesse ( ) pour parler de la vrit vanglique (Thrapeutique des maladies hellniques, VIII, 4, 5,
SC 57/2, d. P. Canivet, 2001, p. 311). Le mot est utilis aussi dans un sens potique : cf. Themistius parle de l'abreuvoir des muses
( ), Orationes, 27, 337 d 3, d. G. Downey, A. F. Norman, H. Schenkl, vol. 2. Leipzig, 1971, p. 162 ; cf. aussi
Dion Chrysostome, dans la mme utilisation, Orationes, XII, 30, 6, d. G. Bud, Leipzig, 1916, p. 207.
908
909
910
B ( ).
911
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## ######## ### ### ###### ### ########### ############# (###### ### ####,
##### #######, # ### ######## #########), ###### #### ######## #### ### #####
###### ########## ## ####### Si quelquun peut montrer un tel fruit de
lenseignement (car le fruit, comme il a t dit, cest laugmentation de la vrit),
il est vraiment prophte, parlant sous la motion de l'esprit selon le dessein de
912
Dieu .
Par cette phrase, Grgoire reprend la longue proposition subordonne o senchanaient
des images bibliques, en rattachant son interprtation de Gn 30, 38 aux contextes historique
et scripturaire premiers (Mt 7, 15) par un commentaire personnel : car le fruit, comme il a
t dit, cest laugmentation de la vrit . Le bon fruit est celui de lenseignement, qui
produit laccroissement des fidles dans lglise. Malgr la disparit apparente des allusions
bibliques, il souligne la cohrence et la pertinence de son entre en matire scripturaire par
rapport la situation dnonciation.
Leffet de confusion des voix dans lexorde, o Grgoire a insr des lments bibliques
sans dmarquage particulier, a un poids trs fort dans largumentation et sur la disposition
intrieure du lecteur pour la suite de la Rfutation. Qui confond ladversaire ? Grgoire ou la
Bible ? Lhistoire biblique de Laban et Jacob semble transpose l'histoire hrsiologique
du IVe sicle sicle, tant donn la rinterprtation de Mt 7, 15 la lumire de Jn 10
(les faux-prophtes devenus mauvais pasteurs), mis en contexte ecclsiologique. La trame
scripturaire, si dense, amplifie par l'auteur si longuement, pourrait bien aussi tre une faon
de rcrire en langage biblique la polmique entre Apolinaire et Grgoire. Et la voix de
Grgoire, lorsqu'elle se dmarque de la voix biblique, a pour fonction d'actualiser les paroles
bibliques dans le contexte de la polmique.
Tout concourt mettre le Laodicen en mauvaise posture. Le bnfice de Grgoire
avant mme dengager la rfutation dApolinaire est de substituer son propre discours la
voix biblique, mais aussi de sattirer la bienveillance du lecteur par une utilisation brillante
des topoi bibliques de polmique (cf. Mt 7, 15 sq., Gn 30, 38), en laissant lcriture ellemme introduire le dbat.
Toutefois, le matriau scripturaire n'est pas seulement utilis par Grgoire comme une
arme dans la polmique, en vue de la persuasion du lecteur ; il est aussi conu comme le
terrain de rflexion sur le contenu de la foi chrtienne.
912
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913
de lample commentaire linaire de lHymne aux Philippiens, sur lequel nous reviendrons .
Ces deux passages donnent leffet dune digression, parce que la tonalit polmique sest
estompe et que Grgoire ne semble pas rpliquer directement Apolinaire. Comme nous
lavons cependant vu propos de limage de la brebis perdue, ces dveloppements ne sont
jamais sans lien avec le contexte polmique dans lequel ils se situent, mais lenjeu semble
tre ailleurs pour l'auteur. Ils servent rfuter ladversaire indirectement, sous une autre
forme, dans la mesure o ils font contre-poids aux analyses d'Apolinaire, et pourtant sur les
plans stylistique et structurel, la teneur polmique napparat plus avec vidence.
Lexamen par Grgoire des preuves scripturaires dApolinaire, dans la deuxime partie
de l'Antirrheticus, sur la consubstantialit de la chair, est ainsi construit selon une alternance
entre rfutations et dveloppements plus personnels, o l'auteur rcapitule sa propre
comprhension de l'incarnation selon la vise sotriologique. En effet, par la parabole du
Bon pasteur, Grgoire rappelle la cause de lincarnation qui est le pch, la philanthropie
de Dieu qui rejoint la brebis gare, fait un avec elle (
) et la sauve de la mort par la rsurrection. Dans son commentaire
de lHymne aux Philippiens, Grgoire dcrit la condescendance du Logos qui prend la
forme desclave , en assumant la nature humaine, forme une unit avec lhomme (
914
) , sabaisse jusqu mourir sur la croix, est ressuscit
par le Pre. Dans les deux passages, la doctrine de lincarnation est dveloppe de son
commencement jusqu son effet final, selon un mouvement dloignement et de retour, ou
de descente et dlvation. Les deux extraits ont chacun une cohrence thologique propre,
indpendamment du contexte rfutatif, et prsentent de fortes similitudes sur les termes
employs ou la faon de dcrire luvre du Christ.
Llment le plus significatif du changement de tonalit avec lensemble du trait est
le suivant : Grgoire achve son commentaire linaire de Ph 2, 6-11 par un Amen ,
aprs le dernier verset de lHymne aux Philippiens, la manire dune doxologie finale, par
915
laquelle il termine trs souvent ses homlies, selon un usage convenu . Comparons la fin
du commentaire linaire de Ph 2, 6-11 avec lune de ses homlies, Sur la nativit du Christ.
Dans lAntirrheticus, il dclare :
catchses baptismales, SC 366, d. A. Pidagnel, Paris, 1990, I, 23, p. 163 ; II, 10, p. 209 ; III, 10, p. 242. Chez Grgoire de Nysse,
cf. In sanct. pasc. , GNO IX, p. 270, 7 ; Trid. spat. , ibid., p. 306, 10 ; Diem lum. , ibid., p. 242, 3 ; De deit. , GNO X/2, p. 144, 13 etc.
916
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### ##### ##### ##### ####### ####### ### ####### ####### ###### ###
########## ########### ## ####### ### ####### ##### ####### ##########
## ########### ### ########### ######, ### ###### ###### ####### ### #####
#### ###### ######### ### #### ###### ### ######. ###. C'est pourquoi
toute la cration chante de concert et tous font monter d'une seule voix l'hymne
de louange au matre de la cration : Que toute langue au ciel, sur terre et aux
enfers, proclame que Jsus Christ est Seigneur la gloire de Dieu le Pre (Ph 2,
917
11), bni pour les sicles des sicles (Rm 1, 25 ; 9, 5). Amen .
Les deux extraits, lun, tir dun crit de controverse, lautre, dune homlie, obissent
au mme schma de composition ; ils reprennent les derniers versets de lHymne aux
Philippiens et concluent par un Amen pour achever un point dmonstratif ou un discours.
Or ce dernier mot, Amen , qui vient clore les trois pages de commentaire sur Ph 2, 6-11
dans lAntirrheticus, ne se trouve pas dans le texte biblique de lHymne, mais il est ajout
918
par Grgoire , comme s'il se laissait emporter par le passage scripturaire quil est en train
de commenter, oubliant le contexte de la polmique. En tmoigne un indice intressant : le
dernier verset de cette Hymne est souvent cit par Grgoire dans le cours dune rflexion
919
thologique , ilvient mme clore le tome IV du Contre Eunome, en raison de sa forme
920
doxologique, peut-on penser . Or, dans tous les cas examins, o Ph 2, 11 nest pas cit
dans la proraison dune homlie, Grgoire nemploie jamais la formule Amen pour
conclure. Le cas de lAntirrheticus est donc isol. Sa tonalit, cet endroit, est trs proche
de lhomiltique. Ce changement de tonalit est produit par lexgse scripturaire.
Nous entrevoyons ici un aspect qui nous semble trs significatif du discours de
controverse propre Grgoire : un passage scripturaire est parfoisun point de basculement
entre une argumentation rfutative et un expos teneur plus spirituelle. Dans la rfutation
dEp 1, 7, examine prcdemment, ce qui modifie la tonalit du raisonnement de Grgoire
est la mtaphore de la brebis, traite en amplification. Par celle-ci, Grgoire relit lhistoire
du salut en dveloppant tous les ressorts de limage. Par exemple, pour insister sur le fait
que le Christ assume un compos humain dot dune me, il dit quil a port sur ses
921
paules ( ) les entrailles de la brebis ( ) , et
non pas seulement la peau ( ), cest--dire le corps. De mme,
la description du pch ( ) est dveloppe par limage selon laquelle la brebis
ne peut plus se dplacer sur ses pattes qui staient une fois fourvoyes (
922
) . Cette manire de relater
les tapes de lincarnation du Christ dans un style imag, dont le discours thologique
exploite les potentialits, a une vertu pdagogique, qui donne au lecteur de se reprsenter
917
918
Il n'y a aucune variante du Nouveau Testament grec qui atteste un Amen en guise de conclusion de l'Hymne (cf.
8
C. von Tischendorf, Novum Testamentum graece, volumen II, Leipzig, 1872 , p. 713).
919
En tmoigne la comparaison avec d'autres textes de Grgoire de Nysse, comme le Dialogue sur l'me et la rsurrection (An.
et res. , PG 46, 136 A, o Ph 2 ,11 est cit, mais sans Amen final ;cf. aussi Tit. Ps . , I, 9, SC 466, p. 258, l. 52 ; Ref. 199,
GNO II, p. 396, 21-24.
920
Eun. III, 4, 64, GNO II, p. 159, 2-6. Mme si on considre que lorganisation des tomes et le matriau biblique utilis par Grgoire
sont tributaires dEunome, la forme doxologique de la fin de lHymne se prte clore la rflexion.
921
922
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923
Antirrh 226, 6.
Antirrh. 226, 7.
J. Reynard, Lutilisation de lcriture dans le De Tridui spatio , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de
Cf. par exemple la faon dont Grgoire dcrit la vertu de la rsurrection par limage du roseau en Antirrh. 226, qui est
est trs proche, dans son exposition et dans les termes employs, de celle de la colle qui ressoude les morceaux dchirs, dans le
Discours catchtique (Or.cat. ,XVI, l. 55 sq., SC 453, p. 226-228. La technique est la mme : montrer par une image comment la
rsurrection du Christ a un effet salutaire sur lhumanit entire.
927
Cf. Cyrille de Jrusalem, Catchses, I-XVIII, SC 126 bis, d. A. Pidagnel, trad. P. Paris, Paris, 2004 ; Jean Chrysostome,
Huit catchses baptismales indites, SC 50 bis ; Ambroise, Des sacrements. Des mystres. Explication du symbole, SC 25, d. B.
Botte, Paris, 2007 ; Augustin, De catechizandis rudibus, BA 11/1, G. Madec, Paris, 1991.
928
929
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Ambroise, Des sacrements des mystres, SC 25 bis, II, 20, p. 86 ; Augustin, De catechizandis Rudibus, XX, 34, p. 166-167. Pour 1
Co 15, 20-22, cf. Grgoire de Nysse, Or. cat. , XVI, l. 67-70, SC 453, p. 226 (ce verset nest pas utilis propos du baptme dans
les Catchses que nous avons consultes).
934
The liturgical Argument in Apollinarius : Help and Hindrance on the Way to Orthodoxy , Harvard Theological Review,
Cambridge,91/2,1998, p. 127-152.
935
936
Cf. traduction du passage, Partie IV, chapitre III, La divinit dans la Passion et la rsurrection , p. 765-766.
Antirrh. 226, 29-31. Le pronom dsigne ceux qui ne voudraient pas mourir ( ), pris dans leur
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deux exgses montre comment, lorsque Grgoire exploite un mme matriau scripturaire,
il ne conoit pas de sparation stricte entre des uvres de genres littraires diffrents, mais
envisage plutt la formulation de la doctrine chrtienne dune manire fondamentalement
unitaire, au-del du cadre de lnonciation. Une telle conception de la rflexion thologique
explique les variations de tonalits lintrieur dune mme uvre et les diffrents usages
du matriau scripturaire. Ce dveloppement final sur le baptme dans largumentation sur
la rsurrection, labor pour rfuter lide selon laquelle la divinit du Christ est atteinte par
sa mort, montre aussi comment Grgoire ne conoit pas lexposition de la doctrine de la
rsurrection indpendamment de sa porte rdemptrice sur le plan thologique et de son
bnfice spirituel pour le lecteur.
En conclusion, ces analyses sur la fonction de pivot que revt la rfrence scripturaire,
parce quelle fait basculer largumentation vers un enseignement plus spirituel, montrent que
le discours de polmique doctrinale est tout autant pour l'auteur l'occasion d'attaquer son
adversaire que de dvelopper sa propre thologie selon une tonalit qui sort du cadre de la
polmique. En l'occurence, sur le plan de la composition, cela se traduit par le fait que les
dveloppements plus personnels de Grgoire comportent une unit thmatique autonome
qui vient se superposer l'axe dmonstratif sur lequel ils se greffent, et crent ainsi d'autres
rseaux thmatiques. Le meilleur exemple en est la mtaphore file de la brebis perdue
qui ajoute un niveau de sens (celui de Bon pasteur Grand prtre sacrifi la place de
lagneau) au verset dEp 1, 7.
Il rsulte de ces analyses que le discours de controverse, tel que le pratique Grgoire
de Nysse dans son Antirrheticus, oscille entre deux ples ; l'un, rfutatif, l'autre, didactique.
Cette ambivalence provient de la conviction de l'auteur que la rflexion thologique ne se
dploie pas indpendamment dun profit sinon spirituel, du moins doctrinal, pour le lecteur ou
lauditeur, quelles que soient les circonstances de composition. Sur ce point, il nous semble
que lallusion la sant de lauditeur que fait Grgoire dans lexorde de son discours
Sur la divinit du Fils et de l'Esprit, prononc l'occasion du concile de Constantinople
(381-383), est rvlatrice de la faon dont il considre lensemble de sa production littraire
dogmatique. Lauteur, en effet, entend prodiguer un enseignement utile la sant des rois
ou des simples particuliers, comme le dit Salomon ( ,
940
, ) . Les proccupations pastorales
de Grgoire rejailliraient ainsi dans ses crits de controverse doctrinale.
Conclusion
La faon dont Grgoire insre le matriau scripturaire dans son Antirrheticus est riche et
on peut laborder de plusieurs faons. partir dun chantillon de quelques passages, nous
avons vu que lcriture est dun usage beaucoup plus large que le simple statut de preuve
dans les crits de controverse. Elle sert de rfrence constante au cours des diffrentes
tapes du raisonnement comme le critre suprme de vrit. La tutelle de la Bible sur
le discours doctrinal se manifeste avec le plus de force lorsque Grgoire dveloppe son
argumentation thologique partir de la trame propose par un passage scripturaire, se
laissant ainsi guid par un schma dexposition de lhistoire du salut, dorigine biblique.
Elle suscite mme diffrentes tonalits dans la rflexion thologique, tantt strictement
rfutative, tantt didactique voire spirituelle.
En outre, lexamen de quelques passages de lAntirrheticus a permis de prciser
lutilisation polmique de lcriture dans un crit de controverse. De cette approche littraire
940
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o lon a tudi les rapports entre le discours scripturaire et le discours doctrinal comme
deux instances dnonciation, on retiendra les deux points suivants : dune part, Grgoire ne
fait pas quen appeler ponctuellement lcriture dans son Antirrheticus,par pure stratgie
oratoire, comme un tmoin puissant, ou un juge qui lon sen remet, en simulant le
cadre dun procs attent par Apolinaire. Cela, certes, fait partie des topoi rhtoriques de
la polmique, mais ne dmontre rien. En revanche, la faon dont il intgre lcriture son
discours de manire explicite ou plus discrte, dune part, et la faon dont il la travaille
dans le cours des dmonstrations, dautre part, rvlent une utilisation beaucoup plus fine
et efficace. Dabord la voix biblique agit plus fort sur la porte persuasive de luvre. Cest
ce que nous avons vu dans lexorde o la convergence des voix disposait le lecteur tre
favorable au parti de Grgoire avant mme la rfutation, loreille flatte par lagilit avec
laquelle lauteur manie les versets bibliques. Mais en outre, le discours biblique influe sur la
dmonstration quil faonne en proposant une structure narrative pour exposer les mystres
de la foi, comme nous lavons vu dans le cas de la parabole de la brebis perdue. Sur le plan
de llaboration du discours thologique, il a alors un rle darbitrage fort.
Dautre part, le rle du discours doctrinal est de recomposer la cohrence du sens de
lincarnation partir dun matriau biblique composite, comme pris en coupe. Chez Grgoire
et cest l un trait propre de sa personnalit dcrivain il ne sagit pas seulement de faire
entrer en consonance des versets entre eux, mais de les rordonner selon les lois de la
logique rationnelle dans un mouvement dmonstratif. Cest ainsi que le discours doctrinal
lucide les de la Bible, ou encore ajuste la rflexion conceptuelle la lettre
de lcriture ; , comme le dit Grgoire lui-mme dans
941
son A ntirrheticus .
Ces prliminaires tant poss sur le statut de lcriture dans l'Antirrheticus, attachonsnous prsent sur le dossier scripturaire de la controverse entre Grgoire et Apolinaire et
le dbat dinterprtation.
941
224
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des textes quils discutent, et notamment par rapport aux autres textes de controverse antiapolinarienne.
Avant den venir ltude dtaille de chaque verset essentiel de la polmique, nous
proposons au lecteur, en guise de prliminaires, un aperu global des versets utiliss par
Apolinaire, selon les thmes thologiques abords, afin de pouvoir resituer ensuite dans
lensemble du dbat le conflit exgtique de chaque verset.
En fonction des versets bibliques cits dans les fragments dApolinaire , ou de ceux que
943
Grgoire attribue son adversaire et rfute au cours de son trait , nous avons tent de
restituer le matriau quutilisait Apolinaire dans son Apodeixis daprs les grands thmes
doctrinaux abords. Ce classement permet de mieux dfinir les lieux bibliques qui sont
944
propres la polmique . Par ailleurs, il met en vidence les versets scripturaires qui
occupent une place importante dans largumentation de Grgoire.
En raison de ltat fragmentaire de luvre dApolinaire, il est difficile de restituer en
dtail largumentation exgtique et le statut donn chaque verset dans lApodeixis. Telle
est la raison pour laquelle notre travail ne pourra pas porter sur la mthode exgtique
945
dApolinaire, ce qui ncessiterait de se pencher sur un autre corpus , mais fera un tat
des lieux des preuves scripturaires les plus amplement dveloppes.
La classification des versets que nous prsentons ci-aprs est labore selon les
thmes doctrinaux principaux de la controverse : la question anthropologique, la nature
humaine particulire du Logos incarn, lunion de la chair au Logos prexistant, lhumanit
du Christ ressuscit. Nous prcisons demble que nous ne prsenterons pas ici danalyse
exgtique de chaque verset : nous ne ferons ce travail que dans le commentaire dtaill
de chaque verset.
942
Il sagit des fragments que nous avons reconnus comme tant textuels, et qui prsentent une citation biblique (cf. frg. 22, Antirrh.
140, 17-19 avec lassimilation de Rm 7, 23 et de Ga 5, 17), ou paraphrass (cf. Antirrh. 209, 1 sq., o Grgoire dit rsumer la pense
de son adversaire et mentionne alors une srie de preuves bibliques pour prouver la trichotomie anthropologique).
943
On entend par l les remarques de Grgoire dans le cours de sa rfutation concernant tel ou tel verset quil dit cit par Apolinaire
lappui de sa thse. On peut alors tre sr que mme si la preuve biblique na pas t cite avec la pense de ladversaire dans le
fragment, elle tait prsente dans lApodeixis (cf. Jn 3, 13 et Lc 1, 35 qui taient originellement utiliss par Apolinaire pour dmontrer
lorigine cleste et la composition humaine spciale du Christ (cf. frg. 15-17) mais qui ne sont cits par Grgoire quau cours de sa
propre rfutation [cf. Antirrh. 139, 7-8 et 27 sq.]).
944
R. Hbner, dans son tude du trait Contra Sabellianos (cf. PG 28, 96-121), rpertorie les preuves bibliques quutilise lauteur pour
prouver lincarnation de Dieu contre les thses des judasants. Cf. Die Schrift des Apolinarius von Laodicea gegen Photin (PseudoAthanasius, Contre Sabellianos) und Basilius von Caesarea, op. cit., p. 209-213.
945
Cf. E. Mhlenberg, Zur exegetischen Methode des Apollinaris von Laodicea , Christliche Exegese zwischen Nicea
und Chalcedon, d. J. Van Oort et U. Wickert, Kampen, 1992, p. 132-147 ; M. Richard, Le commentaire du codex Marcianus Gr
23 sur Prov. XXX, 15-33 , Miscellanea Marciana di Studi Bessarionei, Padova, 1976, p. 357-370, Opera Minora, III, n 84 : Le
lot de textes recueillis montre que cet auteur pratiquait une exgse littrale et moralisante avec quelques concessions lexgse
typologique (ibid. p. 367).
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A. Anthropologie
Grgoire fait mention dune srie de preuves scripturaires utilises par Apolinaire pour
946
prouver la trichotomie anthropologique . Cette numration comprend 1 Th 5, 23 (triade
, , ) et dautres versets qui contribuent prouver que lcriture
distingue lesprit de lme : Dn 3, 86 (doublet esprits () et mes () des
justes ), Rm 1, 9 (Paul fait mention de son ) ; Jn 4, 23 (rponse de Jsus
947
la Samaritaine : il faut adorer Dieu en esprit []) . Dans cette srie scripturaire
figurent galement des versets pauliniens qui font tat dun combat entre la et le
: Rm 7, 23 ; Rm 8, 7. Ces citations contribuent ainsi prouver que la est dote
dune qui lutte contre le . Par ailleurs, Ga 5, 17 (frg. 22) est associ Rm 7,
23 pour prouver le combat de la chair () contre lesprit (). Enfin, Gn 2, 7 (frg.
26-28), cit par le biais de 1 Co 15, 45 sq., o lhomme commun est dfini comme me
vivante , sert encore prouver que lcriture se sert des termes dme () et desprit
() pour distinguer la nature humaine du Christ de celle des autres hommes.
propos de ladoration de Dieu. Cela lui permet de prouver que le humain est linstance qui met en relation avec Dieu. Ce
passage a voir avec la Premire ptre dApolinaire Denys, 12, p. 261, qui fait galement mention de cette pricope pour montrer
quon ne peut adorer Dieu indpendamment de son corps (), en tant quil est uni la divinit. Cela va parfaitement lencontre
de linterprtation de Grgoire qui comprend Jn 4, 23 comme une preuve quon ne peut pas avoir de reprsentation corporelle de Dieu
et quon ne peut ladorer quen esprit (cf. Antirrh. 212, 15 sq.).
948
1 Co 15, 45-47 sert de support terminologique Apolinaire. Il apparat donc dans plusieurs fragments de lApodeixis cits par
Grgoire (frg. 25-32 ; 89-90). Mais un autre indice permet de mesurer limportance de ce lieu pour Apolinaire : en comparaison de
tous les emplois que lon trouve chez Grgoire de Nysse et mme chez les Cappadociens, cest lAntirrheticus qui prsente le plus de
mentions. Cette concentration doccurrences prouve donc quil est un verset-clef de la controverse anti-apolinarienne.
949
A titre dexemple o 1 Co 15, 45-48 est cit explicitement, cf. De unione , 2, Lietz. p. 186 ; Prere ptre Denys, 11, p. 261 ;
Tome Synodal p. 263. Dans ces trois emplois, 1 Co 15, 45 sq. est toujours cit avec Jn 1, 14 ( Et le Verbe sest fait chair ). Par ce
rapprochement, Apolinaire prouve ainsi que Dieu, qui est cleste, sest fait chair, cest--dire quil sest uni la chair (Tom syn
., Lietz. p. 263, l. 3). Dans le frg. 160, Lietz. p. 254, et lAnacephalaisis , Lietz. p. 243,1 Co 15, 45 sq. est utilis en lien avec la notion
de pour montrer comme lesprit divin vient sunir et animer la chair comme ltre humain vit de son union entre chair et esprit.
Enfin, dans le trait Contra Sabellianos, 1 Co 15, 45 sq. est cit en lien avec Jn 1, 14 et Ph 2, 6-7 (cf. PG 28, 117 C-D).
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950
951
Lettres
thologiques,
202,
11,
SC
208,
d.
P.
Gallay,
p.
90-92 : ,
, : en tmoignage
dune telle absurdit, il met en avant une parole de lvangile en disant que : nul nest mont au ciel, sinon celui qui est descendu
du ciel, le Fils de lhomme , comme si, mme avant de descendre il tait fils dhomme !
952
Ce verset semble trs important dans la polmique anti-apolinarienne. Une recherche dans la Biblia patristica montre que
parmi les Cappadociens, Grgoire est le seul citer 1 Tm 3, 16, et que cest dans lAntirrh. que les mentions de ce verset sont les
plus nombreuses (18 emplois rpertoris dans lAntirrheticus, 12 emplois dans le commentaire sur le Cant cant, 10 emplois dans le
Contre Eunome, 5 emplois dans la Lettre Thophile). Chez Apolinaire, autres emplois dans le Kata Meros Pistis 2, Lietz. p. 168,
11 ; De fide et inc. 4, Lietz. p. 195, 16 ; frg. 87 in Mt 17, 24 , d. Reuss., p. 27, 12 sq.
953
Cf. Antirrh. 140, 12-14, frg. 20 et 21, o lon constate que les deux versets Jn 1, 14 et 1 Tm 3, 16 sont associs. En
Antirrh. 133, 4-6, Grgoire rapproche de lui-mme les deux versets dans une numration scripturaire (avec Ps 84, 10) qui vise
rfuter lide que le Logos se serait incarn la ressemblance de lhomme (rfutation du titre). En Antirrh. 147, 9, Grgoire cite encore
ce verset en lien avec Jn 1, 14 et Ps 84, 10 pour prouver que lcriture ne parle pas dun incarn, mais de la gloire , de
la vrit de Dieu , de la justice qui se sont manifests ou qui ont habit parmi nous . Dans les polmiques patristiques,
Jn 1, 14 et 1 Tm 3, 16 devaient dj tre associs. Cf. Gr. Nys., Eun. III, 2, 26, GNO II, p. 60, 20-22 ; Eun. III, 3, 35, GNO II, p.120, 7 ;
Eun. III, 4, 46, GNO II, p. 152, 6-7 etc. Dans les emplois de 1 Tm 3, 16 que nous avons nots chez dautres auteurs (notre enqute
a t mene sur Origne, Basile, Athanase et plus tard, Cyrille dAlexandrie), la partie du verset celui qui sest manifest dans
la chair suscite rarement lintrt, et par consquent, le verset nest jamais cit en corrlation avec Jn 1, 14. De plus, ces deux
versets ne se trouvent pas systmatiquement dans les polmiques christologiques. En atteste le fait quils napparaissent pas dans le
trait Sur lincarnation du Verbe dAthanase. Mais dans la mesure o ils fonctionnent en doublet et chez Apolinaire et chez Grgoire
contre Eunome, nous posons lhypothse quils devaient dj tre associs dans la rflexion thologique lpoque de Grgoire, au
moment des polmiques contre Eunome et contre Apolinaire, (encore que Basile de Csare ne les utilise pas dans ses discours
contre Eunome). Aprs Grgoire et Apolinaire, 1 Tm 3, 16 est cit quatre reprises par Cyrille dAlexandrie dans ses deux Dialogues
christologiques, mais jamais en lien avec Jn 1, 14 et pas dans la mme perspective.
954
Fr. Vinel, Grgoire de Nysse et la rfrence aux ptres pauliniennes dans le Contre Apollinaire , Grgoire de Nysse :
228
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Dans lAntirrheticus, Jn 1, 14 apparat tantt cit explicitement (Antirrh. 133, 4 ; 147, 4, 174, 4, 173, 26 ; 217, 27, 218, 1)
tantt repris par un mot (Antirrh. 143, 8) ou retravaill (151, 16 ; 155, 28, 143, 32).
956
De Unione, 2, Lietz. p. 186 (en lien avec 1 Co 15, 45) ; De Fide et Incarnatione, 5,Lietz. p. 196 ; frg. 2, Lietz. p. 204,
frg. 12, p. 208, Contre Diodore, frg. 123, Lietz. p. 237, o Apolinaire dit clairement que devenir chair signifie sunir la chair ,
frg. 144, p. 242 ; Premire ptre Denys . I, 2,p. 257 et 11, p. 261.
957
lon peut concevoir de la nature humaine. Cela ne veut pas dire quil est venu loger dans une partie du compos humain (
). En ralit, pour Apolinaire, la est synonyme de nature humaine et dsigne tout ce qui constitue lhomme par
rapport Dieu.
960
Cf. Athanase, Discours contre les ariens, I, 38, Athanasius Werke, I, 1, 2, d. K. Metzler, p. 147. Chez Apolinaire, les
allusions cet hymne sont abondantes. Cf. De unione , 6, Lietz. p. 188, 1-2 ; 9, Lietz. p. 189 ; 14, Lietz. p. 191 ; Anacephalaisis
, 14-15, Lietz. p. 243 ; Premire ptre Denys , 2, Lietz. p. 257. Cest dans ce passage scripturaire quApolinaire trouve des
formules pour rendre compte de sa comprhension de lhumanit du Christ qui nest que ressemblante lhomme commun.
961
Ph 2, 7. Dans la Premire ptre Denys , Apolinaire interprte la ressemblance dun homme dans une perspective
strictement ontologique : le Christ, Dieu incarn prsente une seule nature ( ) linstar de lhomme qui, compos dun corps
et dune me, constitue pourtant une seule nature (Lietz. p. 257).
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962
, : Les Grecs et les Juifs laccepteraient, si nous disions que celui qui a t enfant est un homme inspir,
comme lie . E. Mhlenberg considre ce fragment comme tant textuel, op. cit., p. 68.
965
Nous analyserons dans la suite du chapitre lexgse de Grgoire de lascension dlie, labore en fonction de la polmique
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969
# ## ### ####### ### ######## ####, ### ## ### ###### ## ### ########
######### ## #### #### ### ### ######## ######### ############# ### #####,
##### ###### #########, #### ### ### ##### ### #####. La pense de ce
quil a dit est celle-ci : ce qui sest manifest par la chair partir de la Vierge
non seulement doit tre conu comme antrieur aux tres selon lternit de la
973
divinit, comme tous le croient, mais aussi selon la chair elle-mme .
Daprs Grgoire, en effet, Apolinaire aurait soutenu lantriorit de la chair () avant
lIncarnation en sappuyant sur Jn 8, 58 ( Avant quAbraham ft, je suis ), Jn 1, 15 ( Avant
moi, il tait ), 1 Co 8, 6 ( Un seul Seigneur par qui tout existe ), Col 1, 17 ( Lui-mme
est avant toutes choses ), Za 13, 7 ( pe, veille-toi contre mon pasteur et contre mon
proche []), Ep 1, 7 dans le frg. 33 ( En lui nous obtenons la rdemption par son
969
M. R. Barns, The Power of God, in Gregory of Nyssas Trinitarian Theology, Washington, 2001, p. 125-259, passe
en revue des diffrentes interprtations patristiques de la commune du Pre et du Fils avant la polmique contre Apolinaire.
970
Cf. Antirrh. 174, 13 sq. Grgoire lui oppose largument trinitaire de lunicit de puissance et de volont entre le Pre et le
Fils, en soulignant le fait que le raisonnement de son adversaire sur ce point est incomprhensible.
971
Il nous semble problmatique de prendre la lettre les accusations formules par Grgoire. Les quelques fragments qui pourraient
tre explicites sur la faon dont Apolinaire comprenait les versets bibliques cits ont un sens obscur en raison du manque de contexte.
Sur la question de la consubstantialit de la chair, dont Grgoire accuse Apolinaire, il est possible que notre regard contemporain soit
tributaire de la faon dont Grgoire prsente lide de son adversaire (frg. 32, Antirrh. 147, 12- 162, 6). Le frg. 116, Lietz. p. 235, fait
tat dune consubstantialit de la chair avec la divinit, mais aucun marqueur temporel ne se trouve prsent, qui pourrait indiquer si
le raisonnement porte sur lconomie, la prexistence temporelle du Christ ou le temps eschatologique : Sa chair nous vivifie en
raison de la divinit qui lui est unie substantiellement ( ). Or ce qui vivifie est divin : divine est
donc la chair [du Christ], car elle a t unie Dieu ( , ) . Dans lAnakephalaisis, Apolinaire a une
formule ambigu dans un syllogisme : (La chair du Christ est dite provenir du ciel ). P.
Gallay commente ainsi la question de lorigine cleste de la chair : on voit en quel sens Apollinaire peut parler de la chair cleste du
Christ : non pour nier sa vrit charnelle, mais pour dire lanimation de cette chair par un principe qui nest pas, comme cest notre cas,
issu de la chair (SC 208, intr. p. 17). Dans dautres fragments doctrinaux, en effet, Apolinaire se dfend de croire lorigine cleste
de la chair (Premire ptre Denys , 7, Lietz. p. 259 ; frg. 163, Lietz. p. 255 ; frg. 164, Lietz. p. 262 ; frg. 154, Lietz. p. 248 ; Ad
Jovianum , Lietz. p. 253).
973
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sang, la rmission des pchs ), He 1, 1 et He 1, 3 ( En ces jours qui sont les derniers,
Dieu nous a parl par son Fils, lui qui autrefois a parl nos pres bien des reprises et
974
de bien des manires par les prophtes ) dans le frg. 38 .
On ne connat pas lordre dans lequel Apolinaire traitait ces citations bibliques dans son
Apodeixis et la faon dont Grgoire procde trahit peut-tre quelques amnagements. Par
975
exemple, Za 13, 7, cit comme en passant dans la srie prsente initialement , est trait
ensuite deux reprises aprs Ep 1, 7 qui ne figure pourtant pas dans la liste initiale des
976
preuves . La deuxime fois que Za 13, 7 est mentionn, il est mis en relation par Grgoire
977
avec He 1, 1 qui est lobjet dune analyse exgtique .
Par ailleurs, on remarque que ces versets bibliques ne font nullement allusion
une quelconque antriorit de la du Christ, comme le prsente pourtant Grgoire :
, ,
( cest la preuve, dit-il, que ce qui est humain dans le Dieu qui sest manifest nous est
antrieur aux sicles ). Pour Grgoire, cela signifie que lhumanit du Christ prexiste
978
lincarnation .
979
Mais le fragment 38, que Grgoire certifie textuel et cite lappui de sa thse ne
corrobore pas le jugement du Cappadocien. Il semble mme prsenter une tout autre
perspective. En effet, daprs Grgoire, cet extrait signifie, que la chair prexiste selon
Apolinaire. Mais il sagit dun commentaire dHe 1, 1, cit peu avant, qui semble porter sur
le dbut du verset : en ces jours qui sont les derniers, Dieu nous a parl par son Fils .
Apolinaire cherche montrer, dans ce passage, lidentit de personne entre le Logos incarn
et le Logos prexistant. Il dclare en effet :
974
980
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981
les tenants dune christologie des deux personnes . Ce faisant, il ne veut pas dire pour
autant que ltat charnel du Logos incarn est partie intgrante de sa divinit au point que
de tout temps le Logos est de nature corporelle.
Ce qui semble heurter Grgoire dans ce raisonnement, cest le fait dattribuer les
proprits divines du Christ son humanit, lhomme lui-mme . Mais lorsquon
met en relation ce passage avec dautres crits dApolinaire, o il dclare quen vertu de
lunique nature du Logos incarn, les noms qui se rapportent la divinit peuvent semployer
comme par mtonymie et dsigner mme lhumanit en tant quelle est unie la divinit, on
comprend mieux comment il en vient expliquer ainsi He 1, 1 sans pourtant soutenir une
quelconque antriorit de la chair . Pour ne donner quun seul exemple, citons le fragment
144 Contre Diodore, o le Laodicen dclare :
### ## ## ### ########### ######## ######## #### #### ### #### # ### ##
######### ########### ####### ###### ### ######## ### ##### ## ### ##
#############, ##### ##### ##### ## ############ # ###### ############,
## #### ## ### ###### ####### ######## ######### ######## #####
########## ### ##### # ## ## ########## # ############## ## ### ####
### ###### ##### ### #### ######. ### ## ####### ### ## ####### ### ###
########### ########### #######, ##### ##### ###### ####### #######, ###
########## ## ########## ### ####### ###### ######. Comment ce qui est
uni Dieu selon lunit de personne ne sera-t-il pas Dieu avec lui ? Comment
ce qui est uni lincorporel selon lunit vitale ne sera pas incorporel avec lui ?
Si la dnomination n'est pas commune, le mlange ne consistera en rien. Or
rien n'est plus draisonnable que de nommer l'incorporel avec des noms du
corps, en prtendant que le Logos s'est fait chair (Jn 1, 1), sans donner le nom
de corps ce qui est le propre de l'incorporel malgr l'union avec celui-ci. Et
982
si un tel s'tonne de voir comment le cr est uni l'appellation d'incr, un
autre s'tonnera d'autant plus juste titre de voir comment l'incorporel est uni
983
l'appellation de chair corporelle .
Mme si ce fragment porte sur lutilisation des noms du compos divino-humain, on retrouve
le mme problme de fond que dans notre fragment 38 de lApodeixis. Dans le fragment
Contre Diodore, Apolinaire explique comment les appellations qui renvoient la divinit
du Christ, incorporel (, ), peuvent sappliquer galement son
humanit ( , ), corporelle, en vertu de lunion intime (
, , ) de son humanit et de sa divinit.
Ce fragment est prcieux pour comprendre la faon dont Apolinaire procde pour qualifier
le Logos incarn. En effet, il expose une notion-clef de sa christologie, celle dunit/dunion
physique , o le terme de est prendre comme un synonyme de
en vertu de laquelle les proprits qui se rapportent la divinit du Verbe ou lhumanit
984
quil a assume peuvent sinterchanger . Pour Apolinaire, lunion de nature entre Dieu et
981
Cf. Partie IV, chapitre 2, Lunit du Christ en dbat . Cest tout lobjet de notre analyse. Nous nentrons donc pas pour linstant
Il sagit vraisemblablement de ladversaire Diodore, dont la christologie tait attaque par Apolinaire dans luvre
Frg. 144, Lietz. p. 242. Nous commentons ce fragment dans la partie IV, chapitre 2, lunit du Christ , p. 659.
Sur la communication des noms entre les deux lments, divin et humain, chez Apolinaire, cf. De unione , 8-11, Lietz. p. 188-190.
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lhomme est pousse jusqu ses consquences ultimes savoir que les caractristiques
de la chair, de ce qui est cr ou corporel (cf. frg. 144), peuvent sappliquer
la divinit et rciproquement. Cest le phnomne linguistique que lon observe dans le
frg. 38 de lApodeixis : Apolinaire appelle lhomme qui a donn des enseignements sur
le Pre crateur des ges (He 1, 2), resplendissement de la gloire, empreinte de
lhypostase (He 1, 3). Il caractrise donc laspect humain du Christ avec des appellations
qui se rapportent au Logos, dans sa prexistence. Et il ajoute : puisquil na pas Dieu
en lui comme un autre que lui-mme . On retrouve la mme ide que dans le fragment
144 : lunit de nature entre la divinit et lhumanit du Christ permet la communication des
appellations de lun lautre. De l, Grgoire conclut quApolinaire croit la prexistence
de la chair. Et il ragit en donnant une srie de versets notestamentaires qui concernent
lhumanit du Christ pour dire que celui qui a parl , pour reprendre le langage dHe 1,
985
1, cest lhomme Jsus . Grgoire au contraire fait une nette distinction mthodologique
entre les noms qui caractrisent lhumanit du Christ et ceux qui qualifient sa divinit, en
986
vertu de la diffrence des natures . Mais Apolinaire nexplique pas He 1, 1 dans ce sens.
Et il est probable quil faille comprendre les fragments 32-38 comme se situant au strict
niveau des appellations, comme nous lavons vu dans dautres fragments.
Il nous a paru bon dexposer ici le fragment 144 dApolinaire pour expliquer la
prsentation problmatique par Grgoire de la srie de versets scripturaires Jn 8, 58 ;
Jn 1, 15 ; 1 Co 8, 6, 1 Co 1, 17, Za 13, 7, He 1, 1 sq., utilise par Apolinaire. Mme si les
fragments de lApodeixis peuvent prsenter un langage quivoque, surtout lorsquils sont
hors-contexte, il nous semble aussi que la thmatique globale laquelle Grgoire rattache
cette srie de preuves scripturaires est lgrement fausse. Nous reviendrons sur ce point
dans notre tude sur lunit du Christ.
Parmi les preuves scripturaires sur la consubstantialit de la chair avec le Logos, le
verset de Za 13, 7a ( pe, veille-toi contre mon berger et contre lhomme, mon parent
[] ) prsente un statut particulier pour deux raisons. Dune part, comme nous
lavons vu dans la premire partie de notre travail, Grgoire revient quatre reprises sur
ce passage biblique dans son Antirrheticus, en commentant lexgse dApolinaire sous
des angles successifs diffrents. De ce point de vue, il est un cas unique. Dautre part,
il est utilis par Apolinaire cause dune variante prsente dans la version transmise
par Aquila, qui donne l o la LXX donne . Cest le seul verset qui
est objet de controverse pour une variante textuelle, choisie en raison des implications
thologiques quelle suscite. En effet, en prfrant la leon dAquila, Apolinaire interprte le
mot au sens d, en lappliquant au Christ par rapport au Pre (Antirrh.
158, 11-12). Linterprtation christologique de ce verset ne lui est pas propre, mais provient
des vangiles de Matthieu et Marc, qui citent la suite du verset ( Frappe le berger et
les brebis seront disperses ), pour montrer laccomplissement des critures lors de
987
larrestation de Jsus . Il est donc un testimonium traditionnel de la Passion du Christ.
985
Largument est topique dans les polmiques christologiques, et des sries toutes faites de verba qualifiant lhumanit du Christ
circulaient cette poque. Cf. Gr. Naz., Discours 29, 18, SC 250, p. 214. Nous renvoyons aussi larticle de M. Alexandre, Le
Jsus des vangiles dans luvre de Grgoire de Nysse , Jesus Christ in St. Gregory of Nyssas Theology, Minutes, on the Ninth
International Conference on St. Gregory of Nyssa, Athnes, 2005,p. 245-284.
986
Cf. M. Harl, La polmique de Grgoire de Nysse contre lusage de Zacharie 13, 7 a par Apollinaire , Grgoire de Nysse :
234
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M. Harl, La polmique de Grgoire de Nysse contre lusage de Zacharie 13, 7 a par Apollinaire , art. cit.,p. 89-99.
Cf. M. Harl, art. cit., p. 99.
; ;
: ; Sil est devenu Dieu aprs la rsurrection et quil nest plus
homme, comment le Fils de lhomme enverra-t-il ses anges (Mt 24, 31), et comment verrons-nous le Fils de lhomme venir sur les
nuages ? Et comment mme avant dtre uni et dtre divinis, il dit : Moi et le Pre, nous sommes Un (Jn 10, 30) ? (frg. 98, Antirrh.
228, 18-24). Daprs E. Mhlenberg, ce fragment est textuel, car Grgoire nen retravaille pas la syntaxe, alors quil se situe en pleine
argumentation. Dans sa rfutation, il revient surtout sur Mt 24, 31 en le mettant en rapport avec Mt 21, 33 et Mt 22, 2.
992
Dans le frg. 98, Antirrh. 228, 20-22 et Antirrh. 230, 14. Nous navons trouv aucun autre emploi de Jn 10, 31 par Apolinaire dans
ses fragments doctrinaux. Dans les fragments exgtiques sur Jean, aucun commentaire ne porte prcisment sur ce verset (cf. frg.
61 sur Jn 10, 28-33, d. J. Reuss, Johanneskommentare aus der griechischen Kirche, Berlin, 1966, p. 26).
993
994
( Mais, dit-il, cest par lintermdiaire de sa chair quil a dit aux hommes que moi
et le Pre, nous sommes Un ).
235
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F. Bilan
De la rpartition thmatique des citations bibliques dApolinaire que nous avons opre
partir des indices et des fragments que nous pouvons tirer de lAntirrheticus de Grgoire,
il ressort quApolinaire devait utiliser majoritairement lcriture dans son Apodeixis, titre
de preuve dans son argumentation constatation qui ne nous surprendra pas dans un
tel genre littraire. On peut le dduire de la faon dont Grgoire cite les preuves de son
adversaire : la plupart des versets scripturaires sont mentionns et analyss par Grgoire
en srie et figurent toujours aprs la thse thologique conteste. Apolinaire devait donc
avoir une faon trs mthodique et systmatique de traiter lcriture, aprs lexposition de
chaque point christologique. Grgoire fait une utilisation relativement souple des preuves
scripturaires de son adversaire : il les mentionne, les rfute, ou ne les rfute pas (ce qui nous
empche de savoir comment Apolinaire les interprtait) mais propose, la place, en guise
de rfutation, sa propre interprtation, qui prend parfois la forme dun excursus, comme cest
le cas dEp 1, 7 qui sert de point de dpart un grand mouvement rcapitulatif sur la finalit
de lincarnation. Apolinaire recourait galement lcriture pour ses figures exemplaires,
tel lie.
995
996
997
Antirrh. 231, 4.
,
( Il serait bon, dit-il, de nestimer que la foi pieuse. En effet, la foi irrflchie na pas t profitable pour ve, si
bien quil convient que la foi des chrtiens soit aussi lobjet dun examen pour viter quelle ne saccorde son insu avec les opinions
des Grecs et des juifs ).
998
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Il est possible aussi quApolinaire ait utilis les versets bibliques en srie comme
justification dune thse formule au pralable. Une telle dmarche nest pas originale
dans le genre littraire de la controverse, mais elle est peut-tre pratique de faon plus
systmatique par Apolinaire que par dautres auteurs, tel Grgoire. Il semble en effet que
les versets bibliques quil mentionne taient dabord prsents dans une numration, puis
999
analys chacun en dtail .
Enfin, la plupart des citations bibliques dApolinaire prsentes dans lAntirrheticus
proviennent du Nouveau Testament, et une bonne partie sont extraites des ptres
pauliniennes. Nous avons vu que les versets structurants de la christologie dApolinaire sont
emprunts Paul ou Jean. La thologie du procde par combinaison
de versets scripturaires et des thmes qui y sont formuls (1 Co 15, 45 sq. et Jn 1, 14 en
arrire-fond, 1 Tm 3, 16 pour une partie).
Nous ne prtendons pas avoir t exhaustive dans la liste que nous venons de dresser.
Il y a dautres versets dont le statut est litigieux : on ne peut pas dterminer sils proviennent
dApolinaire ou de Grgoire. Ils sont en effet utiliss par Grgoire dans la rfutation, mais ils
pourraient se trouver dj employs par Apolinaire lappui de la thse soutenue. Pour ne
mentionner quun exemple, reportons-nous la fin de lAntirrheticus,o Grgoire cite Mt 24,
1000
6 ( il faut que cela arrive )
pour rfuter la distinction de sens que fait son adversaire
1001
entre et . Le lecteur contemporain na aucune
preuve quApolinaire nutilisait pas dj ce verset titre dexemple.
De mme, la srie des figures prophtiques de Bselel, Salomon et Amos, tires de
Ex 31, 1, du livre de la Sagesse et de celui dAmos 7, 14, est utilise par Grgoire pour
rfuter la thse dApolinaire, selon lequel le Christ na pas dintellect humain puisquil ny
1002
a pas deffort ni de processus dapprentissage en lui (frg. 75) . Le Cappadocien veut
en effet faire remarquer son adversaire que ces prophtes de la Bible ont eu aussi
une connaissance inne dun art particulier, sans avoir besoin dun apprentissage, tout en
possdant un intellect. Mais la phrase qui introduit la srie des figures exemplaires est
ambigu : ; ( Comment fait-il mention de lcriture
999
Il y a peut-tre un usage proprement apolinarien des mises en srie des preuves bibliques, mais tant donn ltat
fragmentaire de son uvre doctrinale, nous ne sommes pas en mesure de le prciser. Les numrations de versets scripturaires
traits comme un argument ou comme une srie de preuves font partie de la technique du genre littraire de la controverse. Cf.
Irne, Haer., I, 19, 2 (SC 264, p. 286) o une srie de preuves bibliques allgues par les gnostiques est mentionne ; Basile, Contre
Eunome, I, 12 (SC 299, p. 212) ; Athanase, De Inc., 2, 6 (SC 199, p. 268) ; 33, 4-5, (SC 199, p. 384) ; 35, 2-5 (SC 199, p.
388) mais ces deux dernires sries cites sont des testimonia sur lincarnation du Christ. Elles portent donc sur un point trs prcis,
lincarnation du messie dans un contexte de polmique anti-judenne. Sur la question des testimonia, nous renvoyons ltude de
S. Morlet, L'apologtique chrtienne l'poque de Constantin, La dmonstration vanglique d'Eusbe de Csare, thse de doctorat
de lUniversit Paris IV, prsente sous la direction d'O. Munnich, Paris, 2006.
1000
1001
Antirrh. 232, 9.
Cf. frg. 102, Antirrh. 231, 23 sq. (frg. rapprocher du frg. 50, Antirrh. 169, 5-8). Pour une tude sur lorigine philosophique
de ces termes, cf. E. Mhlenberg, op. cit., p. 208 : dans lthique stocienne, est un concept frquent (cf.
Philon, De Plantatione. 49, coll uvres de Philon, 10, d. J. Pouilloux, Paris, 1963, p. 46 ; De Migratione Abrahami. 128, uvres
de Philon, 14, d. J. Cazeaux, Paris, 1965, p. 174). Chez les Pres, cf. Clment dAlexandrie, qui voque ainsi la doctrine des stociens
en Strom. V, 14, 95, 1, SC 278, p. 182.
1002
( Si, dit-il, lun acquiert plus que lautre, cela provient dun effort. Or il ny a aucun effort
dans le Christ : donc il na pas desprit humain ).
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1003
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Dans le dbat exgtique entre Grgoire et Apolinaire, il faut relever la part importante
des citations pauliniennes, qui constituent le cur de la polmique. Ce choix du corpus
scripturaire est d la christologie apolinarienne du qui est labore
sur le fondement de quelques versets pauliniens. En outre, limportance de la question
anthropologique comme soubassement de la controverse thologique justifie aussi le
recours aux versets des ptres notestamentaires qui prsentent les termes ,
, , ou pour proposer une dfinition de ltre humain et tenter de caractriser
lontologie du Christ. Telle est la raison pour laquelle nous consacrerons la plupart de nos
1007
analyses aux versets pauliniens qui sont lobjet de litige entre Apolinaire et Grgoire .
1 Co 15, 44-48 est lobjet du dbat dans le premier mouvement de lAntirrheticus,
qui rfute la christologie de l homme cleste . Cest donc par son analyse que nous
commencerons notre tude. Il sagira de montrer limportance quil revt dans le systme
christologique apolinarien et de faire ressortir lorigine du conflit propos des termes utiliss
par Paul.
44... ####### ### #######, ##### ### ##########. 45##### ### ##########
####### # ###### ######## ### ### ##### #####, ######## ### ### #####
#########. 46#### ## ###### ## ########## #### ## #######, ###### ##
##########. 47# ###### ######## ## ### ######, # ######## ######## ##
#######. 44...Sil y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel. 45Cest
ainsi quil est crit : le premier homme, Adam, a t fait me vivante (Gn 2,
7) ; le dernier Adam, esprit vivifiant. 46Mais ce nest pas le spirituel qui parat
dabord ; cest le psychique, puis le spirituel. 47Le premier homme, issu du sol,
1008
1009
est terrestre , le second, lui, vient du ciel .
1007
Une telle prdominance des ptres pauliniennes dans le dossier scripturaire de la polmique explique que Fr. Vinel consacre
un article entier cette question, Grgoire de Nysse et la rfrence aux ptres pauniennes dans le Contre Apollinaire , Grgoire
de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, op. cit., p. 101-113.
1008
Ladjectif terrestre en franais ne rend pas de faon adquate . Ce terme signifie fait de limon () ,
dans la doctrine gnostique, il est un synonyme de . L. Doutreleau le traduit par choque , dans son dition du
trait Contre les hrsies dIrne, I, 5, 5 (SC 264, p. 87).
1009
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Dans ce passage de la Premire ptre aux Corinthiens, Paul part de lopposition entre
le corps naturel et le corps spirituel. Le corps spirituel est pour lui un corps adapt une
existence eschatologique sous la domination ultime de lEsprit. Son argumentation consiste
en ceci : sil existe un corps psychique, il y a aussi un corps pneumatique ou spirituel
ce qui posait problme aux Corinthiens, qui concevaient une rsurrection de lme mais
1010
non pas du corps . Pour prouver la rsurrection des corps, Paul tablit un paradigme
1011
christologique
partir dune analogie entre Adam et le Christ. Adam est la tte de
la race humaine, et le Christ est la tte du peuple sauv. Les croyants reoivent ainsi
leur corps physique dAdam et leur corps spirituel de leur Seigneur et Sauveur ressuscit.
Adam reprsente ltre humain en gnral, le premier homme humain qui, grce au pouvoir
crateur de Dieu, est devenu un tre vivant, littralement une me vivante (1 Co 15, 45).
Chef de la race humaine, il nest pas immortel parce quil a pch. Ce qui manquait Adam
est accompli en Christ. Le dernier Adam semble signifier pour Paul laccomplissement
1012
parfait dAdam .
Paul recourt la terminologie vtrotestamentaire pour construire son
1013
argumentation . Le verset de Gn 2, 7 sert Paul de fondement biblique pour distinguer
deux types de (psychique et spirituel), et, en mme temps, lui permet de rattacher
la dmonstration aux versets 21-22 sur lorigine de la mort ( par Adam la mort est venue,
par le Christ la rsurrection est venue ). Cet Adam qui a port la mort dans le monde (cf.
1 Co 15, 21-22) devient lhomme reprsentatif de tous ceux qui ont une similaire. Le
dernier Adam, dun autre ct, auquel a t donn un corps pneumatique au moment de
la rsurrection, devient non seulement lhomme reprsentatif de tous ceux qui lui deviennent
semblables dans sa constitution spirituelle, mais il est en lui-mme la vie pneumatique aussi
1014
bien que le corps pneumatique . Cest en ce sens quil faut comprendre lapplication du
1010
La question de la thse philosophique sous-jacente rfute par Paul est lobjet dune discussion parmi les exgtes. Simon
6
J. Kistemaker, 1 Corinthians, Washington, 1955,2007 , p. 577, prsente les deux hypothses formules par la critique : soit Paul
sopposerait lenseignement de Philon (De Op. Mundi , 134 ; Leg. Alleg. , 1, 31) pour qui Dieu a cr en premier lide de
lhomme ternel (cf. Gn 1, 26) et ensuite a fait lhomme physique (cf. Gn 2, 7), soit Paul sexpliquerait devant les Corinthiens qui nient
lenseignement sur la rsurrection du corps, en le spiritualisant.
1011
1012
Kistmaker, 1 Corinthians, op. cit., p. 574,Paul compare Adam au Christ en utilisant une rgle hermneutique employe par les crivains
juifs, qui consiste aller du moins bon au meilleur (cf. He 9, 13-14). Pour D. J. Harrington, First Corinthians, op. cit., p. 570, lcriture
cite par Paul (Gn 2, 7) est le point de dpart dune rflexion midrashique sur la personne inspire (), distincte de la
personne naturelle.
1013
Par ce procd, on voit comment dj dans le NT, le statut du texte biblique est transform en vue de largumentation : la
mthode des Pres nest pas nouvelle, et cest la tradition vivante qui sert de rgle hermneutique.
1014
Dale B. Martin, The Corinthian Body, New Haven, 1995, p. 132, commente ainsi le verset de 1 Co 15, 47 : les chrtiens,
parce quils possdent un pneuma, ont une affinit avec les natures clestes, mais parce quils sont composs dune sarx, et dune
psych, ont quelque chose voir avec les cratures terrestres. La transformation prvue au temps eschatologique incitera le corps
des chrtiens perdre la partie infrieure de leur nature terrestre et partir avec la partie plus pure, transforme, quest le pneuma.
Dans le temps eschatologique, ils possderont des corps sans chair, sang ou me, mais composs uniquement de la substance
spirituelle (pneumatique) des corps lumineux, ariens, clatants. Largumentation de Paul prsuppose que la nature de tout corps
est due sa participation une sphre particulire de lexistence. Il reoit son identit par sa participation . Les chrtiens, par leur
participation au corps du Christ, dans un premier temps, par le baptme, dans un autre temps aprs la rsurrection auront un corps
semblable au second Adam, de nature spirituelle (pneumatique). Cf. 1 Co 15, 49 :
( nous porterons aussi limage du cleste ). Limage dont il est question dans ce verset inclut une participation. D. B. Martin, souligne
240
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terme de vivant (), employ dabord propos dAdam (cf. Gn 2, 7), au Christ,
qualifi de . Il est le prototype de la personne qui a un corps et en
mme temps il est celui qui donne la vie aux corps des autres hommes lors de la rsurrection
(dits ou spirituels), comme il a insuffl un souffle de vie au Premier Adam. Car,
par cette formule de , Paul fait allusion aussi lacte primordial de Dieu
qui a donn la vie au Premier Adam.
La citation scripturaire de Gn 2, 7 contribue fonder lautorit de largumentation de
Paul : le procd mtonymique utilis pour dfinir lhomme ( me vivante ) domine plus
largement le contexte argumentatif dans lequel il se trouve. En effet, Paul noppose pas
en 1 Co 15, 44 le corps naturel () au corps spirituel () tant donn
le sens du passage, cette opposition serait possible , mais il utilise le terme de
en raison du verset de Gn 2, 7 prsent en 1 Co 15, 45 pour qualifier lhomme de
. En outre, la poussire () dont il est question en Gn 2, 7, que Dieu utilise pour
faonner lhomme, est lorigine de limage utilise par Paul en 1 Co 15, 47 :
, . Pour renforcer leffet de
paralllisme entre Adam et le Christ, Paul modifie le texte de Gn 2, 7, o il est question de
lhomme form partir de la poussire et devenu me vivante, en ajoutant la qualification
de premier homme par opposition au dernier Adam ou second homme , le Christ.
De mme le nom propre dAdam (qui est prcisment le terme qui dsigne lhomme dans
le texte hbraque de Gn 2, 7) est utilis aussi bien pour le premier homme de la Gense
que pour parler du Christ. En ce sens, Paul applique au Christ, qui est le prototype de
la personne eschatologique, les qualificatifs qui se rapportent lhomme originel. Et en
mme temps, il dveloppe lantagonisme entre les deux types dhomme partir de limage
de la poussire pour opposer lhomme terrestre lhomme cleste. Or Paul nutilise pas
un paralllisme strict pour opposer Adam au Christ. Le verset de 1 Co 15, 47 prsente
1015
le premier homme comme tant terrestre, de la terre ( )
il faut
restituer le verbe tre sous-entendu , et le deuxime homme comme tant simplement
(ladjectif cleste nest pas prsent). Cela semble signifier, daprs G.
1016
Fee , que Paul na pas lintention didentifier le Christ comme venant du ciel, mais plutt
de dcrire qualitativement son existence de ressuscit, ce que montre le verset suivant
qui utilise ladjectif (tel le terrestre, tels les terrestres, tel le cleste, tels les
clestes ). Cette hypothse dinterprtation, selon laquelle le nindique pas
la provenance du Second Adam mais ltat de ressuscit, est intressante, car le verset ne
semble pas envisag ainsi par Apolinaire ou Grgoire. Dans leur polmique, il semble aller
de soi que la formule indique la provenance.
La critique exgtique sest longuement penche sur lantagonisme entre le premier
homme ( ) et le deuxime homme ( ) en
1 Co 15, 47, parce que Paul nest pas le premier recourir cette terminologie. S. Hultgren,
dans un article intitul The Origin of Pauls Doctrine of the Two Adams , paru dans le
aussi comment dans ces versets, Paul assume une hirarchie physiologique du cosmos linstar des autres philosophes, avec
la reprsentation dune chelle des tres. Mais la diffrence de la plupart des philosophes grecs, Paul ne parle pas de la psych
comme entit cleste, mais plutt du pneuma comme lentit partage par les tres humains et les toiles. De mme son utilisation du
terme de corps pour parler dtres clestes, o le corps ne renvoie plus la matire terrestre, est un parti-pris philosophique
qui nest pas communment partag (ibid., p. 126-127).
1015
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1017
The Origin of Pauls Doctrine of the Two Adams , JSNT 25/3, 2003, p. 343-370.
Der Streit um die Auferstehung der Toten. Eine religionsgeschichtliche und exegetische Untersuchung von 1 Korinther
En Leg. All. 1, 31-32, Philon expose sa thorie des deux hommes partir de Gn 2, 7 : lhomme cleste, en tant que
n limage de Dieu, na pas de part une substance corruptible et en un mot pareille la terre ; lhomme terrestre est issu dune
matire parse, quil a appele une motte : aussi dit-il que lhomme cleste a t non pas faonn, mais frapp limage de Dieu, et
que lhomme terrestre est un tre faonn, mais non pas engendr par lartisan (
, . ,
, , ,
, , , ), trad. fr. Cl. Mondsert, uvres de Philon, t. 2,
Paris, 1962, p. 55-56. Chez Philon, le premier homme est cleste, et le second, terrestre, la diffrence de Paul. S. Hultgren expose
son argumentaire contre la thse de Sellin dans son article The Origin of Pauls Doctrine of the Two Adams , p. 353.
1020
1021
S. Hultgren, The Origin of Pauls Doctrine of the Two Adams , art. cit., p. 360-366.
J.-M. Poffet fait remarquer que lomission du v. 49 chez Apolinaire est intressante. Au v. 49, Paul passe du singulier
appliqu au Christ au nous de la communaut, de lglise. Mais, partant, il oriente le texte dans une perspective sotriologique,
alors que chez Apolinaire, la lecture du passage est christologique.
1022
S. Hultgren, The Origin of Pauls Doctrine of the Two Adams , art. cit., p. 369.
242
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Apolinaire, comme Grgoire, qui lui rplique, ne sintresse pas lantagonisme dont parle
Paul entre corps psychique et corps spirituel, pour envisager ltat de lhomme dans la
rsurrection. En revanche, Apolinaire reprend de ce passage biblique les oppositions entre
le Premier Adam comme me vivante (cf. Gn 2, 7), et le Second Adam comme esprit
vivifiant , lhomme terrestre et lhomme du ciel . Le passage est utilis dans la
polmique dun point de vue uniquement christologique, ce qui ntait pas la perspective
premire, comme nous lavons vu.
On observe donc un cart important entre le contexte argumentatif biblique premier et
le sens donn au passage dans une controverse trois sicles plus tard.
Sans fondement , au sens o Apolinaire prend le verset comme prliminaire de toute sa christologie, en se servant de la
terminologique paulinienne sans la discuter. Peut-tre A. Grillmeier reprend-il le jugement de Grgoire de Nazianze sur la question
(cf. Lettres thologiques 202, 13, SC 208, p. 92).
1024
A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrtienne, I,d. 2003, p. 658. titre dexemple, chez Apolinaire, de cette unit vitale,
cf. Premire ptre Denys , 10, Lietz. p. 261, o se trouve employe la formule . Cf. partie IV, chapitre 2,
Lunit du Christ .
1025
4, 29 ; 5, 16-17 ; 1 Tm 3, 16 etc.)
1026
1027
243
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esprit divin uni la chair humaine, comme lhomme est esprit uni la chair. Mais, dans
la mineure de son syllogisme, Apolinaire montre, sur la base de 1 Co 15, 47, comment
le du Christ est dorigine cleste et non pas humaine. Il conclut son syllogisme en
dclarant que grce sa constitution spciale, le Christ peut sauver lhumanit du pch,
puisquil est par nature infaillible (son tant dorigine cleste) :
### ##### ###### ## ############# ### ######## ### ### ####### #######
####### ######### ### ########### ###### ####### ##### #######
## #### ### ########## ####### ##### ###### ######. Et ainsi le pch
tait dtruit dans le Christ, la mort qui dcoule du pch a t anantie et
1028
nous, participant ce redressement , nous sommes sauvs par la foi et nous
devenons la ressemblance du cleste (cf. 1 Co 15, 48), bien que ns dun pre
1029
terrestre .
Dans ce fragment, le verset de lptre aux Corinthiens constitue une tape argumentative
pour prsenter lontologie du Logos incarn et la finalit de son conomie. Par consquent,
Apolinaire sen prend aux thologiens qui conoivent la constitution humaine du Christ
comme celle de lhomme commun. Cest ce quatteste le fragment 106, o Apolinaire fait
1030
mention de ceux qui exposent encore des erreurs dj condamnes
:
: terme utilis par les Pres propos de luvre salvatrice du Christ. Cf. Athanase, De Inc., 54, 4,
SC 199, p. 458 ; Contra Arianos, III, 32, 4 ; Athanasius Werke, I, 1, 3, d. K. Metzler, Berlin, 2000, p. 343, l. 19 ; Cl. Alex.,
Paed., 2, 8, 74, 3 (SC 108, d. C. Mondsert et H.-I. Marrou, Paris, 1965, p. 148).
1029
1030
( Mais en effet, certains ont entrepris de renouveler encore maintenant des ides dj clairement condamnes et
proclames dans le monde entier ).
1031
1032
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est dit pneuma vivifiant : si on fait de lhumanit llment animateur de vie, alors cest
le Premier Adam qui est . Or chez Apolinaire, dans le Christ en effet,
1033
le ct humain sarrte l o commence cette nergie qui est en lui toute divine
ou
cleste. Pour lui, le Christ est homme , cest--dire uniquement selon le
1034
ct passif , la partie active tant en lui entirement divine . Apolinaire en arrive
dire que le Christ na assum lhumanit quen tant qulment passif parce que, selon lui,
l nergie de lhomme ne rsiste pas aux passions et au pch. Mais le Christ, comme
nous lavons vu prcdemment, libre des passions et du pch grce son nergie
1035
divine qui lemporte sur elles . Do son refus de dire que le Christ est homme comme
lest le Premier Adam (1 Co 15, 45), appel par Paul terrestre.
On entrevoit ici comment 1 Co 15, 45-48 est utilis par Apolinaire pour prouver, par
lcriture, la diffrence de nature () entre lhomme Christ et lhomme commun. Les
locutions et , quil interprte dans le sens de la provenance, ont
des implications au niveau de la . Il le rcapitule dans la collection dassertions
1036
dogmatiques, recueillies sous le nom dAnacephalaisis
de la faon suivante :
### #### ##### #######, ### #######, # ####### ##### ######## #### #### ###
## ##### #########, #### ######## #### ##########. ######## ## #######
### ##### ######### ###### ### ### ### ####### #### ######. Si la nature
du Christ est elle-mme comme la ntre, il est le vieil homme (Rm 6, 6), me
vivante (1 Co 15, 45 citant Gn 2, 7) et non pas lesprit vivifiant, et un tel homme
ne vivifie pas non plus. Or le Christ vivifie et il est esprit vivifiant. Donc il nest
1037
pas de notre nature .
Dans ce paragraphe, largumentation repose tout entire sur lantagonisme dont parle
Paul entre lme vivante et lEsprit vivifiant deux caractrisations qui permettent
de prouver par leffet dun syllogisme la diffrence de nature () entre le Christ et
1038
lhomme normal . E. Cattaneo fait remarquer quApolinaire substitue la formule
celle de quutilise Paul. Le premier homme est qualifi
de et appel (par opposition ) : il constitue une laquelle
le Christ ne participe pas. Or chez Paul, le motif du premier homme et celui du vieil
homme ont des sens trs diffrents. Le vieil homme est en effet celui qui est crucifi
1033
) ,
,
: la chair est bel et bien mue par celui qui la meut et la dirige (quel que soit celui-ci) et elle nest
pas en elle-mme un tre vivant parfait, mais constitue de faon devenir un tre vivant complet, elle a concouru avec llment
hgmonique en vue de lunit et sest associe llment hgmonique cleste (cf. 1 Co 15, 45), qui se lest approprie, selon
son aspect passible et recevant le divin, quelle sest appropri, selon laspect de lnergie. Le verbe , plus frquemment
est utilis en christologie pour dsigner le fait que la divinit sapproprie toute lhumanit, cf. Ps.-Ath., Contre Apolinaire 2,
PG 26, 1160 A ; Cyrille, Lettres, 50, ACO, I, 1, 3, d. E. Schwartz, p. 95, l. 11-15.
1034
1035
Cf. analyses dE. Cattaneo, Trois homlies pseudo-chrysostomiennes sur la Pque,Paris, 1981, p. 209.
Cf. Kata meros pistis , 30, Lietz. p. 178-179 et frg. 76 de lApodeixis, Antirrh. 195, 16-21.
1036
me
dialogue du
245
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avec le Christ (cf. Rm 6, 6) et dont il faut se dbarrasser comme dun vtement (Ep 4, 22 ;
1039
Col 3, 9) . La superposition des deux thmes pauliniens montre comment 1 Co 15, 45-47
prend chez Apolinaire une orientation morale : parce que le premier homme est celui qui
a pch, et dont le pch se rpercute sur ses descendants, le Christ, ne peut prsenter
une humanit identique lui.
Cest la raison pour laquelle Apolinaire appelle le Christ homme par homonymie
( ) , homme daprs le nom, mais non pas daprs la nature,
1040
lgrement diffrente . Dans le trait Contre les Sabelliens, Apolinaire fait la mme
distinction dans ces termes :
E. Cattaneo, op. cit., p. 210, analysant cette diffrence, fait mention du traducianisme dApolinaire et des prsupposs
anthropologiques de celui-ci (cf partie IV, chapitre 1, le dbat anthropologique ) : Adam en effet est devenu le chef de file de
lhumanit en tant quhomme dchu, et par consquent il a transmis ses descendants non pas simplement une me , mais
une me charnelle , soumise au pch, prcisment le vieil homme . Par consquent, pour Apolinaire, le Christ ne peut pas
avoir pris notre vieil homme . Dans un passage de lune des Homlies pascales, est exprime dans un autre registre et un autre
genre littraire lide selon laquelle le Christ sil est de notre nature ne peut tre ni parfait, ni immacul, car aucun homme nest
immacul (Homlies Pascales, SC 36, d. P. Nautin, Paris, 1953, p. 73, 9-14).
1040
louverture
Apolinaire
de
ses
entend
Catgories,
1a
le
terme
la
faon
:,
dont
Aristote
le
dfinit
dans
, [] :
Sont dites du mme nom des choses qui ne possdent quun nom en commun alors que la formule de ltre correspondant ce
nom est diffrente. Ainsi dit-on animal la fois lhomme et son portrait. Ces choses, en effet, ne possdent quun nom en commun,
alors que la formule de ltre correspondant ce nom est diffrente (trad. rvise de R. Bods, CUF, Paris, 2001, p. 2). Pour une
analyse de la formule en thologie chez les Cappadociens, cf. J. Zachhber, The Human Nature, op. cit., p. 71.
1041
Contra Sabellianos, PG 28, 117 C-D. R. Hbner, Die Schrift des Apolinarius von Laodicea gegen Photin (Pseudo-
Athanasius, Contra Sabellianos und Basilius von Caesarea), Berlin, 1989, p. 27. La phrase que nous citons titre
dexemple est cohrente par rapport aux autres fragments doctrinaux quil nous reste dApolinaire (Anacephalaisis ,
16, Lietz. p. 244 : , , ), et confirme lattribution Apolinaire de ce trait contre
les sabelliens.
1042
246
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##### ### ##### ########### #### #####, ####### ###### ### #########
#########, ### "# ######## ######## ## #######". #### ############ ###
######## ####### ### ###### ###### ### #### ######, #### ### ####### ###
########## ### ### ### ##### #############, #### ######## #############
########## ## ##########, ##### ## ### ###### #### ############
#### ##### #####, ### ## ######, #### ### ####### ##### ### #### #####
#############. [Apolinaire] cite en effet encore une formule de lAptre,
en la dpouillant de tout le corps de son contexte : le deuxime homme est
du ciel (1 Co 15, 47). Ensuite il tablit que cet homme venu den haut na pas
dintellect, mais que la divinit du Monogne qui remplit la nature de lintellect est
la troisime partie du compos humain ; il y a en lui lme et le corps la manire
humaine, sans quil ny ait dintellect, mais cest le Dieu Logos qui occupe la
1043
place de celui-ci .
Grgoire de Nazianze reproche dabord Apolinaire dutiliser 1 Co 15, 45 sans tenir
compte du contexte scripturaire dorigine. En ralit, ce sont les consquences quen tire
Apolinaire au niveau de lanthropologie qui donnent la formule de Paul un sens nouveau.
La diffrence de nature entre le Christ et lhomme commun provient du fait que cest le
Dieu Logos qui joue le rle dintellect en Jsus Christ : la divinit du Monogne qui
remplit la nature de lintellect est la troisime partie du compos humain , comme le dit
Grgoire de Nazianze, en raison de laffinit de nature () quil y a entre le Logos divin
et le humain.
Dans lAntirrheticus, Grgoire de Nysse cite ainsi une phrase de lApodeixis :
247
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est dit spirituel et il fait de cela lindice que lhomme mlang Dieu est sans
1044
intellect .
1045
Ce fragment 27 pose un problme dauthenticit . Mais cest ainsi que Grgoire de Nysse,
comme Grgoire de Nazianze, comprend linterprtation de 1 Co 15, 45 par Apolinaire. Dans
ce fragment (ou ce rsum), il est prsuppos que le deuxime homme qui vient du ciel
a pour nature dtre . Donc il ne peut pas sunir un homme dot dun . Par
consquent, il est uni une humanit dpourvue dintellect : lhomme mlang Dieu est
1046
sans intellect ( ) . Grgoire rfute
cette ide de la faon suivante :
dApolinaire , p. 171-172.
1046
Il est aussi prsuppos dans le raisonnement que et sont des synonymes. Quant lquivalence entre les deux
248
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que nous sommes sa ressemblance, si nous confessons que lui aussi est
advenu notre ressemblance, afin que devenu tel que nous, il nous rende tels
1047
qu'il est .
Comme il le dit au dbut, Grgoire se sert alors de 1 Co 15, 48 pour rfuter linterprtation
par son adversaire des versets prcdents de lptre aux Corinthiens. Sa dmonstration
vise prouver comment le verset tel le cleste, tels les clestes (1 Co 15, 48) ne signifie
pas seulement que les hommes sont la ressemblance de lhomme cleste quest le Christ,
mais que le Christ, dorigine cleste, sil est appel homme, est aussi la ressemblance
des hommes. Il explique dabord 1 Co 15, 48 la lumire de Ph 3, 20 qui sert dargument
1048
pour montrer que les hommes sont semblables au Christ cleste sils le confessent
:
tre cleste signifie alors croire en celui qui vient des cieux (
). Le tour de force de largumentation consiste aussi prouver que le Christ,
homme cleste , est la ressemblance du croyant dot dun intellect (
). Donc en vertu de la ressemblance qunonce Paul, le
Christ possde un humain (
). Par un raisonnement de logique pure, Grgoire en vient conduire son
adversaire un dilemme : soit le Christ et les hommes, qui sont sa ressemblance (
) ont tous un , soit aucun nen possde un.
Mais Grgoire pousse encore plus loin lanalyse de 1 Co 15, 45 en lien avec la
cration de lhomme. Cest Gn 2, 7 (cit par 1 Co 15, 45) qui est ici en arrire-fond de
largumentation : les proprits dAdam sont transmises chez tous les hommes qui en
descendent, donc le Christ, sil sest fait homme, en a hrit, sauf du pch (cf. He 4, 15).
Grgoire rplique ici clairement la thorie dApolinaire pour qui le Christ ne peut pas avoir
1049
assum la mme nature humaine que nous, depuis la chute originelle . ce stade de
notre analyse, les arguments implicites dApolinaire auxquels Grgoire fait allusion dans
cette tape argumentative apparaissent : il prcise que lintellect nest pas lauteur du
1050
pch ( ) . Il attaque implicitement la conception dApolinaire
1051
pour qui lintellect humain est prcisment linstance faillible en lhomme . De mme on
comprend mieux pourquoi Grgoire insiste sur le fait que le Christ a fait sienne notre nature
en entier ( ), maintenant que nous avons vu
comment, chez Apolinaire, la diffrence entre le Premier Adam et le Second Adam impliquait
une diffrence de nature humaine qui tient labsence du humain.
Dans la conclusion de son raisonnement, Grgoire resserre sa pense en montrant
comment la ressemblance avec le Christ dont parle lAptre prend sens si lon confesse
dabord que le Christ ressemble lhomme terrestre quil a choisi dassumer (
,
1052
, ) .
Grgoire fonde alors sur 1 Co 15, 45-48 lhumanit vritable (avec la prsence dun intellect
humain) et parfaite du Christ selon une perspective sotriologique.
1047
1048
249
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#### ### ### ######## ### # ###### ##### ##### ### ###### ##### ### ###
#### ######, ## ##### ### ######## ########, ### ## ###### ### #### ####
######## ### ######## ####### #### De mme que Paul appelle aussi le
1053
Premier Adam une me existant avec un corps
et ntant pas sans corps,
me qui donne son appellation lensemble, mme si elle est appele me pour
1054
elle-mme prcisment en tant quelle comprend lesprit .
1055
Ce commentaire, cit par Grgoire, sous la mme forme deux reprises , rend compte
de la faon dont Apolinaire exploitait la citation de Gn 2, 7, prsente en 1 Co 15, 45, en vue
de ltablissement de sa doctrine du . Pour ce dernier, lappellation de
dans la Gense dfinit lhomme entier ( ), comprenant
1056
le corps ( ) et lesprit ( ) . Cest ce que
Grgoire confirme ainsi :
##### ##### ####### ## #### #### ######## ## ### ##### ######### ######
## ############ ### ## ### ###### ### ### ### ######## ## ## ####
1053
Paul parle du Premier Adam comme me vivante ( ). Il nest pas fait mention du corps en 1 Co 15, 45.
1054
Frg. 28, Antirrh. 146, 7-11. E. Mhlenberg discute lauthenticit de ce fragment (op. cit. p. 67). Lintroduction du frg.
laisse entendre que les propos ne sont pas cits textuellement, mais dans la suite de largumentation, Grgoire reprend
des lments du frg. 28. La formulation originelle devait donc tre proche de la faon dont le Cappadocien en restitue
la pense. Pour la question de la disposition initiale dans lApodeixis, cf. partie 1, chapitre 3, authenticit des fragments
selon leur degr dauthenticit (en Antirrh. 144, 24-25 : on retrouve la premire partie du frg. cit en Antirrh. 146, 7-11, o la
pense est formule de faon complte : ce dtail plaide en faveur de lauthenticit du frg. 28).
1055
1056
: il est donc vrai que ni lme nexiste avant le corps, ni le corps nexiste sans lme,
mais pour tous les deux, il ny a quune seule origine : considrer les choses sur un plan suprieur, cette origine se fonde sur le
premier vouloir de Dieu ; dun point de vue moins lev, elle a lieu dans les premiers moments de notre venue au monde (Op. hom.
, PG 44, 236 B, trad. J. Laplace, SC 6, p. 223).
250
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#######. Disant cela, il reconnat que les trois lments sont appels de faon
globale par le nom dme, en ce sens que les dsignations de corps et dme
1057
sont comprises dans le mme mot .
La suite du raisonnement dApolinaire est reprise dans largumentation de Grgoire : la
formule du pneuma vivifiant utilise par Paul pour parler du second Adam dsigne pour
Apolinaire le Logos avec lhumanit quil a assume :
#### ### #######, ####, ##### ######### # ###### #####. #### ### ## ######
### ### ############ ############ ### ######## #### ### ###### ###
########## ######, ##### ###### ###### ###### ### #### ###### ####.
Mais, dit-il, Paul appelle le dernier homme esprit vivifiant. Donc ce qui
dans le cas du premier a montr par llment dominant que le nom simpose
au reste des lments dsigns, cela mme vaut tout aussi pleinement pour le
1058
second .
Dans ce raisonnement prt Apolinaire, il est dit que lorsquon appelle le Christ esprit
vivifiant , on nentend pas seulement lesprit, mais aussi lme et le corps. Apolinaire
interprte donc les termes dme et desprit de 1 Co 15, 45 de faon mtonymique
selon une perspective de description anthropologique, en fonction du contexte propre de
lApodeixis,o lenjeu est de montrer que le Logos sest incarn dans un homme qui ne
possde pas de , mais quil en assure la fonction.
Il ny a que dans lAntirrheticus qu1 Co 15, 45 est utilis pour illustrer lusage
mtonymique des termes de et de un niveau exclusivement
anthropologique. Dans dautres uvres, on trouve bien chez Apolinaire une interprtation
mtonymique des termes esprit et me , mais dans une perspective lgrement
diffrente, celle du compos humano-divin.
Par exemple dans son opuscule intitul De unione ,Apolinaire utilise le verset
d1 Co 15, 45 en lien avec Jn 1, 14 pour illustrer les emplois mtonymiques du langage
biblique au sujet du Logos incarn, nomm tantt daprs son lment divin, tantt daprs
son lment humain. Ainsi, en Jn 1, 14, lorsque Jean dit et le Verbe sest fait chair , cela
ne veut pas dire que le Logos sest transform en chair matrielle et corruptible alors quil
tait incorruptible, mais quil demeure Verbe tout en tant chair. De mme lorsque Paul parle
du Christ comme esprit vivifiant , il dsigne, daprs Apolinaire, le Logos qui a assum
la condition humaine et non pas seulement la substance immatrielle quest le .
Apolinaire explique comment une appellation qui concerne une partie du compos humanodivin peut inclure lensemble du Logos incarn en vertu de lunion intime de Dieu et de
1059
lhomme quApolinaire appelle dans son De Unione , , ou
1060
encore . Son raisonnement est le suivant :
### ### ##### ##### ##### ## ### ######, ######### ## ####### ######
## ########, #### ### ########### ############ ######## ### ### ###
#### #######, ### #### ####### ### ########, #### ####### ### # ##### ####
####### ### #### ################## ### ### ##### #########. Et il
nest pas possible de parler du corps comme crature en particulier, parce quil
1057
1058
251
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nest assurment pas spar de celui dont il est le corps, mais il a en commun
lappellation de lincr et le nom de Dieu, parce quil a t adjoint Dieu pour
y tre uni, comme il est dit que le Logos sest fait chair et, chez lAptre, que le
1061
dernier Adam est Esprit vivifiant (1 Co 15, 47) .
Mais peu aprs, Apolinaire prcise bien :
1062
Il condamne explicitement les thologiens du parti de Paul de Samosate ( 1, Lietz. p. 256-257) qui divisent si nettement
ce qui relve de la divinit et ce qui relve de lhumanit quils en font deux (cf. 7, Lietz. p. 259). Apolinaire numre
aussi ce quil reproche aux pauliniens dans les 1 et 2 de sa lettre, Lietz. p. 257.
1064
252
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#### ### ### #### ###### ### ###### ### ##### ##### ### ###### #####,
##### ##### ####### ### ######## #####. ### ### # ###### ########, #
### ##### ##### #### ### ###### ##########, ######## #### ##### ####
#########; ### ## ### ###### #### ########### ### ########### #####
######## ######### ## ### #### #### ### #### ## ###, ### ## ### #######
######## ####### ###### ##, ## ######## ########## ###### ########. ####
#### ####### #### #### ## # ###### ########### ####### #### ###########
####### ### ## ######### ### #### ######### ######### ######, #####
##### ### #### ### #### ######### ######### #######. ## ###### ######
########### #### ### ###### ## ###### ### ##### ### ######; # ##### ###
## #### ############ ## #########, ## ## #### ## #### #### #### ###
### ###### #### ####### # ##### ############ ######### ## ##########
##### ###### #### ########## ############ ### ##### ########### #### ###
###### ####### ### ### ###### ##########. Il dit en effet que Paul appelle le
Premier Adam me existant avec un corps, disant cela juste titre et dfendant
la vrit. Est-ce que donc le premier homme dont Paul rappelle quil est
me vivante avait une me de bte et sans raison ? Et assurment lhistoire
1066
tmoigne du don de lintelligence non pas en de petites proportions . Les
animaux taient conduits lhomme par Dieu, et celui-l tait matre de trouver
les noms, concevant ce qui tait adapt et ajust chacun (cf. Gn 2, 19). Mais
aussi, la dsobissance, la propension faire ce qui ne convient pas, la honte
devant les actes accomplis et la promptitude trouver une dfense devant les
accusations, tout cela est la preuve de lactivit de lintellect. Alors, pourquoi
1067
donc la facult intellective de lme
a t passe sous silence par Paul dans le
cas dAdam ? Ou il est vident quil nomme avec la partie cite le reste, comme
dans Toute chair viendra vers toi (Ps 64, 3) o David dsigne lhumain tout
entier par la chair, et Jacob reu en hte chez les gyptiens avec soixante1065
Nous comprenons largumentation dApolinaire diffremment dE Mhlenberg (Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 169).
Daprs ce dernier, le raisonnement dApolinaire consisterait dire que Premier Adam serait une . Mais partir du moment
o justement Apolinaire explique le sens de la pricope en fonction des emplois mtonymiques de pour dsigner le Premier
homme et de pour dsigner le Second homme, il ny a pas de raison de penser le premier homme comme tant .
1066
Dans la polmique contre Eunome, Grgoire utilise aussi les versets de Gn 2, 19-20 pour prouver la prsence dune
La formule est intressante ici : l o Apolinaire conoit le comme le troisime lment du compos humain
ct de lme et du corps, Grgoire le prsente comme une facult de lme, ce qui rend encore plus complique la faon
de se reprsenter un Christ sans intellect.
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quinze mes (cf. Gn 46, 27) nest pas dcrit par lcriture sans intellect ni sans
1068
chair .
Dans ce passage, largument gnral consiste montrer que Paul nomme Adam et le Christ
par mtonymie, selon une partie pour le tout ( ) :
le Premier Adam est appel me vivante , mais cela ne veut pas dire quil est priv de
. Et pour prouver cela, Grgoire se sert dautres passages bibliques qui attestent de
lexistence du en lhomme Adam (Gn 2, 19 ; Ps 64, 3 et Gn 46, 27). Cette insistance
de la part de Grgoire est tonnante lorsque lon sait quApolinaire ne met pas en doute
lusage mtonymique dans lcriture. Mais elle se comprend mieux la lumire du contexte
argumentatif. Grgoire vient de sindigner devant lassertion de son adversaire pour qui le
Christ, ayant comme lment divin son ct de lme et du corps comme lments
humains, est dit homme venu du ciel (frg. 25). Dans la continuit, Grgoire montre
quen Gense 2, 7, lhomme que faonne Dieu possde dj un . Le nest donc
pas lattribut propre lhomme qui vient du ciel (Jn 3, 13 ou 1 Co 15, 45) mais propre
tout homme. Dautre part, largumentation de Grgoire consiste prouver que le procd
mtonymique utilis en Gn 2, 7 pour dsigner lhomme sapplique aussi de faon logique
au second homme qui vient du ciel , en vertu du paralllisme de Paul. La dmarche
interprtative de Grgoire consiste donc exploiter la stricte symtrie entre le premier et le
second homme selon un raisonnement de pure logique dductive. De cette faon, il affaiblit
la position de ladversaire qui parle de lincarnation du Logos comme celle de lesprit vivifiant
dans un homme sans . Puisque lhomme a t cr avec un intellect, cest impossible
de concevoir la cration dun homme qui en serait priv : on ne peut toucher lintgrit de
la nature humaine en interprtant 1 Co 15, 45.
Peu aprs, rfutant le fragment 28, il formule une seconde fois le mme argument qui
est cependant orient selon une perspective lgrement diffrente. Il dit alors :
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que son corps form partir de poussire a t anim. Est-ce que lintellect, quil
appelle esprit, na pas t introduit en mme temps que le faonnement dAdam ?
Donc en quoi consiste sa ressemblance avec Dieu ? Quest-ce qui dcoule
de linsufflation divine si on ne croit pas que cest lintellect ? Mais Apolinaire
affirme que le second homme est appel du ciel par le fait que lesprit cleste
sest incarn. Quelle criture dit cela ? Auquel des saints attribue-t-il laffirmation
que lesprit sest incarn ? Nous navons rien entendu de tel dans les vangiles,
nous navons pas reu un tel enseignement de la voix puissance de lAptre,
mais que le Logos se soit fait chair (Jn 1, 14), cest ce que dit le krygme et
que lEsprit soit descendu sous forme de colombe (cf. Mt 3, 16), cest ce que
dit le rcit vanglique. Quant une incarnation de lesprit, personne de ceux
qui proclament les mystres par lEsprit nen parle. La gloire a dress sa tente
sur notre terre (Ps 84, 12), Dieu sest manifest dans la chair (1 Tm 3, 16), la
justice sest penche du ciel (Ps 84, 12), la vrit a germ de la terre (Ps 84,
12) et beaucoup dautres versets de ce genre. Mais un esprit incarn, lcriture
1069
divinement inspire nen connat point .
La rfutation de Grgoire procde en deux temps. Dabord, il retourne contre Apolinaire
son argument de lappellation mtonymique de lhomme comme en Gn 2, 7, en
utilisant, sans la citer, la seconde partie du verset : (...)
, pour montrer que le souffle de vie dont il est question dans
la Gense, cest--dire le , quil prcise bien tre le , a t insuffl au moment
du modelage du corps de lhomme. Par consquent le premier homme possdait un
(ou ) cr par Dieu en mme temps que son corps (
1070
) . Pourquoi alors opposer le du second homme lhomme commun ?
Dans un deuxime temps, il rfute la conception que lhomme Christ avait un dune
autre origine, cleste. Le texte semble sous-entendre que ce serait comme antrieur
1071
la cration du corps de Jsus . La rfutation consiste faire lnumration de versets
o il est question soit de la Personne du Fils incarn, soit de la Personne de lEsprit Saint
descendue sur le Fils lors de son baptme afin de montrer quil ny a pas dincarnation dun
esprit existant antrieurement. Daprs lextrait ci-dessus, pour Grgoire, utiliser la formule
de revient confondre ce qui se rapporte au Fils et ce qui relve de lEsprit.
Dans ce passage, Grgoire reprend et radapte la polmique anti-apolinariste
lexgse de Gn 2, 7 quil avait propose dans des uvres antrieures. En effet, la
diffrence de son trait Sur la Cration de lhomme,o il dfendait la concomitance du
modelage du corps et de linsufflation de lmepar Dieu, pour rfuter la thse de Mthode
1069
1070
24-145, 12). Apolinaire, pour sa part, commente Gn 2, 7 en lien avec Jn 20, 22 dans son Commentaire sur Jean (Frg.153, in Jo 20, 22,
Johannes-Kommentare aus der griechischen Kirche, d. J. Reuss, p. 62). Il interprte linsufflation de Gn 2, 7 non seulement comme
lenvoi de lme dans le corps, mais encore comme celui de lEsprit (M.-O. Boulnois, Le souffle et lesprit, Exgses patristiques
de linsufflation originelle de Gn 2, 7 en lien avec celle de Jn 20, 22 , Recherches Augustiniennes 24, 1989, p. 30). Il comprend
lexpression comme dsignant lEsprit Saint Lorientation est donc diffrente de notre passage. Cf. aussi lanalyse de M.H. Congourdeau, Lembryon et son me dans les sources grecques, Paris, 2007, p. 285.
1071
Faut-il voir dans llaboration de la thorie du dApolinaire une influence dOrigne qui soutient lexistence
dintelligences prexistantes, qui sont des corps spirituels (cf. Trait des Principes, II, 2, 2 ; SC 252, p. 248) ? Par analogie, dans le
cas du Christ, Apolinaire concevrait Dieu comme un intellect provenant du ciel, qui sincarnerait dans lhomme.
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dOlympe, selon lequel lme serait cre aprs le corps, et celle des orignistes pour
1072
lesquels lme prexiste au corps , dans la controverse contre Apolinaire, il expose
lide que Dieu insuffle le en lhomme en mme temps quil forme son corps. La
1073
question nest donc plus celle de linsufflation de lme, ou du souffle de vie
mais celle,
plus spcifique, de la cration de lintellect pris ici comme synonyme desprit (
1074
, ;) . Or
Limage de leffluve () divin pour dsigner la cration du apparat dans le
1075
1076
1077
Moyen platonisme . On la trouve chez Maxime de Tyr (IV, 7) , chez Marc-Aurle ,
1078
mais aussi plus tt chez des stociens comme Snque .
Lexgse de Gn 2, 7 ( il souffla dans son visage une haleine de vie ) que propose
Grgoire comme cration de lme raisonnable en lhomme par Dieu tait communment
admise. Elle se situe dans une tradition interprtative alexandrine, et en ce sens, prsente
des similitudes avec le commentaire de Clment dAlexandrie : pour ce dernier, la
, qui rend lhomme la ressemblance de Dieu, cest--dire du Logos, est le don de la
1072
Op. hom. , 28, SC 6, p. 216-221 ; PG 44, 229 B-233 C. Pour une tude sur ce passage, cf. M.-H. Congourdeau,
e
e
Lembryon et son me dans les sources grecques, (VI
sicle av. J.-C.-V
sicle aprs. J.-C.), p. 286. Dans ce texte de Grgoire,
cest la simultanit temporelle de la prsence de lme et du corps au moment de la conception qui est affirme. Une des phrases
e
quivoques de ce trait lui valu dtre accus de traducianisme (cf. ead. Grgoire de Nysse en accusation : un dossier du XV
siclesur lorigine de lme , Mlanges Gilbert Dragon, d. V. Droche, D. Feissel, C. Morrisson, TM 14, Paris, 2002, p. 135-146).
1073
Certains auteurs interprtent la de Gn 2, 7 comme linsufflation de la vie terrestre, commune aux hommes et
aux animaux (cf. Origne, De princ. II, 8, 1, SC 252, p. 339). Origne ajoute un autre niveau de sens et entend aussi linsufflation de
Dans lexgse de Gn 2, 7,
la vie divine (cf. Commentaire sur S. Jean, XIII, 140-142, SC 222, d. C. Blanc, Paris, 1975, p. 106-108).
le est le souffle de vie insuffl dans le corps de lhomme au moment de sa cration. Il peut tre interprt comme la vie que
lme donne au corps. Il sagit alors de la vie moyenne , cest--dire de la vie terrestre tr ansmise en lhomme. Par analogie, on peut
donner Dieu ce nom de en raison de son action vivifiante (ibid. p. 107). Cependant, ces deux entretiennent un
rapport troit car le humain est le rceptacle de la vie pneumatique do
nne par lEsprit Saint (M.-O. Boulnois, Le souffle
et lesprit, Exgses patristiques de linsufflation originelle de Gn 2, 7 en lien avec celle de Jn 20, 22 , art. cit., p. 14. Ce critique cite
aussi le Contre Celse, IV, 37, SC 136, p. 277, o Origne dclare quau moment de la cration de lhomme, Dieu a fait don lhomme
de lesprit incorruptible ( ) (trad. M. Borret, SC 136, p. 278-279).
1074
M.-O. Boulnois, dans son article Le souffle et lEsprit, Exgses patristiques de linsufflation originelle de Gn 2, 7 en lien
avec celle de Jn 20, 22 , apporte une prcision propos de lassimilation du souffle divin au terme dme dans lexgse de Gn
2, 7. Pour les Pres lme est en effet tantt le principe vital qui anime le corps pour faire de lui un , tre vivant, au mme titre
que les animaux identification qui garde ainsi au mot son sens dhaleine tantt elle renvoie la partie intellective de
lhomme et se rapproche du terme , voire sidentifie avec lui (art. cit., p. 9).
1075
Cf. la note de synthse dA. Le Boulluec sur Strom. V, 88, 2, SC 279, p. 280-282, et pour lnumration des sources ci-
Maxime de Tyr (IV, 7) : car lhomme possde, oui, intellect et raison ; sa vie est faite dun mlange de choses immortelles
et mortelles, puisquil est un animal plac dans une situation intermdiaire : il tient son corps du dsordre mortel, et reoit lintellect
de leffluve immortel (texte signal par A. Le Boulluec, SC 279, p. 282).
1077
1078
in hoc pectus mortale defluxit ( la pense divine, dont une part est descendue en ce cur mortel .
256
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1079
facult . Et Grgoire dit que le qui est introduit dans le corps faonn dAdam
est ce qui lui vaut sa ressemblance avec Dieu ( ).
En somme, dans ces quelques pages de lAntirrheticus o est rfute linterprtation par
Apolinaire de 1 Co 15, 45, ce qui ressort est linsistance constante sur la prsence effective
dun intellect humain dans lhumanit que revt le Christ, second Adam, ce que Grgoire
prouve partir de Gn 2, 7 comme par enchssement scripturaire, puisque ce verset sert de
socle argumentatif dj chez Paul en 1 Co 15, 45. Il y a une certaine forme de redondance
argumentative sur ce point qui sert aussi de ressort persuasif.
Cf.
Stromates
V,
XIV,
94,
3-4,
SC
278,
trad.
P.
Voulet
p.
180-181
, ,
. ,
[] , " "
. , , . Ainsi
Mose a raison de dire que le corps, que Platon appelle une tente terrestre (Rep, IX, 592 b 1-2) est ptri avec de la terre et que lme
raisonnable est venue den-haut, insuffle par Dieu sur le visage (cf. Gn 2, 7). L est en effet, dit-on, le sige de la partie directrice,
en interprtant lentre nouvelle qui se fait par les organes des sens, lentre de lme, dans le cas du premier homme model ; voil
pourquoi, dit-on, lhomme a t fait daprs limage et la ressemblance (Gn 1, 26). Car limage de Dieu, cest le Logos divin et
royal, lhomme exempt de passion et lintellect humain est image dimage .
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.
, ,
,
,
.
. ,
,
, ,
.
;
,
,
,
,
; ,
,
, ,
.
,
,
,
.
1085
On est en prsence dun des rares passages o Grgoire reconnat tre daccord avec son adversaire, moins quil feigne
258
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1086
majeure : si lhomme commun est compos de trois lments, le Christ qui est
homme, le sera aussi.
mineure : or le Christ est appel homme cleste (1 Co 15, 47) et esprit
vivifiant (1 Co 15, 45).
conclusion : le Christ ne peut pas tre Dieu en tant la fois compos des
trois lments de lhomme et esprit cleste, ou alors il nest que rceptacle de
Dieu ( dans le frg. 90).
Dans ce fragment, Apolinaire expose la raison pour laquelle il ne peut pas concevoir
un Christ qui aurait assum lhumanit dans lintgrit de ses composantes : il serait
1086
alors un homme inspir par Dieu, la manire des prophtes . Pour Apolinaire, si le
Logos incarn a la mme constitution que le reste des hommes, sa divinit est surajoute
lhumanit, comme un lment extrieur. On soutiendrait alors une christologie de
lhomme inspir ( ), cest--dire de lhomme divinis par grce, contre
laquelle Apolinaire polmique tout au long de son trait de lApodeixis. Il rapporte cette
1087
christologie Paul de Samosate, Photin, Marcel dans le fragment 15 , mais la formule
renvoie aussi plus largement la conception de lhomme inspir dans la philosophie
grecque. Par homme inspir, et dans notre passage, par rceptacle de Dieu , Apolinaire
entend celui qui est inspir par Dieu, comme le sont les prophtes, les sages, qui ne
tiennent pas leur sagesse deux-mmes, ou comme ceux qui font des prodiges, parce
1088
quils sont habits pas un dmon , ou encore comme lhomme commun,
1089
. Mais dans de tels hommes, le divin est un lment extrieur eux, qui nappartient
1090
pas leur essence, et qui parfois les guide aveuglment . Or lincarnation du Logos
pour Apolinaire doit tre pense diffremment de linspiration divine dont parle la tradition
grecque. Apolinaire soutient la relle incarnation du Logos, cest--dire que le du Christ
Une formule de lAnacephalaisis , 22, permet dclairer le sens de rceptacle dont parle Apolinaire :
, . . Si
le temple de Dieu est n de Marie, la nouveaut de la naissance dune vierge est superflue. En effet, les hommes sont des temples
de Dieu mme sans ce type de naissance (cf. 1 Co 3, 16) (Lietz. p. 243). H. de Riedmatten note que la formule de temple de
Dieu est typique de la christologie antiochienne et quApolinaire entend par l la dification par grce, en rfrence 1 Co 3, 16 et
2 Co 6, 16-17. Mais limage du temple de Dieu est aussi commune dans la mystique hellnistique, juive, chrtienne et paenne :
on la rencontre chez Philon (Somn. I, 149), chez Paul (1 Co 3, 16), dans la Lettre Marcella de Porphyre, 19, CUF, d. E. des
Places, Paris, 1982, p. 117 : Pour toi, que le temple de Dieu soit ton ( ) ; et dans
un texte alchimique (Dialogue de Cloptre et des philosophes, d. Berthelot, p. 292, 3 sq.). A. J. Festugire y dcle une origine
platonicienne (cf. Platon, Time, 90 c 4 sq., d. A. Rivaud, CUF, Paris, 1925, p. 225) dans La rvlation dHerms trismgiste, IV, le
Dieu inconnu et la gnose, Paris, 1954, p. 214.
1087
, : le fait
dappeler le Christ homme inspir est contraire aux enseignements apostoliques et tranger aux synodes. Or cest Paul, Photin et
Marcel qui ont entrepris un tel dtournement .
1088
Justin cite titre dexemple le dmon de Socrate (Apologie II, 10, 1) pour faire comprendre la particularit de lincarnation du
Logos. En effet, le Logos dans sa compltude devint homme dans sa totalit et non pas seulement un dmon ou un qui agit
dans lhomme, comme ctait le cas pour Socrate.
1089
1090
Les fragments 25-31 visent en effet tablir lquivalence entre lhomme inspir et lhomme de la terre (1 Co 15, 45).
Cf. ltude dtaille de la notion dhomme inspir par E. Mhlenberg, op. cit., surtout p. 132-134. Cf. Time de Platon, 90
c 4, o le est limage vivante de Dieu, qui, dans le temple de lme, est la statue de culte quon honore et dont on prend soin :
( il rend un culte au divin, car il
entretient toujours en bon tat la divinit qui habite en lui trad. A. Rivaud, CUF, t. 10, Paris, 1963, p. 225).
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1091
ne soit pas un simple temple de Dieu, mais Dieu lui-mme . Il tente de montrer comment
le Logos divin sest intgr ontologiquement dans la nature humaine.
Peu avant le fragment 89 dans lAntirrheticus, se trouve un autre passage de
lApodeixis, qui claire la notion de rceptacle de Dieu et que Grgoire dit citer
textuellement :
## ## #####, ######## ### ####, #### #### # ####### ### ##### ### ######
####### ######## ## ####### ####### Le Christ ayant lesprit, cest--dire
lintellect comme lment divin avec lme et le corps est dit juste titre homme
1093
venu du ciel .
On voit dans cette assertion comment la logique de la pense ne se comprend quavec
larrire-fond scripturaire de 1 Co 15, 45, o le est prcisment ce qui dfinit le
second homme venu du ciel . Grgoire paraphrase ce fragment en expliquant quApolinaire
veut dire que le Christ incarn dans la chair humaine tient son de Dieu. Mais ce
que veut dire par l Apolinaire, cest que le Christ ne possde pas sa divinit comme un
lment tranger, distinct de lui (cas de tous les autres hommes), mais comme un lment
intgr sa constitution humaine, au mme titre que le corps ou lme.
Cest donc contre une conception du Christ qui sapparenterait une thologie
de l quApolinaire dveloppe prcisment sa christologie du
1094
. Pour ne pas concevoir un Logos incarn comme un homme inspir,
rceptacle de Dieu, la divinit doit venir sintgrer dans la structure ontologique humaine du
Christ en assumant la fonction du par rapport aux deux autres lments, le corps et
lme. Par consquent, la constitution humaine du Christ pour Apolinaire est ncessairement
diffrente des autres hommes.
1091
La conception dApolinaire nest pas sans larrire-fond dune tradition philosophique platonicienne o le est la partie divine
de lme, une parcelle de Dieu, non Dieu lui-mme (cf. A. J. Festugire, La rvlation dHerms Trismgiste, III, p. 215).
1092
Frg. 70, Antirrh. 188, 23-27 : la thmatique de la sagesse illuminatrice de la lumire des intelligibles est un trait
commun de toute religion tendance mystique, paenne (cole platonicienne) et chrtienne et dans la gnose.
1093
Antirrh. 143, 1-3. Le frg. 25 est dit tre cit textuellement par Grgoire.
1094
260
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<> , ,
,
, ,
. . ( Nous, nous affirmons que le Dieu Monogne,
introduisant de lui-mme toute chose advenir, a tout pouvoir sur toute chose par lui-mme, que, puisque la nature humaine est elle
aussi une des choses qui sont, par lui, advenues ltre, elle qui est tombe vers le mal et de ce fait, est entre dans la corruption
de la mort, il la de nouveau entrane par lui-mme vers la vie immortelle, au moyen de lhomme en qui il a demeur (Jn 1, 14) en
prenant sur lui la totalit de lhumanit, et quil a ml sa puissance vivificatrice la nature mortelle et prissable et a transform notre
mort, du fait du mlange avec lui, en grce et puissance vivificatrices (trad. M. Cassin, lgrement modifie, thse en prparation
sur le Contre Eunome III, sous la direction de M. Olivier Munnich). Pour la question du mlange dans lAntirrheticus, cf. partie IV,
chapitre 2, lunit du Christ .
1097
( ayant fait Christ, aprs la Passion, en lembellissant de la chrismation, lhomme qui a t uni lui ). Un dtail de la rfutation du frg.
89 montre que lunion hypostatique, chez Grgoire, nest jamais envisage sans sa porte pour le reste de lhumanit : il sagit du
dans la phrase : celui qui agit pour nous par son esprit vivifiant est aussi esprit vivifiant (
) . est lindice que lincarnation est toujours pense chez Grgoire
261
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Prsente comme telle par Grgoire, cette assertion parat aberrante. Cf. Grgoire de Nazianze, Lettre thologique
102, 11, propos d1 Co 15, 49 (Cf. Partie IV, chapitre 2, lunit du Christ en dbat , conclusion, o nous commentons
cette lettre de Grgoire de Nazianze, p. 702).
1101
262
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de son essence immatrielle, est le plus apte sunir Dieu. Dans un autre passage de
lAntirrheticus, peu avant lextrait donn, Grgoire dit :
263
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Dans un autre passage rfutatif que nous navons pas analys et qui pousse labsurde la diffrence de nature humaine
entre lhomme cleste et lhomme terrestre, Grgoire en vient alors parler du genre terrestre des hommes, compos dune me
intellective et dun corps ( ), et du genre dhomme cleste pour lequel lme est dpourvue
de raison ( ). Cf. Antirrh. 186, 8-13.
1105
Cf. les analyses de B. Meunier, Paul et les Pres grecs , RechSR 94/3, 2006, p. 332. Aprs avoir fait le bilan des
sondages patristiques, grce la Biblia patristica, B. Meunier procde des prcautions de mthode, rappelant que parfois, tel ou
tel verset paulinien est cit non pas tant pour la thologie paulinienne du passage, mais pour une expression que lauteur patristique
apprcie ( homme cleste , homme terrestre ) phnomne qui peut gonfler faussement les statistiques.
1106
1107
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1108
Cyrille, In D. Joannis Evangelium, vol. II, d. Ph. Ed. Pusey, Bruxelles, 1965, p. 483 et 657.
Contre Celse, V, 19, SC 147, p. 60. Cf. aussi Origne, Trait des Principes, II, 10, 2-3, SC 252, p. 376-382.
Cette rflexion de B. Meunier propos de lutilisation de 1 Co 15, 45 sq. par Irne contre les gnostiques sapplique
parfaitement la controverse anti-apolinarienne ( Paul et les Pres grecs , art. cit., p. 340-341).
1112
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On serait mme tent de dire que la ligne de partage entre orthodoxie et hrsie se situe entre un niveau dinterprtation
ontologique, mal adapt, et un niveau thique, juste. On retrouve le mme problme exgtique propos de 1 Co 15, 44 chez Cyrille
dAlexandrie dans son commentaire sur la Lettre aux Romains 8, 23, d. Ph. Ed. Pusey, Cyrilli in D. Joannis evangelium, III, 1965,p.
217, 27-218, 3 : lopposition en 1 Co 15, 44 entre le corps charnel et le corps spirituel ne signifie pas que le second aurait dautres
caractristiques physiques, mais il est identifi un corps libr du pch (cest la rdemption de la chair). Cf. les analyses de M.-O.
Boulnois, Cyrille dAlexandrie est-il un tmoin de la controverse origniste sur lidentit du corps mortel et du corps ressuscit ? ,
Origeniana octava, II, d. L. Perrone, Louvain, 2003, p. 846 plus spcialement.
1114
Cf. La prsentation quen fait Irne, Contre les Hrsies, III, 16, 1, SC 211, A. Rousseau, L. Doutreleau, Paris, 1974,
p. 286-287.
1115
1116
Irne, Contre les Hrsies, III, 16, 6, SC 211, p. 312. Cf. B. Meunier, Paul et les Pres grecs , art. cit., p. 340.
En outre, Irne et Clment dAlexandrie, citant les thses gnostiques pour les rfuter, font tat de trois races dhommes,
l (), le , et le , qui correspondent trois natures (natura) (Cf. Irne, Contre les Hrsies, I, 7,
5, SC 264, p. 110), et la caractristique de la dernire substance est de ntre pas touche par la corruption (Cf. Irne, Contre les
Hrsies, I, 6, 2, SC 264, p. 94) et mme dans la gnose valentinienne dtre elle-mme divine (Clment dAlexandrie, Extraits de
Thodote, 54, 1, SC 23, d. F. Sagnard, 1948, p. 170 : et lhomme terrestre () est limage (Gn 1, 26) ; le psychique,
la ressemblance de Dieu ; le pneumatique est en propre (). Comme chez Apolinaire, on remarque que les
appellations de terrestre et cleste impliquent des diffrences au niveau de la nature. Dans les deux doctrines, la priorit est
donne linterprtation de 1 Co 15, 45 sur le plan ontologique.
1117
266
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anti-apolinariste, qui dcoule logiquement, sur le plan thologique d1 Co 15, 45-47 : il sagit
de Lc 1, 35 qui concerne la naissance virginale du Fils.
Sur lutilisation de Lc 1, 35 au cours dun lloge de la virginit, dans le trait Sur la virginit ou les Homlies sur le Cantiques
des cantiques, cf. les tudes de L. Mateo-Seco, La Cristologia del In Canticum Canticorum de gregorio de Nisa , Studien zu Gregor
von Nyssa und der christlichen Sptantike, d. H. R. Dorbner, Chr. Klock, Leiden, 1990, p. 183-184 ; J. L. Bastero, La virginidad de
Maria en San Ambrosio y en San Gregorio de Nisa , ibid., p. 255-271.
1119
Lc 1, 35 : LEsprit Saint viendra sur toi et la puissance du Trs-Haut te prendra sous son ombre : et ltre saint qui natra
sera appel Fils de Dieu . Fr. Bovon (Lvangile selon saint Luc (1, 1-9, 50), Genve, 1991, p. 77-78) analyse les termes de ce
verset : le , parce quil est employ sans article, dsigne la puissance cratrice de Dieu. savancer vers ,
accompagn de , se retrouve chez Luc en Ac 1, 8 pour dsigner le don du Saint-Esprit (cf. Is. 32, 15). signifie
267
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intrt particulier dans la rflexion doctrinale des premiers sicles : les Pres voyaient l
un passage biblique qui permettait de comprendre comment le divin stait ml lhumain
pendant lincarnation. Mais le texte scripturaire ouvrait plusieurs possibilits dinterprtation :
le pouvait dsigner la personne de lEsprit Saint, mais aussi le Verbe, daprs
la littrature patristique des quatre premiers sicles. On pouvait concevoir que le
tait qualifi par Luc d en relation avec la fin du verset, o , qui dsigne
Jsus, est qualifi d. Cette lecture plaidait en faveur de linterprtation selon laquelle
lesprit dit saint est la partie divine qui vient sincarner en Jsus. Luc ajoute la fin
du verset que celui qui natra, saint, sera appel Fils de Dieu : cela confirmait le fait que
lesprit qualifi de saint dsignait le Verbe qui sincarnait.
Le deuxime point de dbat touchait la : dsignait-elle un attribut
de Dieu, ou lattribut du Pre ou encore une des Personnes trinitaires ? La varit des
interprtations patristiques montre que le verset a t compris de diffrentes faons dans
1120
les premiers sicles de rflexion doctrinale sur lincarnation . Et les positions respectives
dApolinaire et de Grgoire attestent de deux courants exgtiques qui ont cours la fin
e
du IV sicle.
Pour Apolinaire, le verset de Lc 1, 35 permettait de rendre compte de la faon dont
le dorigine cleste (cf. 1 Co 15, 47) sagrgeait la chair humaine. Dans ses
uvres doctrinales, tantt il cite explicitement ce passage scripturaire, tantt il y fait allusion,
mais celui-ci est toujours au service dune argumentation dont lenjeu est de prouver que
le du Christ nest pas de mme nature et de mme origine que celui de lhomme
1121
commun . Un fait atteste limportance de ce lieu biblique dans la christologie dApolinaire :
sur les vingt emplois de Lc 1, 35 dans luvre de Grgoire de Nysse, treize se trouvent
concentrs dans lAntirrheticus. Cest donc un verset qui est au cur de la controverse
apolinarienne. Il est exploit la lumire de plusieurs clairages que nous allons prsenter,
dabord sous la forme dune analogie avec la gnration humaine, puis en relation avec la
christologie de lhomme cleste.
Le verset de Lc 1, 35 est comment par les Pres selon des perspectives trs varies, portant tantt sur les personnes
trinitaires ou sur le personnage de Marie. Pour une interprtation trinitaire de Lc 1, 35 comme celle de Grgoire (Antirrh. 223), o le
dsigne lEsprit Saint, cf. aussi Athanase, Lettres Srapion, III, 6 (PG 26, 633, B-C ; SC 15, p. 171), Origne, Homlies sur
S. Luc, IV, 5, SC 87, H. Crouzel, Fr. Fournier, P. Prichon, Paris, 1998, p. 134 (lEsprit qui descend sur la Vierge est rapproch de
lEsprit qui tait sur le prophte lie) ; Irne, Haer. V, 1, 3, SC 153, p. 26 (interprt la lumire d1 Co 1, 15, 45-47, o le Christ est
le nouvel Adam), Ephrem de Nisibe, Commentaire de lvangile concordant ou diatessaron, II, 4, SC 121, d. L. Leloir, Paris, 1965,
p. 69 (le commentaire porte sur la virginit de Marie). Ambroise, Trait sur lvangile selon Luc, 2, 14, SC 45 bis, d. G. Tissot, Paris,
1971, p. 79 (le commentaire porte sur la foi de Marie) ; Pour une interprtation du comme Logos descendu dans la Vierge, cf.
Clment, Paed. .I, VI, 43, 2, SC 70, p. 188 ; cf. aussi extraits donns au cours de lanalyse. Daprs ce sondage, la tradition patristique
sattache tantt lEsprit, tantt lattitude de Marie, ce qui nest pas lobjet de la controverse apolinarienne.
1121
268
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Frg. catnique sur zchiel 37, 9, cit daprs la nouvelle dition de L. Vians, La chane monophysite sur zchiel
36-48, texte critique, traduction, commentaire, thse prsente en janvier 1997 pour le doctorat de lcole Pratique des
me
Hautes tudes, V
section, Paris, frg. n 1533 c, p. 185 (grec), 187 (traduction). Les fragments sur Ezchiel sont dabord
t publis par A. Mai, Nova Bibliotheca Patrum VII, 2, Rome, 1854, p. 90 a 13-20, H. de Riedmatten en a propos une autre
dition partir des manuscrit Ottobonnianus. gr. 452, fol. 227 r., Chigianus gr. 45, fol. 424 v., Parisianus gr. 159, fol. 308 v.,
Coislinianus gr. 17, fol. 248 r. Le texte quil a dit mais que nous navons pas repris est :
, (H. de
Riedmatten, La christologie dApolinaire , p. 228).
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Dans ce passage, le ou souffle vital (me irrationnelle), est transmis par succession
1126
( ) partir dAdam (il nest pas mentionn ici que lesprit vient du pre)
.
Selon cette perspective, la chair a un caractre imparfait en ce sens quelle reoit ltre par
son union au principe spirituel, et de cette union nat un homme. Dans le cas du Christ, le
principe vital est hors du commun, puisque le du Christ na pas t transmis par
un homme ( ), sinon, selon la thorie dApolinaire, il
serait touch par le pch en raison du principe de succession en vertu duquel le pch se
1127
transmet de gnration en gnration par lme . Mais le du Christ est dorigine
divine. Dans lhomme Jsus, lesprit descend ( ) et prend le rle
de la matire spermatique qui vient fconder la mre (
). Le qui est prsent dans le texte
de Lc 1, 35 nest donc pas compris par Apolinaire comme tant lEsprit Saint, mdiateur
entre Dieu et la Vierge au moment de la conception. Mais le dsigne llment
divin qui vient animer et assumer la chair de lhomme qui est form. Cela revient dire quil
dsigne le Logos (le divin qui sincarne). Apolinaire ne le formule pas explicitement ici, mais
la faon dont il envisage le rle du Logos par rapport la nature humaine quil assume peut
le confirmer.
Juste avant lextrait du De unione que nous avons cit, il dit propos de lhumanit
du Christ :
#### ### ###### ## ### ######## ###### ### ### ########## ##### #########
####### ###### ## ########. Et ainsi, en effet, le corps prit vie par la
sanctification de Dieu et non pas par la constitution dune me humaine, et
1128
lensemble [vcut] dans une conjonction totale .
Ce passage commente la rplique de Jsus en Jn 10, 36, o il rpond aux juifs qui
lui reprochent de se dire Fils de Dieu : celui que le Pre a consacr () et
envoy dans le monde, vous dites : Tu blasphmes . Apolinaire interprte cette parole
de Jsus comme posant le principe de sa propre humanit : cest la divinit qui vient
sanctifier la chair de Jsus. Le raisonnement dApolinaire consiste alors montrer que
lincarnation est synonyme de sanctification. Pour ce, il procde en trois temps : dabord le
corps du Christ vit par la prsence du Verbe en lui. Or la caractristique du Verbe est de
sanctifier, donc lincarnation et la sanctification reviennent au mme pour le Logos incarn
( : Et
1129
1130
il explique du moins ailleurs
que cette sanctification tait la naissance dune Vierge) .
1126
Sur lorigine gnostique du traductianisme, cf. ltude de M.-H. Congourdeau, Lembryon et son me dans les sources grecques,
op. cit., p. 281-283. Ce critique montre comment certains gnostiques avaient dfendu le principe traducianiste de lme pour concilier
la thorie de la chute de lme et le rcit biblique. Origne connaissait cette doctrine puisquil mentionne la thorie valentinienne
des deux mes, rationnelle et irrationnelle dont la seconde se transmet par la semence (De princ., III, 4, 2, SC 268, p. 204-206).
Tertullien est lauteur qui dveloppe un traducianisme adamique dans son aspect le plus corporel, selon lequel le sperme corporel
est lunique vecteur des deux semences (lme et le corps), De anima, 27, 7, CSEL, XX, d. A. Reifferscheid, G. Wissowa, Prague,
Leipzig, 1890, p. 345.
1127
1128
1129
1130
Cf. partie 4, chapitre 1, Les termes et les enjeux de lanthropologie , p. 587 sq.
De unione , 12, Lietz., p. 190.
Cf. Jn 18, 37.
De unione , 12, Lietz., p. 191. Cette conception nest pas propre Apolinaire, on retrouve un dveloppement similaire dans
le De Inc. dAthanase, 17, 5-7, SC 199, p. 328, et notamment : Quand la Vierge enfanta, [le Verbe] ne subit rien et il ne fut pas
souill par sa prsence dans le corps ; mais plutt il sanctifia aussi le corps ( ) (trad. Ch. Kannengiesser).
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Lexgse de Lc 1, 35, que nous avons cite prcdemment, prenait place ce moment
de largumentation pour prouver que lenfant Jsus tait saint depuis sa conception. Cest
dire que par lanalogie avec la gnration humaine dans lexgse de Lc 1, 35, Apolinaire
voulait aussi faire ressortir un deuxime aspect propre la conception du Verbe : le
divin ne venait pas seulement animer la chair au moment de lincarnation, mais aussi la
sanctifier, et ce faisant, la racheter. Cela permettait Apolinaire dexpliquer la formule de Lc
1, 35 : . Le Logos, ds le premier instant de sa conception, tait saint
non pas seulement parce quil tait Dieu, mais parce que sa divinit tait sanctifiante par
nature ; sa manire dexister consistait sanctifier tout ce quelle assumait. Cest de cette
faon quil fallait comprendre, selon Apolinaire, le dont parle Luc au dbut
du verset 35 : il sagit de lEsprit, cest--dire de Dieu, qui sanctifie la chair. Contrairement
linterprtation plus rcente de ce passage dans lhistoire de lexgse, qui a vu dans le
la Personne de lEsprit, celle dApolinaire fait du un synonyme de la
1131
, qui dsigne le Logos prexistant qui vient prendre chair , en vertu de
lanalogie avec la gnration humaine, o la semence transmise par le pre vient animer
la matire dans le sein de la mre.
Cette interprtation permet alors Apolinaire de conjuguer la descente de Dieu depuis
1132
le ciel, qui, comme on la vu amplement chez lui, est appel
et la naissance
du sein dune Vierge. Puisque le du Christ vient de Dieu, il est impossible quil ait
un pre humain (en vertu du principe de transmission du humain), sinon il y aurait
deux . Linterprtation par Apolinaire de la Puissance du Trs-Haut dont parle
lvangliste, comme synonyme de en Lc 1, 35 au sens de Logos Dieu justifie donc
ses yeux la ncessit dune naissance virginale du Christ.
Cette exgse peut paratre trs particulire, mais resitue dans le contexte exgtique
des premiers sicles, elle relevait dune forme de christologie pneumatique que les
1133
historiens de la doctrine appellent la Geistchristologie
,qui perdure jusqu la fin du
e
IV sicle. Elle dfinissait par le terme de la composante divine en Jsus ou le
e
Logos prexistant, en raison dune assimilation devenue courante partir du II sicle
1134
entre le Logos et le pneuma, sous linfluence stocienne, selon M. Simonetti . Ce dernier
explique que cette forme de thologie correspond une tape de la rflexion doctrinale
o les crivains ntaient pas encore parvenus expliquer le dogme avec une certaine
1131
Sur la conception du Fils comme Puissance de Dieu, la doctrine dApolinaire nest pas sans lien logique avec la conception
dEunome qui attribue au Fils une subsistance sous forme d (formule qui ne se trouve pas dans lApologie
dEunome, mais seulement dans les crits de Grgoire contre lui, Eun. I, 183, GNO I, p. 80, 21-22). Ainsi pour Eunome surgit lide que
la puissance pourrait avoir une consistance de substance (), peut-tre mme personnelle (). Pour la question
de la gnration du Fils par la puissance de linengendr chez Eunome, o la puissance est employ pour dsigner laction du
Pre, cf. CE II, 20, SC 305, p. 81.
1132
1133
Se fondant sur 1 Co 15, 47, Apolinaire appelle le Christ homme qui vient du ciel (cf. frg. 16, 17, 18, 25, 63).
Cf. F. Loofs, Paulus von Samosata, TU, 44/5, Leipzig, 1924, p. 241. Selon ce critique, la Geistchristologie (ou christologie
pneumatique) prend en considration exclusivement la personne historique du Christ, sparant plus ou moins la prexistence du
Logos de son incarnation : elle est une christologie de forme adoptianiste et binaire, que dveloppe Paul de Samosate, par exemple.
Elle est enfin loppos de la Logoschristologie, qui est labore partir dun schma Logos-sarx.
1134
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1135
systmaticit
, tant propos des personnes du Fils que de celle lEsprit. On avait des
difficults distinguer dans les textes bibliques le qui se rapportait au Logos et le
1136
qui dsignait la personne de lEsprit Saint . Par consquent il y a une grande
fluctuation dans linterprtation par les Pres des versets bibliques qui prsentent le terme
de , parmi lesquels Lc 1, 35 constitue un verset de rfrence.
Les deux rfrences bibliques qui servaient de fondement cette christologie
pneumatique sont prcisment utilises de faon rcurrente par Apolinaire, et on en trouve
des traces dans les fragments de lApodeixis, ce qui viendrait confirmer le fait que sa
christologie tait dominante pneumatique. Il sagit de la dichotomie de Rm 1, 3-4 entre la
chair et lesprit ( / ) et Jn 4, 24 ( Dieu est Esprit ) qui sert prouver
1137
lquivalence entre le et le . Le dsignealors la partie divine qui
prexiste par opposition au corps humain que le Logos a assum pendant lincarnation.
Par exemple, dans un fragment dApolinaire cit par Thodoret danslranists, lopposition
paulinienne de Rm 1, 3-4 est exploite ainsi :
########### ## #### ##### ## ### ##### ######## ########### ### ### #####
######## ## #### #### ### #####, #### ## #### ## ##### Nous adorons Dieu
qui a pris sur lui la chair de la Sainte Vierge (Lc 1, 35) ; et pour cette raison il est
1138
homme selon la chair, mais Dieu selon lesprit (cf. Rm 1, 3-4) .
On voit bien dans cet extrait le schma de pense christologique qui sexprime en termes
de Pneuma-sarx et non pas de Logos-sarx.
Le de Lc 1, 35 tait assimil au Logos prexistant de trois faons dans les
textes patristiques. Soit les auteurs considraient que la formule se rfrait au Logos sans
pourtant confondre le Fils prexistant et la personne de lEsprit Saint. Cette interprtation
tait due entre autres la diffusion dune variante du texte biblique o il ny avait pas la
1139
formule de mais celle de . Soit les Pres confondaient
explicitement le Logos prexistant et lEsprit Saint, ce qui les incitait dvelopper une
1135
M. Simonetti, art. cit., p. 202. Cette forme de christologie pneumatique peut tre dveloppe de trois faons, selon que par
le terme de est dsigne la nature divine du Christ, ou la personne du Christ prexistant ou que soit identifi par confusion
le Christ prexistant avec lEsprit Saint (art. cit. p. 203).
1136
1137
divine du Christ prexistant. Pour lopposition de la chair et de lEsprit qui dsigne lhumanit et la divinit du Christ, cf. Athanase,
Lettres Srapion, IV, 4 : , , ,
. Ainsi lesprit nest pas une crature, mais il est dit tre propre la substance du Verbe, propre aussi Dieu
et en lui (PG 26, 641 C ; SC 15, trad. J. Lebon, Paris, 1947, p. 180) ; Lettre IV, 19, propos de Jn 10, 21, o Athanase explique
comment le Christ se dsigne par deux noms diffrents : le Fils de lhomme et lEsprit . Cest de lui-mme quil a dit le Fils
de lhomme et lEsprit, pour indiquer par le premier nom son tre corporel et par lappellation desprit, manifester sa spirituelle et
immatrielle et trs vritable divinit (SC 15,p. 202 ; PG 26, 665 B).
1138
Lietz., p. 185, 4-6. Cf. aussi un autre passage en lien avec lexgse de Lc 1, 35, tir de lopuscule dApolinaire A
Cf. larticle de R. Cantalamessa, La primitiva esegesi cristologica di Romani , 1, 3-4 e Luca 1, 35, Rivista di storia
e letteratura religiosa , 1966, p. 73. Justin, Dial. Tryph. 100 : lange Gabriel annonant que lesprit du Seigneur ( )
viendrait sur elle et la puissance du Trs-Haut la prendrait sous son ombre .
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thologie binaire, rduisant la Trinit aux rapports du Pre et du Fils, soit enfin, lassimilation
du Logos prexistant avec lEsprit Saint tait prouve partir dautres textes bibliques que
1140
Lc 1, 35 et applique par voie de consquence ce dernier verset . Enfin, il faut ajouter
que cette interprtation prsupposait lidentification paulinienne de la puissance de Dieu
qui dsignait le Christ prexistant (cf. 1 Co 1, 24) la puissance du Trs-Haut dont
1141
parle Luc .
Compte tenu de ces remarques densemble qui posent le cadre hermneutique de
lpoque dApolinaire, il est intressant de voir comment son commentaire se situe par
rapport cette tradition exgtique o le de Lc 1, 35 tait confondu avec le
1142
Logos prexistant . En rapprochant lextrait du De unione de quelques textes patristiques
antrieurs mais prsentant une affinit avec linterprtation dApolinaire, nous voudrions
faire ressortir les constantes de cette tradition sur Lc 1, 35, mais aussi la particularit de
lexgse dApolinaire.
1143
, explique Lc 1, 35 de
## ##### ### ### ### ###### ### #### ### #### ##### #### ###### #### #
### #####, ## ### ########## ## ####### ###### # ############# ########
###### ### ##### ##### ### ### ######## ############# ## ### #########
#### ### ####### ####### #########. Par lEsprit et la puissance venue
dauprs de Dieu, il nest pas permis de rien entendre dautre que le Logos, qui
est aussi le Premier-n de Dieu ; Mose, le prophte mentionn plus haut, la
rvl, et lorsque cet Esprit survint sur la Vierge et la couvrit de son ombre,
il la fit concevoir non par union charnelle, mais par leffet de la puissance de
1144
Dieu .
Daprs Justin, les deux expressions de et de
reformules partir de Lc 1, 35 se situent sur le mme plan et dsignent le Logos, ce
quApolinaire concevra de la mme faon deux sicles plus tard, comme le montre la phrase
du De unione , cite auparavant :
.
Dans lextrait de Justin, le sens de fluctue entre le dbut et la fin du passage :
au dbut lEsprit saint et la puissance du Trs-Haut du texte de Luc sont mis sur
le mme plan et interprts comme renvoyant au Logos, alors qu la fin du paragraphe,
ils sont dissocis, lesprit tant le Logos qui prend chair, et la puissance devenant lattribut
de Dieu et le moyen de la conception virginale. Cette latitude se retrouvera aussi dans
lexgse par Grgoire de Lc 1, 35 dans son Antirrheticus.
Par ailleurs, lanalogie avec la gnration humaine, que dveloppe Apolinaire, attribue
le mme statut la du Pre et au ou la de Dieu qui
1140
1141
sans pour autant confondre lEsprit Saint avec la Puissance du Trs Haut quest le Christ. Cf. la suite de notre analyse.
1142
Le Pseudo-Barnab est considr par les historiens des doctrines comme le reprsentant de la terminologie pneuma-
sarx. Cf. A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrtienne, rd. 2003, p. 237 sq.
1143
1144
Justin, Apologie pour les Chrtiens, I, 33, 6, SC 507, d. et trad. Ch. Munier, Paris, 2006, p. 219-220.
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descend sur la Vierge. Or limage du Fils comme semence du Pre se trouve dans un
passage du Contre les hrsies dIrne :
## ##### ### ###### ### ####, ######## ## ##### ### #### ############
## #####, ######### ######## ## #####, ######## ## ####### #####...
la semence du Pre de toutes choses, cest--dire lesprit de Dieu par lequel
tout a t fait, sest mlang et uni la chair, cest--dire louvrage par lui
1145
model.. . .
Dans ce commentaire, le logos prexistant est appel semence du Pre (semen patris
dans la version latine), et esprit de Dieu , ce qui prouve que Lc 1, 35 se situe en
arrire-fond implicite. Or la mme association dide est prsente chez Apolinaire. Cela veut
dire que lanalogie avec la gnration humaine du De unione pour rendre compte de la
particularit de la conception de Jsus, rapporte en Lc 1, 35, est un procd qui ne fait
que dvelopper des ides communes par lesquelles on tentait de dcrire lorigine du Christ.
Pour faire le bilan sur ce point, retenons donc que lexplication de Lc 1, 35 par Apolinaire
construite par analogie avec la gnration humaine et le sens quil donne lesprit saint et
la puissance comme renvoyant au Fils prexistant ne lui sont pas propres et sinscrivent
e
dans une tradition interprtative en vogue depuis le II sicle et courante son poque. En
revanche, lassimilation de lincarnation luvre de sanctification quopre le dans
la chair, qui permet de comprendre le de Lc 1, 35 non pas comme lEsprit
Saint mais comme le Fils qui vient sanctifier la chair quil assume, semble lui tre propre.
Nous ne lavons trouv dans aucun autre texte sur Lc 1, 35.
B. Implications christologiques
Le problme que posait Apolinaire aux autres thologiens concernait la faon dont il
dduisait la constitution humaine du Christ partir de lexgse de Lc 1,35. Un passage
des Lettres thologiques de Grgoire de Nazianze rend compte de la raction des
Cappadociens face la thorie dApolinaire. Ce dernier se voit accus de croire que le
1146
Logos est pass par la Vierge, comme par un tuyau ( )
:
## ### ## ### ####### ### ######## #########, #### ### #### ############
##### ###### ## ############# (###### ##, ### ##### ###### ##########
##, ### ### #######), ##### #####. Si quelquun vient dire que le Christ
a pass travers la Vierge comme travers un tuyau, sans avoir t form en
elle dune manire la fois divine et humaine divine, parce que ce fut sans
1145
Irne, Contre les hrsies, IV, 31, 2, SC 100/2, le texte est repris de la rtroversion grecque (cf. intr. SC 100/1, p.
Irne, dans son ouvrage Contre les hrsies, I, 7, 2, lutte dj contre cette conception de la gnose valentinienne pour qui le
Christ est pass travers Marie (per Mariam), comme de leau travers un tube (per tubum) (cf. SC 264, d. et trad. A. Rousseau
et L. Doutreleau, Paris, 1979, p. 102) ; ibid. I, 1, 13, 9,piphane formule la mme accusation contre les gnostiques dans son Panarion,
31, 4, GCS 25, Epiphanius, I, d. K. Holl, Leipzig, 1915, p. 388, 10 ; Pan. 31, 7, 4, p. 396, 10 ; Pan. 31, 22, 1, p. 419, 25. Il la rsume
encore dans son deuxime tome du Panarion :
( [ils disent] que le Christ a apport un corps du ciel, et quil a pass travers Marie comme par un canal ),
Anacephalaisis , Epiphanius I, op. cit., p. 237, 3.
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laction dun homme, et humaine, parce que ce fut selon le processus normal de
1147
la grossesse , celui-l est tout aussi bien tranger Dieu
.
Si lincarnation ne consiste quen un revtement charnel dun divin la faon
du corps qui sert denveloppe corporelle lme, alors Marie nest quun passage dans
lequel le Logos prend chair. Grgoire de Nysse, dans son Antirheticus, formule la mme
accusation contre Apolinaire : le Christ serait venu par la Vierge comme par un conduit
1148
( , ) . Au
contraire de cette conception juge errone, dans sa Lettre 101, Grgoire de Nazianze
soutient la coexistence paradoxale dune grossesse et dune origine humaines parfaitement
conformes au droulement naturel et en mme temps lintervention mystrieuse de Dieu,
alors quApolinaire comprend la conception du Christ par analogie stricte avec le processus
du dveloppement de ltre humain, o le Logos divin se substitue au normalement
transmis par le pre dans la gnration, qui, daprs lui, donne vie la chair (
1149
) .
Dans le De unione , lenfant est dit saint depuis le commencement (
1150
) , parce que sa constitution diffre de celle de tous les
1151
autres hommes, en raison de son origine . Apolinaire rcapitule ainsi sa pense dans
lAnacephalaisis :
Grgoire de Nazianze, Lettre 101, 16, trad. P. Galay, SC 208, p. 42. Cf. M. Tardieu M., Comme travers un tuyau,
quelques remarques sur le mythe valentinien de la chair cleste du Christ , Colloque international sur les textes de Nag
Hammadi (Qubec, 22-25 aot 1978), d. B. Barc, Qubec-Louvain, 1981, p. 151-177.
1148
1149
, puisquelle forme une seule nature ( ) avec lui. Cf. par exemple De fide et incarnatione , 6, Lietz. p. 197, 21-23.
1152
1153
1154
,
... : Pas mme [les disciples] ne sont envoys en matres, comme sils ltaient par
nature, de la mme manire que le Seigneur, mais ils ont reu auparavant la capacit denseigner, la sagesse et ainsi par limitation,
le bien se rpand dans le monde .
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pas envisage comme une ralit surajoute, mais elle oblige comprendre lincarnation
comme lachvement en Dieu Verbe dune chair spiritualise par lui. E. Cavalcanti, dans son
article Interpretazione di Luca 1, 35, nel dibattito sullo spirito santo prima del concilio ,
dit en ce sens que pour Apolinaire, Lc 1, 35 sert prouver lunit dans le Christ du corps
1155
avec la divinit . Un peu plus loin, dans lAnacephalaisis , Apolinaire dit encore :
1155
E. Cavalcanti, Interpretazione di Luca 1, 35, nel dibattito sullo spirito santo prima del concilio , Credo in Spiritum Sanctum,
lattribue Apolinaire lui-mme, bien quil dispose ce trait la fin de son volume, dans la partie rserve aux uvres des disciples
dApolinaire. H. de Riedmatten, Some neglected aspects of Apollinarist Christology , Dominican Studies , I, Londres, 1948, p.
243, pense que cet opuscule serait plutt rdig par un disciple dApolinaire en raison de lutilisation prpondrante de termes comme
, qui seraient la marque de dbats postrieurs Apolinaire. M. Richard, Lintroduction d u mot hypostase
dans la thologie de lincarnation , art. cit. p. 10, pense aussi que le trait est un peu plus tardif que luvre dApolinaire, mais
quil appartient une christologie proto-apolinariste. Des extraits de ce texte ont t transmis en latin sous le nom dAthanase (cf.
J. Fraipont, Sancti Fulgentii episcopi Ruspensis opera , CCSL 91A, Turnhout, 1968, p. 554, l .105-118. Des fragments armniens
de cet opuscule ont t dcouverts (cf. Ch. Renoux, Athanase dAlexandrie dans le florilge armnien du manuscrit Galata 54 (
Deuxime Partie ), Handes Amsorya 103, 1989, p. 19-20 ; M. Van
la Lettre de Sahak III Dzoroporetsi (691) , Orientalia Christiana Periodica, 60, 1994, p. 41-67. Il existe aussi une version arabe de
quelques passages, repris du florilge de la confessio Patrum, cf. G. Gref, Zwei dogmatische Florilegien der Kopten, OCP 3, 1937,
p. 367-369, n 20, 21, 31).
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Quod unus sit Christus, 11, Lietz. p. 301. He 7, 9 est cit dans largumentation comme Origne le faisait galement
(in Rom. V, 1, PG 14, 1009 C-1010 A ; d. C. P. Hammond Bammel, Der Rmerbriefkommentar des Origenes. Kritische
Ausgabe der bersetzung Rufins, Buch 4-6, Freiburg, 1997, p. 368). Cf. aussi Gr. Nys., Eun. I, 634-635, GNO I, p. 208,
23-209, 6 dans une argumentation sur la gnration ternelle du Fils.
1159
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son adversaire : ,
, ,
: Et il na mme pas honte de prtendre que la nature [du Christ] est la mme [que la ntre], alors que sa
gnration est diffrente : il est vain et superflu dintroduire une naissance dune Vierge si mme ltre qui est conu nest pas digne
de la naissance, mais est le mme que ceux qui sont conus dun homme et dune femme (Lietz. p. 241).
1162
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,
.
,
,
,
,
,
,
, ,
,
,
,
, ,
. []
,
.
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1. Physis et hypostasis
Il est trs intressant dobserver les nuances qui permettent de distinguer linterprtation
dApolinaire de celle de Grgoire : Apolinaire prouve par Lc 1, 35 que la diffrence
dorigine du Christ implique une diffrence de nature () avec lhomme commun. Et
Grgoire montre partir de Lc 1, 35 comment la naissance virginale implique une diffrence
1173
d, que lon serait tente de traduire par existence, subsistance . La
formule la plus claire ce sujet est :
. Dans quelle mesure peut-on affirmer que les deux
mots employs par les auteurs, physis et hypostasis ne dsignent pas fondamentalement
la mme chose, selon deux terminologies diffrentes ? Dabord, le terme d
est utilis par Grgoire pour parler de la constitution de lhomme normal, qui nexiste (
1174
) que par lunion dune me et dun corps . Ensuite, lorsquil est appliqu
au Christ, la fin de lextrait de Grgoire peut en clairer le sens. En effet, il explique
lunicit du mode dexistence du Christ par le fait quil a t cr dune manire divine et
non pas humaine ( , ), et surtout par le fait que
chaque partie de son compos humain ( ) est habite par Dieu
substantiellement (
, ). Par consquent sa nature
humaine est la mme que celle de lhomme commun, mais elle est unie la divinit dune
manire spciale et unique, alors que pour Apolinaire, de la naissance virginale du Christ
dcoule une nature humaine spciale, qui est ontologiquement modifie par rapport
lhomme commun. Pour Apolinaire, cest au niveau de la nature humaine que se rsout
le mode dunion de Dieu et de lhomme en Christ, alors que pour Grgoire, il est comme
un plus par rapport la nature humaine, mais qui sajuste parfaitement (
Comme nous lavons expliqu un peu plus haut, nous tenons que la puissance presciente de Dieu tablit dabord le genre humain
en sa totalit, selon le tmoignage du Prophte (Dn 13, 42), disant que Dieu connat toutes choses avant quelles viennent au monde.
Quant la cration des tres particuliers, un principe ne prcde pas lautre dans lexistence : ni lme ne vient avant le corps, ni
linverse (PG 44, 233 D; trad. J. Laplace, SC 6, p. 223). Grgoire distingue ici la cration simultane de lme et du corps et le fait que
ltre humain est dj compris avant sa cration dans la puissance presciente de Dieu.
1172
1173
Cf. Lc 1, 35.
Antirrh. 223, 31. M. Richard considre que lemploi d par Grgoire propos du mystre de lincarnation ne semble
pas dpendre dApolinaire. Daprs lui, Apolinaire na pas confess explicitement lunique hypostase du Christ dans son Apodeixis.
Si Grgoire avait rencontr cette expression nouvelle, il laurait signale (cf. Lintroduction du mot hypostase dans la thologie de
lincarnation , Opera minora, II, art. cit., p. 13).
1174
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##### ### ##### ##########, ### ######### ### ###### ###### ###### ##
### ####### ### ### ########## ###### ##########, ##### ## ###### ##
############### ## ## #### ####### ### ### ############ ########
######### ### ############... Cest donc cela lhypostase : ce nest pas
la notion indfinie de substance, qui ne trouve aucune stabilit par suite de la
communaut de la chose signifie, mais cette notion qui dlimite et dfinit ce
quil y a de commun et dincirconscriptible dans un certain objet dtermin,
1176
laide de ses proprits manifestes .
Dans le contexte trinitaire, o la rflexion est mene partir dune analogie de lhumanit
(lhumanit universelle par opposition lhumanit personnelle), lhypostase sert donc
1177
dfinir lindividu partir de ses proprits individuelles et spcifiques
par opposition
la notion d. Le problme que pose cette dfinition, pour comprendre lutilisation du
terme dhypostase dans notre extrait de lAntirrheticus,est que le terme nest pas mis en
relation avec la notion d, mais sur un autre plan, avec la notion de nature humaine
(). Peut-on faire la stricte quivalence entre humaine et humaine ?
1178
Dabord, Grgoire utilise le terme de nature ( )
pour parler
1179
de lessence humaine universelle
mais celle-ci ne soppose pas toujours la notion
1175
1176
1177
ainsi que les fondements philosophiques, cf. J. Zachhber, Human nature, p. 77-79. La question du sens d dans ce
passage de lAntirrh. nest pas envisage par lauteur.
1178
1179
hommes, cest la nature humaine , Ref. 59,GNO II, 336, 4-5. B. Pottier dclare que chez Grgoire de Nysse = , et que
nature signifie substance seconde au plan philosophique, et acquiert au plan thologique la signification dune substance premire
sans individuation par la matire . Il ajoute que est plus souple et plus dynamique qu (Dieu et le Christ, p. 106). notre
avis, les tudes critiques quil mentionne et son analyse propre sappliquent la thologie trinitaire et la polmique contre Eunome.
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qui revient deux reprises dans lextrait de lAntirrheticus cit ci-dessus pour
1182
expliquer le sens de . De plus, lhypostasedu Christ se distingue de
celle des autres hommes, par le fait quil nest pas cr la manire humaine mais divine
1183
( , )
et que la puissance divine est connaturelle
chaque partie de son compos humain ( ()
1184
) . Pour cet extrait, nous rejoignons donc la dfinition que donne M. Richard de
lhypostase qui signifie plus que la stricte individualit : lhypostase signifie pour [Grgoire]
quelque chose de durable, lorigine sans doute, mais en tant que constituant lindividualit :
un peu la manire de nos mots construction ou constitution, qui signifient la fois un acte
et un tat. () hypostase signifie la constitution de lindividu comme tel, constitution quil
tient de son origine et qui nest en quelque sorte que son origine continue .
Pour prciser encore le contenu du terme d quutilise Grgoire dans son
exgse de Lc 1, 35, et rpondre la question initiale, on peut rapprocher lextrait ci-dessus
dun autre passage de lAntirrheticus, qui pose aussi des problmes dinterprtation. Dans
un dbat o la question est de savoir si lEnfant n de la Vierge est Dieu, ou sil nest
quun homme inspir la manire du prophte lie, Grgoire procde un raisonnement
analogique o lascension dlie et surtout le mouvement du feu sont considrs comme
la prfiguration du mouvement de lIncarnation (descente du feu comme la descente de la
puissance divine dans la nature humaine ; ascension dlie comme llvation de lhumanit
assume par le Christ). Il fait allusion Lc 1, 35 de la faon suivante :
##### ### #### ######### # ########## ###### ### ######## ##### ###
1185
### ### ######## #########
########## #### ####### #### ######## ###
### ##### ## ########### ############### #####. tant immatrielle
Dans la controverse contre Apolinaire, le lexique est lgrement diffrent, dabord parce quApolinaire emploie surtout le terme de
dans le sens dune unit vitale (cf. partie IV, chapitre 1 Termes et enjeux de lanthropologie , p. 530-602). Par consquent
Grgoire pourrait reprendre la terminologie de son adversaire pour la discuter. Par ailleurs, dans la christologie, et spcialement
dans le discours sur lincarnation, le terme d est trs rare dans lAntirrheticus. Il y a donc dans ce trait christologique une
spcialisation de propos de lhumanit du Christ.
1180
1181
1182
10-11.
1183
1184
, , . La puissance
divine est alors mle aux deux parties dont la nature humaine est constitue, je veux dire lme et au corps, sintroduisant ellemme en chacune de faon proportionne .
1185
M. Richard, dans son article Lintroduction du mot hypostase dans la thologie de lincarnation , Opera minora
II, art. cit., p. 14, donne comme leon en grec , reprenant le texte de Migne, qui tait ldition de rfrence
lpoque de la rdaction de son article. Fr. Mller retient la leon en Antirrh. 170, 9, qui est plus cohrente en
raison du participe .
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1186
Dans ce passage, Grgoire utilise le verbe (embrasser, prendre possession) et non pas
comme il le fait la plupart du temps pour parler de lassomption de la nature humaine par le Verbe (cf. Antirrh. 152,
10.26.28). Lampe natteste aucun emploi en christologie de ce verbe pour dsigner lassomption par le Christ de la
nature humaine. Le Lexicon gregorianum rpertorie cet unique passage de lAntirrheticus en ce sens.
1187
Pour le rapprochement de Lc 1, 35 et de lhymne aux Philippiens, 2, 6-11 : cf. Eun. III, GNO II, 125, 13 ; 132, 22) ; Ps.-
Athanase, Contre Apolinaire II, PG 26, 1145 A-B (mme association de la forme desclave et de la naissance virginale).
1188
Antirrh. 133, 12 ; 148, 29 ; 173, 13. Cf. B. Meunier, La personne et le christianisme ancien, Paris, 2006, p. 142
M. Richard, Opera minora II, art. cit., p. 20.
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2.
La diffrence entre les deux adversaires se situe aussi au niveau de linterprtation de
en Lc 1, 35. Nous avions vu quApolinaire entendait cette formule comme
dsignant le Logos prexistant. La mme expression chez Grgoire en revanche est
interprte dans un cadre thologique trinitaire : il ne met pas sur le mme plan la
puissance du Trs-Haut et le souffle vivifiant comme latteste la phrase :
, (la
Puissance du Trs-Haut, qui a t introduite immatriellement par lEsprit vivificateur dans le
1192
corps intgre ) . Or la diffrence de comprhension de la naissance virginale provient
aussi de la diffrence de comprhension de la conception de lhomme. Mettons en regard les
deux passages centraux de largumentation des deux auteurs, qui procdent tous deux par
analogie (nous les avons traduits plus haut). Sont soulignes les expressions qui voquent
le cas de la gnration humaine, et mis en caractre gras ce quoi tient la diffrence
dinterprtation :
Argumentation de Grgoire :
Argumentation dApolinaire :
,
,
,
,
,
1191
1192
Antirrh. 223, 26-27. Il existe des interprtations trinitaires de Lc 1, 35 avant Grgoire de Nysse, comme celle dAthanase, Lettres
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1193
,
,
1194
.
### ####, #####, ## ### ######## ### ####### ####### ########. ########
#####, ### #### ####### ########### ## ### ######## ### ########
########### ## #### ########### # ######. Il nest pas homme issu de terre,
dit-il, lhomme qui est descendu du ciel. Cependant, il est homme, mme sil est
1195
Cf. G. B. Ladner, The philosophical anthropology of Saint Gregory of Nyssa , Dumbarton Oaks Papers, 12, 1958, p.
75. Lauteur explique comment Grgoire labore la doctrine de la pour comprendre comment lesprit et le corps,
en dpit de leur relation ingale Dieu, peuvent et doivent coexister en lhomme. Grgoire refuse toute thorie qui soutiendrait la
prexistence de lme au corps ou au contraire, sa postexistence au corps. En revanche il reconnat le caractre cr de la puissance
sminale comme principe naturel , ordonn par Dieu. Lme humaine nest ni matrielle et divine (encore que le texte que nous
analysons ne permet pas de dfinir son statut trs prcisment), comme chez les stociens, ni un tre cr de faon originale purement
spirituel et divin comme chez les platoniciens. Mais elle est le lien vital, le vrai syndesmos entre la matire et lesprit depuis le
commencement.
1196
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descendu du ciel. En effet, le Seigneur ne dnie pas une telle appellation dans les
1197
vangiles .
Daprs la rfutation de ce fragment 17 par Grgoire, les versets bibliques cits comme
preuves que le Christ est homme descendu du ciel devaient tre Jn 3, 13
( ,
1198
1199
) , que Grgoire cite dans le cours de son argumentation , et Lc 1, 35
1200
( , ) . Deux
lments permettent de prouver quApolinaire citait ces deux passages lappui de sa
thse : dune part, ce sont les deux seuls lieux bibliques qui sont analyss par Grgoire
dans la rfutation de ce fragment, dautre part, la mme association scripturaire se retrouve
au dbut de lopuscule De unione dApolinaire avant lexplication de Lc 1, 35 que nous
1201
avons analyse en premier lieu . Jn 2, 13 en lien avec Lc 1, 35 faisait donc partie de
largumentaire christologique dApolinaire.
En toute rigueur, on attendrait quApolinaire cite Jn 3, 13 pour prouver lorigine cleste
du Christ et sa divinit, et Lc 1, 35 pour dmontrer son origine terrestre, et partant,
son humanit. Mais Apolinaire exploite ces deux versets en sens inverse, profitant des
expressions bibliques que nous avons soulignes. En effet, en Jn 3, 13, celui qui est dit
monter au ciel est appel Fils de lhomme : nul nest mont au ciel si ce nest le
Fils de lhomme ( ) . Cest donc lhumanit qui est mise en rapport
avec lorigine cleste du Christ. Cette remarque explique le sens du fragment 17, que nous
redonnons :
### ####, #####, ## ### ######## ### ####### ####### ########. ########
#####, ### #### ####### ########### ## ### ######## ### ########
########### ## #### ########### # ######. Il nest pas homme issu de terre,
lhomme qui est descendu du ciel (cf. Jn 3, 13). Cependant, il est homme, mme
sil est descendu du ciel : en effet, le Seigneur ne refuse pas une telle appellation
1202
dans les vangiles .
Et en Lc 1, 35, o il est dit : la puissance du Trs-Haut ( ) te prendra
sous son ombre : cest pourquoi le nouveau-n, saint, sera appel Fils de Dieu (
), la divinit du Christ est mise en relation avec lenfantement humain. Do la
conclusion que tire Apolinaire dans son argumentation, et que Grgoire cite ainsi :
Frg. 17, Antirrh. 138, 25-29. Daprs E. Mhlenberg, il sagit dune citation textuelle dApolinaire parce que la
Personne nest mont au ciel si ce nest celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme .
Cf. Antirrh. 139, 7-11.
Cf. Antirrh. 139, 16-19.
Apolinaire, De unione , Lietz. p. 185-186 : lopuscule souvre avec lanalyse de Lc 1, 35 pour montrer que lenfant Jsus na
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## ### ############# #### ######## ##### ##### #### ###### ### ##########
#### ### ##### ## ###### ######## ######, #### ##### ## ####### #######
######## ### ##### ### ####### ### #####, ### #### ### #### #### #####,
###########. En dclarant que le Fils de lhomme vient du ciel, il concdera
quil y a dans le ciel un autre pre de celui qui est descendu nous, de sorte que
dans la vie cleste aussi, des nations dhommes, des peuples, des patries et tout
1204
ce qui existe dans la vie dici-bas sont supposs tre .
Puis, aprs ce raisonnement logique, il rplique en exposant sa propre comprhension de
la faon dont le Christ peut tre la fois homme et Dieu, partir de Lc 1, 35 :
### ## ## ## ### ##### ######## ### #### ######### ##### ### ### ######
##### ### ### ##### ##### ############, ## ## #### ### ### ##########
######## #### ### ## ##### ###### #### ########## ## ########, #####
####### ###### ### ###### ## # ########## ###### ### ######## ########
## ########### ##### ##########, ######### #########, ## ## ### #######
######## # ### ###### #### ########### ### #### #### #### ########
#### ####### ########## ### ## ##### ####### ### #### ### #######
##########, ### ## ###### ### ########## ########### ##########. Mais
moi, je dclare croire que le mme est homme et Dieu, et que cest ce que pense
1203
Frg. 18, Antirrh. 139, 21-23. E. Mhlenberg, op. cit. p. 66, hsite considrer ce fragment comme textuel. Pour notre
part, il pourrait tre textuel. Nous supposons quil est incomplet. Avant et aprs, Grgoire commente Lc 1, 35, mais ce
verset nest pas cit dans le cadre strict des frg. 17 et 18.
1204
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tout homme qui respecte le discours droit, mais non pas daprs linterprtation
de cet crivailleur : car le divin nest pas terrestre et le cleste nest pas humain,
comme celui-ci le pense, mais cest dune part en venant den haut que la
puissance du Trs-Haut fut couverte dombre dans la nature humaine, par lEsprit
1205
Saint, cest--dire fut forme en elle, dautre part cest partir de la Vierge pure
que la partie charnelle fut constitue, et ainsi ce qui naquit en elle fut appel Fils
du Trs-Haut, la puissance divine procurant lintimit avec le Trs-Haut, la chair
1206
qui tait habite [procurant] la parent avec lhumanit .
Lexgse de Grgoire pose plusieurs problmes dinterprtation qui sont ds soit un cart
entre le texte de Lc 1, 35 et la faon dont lauteur le paraphrase, soit des erreurs dans
ltablissement du texte deux endroits, indiqus en note. Lune des obscurits du texte tient
au fait que la puissance de Dieu est dite tre couverte dombre () alors que
le texte lucanien en fait le sujet de lombration : la puissance du Trs-Haut te prendra sous
son ombre () . En somme, Grgoire transforme en un passif le verbe qui tait
la voie active chez Luc. Nous avons dabord pos lhypothse dune erreur dans ldition du
1207
texte . Mais il semble que le choix du verbe au passif ait un sens thologique. En effet,
Grgoire voudrait dire que la Puissance du Trs-Haut de Lc 1, 35, qui dsigne le Logos
prexistant, serait alors recouverte de lombre de la chair, par laction de lEsprit Saint, ce
qui expliquerait la prcision donne par Grgoire : a t couverte dombre, cest--dire
a t forme dans la nature humaine ( ,
1208
) . Grgoire oprerait alors un dtournement du sens initial de Lc 1, 35,
1205
Cette phrase pose un problme dinterprtation. Fr. Mller dite le texte ainsi :
: une partie de la chair issue de la Vierge pure fut obscurcie . Or parmi les manuscrits,
e
e
le codex Venetus Marcianus (XII s.), le codex Vaticanus corrig, le Florentinus (XV s.), et le texte dit par Gallandi
e
(au XVII s.) corrigent le texte en , qui vient du verbe (assembler-runir). Le
passage prend alors un autre sens : la partie charnelle issue de la Vierge a t rassemble avec la part divine. M. Canvet
comprend ainsi le passage (cf. Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, op. cit., p. 159). B. Pottier, pour sa part,
entend par le funeste destin et propose une traduction tout fait diffrente de ce passage : Venant den
haut, la puissance du Trs-haut, par lEsprit Saint, sest recouverte dombre dans la nature humaine, cest--dire quelle
y a pris forme, tandis que le funeste destin de la chair disparaissait grce la Vierge sans tache ; cest ainsi que lon
appela Fils du Trs-Haut ce qui fut conu en elle : la puissance divine jouissait de sa parent avec le Trs-Haut, tandis
que la chair se conciliait lespce humaine (Dieu et le Christ selon Grgoire de Nysse, Namur, 1994, p. 383). Une telle
traduction semble aussi cohrente, mais tous les emplois patristiques du terme de que Lampe rpertorie ainsi
que le Lexicon gregorianum pour luvre du Cappadocien, notamment en christologie, dsignent toujours la partie
et jamais le destin ; cf. Tatien, Oratio adversus Graecos : ,
, : comme lincorruptibilit auprs de Dieu, de la mme manire,
lhomme reoit en change une partie de Dieu et possde aussi limmortalit (PG 6, 820 B).
1206
1207
dont le sens est similaire (Lampe donne la mme traduction que pour ). Mais cette proposition ne rend pas le
passage plus clair : la puissance du Trs-Haut fut ombrage dans la nature humaine (cf. apparat critique, Antirrh. 139). Sagiraitil dune erreur que lon trouve dans les manuscrits eux-mmes ?
1208
Cette hypothse serait confirme par un autre passage de lAntirrheticus, o Grgoire dit que la puissance du Trs-Haut (Lc
1, 35), qui est immatrielle et invisible, a reu lhypostase de la Vierge (Antirrh. 170, 8-9). Mais alors un autre passage o Grgoire
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montrant que ce nest pas la puissance divine qui couvre dombre la chair de la Vierge, mais
cest la nature humaine qui, du fait de lEsprit, recouvre dombre la divinit. Lenveloppe
1209
corporelle serait alors compare une forme dobscurcissement de la puissance divine .
Dun point de vue thologique, cette interprtation de Lc 1, 35 savre tout fait originale,
mais est cohrente avec lensemble de la christologie de Grgoire. On peut rapprocher en
effet cette exgse de Lc 1, 35 du passage de lAntirrheticus o Grgoire compare la vise
rdemptrice de lincarnation lclat du soleil qui vient dissiper les tnbres de la chair :
( comme le soleil qui pntre dans une caverne tnbreuse et par
1210
sa lumire dissipe l'ombre prsente ) . On trouve encore dveloppe dans certaines
de ses uvres lide que la matire entnbre ce quil y a de divin en lhomme, non sans
1211
rminiscence platonicienne . Grgoire retournerait donc ici le sens de limage de lombre
qui se trouve dans le verset Lc 1, 35.
Par consquent, il nest probablement pas ncessaire de supputer un problme textuel
dans ce passage de lAntirrheticus pour lui donnerun sens.Mais celui-ci reste trs isol, en
comparaison des autres exgses de Lc 1, 35 dans lAntirrheticus, o Grgoire commente
le verbe de Luc dans sa forme passive.
Lexgse de Lc 1, 35 par Grgoire dans le passage ci-dessus est trinitaire : le Pre
tant le Trs-Haut, le Fils, la Puissance du Trs-Haut et lEsprit Saint, le ministre
de la gnration virginale. En effet, les expressions lucaniennes de Puissance du Trs
Haut ( ) et dEsprit Saint ( ) ne sont pas
mises sur le mme plan, de toute vidence, comme si elles renvoyaient au mme objet
(contrairement Apolinaire). La prsence de la prposition devant lEsprit Saint est bien
lindice que le de Luc est interprt par Grgoire comme tant la troisime
1212
Personne trinitaire qui procde la conception virginale . En ce sens, linterprtation est
diffrente dApolinaire.
Lenjeu argumentatif de ce passage est de prouver que le divin en Christ vient den
haut ( ) et que lhumain provient de la nature humaine terrestre (
). Grgoire refuse donc de confondre les ordres terrestre et cleste
et dappliquer le terrestre au cleste et rciproquement (
). Il explique la conception du Christ ici comme lombration de
la Puissance divine en la chair par lintermdiaire de lEsprit Saint. Il rpond lopposition
entre le terrestre et le cleste qui tait dveloppe par Apolinaire partir de lassociation de
Lc 1, 35 ( Fils de Dieu n dune femme) avec Jn 3, 13 ( Fils de lhomme descendu
du ciel), par lantagonisme entre la puissance du Trs-Haut (qui dsigne Dieu) et la chair
(de la Vierge). loppos dApolinaire dont le raisonnement tend montrer lindissoluble
1213
unit entre lhumanit et la divinit du Christ ( )
crit propos de Marie : : sur laquelle la Puissance du Trs-Haut a rpandu son ombre en
Antirrh. 191, 11-12, pose problme, car la puissance divine est prsente dans cette citation comme le sujet de lombration.
1209
1210
1211
hommes qui cause de la parent du corps avec le terrestre () ont reu en partage
ncessairement la vie sur la terre, comme une sorte de sdiment de boue () . Grgoire fait allusion au Phdon, 109 C.
1212
1213
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Par ex., Grgoire de Nazianze utilise Lc 1, 35 dans une srie de faits bibliques qui relvent de lhumanit du Christ dans
son Discours 41, 5, SC 358, d. Cl. Moreschini, P. Gallay, Paris, 1990 p. 324. Dans la rflexion sur la Passion-Rsurrection dans
lAntirrh. , Grgoire prend toujours soin de rapporter la souffrance et la mort lhumanit du Christ et la puissance de rsurrection
la divinit, distinguant bien les deux natures contre la thorie de lunique nature dveloppe par son adversaire. Cf. M. Alexandre,
Le Jsus des vangiles dans luvre de Grgoire de Nysse , d. E. Moutsoulas,
. , 7-12 2000, Athnes, 2005, p. 245-284.
1215
vraisemblablement tronqu, et il est quasi-impossible den restituer le sens par rapport aux fragments dApolinaire qui lentourent.
Plusieurs traductions sont possibles selon que lon garde la virgule aprs , comme F. Mller ldite, ou non (cf. E.
Mhlenberg, op. cit., p. 69). Ce qui semble intresser Grgoire dans ce passage de lApodeixis, est la formule d
et non pas largument quelle servait.
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. ,
,
.
, ,
. ,
,
.
Il est fort possible quon se trouve ici en prsence dlments argumentatifs repris de la polmique exgtique contre
Eunome. En effet, Basile, dans son Contre Eunome, cite Jn 1, 1 et Ap 1, 8 pour prouver la divinit du Fils de toute ternit (cf. Contre
Eunome, II, 14, SC 305, p. 54-56) ; Grgoire dans sa Rfutation dEunome, exploite aussi Lc 1, 35 en lien avec Jn 1, 1 (Eun. 56-57,
GNO II, p. 335).
1220
Apolinaire soutient la mme ide plusieurs reprises (cf. par ex. De fide et inc., 7, Lietz., p. 199).
291
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######### (...) ## ### ###### ### ### ####, ### ########### ###
### ############, #### ### ##### ### #### ##### ########### ###
############# ### ### ###### ##### ## ###########... Nous confessons
() non pas un seul Fils en deux natures, une nature quil faut adorer et une quil
ne faut pas adorer, mais une seule nature du Dieu Verbe, incarne et adore avec
1221
sa chair par une seule adoration .
Sans entrer dans une analyse doctrinale dtaille de ce passage fameux dApolinaire, nous
voudrions juste relever le fait quApolinaire conoit le Logos incarn sur le mode dune union
telle que la chair et le Logos ne sont plus distingus comme deux lments autonomes, lun
suscitant ladoration la diffrence de lautre. Mais en vertu de lunion intime entre le divin
et lhumain en Christ, Apolinaire considre que toute sa personne, et la chair et le divin, doit
tre adore au mme titre, comme si lun ne se distinguait plus de lautre. Il est donc possible
que Grgoire, dans la fin de son raisonnement, rfute les consquences christologiques de
la revendique par Apolinaire, lorsquil insiste sur la sparation entre la divinit
et lhumanit dans le Christ ( [le Christ] est la fois homme et Dieu, homme par ce qui
1222
est vu, Dieu par ce qui est conu ) . Et lorsquil reproche Apolinaire de dfinir dans
sa conclusion le divin par ce qui est manifest, non pas par ce qui est conu , on peut
penser quil condamne la thorie dApolinaire selon laquelle, en vertu de lunion de la chair
Dieu, la chair est divine et adorable et se confond avec Dieu (cf. frg. 85 :
, , , : La chair
1223
du Seigneur est adore puisquelle est une personne et un seul tre vivant avec lui ) .
Le discours de Grgoire insiste ainsi sur laspect paradoxal de la naissance virginale par
le fait que le Christ, en tant qutre engendr, est homme, mais, parce que la puissance qui
procde la gnration nest pas humaine mais quelle agit par lEsprit Saint et la puissance
du Trs-Haut, il nest pas seulement homme, mais aussi Dieu. Cest toute la diffrence avec
Apolinaire qui cherche rsoudre le paradoxe dun Dieu fait homme sur le plan ontologique.
C. La chez Grgoire
Dans les extraits cits de lAntirrheticus o Grgoire commente Lc 1, 35, le terme
prsente des variations de sens. Si lexpression qui cristallise le nud interprtatif
dApolinaire est celle de , chez Grgoire, cest peut-tre celle de , qui
suscite des exgses varies selon les textes, au sein mme de lAntirrheticus, mais plus
gnralement dans le cours de son uvre.
Ce point a dj attir lattention de la critique, comme en atteste le dossier que propose
B. Pottier, dans un excursus de son ouvrage Dieu et le Christ selon Grgoire de Nysse o il
1224
discute la thse de M. Parmentier qui traite de lEsprit Saint chez Grgoire de Nysse , et
o il classe les passages exgtiques de Lc 1, 35 chez Grgoire selon que la puissance
dsigne lEsprit Saint ou le Logos. Il constitue un corpus de textes, dans lesquels se situent
1221
1222
1223
des expressions par Grgoire dans sa rfutation, il devait tre proche de la pense originelle. Cf. aussi le frg. 86, qui correspond
la prmisse dun syllogisme incomplet et prsent de faon tronque, sans lien syntaxique avec ce qui prcde et ce qui suit. Ces
remarques syntaxiques parlent en faveur de son authenticit.
1224
Cf. M. Parmentier, Saint Gregory of Nyssas doctrine of the Holy Spirit , Ekklesiastikos Pharos (Alexandrie), 58, 1976, p.
41-100 ; 387-444 ; 59, 1977, p. 323-429 ; 60, 1978, p. 697-730. B. Pottier discute sa position dans Dieu et le Christ, op. cit., p. 379-380.
292
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les interprtations de Grgoire sans toutefois analyser le statut de ce verset dans les
argumentations varies o il se situe. En outre, il ne penche pas sur la varit demplois
du mot dans un mme passage exgtique. Cest prcisment ce sur quoi nous
voudrions concentrer notre tude : les diffrents extraits de lAntirrheticus, rapprochs
dautres textes de Grgoire, o la notion de , tire de Lc 1, 35 est explique par le
Cappadocien selon plusieurs acceptions dans une mme exgse. Cela mettra en vidence
la mthode exgtique de Grgoire o les expressions bibliques ne sont jamais comprises
selon un sens fig, mais ractualises en fonction du contexte argumentatif.
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a annonc la bonne nouvelle, sur laquelle nous croyons que lEsprit Saint est
1229
descendu, que la Puissance du Trs haut a prise sous son ombre .
1230
####### ######## ### ## ### # #### # # # ## ### # ### ### #### # ########
###### #### ## ##### ###### #### # # # #### ## # # # # #############.
Un petit enfant nous est n de la puissance de lEsprit Saint (Lc 1, 35) et
ni la Vierge na souffert, ni lEsprit a t amoindri, ni la Puissance du Trs
1231
Haut (Lc 1, 35) na t partage .
cet endroit de sa rfutation contre Eunome, Grgoire rpond lattaque de son adversaire
propos de la gnration du Fils issu du Pre. Selon Eunome, ltre qui engendre partage
1232
sa substance dans le fait dengendrer ( ) . Grgoire
rfute cette conception en montrant comment le Fils, lorsquil prit chair, ne produisit ni un
amoindrissement au sein de la Trinit, ni une partition de lessence du Pre. Dans lextrait cidessus, la premire mention de la puissance dsigne lEsprit Saint, qualifi par lattribut
1233
qui est le moyen daction de Dieu pour accomplir lincarnation du Fils . Dans le deuxime
cas, la Puissance du Trs-Haut est distincte de lEsprit, bien que mise sur le mme plan
grammaticalement. Faut-il alors y voir une dsignation du Fils par opposition lEsprit Saint
ou simplement un attribut de Dieu, commun aux trois Personnes ?
(Ref. 213, GNO II, p. 402, 14-15). Dans le dbat trinitaire contre Eunome, la
puissance, au sens mtaphysique est proche de la notion de nature.
294
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lucanien est interprte comme dsignant le Pre par lun de ses attributs, et ce en raison
du contexte argumentatif.
Si tel est le cas, on trouve ici un bel exemple de ladaptation de lexgse dun mme
verset chaque polmique : dans la controverse contre Apolinaire, il faut montrer que dans
le texte de Luc, la divinit qui sincarne nest pas dsigne par le terme de , ce qui
permet de rendre caduque ensuite la conception christologique du . Dans
la controverse contre Eunome, il faut montrer que dans le texte de Luc, lorsque le Verbe
sincarne, le Pre nest pas altr dans son essence, ce qui permet dexpliquer comment le
Pre peut engendrer ternellement le Fils sans altration de sa substance, en loccurrence
sans partition de son tre. En fonction de ces impratifs dmonstratifs, la Puissance du
Trs-Haut est interprte diffremment.
1235
295
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1237
1238
Grgoire utilise limage de la tente ici (), tire du Ps 117 (liturgie pour la fte des Tentes), mais le lexique fait
allusion la technique de construction des tentes (cf. Homlies sur la Nativit, GNO X, 2, p. 238, 5-7). Grgoire utilise cette
image pour parler de linhabitation divine dans la nature humaine : en ce jour, la tente humaine ( )
est dresse () par celui qui a revtu lhomme cause de nous (image inspire du Prologue de Jn 1, 14),
Hom. Nat., GNO X/2, p. 236, 7-8 ; trad. rv. J. Danilou, La fte des Tabernacles dans lexgse patristique , StPatr.
I, Berlin, 1957, p. 278. Cf. aussi ibid., p. 262-279 et spcialement p. 274-276 pour une interprtation du terme dans un
contexte eschatologique de recration de lhumanit dchue. Daprs les enqutes de J. Danilou, Eusbe appelle le corps
du Christ (Dem. Ev. X, 1, 22 ; GCS 23, p. 450, l ; 13). Cf. M. Alexandre, Le Jsus des vangiles dans luvre
de Grgoire de Nysse , art. cit., p. 271. Ce thme tient aussi une place importante dans la thologie de lincarnation chez
Cyrille dAlexandrie (Com. in Joh. 1, 9, d. E. Pusey, in D. Joannis Evangelium, I, red. 1965,p. 140-142 ; p. 152 etc. La
construction () du vrai tabernacle est la rsurrection du Christ (Com. in Joh., 4, 4, d. E. Pusey, in D. Joannis
Evangelium, I, p. 568, l 12.
1239
1240
1241
Nice. Grgoire sen sert dans la polmique contre Eunome pour montrer lternit du Fils (The Power of God, Washington, 2001,
p. 291). Cf. note 129.
296
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1242
puissance divine ) . Dans ces conditions dmonstratives, la question pour Grgoire nest
pas dhomogniser dans son exgse le sens de , repris de diffrents versets
bibliques, mais de profiter de la prsence des occurrences bibliques rattaches la divinit
et lhumanit pour montrer que tout en tant homme, le Christ reste pleinement Dieu.
En somme, dans cette lettre, Lc 1, 35 est loccasion dune reformulation du mouvement
de lincarnation, o lon remarque que la technique exgtique de Grgoire ne consiste pas
figer la signification des mots dans un sens prcis.
Pour rcapituler les diffrentes perspectives interprtatives de Lc 1, 35 par Grgoire,
nous voudrions mentionner un autre passage, tir de lHomlie sur la Nativit o le verset
de Luc est compris la lumire de plusieurs versets pauliniens selon plusieurs niveaux de
sens. Il est un texte trs important concernant lexgse de Lc 1, 35, parce que cest luvre
de Grgoire o le motif de la virginit de Marie est le plus longuement abord, en rfrence
au texte apocryphe du Protvangile de Jacques. Grgoire explique alors ce quil entend par
Puissance de Dieu . Nous avons mis en caractres gras toutes les mentions de cette
notion pour faire ressortir les variations de sens :
####### ## ####### ### ######## # #### #######. #### ### ###### #######
########## ###. ## ##### ####### ############ # ###### ####### ####
###### ### #### #####, ##### ##########. ### ### ####### ##### ######,
#### ##### # #######, ### ### ########## ######## ######## #########
## ########. ####### ### # ### ###### #### ## #### ### ###########
#############, ##### # ######## ### ## ######### ### ### #### ########
## ## ###### ### ######### ############ ##### ### ####### ############
########### ### ########## ### ### ### ######### ############
1243
##########. Mais ici, la chair
devient le rceptacle de l'Esprit. Toutefois,
la puissance du Trs-Haut te couvrira de son ombre (Lc 1, 35). Que signifie ce
discours en termes obscurs ? Le Christ est Puissance de Dieu et Sagesse de
Dieu dit l'aptre (1 Co 1, 24). Donc la puissance du Dieu Trs-Haut, qui est le
Christ, prend forme dans la virginit grce la venue de l'Esprit Saint. De mme
en effet que l'ombre des corps est forme sur leur modle, eux qui la devancent,
de mme l'empreinte et les caractristiques de la divinit du Fils (cf. He 1, 3)
transparatront dans la puissance de celui qui est enfant comme image, sceau,
ombre et resplendissement du modle, tant rvls par les miracles produits par
1244 1245
les activits
.
1242
La
confirme
prise
que
dans
suite
de
Grgoire
son
sens
la
utilise
dmonstration
Lc
universel
1,
(par
35
consiste
pour
en
expliquer
opposition
aux
une
exgse
comment
exgses
Dieu
spirituelle
de
sest
dAntirrh.
uni
170
et
Lc
la
1,
nature
dAntirrh.
35,
qui
humaine
191)
, , La puissance du
Trs Haut, qui sest mlange notre nature tout entire par la venue de lEsprit Saint (Lc 1, 35), se trouve aussi dans notre me
comme il convient quelle soit dans une me et quelle sest mle au corps pour que notre salut soit parfait en tout (trad. P. Maraval,
SC 363, Paris, 1990, p. 140).
1243
1244
Avec la prsence du terme , on retrouve la thse selon laquelle Dieu se laisse connatre par ses activits
297
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Dans son exgse, Grgoire veut faire comprendre son auditoire ce que signifie la parole
lucanienne : la Puissance du Trs-Haut te prendra sous son ombre . Pour ce faire,
il commence par dmontrer que la Puissance du Trs-Haut dsigne le Christ, et ce
par le truchement de 1 Co 1, 24 ( ). Le Christ est non seulement
1246
le Logos de Dieu-Pre, mais aussi sa puissance, sa volont, son autorit . Il explique
ensuite ce que signifie lombration de la Puissance sur la Vierge par une comparaison avec
le phnomne de lombre. Cette comparaison a le mrite de garder lopposition entre ce
qui est immatriel (le dans le cas de Dieu, en Lc 1, 35) et ce qui est corporel (la
dans le cas de la Vierge), et de permettre lauditoire de se reprsenter comment
llment incorporel pouse les contours de la forme corporelle. Mais plus subtilement ici,
lexgse de Grgoire procde par amplification des images prsentes dans les versets
bibliques cits. Il reprend en effet de Lc 1, 35 limage de lombre ( ) qui
prend la mme forme que ce dont elle est ombre, et de 1 Co 1, 24 associ par la tradition
He 1, 3 (le Christ est dit , lclat de la gloire , et
, lempreinte de la substance ) ; il dveloppe ainsi en mme temps les
images de la lumire et de lempreinte. Grgoire oriente alors lexgse de Lc 1, 35 dans
1247
une direction mtaphorique, qui excde la stricte explication de la naissance virginale
:la
puissance divine (), que le Christ possde titre de Dieu se manifeste au cours de
sa vie par ses actions ()miraculeuses.
Par consquent, par un rapprochement de plusieurs versets scripturaires et dans un
raisonnement analogique, Grgoire veut dire que lombration sur la Vierge de la Puissance
du Trs-haut signifie que tout au long de sa vie, le Christ manifeste sa divinit travers
ses actions.
Mais lapplication de la comparaison au Christ est plus complexe quelle ne parat. Si
on applique strictement la leon du premier membre au second, il faudrait penser que de
mme que lombre pouse la forme de ce dont elle est lombre, de mme la divinit du Fils
pouse les contours de la vie humaine et se manifeste travers eux. Mais en introduisant la
formule de (l o lauteur biblique utilisait ), Grgoire fait du Christ
lclat du type (modle) quest le Pre en mme temps quil fait de sa divinit lombre par
rapport au modle quest son corps humain.
Le raisonnement exgtique procde ici par amplification des images bibliques de la
lumire et de lombre. Ce faisant, Grgoire tente dexpliquer le contenu de la doctrine de la
foi en rinvestissant les concepts bibliques dune force visuelle : on trouve l un procd
1248
de largumentation thologique que nous avons remarqu frquemment . Cette manire
1245
GNO X, 2, 255, 18 - 256, 11 (trad. en prparation pour un volume des Sources Chrtiennes sur les Homlies
1 Co 1, 24 est un verset-clef de la polmique anti-arienne pour prouver lunit de nature entre le Pre et le Fils. Pour ne donner
que quelques rfrences, chez Basile, cest surtout en CE II, 17 (SC 305, p. 66) et en CE II, 27 (SC 305, p. 112-116) quil dveloppe
une longue argumentation partir d1 Co 1, 24 et dHe 1, 3 pour prouver la consubstantialit du Pre et du Fils ; Gr. Nys, Sur la
divinit du Fils et de lEsprit, GNO X/2, p. 123, 24-125, 8 ; le verset occupe une large place dans le livre III du Contre Eunome de
Grgoire de Nysse, majoritairement dans les tomes 1 et 6 (cf. Eun. III, 1, 21 ; III, 1, 30, III, 1, 36 ; III, 1, 44 ; III, 1, 49 ; III, 1, 54 ; III,
1, 80 ; III, 1, 134 etc. ; III, 6, 49 ; III, 6, 64 ; III, 6, 80). Grgoire reprend largument anti-arien dans la polmique contre Apolinaire
en Antirrh. 157, 10-158, 9.
1247
Pour une tude de cas de la fonction de limage dans largumentaire thologique, cf. notre article : Connaissances
naturalistes chez Grgoire de Nysse dans ses traits thologiques : fonctions et dynamisme argumentatifs , dans La cultura
scientifico-naturalistica nei padri della chiesa -I-V sec.), 2007, p. 179-196.
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de procder montre toute la diffrence avec Apolinaire, pour qui lexgse de Lc 1, 35 est
traite sur le plan de lontologie humaine du Christ. Chez Grgoire, elle est marque par
le souci constant de prserver le paradoxe dun Dieu qui se fait pleinement homme en
restant pleinement Dieu sans en donner une explication au niveau de lontologie humaine du
Christ, qui serait trop rductrice pour le Cappadocien. Cest ainsi que nous avons observ,
dans tous les textes que nous avons analyss, soit une fluctuation au niveau du lexique,
soit une manire de faire de lexgse par amplification des images utilises prsentes
dans plusieurs versets. Ainsi, dans le dernier exemple, Grgoire explique la prsence divine
comme le rayonnement dune lumire qui se dgage de la vie du Christ, dune faon
mtaphorique, pourrait-on dire, condition de considrer la mtaphore comme constitutive
de la pense thologique.
III. Conclusion
Lanalyse que nous avons mene sur le verset de Lc 1, 35 dans la polmique entre Grgoire
et Apolinaire partir de lAntirrheticus est riche denseignement tant au niveau des mthodes
exgtiques propres aux auteurs quau niveau de la thologie.
Premirement, nous avons pu voir comment ce verset, qui est au cur de la polmique,
suscite un type dexgse doctrinal. Invitablement, lenjeu de la controverse incite les
auteurs utiliser les outils conceptuels de la christologie (, , )dans
lanalyse dun verset biblique, qui en lui-mme peut ouvrir aussi des interprtations dune
tout autre nature, comme en tmoigne la varit de sens donns par Grgoire.
Les analyses que nous avons menes, mais qui pourraient encore tre dveloppes, ont
montr que mme si les notions quutilisait Grgoire, pour rpliquer son adversaire,
avaient dj t lobjet dune rflexion dans le cadre de la polmique contre Eunome au
niveau trinitaire, leur sens avait volu, ou plutt tait adapt en fonction de lobjet de la
polmique contre Apolinaire, qui porte sur la nature humaine du Christ (traite sans lien
avec la thologie trinitaire dans lAntirrheticus). ce titre, les tudes secondaires que nous
avons consultes pour mieux tenter de comprendre les concepts christologiques mis en jeu
1249
par Lc 1, 35 sont incompltes , car elles ne portent que sur le sens de ces notions dans le
cadre trinitaire. En raction la faon dont Apolinaire les utilise, Grgoire en vient modifier
aussi le sens de la terminologie technique quil emploie en christologie entre la polmique
contre Eunome et celle contre Apolinaire.
Deuximement, le dbat engendr par le verset de Lc 1, 35 entre Grgoire et Apolinaire
met en vidence deux approches diffrentes de la christologie. Ce ne sont pas les mmes
mots du verset qui retiennent lattention des deux auteurs. Le nud interprtatif chez
Apolinaire porte sur le terme de qui, pour lui, dsigne le Logos prexistant.
Le Laodicen sinscrit par l dans une mouvance thologique appele christologie
pneumatique . Au contraire, Grgoire propose une interprtation trinitaire de Lc 1, 35,
atteste chez dautres thologiens de son poque. Cest le terme , et non pas
, qui suscite chez cet auteur les exgses les plus varies. Cette divergence
dinterprtation tmoigne que le sens donn ce verset nest pas encore dfini de faon
e
dcisive dans la deuxime moiti du IV sicle.
Lorsque nous avons expos les consquences christologiques des deux interprtations
mises en relation, chacune, avec dautres passages des deux auteurs, nous avons vu
comment lexgse de Lc 1, 35 justifie chez Apolinaire une conception du Christ comme
1249
Cf. notamment J. Zachhber, The Human Nature ; B. Pottier, Dieu et le Christ ; M. R. Barnes, The Power of God.
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homme cleste (cf. 1 Co 15, 45-47), impliquant pour lui une diffrence de nature humaine
avec lhomme normal. Au contraire, chez Grgoire, lexgse de Lc 1, 35 est oriente selon
une dmarche thologique o il sagit de soutenir le paradoxe dun Dieu qui peut assumer la
mme nature humaine que le commun des mortels (except le pch) sans que sa divinit
en soit altre. Lexgse dApolinaire tend fixer sur le plan ontologique lunion de lhomme
et de Dieu, alors que chez Grgoire, celle-ci est toujours prsente dune faon dynamique,
selon sa vise sotriologique.
Troisimement, le commentaire linaire des passages mentionns ci-dessus fait
ressortir des constantes mthodologiques chez les deux auteurs. LorsquApolinaire utilise
le procd de lanalogie avec la gnration humaine pour expliquer la naissance virginale
en Lc 1, 35, il en fait une application stricte au cas du Christ. Au contraire lorsque Grgoire
utilise la comparaison du phnomne physique de lombre pour expliquer lombration divine,
il ne lapplique pas strictement Dieu, profitant dautres images que recle la Bible pour
enrichir son exgse et rendre compte de la conception virginale de manire mtaphorique.
En outre, dans ses argumentations exgtiques, il utilise et interprte un mme terme
biblique dans des sens diffrents, sans que ce procd ne nuise la vise dmonstrative,
dans la mesure o cest lide thologique qui impose une ligne directrice claire. Le fait
que les enjeux dmonstratifs varient dune uvre lautre influe sur le sens donn aux
mots bibliques comments et lorientation de lexgse. De ce point de vue, lcriture reste
1250
toujours une parole ractualise en fonction des questions thologiques en examen .
Il est alors trs intressant de remarquer le dplacement dinflexion thologique et le
changement de mthode dans lexgse de Lc 1, 35 entre deux controverses doctrinales.
Dans la polmique contre Eunome, la gnration humaine du Christ tait systmatiquement
mise en rapport avec la gnration ternelle du Fils par le Pre, pour montrer, par analogie,
comment, partir de lune, on peut comprendre lautre. Et cette dmarche argumentative
tait un lieu commun dans la polmique anti-eunomienne, comme latteste lutilisation du
1251
mme procd par Grgoire de Nazianze, dans son Discours 40 . Dans la polmique
contre Apolinaire, o il sagit de dfinir comment on peut penser lunion du Logos la nature
humaine, la gnration humaine commune sert de point de dpart dans le raisonnement
analogique pour comprendre la gnration virginale du Logos dans la chair. Ce changement
de perspective montre lvolution de lexgse dans la rflexion thologique en fonction des
points dintrt et des dbats. Lc 1, 35 atteste qu la fin des annes 380, le regard des
thologiens sest dplac de la question des rapports du Pre et du Fils, vus sous langle de
la thologie, celle des rapports de la divinit et de lhumanit dans la personne du Christ
pendant le temps de son incarnation.
Cf. J.-M. Blanchard, Nouveau Testament et canon , Lautorit de lcriture, d. J.-M. Poffet,Paris, 2002, p. 31 : il sagit
moins dune criture fige dans son statut littraire que dune Parole divine, mise dans un pass plus ou moins lointain et faisant
lobjet dune nouvelle nonciation au prsent de lcrit patristique .
1251
Gr. Naz., Discours 40, 45, SC 358, d. Cl. Moreschini, P. Gallay, Paris, 1990, p 304-306.
300
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similaire lexception du pch. Or les deux versets analyss prcdemment ont rvl par
quel raisonnement Apolinaire en venait penser une diffrence de nature entre le Christ
et les autres hommes et ce quoi elle tenait : lorigine cleste du dans le Verbe
incarn, qui se revt de chair dans la Vierge. Dans le cas des deux versets, la rflexion sur
lorigine cleste du Christ implique une ontologie humaine particulire.
cette thologie, qui fait dcouler de lorigine divine du Christ une constitution humaine
diffrente des autres hommes, Grgoire rplique magistralement en proposant un expos
1252
rcapitulatif, un credo christologique , qui tend soutenir le paradoxe dun Dieu
devenu pleinement homme. Cest le clbre passage paulinien de Ph 2, 6-11 qui lui sert de
cadre dmonstratif pour exposer sa propre christologie.
Lexgse de Ph 2, 6-11 par Grgoire prend une forme tout fait particulire dans
1253
lAntirrheticus parce que, dune part, cest lanalyse biblique la plus longue du trait
et que, dautre part,cest le seul passage o lauteur propose un commentaire suivi et
personnel, clon aprs clon, dun passage biblique si long (six versets conscutifs). Ce
commentaire a un statut unique dans lAntirrheticus enraison galement de labsence de
traits polmiques, qui implique un changement de tonalit du discours par rapport ce qui
1254
prcde et ce qui suit . Lenjeu de notre analyse sera donc de comprendre pourquoi
et comment cette exgse sintgre la rfutation, quel est son statut dans le trait de
Grgoire.
Ph 2, 6-11 est lun des passages bibliques les plus cits et discuts par les auteurs
patristiques, mais aussi par les exgtes jusqu nos jours en raison des problmes de
1255
traduction et dinterprtation quils posent . Nous ne ferons pas donc en prliminaires ltat
des questions exgtiques que pose ce passage biblique. Nous renvoyons la synthse
qua opre R. P. Martin en 1967, prsentant notamment lhistoire de lexgse sur Ph 2,
1256
6-11 , et nous rfrons au commentaire rcent de J.-R. Aletti pour ltude textuelle et les
1257
problmes poss par chaque verset de lhymne .
Chez les auteurs patristiques, ce texte est dune importance majeure parce quil a jou
un rle essentiel dans la structuration de la christologie. En effet, avec son mouvement
descendant et ascendant, il est invariablement lu comme lnonc de lincarnation du Verbe
prexistant et de son retour auprs du Pre ; dans sa premire partie, descendante, il
1258
est considr comme un pur parallle au prologue de Jean . Parmi les premiers
commentaires influents de cet hymne par les Pres, B. Meunier fait mention de celui de
1252
M. Canvet, Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, op. cit.,p. 229 ; Fr. Vinel, Grgoire de Nysse et la rfrence
2, 5-11 : Hymn or Exalted Pauline Prose ? , Bulletin for Biblical Research 2, 1992, p. 29-46), son emploi dans la liturgie (J.-B. Edart,
LEptre aux Philippiens, Paris, 2002), le sens des concepts clefs (P. Grelot, Deux expressions difficiles de Philippiens 2, 6-11 ,
Biblica 54, 1973, p. 169-186), la christologie expose par Paul (J.-N. Aletti, Saint Paul, ptre aux Philippiens, Paris, 2005).
1256
R. P. Martin, Carmen Christi, Philippians 2, 5-11,coll. Society for New Testament Studies Monograph series, Cambridge,
1967.
1257
1258
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1259
1260
1261
1259
1260
1261
1262
de commentaire linaire, condens sur quelques pages et non pas tal lchelle dun livre entier. Prcisons que dans les deux
ouvrages de polmique o Grgoire analyse Ph 2, 6-11 amplement, il rpond lexgse abondante du mme passage, labore
par Eunome et Apolinaire.
1263
Les frgs. 43-47 de lApodeixis sont des extraits du commentaire par Apolinaire de Ph 2, 6-11. Il analysait donc de faon dtaille
Pour la question de lusage liturgique de ce passage, cf. les analyses de J.-B. Edart, Lptre aux Philippiens, Paris, 2002, p. 152.
J.-N. Aletti, Saint Paul, ptre aux Philippiens, p. 140.
302
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Christological Anthropology in Phil. II, 6-11 , Revue biblique, 83, 1976, p. 25-50.
Cf. J.-R. Aletti, op. cit., p. 143.
Cf. Partie 2, chapitre 2 : Le dynamisme argumentatif de lcriture , p. 371 sq.
Pour lusage dans la liturgie ancienne de Ph 2, 6-11, cf. Le grand lectionnaire de lglise de Jrusalem, V
-VIII
s.,
Nous avons dj not ce procd dans notre tude de la composition de lAntirrheticus. plusieurs reprises, la stratgie de la
rfutation chez Grgoire consiste proposer sa propre interprtation avant de donner celle dApolinaire.
303
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concevoir le Logos incarn selon un modle strict du Logos-sarx, dun esprit incarn .
Lenvergure du commentaire de Grgoire, qui se prsente premire vue comme un tout
homogne et dtach du mouvement argumentatif, apparat cependant ds lors quon
cherche comprendre comment lauteur reprend des lments de rfutations des autres
lieux scripturaires, quil avait analyss prcdemment propos de la consubstantialit de
la chair, et, en mme temps, anticipe sur les arguments quil opposera, par la suite,
linterprtation dApolinaire du mme passage biblique.
En outre, comme nous le verrons au cours de lanalyse, Apolinaire se servait de
Ph 2, 6-11 pour prouver lidentit de sujet entre le Logos prexistant et le Christ. Mais
Grgoire, par une analyse du mme passage scripturaire, montre comment la conception
de lhumanit du Christ par son adversaire, la manire dun revtement charnel de
lesprit divin, conduit non pas une identit du Logos et de Jsus, mais une confusion
1272
atemporelle de sa nature divine et de sa nature humaine . Par consquent, ce sont toutes
les proprits charnelles qui sont mettre au compte de la divinit prexistante. En poussant
le raisonnement jusqu labsurde, Grgoire dnonce la conception de lhumanit du Christ
par Apolinaire selon un schma strict du Logos-sarx.
Ph 2, 6-11 permet au Cappadocien de prouver que le Logos, en prenant la forme
humaine, a assum toute la condition humaine. Il est donc un passage scripturaire qui met
en vidence avec force toute la diffrence entre les doctrines christologiques de Grgoire
et Apolinaire.
En proposant une traduction, puis un commentaire linaire de lanalyse de Grgoire,
mise en regard avec celle dApolinaire, nous prciserons ces enjeux thologiques ainsi que
la position des deux auteurs.
Cf. frg. 32 : pour Apolinaire, lidentit de personne est due au fait que le prsent dans le Verbe incarn est le Dieu Verbe.
Fr. Vinel, Grgoire de Nysse et la rfrence aux ptres pauliniennes dans le Contre Apollinaire , p. 107.
Le verbe est rare : il signifie changer de vtement au sens propre. Il est aussi utilis en Virg. , GNO
VIII/1, p. 300, 2 propos du pch ; en Cant. , GNO VI, p. 328, l. 15 propos du baptme.En Antirrh. , Grgoire lutilise en
lien avec , qui signifie le personnage desclave. Il superpose deux images ici pour rendre le fait
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A. Traduction
En ce qui concerne le texte biblique de Ph 2, 6-11, nous en avons propos une traduction
en fonction non pas des tudes exgtiques les plus rcentes, mais de la faon dont
Grgoire linterprte, pour garder une cohrence entre le texte biblique et le commentaire
du Cappadocien en ce qui concerne les notions christologiques qui posent problme.
Ph 2, 6 : La nature divine du Logos
, , .
,
,
.
,
.
;
;
,
,
;
Ph 2, 7 : knose du Christ
que le Logos, en sincarnant, sest revtu dune identit qui ntait pas la sienne propre, titre de Dieu. Il y a derrire ces
images lide dun cart entre lapparence extrieure et ltre mme du Logos.
1276
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, ,
. ;
.
,
,
,
.
, ,
, ,
,
, ,
,
,
.
, ,
,
.
; ,
.
.
,
,
,
,
,
1280
le corps assurment
. En effet, nous
navons appris des Pres rien d'autre que
1282
cela
. Donc celui qui dclare qu'il a
revtu la forme d'esclave (la forme, c'est1283
-dire la chair)
, dit quil est une chose
selon la forme divine, mais que la forme
servile quil a prise en est une autre par
1284
nature
. Mais le terme s'est ananti
montre clairement qu'il n'a pas toujours t
ce que nous avons vu de lui, mais qu'il tait
dans la plnitude de la divinit (cf. Col 2,
9), gal Dieu, inaccessible, inatteignable,
et surtout sans pouvoir tre contenu par
la petitesse du nant humain, mais il se
laissa contenir par la nature prissable de
la chair seulement lorsqu'il s'anantit ,
comme le dit l'aptre, rduisant la gloire
inexprimable de sa divinit jusquaux limites
de notre petitesse, de sorte que ce quil
tait restait grand, parfait et insaisissable,
tandis que ce quil a pris tait l'chelle de
1285
1287
. Comment
1288
1290
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,
.
.
, ;
.
, ,
,
, <>,
,
,
,
,
,
,
,
.
,
.
,
,
2, 7a)
devenant homme sans pourtant
changer. Car s'il avait t cela depuis le
commencement, en quoi l'abaissement se
1292
serait-il produit ?
Mais, en ralit, le
Trs-Haut s'est abaiss par son union
1293
1295
1296
, supportant
afin que nous
1297
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.
.
1298
, , .
.
,
,
,
.
,
, ,
,
.
,
,
,
1301
308
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,
,
. .
1302
On le dduit trs clairement de la faon dont il commente ensuite labaissement voqu en Ph 2, 7 comme entre dans la
chair humaine.
309
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Nous ne reviendrons pas sur ce principe christologique abondamment dvelopp dans la polmique anti-arienne et par
Grgoire dans le Contre Eunome. Dans la controverse anti-apolinarienne, il fait partie des acquis christologiques qui ne sont plus
discuts ni par Apolinaire ni par Grgoire. Largument se trouve dj chez Origne, De principiis, I, 2, 6-8, SC252, p. 123 et il est repris
ensuite dans largumentation contre les ariens : cf. Athanase, Contre les ariens, II, 33, 2, Athanasius Werke, I, 1, 2, d. K. Metzler, p.
210, l.4-9 ; Contre les ariens, III, 3, 1-2, Athanasius Werke, I, 1, 3, d. K. Metzler, p. 309, 1-17 ; Basile, CE, I, 17 (SC 299, p. 234) ;
CE II, 17 (SC 305, p. 66) ; CE II, 27 (SC 305, p. 112-116) ; Gr. Nys, Sur la divinit du Fils et de lEsprit, GNO X/2, p. 123, 24-125, 8 ;
Eun. III, 6, 52-53, GNO II, p. 204 etc. Cf. M. Harl, Aporrhoia et la gnration du Fils , art. cit., p. 288. Pour une tude de la question
chez Athanase, cf. X. Morales, La thologie trinitaire dAthanase dAlexandrie, Paris, 2006, p. 43-45 et passim.
1305
Cf. P. Grelot, La traduction et linterprtation de Ph 2, 6-7, quelques lments denqute patristique , NRT, 93, 1971,
p. 900.
1306
() ,
() .
, ,
, ,
. (trad. rv. M. Canvet,
Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, p. 208-209).
1307
; , , , . , :
dis-moi, laformedelesclave est-elleactivit desclaveounaturedesclave ? Assurment, nature desclave, me dira-tu. Donc, la
forme de Dieu, elle aussi est nature et non pas activit de Dieu .
310
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1308
Dans le Contre Celse, le rapprochement de Ph 2, 6-7 et de lpisode de la Transfiguration du Christ (Mt 17, 2) est trait en relation
avec la capacit de perception de la divinit par lhomme. Il explique en effet que le Logos revt des formes diffrentes (),
sous lesquelles il apparat chacun selon le degr de sa progression vers la connaissance, quil soit dbutant, progressant peu ou
prou, dj proche de la vertu, ou tabli en elle (Contre Celse, IV, 16, SC 136, trad. M. Borret, Paris, 1968, p. 220-221).
1309
1310
311
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qui le dit tre en la forme de Dieu a indiqu, par la forme (### ### #####), la
1312
substance (### ######) .
Pour Grgoire, la forme de Dieu dont parle Paul signifie la substance () terme
quon ne trouve pas dans lAntirrheticus. On serait tent de reconnatre ici un vocabulaire
aristotlicien o la forme est la substance. Mais la faon dont Grgoire construit son
argumentation ne valide pas un tel point de vue. En effet, dans cet extrait nest pas
dcrit comme le strict synonyme d : l est co-signifie ()
avec la , cest--dire que cette dernire comprend la premire. Dans lexplication
selon laquelle le Christ incarn a reu autour de lui non pas seulement la forme, disjointe
de la substance (
), Grgoire inclut dans le sens de lide dune manifestation extrieure
de la substance, ce que prouve encore lutilisation de limage de lempreinte reprise dHe
1, 3.
Dans un deuxime temps de lexgse de Ph 2, 6 dans le Contre Eunome, Grgoire
en vient montrer sur une base scripturaire que le Fils na pas une nature dissemblable
celle du Pre :
1313
,
.
,
, ,
. Trad. fr. rev. M. Cassin, thse de doctorat
en prparation sous la direction dO. Munnich, La controverse comme mode de persuasion et dlaboration thologique :
tude des traits Contre Eunome de Grgoire de Nysse.
1313
1314
Cf. Mt 16, 27 ; Rm 6, 4.
1315
Jn 6, 27.
1316
Jn 14, 9.
1317
Sa 7, 26.
1318
He 1, 3.
1319
,
,
312
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Ph 2, 6-7, dvelopp et enrichi par les mmes versets scripturaires que dans lAntirrheticus
(He 1, 3 et lvangile de Jean), sert, dans la controverse anti-eunomienne, prouver que le
Logos nest pas de substance () diffrente de celle du Pre. Il utilise pour cela limage
de lharmonie/disharmonie ( ), que lon retrouve aussi dans notre
polmique contre Apolinaire. Mais elle est associe au schme verbal ( tre
1320
diffrent ) :
,
comme dans ltape argumentative suivante du Contre Eunome, o Grgoire dclare que
ce qui est en harmonie avec autre chose nen est pas diffrent :
,
. . Trad. fr. M. Cassin, thse cite.
1322
,
1323
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Logos incarn, mais quelle est assume pendant le temps de lincarnation : elle est penser
comme une nature qui sadjoint la substance divine que le Fils partage avec le Pre. Le
lecteur aura donc ici un bon exemple de linflexion thologique dans lexgse dun mme
verset dans deux dbats contemporains. Elle se joue la prsence (ou labsence) dun mot,
celui d remplac par celui de .
2. Ph 2, 7 : lincarnation du Logos
Il sest ananti lui-mme prenant la forme desclave
Aprs avoir dfini la forme de Dieu comme la participation du Fils la substance du
Pre, titre d empreinte , Grgoire en vient commenter labaissement du Christ dans
la nature humaine, en proposant dabord une exgse de la puis du verbe
( il sest ananti ). Ces deux analyses lui permettent de faire ressortir le paradoxe
ontologique du Christ qui devient homme tout en restant Dieu.
1324
######## ##### ## ### ####### ##### # ###### #### ### ########, #########
######## ## #####, #### ###### ####### ######## ######## #######.
Le corps nest pas non plus une nature propre, et la divinit une nature propre
pendant lincarnation, mais comme lhomme est une seule nature, ainsi le Christ
1325
aussi est advenu la ressemblance des hommes (Ph 2, 7)
.
Apolinaire comprend la knose du Christ (Ph 2, 7) comme lunion de Dieu la chair la
faon du compos humain, formant ainsi une seule nature. Par consquent, Dieu incarn ne
prsente quune seule nature : dans le raisonnement dApolinaire, mme si lexpression
se trouve dans la proposition comparative qui voque le cas de lhomme commun,
elle sapplique aussi au Christ.
Mais Grgoire, en dfinissant la comme ou , rpond
directement la thorie de la dans le Christ. Il prend soin de prciser :
,
1324
Clment dAlexandrie explique lexpression forme desclave comme signifiant lhomme extrieur (
), Paed., III, 1, 2, 2, SC 158, p. 14. Pour Athanase, la forme desclave dsigne la chair asservie par le pch :
(Contre les ariens, I, 43, Athanasius Werke, I 1, 2, d. K. Metzler, p. 153).
1325
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1326
Antirrh. 159, 17-18. Apolinaire comprend lui aussi la comme une expression de la nature humaine. En
effet, peu aprs dans lAntirrheticus, Grgoire cite son adversaire ainsi : , ,
: mais il tait homme par son corps, dit-il, ayant port sur lui la forme sans gloire des hommes (Antirrh.
164, 13-14). Lexplication de Ph 2, 7 selon laquelle lincarnation est le dpouillement de la divinit du Christ depuis sa gloire divine
se retrouve plus tard chez Cyrille, Dia. Trin. VI, 601 de ; In Io. XI, 6, 959 c. M.-O. Boulnois cite ce sujet In Io. III, 1, 253 d : il sest
dpouill, comme il est crit, de la gloire qui convient purement Dieu, par amour pour nous , Le paradoxe trinitaire chez Cyrille
dAlexandrie, p. 467, n. 76. Chez Apolinaire comme chez Cyrille, la knose consiste se dpouiller momentanment de la gloire
divine (ibid.).
1327
Cf. ltude trs rcente de M. Cassin, Sur la divinit du Fils et de lEsprit et sur Abraham : thologie et politique ecclsiale ,
communication au colloque international sur Grgoire de Nysse (Tbingen, septembre 2008), portant sur la thologie trinitaire de
Grgoire de Nysse dans ses Opera dogmatica minora. M. Cassin confirme la date de 383.
1328
1329
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Cat.
2a,
11-19
:,
,
,
. la substance, dont on parle principalement, dabord et avant tout, cest celle qui ne se dit pas dun
certain sujet et nest pas inhrente un certain sujet. Ainsi, un certain homme ou un certain cheval. Sont dites, en revanche, substances
secondes, les espces o prennent place les substances dites au sens premier, ces espces tout comme leurs genres. Ainsi un
certain homme se trouve dans une espce, lhomme, et le genre de lespce est lanimal. Ce sont donc elles quon dit secondes, des
substances comme lhomme et lanimal (Aristote, Catgories, CUF, d. R. Bods, Paris, 2001, p. 7 et 88-90).
1331
Cf. De Diff. Ess. [Lettre 38 de Basile], 3 ; d. Lettres I, CUF, d Y. Courtonne, Paris, 1957, p. 82-83). cf. J. Zachhber,
Human nature, op. cit., p. 63-66 ; R. Hbner, Gregor von Nyssa als Verfasser der sog. Ep. 38 des Basilius , Epektasis, d.
J. Fontaine, Ch. Kannengiesser, Paris, 1972, p. 469-470.
1332
Ad. Abl. , GNO III/1, 140, 10-15 :(Antirrh. 219, 25-28). Cf. G. Maspero, La Trinit e l'uomo, lAd Ablablium di Gregorio
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:
Par lappellation dhomme, on entend linstance raisonnable, la capacit de savoir et toute
1333
autre proprit connue de la nature . Or, dans ce trait, mme lexgse de Ph 2, 6-11
est loccasion pour Grgoire de revendiquer lintgrit humaine du Christ, cest--dire la
prsence dune intelligence humaine en lui, contre la thse dApolinaire, comme le montre
la rfutation que Grgoire opre du verset Ph 2, 7 par Apolinaire immdiatement aprs son
1334
propre commentaire .
Dans lexgse de Ph 2, 7 dans lAntirrheticus, linsistance avec laquelle Grgoire
dclare que le Christ sest fait homme, dans le sens universel de ce terme, ne vise pas
prouver que le Christ sest incarn, ce que soutient aussi Apolinaire, mais quil a assum
la mme nature intellective que le reste des hommes. Cest contre lide dune simple
ressemblance humaine quil explique Ph 2, 7 : ,
( Sil est vrai quil est appel homme, lappellation
1335
est bien vritable et non pseudonyme ) .
dans une exgse de Jn 8, 29 ; 14, 28 ( Celui qui ma envoy est plus grand que moi ).
317
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1337
transform dans un corps visible, Dieu incr manifest dans une enveloppe
cre, tout en stant ananti lui-mme dans la forme desclave (Ph 2, 7) ; il
reste labri de lanantissement, de laltration, de lamoindrissement dans sa
substance divine (car il ny a aucun changement de la nature divine), et nest pas
1338
non plus diminu ni augment .
Dans ce passage du De unione , Apolinaire se sert de Ph 2. 7 pour dcrire le paradoxe de
lincarnation, du Logos qui sest abaiss tout en restant Dieu. Ce paradoxe est marqu par
le paralllisme entre et . La forme
humaine nimplique pas une altration de la nature divine. Aussi la forme de lesclave
dont parle Paul est-elle ainsi conue comme une enveloppe corporelle () du Logos.
En ce sens, il crit dans le fragment 124 que labaissement dans la chair nest pas un
changement de forme, mais un revtement :
######## ######## # ## ####### ## *** ####, #### #### ######## ### #########
###### ####### #### ### #########, ## #### ########. Lincarnation est
1339
knose : et la knose non pas de Dieu , mais elle a rvl que le Fils de
lhomme sest ananti lui-mme (Ph 2, 7) en se revtant dune enveloppe et non
1340
pas en se transformant .
1341
Dans cet extrait, Apolinaire dcrit la knose du Logos en termes de revtement corporel .
Mais cette description rejoint celle de Grgoire qui explique la forme comme dsignant
la chair ( ) et qui distingue ce quest le Logos incarn () de ce
1342
quon voit de lui ( ) . Dans son Discours catchtique, Grgoire dcrit
lincarnation du Fils comme le retrait de la divinit sous lenveloppe de la nature humaine :
, sous le voile de notre
1343
nature, le divin se cacha .
Comme en tmoigne la proximit danalyse de ce verset par Grgoire et par Apolinaire,
ainsi que par dautres auteurs dans diffrents contextes polmiques, on est en prsence
ici dun axiome thologique qui fait partie de la tradition exgtique de Ph 2 , 7, o la
mise en forme humaine de Dieu, cest--dire la descente de Dieu dans lhumanit, est
apparente au revtement dun corps et sert maintenir le paradoxe dun Dieu fait homme,
sans changement dans sa nature divine. Cette thmatique est abondamment exploite
1337
: terme utilis pour parler de la chair du Christ, cf. Eus., Dem. Ev., VI, 22, GCS 23, Eusebius, VI, d. I. A.
Heikel, Leipzig, 1913, p. 285, 20 ; Ath., Decr., 14, 5 ; 22, 1, Athanasius Werke, d. H.-G. Opitz, p. 12, 18 ; Gr. Nys. Or. Cat.
XXIII, SC 453, p. 250 ; Apolinaire, cf. frg. 124, Lietz. p. 187-188.
1338
De unione , 6, Lietz. p. 187-188. Nous nous sommes inspire de la traduction de M.-O. Boulnois propose dans un
e
sminaire de recherches lEPHE (V section), semestre II, 2007.
1339
Nous citons le fragment daprs ldition critique de H. de Riedmatten, Les fragments dApolinaire lEranists,
e
e
art. cit., p. 207. Il y a une lacune dans le manuscrit Bodl.Clark. 2 (fin XIII -dbut XIV s.). En revanche, dans quatre autres
manuscrits (Scorial. III, 17 , viron 379, onac. Gr. 130, Vat.gr. 624), on trouve la leon . Cest cette
dernire leon qua retenu H. Lietzmann dans son dition, p. 237.
1340
1341
1342
1343
Frg. 124, Lietz. 234 ; Riedmatten, Les fragments dApolinaire lEranists , art. cit., p. 207.
Cf. Origne, Contre Celse, IV, 18, SC 136, p. 226 : lincarnation nest pas un changement de substance ( ).
Antirrh. 159, 20-21.
Discours catchtique, 24, SC 453, p. 254.
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par Apolinaire comme par Grgoire. Quelques extraits nous feront mieux percevoir la
particularit de lexgse de ce verset dans lAntirrheticus.
Apolinaire, dans son trait Contre les sabelliens, commente ainsi Ph 2, 7 :
: terme trs rare, donn comme hapax par Lampe, non indiqu dans le Loiddell Scott. Daprs les
enqutes dans le TLG, lemploi dans notre texte est le premier attest en patristique. d. W. Dindorf, Aristides, I, Leipzig,
d. 1829
1345
Pour lappellation du Christ comme , cf. Ps-Ath, Contre les ariens, IV, PG 26, 521 B ; 524 B-C ; Gr. Nys, De
Le sujet du participe est , cit juste avant cet extrait : mme si lintelligence montre une pense plus
319
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pas que le divin descend de faon spatiale, car il est partout () mais il montre
1349
que la condescendance est un abaissement vers notre nature .
Dans la mme ligne thologique structure par Ph 2, 7, Grgoire dit encore dans son
discours Sur la divinit du Fils et de lEsprit :
# ### ## ### ######## ###### #### ### ####### #### ######### ## #######
######## ### ###### ### #######, #### ### ### ######## ### ##### #### ##
######## ### ###### ########### #######. ###### ###### ######## ## #####
# #####, #### #### ######## ### # ### #### #### ##########, ###### ##
### ###### #### ##########. Car le passage de sa nature pure notre vie
ne reprsente pas pour le Seigneur le mouvement dans lespace, mais indique
la descente du sommet de la gloire lhumilit de la chair. Donc ce qui est
descendu et sest manifest, cest le Verbe non pas nu, mais devenu chair (cf. Jn
1, 14), cest non pas la forme de Dieu (Ph 2, 6), mais la forme de lesclave (Ph 2,
1350
7) .
L encore, cest le verbe de Ph 2, 7 qui structure lexpos christologique et
permet de repousser la conception de lincarnation comme mouvement spatial au profit
dune comprhension morale o lanantissement du Christ devient le modle dhumilit.
En conclusion de nos remarques sur lexgse de ce verset par Grgoire et Apolinaire,
on constate que la forme desclave est commente dans le sens gnral de condition
humaine et non dans celui du traitement desclave endur par le Christ. Grgoire se
proccupe de prouver la coexistence du divin inaltr et de lhumain corruptible en mettant
en balance la forme desclave avec la forme divine . Ph 2, 6-7 est alors comment en
relation dune part avec le prologue de lvangile de Jean, dautre part avec la thmatique
du second Adam ( homme descendu du ciel ), o la forme divine et la forme servile sont
comprises comme des synonymes de .
En comparaison des autres textes de Grgoire et dApolinaire que nous avons
mentionns, une ide thologique nest pas prsente dans le commentaire linaire de
Ph 2, 7 par Grgoire dans lAntirrheticus : le motif de la condescendance. En revanche,
Grgoire structure beaucoup plus nettement son argumentation partir du paralllisme
entre proprits divines et humaines : , ,
, . Cest donc lide de la
distinction des deux natures qui domine lexgse de Ph 2, 7. Cette inflexion thologique
est une manire pour Grgoire de rpondre la christologie de lunique nature du Logos
incarn, ou encore de la consubstantialit de la chair avec le Logos, reproche Apolinaire.
1350
320
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et les auteurs patristiques qui lutilisent, Ambroise, Origne, Hilaire, Marcion, Cyprien, Tertullien, The New Testament Text of Gregory
of Nyssa, op.cit., p. 221. Pour les implications doctrinales que pourrait avoir le choix du terme dhomme , selon quil dsignerait
lhomme universel ou lagrgation dhommes, cf. J Zachhber, The Human Nature, op. cit., p. 240.
1354
Antirrh. 165, 12-25 propos de Ph 2, 7, tel quil est interprt par Apolinaire. La doctrine dApolinaire ne peut tre en ralit
accuse de doctisme. Mais le fait que lhumanit soit rduite une enveloppe corporelle est dform par Grgoire dans le sens dune
simple apparence humaine. La thorie dApolinaire est plutt celle du corps assum par Dieu comme dun instrument () pour
sauver lhumanit. Le Ps.-Athanase, dans son Premier trait contre les apolinaristes, les accuse de croire que le Christ sest servi
de la forme qui lentourait comme dun instrument :, : Vous dites
quil sest servi dune forme qui lentourait (cf. Ph. 2, 7), cest--dire dun instrument (PG 26, 1121 A).
1355
1356
321
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1357
Dans nos enqutes concernant lemploi de ces deux mots dans la Bible , nous avons
constat que seul Paul utilisait pour voquer lapparence dune chose temporelle,
comme en 1 Co 7, 31 : , ou en 2 Co 11, 13-16, propos
des faux aptres qui ont tout lextrieur des aptres vritables. En deux autres endroits
des ptres, parat employ avec dans un sens synonymique : dune part
en Ph 3, 21,
( [le Christ] transfigurera notre corps de misre pour le conformer
1358
son corps de gloire ) , dautre part en Rm 12, 2,
, ( et ne vous configurez pas sur
le monde prsent, soyez transforms par le renouvellement de votre jugement ), o Paul
recommande ses disciples de ne pas sattacher ce monde qui passe, mais de travailler
au renouvellement rel et stable de leurs dispositions intrieures. Examinant lutilisation
biblique de ces deux termes, J. Labourt conclut que indique la configuration
extrieure par opposition la substance qui chappe aux organes des sens, alors que
renvoie la forme dtermine par la substance (sans exclure le rayonnement
1359
extrieur de cette forme) .
Daprs nous, il semble que ce soit la mme nuance que veuille rendre Grgoire dans
son exgse de Ph 2, 7. Daprs le mouvement argumentatif, en commentant lexpression
, le Cappadocien prcise la comprhension de forme (), qui dsigne
la manifestation extrieure, en loccurrence le corps ou la chair humaine. Il dveloppe ainsi
la notion de dans son sens propre de figure ou configuration en relation avec celle
1360
de qui dsigne, comme nous lavions vu lempreinte, lestampage, la frappe . En
quelque sorte, Grgoire travaille en corrlation trois images, celle de lapparence extrieure,
celle de la configuration et de limpression pour tenter de rendre compte du paradoxe de
Dieu insaisissable par essence qui se manifeste dans ltat de ltre humain.
1357
Dans le NT, la racine ** est utilise 13 fois dont 10 chez Paul, comme substantif (/) en Mc 16, 12 ;
reprsentation : , , ,
, . , , , ,
, : Parmi les reprsentations, les unes donnent une empreinte et une figure notre facult
directrice, les autres fournissent seulement une connaissance seulement sans pourtant lui imposer une figure ou une empreinte. Ainsi
le verset au commencement tait le Verbe, et le Verbe tait auprs de Dieu (Jn 1, 1), dpose dans le cur une reprsentation sans
pourtant lui imposer une figure ou une empreinte (De malignis cogitationibus, sur les penses, 41, SC 438, trad. P. Gehin et alii,
Paris, 1998, p.290-291). Cet exemple illustre bien comment les notions de et et les verbes du mme schme renvoient
soit une impression dans la matire, soit une configuration.
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1361
Notons un emploi de dans lAntirrh. qui confirme le sens du terme dans lexgse de Ph 2, 7. Il sagit du prologue
o Grgoire parle du faux prophte, qui, comme le loup, prend lapparence de la brebis, en se revtant de sa peau, sous laquelle se
cache sa vraie , celle de loup : (Antirrh. 132, 13-14).
1362
1363
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## ### #### ## #### ### ###### ## ### ### ########, #### #### ### #########
############ ###########, ## ######### #### ### ##### ##########, ######
##### ####### ##### #### ########### #########, ###### ### ##### # ######,
###### ######, ######### ##### ## #### ### ###### ######, ## ####### #
#######, ### ### ##### #####, ### ### ### ###### ######### #### #######
## ## ##### ########, ## ## #### ### ### ########## ##### ### #########
#####. Si donc il tait quelque chose dautre selon la substance, et non pas
homme, mais tait configur dans un homme sous lapparence seulement, tout
en diffrant en ralit selon la nature, quon dise que tout est apparence et vision
1366
Frg. 42, Antirrh. 162, 10-12. Ce fragment est vraisemblablement textuel car le ne sintgre pas dans la syntaxe
de Grgoire.
1367
Frg. 44-45, Antirrh. 165, 3-9. Daprs E. Mhlenberg, le premier fragment pourrait tre textuel, le second serait
reformul. En tout cas, le mot important du frg. 45 est celui d ( ) qui indique
plus quune similitude, mais une galit dessence. tant donn que Grgoire sattarde sur cet lment quil reprend
plusieurs dans sa rfutation ( en Antirrh. 165, 25-26), la citation de la pense
dApolinaire semble proche de sa version originale.
1368
: Celui qui supprime llment hgmonique de lhomme, cest--dire lintellect, a prouv que ce qui
reste est un animal, mais lanimal nest pas homme (Antirrh. 165, 25-27).
1369
Tertullien accuse Marcion de la mme drive exgtique propos de Ph 2, 7 en Adversus Marcionem, 5, 20, 3-4, CCL, t. I,
p. 724 : au sujet de ltre (substantia) du Christ, les Marcionites opinent ici [en Ph 2, 7] galement que lAptre soutiendrait, en accord
avec eux, quil y a eu dans le Christ une apparence de chair, lorsquil dit que tabli dans laspect (effigies) de Dieu, il ne regarda
pas comme une rapine dtre gal (pariari) Dieu, mais se vida lui-mme en prenant laspect non la ralit dun serviteur, et
quil est advenu la ressemblance dun homme non comme un homme tout court , et quil fut trouv comme un homme par sa
configuration (figura) - non par son tre mme (substantia), cest--dire par sa chair. Comme si la configuration, la ressemblance et
laspect ne se rapportaient pas aussi ltre (substantiae accedant) ! () Que si le Christ, en tant dans laspect et dans limage de
Dieu, est vraiment Dieu en tant que Fils du Pre, lautre question est aussi tranche : en tant dans laspect et limage dun homme,
en tant que fils dhomme, il a t trouv vraiment homme (trad. fr. P. Grelot, La traduction et linterprtation de Ph 2, 6-7 , NRT, 93,
1971, p. 902). Tertullien tablit ici lquivalence entre (effigies), (figura) et (similitudo) pour montrer que ces
mots impliquent la ralit de lhumanit du Christ, qui est voque par ses traits externes. On retrouve la mme ligne interprtative
chez Grgoire dans lAntirrheticus.
324
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3. Ph 2, 8 : lanantissement du Christ
Il sest ananti lui-mme, devenant obissant jusqu la mort () sur une
croix
1370
1371
1372
les livres de polmique contre Eunome (Eun. I, 495-496, GNO I p. 169 propos des rapports du Pre et du Fils ; Eun. I, 515 ; Eun. 3,
2, 34 dans un raisonnement analogique pour dfinir la notion de nature humaine commune par opposition lindividu) ; Ex com. not.
GNO III/1, p. 22, o la formule est utilise pour dfinir lunicit de substance des trois Personnes trinitaires, etc.
1375
325
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### ### ### ## ######## ## ### ### ####### ######## ##### # ####### ######
## ## ### ###### #### ### ########## ###### ## ########### ####### ##
### ######, ######## ## ######## ## ## ####### ### ######## #####, ####
####### ####### # ### ######### ### ######## ### ### ###### ########, ###
######## ### ######## ### ### ##### ####### ########, ### ## ##### #####
######### ####### ##### ### ### ######## ####### ### ###### #######
1376
Le rapprochement entre le thme du Serviteur souffrant et le Christ est prsent dans le NT ; cf. Mt 8, 17 ; 1 P 2, 24 ;
1 Jn 3, 5. Dans la polmique contre les apolinaristes, Grgoire de Nazianze utilise Is 53, 4 dans la mme perspective que le Nyssen
pour dcrire la porte rdemptrice de lincarnation, en lassociant avec Jn 1, 14 et 2 Co 5 (Lettre 101 Cldonius, 61, SC 208,
p. 62). Cf. Gr. Nys., Lettre Thophile, p. 126, 5-7, dans une argumentation qui reprend les expressions et le mouvement dexposition
des ides prsent en Ph 2, 6-11.
1377
1378
113, d. E. Klostermann, E. Benz, GCS 38, 1933, p. 235, 15 sq. ; Athan., Contra arianos, I, 41, Athanasius Werke, d. K. Metzler,
p. 151 26 ; I, 43, ibid. p. 153.
1379
Grgoire reproche Eunome de considrer que la soumission constitue la nature du Christ de sorte quil ne lui est pas
326
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De mme que pour notre corps lactivit dun seul des organes des
sens (# ####### ### ###################) provoque une sensation
commune lensemble de lorganisme qui est uni cet organe (######## ###
############### ######### ## ####), de mme pour la nature tout entire
1380
1381
Ref. 134-135,GNO II, p. 370, 1-11 ; trad. fr. rev. de M. van Parys, thse cite, p. 370.
Sans que le mot soit employ chez Athanase pour commenter Ph 2, 8, on retrouve le mme sillon exgtique dans le trait
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# ## ####### #### ##### ########### ### ##### ### ###### ### ########
### ########### ### ###### ######### ### ######### ########## ####, #####
##### ## ##### [###] ########## ######### ########, ### #########. Mais
Dieu, qui peut partager nos souffrances, a lui-mme libr la chair, larrachant
la corruption et cet esclavage qui est vou lamertume de la mort : et il
la revtue de lincorruptibilit, accordant la chair ce beau et saint vtement
1384
dternit quest limmortalit .
Dans un mme mouvement et un mme horizon sotriologique que dans lexgse de Ph
2, 8 par Grgoire, est voqu le passage par la mort en vue de la destruction dfinitive de
la mort.
1 Co 15, 45-47 : lexaltation comme rsurrection
Par ailleurs, Grgoire explique luvre de destruction de la mort et du pch ()
par lobissance () du Christ, en reprenant lantagonisme du premier et du second
1385
Adam, dvelopp en 1 Co 15, 45 sq . Le rapprochement des deux passages pauliniens,
1 Co 15, 45-47 et Ph 2, 8, nest pas propre Grgoire. On le trouve dj par exemple chez
1386
Athanase . Les Pres lisent en effet le mouvement dhumiliation et dexaltation du Christ
dcrit en Ph 2, 6-11 la lumire de 1 Co 15, 20-22 o Paul dclare : car la mort tant
venue par un homme, cest par un homme aussi que vient la rsurrection des morts. De
mme que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront en Christ .
La prsence d1 Co 15, 45-47 dans le commentaire de Grgoire est intressante car
elle montre comment il se situe par rapport aux traditions interprtatives qui existaient
son poque. La fin de lhymne avait fait lobjet de deux lectures successives ; lune qui
comprend lexaltation de Ph 2, 9 comme la divinisation de lhumanit du Christ pour quen
elle les humains soient tous diviniss, et lautre qui comprend lexaltation comme signifiant
1383
1384
chez Or., De Princ., III, 5, 6, SC 268, p. 228, mais Origne ne lexplique pas la lumire de 1 Co 15, 45-47 : Le Christ sest fait
obissant (oboediens) jusqu la mort pour enseigner lobissance ceux qui ne pouvaient pas obtenir le salut autrement que par
lobissance (trad. H. Crouzel, M. Simonetti).
1386
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1387
la rsurrection, autre forme de monte . Mme si Grgoire joue sur les deux thmes
christologiques dans lensemble de son commentaire, il interprte clairement Ph 2, 8 comme
voquant la rsurrection du Christ. En ce sens, il se situe dans le sillon dAthanase qui
commente ainsi Ph 2, 8-9 :
## ## ### ##### ###### ######## #### ## ### ##### ########, ### ###
####### ##### ########### #### ##### ##### ### ######## ######## ##
############ # ### ##### #### #######. ### ####### # ######## ######## ##
####### #############, ### #### ####### ############# ### ##### ### ####
########## ### ### #######. () ####### ## ####### ### ## ##### ##########
##### ### ### ######## # ####### ### ##### #### ## # ##### ###### ####,
###, ########## #####, ######### ###### ######## ######. Tous les
hommes ntant issus que dAdam sont morts, et la mort a rgn sur eux (cf.
Rm 5, 14). Mais ce second homme est du ciel (1 Co 15, 47). En effet le Verbe
sest fait chair (Jn 1, 14). Et un tel homme est dit venu du ciel et cleste (cf. 1
Co 15, 47-49), parce que le Verbe est descendu du ciel (Jn 3, 13). Cest pourquoi
il na pas t domin par la mort (cf. Ac 2, 24). () Il ntait pas possible pour
1388
un homme de redresser cela , car la mort est le propre des hommes. Cest
pourquoi, le Verbe, tout en tant Dieu, est devenu chair pour quatteint par la mort
1389
dans sa chair (cf. 1 P 3, 18), il donnt la vie tous par sa puissance propre .
Chez Athanase comme chez Grgoire, lvocation du premier et du second Adam, reprise
de Paul (1 Co 15, 45-47), vise dmontrer la loi inexorable de la mort en raison de la
transmission du pch originel sur lhumanit que seul le Christ peut abolir en lassumant
elle-mme, grce sa nature divine. Dans cette perspective thologique, leschatologie sur
laquelle ouvre Ph 2, 8 est traite en relation avec la protologie. Cela est lindice que Grgoire
1390
a une approche universelle du salut de lhomme et non pas individualisante . Mais, la
diffrence de lexgse dAthanase, il dveloppe ici une sotriologie que lon peut qualifier
de physique , en ce sens quelle se situe au niveau de la humaine, prise dans son
1391
sens universel . En effet, trois reprises dans lexgse de Ph 2, 8, Grgoire voque celui
qui sest uni la nature humaine, sans pourtant que sa nature soit atteinte par le pch :
( par son union avec la pauvret
1392
de notre nature ) ; ( celui qui
1393
sest uni notre nature a fait siennes nos souffrances ) ,
, 2 ( mais
1387
Cf. B. Meunier, Paul et les Pres grecs , art. cit., RechSR, 94/3, p. 350-351.
1388
1389
Contre les ariens, I, 44, Athanasius Werke, d. K. Metzler, p. 154 ; trad. rev. fr. A. Rousseau, Les Trois Discours contre
lincarnation selon laquelle Dieu a assum la nature humaine pour la diviniser. Cf. F. Loofs, Leitfaden zur Dogmengeschichte, Tbingen,
4
1906 , p. 203, note : la thorie physique conoit la rdemption comme suppression de la corruption par lunion de la divinit et de
lhumanit ralise en Jsus-Christ .
1392
1393
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lhomme qui sest adjoint la divinit par lunion avec elle, lui dont la nature peut recevoir
1394
la meurtrissure ) . La prsence du pronom ou de ladjectif possessif de la premire
personne du pluriel dans ces trois citations tmoigne que, dans cette lecture sotriologique
de Ph 2, 8, la nature humaine est envisage dans son acception universelle et non comme
nature humaine individuelle du Christ, ce que vient confirmer le rapprochement entre le
1395
Premier Adam et le Second Adam .
Cette constatation nous invite nuancer la conclusion de J. Zachhber propos de
lemploi de dans lAntirrheticus : pour lui, Grgoire se focalise dans sa dmonstration
sur le fait que le Christ a assum une pleine humanit (corps-me intellective) plus quil
ne dveloppe une rflexion sur la nature humaine universelle. Il montre ainsi comment,
de la polmique dEunome celle dApolinaire, Grgoire a modifi sa christologie pour
rendre plus clairs les rapports de lme et du corps en mettant davantage laccent sur
une christologie divisive, aux dpens dune rflexion sotriologique sur la nature humaine
universelle telle quelle est dveloppe dans le Contre Eunome III et dans la Rfutation
1396
1397
dEunome
. Ce jugement lchelle globale du trait nest pas si vident , parce
que la description de la nature humaine par Grgoire dpend des enjeux argumentatifs.
On a repr deux types dargumentations qui impliquent deux approches diffrentes de la
nature humaine dans lAntirrheticus. Dans lexgse de Ph 2, 8 que nous venons danalyser,
lassomption de lhumanit par le Christ est envisage selon une perspective sotriologique
sans allusion lpisode de sa mort et de sa rsurrection. Dans ce type de dveloppement,
la nature humaine est envisage dans son universalit, par opposition la divinit, sans
1398
orientation nettement anti-apolinariste . En revanche dans les mouvements argumentatifs
1399
sur lexplication physique de la mort et de la rsurrection du Christ , Grgoire combine la
ncessit salvatrice de la mort et de la rsurrection du Christ avec la ncessit salvatrice de
sa pleine humanit dans un sens nettement anti-apolinariste, pour parer largumentation
1400
sotriologique de la christologie du Logos-sarx dApolinaire . Et dans ce cas seulement
1394
1395
le Christ fut les prmices. Cest par lui que toute lhumanit fut rattache la divinit ; ibid., GNO III/2, p. 21, 10-11 : Son corps,
comme nous lavons souvent dit, cest toute la nature humaine laquelle il a t ml. Cest en ce sens que le Seigneur est souvent
appel par Paul, mdiateur de Dieu et des hommes .
1396
1397
6-11, mais aussi dans lensemble du trait. Toutefois, il pondre cette distinction mthodologique en insistant sur lunit des deux
natures (cf. exgse de Ph 2, 10-11) pour viter dattirer lattaque que formule son adversaire contre ceux qui font de Jsus et du Fils
deux personnes distinctes. Laccent sur la christologie divisive nest pas systmatique. On parlerait plutt dquilibre entre la distinction
des deux natures et leur unit intime.
1398
opre par Grgoire de la perspective sotriologique avec lexigence de la pleine humanit du Christ (cf. Antirrh. 152-154) est trs
maladroitement faite.
330
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cest pourquoi Dieu la surexalt et lui a donn le nom qui est au-dessus de
tout nom, pour quau nom de Jsus, tout genou flchisse () et que toute langue
confesse que Jsus Christ (#######) est Seigneur (######) .
Les ariens lisaient dans cette description de lexaltation du Christ la rcompense de son
mrite : cest donc seulement aprs lexaltation quil aurait reu le titre de Fils de Dieu
par adoption, alors quil ntait ni Fils ni Dieu auparavant. Contre cette interprtation juge
dviante, Athanase prouvait dans son Premier discours contre les ariens que llvation
ne concerne que lconomie, cest--dire lhumanit du Verbe. Le verbe ne reoit
1401
Nous reviendrons sur cette question dans le chapitre sur la mort et la rsurrection du Christ, o Grgoire insiste sur le
fait que la divinit est prsente dans toutes les parties du compos humain assum par le Christ, y compris pendant la mort, pour
rfuter la thse apolinariste du .
1402
sest abaiss lui-mme dans la chair, mais quil fut exalt par Dieu par la divine exaltation ). Lenjeu de la rflexion, hors contexte, est
difficile percevoir. Curieusement, Grgoire accuse son adversaire de croire que celui qui sest abaiss est autre que celui qui a t
exalt, et que cest la chair qui sest abaisse ( . , , ,
: il dit quautre est celui qui sabaiss et autre
celui qui a t exalt. La chair, dit-il, est abaisse, cependant elle qui est pauvre par nature navait besoin en rien dtre abaisse ).
En ralit, toute lexgse par Apolinaire de Ph 2, 6-11 tendait prouver lidentit du Logos prexistant et de lhomme Jsus, comme
en atteste les frgs. 42-47. Grgoire dforme la pense de son adversaire.
1403
Nous exposerons le dbat autour dAc 2, 36 en relation avec le Ps 44, 7-8, puisque les deux lieux scripturaires sont associs par
la tradition polmique et par Grgoire lui-mme dans lAntirrheticus (Antirrh. 221-223), cf. partie IV, chapitre 2, lunit du Christ ,
p. 607-622.
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1404
quelque chose quen tant que, par son humanit, il reprsente la ntre . Mais les ariens
poursuivaient le dbat. Selon eux, si ctait lhomme Jsus qui bnficiait de lexaltation et du
nom de Seigneur, alors il y avait deux Fils, le Logos, Seigneur de toute ternit, et lhomme
qui accdait la seigneurie. Ainsi, Eunome reprochait Grgoire et aux thologiens de
son obdience de comprendre partir de Ph 2, 6-11 que ce nest pas le Logos prexistant
1405
qui est lobjet de lexaltation divine, mais celui qui a assum la forme desclave , comme
si labaissement et lexaltation concernaient deux sujets distincts. Alors ils croyaient
lexistence de deux Fils, lun qui serait Fils de Dieu, et lautre Fils par adoption. Cest lenjeu
du dbat des tomes III et IV du Contre Eunome III.
Dans ce contexte polmique, Apolinaire accuse les mmes thologiens de croire
lexistence de deux Fils, cest--dire de faire deux personnes ( ) de lhumanit
du Christ et de sa divinit, parce quils refusent de soutenir la christologie dune seule
1406
nature ( ) du Logos incarn . Daprs la disposition de lexgse de lHymne
aux Philippiens, on peut conjecturer que le Laodicen fondait son attaque sur Ph 2, 9-11
car, entre lexgse suivie par Grgoire de Ph 2, 6-11 et les fragments 42-47 dApolinaire
qui analysent Ph 2, 6-11, Grgoire cite lattaque de son adversaire qui reproche ses
adversaires de croire un Dieu intgral et un homme intgral (
), dont on sait par la suite de lAntirrheticus que cest ainsi quApolinaire
1407
dfinit la christologie des deux personnes, quil juge errone . Si un tel grief figure dans
un contexte exgtique sur Ph 2, 6-11, cest que lattaque des deux Fils dcoulait de ce
passage scripturaire.
Ces prliminaires tant poss, attardons-nous sur lexgse de Grgoire pour savoir
comment il rpond cette accusation de la christologie des deux personnes.
2. Analyse de Grgoire
Lexgse par Grgoire de Ph 2, 9-11 se prsente comme une rcapitulation de la
sotriologie formule prcdemment. Il utilise dailleurs limage du sceau (
1408
) , comme si le contenu des versets 9 et 11 venait confirmer lexgse quil avait
propose des versets 6 8. En outre, cet ensemble de versets claire la persistance de
1409
lunion des deux natures dans le Christ ressuscit .
Toutefois, on observe un changement de perspective dans son commentaire du
mouvement dexaltation des versets 9 et 10. En effet, lanalyse du Cappadocien se focalise
non plus sur laction de la nature divine du Christ (knose), mais sur la transformation de sa
nature humaine exalte. Sur le plan syntaxique, il est caractristique de voir que toutes les
phrases sont construites de la mme manire : ce qui dsigne lhumanit personnelle du
Christ ( , , , ) est toujours
1404
Contra arianos, I, 38, Athanasius Werke, d. K Metzler, p. 147 ; cf. aussi I, 45, ibid. p. 155, o la christologie du mrite, soutenue
par les ariens, est formule partir du Ps 44, 7-8. Athanase montre que la premire partie de lhymne impose lide dune prexistence
divine de celui qui sabaisse, et non celle dune monte partir den bas.
1405
1408
1409
Antirrh. 161, 6.
Cf. les remarques de M. Canvet qui se fondent sur le Contre Eunome III, mais qui traduisent bien la ligne exgtique de
332
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1410
sujet dun verbe au passif ou du verbe qui implique lide dun devenir
verbes sont souligns et les expressions de lhumanit du Christ mises en gras) :
(les
<>
.
En outre, dans ce mouvement dmonstratif, Grgoire ne parle plus de la nature humaine
universelle, mais de la nature humaine personnelle du Christ. En tmoigne labsence
de pronom personnel ou de ladjectif possessif de la premire personne du pluriel, qui
caractrisait lexgse de Ph 2, 8. Lorientation sotriologique, qui tait prsente dans
lexgse des versets prcdents, a donc disparu et Grgoire se concentre sur la personne
du Christ. On peut donc dire que lexgse de Ph 2, 6-11 dans lAntirrheticus nest pas
uniformment sotriologique : Grgoire dcrit lincarnation sous deux angles diffrents, non
antithtiques.
Ces remarques attestent aussi que le schma christologique selon lequel Grgoire
comprend cette pricope paulinienne est binaire. Dans les versets 6 8, Grgoire dcrit
le mouvement dabaissement de Dieu, dabord dans la nature humaine, ensuite dans la
mort sur la croix selon la vise rdemptrice de lincarnation. Dans les versets 9 et 10, il
commente le mouvement dlvation de lhomme assum par le Fils selon une perspective
christologique sans composante explicitement salvatrice.
Lexgse de Grgoire dans lAntirrheticus procde en trois temps, le premier qui porte
sur lexaltation est un commentaire de Ph 2, 9a, le deuxime expose ce quil faut comprendre
par le nom de Jsus (Ph 2, 9b), le troisime commente Ph 2, 10 ( au nom de Jsus,
tout genou flchira ) et explique pourquoi le nom de Jsus est digne dadoration.
Dabord, au moyen dun syllogisme, il dmontre que ce qui est exalt est la nature
humaine du Christ, car sa nature divine est en soi sublime () et na donc pas
1411
besoin dtre exalte . Il justifie ce premier acquis dmonstratif avec Ac 2, 36, o le Logos
incarn est appel par Pierre Christ et Seigneur , pour expliciter lexaltation comme un
accs de lhumanit du Christ la seigneurerie de Dieu.
Dans un deuxime temps, le Cappadocien expose ce quil faut entendre par le nom de
Jsus , qui ne dsigne pas seulement son humanit, mais peut aussi tre appliqu la
divinit en raison de lunion des deux natures. Cette seconde ide est explique aussi par
un procd syllogistique. En effet, puisque la substance divine du Christ ne peut tre dfinie
par un nom ( ,
1410
Ce phnomne syntaxique est propre notre passage. Par exemple, dans la Lettre Thophile, le procd grammatical
nest pas aussi systmatique. Cf. Theoph. 127, 11 : . La mme ide est formule selon un
tour actif o la divinit est le sujet de laction.
1411
Mme argument utilis dans la polmique contre Eunome, cf. Eun. III, 3, 43 (GNO II, p. 123, 2-5) et III, 3, 60 (GNO II,
p. 129, 1-10).
333
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1412
de la goutte de vinaigre jete dans la mer, sur le fait que lhumanit est unie et transforme dans les proprits de la divinit (cf.
Theoph. 127, 5-6).
1418
1419
1420
1421
Contre Eunome III que Grgoire ne dfend pas une christologie de l absorption et du monophysisme, contrairement ce qui lui
a t reproch.
334
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Dans ces deux textes, lenjeu argumentatif est le suivant : partir de Ph 2, 9-11, Grgoire
se dfend de croire lexistence de deux Fils, lun tant Dieu, lautre, lhomme Jsus.
Les ides communes aux trois textes de Grgoire sont mises dans les extraits en
caractres gras.
Dans la Lettre Thophile, dont nous reprenons, pour plus de commodit, la traduction
1422
qui se situe dans son intgralit en appendice , Grgoire commente ainsi Ph 2, 9-11 :
,
(
).
,
.
,
,
,
,
,
.
,
,
, ,
;
1422
Cf. p. 794-814.
335
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Dans cette lettre, lenjeu doctrinal est pour Grgoire de prouver grce Ph 2, 10-11
quaprs lexaltation, le nom de Jsus devenu Christ et Seigneur ne dsigne pas
seulement lhomme Jsus, mais Dieu incarn et exalt, en vertu de la communication des
idiomes, cest--dire pour lui, de lappropriation par lune des natures des de
1424
lautre, qui dcoule de lunion de la divinit et de lhumanit . La divinit est donc comprise
dans lappellation de Jsus, aprs son exaltation.
la fin du quatrime tome du Contre Eunome, Grgoire reprend le mouvement gnral
de Ph 2, 6-11 et sappesantit sur les deux derniers versets pour faire comprendre le sens
dAc 2, 36 ( Dieu la fait Christ et Seigneur, ce Jsus que vous avez crucifi ), dans un
trs long passage exgtique, dont nous ne donnons quun extrait :
, ,
,
, ,
,
, []
,
,
.
.
,
.
.
.
, ,
,
1424
Mme si lexpression de communication des idiomes est anachronique (elle na pas le mme sens que dans la thologie
postrieure), J.-R. Bouchet la dfinit ainsi chez Grgoire de Nysse : il ne sagit pas de communication des idiomes au sens classique.
La perspective est beaucoup plus conomique . Elle est plus soucieuse de montrer le rapport des deux natures que lattribution des
proprits de lune lautre en raison de lunion hypostatique abstraitement prise ( Le vocabulaire de lunion chez S. Grgoire de
Nysse , Revue thomiste, 68, 1968, p. 579-580). Cela dit, lexgse de Ph 2, 9-11 vient nuancer un tel jugement, puisquau contraire
lenjeu est de ne pas prsenter la nature humaine et la nature divine comme deux lments inconciliables qui ouvriraient sur une
christologie des deux personnes, et, pour cela, Grgoire insiste sur la communication des proprits entre les deux natures.
336
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Pour rpondre laccusation dEunome qui lui reproche de faire de lhumanit du Christ
qui accde la Seigneurerie une personne distincte du Logos prexistant, Grgoire insiste
sur lunion de la divinit et de lhumanit qui annihile le reproche de confesser deux
Fils . Ce faisant, il cherche maintenir la tension entre la coexistence de la pleine divinit
du Christ, inaltre, pendant toutes les tapes de lconomie et de lhumanit assume
qui accde au rang de Dieu aprs lexaltation. Dans son argumentation, Grgoire fait
une distinction de mthode entre ce qui relve de Dieu ( ) et ce qui
relve de lhomme ( ), bien que lun et lautre renvoient la
mme personne. Lenjeu est de mettre en vidence lexistence permanente de la divinit
dans la knose () du Christ contre la christologie qui attribue lhomme
Jsus le titre de Christ, seulement au terme de son incarnation, comme rcompense.
Dans largumentation, lexaltation de Ph 2, 9-11 sert encore prouver lunit de personne
dans le Christ (
).
Dans les trois textes que nous avons cits de lAntirrheticus, de la Lettre Thophile
et du Contre Eunome III, lunit de personne dans le Christ est dmontre partir de Ph 2,
10-11, par deux arguments, dune part en vertu de lunion de lhomme et de Dieu, dautre
part, en raison de linterchangeabilit des noms qui dcoule de celle-l. Dans les trois cas,
le nom de Jsus est dit dsigner non pas seulement lhumanit, mais le mlange humanodivin :
Dans lAntirrheticus :
Comme en attestent ces formules, lide dinterchangeabilit des noms est exprime de la
mme manire, mme si, dans les deux textes de polmique anti-apolinariste, laccent est
surtout mis sur le fait que la divinit est nomme par lhumanit du Christ, et non linverse.
Lenjeu est de prouver face Apolinaire que lhumanit et la divinit sont intrinsquement
unies dans le Christ pendant et aprs lincarnation, mais non avant. Cest ainsi que Grgoire
1427
rpond la thorie de la consubstantialit de la chair telle quil la prte son adversaire .
En outre, dans ces trois raisonnements, spcialement dans la polmique contre Apolinaire,
1427
Parlant dune consubstantialit de la sarx avec le Logos, Apolinaire ne prtend pas rendre prexistante la chair, contrairement
la thse que lui prte Grgoire (cf. frg. 93 c, Antirrh. 217, 21-24 : lEsprit divin sest fait chair seulement au moment o il sest incarn).
337
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Grgoire prend soin de distinguer le plan de la nature de celui des noms, pour ne pas que
1428
dcoule de lintercheangeabilit des noms une confusion des natures
.
En outre, dans lAntirrheticus, Grgoire insiste sur le fait que la divinit est nomme
par lhumanit de Jsus aprs lexaltation, parce quelle est en soi inexprimable. Il trouve
donc en Ph 2, 9-10 une confirmation de sa thorie de lincognoscibilit divine. Grgoire
comprend quen raison du mlange des natures dans le Christ, Celui qui ne peut tre nomm
a pu recevoir les noms humains de la nature humaine, ce qui revient dire que Dieu nest
connaissable que par Jsus, lequel en retour se voit attribuer les noms qui dsignent les
1429
attributs, et non lessence, de la divinit . Mais lincogniscibilit divine formule dans
lAntirrheticus se justifie par un enjeu doctrinal : ne pas concevoir lhumanit comme une
composante de la nature du Logos incarn, ce quil reproche son adversaire.
En conclusion de cette lecture comparative des trois extraits de Grgoire, qui datent de
la mme poque et dfendent la mme ligne christologique, on notera une lgre inflexion
de lexgse de Ph 2, 10-11 dans la Rfutation contre Apolinaire, o lauteur ne dcrit pas
de faon symtrique linterchangeabilit des noms aprs lexaltation, mais se concentre sur
le statut mtonymique du nom humain de Jsus pour parer la dviance christologique
de son adversaire qui fait, selon lui, de lhumanit de Jsus une composante intrinsque
de son divine. Lhumanit du Christ peut revtir le titre de gloire seulement aprs
lexaltation, cest--dire aprs la rsurrection, et quelle ne lui est pas consubstantielle par
1430
nature .
Dans les trois exgses, Grgoire maintient une tension entre lunion et la distinction
de lhumanit et de la divinit du Christ. Mais Ph 2, 6-11 est plus quune simple
preuve argumentative sur laquelle se fonderait Grgoire pour rpondre lattaque de ses
adversaires, il offre un schma de comprhension de la doctrine de lincarnation qui permet
de rendre compte de cette tension entre unit de sujet et distinction de nature en fonction
des tapes de lconomie. En ce sens, il nest pas anodin que lexgse de cette hymne
se situe la fin de la Lettre Thophile, ainsi qu la fin du tome IV du Contre Eunome III
et quelle sachve par un Amen dans lAntirrheticus : le texte biblique se prte une
confession de foi christologique.
III.Conclusion
Lanalyse du commentaire par Grgoire de lhymne aux Philippiens, qui se situe dans
lAntirrheticus entre un mouvement rfutatif sur la consubstantialit de la chair avec le Logos,
prte Apolinaire, et un autre sur lincompltude de la nature humaine du Christ, aura
montr que ce passage a un statut particulier dans lensemble du trait, en raison de sa
formeet de sa tonalit : la teneur polmique sest largement efface et Grgoire opre plutt
un expos synthtique de sa doctrine de lincarnation, qui fait pendant au dveloppement
1428
Cf. largumentation dApolinaire dans le De unione , 8. La chair partage les attributs divins par le nom, mais la nature divine
nest pas altre pour autant par son union avec la chair :
( la nature de la divinit nest pas non plus altre dans la communion
du corps humain et dans la dsignation de sa chair qui est consubstantielle nous ) (Lietz. p. 188). Dans ce passage, on voit trs
bien comment la consubstantialit dont parle Apolinaire ne porte pas sur le rapport de la chair et du Logos, mais sur le rapport de
la chair du Logos avec le reste des hommes.
1429
1430
338
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christologique quil a dvelopp peu auparavant avec limage de la brebis perdue, afin
1431
dexpliquer Ep 1, 7
.
Sur le plan de la technique littraire de la rfutation, on observe que Grgoire
commence par dvelopper sa propre exgse suivie de Ph 2, 6-11 avant de citer et rfuter
brivement linterprtation du mme passage par son adversaire, donne dans de trs
courts fragments (frg. 42-47). On peut interprter ce phnomne de deux faons, selon
quon y voit une stratgie argumentative (commencer par exposer sa thse en dtail avant
de prsenter celle de son adversaire plus brivement pour la rendre moins pertinente et
mieux emporter ladhsion de son lecteur) ou quon conoive le discours de controverse
comme pouvant tre la fois un expos de foi personnel, sans touche polmique, et un
discours qui rpond point par point, parfois avec virulence, aux thses de ladversaire. Mme
si on a signal au cours de notre analyse le contexte polmique dans lequel sinscrivait
lanalyse de chaque verset, aucun moment on a vu formule explicitement une thse
dApolinaire laquelle Grgoire rpondait.
Sur le plan christologique, les rapprochements du commentaire de Grgoire avec
quelques exgses antrieures du mme passage par Clment dAlexandrie, par Origne
et par Athanase auront permis de reprer un sillon exgtique bien dfini, dans la continuit
duquel lanalyse du Cappadocien sinscrit et, en mme temps, des inflexions thologiques
diffrentes en raison de lvolution du contexte polmique. En effet, Grgoire explique
lexaltation de la fin du passage paulinien (Ph 2, 9-11) dans la ligne dAthanase, pour
qui cest lhumanit seulement qui est exalte aprs lincarnation. Dautre part, dans la
ligne dOrigne, Grgoire comprend Ph 2, 6-11 en deux temps, le premier qui expose
une christologie de la prexistence du Logos et un deuxime qui dveloppe lexaltation de
lhumanit du Christ. En revanche, le cadre polmique a chang depuis Athanase : lenjeu
pour Grgoire est dexpliquer comment on peut penser lexaltation de la nature humaine
du Christ au rang de Dieu sans pourtant dfendre une confusion des deux natures divine
et humaine, mais sans non plus faire de Jsus exalt un Fils adoptif conjoint au Fils de
Dieu. Grgoire se sert de Ph 2, 9-11 pour dfendre lunit de personne du Christ aprs la
rsurrection.
Ltude comparative de lexgse du mme passage paulinien dans deux uvres
doctrinales de Grgoire contemporaines, contre Eunome et Apolinaire, aura permis de
mettre au jour une constante dans largumentation christologique propre Grgoire :
lassociation argumentative de linterchangeabilit des noms qui se rapportent la divinit
et lhumanit en vertu de lunion des deux natures. Mais elle aura fait ressortir quelques
nuances. En effet, dans lexgse de lhymne en rponse celle dApolinaire, deux
lignes christologiques conjointes ressortent : dune part, lorientation sotriologique culmine
dans lexplication de lhumiliation divine sur la croix, dautre part, lorientation strictement
christologique est dveloppe seulement dans lexgse de lexaltation selon le paradoxe
entre la transformation de lhumain en divin et lappellation du divin par lhumain en raison
de lincogniscibilit de Dieu.
Ph 2, 6-11 est le fondement scripturaire sur lequel sappuient Apolinaire et Grgoire pour
expliquer labaissement de Dieu dans la chair, la ralit et le sens de son incarnation.
Antirrh. 152-154.
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Apolinaire insiste sur ce point contre toutes les formes de christologie selon lesquelles Jsus
serait un simple homme adopt par Dieu. Pour dnoncer ces erreurs doctrinales, il analyse
titre dexemple, dans son Apodeixis,le cas des prophtes. Si, en effet, le Christ tait
seulement un homme adopt par Dieu, il aurait reu Dieu en lui, la faon des prophtes
inspirs par Dieu. Il ny aurait pas relle incarnation de Dieu en lui.
Cest ainsi que le personnage dlie est mentionn deux reprises dans
largumentation de Grgoire. Mais, de toute vidence, cette figure biblique tait dabord
1432
cite par Apolinaire, comme en atteste sa mention dans le fragment 51 . Linsistance
avec laquelle Grgoire rutilise dans sa rfutation ce personnage titre dexemple vient
le confirmer : il reprend alors les armes scripturaires de son adversaire pour les retourner
contre lui.
Le personnage dlie est utilis, dans largumentation de lApodeixis, comme figure
emblmatique du prophte inspir par Dieu ou encore de lhomme inspir (
1433
) . En effet, lApodeixis tait elle-mme une uvre polmique contre les tenants de
la christologie daprs laquelle la prsence divine est pense comme une forme dinspiration
particulire, la faon des prophtes, et non comme lentre de Dieu dans la chair, selon
1434
une union avec la nature humaine . En raction cette christologie de linspiration ,
Apolinaire dveloppe sa thologie du : Dieu, Intellect, sincarne lui-mme, il
1435
nest pas sagesse illuminatrice de lintellect humain . Pour montrer que sa conception de
lhumanit du Christ diffre de celle dun homme inspir, il devait faire, plusieurs reprises,
rfrence des figures prophtiques de la Bible. Grgoire reprend peut-tre les exemples
1436
1437
scripturaires utiliss par son adversaire, lorsquil voque Amos
et Jrmie . Il est
toutefois difficile de dterminer si Grgoire les introduit de lui-mme dans sa rflexion ou
1438
si Apolinaire les citait avant lui .
Le personnage dlie, quant lui, est cit dans deux passages de lAntirrheticus pour
des pisodes diffrents de sa vie, selon le point argumentatif dvelopp :
1. Antirrh. 169-170 (4 Rg 2, 11) : lascension dlie dans son char de feu est une scne
qui prfigure le mouvement de lincarnation du Christ.
2. Antirrh. 175 (3 Rg 17, 14 ; 4 Rg 1, 10) : les miracles dlie (le feu envoy contre les
ennemis, la multiplication de la farine et de lhuile, la ranimation dun enfant mort)
prouvent quil ne suffit pas de faire des prodiges avec laide de la puissance de Dieu
pour tre Dieu, mais il faut tre soi-mme la puissance divine, ce quest le Christ.
1432
Frg. 51, Antirrh. 169, 21-24. Il est difficile de se prononcer sur le degr dexactitude de ce fragment o lie est cit
mais, puisque la rfutation de Grgoire se concentre sur ce personnage uniquement, il tait vident quil tait du moins mentionn
par Apolinaire.
1433
Cf. frg. 15. Les tenants de la christologie de linspiration cits par Apolinaire sont Paul de Samosate, Photin, Marcel. Cest
contre cette conception que le Laodicen dveloppe, partir de 1 Co 15, 45-47, sa thologie de lhomme descendu du ciel , qui
nest donc pas un homme terrestre, habit dune manire spciale par Dieu.
1434
1435
1436
1437
1438
340
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Frg. 58, Antirrh. 175, 18. Grgoire cite une srie de questions que pose Apolinaire son adversaire : , ,
; Qui est saint par naissance ? (frg. 56, Antirrh. 174, 30. La rponse dApolinaire tait que seul le Christ est
saint par naissance) ; ; Qui est sage sans avoir t instruit ? (frg. 57, Antirrh. 175, 9. La rponse dApolinaire
est que seul le Christ possde une sagesse inne). Ces trois fragments paraissent textuels (E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea,
op. cit., p. 175).
1440
Jn 5, 18 : le Fils ne peut rien faire de lui-mme sil ne regarde pas le Pre le faire : ce que celui-ci accomplit, cela, le
daprs le Lexicon Gregorianum. Chez Grgoire, cest uniquement dans ce passage de lAntirrheticus, qui reprend la
formule dApolinaire, que lon trouve ce tour syntaxique.
1442
341
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: peut dsigner chez les auteurs patristiques le pouvoir, lautorit de Dieu, cf. piphane, Pan. 42, 11, 17 (Marcion),
GCS Epiphanius II, d. K. Holl, p. 137, 20 sq. ; la puissance partage par le Pre et le Fils, cf. Justin, Apologie, 40, 7, SC 507, p. 234 ;
la puissance du Fils, cf. Ignace, Aux Smyrniotes. IV, 1, SC 10 bis, P. Th. Camelot, Paris, red. 2007, p. 134 ; Mthode, De Creatis I11,
PG 18, 344 A ; pour parler de lautorit du Christ, Origne. De Prin. IV, 1, 2, SC 268, p. 266.
1444
Le Ps.-Athanase en fait des synonymes, cf. De Virginitate 16, PG 28, 272 A : . Pour
lauthenticit de ce texte, cf. D. Brakke, The Authenticity of the Ascetic Athanasiana , Orientalia,63, 1994, p. 17-56, spcialement
p. 47-49. Lauteur pense que ce texte nest pas une uvre dAthanase.
1445
M. R. Barnes, The Power of God, op. cit. p. 13. Le Pre et le Fils manifestent ainsi la mme puissance parce quils
possdent la mme nature (). Cette dfinition nest pas sans rapport avec lorigine philosophique de , qui est lun des
termes de lopposition aristotlicienne entre la potentialit et lactualit (lacte tant qualifi ou d). Parmi les
versets scripturaires qui sont lobjet de polmique propos de la dfinition de la puissance divine, les plus importants sont 1 Co 1, 24
(que nous avons dj vu dans lexgse de Lc 1, 35) et Jn 5, 19. Pour une tude sur le sens de dans la thologie trinitaire
de Grgoire de Nysse, cf. B. Pottier, Dieu et le Christ selon Grgoire de Nysse, op. cit., p. 107-118.
1446
1447
342
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dApolinaire contre lui et montrer que ce qui est propre Dieu nest pas daccomplir des
miracles avec le pouvoir divin, tel lie, mais dtre soi-mme la puissance divine incarne.
En effet, accomplir des miracles du fait de la puissance de Dieu ( )
nest pas gal au fait daccomplir des miracles en tant que puissance (
), cest--dire en tant que Christ, puisque le Christ est la puissance de Dieu (
1449
) . Par consquent pour Grgoire, les uvres du Fils sont
les uvres du Pre, et non celles dun homme inspir :
# ### ### ####### ######## ### ### ####### # ###### ### ######## ####.
#### ### ###### ### ###### # ####, ##### ###### ### #### ### ###### #####
####. En effet, lactivit de la puissance fait rfrence celui dont elle est la
1450
puissance. Donc, puisque le Fils est la puissance du Pre , toutes les uvres
1451
du Fils sont les uvres du Pre .
Par ce rapprochement avec la rflexion anti-eunomienne propos de Jn 5, 22, on mesure
tout lcart entre la perspective dApolinaire, rapporte de faon trs sommaire par Grgoire
(frg. 58), et la sienne propre. Dans le contexte de sa rflexion labore contre les attaques
dEunome, Grgoire avait rflchi, partir de Jn 5, sur lunit daction entre le Pre et
le Fils, de sorte que la simple formule quil rapporte dApolinaire
1452
ne suffit pas qualifier la particularit de luvre du Christ .
Si on compare les deux passages o les pisodes de la vie dlie sont mentionns par
Grgoire dans lAntirrheticus, on constate que, dans le premier, que nous allons analyser
ci-dessous, lascension dlie est cite pour son affinit avec la vie du Christ car elle est
prsente comme la prfiguration de laction rdemptrice de la puissance divine, alors que,
dans lextrait que nous avons analys ci-dessus, les miracles dlie sont prsents pour
illustrer tout lcart quil y a entre laction dun homme inspir et celle du Christ. Un mme
lment biblique, selon le statut quil a dans largumentation, est donc exploit dans des sens
presque antagoniques, ici comme exemple, l comme tape dun raisonnement analogique.
1450
Cf. 1 Co 1, 24.
1451
Eun. III, 4, 34, GNO II, 147, 11-14. Trad. fr. M. Cassin, La controverse comme mode de persuasion et dlaboration
Pour la question de lunit daction du Pre et du Fils dans la thologie trinitaire de Grgoire, cf. G. Isaye, Lunit de lopration
divine dans les crits trinitaires de St Grgoire de Nysse , RechSR, 27, 1937, p. 421-439, et les tudes plus rcentes de M.-R. Barnes,
The Power of God, op. cit., et B. Pottier, Dieu et le Christ selon Grgoire de Nysse, op. cit.
1453
Le frg. 54 (dont il est difficile de savoir sil est une citation textuelle) peut clairer le reproche dApolinaire ses adversaires,
auxquels Grgoire sassimile : selon lui, ils ne confessent pas la pleine divinit du Fils parce quils ne reconnaissent pas que son
lment hgmonique est Dieu, . Cest ce quon peut en dduire du frg. : , ,
, : Mais, dit-il, nous prtendons que le crucifi navait
rien de divin dans sa nature, ni mme llment hgmonique, qui est lesprit (Antirrh. 172, 16-19). On peut comprendre que ce
343
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et aux juifs, dans le sens quils confessent lunion du divin et de lhumain sous le mode dune
inspiration divine. Grgoire cite laccusation de son adversaire et la rfute ainsi :
, ,
,
,
.
;
,
,
;
,
.
,
,
nature
, est pouss terre sous l'effet
de la puissance divine et qu'lie, entour
du feu cleste qui revient nouveau son
mouvement naturel, est lev avec lui, de
mme la puissance du Trs-Haut, qui est
1457
grief dcoule du schma christologique que propose Apolinaire, selon lequel Dieu se substitue au dans lhomme Jsus.
Par consquent, il considre ncessairement comme tant un homme inspir le Christ dont on revendique quil dtient un esprit
humain. Pour Apolinaire, si lon refuse de penser le Logos incarn comme un , alors on considre que Dieu est prsent
en Christ comme sagesse illuminatrice (cf. frg. 71-72, Antirrh. 190). On nie alors son incarnation.
344
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1458
sa
nature
divine
et
sans
souillure
. Par
.
consquent, celui qui ne croit pas cela ne
saurait pas non plus ajouter foi au miracle
qui concerne lie, mais celui qui aura appris
d'avance quen ce dernier la vrit a t
1460
1459
ne saurait
la vrit elle-mme
1461
Nous ne reviendrons pas dans notre analyse sur les tudes de la typologie comme mthode hermneutique par opposition
lallgorie ou la thorie . J.-N. Guinot, dans son article, La typologie comme mthode hermneutique , Figures de lAncien
Testament chez les Pres, Strasbourg, 1989, fait lui-mme ltat de la critique sur cette question, p. 2-3 (cf. J. Danilou, Sacramentum
futuri, tudes sur les origines de la typologie biblique, Paris, 1950 ; H. de Lubac, Typologie et allgorisme , RechSR 34, 1947, p.
180-226 ; J. Danilou, La typologie biblique de Grgoire de Nysse , Studi e Materialo di Storia delle religioni 38, 1967, p. 185-196 ;
H. Crouzel, La distinction de la typologie et de lallgorie , Bulletin de Littrature ecclsiastique de lInstitut Catholique de Toulouse,
3, 1964, p. 161-174 ; M. Simonetti, Scripturarum clavis notitia Christi. Proposta per une discussione sulle specificit dellesegesi
patristica , Annali Dieu Storia dellesegesi, 4, Bologne, 1987, p. 7-19). En parlant dlie comme type du Christ, nous entendons
quil est limage, la figure dune autre ralit, messianique du NT, le Christ. Cette clef de lecture dcoule de la littrature prophtique
vtrotestamentaire : les prophtes rappellent le pass pour fonder lesprance en un avenir.
1463
345
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1464
nest pas prsent dans La chane sur la Gense, dition intgrale III, Fr. Petit, Louvain, 1995) ; Homilia 12 in Epistulam ad Hebraeos.,
PG 63, 98, 4.
1472
346
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347
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christologie (cf. Ph 2, 6-7), pour qualifier lhumanit quassume le Christ. On peut penser
que Grgoire joue sur les deux niveaux, typologique et christologique, et choisit de dployer
son exgse de 2 Rg 2, 11 sur le mouvement et la forme que prend le feu, afin dexpliquer
de faon concrte les notions de forme humaine et de substance divine, prsentes
conjointement dans le Christ.
##### #######, #### ##### ##########, #### ## ######### ####### #####. #####
##, ## #### ###### ### ########### ####### ########. La substance, qui est
1482
chez [les Pres] la nature, est ce que les philosophes appellent essence . Or
lessence, cest ce qui est dit au sujet de nombreuses choses diverses par leur
1483
nombre .
Cette dfinition prend place dans un discours thologique sur la Trinit, mais montre
comment, dans la littrature patristique, a pu tre perue comme un synonyme
d dans le sens aristotlicien. En outre, dans le registre christologique, le terme
1479
Les deux termes et sont utiliss conjointement par Aristote, De lme. 414 a, CUF, d. E. Barbotin, Paris,
1966, p. 35.
1480
Le L exicon gregorianum signale comme sens principaux dans luvre de Grgoire celui de manifestation, dapparence
extrieure, de forme. Dans le contexte trinitaire, propos de ltre, le terme semble employ majoritairement comme synonyme
d.
1481
Il peut dsigner aussi lespce (cf. Cl. Alex., Strom. 5, 8, 46, 1, SC 278, d. A. Le Boulluec, Paris, 1981, p. 98 :
comme synonyme de cause formelle, dessence : Aristote, Mtaphysiques, 1032 b 1 etc. Parmi les autres
emplois philosophiques, on compte comme synonyme d : Cf. Plat., Phdon 103 e, CUF, t. IV/1, d. L. Robin,
Paris, 1967, p. 79 ; Rep., 596 a, CUF, t. VII, d. E. Chambry, Paris, 1957, p. 84 ;Metaph., 990 b 9 ; par opposition ,
Arist., Metaphy. 1029 a 29.
1483
348
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Sans entrer dans la thologie trinitaire de Cyrille propos de ce passage , o lauteur veut
prouver que le Fils est une hypostase, et non une apparence extrieure ou manifestation
de la substance du Pre seulement, notons qu est utilis ici pour dsigner une
ralit subsistante. Mme si cet emploi est bien postrieur lAntirrheticus, on peut poser
lhypothse que le terme nest pas utilis au hasard par Grgoire dans la description
du char de feu ( propos duquel il insiste sur le mouvement naturel dlvation), pour
voquer la forme visible : daprs le sens christologique de ce terme, attest dans des crits
postrieurs au trait contre Apolinaire, mais selon un usage aristotlicien, il est possible
de comprendre aussi dans un sens typologique, prfiguratif du Christ, dans notre
1486
passage sur lascension dlie .
Lutilisation que Grgoire fait de non seulement dans son sens pictural, propos
1487
de la description du char de feu ( ) , pour dsigner le contour dune
figure, mais aussi dans un sens christologique pour dsigner la nature humaine assume
par le Christ ( ) provient de lptre aux Philippiens 2, 7, par opposition
lexpression de Ph 2, 6, . Le choix de ce terme par Paul tient au fait quil peut
1488
dsigner les deux modes dexistence de Jsus, avant et pendant lincarnation . Comme
nous lavons vu propos de lexgse de Grgoire de ce passage biblique, le mot forme
1489
est devenu un synonyme exact du mot nature en contexte christologique . Lhabilit de
Grgoire consiste donc superposer les deux sens, la fois propre et figur, du mot
dans son exgse de lascension dlie.
Pour parler de la reprsentation visuelle de la forme que prend le feu et de la forme
humaine que prend le Logos, Grgoire utilise aussi le terme technique de , qui signifie
dabord modeler, reprsenter (en ce sens, il est trs proche de ), puis dans le
1484
1485
Cyr. Alex., Dialogues sur la Trinit, V, 558 D, SC 237, d. G. M. de Durand, Paris, 1977, p. 302.
Nous renvoyons ltude de M.-O. Boulnois, Le paradoxe trinitaire, op. cit., p. 557-559, 561, qui commente le terme
De ce point de vue, il est intressant de faire le rapprochement avec Cyrille, qui explique que le Christ qui est la forme
() qui surpasse tout, la forme suprme a pris la forme humaine () de lesclave (Ph 2, 7) pour que les hommes, par
conformation lui, puissent tre transforms desclaves en fils (Dial. Trin, V, 557 b, SC 237, p. 296 ; In Io. XII, 1, 1088 b-c, d. Ph. E.
Pusey, V, p. 122 ; analyse par M.-O. Boulnois, Le paradoxe trinitaire, op. cit., p. 382-383).
1487
1488
1489
Le terme fait partie du lexique technique de la typologie exgtique. Cf. J.-N. Guinot, art. cit., p. 25.
Cf. G. Fee, Philippians 2, 5-11, Hymn or exalted Pauline Prose ? , Bulletin for biblical research, 1992, 2, p. 39 n. 35.
Cf. B. Meunier, Paul et les Pres grecs , art. cit., p. 349. Il ny a pas que chez Grgoire que lexpression paulinienne
renvoie la nature. Cf. aussi Athanase, Contra arianos, I,40, Athanasius Werke, op. cit., d. K. Metzler,p. 149-150 ; Contra
arianos II, 1, Athanasius Werke, p. 177 ; Contra arianos, III, 29, Athanasius Werke, I, 1, 3, p. 340 ; De sententia Dionysii 10, Athanasius
Werke, op. cit., d. G.-H. Opitz, p. 53 ; Ad Ser. IV, 14, PG 26, 656 C ; SC 15, p. 194.
349
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1490
Chez les Pres, dans la mouvance dOrigne , il dsigne dans le cadre exgtique,
la figure , par opposition la vrit (), qui renvoie llment du Nouveau
Testament prfigur. On retrouve la mme opposition chez Grgoire, qui distingue le
, relatif lie, et l, relative au Christ (
1494
) .
Le verbe employ dans cette dernire expression est caractristique de la
1495
terminologie typologique . Dans son sens originel, il renvoie plus directement lactivit
du peintre que le mot de et ses composs, qui dsignent plutt lide de forme
modele la ressemblance du modle. Cest pourquoi on trouve le verbe
ou le substantif chez les Pres dans les deux sens, pictural et typologique.
Pour ne citer quun exemple, Clment dAlexandrie, dans le premier livre du Pdagogue,
qualifie desquisse () le nom de Jsus, fils de Nav , qui dsigne par
1496
avance Jsus (), Fils de Dieu . Ailleurs, dans son premier Stromate
1497
ou dans le troisime livre du Pdagogue, il utilise le verbe au sens pictural .
Grgoire utilise le mme vocabulaire dans ses autres uvres, o il fait une exgse
typologique de passages vtrotestamentaires. Par exemple, dans son Homlie sur la
Nativit, il prsente son interprtation typologique de la scnopgie , de la Fte des
Tentes loccasion de laquelle est lu le Ps 117, comme prfiguration de linhabitation du
Verbe dans la nature humaine, en usant des termes suivants :
1490
en raison de son sens premier dempreinte renvoie plus immdiatement la statuaire ou la glyptique, mais
il peut signifier aussi rplique exacte dun personnage ou dun objet. De l, pris dans son sens dexgse typologique, une srie
de mots, tel comme chez piphane, Panarion, 41, 1, propos de lhrsie gnostique (GCS 25, Epiph a nius I, d. K.
Holl, Leipzig, 1915, p. 93, 3).
1491
1492
synonymes (cf. Cyrille dAlex., .., Commentaria in Isaiam prophetam, PG 70, 36 A ; 44 B, C ; 76 A ; 117 A..).
1493
Contre Celse , VI, 70, 29, 38, SC 147, p. 354 ( ) ; Hom. In Gen ., IX, 2 : formas , SC 321, d.
M. Borret, Paris, 1985, p. 286 ;De Princ ., IV, 1, 6, SC 268, p. 282 : " " "
" , " " : lavenuedeJsusquia cart levoileetafaitconnatrepeu
peulesbiensdontlalettrepossdaitlombre . Chez Origne, la typologie ne semble pas encore constitue en un systme autonome,
mais tre plutt une composante dun ensemble plus vaste, lallgorie (cf. lexpression dallgorie figurative , ,
en Contre Celse VI, 29, 7, SC 147, p. 250).
1494
1495
1496
1497
, 12-13.
Cf. J.-N. Guinot, art. cit., p. 25 sq.
Paed., I, 7, 60, SC 70, d. H.-I. Marrou, M. Harl, Paris, 1960, p. 218.
Cl. Alex., Strom., I, 1, 11, 1, SC 30, d. Cl. Mondsert, M. Caster, Paris, 1951, p. 51 ; Paed. 3, 2, 11, 2, au sens pictural
dans une diatribe contre les femmes dont la beaut est artificielle (SC 158, trad. Cl. Mondsert, Ch Matray, Paris, 1970, p. 30).
350
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In diem nat. GNO X/2, p 236, 4-5. Nous avons volontairement choisi avec le P. J. Paramelle, dans ldition en prparation,
de ne pas traduire littralement lexpression , qui serait obscure en franais. propos du terme de ,
cf. chapitre 2 la conception virginale, Lc 1, 35 , p. 314, note 121.
1499
Eun. II, 249, GNO I, p. 298, 30-299, 2 dans un contexte o Grgoire explique que Dieu enseigne les hommes en figures
(). Il prend pour exemple la transfiguration o Dieu sest donn percevoir par une voix : (...)
. Cf. aussi Fat . , GNO III/2, p. 51, 2 :
.
1500
Nous ne reprenons pas la traduction de selon la BJ par aspect dans ce verset. Toutefois, nous ne traduisons
pas non plus par le mme terme dans lexgse de Ph 2, 7 ( figure ) et dans lascension dlie ( forme ). Un tel choix
est contestable, nous en sommes consciente, mais le problme est que, dans la description du feu, il faut rserver le sens de
figurer pour le verbe dans lexpression : , en raison de son sens typologique. La traduction
de lexpression par double forme est un choix par dfaut. En outre, est proche de (forme) en
dehors du contexte paulinien.
1501
: reprsenter, dcrire dans notre passage (cf. piphane, Pan., 62, 6, GCS Epiphanius II,d. K. Holl,
p. 394, 27, propos de lEsprit Saint qui est reprsent sous la forme dune colombe au moment du baptme du Christ).
Terme utilis aussi dans le sens de symboliser, de signifier par typologie, ou simplement signifier.
351
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Christ] nadvient dans une figure (cf. Ph 2, 7c) quau moment o il prend une
1502
configuration et sen revt. Cest cela la nature du corps .
Dans cet extrait, Grgoire explique comment lexpression de Paul
signifie, dans le cas du Fils de Dieu, prendre la forme du corps humain, ou encore devenir
corporel ( ). Le dsigne donc le fait dtre
dlimit dans une forme corporelle, par opposition ltat incorporel de Dieu prexistant.
Il est le rsultat dun passage de ltat de substance invisible et immatrielle (
1503
)
celui de corps humain. Prendre forme
implique ncessairement un passage dans la matire, ce quil appelle le corporel. Cest la
raison pour laquelle Grgoire pose cette question rhtorique :
; Il emploie alors le verbe , qui ne signifie pas
seulement reprsenter , imprimer , mais vhicule aussi lide dune dlimitation dune
forme dans lespace par ses contours. En somme, Grgoire explique le sens de lexpression
pour dsigner lincarnation comme le fait de se donner une forme
visible. On voit donc mieux la nuance de sens entre le terme de et celui de
propos de lincarnation. Le premier dsigne lentre dans un corps dfini dans lespace par
ses contours, alors que le second dsigne un tat, une condition, que Grgoire qualifie de
servile ( ), en reprenant la coloration morale prsente dans lHymne
aux Philippiens. Le est le rsultat de la mise en forme, le dessin que prend la
forme ( ). Lincarnation est une configuration particulire (celle de la forme
humaine) de Dieu, manifestation corporelle, en vertu de lanalyse de Grgoire propos de
Ph 2, 7.
Par consquent, lorsque Grgoire qualifie lascension dlie de prophtie typologique
qui prfigure lincarnation du Seigneur (
),
la prsence des termes et est entendre un double niveau.
Certes, ces mots appartiennent au langage technique de lexgse typologique et renvoient
au mouvement de lincarnation du Christ, prfigur par le double mouvement du feu au
moment de lenlvement dlie. Mais le feu est dcrit lui-mme comme subissant le mme
phnomne que la divinit qui prend forme. Il est en soi une substance immatrielle qui,
par nature, nest pas dfinissable dans une forme particulire (). Or le miracle dlie
( ) ne tient pas seulement au fait que le feu descende
terre, contrairement son mouvement naturel, mais qu'il soit matrialis dans une
1504
configuration dfinie
: ,
1505
. On peut penser que cest prcisment cause de la
possibilit de ces deux niveaux de sens superposs que Grgoire a choisi de dvelopper
1502
1503
La notion de figure () applique au feu est un objet dtude dans la tradition philosophique. Par exemple, Dmocrite
considre que les particules du feu ont une forme () sphrique, au mme titre que lme (qui est constitue pour lui de feu et
dair), et en raison de leur petitesse sont sources de mouvement (cf.la description quen fait Aristote dans son De An. 405 a, CUF,
d. A. Jannone, E. Barbotin, Paris, 1966, p. 9).
1505
Antirrh. 169, 25-26. Derrire une telle exgse se profile un parti-pris philosophique, puisque la question de savoir si le
feu avait un ou non tait lobjet dun dbat entre philosophes (cf. le trait Du ciel dAristote (304 a, CUF, d. P. Moraux, Paris,
1965, p. 122) : , Certains [philosophes]
donnent une figure au feu ; ils en font, par exemple, une pyramide , par opposition ceux pour qui le feu est compos de particules
minuscules. Autres passages Du Ciel, 306 b 3 et 306 b 10.
352
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lexgse typologique partir de llment du feu et non pas du personnage dlie. Le feu
offrait la possibilit dune exgse typologique sur deux points ; la configuration matrielle
dune substance immatrielle, le double mouvement dabaissement et dlvation. Une
telle densit thologique nest pas sans effet sur la porte persuasive de lAntirrheticus :
largument utilis par Grgoire est doublement probant.
B. Assomption-lvation
Le deuxime champ smantique qui est amplement prsent dans toute lexgse de
lascension dlie est celui de l'assomption-lvation, dvelopp amplement dans notre
passage non sans un art de la variatio. Dans l'exgse typologique de 2 Rg, 2, 11, les
termes utiliss pour dcrire le mouvement naturel du feu sont ,
, , . Quant lie, il est lui-mme emport
par le mouvement du feu et qualifi de , terme qui signifie aussi bien tre lev
1506
1507
dans les airs
qutre exalt . Ce faisant, Grgoire prsente ce mouvement dlvation
comme une ncessit de la nature () la fois du feu et de la puissance divine (
, ; ). Dans une perspective
typologique, ce mouvement dlvation sapplique la divinit qui vient assumer et sauver
lhumanit dchue. Il est intressant dobserver les nuances de vocabulaire entre ce qui,
dans la description typologique de lascension dlie, dpeint llvation et les autres
dveloppements de lAntirrheticus o Grgoire formule diffremment le mme mouvement
de la rdemption et de llvation de la nature humaine au rang de la divinit.
En effet, lorsque Grgoire dcrit lincarnation et l'exaltation de l'humanit par le Christ,
sa rsurrection, il utilise les verbes , et d'autres drivs de
1508
cette mme racine . Or, dans notre passage, nous trouvons
(
1509
) , o le prfixe - semble mettre davantage laccent sur le fait que la divinit
1510
du Christ sest immisce travers tout le compos humain . Lide dlvation de la nature
1511
humaine est rendue par le verbe () . Cette diffrence lexicale par
rapport aux autres dveloppements sur le mouvement de lincarnation dans lAntirrheticus
peut sexpliquer par la prsence des termes employs propos du feu dans le premier
1506
Aelius Aristide emploie ce terme, au sens darien, lev dans les airs, pour dsigner le cavalier du cheval ail Pgase (
), dans Isthmikos Posedon 24, 30. Ladjectif est aussi utilis au sens d arien , d immatriel : dans un contexte
dexgse typologique chez Oecumenius (Ve-VIes.), Commentarius in Apocalypsin, d. H. C. Hoskier, Michigan, 1928, nouvelle
dition : Oecumenii Commentarius in Apocalypsin, TEG 8, Louvain, 1999 : ... ...
.
1507
e
Eustrate de Constantinople (fin IV s.), De statu animi post mortem, d. P. Van Deun, CC, series graeca, 60, Turnhout, Louvain,
2006, p. 16, l. 348 : ... . Clment dAlexandrie utilise aussi cet adjectif propos de la prire dans une
allusion explicite au mythe du char ail tir du Phdre de Platon (246 b-c) : essayant de dtacher par la parole, le corps de la terre,
aprs avoir rendu arienne lme aile par le dsir des ralits suprieures (He 9, 25), nous forons le passage vers le lieu saint ,
Grgoire de Nazianze utilise le terme propos de lme en tat de prire, Discours 8, 13, SC 405, d. M.-A. Calvet-Sbasti, Paris,
1995, p. 274. Le choix du terme chez Grgoire de Nysse nest donc srement pas sans rapport avec la tradition mythologique paenne.
1508
Cf. Antirrh. 152, 10, 26, 28 ; 171, 18. Pour une tude dtaille de ces termes, cf. J.-R. Bouchet, Le vocabulaire de
353
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passages o Grgoire utilise les termes de , dont le sens est trs proche de . Les deux verbes
sont utiliss comcurremment au sujet de la transformation du pain et du vin pendant lEucharistie : en plus des passages que J.R. Bouchet analyse propos de en thologie sacramentaire, on peut citer Or. Cat. , XXXVII, SC 453, p. 324, l. 120,
o Grgoire utilise . propos de lemploi de ce verbe au sujet de la rsurrection des corps, chez Grgoire, cf. Cant,
GNO VI, p. 30, 9.
354
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1514
Ex 4, 6-7.
On retrouve le mme verbe qui relve du mme procd que celui que nous avons indiqu
Vit. Moys. , II, 30, SC 1 bis, trad. J. Danilou, 1955, p. 40. Ce passage convie les notions philosophiques ,
, et qui appelleraient un commentaire, mais tel nest pas notre objet danalyse pour le
moment. Cf. infra, partie IV, chapitre 3 la divinit dans la mort et la rsurrection , p. 727-732.
1517
Cf. par ex. Irne, Adv. Haer., III, 21, 8, SC 211, p. 422.
1518
raison, peut-on penser, de la faon dont Grgoire formule le passage de la nature humaine passible limpassibilit. Mais
le texte prsente une description gnrale du mouvement de lincarnation, sans rfrence explicite la rsurrection des
corps. Dailleurs Grgoire introduit le miracle de laltration de la main droite de Mose en disant quil lui parat signifier
symboliquement () le mystre de la manifestation de la divinit aux hommes dans la chair du Seigneur
(), mystre qui dtermine la dfaite du dmon et la
libration de ceux quil opprimait (Vit. Moys. , II, 27, SC 1 bis, p. 39).
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1519
# ### ### ##### ### #### ### ##### ###### ############## ###### #####
######### ## ##### #########, ### ## ####### ######## ## ##########
####### ## ############. Celui donc qui a transform notre nature par la
puissance divine la garde, en lui-mme, exempte de tout dommage et de toute
1520
maladie, sans accepter, par un choix libre, la difformit qui vient du pch .
Dans la description de cette transformation () de lhumain en divin, la nature
humaine ne disparat pas, mais elle retrouve son intgrit premire ( ).
Cest en ce sens quelle est sauve (). Comme dans lascension dlie de
lAntirrheticus, cet extrait de la Lettre 3 associe les verbes et . Ce
rapprochement prouve bien que pour Grgoire le vocabulaire de la transformation dans un
contexte christologique est insparable de luvre de la rdemption.
La thmatique quexploite Grgoire en proposant une exgse typologique de laction
du feu dans lascension dlie semble tre une image privilgie dans la littrature
patristique pour dcrire lIncarnation. Nous avons relev un passage trs intressant chez
Cyrille dAlexandrie, postrieur luvre de Grgoire, o laction du feu est dcrite avec le
mme verbe pour symboliser luvre rdemptrice du Christ, dans lexgse
typologique dune vision dcrite par prophte Isae, 6, 6-7 : laction de la braise que porte
1521
lun des anges a pour vertu de brler tout ce quelle touche, dont le pch (cf. Is 6, 7) , de
la mme manire que laction du Christ gurit lhumanit blesse. Il sagit la dixime Scholie
sur lIncarnation :
1519
1520
Is 6, 6-7 : Lun des sraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise () quil avait prise avec des pinces
sur lautel. Il men toucha la bouche et dit : Voici, ceci a touch tes lvres, il efface tes fautes ( ) et pardonne
tes pchs ( ) .
356
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quil fait dj un avec lui, ainsi tu auras la mme conception au sujet du Christ
1522
aussi .
Le caractre typologique de lexgse de Cyrille est indiqu par la formule . Les
quelques versets vtrotestamentaires qui suscitent une telle forme dexgse sont ceux
qui appartiennent la littrature prophtique (en loccurrence Isae 6, 6-7) ou sont relatifs
la vie dun prophte comme dans le cas dlie. En outre, le choix de limage du feu pour
prfigurer laction du Christ, chez Cyrille, sexplique par le fait que, dans la vision dIsae,
il est le moyen de la purification du pch. Le schma argumentatif est le mme que chez
Grgoire : le Christ naltre pas sa nature divine en sincarnant (
), mais il transforme la nature humaine quil assume (
). Cyrille insiste, comme Grgoire, sur le fait que le feu ne fait quun
avec ce quil brle ( ).
Cette enqute dans la christologie postrieure la polmique de Grgoire contre
Apolinaire montre que le verbe tait un verbe technique qui dcrit la vertu
de lincarnation, illustre par limage du feu, dans des exgses typologiques.
1
Cyr. Alex., Scholia de incarnatione unigeniti, d. Ph. E. Pusey, S. Cyrillus, vol. VI, 783 E, Bruxelles, 1874 , rd. 1965,
p. 516.
1523
Cant.
GNO
VI,
295,
10-12
( , ,
),,
Dans tous les textes de Grgoire o lenlvement dlie est mentionn dans une rflexion sur lascension spirituelle de
lme, on retrouve en arrire-plan le mythe de Platon. Il apparat en filigrane soit par le vocabulaire utilis, les images, soit dans le
mouvement dcrit de lme, ou encore dans lantagonisme entre le corps qui alourdit lme.
1525
357
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1526
) . Dans son loge sur Basile, Grgoire exploite nouveau cet pisode sur
un plan spirituel mais en lien avec le contexte encomiastique dans lequel il prend place :
Theoph., p. 124, 3-5 : ...comme lie brlant de zle, ils avaient t emports par le feu dans une rgion cleste sans
Il y a srement en arrire-plan l encore le mythe de la procession cleste des mes dvelopp par Platon, dans le
Phdre, 249 a notamment. Mais Grgoire reprend la thmatique de la migration des mes, de leur lvation cleste en
fonction des vertus terrestres, en la rorientant dans une perspective chrtienne, comme latteste la prsence du ,
qui traduit lide que la vertu chrtienne sacquiert avec la grce divine.
1528
Bas. GNO X, 1, p. 125, 1-6 ; trad. O. Munnich, La Bible dans llaboration dun modle de saintet : lexemple de
lloge de Basile , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, op. cit., p. 208.
1529
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1530
Nous renvoyons louvrage dE. Poirot, Les Prophtes lie et lise dans la littrature chrtienne ancienne, Turnhout, 1997,
qui recense toutes les interprtations patristiques de ces deux figures de lAT. Cf. aussi larticle de Fr. Dolbeau et E. Poirot, Sur les
miracles dlie et lise , Sacris erudiri, 34, 1994, p. 135-164.
1531
Contre Celse, VI, 68, 12-29, SC 147, d. et trad. M. Borret, Paris, 1969, p. 348-351. En dehors de cet emploi, 2 Rg 2,
11 revient dans le Commentaire sur Jean 6, 71 (SC157, d. C. Blanc, Paris, 1970, p. 180-182) et 6, 77 (SC 157, p. 186) en
relation avec Jn 1, 21.
359
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Grgoire, dans une description du double mouvement de lincarnation (Dieu qui devient
homme, ", pour transformer lhomme en Dieu, ) que
lascension dlie est cite comme prfiguration de luvre du Christ, notamment de la
rsurrection du Christ. En ce sens, chez Origne comme chez Grgoire, lie est cit dans
un dveloppement rcapitulatif sur le sens de lincarnation.
Nos enqutes sur l'origine de linterprtation typologique dlie chez les Pres
antrieurs Grgoire, voire contemporains de celui-ci, nous ont montr que la plupart
du temps, l'enlvement d'lie sur un char de feu est l'objet d'allusions, sans trait
typologique, comme dans une pitaphe de Grgoire de Nazianze : sur un char de feu
1532
lie vint au ciel . Lemploi le plus proche de l'interprtation qui nous occupe chez
Grgoire de Nazianze se trouve dans le Discours 40, 6, sur le baptme, o l'auteur
numre une srie dpisodes vtrotestamentaires qui sont la lumire figurative (
) de Dieu, dans la loi crite qui esquisse la vrit et le mystre de la grande
1533
Lumire
( , ). Parmi
les vnements typologiques quil cite, il rappelle lenlvement dlie : ,
, ( Ctait une
1534
lumire, celle qui enleva lie sur un char de feu, sans brler celui qui tait enlev ) .
Basile, lui aussi, fait la mme mention de lenlvement d'lie dans une homlie sur
1535
le baptme . Ces quelques exemples montrent comment lpoque de Grgoire, la
lecture typologique de lascension dlie tait courante chez les Pres et sajustait aux
circonstances dnonciation, selon quelle tait dveloppe dans une homlie devant des
catchumnes, dans un discours spirituel, dans une polmique doctrinale, telle celle contre
Celse, ou quelle nourrissait limaginaire potique. Daprs tous ces emplois, la particularit
de lexgse de Grgoire dans lAntirrheticus reste cependant de sattacher llment du
feu.
Enfin, si on a pu constater que dans ses crits spirituels, les Homlies sur le Cantique
des cantiques ou Sur les batitudes, Grgoire commentait explicitement lascension dlie
la lumire du mythe platonicien de lattelage ail, dans lAntirrheticus, en revanche, le
rapprochement de lpisode biblique et du mythe philosophique parat beaucoup moins
vident. Il nous a sembl toutefois que la lecture typologique de lpisode par Grgoire
dans lAntirrheticus ntait pas sans rminiscences platoniciennes, hrites dune tradition
interprtative.
Dans lexgse de Grgoire contre Apolinaire, en effet, Dieu est compar au feu
parce quil est un tre sans forme matrielle dont la nature est cleste. Grgoire qualifie
ainsi la Puissance du Trs-Haut (Lc 1, 35) d . Or, chez
1536
Philon, dans les Quaestiones in Genesim transmises en latin , lascension dlie est cite
1532
pitaphe 100, PG38, 60 A. Cf aussi Carmina historica, II, 1, 51 (PG 37, 1396), Carmina theologica, I, Sur les prodiges
dlie le prophte et lise 1, 16 (PG 37, 478 A, l. 12), 2, 1 (546, A, l. 322), Discours 28, 19 (SC250, p. 138) ; Discours 40, 3 : le
char qui mne Dieu (SC 358, p. 202) ; Discours 33, 10 (SC 318, p. 178) ; 27, 9 (SC 250, p. 92, dans un emploi ironique contre
les eunomiens). Dans le Discours 28, 19 (SC 250, p. 138) lie est la figure de lhomme juste de faon surhumaine : lie, qui est-il ?
Celui quun char de feu enlve au ciel, montrant le degr surhumain de sa justice ( ) .
1533
1534
1535
Il sagit du baptme.
Gr. Naz., Discours 40, 6, SC 358, d. Cl. Moreschini, P. Gallay, Paris, 1990, p. 206-208.
Homlie d'Exhortation au saint baptme, PG 31, 428 C-D (de mme qulie slve vers le ciel, par leau, le baptis gagne
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pour commenter Gn 5, 34, qui relate celle dHenoch. Philon note, dune part, le caractre
miraculeux des deux enlvements dans les airs et dfinit, dautre part, lascension comme
un transfert et un accs un autre lieu (translatio, accessioque ad alterum locum). Et il
ajoute :
III. Conclusion
1537
Commentaire sur la Gense 5, 24-29, I, 86, uvres de Philon d'Alexandrie, vol. 34 A, d. et trad. rev. C. Mercier, Paris,
1979, p. 158-161.
1538
1539
ail de Platon tait formule explicitement. Dans notre passage de lAntirrheticus, cela est moins vident : seule la qualification de la
puissance divine, immatrielle et sans forme , peut tre interprte comme une allusion explicite.
1540
Phdre, 247 d.
361
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Nous avons cru bon de dvelopper lexgse par Grgoire de lascension dlie en
analysant son application des principes de lexgse typologique, la teneur christologique
de ce procd en rapport avec dautres extraits de Grgoire ou dautres auteurs patristiques
et en tentant de rechercher les sources de cette interprtation au sujet dlie. Nous avons
constat que la synthse entre lenlvement dlie sur un char de feu et le mythe platonicien
du char ail avait dj t faite par des auteurs patristiques avant Grgoire. Mais lcart de
Grgoire par rapport la tradition dominante tient au fait quil se concentre sur le feu du
char et non sur le personnage dlie. Ces diffrentes enqutes ont montr aussi combien
la teneur littraire de lexgse de Grgoire tait dense.
Lenjeu du commentaire de Grgoire nest pas de prsenter lie comme le type du
Christ, mais de formuler aussi un expos christologique qui rcapitule la dynamique de
lincarnation. En ce sens, le vocabulaire utilis dans lexgse reprend les concepts-clefs
de la rflexion doctrinale de Grgoire, prsente dans lensemble de lAntirrheticus. Mais en
exploitant la force de visualisation que suscite lpisode prodigieux de lascension dlie sur
un char cleste, Grgoire rvle sa mthode thologique qui consiste profiter de la force
de figuration des images pour lappliquer au sens des concepts abstraits de la thologie et,
partant, les expliciter. Cest en ce sens que, mme si Grgoire reformule ici sa thse de la
dynamique de lincarnation, ce quil fait aussi avec la parabole de la brebis perdue, traite en
amplification, avec son commentaire suivi de la knose et de lexaltation du Christ dcrites
en Ph 2, 6-11 avant notre passage ou avec limage du roseau pour expliquer le mouvement
final de la rsurrection, ou encore avec la mtaphore du Christ-mdecin qui gurit lhumanit
1541
blesse , lexgse typologique dlie napparat pourtant pas comme une simple redite.
Par consquent, au niveau de la pense thologique se superposent des analyses
rpondant deux types de critres. Les uns sont intrinsques : la description typologique
du feu doit correspondre laction de la puissance divine. Les autres sont extrinsques : le
discours sur le mouvement de lincarnation doit tre conforme aux autres dveloppements
labors partir de versets, dimages ou de concepts diffrents. La doctrine christologique
est nonce par de multiples approches partielles dans lAntirrheticus.
En somme, lhabilet de Grgoire consiste se rapproprier un passage digtique de
l'Ancien Testament en se concentrant sur un lment quil dveloppe de faon symbolique,
mais dont le sens est explicit en conformit parfaite avec la thologie de l'incarnation telle
qu'elle est expose tout au long de lAntirrheticus, que ce soit au niveau du vocabulaire ou du
mouvement argumentatif. Une telle exgse montre quel point Grgoire ne senferme pas
dans une tradition hermneutique, mais donne une mme thmatique une configuration
toujours nouvelle, profitant de la varit des rsonances que peuvent dgager les lieux
bibliques de polmique.
Enfin, daprs lAntirrheticus, on a remarqu le dsquilibre quantitatif entre la faon
dont est trait ce personnage chez Apolinaire et chez Grgoire. Il apparat comme une
simple mention dans lApodeixis (frg. 51), il est lobjet dune exgse dtaille et personnelle
de la part de Grgoire. Dans quelle mesure Apolinaire dveloppait-il lui-mme cet exemple
biblique ? Il est impossible de le savoir, mais quoi quil en soit, on ne peut que constater
lhabilet rhtorique et argumentative avec laquelle Grgoire retourne contre Apolinaire un
exemple quil avait utilis lui-mme. Ce dernier se servait de ce personnage biblique pour
exposer la diffrence entre un Dieu incarn et un prophte. Grgoire se sert du mme
personnage pour montrer au contraire quil prfigure on ne peut mieux le Verbe fait chair.
Mais ce faisant, ce nest pas lie qui attire son attention pour dvelopper son exgse
typologique, mais le mouvement du feu. Cette trouvaille nous semble reprsentative de
1541
362
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Nous reviendrons sur cette quivalence dans la partie IV, chapitre 1, Termes et enjeux de lanthropologie , p. 530-602.
1543
Antirrh. 209-213, 7.
363
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Prsentation gnrale
Au moment o Grgoire va examiner les preuves scripturaires de lanthropologie
dApolinaire, il dclare quil va donner un rsum de sa doctrine. Il dclare en effet :
### ##### ### #####, #### ## ######## ### ##### ######## #### ##
######## #### ### ########### ######## ######## #####. ## ##### ##### ###
######## ####, ######## ### ##### ### ######, ## ### ############ #####
### ### #### ############# ######### ############, ######### ### #######
### ##### ###### ##### ## #### ## #########, ####### ### ##### #######
#### ### #### ####### #### ######### ## ##### ### ### ### ########## #####
###########, #### ########## #### ############# ##### ####### ####
##########. ##### ######### ########### ##### ## #### #####, ### ##### ###
################ ## ####### ###### ## ### ###### #####, ## ### ######
########## ###### ##### ## ##### #### ### ##### ### ## ###. Mais laissons
cela aussi et abordons la suite du trait : jutiliserai mes propres mots par souci
de brivet. Apolinaire dit que lhomme est compos de trois lments, dun
1545
esprit, dune me et dun corps , comme le soutient aussi laptre dans lptre
aux Thessaloniciens (Cf. 1 Th 5, 23), et il introduit ce morceau de lhymne des
trois enfants : Bnissez, esprits et me des justes (Dn 3, 86), et ensuite, cette
parole de lcriture : il faut rendre un culte au Seigneur en esprit (cf. Rm 1, 9).
Il y adjoint la parole de lvangile par laquelle nous apprenons que ceux qui
adorent Dieu doivent ladorer en esprit (cf. Jn 4, 23). Aprs avoir expos cela, il
ajoute quelque chose de plus : la chair lutte contre lesprit (Rm 7, 23 ; Ga 5, 17).
1544
1545
Ce passage correspond au fragment 88 dans ldition dH. Lietzmann. Dans la mesure o il sagit dun rsum
explicite et non pas dune citation exacte, E. Mhlenberg nvoque pas le cas de ce passage dans son tude. En dpit de
la reformulation de Grgoire, tant donn le contenu des fragments suivants, Apolinaire devait formuler cet endroit de
lApodeixis une anthropologie trichotomite.
364
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Mais il dit que celle-ci nest pas sans me, afin de montrer par cela que lesprit est
1546
le troisime lment avec lme et le corps .
Telles sont les preuves scripturaires cites par Grgoire, daprs lesquelles Apolinaire tablit
son anthropologie trichotomite. Dans la mesure o elles ne sont pas mentionnes dans
une citation exacte de lApodeixis, on se demander si la liste de Grgoire est exhaustive ou
partielle. Lauteur aurait pu relever celles quil souhaitait rfuter. Toutefois, cette liste rvle
que cest surtout sur les ptres pauliniennes, et donc sur lanthropologie quApolinaire se
fondait pour laborer sa rflexion.
1546
1547
387. Parmi les autres versets qui suggrent une trichotomie anthropologique chez Paul, daprs lui, se trouvent les passages o
sont distingus la et le : Ph 1, 27 ; 1 Co 2, 13-14, 15, 45 ; He 4, 12 et 1 Co 15, 45-46 qui marque lopposition entre
et . Toutefois, prcisons que la vision trichotomite de lanthropologie paulinienne a t remise en cause dans
la critique exgtique rcente. Cf. infra.
1548
Cf. W. Gutbrod, Die paulinische Anthropologie, Stuttgart, Berlin,1934, p. 90 : Nous avons encore nous demander si Paul
na pas eu tout de mme une conception trichotomique de lhomme. Il est vrai qu cet gard, nous ne disposons que de 1 Thess. 5,
23, et lon ne peut tirer une affirmation de ce genre de ce seul passage . Lexgte formule prudemment le problme que pose
lexistence dune seule occurrence qui parlerait en faveur dune vision trichotomite de lhomme. En 1945, Ch. Masson dclare quil y
a deux types dinterprtations de la triade de 1 Th 5, 23, selon quon voit dans le lesprit divin dans lhomme ou,
simplement, lesprit de lhomme.
1549
A. J. Festugire, dans son article La trichotomie de 1 Thess. 5, 23 et la philosophie grecque , RechSR, 20, 1930, p. 385-415,
rpertorie tous les textes qui font allusion lanthropologie et les range selon quils prsentent une division dichotomite ou trichotomite
(cf. note 1, p. 385).
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1
4
Thessalonians, The Pastorals and Hebrews, New Testament Commentary, Washington, 1955 , 2007 , p. 142-150.
On traduirait ainsi cette seconde partie du verset : Que votre tre tout entier, corps, me et esprit, soit gard sans
Ch. Masson, Sur 1 Thessaloniciens 5, 23. Note danthropologie paulinienne , RThPh, 1945, p. 97-102 ; repris dans
Vers les sources deau vive, 1961, p. 208-215. Il fonde son analyse sur des tudes de rythme et dassonances, et rapproche cette
pricope des prires votives de la fin de certains ptres comme Ga 6, 18 ; Ph 4, 23 ; Philemon 25.
1553
1554
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Si la critique exgtique reconnat prsent que le verset nest pas comprendre comme
un expos anthropologique, Apolinaire, pour sa part, la compris dans une perspective
strictement ontologique. Pour lui, la triade utilise par Paul est la preuve que lhomme est
compos de trois lments, dun esprit distinct de lme, et dun corps. Cest du moins la
1555
faon dont Grgoire reformule sa pense
:
## ##### ##### ### ######## ####, ######## ### ##### ### ######, ## ###
############ ##### ### ### #### ############# ######### ############.
Lhomme est compos de trois lments, dit-il, dun esprit, dune me et dun
1556
corps, comme lAptre aussi lenseigne dans la lettre aux Thessaloniciens .
1. Premire tape argumentative
La rfutation de Grgoire, au contraire, consiste montrer, par le truchement dautres
passages de la Premire ptre aux Corinthiens,que les trois termes quemploie Paul
ne dsignent pas trois composantes de ltre humain, mais trois dispositions morales
intrieures. La trichotomie dont parle Paul est ainsi interprter dans un sens moral et non
pas mtaphysique :
## ### ### ######## ##### ##### ########## # ###### #### ## ### #######
##### #### ############### ###### ######, ######## ###### ##########
######## ## #####, ## ##### ### #### ### ####### #### ### #### #########
#### ### #### ###### ### #### ########### ######## #########, ### #######
####, #### ##### ### #### #### ########## ######## ### #####. Paul en effet
ne divise pas lhomme en trois parties daprs du moins notre raisonnement,
lorsquil crit cela aux Thessaloniciens, en priant le Seigneur de les sanctifier
entirement dans leur corps, leur me et leur esprit. Mais il y a une autre sagesse
1557
tout autrement leve qui sapplique au choix du comportement de vie , non
pas seulement dans ce passage, mais aussi dans les paroles quil adresse aux
1558
Corinthiens dans son discours .
1559
Cf. frg. 89, Antirrh. 209, p. 12-15. Ce fragment appartient originellement un syllogisme que Grgoire ne restitue pas
compltement. En tmoigne les citations fragmentes quen donne le Cappadocien quelques pages plus loin, lorsquil examine
lapplication christologique de cette trichotomie (cf. Antirrh. 213, 7-11 ; E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 70).
1556
1557
,
. , ,
. Celui qui a pouvoir sur tout a permis par excs de prix donn lhomme que quelque chose
soit aussi sous notre pouvoir, dont chacun soit, seul, matre. Cest cela la facult de choisir ; une aptitude exempte de
servitude et autonome, qui rside dans la libert de pense , Or. cat. , XXX, l. 33, SC 453, p. 280. Pour une tude dtaille
de cette notion daprs ses emplois dans lAntirrheticus, cf. Partie IV, chapitre 1, Le dbat anthropologique , p. 585 sq.
1558
1559
se trouve aussi en Or. cat. , XVIII, l. 26, SC 453, p. 232. Cf. ltude dA.-M. Malingrey, Philosophia, tude
e
dun groupe de mots dans la littrature grecque, des Prsocratiques au IV
sicle aprs J. C., Paris, 1961, p. 241. propos du
passage de lAntirrheticus cit ci-dessus, lauteur dclare : Ici, Grgoire sen sert pour opposer le Paganisme au Christianisme (...)
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1560
philosophique du progrs spirituel et moral, comme nous allons le voir . Fr. Vinel, dans un
article intitul Grgoire de Nysse et la rfrence aux ptres pauliniennes dans le Contre
Apollinaire explique que par cette formule lauteur introduit un autre niveau de lecture. Elle
ajoute que lexpression qui signale ce changement, , renvoie
lhermneutique des sens de lcriture, inspire par Origne : il faut quitter le sens littral
1561
( , ) . Or daprs nos enqutes dans les uvres dOrigne, le
terme de nest pas utilis pour parler dun niveau de sens hermneutique mais
1562
celui de lui est prfr . Enfin, nous navons pas trouv la formule
chez cet auteur. Toutefois, il est vrai quedans le passage du livre IV du Trait
des principes, consacr lexplication de la thorie hermneutique des trois sens de
lcriture correspondant aux trois parties de lhomme le , la , le ,
Origne voque, propos du niveau de sens moral qui touche la , les auditeurs
qui ne peuvent pas comprendre des explications plus leves , cest--dire spirituelles.
Il utilise alors le terme d. Peu aprs, pour expliciter ce quil faut comprendre
par niveau spirituel, il cite 1 Co 2, 7, o se trouve lexpression la sagesse ()
1563
cache dans le mystre . La similitude des termes entre le passage dOrigne, o
lcriture est prsente comme reclant trois niveaux de sens daprs les trois parties du
compos humain, et le passage de Grgoire, qui vise montrer comment la trichotomie
anthropologique doit tre comprise de manire morale et non ontologique, peut plaider en
faveur de larrire-fond orignien prsent dans linterprtation que Grgoire propose d1 Th
5, 23.
Pour le Cappadocien, les trois termes de , , renvoient
des dispositions morales intrieures qui sont le fruit dun acte libre de la volont
1564
() . Pour le prouver, le raisonnement de Grgoire procde en plusieurs
tapes.
Dabord, il met ce passage en relation avec les versets de la Premire ptre aux
Corinthiens qui font tat de trois hommes ; lun, charnel (), lautre, psychique
(), et le troisime, spirituel (). Il dclare en effet :
#### ### #### #### ######## ######## ### ########## ##### ###### ### ###
#### ### ### ### ####### ### ## ##### ######## ######## ############,
### ## # ######### ######### ### ###### ### ## #### ####### ### ########
###### ########## #######, ### ## ######## ####### #### ### ####
Lexpression dsigne la doctrine chrtienne et son retentissement sur la vie entire. Elle peut encore signifier la
science chrtienne des choses de Dieu : Ce que Mose a dit en quelques mots, notre matre [Basile] la dvelopp grce sa sublime
philosophie (cf. Hex. PG 44, 64 A) . Lauteur montre comment le terme signifie accder la connaissance religieuse,
ou renvoie un enseignement et une interprtation spirituelle, voire une forme dengagement chrtien (ibid., p. 242-261).
1560
Fr. Vinel, Grgoire de Nysse et la rfrence aux ptres pauliniennes dans le Contre Apollinaire , Grgoire de Nysse : la Bible
Il est possible de rapprocher dOrigne la conception par Grgoire de la . En effet, Origne ajoute la
signification aristotlicienne, selon laquelle la est la combinaison ncessaire de deux facteurs diffrents, le et l
pour expliquer laction (thique Nicomaque 1111b), la considration stocienne de l, de manire prouver la libert de lhomme
de disposer de lui-mme (cf. analyses de synthse de G. Lekkas, Libert et progrs chez Origne, Turnhout, 2001, p. 102-103 sq.).
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1565
##### ## ##### #### ### ######## ### #### ### #### # ### ##### #########
########## ##### #### ### ########## ### #### ## ### ### ### #####
######## ######### ######### #### ### ####### ###### ######## ##########.
Mais en disant cela, il ne dit pas que lhomme charnel est priv de lactivit de
lintellect ou de lme ni ne prsente lhomme spirituel comme en dehors de la
combinaison avec lme et le corps, ni ne suppose que lhomme psychique est
1569
sans intellect ou sans chair .
Dans ce passage, derrire largument principal, se profile une conception de lanthropologie
daprs Grgoire. Lme et lintellect sont l de la chair (
), le compos humain est une combinaison () du corps et
de lme, daprs une expression qui se trouve aussi dans son trait Sur la cration de
1570
1571
lhomme
, mais galement chez Nmsius dEmse . Dans cette tape argumentative,
1565
1566
, (Theoph. p. 124, 5) ; dans son homlie Sur lascension du Christ (Ascens. GNO IX, 325, 23 ; Macr. , XI, SC 178, p. 180 ;
Or. cat. X, SC 453, p. 206, 12-13 ; Bas. , 7, 12 ; 24, 36 ; PG 46, 793 D. Mais elle est rare chez les autres auteurs. Pour
Grgoire, le terme dsigne le poids du corps qui pourrait entraver lme dans son lan vers les hauteurs ou
dans lexercice de la pense. Plus gnralement, le terme dsigne tout ce qui empche la croissance dans la vie spirituelle
(Vit. Moys. , II, 317, GNO VII/1, p. 143, 8). Avant Grgoire, nous navons trouv quune occurrence de cette image chez
Plutarque, au sens premier de barque . Cf. De la tranquillit de lme, 476 a 8, CUF, uvres morales, tome VII, 1, d. J.
Dumortier & J. Defradas, Paris, 1975, p. 124.
1567
1568
1569
1570
1571
noplatonicienne pour dsigner le compos humain. Alexandre dAphrodise est lauteur qui lutilise le plus souvent, pour ne citer quun
exemple, cf. In Aristotelis analyticorum librum I commentarium, CAG, 2, 1, d. M. Wallies, Berlin, 1883, p. 264, 15. En revanche,
369
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Grgoire distingue donc les dispositions morales des lments du compos humain par une
varit de termes, parmi lesquels le est rserv pour dsigner la facult intellective
au niveau anthropologique, alors que le mot qualifie une disposition morale
spirituelle .
Largumentation de Grgoire repose sur dautres versets de la Premire ptre
aux Corinthiens qui ne sont pas cits explicitement mais qui constituent pourtant le
soubassement du raisonnement. On peut penser plusieurs passages, dabord 1 Co 3, 1
o Paul dit : je nai pu vous parler comme des hommes spirituels (), mais
comme des hommes charnels () . Certes, dans ce verset, il ny a pas les
termes psychique , spirituel et charnel , mais le seul antagonisme entre le charnel
1572
et le spirituel . Cependant, le verset correspond bien la perspective dinterprtation
de Grgoire. Parmi les autres passages de lptre susceptibles dtre pris pour rfrence
par Grgoire, on peut citer deuximement 1 Co 2, 14 : lhomme psychique (
) naccueille pas ce qui est de lEsprit de Dieu ( ) .
1573
Dailleurs titre dexemple dhomme spirituel (), Grgoire cite 1 Co 2, 15
immdiatement aprs dans son argumentation. Mais en 1 Co 2, 14, on trouve lopposition
entre et le de Dieu sans quil y ait de paralllisme strict ni la mention dun
homme charnel . Enfin, il est un troisime passage auquel Grgoire fait de toute vidence
allusion. Il sagit d1 Co 15, 44-46 : on est sem corps psychique ( ), on
ressuscite corps spirituel ( ). Sil y a un corps psychique, il y a aussi un
corps spirituel . Le contexte de ces versets nest plus celui des comportements moraux,
puisquil porte sur la rsurrection de la chair. En ce sens, le propos est lgrement diffrent
du raisonnement de Grgoire. Mais on retrouve le schma binaire avec lopposition entre
le corps psychique et le corps spirituel.
Lenqute sur les versets pauliniens qui prsentent la terminologie quutilise Grgoire
montre que la tripartition complte charnel , psychique , pneumatique ne
se trouve jamais dans un passage prcis de cette ptre aux Corinthiens. Il faut donc
combiner des versets qui ont t mentionns ci-dessus pour retrouver les trois termes de
Grgoire : , , , et ce, dans le cas de 1 Co 15, 44, au prix dune
entorse au contexte notestamentaire, mme si, finalement, la perspective morale que
soutient Grgoire rejoint celle de Paul. On observe ici un montage scripturaire o plusieurs
versets regroups constituent implicitement un jalon argumentatif dans la premire tape
de raisonnement.
Mais, tant donn que lon ne trouve pas explicitement chez Paul lnumration ternaire
que Grgoire lui attribue, le commentateur contemporain peut se demander si Paul est
la seule source laquelle Grgoire se rfre pour chafauder sa dmonstration des
1574
dispositions morales prdominantes ( )
propos de 1 Th 5, 23. La faon dont Grgoire qualifie chacun des trois comportements peut
servir dindice pour trouver les sources philosophiques et patristiques auxquelles lauteur
pourrait puiser, ou du moins pour dsigner la tradition laquelle il pourrait se rapporter.
parmi les auteurs patristiques, lemploi est beaucoup plus rare. En dehors de Grgoire, Eusbe lutilise. Cf. Praep. Ev., VI, 6, 31, GCS,
Eusebius Werke, VIII, d. K. Mras, Berlin, 1982, p. 304.
1572
Pour M. Canvet, ce verset prouve que ltre humain ne se subdivise pas en trois parties mais en deux seulement : la
chair et lesprit, tandis que le psychique est cette part de nous-mmes qui doit choisir entre deux modes de vie appropris notre
double nature (Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, p. 196).
1573
1574
Antirrh. 210, 7.
Antirrh. 210, 6 ou 14-15.
370
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Grgoire appelle en effet homme charnel celui qui est pris dans les passions et dans la
1575
matire ( )
ou encore qui est alourdi par le fardeau du corps
( ), ou qui aime les querelles et les jalousies. Il cite
titre dexemple le cas de 1 Co 5, 1 : lhomme quiprofane le lit de son pre sous leffet de
la passion. Lhomme spirituel (), pour sa part, est celui qui a sa pense dans
les hauteurs ( ), qui est accompli selon la vertu (
). Et Grgoire cite comme exemple le cas de lhomme qui juge
de tout mais nest jug par personne (
, ,
1576
[cf. 1 Co 2, 15]) . Enfin, il dfinit lhomme
psychique comme celui qui se trouve entre le spirituel et le charnel, autant infrieur lun quil
est suprieur lautre ( ,
1577
), parce quil a en commun quelques traits avec chacun
1578
deux ( ) ;
il est celui qui se situe entre ce qui est digne de louange et ce qui est blm (
), celui qui est dans chacun des deux,
parce qu la fois il possde un intellect en lui et quil est revtu de la nature de la chair (
1579
),
cest--dire quil est encore sujet aux passions mais tout de mme dirig par lintellect.
Or on retrouve la mme description des trois dispositions intrieures et la mme
1580
dmarche argumentative dans le trait de Grgoire sur la Cration de lhomme
:
,
,
,
,
,
,
, .
,
,
.
1575
Cf. la description que donne Origne de la chair et des passions qui affectent lhomme, pour dfendre la thorie de lme
comme intermdiaire entre la chair et lesprit. Il parle alors dune sagesse charnelle et matrielle (carnalis ac materialis sapientia)
par opposition la sagesse selon lesprit (secundum spiritum), De Principiis, III, 4, 2, SC 268, p. 204. La qualification de matriel
est donc associe au charnel.
1576
1577
1578
1579
1580
cette datation (cf. Die Chronologie des Lebens und der Werke des Gregor von Nyssa , art. cit., p. 57).
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,
, ,
,
,
, ,
,
,
,
,
. ,
, ,
,
"
,
."
,
.
La faon dont Grgoire conduit son raisonnement dans ce passage est trs
proche de celui de lAntirrheticus. Il part de la constatation que lcriture emploie trois
termes pour dsigner les lments du compos humain. En effet, elle voque tantt
le cur () pour dsigner lensemble corporel (
), tantt l me () comme instance intermdiaire entre le corps et
lesprit (), enfin lintelligence () pour dsigner la nature suprieure, la facult
de comprendre et dagir ( , ).
Les vangiles synoptiques servent alors de preuves bibliques.
De ces trois termes dcoulent trois choix de comportement, quil appelle aussi
, et les mmes versets de la Premire ptre aux Corinthiens servent encore
de base argumentative. Lhomme charnel aime le plaisir du ventre (1 Co 3, 1), lhomme
psychique se situe entre le vice et la vertu, et le spirituel prsente une vie parfaite
selon Dieu. Les proprits de ces trois tats intrieurs sont les mmes que celles qui sont
1586
formules dans notre rfutation , dans une perspective de progression morale vers la
1586
Parfois, on croirait reconnatre des reprises textuelles entre le trait de La cration de lhomme et lAntirrheticus, comme
la dernire phrase de lextrait donn, qui correspond exactement la remarque faite propos de lhomme psychique en Antirrh.
210, 20-21.
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###### #######, ####### ### ##### # #####, ### ### #### #### ########, ###
### ######### ### ## ####### ######## ### ######. Ainsi la nature, par les
proprits de la vie qui sont comme des degrs, parat faire sa route en avant de
1587
linfrieur au plus parfait .
Dans lAntirrheticus comme dans la Cration de lhomme, Grgoire ne se contente pas de
rinterprter 1 Th 5, 23 la lumire de 1 Co pour montrer que ce nest pas au niveau
ontologique quil faut comprendre la trichotomie de Paul, mais au niveau moral. Par ce
rapprochement scripturaire, il dveloppe une thorie du progrs spirituel, sinscrivant par
l dans une longue tradition philosophique et patristique, qui fait tat de trois tapes dans
le dveloppement de la vie intrieure de lhomme : les commenants, les progressants
et les parfaits. Or, dans la tradition patristique, la Premire ptre aux Corinthiens servait
de tmoignage scripturaire fondamental pour la thorie des degrs dinitiation chrtienne,
comme en atteste par exemple le Cinquime Stromate de Clment dAlexandrie o 1 Co et
1588
1 Th 5, 23 font partie des citations scripturaires lappui du raisonnement .
Mais la diffrence de Clment, pour qui 1 Co et 1 Th 5, 23 montrent les tapes de
la progression chrtienne en proportion de lenseignement spirituel reu ( le lait des petits
1589
enfants ) , dans une dmarche de purification qui mne la connaissance de Dieu,
Grgoire labore une classification des trois tats moraux, daprs leurs caractristiques
( ). Sur ce point, lorientation et la mthode ne sont pas
les mmes.
Or la classification des trois types dhommes est dveloppe plusieurs reprises chez
Philon avec des caractristiques de comportement similaires celles que Grgoire expose,
sans pourtant que les adjectifs , , soient employs. Par
exemple, dans le troisime livre de son ouvrage Legum Allegoriae, Philon voque lhomme
charnel comme celui qui est dpendant des plaisirs du ventre :
1590
( Ainsi, lami du plaisir marche sur le ventre ) . Or on retrouve
la mme qualification chez Grgoire pour les hommes charnels appels
1591
.
Pour Philon, le progressant ( ) est celui qui ne sait pas encore se
dtourner de la passion, mais qui tche de la discipliner par un discours bien mis au point
( ()
1592
) . Or Grgoire, de son ct, le qualifie comme tant celui qui est encore
sous lemprise de la chair, mais qui fait dj acte de raisonnement :
1593
. Et encore, Philon, dans son trait
1587
1588
) en 1 Th 5, 23 suscite un commentaire dans une perspective morale : lhomme purifi dans son corps et dans son
me ( ) (ibid. p. 126).
1589
1590
1591
1592
1593
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De Somnis, dfinit le progressant comme celui qui ne fait pas partie de ceux qui sont
morts la vie vertueuse, car il prouve pour le Bien dsir et ardeur, ni de ceux qui vivent
dans une perfection totale car il est encore en de du degr suprme , mais il touche
aux deux : ,
,
1594
,
.
Or lon voit Grgoire dfinir lhomme psychique comme celui qui est entre le charnel
1595
et le spirituel, au milieu des deux ( ) , qui partage quelque chose en commun
avec les deux (
). On retrouve donc des formulations trs proches chez les
deux auteurs.
Pour Philon, lhomme parfait ( ) est le sage occup retrancher toute la
partie irascible de lme querelleuse et la rendre douce, maniable, paisible et aimable
en tout, dans ses actes et dans ses paroles (
1596
)
, celui qui nest ni Dieu ni homme,
mais la limite de la nature inengendre et de la prissable (
, , ,
1597
) . Chez Grgoire, lhomme spirituel () est
accompli selon la vertu ( ), comme chez Philon, et il a
1598
pour caractristique dtre lev ( ,
1599
1600
), l o chez Philon, il est la limite entre le divin et lhumain .
De plus, si lon poursuit notre enqute chez Philon, on trouve dans le De Abrahamo
une classification de trois types dmes qui prsentent une qualit propre en vue de la
1601
perfection de la vie ( )
: tous les trois sont
raffins, mais tendus vers le beau, lun par ltude ( ), lautre par nature (
1594
1595
reconnat ladjectif une origine stocienne, surtout lorsquil est rapport la notion de (ce que nous avons vu dans
Leg. Alleg. III, 140, p. 250) pour la dcrire comme tant mi-chemin de la perfection. Dans le stocisme (SVF II, frg. 393, p. 130) ;
Quintilien, Inst. Orat. II, 20, CUF, d. J. Cousin, Paris, 1976, p. 102), les sont distingues de la vertu, seul art parfait.
Et pour Philon, la est en ce sens quelle peut tre oriente vers le bien ou vers le mal, suivant que lutilise l
ou le , le sage ou le mchant. Cf. aussi Origne, Com. in Rom., IV, 9 (PG 14, 905 A-B ; d. C. P. Hammond Bammel, Der
Rmerbriefkommentar des Origenes, Buch 1-3, Freiburg, 1990, p. 159) : la sagesse humaine, chose moyenne et indiffrente . Chez
Philon, soppose en De Mutatione nominum, 229, coll. uvres de Philon, 18, d. R. Arnaldez, Paris, 1964, p. 140.
1596
1597
1598
1599
1600
juin1961, p. 161-187, article repris par Fr. Vinel, Selon la nature : les paradoxes dun concept. Lapport de Grgoire de Nysse ,
extrait de la thse dhabilitation diriger des recherches soutenue en juillet 2007, Universit de Strasbourg II, paratre, p. 4, et surtout
p. 19-20. Je remercie lauteur de mavoir communiqu son travail avant sa parution. Elle y montre comment lhomme se trouve aux
confins de la nature mortelle et de la nature immortelle, qui fait sa parent au Logos divin. La perspective est lgrement diffrente
dans notre texte, puisquil est question des degrs de la perfection morale.
1601
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1602
#### ### ### #########, ### ########## ### ##### ####### #######,
####### ##### ### ############ ############### #### ### ########### ####
###### ######### ########### ####### #### ##### ### ##### ##### ######
##### #### ### ##### ########## #### #######, ## # ############# #####
## ### ##########. Mais il ne faut pas ignorer que chacun participe aux trois
qualits, et tire son nom de celle qui en lui est surabondante et lemporte sur les
autres. Il nest pas possible quun enseignement arrive sa fin sans la nature
ou sans lexercice ; et la nature nest pas capable daller jusqu son terme sans
quon tudie ou sans quon sexerce, et lexercice non plus sans quil ny ait
1603
dabord la nature et lenseignement .
Il est tonnant de remarquer quel point le raisonnement de Grgoire pouse la mme
logique que celui de Philon, o chaque appellation propre chacun des trois types
dindividus provient dune qualit prdominante. Philon parle cependant de l o
Grgoire emploie le terme .
En conclusion de lanalyse de ce premier mouvement argumentatif, au regard de la
comparaison avec certains passages de Philon, on observe comment Grgoire enrichit les
termes utiliss dans les ptres pauliniennes du sens philosophique concernant lthique.
chacune des trois tapes morales, Grgoire applique un adjectif quil reprend de Paul,
en lui donnant la densit smantique de celle des trois tapes vers la perfection morale lui
correspondant, allant du commenant, du progressant lhomme parfait.
Mais largumentation de Grgoire ne consiste pas seulement transformer en trois
dispositions morales progressives les trois termes de la bndiction finale de la Premire
ptre aux Thessaloniciens, elle donne aussi une dfinition de la perfection chrtienne.
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######. ##### ######## #####. Par consquent puisque Paul veut que non
seulement la manire de vivre leve de celui qui est accompli par la vertu lui
rende tmoignage, mais aussi qu chacune de ses actions relatives au corps, il
regarde vers Dieu, et qu chaque action relative ce qui se situe entre [le corps
et lesprit], il ne dlaisse pas l non plus Dieu ( que vous mangiez, dit-il, que
vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu (1 Co 10,
31), de sorte que mme dans les occupations qui concernent le corps, il
ne manque pas lobjectif quest la gloire de Dieu), aux Thessaloniciens, qui
passaient dj pour chercher le meilleur en tout, Paul promet une sanctification
totale par sa bndiction : Dieu vous sanctifiera tout entiers, et votre corps,
votre me et votre esprit compltement (1 Th 5, 23), cest--dire que tout ce qui
est proccupation corporelle, psychique ou spirituelle vise la sanctification. Tel
1604
est notre raisonnement .
Dans ce passage, Grgoire propose une dfinition chrtienne de la perfection morale. Avoir
la pense dans les hauteurs signifie regarder vers Dieu en toute chose, cest--dire que
toute occupation vise la sanctification . Ce faisant, Grgoire en vient expliquer 1 Th 5, 23
la lumire du contexte premier de la bndiction par laquelle Paul souhaite la sanctification
de tout ltre des Thessaloniciens. La bndiction sur le corps, lme et lesprit (
) porte sur chaque action qui concerne le corps ou lesprit.
La rfutation de Grgoire procde par un dtour argumentatif sur dautres versets
scripturaires (Premire ptre aux Corinthiens) pour mieux rebondir finalement sur le
contexte biblique initial de la Premire ptre aux Thessaloniciens. Entre temps, une
dfinition chrtienne de la perfection morale a t donne : la question des trois tapes vers
la perfection est rsume in fine dans la proccupation de ne pas dtourner son regard de
Dieu ( ). Chez Grgoire, lexgse morale est toujours
envisage la lumire du sens spirituel, qui est spcifiquement li la Rvlation du Christ.
Cest en ce sens que la faon dont Grgoire prsente ici la perfection revt un contenu
proprement chrtien, et nest pas la simple reprise dune tradition philosophique devenue
1605
commune .
Dans son analyse d1 Th 5, 23, lclairage de la Premire pitre aux Corinthiens,
Grgoire rpond son adversaire en dveloppant une anthropologie dynamique : en ce
sens, elle est chez lui plus tendantielle que substantielle, puisque lesprit, lme et le corps
ne sont pas de simples lments de la composition humaine, mais des options de vie. Cest
ce quont montr les tapes du raisonnement. Mais telle que largumentation de Grgoire est
construite, le lecteur est conduit reconnatre que cette conception dynamique de lhomme
chez cet auteur soppose la vision dApolinaire, qui est prsente de faon statique,
1604
Il y a une filiation de la pense de Grgoire avec celle dOrigne. En effet, dans son Commentaire sur Jean, il commente
1 Co 2, 14-15 en faisant remarquer au gnostique Hraclon que Paul oppose lhomme psychique au spirituel sans rpter le
mot homme : en effet, le spirituel est plus quun homme, car lhomme a pour marques distinctives son me ou son corps ou tous
deux, mais non lesprit qui est plus divin queux ; le spirituel au contraire porte ce nom cause du rle prdominant de lEsprit auquel il
participe ( ) (Commentaire sur saint Jean II, 138, SC 120 bis, trad. C. Blanc,
p. 302). Origne emploie ici la mme formulation dune prdominance du ou de la catgorie du spirituel, mais celle-ci est
chez lui ouvertement rapporte lEsprit Saint, alors que chez Grgoire il ny a pas daffinit clairement formule de ltat de lhomme
avec lEsprit Saint, et ce dautant moins que le comportement de lhomme est pour lui la consquence
dune de la volont.
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puisque lhomme est comme fragment en trois parties (sur la preuve de 1 Th 5, 23). Mme
si une telle prsentation fausse en partie la conception apolinarienne de lanthropologie,
comme nous le verrons dans notre prochain chapitre sur cette question, parce quApolinaire
dfend lui aussi une anthropologie dynamique, mais sous une autre forme, on peut
cependant prciser ce en quoi consiste laspect dynamique de lanthropologie grgorienne.
Linterprtation dynamique par Grgoire des termes de corps, dme et desprit,
exposs en 1 Th 5, 23 pourrait tre mise en rapport avec lanthropologie que la critique
reconnat chez Origne, selon quelle est prsente dans son Trait des Principes et dans
1606
son Commentaire sur Jean
. La comparaison entre les deux auteurs nous permettra
de mieux faire ressortir loriginalit de lexgse par Grgoire du verset paulinien dans
lAntirrheticus, et dapprofondir les analyses prsentes par Fr. Vinel dans son article :
Grgoire de Nysse et la rfrence aux ptres pauliniennes dans le Contre Apollinaire .
Fr. Vinel en effet considre que lhomme psychique chez Grgoire na pas de ralit
autonome mais peut tre orient vers la chair ou vers lesprit et que les expressions
1607
mentionnes ci-dessus mettent laccent sur le 2 plutt que sur le 3 . Or, daprs
les dfinitions de Grgoire que nous avons cites et traduites prcdemment, lhomme
psychique a bien une existence qui se situe entre le charnel et le spirituel, si on le
considre dans une dynamique de progression intrieure par tapes vers la perfection. Cest
prcisment, selon nous, ce qui distingue sa conception anthropologique de celle dOrigne,
parce quil se rfre dans lAntirrheticus aux trois tapes du dbutant, du commenant et
du parfait que Philon avait dj dveloppes. La faon dont Origne, dans lexposition de
son anthropologie trichotomite, parle de lme qui se tourne tantt vers la chair ou tantt vers
lesprit est trs diffrente de ce quon lit chez Grgoire. En effet, chez Origne, lme ()
est un lment intermdiaire entre lesprit et le corps, et non pas une partie . Elle est le
sige de la personnalit et doit dcider de sa propre qualit spirituelle ou divine, charnelle
ou dmoniaque. Parmi de multiples passages qui illustrent cette thorie, retenons celui du
Trait des Principes III, rdig en rponse ceux qui croient en lexistence de deux mes
diffrentes dans la composition humaine, une me mortelle et une me immortelle. Pour
Origne, lme est libre de suivre soit la volont du corps tourne vers la matire et de
commettre ainsi le pch, soit la volont de lesprit tourne vers Dieu, et de ressembler
alors son Crateur :
Constat quod hujus animae voluntas media quaedam est inter carnem et
spiritum, uni sine dubio e duobus serviens et obtemperans, cuicumque
obtemperare delegerit, quaeque cum se delectationibus carnis subdiderit,
carnales homines facit et propter hoc spiritalem nominari. Quod designare
videtur apostolus, cum dicit : vos autem in carne non estis, sed in spiritu
(Rm 8, 9). Il est clair que la volont de cette me est comme un intermdiaire
entre la chair et lesprit, servant sans aucun doute lun des deux et obissant
celui qui elle a choisi dobir : et lorsque cette me sest soumise aux
1606
H. Crouzel, Lanthropologie dOrigne dans la perspective du combat spirituel , Revue dasctique et de mystique, 31,
955, p. 365. Pour le moment, nous nous attacherons caractriser la diffrence entre la conception dynamique de lanthropologie de
Grgoire et celle dOrigne. La question nest pas encore dexposer linterprtation par Origne de 1 Th 5, 23, dont on verra par la
suite quelle tait aussi utilise comme preuve de la trichotomie anthropologique linstar Apolinaire.
1607
Fr. Vinel, Grgoire de Nysse et la rfrence aux ptres pauliniennes dans le Contre Apollinaire , Grgoire de Nysse :
377
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1608
dlectations de la chair , elle rend les hommes charnels, mais lorsquelle sest
jointe lesprit, elle fait vivre lhomme dans lesprit et pour cela il est appel
spirituel. LAptre semble indiquer cela lorsquil dit : Mais vous, vous ntes pas
1609
dans la chair, mais dans lesprit
.
Pour Origne, la caractristique principale de lme est lactivit libre, la principale
1610
caractristique du est lactivit vivifiante . Si lme se tourne vers le , elle
souvre son influence vivifiante, sinon, elle sen prive. Dans un tel raisonnement, les trois
composantes de lhomme sont exploites dans la mesure o elles impliquent deux types de
comportement, lun tant charnel (carnales homines), lautre spirituel (spiritalem).
Plus loin, Origne ajoute :
Anima vero priusquam convertat se ad spiritum et unum efficiatur cum eo, dum
adhaeret corpori et de carnalibus cogitat, neque in bono statu videtur esse neque
manifeste in malo, sed esse animali, ut ita dixerim, similis. Avant de se tourner
vers lesprit et de devenir avec lui une seule chose, lme en effet, tant quelle
adhre au corps et a des penses charnelles, ne semble tre ni dans un bon tat
ni expressment dans un mauvais, mais elle est semblable, pour ainsi dire,
1611
lanimal .
Pour Origne, si lme ne se range ni la voie de lesprit, assimile au bien moral, ni
la voie de la chair, considre comme la source du pch, elle demeure dans un tat
dindiffrence. Peut-tre faut-il comprendre cette similitude avec lanimal comme le fait de
ne pas assumer une vie morale, mais dans le fait de rester un tat de vie biologique.
Prsente comme telle, lanthropologie dOrigne, mme si elle intgre trois notions (corpsme-esprit) fonctionne de faon bipolaire. Lme est linstance qui se tourne vers lun ou
lautre ple, et lorsquelle ne se range pas lesprit ou la chair, elle na pas de consistance
relle.
Donc lorsque Fr. Vinel dclare propos de notre passage de lAntirrheticus que le
, lhomme psychique, peut tre orient vers la chair ou vers lesprit, quil est le lieu du
, autrement dit de la mobilit, et plus spcialement de la , linclination au bien
1608
La chair est lamour charnel de lme pour le monde que Dieu a cr. Cf. Origne, Commentaire sur le
Cantique des cantiques 1, 2 : Si ista omnia corporalia contempsisti () et ad nullum horum tua anima colligata est
neque quoquam vitiorum amore retineris, potes amorem capere spiritalem , si tu as mpris toutes les choses
corporelles, () et si ton me nest plus retenue par rien de cela, et si tu nes pris par aucun amour des vices, alors
tu peux comprendre lamour spirituel , SC 37, d. O. Rousseau, Paris, 1953, p. 65. Lhomme charnel est celui dont
lhgmonikon est souill par la matire et qui ne peut donc pas voir la lumire divine. Cf. Com. in Johan., XIII, 278 :
,
"" : Et aucun homme du moins demeurant dans les passions, fondu dans la chair ou
emptr dans la matire, na observ le commandement qui dit Levez les yeux (SC 222, trad. rev. C. Blanc, Paris,
1975, p. 180). Pour une rflexion densemble sur le sens de la chair et de lesprit chez Origne, cf. G. Lekkas, Libert et
progrs chez Origne, op. cit., p. 219-222.
1609
1610
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1612
ou au mal, vers les passions ou vers Dieu , elle se rfre lanthropologie dynamique
dOrigne dont elle rapproche celle de Grgoire. Elle qualifie ltat de lhomme psychique
mentionn dans lAntirrheticus avec les notions origniennes, , , qui ne se
trouvent pas explicitement formules dans lexgse de Grgoire. Mais dans quelle mesure
peut-on dfinir lhomme psychique comme daprs largumentation scripturaire de ce
passage chez Grgoire ? Il caractrise en effet cette catgorie intermdiaire dhommes
psychiques qui possdent un intellect et il se trouve dans la nature de la chair (
) : le et la sont alors
conus ici par Grgoire comme deux composantes de ltre humain, par diffrence avec
1613
ltat psychique , qui lui, correspond une disposition morale intermdiaire . Fr. Vinel
montre que Grgoire soutient ici un schma dichotomite, o le a quelque chose en
commun avec la chair et avec Dieu et nest pas considr par Grgoire comme une instance
part soi la faon dApolinaire : le est en communion avec les deux, comme
1614
il est dit dans ce passage , alors quApollinaire sautorisait de lautonomie du pour
faire du divin le du Christ incarn. Lexplication nyssenne repose donc sur
une conception dynamique de lhomme. Au passage, il souligne lidentit entre et
1615
, lme apparaissant comme le lieu des choix . Une telle analyse, qui se fonde sur
lquivalence entre le et la , propose une lecture orignienne de lanthropologie
prsente dans lexgse de ce passage par Grgoire, et met laccent sur la conception
dichotomite de lanthropologie chez Grgoire. Or, nous semble-t-il, lenjeu argumentatif de
lexgse d1 Th 5, 23 par Grgoire nest pas de soutenir une dichotomie anthropologique
plutt quune trichotomie, mais de montrer que la triade des termes anthropologiques de
1 Th 5, 23 est prendre sur un plan moral et non pas ontologique. Pour Fr. Vinel, Grgoire
soulignerait lidentit entre et lme apparaissant comme le lieu des choix,
1616
des orientations et non comme une partie spare , parce que Grgoire prsente
lhomme psychique comme ntant ni exactement charnel ni spirituel. Mais justement, toute
sa dmonstration vise distinguer ltat de lhomme psychique de celui de lhomme spirituel,
et exposer en quoi son comportement correspond une tape bien dfinie dans les
trois degrs vers la perfection morale, comme on la vu chez Philon. Il ne semble donc
pas y avoir didentit entre le et la , tirs d1 Th 5, 23 et interprts dans
le sens dhommes psychique et spirituel par Grgoire. Certes, dans dautres
parties argumentatives de lAntirrheticus, Grgoire revendique effectivement une dfinition
1617
de lhomme plutt dichotomite , se situant alors un niveau ontologique, mais selon nous,
ce nest pas lenjeu de cette exgse d1 Th 5, 23.
Cette mise en relation de la faon dont Grgoire comprend linteraction des notions
de , de et du avec celle dOrigne fait ressortir deux conceptions du
dynamisme anthropologique qui pouvait dcouler de linterprtation de 1 Th 5, 23. Chez
1612
1613
1614
1615
1616
1617
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de Rm 7, 23).
1623
1624
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## ## ##### ############ ### ###### ##### ### #### ########### ### ## ###
##### ### ### ##### ########## ########## ### ## ####### ###### ########
### ######, ### ######### ## ### ########## ## ##### ### ###### ## ##
###### ############; ### ######### ## ## ########## ############ ##
############# ### ### ### ########### ########### ##############; ###
## ### ##### ### ###### ####### ####### # ############ ### ########
#### ######### ###### ####### ### ### ### ###### ############; ####,
### ######### ######, ## ###### ## ##### ## ########### #### #######
####### ## # ####### ### ###### ######### ### ##### ## ### ## #### ###
### ########## ######### ##########, ### ## ########## #### ### ######
######## ### ### ########## ####### ### ## ### ####### ####### ## ###
######## # #### ## #### ########## ################ #### ###### ####
######### # #######. Mais si Apolinaire dit que dans ce verset lintellect est
bni en particulier et de mme pour le corps et lme, pris sparment, et que
lAptre envoie la puissance de la bndiction sur chacun deux distinctement,
comment le corps garde-t-il son intgrit, une fois dsagrg compltement
dans la mort ? Comment garde-t-il son intgrit, le corps qui est oppress par
1625
la privation , amaigri et pourri par un asservissement trop dur ? Comment
pourrait-on dire que ce pauvre Lazare ne fut pas priv de la bndiction, lui qui
tait rong par tant de plaies et puis par les ulcres (cf. Lc 16, 20) ? Mais,
cest paradoxal dire, sur ce corps en dliquescence cause des plaies, la
bndiction de Paul sappliquait en totalit : son corps tait sauv dans son
intgrit avec lme en raison de son comportement spirituel, parce quil ne fut
pas dtourn de lesprance plus leve, par des souffrances de la chair, vers
des penses inconvenantes. En effet, la chair na pas provoqu le dtournement
de son me et sa pense na pas t non plus trouble par les affections de son
1626
corps .
Par cet exemple, Grgoire veut poser les limites de lexgse de 1 Th 5, 23, o la bndiction
porterait sur trois parties du compos humain : si une partie venait disparatre ou
tre trs mal en point, comment comprendrait-on la bndiction sur la partie atteinte ?
Comment concevoir alors lintgrit de la bndiction ? Cette aporie sert de confirmation
au raisonnement de Grgoire : les trois termes prsents dans la bndiction sont donc
prendre sur un autre plan, qui est moral. Aux yeux de Grgoire, en somme, lerreur
dApolinaire consiste prendre sur le plan mtaphysique un verset qui en soi a une valeur
thique.
1625
: terme important dans la tradition chrtienne et particulirement monastique, qui signifie labstinence ou
la continence, et qui est souvent mis en regard avec dautres vertus ou activits spirituelles (cf. Gr. Nys., Vit. Moys. , II,
274, SC 1 bis, p. 119 ; Virg. , VI, 2, 24, SC 119, p. 346 ; XX, 3, 5, p. 496, propos de continence ; Basile, Homilia De Jejunio,
PG 31, 189 B, propos dabstinence de nourriture). Ce terme sert aussi qualifier la diffrence de comportement moral
entre les paens et les chrtiens. (Cf Cl. Alex., Strom., 3, 7, 57-59 ; Thodoret de Cyr, Haereticarum fabularum compendium,
PG 83, 553 A etc.). Pour une tude plus dtaille sur cette notion, cf. lart. de Th. Camelot, egkrateia , Dictionnaire de
spiritualit, IV, 1, 357-370. H. Chadwick, art. ENKRATEIA, Reallexicon fr Antike und Christentum, V, 343-365, auxquels
renvoie M. Aubineau, SC 119, Virg., n. 8, p. 347.
1626
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Il est intressant de noter que lexemple avec lequel Grgoire corrobore son
raisonnement est dvelopp avec des termes du registre asctique : il parle du corps
qui est affaibli par la maladie et la privation, rompu une servitude trop rude (
). Or Lazare semble tre devenu le type emblmatique de lascte dans
la tradition patristique, celui qui malgr les souffrances corporelles ne sest pas dtourn
de Dieu : on le trouve cit plusieurs reprises dans les diverses rgles asctiques de
1627
Basile . Par exemple, dans son Asceticon magnum 2, Lazare est mentionn dans un
commentaire sur la Batitude heureux les pauvres de cur , et prsent comme le sage
qui a embrass la pauvret et se dirige selon la volont de Dieu :
1628
. Dans dautres passages, il est le modle de celui dont lesprance
1629
ne dfaille pas . Et Grgoire exploite cette figure de la mme manire, comme le montre
la fin de lextrait cit : ( parce quil ne fut pas dtourn de lesprance plus leve, par des
souffrances de la chair () la chair na pas provoqu le dtournement de son me et la
pense na pas t non plus trouble par les affections de son corps ). Or, dans le texte
de lvangile, le personnage de Lazare nest pas dcrit comme modle de celui qui espre,
contrairement la faon dont Grgoire et Basile le prsentent. Cela nous induit penser
quil y a plutt une superposition de la figure de Job sur celle du pauvre Lazare dont
parle Luc.
Ce nest pas un hasard si au point culminant de sa dmonstration sur les trois
comportements moraux correspondant trois tapes de la perfection chrtienne, Grgoire a
choisi dvoquer Lazare, qui tait associ par la tradition chrtienne lascse monastique.
Selon nous, cela tmoigne de la densit et de la varit du matriau rfutatif de Grgoire.
Ce dernier joue sur plusieurs tableaux la fois : il rfute linterprtation de son adversaire en
proposant un autre niveau de lecture ; le procd utilis pour ce faire consiste rapprocher
le verset de 1 Th 5, 23 de la Premire ptre aux Corinthiens. La dmonstration repose donc
dans un premier temps sur un truchement scripturaire de plusieurs versets, enrichi du thme
des trois tapes dans la progression chrtienne, qui provient dune tradition philosophique
et patristique. Puis elle est confirme par une illustration ou une tude de cas du personnage
du pauvre Lazare de lvangile, retravaill la manire dun ascte, modle de la perfection
chrtienne aux yeux de lauteur.
Cette longue analyse aura montr la nature du dbat, qui consiste en une diffrence
de niveau de lectures, non que lun en reste au niveau littral alors que lautre interprte
un verset un niveau plus lev, spirituel. Mais lun prend le verset dans une perspective
ontologique, alors que lautre comprend le sens littral selon un angle strictement moral.
Cest sous une autre forme que se retrouve le mme cart de niveau interprtatif dans
la deuxime preuve scripturaire allgue par Apolinaire et examine par Grgoire : Dn 3, 86.
Pour exemple, Basile, Asceticon paruum, CSEL, 86, 1986, d. K. Zelzer, p. 155, 6 (Lazare est pris comme exemple du
pauvre dont parlent les Batitudes), Regulae fusius tractatae, PG 31, 1049 C.
1628
1629
PG 31, 1217 D.
Basile, Asceticon paruum, CSEL, 86, d. K. Zelzer, p.125, 10 ; Asceticon magnum 2, PG 31, 1169 D.
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# ## ### ##### ###### ###### ####### ### ##### ####### #### ######### ###
########## ############# ### #### ### ##### ###### ############ #######
### ##### ## #######, ##### ############ ######. Lhymne des trois enfants
qui convie les esprits et les mes des justes une louange commune nenjoint
pas les mes louer sparment, ni les esprits, sparment des mes, comme le
1633
pense Apolinaire .
Grgoire formule ici lessentiel du problme pos par linterprtation dApolinaire, qui
prsente ainsi au lecteur, ne parat pas pertinente. Le contexte argumentatif de
lApodeixis manque pour mesurer lintrt de lanalyse dApolinaire, mais la faon dont ses
contemporains lexpliquent aidera mieux la comprendre. Daprs ce quen dit Grgoire,
on peut supputer quApolinaire comprenait le doublet mes et esprits des justes sur
un plan strictement anthropologique, comme si deux parties du compos humain taient
nommes ici.
En atteste la premire tape de la rfutation de Grgoire, qui pousse labsurde une
telle interprtation :
1630
1631
1632
(Antirrh. 209, 3-12) et quil reprend ensuite chaque verset en conservant le mme ordre que lnumration. On a la preuve ici dune
rfutation linaire.
1633
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### ### ## ####### ### ##### ####### ##### # ### ### ######## ##########;
#### ### ######## ##########, ##### ### ######## #######, ###### #### ###
####### ## ### ########### ######### #######. ## ### ### ### ####, #####
##### #####, ########## ### ##### ###; ####### ####### ##### #### ###
######## ########## ### ##### ## ###, ##### #### ##### ##### ## #######.
## ## ### ##### #### ## #### ### #### ######, ### ####### ### #### ########;
Quelle louange particulire lme pourrait en effet tre rendue par celle-ci
sans le concours de lintelligence ? Car lme prive dintelligence est celle dun
animal dpourvu de lactivit de la raison et de la pense, comme je lai dj
1634
souvent dit . Pourquoi donc sparer lintellect de notre me, comme le dit cet
homme ? Admettons quil soit possible que la louange soit rendue Dieu par les
esprits, puisquil appelle les esprits intellect. Mais sil pense que lme est autre
1635
chose que lintellect, comment lhomme sans intellect louera-t-il Dieu ?
Le raisonnement de Grgoire consiste prendre la lettre la distinction opre par
Apolinaire entre lesprit et lme, et dvelopper le contenu de dans le sens de la
facult intellective (, ). Grgoire fait donc
un glissement smantique, orientant linterprtation au niveau strictement ontologique : le
est pris dans le sens du humain puisquApolinaire fait une synonymie de
1636
ces deux termes ( ) . Si la prsence de lintelligence
humaine est ncessaire pour laction de louer, comment un tre sans raison peutil faire acte de louange ? Le raisonnement de Grgoire invalide immdiatement la
position de ladversaire qui distinguerait la louange de lesprit et celle de lme, si lon
en croit linterprtation que Grgoire rapporte de lui. Or, dans ce passage, la rflexion
du Cappadocien prsuppose une conception bipartite de lhomme, compos dune me
raisonnable et dun corps. Lme prive dintelligence ( )
est celle dun animal () et non celle dun homme. Cette dichotomie anthropologique
invalide par elle-mme, dune premire faon, la distinction que fait Apolinaire dans lacte
de louange puisque lintelligence est comprise comme une facult de lme. Grgoire ajoute
une confirmation sa rfutation :
### ### ### ##### ####### ### ### ## ####, ##### ### ### ##### ##########
######## ### ### ###### ######## ### #### ### ### ### #########
##########; En outre, en quoi lme aurait-elle besoin de lintellect si elle se
suffisait elle-mme pour la louange divine, chantant lhymne delle-mme sans
1637
avoir besoin du concours de lintellect ?
Cet argument confirme dune deuxime faon lerreur de perspective interprtative par
Apolinaire au sujet de Dn 3, 86, sil en reste au niveau ontologique.
Dans un deuxime temps argumentatif, Grgoire va montrer par un syllogisme que le
doublet esprits et mes des justes ne renvoie pas des lments du compos humain,
mais dsigne les anges et les hommes :
1634
1635
1636
On entrevoit ici un problme de discordance lexicale entre les versets bibliques qui parlent du et le discours doctrinal
dApolinaire qui utilise le terme de . Nous reviendrons sur les problmes poss par cette quivalence dans la partie IV, chapitre
1 : Le dbat anthropologique , p. 559-569.
1637
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Majeure : les mes (#####) aprs la mort, spares du corps, sont des esprits
(#######) semblables ceux des anges. Preuve scripturaire allgue : Lc 20, 36
1640
(les hommes ressuscits ne peuvent plus mourir car ils sont semblables
aux anges ). La similitude des anges et des hommes consiste en une galit de
valeur (######). Mineure : Or les anges sont des esprits. Preuve scripturaire :
1641
Ps 103, 4 ( celui qui a fait de ses anges des esprits ) . Conclusion : mes
ou esprits des justes dsignent par mtonymie deux sortes dtres ; les
hommes ressuscits et les anges.
Le lecteur contemporain pourra stonner de voir que Grgoire comprend ce verset non
plus dans une perspective anthropologique, qualifiant ltat de lhomme terrestre, selon
laquelle les termes desprit et dme renvoient des composantes de la nature humaine,
mais dans une perspective eschatologique : les esprits et les mes dsignent
par mtonymie les hommes ressuscits et les anges . Dans le contexte danalyse des
preuves anthropologiques, une telle interprtation peut apparatre surprenante.
Grgoire fait-il allusion ici un matre prcis, ou des auteurs antrieurs lui, dont lautorit serait reconnue sur
ce point ? Si nous nous rfrons ltude de M. Dulaey, Les trois hbreux dans la fournaise (Dn 3) dans linterprtation
symbolique de lglise ancienne , RSR 71/1, 1997, p. 33-34 spcialement, lpisode des trois enfants dans la fournaise
tait abondamment utilis dans la littrature patristique pour voquer le salut ternel et la rsurrection.
1639
1640
Il sagit de la pricope o les Pharisiens posent Jsus un cas dcole : celui de la femme qui pouse ses sept frres
successivement : qui est son poux ? La partie du verset qui intresse Grgoire (Lc 20, 36 a) correspond la rponse de
Jsus : les hommes, une fois morts, et semblables aux anges ne se marient plus.
1641
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e
IV sicles proposaient de Dn 3, 86. Nous en exposons quelques unes qui nous paraissent
reprsentatives, dont le profit sera double. Dune part, elles permettront de comprendre
comment Apolinaire et Grgoire pouvaient en venir interprter le verset de manire si
diffrente. Dautre part, elles mettront en vidence les sources dApolinaire.
Cf. Hippolyte, Commentaire sur Daniel, II, 25, SC 14, d. G. Bardy, M. Lefvre, Paris, 1947, p. 162-163 ; Tertullien, Scorpiae
8, 4-7, CC 2, series latina, d. A. Reifferscheid, G. Wissowa, Turnhout, 1954, p. 1083, 8-28 : Cyprien, Epist., 58, 5, CSEL III/2, d.
G. Hartel, 1871, rd. 1965, p. 660.
1643
1644
Cf. Irne, Contre les Hrsies, 5, 29, 2, SC 153, p. 368-369, 37-40 : Ananias, Azarias et Misal furent jets dans la fournaise
de feu, prophtisant par cela mme qui leur arrivait lpreuve du feu que subiront les justes la fin des temps (trad. A. Rousseau) ;
Tertullien, Sur la rsurrection, 58, 6-10, CC 2, p. 1006, 19-36 ; Hippolyte, Commentaire sur Daniel, II, 28, 6-7, SC 14, p. 170.
1646
M. Dulaey signale un usage liturgique de ce passage dans la vigile pascale, et montre comment lpisode de la fournaise pour
signifier la foi en la rsurrection est trs ancien dans le christianisme, o il est probablement un hritage juif (cf. art. cit., p. 46).
1647
e
Ds la fin du III sicle, la version de Thodotion a vinc celle de la LXX. Cf. ltude dO. Munnich, La Bible grecque des
Septante. Du judasme hellnistique au christianisme ancien, Paris, 1988, p. 153.
1648
1649
Stromates, I, 21, 123, 3, SC 30, d. Cl. Mondsert, M. Caster, Paris, 1951, p. 137.
In Danielem, PG 81, 1334 ; Quaestiones in Genesim 2, PG, 80, 80.
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1653
1654
1655
p. 180.
1653
1654
la fournaise (Dan 3) lu par Jean Chrysostome , Revue dhistoire et de philosophie religieuses, 71, 1991/3, p. 315.
1655
Cf. Hippolyte, Commentaire sur Daniel, II, 32, 5 et 9 ; SC 14, p. 180-182. Lide que le quatrime homme est le Fils de
Dieu est devenu un lieu commun. Cf toutes les rfrences que donne M. Dulaey, art. cit., p. 43.
1656
Par exemple, le commentaire de lhymne de Dn 3 par piphane, dans son Ancoratus, 24, 5 (GCS, p. 33, 10), vise
montrer comment toutes les cratures sont invites louer Dieu : les esprits des justes et les mes des saints qui dsignent
les cratures (ce que sont aussi les anges, cf. GCS, p. 33, 5).
1657
1658
Cf. Hippolyte, Commentaire sur Daniel, II, 29, 11, SC 14, p. 174.
Ibid., p. 174, note a. p. 175 : les anges du Tartare, sont mentionns dans Philosophumena., X, 34, o
ils sont qualifis de (d. Hippolytus Werke, III, Elenchos, d. P. Wendland, Leipzig, 1916, p. 292 ;trad. fr. A. Siouville, coll.
Les textes du Christianisme, VI, Paris, 1923). Le terme de est trs rarement employ dans la littrature patristique (cf.
Apocalypse de Pierre, 16, 34). Pour la reprsentation des anges dans limaginaire antique et juif, cf. art. Dictionnaire de Spiritualit,
vol. 1, col. 581 et sq.
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######### ###, ####, ####### ### ##### #######, ### ###### #########,
## ########## ### ####### #####, ## ### ########## ##### #########
########, ## ### ######## ### ##### ###########. Bnissez, en effet
dit-il, le Seigneur, esprits et mes des justes (Dn 3, 86), cest--dire les mes
spirituelles des justes, celles qui se trouvent au-dessus des passions humaines,
1661
celles qui ont reu la grce de lEsprit .
Le verset est compris non plus dans une perspective eschatologique, mais simplement
morale : Thodoret considre le doublet esprits et mes des justes comme un hendiadyn
puisquil le reformule avec les termes d mes spirituelles . Celles-ci dsignent pour
lui les hommes qui agissent sous la motion de lEsprit Saint (
), par opposition ceux qui sont encore dans les passions de la chair (
1662
) . Or Thodoret prcise encore la synonymie entre lme et lesprit
du verset de Dn 3, 86 dans sa Lettre 147 et il ajoute un dtail prcieux : De mme les anges
ont t appels esprits () par David, lauteur des cantiques . Et il cite lappui le
1663
Ps 103, 4 de faon non littrale . Or dans sa dmonstration de lAntirrheticus, Grgoire
1659
1660
Carmina dogmatica, I, 33, PG 37, 515, 4-8. Cf. trad. Cl. Moreschini, Gregorio Nazianzeno, Poesie/1, Rome, 1994, p. 68.
1661
1662
1663
Faut-il comprendre que cette formule dsigne la condition humaine terrestre par opposition au temps eschatologique ?
Lettres, 147, SC 111, d. Y. Azma, Paris, 1965, p. 218, l. 10-13.
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1664
de Nysse justifie le fait que les anges sont des esprits par le Ps 103, 4 prcisment .
On constate donc que mme si Grgoire peut avoir un raisonnement personnel, quil
labore sous la forme du syllogisme, il remploie des associations scripturaires quil na pas
inventes, mais qui devaient circuler son poque.
Ces quelques extraits auront ainsi remis en perspective largumentation de Grgoire
dans les diffrents courants interprtatifs de son poque, permettant ainsi de mieux
comprendre lhorizon rsurrectionnel par rapport auquel il interprte le passage, ainsi que
la mention des anges par mtonymie. Mais on constate par l-mme quaucun auteur ne
propose la mme exgse que Grgoire qui fait des esprits et des mes (Dn 3, 86) les
anges et les hommes par mtonymie. Linterprtation de Grgoire savre donc originale.
Origne, Commentaire sur Matthieu, XIII, 1, GCS 40, Origenes Matthaserklrung, X, d. E. Klostermann et E. Benz,
Origne, Commentaire sur lptre aux Romains, PG 14, 856 A ; 1104 A (d. C. P. Hammond Bammel, Der
Rmerbriefkommentar des Origenes, vol. I, Buch 1-3, Freiburg, 1990, p. 69 et vol. III, Buch 7-10, 1998, p. 555).
1667
1668
389
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Lintention dans laquelle les deux versets sont cits par Origne rejoint celle dApolinaire, au
point quon peut poser lhypothse que le Laodicen se rfre lanthropologie dOrigne
lorsquil dveloppe la sienne propre.
Nous avons poursuivi notre enqute chez dautres auteurs postrieurs Origne
et avons trouv les mmes associations scripturaires dans des dveloppements sur la
question anthropologique.
1669
"####### ### ##### ####### ######### ### ######", ### ##### ############
#######. ## ## # ######### ###### ##### ## ##### #### ### ##### ########
### ### ##### ##[]##### ### ### ##### ### #### ### ##### ### ##### ##
#########[#] ### ######## ########. ## ## #### ##### ########### ##### ###
########## ######### ####### ## ##### ## "####### ### ##### #######"
########### ##### ### ##### #### ## #####. Esprits et mes des justes,
1669
Si lon en croit les analyses de J. Lebon, dj anciennes, dans son introduction au volume 15 des Sources Chrtiennes,
p. 13, ces lettres dateraient des annes 340. Elles sont donc antrieures lApodeixis et lAntirrheticus.
1670
Athanase, Premire lettre Srapion, PG 26, 548 C-549A ; SC 15, d. J. Lebon, Paris, 1947, p. 93-94 (trad. fr.).
1671
P. Nautin, dans son introduction au texte, Didyme, Commentaire sur la Gense, SC 233, Paris, 1976, p. 20, reconnat
e
quil est impossible de dater prcisment ce commentaire Sur la Gense, rdig dans la deuxime moiti du IV sicle. Il est donc
contemporain des textes de la controverse anti-apolinarienne.
1672
Cette question propos de Gn 1, 26 sq. est provoque par le fait que Philon, dans son commentaire sur ce verset,
admettait trois parties en lhomme : le corps, lme et lintellect () et appliquait limage de Gn 1, 26 au (cf. De opificio
mundi, 69, uvres de Philon 1, d. R. Arnaldez, Paris, 1961, p. 186).
390
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1673
bnissez le Seigneur, indique leur avis la mme chose . Mais ceux qui ne
veulent pas que lesprit soit autre que lme disent que lcriture dsigne par
esprit la pense, ou que cest lme elle-mme qui est appele esprit. Ceux
qui refusent cette interprtation rpondent quen employant la conjonction de
coordination et dans lexpression : esprits et mes des jutes, lcriture
1674
montre que lme est autre chose que lesprit .
Dans la suite, Didyme dclare que pour tablir que lhomme est compos dune me et dun
1675
corps, on peut produire un extrait trs clair du Nouveau Testament : Mt 10, 28
.
Cet extrait de Didyme montre comment des contemporains et prdcesseurs
dApolinaire prenaient les mmes preuves scripturaires que lui pour lanthropologie. Il ntait
pas seul comprendre le doublet esprits et mes en Dn 3, 86 sur un plan ontologique
comme deux ralits distinctes. Mais on ne peut pas penser non plus que Didyme fait
allusion ici la thse dApolinaire en particulier, puisque la srie des preuves scripturaires
quexpose Didyme ne correspond pas exactement celle de lApodeixis daprs ce que
Grgoire de Nysse en rapporte (Rm 8, 16 et Mt 10, 28 ne se trouvent pas dans la srie
rapporte de lApodeixis).
Ces quelques passages auront montr que le point de controverse anthropologique
abord dans lAntirrheticus sous langle scripturaire tait dj un objet de discussion entre
e
e
les thologiens du III et du IV sicle.
En conclusion de ces analyses sur le verset Dn 3, 86, on reconnatra quApolinaire
sinscrit dans une tradition patristique bien dfinie concernant lanthropologie biblique,
lorsquil en vient formuler sa propre conception dans son Apodeixis. On peut mme poser
lhypothse de lexistence dune collection de versets scripturaires, prte lemploi (o
figurait le terme de ), que les auteurs reprenaient et adaptaient en fonction de leur
argumentaire thologique, parmi lesquelles Apolinaire puise galement. Toutefois, nous
observons lissue de ces analyses quOrigne est le seul des auteurs que nous avons
trouvs exposer la srie de 1 Th 5, 23, Dn 3, 86 et Jn 4, 23 dans son Commentaire sur
lEptre aux Romains enchanement que lon retrouve exactement chez Apolinaire. Les
autres auteurs mentionnent Rm 8, 16 (qui nest pas chez Apolinaire) mais ne citent jamais
Jn 4, 23. tant donn que lorientation dmonstrative est la mme chez Apolinaire et chez
Origne, on peut formuler lhypothse dune filiation interprtative spciale entre ces deux
auteurs du point de vue anthropologique.
Par ailleurs, la confrontation des diffrentes exgses patristiques sur Dn 3, 86 fait
ressortir la singularit de linterprtation de Grgoire, qui sexplique certes par le contexte
hermneutique de son poque, mais qui dans la forme syllogistique quelle revt, reste
personnelle et originale.
1673
Il sagit de la thse selon laquelle le terme de en Dn 3, 86 ne dsigne pas la personne de lEsprit Saint, mais
lesprit de lhomme. Didyme ne donne pas de nom des thologiens qui dfendent une anthropologie trichotomite. Mais il
pense probablement Origne, qui est lune de ses sources pour son commentaire sur la Gense.
1674
1675
la fois lme () et le corps () . On peut poser lhypothse que ce dernier verset est une trouvaille personnelle de Didyme,
car nous ne le trouvons dans aucun des autres commentaires patristiques consults, qui prsentent cette srie scripturaire. Ou alors,
Mt 10, 28 tait aussi allgu par une autre tradition qui nous a chapp.
391
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On constatera in fine que la position des deux adversaires dans ce dbat sur le seul
verset de Dn 3, 86 prend sens et trouve sa pertinence lorsquon le lit la lumire des
e
diffrents horizons interprtatifs du IV sicle, car celle de Grgoire tranche nettement avec
le contexte anthropologique du passage polmique.
# ## ##### ##### ## ####### #### ########## ### #### ## ### #### ##### ##
########## ### ########, #### ## # #### ######## ##### #### ## ##### ###
######### #####. ###### ### # ######### #### #### ### ###### ## ###### ####
########## ### #### ## ## ############ ## ####, #### ### ### ### ########
######## ####, ### ##### #### #### ### ########### ## ### ######## # #####,
### ##### # ####, ######### #######, ### #### ############# ##### #
######## ######## ############ ########, ### ## ####### ##########
####### ### ###########. ############## ### ### ########### ##### ####
####### ########, ### ## ######## ## ####, ## ## ##### ########### ####
######### ##########. Quand le Sauveur dit quil faut adorer Dieu en
esprit (Jn 4, 23), il ne dsigne pas lintellect par lappellation desprit, mais veut
faire comprendre quil ne faut pas avoir de reprsentations corporelles au sujet
du divin. En effet, puisque la Samaritaine dit au Seigneur quil faut adorer Dieu
sur la montagne comme dans un lieu dlimit ce qui nest pas en dehors dune
conception corporelle le Logos dit celle qui sest carte de la vrit, que
Dieu est esprit (Jn 4, 24), cest--dire incorporel, et que ceux qui ladorent
ne peuvent sapprocher corporellement de celui qui est incorporel, mais quils
1677
doivent accomplir leur acte dadoration en esprit et en vrit . Il donne en
1676
Les fragments exgtiques dApolinaire sur Jean ne contiennent aucun commentaire de Jn 4, 23. Cf. J. Reuss,
Johanneskommentare aus der griechischen Kirche, frg. 17 in Jo 4, 13-16, Berlin, 1966, p. 10 : le seul commentaire quil nous reste de
lpisode de la Samaritaine porte sur le sens de leau jaillissant en vie ternelle dont parle Jsus et quApolinaire interprte comme
ltant leau spirituelle ( ), par opposition leau corporelle ( ). La mme terminologie
que dans la rfutation de Grgoire est employe dans ce fragment par Apolinaire, pour marquer lopposition entre le matriel et le
spirituel, qui dsignent deux niveaux de ralit.
1677
On aura remarqu que Grgoire rintroduit dans son explication le doublet en esprit et en vrit prsent en Jn 4,
23, l o Apolinaire, daprs la faon dont Grgoire le prsente, ne se concentrait que sur lesprit .
392
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### #### #### "## #######". ### ### ##### ######## <##> "## #######"
######## # ######### #### #### "#####" ####### ##. #### ### ### ## ######
"########## ###" ## ######### "## #######", #### "######## ##############"
### ## ####### ### #### "### #######". Il nous a enseign par l que ce
nest pas dans la chair quil faut adorer Dieu (Jn 4, 23), ni par des victimes
charnelles, mais en esprit. En effet, lui-mme aussi sera compris par analogie
comme Esprit dans la mesure o on lui rendra une adoration en esprit et de
faon intelligible. En outre, ce nest plus en figures quil faut adorer le Pre, mais
1678
Toutefois, Grgoire ne va pas jusqu assimiler ici le lEsprit Saint. Pour les principales questions dinterprtation
que pose ce verset, cf. la synthse de J.-M. Poffet, et les rfrences de critiques exgtiques quil donne sur ce passage dans La
mthode exgtique dHraclon et dOrigne, commentateurs de Jn 4 : Jsus, la Samaritaine et les Samaritains, Fribourg, 1985, p. 51.
1680
Les adorateurs des temps messianiques sont qualifis de vritables () de par leur lien avec l quest le
Christ. Ils le seront ensuite (v. 24) par rapport au premier terme de la double expression johannique, cest--dire par rapport lEsprit.
Cet ordre mme est une confirmation : laccent porte sur vrit, lEsprit la rend possible . Telle est la conclusion de J.-M. Poffet au
sujet de lexgse orignienne de Jn 4, 23 (La mthode exgtique dHraclon et dOrigne, p. 52). Il nous semble que cest dans
la mme ligne interprtative que se situe Grgoire de Nysse.
393
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dans la vrit qui est venue par le Christ Jsus, aprs que la loi eut t donne
1681
par Mose .
Dans son explication de Jn 4, 23, Origne explicite le avec ladverbe,
et par consquent, on comprend do Apolinaire interprte le verset sur un plan strictement
anthropologique, pour faire de un quivalent de . Il ne fait que reprendre une
1682
tradition interprtative, ou se rfre mme peut-tre directement lexgse dOrigne .
Mais linterprtation dOrigne est aussi proche de celle de Grgoire, par un autre ct, car
dans cet extrait, il repousse limagination dune prsence locale de Dieu comme dans un lieu
corporel ( ), qui impliquerait limpit de la concevoir comme divisible, matriel,
corruptible. Chez Origne, la formule de Jn 4, 23 nest pas
interprte comme un hendiadyn, mais les deux termes ont un sens bien distinct : ce qui est
dans lesprit ( ) nest pas dans la chair ( ) ce que Grgoire appelle
1683
, ce qui est dans la vrit ( ) nest pas en figure ( )
ergo Apostolus Deo, non in corpore, neque in anima, sed in meliore sui parte, id est in spiritu ( lAptre adore donc Dieu, non pas
dans son corps, ni dans son me, mais dans la meilleure partie de lui-mme, savoir lesprit ) (PG 14, 856 A ; d. C. P. Hammond
Babel, Der Rmerbriefkommentar, op. cit., p. 69).
1683
Commentaire sur lvangile de Jean (in Jo 13, 18), XIII, 18, GCS 4, d. E. Preuschen, Leipzig, 1903, p. 242, l. 16-17. Cf. aussi
Cf. In Epist. ad. Rom, PG 14, 856 : 1 Th 5, 23 ; Jn 4, 23 ; Dn 3, 86 sont cits dans une explication de Rm 1, 9 (854 B-856
Gr. Naz., Discours thologiques, 28, 30, SC 250, p. 170 ; cf. aussi 28, 13, p. 126. Chez Grgoire de Nysse, cf. Eun. III,
5, 17, GNO II, p. 166, 2 (dans un dveloppement o il sagit de prouver que le Fils est de mme nature que le Pre) ; Eun. III, 10,
4, GNO II, p. 290, 7.
394
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Discours 31, 12, SC 250, trad. P. Gallay, p. 298. Grgoire de Nysse en fait la mme utilisation dans sa Rfutation
dEunome, 183,pour dfendre la pleine divinit de lEsprit (cf. GNO II, p. 389, 22 et 390, 4). Cf. aussi [Ps-Basile], Contre
Eunome V, PG 29, 744 C ; Basile, dans son trait Sur le Saint-Esprit cite galement ce verset en lien avec Jn 15, 26 ;
Ps 50, 12-14 comme preuve de la divinit de lEsprit (De Spir,9, 22 ; 18, 47 ; 19, 48 et 26, 64, SC 17 bis, d. B. Pruche, red.
2002, p. 322, 14 ; p. 412, 10 ; 416, 12 ; 476, 7).
1688
Cela montre trs bien quel point dans le discours de polmique, lcriture est utilise comme une parole actualise selon non
395
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prcisment le pronom possessif qui pourrait dmontrer que lesprit, dont il est question
dans ce verset, renvoie lanthropologie et ne dsigne pas lEsprit Saint. Cest la raison pour
laquelle, daprs les tudes respectives des exgtes sur lptre aux Romains et lvangile
de Jean, le sens du terme en Rm 1, 9, comme nous allons le voir, a une signification
1689
distincte de celui des versets Jn 4, 23-24 .
1689
H. Ridderbos, dans The Gospel of John, trad. angl. J. Vriend, Cambridge, 1997, p. 163, considre que lesprit constitue
un hendiadyn avec la vrit (cf. Jn 1, 17) et quil signifie que le temps du salut est venu avec le Christ et quil indique une
nouvelle voie dans laquelle Dieu veut entrer en relation avec ltre humain. Cf. aussi E. Schweizer, TDNT VI, Michigan, 1969, p. 439 :
ne signifie pas tant la pense de lhomme, ou son intelligence, que ce qui en lui fait sa ressemblance Dieu, un lment
immatriel et intrieur . Formellement, cest un terme ontologique, comme dans la pense hellnique. Matriellement, cela implique
la reconnaissance que sa ralit se tient dans la personne de Jsus.
1690
Platon, Apol., 9, 23 b, CUF, t. 1, d. M. Croiset, Paris, 1966, p. 148 ; Euripide, Ion, 152, CUF, t. II, d. H. Grgoire, Paris, 1965,
p. 188 ; Plutarque, Dialogues pythiques, 405 c-407 e, CUF, uvres Morales, t. VI, d. R. Flacelire, Paris, 1974, p. 72-78 ; Traits,
Du bavardage, 512 e, CUF, uvres morales, t. VII, d. J. Dumortier, Paris, 1975,p. 252, ( propos de la Pythie), etc.
1691
1692
1693
C. E. B. Cranfield a donn une liste de huit interprtations sur ce verset dans A critical and Exegetical Commentary on
the Epistle to the Romans, vol. I, Edimbourg, 1979, p. 76-77.Pour R. Jewett, Pauls Anthropological Terms : A study of Their Use in
Conflict Settin, AGSU, 10, Leiden, 1971,p, 197-198, le pneuma est une rfrence ici lEsprit Saint, mais lEsprit adapt Paul ( the
Spirit of God apportioned to Paul ). G. Fee, Gods Empowering Presence, Peabody, 1994, p. 485-486, voit une rfrence la fois
lesprit humain et lEsprit Saint. Mais pour la plupart des exgtes, la prsence du pronom exprimant la possession dnote quil
sagit de lesprit humain. Dautres exgtes comme H. Strack, P. Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament, III, Die Briefe des
Neuen Testaments und die Offenbarung Johannis, Munich, 1978, p. 26, expliquent que la formule est utilise
chez les rabbins propos de la prire. Pour une synthse complte des diffrentes positions de la recherche en 1996, cf. Douglas
J. Moo, The Epistle to the Romans, The New International Commentary on the New Testament, Cambridge, 1996, p. 58. Ce dernier
propose comme hypothse de voir dans le terme de pneuma une insistance sur lengagement profond de la personne intrieure dans
le ministre auquel Paul est appel (ibid. p. 58).
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1695
###### ##### #### ###### #### ## #### #### ## #####, ### ## #######
1699
######### #### ## ##### ################. Pour cette raison , Paul dit
quil faut rendre un culte au Seigneur ni dans un lieu ni dans un corps, mais en
1700
esprit, suivant ainsi la vrit .
Dans son exgse, Grgoire interprte le verset de faon tronque sans le remettre dans
1701
son contexte initial du dbut de lptre . Il occulte totalement la prsence du dans
. Mais il se sert de la dichotomie chair-esprit/corps-esprit quil avait dveloppe
dans son commentaire de Jn 4, 23 pour expliciter le sens du mot esprit en Rm 1, 9, par
opposition ce qui est corporel. Cest de la mme faon quOrigne dans son Commentaire
sur lptre aux Romains commentait le verset, et particulirement le membre de phrase cui
servio in spiritu meo :
Servire in spiritu simile mihi videtur esse, imo et amplius aliquid quam adorare
in spiritu, sicut et ipse Dominus dicebat ad Samaritanam mulierem : Venit hora,
et nunc est, quando veri adoratores adorabunt Patrem in spiritu et veritate Sed
Paulus non solum adorat in spiritu, verum et deservit in spiritu . Rendre un
culte en esprit me semble tre semblable, et mme un peu plus fort quadorer
en esprit, comme le Seigneur lui-mme le disait aussi la femme samaritaine :
lheure vient, et cest maintenant, o les vrais adorateurs adoreront le Pre en
1695
Cf. Plage, Comm. Ep. Rom, I, PL 30 [Ps-Jrme], 648 A : in tote corde meo et prompta devotione mea (pour la
question de lattribution de ce texte, cf. A. Souter, The Earliest Latin Commentaries on the Epistles of St. Paul, Oxford, 1927, p. 96-138).
J. Calvin, Commentaires sur le Nouveau Testament, vol. III, Paris, 1855, p. 18 : vraie crainte et droite humilit desprit ; A. Maillot,
Lptre aux Romains. ptre de lcumnisme et thologie de lhistoire, Paris-Genve, 1984, p. 49-50.
1696
12
O. Michel, Der Brief and die Rmer, Kritisch-exegetischer Kommentar ber das Neuen Testament, 4, Gttingen, 1963 ,
p. 81.
1697
1698
1699
1700
1701
Cf. Kl. Haacker, Der Brief des Paulus an die Rmer, Leipzig, 1999, p. 33.
397
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esprit et en vrit (Jn 4, 23). Mais Paul non seulement adore en esprit, mais rend
1702
aussi un culte en esprit .
On peut supposer quil y a une filiation interprtative de Grgoire par rapport Origne
dans la mesure o le rapprochement de Jn 4, 23 et Rm 1, 9 a lieu pour exposer la mme
ide. La seule diffrence tient au fait que Grgoire commence par interprter Jn 4, 23 avant
Rm 1, 9 la diffrence dOrigne et dApolinaire, qui sattachent Rm 1, 9 avant le verset
1703
johannique . Mais le procd exgtique reste le mme : il consiste faire entrer en
consonance deux versets dont la forme syntaxique et lexicale sont proches, et interprter
lun la lumire de lautre, hors de leur contexte respectif.
Pour mieux voir le statut des versets tirs de lptre aux Romains dans la srie
scripturaire utilise par Apolinaire afin de prouver que lcriture expose une anthropologie
tripartite (--), rcapitulons les analyses prcdentes. Apolinaire se fonde
sur :
1702
In epist. ad Rom. I, PG 14, 855 C-856 A ; d. C. P. Hammond Bammel, Der Rmerbriefkommentar des Origenes,
I,p. 68-69.
1703
Dans lnumration des preuves bibliques dApolinaire, que Grgoire donne au dbut de son analyse, Rm 1, 9 prcde Jn 4,
23. Cest lindice quApolinaire devait les traiter dans cet ordre.
1704
Trad. BJ, d. 1999 : Mais japerois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et menchane la
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1706
Rm 7, 23 nest pas cit textuellement, mais les auteurs en retiennent le sens . Le verbe
, emprunt au registre militaire, ne se trouve dans le Nouveau Testament
1707
que dans ce verset . Dans le contexte de lptre, Paul voque une autre loi qui lutte
contre la loi de lintellect ( ), la
loi du pch qui rgit les membres humains. Le mot loi () est ici mtaphorique
et dsigne la puissance du pch en action dans la personne humaine, faisant obstacle
son dsir dadhrer la volont de Dieu. Dans ce passage de lptre, la loi du pch
fait de ceux quelle atteint une masse de captifs de guerre destins tre vendus
1708
comme esclaves (Rm 7, 14) . Paul parle la premire personne, se donnant ainsi en
exemple, l o les auteurs patristiques purent le texte des lments grammaticaux qui
renvoient la premire personne de singulier et en font une rflexion gnrale, alors
que cest la prsence des pronoms personnels dans ce verset paulinien qui leur permet
dinterprter les notions et dun point de vue anthropologique. Daprs la
faon dont Grgoire y fait allusion dans son Antirrheticus, la synonymie de et de
1709
est sous-entendue dans le dbat . Lexgse ne porte donc pas sur ce terme en
tant que tel, mais plutt sur lantagonisme entre la chair et lesprit. Par ailleurs, ce verset
fait merger dans le dbat la quatrime notion de , qui ne recouvre pas le mme sens
quavait le terme en 1 Th 5, 23. Les thologiens argumentent donc en associant des
terminologies bibliques diffrentes (esprit-me-corps et chair-intellect). En loccurrence, une
telle diversit terminologique dans lcriture ne semble pas poser de problme aux auteurs,
qui ne cherchent pas dfinir dans ce passage de lAntirrheticus les nuances de sens entre
et par exemple.
Lexgse que devait donner Apolinaire de Rm 7, 23 dans son Apodeixis apparat si
lon rapproche notre extrait de lAntirrheticus dun passage tir de lAnacephalaisis ,o
Apolinaire dit :
1706
Cf. la distinction par C. Darbo-Peschanski entre la citation de mot et la citation de sens (La citation dans l'antiquit, op.
cit., p. 18). Dans le cas de Rm 7, 23 voqu dans lAntirrheticus, il sagit dune citation de sens .
1707
La mtaphore militaire a t elle-mme commente par les Pres, cf. Origne, Comment. In epist. ad Rom. VI, PG 14, 1055
Parmi les dbats exgtiques autour de ce verset, cest le terme de qui suscite diverses interprtations (Douglas Moo,
The Epistle to the Romans, Cambridge, 1996, p. 451), parce quil figure dans un contexte argumentatif plus large o Paul oppose
lexistence pr-chrtienne, sous la loi mosaque (v. 7-13), Loi qui nest pas pch, lexistence chrtienne sous la loi de lEsprit. Pour
ce critique, Paul assimile la loi de la chair la loi du pch, la propension naturelle de lindividu pcher, par opposition la loi de
Dieu, qui est un principe intrieur moral. Le dont il est question ici est le sige raisonnable de la personne. Mais Paul insinue
que lintellect est le sige de la loi de Dieu, ibid. p. 464.
1709
Ce que prouve entre autres le rapprochement scripturaire que fait Apolinaire dans le fragment 22, o il met en parallle la formule
de Ga 5, 17 ( , la chair dsire contre lesprit ) et celle de Rm 7, 23, o une autre loi est dite
combattre la loi de lintellect ( ).
399
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soumettent pas lui, prenant lintellect pour un adversaire. Mais si tel est le cas,
1710
celui qui subit cela ne ressemble pas lui-mme Dieu .
Apolinaire veut prouver par ce verset, o lanthropologie est applique au Christ, quil ne
peut y avoir en celui-ci de conflit intrieur entre la chair et le , car son esprit ()
est Dieu (cf. Rm 8, 5), sinon, il ne serait pas Dieu. Le traducteur moderne se trouve ici
bien gn de traduire le terme de , qui, rendu par intellect en franais, comme
nous lavons fait systmatiquement, apparat rducteur : le mot esprit serait peut-tre la
meilleure traduction dans ce passage paulinien. Selon le raisonnement dApolinaire, Dieu ne
peut en effet sincarner dans un homme qui lutte contre Lui-mme, sinon il ne serait pas Dieu.
Ce verset permet donc Apolinaire de montrer un niveau strictement anthropologique que
lcriture, en parlant dun combat entre la chair et lesprit, distingue en ralit lesprit de
lme qui anime la chair. Par consquent, au niveau christologique, lhumanit du Christ
ne peut pas tre de mme nature que celle de lhomme normal, afin que soit prserve
lintgrit de sa divinit.
Dans lAntirrheticus, Grgoire rfute son interprtation de la faon suivante :
## ## ###### ### # #### ## ### ### #### ### ###########, ####### ####
### ### ####### ##### ###### ### ####### ## ### ################ ###
############ ### ############# ### ##### ## ####### ###########
##### #########. ### ## ###### ### ## # ########## ###. ######, ##
##### ########### ##### ###### ## ##############, ###### #### ###
### ########## #######. #### ### #### ####### ####, ### #######
### ############ ##### ## ##### ########, ## # ######## ##### ###
############ ### ###### ######### ### ## ######### ######## ########.
1711
Le fait de dire que la chair nest pas soumise la loi de Dieu (Rm 8, 7)
constitue en lui-mme largument qui confond lerreur de leur doctrine : en effet,
se rebeller (Rm 7, 23), asservir (Rm 7, 23), ne pas tre soumis (Rm 8, 7) et
autres choses semblables sont des activits de la libre dcision. Mais sil ny a
pas dintellect, il ne saurait y avoir non plus de libre dcision. Donc cette chair
quApolinaire dit doue dune me et capable de dcider, il reconnatra quelle
nest pas non plus prive dintellect. Alors, mme si la chair est nomme seule,
elle contient en elle la dfinition complte dhumanit ; de sorte que sil manquait
quelque chose de ce qui contribue la plnitude de la nature [humaine], on ne
1712
pourrait plus nommer homme ce qui reste .
Le Cappadocien rfute Apolinaire par le biais de Rm 8, 7, o est dveloppe la mme ide
dune rbellion de la chair. Mais en Rm 8, 7, la chair nest pas dite lutter contre lintellect,
mais contre Dieu lui-mme. L o Apolinaire veut montrer lantagonisme entre la chair et
1710
Anacephalaisis , 30, Lietz. p. 246. Cf. aussi, ibid., 10, Lietz. p. 243 : le combat de la chair et de lesprit est
La faon dont Grgoire introduit le verset Rm 7, 23 laisse entendre quApolinaire citait lui-mme Rm 8, 7. Appartient-
400
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Cf. Rm 8, 2 :
libre choix nest rien dautre quune certaine disposition tendre vers quelque chose .
1715
Antirrh. 213, 4-5. Cet emploi est comparable la faon dont il interprte Jn 1, 14 ( Et le Verbe sest fait chair , ce qui signifie
pour lui quil sest fait homme ). Cf. Antirrh. 173, 27 sq. : . ,
,
: Et le Verbe sest fait chair et il a habit parmi nous (Jn 1, 14). En effet, non pas dans une partie
de nous, mais tout ce qui est conu dans la nature est compris ici par un terme global et certes, il a distingu dabord le Logos de
la chair, mais ensuite il les a ainsi unis .
401
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Sur ce point, nos analyses rejoignent celles de Fr. Vinel, dans son article : Du commentaire biblique laffirmation
e
dogmatique : lexprience thologique au V sicle , RSR 82, 2008/2, spcialement p. 161-166 et p.177, propos de la polmique
contre Eunome et contre Apolinaire : lenjeu tait de crer une pense et un langages thologiques qui ne soient pas seulement
la paraphrase, voire la citation du donn biblique, mais sa transcription dans un discours rationnel empruntant de manire critique
aux catgories de la pense grecque .
402
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1718
militaire . Dans un passage o Grgoire explique que lhomme ltat glorieux sera
1719
dgag des luttes intrieures qui le caractrisent pendant son sjour terrestre, il dclare
:
##### ### ######### ### ###### #### ### ##### ############ ### ###
########## ###### ######### ######################## ## ### ###
#### ######## ######### #### ######## ########### ############# #####
la pense de la chair ne fait plus sdition avec lme ni ne combat la loi
de lintellect (Rm 7, 23) dans une guerre civile engage par des mouvements
1720
charnels et conduisant lme soumise au pch, comme une captive
Un tel passage reprend le motif de la sdition () dont parle Platon pour caractriser
la lutte des parties infrieures de lme contre ce quil appelle la partie philosophique ,
ainsi que celui du combat militaire de Rm 7, 23. Chez Grgoire, lexgse de ce verset
se fait donc la lumire du discours philosophique qui dcrit lopposition entre le corps et
lme, ou entre les parties de lme. On observe l un trait vident de la synthse entre
le patrimoine biblique et lhritage philosophique, que Paul a peut-tre fait avant Grgoire
dans ce passage prcis.
Ce faisant, dans son Antirrheticus, Grgoire oriente la rfutation de Rm 7, 23 dans un
sens qui excde le but originel dApolinaire. Dans ce paragraphe, il en profite pour rfuter
une nouvelle fois la thologie du dApolinaire : Grgoire insiste sur le fait
que si on ne peut pas concevoir une chair sans ce quau fond Apolinaire est forc
de reconnatre par le verset de Rm 8, 7 expliqu la lumire de la philosophie alors le
Christ devenu homme avait ncessairement un humain lors de son incarnation. Dans
ce raisonnement, Grgoire fait dvier le cours de largumentation de son adversaire pour
sappesantir librement sur le point doctrinal crucial de la polmique. Or il a dj argument
sur ce point au dbut de son Antirrheticus lorsquil rfutait le fragment 22 de son adversaire,
1721
o se trouvait dj Rm 7, 23
: la vise argumentative est la mme, mais plus amplement
dveloppe, enrichie par dautres versets pauliniens et explicitement rapporte au cas
prcis du Christ. Voici la rfutation quen donne Grgoire :
, ,
. !
. ,
,
1718
Cf. chez Platon la description similaire du conflit intrieur au niveau des parties de lme (et non pas au niveau du compos
Nous ne citons que la partie de la phrase qui concerne notre analyse, dans un gnitif absolu.
Grgoire de Nysse, Cant. , I, GNO VI, 30, 12-16. Cf. aussi GNO VI, 57, 2 sq. et 191, 15 sq. pour une utilisation de Rm 7,
On peut dailleurs sinterroger sur leffet de reprise argumentative : aprs la rfutation du frg. 22, Grgoire attaque une
premire fois lanthropologie trichotomite de son adversaire (cf. Antirrh. 141, 23-142, 18), et y revient ensuite plus longuement la
fin de son trait (Antirrh. 208, 28-214, 19).
403
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,
, ,
, , ,
, ,
,
.
,
,
, , ,
( )
.
;
,
, .
Daprs ce quen dit Grgoire, Apolinaire utilisait Rm 7, 23 pour prouver que le Christ en
sincarnant, avait assum une me humaine (cest--dire lme infrieure, ). Grgoire
lui rtorque que mme les animaux ont une me, et que par consquent, si le Christ sest
fait homme, il devait possder ce qui est la caractristique de lme humaine savoir
lintelligence (). Le raisonnement, plus dtaill, est dvelopp de la faon suivante : si
on reconnat que le Verbe de Dieu a assum une chair, que lon dclare, en outre, dote
dune me, cela revient dire quil a assum lintgrit de la nature humaine. En effet,
lme () comme principe danimation biologique, ltre humain la en commun avec les
animaux (). En revanche, ce qui fait la particularit de lme humaine (
404
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1727
1728
-Majeure : La formule ## ###### ### ###### (Rm 7, 23) atteste que la chair a une
capacit de libre dcision (############ ## ### ########### #######) face
la loi de Dieu . Illustration : Rm 8, 7 : sopposer ou obir la loi rsulte de la
1729
facult de dcider (########### #####) . -Mineure : or le terme de ######,
utilis en Rm 8, 7, rsulte de lactivit de penser (#######), et le fait de penser
(#######) est synonyme de #####, qui est le propre de lhomme. -Conclusion :
donc la rbellion de la chair en Rm 7, 23 est un acte de pense (### #########
### #####) -Confirmation : le fait de commettre le mal ne veut pas dire tre priv
de la facult de penser (#####), mais en faire un mauvais usage. (Confirmation
1730
secondaire : Gn 3, 1 : mme le serpent est dit intelligent dans la Gense) .
Dans un tel raisonnement, le verset de Rm 7, 23, encore associ Rm 8, 7, est au service
dune argumentation qui vise prouver que la chair, qui dsigne la nature humaine dans
sa globalit, est dote de la facult du , dans le cas de lhomme commun et celui du
Verbe incarn, alors que Rm 7, 23 parle de la loi du pch, inscrit dans la chair, qui combat
contre la loi du lui-mme, qui provient de Dieu : il y a comme un tour de force de
la part de Grgoire ! Mais cela est possible parce que largumentation sest dtache du
contexte scripturaire et que la notion de quutilise Grgoire ne recouvre plus le mme
sens que chez Paul : elle dsigne la facult raisonnable de lhomme qui pose des dcisions
morales, par opposition lanimal, alors que chez Paul, la loi du est la loi de lEsprit
qui est Dieu. La distorsion de sens entre le contexte originel et lutilisation que Grgoire
en fait est due lajout dans son argumentation, qui part dun support scripturaire, dune
1731
notion qui nappartient pas au texte biblique, celle de , et qui introduit dans
largumentation un raisonnement de nature philosophique.
1727
Cf. Philon : le est la partie rectrice de lme ( ) en Leg. Alleg. I, 39, p. 58 ; Platon parle du
comme du pilote de lme ( ) dans Phdre, 247 c, CUF, d. L. Robin, 1933, p. 38.
1728
Cf.
Aristote,
De
lme,
414
: les autres [animaux] ont une facult pensante et lintellect, comme chez
les hommes et tout autre tre, sil en est, de condition analogue ou suprieure (trad. E. Barbotin, CUF, Paris, 1966, p. 36).
1729
Dans lthique Nicomaque, III, 1, 3, 1111 b 12, Aristote explique que la est le propre des tres dots
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V. Bilan
lissue de lanalyse dtaille de chaque verset, mene en proportion de la longueur
des dveloppements de Grgoire pour chacun, il nous semble possible de dgager
plusieurs constantes concernant les mthodes argumentatives et exgtiques respectives
dApolinaire et de Grgoire de Nysse.
Il apparat, pour ce qui est dApolinaire, quil traite de la mme manire tous les versets
quil cite en srie, comme un rseau thmatique autour de la notion de (ou ).
Il exploite les distinctions faites par lcriture, soit dans la dualit -, soit dans
lvocation dun combat entre la chair () et lesprit (/) pour diffrencier
lesprit () de lme () et du corps (), ce qui lui permet de construire son
anthropologie trichotomite et sa christologie.
Grgoire, quant lui, procde autrement et propose une rfutation dont la nature
est adapte chaque verset : la perspective est anglologique ou eschatologique dans
1732
Il faut noter que Rm 7, 23 est trs peu utilis par les Cappadociens, et quhormis un emploi chez Grgoire de Nazianze
(Discours II, 91, SC 247, p. 206, 7), on trouve seulement quelques citations chez Grgoire de Nysse, dj mentionnes au cours de
e
lanalyse, dans la perspective du combat spirituel. Dans les autres exposs christologiques du IV sicle que nous avons consults
(Athanase, De Inc.), nous navons pas non plus trouv de dbat exgtique sur ce verset. Tous ces indices plaident en faveur dun
verset propre la controverse apolinarienne.
406
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Conclusion
Ce parcours travers les versets scripturaires qui sont dbattus par Grgoire face
linterprtation dApolinaire nous aura introduite au cur de la controverse en faisant
ressortir les fondements sur lesquels repose la christologie du dApolinaire.
Comme on peut le constater, tous les versets que nous avons analyss visent prciser
lhumanit du Christ. Ils soulignent la diffrence de son origine par rapport au reste de
lhumanit, comme lont montr les analyses d1 Co 15, 45-47 et de Lc 1, 35, ou encore sa
constitution particulire, comme la rvl lexgse apolinarienne de Ph 2, 6-11, o le Christ
est dit tre la ressemblance de lhomme, mais non pas la faon dun prophte comme
lie. En outre, les versets allgus par Apolinaire pour tayer une conception trichotomite
de lanthropologie ont prcis aussi le statut du humain afin de comprendre, comme
nous le verrons, le rle de lesprit divin dans le Christ.
Le corpus de la controverse anti-apolinarienne pris comme objet danalyse a fait
ressortir deux constantes. Dune part, la discussion entre Grgoire et Apolinaire tient
un principe de lecture : Grgoire comprend dans une perspective thique les expressions
pauliniennes quApolinaire interprte dans un sens ontologique en vue dlaborer sa
thologie du . Cest le cas d1 Co 15, 45-47, mais aussi d1 Th 5, 23. La faon
dont Grgoire rfute lexgse paulinienne de son adversaire a montr la cohrence dans
sa propre interprtation : le discours de Paul sur lanthropologie nest pas indpendant dune
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1733
M.-O. Boulnois, Le cercle des glorifications mutuelles dans la Trinit selon Grgoire de Nysse : de linnovation exgtique
la fcondit thologique , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, p. 40.
408
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1734
quutilise Grgoire pour rfuter son adversaire dans une tude exhaustive et approfondie .
En effet, elle nous pousserait proposer une tude de synthse sur la mthode thologique
de Grgoire, dtache du dbat contre Apolinaire, alors que notre perspective danalyse
doctrinale est dtudier largumentation de Grgoire en confrontation constante avec celle
dApolinaire. Nous voudrions seulement prsenter ici les remarques mtalinguistiques que
Grgoire fait en introduisant certaines de ces images qui nont pas une origine biblique et
qui sont utilises dans des discussions purement spculatives sur la constitution du Christ.
Comme le dit M.-O. Boulnois propos de Cyrille, le recours aux images apparat alors non
pas seulement comme un procd rhtorique ou pdagogique, mais comme une mthode
1735
heuristique . Et comme on le verra au cours de notre travail, dans le dtail des points
argumentatifs traits, celles-ci semblent tre conues comme lesquisse permettant de
1736
construire le concept
Trois images qui nont pas dorigine biblique se trouvent ainsi au cur de
l'argumentation doctrinale de Grgoire contre Apolinaire : l'une est reprise des exemples
de la tradition philosophique sur la . Il s'agit de l'image de la goutte de vinaigre jete
dans l'eau de mer, utilise pour montrer comment l'humanit rpandue dans la divinit est
transforme par cette dernire. Une autre provient de la tradition mythologique grecque :
c'est l'image du bouc-cerf, associe celle du minotaure, mi-homme, mi-taureau qui est
utilise pour rfuter la comprhension d'un tre mi-homme, mi-Dieu. Enfin, pour expliquer
comment la runion des parties divine et humaine dans le Christ, lors de sa rsurrection,
agit sur toute l'humanit, Grgoire utilise l'image d'un roseau fendu en deux morceaux, que
lon runit ensuite. Nous laissons de ct pour linstant limage du bouc-cerf qui a un statut
particulier car son utilisation est surtout polmique comme nous le verrons dans le chapitre
sur lunit du Christ. Grgoire ne commente pas la porte de limage en lutilisant, tandis
que les deux autres sont prsentes comme des moyens destins palier les limites du
langage pour exprimer les mystres de foi que Grgoire tente de dcrire. Mais ces trois
images ont comme point commun de ne pas avoir une origine biblique.
Chacune de ces trois comparaisons se situe un moment crucial de l'argumentation,
o l'auteur resserre sa pense pour rfuter son adversaire en exposant le mystre de
l'incarnation dans tout son paradoxe. Une telle faon de synthtiser la pense indique que
l'auteur reconnat aux analogies une efficacit argumentative et peut-tre mme persuasive.
C'est la raison pour laquelle, avant d'tudier en dtail le sens des comparaisons dans
les chapitres suivants en fonction de leur vise dmonstrative, nous voudrions relever
les remarques de Grgoire sur le statut particulier quil leur accorde titre de procd
argumentatif. Nous agrmenterons nos remarques prliminaires avec des lments
intressants propos de lintroduction de limage de larc-en-ciel en contexte trinitaire dans
1737
le petit trait De differentia et essentiae et hypostaseos, ou Lettre 38 ,mais qui provient
comme dans le cas du roseau de lAntirrheticus dune observation de phnomnes naturels.
1734
De ce point de vue, nos remarques prliminaires ne visent pas constituer une tude dtaille comme celle de M.-
O. Boulnois, la smantique des images , Le paradoxe trinitaire chez Cyrille dAlexandrie, op. cit., p. 107-114 spcialement.
1735
1736
1737
M.-O. Boulnois, Le paradoxe trinitaire chez Cyrille dAlexandrie, op. cit., p. 107.
Ibid. Lauteur souligne la similitude de mthode entre Cyrille et Grgoire (ibid. p. 114).
De differentia essentiae et hypostaseos = Lettre 38, 5, 1, dansBasile, Lettres, d. Y. Courtonne, CUF, t. I, Paris, 1957.
Ce texte, dit avec un corpus pistolaire de Basile dans l'dition franaise, est encore l'objet de dbat concernant son attribution,
mme si elle est majoritairement attribue Grgoire de Nysse par la critique. Cf. R. Hbner, Gregor von Nyssa als Verfasser der
al
sog. Ep. 38 des Basilius , in Epektasis, Mlanges patristiques offerts au C
Danilou, d. Ch. Kannengiesser, J. Fontaine, Paris,
1972, p. 463-490. Lattribution de cette lettre Grgoire est conteste par H. V. Drecoll, Die Entwicklung der Trinittslehre des Basilius
411
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### ## ####### ### ##### ## ######## ### ##### ########, ### ## #####
### ### ######## ########. ## ### ####### #### ### ###### ###########
#### #### ########## ########## #### #### ## ### ######## ### #####
von Csarea, Gttingen, 1996, p. 297-331. J. Zachhber, dans un article rcent, montre partir danalyses lexicales que la lettre a d
tre une uvre inacheve rdige par Basile, et reprise par Grgoire, Nochmals : Der 38. Brief des Basilius von Caesarea als Werk
des Gregor von Nyssa , ZAC, 7/1, 2003, p. 73-90. La traduction que nous utilisons est celle d'Y. Courtonne, avec quelques rvisions.
1738
1739
1740
1741
1742
1743
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solaire se mouvant sur l'eau : Bref, il n'y a pas de point fixe pour ma pense quand je considre dans les exemples ()
ce que je me reprsente (), moins que dans l'image, on prenne un trait, avec sagacit, en rejetant le reste. Finalement,
j'ai pens que le mieux, c'est de laisser l les images () et les ombres (), qui sont trompeuses et trs loignes de la
vrit... (Discours thologique, 31, 33, 7-12, trad. P. Gallay, SC 250, p. 340). Les deux Grgoire jouent sur une image qui n'est pas
sans cho avec la comparaison du phnomne optique qu'ils exploitent. Ce que Grgoire de Nysse traduit par l'ide d'inadquation
dans l'assemblage de l'exemple avec la doctrine thologique, Grgoire de Nazianze le rend par le terme d'impuret ( ).
Ailleurs, en effet, tandis que ce dernier veut montrer comment comprendre la gnration divine partir de la gnration humaine, il
dclare : Je parle de la sorte non parce que j'attribue la divinit d'tre faonne ou prleve ou affecte par rien de corporel
qu'un de ces chicanneurs ne vienne pas s'en prendre moi mais je contemple dans ces choses ( ), comme
sur une scne de thtre ( ), ce que l'intelligence peroit ( ), car il n'est pas possible qu'une comparaison
( ) atteigne toute la vrit ( ) dans sa puret () (id., Discours Thologiques, 31,
11, SC250, p. 297).
1747
1748
1749
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##### ### ### ### #### ######## ######### ######## ##### ### ##### ###
###### # #####, #### ### ### ####### ######### ####### ######## #### ###
### ####### #### ###### # ######, ### ## ########### ## ######### ###
## ######## ## ## ##### ##########. De mme que pour les objets qui
apparaissent aux yeux, l'exprience a toujours paru meilleure que l'explication
rationnelle de leur cause ; de mme pour les dogmes qui nous dpassent, la foi
est meilleure que la perception par des raisonnements, lorsqu'elle enseigne et ce
1750
qui est spar dans une hypostase et ce qui est uni dans la substance .
Que l'objet d'analyse soit un phnomne naturel visible (
1751
)
ou un phnomne surnaturel invisible (Dieu), l'exprience par les sens
ou par la foi est le mode d'apprhension le plus juste aux yeux de l'auteur. Le discours
rationnel ( ), scientifique ou dogmatique, reste en-de de l'exprience et ne peut
s'y substituer. Le discours thologique appelle donc un dpassement par la foi, aux yeux
de l'auteur. Il reste toujours, lui aussi, une forme d'analogie par rapport l'exprience de
la foi. Les connaissances scientifiques ou les exemples naturalistes, que Grgoire exploite
dans ses uvres doctrinales, ont ainsi le statut de propdeutique dans le mouvement de
la connaissance de Dieu. Tel est le statut que Grgoire reconnat aux exemples et telle est
aussi la raison pour laquelle il les exploite dans sa rfutation contre Apolinaire.
En outre, leur utilisation provient de la conviction chez notre auteur d'une
correspondance profonde entre le monde et Dieu. Daprs Fr. Vinel : [ces comparaisons]
manifestent un systme danalogies pour ainsi dire gnralises entre le visible et linvisible,
le sensible et lintelligible un systme de correspondances , dirait le pote, o le second
1752
terme, loin dvacuer le premier, laccomplit et lui donne sa pleine signification . Ce qui
sobserve dans la nature, au niveau de la matire peut mettre sur la route de ce qui est
spirituel.
En conclusion, si Grgoire recourt aux analogies dans les moments stratgiques,
comme nous le verrons, pour rpliquer des raisonnements formels et logiques noncs
par Apolinaire, cest, daprs nos enqutes, quil attribue un statut mtaphysique ce
procd. Mme si limage comporte en elle une inadquation essentielle pour rendre compte
de la thologie que dfend Grgoire, elle la protge paradoxalement, tel un garde-fou,
contre une rduction de la question christologique un systme purement logique, une
rationalisation trop excessive. Elle permet Grgoire de poser les jalons argumentatifs de
son raisonnement, sans pour autant rsoudre dun point de vue rationnel ce quil considre
impossible conceptualiser, ce qui chappe la pense et au langage.
Telle semble tre la raison pour laquelle il aime rpondre son adversaire sur les
questions les plus importantes en dveloppant un raisonnement analogique partir dune
image. Cet outil argumentatif met en vidence, daprs nous, une divergence fondamentale
dapproche de la thologie entre Grgoire et Apolinaire. En effet, Grgoire reproche
Apolinaire de rduire la christologie un systme de pure logique, o la divinit et lhumanit
du Christ sont traites comme deux composantes articuler ensemble selon un schma
de pense satisfaisant. Le dbat autour de lanthropologie gnrale, applique au Christ,
va le montrer. Grgoire, pour sa part, ne sempchera pas de railler, par de multiples
1750
1751
e
Fr. Vinel, Du commentaire biblique laffirmation dogmatique : lexprience thologique au V sicle , RSR 82, 2008/2,
p. 166.
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I. Lanthropologie dApolinaire
1753
esprit, comme le fait remarquer H. A. Norris, dans son ouvrage Manhood and Christ
. De plus la question du rapport entre la nature humaine et le pch appelle celle de la
rdemption. En somme, elle ouvre sur tous les aspects de la christologie.
Pour un tat de la question dans lhistoire de la critique, nous renvoyons la synthse trs prcise dE. Mhlenberg, Apollinaris
une allusion lanthropologie dApolinaire dans phiphane, Pan., 77, 23, 4 (GCS, Band 37, Epiphanius III, d. K. Holl, op.
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Sous la pression des critiques, et surtout dune contradiction avec certains versets bibliques,
Apolinaire aurait donc rvis son anthropologie et ses formules christologiques, pour dire,
en dernire instance, que le Logos a pris la place de lintellect humain dans le Christ,
mais quil a assum cependant la partie de lme qui nest pas intellective. Rufin semble
reprocher Apolinaire linconsistance de sa pense et son manque de sincrit. Selon lui,
1756
ce changement serait motiv par le dsir de sembler tenir des propos orthodoxes .
En dpit de la charge finale de Rufin contre Apolinaire, H. A. Wolfson, dans son
article sur Les implications philosophiques de larianisme et de lapollinarisme , explique
lvolution de la position doctrinale dApolinaire en la comparant celle des ariens. Il
remarque en effet que cette volution est similaire celle dArius, qui, lui aussi, serait pass
dune ngation totale de lme humaine dans le Christ une ngation partielle, avec le seul
1757
rejet de llment rationnel . De la mme manire, dans la seconde phase de ses crits,
Apolinaire aurait admis la prsence dune me vivifiante, irrationnelle dans lhomme Jsus,
mais non pas une me rationnelle.
Or ces considrations christologiques prsupposent des modles anthropologiques.
En effet, renier lme humaine dans le Christ ncessite de penser lhomme comme un
compos de deux lments, lme et le corps, selon un modle dichotomite. En revanche,
nier la prsence de llment rationnel de lme en lhomme incite concevoir lhomme
en trois parties : corps, me irrationnelle ou principe passif et me rationnelle appele
aussi ou principe actif en lhomme, pens de faon autonome par rapport la . Si
Apolinaire considre le compos homme-Dieu en Christ sur le modle du compos humain,
comme un ensemble dlments spirituel et corporel, et quil fait de llment divin le principe
actif dans lhomme Jsus la place du humain, on comprend ds lors comment il
peut en venir appeler le Sauveur homme cleste parce que son intellect, son ,
vient du ciel, faut-il encore fonder lassimilation du au divin, pour rpondre au
schma biblique ou philosophique de -. Cest un premier problme que posent
les citations dApolinaire telles quelles sont cites par Grgoire dans lAntirrheticus. partir
des versets bibliques quil analyse, nous tenterons de comprendre cette assimilation.
Tous les auteurs de lAntiquit nont pas relev lvolution de la pense dApolinaire.
Il est intressant de ce point de vue de mettre en parallle la mention de Rufin, cite plus
haut, avec le jugement sur lanthropologie apolinarienne du philosophe et thologien du
e
IV sicle, Nmsius dmse. Il propose en effet une rflexion sur la question de lunion
de lme et du corps dans son trait Sur la nature de lhomme. Au commencement de cet
cit., p. 436, 23-24). Ces sources sont mentionnes par la majorit des tudes critiques, dont celle dH. de Riedmatten, La
christologie dApollinaire de Laodice , St Patr. II, TU 64, p. 209.
1756
piphane rapporte une discussion quil a eue sur ce point avec Vital, disciple dApolinaire, Antioche, Pan. 77, 23, GCS,
Essays, Cambridge, 1961, p. 149. Daprs lauteur, le changement doctrinal dArius et dApolinaire provient dune volution de leur
perspective philosophique. Pour les ariens, le refus de lme rationnelle en Jsus est une consquence logique de leur acceptation
de la conception philonienne du Logos comme tre cr par Dieu et non pas comme tant ltre mme de Dieu. Le Logos entre en
Jsus comme lme dans le corps, sans quil y ait besoin de la prsence du logos humain, image du Logos divin. Au fond, le Logos
de Dieu prend la place du logos de lhomme. Pour H. A. Wolfson, le refus dApolinaire du humain provient du fait quil ne peut y
avoir dans le Christ quune seule nature, et que celle-ci ne peut pas tre humaine, mais divine (en effet, pour que Jsus puisse sauver
sauver
lhumanit dchue, il doit tre Dieu, car un homme ne peut
les hommes (cf. frg. 95, Antirrh. 218, 13-14). Le raisonnement
dApolinaire serait le suivant : tous ceux qui sont sans nature humaine sont sans me rationnelle ; or Jsus est sans nature humaine,
donc Jsus est sans me rationnelle (ibid. p. 151).
417
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de R. A. Norris, tous les noplatoniciens ne revendiquent pas une anthropologie trichotomite, contrairement aux accusations que
Nmsius porte contre eux, dans son trait De natura hominis. Selon ce critique, les attaques de Nmsius contre les noplatoniciens
sont dues une confusion quil devait supposer chez eux entre lme rationnelle et lIntellect divin transcendant, entre ce qui tait
appel raison comme partie ou facult de lme humaine et le , en somme entre lme rationnelle et lme
irrationnelle. Mais il rsulte de ces distinctions que le tait un synonyme de (Proclus, Commentaire sur le Time,
livre V, 234, 10-13, d. A. J. Festugire, t. 5, Paris, 1968, p. 98) et pouvait tre caractris comme tant la plus haute facult de lme
(Jamblique, De lme, dans Stobe, Eclogae, d. C. Wachsmuth, Anthologii librum primum, t. I, Berlin, 1958, p. 317, l. 20 sq.), cf.
analyses de R. A. Norris, Manhood and Christ, op. cit., p. 64-65. Par ailleurs, la prminence accorde par Nmsius Apolinaire peut
e
tre vue comme lindice du rayonnement de sa doctrine dans la seconde moiti du IV sicle ou bien de sa proximit avec Nmsius.
1760
Cf. Enn. I, 3, 5 (dans un commentaire sur la dialectique de Platon, CUF, d. E. Brhier, Paris, 1960, p. 65) ; IV, 4, 2 (CUF, t.
4, d. E. Brhier, Paris, 1993, p. 104), daprs W. Jaeger, Nemesios von Emesa, Quellenforschung zum Neuplatonismus und seinen
Anfngen bei Poseidonios, Berlin, 1914, p. 5, n. 2.
1761
418
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lanthropologie dApolinaire nest pas ce qui a unanimement retenu lattention des auteurs
dans lantiquit.
e
e
La critique du XIX et du dbut du XX sicle a repris la partition des uvres
dApolinaire par Rufin en deux priodes pour tenter de dfinir une chronologie. Dans son
dition critique des fragments, H. Lietzmann ordonne luvre dogmatique dApolinaire
en sappuyant sur ce critre. Il explique ainsi comment lApodeixis, rfute dans notre
Antirrheticus,appartient aux uvres de la seconde priode, puisque Apolinaire professe
1762
une anthropologie trichotomite . Cependant lorganisation des fragments quil a propose
en fonction de lvolution de la conception anthropologique du Laodicen a t elle-mme
mise en doute par la critique peu aprs la parution de louvrage dH. Lietzmann, notamment
1763
par G. Furlani en 1923 .
Quarante cinq ans plus tard, R. A. Norris rappelle, dans son ouvrage Manhood and
Christ, le problme de lunit de lenseignement dApolinaire et rexamine cette rpartition,
1764
devenue traditionnelle dans la critique la suite dH. Lietzmann
. Il donne la liste
des uvres dApolinaire telles quelles ont t rparties en fonction des deux schmas
anthropologiques. Il classe parmi les uvres dichotomites le petit trait De unione , la
Premire ptre Denys , le De Fide et incarnatione, ainsi que lptre Jovien,et le
Contre Diodore. Parmi les uvres de la seconde priode littraire dApolinaire, R. A.
Norris mentionne lApodeixis, lAnacephalaiosis, le Kata meros pistis qui nous est parvenu
sous le nom de Grgoire le Thaumaturge, le Tome synodal , la Lettre aux vques
de Diocsare, lptre Julien. Il expose le principe selon lequel avait t effectu le
classement dH. Lietzmann : dans la premire catgorie des uvres dichotomites , la
relation du Logos au corps est comprise partir du modle dunion de lme et du corps,
tandis que dans les uvres trichotomites, le Logos est dit prendre la place de lintellect
1765
humain ( ou ) dans lorganisme humain total .
Toutefois, aprs avoir expos cet tat de la vision traditionnelle de luvre dApolinaire,
R. A. Norris en montre les limites. Selon lui, le regroupement des uvres en deux
catgories, opr par Lietzmann en 1904, en fonction de lanthropologie dveloppe, est
peu vident et pertinent. Certes, lditeur des fragments dApolinaire avait conclu de la
partition des uvres en deux catgories quil fallait distinguer deux conceptions de la
Personne du Christ dans les crits de lhrsiarque. Dans la premire priode, celui-l serait
le principe actif qui meut la chair assume pendant son conomie, dans la seconde priode,
le Sauveur serait un homme cleste, parce que llment suprieur dans lhomme, lintellect,
1766
viendrait du ciel, puisquil est Dieu . Mais si les uvres dichotomites se caractrisent
par lopposition entre un principe actif et un principe passif dans lhomme pour caractriser
lunique nature ( ) quil forme, R. A. Norris note quon retrouve aussi dans les
crits dont lanthropologie est trichotomite une opposition entre le rle passif de la et
le rle actif du . Il ajoute que la thmatique de lhomme cleste nest pas spare de
la doctrine de lunique nature , mais quelle en est une explicitation en relation avec la
question de la communication des proprits . Cest pourquoi, selon lui, les schmas
1762
Cf. G. Voisin, Lapollinarisme, op. cit., p. 52, 77 sq. ; Ch. E. Raven, Apollinarianism, op. cit., p. 175.
R. A. Norris, Manhood and Christ, op. cit., p. 83.
Nous renvoyons aux analyses dtailles de R. A. Norris, Manhood and Christ, op. cit., p. 84.
419
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Pour une valuation de cette mthode, cf. E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 155-156.
dApollinaire
Some
H. de Riedmatten, La christologie
, StPatr., II, TU 64, Berlin, 1957, p. 208-234, surtout p. 209 ; Id.,
neglected aspects of Apollinarist Christology , Dominican Studies , I, 1948, p. 239-260.
1770
1771
1772
1773
Antirrh.
142 , 5-9.
421
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Dans ce fragment, qui est probablement une citation textuelle , lhomme est envisag
comme intellect en chair , cest--dire fait desprit et de matire. La consquence implicite
de cette assertion est que llment corporel sert denveloppe lintellect. Dans une telle
formule, extraite de son contexte, il semble mme que soit synonyme de . Or,
comme le fait remarquer E. Mhlenberg, le terme ne se trouve jamais chez
1777
Apolinaire, alors que ladjectif est toujours utilis . Or dans le fragment 22, la
1778
est qualifie de . Cest la preuve, daprs E. Mhlenberg, que pour
Apolinaire, la chair nest pas le strict synonyme de , mais quelle dsigne un corps
dot dune me. Il faut ainsi entendre le terme de dans le fragment 72 :
### ##### ########### ## ######## ### #### ## ##### #### ### ######. Cest
1779
pourquoi il tait aussi homme : car lhomme est un esprit en chair selon Paul .
Cet extrait montre que mme si Grgoire attaque Apolinaire dans son Antirrheticus en
lui reprochant toujours de dfendre une anthropologie trichotomite, la dichotomie nen
est pas moins absente chez le Laodicen lui-mme : la formule du , qui
rsume prcisment la thologie dApolinaire et que Grgoire combat tout au long de son
Antirrheticus,semble tre dichotomite par excellence. Comme on la vu dans les fragments
cits plus haut, il faut plutt comprendre que la tripartition de la nature humaine peut aussi
se rduire une bipartition : (=) + (=+). Lorsque lme et le
corps sont compris et dsigns par le terme de , on peut les concevoir en lien troit
lun avec lautre, distinctement du . Mais il faut la prsence des trois lments pour
dfinir lessence de lhomme. En ce sens, lhomme est bien dans la pense
1780
dApolinaire .
titre dexemple o Apolinaire utilise un schma anthropologique dualiste dans des
uvres dominante trichotomite, on peut citer tous les passages, o le Laodicen en vient
1774
1775
1776
422
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cette ptre, aujourdhui perdu, mais dit par K. Staab, daprs les manuscrits de chanes exgtiques sur les ptres pauliniennes :
,
: Devenu donc Fils de lhomme, selon la chair, la ressemblance
de notre naissance, rvl Fils de Dieu selon lEsprit et la puissance, dans la seconde naissance dentre les morts (frg. n2,
Pauluskommentare aus der griechischen Kirche, op. cit., p. 57).
1783
1784
1785
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####### #### ### ###### ###### ######, ### ## ## ######## ### ########
##### ## ###### ##### ### ###### ### ######## ####, ##### ## ## #####
########## ########, ### ###### ## # #### ### ############ ### #### ####
### ## #### ### ###### ### ### ##### ###########, ## ## ##### ### ### ###
####### ########### ######. apprenant de cette nouvelle sagesse que le
genre des hommes terrestres est constitu dune me intellective et dun corps,
mais quil existe un genre dhommes clestes qui ont une me sans raison et
un corps humain et que Dieu, la place de lintellect, est ml aux principes de
corps et lme ; cest cette espce quappartient, selon la pense dApolinaire,
1787
celui qui sest manifest sur terre .
Dans ce passage, le Cappadocien reformule sa faon la thologie du
dfendue par son adversaire. Lexpression , pour dire que Dieu prend la place de
lintellect humain, ne prcise pas sil sagit dune substitution fonctionnelle ou ontologique.
Et le corps et lme sont employs comme des signifis (). Dans la continuit de
cette remarque, il poursuit :
, , ( Puisque
1788
tout cela nexiste pas , quel intrt a cette sparation de lhomme en trois parties, dont
1789
deux parties serait lhomme et la troisime, Dieu ? ) .
Grgoire de Nazianze qualifie de la mme faon lanthropologie dApolinaire dans sa
Lettre thologique 202, adresse Nectaire, o il sen prend lapolinarisme. Il dclare en
effet :
1790
1791
Grgoire de Nazianze, Lettre 202, 14, SC 208, trad. rev. P. Gallay, p. 92.
424
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## ### ##### ########## ####### ##### # ### #### ### ####### ##### ### ###
### ####, ######## ##### ## ### ######## ############, ##### ## # ########
# ####, ## ##### #### ###### #############. Si la nature humaine reoit
galement ou bien notre intellect ou bien Dieu la place de lintellect, les deux
seraient dune grandeur quivalente entre eux, si prcisment la divinit est
comprise dans le mme espace que celui dans lequel lintellect est contenu .
La rfutation procde ici par exagration ironique : de la conception de ltre humain en
parties dcoule une spacialisation des lments humains, qui donne limpression dune
anthropologie statique. On ne peut videmment pas accepter, aux yeux de Grgoire, une
rduction de la divinit une facult humaine qui serait une partie dfinie dans un espace.
Dans cet exemple, on mesure les implications dune vision de lhomme rduit des parties :
alors il faut raisonner avec les catgories despace et de temps, et faire entrer la nature de
Dieu, infinie par essence, dans des lments qui, eux, restent soumis aux lois du temps
et de lespace.
Ces relevs montrent donc comment Grgoire percevait systmatiquement le compos
humain quanalyse Apolinaire comme une division tripartite, qui implique des raisonnements
en termes de parties, de substitution de parties, inscrites dans un espace et un temps.
Mais Apolinaire concevait-il sa trichotomie de la mme manire que ses adversaires
la comprennent et la prsentent ? On trouve bien dans ses uvres dogmatiques le terme
de (partie) pour parler des lments du compos humain. En outre, il prcise
quune partie est par dfinition incomplte : elle a besoin dautres parties pour que ltre
1794
quelle constitue puisse exister . Dans son opuscule du De unione , Apolinaire explique
comment lhomme ordinaire est compos de deux parties incompltes (
) imparfaites car elles ne se suffisent
1795
pas elles-mmes . Il est dit en effet dans son Kata meros pistis :
( Tout ce qui existe par composition est partie
1792
1793
1794
1795
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1796
1796
1797
1798
1799
1800
celle-ci ne comprend que le corps et lme infrieure. Cest la raison pour laquelle dans ses fragments, il ne dit pas que Dieu sest fait
homme (ce qui voudrait dire pour lui, quil sest fait homme complet []), mais quil est advenu dans la chair (cf. Jn 1, 14).
1801
1802
1803
1804
Cf. frg. 113, Lietz. p. 234. Cf. chapitre 2, lunit du Christ , rfutation de lanthropotheos, p. 670-686.
Frg. 113, Lietz. p. 234.
Frg. 117, Lietz. p. 235.
Nous reviendrons sur la question de la lunique nature selon Apolinaire dans le prochain chapitre, p. 635.
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#### ### ## ### ######### #####, #### ### ######## ######### ###
########### ######## #### ### ########. ##### ##### ########## ########
######## #####, ###### #### #########, ######## ###### ###### ###
################## ## #### # #### ## ####### ### ### ##### ### ########
########, ### ###### ### ##### ######## #### ## ######### ##### #########
##### ######, ### ##### ### ######## #####. En effet, le corps nest pas
une nature en lui-mme, puisquil ne dispense mme pas la vie de lui-mme ni
1808
ne peut tre spar de celui qui vivifie . Ni le logos nest isol en lui-mme
en vue de constituer une propre nature quil possde de faon incorporelle,
puisque cest dans la chair et non pas sans chair que le Seigneur a habit dans le
monde, ni le corps cr ne vivait spar de la divinit incre de faon ce quon
pt distinguer une nature de lIncr, ni assurment le Logos incr na habit
1809
sparment dun corps de faon ce quon distingut une nature de lIncr .
Dans ce passage, qui revendique une seule nature du Logos incarn, la divinit ( )
et lhumanit ( , ) sont prsentes comme deux parties du Christ incarn,
indissociables puisque dans le Verbe incarn, elles ne peuvent avoir dexistence autonome
( ,
). Lontologie du Christ repose ici sur la complmentarit
vitale de la chair et du Logos. Une telle terminologie, nettement binaire, nest pas prsente
de la mme faon dans le dbat de lAntirrheticus, parce quApolinaire emploie surtout le
terme pour dfinir le divin dans le Christ, mais elle nous permet de comprendre
1805
( Sil y a une seule activit, il y a aussi une seule substance : donc il y a une seule substance du Logos et de
linstrument ), Lietz. p. 236.
1806
Nous ne dveloppons pas ce point pour le moment, puisque nous y reviendrons dans la suite de notre analyse, chapitre
De unione , 10, Lietz. p. 189. Prcisons que nous navons jamais trouv le terme de rapport au chez
Apolinaire.
1808
Il sagit du Logos.
1809
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## ## #####, ######## ### ####, #### #### # ####### ### ##### ### ######
####### ######## ## ####### #######. Le Christ ayant lesprit, cest--dire
lintellect, comme lment divin avec lme et le corps est dit naturellement
1812
homme provenant du ciel (cf. 1 Co 15, 47) .
Dans cette phrase, il est question non pas du schma trichotomite -- dont
parle H. de Riedmatten mais de --, o le terme ne semble pas
recouvrirle sens de . Le raisonnement dApolinaire est le suivant : parce que le
Christ possde les trois composantes de --, il rpond bien la partition
lmentaire de ltre humain. Mais la nature dun de ces trois lments nest pas exactement
conforme la constitution normale de lhomme, puisque le du Christ provient de
Dieu et nest pas humain. En ce sens, Apolinaire part de la division anthropologique
pour expliquer le sens de lexpression tire d1 Co 15, 47, homme descendu du
ciel ( ) : si le Christ possde les trois lments qui font lhomme,
mais que lun des trois, son ,vient du ciel, alors il est homme provenant du ciel. Sa
thologie de lintellect en chair ou apparat comme une explicitation du sens
de la formule paulinienne homme descendu du ciel ( ).
Grgoire, quant lui, rpond son adversaire selon une autre dmarche. Il part en effet
du verset de conclusion, 1 Cor 15, 45, et en explique le sens selon une approche non plus
statique ou purement ontologique, mais dynamique. Il voque en effet lentre du Logos
dans la . Cest le mouvement dcrit en Jn 1, 14 ( et le Verbe sest fait chair [] )
qui se trouve en arrire-plan :
1810
1811
corrobore son affirmation introductive. Tout porte croire quil sagit dune citation exacte dApolinaire.
1812
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Eunome : , ,
( Le Logos tait avant
les sicles, tandis que la chair a exist pendant les derniers temps, et on ne saurait dire linverse, que cette dernire est
antrieure aux sicles ou bien que le Logos a exist aux derniers temps seulement ), Eun. III, 3, 64, GNO II, p. 130, 19-22.
Dans les deux cas, Grgoire cherche distinguer dans le Christ incarn ce qui relve du temps de la thologie et ce qui se
rapporte au temps de lconomie.
1814
1815
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### ##########, #####, ######### ####### ### ## ###### ##### ### ##### ###
########, ######## ### ####, ### ## ### ###### ## ## ### ############ #####
##### ######## #####. Et lhomme Christ prexiste, dit-il, non pas en tant que
lEsprit, cest--dire Dieu, est un autre que lui-mme, mais en tant que le Seigneur
1816
dans la nature du Dieu homme est Esprit divin .
Le sens de ce passage est difficile restituer, hors contexte. Le Logos incarn est dcrit ici
de faon redondante comme un esprit divin dans la nature du Dieu-homme . Apolinaire
semble vouloir dire ici que la divinit est prsente dans le Verbe incarn titre de .
Mais le est une composante de la nature du Dieu-homme , puisque le Christ
constitue une seule nature humano-divine ( ). La divinit,
puisquelle est , nest donc pas une nature en elle-mme. Pour Apolinaire, la divinit
et lhumanit du Christ ne sont pas deux natures, mais deux composantes dune unique
nature du Dieu-homme. Il rsulte de cette reprsentation de lontologie du Christ, partir
du modle anthropologique, que ce qui est commun au Logos prexistant et lhomme
Jsus, cest le . Cest par cet argument de la permanence du entre le Logos
prexistant et le Logos incarn quApolinaire prouve lidentit de sujet entre le Fils par nature
et lhomme Jsus. Mais dans cet extrait de lApodeixis, il utilise une formule trs contestable
puisquil dit que lhomme Jsus prexiste dans la mesure o son divin, antrieur
aux sicles, sintgre dans sa constitution humaine. Cest cette expression extrmement
ambigu, et pourrait-on dire, maladroite, qui sera lobjet de la rfutation de Grgoire. Il
en conclut que pour Apolinaire, lhomme Jsus prexiste lincarnation :
( [Apolinaire] conoit en mme temps que le Logos qui existe au commencement est celui
1817
qui sest manifest comme homme puisque, selon lui, il existe avant sa manifestation ).
On reste toujours ici dans un schma dualiste, qui recouvre lopposition entre humanit
et divinit. Mais il se dcline en une dichotomie entre un lment spirituel ()
et lensemble anthropologique dans lequel sintgre le , savoir la nature
humaine ( ). Ici, il nest donc pas question dune binarit , mais de la dichotomie - , qui a un sens diffrent, car la
ne comprend pas seulement la humaine.
En conclusion, ces quelques observations font ressortir la fluctuation de la terminologie
employe par Apolinaire, reprise et commente par Grgoire dans lAntirrheticus. La
critique actuelle saccorde reconnatre une anthropologie de tendance trichotomite chez
Apolinaire, comme le rappelle J. Zachhber dans son ouvrage Human Nature in Gregory
of Nyssa : Il semble clair maintenant quApolinaire soutient une trichotomie du corps, de
1818
lme et de lesprit tout au long de sa carrire . Le schma anthropologique dominant
dans lApodeixis, qui sert de soubassement de la thologie du , parat
plutt trichotomite. Apolinaire distingue lme raisonnable () de lme vivante (principe
vital qui anime le corps pour faire de lui un ). Grgoire ne cesse de revenir sur
cette tripartition pour en attaquer les implications christologiques et saper linterprtation
apolinarienne de ses fondements scripturaires.
1816
1817
Zachhber, Human nature in Gregory of Nyssa, op. cit., p. 132 : It seems now clear that Apollinarius held a trichotomy
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rfrences bibliques et de leur application au Christ par Apolinaire ne fait aucune remarque
sur lemploi des deux termes et . Cette fluctuation nous apparat problmatique
lorsquon la resitue dans la tradition hermneutique patristique, o les termes de et
de peuvent avoir un sens distinct en anthropologie selon les auteurs, et spcialement
1821
chez Origne .
Or, comme nous lavons montr dans le chapitre prcdent, Apolinaire, pour formuler sa
1822
doctrine anthropologique, reprend une srie scripturaire qui se trouve dj chez Origne .
La slection des versets retenus par Apolinaire, aussi utiliss par Origne en vue dune
anthropologie trichotomite, nous a invite poser lhypothse dune filiation interprtative
entre les deux auteurs. Mais Origne soutient un schma trichotomite o figure non pas le
1823
terme de , mais celui de , la diffrence dApolinaire. Faut-il penser que
les deux termes sont interprts dans un sens similaire par les deux auteurs ?
Plusieurs indices montrent quApolinaire conoit la trichotomie anthropologique dans
une perspective qui lui est propre, diffrente dOrigne, lorsquil lapplique la christologie.
En effet, dune part, chez Origne, le du Christ semble dsigner le plus souvent
1824
son esprit humain et rarement sa divinit . De plus, dans les passages de son uvre o
1821 La position des Pres sur le rapport entre et est loin dtre claire. Il semble toutefois que chez Origne,
qui, avant Apolinaire, est partisan dune anthropologie trichotomite ( , , ), fonde sur 1 Th 5, 23 , le
nest pas un lment distinct de la , mais sa partie suprieure, depuis qu la chute originelle, le sest vu rajouter une
partie infrieure, irrationnelle. En revanche, le est bien distinct de la , et donc du . En effet, il e st dans le
compos humain llment le meilleur et le plus lev, il reprsente une certaine transcendance de lhomme sur sa propre personne.
Chez Origne, la trichotomie prexiste la vie terrestre des hommes. En effet, les mes qui prexistent sont appeles nos . Dans
la prexistence des nos , il y a le humain au stade de sa prhistoire. Le prexistant vit par ce quil reoit du
. Mais le et le se trouvent ds la prexistence nettement distincts. Pour Origne le ne peut pas exister
sans le corps, mais avant la vie de ce monde, le corps prexiste sous une forme pneumatique, thr et tincelant de lumire, et se
distingue du corps cosmique qui est grossier. Le compos ontologique des nos prexistant s'tablit selon le schma ,
, (cf.
sige du libre arbitre, qui, par son pch, dchoit en me. C'est donc en lui que se situe le terme direct de l'acte divin crateur. Mais
la source cre de la vie et de l'harmonie primitive, c'est le (nous reprenons les analyses de
des Principes, III, 1, 4, SC 268, p. 26. Le de lhomme est le lieu o lEsprit exerce sa fonction propre. Pour une analyse
dtaille de la trichotomie dOrigne, cf. J. Dupuis, Lesprit de lhomme, op. cit., spcialement p. 29-42. Pour une tude de la nature
du chez Origne, cf. ibid., p. 90 sq.
1824
. J. Dupuis, Lesprit de lhomme, op. cit., p. 78 sq., a relev les emplois de chez Origne et remarque que, daprs
les textes, le plus souvent, le entre dans le compos de la nature humaine du Christ, sauf dans quelques passages, tel le
Commentaire sur lptre aux Romains, 1, 7 (5), dans la version de Rufin : Selon la chair, il fut fait et nexistait pas dabord ; mais selon
le il tait et jamais il ny eut de temps quand il ne fut pas (PG 14, 848 C ; C. P. Hammond Bammel, Der Rmerbriefkommentar
des Origenes, Buch 1-3, op. cit. p. 56). Dans ce mme commentaire, lauteur interprte Rm 1, 3-4 trs librement et applique le
la divinit. Pourtant cette formule reste isole dans luvre dOrigne. Mais selon J. Dupuis, on ne peut douter de lauthenticit de
ce texte en raison de lexistence de la version quen donne Pamphile dans son Apologie (Apologia pro Origene, PG 17, 561 C). Il ne
semble y avoir que dans le commentaire de Rm 1, 3-5 et dans certaines traductions latines dautres de ses uvres, que lon trouve
le au sens de divinit chez Origne (ibid. p. 79). On entrevoit ici une diffrence trs nette avec la doctrine dApolinaire, qui
432
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On peut voir derrire cette insistance de la ralit de lincarnation une dfense dApolinaire face ses dtracteurs qui
laccusent de doctisme. Cf. Lettre pictte, PG 26, 1061 A(cite par piphane, Pan., 77, 4, GCS, Epiphanius, III, op. cit., p. 419) ;
Ps.-Athanase, Contre Apolinaire II, PG 26, 1133 A.
1829
1830
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### ######, #####, # ##### ############ ### #### ### ######## #######
################### ## ### ### ####. La chair nest pas sans me, dit-il :
elle lutte contre lesprit, est-il dit (cf. Ga 5, 17), et soppose la loi de lintellect (cf.
1833
Rm 7, 23) .
Dans ce fragment, on voit le schma trichotomite affleurer, parce que la chair est
, distincte du ou du . Cela signifie que le Christ na pas revtu une
humanit comme un instrument strictement passif, mais que la chair a pour caractristique
ontologique dtre dote dune me (). En tmoigne les lieux scripturaires de Rm 7, 23
1834
1835
et Ga 5, 17
, et plus loin Rm 8, 7 ( ) .
Daprs la faon dont Grgoire prsente la trichotomie anthropologique dApolinaire dans
1836
ce passage , il ressort que le Laodicen na pas voulu seulement prouver par les citations
de lptre aux Romains la tripartition de lhomme, mais quil a voulu justifier par elles la
forme que Jsus est Dieu par lesprit qui sest incarn, et homme par la chair quil a
assume (frg. 19 : , , ,
1837
) . On voit ici lapplication immdiate de la trichotomie
la christologie. La notion de dans ce fragment nest pas interchangeable avec celle de
, parce que la chair comprend le corps avec son propre principe de vie. En atteste la
faon dont Grgoire cite, peu aprs ce fragment, linterprtation par Apolinaire d1 Co 15, 48,
o le premier homme Adam est appel me existant avec un corps (
1838
), tandis que le second homme est
nomm spirituel selon son essence, son origine cleste :
1839
.
1831
1832
1833
1834
1835
1836
1837
1838
1839
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#### ############# ########, #### ### ###### ##### #####, ### #####
######### Mais il est aussi un homme cleste, dit-il au sujet du Seigneur, et
1842
un esprit vivifiant
.
Il ny a pas seulement un change du humain contre le divin, aboutissant
ce que Dieu prend la place de la raison humaine en tant que Raison, mais une diffrence
fondamentale de lontologie de Jsus par rapport celle de tous les autres hommes : son
esprit (), par opposition celui des hommes en gnral est lEsprit dispensateur
de vie.
Sans revenir sur les analyses que nous avions menes prcdemment propos du
dbat exgtique sur 1 Co 15, 45-48, nous voulons rappeler comment Apolinaire conoit
son anthropologie de faon dynamique partir de ce passage paulinien prcisment,
contrairement la faon dont Grgoire la prsente, comme une addition de parties. Selon
Apolinaire, lenjeu nest pas tant le nombre des parties observables en lhomme, que la
fonction et linteraction des diffrentes instances entre elles, en vue dune explication au
niveau ontologique de la rdemption de lhumanit par le Christ. Si le Christ est bien Dieu
incarn et non pas un homme inspir la faon dun prophte, rceptacle de Dieu (frg.
90 : ), il doit assurer, dans le compos humain quil assume, une
fonction vivificatrice, qui, par sa vertu vivifiante, rachte lhumanit dchue. Dans la logique
dApolinaire, la divinit doit venir sintgrer dans la structure ontologique humaine du Christ
en assumant la fonction du par rapport aux deux autres lments. Cest en ce sens quil
rsout lunit de lhumain et du divin au niveau de la structure anthropologique du Christ.
Par consquent, la constitution humaine du Christ pour Apolinaire est ncessairement
diffrente de celle de lhomme commun. La relle incarnation du Dieu Logos ne peut
sexpliquer quen termes dune intgration du divin dans la nature humaine, sur un plan
ontologique. La christologie du , labore contre la conception dun Christ
la manire dun homme inspir ( ) schafaude donc partir dune
anthropologie gnrale.
1840
Pour lhypothse de composition propose par E. Mhlenberg au sujet de cette partie de lApodeixis, cf. Apollinaris von
Antirrh. 209, 12-15. Cette premire partie du fragment 89 serait plutt textuelle. Cf. E. Mhlenberg, op. cit., p. 70.
1842
Suite du frg. 89 en Antirrh. 213, 14-15. Pour Mhlenberg, la pense dApolinaire restitue par Grgoire nest pas
complte : il manque un lment entre la premire partie cite plus haut (Antirrh. 209, 12-15) et ce passage.
435
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Mais dans la section des fragments 70-90, lanthropologie est applique la christologie
selon une perspective sotriologique :
Dans ce fragment 76, que Grgoire dit citer textuellement , Apolinaire voque les
1846
proprits de la chair selon la tradition philosophique commune
: elle a par nature
besoin dtre guide. Dans le cas de lhumanit du Christ, pour que le genre humain
puisse tre sauv, llment hgmonique ne peut pas tre faillible. Cest donc Dieu luimme qui sert de principe hgmonique lhumanit du Christ. Lhomme cr est dans
son essence un rceptacle, tandis que Jsus est le dispensateur de vie. Lauteur dclare
que cest par cette action vivifiante, qui dpend de sa constitution humaine, que le Christ
1847
sauve ( ), parce quil est infaillible par nature . Mais lextrait
dApolinaire que Grgoire restitue ne montre pas comment le fait que le Verbe incarn soit
1843
Le balancement entre et pose un rel problme de traduction, que nous navons pas
rsolu. Grgoire met en cause cette distinction en Antirrh. 193, 8 sq. (analyse du frg. 76). Nous avons repris le choix
e
de R. Winling, Le Mystre du Christ, Contre Apollinaire (IV
sicle), op. cit., p. 235. H. de Riedmatten, dans son article
La christologie dApollinaire de Laodice , op. cit., p. 212, note 2, explique ainsi la nuance : lhomme entier ne serait
qu lev (), la chair est prise soi (), approprie . Une telle interprtation suggre
quApolinaire, contrairement Grgoire, ne conoit pas lincarnation du Verbe en vue de llvation de lhomme, cest-dire de son salut, alors que Grgoire, en revendiquant l de lhomme tout entier, exprimerait la rdemption de
lhomme comme une lvation. Or la dimension sotriologique est prsente chez Apoliniare, mais exprime diffremment.
E. Cattaneo traduit par prise en charge de la chair (Trois homlies pseudo-chrysostomiennes sur la Pque,
op. cit., p. 178). Cette dernire traduction pose problme, selon nous, parce quelle introduit une dimension morale, alors
quici la rflexion parat se situer plutt au niveau ontologique.
1844
1845
1846
utilis. Cf. Platon, Phdre, 253 c-d (dans une tripartition lintrieur de lme et non pas dans le compos humain pris dans son
ensemble) ; cf. aussi Time, 45 b 1-2 ; 90 a ; chez les stociens, cf. SVF, II, frg. 827-832, p. 226.
1847
La consquence logique de ce raisonnement, daprs lequel le Logos devient en Jsus le principe actif, hgmonique, infaillible,
est que le Christ na pas la mme nature humaine que le reste du genre humain. Cf. Anacephalaisis , 23 :
, , , , .
. Si la nature du Christ est elle-mme
comme la ntre, il est le vieil homme (Rm 6, 6), me vivante (Gn 2, 7) et non pas esprit vivifiant (1 Co 15, 47), et un tel tre ne
vivifie pas non plus. Or le Christ vivifie et il est esprit vivifiant : donc il ne partage pas notre nature (Lietz. p. 244-245). La diffrence
de nature entre lhumanit du Christ et celle de lhomme commun est fonde ici sur un verset scripturaire, 1 Co 15, 47, qui lui-mme
fait allusion Gn 2, 7, pour la cration de lhomme ancien, me vivante . De mme que Dieu a insuffl la vie lhomme au moment
de sa cration au point den faire une me vivante , de mme le Logos, en raison de sa nature divine, devient le principe animateur
de vie dans lhumanit quil assume pendant son incarnation.
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Esprit vivifiant donne la vie, non pas seulement sa chair personnelle, mais au genre
humain ( ), et en ce sens, le sauve ( ). Ce
fragment met en lumire un aspect caractristique de lAntirrheticus : Grgoire rapporte peu
comment la sotriologie dApolinaire sarticule sa christologie. Pour apprcier la cohrence
de la doctrine apolinarienne, le critique est gn par ce silence de Grgoire.
Mais en dpit de ce silence, lissue de lanalyse de la section des fragments 70-90,
on constate que le concept christologique de est labor partir de
1848
lanthropologie conue en fonction de lhorizon sotriologique .
Cest la thse dE. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, p. 149-151 : la christologie dApolinaire est dabord labore
en vue de la sotriologie, et non pas comme une unique application de lanthropologie. Par consquent, lanthropologie sert de
prliminaires mthodologiques, mais nest pas le point de dpart fondamental de sa doctrine. Une telle conception remet en cause
linterprtation de la critique qui lisait la christologie dApolinaire en fonction des deux modles anthropologiques soutenus.
1849
Cette
A. J. Festugire, La trichotomie de I Thess. 5, 23 et la philosophie grecque , RechSR, 20, 1930, art. cit., p. 411.
interprtation est conteste par D. Bertrand, Le platonisme des Pres n'est-il pas aristotlicien? , Being or Good? Metamorphoses
of Neoplatonism, d. A. Kijewska, Lublin, 2004, p. 288-289 spcialement. Il montre comment les auteurs patristiques emploient le
terme
dans le sens dintelligence , dintellect , distinct du . Il y a aussi un usage biblique du . Par consquent
Le terme de se trouve galement, mais rarement, dans les ptres pauliniennes (cf. Rm 1, 18-32 ; Rm 7, 23-25 ; 2
Co 4, 1-4 ; 1 Tm 6, 5 ; 2 Tm 3, 8 ; 1 Co 1, 10). Cf. P. Bonnard, Lintelligence chez Paul , Anamnesis, recueil publi par S. Masler,
Genve, 1980, p. 133-143.
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dans luvre dApolinaire deux terminologies diffrentes, lune, trichotomite, -, lautre, dichotomite, -. Llment figure dans une anthropologie
trois termes, le dans une structure deux termes. Le premier correspond-il donc
vraiment au second ?
Les adversaires contemporains dApolinaire ont considr que les deux termes taient
quivalents, comme en atteste un passage dpiphane, dans son Ancoratus, rdig en 374.
Lauteur sarrte alors sur un des arguments apolinaristes, savoir que le de lhomme
serait une hypostase et dclare : ,
, <> :
[] lesprit est intellect et lintellect, lesprit, comme ils le pensent eux-mmes, et lme
1851
est une autre hypostase que lintellect et lesprit . La distinction entre et
pose problme pour piphane, parce quelle implique une autonomie ontologique du ,
appel ici . Or on ne trouve dans aucun texte dApolinaire que le est une
hypostase, qui, par voie de consquence, viendrait mettre mal la doctrine trintiaire aux
yeux de lauteur. Pour Apolinaire, le est lme spirituelle de lhomme. Lquivalence
entre les deux termes, et , faite comme en passant par piphane dans son
argumentation, montre que si les textes quil nous reste dApolinaire sont fluctuants quant
la terminologie employe, les deux notions taient perues comme des synonymes par
ses contradicteurs.
Mais si lon veut faire ressortir des nuances thologiques entre les termes
et , ltat fragmentaire des uvres dApolinaire ajoute une difficult. Le critique
actuel doit reconstituer lanthropologie de cet auteur partir de son raisonnement sur
lanthropologie applique au Christ. Cest en quelque sorte en faisant un dtour par la
constitution humaine du Christ que lon parvient voir plus clair sur la faon dont il envisage
ltre humain.
Lanthropologie affleure en lien troit avec la christologie du . Or
prcisment, parmi les fragments o se trouve formule cette expression (frg. 25 ; 32 ;
74 ; 97), on trouve une quivalence explicite entre le et le dans le fragment
25. Cest en sappuyant sur ce passage que la critique a considr lexacte synonymie du
1852
avec le , la suite de Grgoire qui, lui-mme, la formule ailleurs dans
, ( Donc lintellect, quil
son Antirrheticus :
appelle esprit ) 1853
. Dautres fragments font lquivalence entre et (frg. 74,
97), dautres encore entre et (frg. 19, 25, 32, 41) et enfin, le fragment 72 dfinit
lhomme en gnral comme . En stricte logique, si Apolinaire fait du un
synonyme de (frg. 32) et quil dfinit tantt la divinit comme , tantt comme
, on peut reconnatre une quivalence entre , et dans le Christ.
1851
piphane, Ancoratus, 77, GCS, Epiphanius I, d. K. Holl, op. cit., p. 96-97. Pour le dbat autour de la notion dhypostase
propos de lme et de lintellect, cf. M. Richard, Lintroduction du mot hypostase dans la thologie de lincarnation , op. cit.,
Opera minora II, art. n42, p. 5-6. Ce critique montre comment largumentation dApolinaire, accus par piphane, est diffrente de
la faon dont ce dernier la prsente. En effet, pour Apolinaire, lhomme est une hypostase en vertu de son principe de vie. Son
me animale () et son corps sont hypostasis () par et dans ce . Si donc le Verbe et divin a
assum un humain, il y a deux hypostases dans le Christ, ce qui nest pas possible. Si au contraire, il na assum quun corps
et une me animale, ils sont ncessairement hypostasis en lui, et le Christ nest quune seule hypostase.
1852
1853
Cf. par exemple E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 149 et surtout p. 156-157.
Antirrh.
146 , 23-24 : , ,
; ( Est-ce que donc lintellect, quil appelle esprit, na pas t introduit dans le faonnement dAdam ? ).
438
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Nous allons cependant examiner chacun des extraits de lApodeixis, o lun et lautre mot
sont utiliss en rapport avec le terme de divinit, pour tenter de faire ressortir le contenu
smantique et le rle du troisime lment, le .
Tandis que Grgoire examine la faon dont son adversaire se sert de la formule de
Nice contre Paul de Samosate pour prouver lontologie particulire du Christ, homme qui
provient du ciel , il en vient citer textuellement, dit-il, lextrait de son adversaire (fragment
25). Celui-l dfinit la constitution particulire du Christ et caractrise ce qui fait la divinit
de lhomme Jsus :
## ## #####, ######## ### ####, #### #### # ####### ### ##### ### ######
####### ######## ## ####### #######. Le Christ ayant comme lment divin
lesprit, cest--dire lintellect, avec une me et un corps est dit juste titre
1854
homme descendu du ciel (cf. 1 Co 15, 45).
Cette phrase, si elle est entirement une citation textuelle, expose explicitement
lquivalence smantique entre et sous forme de parenthse explicative
( ) dans une anthropologie trois termes (, , ). Cest
le seul fragment que nous avons trouv o le , dsignant la divinit en Christ,
est rapport une trichotomie, et ne soppose pas la comme tous les autres
fragments que nous allons voir. Notons cependant que dans ce fragment 25, lquivalence
entre lesprit et lintellect est formule sous la forme dune incise, comme le fait
plusieurs reprises Grgoire lorsquil veut citer une expression textuelle de son adversaire
1855
quil aurait reformule prcdemment , ou au contraire, lorsque lui-mme veut insrer un
1856
commentaire dans lextrait de son adversaire . Il se pourrait donc aussi quici lexpression
1857
soit une glose de Grgoire .
Quoi quil en soit, ce passage de lApodeixis vise expliciter lorigine de lintellect divin
en Christ en des termes qui reprennent lantagonisme paulinien entre lhomme terrestre
(le premier Adam) et lhomme cleste (le second Adam ou Christ). Dans le contexte de la
christologie dApolinaire, le terme de ne dsigne videmment pas la personne de
lEsprit Saint, mais qualifie la divinit qui sincarne dans lhomme Jsus, soit le Logos.
Ailleurs encore dans lApodeixis, dans le fragment 19, le terme de dsigne
la divinit en Jsus-Christ, sous-entendant lquivalence =, =.
La pense dApolinaire est soit cite textuellement, soit reformule dune faon proche de
ltat originel :
Frg. 25, Antirrh. 143, 1-3. Grgoire dclare quil cite la lettre ce fragment.
Cf. frg. 48, Antirrh. 166, 24-25. Cf. notre analyse, partie I, chapitre 3 : lauthenticit des fragments dApolinaire .
Cf. frg. 89, Antirrh. 213, 7-15, spcialement l. 14-15.
Mais ce nest l quune conjecture. On retrouve le mme phnomne dans le frg. 38, cit par Grgoire comme un extrait
authentique, Antirrh. 155, 24-25 : , , ( Lui qui, par lui-mme, cest-dire par sa chair, a purifi le monde des pchs ). Faut-il voir dans lincise une glose de Grgoire ?
1858
Antirrh. 140, 3-5. Pour la question de lauthenticit, cf. E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, op. cit. p. 66.
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## #### ##### ### ######## ######## ##### ### #### ### ####### #####
#######; ##### ## ########## ########, ## ### ### ###### ########, ##
### ###### ####### ## ###, ### ## ### ####### ############## ### #######
######## ; Quest-ce encore que cette incarnation de lEsprit sinon lunion
notre propre chair ? Do lhomme a-t-il t assum si ce nest du premier
homme (cf. 1 Cor 1, 45 sq.) dont nous avons entendu Mose donner lorigine de sa
1860
premire naissance de la terre et non pas du ciel ?
La rponse de Grgoire consiste faire remarquer son adversaire que le Christ, dans
la mesure o il est homme, a une filiation humaine. Il est n et sest fait homme comme
tous les hommes, par une naissance terrestre, et, ce titre, il est un homme terrestre part
entire. Le dbat se dploie sur le fond d1 Co 15, 45 (opposition de lhomme terrestre et
de lhomme cleste), que Grgoire va largir la formation de lhomme donne en Gn 2,
7. En fait, il rfute ici une forme de christologie qui dfendrait une sorte de chair cleste,
une constitution humaine du Christ, qui ne sinscrirait pas dans la continuit des gnrations
1861
depuis Adam . Apolinaire nayant jamais prtendu une telle thse, on peut supposer que
Grgoire ragit plus contre des implications christologiques ventuelles.
Parmi les autres extraits de lApodeixis, o le terme dsigne la divinit en
Christ, on peut voquer nouveau le fragment 32, qui ouvre un nouveau volet polmique
sur la faon dont le Logos prexistait avant le temps de lconomie :
##########, ##### ######### ####### ### ## ###### ##### ### ##### ###
########, ######## ### ####, ### ## ### ###### ## ## ### ############ #####
##### ######## #####. Lhomme Christ, dit-il, prexiste non pas en tant que
lesprit, savoir Dieu, est un autre que lui-mme, mais en tant que le Seigneur
1862
dans la nature du Dieu homme est esprit divin.
Ce qui prexiste dans le Logos avant lconomie, cest llment dans lhomme Jsus que
lon reconnat tre Dieu, savoir lesprit divin :
. En raison de lunit de nature indissoluble (au risque de
faire disparatre ltre lui-mme qui existe du fait de la conjonction des deux lments, si
1859
1860
1861
7 ; frg. 163, Lietz. p. 255 ; frg. 164, Lietz. p. 262 ; frg. 154, Lietz. p. 248 ; Ad Jovianum , Lietz. p. 253.
1862
440
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#####, ####, ### ###### # ########## #####, ### ## #### ### ##### ######## ##
###, #### #### ## ##### ######### ## #####. Le discours du Prophte, dit-il,
montre par ces propos que [le Christ] est consubstantiel Dieu non pas selon la
1866
chair, mais selon lesprit qui a t uni la chair .
Apolinaire vise ici dmontrer que le Christ pendant le temps de lincarnation est le mme
sujet que le Logos prexistant. Tout en tant incarn dans la chair, le Christ demeure
consubstantiel au Pre. Za 13, 7 lui sert prciser la consubstantialit du Verbe avec le Pre
pendant le temps de lincarnation. La rflexion sur le statut de la chair () engage cet
endroit de lApodeixis une rflexion trinitaire, parce quelle met en cause les relations entre
1867
le Pre et le Fils . La solution christologique dApolinaire consiste dfinir la prsence
divine dans le compos humain du Christ comme . Dans la mesure o le
est une composante de lunique nature humano-divine du Christ, il ne peut pas tre conu
indpendamment de la chair laquelle il est uni pendant lconomie (
). Le rapport du Fils et du Pre est de lordre du , non pas de la , mais
dun intimement uni la chair , en raison dune unit de nature indissoluble
1868
entre les deux composantes . Le point dachoppement avec Grgoire porte sur cette
1863
Le frg. 41 est une citation textuelle daprs E. Mhlenberg, Apollinaris, op. cit., p. 67. Za 13, 7a : ,
( pe, veille toi contre mon berger, et mon parent (version dAquila). Cf. les analyses
de M. Harl, La polmique de Grgoire de Nysse contre lusage de Zach 13, 7 par Apollinaire , Grgoire de Nysse : la Bible dans
la construction de son discours, op. cit., p. 89-99. Cf. notre analyse, partie III, prliminaires, le matriau scripturaire dApolinaire,
p. 284-301.
1865
1866
1867
Antirrh. 148, 1-5. Pour le Cappadocien, en effet, Za 13, 7 est utilis par Apolinaire afin de prouver la prexistence de la chair du
Christ : le sens de ces propos est celui-ci : ce qui sest manifest par la chair en naissant de la Vierge doit tre compris comme
antrieur aux autres tres, non seulement selon lternit de la divinit, comme nous le croyons tous, mais aussi selon la chair :
,
, , .
1868
Le frg. 41 peut tre mis en rapport avec un passage de la Premire ptre Denys , 6, o Apolinaire dclare confesser une
441
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union indissoluble de la chair et de lIntellect divin pendant lincarnation. Dans cet extrait de
lApodeixis, llment divin dans le Christ est donc dfini comme quil partage avec
le Pre. Cest donc l ou la divine, commune aux personnes trinitaires qui est
appele . Mais comme dans le fragment 32, lauteur ne conoit pas le du
Christ, qui dfinit sa divinit et sa consubstantialit avec le Pre, sans son union avec la
, en raison de lunique nature () qui les lie intrinsquement. Cela veut dire que
la structure anthropologique, selon laquelle lhomme est dfini comme -, est
le fondement de la pense christologique, au point que, du point de vue logique, lauteur ne
peut pas penser la divinit dans Christ sans son rapport permanent avec la chair, comme
on ne peut penser lexistence dun homme sans un corps et une me conjointement.
Cest encore ce qui se dgage dun autre passage de lApodeixis,qui prsente
lquivalence des termes et . Il sagit du fragment 97, qui met nouveau en relation
lanthropologie du Christ pendant lincarnation avec la nature du Logos prexistant :
###, ####, #### ######## ####### # ########## ### ### ##### ####, ## #
#### ## ####### ####### ; Comment, dit-il, Dieu devient-il homme sans subir
de changement de son tre de Dieu sil ne sest pas tabli comme intellect dans
1869
lhomme ?
Apolinaire cherche ici expliquer comment lincarnation nengendre pas daltration de la
substance divine du Fils. Il montre que la seule manire de prserver lincorruptibilit de
la divinit dans lincarnation, cest de la rduire llment dans lhomme quassume
le Verbe. La formule dintellect en lhomme , , est intressante :
elle montre comment lunit du divin et de lhumain est envisage partir de la structure
1870
anthropologique . Lexpression a vraisemblablement la mme signification que celle de
, qui implique lquivalence entre et . Le Verbe de Dieu est
en Jsus ce que lintellect est en lhomme. Une telle analogie repose sur un prsuppos
philosophique selon lequel le est une ralit spirituelle par opposition la chair qui
1871
est un lment matriel .
Par ailleurs, les fragments dans lesquels Apolinaire expose sa christologie semblent
employer indiffremment les notions de et de pour dsigner llment divin
dans la structure anthropologique du Christ. Par exemple une formule de lAnacephalaisis
et que le tout vient du ciel par la divinit et que le tout vient de la femme par la chair, ne connaissant pas de sparation dune seule
personne, ni ne coupant le terrestre du cleste ni le cleste du terrestre. En effet, une telle coupure est impie (ibid., 7).
1869
1870
Antirrh. 227, 10-12. Le frg. 97 est vraisemblablement textuel (cf. E. Mhlenberg, Apollinaris, op. cit., p. 70).
la diffrence dApolinaire qui cherche trouver une solution lunion de la divinit et de lhumanit sur le plan anthropologique,
dautres auteurs comme Grgoire de Nysse, ou plus tt Athanase, expliquent lentre du Dieu incorporel dans un corps humain par
la finalit de lincarnation, en raison de lamour de Dieu pour les hommes. Cf. Athanase, Sur lincarnation du Verbe, 1, 3 : Mais
tant incorporel de par sa nature ( ) et existant comme Logos ( ), il nous est cependant apparu
dans un corps humain ( ), par amour des hommes et bont de son Pre, pour notre salut (trad. rev. de Ch.
Kannengiesser, SC 199, p. 263).
1871
Cf. G. Verbeke, Lvolution de la doctrine du pneuma, Paris-Louvain, 1945, p. 534. Larrire-plan dune pneumatologie spiritualiste
ne va pas de soi dans le christianisme. Lauteur montre comment Tertullien, Lactance ou Macaire en restent une pneumatologie
matrialiste (ibid. p. 535).
442
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#### ### ##### ##### ######### #### ### ########## ### ##### ##### ##
######## ##### ### ##### ########## #### ##### ## ############ #####.
Lhomme est chair et esprit selon laptre, et voici ce que reprsente le fait
que le Logos soit devenu chair (cf. Jn 1, 14) : il sest uni la chair comme lesprit
1876
humain .
1877
Cf. frg. 70, que Grgoire prsente comme une citation exacte, Antirrh. 188, 23-27 : Si le Seigneur ntait pas un intellect
Autre dfinition de lhomme dans le frg. 129, Lietz. p. 239, et lAnacephalaisis , 10, Lietz. p. 243 :
: chez Apolinaire, cf. frg. n181 sur le Ps 103, 29-30 ( propos du de ltre humain la
ressemblance du Christ), d. E. Mhlenberg, Psalmenkommentare aus der Katenenberlieferung, I, op. cit., p. 72, 12 sq.
1875
1876
1877
Antirrh. 190, 27. Nous avions dj cit ce fragment comme exemple de dichotomie anthropologique.
1879
Cf. Rm 8, 9.
443
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C. La relation du et du
La critique sest longuement interroge sur les origines philosophiques de la conception
de lhomme et de Dieu chez Apolinaire, pour comprendre pourquoi il appliquait le modle
anthropologique au Logos incarn afin dexpliciter lunion hypostatique. Plusieurs auteurs
ont avanc lhypothse quApolinaire avait une conception de lhomme platonisante ,
non pas en raison de la thse trichotomite, car la trichotomie dApolinaire se situe
lchelle du compos humain, alors que chez Platon, elle porte uniquement sur les parties
1880
A. J. Festugire, dans son article La trichotomie de 1 Thess 5, 23 et la philosophie grecque , op. cit., n. 1, p. 385, fait
une liste des diffrents passages o il est question de la dichotomie -. Il note quen 1 Co 5, 3 lopposition entre a le mme sens que lantagonisme -.
1881
444
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1882
Cf. Platon, Rep. IV, 438 d sq. CUF, t. VII/1, op. cit.,p. 36 ; VIII, 548 c, CUF, t. VII/2, op. cit., p. 12 ; 550 b, op. cit., p. 16 ; IX,
580 d sq., op. cit., p. 62 : Phdre, 246 a sq., CUF, t. III/4, op. cit., p. 35 ; 253 c-e, op. cit., p. 49 ; Time 69 c sq., CUF, t. X, d. A.
Rivaud, 1963, p. 195, 89 e, op. cit., p. 224.
1883
1884
1885
Die Lehre von der Person Christi in den ersten vier Jahrhunderten, Berlin, 1851.
Apollinarianism. An Essay on the Christology of the Early Church, op. cit., spcialement p. 199.
Ch. A. Raven, Apollinarianism, op. cit., p. 199.
Frg. 107, Lietz. p. 232. Pour une traduction complte du fragment, cf. partie I, chapitre 3, lauthenticit des fragments
dApolinaire .
445
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Pour la relation entre le Logos divin et ltre humain, logikos, cf. De Inc. 3, 3, SC 199, p. 272 ; 6, 4, p. 284 (note 3 avec
dautres rfrences dans la tradition alexandrine depuis Philon) ; 11, 2, p. 304. Ch. Kannengiesser a montr dans un article
et chez Athanase dAlexandrie , StPatr. XI/2, TU 68, 1972, p. 199-202, comment chez Athanase, la filiation entre le Logos
divin et lintellect humain, dveloppe partir dlments repris dune tradition fixe par Philon, Clment dAlexandrie et Origne,
ainsi quavec un certain noplatonisme, a chez lui une orientation sotriologique particulire. Lunit du divin et du est
envisage comme lexprience vcue dune divinisation ontologique et immdiate.
1892
1893
1894
puisque plusieurs crits dApolinaire sont parvenus sous le nom dAthanase : le trait (Quod unus sit Christus), cf.
Lietz. p. 159 ; (De incarnatione dei Verbi), cf. Lietz. p. 160, pour lhistoire de la tradition manuscrite.
1895
446
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la facult en lhomme nest pas mise en relation avec le divin, dans une
perspective thologique qui dcoulerait de Gn 1, 26, o lhomme est conu limage de
Dieu. La perspective est tout fait diffrente. En effet, la facult sert mettre
en valeur ce qui fait la particularit de la nature humaine par rapport lanimal. Cest
prcisment lorsquApolinaire veut montrer la diffrence de nature entre le Christ et lhomme
commun quil qualifie le Verbe incarn par les termes et . Il est intressant de
noter que le schma anthropologique nest plus utilis comme outil argumentatif dans une
telle dmonstration. Le Verbe nest pas qualifi ici de ou de .Le mouvement
dmonstratif de ce fragment nous amne contester la position de R. A. Norris. En effet,
pour ce dernier, en dpit du contraste dcrit entre lhomme et Dieu, le raisonnement dans ce
passage est sous-tendu par lide que lhomme participe au divin par sa facult rationnelle.
Selon nous, dans ce fragment, Apolinaire cherche plutt mettre laccent sur la diffrence
ontologique fondamentale entre lhomme commun et le Christ, quil ne vise souligner leur
affinit.
De plus, nous voudrions ajouter que dans la collection des fragments doctrinaux
dApolinaire, il ny a que deux extraits transmis par lranists de Thodoret qui font tat
1896
du en lhomme pour dsigner lintelligence de lhomme . Proportionnellement,
ils reprsentent une partie infime par rapport lensemble du corpus qui parle du
ou du , dont les fragments de lApodeixis, comme nous lavons vu. Faut-il mettre
cette particularit lexicale au compte du contexte argumentatif auquel appartiennent ces
fragments (ils sont tirs du Contre Diodore), ou bien serait-elle un critre qui remettrait en
cause lauthenticit de quelques fragments ? Ces divergences de vocabulaire pourraient
tre lindice de confusions entre les crits de la main dApolinaire et ceux de ses disciples.
Il faudrait mener une tude approfondie sur lhistoire de la rception des fragments o
le lexique (, ) est diffrent de celui quon a observ prcdemment dans
les fragments tirs des diverses uvres dApolinaire ( ou ), afin de voir sils
1897
seraient dune main plutt apolinariste que dApolinaire lui-mme, ou alors interpols
?
Pour conclure sur la question de linfluence platonicienne au niveau de la terminologie
dApolinaire, dans la rutilisation du terme , il nous semble que les arguments
arguments avancs par R. A. Norris sont fragiles. Sil y a chez Apolinaire une affinit
1898
clairement affirme entre linstance suprieure du compos humain et Dieu lui-mme ,
1899
elle est nonce par le terme , qui dnote une influence aristotlicienne .
Frg. 126 et frg. 132, d. H. de Riedmatten, Les fragments lranists, op. cit., p. 208-209.
Selon V. Drecoll, avec qui nous nous sommes entrenue sur ce point, il faudrait reprendre ldition de H. Lietzmann, et
revoir la question de lauthenticit des fragments que lon peut supposer provenir dApolinaire lui-mme et ceux qui proviennent de
la littrature apolinariste.
1898
1899
447
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##### ### #### ####, ######## ############# ## ## ###### #### ### ###
########### ## #### ## ### ######### #####. Si avec Dieu qui est intellect,
dit-il, il y avait aussi un intellect humain, luvre de lincarnation naurait pas pu
1900
saccomplir en lui .
La question de lontologie du Christ est rapporte expressment ici la sotriologie. Dans
la suite de la citation, Apolinaire prcise que la vise de lincarnation est labolition du
1901
pch : . Il doit donc expliquer en quoi la prsence dun
humain est un obstacle la rdemption du genre humain : pour que la finalit de lincarnation
pt saccomplir, il fallait un Dieu qui assumt pleinement la condition humaine (et non pas
1902
la faon dun homme inspir) , et en mme temps, un tre dont linstance capable de
choix entre le bien et le mal ft impeccable. La proposition implicite du raisonnement est
que lintellect humain est corruptible formulation que lon trouve explicitement dans une
1903
Lettre aux vques de Diocsare
, o Apolinaire dfinit le comme
tant ( intellect versatile
1904
et prisonnier des raisonnements grossiers ) . Un homme dont linstance intellective
est corruptible ne peut sauver lhumanit :
( Il ne peut sauver
le monde, lhomme qui reste homme et qui est soumis la corruption commune des
1905
hommes ) . Autrement dit, il faut un homme parfait moralement pour racheter tous les
hommes. Le Christ, aux yeux dApolinaire, ne peut sauver lhumanit que sil a un
incorruptible, cest--dire divin : ( [] le Christ tant
1906
intellect divin, cleste, non versatile ) .
1900
Frg. 74, Antirrh. 192, 9-12. Lextrait de lApodeixis serait donn textuellement, si lon en croit Grgoire (cf. Antirrh.
192, 7-9.
1901
1902
1903
Toutefois, il est difficile de savoir si ce fragment a t rdig rellement par Apolinaire ou bien par lun de ses disciples. H. Lietzmann
note cependant quun passage de cette lettre, p. 256, 7-15, est une citation textuelle du Tome synodal de 362 (cf. ibid., p. 147), ce
qui le fait pencher en faveur de lattribution du texte Apolinaire.
1904
1905
stylistiques). Grgoire formule son approbation devant une telle rflexion dApolinaire, Antirrh. 217, 12. Nous prsentons une analyse
dtaille de ce fragment dans le prochain chapitre La divinit du Christ dans la mort et dans la rsurrection .
1906
ptre aux vques de Diocsare , Lietz. p. 256, 7. En plus des fragments dApolinaire sur la question de linfaillibilit du
en Christ, on peut citer le discours de ses adversaires. Le Ps.-Athanase, dans le Contre Apolinaire I, 2, numre les erreurs
doctrinales des apolinaristes et formule ainsi ce point : , , , ,
, ( [le Christ] a pris, disent-ils, une humanit sans intellect pour
448
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Dans le fragment 74, la question sous-jacente est donc de savoir comment conserver
ontologiquement limpeccabilit divine ncessaire au salut de toute lhumanit. La solution
dApolinaire est de dmontrer que Dieu est prsent en lhomme Jsus seulement titre de
.
Or, il est trs intressant de remarquer que dans ce fragment 74 et dans les autres
extraits dApolinaire qui traitent de la question de linfaillibilit de lintellect du Christ, ce
nest pas le terme qui est utilis, mais toujours celui de . Au contraire, lorsque
nous avions analys les preuves de lanthropologie trichotomite dApolinaire, nous avions
relev quApolinaire reprenait le mot biblique pour dsigner la troisime instance
1907
du compos humain . On peut donc se demander si la notion de dfinit lesprit/
lintellect sous un angle particulier lorsquApolinaire aborde lanthropologie dun point de
vue thique. Mme si les deux termes semblent renvoyer la mme instance du compos
humain, faudrait-il associer une connotation morale la notion de plutt qu celle
de ?
Les emplois du terme dintelligence dans le Nouveau Testament sont peut-tre un
lment de rponse. En effet, le peut y avoir le sens dune disposition morale intrieure
(cf.1 Tm 6, 5 ; 2 Tm 3, 8 ; 1 Co 1, 10), quivalant au terme de , ce qui implique lide
de sige dcisionnel que na pas le terme de . Chez Paul, en Rm 1, 18-32, en Rm 7,
1908
23-25, et en 2 Co 4, 1-4, le dsigne le lieu de la responsabilit humaine . Il est donc
possible quApolinaire recoure au plus spcialement lorsquil envisage lactivit de la
facult intellective dans un sens moral et non pas dans celui de simple comprhension. Il
e
est cependant difficile de savoir si, dans les uvres du IV sicle, les auteurs patristiques
utilisent le terme en rfrence explicite au sens de certains passages des ptres
de Paul, ou sil nest pas utilis avec un certain syncrtisme, devenu habituel, des deux
traditions, biblique et philosophique. Si chez Paul, le anthropologique dsigne les
fonctions psychologiques de lhomme (1 Co 7, 34 ; 2 Co 7, 1 ; Col 2, 5), il apparatrait
cohrent que, pour dsigner la capacit en lhomme de dcider, Apolinaire choisisse le
terme de qui renvoie llment rationnel en lhomme et qui est le lieu dexpression
dune responsabilit morale, plutt que celui de .
Grgoire rplique cette dfinition du Dieu incarn comme simple en lhomme
Jsus et montre comment cette conception de la christologie est trop rductrice :
### ### ##### #### ## ##### #######; #### ###### ####### ###### ##### ##
## ### #### ##########, #### ############ ## ########, ### # ## ####
####### ######## #####, # ## #### #### ######## ####### Qui parmi les saints
a dfini le divin comme intellect ? Par quelles critures avons-nous appris que
Dieu est le mme que lintellect, au point daccepter ce quil dit : que lhomme en
Christ est sans intellect, mais que Dieu est devenu lintellect de celui qui est sans
1909
intellect ?
tre lui-mme lintellect en elle et pour ne pas goter du tout au pch, en raison du moins de sa divinit et de labsence dintellect
dans la chair ), PG 26, 1096 B.
1907
1908
Rm 7, 23-25 ; 2 Co 4, 1-4) o le est utilis par Paul trois niveaux diffrents, dcrivant la rponse de lhomme face la rvlation,
dabord face la cration, puis face la loi de Dieu, enfin, face lvangile lui-mme.
1909
449
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Largument de lautorit des critures et de la tradition patristique sur ce point (que Dieu joue le rle de lintellect en lhomme
assum par Jsus) est utilis par tous les adversaires dApolinaire sur ce point prcisment. Citons pour exemple le Contre Apolinaire
Idu Ps.-Athanase, 13, PG 26, 1116 C : , , ,
, ( Car pas mme les prophtes, ni les aptres, ni aucun des
vanglistes nont dit ce que vous entreprenez de formuler, vous dont lme est impudente ).
1911
Daprs E. Mhlenberg, Apollinaris, op. cit., p. 69, les fragments 75 et 76 sont textuels. Pour le premier, la forme syllogistique
parle en faveur de son authenticit, pour le second, Grgoire souligne quil le cite la lettre : .
1912
1913
1914
Anacephalaisis , 25, Lietz. p. 245. Dans le mme sens, on peut citer un fragment dApolinaire sur Jean, In Jo.
450
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1916
propos de la question de la perfection naturelle du Christ, cest--dire labsence en lui dun quelconque effort moral
ou intellectuel, selon Apolinaire, dans la controverse anti-arienne, cf. E. Cattaneo, Trois homlies sur la Pque, op. cit., p. 197 sq.
La rflexion sur le progrs dans la vertu est dveloppe dans la tradition philosophique en des termes proches de largumentation
dApolinaire. Cf. De fato, 6,dAlexandre dAphrodise, qui offre un parallle avec le frg. 150 dApolinaire (CAG, Suppl. II, 2, d. Bruns,
p. 170, 12-18) : lide que lacte dapprendre et lexercice moral sont les conditions pour acqurir la science-vertu, est un lieu commun
de la culture antique. Alexandre dit : cest par lentranement et par les choses quon apprend ( )
ainsi que par les penses nobles quon devient meilleur . Ce dernier soppose aux partisans du dterminisme et dclare quil y a
en lhomme deux : le premier, naturel, qui est en puissance ( ) que tous les hommes possdent (De anima,
d. Bruns, op. cit., p. 81, 23-28) et le second, form, acquis (), accompli ( ), rellement en acte chez
ceux qui sexercent et font leffort dapprendre (De anima, CAG, Suppl. II, 2, d. Bruns, op. cit., p. 82, 1-2). Selon Alexandre, le mme
phnomne se produit avec la vertu, qui est la perfection dune nature qui donne seulement la capacit de lobtenir (cf. De fato, CAG,
Suppl. II, 2, d. Bruns, op. cit., p. 197, 6-8).
1917
Antirrh. 195, 19-21. Cf E. Mhlenberg, Apollinaris, op. cit., dont nous reprenons les analyses, p. 156-157.
1918
1919
451
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1920
1921
Anaxagoras , cit par Platon dans plusieurs de ses uvres . Apolinaire reprend cet
axiome philosophique pour montrer comment dans le Christ il ne peut y avoir deux principes
1922
dans un mme sujet ( ) , car selon lui,
deux principes coexistant, qui sautodterminent, entreraient en conflit lun avec lautre (
) et mettraient mal lunit de sujet.
Mais cette dfinition ne met pas encore en valeur la particularit du divin. Dans
le fragment suivant, n151, Apolinaire affine encore sa pense :
7
Cf. Anaxagore, frg.12, d. H. Diels, Fragmente der Vorsokratiker, II, p. 37-39, Berlin, 1954 :
, , : Toutes
les autres choses participent une partie de chaque chose ; mais lIntellect, lui, est illimit, matre absolu et nest mlang aucune
chose, car il existe seul et par lui-mme (trad. J.-P. Dumont, Les Prsocratiques, coll. La Pliade, Paris, 1988, p. 675).
1921
Ce frag. 12 est cit par Platon dans le Phdon, 97 b-c, CUF, t. IV/1, d. L. Robin, Paris, 1967, p. 68 et dans le Cratyle 413 c,
ce fragment.
1925
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de la personnalit ce qui est impossible dans un unique sujet (cf. frg. 151 :
). Le terme , employ selon lusage aristotlicien, est
1926
appliqu ici la christologie et semble vouloir dsigner le substrat personnel , lunit
1927
de personne , considre dans sa ralit concrte.
En somme, pour Apolinaire, la prsence de deux intellects mettrait mal lunit
1928
de nature du Christ ( ) . M. Richard explique que le grand principe des
[apolinaristes] tait que toute nature spirituelle est ncessairement une hypostase, cest-dire un individu : do limpossibilit de faire coexister dans le Christ le Verbe, esprit divin,
1929
et un , esprit humain, sans lui attribuer deux hypostases .
lissue de ces analyses, on cerne mieux lintrt de penser un de nature divine
en Jsus-Christ, ou plutt de considrer la divinit en Christ comme dans lhumanit
quil a assume. Dune part, en attribuant un divin au Christ en plus dun corps et
dune me, Apolinaire ne droge pas aux lois de la constitution de ltre humain, qui se
singularise par son intelligence, en faisant de lui un homme la ressemblance du reste de
lhumanit : le Christ possde en effet tous les lments requis pour tre homme. Dautre
part, substituant un divin linstance humaine rationnelle, il prserve la perfection
morale et ontologique de Dieu, qui nentre pas en contradiction avec un lment qui revtirait
dj la mme fonction dans le compos humain du Christ et qui serait faillible par nature.
Enfin, dclarant que le est divin, il nonce quil reste libre de sautodterminer, mais
que puisquil est Dieu, il ne peut se mouvoir que dans le bien. Il prserve ainsi la libert
daction de Dieu dans linfaillibilit.
Cf. Origne, Homlie sur Jrmie, VIII, 2,SC 232, d. P. Nautin, Paris, 1976, p. 358. Lexpression est
utilise en thologie trinitaire comme quivalent d. Cf. Origne, Com. Jo. X, 37 (GCS Origenes IV, d. E. Preuschen,
1903, p. 212, 15), en opposition ; Basile, Ep. 9, 2 (CUF, t. I, d. Y. Courtonne, op. cit., p. 38); Ep. 210, 5 (CUF, t. III, op.
cit., p. 196). Cf. lanalyse de lemploi en thologie trinitaire de ce terme chez Basile, en rapport avec son origine aristotlicienne, par
V. H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinittslehre des Basilius von Csarea, op. cit., p. 320 ; 327-328. M.-O. Boulnois analyse le sens
de cette notion chez Cyrille et montre que dans son Commentaire sur Jean, dsigne le substrat matriel , cest-dire lindividualit matrielle qui aide dfinir la substance non pas comme une unit gnrique mais comme une ralit concrte
(Le paradoxe trinitaire chez Cyrille dAlexandrie, op. cit. p. 251 notamment).
1927
, ( une seule personne, le mme tant tout entier Dieu, tout entier homme ).
1928
Cf. Premire ptre Denys , 2, Lietz. p. 257. Nous reviendrons sur ce point capital de la christologie dApolinaire,
M. Richard, Lintroduction du mot hypostase dans la thologie de lincarnation , Opera minora II, art. cit. p. 7.
Antirrh. 141, 4-5.
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,
, ( La raison provient assurment de lintelligence si bien
1931
que sil est homme , il a ncessairement une intelligence, et sil na pas dintelligence, il
nest pas homme non plus ). Grgoire met alors en relation le avec la libert de choix
et de dtermination morale, et dclare :
### ### ### #####, ### ##### ########### #### ########; # ## #### #######
#### ### ###########, ##### ### ######## #########, #### #### ## # #####
###, #### ##### ###########. # ## ########## ##### ###### ## # #### ###
1932
#### ### #### ## ########. Qui ne sait pas que la vertu est la rectitude
de
1933
1934
la facult de choisir
? La chair, quant elle, est linstrument
de la facult de
choisir, soumise au mouvement de la rflexion, et se porte vers ce en vue de quoi
llment moteur la met en mouvement. Or la facult de choisir nest rien dautre
1935
quun intellect et une disposition faire quelque chose .
Avant den venir lanalyse de cette rplique de Grgoire, notons que dans son
argumentation sur la constitution humaine, il introduit, contre Apolinaire, la notion de
, prsente comme lquivalent du (
1936
) dans son aptitude prendre une dcision librement . Il envisage donc le
terme de dans une perspective thique et non plus seulement logique comme une
facult uniquement rationnelle. L o Apolinaire faisait de ladjectif la principale
caractristique du , cest la qui devient la notion-cl dans le raisonnement
anthropologique de Grgoire et dans sa rflexion sur la libert humaine, comme latteste un
passage du Discours catchtique :
: en lien avec la vertu () pour dsigner le rsultat dune action, conforme au bien, cf. Cant. GNO VI,
p. 72, 16 ; 230, 12 ; Beat. GNO VII/2, p. 94, 9 ; 120, 9 ; 121, 29 ; 127, 11.
1933
Nous avons choisi de traduire par facult de choisir dans ce passage, en raison de la fin du
raisonnement o Grgoire dclare que la nest rien dautre que le . Or lintellect est une instance du
compos humain, donc la aurait ici le mme statut que le (cf. Antirrh. 141, 11). Il nous semble donc que
Grgoire conoive ici la comme linstance humaine qui met des choix, qui est le lieu dexercice de la libert,
plutt que comme le rsultat de lactivit du qui serait ici la dcision droite : . Fr. Vinel propose comme
traduction du dbut de cet extrait : Qui ne sait que la vertu est la rectitude dun choix libre ? (SC 416, p. 85).
1934
Athanase aussi parle du corps du Christ comme (De Inc., 9, 2, SC 199, p. 296)
1935
1936
Cette notion est fondamentale dans lanthropologie de Grgoire de Nysse. Elle dsigne le libre-arbitre. Nous renvoyons tout
particulirement aux recherches menes par Fr. Vinel sur ce terme, partir des Homlies sur lEcclsiaste (cf. Eccl. SC 416, p.
85-88). Cf. ead., Selon la nature : les paradoxes dun concept. Lapport de Grgoire de Nysse , op. cit., p. 23 : la
caractrise lhomme comme image de Dieu , il dfinit la personne (ibid. p. 24). Ce critique renvoie entre autres ltude de J.
M. Rist, Prohairesis : Proclus, Plotinus et alii , entretiens sur lAntiquit classique, XXI (De Jamblique Proclus), Genve, 1975, p.
103-117 ; celle de M. Harl montre lorigine stocienne de , qui signifie la libert de choix ( Problmes poss par lhistoire
du mot autexousion : libert stocienne et libert chrtienne , REG 73, art. cit., p. 1960, p. XXVII-XXVIIII).
454
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excs de prix donn lhomme que quelque chose soit aussi sous notre pouvoir,
dont chacun soit, seul, matre. Cest cela la facult de choisir ; une aptitude
1937
exempte de servitude et autonome, qui rside dans la libert de pense .
La est prsente ici comme tant lexpression de sautodterminer librement.
1938
Elle traduit lide de lexercice de la libert dans son dynamisme . Elle engage aussi la
libert de lintelligence comme latteste la dernire formule :
. On trouve une dfinition de l trs proche de la dans le
dialogue de Grgoire Sur lme et la rsurrection. Il dit en effet :
,
( La libert est lassimilation ce qui est sans matre et souverain, elle
1939
qui nous a t donne en prsent par Dieu au commencement ) . L dans
cet extrait et la , dans le Discours catchtique, sont prsentes toutes deux
comme un don de Dieu, comme des facults qui font de lhomme un tre la ressemblance
de Dieu, qui est dit dans ledialogue Sur lme et la
rsurrection. Dans lextrait du Discours catchtique, ltre humain, par la , a
le pouvoir dtre matre de lui-mme ( ), comme Dieu a
la puissance de tout diriger ( ). Ces deux extraits
rendent compte de lanthropologie de Grgoire qui fait de lhomme l de Dieu.
La critique voit toutefois une diffrence entre l et la , qui tient
au fait que la premire est la libert inscrite dans la structure de lhomme tandis que
1940
la seconde est la libert de choix, fonctionnelle, cest--dire en activit . G. Dal Toso
a montr comment chez Grgoire de Nysse, le concept de a une densit
particulire : il ne dsigne pas seulement ce qui fait lessence de lhomme, savoir la libert,
mais il implique lexercice de cette libert, celui de sauto-gouverner, de dcider. Mais en
mme temps, la montre la prcarit de la libert humaine en acte, parce quelle
1941
inclut la mutabilit, et la possibilit du mal .
1937
1938
Proceedings of the Eighth International Colloquium Gregory of Nyssa, d. H. R. Drobner et A. Viciano, Leiden, 2000, p. 578
spcialement.
1939
An. et res., PG 46, 101 C ; trad. J. Terrieux, Sur lme et la rsurrection, coll. Sagesses chrtiennes, Paris, 1995, p. 151. Cf.
Cf. les analyses de J. Gath, La conception de la libert chez Grgoire de Nysse, Paris, 1953. Il traduit la dans
le passage de lOr. Cat. , XXXIII, l. 33, que nous avons cit, par la volont, facult exempte de servitude et libre . Ce critique voit
en l le sommet de la libert humaine, aprs une tude sur le sens et les emplois des notions , ,
, , .
1941
Cf. G. Dal Toso, La nozione di in Gregorio di Nissa, art. cit., p. 580. Cet article reprend les investigations
quil a menes dans sa thse : La nozione di proairesis in Gregorio di Nissa, Frankfort-Berlin-Bern, 1998.
455
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1942
Dans lextrait de lAntirrheticus, cit comme point de dpart dans notre analyse , il
est dit que la vertu qui consiste se dterminer librement en vue du bien, ou de ce qui est
droit (), rsulte dun choix opr par linstance quest le dont le sens est
1943
trs proche de celui de la . Pour les deux contradicteurs, le reste donc la
facult qui choisit dans lhomme. Mais qui dit choix, dit galement possibilit de choix du
bien ou du mal. La question que tente donc de rsoudre Apolinaire est de savoir comment
concevoir le compos humain du Christ sans quil puisse en venir choisir le mal.
Grgoire rplique la thse dApolinaire, selon laquelle le Christ ne possde pas
dintellect humain de sorte que son immutabilit divine est prserve, en proposant une
autre conception de la libert humaine. En effet, il accuse son adversaire de faire du Christ
un homme non libre, cest--dire qui na pas la libert de choisir entre le bien et le mal,
puisquil est contraint de choisir le bien en raison de la perfection de son :
1942
1943
dans le sens aristotlicien de pense discursive, rflexion, produit de cette rflexion. Cf. Aristote, De anima III, 3, 427b, 17 ; d.
E. Barbotin, CUF, Paris, 1966, p. 75 ; II, 3, p. 36 : ,
: dautres [tres] possdent enfin la facult pensante et lintellect : tel lhomme et tout autre tre, sil en
est, de condition analogue ou suprieure (trad. E. Barbotin). Comme dans lextrait de Grgoire, le et le sont mis
en relation pour dfinir le trait distinctif de lhomme par opposition lanimal.
1944
456
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1945
Grgoire
dveloppement
de
lauteur
Nysse,
Or.
cat.
explique
que
Dieu
,
ne
peut
XXXI,
pas
SC
forcer
453,
les
p.
280-282,
rcalcitrants
dans
un
laccueillir
;.
,
,
;,
,
Antirrh. 198, 19-20. Daprs E. Mhlenberg, op. cit., p. 69, la citation nest pas donne textuellement par Grgoire mais
elle est une conclusion de Grgoire sur le contenu du fragment 76 et le dbut du fragment 80.
1947
457
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1949
Pour les problmes de traduction poss de ce terme, cf note 91, p. 558 du prsent chapitre.
1950
Frg. 76 que Grgoire dit citer textuellement. Trad. rev. H. de Riedmatten, La christologie dApolinaire , op. cit., p.
458
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## ### #### ### ####### ######### ##### #######, ####### ##### ###
####### ########, #### ### ########### ########## Quelle dfinition
donnez-vous du pch pour dire cela, prtendant que le pch est partie
1955
intgrante de la nature, selon lextrme impit de Mani ?
Lauteur de ce trait contre les apolinaristes compare la doctrine dApolinaire l hrsie
1956
condamne du manichisme . Il reproche ici aux apolinaristes de considrer le pch
comme inscrit dans la nature . Toutefois dans ce passage, la dont il est question
nest pas prcise. On suppose quelle signifie la nature humaine . Mais lauteur ne dit
pas quelle instance du compos humain recle et transmet le pch, daprs la doctrine
dApolinaire. Le grief est trop imprcis pour donner des lments de rponse, et on peut se
demander dans quelle mesure Apolinaire a rellement soutenu que le pch faisait partie
de la nature humaine ( ).
Si lon poursuit notre enqute sur la faon dont le pch affecte le compos humain,
selon Apolinaire, on doit sarrter sur une lettre de Grgoire o il fait galement tat dun
1952
J. Zachhber est ltude la plus rcente, notre connaissance, qui fait ltat de la question (The Human Nature in gregory of
Mani : ,
, , : Mani aussi a formul
cette pense, lui qui range la chair de lhomme et sa naissance sous le dominateur du mal, et qui lui a donn le titre de Dominateur,
parce quon est asservi celui par qui on a t vaincu (PG 26, 1144 C). Ce point de doctrine attribu Mani reste obscur. Quant
aux textes de Mani qui pourraient suggrer un tel grief, cf. Kphalaion VI, dans Manichische Homelien, Manichische Handschriften
der staatlichen Museen Berlin, Kephalaia, d. H. J. Polotsky, t. I, Stuttgart, 1935, p. 34, 12-39, 12. Cf. M. Scopello, Femme, gnose et
Manichisme, De lespace mythique au territoire du rel,Leiden-Boston, 2005, p. 347-367.
459
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dbat sur ce point. Il aurait t impliqu lui-mme dans une polmique christologique,
1957
pendant un sjour Jrusalem que P. Maraval date de 381 , qui linvitait prciser
lintgrit morale du Verbe incarn en mme temps que sa pleine humanit. Traitant de
limmutabilit du Logos incarn, le Cappadocien en vient formuler, dans la Lettre 3, 17,
sa doctrine de lorigine du pch. E. Mhlenberg avance lhypothse quelle rpond des
1958
arguments apolinaristes . Compte tenu des accusations des traits Contre Apolinaire que
nous venons de citer, une telle hypothse parat probante, en dpit des rserves que nous
1959
avions formules dans notre tude sur la datation de lAntirrheticus
:
Pour la question de la datation, cf. P. Maraval, La lettre 3 de Grgoire de Nysse dans le dbat christologique , RSR,
61, Janvier-avril 1987, p. 77 et 87. Cf. aussi partie I, chapitre 1, circonstances historiques et littraires , p .62
1958
cf. E. Mhlenberg, Apolinaris, p. 51. Lhypothse dune rplique anti-apolinariste dans cette lettre est nuance par
P. Maraval, art. cit., p. 78-79. Voir sur cette question, partie I, chapitre 1, p. 71-73.
1959
1960
Cf. p. 71-73.
Grgoire de Nysse, Epist. 3, 17, SC 363, p. 136, trad. rev. P. Maraval. Pour le choix de traduction de , on
peut hsiter entre le sens de difformit, mutilation de la nature premire, ou le sens daveuglement d au pch. Le terme
est utilis pour dsigner la ccit en relation avec lignorance, dans la Quatrime lettre Srapion, 15, SC 15, p. 196 ;
chez Grgoire de Nysse, est utilis au sens daveuglement en Antirrh. 214, 23 ; Or. cat. V, SC 453, p. 170,
propos de lorigine du mal, Or. dom. 5, GNO VII/2, p. 250, 17.
1961
: terme rare dans la littrature grecque. La plupart des emplois se trouve dans des uvres morales (cf. Aristote,
De Virtutibus et Vitiis 1251b 20 ; Marc-Aurle, , 4, 49, I, 8). Selon le Lexicon gregorianum, Grgoire lutilise deux
reprises, dans cette Lettre 3 ainsi que dans son Dialogue sur lme et la rsurrection (An. et res. , PG 46, 101 B).
1962
1963
460
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Dans ce passage, Grgoire insiste sur le fait que le Christ a assum la humaine
( ), tout en choisissant de
ne pas commettre le mal (
). Lenjeu sous-jacent dun tel argument est de distinguer la humaine
du pch (), qui rsulte du libre arbitre humain ( ). On retrouve le
mme argument que celui par lequel il rfutait le fragment 76 de lAntirrheticus : lintgrit
morale du Christ est lie son choix humain de refuser le mal.
Or dans les fragments dApolinaire, on ne trouve jamais la qualification pour
parler du pch (), ni le terme d quutilise Grgoire, comme si la nature
humaine tait mauvaise par essence. En revanche, le Laodicen parle des affectations de la
chair et de lme () qui ne doivent pas corrompre le principe de la divinit, par dfinition,
incorruptible. En atteste par exemple un des passages les plus reprsentatifs que nous
ayons trouvs, tir du Kata meros Pistis, dont nous retenons la version longue transmise
par lAdversus fraudes Apolinistarum de Lonce de Byzance. Apolinaire y dclare :
Kata meros pistis , 30-31, version longue, Lietz. p. 178-179. La fin de lAnacephalaisis prsente un
dveloppement similaire partir dallusions pauliniennes (Rm 7, 23). Cf. Lietz. p. 246, 29-30.
1966
461
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Dans cet extrait, le vocabulaire utilis par Apolinaire pour qualifier les proprits
de la chair humaine et de lessence de la divinit nest pas le mme que dans les
fragments 150-151 Julien, que nous avions analyss plus haut. Dans ces derniers, en
effet, il tait question de lantagonisme entre la mutabilit () de lintellect humain
et limmutabilit du divin () ainsi quentre lautodtermination du premier
1967
( ) et la dtermination vers soi-mme du second ( ) .
Dans le passage du Kata meros pistis , ce sont dsormais les couples /
et / qui sont utiliss. Ils rendent compte de lantagonisme
entre la nature humaine, corruptible par le pch, et la divinit, infaillible. Mais ce passage du
Kata meros pistis ne donne pas dindice sur la faon dont le pch affecte la nature humaine :
il touche la humaine, mais on ne peut prciser davantage la pense dApolinaire.
Sur ce point, le langage est aussi imprcis que la formule du pseudo-Athanase, cite plus
haut ( , ) dont le raisonnement se dployait
cependant selon une autre perspective.
De ces quelques enqutes dans les textes de controverse anti-apolinariste confronte
au passage le plus clair sur lorigine du pch, on constaste une divergence entre la faon
dont Apolinaire parle du pch propos de la nature humaine et la manire dont ses
contemporains peroivent sa doctrine du pch inscrit dans la mme de lhomme.
Nous avons vu que dans le passage du Kata meros pistis , cest lhomme tout entier
qui nest pas pur de pch, et les affections dont il est question portent sur lme et la
chair . Mais il nest pas prcis que le pch appartient la humaine.
Nos recherches sur la doctrine traducianiste dApolinaire nous ont permis de
comprendre lorigine de de cette divergence entre le contenu des fragments christologiques
dApolinaire et les accusations de ses adversaires.
La critique, la suite des contemporains dApolinaire, a not que lanthropologie de
1968
celui-ci tait sous-tendue par la doctrine du traducianisme . Les mes, en effet, se
transmettraient les unes des autres, comme les corps naissent les uns des autres, daprs
1969
deux attestations dauteurs anciens, lune se trouvant dans une lettre de Jrme , et
lautre dans le trait De natura hominis de Nmsius dmse, dont nous citons un extrait :
########## ## ##### ### ##### ### ### ##### #########, ##### ### ### ######
## #####. ######## ### ### ##### #### ######## ### ###### ######## ###
#### ## ####### ######, ####### ### ######## ########. Apolinaire pense
que les mes sont engendres par les mes, comme les corps par les corps. En
1967
1968
sources grecques, op. cit. p. 166-169 ; 284-285. Parmi les tudes plus anciennes, il faut citer celles de R. A. Norris, Manhood and
Christ, p. 87-88 ; de H. de Riedmatten, La christologie dApolinaire , art. cit., p. 215, 230 ; E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea,
p. 177 sq. et E. Cattaneo, Trois homlies pseudo-chrysostomiennes sur la Pque, p. 179 sq., qui discute la thse dH. de Riedmatten.
1969
Jrme, Lettre 126, (d. J. Labourt, CUF, t. VII, Paris, 1961, p. 134, 25-135, 2) : an certe ex traduce [anima sit], ut
Tertullianus, Apollinaris et maxima pars occidentalium autumnat ; ut quomodo corpus ex corpore, sic anima nascateur ex anima :
[les mes] viennent-elles par transmission, comme le supposent Tertullien, Apollinaire et la majeure partie des Occidentaux, selon
qui, comme le corps nat du corps, ainsi lme nat de lme .
462
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effet, lme provient par succession du premier homme vers tous ceux qui en
1970
descendent, comme la succession des corps.
Selon le principe de la expos dans ce passage, si la premire me est
corrompue par le pch, toutes celles qui la suivent le seront galement.
Dans luvre dApolinaire lui-mme, on trouve quelques attestations du traducianisme,
en particulier dans son De Unione, 13 :
De natura hominis 2, d. Morani, p. 32, 3 sq. = Frg. 170, Lietz. Ce dernier et R. A. Norris mentionnent ce passage
comme tant aussi cit par Grgoire de Nysse dans un trait De anima, (PG 45 C), dont lauthenticit nest pas avre (cf.
CPG n3219, rang dans la rubrique Spuria). Ce passage correspond en fait aux chapitres II et III du De natura hominis.
1971
1972
Frg. 44 sur Ps 40, 13, Mhlenberg p. 18, 8-14, cit et traduit par E. Cattaneo, Trois homlies pseudo-chrysostomiennes,
p. 212. Le verbe , do provient le terme traducianiste , est utilis propos du Christ pour dire quil na pas hrit
de la ressemblance la transgression dAdam ( ).
1974
Frg. 90 dApolinaire sur le Psaume 50, 7 ( Vois : mauvais je suis n, pcheur ma mre ma conu ) :
.
,
. ,
, ,
: Il y a l demande de pardon du fait que le pch nous est devenu connaturel, ce pch qui nous a t transmis par
nos mres qui nous ont enfants, et cela partir du premier enfantement. En effet, par un seul homme le pch est entr dans le
monde (Rm 5, 12), et le mal a pris racine dans la premire femme ; et partir delle, il passe, par enfantement, ceux qui sont
engendrs. Cela est attribu plus spcialement la mre, bien que la transmission du pch se fasse aussi par le pre ; en effet, le pre
nous enfante dune faon germinale, tandis que nos mres compltent la conception en nous mettant au monde par lenfantement ,
E. Mhlenberg, Psalmenkommentare, op. cit., vol. I, p. 34-35, trad. reprise dE Cattaneo, Trois homlies sur la Pque, op. cit., p. 183.
463
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Cette hypothse propos de la christologie dApolinaire est soutenue par J. Zachhber, Human Nature in Gregory of
Nyssa, p. 133, n. 30, la suite de H. M. Gwatkin, Studies of Arianism, Cambridge, 1900, p. 252-253 ; Ch. E. Raven, Apollinarianism,
op. cit., p. 231 ; J. F. Bethune-Baker, An Introduction to the Early History of Christian Doctrine to the Time of the Council of Chalcedon,
4
Londres, 1929 , p. 250-252.
1976
62.
Nous reprenons l lanalyse de M.-H. Congourdeau, Lembryon et son me, op. cit., p. 285.
464
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Une telle interprtation est cependant contestable. En effet, elle reconnat que le
humain est marqu par le pch dans sa substance propre. Or lide que la nature humaine
() puisse tre atteinte par le pch dans ce qui la constitue en propre contredirait la
faon dont Apolinaire envisage la volont libre de lhomme, qui est pour lui comme pour les
1980
autres auteurs patristiques, la marque de la divinit en lhomme . Selon J. Zachhber, ce
serait une humiliation pour Dieu que dinfliger lhomme quil a cr lui-mme son image
et quil dcide dassumer de ntre pas pleinement libre. Comment alors ne pas dgrader
la raison humaine si on considre que le Christ na pas pu lassumer en raison du pch
qui laffectait en propre ? Apolinaire dclare, en effet, dans son Commentaire de lptre aux
Romains, o il explique le sens de Rm 7, 7 la lumire de Ph 2, 13 :
, ( [la grce
divine] ne supprime pas notre autodtermination, mais conduit la puissance qui vient de
1981
Dieu la vertu ) . Cette thse dApolinaire peut tre corrobore par le fragment 87 de
lApodeixis prsent en deux temps par Grgoire dans lAntirrheticus, par souci de mthode
1982
rfutative. Mais nous le citons sous sa forme intgrale et vraisemblablement originelle
:
1980
Sur la question du / comme don de Dieu fait lhomme au moment de la cration, pour quil soit conu son
image, cf. par exemple Athanase, Sur lincarnation du Verbe, 11, 2-4, SC 199, p. 304 ; Basile, Sur lorigine de lhomme : lhomme est
une crature de Dieu, doue de raison, faite limage de son crateur (PG 44, 261 A-268 D). Pour les tudes sur la question, citons :
et chez Athanase dAlexandrie , Ch. Kannengiesser, StPatr. XI, TU 108, p. 199-202 ; M. Alexandre, Le commencement
du livre, Gense I-V, op. cit., surtout p. 184-185 ; M.-O. Boulnois, Le souffle et lEsprit , art. cit., p. 3-37.
1981
Frg. dApolinaire sur Rm 7, 7, d. K. Staab, Pauluskommentare aus der griechischen Kirche, op. cit., p. 64, l. 20-22 :
contrairement ce que disent H. de Riedmatten, La christologie dApolinaire , art. cit., p.210 et J. Zachhber, Human Nature, op.
cit., p. 133, Apolinaire explique dans cet extrait non pas Rm 7, 7, mais Ph 2, 13 ( Dieu est l qui opre en vous la fois le vouloir et
lopration mme, au profit de sa bienveillance ) quil cite propos de Rm 7, 7.
1982
1983
1984
1985
Frg. 87 : daprs E. Mhlenberg, Apollinaris, op. cit., p. 70, il sagirait une citation textuelle.
Frg. 87, Antirrh. 206, 29-31 et 207, 6-11, trad. rev. E. Cattaneo, Trois homlies sur la Pque, op. cit., p. 193, n. 22.
E. Cattaneo, ibid.
De unione , 11, Lietz. p. 190, 3-5.
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saurait ensuite corrompre son ouvrage en immobilisant la libert de lhumanit revtue par
le Christ en lempchant de sautodterminer. Donc ce ne peut pas tre un homme entier
que le Christ a assum. Toutefois, il y a dans lhomme un lment passif par nature, la
chair ; en prenant celle-ci, Dieu opre le salut en respectant la libert de lhomme, dabord
dans le Christ, puisquil est Esprit incarn, ensuite dans les autres hommes, qui participent
son esprit. Telle est la raison pour laquelle Apolinaire soutient que le Verbe sest uni la
chair et non pas lhomme ( ).
Ce raisonnement montre comment Apolinaire dfinit la nature humaine, lui aussi, par
1986
sa libert, sa capacit dautodtermination ( ) , mais il ne dit pas
explicitement que le pch est inscrit dans la nature mme de linstance humaine qui exerce
cette libert. Si le Christ na pas assum une humanit entire, daprs le syllogisme cidessus, cest pour ne pas annihiler une libert humaine en sincarnant.
De lanalyse de ces quelques fragments dApolinaire, retenons donc quelques
constantes dans son uvre. La substitution du divin lintellect humain dans le Christ
nest pas explique partir de largument que la nature () du est foncirement
mauvaise. Mais on trouve deux autres explications dans deux contextes diffrents : dune
part, Dieu ne peut pas sincarner dans un homme complet, sinon il neutraliserait la libert
de lhomme dans lequel il sincarne. Dautre part, il ne peut pas y avoir deux principes
hgmoniques dans le mme sujet, sinon, il y aurait conflit entre un infaillible et un
corruptible.
Quant savoir comment le pch atteint la nature humaine, nous navons pas trouv
dlments dcisifs dans les fragments dApolinaire. Comme nous lavons vu dans le
passage du Kata meros pistis , limpuret nest pas dite toucher particulirement le ou
mme la , mais la chair, corruptible, dans son acception globale. De plus, il ny a aucun
fragment conserv qui mette en relation troite la question de labsence de lintellect humain
en Christ et la chute originelle dAdam dont le pch se transmet par succession dmes
(comprenant aussi lintellect) la faon dont les corps sont engendrs les uns des autres.
Ces constatations nous amnent penser que la thorie prte Apolinaire par
ses adversaires, selon laquelle le pch est inscrit dans la du humain est
simplificatrice, voire errone. Lorigine apolinarienne de lide selon laquelle le pch est
intrinsque la nature humaine est loin dtre vidente. Selon J. Zachhber, dans les deux
livres du Contre Apolinaire, le pseudo-Athanase prterait Apolinaire une thorie selon
laquelle le pch proviendrait de lme infrieure ou me charnelle. Selon les apolinaristes,
1987
cest celle-ci qui a t transmise depuis Adam et qui est responsable du pch . Le
Pseudo-Athanase insinuerait alors que mme la nature () intelligible de lhomme serait
encline pcher :
Le terme semble appartenir au lexique de lanthropologie apolinarienne pour dsigner la libert humaine. Le
Lexicon gregorianum, parmi tous les emplois quil relve chez Grgoire, laisse apparatre un nombre important doccurrences dans
les fragments dApolinaire cits par le Cappadocien.
1987
1988
466
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lhomme, qui est conue comme me, et en dfinissant celle-ci comme incapable
dviter le pch : et surtout quand vous crivez que lme est charnelle, je ne
1989
sais do vous avez appris cela .
Dans ce passage, lauteur assimile le la qui constitue la nature humaine
intellective ( ), qui elle-mme ne peut chapper au pch
( ). Le sige du pch dans le compos humain serait la
, qui a une facult intellective. Le pseudo-Athanase verrait donc lorigine du pch
pour les apolinaristes dans la , quil confondrait avec lintellect.
J. Zachhber note quune telle thorie qui explique ltat peccamineux de lhomme en
1990
rfrence lme infrieure nest pas inconnue lpoque dApolinaire . On la trouve
chez dautres thologiens, comme latteste un passage du Trait des Principes III, 4, 2
1991
dOrigne . Lexplication de ce dernier clairerait la faon dont le Pseudo-Athanase
comprend lorigine du pch dans lhomme selon Apolinaire, reformule ainsi dans le
deuxime livre du Contre Apolinaire :
#### ######, ###, ## ##### #####, ###### ## ### ### #### ###########
######## ##### ######## ####### ## ######## ########### ####### #
##### ### ### ##### ##### ####### # ######## Mais vous dites que si [le
Christ] avait tout assum, il aurait eu sans aucun doute des raisonnements
humains. Or il est impossible que le pch ne soit pas dans les raisonnements
1992
humains : alors comment le Christ sera-t-il sans pch ?
Lauteur prsente ici le sige du pch, daprs Apolinaire, comme tant dans les
raisonnements humains, qui procdent du . Par consquent, cest bien le qui est
atteint par le pch. Cest ce qui explique que les apolinaristes privent le Christ de lintellect
humain. Puis, il en vient faire un raisonnement par labsurde : si on soutient une telle
thse, il faudrait alors reconnatre que Dieu fut crateur aussi de penses pcheresses
chose impossible. Lhomme que Dieu a cr na eu aucune exprience du mal jusqu ce
quil transgressa lordre divin, daprs le Pseudo-Athanase :
tirent pas leur origine de la chair et que pourtant lesprit sy oppose : voyant que lintelligence ou lesprit (menti vel spiritui) de lhomme
ont les combattre, ils nassignent pas tous ces maux dautres causes que celle dont nous avons parl plus haut, une me corporelle
engendre par lintermdiaire de la semence (corporalem animam et ex seminis traduce generatam) (De Princ. III, 4, 2, SC 268, p.
204). Cette dernire expression est devenue technique pour dsigner lopinion quune me drive dune autre en mme temps quun
corps dun autre partir de la semence. Cf. Tertullien, De Anima 9, 6, CC Series latina, II, op. cit., d. J. H. Waszink, p. 793 ; 36,
4 ; Adv. Valentinianos, 25, 3, ibid., d. A. Kroymann,p. 771 ; dans les milieux gnostiques (Cl. Alex., Exc. ex Theod. 50, 55 ; SC 23,
d. Fr. Sagnard, Paris, 1970, p. 162) avec lide quune me matrielle est transmise par lintermdiaire de la semence (cf. SC 269,
d. H. Crouzel, M. Simonetti, Paris, 1980, n. 11, p. 89).
1992
467
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1993
1994
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1995
IV. Conclusion
Cette tude sur lanthropologie dApolinaire en lien avec son application christologique a
pos les jalons fondamentaux de la polmique que Grgoire engage contre son adversaire.
Elle a montr les lments essentiels de la thologie dApolinaire qui posent problme, pour
ne pas dire, qui sont jugs inacceptables par le Cappadocien. On relve plusieurs lignes
de force :
Dabord, dans lApodeixis, Apolinaire conoit la nature humaine partir dun schma
-, qui varie sous une forme dichotomite ou trichotomite selon les contextes
argumentatifs et les versets scripturaires pris lappui des raisonnements. Cest partir
du modle anthropologique quApolinaire btit toute sa rflexion christologique. Nous y
reviendrons dans la suite de notre tude.
Si de nombreux passages de lAntirrheticus portent sur le nombre de parties
dans ltre humain, on a constat quApolinaire, comme Grgoire, a une conception
foncirement dynamique de lanthropologie. Mais lun et lautre la dfinissent diffremment.
Pour Apolinaire, cest un dynamisme sous la forme dune unit vitale qui lui permet
dexpliquer, au niveau ontologique, dans la personne du Christ, la modalit de son action
rdemptrice. Le Christ, puisquil est Intellect en chair, cest--dire principe hgmonique
infaillible dans la chair assume, vient diriger, vivifier et sanctifier celle-ci, passive par nature.
Il semble que la particularit de la doctrine dApolinaire, mme si elle est peu voque par
Grgoire dans lAntirrheticus, consiste prcisment expliquer la rdemption au niveau de
la constitution humaine du Christ partir du rle vivificateur du divin dans la .
Une telle doctrine soulve un deuxime point dachoppement, qui oppose
fondamentalement les deux adversaires sur la conception de la libert du Christ. Il
dcoule des modalits sotriologiques. Selon Apolinaire, le Logos incarn ne peut sauver
lhumanit que sil est infaillible. Selon Grgoire, nest sauv que ce qui est assum par le
Christ. Apolinaire conoit alors la libert humaine du Christ comme tant purement divine,
puisquelle relve du , et que le est divin, lui qui se revt de chair (
). Une telle thologie est juge inacceptable par Grgoire. Il la rfute partir de
1995
E. Cattaneo rejette les analyses dE. Mhlenberg, en montrant comment le est charnel (), daprs la doctrine
dApolinaire. Mais selon notre tude de lapplication du modle anthropologique la christologique, il ne nous semble pas possible
daffirmer une telle thse (cf. E. Cattaneo, Trois homlies pascales, op. cit., p. 177).
1996
Il faudrait engager une tude sur le corpus de textes rdigs par les apolinaristes partir de ldition dH. Lietzmann pour
469
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largument selon lequel si le Christ est priv de linstance humaine par laquelle il choisit
librement () et se dtermine (le ), il nest pas un homme libre, mais il
est contraint de faire passivement le bien, mu par le divin. La pense dApolinaire
repose sur limpossibilit ontologique de la coexistence de deux instances hgmoniques
dans le Christ, dont lune, humaine, est faillible, et lautre, divine, est infaillible (frg. 74).
Elle sexplique comme consquence de lunit de lhumanit et de la divinit rsolue au
niveau ontologique par la complmentarit de la chair et du Logos. Au contraire, pour
Grgoire, la ncessit de linstance dcisionnelle humaine, conjointement la divinit dans
le Christ, repose sur un impratif thologique (le Christ a assum lhumanit tout entire)
et sur un impratif philosophique quant la dfinition de lhomme : la libert de choix
() qui mane du est ce qui dfinit lhomme. On ne peut concevoir un
homme sans revendiquer lexistence de la facult par laquelle il exerce sa libert. Mais dans
lAntirrheticus, Grgoire ne dveloppe pas la ncessit de la libert humaine dans le Christ
avec largument que le principe mme de laction en lhomme (la volont, la libert et la
psychologie) doit tre assum pour tre sauv. Ces distinctions deviendront surtout lobjet
1997
des polmiques ultrieures .
En somme, la christologie du labore par Apolinaire se situe une
tape de la rflexion thologique o lon a encore des difficults dfinir la spcificit de
lontologie du Logos incarn indpendamment du modle anthropologique. Nos analyses
textuelles viennent confirmer le jugement de M.-O. Boulnois : Apolinaire fait partie de la
gnration des thologiens qui utilisent lexemple de lunion de lme et du corps comme
1998
un modle exact dexplication de lunion de Dieu et de lhomme dans le Christ , avec
toutes les limites que peut avoir une telle application stricte.
470
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Si cette question est lobjet principal du texte que nous tudions, elle est aussi dun
abord complexe, parce quelle touche lenchevtrement des polmiques christologiques
e
au IV sicle, quelle met en jeu les notions cruciales du discours christologique, reprises et
e
dfinies ensuite au V sicle dans des acceptions diffrentes. En outre, de la question de
lunit du Christ dpendent tous les autres thmes doctrinaux abords dans lAntirrheticus.
Enfin, la richesse de largumentation de Grgoire sur ce point tient au fait quelle est
traite sous diffrents modes argumentatifs ; syllogisme, analogies partir de phnomnes
physiques, argumentation scripturaire, images-clefs, etc.
Un tel dbat utilise les outils conceptuels de la christologie, celles de ,
, , et lenjeu tient au sens quApolinaire et Grgoire donnent
ces notions, qui sont le fruit de prsupposs philosophiques diffrents, comme nous le
verrons. Dans la mesure o de telles notions ouvrent sur un champ thologique complexe
dont lAntirrheticus nest quun maillon, nous chercherons seulement prciser le sens que
les deux adversaires donnent ces termes-clefs dans les mouvements argumentatifs o ils
en dbattent. Lessentiel pour nous sera de faire ressortir la diffrence entre deux logiques
dapproche du mode dunion de Dieu et de lhomme en Christ : il faudra voir dun ct
pourquoi Apolinaire en vient la solution du et comment Grgoire, pour
la rfuter, tente de trouver une voie moyenne o il dfend lunit dans le Christ tout en
distinguant deux natures en lui. Mais puisquApolinaire revendique une unit de nature, et
dfinit la nature partir du modle de lunion de lme et du corps, il nest pas toujours
ais pour Grgoire dutiliser le terme de propos de la distinction de la divinit et de
lhumanit. Largumentation doit donc procder par un clairage mutuel de plusieurs notions
qui aident dfinir le sens de applique lhumanit et la divinit du Christ. La
rfutation de Grgoire ne tient donc pas seulement lusage de notions importantes, mais
au mouvement dmonstratif dans lequel il les insre, maintenant une tension entre unit
et distinction de lhumain et du divin. Cest surtout dans les passages o il se dfend de
laccusation daffirmer deux parfaits que la question de lunit du Christ est voque de
manire la plus riche et intressante sur le plan doctrinal. On voit alors sarticuler approche
dynamique de lincarnation et approche statique sur la constitution ontologique du Christ.
Pour rendre compte du dbat entre Apolinaire et Grgoire daprs lAntirrheticus, il
conviendra de prsenter les apories auxquelles Apolinaire a lui-mme voulu rpondre en
dveloppant sa thorie de la , dveloppe sous la forme du
dans lApodeixis, avant de voir sur quels autres principes christologiques Grgoire tente
de dcrire lunit du Christ et quelle mthode il emploie pour rendre compte de lunion des
deux natures.
M. Richard note que les thologiens postrieurs Diodore lont accus davoir enseign une dualit dans le Christ, mais
sans jamais en donner la preuve. De tels tmoignages ne peuvent tre retenus ( Lintroduction du mot hypostase dans la
thologie de lincarnation , Opera minora, II, art. n42, p. 13).
2000
2001
2002
Cyrille dAlexandrie, Sur lIncarnation du Monogne, SC 97, d. et trad. G. M. de Durand, Paris, 1964, p. 192-193.
Cf. Apolinaire, anakephalaisis, 22, Lietz. p. 244.
Cf. Quod unus sit Christus, 7, Lietz. p. 299.Cf. M. Richard, Lintroduction du mot hypostase dans la thologie de
472
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lEmmanuel est compos et tress du Verbe Dieu ainsi que dune me rationnelle
et dun corps, autrement dit, dune humanit absolument complte. Mais eux non
plus nont pas gard sur ce sujet une doctrine saine et labri de tout reproche.
2003
Ils divisent en deux, en effet, lunique Christ
et, introduisant entre les deux
lments une sparation trs brutale, prsentent pratiquement chacun deux
comme existant part ; lun tant, ce quils prtendent, lhomme complet
engendr de la Vierge, lautre, le Verbe de Dieu le Pre. Discerner la nature
de Dieu de celle de la chair et sen tenir cette diffrenciation ne les contente
2004
pas .
Lexcs de cette doctrine est due au fait que la distinction () de lhumanit et
de la divinit est pousse jusqu la division ( ). La revendication de lintgrit
humaine dans le Christ conduit donc certains thologiens la faire exister indpendamment
de la divinit ( ).
On voit trs bien dans cette remise en perspective ultrieure la polmique de Grgoire
contre Apolinaire quelles sont les deux extrmits doctrinales propos de la conception de
lunion de la divinit et de lhumanit, entre lesquelles se situe le dbat dans lAntirrheticus.
Grgoire accuse Apolinaire de concevoir une union totale, qui conduirait la fusion de la
chair avec le Logos. Et en mme temps, il doit rpondre lobjection dApolinaire selon
laquelle si on distingue deux natures, on cre une division entre lhomme et Dieu dans le
Christ, on confesse deux Fils .
2005
Toute la question est de savoir ce quApolinaire entend par deux Fils , lorsquil
reproche ceux qui dfendent lintgrit de la nature humaine de croire lexistence de
deux Fils, , lun par nature ( ), lautre par adoption (
2006
)
comme le dclare Grgoire au dbut de sa Lettre Thophile, ou
2007
deux parfaits ( )
comme il en parle dans son Antirrheticus. Deux Fils ,
tait-ce simplement deux natures (), ou bien deux personnes (), ou
2008
encore deux hypostases ()
? Et y avait-il des nuances de sens entre tous
ces termes ou fallait-il y voir une simple synonymie ? Lobjet tait dlicat : Grgoire revient
sur ce point plusieurs reprises. On est donc en prsence dun point dachoppement crucial
dans la controverse anti-apolinariste, qui met au jour la diffrence de dmarches entre les
deux auteurs pour aborder la question christologique.
B. Laccusation dApolinaire
Lorsque Grgoire en vient exposer sa comprhension de l'unit du Christ en formulant la
distinction des deux natures, cest toujours en rponse laccusation de professer deux
Fils ou deux parfaits provenant dApolinaire. Il se dfend de soutenir une christologie
2003
Pour lutilisation de lunique nature dans le Christ chez Cyrille dAlexandrie, cf. B. Meunier, Le Christ de Cyrille
Cyrille dAlexandrie, Dialogue sur lIncarnation, 679 e, SC 97, trad. G. M. de Durand, p. 192-194.
2005
Dans le prsent chapitre, par souci de brivet, nous parlerons de laccusation des deux Fils pour voquer lobjection
que prsente Apolinaire ses adversaires qui ne conoivent pas le Logos incarn comme une seule nature.
2006
2007
2008
473
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2009
Il commence par exposer l'attaque d'Apolinaire contre ceux qui refusent d'amputer le
Christ de son humain et qui par consquent dfendent lexistence de deux Fils dans
2010
le Christ. Laccusation la plus claire se trouve dans le fragment 81
:
### #########, ####, ####### #####, ####### ######, ### ## ####, ### ##
##### #### ####, ### ## #####. Et si Dieu avait t conjoint un homme, un
parfait avec un parfait, ils seraient deux, l'un tant Fils de Dieu par nature, l'autre,
2011
adoptif .
Cet extrait montre que ce qui conduit laccusation de deux Fils d'aprs Apolinaire,
c'est le fait de concevoir une humanit et une divinit dans leur intgrit (). Les
fragments quil nous reste de lApodeixis ne nous disent pas ce quApolinaire entendait
par . Mais daprs les contextes o ladjectif se trouve, on comprend quil revt
la fois un sens ontologique, dsignant par l la compltude dune substance, et un sens
moral, signifiant la perfection de cette substance. La conception dApolinaire sappuie sur
le principe aristotlicien selon lequel une substance parfaite ne peut pas tre compose de
plusieurs substances parfaites :
####### ### #### ####### ### ##### #### #### ######, #### #### ## #####
### ####### ###### #### ####### ##### ### #### ##### #######) ###
### ####### ## #####, ######### <##>, ##### ####### ######. () ## ##
### #### #### ####### ###### ########## #######, ## ## ## #### ## ##
############# ################# ###### ## ######, ## ###### ####
## ####################### ##### ### ##### ## ###. En effet, chaque
2009
2011
2012
Aristote, Mtaphysique Z, 13, 1039 a ; trad. fr. M.-P. Duminil, A. Jaulin, GF, Paris, 2008, p. 269. Aristote dfinit
lentlchie comme quelque chose en puissance qui va vers laccomplissement de son acte et qui implique un
mouvement. Lme est entlchie du corps parce quelle est principe de mouvement au sens du passage de la puissance
lacte. Est parfait ce qui a accomplit son essence.
474
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chose est accomplie et toute substance est accomplie quand, selon la forme
de leur excellence particulire, aucune partie de leur grandeur naturelle ne fait
dfaut. En outre, les choses auxquelles appartient laccomplissement sont dites
accomplies, si cet accomplissement est bon, car on les dit accomplies en ce
quelles possdent leur accomplissement. () Voil donc en combien de sens
on parle des choses quon appelle accomplies par elles-mmes, soit parce
quen bien, il ne leur manque rien et quelles ne peuvent ni avoir quelque chose
de plus ni prendre quelque chose au-dehors, soit en gnral, parce que, dans
chaque genre, elles ne peuvent avoir quelque chose en plus et quil ny a rien en
2013
dehors .
Apolinaire et Grgoire se rfrent cette dfinition aristotlicienne de la perfection comme
2014
accomplissement total dune substance , mais ne conoivent pas lunit du Christ au
mme niveau. Pour Apolinaire, partir du moment o lhumanit et la divinit du Fils
sont conues comme deux substances accomplies, elles introduisent une sparation dans
le Christ mme, comme la jonction de deux tres autosuffisants, selon la conception
aristotlicienne expose plus haut, impliquant alors une dualit de personne ou de
2015
substance . Cela reviendrait faire une distinction entre le Fils par nature et le
2016
Fils par adoption . En outre, exactement comme Aristote qui dfinit la perfection
dune substance par le fait quelle ne peut recevoir quelque chose au-dehors delle-mme,
Apolinaire ne peut concevoir une humanit parfaite qui reoive la divinit comme un lment
extrieur elle. Cest la raison pour laquelle il conoit une humanit du Christ incomplte,
2017
2018
, . Dans son Kata meros pistis , il dclare qu partir du moment o il y
a composition, il y a ncessairement assemblage dlments imparfaits :
2013
Aristote, Mtaphysique, , 1021 b 21-24 et 1021 a 31-1022 a ; nouvelle trad. fr. M.-P. Duminil et A. Jaulin, GF, Paris,
2008, p. 209.
2014
2015
la fois ne se dit pas dun certain sujet et nest pas dans un certain sujet ; par exemple tel homme ou tel cheval :
, ,
(Catgories, 5, 2a 11-15 ; CUF, d. R. Bodes, Paris, 2001, p. 7).
2016
La tradition patristique a attribu cette christologie Diodore de Tarse (cf. Contre synousiastas, n 27, 29-31, d. Brires,
ROC, 10, p. 270). Le Contra synousiastas est dat de son piscopat, il est peut-tre mme postrieur au concile dAntioche de 379.
LAntiochien parlait aussi de lhomme parfait . Toutefois, nous invitons la prudence face cette assimilation de Diodore la
christologie des deux Fils . A. Grillmeier montre lui-mme les carts entre limage vhicule de Diodore de Tarse et ses fragments,
notamment le fragment 36 : pour un antiochien et un anti-apolinariste, pour lequel on prend habituellement Diodore, deux choses
sont curieuses : il juxtapose le Logos la chair et non pas lhomme Jsus de Nazareth quil faudrait voir la manire du Christ
adoptianiste. Ensuite il fait du Logos la source directe de laccroissement de la sagesse et de la force. (Le Christ dans la tradition
chrtienne, I, Paris, 2003, p. 692). Cette remarque, selon nous, montre les carts entre les ides vhicules propos de Diodore et
le contenu mme de ses fragments. En tmoigne aussi le raisonnement que lon peut restituer des citations et allusions dans le Quod
unus sit Christus, un trait apolinariste : si ladversaire combattu dans ce trait est Diodore, ce que ce dernier rejette, cest la formule
dans la doctrine dApolinaire, car elle fait du Verbe et de la chair une seule unit naturelle. Cest ce qui la amen
distendre le lien entre humanit et divinit en Christ.
2017
2018
Antirrh. 217, 5.
Antirrh. 145, 11 ; 172, 28 ; 186, 24 ; 192, 3. Pour Apolinaire, lunit ontologique se dfinit comme une constitution organique,
cest--dire par le fait de constituer un tre vivant . Ce qui est parfait, , est , or il ne peut y avoir dans le
Christ deux substances parfaites (cf. frg. 106, Lietz. p. 232).
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#### ###, ####, #######, #### ## # #### #####, ## ############# #####, ####
## #########, ## ##### ####. Si [le Christ] est compos de deux parfaits,
ni lhomme nest dans ce en quoi est Dieu, ni Dieu nest dans ce en quoi est
2022
lhomme .
Dans cette assertion, Apolinaire raisonne en termes aristotliciens propos du Christ.
Puisque ce en quoi est lhomme, cest--dire ce qui supporte son essence, est ce qui
accomplit sa perfection, lhomme Jsus, sil tait parfaitement homme, naurait pas besoin
dtre uni Dieu pour tre un homme accompli. En effet, une substance parfaite est
autosuffisante. Si donc lhumanit du Christ tait parfaite, celle-ci serait autosuffisante, elle
naurait pas besoin dtre en Dieu pour saccomplir dans la perfection de son essence.
Il est donc impossible de concevoir un tre la fois homme parfait et Dieu parfait sinon
comme la conjonction de deux substances autosuffisantes qui ne peuvent former une unit
ontologique. Au contraire, quand une nature est en quelque chose dautre quelle-mme,
elle nest plus parfaite parce quelle nest plus parfaitement elle-mme, autosuffisante. Do
lincompltude humaine quApolinaire revendique dans le Christ.
Daprs cet extrait, on retrouve laxiome que deux tres complets ne sauraient sunir
assez intimement pour en constituer un troisime. Pour Apolinaire, la consquence de ce
principe est que si dans le Christ on joint au Verbe un homme complet, lunion sera factice
2023
et extrinsque, de sorte quon est oblig, bon gr mal gr, de parler de deux Fils .
Examin sous cet angle, le systme apolinarien pose lui-mme problme, car en vertu
du principe aristotlicien utilis, il est impossible quune partie dun tre parfait soit parfaite,
mais seulement imparfaite. Or dans sa conception de ltre du Christ, il associe un Dieu
parfait un homme imparfait.
Peut-tre est-ce la faille logique sur laquelle Grgoire attire lattention en rfutant
lenchanement logique dApolinaire et en montrant que lide de compltude ou
dincompltude de lune ou lautre nature ne peut pas tre du mme ordre que celle de
lunion. largument de la quantit (un lment qui forme un tout), Grgoire oppose celui de
2019
2020
2021
2022
Kata meros pistis , 18, Lietz. p. 173 (la citation figure dans un contexte trinitaire).
Cf. Kata meros pistis , 28, Lietz. p. 177.
Cf. frg. 117, Lietz. p. 236.
Antirrh. 216, 10-12 (frg. 81, textuel, E. Mhlenberg, op. cit., p. 70). Cette attaque formule par Apolinaire a une
postrit aprs Apolinaire lui-mme, puisque Cyrille sen dfend encore dans son Premier dialogue christologique Sur
lincarnation, 690 a-c, SC 97, trad. G. M. de Durand, Paris, 1964, p. 226 : ,
,
( D'ailleurs, nous n'adorerons en aucune faon deux fils et ne parlerons pas non plus de
deux christs, mme si nous croyons que le concours dans l'unit d'un homme complet et du Dieu Verbe s'est accompli
dans l'Emmanuel ). Dans cette dfense de Cyrille, on distingue comment cest toujours lintgrit de la nature humaine du
Christ qui conduit au grief des deux Fils , ou des deux christs , cinquante ans aprs la polmique de Grgoire contre
Apolinaire.
2023
Cf. analyses de G. M. de Durand, Cyrille dAlexandrie, Deux dialogues christologiques, SC 97, Paris, 1964, intr., p. 109.
476
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la qualit (un lment est constitu par un ensemble de proprits qui le dfinissent) : on
ne saurait souponner que lamoindrissement de lhumanit dlimite la nature divine (
2024
) .
Et il raille la conception dApolinaire en rpondant laccusation de professer deux
Fils (fragment 81), de la manire suivante :
.
;
,
,
.
,
. ,
,
,
,
.
,
,
, ,
.
,
,
, ,
,
.
,
,
.
2024
477
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2028
Le raisonnement de Grgoire semble faire rfrence au passage des Catgories, 5, 3 b 34-37,oAristote dclare quune
, . ,
, . , , ,
. . ,
, ; Si en effet
on prend le parti de dpouiller d'me raisonnable ce temple divin, le rapprochement ne s'en fera pas pour cela, tant s'en faut, entre
deux lments incomplets. Car tout le monde est d'accord que par rapport l'homme entier, entendons ayant me et corps, la chair
elle seule et prise en soi n'est qu'une partie. Mais pour le Verbe Dieu, on ne saurait le tenir pour une partie de quoi que ce soit, ni
pour incomplets, mes bons amis ! il est absolument parfait en sa propre nature. O donc par consquent, y a-t-il concours en un tre
unique et complet de deux lments imparfaits, si ce concours est celui du Verbe qui est complet et de la chair incomplte par rapport
l'homme complet ralisant parfaitement le concept de sa nature? (trad. fr. G. M. de Durand). Nous navons pas homognis
dans cet extrait la traduction de par complet avec la ntre par parfait , respectant le choix de G. M. Durand : le terme
comprend de toute faon les deux sens.
2030
2031
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Mais pour Apolinaire, la sparation des lments divin et humain, puisquelle introduit
une dualit, engendre ncessairement une quaternit en Dieu. A deux reprises dans la
rfutation des fragments 81 et 82, Grgoire se dfend de cette accusation :
#### ######## ##### ###### ### ####### ### ### ### ####### #####
###########, ##### ############ #####, #### #### ######## #########
############, ## ######## #### ### ### #####. ... Par consquent, il ny a
pas de danger que le principe de la Trinit soit tendu une quaternit, comme le
dit Apolinaire, ni mme que nous asservissions les anges un homme, comme le
2032
raconte cet individu contre nous .
L'accusation de quaternit apparat en thologie avec la controverse apolinariste et se
2033
prolonge dans la polmique entre monophysites et nestoriens . Chez les apolinaristes,
elle dcoule logiquement de la dualit des natures du Christ. L'enjeu, selon l'vque de
Laodice, mais aussi pour les thologiens de son temps, est la conciliation de la question
de lunion de lhumain et du divin avec lacquis thologique sur la Trinit, dfini au concile
de Nice. Comment penser un Christ la fois homme et Dieu sans pour autant introduire
une quatrime hypostase dans la Trinit au point d'tablir une quaternit en Dieu? Pour
M. Richard, le problme de fond des questions christologiques qui partagent les deux
adversaires dcoule de la conqute qui restait faire du terme d'hypostase dans la
e
thologie de l'incarnation au IV sicle. Le critique pose ainsi le problme : Quiconque
confesse que le Verbe est une hypostase divine, distincte de celle du Pre et de celle du
Saint-Esprit, admet par le fait mme que le Christ est une hypostase divine incarne. Mais
alors se pose un nouveau problme, strictement christologique celui-l : le Verbe s'incarnant
a-t-il, oui ou non, assum une nouvelle hypostase ? Selon la rponse cette question on
2034
confesserait une ou deux hypostases du Christ , et partant une quaternit en Dieu .
Or la notion dhypostase utilise par Apolinaire propos du Logos incarn dans son De
2032
Antirrh. 201, 25-28. Cf. aussi Kata meros pistis , 31, o Apolinaire se justifie de ne pas introduire une quaternit en
Argument utilis frquemment par les apolinaristes puis les monophysites contre leurs adversaires qui distinguent deux natures
e
dans le Christ. Cf. Quod unus sit Christ, 3 (attribu un disciple apolinariste), Lietz p. 296, 9 ; Lonce de Jrusalem (VI s.), Contra
m onophysitas, PG 86, 1873 C ; Athanase, Lettre pictte, 2, o est repris le grief des apolinaristes (PG 26, 1053 A). Largument
de la quaternit est aussi adress aux adversaires apolinaristes et aux monophysites contre lide de la consubstantialit du corps
du Christ avec la divinit : Ps-Athanase, Contre Apolinaire I, 9 (PG 26, 1109 A) ; 1113 C ; Athanase, Lettre pictte, 9 (PG 26,
e
e
1109 A). Largument de la quaternit est utilis galement dans la polmique contre Nestorius ; cf. Jean Damascne (VII -VIII s.),
De duabus in Christo voluntatibus, 9, l. 124-125, d. B. Kotter, Die Schriften des Johannes von Damaskos, PTS 22, Berlin, 1981, p.
195 (PG 95, 140 C) ; Adversus Nestorianorum haeresim, 1, l. 12, d. B. Kotter, ibid., p. 263 (PG 95, 188 B). Laccusation de quaternit
est aussi employe contre la distinction du Logos et du Fils dans la polmique contre Marcel d'Ancyre (cf. Ps-Ath. Contra Arianos
4, 21, PG 26, 500 B).
2034
M. Richard, L'introduction du mot hypostase dans la thologie de l'incarnation , Opera minora, II, art. n 42, op. cit., p. 6.
Pour M. Richard, Apolinaire serait le premier avoir introduit la notion d'hypostase au sujet du Logos incarn. Il cite et analyse quatre
exemples certains o le terme d'hypostase se trouve dans des numrations avec celui de et parfois de . Cependant,
dans la polmique entre Grgoire et Apolinaire, il n'est pas question du sens technique du terme d'hypostase, comme synonyme de
. On note deux emplois gnraux : le premier dans un long commentaire qui reprend les termes scripturaires d'He 1, 3
( ), Antirrh. 155, 20 ; 157, 15, 18, 20, 25, o le terme d'hypostase est synonyme de substance et mme
de (Antirrh. 157, 20), le second dans un sens gnral d'existence dans des formules telles que ( tenir son
existence de... ), cf. Antirrh. 170, 9 ; 223, 17 ; 223, 31.
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2035
fide et incarnatione
napparat pas dans les fragments de lApodeixis, mais celle
2036
2037
de personne () se trouve deux fois dans les fragments 67
et 101 , pour
rfuter la christologie attaque : ,
. Cest la preuve quApolinaire entend deux personnes ( )
lorsquil parle de deux Fils ( ) et mme de deux natures ( ), comme en
tmoigne la fin du Kata meros pistis , o il rcapitule le contenu de sa foi :
########## ### ## ##### ### #### ### ######### ######### ### ############
##### ## ## ######, ### ## #### ##### ####, ### ## #### ##### #######
############ (### #### ######## ## ######## ######### ### #### #####
############### ######## #### ### ##### ### ##### ##############)
#### ###### ###### ############ ### ### ### ######## ### ### ######
######## ##### ########### ### ###### ######### ########### ##### ## ####
### ### ## ###### ##########, ##### ## ### ### #### ##### ## ##### #######,
####### ### ###### ### ######### ### ### ### ###### ### ###### ####
##### ############ ############ ## ### ############, ### #### #### ####
######## ## ########### #### ############ En effet, [les Apolinaristes]
exposent que certains de l'glise catholique professent deux Fils, l'un qui l'est
par nature, l'autre qui l'est devenu plus tard par adoption (je ne sais chez qui ils
ont entendu une chose pareille et quel fantoche ils s'en prennent : car je ne
connais encore personne qui n'ait lucubr de telles ides) mais puisqu'ils ont
mis en avant cette ide contre nous, et que semblant combattre cette aberration,
ils renforcent en ralit leurs propres conceptions, il serait bon que ta perfection
2035
2036
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dans le Christ, autant que l'Esprit Saint te le fait comprendre, limine les
2039
prtextes de ceux qui cherchent des prtextes contre nous , et convainque les
dlateurs qui allguent ces ides contre l'glise de Dieu qu'une telle doctrine ne
2040
se trouve pas et ne sera jamais enseigne chez les chrtiens .
Grgoire rpond ainsi lattaque des apolinaristes :
## ###, ####### ### ###### ####### ## ####### ### ##### ### ### ### ####
### #### ######### ############, ### ##### ### #### #### ### #########
##########, ### # ####### ### ###### ######## #### ## ##### ### ###### ###
###### ########## ########### ###. Non, ce n'est pas parce que le crateur
2041
des sicles
aux derniers jours s'est fait voir sur la terre et qu'il a vcu parmi
2042
les hommes , que l'glise compte deux Fils ; l'un qui serait crateur des
sicles, et l'autre qui serait apparu l'humanit par la chair lors de la fin des
2043
sicles .
Et Grgoire poursuit son raisonnement par labsurde : si le Fils selon lconomie est diffrent
du Logos prexistant, alors toutes les manifestations du Fils dans lAncien Testament sont
2044
considrer comme autant de Fils diffrents . Mais dans sa lettre, Grgoire nemploie
jamais le terme de ni celui d pour parler dune dualit de personne,
2045
mais il voque plusieurs reprises la dualit de Fils ( ) . De mme
dans lAntirrheticus, nous avons observ que Grgoire nutilisait pas le mot pour
parler de lunit du Verbe incarn. Au dbut de son trait, en effet, il utilise lexpression
2046
comme allusion la forme desclave de Ph 2, 7 , selon un
2047
e
usage patristique courant, daprs les analyses de M.-J. Rondeau . Au IV sicle, les
Pres employaient le terme pour qualifier lhumanit du Christ en rfrence
Ph 2, 7, dans le sens de personnage humain que le Christ possde, assume, joue, du
fait de lincarnation. Mais dans lAntirrheticus, moins quil reprenne les propos de son
2048
adversaire , Grgoire nemploie pas de lui-mme lexpression pour parler
de lhumanit et de la divinit du Christ. En revanche, dans son ouvrage, il utilise le terme
2049
pour parler des trois personnes trinitaires . Cette constatation est intressante, car elle
montre quil rservait ce terme pour la thologie trinitaire et quil ne lappliquait pas la
christologie, contrairement Apolinaire.
2039
2040
2041
Cf. He 1, 2.
2042
Ba 3, 38.
2043
2044
2045
2046
Les commentaires patristiques du Psautier, t. II, Rome, 1985, p. 235-239, analyses menes propos de Didyme lAveugle.
Antirrh. 205, 13.
Antirrh. 220, 14.
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### ##### ######## #### ####### ### ### #### ### ####, ### ########## ## ###
###### ### ### ##### ## ### ##### ######## ######, ### ## #####, ### ####
# # # # # # ########, ####### ### ### ##### ## ######### ####### ### ###
###########. ... Prcise bien devant tous notre sujet le point suivant : nous
unissons en un le Fils de Dieu qui est n du Pre et aprs cela de la sainte Vierge
Marie ; nous ne nommons pas deux Fils, mais c'est un seul et le mme que nous
2052
adorons dans une divinit et un honneur insparables .
Ce passage pose le problme thologique qui suscite la rflexion sur l'unit du Christ :
comment le Fils de Dieu peut tre le mme, tant engendr de tout temps par le Pre et
enfant dans le temps par Marie. la fin de sa lettre, Grgoire de Nazianze explicite lorigine
de l'accusation des deux Fils en montrant comment elle dcoule, selon Apolinaire, de la
coexistence des deux natures dans le Christ, qui pour ce dernier sont inconciliables :
la bouche , piphane, Panarion, 73, 12, 2, GCS, Epiphanius III, d. K. Holl, p. 285, 2-3.
2052
2053
Grgoire de Nazianze, Lettres thologiques, 102, 28, SC208, trad. P. Gallay, p. 82-84.
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### ## ### ####### ######, #### ## ####### #### ## # ##### (##### # ######
######### ####### ### ######### ##### ######), ## # # #### # # ## # # ####
# #######. ## ### ####### ## ## #########, #### ## ###############,
######## ## #########, ##### ## ### ########. #### ### ### ## # # ###,
###### #### ### ####### ####. #### ## ### ##### ########, ### # ###
########## ######## ### #### ## #######, ## ### ## #### ### ###### ##
#######. Et s'il faut s'exprimer brivement, ce dont est constitu le Sauveur,
c'est une chose et une autre (#### ## ### ####) (s'il est vrai que le
visible et l'invisible ne sont pas la mme chose, et de mme ce qui est hors du
temps et ce qui est soumis au temps) et non pas un et un autre (##### ##
### #####) : puisse cela ne pas arriver ! Car les deux sont une seule chose
par leur union : Dieu d'une part s'est fait homme, l'homme d'autre part a t
fait Dieu ou bien quelle que soit la manire de nommer cela. Je dis ici une
chose et une autre (#### ### ####), l'oppos de ce qui a lieu pour la
Trinit : l, en effet, il y a un et un autre (##### ### #####) pour que nous
2055
ne confondions
pas les hypostases, mais non pas une chose et une
autre (#### ## ### ####), car les trois ne sont qu'une seule chose et la mme
2056
par la divinit .
Ce passage nous est apparu tre l'un des plus explicites sur la thologie que revendiquent
les Cappadociens dans la polmique contre Apolinaire, parce qu'il explique la tension
entre dualit de nature et unit dans le Christ par l'opposition de genre dans les formules
2054
Grgoire de Nazianze, Lettres thologiques, 101, 18-19, SC208, trad. P. Gallay, p. 44.
2055
Il faudrait pouvoir garder la mme racine pour traduire (qui signifie l'union par confusion) et
Grgoire de Nazianze, Lettres thologiques, 101, 20-21, SC208, trad. revue de P. Gallay, Paris, 1998, p. 44.
483
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Comme il a t dit dans la premire partie de notre travail , les attaques dApolinaire
ne visent pas en particulier la christologie de Grgoire, mais, semble-t-il, tous les thologiens
qui ne soutiennent pas une unique nature dans le Christ, ou qui revendiquent la pleine
humanit du Christ. Le fragment 15 de lApodeixis cite nommment trois adversaires,
Paul de Samosate, Marcel et Photin, dont le groupement pose problme, nous allons
y revenir. Mais il semble quil y ait un lien entre la christologie quApolinaire prte
ces trois thologiens et celle des deux Fils , qui se trouve aborde plutt vers la fin
de lAntirrheticus. Les rapprochements que l'on peut faire entre ce quil dit de Paul de
Samosate, de Photin et de Marcel dans lApodeixis et dans ses autres crits dogmatiques
aident le comprendre.
Dans lApodeixis, la forme christologique que ceux-ci se voient en effet reprocher par
Apolinaireest celle de lhomme inspir :
2057
Cf. Athanase, Contra arianos, II, 62, Athanasius Werke, Band I, Teil I, d. K. Metzler, p. 238-239 ; cf. aussi la note de G. M. de
Durand, Cyrille dAlexandrie, Deux dialogues christologiques, SC 97, p. 223, n. 1. Dans les textes contemporains dApolinaire, comme
la Lettre pictte, le grief dune christologie des deux Fils est formul partir des expressions , ou encore
... : ()
, ;
; Comment veulent-ils tre appels chrtiens ceux qui prtendent () quautre est le
Christ et quautre est le Logos de Dieu qui tait Fils du Pre avant Marie et avant les sicles ? Ou bien comment peuvent-ils tre
chrtiens ceux qui prtendent quautre est le Fils et autre le Logos de Dieu ? (Lettre pictte, PG 26, 1053, C).
2058
3
Cf. A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrtienne, I, 2003 , p. 686. Cyrille formule ses accusations contre Diodore dans une
Lettre Succensus, PG 77, 229 A-B. cf. M. Richard, Les traits de Cyrille dAlexandrie contre Diodore et Thodore et les fragments
dogmatiques de Diodore de Tarse , Opera minora, II, n51, op. cit., p. 112-113.
2059
Cf. Eun. III, 4, 63, GNO II, p. 158, 20-22 ( ) ; Antirrh. 159, 18. Dans les deux cas, il sagit de
Pour une tude des notions du mlange utilisees en christologie, cf. ltude de rfrence de J. R. Bouchet, Le vocabulaire
de lunion et du rapport des natures chez saint Grgoire de Nysse , Revue thomiste, 1968/4, p. 566-577 spcialement.
2061
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#### ### ########## ###### ### ####### ######## ######## ## ##### ####
############ ############, ######### ## ### ####### ###### ## ### ########
### ######### ### ######## ########## ########. D'aprs [Apolinaire],
le fait d'appeler le Christ homme inspir (######## ######) est contraire aux
enseignements des aptres, d'autre part tranger aux synodes. Paul, Photin et
2062
Marcel seraient l'origine d'une telle perversion.
Comme l'atteste le fragment 16, homme inspir signifie lhomme dont l'origine est
proprement terrestre par opposition l'homme descendu du ciel (cf. Jn 3, 13), ou encore
un homme qui nest pas Dieu, selon une forme rsurgente dbionisme. A cette conception,
Apolinaire oppose le concept d'homme cleste ( ) comme
en tmoigne le contexte du fragment 17 de l'Apodeixis :
### ####, #####, ## ### ######## ### ####### ####### ########. ########
#####, ### #### ####### ########### ## ### ######## ### ########
########### ## #### ########### # ######. Il nest pas homme, dit-il, issu
de la terre lhomme qui descend du ciel. Cependant, il est homme, mme sil est
descendu du ciel. En effet, le Seigneur ne nie pas une telle appellation dans les
2063
vangiles .
Et plus loin, dans le fragment 18 tel qu'il nous est restitu par Grgoire, Apolinaire
dclarerait :
## ## ##### ####### #### ######## ##### ######## #### ####, ### ### #
##### #### ###########; Si le Fils de l'homme vient du ciel et que le Fils de
Dieu vient d'une femme, comment le mme ne sera-t-il pas la fois homme et
2064
Dieu ?
Ce fragment se comprend mieux la lumire d'un passage de la Premire ptre Denys
, o Apolinaire dclare :
Antirrh. 138, 12-16. Le terme est courant dans la tradition patristique pour dsigner toute forme de drive
doctrinale. Cf. Clment d'Alexandrie, Strom. VII, 3, 14, SC 428, d. A. Le Boulluec, Paris, 1997, p. 70 ; Origne, Contre
Celse, III, 40, 3, SC 136, d. M. Borret, Paris, 1968, p. 94 ; aussi Eusbe, Contre Marcel, II, 4, 21, 6, d. E. Klostermann, GCS,
Eusebius Werke, IV, Berlin, 1972, p. 56 ; Grgoire de Nazianze, Discours, 20, 5,SC 270,d. J. Mossay, 1980, p. 68 ; Basile,
Contre Eunome, I, 4, SC 299, p. 168, pour dsigner les ennemis de la vrit, dans la Lettre 210, 3, 1 (d. Y. Courtonne,
CUF, t. II, p. 191), Basile parle d'une , et dans les Lettres 224, 2, 9 (CUF, t. III, p. 19) ; 263, 2, 12 (CUF,
t. III, p. 122), il voque la . Chez Grgoire de Nysse, cf. Eun. I, 48, GNO I, p. 39, 1 ; Eun. I, 298, GNO
I, p. 114, 22 ; Eun. III, 9, 63, GNO II, p. 288, 6-7 ( ) ; Epist. 5, 8, 2, SC 363, p. 162
(pour dsigner l'hrsie d'Arius). Au sens de perversion du dogme , le mot se trouve en concurrence avec
dans la littrature patristique.
2063
2064
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2065
2066
H. de Riedmatten, Les Actes du procs de Paul de Samosate, op. cit., p. 51-52. Cf. suite de nos analyses.
2068
2069
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Dans cet extrait, Apolinaire utilise la notion de personne () dans le mme sens
que celle de Fils , que nous avons cite plus haut.Dans son mme opuscule,il voque des
hrtiques qui ne confessent pas un Dieu qui s'est fait chair en propre, mais un homme
qui a t conjoint Dieu (
2070
) . Cest toujours la mme conception christologique qui est vise et
contre laquelle Apolinaire dveloppe sa propre thologie, sans que soit nomm ici de
thologien. La question de savoir qui est vis dans ce texte est tout lobjet de ltude de
K. McCarthy sur laquelle nous reviendrons.
En conclusion, dans le fragment 15 de lApodeixis, o Paul de Samosate, Marcel et
Photin sont nomms, il n'est pas question d'une dualit de Fils, et la christologie d'un Marcel
d'Ancyre par exemple, ou d'un Paul de Samosate, beaucoup plus obscur, ne semble pas
tre le modle de thologie des deux personnes, mais elle a pu tre interprte telle quelle
par la tradition, et Apolinaire, en raison des consquences logiques qu'elle comportait :
partir du moment o Jsus est un homme adopt par Dieu, il est bien distinct du Logos
qui se trouve dans le sein de Dieu. Il y a donc dualit de Fils, l'un par nature, l'autre par
adoption. Ce sondage sur quelques textes dApolinaire aura montr que la christologie des
deux personnes est lcueil thologique principal par rapport auquel celui-ci construit sa
propre doctrine. Comme le montre le fragment 15, mis en regard avec la Premire ptre
Denys , la sparation de lhumanit et de la divinit dans le Christ dcoule dune conception
du Christ comme homme inspir , qui est attribue Paul de Samosate.
e
Mais le fait que ce thologien du III sicle soit bien antrieur lpoque dApolinaire,
et que lui soient associs les noms de Marcel et de Photin dans lAntirrheticus, soulve la
question de savoir quels contemporains exactement sont viss par cette attaque et pourquoi
dans la controverse apolinariste les trois auteurs sont associs, bien quayant dvelopp
des thologies distinctes et tant de gnrations diffrentes.
Kata meros pistis , 30, Lietz. p. 178, 10-11. K. McCarthy montre que cette dernire expression dnonce clairement lusage de
par les thologiens dAntioche pour dcrire lunion de lhumain et du divin en Christ. Elle renvoie au troisime des douze
anathmes noncs par Cyrille dAlexandrie, dans sa troisime lettre Nestorius, rdige vers 430, qui condamne ceux qui pensent
lunion de la divinit et de lhumanit en termes de (Cyrille dAlexandrie, Select Letters, III, 12,d. L. R. Wickham, coll.
Oxford Early Christian Texts, Oxford, 1983, p. 28-29 ; K. McCarthy, Apollinarian Christology and the Anti-Marcellan Tradition ,
Journal of Theological Studies, 43, 1994, p. 548).
2071
2072
2073
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de lattaque des deux Fils et le contexte polmique dans lequel il rdige sa propre
christologie.
Au niveau textuel, le fragment 15 pose des problmes dauthenticit. E. Mhlenberg
pose juste titre l'hypothse d'une citation inexacte, retouche par Grgoire. La christologie
de lhomme inspir concernerait uniquement Paul de Samosate, mais Grgoire, rsumant
la pense de son adversaire, aurait associ demble les trois hrtiques . Une telle
supposition se fonde sur deux arguments ; dabord dans le fragment suivant, n16, cit
au style direct, Apolinaire interpelle la deuxime personne du singulier lauteur de la
christologie de lhomme inspir :
###### ##### ### ####### ######### ### ## #### ###### ### #########
############ ######## ## ################### ### ###### ### ### ####
####### ############, ## ### ##### ### ###### ###### ### ###### ########
######## #### ####### ######### ### ########## #################.
[Apolinaire] fait mention de certaines doctrines conciliaires de ceux qui
staient runis contre Paul de Samosate, disant que le Seigneur a t divinis
depuis le ciel, et de ce qui a t dit Nice dont il a expos la lettre la formule
dite de la manire suivante : Celui qui est descendu du ciel, sest fait chair et
2075
sest fait homme.
2076
2075
2076
2077
Cf. la mise au point rcente de X. Morales, La thologie trinitaire dAthanase dAlexandrie, Paris, 2006, p. 324-330.
Nous avons dj voqu ce point dans la partie I, chapitre 1, Circonstances de composition de lApodeixis , p. 61 sq. Avant
le travail dH. de Riedmatten, G. Bardy et F. Loofs ont dclar quil tait impossible que la citation donne par Apolinaire et reprise
par Grgoire dans lAntirrheticus provnt des actes synode runi contre Paul de Samosate, en 268 : Pour Bardy, le problme est le
suivant : ou bien la formule est de Paul, alors pourquoi Apollinaire la cite-t-il comme une autorit? Ou
bien elle mane des Pres du concile, alors on insrera avec F. Loofs entre et un qui s'alignera au
. On naura pas puis les difficults pour autant : pareille formule va juste l'encontre de la pense des adversaires de
Paul : un Christ divinis par une inspiration d'en-haut! G. Bardy rappelle le peu de diffusion des Actes de 268, mentionne le scepticisme
de Grgoire de Nysse sur l'authenticit de la rfrence (H. de Riedmatten, Les Actes du procs de Paul de Samosate, Fribourg,
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e
e
1. Apolinaire (IV s.) et Paul de Samosate (III s.)
Les rapports entre la doctrine dApolinaire et celle de Paul de Samosate, dont les fragments
2079
ont t dits, traduits et comments par G. Bardy, puis par H. de Riedmatten , varient
selon que lon se place du ct des adversaires dApolinaire, ou du ct dApolinaire luimme. En effet, du premier point de vue, la christologie de Paul prsente dindniables
2080
accointances avec celle dApolinaire . Telle est la raison pour laquelle les deux doctrines
ont parfois t rapproches par leurs adversaires. Du second point de vue, elles sopposent
fondamentalement et on retrouve les mmes motifs daccusations chez Apolinaire que chez
les thologiens qui ont attaqu Paul de Samosate.
1952, p. 98). Ce dernier critique conteste linterprtation de G. Bardy et de F. Loofs et considre que le texte de lAntirrheticus na pas
besoin dtre modifi. Le passage pourrait suggrer quApolinaire ait eu accs aux actes du concile, mais les passages o il parle
de Paul ne vont gure plus avant que les conceptions courantes de son temps. En outre, louvrage de facture apolinariste, le De
Incarnatione Dei Verbi souvre sur un rappel du concile de 268 : Linnovation de Paul de Samosate attrista le saint concile, elle qui
visait bouleverser le grand mystre, celui du Christ (Lietz. p. 303, l. 2-4). Mais la suite de cet opuscule ne revient pas sur cette
question. Cela ne prouve donc rien d'un accs direct aux actes du procs de Paul par Apolinaire (cf. H. de Riedmatten, op. cit., p. 100).
En 1969, E. Mhlenberg conteste encore lhypothse dH. de Riedmatten, et dclare, la suite de F. Loofs, quil est impossible que le
synode dont Grgoire fait allusion dans son Antirrheticus soit le synode dAntioche de 268, sans donner de plus amples explications
(Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 144).
2078
Lietz. p. 296, 18-21. Dans lopuscule apolinariste De incarnatione Dei Verbi, Paul de Samosate est nomm dans une
Parmi toutes les tudes sur Paul de Samosate, lune des monographies de rfrence est celle dH. de Riedmatten, Les actes
du procs de Paul de Samosate, op. cit. La question de lauthenticit des Actes du procs de Paul de Samosate est lobjet dun dbat
dans la critique. Selon F. Gahbauer, il sagit dinterpolations plus tardives (Das anthropologische Modell. Ein Beitrag zur Christologie
der frhen Kirche bis Chalkedon, Wrzburg, 1984).
2080
H. de Riedmatten, Les actes du procs de Paul de Samosate, op. cit., p. 49, dresse une liste de la similitude de vocabulaire.
489
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La doctrine de ce dernier prsente des similitudes avec celle dApolinaire sur le plan
2081
du vocabulaire de lunion de lhomme et de Dieu dans le Christ , ainsi que dans la faon
de concevoir lunion du Verbe la chair au niveau ontologique partir de la comparaison
anthropologique.
Malgr les attaques dApolinaire contre Paul de Samosate, que nous avons releves
dans la Premire pitre Denys et dans lApodeixis, le Pseudo-Athanase accuse Apolinaire
de dvelopper une christologie semblable celle de Paul de Samosate dans ses deux traits
Contre Apolinaire. Il donne alors une description de la doctrine du Samosaten. Dans le
Contre Apolinaire I, la thologie de Paul est dfinie ainsi :
Cf. le relev dH. de Riedmatten, Les actes du procs de Paul de Samosate, op. cit., p. 49-50.
2082
2083
Contre Apolinaire, II, PG 26, 1136 B. cf. analyses de G. Bardy, Paul de Samosate, op. cit., p. 339-340.
490
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chez Apolinaire lui-mme, qui cite Paul pour lattaquer, dans le fragment 24 de lApodeixis :
2084
.
En somme, le rapprochement entre Paul de Samosate et Apolinaire par les adversaires
de ce dernier est d au rle du Logos dans le Christ, qui dans les deux thologies est
apparent un principe actif en lhomme et qui est dit provenir du ciel. Le Logos existe dans
la mesure o il agit dans lhomme ( ). Lun et lautre auteur conoivent
les rapports du Logos et de la chair partir de la comparaison anthropologique. En effet,
piphane prte Paul de Samosate la rflexion suivante :
cit., p. 336.
2086
M.-O. Boulnois montre que cest dans les actes du procs de Paul de Samosate, avec les rserves que lon peut avoir eu gard
leur authenticit, que se trouve pour la premire fois la comparaison anthropologique utilise en christologie pour faire comprendre
lunion du Verbe et de la chair ( Lunion de lme et du corps comme modle christologique, de Nmsius dEmse la controverse
nestorienne , art. cit., p. 451-452).
2087
Cf. H. de Riedmatten, Les actes du procs de Paul de Samosate, op. cit., p. 50 : cf. frg. S 8 (p. 138), 14 (p. 143), 25
491
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comme latteste un fragment des Actes du procs contre lui (268), transmis en syriaque,
dans lequel il se dfend de proclamer deux Fils :
H. de Riedmatten, Les actes du procs de Paul de Samosate, op. cit., S, 21, p. 146-147.
H. de Riedmatten, Actes du procs de Paul de Samosate, op. cit., frg. S 14, transmis en syriaque, p. 143.
piphane, Panarion, 65, 7, 3, GCS, III, op. cit., p. 10 ; trad. G. Bardy, op. cit., p. 338.
2092
Cf. remarque de G. Bardy, Paul de Samosate, op. cit., p. 339. Le fragment, mme sil nest pas textuel, renseigne au moins sur
e
la faon dont tait comprise la doctrine du Samosaten au IV sicle.
492
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e
Dans ces conditions, pourquoi Marcel (IV s.) tait-il associ par Apolinaire Paul de
e
Samosate (III s.) ? Cest Eusbe de Csare, le premier, qui a eu lide de faire intervenir
Paul de Samosate dans le dbat thologique. la recherche dune gnalogie pour lhrsie
de Marcel dAncyre, il imagne une ligne bionites-Sabellius-Paul de Samosate-Marcel
dAncyre, qui sera vite complte par lajout de Photin de Sirmium. Linauguration a lieu dans
2093
la Thologie ecclsiastique
. Daprs le trait dEusbe, initiateur du rapprochement
des trois thologiens, la seule donne thologique substantielle qui permet de voir le
2094
lien entre Paul de Samosate et Marcel est laccusation de psilanthropisme . Paul, de
fait, devait professer une christologie archaque, faisant de Jsus un simple homme en qui
demeure lesprit de Dieu. Il nest donc Fils que par adoption. Par consquent, dduit-on, il
ny a de Fils que depuis lincarnation. Or cette dernire proposition est marcellienne. Donc
celle de Paul de Samosate est marcelline, et Eusbe, par extrapolation, lui attribue lautre
proposition centrale du systme thologie de Marcel, labsence de prexistence du Verbe
avant lincarnation, une proposition tendance modaliste. De psilanthropiste, () Paul de
Samosate devient, par assimilation rtrospective avec le marcellianisme, un reprsentant
2095
du modalisme aux cts de Sabellius . Mais Marcel nest pas psilanthropiste .
En effet, daprs la vision de la tradition, Marcel dAncyre aurait tenu que le Verbe
existait rellement, mais seulement partir de lincarnation. Il admettait une expansion
graduelle de la Monade divine dont le Fils et lEsprit nmergeaient quaprs coup,
2096
raison des ncessits de lconomie, sous forme dentits distinctes . Photin, pour sa
part, naurait jamais accord aucune subsistance relle au Logos et aurait profess une
distinction entre le Logos et le Fils, lun permanent, mais attribut sans personnalit, lautre
2097
ne commenant dexister quavec lincarnation .
K. McCarthy examine plus en dtail les rapports entre Marcel et Apolinaire dans son
tude du Kata meros pistis mais galement dans un article intitul Apollinarian christology
and the anti-marcellan Tradition . Elle prouve partir dlments de critique interne et
2098
externe et de preuves historiques
comment la christologie des deux personnes qui est
mentionne et attaque dans le trait Kata meros pistis (chapitres 28-31) est non pas
celle de Diodore de Tarse, considr comme le reprsentant de la christologie des deux
2099
personnes, mais celle de Marcel dAncyre prcisment . Certains de ses fragments,
transmis par Eusbe dans son Contre Marcel, le suggrent, ou tout au moins se prtent
des attaques dune christologie divisive. Cest lenseignement prtendu des deux Fils qui
2093
X. Morales, La thologie trinitaire dAthanase, op. cit., p. 325. Eusbe assimile les trois hrtiques dans sa Thologie
ecclsiastique, I, 14, 2 et 20,43 ; GCS Eusebius Werke, IV, d. E. Klostermann, Berlin, 1972, p. 74 et 88.
2094
2095
Le Christ ne serait quun simple homme devenu Dieu par linhabitation en lui de la puissance divine.
X. Morales, La thologie trinitaire dAthanase, op. cit., p. 326.
2096
Pour la doctrine de Marcel dAncyre, nous renvoyons la monographie la plus rcente qui fait autorit actuellement : J.
T. Lienhard, Contra Marcellum, Marcellus of Ancyra and Fourth-Century Theology, Washington, 1999.
2097
Pour une tude plus dtaille des rapports entre la thologie de Marcel et celle de Photin, cf. R. M. Hbner, Die Schrift des
Apolinarius von Laodicea gegen Photin (Pseudo-Athanasius, Contra Sabellianos) und Basilius von Caesarea, Berlin, 1989, p. 128-196.
2098
Jrme dit dans son De viris illustribus quApolinaire a crit un trait contre Marcel. Il se pourrait que ce soit prcisment
Cf. K. McCarthy, Apollinarian Christology and the anti-Marcellan Tradition , art. cit., p. 562-568 spcialement.
493
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e
2100
expliquerait que les thologiens du IV sicle aient rapproch Marcel et Paul . Pour ne
donner quun exemple, dans le fragment 63, Marcel dclare ouvertement que lhomme que
le Logos a assum tait une diffrente du Logos lui-mme, qui dans la thologie
2101
de Marcel est indistinct des autres membres de la Trinit . piphane, dans son Panarion,
accuse aussi trs clairement Marcel dadoptianisme, mme sil faut prendre avec rserve
2102
les citations quil donne de lvque dAncyre .
e
Par consquent, au IV sicle, la christologie de Marcel tait souvent associe celle
de Paul de Samosate, parce que toutes les deux en effet semblent prsenter une image de
l'humanit du Christ complte et suggrent que le Christ a acquis son statut divin grce
2103
une sorte d'inspiration par le Logos de Dieu conu comme un pouvoir divin impersonnel .
2104
Photin, le disciple de Marcel, insiste davantage sur cet aspect .
Dans son tude, K. McCarthy dmontre que c'est plutt Marcel d'Ancyre et son disciple
Photin de Smirnium qui sont viss comme les initiateurs du modle de la christologie
des deux personnes laquelle s'oppose Apolinaire dans son Kata meros pistis que
2105
les thologiens dAntioche comme Diodore . La chronologie viendrait confirmer cette
hypothse qui renouvelle la comprhension de lapolinarisme : Marcel est dpos au concile
de Constantinople de 330/331 ou 334 et Photin est censur au concile dAntioche en
344, et Milan en 345 et 347 puis dpos en 351, ce qui correspond la dcade o
Apolinaire construit sa doctrine, si lon en croit Grgoire de Nazianze dans sa Lettre 102
2106
Cldonius . Une telle hypothse ne vient pas minorer la polmique entre Apolinaire
2107
et Diodore, postrieure, puisquelle date des annes 370, selon M. Richard , mais elle
montre que laccusation des deux Fils que nous avons releve dans plusieurs uvres
dApolinaire nest srement pas interprter spcialement contre Diodore, mais quelle
2100
e
Plusieurs auteurs vers le milieu du IV sicle rdigent des traits contre Marcel sans le nommer, mais en voquant la
figure de Paul de Samosate. Eusbe dEmse, dans une homlie, cf. Discours III, De fide, 14 : non alius apud Patrem, alius autem
nobiscum , d. M. Buytaert, Eusbe dEmse, Discours conservs en latin, I, Louvain, 1953, p. 87 ; Discours II, De Filio, 22, ibid. p.
59 : non alius apud Patrem, alius autem nobiscum , o lon sent une influence directe du Contre Marcel dEusbe de Csare. Cyrille
de Jrusalem fait aussi une allusion la christologie des deux personnes dans lune de ses catchses baptismales (cf. PG 33, 665 A).
2101
Frg. 63, Eusebius Werke, Band IV, GCS, d. E. Klostermann, Berlin, 1972, p. 196-197 ; K. McCarthy, Apollinarian
piphane, Panarion, 72, 9, 5, GCS Epiphanius, III, d. K. Holl, Berlin, 1985, p. 263 : "
", , , ,
" ", " ", " , ( Et
tu nies que le Verbe tait Dieu (Jn 1, 1), mais tu appelles le Fils de Dieu ou bien par son nom seulement ou comme homme, afin que
Dieu engendre une progniture dune autre nature que lui, engendrant le Fils par adoption, daprs la parole jai engendr des fils et
les ai fait grandir (Is 1, 2) et vous avez reu lesprit de Fils adoptifs (Rm 8, 15), et apportez au Seigneur, fils de Dieu (Ps 28, 1) ).
2103
2104
2105
2106
dclare quApolinaire divulgue sa thorie depuis trente ans , cest--dire, compte tenu de la datation de cette missive, depuis les
annes 350.
2107
M. Richard, Lintroduction du mot hypostase dans la thologie de lincarnation , art. cit., Opera minora, II, art. n
42, p. 8-9.
494
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visait plusieurs types de christologie dont Paul, Marcel et Photin taient considrs comme
les figures reprsentatives par la tradition.
Mais lattaque des deux Fils dpasseplus largement encore le cadre de la polmique
dApolinaire contre Marcel, comme en tmoigne le fait que dans lApologie dOrigne
(308-310), Eusbe de Csare et Pamphile dfendent celui-ci face au mme grief auquel
2108
est rattach le nom de Paul de Samosate . K. McCarthy dmontre comment cest
e
e
Eusbe qui fait le lien entre les erreurs doctrinales du III sicle et celles du IV sicle
propos de la question des deux Fils (comme en tmoigne le fait quil appelle Marcel
un nouveau Paul de Samosate). Ainsi le rapprochement des trois hrtiques appartenant
e
e
et au III et au IV sicles provient-il dune volont dlibre de crer des continuits
entre les thories doctrinales, mais aussi entre les thologies trinitaire et christologique des
diffrentes gnrations de thologiens.
Dans le cadre de notre tude, o il sagit de comprendre lorigine de laccusation des
deux Fils que brandit Apolinaire dans lApodeixis, et la relation de cette attaque avec la
mention des trois thologiens dans le fragment 15 cit par Grgoire, il ressort que cest en
e
raction aux christologies de type adoptioniste, telles quelles taient perues au IV sicle,
quApolinaire dveloppe sa propre christologie du selon laquelle il ampute
lhumanit du Christ du pour ne pas tomber dans lcueil, selon lui, dune dualit de
Fils, o lunit entre lhomme Jsus, n de Marie, et le Logos prexistant ne peut plus tre
prserve.
Toutefois, mme si Apolinaire sen prend Paul et Marcel au sujet de la dualit de Fils,
dans la Premire ptre Denys et dans le Kata meros pistis , ces derniers nont jamais
soutenu la coexistence de deux dans le Christ, l'un tant le Logos divin et l'autre,
l'homme Jsus de Nazareth, puisquils ont reni tous les deux l'existence d'un
ou d'une hypostase ternelle du Verbe. Et cest bien l le paradoxe, qui rvle lcart entre
le contenu mme de ces thologies et leur utilisation par ses adversaires. Do la question
que tente de rsoudre K. McCarthy : si Paul et Marcel ont toujours soutenu lexistence dune
hypostase et dune personne dans le Christ, pourquoi ont-ils t accuss par la tradition
patristique, par Apolinaire notamment, de soutenir une christologie des deux Fils ? Elle
dmontre alors que lattaque des deux Fils dcoulait de la projection de la doctrine
trinitaire par leurs adversaires dans leur rflexion christologique : si le Logos prexistant
est conu comme une hypostase complte et puisque Marcel semble prsumer la pleine
humanit du Christ, alors lquation aboutit reconnatre deux personnes dans le Christ. En
outre, le grief port contre Marcel avait aussi une cause scripturaire : dans ses fragments,
il utilise les titres christologiques notestamentaires de Fils de lhomme et de Fils de Dieu :
2108
Cf. PG 17, 579 A. Le grief est combin avec celui du psilanthropisme, selon lequel le Christ, Fils de Dieu, serait un simple
homme, au sujet duquel est rapport nommment Paul de Samosate (PG 17, 578 C-579 A). Pour le problme dinterprtation que
pose cette accusation lance contre Origne rapporte par Eusbe, cf. K. McCarthy qui fait ltat de la critique sur ce point dans
Apollinarian Christlogy and the anti-marcellan Tradition , art. cit., p. 560-562.
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lhomme , pour permettre lhomme grce une telle confession de devenir Fils
2109
de Dieu par adoption en vertu de la communion avec lui .
Une telle conception du Christ prsente une tendance nettement adoptianiste : le Fils de
lhomme adopt par Dieu, en raison de sa foi, devient Fils de Dieu. Mais ce faisant, elle offre
une prise aux accusateurs qui voudraient y voir une dualit exprime propos du Christ. Cet
extrait aide percevoir le mcanisme de formation des condamnations hrsiologiques :
les christologies adoptianistes sont assimiles aux thories monarchiennes trinitaires, et les
christologies des deux personnes sont attaques par largument de la thorie trinitaire des
2110
trois hypostases .
En conclusion de ces enqutes sur les fragments de Paul de Samosate et de Marcel,
il ressort un cart trs net entre le contenu thologique de leurs fragments et lutilisation
polmique quen font leurs adversaires. Prsents comme les tenants dune christologie de
lhomme inspir, par lAntirrheticus, ils sembleraient, daprs les autres fragments doctrinaux
dApolinaire, tre les modles de la christologie des deux Fils. Or dans le contexte des
e
controverses doctrinales au IV sicle, les trois auteurs sont devenus les types des modles
christologiques adoptianistes, condamns. Et cest contre ces doctrines, juges dviantes,
quApolinaire insiste dans son Apodeixissur lidentit de personne entre le Logos prexistant
et lhomme Jsus (frg. 32 ; 38 ; 42 ; 47 ; 50 ; 54 ; 67 etc.).
Cette constatation fait tout de mme ressortir une particularit du dbat de
lAntirrheticus. En effet, il nest nullement question des deux parfaits () chez
ces trois auteurs ainsi que dans les uvres de controverse qui en reprennent la pense
de faon dforme. Pourtant dans lAntirrheticus, ce point est lobjet des fragments 81,
42, et 92. Lenjeu de la polmique des deux Fils entre Grgoire et Apolinaire tient
donc un deuxime motif, dun autre ordre, et expos plus haut : lintgrit de deux
substances empche lunion en une seule substance, nouvelle. Cela prouve quApolinaire
vise plusieurs formes de christologie sous une mme dnomination des deux Fils , qui
dans la tradition tait alors applique seulement aux christologies adoptinianistes. Peuttre cre-t-il lui-mme une assimilation hrsiologique entre les thologies adoptianistes et
celles qui soutiennent la coexistence de deux natures compltes dans le Christ.
Maintenant quest explicite la chane des controverses sur la question des deux
personnes ou deux Fils dans le Christ, voyons quelle solution doctrinale Apolinaire propose :
on pourra caractriser ensuite la nature des argumentations par lesquelles Grgoire
rplique.
Marcel, frg. 41, GCS Eusebius III, d. Klostermann, op. cit., p. 192.
K. McCarthy, Apollinarian Christology and the anti-Marcellan Tradition , art. cit., p. 558.
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## ##### #####, ###### ######## ## ### #### ### ### #########, ####
####### ##### ## ### ####### ##### # ###### #### ### ########, #########
######## ## #####, #### ###### ####### ######## ######## #######. Il
est une seule nature, puisquune seule personne ne peut tre spare en deux,
car ni le corps nest une nature propre, ni la divinit nest une nature propre dans
lincarnation, mais comme lhomme est une seule nature, ainsi est aussi le Christ,
2111
qui sest fait semblable aux hommes .
2112
# #### ############ #### ###### ### ### ######### ########## (###### ####
## ### #####) ### ### ####### #### #### #########, #### ### ## ######## ####
####### ###########, #### ####### ########## ######## ### ########
#### ## ######## #########, ############# #### #### ## ######### ######
### ####### ## ##### ######### #### #### #############. #### ### ## ####
## ######### ### ######### ######### ### ## ### ### ### ####### ###
###########... #### ## #### #### ####### #### #### ### ##### ##########
### ### #####. La chair est toujours mise en mouvement par un autre qui la
meut et la conduit (quel quil soit) et nest pas un tre vivant accompli par elle2111
2112
traduit le corps nest pas une nature propre comme la divinit est une nature propre dans lincarnation (The Philosophy of the
Church Fathers, Cambridge, 1956, p. 439). Cette citation figure alors dans une dmonstration o H. A. Wolfson relve les emplois
d et de pour dsigner le corps. R. A. Norris rejette cette interprtation en rappelant quApolinaire rejette la conception
selon laquelle le corps ou la divinit incarne sont des natures indpendantes. Lune et lautre sont des composantes dune nature
compose (Manhood and Christ, op. cit., p. 109). M.-O. Boulnois rejoint cette interprtation en allguant le 8 de la mme ptre
Denys, o la divinit est dcrite comme nayant pas de nature propre dans lconomie mais seulement dans la thologie (cf. sminaire
e
de recherches donn lEPHE, V section, second semestre 2007).
2113
Cf. Kata meros pistis , 3, Lietz. p. 168 : Apolinaire dclare anathmes ceux qui distinguent la divinit et le corps dans le Logos
Cf. B. Meunier, La personne et le christianisme ancien, Paris, 2006, p. 210 : Apollinaire prfre prospon hypostasis ; il en
usait volontiers en thologie trinitaire, et cest peut-tre de l quil ladapte ce nouveau domaine : lunique prospon du Verbe uni
la chair serait le prospon du Fils dans la Trinit .
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#### ######## ####### ### #### #### ########### ########### #### #########.
##### ## #### ## ############ ####### ### ## ###### ### ####### #########
### #########. ## ## ## #########, ## #### ###### ## ### ##### ###### ###
##### ### ##########. Dieu assumant un instrument est la fois Dieu dans la
2119
mesure o il produit son nergie, et homme la faon de linstrument . Mais,
tout en demeurant Dieu, il ne subit pas daltration : linstrument et ce qui le meut
accomplissent par nature une seule nergie. Or sil y a une seule nergie, il y a
2115
2116
2117
2118
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2120
3
A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrtienne, I, 2003 , p. 658.
Cf. Apolinaire, Premire ptre Denys , 10, Lietz. p. 261.
Cf. Anacephalaisis , 21, Lietz p. 244 : , :
lhomme nest donc pas mis en action par Dieu, mais cest le corps adjoint Dieu .
2124
: dans le sens de compltude, cf. Ps.-Athanase, Contre Apolinaire I, 14, PG 26, 1117 B.
2125
Frg. 9, Lietz. p. 206. Nous avons dlibrment ramnag la syntaxe dans la traduction, la formulation littrale ntant
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conserve une certaine forme de primaut. Il en va de mme dans la Lettre Jovien, connue
2126
pour lexpression , reprise par Cyrille
.
De cette conception de la nature du Christ, il rsulte une stricte quivalence dans le
systme dApolinaire, entre les notions de nature, dhypostase, de personne, de substance
et dnergie. En effet, dans son trait De fide et incarnatione , il rsume le point nodal de
sa christologie de la faon suivante :
## ### ##### ######## ###### ######### ########### ### #### ##### ### ##
######### ##### ### ### ##### ######, ######### ## ########, ## #########,
#### ########, #### ####. Nous confessons que le Fils Logos s'est incarn
de la sainte Vierge Marie, et nous ne le sparons pas de sa chair, mais il est une
2127
personne, une hypostase, tout entier homme, tout entier Dieu .
Peu aprs, dans le mme opuscule, il dit encore :
### ###### ######### ### ##### ### ### ###### ####### #### ######
########## #######, ######## ## #####, ## #########, ## ########, ##
########, #### ####, #### ######## # #####. Aucune sparation du Logos
et de la chair n'est expose dans les divines critures, mais lui-mme est une
nature, une hypostase, une activit, une personne, tout entier Dieu, tout entier
2128
homme .
Dans ces deux passages, souvent cits pour montrer comment Apolinaire ne distingue pas
en christologie le niveau de la personne, de lhypostase et celui de la nature, il est prouv
que lunit du Christ est fonde sur lunit de sa vie, sur lindivisibilit dun unique tre
vivant ( ). Toutes les formules exposes cidessus pourraient encore tre synonymes de . Mais ce qui est intressant dans
lnumration dApolinaire, cest quaprs avoir dclar que le Christ est une nature,
une hypostase, une personne, une nergie , il ajoute : ,
. On touche alors au point de divergence christologique fondamental entre Apolinaire
et Grgoire. En effet, pour Apolinaire, lunicit de nature ne rduit pas la qualit humaine
du Christ et ne lempche pas dtre la fois tout entier homme et tout entier Dieu. La
solution christologique de lunique nature ne cre pas une division dans le Christ
entre son humanit et sa divinit qui seraient alors conues dans leur autonomie. Chez
Apolinaire, nest pas synonyme de . En vertu du modle anthropologique qui
est le fondement structurant de sa christologie, partir du moment o il y a unit de vie entre
lhomme et Dieu, lensemble est tout entier homme et Dieu. On est donc en prsence dune
conception diffrente de celle de Grgoire : le premier pense les rapports de Dieu et de
lhomme partir dune unit vitale, le second conoit lontologie du Christ partir de la nette
distinction entre son humanit et sa divinit, tant entendu quil est une seule personne.
Mais Apolinaire ne fait pas seulement de lunique substance lquivalent dune unique
hypostase, dune unique personne et dune unique nergie dans son De fide et incarnatione
. Il prouve aussi lide dune unique substance sur la base dun autre argument, cultuel,
dans le fragment 119 :
2126
Nous revenons sur ce point dans la suite du chapitre. A. Tuilier, dans un article intitul Le sens de lApollinarisme dans les
e
controverses thologiques du IV sicle , StPatr. 13, TU 116, 1975, p. 296, attribue cette expression lvque dAlexandrie. Mais la
seule rfrence du texte dAthanase donne lappui nest pas indexe par la Clavis Patrum Graecorum (il sagit de PG 28, 26 A-29 A).
2127
2128
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##### ######## ###### ### ##### ### ### ##### ########### #######,
######## ####### ### ########, #### ###########. ## ### ########### ###
#######. ### #### ##### ## ########### ####### #### ###########. ### ###
#### ####### ##### #### ###########, #### ## #### ######## #### #### ###
##########. Il est inadmissible quil y ait une seule et mme adoration de
lune et lautre substance, cest--dire du crateur et de la crature, de Dieu et de
lhomme. Or il y a une adoration du Christ. Et en vertu de cela, Dieu et lhomme
sont conus dans un seul nom. Donc Dieu et lhomme ne sont pas une et une
autre substance, mais il y a une seule substance par composition de Dieu avec le
2129
corps humain.
Lunit de substance par composition est prouve ici partir de lincompatibilit entre
une unique adoration et deux substances adores (). partir du moment o on ne
voue pas deux cultes au Christ homme et au Christ Dieu, mais que lon adore la mme
2130
personne , cest que son humanit et sa divinit constituent une seule substance, conue
2131
comme substance par composition ( ) . Cet expos est dvelopp
directement contre la christologie des deux personnes qui engendre une adoration distincte
2132
de lhomme et de Dieu . Dans ce fragment, le sens d semble donc tre quivalent
celui de : lun et lautre dsignent un sujet existant, compos dun lment
matriel et dun autre, immatriel ( ). La diffrence des proprits
de lhumanit et de la divinit ne semble pas tre un obstacle pour penser une seule
de lhumain et du divin dans le Christ. On notera ici lcart entre lutilisation de ce terme en
christologie par Apolinaire et celle des Cappadociens en thologie trinitaire, qui distinguent
prcisment l et de la notion de personne (, ) pour rentre
2133
compte la fois de lunicit et de la Trinit en Dieu .
Le mme argument, cultuel, est encore employ dans lptre Jovien pour prouver
non pas lunique mais lunique , notions quivalentes pour Apolinaire.
Cest dans ce raisonnement que se trouve la clbre formule
, reprise par Cyrille plus tard, qui croyait lemprunter au Livre sur
2134
lincarnation dAthanase, alors quelle tait dApolinaire
:
######### (...) ### ##### ### ##### #### #### ### #### #### #####, ####
########## #### #####, ## ### ###### ### ### ####, ### ########### ###
### ############, #### ### ##### ### #### ##### ########### ###
############# ### ### ###### ##### ## ###########. Nous confessons
2129
2130
2131
substance par composition est conue partir du modle anthropologique. Cf. M.-O. Boulnois, Lunion de lme et du corps comme
modle christologique , art. cit., p. 452.
2132
Cf. les articles de K. McCarthy sur cette question : Apollinarian Christology and the anti-Marcellan Tradition , art. cit. p.
564-568 ; The liturgical Argument in Apollinarius : Help and Hindrance on the Way to Orthodoxy , Harvard Theological Review,
Cambridge,91/2,1998, p. 127-152.
2133
Cf. De differentia essentiae et hypostaseos (= Basile, Lettres, 38, d. Y. Courtonne, CUF, t. I, op. cit., p. 81-92) ; B. Meunier,
Pour une tude du sens de cette expression, cf. B. Meunier, Le Christ de Cyrille dAlexandrie, p. 256-268 ; M. G. de
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() aussi que le mme est Fils de Dieu et Dieu selon lesprit (cf. Rm 1, 3), ainsi
que Fils de lhomme selon la chair, que le Fils unique est non pas deux natures,
lune qui serait digne dadoration et lautre non pas digne dadoration, mais
une nature incarne du Dieu Logos et adore avec sa chair dans une seule
2135
adoration.
Dans ce passage, lunicit de nature du Logos incarn repose sur la distinction entre
lhomme et Dieu, conus en termes desprit ( ) et de chair ( ),
partir du modle anthropologique. Si lunion de Dieu et de lhomme est conceptualise sur
le modle des rapports de lesprit et de la chair dans ltre humain, on ne peut dissocier les
deux lments comme deux objets dadoration distincts. Largument liturgique sert alors
2136
fonder lunicit de nature dans le Christ .
Par consquent, ladoration de la chair revendique par Apolinaire dans les fragments
84-86 de lApodeixis se comprend logiquement. Grgoire la rfute sans tenir compte de
la dmonstration de son adversaire par laquelle elle est amene. Il en fait mention dans
une premire formulation, dont il est difficile de savoir si elle est reprise textuellement ou
arrange. En tout cas, sortie de son contexte, elle vise heurter le lecteur :
( rien nest aussi adorable que la chair
2137
du Christ , frg. 84) . Le Cappadocien prend lexpression la lettre, dtache de tout
contexte argumentatif, et ragit de manire polmique :
##### ### ## ### ## #### ####### ######### ###### ### ######## ###, ##
#### ##### #### ########### ##### # ####, ### ########### ##### # ###
####### #### ### ##### ### ### ###### ############ ### ### ###########
######## ### ### ###### ##### ### ## ## #### ###### ##### ### #### ### #####
####### ##########, #### ############ ## ########## ### ###### ### ###
#### ### ## ##### ####### #### ######## ### ########## ### #### ######
############ ##### ##### ######## #### ###### ######## ######. Voil
ce que diraient des petits enfants assis sur lagora et jouant : sil ny a rien
daussi adorable que la chair, cest que la chair du Christ est plus adorable que
la magnificence elle-mme du Pre, que sa toute-puissance, que son pouvoir sur
tout et que tout autre propos que notre nature peut tenir au sujet de la puissance
divine, de faon dlaisser ladoration du Pre, du Fils et de lEsprit Saint, pour
vnrer et adorer seulement la chair place avant eux par cet homme et dposer
2138
en elle le pouvoir sur toutes choses !
Il utilise donc largument trinitaire pour montrer laberration de lexpression dApolinaire,
selon laquelle lchelle des valeurs entre le spirituel et le charnel est renverse : le charnel
est placer au-dessus de Dieu mme. Telle est la premire vocation que Grgoire donne
de la thorie de son adversaire et qui le discrdite.
2135
2136
le passage de lptre Jovien fait allusion une formule trinitaire dans le rite baptismal : le baptme est accompli au nom du Pre,
du Fils, de lEsprit. Apolinaire en parle explicitement dans la Premire ptre Denys , 6, Lietz. p. 258-259. Le fait que Jsus soit
invoqu comme Fils de Dieu prouve que le Sauveur est une personne et une nature (art. cit., p. 150-151). K. McCarthy montre dans
cet article que pour Apolinaire, largument liturgique est une faon de rfuter larianisme, et dviter lidoltrie de la chair.
2137
2138
Antirrh. 204, 17-18. On peut se demander si le tour superlatif est de Grgoire ou dApolinaire.
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# #### ### ######, ####, ############, ###### #### ######## ##### #### ##
#####. La chair du Seigneur, dit-il, est adore, dans la mesure o elle est une
2139
personne et un tre vivant avec lui.
Cest donc en vertu de lunicit de personne et de vie ( ), cest-dire dans la mesure o elle constitue un tre vivant unique avec le Logos, que la chair est
adore. Grgoire rfute une deuxime fois cette pense en montrant comment elle dcoule
de ladaptation du modle anthropologique la christologie, qui, selon lui, nest pas adquat :
Il est difficile de se prononcer sur lauthenticit dune telle formule, et ce dautant plus que les expressions
dsigne la connaturalit. Applique ici lunion de lme et du corps, elle dcoule de lunique nature que
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dApolinaire, qui rduit lunit du Christ au rapport de lme et du corps. Ici, Grgoire exprime
clairement que, selon Apolinaire, la ressemblance humaine que le Christ possde avec le
reste des hommes tient au fait que le compos humano-divin existe la faon dont lme et
le corps sont lis dans lhomme, et non pas au fait que le Christ a eu la mme constitution
humaine que le reste des hommes. Le modle anthropologique utilis par Apolinaire pousse
la confusion totale de lhomme et de Dieu : on ne peut plus dissocier la divinit de
lhumanit dans le Christ, do la doctrine juge errone par Grgoire de ladoration de la
chair.
Le paroxysme de la rfutation du Cappadocien est suscit par une troisime formulation
prte Apolinaire, qui semble tre la prmisse dun syllogisme : , ,
( Si aucune crature nest adorable
2142
avec le Christ sinon sa chair ) . Grgoire la commente hors de son contexte et de
son lien avec les formulations prcdentes, et sa rfutation est purement polmique. En
effet, il compare Apolinaire et Eunome, prsents comme deux lutteurs rivalisant pour le
2143
prix de limpit
: les deux adversaires revendiquent ladoration dune crature, Eunome,
parce quil considre le Monogne comme une crature, doue de raison et incorporelle,
Apolinaire, parce quil prne ladoration dune crature de nature charnelle, sans intellect, qui
nest pas de mme nature que lhumanit commune, mais seulement sa ressemblance. En
outre, Eunome ne nie pas la prsence de lintellect humain dans le Christ alors quApolinaire
revendique ladoration de la chair sans intellect. Ce passage argumentatif de lAntirrheticus
fait pendant au deuxime mouvement sur la consubstantialit de la chair, interprte par
Grgoire comme prexistant lincarnation. Ce dernier est toujours heurt par le discours
dApolinaire qui pense lexistence de la chair du Christ comme partie intgrante de son tre
divin. Ce que le Cappadocien peroit comme prexistence et adoration de la chair dans
la doctrine attaque est pour lui le comble de lerreur. Mais ce dont il ne rend pas compte
dans lAntirrheticus, cest que la doctrine apolinarienne rsulte dun schma de pense qui
conoit lunit du Christ comme une unit vitale, concrte, et dynamique, o la chair forme un
tout avec le Logos. En revanche, Grgoire met en valeur dans son argumentation comment
Apolinaire en vient exprimer partir du modle anthropologique les rapports de la chair
avec le Logos, appel Seigneur dans les fragments 84-86. Grgoire de Nazianze, dans
sa Lettre 102, formule de manire incisive ce quoi tient le diffrend entre Apolinaire et
la thologie cappadocienne. propos des apolinaristes, il dclare : ce quil faut adorer,
2144
disent-ils, ce nest pas un homme porteur de Dieu , mais un Dieu porteur de chair (
2145
, ) . Grgoire de
2146
Nysse, pour sa part, parle du Dieu charnel ( ) dApolinaire . Le dbat
tient donc une diffrence dapproche et daccentuation thologique.
En conclusion de ces analyses, il faut noter que la thorie de lunique nature (
), formule par Apolinaire en raction aux thologiens, qui, selon lui, confessent
deux personnes dans le Christ, est trs prsente dans sa production doctrinale, comme
lattestent les ptres Jovien, Denys, les fragments Contre Diodore, mais absente
dans les fragments de lApodeixis. Mme si on constate dans plusieurs mouvements
2142
2143
; ( Qui fera larbitre pour Apolinaire luttant contre Eunome pour le premier prix de limpit ? )
2144
2145
2146
On entrevoit laccusation dApolinaire contre ceux qui adorent lhomme Jsus conjointement au Logos comme deux Fils.
Lettre 102 Cldonius, 18, SC 208, p. 80, trad. P. Gallay.
Antirrh. 158, 19.
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### ### #### ### ####### ######, ### #### ### ### #### ### ####
############ ######## ##### ## #### # ##### #####, #### ####### ###
########## ####### ### ###### #### ### #######, #### ### ##### ###
####### ####### ### ## ##### ####. Mais nous parlons de deux personnes,
dit-il, Dieu et l'homme qui a t assum par Dieu : quant lui, il dit que celui-ci
n'est pas tel, mais il prtend que celui qui s'est incarn n'est pas non plus autre
que celui qui est incorporel, mais que c'est le mme qui est la ressemblance de
2149
notre vie dans la chair.
2150
Dans ce rsum , lorigine de lattaque des deux Fils apparat clairement ainsi que le
souci constant dApolinaire de prouver lunit de personne (le terme semble
tre repris dApolinaire) entre le Logos prexistant et celui qui sest fait homme (qui nest
quune ressemblance humaine). Mais Grgoire ragit de manire vivement polmique en
comprenant cette identit comme une union indissoluble de lhumain et du divin dans le
Christ en dehors mme des limites de lincarnation :
2147
2148
2149
2150
Aprs avoir expos lattaque des deux Fils, Grgoire semble faire un rsumer de la thse dApolinaire.
505
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# ######## ##### #### ###### ##### ##### ### #### ## ### ## ### ## ## #####
######## ######### ## ## ####### ######### ##### ## #######. ### #####
##### #### ##### ## ###### #######, ## ########, ####, ### ##### ###
######. ### ###### ## ###### ##### ###################, ####### ###
## ### #### ######### ######## #### ##### Son Dieu charnel na pas de
nature simple. En effet on ne saurait considrer simple ce qui est dans la chair.
Or ce qui nest pas simple ne peut pas tre sans composition. Mais Apolinaire
dit que lun est comme chacun de nous, compos desprit, dit-il, dme et de
corps. Maintenant nous connaissons dabord un nouveau genre de nombre,
apprenant que ce qui est spar en trois lments de genre diffrent constitue
2151
une monade .
Derrire cette accusation, o Grgoire raille lunion par composition de la divinit et
de lhumanit en Christ sur le modle anthropologique, lunique nature revendique par
Apolinaire apparat dnature (), rduite un calcul absurde o 3 font 1 :
. Grgoire attaque ici la conception dune seule nature
par composition dans le Christ. Deux arguments sont impliqus : il rsulte de lunion
substantielle de la chair la divinit dune part que la divinit est pense de nature compose
et dautre part quelle est prissable. Au schma de la , Grgoire oppose la
revendication de la nature simple ( ) qui dfinit la divinit. Mais en ralit
cet argument se situe sur un tout autre plan, celui des proprits de de la divinit par
opposition au mlange humano-divin.
Grgoire pourrait avoir volontairement omis les passages de lApodeixis qui
dveloppaient la doctrine de la , toutefois on ne voit pas pourquoi, puisque
lexpression apparat en filigrane dans les rfutations o il examine des extraits qui se
rattachent ce point chez ladversaire. Mais ce silence prouve plutt, selon nous, que lenjeu
argumentatif de lApodeixis porte sur les consquences anthropologiques de la thorie de la
. En effet, daprs les fragments que Grgoire cite et analyse, Apolinaire semble
surtout proccup de montrer les consquences anthropologiques de la thorie de lunique
nature. Dans la thse du quil dveloppe, lunit du Christ est dcrite en
termes de /divin uni la chair humaine (), la faon dont lme est unie
au corps dans lhomme.
Le fait que la doctrine essentiellement attaque dans lAntirrheticus est celle du
et non pas directement celle de la , est peut-tre lindice dune
volution doctrinale dApolinaire. Sa doctrine se serait dabord construite au dbut pour
rsoudre la question de lidentit de sujet du Christ incarn avec le Logos incarn et
celle de la manire dont la divinit peut sincarner rellement sans subir daltration dans
sa substance. Ensuite, elle aurait cherch rsoudre au niveau du compos humain du
Christ son unit humano-divine. Il y aurait donc un dplacement dintrt de la divinit
lhumanit du Christ, la perspective sotriologique rgissant toujours les dveloppements
christologiques. Face cette dmarche christologique qui dcrit lunit de lhomme et de
Dieu au niveau du compos anthropologique, Grgoire rplique en cherchant non pas
rsoudre lunion humano-divine par un schma formel, mais soutenir le paradoxe dun
tre la fois pleinement homme et pleinement Dieu, pour prserver la divinit et lhumanit
2152
dans leurs caractristiques propres .
2151
Il faut prciser que Grgoire utilise aussi la comparaison anthropologique pour tenter dexposer la christologie, comme
nous la fait remarquer B. Meunier. Le Cappadocien lexploite par exemple en Antirrh. 223, 16 sq., dans un passage que nous avons
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:,
J. R. Bouchet, Le vocabulaire de lunion et du rapport des natures chez Grgoire de Nysse , Revue thomiste, 68, 1968,
p. 533-582.
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Les passages les plus intressants sur ce point doctrinal sont les moments o Grgoire
rcapitule sa pense sous la forme dimages, tires de la physique, do dcoule un
raisonnement analogique. Telle est la raison pour laquelle nous tudierons en dtail la
fcondit thologique de ce procd argumentatif, qui tranche avec la mthode dApolinaire.
Cette image de la goutte de vin jete dans la mer (ou dans l'eau) est devenue un exemple traditionnel dans la koin philosophique
e
des premiers sicles aprs J-C. Les commentateurs d'Aristote en prsentent des analyses :cf. Simplicius (VI s.), in Aristotelis libro
e
de Anima I, 4, Commentaria in Aristotelem Graeca, vol. XI, d. M. Hayduck, Berlin, 1882, p. 54, 36 ; J. Philopon (fin du V s.-dbut
e
du VI s.), In Libro de Anima I, 3, CAG, vol. XV, d. M. Hayduck, Berlin, 1897, p. 120, 37.
2155
Nmsius d'mse, par exemple, qui prend son compte les dveloppements de Porphyre et qui on doit de les connatre, fait
mention de la comparaison de l'eau et du vin, qui illustrait le type de la chez les stociens,pour dire qu'elle n'est pas adquate
au cas de l'union de l'me et du corps (Nmsius d'mse, De natura hominis, 3, d. M. Morani, op. cit., p. 39, 5 ; Cf. Porphyre,
Fragments, d. A. Smith, Leipzig, 1993, frg. 259 f, p. 281).
2156
L'image du vin (ou vinaigre) mlang l'eau (de mer) a une grande postrit dans la patristique jusqu'au Moyen-ge, et
notamment dans le dbat christologique sur la question du rapport des deux natures du Christ. Quant l'importance de cette image
chez Thodoret, Boce, cf. les analyses de J. Ppin, Stilla aquae modica multo infusa vino, ferrum ignitum, luce perfusus aer :
L'origine de trois comparaisons familires la thologie mystique mdivale (Divinitas, XI, 1967, p. 331-375 et plus particulirement
p. 360-363). La nouveaut de Grgoire par rapport aux Pres antrieurs est d'envisager une union directe de la nature divine avec
chacun des lments de la nature humaine et non pas une union du Verbe et de la chair mediante anima comme dans la tradition
noplatonicienne ou orignienne (cf.Origne, Commentaire sur l'ptre aux Romains 1, 5, PG14, 850 a-b ; In Rom 3, 8, PG 14, 947
c-d ; Trait des Principes,II, 6, 3, SC 252, d. H. Crouzel, M. Simonetti, Paris, 1978, p. 314, 107 sq.). Cf. les analyses de J. Bouchet,
Le vocabulaire de l'union chez St Grgoire de Nysse , Revue thomiste, 68, 1968,p. 563.
2157
2158
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2159
la mer... ) . Telle est la raison qui explique quelle ait dj attir lattention de la critique :
2160
J. Ppin et J. R. Bouchet y ont consacr une partie de leurs travaux . Pour notre part,
nous voudrions lanalyser en relation avec son contexte argumentatif, et mettre en vidence
le modle dunion humano-divine quelle expose en confrontation avec celui dApolinaire qui
est dvelopp dans certains fragments Contre Diodore sur la mixis.
Pour mieux dgager lemploi de cette image contre Apolinaire, et voir si elle est une
simple reprise de la polmique contre Eunome, ou si le traitement que Grgoire lui rserve
dans lAntirrheticus et la Lettre Thophilea volu, rappelons brivement le contexte
dmonstratif de chacun des trois emplois.
Dans lAntirrheticus , Grgoire la dveloppe dans le quatrime mouvement de sa
dmonstration qui vise rfuter la thologie du , et plus prcisment les
syllogismes dApolinaire qui dmontraient cette thorie. La comparaison de la goutte de
vinaigre prend place dans la rfutation de lattaque des deux Fils, expose dans le fragment
81, o Apolinaire dclare qu'il ne peut y avoir dans le Christ deux natures compltes, mais
seulement une humanit incomplte: , , , ,
, , ( Si, dit-il, Dieu s'est uni un
homme, lun, complet, avec lautre, complet, ils seraient deux, l'un, fils de Dieu par nature,
2161
l'autre, fils adoptif ) . Lenjeu dmonstratif de Grgoire dans les arguments exposs
successivement est darriver dplacer le centre de gravit de la rflexion du niveau
ontologique, o Apolinaire conoit lunit du Christ en termes de composition dlments
dans le Christ (un Dieu parfait, un homme imparfait), au niveau sotriologique o lunion est
pense par Grgoire dans la mesure o elle produit la divinisation de lhomme, et partant,
2162
sa rdemption . Telle est la raison pour laquelle Grgoire rpond laccusation de deux
Fils, lun par nature, lautre par adoption, en dveloppant un raisonnement par labsurde : si
un homme parfait est Fils adoptif, alors lhomme imparfait, cest--dire sans intellect, sera
semi-adoptif etc. Puis il montre que la chair humaine, ampute de lintellect ou conserve
dans son intgrit est tout aussi trangre la substance divine pour sunir elle. Par
consquent, Apolinaire, en privant lhomme Jsus de son intellect () ne rsoud pas
le problme de lunion du divin et de lhumain, qui sont deux substances diffrentes par
nature. Grgoire ajoute alors largument trinitaire : si Apolinaire conoit le Christ comme un
homme cleste , formule que Grgoire prend la lettre comme signifiant un Fils charnel,
puisque de toute ncessit ce qui est rellement issu de quelquun est cela mme selon la
substance que celui qui la engendr (
2163
) , le Fils tiendrait sa nature charnelle de
son Pre, ce qui est impossible. Largumentation ici repose sur le prsuppos quApolinaire
croit une chair cleste, alors que pour Grgoire, elle appartient la condition terrestre. Cet
argument par labsurde, qui prcde limage de la goutte de vinaigre, vient confirmer lide
2159
2160
familires la thologie mystique mdivale , Divinitas, XI, 1967, p. 331-375 ; J. R. Bouchet, propos d'une image christologique
de Grgoire de Nysse , Revue thomiste, 67,1967/IV, p. 584-588. Ce dernier article apporte un complment dinformation par rapport
ltude de J. Ppin : lorigine mdicale de limage.
2161
2162
registre ontologique, puisquelle dcrit physiquement un mlange, mais Grgoire lui donne une envergure nouvelle en lappliquant
non pas lontologie du Christ, mais la finalit de lincarnation, qui est la divinisation de lhomme.
2163
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2164
Antirrh. 200, 16 et 154, 27. Chez Apolinaire, cf. De unione 8, Lietz. p. 188.
Antirrh. 200, 15.
2166
Rm 6, 19.
2167
Trad. modifie de J. R. Bouchet, propos d'une image christologique de Grgoire de Nysse , art. cit., p. 585.
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2171
par la divinit toute-puissante , pour utiliser une image, telle une goutte de
vinaigre mle l'ocan infini, se trouvent dans la divinit, mais non pas dans
leurs proprits particulires. Ainsi en effet pourrait-on supposer logiquement
une dualit de Fils, si dans la divinit indicible du Fils tait reconnue une nature
d'un autre genre avec des caractristiques particulires, de sorte qu'existeraient
conjointement la faiblesse, la petitesse, la corruptibilit, l'phmre et la
puissance, la grandeur, l'incorruptibilit, l'ternit. Mais puisque tous les attributs
qui sont considrs globalement dans l'lment mortel ont t transforms dans
les proprits de la divinit, si bien que pour chacun [d'entre eux] on ne peut
plus percevoir de distinction (ce que l'on peut voir du Fils est divinit, sagesse,
puissance, saintet, impassibilit), comment pourrait-on diviser lun en une
2172
double acception, alors qu'on ne fait aucune distinction numrique?
Ldition du texte qua donne Fr. Mller pose un problme qui nest pas sans rpercussion
thologique. En effet, propos de la nature humaine qui est submerge par la divinit,
comme la goutte de vinaigre est mlange locan, il dite : ,
, ce qui se traduit ainsi : [les prmices de la
nature humaine] sont dans la divinit, mais non pas dans ses qualits propres . Mais la
suite du dveloppement de limage par Grgoire devient alors incohrente lorsquil dclare
que tous les attributs qui sont considrs globalement dans l'lment mortel ont t
transforms dans les proprits de la divinit . La comparaison textuelle de lexplication de
limage dans ce passage de la Lettre Thophile avec lAntirrheticus et le Contre Eunome,
ne laisse aucun doute. Il faut comprendre : [les prmices de la nature humaine] sont
dans la divinit, mais non pas dans leurs qualits propres . Dans trois manuscrits de la
e
bibliothque vaticane, parmi les plus anciens, dans le Vaticanus gr. 1433 (XIII s.), ainsi
e
que dans le codex Vaticanus gr. 720 (XII s.), on trouve la leon , et dans le codex
Vaticanus gr. 446 (XIIe s.), on trouve la forme contracte . Ces trois tmoins nous
invitent penser quil faut comprendre le pronom cet endroit dans son sens rflchi : le
dsigne la nature humaine ( ) et non la divinit. Cest la
raison pour laquelle nous avons cit le texte ci-dessus avec la forme du pronom rflchi.
La rponse de Grgoire lattaque des deux Fils consiste montrer partir de limage
de la goutte de vinaigre dont les proprits disparaissent dans limmensit de la mer,
que compte-tenu de ce qui sest pass au moment de la rsurrection (lpisode nest pas
mentionn, mais le contexte argumentatif y renvoie), lhumanit du Christ ne possde plus
ses proprits conjointement celles de la divinit, mais les qualits humaines ont t
transformes en Dieu (
, ). Largument repose
donc sur la transformation des proprits dune nature en lautre. Limage est utilise ici pour
rendre compte de lantithse entre lincommensurabilit de Dieu et la petitesse humaine
dans le mlange humano-divin. Ainsi lincarnation est-elle dcrite comme la submersion
de lhomme par Dieu : puisque, dit Grgoire juste avant lextrait ci-dessus, celui qui est
toujours dans le Pre, qui a toujours le Pre en lui et qui est uni lui, est et sera comme il
tait auparavant, et il ntait pas, ni nest ni ne sera dautre Fils que lui (
2171
Nous ne respectons pas la ponctuation de l'dition de Mller, dont la virgule devant le complment d'agent du
participe est importune. Les prmices de la nature humaine expression qui provient de Rm 11, 16 si les prmices sont
saintes, toute la pte aussi cf. note ad loc. dans la traduction complte de la Lettre Thophile, appendice, p. 794-814.
2172
Theoph. p. 126, 17-127, 10. Trad. reprise intgralement dans lappendice 1, cf. p. 794-814.
512
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, ,
2173
) , lhumanit du Fils sest trouve submerge par la divinit pendant lincarnation,
sans que les proprits humaines demeurent ( ,
).
Dans les deux passages de controverse contre Apolinaire, lunion du divin et de
lhumain est dcrite comme une transformation des proprits humaines en proprits
divines, ce qui permet de sauver lunit de personne du Christ. LAntirrrheticus insiste
sur lide que dans le mlange, la substance prdominante absorbe lautre (
), la Lettre Thophile insiste audacieusement sur le fait que penser
une dualit de Fils reviendrait voir dans la divinit du Fils une nature dun autre genre,
reconnaissable par ses proprits propres, distinctes de celle de Dieu (
).
Une telle expression, tant donn le contexte, pourrait se prter lattaque
anachronique de monophysisme. propos de ce passage, E. Cattaneo parle dune
2174
espce de monophysisme post ressurectionem , et qui est une thse soutenue par
2175
Marcel dAncyre . J. R. Bouchet, au contraire, rejette lexpression de monophysisme
propos de lenseignement de Grgoire qui refuse toujours, selon lui, la confusion des
2176
natures, mais qui parle ici dune transformation des proprits
. Pour notre part, nous
nous garderons dappliquer Grgoire lide de monophysisme, qui correspond une
doctrine postrieure celle de Grgoire, et en ce sens nest pas adapte aux enjeux
doctrinaux de la controverse de Grgoire contre Apolinaire. En effet, la formule
se comprend dans le contexte argumentatif de la rsurrection, pour dnoncer
toute conception christologique o lhumanit ne serait pas conue relativement la divinit
selon sa vise, savoir sa transformation en Dieu. Grgoire se situe donc dans une tout
autre optique que dans ses dveloppements o il distingue nettement les dits et faits du
Christ qui se rapportent sa divinit ou son humanit.
Dans les deux textes, Grgoire ne prcise pas de quel ordre est lunit de lhumain et du
divin. Chez Apolinaire, elle est qualifie de , dans la comparaison du vinaigre, le
Cappadocien utilise le terme de pour qualifier la divinit. Dans la Lettre Thophile,
il utilise pour dsigner lhumanit.
Dans la polmique contre Eunome, limage est galement cite pour rpondre
laccusation des deux Fils , l'un qui serait le Logos antrieur aux sicles, et l'autre, qui
serait le Verbe incarn une fois exalt. Mais le motif du grief formul par Eunome nest pas le
mme que chez Apolinaire. En effet, dans la polmique contre Apolinaire, le dbat se situait
sur le plan des deux natures du Christ. Apolinaire se fonde sur le principe aristotlicien selon
lequel une substance ne peut pas tre compose de plusieurs substances, pour rejeter
dans le Christ deux natures compltes, et revendiquer une humanit incomplte. Dans la
polmique contre Eunome, le dbat a pour fondement Ac 2, 36 ( Ce Jsus que vous
2173
2174
p. 102.
2175
Cf. fragments dits par E. Klostermann, GCS, Eusebius IV, frg. 116, p. 209 ; frg. 117, p. 210-211 ; frg. 119, p. 211 ; frg.
J. R. Bouchet, Le vocabulaire de lunion et du rapport des natures chez Saint Grgoire de Nysse , art. cit., p. 562 ;
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avez crucifi, Dieu l'a fait Christ et Seigneur ) et Ph 2, 10-11 ( Cest pourquoi Dieu la
exalt et lui a donn le nom qui est au-dessus de tout nom ), auquel fait aussi allusion
la Lettre Thophile. En effet, Eunome se sert des paroles de l'aptre Pierre en Ac 2, 36
et de Ph 2, 10-11 pour prouver qu'il fut un temps o le Christ n'tait pas, qu'il est donc
une crature non pas de mme nature que le Pre. Selon Eunome, si Grgoire soutient
l'existence d'un Logos coternel au Pre, tant donn les paroles de Pierre en Ac 2, 36, il
devrait reconnatre l'existence de deux Fils aprs la rsurrection. Largumentation du Contre
Eunome III, qui rpond cette attaque et dans laquelle se situe limage de la goutte de
vinaigre jete en mer, expose une srie dimages ; dabord celle dune bulle dair qui remonte
la surface de leau, pour regagner lair, mais entranant de leau avec elle, comme la divinit
incarne qui, lorsquelle slve vers sa hauteur naturelle, emporte avec elle lhumanit
2177
quelle a assume
; limage du feu qui embrase ce quil touche, comme la divinit qui
2178
ressuscite le corps du Christ mort dans la passion et transforme en elle lhumanit . La
troisime image utilise pour montrer au niveau des phnomnes physiques, par analogie,
comment lvolution dune substance a des consquences sur une autre substance avec
laquelle elle est en contact, est celle de la goutte de vinaigre. L encore, elle prouve
lunit de personne dans le Christ, la fois homme et Dieu, partir de largument de la
transformation des qualits humaines en qualits divines : tout ce qui est reconnu dans le
Verbe selon la pit, il le produit aussi dans ce qui est assum par le Verbe (,
,
) ; de sorte que cela ne paraisse pas tre pris individuellement selon quelque
division au sujet de chacun des deux, mais que la nature prissable, renouvele par son
mlange selon la prdominance avec le divin, aie part la puissance de la divinit (
,
2179
) . Grgoire poursuit son argumentation ainsi :
mode de persuasion et dlaboration thologique : tude des traits Contre Eunome de Grgoire de Nysse .
514
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2180
transformation
du mortel en immortel, de lesclave en Seigneur, du pch en
2181
justice, de la maldiction en bndiction, de l'homme en Christ.
Dans cet extrait, le phnomne de lunion de Dieu lhomme est explicitement dcrit comme
un mlange par prdominance ( ) de la
mme manire que dans lAntirrheticus. Le fait que cette image sapplique au Christ, une fois
2182
seulement exalt, est exprim avant lextrait avec la formule . Par rapport
aux deux extraits de polmique anti-apolinariste, il y a un lment propre au dveloppement
de limage contre Eunome. Grgoire en effet qualifie la transformation de lhumain en
divin de cration (, ), montrant par l que la divinisation de
lhomme produite par la rsurrection est conue comme une recration, une restauration
2183
de lhumanit son tat originel . Dans la polmique contre Eunome, Grgoire inflchit
donc lgrement le sens de limage selon son enseignement de la rsurrection.
Dans les trois extraits mentionns ci-dessus, la vise dmonstrative est la mme : en
Christ, la nature mortelle mle au divin participe la puissance de la divinit, surleve
selon la prdominance, comme la goutte de vinaigre perd ses qualits dans l'immensit de la
mer qui prdomine. Limage de la goutte de vinaigre absorbe par la mer permet Grgoire
de dmontrer que dans lincarnation, pense comme union du divin lhumain, il n'y a pas
transformation mutuelle des deux lments : lincarnation ne produit pas une transformation
de Dieu en lhomme, mais elle est une assomption de lhomme par Dieu. Les proprits
humaines sont transformes en qualits divines et non pas l'inverse. Cette conception de
lunion marque par la non rciprocit est importante, car elle rvle la diffrence dapproche
de lunit dans le Christ avec Apolinaire. Celui-l en effet tablit le mlange de lhumanit
et de la divinit dans le Christ partir de linterchangeabilit des appellations, en vertu de
2184
lunique nature
:
Le terme signifie toutes sortes de changements, dont chez Grgoire la transformation du pain et
du vin au corps et au sang du Christ (Discours catchtique, 37, SC 453, p. 324), du corps aprs la rsurrection (Cant.
me
I,GNO VI, p. 24, 7), de la nature humaine du Christ devenue impassible (Vit. Moys. , II, 30, SC 1 bis, d. J Danilou, 3
d., 2007, p. 124). Ce mot exprime aussi le retour des mes ltat de grce (Epist. 3, 18, SC 363, p. 138), la restauration
de toute chose (Virg. IV, 4, l. 11, SC 119, d. M. Aubineau, Paris, 1966, p. 312, dont nous reprenons les rfrences donnes
dans la note 4, p. 312-313). Chez les autres auteurs, le terme peut renvoyer la rsurrection (Anastase le Sinate, Viae dux
adversus acephalos, PG 89, 209 C), la rsurrection des corps (Mthode, Banquet, II, 7, 35 ; SC 95, d. et trad. H. Musurillo
et V.-H. Debidour, Paris, 1963, p. 86). Chez les Cappadociens, il dsigne surtout la nouvelle vie en Christ, pour parler de la
transformation de la nature humaine en divin (Grgoire de Nazianze, Lettre 202, 10,SC 208, p. 90).
2181
Trad. revue M. Cassin, thse de doctorat en prparation sous la direction dO. Munnich, La controverse comme
mode de persuasion et dlaboration thologique : tude des traits Contre Eunome de Grgoire de Nysse .
2182
2183
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Cette image tire des thories sur le mlange de la tradition philosophique a fait
2187
l'objet d'tudes nombreuses . Sans entrer dans les dbats dinterprtation de cette
comparaison de leau et du vin dans les gnrations successives des philosophes jusqu
lpoque de Grgoire, nous voudrions uniquement faire ressortir les lments des modles
philosophiques de la dont il se sert, afin de voir les modifications quil apporte dans
son application christologique.
Chez les stociens, l'image de la goutte de vin mle l'eau (de mer) illustrait le
2188
type de mlange le plus intime, appel , o il n'y pas de confusion
2189
des corps mlangs, mais interpntration de l'un avec l'autre . En effet, pour eux,
dans la , les corps passent () les uns dans les autres et se co-tendent
2190
()
intgralement sans tre dtruits ni transforms. Chacun des
composants se retrouve ainsi dans chaque partie du mlange, aussi petite soit-elle.
Parce qu'elles ne sont pas dtruites, les substances et les qualits originelles des corps
2191
interpntrs peuvent tre recouvres aprs coup
. Pour prouver la ralit de la non
confusion des proprits, les stociens voquaient l'exemple de l'ponge imbibe d'huile qui
permet de sparer l'eau interpntre avec du vin. Ils appliquaient un tel mlange Dieu et
2192
la matire, et entre autre, l'me (qui est une manifestation du )et au corps .
Apolinaire lui-mme semble se rfrer ce type de mlange dans le seul fragment
qui fait tat de la comparaison de leau et du vin, tir du Contre Diodore, pour montrer les
rapports de la divinit et de lhumanit dans le Christ et expliquer partir de largument du
mlange comment le Christ, comme homme, a pu jener pendant quarante jours (cf. Lc 4,
2). Le Laodicen dclare en effet :
Parmi les synthses les plus rcentes, il faut citer les articles parus dans les trois volumes de la Revue de philosophie ancienne,
Nmsius d'mse en fait tat dans son De natura hominis, op. cit., III, 129, p. 39, 9-11. Chez les stociens, cf. Stobe,
Eclogae, SVF, op. cit., t. II, frg. 471, p. 153, 18-23. Alexandre d'Aphrodise expose la thorie des stociens pour la critiquer dans son
De mixtione , CAG Supplement II, 3-4, 216, 14-218, 10.
2189
Nous n'entrerons pas dans les dtails de savoir si ce mlange tait rserv des corps liquides, tels l'eau et le vin, ou
tait applicable des substances sches. Sur ce point, cf. B. Collette-Ducic et S. Delcomminette, La thorie stocienne du mlange
total , Revue de philosophie ancienne, 24/2, 2006, p. 8 sq.
2190
2191
En tant que , l'me est un corps au sens propre du terme, savoir une ralit tendue en trois dimensions, dote
de rsistance et susceptible d'agir et de ptir. Dans ces conditions, l'me et le corps sont des ralits homognes, et il n'y a plus
aucune difficult comprendre comment ils peuvent agir l'une sur l'autre. L'interpntration permet d'expliquer comment l'me peut
tre prsente dans tout le corps, et en mme temps rester indpendante, au point qu'aprs la mort, conue comme sparation de
l'me et le corps (cf. Nmsius d'mse, De natura hominis, II, 81, d. M. Morani, p. 22, l. 3-4), l'me puisse survivre (cf. SVF, t.
II, frg. 809-822, p. 223-225).
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aussi distinctes des substances mlangs ensemble, comme le vin lest de l'eau.
Il ne sagit pas non plus dun mlange par confusion avec le corps, pas plus quil
est tel que celui des corps avec des corps, mais il possde aussi quelque chose
qui reste non mlang, de faon ce que, quand il faut, lactivit de la divinit,
2193
chaque fois, ou bien reste distincte ou bien est mlange .
Dans cet exemple de mlange de leau et du vin, utilis dans un contexte totalement diffrent
de limage similaire utilise par Grgoire, Apolinaire insiste sur le fait que les proprits des
deux substances mles ne sont pas dtruites. De la mme manire, la divinit possde
quelque chose qui rsiste au mlange ( ), car elle peut soit tre mlange au corps,
soit exister distinctement. Apolinaire applique ensuite ce modle au cas du jene et de la
tentation du Christ : cest parce que les proprits de la divinit, sans que la nature divine en
soit altre, taient intimement mle aux proprits de lhomme Christ que la faim du Christ
a pu tre surmonte. Daprs le raisonnement ci-dessus, il semble quApolinaire sinspire
de la thorie stocienne de la pour concevoir les rapports du divin et de
lhumain, rsoudre le cas du jene de quarante jour, et rpondre la christologie des deux
2194
fils quil prtre Diodore . Cest le cas du mlange intime sans confusion des substances
mles qui sert dargument.
Dans la tradition stocienne, ce mlange s'opposait la , o il n'y a qu'un
2195
contact des surfaces ( )
puisque les corps sont
seulement juxtaposs, sans vritablement s'interpntrer. Dans ce cas, les substances
2196
sont chacune prserves ainsi que leurs qualits propres . Il se distingue galement de
la , o il y a fusion des deux substances au point que leurs qualits propres
sont dtruites au profit de la constitution d'un nouveau corps unique possdant une qualit
originale.En somme, dans cette classification stocienne, l'image de la goutte de vin mle
l'eau illustre l'interpntration de deux substances sans confusion. Et il semble quApolinaire
reprenne limage dans la perspective stocienne.
Chez Grgoire, au contraire, elle vise montrer la transformation des proprits d'une
substance en celles de l'autre, parce que l'une est en bien plus petite quantit que l'autre.
Cela est donc l'indice qu'il ne se rfre pas la thorie stocienne lorsquil utilise limage
du vinaigre et de la mer. En effet, en l'appliquant au Christ et en le qualifiant de
2197
dans lAntirrheticus et dans le Contre Eunome
, il roriente la porte
de l'image en montrant qu'il y a assimilation de la substance en plus petite quantit par la
substance qui prdomine (). Ce dernier terme indique que Grgoire se rfre
plutt lusage de la tradition aristotlicienne dune image similaire. En effet, Aristote,
dans le De generatione et corruptione (I, 5) utilise la comparaison du vin et de l'eau pour
2193
Frg. 127, Contre Diodore, d. du texte par H. de Riedmatten, les fragments dApolinaire lEranists , art. cit., p.
208.
2194
On ne peut pas rduire toute la christologie dApolinaire lapplication dun unique modle philosophique du mlange
en christologie. Il parle dailleurs dans la Premire ptre Denys, 9, Lietz. p. 259-260, dune composition selon la forme
humaine ( ) qui est une autre manire de qualifier le mlange humano-divin que , (mlange
par confusion).
2195
Cf. Arius Didyme, chez Stobe, Anthologium, t. I, 17, d. C. Wachsmuth, Berlin, 1958, p. 154, l. 11 (= SVF, t. II, frg. 471,
p. 152). On trouve aussi lexpression ( par jointure ) chez Alexandre dAphrodise pour qualifier ce type de mlange,
dans le De Mixtione, III, p. 216, l. 19 et 217, l. 9 (= SVF, t. II, p. 473).
2196
2197
Cf. B. Collette-Ducic et S. Delcomminette, La thorie stocienne du mlange total , art. cit., p. 7 sq.
Eun. III, 3, 68, GNO II, p. 132, 27 et 133, 4.
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## ### ### ## #### # #####, ### ## ##, #### ### ######, #### ##########
############ ####### ## ## ####, #### ### ##### ##### ### ## ### #####
##### #### ## ## ######### ## ####### ###. ##### ## ################, ##
#### #### #### ### ## ######, ##### ## ## ####### ### #### ####, # ########
### #######, ######### ##### # ###########, ### ## ##### ########, ###
## #######. La cause serait-elle que la substance de l'un demeure mais celle
de l'autre disparat, comme dans le cas de la nourriture, puisque l aussi, c'est
la composante dominante (############) qui donne son nom au mlange (##
## ####), quand on dit par exemple que cest du vin ? Car le mlange des
composants produit l'effet du vin et non de l'eau. Il en va de mme dans le cas de
laltration : si la chair demeure, tant galement lessence, mais quelle se met
possder une affection par soi quelle ne possdait pas auparavant, on a eu l
une altration. Or ce par quoi elle saltre tantt ne subit aucune affection, tantt
2199
saltre aussi .
Daprs ce raisonnement, il rsulte de la la disparition de la
substance en minorit, au profit du seul effet () de la substance dominante. Mais
Aristote relie lexemple du mlange de leau et du vin avec le cas de laltration de la
chair (), rapprochement qui nous intresse pour lemploi de limage en
christologie. Ce faisant, il dclare que laltration de la substance en minorit nengendre
par pour autant un changement dans la substance dominante. Cette remarque nous semble
proche de la faon dont Grgoire dcrit laltration de la chair humaine du Christ au moment
o elle est divinise par la rsurrection, sans que la divinit en soit altre dans sa nature.
Mais dans son expos des diffrents mlanges, Aristote considre qu'il ny a pas vraiment
mlange des deux lments dans le cas de la , car les corps
mlangs (en loccurrence leau et le vin) sont dsquilibrs : celui qui domine assimile
purement et simplement l'autre. Or pour que lon puisse parler de mlange, il faut que
2200
les ralits en prsence accusent une certaine opposition rciproque () . Or
pour Grgoire, il suffit que les deux substances mles possdent des proprits distinctes
2201
pour quon puisse parler de mlange . Au contraire, en conclusion de sa classification
des mlanges, Aristote nonce : est mlange lunion de deux corps miscibles qui ont
2202
t altrs ( ) . Sur ce point, Aristote
soppose clairement aux stociens pour qui la disproportion n'empche pas le mlange.
2198
Alexandre dAphrodise dans son trait De mixtione ne commente pas cette image. Ainsi nous rfrons-nous directement
au trait dAristote.
2199
Aristote, De generatione et corruptione, I, X, 321 a-b, 34-37, CUF, d. et trad. revue de M. Rashed, Paris, 2005, op. cit.,
p. 26.
2200
Cf. la typologie des mlanges aristotliciens comments par J. R. Bouchet, Le vocabulaire de lunion et du rapport des natures
Aristote, De generatione et corruptione, I, 10, 328 b 22, CUF, p. 50, trad. modifie de M. Rashed.
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2203
2204
Cf. ltat de la critique sur ce point par J. Zachhber, The Human Nature in Gregory of Nyssa, op. cit., p. 73-74.
Cf. tat de la question par B. Collette-Ducic et S. Delcomminette, La thorie stocienne du mlange total , art. cit.,
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2207
. La goutte de vin s'tend au monde entier par le phnomne de la (Plutarque, De comm. Not. 37, 1078 e, in
Plutarchs Moralia, d. Loeb, vol. XIII/ II, d. C. P. Goold, H. Cheiness, Londres, 1976 ; Cf.SVF, t. II, frg. 480, p. 157, 40-158, 2). Chez
Aristote, cf. De generatione et corruptione, I, 5, 321 a-b, 34-37, d. M. Rashed, CUF, p. 26.
2211
2212
2213
2214
thorie des stociens ; Apolinaire, frg. 127, Contre Diodore, Lietz. p. 238.
2215
1
Hippocrate, Des pidmies, V, 58 ; VII, 76, dans Oeuvres compltes, t.V,d. et trad. dE. Littr, Paris, 1861 , rd.
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##### (....) ## #### ###### ########### ### ### #### #### ##### ###### ###
### ###### ###### ########, #### ## ####### ## ### ### ###### ####
###### ############## ### ### ## ##### ###### ####### ## ### ########
#### ######## ##### ############, ##### ### ###### ### ##### #### ## ###
####### ### ### ########## ###### ##### #### ## ####### ### ##########
##### ### ### ####### #### ## ### ##### ######### #### ####### ####
######## ### ##########, ### ######## ### ########### ####### Et de
mme (...) que si un roseau est fendu en deux et que l'on runit un bout les
extrmits des morceaux du roseau, l'un des morceaux du roseau s'ajustera
invitablement tout entier l'autre tout entier, s'ajustant un bout du fait de la
jonction serre lautre bout, de mme dans [le Christ] l'union de l'me avec le
corps, qui advient par la rsurrection, conduit, du fait de la continuit, toute la
nature humaine, qui tait spare en me et corps par la mort, se conjoindre,
2218
par l'espoir de la rsurrection, ajustant le concours de ce qui tait disjoint .
Grgoire utilise un doublet , comportant un mot rare,
que nous navons trouv employ que dans son acception mdicale pour dsigner un type
de ligature trs serre, un assemblage par compression, comme l'attestent les uvres
2219
d'Hippocrate ou de Soranos . On pourrait postuler que Grgoire emprunte volontairement
la terminologie mdicale, ce dautant plus que juste avant cet exemple, il utilise le
2220
verbe d' , gurir , afin de qualifier l'uvre de rsurrection du Christ.
Celle-ci est prsente comme une forme de ligature trs serre qui ressoude les parties
dbotes, qui rpare la fracture. Ici l'emprunt au lexique mdicinal, finement insr dans la
description naturaliste, viendrait renforcer la perspective sotriologique de l'aboutissement
de l'incarnation. Dans les deux cas, les rapprochements avec le savoir mdical, s'ils sont
dlibrment suggrs par l'auteur, montreraient comment la superposition d'un rseau
smantique sur un autre roriente la porte de l'exemple en faisant ressortir un aspect
crucial de la thologie de l'incarnation selon Grgoire.
2216
2217
Cf. J. R. Bouchet, propos d'une image christologique de Grgoire de Nysse , art. cit, p. 587.
phrem, Sur les trente annes de la vie terrestre du Christ, trad. G. Khouri-Sarkis, L'Orient syrien, II, Paris, 1957/1, p. 47 :
Bni soit le Christ qui unit Sa divinit notre humanit. Lune vient du ciel et lautre de la terre. Il a uni les natures avec les remdes
(?), et Il devint, dans Sa personne, le Dieu-Homme .
2218
2219
op.cit., vol III, p. 506 ; Soranus d'Ephse,Maladies des femmes , III, 12, d. P. Burgire et alii, CUF, Paris, 1994, t. III, p. 44.
2220
Antirrh. 226, 4.
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B. L'image du bouc-cerf
Lune des dmonstrations les plus denses de lAntirrheticus sur la doctrine de lunit
du Christ est paradoxalement lune des plus polmiques et ironiques. Elle se situe
la fin du trait, dans le cinquime mouvement, o Grgoire examine les consquences
christologiques de lanthropologie de son adversaire. Elle est amene par le fragment 91
2224
de lApodeixis
. Grgoire raille lemploi quy fait Apolinaire du concept d
2225
propos du Christ, pour dsigner celui qui est pleinement homme et pleinement Dieu .
1. Contexte argumentatif
Le dveloppement o se trouve l'image du traglaphe, porte sur les implications
anthropologiques de la christologie qui soutient lexistence des deux Fils. D'aprs Apolinaire,
si l'homme est compos de trois lments (, , ), le Logos incarn possdera
toutes les composantes humaines auxquelles s'ajoutera l'lment divin. Il sera alors
constitu de quatre lments ; un , une et un humains, ainsi qu'un
divin. Dans ce cas, il ny aurait pas union relle entre lhomme et Dieu, mais seulement
juxtaposition de lhomme et de Dieu, puisque Dieu, qualifi de , serait rduit une
quatrime facult. C'est la pense du fragment 91, vraisemblablement textuel, qui introduit
un raisonnement sur le concept , forg par Apolinaire pour fustiger les tenants
des deux natures intgres dans le Fils :
2. La rfutation de l
Dans la mesure o la rfutation du concept (frg. 91) par Grgoire forme
un tout homogne, nous prsentons la dmonstration dans son intgralit. On voit ainsi
comment sont imbriqus rflexions polmiques et arguments doctrinaux.
2224
2225
2226
Le frg. 91, Antirrh. 214, 19, pourrait tre textuel. Aucun indice ne permet cependant de laffirmer avec certitude.
Antirrh. 214, 19-216, 8.
Frg. 91, Antirrh. 214, 19-21. Pour E. Mhlenberg, la forme syllogistique parle en faveur de lauthenticit du fragment
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.
, , ,
, ,
.
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. ,
,
,
;
,
,
,
,
. ,
,
,
.
,
,
!
Ce long passage prsente une tonalit polmique avec une ironie cinglante, au point
qu premire lecture on croirait lire un dveloppement sans grande efficacit dmonstrative
dans l'Antirrheticus : l'auteur se moque de son adversaire, en loccurrence de ses talents de
potes, comme il est de mise dans toute polmique (argument ad hominem), et utilise des
procds dexagration pour dnoncer son erreur doctrinale. Telle est peut-tre la raison
pour laquelle aucun critique ne sest jusqu prsent pench sur ce passage dmonstratif
de Grgoire. Pourtant, la comparaison hyperbolique avec le bouc-cerf et le minotaure
est le moyen dnoncer pour Grgoire plusieurs principes fondamentaux dans la rflexion
christologique, comme nous allons le voir.
Le raisonnement est construit selon une alternance de courtes parties purement
polmiques, l'appui d'exemples mythologiques, et de brves tapes dmonstratives
sur le mlange des deux natures dans le Christ. Comme un refrain qui scande tout
le dveloppement, revient l'ide qu'Apolinaire se moque de la doctrine chrtienne
2235
( )
ou quil offre loccasion de blasphmer (
2235
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2236
. Le Boulluec a tudi les expressions qui soulignent la monstruosit des hrtiques, empruntes au registre des mythes et rcits
paens : lhrsie est rendue aussi horrible quun flau monstrueux de la mythologie paenne. Ces traits cependant ne sont que la
manifestation superficielle dune polmique plus profonde, qui tablit des similitudes coupables entre les doctrines et des conceptions
considres comme paennes (). Les rapprochements abusifs se fondent sur des prsentations dformantes de la pense grecque.
e
e
Les caricatures se mlent et se renforcent (La notion dhrsie dans la littrature grecque II
-III
sicles, de Justin Irne,
t. I, Paris, 1985, p. 121).
2238
2239
2240
2241
2242
2243
2244
Antirrh. 216, 6.
Antirrh. 214, 19-30.
Antirrh. 215, 1-5.
Cf. Grgoire de Nazianze, Lettre Cldonius, 101, 15, SC 208, p. 42 ; 38, ibid. p. 50 ; 51-52, ibid. p. 58.
Antirrh. 215, 5-11.
Antirrh. 215, 11-21.
Antirrh. 215, 21-25.
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par cette cration de mots absurde, de sorte que celui qui est ainsi constitu soit nomm
homme-Dieu d'aprs le mot tmraire d'Apolinaire ).
Enfin, dans un sixime mouvement, Grgoire se sert de l'exemple du bouc-cerf pour
faire comprendre lunion de lhomme et de Dieu dans le Christ non pas comme juxtaposition
2245
de parties, mais comme mlange o chaque nature sinterpntre . Enfin Grgoire
2246
conclut sur une pointe ironique
: le concept christologique monstrueux dApolinaire
revient faire du dogme chrtien lintrigue dune comdie ( Et si les Grecs apprenant cela
de lui faisaient une comdie de notre mystre, que celui qui leur procure la matire du
blasphme soit touch par la maldiction du prophte qui dit : Malheur celui par qui mon
nom est blasphm parmi les nations! (Is 52, 5 ; Rm 2, 24) ).
Le passage en revue de la trame argumentative fait apparatre que l'ironie est le
ressort dominant de cette rfutation : l'enjeu dmonstratif dans ce passage est d'assimiler la
cration du terme par Apolinaire au sujet du Christ la cration des monstres
par la mythologie, pour faire de sa thorie une nouvelle mythologie christologique.
Mais largumentation christologique, entrecoupe dassertions polmiques, tmoigne
dun cheminement de la pense :
re
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Ce point est tabli par J. Zachhber The Human Nature in Gregory of Nyssa, op. cit., p. 73-74. Quant la dfinition de
529
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uni lui, prmices de lhumanit universelle, comme nous lavons vu propos de limage
2254
du vinaigre et de la mer .
Dans le mouvement gnral de la rflexion christologique dans lAntirrheticus, le
dveloppement partir de lexemple du bouc-cerf vise montrer quil ne faut pas penser
l'association des deux natures en Christ comme une composition, une juxtaposition o
sadditionnent lhumanit la divinit, mais comme mlange o les deux natures, compltes,
2255
participent () lune lautre .
Lenjeu argumentatif de Grgoire dans cette rfutation consiste retourner le concept
contre la christologie dApolinaire elle-mme, comme consquence de
sa comprhension du mlange humano-divin sur le modle anthropologique. Daprs
Grgoire, cela reviendrait faire une dlments juxtaposs, o il y aurait une
partie de lhumanit unie la divinit. Pour ce faire, Grgoire dtourne le sens originel du
concept utilis par Apolinaire en le dveloppant dans un autre sens, ce qui lui
permet dexposer sa propre thorie du mlange humano-divin. Ce dtournement ingnieux
sera tout lobjet de notre tude.
La rfutation de Grgoire pose deux questions au critique : do vient le terme
dont Grgoire dit quil est une cration verbale dApolinaire (ce quil faudra
vrifier), et quelle est lorigine de la comparaison du mlange humano-divin avec le
traglaphe ? Nos enqutes sur les sources et la postrit de cette notion rvlent que
lexemple polmique nest pas choisi au hasard par Grgoire.
3. Le concept
L'Antirrheticus est, daprs nos enqutes, le seul texte qui atteste l'emploi d'un tel concept. Il
semble tre un cas unique dans la littrature patristique. En effet, pour parler d'un hommeDieu propos du Christ, les thologiens et philosophes prfrent utiliser deux autres
2256
2257
termes,
et
, o l'assemblage des deux termes se fait l'inverse :
non pas homme-dieu, mais dieu-homme.Les emplois patristiques les plus frquents se
2258
trouvent aprs le concile de Chalcdoine dans la polmique contre le monophysisme .
2254
Antirrh. 222, 8-9. Nos analyses textuelles viennent confirmer la thse de Br. E. Daley qui, dans son article Divine
Transcendence and Human Transformation : Gregory of Nyssas anti-Apollinarian Christology , dfinit la principale caractristique de
la christologie de Grgoire comme tant la transformation de lhumain (d. S. Coakley, Re-thinking Gregory of Nyssa, Oxford, 2004,
p. 67-76, spcialement p. 71-72). Cf. id. Heavenly Man and Eternal Christ : Apollinarius and Gregory of Nyssa on the Personal
Identity of the Savior , Journal of Early Christian Studies, 10, 2002, spcialement p. 479-481).
2255
2256
Le terme est utilis dans la tradition potique paenne. cf. Pindare, Nemea, Ode 4, 73, d. H. Maehler, coll. Teubner, Leipzig,
1971, p. 186.
2257
Deus-homo utilis dans version latine de Or, De Prin., 2, 6, 3, SC 252, p. 314, l. 109. ce propos, d'aprs les diteurs H. Crouzel
et M. Simonetti, c'est le terme qui devait tre employ en grec. Il se trouve aussi dans un fragment sur Lc, dit par
1
M. Rauer, dans sa premire dition (GCS VIII , p. 48, l. 16) et non pas dans la seconde (GCSIX, Berlin, 1959, p. 48, 16). Mais il est
accept par C. Vagaggini, Maria nelle opere di Origene, Rome, 1942, p. 102, note 16 et p. 109, note 47. Daprs lui, le contenu est
bien orignien (cf. SC 253, note 18, p. 175).
2258
Dans l'argumentation contre le monophysisme, cf. Jean Damascne, De Duabus in Christo voluntatibus, 8, 87, d. B. Kotter,
Die Schriften des Johannes von Damaskos, PTS 22, Berlin, 1981, p. 188, 190 ; Ps-Jean Damascne, Homlie sur lAnnonciation,
PG 96, 656 A ; Ps.-Athanase, Homilia in occursum domini, PG28, 985 D (homlie attribue Basile de Sleucie par P. Maas ( Das
Kontakion , BZ 19, 1910, p. 306). Pour les emplois dans la priode tardive, les auteurs qui l'utilisent abondamment sont Arethas (IXe
X s.), Scholiae Arethae in Cyrilli apologiam XII anathematismorum contre Theodoretum et in Theodoreti impugnationem, E. Schwartz,
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Dans le cadre de la polmique, le terme ne revt pas les mmes significations selon
Apolinaire et Grgoire. En effet, pour le premier, le concept dsigne un
Christ pleinement homme et pleinement Dieu : Si nous, dit-il, sommes composs de trois
lments, tandis que lui, de quatre, il n'est pas un homme, mais un homme-Dieu (frg. 91).
Tel est l'aboutissement anthropologique de la christologie qui conoit une humanit pleine
et entire dans le Christ, conjointement la divinit parfaite. Pour Apolinaire, le concept est
donc choisi pour rendre compte dune impossible union entre deux substances htrognes.
En revanche, Grgoire, isolant le terme de son contexte anthropologique, lui donne un
contenu diffrent puisque pour lui, l' voque un tre Dieu et mi-homme, voire
mi-Dieu, mi-homme. Dans sa rfutation, avec l'appui scripturaire de 1 Co 15, 21, il dclare :
4. Lexemple du bouc-cerf
Le premier moyen dattaquer le concept d'Apolinaire consiste l'illustrer avec l'exemple du
bouc-cerf :
1 Co 15, 21.
2260
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Sur linterprtation, 16 a ; nouvelle trad. fr. M. Crubellier, C. Dalimier, GF, Paris, 2007, p. 261.
2266
Aristote, Sur linterprtation, 16 a, 14-18, trad. fr. ibid., p. 261. Cf. le commentaire dAmmonius sur ce passage du
trait dAristote : il glose lassociation de deux noms compos avec le terme de (In Aristotelis librum de interpretatione
commentarius, CAG, IV.5, Berlin, 1895. d. A. Busse, p. 28-29) quutilise aussi Grgoire pour parler de la cration de mythe (Antirrh.
214, 26-27).
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moment o il expose les principes de son trait, pour montrer que le concept de traglaphe
ne dit pas en lui-mme quil existe ou quil nexiste pas.
Dans les Premiers analytiques, selon une perspective dmonstrative diffrente, Aristote
utilise le traglaphe pour montrer quon ne peut connatre ce qui nexiste pas :
, ,
, ( Ce qui nexiste pas, personne
ne sait ce quil est, mais ce que signifie le principe ou le mot quand on dit traglaphe et
2267
ce quest le traglaphe, il est impossible de le savoir ) . Cet exemple a t repris et
2268
comment par les gnrations successives des noplatoniciens . Ammonius, postrieur
Grgoire, reprend lexemple du bouc-cerf pour montrer que cet animal na dexistence
que conceptuelle :
e
(VI s.), in Aristotelis Physica commentaria, CAG, IX, d. H. Diels, Berlin, 1882, p. 517, 9 :
.
2269
2270
e
Ammonius (V s.), In Porphyrii isagogen sive quinque voces, CAG , IV, 3, d. A. Busse, Berlin, 1891, p. 39, l. 14-40.
Antirrh. 215, 30.
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2271
pour ne citer quun seul exemple . Grgoire de Nazianze est le seul parmi les thologiens
antrieurs et contemporains de Grgoire de Nysse, qui reprend limage pour caractriser
une reprsentation errone de Dieu. Lui-mme ne lapplique pas la christologie, mais sen
sert propos de lEsprit Saint contre ceux qui en font une crature intermdiaire entre Dieu
et les hommes. Daprs nos recherches, cest vraisemblablement le premier thologien qui
introduit en thologie lexemple du traglaphe comme modle du dvelopp par
la tradition no-platonicienne. Mais il nest pas encore appliqu au Christ :
## ## ##### ###, ## ### #### ### ######, #### ##### #############, # ####.
#### ### ## ######, #### ######## ######, ### ##### ########, ######
###### ########### ########## ##########. Si [l'Esprit Saint] est au contraire
une substance et non une des choses qui sont autour de la substance, on le
considrera soit comme une crature, soit comme Dieu, car un intermdiaire
entre eux, ne participant aucun ou tant un compos des deux, mme ceux qui
2272
inventent les boucs-cerfs ne sauraient l'imaginer .
Le traglaphe est cit ici comme illustration dun tre intermdiaire, hybride (), qui est
compos de deux natures la fois ( ), sans participer pleinement
chaque nature dont il est constitu ( ). On retrouve, dans cet extrait
o il sagit de dfendre la pleine divinit de lEsprit Saint, la mme conception de lunion des
deux natures que chez Grgoire propos du Christ : lunion est telle que chacune des deux
2273
natures participe lune lautre ( ) . Mais Grgoire de
Nysse, daprs nos enqutes, est le premier lutiliser en christologie, et le seul lemployer
en lien avec le concept .
De
Principiis,
4,
3,
2,
SC
268,
p.
348,
trad.
M.
Simonetti,
H.
Crouzel
Origne
donne
cet
Discours thologiques, 31, 6, Sur le Saint-Esprit, SC 250, d. et trad. P. Gallay, Paris, 1986, p. 286. Le passage de
Grgoire de Nazianze a t cit dans la littrature postrieure, patristique et byzantine, comme par Maxime le Confesseur,
Seconde ptre Thomas, II, 51, d. B. Janssens, CC, Series graeca, 48, Turnhout, Louvain, 2002, p. 44.
2273
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Il ny a aucune preuve que Grgoire connaissait lutilisation du mulet par Apolinaire propos de lunit du Christ.
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## #### ######## #### #### ### ###### ### ### ####### ### ### ######## ###
###########, ## ### ###### ## ####### ##############. Si chacun des
2278
deux
est un par union, par un lien, par composition en une forme humaine, un
2279
seul nom aussi sajuste au compos .
Laccointance de vocabulaire entre la description de lunion de deux natures dans le cas
du traglaphe ( ) et dans celui du Christ chez Apolinaire (
) nous semble rvler que limage est choisie spcialement
pour rpondre la thorie du dApolinaire, o lunion de la divinit et de
lhumanit est prsente par Grgoire comme une composition la manire du compos
humain. Et comme on le voit chez Grgoire de Nazianze et Apolinaire lui-mme, le
cas des animaux hybrides sert dexemple dans les dbats thologiques pour expliquer
la composition dun tre constitu de natures partielles qui est dune troisime nature,
particulire (ni vraiment homme, ni vraiment Dieu). Mais le fait que le Nyssen choisisse
une crature mythique vise souligner linconsistance dune telle explication de lunion des
deux natures dans le Christ.
La rfutation de l dveloppe par Grgoire au moyen de limage du
traglaphe semble avoir marqu la postrit des polmiques christologiques. Elle est reprise
2280
notamment par Maxime le Confesseur . En outre, dans un passage qui donne lire
comment a t peru lapolinarisme rtrospectivement, par le truchement des auteurs qui
e
lont rfut, Jean de Csare, au VI s, fait allusion notre passage de lAntirrheticus dans
ses Capitula XVII Contra monophysitas :
2279
Cf. par exemple lvocation du traglaphe par Maxime le Confesseur pour caricaturer la conception de la nature du Christ
divino-humaine (), Ambigua ad Thomam, V, 242, d. B. Janssens, CC series graeca, 48, op. cit., p. 31.
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2282
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une rponse : qui cre pour le Christ un nom compos partir dlments humains et
divins invente une mythologie christologique. En ce sens, Grgoire rfute paradoxalement
la cration par Apolinaire dun concept philosophique tout en laccusant dtre pote.
Frg. 96, Antirrh. 219, 14-16 et 221, 6-7. En Antirrh. 219, 14-16, F. Mller a laiss le en caractres espacs,
comme sil sagissait dune citation. Mais en ralit, il sagit dune rcriture de Grgoire qui a au moins chang le pronom.
2284
2285
On dduit aisment quApolinaire formulait son grief partir de ces passages scripturaires, car Grgoire les reprend dans
son argumentation comme point de dpart partir duquel il explique en quoi il ne croit pas deux Christs.
2287
Athanase, dans sa polmique contre les ariens, explique longuement les textes relatifs lonction du Christ sans se
proccuper de ltymologie de ce nom (Contre les ariens, I, 46-50, Athanasius Werke, I, 1, d. K. Metzler, p. 155-161).
2288
Cf. Eun. III, 3, 42-46 spcialement, o se trouve le mme schma argumentatif de description de lunion et de la
transformation que dans notre passage de lAntirrheticus. Limage de la goutte de vinaigre mle la mer se situe peu aprs.
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Il sagit dun long passage, Antirrh. 219, 14-223, 10, qui mriterait une tude en lui-mme. Pour notre part, nous ntudierons
pas en dtail toutes les tapes de la dmonstration ni lorigine de tous les arguments dans la tradition patristique, mais nous nous
concentrerons sur la description de lunion humano-divine dans le Christ, sa fcondit en lien avec la dmonstration de lonction
ternelle et de lonction conomique.
2290
Antirrh. 219, 16-220, 12. Le raisonnement dtaill de ce premier mouvement argumentatif est le suivant : 1er temps :
a. Pendant l'incarnation, se sont manifestes dans la chair, la puissance, la sagesse, la lumire et la vie, toutes les proprits du
Christ. Dire que ces proprits n'ont pas exist un moment du temps revient nier totalement l'existence du Christ comme tre
et comme appellation le dsignant. Le prsuppos sous-entendu est que la proprit implique l'existence de celui dont elle est la
proprit. b. raisonnement invers : si on nie l'existence du Christ avant l'incarnation, toutes les proprits qui sont incluses dans ce
nom sont aussitt rejetes. c. reprise du raisonnement dans une comparaison synthtique qui fait office de conclusion logique : de
mme que dans un homme, si on nie l'appellation d'homme, on rejette au passage toutes les proprits qu'inclut ce nom, de la mme
manire, tant donn que le Christ est vie, puissance, sagesse, si on nie son existence, on nie aussi celle de ses proprits et tout
ce qui est conu avec lui. 2me temps : a. l'Ecriture dit que le Fils est coternel au Pre. Donc il n'est pas un Fils adoptif qui serait
devenu Dieu par participation un moment du temps. b. De mme, les noms se rapportant au Christ sont penser avec l'ternit
du Pre. Le nom de Christ est donc valable ternellement.
2291
Le Ps 44, 7-8, en lien avec Ph, 2, 7-11, avait dj t longuement dbattu dans la controverse anti-arienne, entre Athanase
et les ariens, et entre Grgoire et Eunome. Les ariens prouvaient le subordinatianisme du Fils, infrieur au Pre partir du
au dbut du verset 8. Et Athanase rpondait : , ,
, , ,
, () , ,
( Quils sachent donc, ces ignorants des critures et ces inventeurs dimpit, quici encore lexpression
cest pourquoi ne signifie pas la rcompense de la vertu ou des actions du Verbe, mais la cause de sa descente vers nous et de
lonction de lEsprit fait sur lui pour nous () le psalmiste dit plutt : Parce que tu es Dieu et Roi, cause de cela tu as t oint ,
Contre les ariens, I, 49, 1-2, Athanasius Werke, I, 1, d. K. Metzler, p. 159 ; trad. fr. A. Rousseau, Les trois Discours contre les ariens,
Bruxelles, 2004, p. 98. Grgoire se situe dans la mme ligne quAthanase concernant linterprtation trinitaire de ce passage.
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.
, , ,
. ( , ),
: Tu as aim la justice et tu as ha l'impit. C'est pourquoi Dieu, ton Dieu, t'a oint d'une huile d'allgresse
contrairement tes compagnons (Ps 44, 7-8). Dans cet extrait, le discours dsigne par le mot trne le pouvoir universel, le sceptre
de droiture signifie la rectitude de jugement ; quant l'huile d'allgresse, elle manifeste la puissance de l'Esprit Saint par laquelle Dieu
est oint par Dieu, c'est--dire le Monogne par le Pre, puisqu'il a aim la justice et ha l'injustice. Si le Fils a t en tout temps ami
de la justice (car il n'aurait jamais pu se har lui-mme, puisqu'il est prcismement la justice), de toute vidence, il est considr
comme ayant l'onction depuis toujours .
2294
2295
p. 344-345.
540
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,
.
,
,
,
.
,
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, ,
.
,
,
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,
(
)
, ,
, ,
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,
. ,
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, , ,
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, ,
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(
, )
,
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Dans cet extrait, Grgoire dmontre que le Christ investi de lonction ternelle nest pas
une personne diffrente de lhomme Jsus qui a reu lonction aprs son exaltation. Lenjeu
de ce raisonnement est de montrer le lien entre les deux onctions et le sens de la seconde,
lonction conomique aprs lonction thologique, qui est ternelle.
Pour ce faire, Grgoire commence par rcapituler le sens et le droulement de
lincarnation. Il en voque dabord la cause : la condescendance du Dieu Monogne qui
2300
sincarne par amour de lhumanit, parce que le mal avait atteint un point culminant . Elle
est rendue dans cet extrait par lexpression ( dans une grande
2301
patience ) . Le Verbe accepte de prendre sur lui la condition humaine pour sauver
lhumanit. tant par nature Seigneur et Roi de toute ternit, il ne perd pas ses attributs
pendant le temps de lconomie, mais les communique lhumanit quil assume. Par
consquent, lhumanit assume devient Christ.
Lincarnation du Verbe est dcrite par Grgoire comme un mlange intime de Dieu avec
2302
2303
2304
la nature humaine ( , , ,
2305
). Les prfixes - et de
la dernire expression soulignent lide dune immixtion totale et dune lvation qui
2306
rappelle lexaltation dcrite en Ph 2, 6-11, situ en arrire-fond) . Le mlange est donc
orient vers la transformation de lhumain en divin, cest--dire en Christ (
2307
) .
Or, dans un tel dveloppement, la nature humaine du Christ nest pas seulement
comprise par Grgoire dans son sens particularisant, elle est entendue selon son acception
universelle. Cest le sens de lemploi de la citation de Jn 14, 20 ( je suis en vous et vous
tes en moi ) pour prouver sur une base scripturaire le mlange de Dieu avec lhomme au
profit de tout homme. Grgoire explique lonction conomique de lhomme Jsus, Oint par
lEsprit, par son bnfice pour lhumanit universelle, en montrant que cest lOint ternel
qui confre son onction lhumanit assume en raison de son union elle (
2308
) . Grgoire a donc prouv ainsi quil ny a pas deux
Christs , deux Oints , mais un transfert de lonction de la divinit lhumanit dans le
2300
Cf. ide-clef dans le discours de Grgoire sur lincarnation. Cf. Antirrh. 171, 13-14 ; Theoph. 123, 1-124, 20 ; Or. Cat.
lhumanit dans le Christ, nous renvoyons larticle de J. R. Bouchet, Le vocabulaire de lunion et du rapport des natures chez saint
Grgoire de Nysse , Revue thomiste, 1968/4, p. 566-577.
2307
2308
, , ,
, ( Il est Christ cause de sa
divinit : celle-ci, en effet, est lonction de lhumanit quelle sanctifie non pas par opration, comme dans les autres christs, mais
par la prsence de celui-l tout entier qui donne lonction ; et cette prsence fait que celui qui donne lonction est appel homme
et quil rend Dieu celui qui reoit lonction ).
543
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Logos incarn. Cest la conception de lincarnation comme mlange de Dieu avec lhomme
qui rend possible lexplication selon laquelle la divinit du Christ confre son onction
lhumanit assume. Largument de lunion en vue de la transformation permet Grgoire
de rsoudre la dualit dans le Christ, exactement comme dans le cas de la goutte de vinaigre
dans la mer.
Mais Grgoire pousse plus loin encore le raisonnement, au-del de lattaque
dApolinaire, pour montrer quil ny a pas deux Christs, mais un seul, revtu non plus
seulement de lonction de lEsprit, mais de la gloire de lEsprit. Lenjeu est pour lui de
prouver que lonction est la glorification par lEsprit, et pour le Verbe incarn et pour toute
lhumanit. Avec de nouveaux versets, il opre une seconde dmonstration de lonction
thologique du Monogne (sur la base de Jn 17, 5) et de lonction conomique de Jsus
(avec Ac 10, 38) pour confirmer que le Logos incarn est Christ depuis le commencement.
M.-O. Boulnois montre, dans un article sur Le cercle des glorifications mutuelles dans la
2309
Trinit selon Grgoire de Nysse , comment le raisonnement procde par un montage
scripturaire : [Grgoire] commence par citer Jn 17, 5 en donnant glorifie-moi le sens de
oins-moi, ce qui lui permet den conclure quil tait oint dune gloire antrieure au monde
2310
. Pour fonder lquivalence entre la gloire et lonction partir de Jn 17, 5, il labore un
syllogisme : la gloire tait avant les sicles ; or seule la Trinit existait avant les sicles
2311
(deux versets sont donns lappui), donc cette gloire ne peut tre que le Saint Esprit .
Cest donc Jn 17, 5 qui sert affirmer audacieusement lonction thologique du Fils. la
fin de cette tape de raisonnement, Grgoire relie lonction de gloire que possde le Fils
prexistant lonction conomique, rappele avec Ac 10, 38, qui voque lonction de
2312
lEsprit , par lide dun transfert de gloire du Logos lhumanit assume (
,
). Cette conclusion fait pendant la
chrismation de lhomme Jsus par sa divinit la fin du mouvement dmonstratif prcdent,
en vertu de lunion.
Dans la suite de la dmonstration, fort de ces acquis thologiques, Grgoire retourne
lattaque dApolinaire contre lui-mme : celui qui voyait une dualit entre le Logos
prexistant et lhomme Jsus, si seul ce dernier tait Christ, Grgoire reproche de ne pas
distinguer le Christ de la chair (
,
2313
) , montrant par l que lappellation de Christ nest pas lie la chair.
Sur ce point, Grgoire se positionne par rapport une tradition interprtative o le sens du
nom de Christ impliquait lexistence de la chair, et ne se comprenait que dans le cadre
de lincarnation, comme en tmoigne un passage du Contre Apolinaire II par le Pseudo2309
Le titre exact de larticle est Le cercle des glorifications mutuelles dans la Trinit selon Grgoire de Nysse : de linnovation
M.-O. Boulnois, Le cercle des glorifications mutuelles , art. cit., p. 35. La perspective de larticle est de montrer
comment Grgoire identifie lEsprit Saint la gloire dans ce passage, au moyen dune exgse renouvele par la vise thologique.
2311
Nous reprenons ici les analyses de larticle de M.-O. Boulnois, ibid. p. 35.
2312
en
oint,
Christ
le
Fils
Basile,
dans
en
dclarant
qui
est
son
:
oint
trait
Sur
Saint
Esprit,
le
Christ,
cest
lonction,
lEsprit
nommer
et
le
commente
confesser
la
le
formule
baptismale
tout
cest
montrer
baptiss
Dieu
qui
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2314
2315
( Le nom de Christ nest donc pas employ quand il est fait abstraction
de la chair, puisque la passion et la mort sont associes ce nom ) () , , ,
, ( En effet, si le nom Christ est propre la divinit, sparment
de la chair, il faut lattribuer aussi au Pre et lEsprit Saint (la passion sera alors commune) ; II, 3 :
, , ,
, . ,
( Cest pourquoi il y a eu onction, non que Dieu avait besoin donction, ni non plus que lonction se ft sparment
de Dieu, mais Dieu confrait lonction, et la recevait dans son corps apte recevoir lonction. Il est donc vident que le Logos nest
pas devenu Christ sans sa chair humaine ).
2315
Dans le premier livre du Contre Apolinaire, 13, le mot Christ dsigne les deux natures :
, , .
: Le mot Christ nest pas digne dune manire univoque, mais dans ce nom qui est un se manifeste une signification de
deux choses, la divinit et lhumanit. Cest pourquoi le Christ est aussi appel homme, et le Christ est appel aussi Dieu, le Christ
est la fois Dieu et homme, et le Christ est un (PG 26, 1116 B-C).
2316
Second dialogue christologique, Le Christ est un, 727 b-d, SC 97, d. et trad. G. M. de Durand, p. 344-345. Dans la
polmique de Cyrille contre Nestorius sur la question des deux natures dans le Christ, lontion du Christ se rfre lincarnation :
, , , ,
. ,
( le nom de Christ, comme la chose elle-mme, cest--dire lonction, est chu au Monogne comme lune des modalits de
son anantissement ; lentendre indique nettement quil y a eu incarnation, car il peut expliciter merveille le fait que le Monogne a
reu une onction en sa manifestation humaine ). Lauteur se situe dans la mme ligne interprtative quIrne. En effet, pour celui-ci,
le Christ est homme Dieu, il est le Verbe et lhomme. Lappellation de Christ dsigne le Fils de Dieu vivant, qui est aussi en personne
le Fils de lhomme (Contre les hrsies, III, 19, 2, SC 211, d. A. Rousseau, L. Doutreleau, Paris, 2002, p. 377). Origne distingue
aussi deux ralits dans le Christ, le Fils de Dieu et lhomme assum (cf. analyses de M.-J. Rondeau, Les commentaires patristiques
du psautier, op. cit., t. II, p 107-111).
2317
Eranists,
III,
d.
G.
H.
Ettlinger,
op.
cit.,
p.
216,
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la dualit dont il attaque ses adversaires. Aprs la rsurection, la chair demeure unie
2320
au Logos dans un tat glorieux . Cette conception heurte Grgoire, qui, comme on la
vu propos de limage de la goutte de vinaigre, envisage une transformation complte
de la nature humaine dans la divinit aprs la rsurrection, ce qui qui pose le problme
des modalits dexistence de la chair aprs la rsurrection. Do son insistance la fin du
long mouvement dmonstratif, traduit ci-dessus, sur le fait que ce qui tait humain dans le
Verbe incarn est transform en Dieu ( ,
2321
) . Sans entrer dans le dtail de la conception de la chair dans son tat
2322
glorieux par Grgoire de Nysse, qui revendique par ailleurs la rsurrection des corps ,
on note que la dmonstration contre lexistence de deux Fils , lun, Logos prexistant,
et lautre, homme fait Christ, sachve sur une description de lunion transformante, qui
explicite le sens de lonction comme revtement de la gloire de lEsprit, cest--dire le
passage lincorporel et lincorruptiblit ( ,
).
En conclusion, ce passage dmonstratif a un relief particulier dans lAntirrheticus, parce
quen montrant que le nom de Christ connote les trois personnes trinitaires, Grgoire relie
lenseignement trinitaire celui de la christologie, qui, lui-mme, nest jamais dtach de la
sotriologie. Il rpond donc son adversaire par un expos de thologie complet. Il ressort
de son analyse que le sens du mot Christ signifie une onction de lEsprit destine tre
partage avec lhumanit universelle, ce que montre largument de lunion de Dieu avec
lhomme dans le Logos incarn en vue de la transformation.
La dmonstration de Grgoire fait donc alterner des analyses sur lonction ternelle
du Fils partir de largument trinitaire et dautres, sur lonction conomique de lhomme
Jsus, dcrite en termes de divinisation. Le jalon argumentatif qui fait le lien entre les deux
objets dmonstratifs, lonction ternelle et lonction conomique, est le thme du mlange
entre Dieu et lhomme, dcrit selon une perspective sotriologique. Si celle-ci nest pas
propre Grgoire pour expliquer le sens de Christ, en revanche, la dmonstration des
2323
deux onctions pour un seul Christ ( ) , prouve
2324
par lunion de Dieu et de lhomme, est tout fait personnelle .
Athanase, contre les ariens, I, 48-52, Athanasius Werke, I, 1, d. K. Metzler, p. 158-163 ; II, 11-18, ibid., p. 187-195 ; Vie dAntoine,
V, 2, SC 400, G. J. M. Bartelink, Paris, 2004, p. 142, l. 7. Loriginalit de Grgoire tient largument des deux onctions et la faon
dont partir de cette dualit, il prouve lunit.
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Selon Br. E. Daley, le discours sur l'incarnation chez Grgoire pouse une structure
2325
narrative . Le critique constate que la conception de l'incarnation par le Cappadocien se
situe l'oppos de celle d'Apolinaire, qui se concentre sur les caractristiques ontologiques
du Verbe incarn et les conoit dans une atemporalit, dans un quilibre ternel entre chair
2326
et esprit .
Cest, selon nous, la notion de philanthropie divine, toujours prsente dans les
dveloppements de Grgoire sur le mlange de Dieu lhomme, qui cre la dynamique
du discours de celui-ci. Nous avons vu que la comparaison de limage du vinaigre dans la
mer tait introduite par la notion de , pour rendre compte de ce qui arrive par
2327
dessein damour pour lhumanit ( ) .
Le discours sur lunion de Dieu lhomme en vue de lonction par le Logos de lhomme
2328
Jsus est introduit, quant lui, par le terme . Dans lAntirrheticus, la notion
de revient trois reprises, dont une fois sous la forme adjectivale (
2329
) . Lunion de la divinit avec lhumanit est toujours explique et introduite
2330
par le motif de la philanthropie divine chez Grgoire .
2325
Br. E. Daley, Heavenly Man and Eternal Christ : Apollinarius and Gregory of Nyssa on the Personal Identity of the Savior ,
Journal of Early Christian Studies, 10, 2002, p. 480. En fait, Apolinaire comprend aussi lunit du Christ au niveau ontologique et au
niveau chronologique. En tmoigne lordre dexposition des fragments de lApodeixis par Grgoire dans lAntirrheticus. Les grandes
tapes de lincarnation sont analyses successivement : lorigine cleste au dbut, lpisode de la Passion et de la mort la fin.
2326
Antirrh. 201, 6.
Antirrh. 221, 18.
Antirrh.171, 13. Ce terme a un statut trs important dans la christologie de Grgoire.
, , Si donc
l'amour de l'homme est une caractristique propre la divinit, tu as la raison que tu cherchais, tu as la cause de la venue de Dieu
parmi les hommes (Or. cat. , XV, l. 7-9, SC 453, p. 216).
2330
Cf. Eun. III, 10, 11, GNO II, p. 293, 19, dans un emploi trs proche de lextrait de lAntirrh. : ,
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## ######## ### ###### ### ####### # #### ### ############ ########,
### ##### ########## ####### # # ### ##### ## ##### ### ####### #####
######## ### ## #### ## ##### # ######## ########### ############ ###
### ####### ####### ###### ############# ### ### ###### ### ########.
Le Logos qui tait au commencement et qui tait auprs de Dieu (Jn 1, 1),
lui qui, aux derniers jours (cf. He 1, 3), par sa communion la pauvret de notre
nature sest fait chair par amour de lhumanit, pour cette raison s'est ml
l'homme, et a reu toute notre nature en lui pour que l'humain ft divinis par le
2331
mlange avec le divin, la pte
de notre nature tant totalement sanctifie par
2332
ces prmices-l (cf. Rm 11, 16) .
Cet extrait cristallise tout lenseignement de Grgoire sur la de lhumain et du
divin resitu dans une perspective dynamique de lincarnation du Christ : lunion est
comprise partir du principe de , qui explique lincarnation qui consiste en un
abaissement ( ), qui consiste lui-mme en
un mlange de Dieu avec lhomme () en vue de la sanctification
() et de la divinisation () de lhumanit prise dans son sens
universelle ( ). On retrouve le mme schma thologique que dans le
passage sur lonction conomique de lhomme Jsus, analys plus haut.
La troisime fois que le terme est utilis, il introduit un raisonnement
sur lunion humano-divine dans lAntirrheticus, par lequel Grgoire se dfend de lattaque
dApolinaire contre ceux qui ne confessent pas que le dessein de lincarnation et de la croix
sont inscrits dans le Logos ternel lui-mme. Grgoire formule encore une synthse de
lconomie salutaire, o la nature humaine devient une opration de la toute-puissance
divine :
#### ### ####, ### ##### ## ######### ########## ### ###### #### ## # #
##### # ### # ######### # #### ## ##### ### ### ###### ########### ###
### ###### ### ########### ##########, #### ### ########## ### #######
2331
Le terme dsigne une mixture, une pte. Lampe note l'usage de dans la tradition patristique (repris
de Rm 11, 16) pour dsigner la pte humaine, et spcifiquement, la substance humaine assume dans l'incarnation ou
bien les effets de l'incarnation pour notre nature. Cf. Hippolyte, Hrsies 10, 33, GCS III, d. P. Wendland, Leipzig, 1916,
p. 291, l. 26 ; Basile, pitre 262, 1, CUF, t. III, p. 120 ; Grgoire de Nazianze, Discours 14, De pauperum amore, 15, PG
35, 876 C. Parlant du Christ qui a revtu la pauvret de notre nature, celui-ci dclare :
, ,
, . Quant Grgoire de Nysse, c'est un terme qu'il
affectionne, puisqu'il revient dans tous ses dveloppements sur le mystre de l'incarnation. Cf. pour exemple, l'Homlie
sur 1 Co 15, 28 , Alors le Fils lui-mme se soumettra celui qui lui a tout soumis :
, ,
( De toute la nature humaine, laquelle le divin a t ml, l'homme dans le Christ est
ressuscit comme prmices de la pte commune, et, par lui, tout l'humain a t uni la divinit ), Tunc et ipse , GNO
III/2, p. 14, 10-13 ; trad. M. Canvet, Le Christ pascal, PDF 55, Paris, 1994, p. 116. Dans lAntirrheticus , dsigne
l'intgrit de notre nature (corps, me et esprit). Cf.en ce sens Epist. 3, 16, SC 363, trad. P. Maraval, p. 136.
2332
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Nous traduisons le prsent par un pass en franais pour homogniser lensemble des temps.
2334
Cf. Epist. 3, 15, SC 363, trad. P. Maraval, p. 134-135, o se trouve le mme dveloppement, et la mme image de
Cf. Sext. Psal. , GNO V, p. 189, 12, utilis pour parler de la souillure du pch et de la purification par le Christ qui
sincarne.
2336
2337
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tmoigne que le discours sur lunion de lhumain et du divin chez Grgoire, en raction
la faon dont Apolinaire la conoit, est toujours rgi par la mme logique, dynamique
et sotriologique. En effet, tous les dveloppements doctrinaux sur la vise et la modalit
de lincarnation sont construits selon un va-et-vient constant entre ce quil en est pour la
personne du Christ stricto sensu et ce que cela signifie pour les autres hommes.
Les images successives expriment la faon dont Grgoire comprend la
divine, comme principe de lincarnation, et donc de lunion. Pour lui, l'amour de Dieu
pour l'homme va jusqu' l'abaissement de Dieu au niveau de l'homme, quil assume
jusque dans le dpouillement apparent de sa divinit. Mais cette knose prend forme
substantiellement dans le mlange des natures divine et humaine en Christ. Aussi pour
Grgoire, la se ralise personnellement, substantiellement dans le Christ par
son incarnation.
De nos enqutes menes sur largumentation propos de lunion humano-divine dans
le Christ chez Apolinaire et chez Grgoire, il ressort que le discours de Grgoire est marqu
par lide de la transformation de lhumain en divin. Cela sobserve dans lAntirrheticus
par une varit d'images qui tentent de qualifier les modalits de cette transformation ; la
2338
lumire, la gurison, l'embellissement de l'homme () , llvation par le feu
2339
( propos dlie), lassemblage dun roseau fendu en deux
etc. Ces images sont toujours
2340
traites sous forme d'antinomies, comme celle de l'homme terrestre/homme cleste
;
2341
2342
2343
de la descente/remonte
; de la maladie/gurison
; des tnbres/lumire
; du
2344
2345
disjoint/uni
; de la dsobissance/ obissance . Dans la perspective de Grgoire, selon
Br. E. Daley, les hommes sont sauvs du pch et de la mort non pas simplement par le fait
que leur humanit est remodele par l'esprit divin incarn, mais cause d'une relle union
de Dieu avec l'humanit, qui commence dans l'unit de la personne du Christ. Il en rsulte
que la personne du Christ doit tre en union avec le Dieu Verbe, dans sa pleine substance
divine et humaine : ce que Dieu assume, l' ou la de l'homme, non pas
simplement de la mais de l', est l'action centrale de l'uvre historique du
2346
salut accomplie par Dieu .
Chez Grgoire, lontologie du Christ est toujours aborde de faon dynamique en
relation avec sa finalit, la divinisation de la humaine, prise dans le sens de la nature
individuelle du Verbe incarn et dans son sens universel.
IV. Conclusion
2338
2339
2340
2341
2342
2343
2344
2345
2346
Antirrh. 222, 8.
Antirrh. 226.
Antirrh. 213, 18-19.
Antirrh. 170, 4-11 dans l'interprtation typologique de l'ascension d'lie.
Antirrh. 171, 11-24 ; 133, 9 ; 226, 4.
Antirrh. 171, 17.
Antirrh. 226, 15-17.
Antirrh. 160, 28 sq.
Br. E. Daley, Heavenly Man and Eternal Christ : Apollinarius and Gregory of Nyssa on the Personal Identity of the
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Au terme de cette tude sur un des points nodaux du dbat christologique entre Apolinaire
et Grgoire, la question de lunit du Christ, on est en mesure de prciser la thologie
respective de chacun des deux auteurs, cest--dire la solution quils proposent et comment
ils llaborent dans largumentation. Les deux auteurs refusent formellement de dcrire
2347
lunion de lhomme Dieu comme une simple conjonction () , mais chacun leur
manire tentent de dcrire le Logos incarn comme une union intime () de lhomme
et de Dieu.
La doctrine dApolinaire ne se comprend que lorsquelle est resitue comme une
raction au discours des thologiens qui dcrivaient de manire trop lche ou imprcise
lunion entre la divinit et lhumanit dans le Christ. Il y voyait le risque de considrer
Jsus comme un homme inspir, indpendamment du Fils de Dieu. Toute sa christologie
est donc construite en fonction de limpratif premier, selon lequel lunit de personne
entre le Logos prexistant et lhomme Jsus doit tre prserve. La question est alors de
savoir comment comprendre cette unit. Apolinaire la dfinit au niveau ontologique comme
une unit de vie, celle dun tre capable de sautodterminer. Dans cette perspective, le
modle philosophique qui lui permet de dcrire les rapports entre divinit incorporelle et
humanit corporelle est lunion de lme immatrielle et du corps matriel. La comparaison
anthropologique structure donc lensemble de sa christologie, ce que souligne Grgoire
plusieurs reprises. Or, en vertu de cette analogie, Apolinaire ne peut pas concevoir propos
du Christ une humanit complte ou intgrale, qui constituerait dj elle seule une unit
de vie. En effet, la substance divine viendrait se surajouter lhomme assum, comme
un deuxime tre. Pour prserver la fois lunit au niveau ontologique et linfaillibilit de
Dieu au niveau moral, Apolinaire substitue donc la substance divine la facult motrice de
lhomme (). Par consquent, en raison de lunit substantielle de la chair humaine avec
le divin, le Christ est tout entier homme et tout entier Dieu. Apolinaire rpond ainsi
au deuxime impratif christologique : concevoir un Dieu qui sest rellement incarn. Le
problme quune telle christologie pose, cest quelle rduit la divinit au rle dune facult
dans lhomme, et le rle de lhomme une enveloppe charnelle. Cest sur ces points que
Grgoire ne cesse de revenir en accusant Apolinaire de concevoir lunit du Christ comme
laddition de plusieurs parties en lhomme, et de faire de Dieu une partie de la taille du
2348
alors quil est infini par essence . Par consquent, chez Apolinaire, la faon dont il
conoit le mode de prsence de la divinit dans le Christ se rpercute sur la dfinition de
son humanit. Cest un des points majeurs du dbat.
Grgoire de Nazianze a une formule, dans sa Lettre 102 Cldonius, qui rsume
clairement lantagonisme entre la doctrine dApolinaire et celle des Cappadociens : Ainsi
lhomme parfait ( ) quils enseignent, ce nest pas celui qui a t fait
lexprience de tout ce qui est ntre, except le pch (He 4, 15), mais cest le mlange de
Dieu et de la chair ( ). Quy a-t-il disent-ils de plus parfait
2349
( ) ?
Dans la christologie de la o la divinit est le principe
2347
Antirrh. 160, 17 ; 205, 16 et 226, 15 : est utilis pour les rapports de lme et du corps ; en Antirrh. est
employ pour parler du lien de Dieu lhomme qui ne peut tre bris que par le pch.
2348
2349
, . ,
, ; Nous avons fait le choix de traduire par parfait et non complet comme P. Gallay, afin de rendre
compte de la dimension morale qui justifie la perfection de la chair dans la doctrine apolinariste. En effet, lhumanit du Christ est
parfaite pour Apolinaire parce quelle est guide par un principe actif infaillible par nature, Dieu, alors que pour les Cappadociens,
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actif, le Christ est un homme parfait () dans la mesure o son tre est mu par un
lment hgmonique infaillible par essence, la divinit. Au contraire, les Cappadociens
comprennent la perfection humaine du Christ dans le sens dintgrit de la nature (
2350
) . Cet impratif exige la prsence dun intellect humain (), expos
au choix du bien et du mal. Les deux christologies diffrent parce que les auteurs les
laborent partir doutils conceptuels diffrents (sens donn ) et de principes
thologiques opposs. Pour Grgoire de Nazianze, comme pour le Nyssen, lhumanit
ne peut tre sauve que si elle est tout entire assume par la divinit. Pour Apolinaire,
lhumanit ne peut tre sauve que si elle est assume par le divin infaillible.
Un des points essentiels de la querelle entre Grgoire de Nysse et Apolinaire porte
dautre part sur la notion de nature (), notre avis, comme la montr limage du
bouc-cerf. La distinction des proprits de chaque lment du mlange humano-divin suffit
prouver chez Grgoire la distinction des natures, alors que pour Apolinaire, lunicit de
nature nempche pas la dualit des lments qui la composent, mais qui ne peuvent
tre appels nature car ils ne peuvent exister de faon autonome. En somme, pour
Apolinaire, une nature se dfinit par son autonomie dexistence, pour Grgoire, elle se dfinit
par un ensemble de proprits.
En outre, il rpond lattaque des deux Fils formule par Apolinaire en dveloppant
une conception de lunion transformante de lhumanit en Dieu dans le Christ. Sa
proccupation argumentative nest pas de faire correspondre de faon formelle le niveau
des deux natures ( ) avec celui de la personne () dans le
Christ, mais de montrer lunion intime des natures divine et humaine dans le Christ par
diffrents biais argumentatifs. Cest en ce sens que la dualit des natures ne remet pas en
cause lunit personnelle du Christ selon lui, sans que cette ide soit expose de manire
2351
systmatique, ni non plus celle des deux natures dailleurs .
Son souci principal est de dfendre lintgralit humaine du Christ contre Apolinaire,
do dcoule lexpression des deux natures. Mais Grgoire justifie lunit dans le
Christ par largument de la transformation en Dieu de son humanit partir de sa
rsurrection. Cette dernire assure la divinisation et le salut de lhumanit universelle.
Finalement, la perspective sotriologique est le point le plus caractristique de lapproche
de lunit du Christ par Grgoire contre Apolinaire. La conception de lunion nest pas
comprise ni explique sans sa fcondit pour le reste de lhumanit et son dynamisme
2352
eschatologique . Les outils argumentatifs par lesquels Grgoire insiste sur ce point sont
les images, dont lune des plus importantes est celle de la goutte de vinaigre jete en mer.
lhumanit du Christ est parfaite dans le sens que le Christ est pleinement homme, et donc possde un intellect humain, expos
choisir le bien ou le mal.
2350
2351
utilise plus volontiers des expressions dissymtriques, telles celles de nature humaine et de substance divine (Antirrh. 133, 15-18 etc.).
Comme Apolinaire, la dualit est marque par les couples divinit/humanit, humain/divin, cr/incr, chair/divinit, et trs souvent
la notion de nature est employe au datif par nature , selon la nature . Sur ces dernires formules, cf. ltude de synthse de
Fr. Vinel, Selon la nature : les paradoxes dun concept. Lapport de Grgoire de Nysse, thse soutenue en vue de lhabilitation
diriger des recherches, Universit de Strasbourg, juillet 2007, paratre.
2352
Sur ce point, la pense de Grgoire est conforme une tradition thologique depuis Irne, Athanase, qui se poursuit
avec Cyrille (cf. B. Meunier, Le Christ de Cyrille dAlexandrie, op. cit., p. 217-218 sq.).
552
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La question de savoir si lpisode de la rsurrection du Christ appartient ou non lconomie dans la thologie de Grgoire
de Nysse a t dbattue par la critique. Cf. B. Pottier, qui soutient que, pour Grgoire, la rsurrection est le sommet de lconomie
(Dieu et le Christ, p. 254-255). LAntirrheticus parle du mystre de lconomie selon la rsurrection (
) (Antirrh. 226, 7).
2355
2356
Chez Apolinaire, cf. Kata meros pistis , 2 ; Tome synodal , Lietz. p. 263, l. 12-13 etc.
Cf. Eun. III, 4, 28-29.
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2357
2358
2359
#### ### #### ######## ## #### ### ###### ####### ######## ######
############# ##### (). ### ## ### ###### ### ########, # ### #####
######### ### ########### ###### ####### ####, ###### ########
######### ### ###### Nous nommons au sens propre passion cela
seulement qui est conu en contradiction avec labsence de passion de la vertu
(). Les proprits de notre nature, qui sont appeles de faon homonyme
passions par une catachrse habituelle, nous confessons que le Seigneur y a
2364
pris part.
Dans ce passage, Grgoire oppose le sens propre () et le sens par catachrse
() de . Lorsquil conoit le terme au sens propre, il le fait dcouler du
pch, qui est le contraire du bien ( ), alors
2357
2358
2359
luvre de Grgoire de Nysse , Jesus Christ in St. Gregory of Nyssas Theology, Minutes of the Ninth International Conference on
St. Gregory of Nyssa (7-12 September 2000), Athnes, 2005, p. 249-250.
2360
Par exemple la peur, la crainte cf. Anacephalaisis , 29-30, Lietz. p. 246 ; Kata meros pistis , 30, Lietz. p. 178-179.
M. Alexandre donne une srie dexemple des passions de lme, cites dans lAntirrheticus : le dsir de manger la Pque (Lc 22, 15),
le trouble et les larmes devant la mort de Lazare (Jn 33, 35), la tristesse et langoisse de Gethsmani, la crainte de la mort jusquau
cri de drliction sur la croix (Mt 27, 46) ( Le Jsus des vangiles dans luvre de Grgoire de Nysse , art. cit.,p. 252).
2361
Nous reprenons la classification quopre B. Meunier propos de la christologie de Cyrille dAlexandrie, Le Christ de
M. Alexandre renvoie aux fragments De affectibus, SVF III, frg. 377-490, p. 92-133, et spcialement au frg. 391 ( Le
Jsus des vangiles dans luvre de Grgoire de Nysse , art. cit., p. 252).
2363
) ; 181, 20 ( ) etc.
2364
Eun. III, 4, 28-29, GNO II, p. 144, 26-30, trad. revue de M. Cassin (thse de doctorat en prparation, La controverse
comme mode de persuasion et dlaboration thologique : tude des traits contre Eunome de Grgoire de Nysse).
554
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que lorsquil est compris par catachrse, il dsigne les proprits () de la nature
2365
humaine, qui ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi ; elles proviennent de la vie naturelle .
Mme si dans les textes christologiques, lpisode de la Passion entre en interaction
avec une rflexion plus gnrale sur les rapports de la divinit aux , qui est un
e
2366
vaste point de polmique au IV sicle , le champ de notre analyse sera cibl sur
largumentation propos de lpisode de la Passion chez Grgoire et Apolinaire. Cela dit,
nous relverons chez nos auteurs larticulation de la rflexion sur la Passion du Christ avec
celle de son rapport la souffrance humaine, quelle affecte le corps ou lme.
Lenjeu sous-jacent dans le dbat entre Grgoire et Apolinaire sur ce point est
sotriologique : les deux auteurs cherchent rendre compte du phnomne de la mort et
de la rsurrection du Logos incarn de faon ce que la Rdemption puisse soprer, ces
pisodes de la vie du Christ tant considrs comme les preuves par excellence et mme
le point culminant de luvre salvatrice de Dieu. Grgoire comme Apolinaire cherche donc
sans cesse dmontrer au niveau de la humaine comment partir de sa mort et de
sa rsurrection le Christ peut librer lhumanit du pch.
La sotriologie est traite sous deux angles complmentaires dans lAntirrheticus
selon quelle est aborde dun point de vue global, o lauteur rcapitule le mouvement
dabaissement du Logos dans la nature humaine du Fils pour susciter sa divinisation,
par lchange des proprits de lun lautre, ou quelle est aborde dun point de
vue physique dans lexplication de la dcomposition dans la mort et de lunification
produite par la rsurrection. Cest notre avis lune des caractristiques les plus nettes du
2367
dveloppement anti-apolinariste de Grgoire
: il est possible de voir dans la conjonction
2368
de ces deux perspectives argumentatives, lune que nous avons dj traite
et voque
2369
dans les analyses exgtiques , lautre que nous allons examiner maintenant, le cur
de la controverse anti-apolinariste.
Plusieurs passages de lAntirrheticus commentent les fragments dApolinaire qui
portent sur la Passion, la mort et la rsurrection. Mais la rflexion sur ce point
est plus dense dans la dernire partie du trait de Grgoire qui reprend lordre du
raisonnement christologique de son adversaire. E. Mhlenberg, qui reconstitue le plan de
lApodeixis, suppose que la dernire partie portait sur la divinit de lhomme Jsus, traite
successivement sous un angle sotriologique (comment penser Dieu comme homme en
vue de la rdemption ?), ontologique (le devenir humain du Logos signifie son union la
chair au point que Dieu et lhomme sont consubstantiels), eschatologique (Jsus est ternel,
2365
Basile fait la mme distinction dans sa Lettre 261, 3, CUF, t. III, d. Y. Courtonne, p. 117-118. Cf. aussi Grgoire de Nysse, Or.
Cat. , XVI, SC 453, trad. R. Winling, p. 222 : , ( Le mot pathos est employ
tantt au sens propre, tantt en un sens par catachrse ). La distinction entre les deux sens est explique de la mme faon.
2366
Cf. M.-O. Boulnois, Lunion de lme et du corps comme modle christologique de Nmsius dEmse la controverse
nestorienne , Les Pres de lglise face la science mdicale de leur temps, art. cit., surtout p. 469-475.
2367
Lexplication physiologique de la mort et de la rsurrection se trouve aussi dans le Discours catchtique,le discours
pascal De Tridui Spatio et dans la Lettre 3 de Grgoire de Nysse. Le Pseudo-Athanase des Contre Apolinaire I et II recourt la mme
argumentation sur certains points. Mais les uvres cites plus haut prsentent des traits argumentatifs et exgtiques communs et
propres Grgoire. Cf. la suite du chapitre, p. 723-762.
2368
2369
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2370
#### ### #### ### ########### # ###### #### ##### ######, ## ###### ##### ###
######### #### ### ####### ### #### ########### ## ##### ########, #### ###
##### ############## ##### #### ###### ######## ###########. Toute la
vise de son crivaillerie consiste tablir que la divinit du Fils Monogne est
mortelle et quil na pas subi la Passion dans son humanit, mais que la nature
2372
impassible et inaltrable a t altre pour avoir part la Passion .
premire vue, le lecteur a limpression que la thse dApolinaire, selon laquelle la divinit
a subi la Passion et en a t altre, est un point essentiel de son enseignement dans
lApodeixis.
Or lorsque lon confronte cette assertion aux thmes abords par les fragments et
rfuts dans lAntirrheticus, on saperoit que lenjeu fondamental de la polmique nest pas
de prouver que la divinit est mortelle mais que le compos humano-divin en Christ est
penser sur le mode du . Toutefois, il ny a quun fragment dApolinaire sur
2373
cent quatre rpertoris, un fragment problmatique en lui-mme (frg. 95) , qui se situe
la fin du trait de Grgoire et qui voque ce point. On peut supputer quen raison de lunit
2370
2371
Cest, notre sens, gommer un aspect de la rflexion christologique dans cette partie de lApodeixis.
2372
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de nature revendique par Apolinaire propos du Logos incarn, Grgoire en conclut que
la divinit est mortelle, mais lenjeu fondamental qui ressort de ltat du texte de Grgoire et
des fragments dApolinaire ne vient pas corroborer le grief qui est immdiatement formul
par Grgoire aprs la mention du titre de lApodeixis. Il est possible quil sagisse ici
dune dformation polmique. Grgoire soulverait plus ici une consquence du systme
christologique de son adversaire, quil conviendra dlucider, quune thse rellement
dveloppe.
Toutefois, le dcalage entre laccusation de Grgoire et le contenu des fragments
dApolinaire nous a incite retrouver do pouvait venir le grief formul contre Apolinaire
qui prtendrait la mortalit de la divinit du Fils.
Dans la Lettre 202 de Grgoire de Nazianze Nectaire, la mme attaque prend place
dans lnumration de toutes les erreurs doctrinales dApolinaire, la suite de celle de la
chair cleste, du Dieu qui prend la place de lintellect dans le compos humain assum. Le
rcriminatoire sachve ainsi :
#### ## ###### ###########, ### ##### ### ####### ####, ### ######
### ######, ### ####### ### ####, ### ########## ### #######, ######
##### ############, ### ###### ##### ####### ##### ########, ##### ##
############# ######## ### ###### ### ### ####### ################ ##
#####, ### #### #### ### ###### ##### ### ### ####### ###########. Mais
la plus pnible de toutes ses ides, cest que le Dieu Monogne (cf. Jn 1, 18)
lui-mme, le juge de tous (cf. Ac 10, 42), le conducteur de la vie (Ac 3, 15),
le destructeur de la mort (1 Co 15, 26), il tablit quil est mortel, et il a subi la
Passion dans sa propre divinit, et pendant cette dure de trois jours o son
corps fut mort, sa divinit aussi fut morte avec son corps, et cest dans ces
2374
conditions quelle a t ressuscite de la mort par le Pre .
Dans cette lettre, la mortalit de la divinit est prsente comme le point doctrinal le plus
grave soutenu par Apolinaire. Les deux Grgoire mettent en avant limportance de cette
erreur, le Nyssen, en la formulant demble dans son Antirrheticus, le Nazianzne, en la
faisant culminer la fin dun rcriminatoire contre Apolinaire.
Faudrait-il croire que Grgoire de Nysse sest report aux crits polmiques de son
2375
ami pour prendre connaissance de lapolinarisme et en rfuter les thses ?
Ce reproche
adress Apolinaire fait vraisemblablement partie du rquisitoire topique contre lui, puisque
le Pseudo-Athanase du premier trait Sur lincarnation contre Apolinaire relve la mme
2376
erreur doctrinale .
Ce grief invite rechercher dans les fragments dApolinaire o une telle thse a pu tre
soutenue ou comment il en est venu tre accus de dvelopper une telle thmatique.
Nous avons vu plusieurs reprises que le Nyssen proposait les mmes formules que Grgoire de Nazianze dans
ses Lettres thologiques, pour exposer le contenu de la doctrine apolinariste, sans pourtant que lun ou lautre cite textuellement un
passage dApolinaire. (Cf. les griefs de la consubstantialit de la chair avec le Logos, la naissance du Logos dans la chair comme
travers un canal, lorigine cleste de la chair).
2376
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Dans lAntirrheticus, un seul fragment dApolinaire dit explicitement que la divinit meurt au
moment de la Passion. Il sagit du fragment 95. Grgoire cite ainsi son adversaire :
comprendre quApolinaire viendrait modrer sa formulation Dieu lui-mme est mort en prcisant que Dieu a subi la mort (parce
quun simple homme ne peut pas surmonter la mort et sauver lhumanit) sans pour autant avoir t vaincu par la mort. Apolinaire
noncerait un paradoxe en reprenant les termes pauliniens (Rm 6, 9), sans prciser les modalits concrtes de ce paradoxe.
2379
2380
Antirrh. 219, 6.
Antirrh. 219, 9-10.
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En outre, dans les autres passages de lAntirrheticus o Grgoire rfute cette thorie,
il ne cite jamais largumentation de son adversaire qui pourrait aider comprendre une telle
assertion. Par consquent, on peut se demander dans quelle mesure il fait rfrence une
thorie prcise dApolinaire ou sil ne se sert pas dune thse vhicule sur lapolinarisme
quil reprend de faon polmique et rfute sa guise sans chercher comprendre ou
rendre compte de la faon dont son adversaire la formulait, si, du moins, il la formulait telle
quelle.
En examinant les diffrentes rfutations de Grgoire sur ce point et en cherchant
comprendre la place quelles occupent dans les contextes argumentatifs, on tentera de
faire apparatre le raisonnement christologique apolinariste, selon lequel Dieu prend place
ontologiquement dans le compos humain titre de , ce qui lexpose subir la Passion
dune manire immdiate, puisquil est engag ontologiquement dans lhumanit du Christ.
clairement que lEsprit divin sunit la chair seulement partir du moment o il sincarne.
2383
Il faut prendre le terme ici non pas dans le sens dune identit parfaite de la nature humaine du Christ avec celle de lhumanit
commune, mais dans le sens dune substance semblable (puisque le principe hgmonique du compos humain du Christ diffre de
celui de lhomme normal). Cf. De unione , 8,Lietz. p. 188, 12-14 : ,
, : le Christ est de mme substance que les hommes, en tant que la divinit aussi
est comprise avec le corps, parce quelle a t unie ce qui est de mme substance que nous ; Syllogismoi, fr. 112, Lietz. p. 233,
32-234, 10 ; frg. 116, Lietz. p. 235, 8-17 : Contre Diodore, frg. 126, Lietz. p. 238, 9-12 ; ptre Srapion , frg. 159, Lietz. p 254, 3
sq. ; frg. 161, Lietz. p. 254, 19-26 ; ptre Trence , frg. 162, Lietz. p. 255, 1-9 ; frg. 163, Lietz. p. 255, 11-14 ; Seconde Eptre
Denys, frg. 164, Lietz. p. 262, 11-16 : Tome synodal , Lietz. p. 262, 28 sq. : 263, 10-14.
2384
tait plein de la puissance de Dieu mme aprs la mort (E. Mhlenberg, Psalmenkommentare, op. cit., I, p. 57) ; frg. 153, Lietz. p.
248, 18-27 ; Lettre Srapion, frg. 161. E. Mhlenberg, op. cit., p. 206, n. 4.
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de lunit de nature entre le divin et lhumain pendant lincarnation que la divinit est dite
tre touche par la mort.
Le fragment suivant, 96, aide encore restituer la logique de la pense dApolinaire :
daprs Grgoire, Apolinaire reproche ses adversaires, parmi lesquels se range Grgoire,
de croire que le Christ nest pas depuis le commencement de faon ce que le Logos soit
Dieu ( ,
2385
) . Lattaque latente est celle de la christologie des deux Personnes ou de la
sparation : Apolinaire attaquerait les thologiens qui appellent Christ lhomme Jsus une
fois exalt. Cela reviendrait, pour lui, faire une distinction de Personne entre le Logos
prexistant qui sincarne et lhomme Jsus assum et exalt. Or ce fragment prend place
dans une rflexion sur la Passion : qui ou quoi dans le compos humano-divin est atteint
par les souffrances et la mort ? Daprs les fragments quil nous reste, on peut supposer
que selon Apolinaire, si on met sur le compte de lhumanit du Christ la mort assume au
moment de la Passion, on tombe dans lcueil qui consiste penser que cest lhumanit
seulement qui assume la mort et quun simple homme qui meurt ne suffit pas librer
lhumanit de la domination de la mort. Par consquent, pour Apolinaire, il faut quil y ait
plus quun simple homme qui meurt : la divinit doit elle-mme tre engage dans la mort.
Dans ces conditions, on comprend mieux lorigine du reproche adress par Grgoire.
Pour le Laodicen, le risque de rapporter la mort du Christ son humanit est dattribuer
un simple homme le pouvoir de rdemption. Selon Apolinaire, si cest lhomme Jsus
qui meurt au moment de la Passion, alors lidentit du Christ qui a surmont la mort
avec le Logos prexistant est du mme coup supprime. Cest toujours la solution du
qui est prconise pour viter de tomber dans cet cueil dune distinction
de personne entre lhumanit et de la divinit dans le Logos incarn : , ,
,
; ( Comment Dieu devient homme sans changer de son tre de Dieu, sil nest pas
2386
tabli comme intellect dans lhomme ? ) .
Nous navons pas trouv dargumentation similaire propos de la mort de la divinit
du Christ dans dautres uvres doctrinales dApolinaire, ce qui est problmatique pour
apprcier la pertinence de la critique de Grgoire. En outre, dans aucun autre fragment ou
opuscule dApolinaire, le rapport de la divinit du Christ la Passion et la mort est tudi
en lien avec la formule thologique du .
En revanche, dautres fragments doctrinaux, dpoque peut-tre diffrente de
lApodeixis, prsentent des lments qui aident la comprhension de la faon dont
Apolinaire traite ce point christologique.
Dans sa Premire ptre Denys, Apolinaire dit explicitement :
560
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incr ne rend pas incre la chair ni nest dit partiellement au sujet de la divinit
2387
seulement .
Le discours dApolinaire est construit autour de la tension entre le fait que les attributs de
la divinit sappliquent la chair et rciproquement, au niveau du discours, et le fait que
les substances humaine et divine soient altres par linterchangeabilit des noms en vertu
de lunique nature. Apolinaire dit ici explicitement que la divinit reste impassible (
), mais en mme temps, il formule clairement que si
on rejette cette interchangeabilit des noms et quon applique laspect passible la chair
seulement, et laspect impassible la divinit seulement, on en vient attribuer les qualits
respectives de la divinit et de lhumanit partiellement (). Il refuse ce procd
en raison de lunique nature : puisque la divinit et lhumanit forment un tout, cest-dire en fait une unit de sujet, les proprits de lun et lautre sappliquent lensemble.
Ailleurs encore, dans un des fragments du Contre Diodore, tir de lEranists de
Thodoret de Cyr, qui porte sur la rsurrection des corps, Apolinaire dclare propos de
la Passion :
##### ### ######, ### # #### ## ### ######## ## #### ########## ###
#####, #### #### ##### ##### ### #########. ### ##### ## ###### ####
######## #### ### #####. ## ### #### ### ######## #### ######, #######
### ########. ######## ### #######. #### ### ## ######## ########### #
### ## # ##### ######### #### ## ## ######## #### ### ######### ######
#####, ##### # ####. Il est vrai que la conjonction avec le corps ne se fait pas
selon une circonscription du Logos, de faon ce quil nait rien de plus que
lincorporation. Cest pourquoi, mme dans la mort, limmortalit demeure dans
le cas du mme tre. Car si elle dpasse la composition elle-mme, elle dpasse
aussi la dissolution. Or la mort est dissolution. En effet, elle na pas t comprise
dans la composition, ou alors le monde aurait t vid, ni na possd dans la
2388
dissolution ce qui est en manque du fait de la dissolution, comme lme.
Dans ce fragment, Apolinaire veut dire que lincarnation ne consiste pas en incorporation,
une dlimitation du divin dans le primtre dun corps. Par consquent, puisque la mort,
qui est dissolution, affecte le corps, compos, mais que le Logos est comme au-del du
corps (en ce sens qu titre de substance non compose, il ne se rduit pas aux contours
du corps), il est au-del de la dissolution de la mort, et il peut ainsi demeurer immortel dans
la mort.
La mort du corps naltre donc pas la divinit dans sa substance propre, immortelle.
Comme on le verra pour Grgoire, la mort est dfinie comme dissolution des lments qui
composent ltre humain. Ce qui chappe la dissolution ne peut pas tre touch par la
mort. Cest donc par largument de lindissolubilit de la divinit quApolinaire prouve ici son
impassibilit et son immortalit (). Un tel fragment vient invalider lattaque de
Grgoire sur la mortalit de la divinit.
2387
2388
Frg. 138, Lietz. p. 240. Le texte est donn daprs ldition rcente de H. de Riedmatten, Les fragments dApolinaire
561
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2389
Plus clair encore est le fragment quH. Lietzmann dite dans lAnacephalaisis
et
quH. de Riedmatten dite dans le corpus des fragments dApolinaire tirs de lEranists,
2390
propos du Logos incarn. Il vient la suite de celui que nous venons de citer
:
#### ## #### #### ####### ######### #### ###### #### ### ##### #######
### #### ##### ###### ##### #### ####### # ### #### ####### ###########
#### ## ##### ######## ###### #### ### ##### ### ### #### ##### ####. La
2391
chair de Dieu est un instrument
de vie qui sajuste aux passions selon les
desseins de Dieu : et ni les propos ni les actions de la chair ne lui sont propres,
et tandis quelle est soumise aux passions selon ce qui convient la chair, la
2392
chair tient sa force contre les passions du fait quelle est Dieu (cf. Jn 1, 14) .
Dans ce fragment dont linterprtation ncessite de la prudence en raison de labsence
de contexte, se trouvent des lments doctrinaux qui aident comprendre les ambiguts
thologiques qui ont suscit laccusation des Cappadociens. Dabord, Apolinaire parle de
la chair de Dieu en raison de lunion du Logos la pendant lIncarnation. Mais
cette expression donne penser le Christ comme un Dieu charnel ( ), ce
2393
que Grgoire souligne plusieurs reprises dans lAntirrheticus
. En consquence, le
Dieu en chair est dit tre touch par les souffrances de la chair (
, ), comme si ctait sa divinit qui tait directement
atteinte par la souffrance, tant donn que le corps est conu comme un moyen passif.
Une autre ambigut qui soulve les attaques des Cappadociens rside dans le fait que,
selon Apolinaire, la chair du Christ est atteinte par les souffrances comme toute chair (
), mais que la domination des passions est possible parce que cette
chair est divine ( ). Le raisonnement
dApolinaire repose sur Jn 1, 14 ( le Verbe sest fait chair , ). Mais
il substitue le verbe celui de utilis par Jean, qui suggre une permanence
et renvoie la constitution ontologique du Logos. Ce glissement produit alors la confusion
entre le Logos et la chair quil a assume. Dans un tel fragment, lunique nature entre le
Logos et la chair humaine () est prsuppose de toute vidence.
Cet extrait ne parle pas proprement parler du rapport du Logos la Passion, mais en
dcrivant la relation du Logos aux passions humaines partir de Jn 1, 14, Apolinaire trahit
des ambiguts dexpression qui, par voie de consquence, conduisent laccusation des
Cappadociens au sujet de la mortalit de la divinit. Cest sur lunicit de nature que porte le
langage quivoque dApolinaire. En somme, il cherche rsoudre le paradoxe selon lequel
le Logos incarn assume la souffrance tout en la surmontant. Mais lexplication ci-dessus
rduit considrablement le rle et le statut de lhumanit du Christ.
2389
2390
On trouve explicitement dans des fragments doctrinaux dApolinaire la conception du corps-intrument. Cf. frg. 117,
562
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Parmi les passages dApolinaire les plus clairants propos du reproche que les
Cappadociens lui ont adress au sujet de la mort du Christ titre de Dieu, citons encore un
extrait du Kata meros pistis , o sont rcapituls le mouvement et la vise de lincarnation
du Logos :
Apolinaire se dfend de croire que la chair du Christ vient du ciel (cf. Lettre Jovien, 3,Lietz. p. 253, 7-8).
2395
Kata meros pistis , 2, Lietz., p. 168, 7-8. Cette prcision est donne par Apolinaire contre Arius (cf. ltude
de McCarthy Spoerl, qui considre que la premire partie du trait dnonce la doctrine arienne, A Study of the Kata
meros pistis by Apollinaris of Laodicea, op. cit., p. 154-211). Comme Athanase, Apolinaire insiste sur le fait que pendant
lincarnation, le Logos demeure (cf. Discours contre les ariens, I, 22, d. K. Metzler, Athanasius Werke, p. 132 ;
I, 37 (ibid. p. 147) ; 1, 51 (ibid. p. 161) ; 2, 18 (ibid. p. 195) ; De decr. Syn. 23, 2, Athanasius Werke, II, Lieferung 1, H.-G.
Opitz, Berlin-Leipzig, 1934-1935, p. 19 etc.). Dans une de ses lettres, date de 325 (R. Williams, Arius, Heresy & Tradition,
p. 58-59), Alexandre dAlexandrie voque les thses ariennes daprs lesquelles le Logos est : il y voit une
consquence de la christologie qui considre le Logos comme un tre cr et altrable. De son statut de crature (
) il dresse la conclusion que :
( cest pourquoi, il est aussi muable et altrable quant sa nature comme tous les autres tres logiques aussi ),
d. H. G. Opitz, Athanasius Werke III, 1, Urkunde 4b 7-8, Berlin-Leipzig, 1934, p. 7-8).
2396
Cf. Athanase, Contre les ariens, I, 44, d. K. Metzler, Athanasius Werke, I, Teil 1, p. 154, l. 29-30 : tant Dieu, le
Verbe est devenu chair, afin que, mort dans sa chair, il divinise tous les hommes par sa propre puissance (cf. 1 P 3, 18) .
2397
563
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K. McCarthy Spoerl note que cet argument est dautant plus prcieux quil est rarement dvelopp chez Apolinaire (A Study
Cf. De unione , 6, Lietz. p. 188, 1-4. En De unione 15, Apolinaire insiste aussi sur lchange de la passibilit de la
A. Grillmeier expose ces modles christologiques qui permettent de classer avec clart les diffrentes christologiques
mais qui cependant ont leurs limites (Le Christ dans la tradition chrtienne, I, op. cit., rd. 2003). En effet, dans les dveloppements
christologiques des Pres, ils sont utiliss de faon plus complexe et fluctuante que les classifications ne le suggrent. Le modle
christologique du Logos-sarx est utilis par Eusbe de Csare, Athanase et Diodore de Tarse (sur lequel A. Grillmeier argumente,
p. 695).
2403
Le
raisonnement
dApolinaire
est
trs
proche
de
celui
dAthanase
dans
son
discours
Contre
les
564
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puisquil prend toujours soin de distinguer dans la Passion et la rsurrection ce qui concerne
proprement lhumanit et la divinit du Christ. Et pourtant sa conclusion est la mme que
celle dApolinaire : Dieu est prsent dans la Passion dans la mesure o il est uni la chair
2404
qui souffre .
En conclusion Apolinaire ne dit pas clairement que la divinit souffre ou meurt dans la
Passion, mais il refuse aussi une partition des proprits en fonction de lhumanit et de la
divinit du Christ ( ) qui en viendrait donner une existence autonome
lhumanit et la divinit sans quelle soit implique dans la Passion. Il refuse cette position
en vertu de lunit de nature du Logos incarn.
Il affine la faon dont il comprend lunique nature dans la suite de son opuscule du Kata
meros pistis , o il prsente la divinit comme llment actif du compos humano-divin,
et lhumanit comme llment passif :
Kata meros pistis , 30, Lietz. p. 179, texte repris dans la version longue transmise par Lonce de Byzanze.
2406
Antirrh. 231, 20-21. Fr. Mller dite cette rflexion comme un fragment (frg. 101), mais rien ne prouve dans largumentation
565
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2407
### ####### ######## # ###### ### ###### ##### ######## ### ###### ###
##### ######## ## # ##### ########. Le Seigneur nest pas t troubl dans
2412
ces vnements (Jn 10, 31)
parce quassurment, il a lui-mme le pouvoir de
2413
souffrir, ne pouvant faire rien dautre que ce quil veut lui-mme .
Pour Apolinaire, Dieu est expos la Passion, mais il lassume titre de Dieu, cest--dire
par le fait davoir la force volontaire de la subir ( ). Ce
que lhomme commun subit est assum pleinement par la volont et la capacit propre du
2407
2408
Antirrh. 231, 22. Suite du frg. 101, non textuel notre avis.
Frg. 102, Antirrh. 231, 25-232, 4. E. Mhlenberg (op. cit., p. 70) ne se prononce pas sur lexactitude de la citation :
dans la mesure o la fin du trait est expdie, il est difficile de savoir si ces fragments sont textuels ou non. Mais il est
sr que lopposition entre et , qui suscite le dbat, est une reprise textuelle.
2409
: Pourquoi donc la sagesse de lcrivailleur veut-elle attribuer au Sauveur les passions de la nature non par ncessit de
nature mais par conformit la nature ? (Antirrh. 232, 2-4). Pour Grgoire, le sens des deux expressions est le mme :
; ( Est-ce que ce nest pas le
mme sens dans les deux cas ? Celui qui parle de ncessit a montr ce qui arrive selon la logique ) (Antirrh. 231, 32-232, 1). Il est
difficile de garder une cohrence de traduction entre et .
2410
SVF III, frg. 6, p. 4, 14-15, cit daprs Clment dAlexandrie, Strom. V, 95, 1 : la fin de la philosophie, cest vivre en suivant
la nature. Cf. aussi Philon dAlexandrie, , Plant. 49, Les uvres de Philon dAlexandrie, 10, d.
J. Pouilloux, Paris, 1963, p. 46 (vivre en accord avec la nature consiste dcouvrir la vrit de la parole rvle) ; De Migratione
Abrahami, 128, d. P. Wendland, Berlin, 1962, p. 293. Cest aussi la voie de la sagesse prconise dans le Manuel dpictte (d.
J.-J. Barrre et C. Roche, Paris, 2002). La est alors dfinie comme un pour le sage stocien, daprs les analyses
de Fr. Vinel, Selon la nature : les paradoxes dun concept. Lapport de Grgoire de Nysse , thse soutenue lUniversit de
Strasbourg III, en vue de lhabilitation dirige des recherches, soutenue en juillet 2007, non publie, p. 10-13. Ce critique montre
comment la conformit la nature est aussi un principe de la mdecine selon Galien.
2411
Cf. Cl. Alex., Strom. V, 95, 1, SC 278, d. A. Le Boulluec, trad., P. Voulet, Paris, red. 2006, p. 182.
2412
Ces vnements renvoient la menace des juifs, qui veulent lapider Jsus parce quil prtend tre le Fils de Dieu.
2413
Cf. Cat. In. Joh. 10, 28-33, d. Reuss, Johannes-Kommentare, op. cit., frg. n 61, 15 sq., p. 26.
566
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Christ den tre affect. Dans le fragment 103 de lApodeixis, qui se situe lextrme fin de
lAntirrheticus, Apolinaire explicite sa pense :
####, ####, ### ######## ### ######## ## #### #########. Il fallait que ses
2414
affections soient mises en mouvement la ressemblance des hommes.
Pour Apolinaire, parce que le Christ a voulu vivre comme un homme normal, il a prouv
aussi les affections humaines, non comme les hommes, dont la raison est soumise elles,
mais conduit par la raison divine. Cest en ce sens que la divinit souffre la Passion sans
pourtant la subir ni tre atteinte dans son impassibilit divine. Dans ces fragments, cest un
argument dordre thique (libert de choisir dassumer la Passion) qui justifie limpassibilit
divine. Lenjeu est alors dexpliquer comment le Logos tait lacteur rel et personnel
des actes dcisifs pour la Rdemption, la Passion et la mort de Jsus. Par consquent,
dans son Apodeixis, Apolinaire analyse la question de savoir comment on peut concevoir
laccomplissement physique de cet acte. Dans lextrait ci-dessus, il reconnat que le Logos
2415
est sujet des passions humaines
comme il lest des activits divines.
Antirrh. 232, 5-6. On na aucun moyen de savoir si ce fragment est textuel ou sil sagit dune reformulation (cf. E.
Apolinaire ne fait pas la distinction qutablira Basile entre les passions de la chair, celles de la chair anime et celle de lme
qui se sert du corps (cf. Lettres, 261, 2-3, CUF, III, d. Y. Courtonne, op. cit. p. 116-117).
2416
Pour ce point, nous nous aidons du corpus de textes et des analyses prsents par M.-O. Boulnois lors dun sminaire de
e
recherche donn lEPHE, V section, second semestre 2007, sur lutilisation de la comparaison anthropologique en christologie
e
au IV s.
2417
La tradition indirecte tardive cite des extraits dariens postrieurs, tel Lucien dAlexandrie qui fournit un texte trs clair
sur linterprtation christologique dun Dieu fait chair sans me humaine, partir de Jn 1, 14 : ,
; , ,
, ,
( Comment avait-il besoin dune me, pour quun homme complet soit ador avec Dieu ? Pour cela, Jean proclame la vrit : le
Logos est devenu chair, au lieu de : il sest adjoint la chair , non pas lme, comme le disent ceux qui maintenant falsifient la
foi, mais il sest uni au corps et il est devenu un avec lui ) (Doctrina Patrum, IX, 15, d. Fr. Diekamp, Mnster, 1907, p. 65, 15 sq.).
Pour lui, que le Logos soit devenu chair signifie quil est entr en composition avec la chair.
567
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2419
Contre Apolinaire, I, PG 26, 1122 A. Lemploi d en christologie reste une singularit dAthanase lpoque
de son trait Sur lIncarnation (VIII, 3, SC 199, p. 292) et dans le Contra arianos, II, 30, d. K. Metzler, Athanasius Werke,
p. 206, l. 8 etc.). Daprs Ch. Kannengiesser, SC 199, p. 292, n.3, cette terminologie a une parent avec celle dEusbe.
e
part un emploi chez Eustathe, tous les emplois du IV sicle antrieurs au Discours sur lIncarnation et qui visent le
corps du Christ se rencontrent chez Eusbe (Dem. Ev., IV, 10 ; GCS VI, p. 168, 15 ; VII, 1, GCS p. 301, 31 etc.). Tertullien
est le plus explicite sur cette notion du corpus-instrumentum. Lappartenance de celle-ci la koin philosophique,
antrieure Athanase et Apolinaire est bien marque dans les crits de Porphyre (cf. De philosophia ex oraculis, d. G.
Wolff, Hidelsheim, 1962,160, 11-12 ; Commentaire sur le Time de Platon, II, frg. 51, d. A. R. Sodano, Porphyrii in Platonis
Timaeum commentarium fragmenta, Milan, 1964.
2420
Nous avons vu plusieurs reprises les affinits thologiques dApolinaire avec Athanase. Voir le contra arianos III, 31
dAthanase : la divinit habita dans la chair, ce qui quivaut dire qutant Dieu, il eut son propre corps et se servant de lui comme
dinstrument, il devint homme cause de nous. Et en raison de cela, ce qui est propre cette chair est dit de lui puisquil tait en
elle (K. Metzler, Athanasius Werke, p. 342, 11-12 ; trad. de M. Richard, Saint Athanase et la psychologie du Christ selon les
ariens , Opera minora II, art. cit., p. [16]).
2421
2422
2423
2424
568
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t prouves par la nature humaine du Christ en tant quelle tait doue de sensibilit, donc
dun principe psychique. Si lon supprime ce principe de vie psychique pour le remplacer par
la divinit (ce que ne fait pas exactement Apolinaire), on est oblig de conclure que cest
2425
la divinit qui a souffert . Pour les hrsiologues, les ariens font jouer au Verbe le rle
2426
dme et lui attribuent les passions . Cest lerreur des thopaschites laquelle conduit
lapolinarisme (humanit du Christ ampute de lintellect) assimil larianisme (humanit
du Christ ampute de lme) daprs les adversaires.
Pour mesurer le fondement des accusations des Pres contre les ariens, il ne reste
pas de tmoignage direct de la premire gnration dariens. Mais la tradition indirecte,
plus tardive, cite des extraits dariens contemporains dApolinaire. Mme sil y a toujours
un risque de dformation ou de reconstruction hrsiologique postrieure, il nous a sembl
intressant de mentionner lextrait dun arien de lpoque dApolinaire, Eudoxe, vque de
Constantinople (360-369), ami dEunome, cit dans le florilge de la Doctrina Patrum, pour
montrer la proximit avec la pense dApolinaire sur le rapport de Dieu aux en vertu
de lide dune unique nature. Un fragment de son trait sur lincarnation (dat des annes
360) formule explicitement que le Logos souffre dans la Passion :
Nous croyons que le Fils est un seul Seigneur Jsus Christ (), qui sest fait
2427
chair (##########), et non pas homme (### ##############) . Car il na pas
pris sur lui (#########) une me humaine (##### ##########), mais il est devenu
2428
chair (#### #######)
pour que Dieu travers la chair, comme travers un voile
2429
(#############)
entre en contact avec nous : il ny a pas deux natures (###
2425
Mme
raisonnement
sans
me
reproche
il
rfute
formul
lide
par
Grgoire
dEunome
que
:,
de
Nysse
le
contre
Christ
Eunome
assum
dans
une
un
chair
,
, : Ils prcisent que ce nest pas lhomme
tout entier qui a t sauv par lui, mais la moiti de lhomme, je veux dire le corps. Or le but quils poursuivent dans la perversion
de cette doctrine est de montrer que les paroles les plus humbles prononces par le Seigneur en tant quhomme semblent provenir
de la divinit elle-mme (Ref. 172, GNO II, p. 384, 22-27; trad. fr. M. van Parys, Grgoire de Nysse. Rfutation de la profession
de foi dEunome, I, op. cit. p. 384).
2426
piphane de Salamine, dans son Ancoratus, reproche aux partisans de larien Lucien de nier lme du Christ avec les
Avec la formule , il refuse explicitement la confession de foi formule au concile de Nice (il
Cf. Jn 1, 14.
2429
Pour lutilisation de cette image, qui a un fondement biblique (He 10, 20), nous renvoyons aux enqutes de M.-O.
e
Boulnois, prsentes lors dun sminaire de recherches lEPHE, V section (second semestre 2007) sur lutilisation de
e
la comparaison anthropologique en christologie au IV s. Elle cite notamment les textes de Grgoire de Nazianze, Lettre
Cldonius, 101, 50-51, SC 208, p. 58 ; Thodoret de Cyr, De Inc., 18, PG 75, 1448 C, qui attribue cette ide Apolinaire,
et Gr. Naz., Discours 39, 13 (Sur les lumires), SC 358, p. 176. Cf. aussi partie III, chapitre 3 sur lexgse de Ph 2, 6-11,
propos de limage du revtement, un peu diffrente, utilise plusieurs fois par Apolinaire, p. 391 sq.
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######), puisquil ntait pas homme parfait (####### ########), mais il tait Dieu
la place de lme dans la chair (#### ##### #### ## ## #####), une seule nature
complte par composition (## ###### #### ######## #####). Il tait passible en
vue de lconomie (####### ### #########), parce quil naurait pas pu sauver
le monde si ctait seulement lme ou le corps qui souffrait (##### # ######
########). Quils nous rpondent donc comment celui qui est passible et mortel
(####### ### ######) peut tre consubstantiel au Dieu meilleur que cela, qui est
2430
au-del de la souffrance et de la mort .
Comme chez Apolinaire, Eudoxe comprend la chair dont parle Jean au sens de corps :
il considre le compos humano-divin comme formant une seule nature (
2431
)
dans la mesure o le Logos ne se surajoute pas une humanit
2432
complte ( ) , mais prend la place de lme. Les consquences dun tel
schma christologique sont intressantes. En effet, la diffrence dApolinaire, le caractre
passible du Logos dcoule de la conception de lunion de lhumain et du divin, o le Logos
prend la place de lme. Cest toujours limpratif sotriologique qui commande un tel
schma christologique. Le Verbe doit lui-mme souffrir et mourir et sa divinit doit tre
passive pour que lhumanit puisse tre rachete. Mais la passibilit du Logos chez Eudoxe
lui sert prouver linfriorit du Christ par rapport au Pre : il ne peut tre consubstantiel
Dieu qui est impassible et immortel par essence.
Au contraire, Apolinaire revendique la pleine divinit du Fils, son immutabilit divine
2433
pendant lIncarnation et sa consubstantialit avec le Pre . Par consquent, le rapport
de la divinit aux passions est ncessairement diffrent de celui des ariens, tel Eudoxe.
Cest la raison pour laquelle les textes de la doctrine arienne examins ci-dessus montrent
la proximit entre Apolinaire et les ariens au niveau de largumentation christologique,
mais les conclusions doctrinales diffrent. Le point commun des deux doctrines tient au
fait que lhumanit du Christ est amoindrie et que lunion est pense partir du modle
anthropologique dune unique nature par composition.
Ces deux points doctrinaux mettent en cause, aux yeux des Pres, limpassibilit
divine et suscitent lassimilation des deux doctrines. Mais, finalement, la mise en regard
des fragments dApolinaire avec ceux des ariens montre que seuls ces derniers formulent
explicitement que Dieu est atteint par la Passion. Le fragment 95 de lApodeixis tel quil est
cit par Grgoire dtone par rapport lensemble des extraits doctrinaux dApolinaire sur
cette question et pour cela demeure problmatique. Toutefois, dans les extraits analyss
dApolinaire, le langage thologique est apparu parfois ambigu, ce qui pourrait expliquer
laccusation des Pres et de Grgoire de Nysse dans lAntirrheticus, moins que ne soit
perdu le passage de lApodeixis o Apolinaire formulait clairement et dveloppait ce pour
quoi la divinit est mortelle.
Par consquent, daprs ce que rvlent les textes sur le sujet, lhypothse la plus
plausible consiste penser que les thologiens, en attaquant Apolinaire, prviennent une
consquence logique qui dcoule de sa conception de lunion hypostatique du Christ, plus
quils ne rfutent une thorie existante.
2430
2431
2432
Doctrina Patrum, IX, 14, op. cit., p. 64, 21-65, 12, trad. pers.
Chez Apolinaire, cf. frg. 123, Lietz. p. 237. Mais la christologie qui en dcoule est assez diffrente.
Cf. le dbat en Antirrh. 199, 18-20 sq. (frg. 81).
2433
Cf. Kata meros pistis , 2, Lietz., p. 168. Bien dautres exemples pourraient tre donns parmi les fragments doctrinaux,
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au sein dune union avec un lment passible nest pas prcis. En revanche, aprs lui, Cyrille, dans une lettre aux apocrisiaires,
datant de 429, dveloppe ce point : car lorsque son corps a souffert, [le Verbe] est dit avoir souffert lui-mme, car lme de lhomme
elle aussi, bien quelle ne souffre rien dans sa propre nature, est dite souffrir lorsque son corps a soufffert (Ep. ad. Apocrisiarios 2,
ACO, I, 1, 1, d. E. Schwartz, Berlin, Leipzig, 1927, p. 110, l. 27-29 ; cf. B. Meunier, Le Christ de Cyrille dAlexandrie, p. 244, n. 16).
Ce dernier note que la source la plus immdiate de Cyrille, dobdience platonicienne, est Nmsius dEmse, De natura hominis,
III, 141-144, d. M. Morani, p. 43, 9-44, 21.
2436
Pour ne citer quun exemple, Basile qui distingue les passions de la chair et celles de lme dans une Lettre aux
habitants de Sozopolis, 261, d. et trad. Y. Courtonne, CUF,III, p. 117-118 : Dire que les affections de lhomme passent dans
la divinit elle-mme est le fait de gens qui ne conservent rien de la suite logique des ides, et qui ne savent pas quautre
chose sont les affections de la chair, autre chose celles de la chair anime, autre chose enfin celles dune me qui dispose dun
corps (
2437
La tradition philosophique nest pas unanime sur ce point. La plupart des auteurs saccordent pour dire que les passions
ne touchent que ce qui est corporel. Mais, pour ce qui est de lme, si elle est atteinte par certaines passions, faut-il en conclure
quelle est corporelle elle aussi, ou si non, comment prserve-t-on son incorporalit en soutenant une forme de passibilit ? Ainsi le
stocien Clanthe prouve-t-il que lme est un corps, car elle est passible : ,
( Rien de ce qui est incorporel ne souffre avec le corps ni non plus le corps avec ce qui est incorporel, mais
le corps avec le corps ), or lme compatit avec le corps, donc lme est un corps (SVF, I, p. 117, 11 ; cit par Nmsius dmse, De
nat. hom., II, 76-77, d. Morani, p 20, 12-14 ; cf. aussi lanalyse de ce frg. par M.-O. Boulnois, Lunion de lme et du corps comme
modle christologique , art. cit., p. 458). Au contraire, la tradition platonicienne conoit lhomme comme une me, incorporelle, qui
se sert ou sest revtue dun corps. Lorganisme corporel ne lui est pas simplement juxtapos, lme et le corps ne sont pas non
plus mlangs en vue de constituer une substance intermdiaire, mais lorganisme corporel est entirement au service de lme et
na gure de consistance propre. Dans une telle conception de lunion de lme et du corps, lme prsente une certaine empathie
avec le corps. Do la rflexion sur le rapport de lme aux passions. Cf. Nmsius dEmse, De nat. Hom., III, 129, d. M. Morani,
p. 39, 12-16 (trad. Burgundio de Pise, coll. Corpus latinum commentariorum in aristotelem graecorum, suppl. 1, d. G. Verbeke ; J. R.
Moncho, Leiden, 1975, p. 51, 32-34) ; Platon, Phdre, 246 b ; Time, 30 b ; Phdon 79 c ; Plotin, Ennades I, 1, 9.
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Lenjeu nest pas ici de dresser un tableau des diffrentes interprtations philosophiques
sur ce point, qui emmnerait bien au-del des limites imparties notre sujet, mais de montrer
par rapport quel principe philosophique au niveau anthropologique les thologiens,
notamment Apolinaire et Grgoire, construisent leur christologie. Le point qui dpartage les
thologiens est la question de la sympatheia de lme avec le corps, qui est en elle-mme
un objet de la rflexion philosophique contemporaine des dbats christologiques.
e
Les noplatoniciens du III sicle semblent hsiter entre lattribution et le refus de la
passibilit aux incorporels, dont fait partie lme, comme en tmoigne la Sentence 18 de
Porphyre :
#### ## ####### ### ######, #### ### ####### ### ## ### ###### ###
##### ## #######, ### ## ##### ## ########## ### ## #### #########, #####
######## ######### ### ###### ######. ### ##### ## ####### ###### ###
#####, ########### ##### ######## ## ## ### #### ########## ### ######
########## ## ## ####, ## ##### ########### ### ###### #### ## #####,
## ####### ######### ######. Autre est le ptir des corps, autre celui des
incorporels ; car dans les corps, le ptir saccompagne de changement, alors
que dans lme les attachements et les passions sont des activits sans nulle
ressemblance avec les chauffements et les refroidissements des corps.
Cest pourquoi, sil est vrai que le ptir saccompagne dans tous les cas de
changement, il faut dclarer impassibles tous les incorporels : ceux qui sont
spars de la matire et des corps sont, cest bien connu, identiques des
activits ; mais ceux qui sont proches de la matire et des corps, sils sont euxmmes impassibles, nanmoins les substrats dans lesquels on les considre
2438
ptissent .
Au dbut de cette Sentence, Porphyre semble attribuer aux incorporels un ,
condition quil diffre de celui des corps, puis se ravise en affirmant que tous les incorporels
sont impassibles ( ), en raison du principe de solidarit
du ptir ( ) et du changement ( ). M.-O. Goulet-Caz, dans son
2439
commentaire de cette Sentence, renvoie un passage porphyrien transmis par Stobe
dans lequel Porphyre fait tat chez Pythagore et Platon dune conception de lme qui
ne serait pas impassible, ce qui prouve que, par moment, Porphyre accepterait lide de
2440
passions de lme .
Son matre Plotin soutient, pour sa part, que lme est sujette aux passions lme dans
2441
la mesure o elle compatit avec le corps
mais, dans lEnnade V, 4, 18, 8-25, il montre
que les passions (douleur-plaisirs du corps) nappartiennent pas lme seule, ni au corps
seul, mais leur compos ( ) et, dans lEnnade I, 1, 6, il
rappelle que cest le vivant qui ptit mais que ses passions laissent impassible la cause de
sa vie, cest--dire son me :
2438
2439
2440
Unplotinisches in den des Porphyrios , Plotino e il Neoplatonismo in Oriente e in Occidente, Roma, 1974, p. 228.
2441
1963, p. 180.
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## #########, ######### ### #### ### ###### ### ### ## ########## ######
###### ##### ##### ##### ### ##### ### ### ######### ########## #####. ####
## #####, ### ## ### #### ## ### #####, #### ### ########### ###### ## ## ###
########### ### ## ### ##### ##### () ## ########### ## ############
Sil en est ainsi, lorsque ltre vivant ptit, ncessairement le principe de la
2442
vie
qui se donne au compos nest pas lui-mme affect par des passions ou
par des actes qui nappartiennent qu ltre qui possde la vie. Mais sil en est
ainsi, le fait de vivre lui-mme ne sera-t-il pas le propre non pas de lme mais du
compos [humain] ? Ou bien la vie du compos ne sera pas celle de lme ().
2443
Quest ce qui sent ? Le compos .
Dans cet extrait, Plotin veut dmontrer que cest le compos humain ( ),
cest--dire le corps et lme, qui est sujet aux affections, et non pas le principe de vie, cest-dire lme pour elle-mme. Cette distinction permet Plotin de prserver limpassibilit
de lme.
Ces quelques passages montrent comment dans la tradition philosophique, lexplication
de limpassibilit de lme admet des fluctuations dues au fait que les auteurs cherchent
prserver limpassibilit de lme tout en reconnaissant quelle ne peut pas ne pas compatir
avec le corps sous une certaine forme. Cette rflexion, applique la christologie,
propos de lunion de Dieu et de lhomme, devient encore plus complexe. Les diffrentes
positions philosophiques permettent de comprendre les applications varies possibles en
christologie. Pour certains thologiens, comme Eudoxe, le fait que le Logos se substitue
lme implique quil devient passible, mortel, et quil nest donc pas consubstantiel Dieu.
Pour les autres, tels Apolinaire et Grgoire, limpassibilit de lme, qui appartient lhritage
platonicien, sert expliciter limpassibilit de Dieu uni lhomme. Par exemple, Eusbe
dEmse (300-359), disciple dEusbe de Csare, dclare dans un discours intitul De
incorporali et invisibili Deo (Discours XX, 2) : Anima immortalis est, et passiones corporis
non veniunt ad eam. ( Lme est immortelle et les passions du corps ne peuvent venir
elle ). Puis expliquant Mt 10, 28 ( Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, lme, ils
ne peuvent la tuer ), il poursuit :
2442
Cest--dire lme (cf. commentaire de J. Ppin sur la Sentence 18 de Porphyre, dans Sentences, t. 2,d. J. Ppin, L.
Ennade, 1, 1, 6, d. et trad. dE. Brhier revue, CUF, Paris, 1924, p. 42-43. Dans le 7, Plotin explique comment le
compos nexiste pas par le fait que lme se donne un des termes du compos humain, mais du corps vivant et dune
sorte dillumination quelle lui donne, elle produit un terme nouveau qui est la nature de lanimal (
) , ibid. p. 47, trad. E. Brhier.
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a honor les mes dune nature incorporelle, lui-mme tant bien plus incorporel
2444
et non pas incorporel comme le sont les mes ? .
Il sagit dun raisonnement a fortiori : si lme nest pas touche par les passions du corps
quand elle est unie au corps, plus forte raison, celui qui a cr lme ne peut souffrir. Le
principe que lme ne peut tre touche par les passions parce quelle est incorporelle sert
ainsi expliquer limpassibilit du Logos.
Mais plus que par un simple a fortiori, Nmsius dEmse, un thologien proche de
Grgoire, prsente une analyse qui dpasse la pense no-platonicienne pour rendre
compte du rapport de la divinit du Christ la Passion. Dans son De natura hominis (400), il
montre la diffrence entre la sympatheia entre lme et le corps et celle qui concerne lunion
du divin et de lhumain :
###### ## ###, ### ############ ####, ##### ### ######### ### ###
########## ## ##### ### ####### ####### ### ##########, # ## #### #####
##### ##### ### ### ######### ### #### ## ### ### ### ##### ###########
#### ###### ### ####### #########, ######### ## ###### ### ######
######## ####### ### ###### ##, #### ##, #### ## ### ### ### #######.
[Lme] en effet, qui compte parmi ce qui se multiplie, semble aussi compatir
en quelque manire cause de son appropriation du corps, et le retenir autant
quelle est aussi retenue, Mais le Dieu Logos nest en rien altr lui-mme en
raison de sa communion avec le corps et lme, ni na part la faiblesse de ceuxl, mais leur transmettant sa propre divinit, quand il est un avec eux, demeurant
2445
un, ce quil tait aussi avant lunion .
Dans cette argumentation, la sympatheia de lme et du corps sert danalogie pour
tenter dexpliquer lunion hypostatique formule non plus en termes de sympatheia mais
de communion () ou dunion (). Juste avant ce passage, Nmsius
dEmse a fait appel au tmoignage de Porphyre (Sentence 31) pour expliquer comment
une substance peut tre assume pour complter une autre substance et faire partie
de celle-ci, tout en gardant sa propre nature ; elle peut mme rester inchange, tout en
transformant par sa prsence cette autre substance en vue de lassocier son activit.
Porphyre parle ainsi de lme et du corps, mais Nmsius estime que cette remarque
sapplique a fortiori lunion hypostatique, o les passions ne viennent pas altrer la
nature divine ( ), mais elle rpand sa substance sur
lensemble du compos ( ) par son union lui
( ). A la sympatheia que Nmsius voque propos de lme et du corps, il
substitue la notion de transfert des proprits divines sur le compos humain dans le Christ.
Cest la mme conception de laction de la divinit dans le compos humain qui prside
au raisonnement christologique dApolinaire, au 2 du Kata meros pistis
2444
2446
, et celui
Discours conservs en latin, II, Discours 18 29, coll. de Sirmond, d. E. M. Buytaert, Louvain, 1957, p. 79, trad. pers.
Version grecque, lgrement diffrente, transmise par le florilge (dat de 447) de Thodoret de Cyr, lEranists, III, 74, d.
G. H. Ettlinger, p. 249.
2445
, ,
(Kata meros pistis , 2, Lietz. p. 168 ; traduction cf. supra, p. 731.
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de Grgoire, dans des formes diffrentes comme les rfutations de la mortalit de la divinit,
dans lAntirrheticus, le montreront.
D. Conclusion
En conclusion de ces analyses visant comprendre pourquoi Grgoire reprochait
Apolinaire de dvelopper une christologie thopaschiste, il est apparu que le grief tait d
une assimilation hrsiologique de lapolinarisme larianisme et plus gnralement, faisait
clater la question du rapport de la divinit du Christ la souffrance, en particulier la
Passion. La difficult du langage thologique sur ce point est lie la faon dont les auteurs
considrent au niveau du compos anthropologique que lme est atteinte par les passions.
Les adversaires dApolinaire, en lattaquant, partent du principe que si le Christ a
assum une humanit incomplte et que Dieu sest substitu llment hgmonique dans
le compos humain du Christ, la divinit a ncessairement subi la Passion et la mort. Le
compos humano-divin est donc conu partir du modle anthropologique o lme, si elle
est unie au corps, est affecte par les passions elle aussi, comme Nmsius le formule
clairement : ,
( la compassion [de lme avec le corps] montre quelle lui est unie. En
2447
effet, ltre vivant compatit tout entier avec [le corps], comme un seul tre ) .
Quant lorigine du grief adress Apolinaire, il est possible que les Pres sen
prennent plutt une consquence logique de la thorie de lunique nature qui, selon
eux, gomme lautonomie et limpassibilit de la nature divine. LApodeixis se prte alors
pour eux une critique svre de cette conception de lunique natureexplicite sur le
plan mtaphysique, o le Logos prend la place de la facult intellective en lhomme (
). Pour Apolinaire, puisque lesprit divin et incorruptible est le principe actif de
lhumanit assum, il a une manire divine de subir la Passion, qui se caractrise par la
libert et la capacit assumer la souffrance (frg. 102-103).
Cf. Nmsius dEmse, De nat. hom., III, 131, d. M. Morani, p. 40, 11-12.
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er
Si en effet la divinit du Monogne ellemme est morte, sont bel et bien mortes
avec elle la Vie, la Vrit, la Justice, la
Bont, la Lumire et la Puissance. En
effet, cest tout cela quest et quon dit
tre le Dieu Monogne selon diffrentes
2450
apprhensions . tant simple, sans
partie, sans composition, ce quil est dit
tre, il lest intgralement, non que ceci
soit dans une partie, cela dans une autre,
de sorte que si un lment existe, il faut
concevoir tous les autres en lui, mais si
un seul nexiste pas, tous les autres sont
2451
supprims en mme temps . Si donc le
divin a t supprim par la mort, tout ce qui
est considr avec la divinit elle-mme a
t supprim ensemble en mme temps
dans la mort. Cependant, le Christ nest pas
simplement puissance, mais Puissance de
Dieu et Sagesse de Dieu (1 Co 1, 24).
Lorsque donc ces attributs ont t anantis
avec la divinit du Fils par la mort, il ny
avait plus auprs du Pre Sagesse de
Dieu , ni Puissance (cf. 1 Co 1, 24),
ni Vie, ni rien dautre de ce qui est nomm
en vue du meilleur. En effet, on croit que
tous ces attributs sont propres Dieu et
tout ce qui est au Pre est dans le [Fils] :
ils existent si le Fils existe, mais sil nexiste
pas, ils nexistent absolument pas parce
que lon confesse que tout ce qui est propre
au Pre est en lui (cf. Jn 17, 10). Si donc la
2452
puissance est teinte
par la mort, dans
la mesure o le Christ est Puissance de
Dieu (1 Co 1, 24), quelle puissance a t
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,
;
, ,
,
.
, ,
.
.
.
.
(
), ,
,
Largumentation de Grgoire est mene en rapport avec la thologie trinitaire selon les
axes quil a abondamment dvelopps dans sa polmique contre Eunome et dans ses petits
traits trinitaires :
578
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met en vidence lcart trs net avec lapproche de Grgoire qui, lui, attribue la passibilit
lhumanit du Verbe et limpassibilit la divinit du Christ dans la Passion.
Le raisonnement de Grgoire est fond sur un argumentaire trinitaire, partir des
proprits communes du Pre et du Fils. Largument en lui-mme, qui repose sur 1 Co 1, 24
et Jn 17, 10, est dj utilis par Grgoire dans la polmique contre Eunome pour prouver
la coternit du Fils avec le Pre :
Cf. Jn 1, 18.
2462
W. Jger : hiat oratio. Cf. note de M. Cassin ad loc, dans sa traduction du Contre Eunome III, thse en prparation, La
Cf. Athanase, Contra Arianos, I, 5, d. K. Metzler, Athanasius Werke, I, 1, Berlin, 1998, p. 114, l. 14. M. Cassin
renvoie ici ltude de K. Metzler, Ein Beitrag zur Rekonstruktion der Thalia des Arius (mit einer Neuedition wichtiger
Bezeugungen bei Athanasius , dans K. Metzler, Fr. Simon, Ariana et Athanasiana, Studien zur berlieferung und zu
philologischen Problemen der Werke des Athanasius von Alexandrien, Opladen, 1991, p. 11-45.
2464
Eun. III, 1, 80, GNO II, p. 32, 1-17, trad. fr. M. Cassin.
2465
Antirrh. 138, 5.
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me
me
2. 2
et 3
extraits : les consquences dune union hypostatique qui
oublie la distinction des deux natures
Grgoire rfute encore lide que la divinit meurt au moment de la Passion dans un dbat
o il formule les consquences logiques de la consubstantialit de la chair avec le Logos,
2466
quApolinaire devait raffirmer la suite du fragment 47 . Largumentation quil propose
est intressante, une fois resitue dans son contexte.
2467
Pour Grgoire, si la chair est consubstantielle au Logos , alors toutes les proprits
de la chair se reportent sur la divinit. Dun point de vue logique cela revient confondre
ce qui relve de lhumanit et de la divinit du Christ. Grgoire pousse alors labsurde les
consquences dune telle christologie en voquant une longue numration de dits et de
faits qui relvent de la vie humaine du Christ et en demandant son adversaire si tout ce
qui touche lhumanit du Christ doit tre pens comme antrieur au temps de lIncarnation
2468
en raison de sa consubstantialit de la chair .
La question de la Passion et de la mort du Christ est le dernier point abord de cette
longue numration : elle est le lieu de lconomie par excellence, qui, aux yeux de Grgoire,
fait clater lincohrence de la pense de ladversaire, sil soutient lunicit de nature dans
le Christ :
,
, ,
; ,
,
,
,
;
,
,
2466
Il sagit du dbut du troisime mouvement de lAntirrheticus. Juste aprs la mention du frg. 47, Grgoire dclare dans un
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.
,
.
2469
Ces deux versets font partie du dossier de la controverse arienne, cf. Athanase, Contra arianos, III, 26, 34, 57 ; Athanasius
Werke, I, 1, 3, d. K. Metzler, p. 336, 345, 368-369. Les ariens se servaient de ces deux versets de Matthieu pour prouver que le
Christ ntait pas gal au Pre, mais quil lui tait infrieur. Cest contre eux quAthanase dveloppe de nombreuses reprises une
argumentation qui repose sur la distinction entre ce qui affecte lhumanit du Christ et ce qui touche sa divinit. Il met ainsi au compte
de la chair du Christ les paroles de Mt 26, 39 et Mt 27, 46 afin de prserver limpassibilit du Verbe : cest titre dhomme que le
Christ a t troubl et a pleur. Daprs nos enqutes, ces versets sont trs peu cits et tudis par Grgoire : leur utilisation dans la
controverse anti-apolinarienne font partie des rares emplois. On se trouve donc srement l en prsence dun matriau scripturaire
propre Apolinaire, dans le sillon dAthanase.
2475
Cf. frg. 63 b, Antirrh. 180, 8-12. Grgoire lintroduit comme une citation textuelle.
581
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des deux natures dans le Christ, qui permet l encore dexpliquer limpassibilit divine dans
les vnements de la Passion.
Il commente ainsi la phrase du Christ en Matthieu avant la Passion non pas ma volont
mais la tienne en montrant quelle concerne lhumanit du Christ et non pas sa divinit.
Pour prouver quelle nest pas une parole qui a trait la divinit du Christ, Grgoire sadonne
un raisonnement purement logique par lequel il enferme son adversaire dans une aporie :
2476
Dieu ne peut pas dire quil veut que ce quil veut ne saccomplisse jamais . Puis il conclut
ainsi :
2476
2477
2478
2479
: terme technique pour dsigner le sens des critures. Cf. Gr. Nys., Cant. , GNO VI, p. 4, 1 ; p. 6, l.19.
2480
582
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2481
Il est possible que le fragment ne soit pas une citation textuelle dApolinaire, mais quelle soit retravaille par Maxime ou par la
source quil cite, car nous navons pas vu ailleurs la distinction entre et . En revanche, Cyrille fait cette distinction
(cf. ACO, 1, 1, 5, d. Schwartz, Leipzig, 1927, p. 108, l. 15) etc.
2482
Cf. Gr. Nyss., De deit. , GNO X, 2, 127, 20-128,7 ;Gr. Naz, Discours thologiques, 29, 19, SC 250, p. 218 ; Ath. Contra
Arianos, III, 41, d. K. Metzler, Athanasius Werke, p. 352, 5-9 ; III, 43, op. cit., p. 354, 23 sq ; III, 56, op. cit., p. 367, 7-8.
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2483
dune christologie construite sur le modle anthropologique , pour Grgoire partir dun
procd mthodologique qui consiste distinguer dans lanalyse des faits de lincarnation ce
qui est mettre sur le compte de chaque nature, bien que le mot ne soit pas toujours
employ. Cette dmarche nest pourtant pas systmatique, elle dpend des contextes
argumentatifs. En tmoigne le fait que Grgoire, dans son exgse de Ph 2, 10, insiste
bien sur le fait quaprs lexaltation, lhumanit dsigne aussi la divinit puisque les deux
sont indissolublement lis, que la divinit est indicible et que les proprits de lune sont
interchangeables avec lautre. Cest aussi le sens de lexplication de limage de la goutte
de vinaigre mle leau de mer. Dans dautres contextes argumentatifs, le Cappadocien
insiste donc au contraire sur lunion entre la divinit et lhumanit en Christ.
Le Logos souffre la Passion dans la mesure o lme compatit avec le corps. Il dmontre ainsi linterchangeabilit des
noms et des attributs qui relvent de lhumain et du divin en raison de cette unit de nature. Cf. dans un texte antrieur lApodeixis,
le De unione , 8, Lietz., p. 188 ; 17, p. 192.
2484
Il est difficile de savoir si ce fragment est une citation textuelle, ou sil est reformul par Grgoire. Nanmoins, le sens de la
Sur
ce
point
exgtique,
il
se
situe
dans
le
sillon
dAthanase
qui
commente
Jn
10,
18
dans
Plus prcisment, il rfute deux ides partir du frg. 61 : il dmontre dabord que par le terme dme dont parle Jean (Jn 10,
18), il faut entendre lme humaine raisonnable, parce que cest le qui a le pouvoir dagir () (Antirrh. 177, 16-17).
Ensuite, il prouve que la divinit du Christ ne peut pas tre mortelle.
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La fin de lAntirrheticus porte sur la nature de la chair humaine aprs la rsurrection (Antirrh. 228, 18). Lhorizon est nettement
sotriologique (comment le Christ a-t-il assum la Passion-rsurrection pour sauver lhumanit ?) et eschatologique (que devient le
compos humano-divin aprs la rsurrection ?).
2489
Cest ce que reproche Apolinaire ses adversaires qui revendiquent la compltude des deux natures divine et humaine dans
586
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fond qui rgit tout le dbat sur la faon dont la divinit assume la Passion, la fin du trait.
Grgoire en vient alors citer ainsi son adversaire (frg. 93) :
######## ##, ####, ####### ## ######## ### #######. La mort dun homme ne
2491
dtruit pas la mort .
Dans ce fragment, Apolinaire insiste sur le fait que le Christ sauve lhumanit en tant
homme sans pourtant tre atteint par le pch. En mme temps, il formule deux impratifs
sotriologiques : dune part, un homme en tant quhomme est ncessairement soumis la
mort et par consquent ne peut la surmonter, dautre part, la mort ne peut tre surmonte
2492
que si elle est dtruite en tant que mort . Le problme thologique que veut rsoudre
Apolinaire est en effet le fait que la mort ne peut tre radique que si elle est traverse
par un tre qui lassume pleinement, comme homme, mais dont la nature a le pouvoir de
la supprimer. En ce sens, la nature humaine du Verbe incarn ne peut tre la mme que
celle de lhomme commun. Telle est la raison pour laquelle Apolinaire conoit une nature
humaine du Christ qui nest qu la ressemblance du reste des hommes. Le Logos doit
passer par la mort, titre dhomme, pour sauver lhumanit du joug de la mort, mais selon
une constitution humaine qui lui est propre. Il caractrise cette constitution spciale du
Christ par lexpression du o Dieu, infaillible, sest substitu llment
2493
hgmonique en lhomme qui est faillible par nature , ce quil redit encore dans la suite
2494
du frg. 93
. Par consquent, en analysant le cas de la Passion, il doit montrer comment
la divinit qui est inscrite dans lontologie mme de lhomme assum par le Christ, titre de
2495
, ragit par rapport la souffrance et la mort .
Grgoire ragit avec indignation la citation de son adversaire : La mort dun homme
ne dtruit pas la mort . Si un homme ne peut pas dtruire la mort, faudrait-il que ce soit
Dieu lui-mme qui meure pour la dtruire ? Telle est la faon dont il comprend la remarque
dApolinaire, sans que le lecteur ait le moyen de connatre la conclusion thologique du
2490
Antirrh. 218, 4-8. E. Mhlenberg considre ce fragment comme authentique (op. cit. p. 70), ce que viendrait
corroborer le commentaire de Grgoire qui approuve cette premire partie de raisonnement (Antirrh. 218, 8-13).
2491
Antirrh. 218, 13-14. Grgoire cite le dbut du frg. 95, quil expose plus amplement aprs (Antirrh. 219, 1-6) : on peut
penser quil sagit dune citation textuelle, puisque Grgoire lexpose deux fois.
2492
Cf. E. Mhlenberg, Apollinaris von Laodicea, op. cit., p. 206. Les mmes impratifs thologiques sont formuls par Athanase,
De inc., 9, 1, SC 199, p. 294. Il est bien prcis que la divinit du Fils ne meurt pas : Le Verbe comprenait, en effet, que la
corruption () des hommes ne pouvait pas tre limine autrement, sinon par le seul fait de mourir. Or il tait impossible que
mourt () le Verbe, qui est immortel () et Fils du Pre. Aussi il prend pour soi un corps capable de mourir (
), afin que, participant au Verbe qui est au-dessus de tout, ce corps devienne apte
mourir pour tous, demeure incorruptible grce au Verbe log en lui et fasse dsormais cesser la corruption en tous par la grce de
la rsurrection (trad. Ch. Kannengiesser, SC 199, p. 295).
2493
2494
2495
Cf. frg. 76, Antirrh. 195, 16-20 : fragment que Grgoire dclare citer textuellement (Antirrh. 195, 15-16).
Cf. frg. 97, Antirrh. 227, 10-12.
Cest lobjet des fragments 101-104 de lApodeixis.
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2496
Il devait vouloir dire que le Christ, pour sauver lhumanit, ne devait pas tre un simple homme, mais un homme exempt
de pch.
2500
: la mort est ceci prcisment : le dtachement et la sparation de lme davec le corps (trad. pers.).
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Cf. partie II, chapitre 2 sur le dynamisme argumentatif de lcriture, p. 251 sq.
The Human Nature in Gregory of Nyssa, p. 223.
Contre Apolinaire II, 14, PG 26, 1156 C : , ,
, ,
: Le cri pouss (cf. Mt 27, 50), la signification de lme (Lc 23, 46) ne montrent pas le dpart de la divinit, mais
signifient la mort du corps, la divinit na pas non plus abandonn le corps dans le tombeau, ni ne sest spare de lme dans lHads .
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,
Lazare ou quelque autre de ceux qui sont
revenus la vie grce une puissance
.
extrieure qu'il est correct de penser aussi
la rsurrection du Seigneur (cf. Jn 11, 43).
Mais le Dieu Monogne ressuscite lui-mme
l'homme auquel il s'est mlang, aprs avoir
spar l'me du corps et les avoir unis de
nouveau, ainsi advient le salut commun
de la nature. C'est pourquoi il est nomm
conducteur de la vie (Ac 3, 15). En effet
, ,
par celui qui est mort pour nous et qui a
ressuscit, le Dieu Monogne a rconcili
le monde avec lui, nous ayant rachets,
.
tels des captifs, par la parent de son sang
, avec nous, nous associant tous lui par sa
chair et par son sang : par consquent, la
, parole de l'Aptre concerne ce point, elle qui
.
dit que nous avons la rdemption par son
sang, la rmission des pchs par sa chair
2509
(Ep 1, 7) .
Largumentation ci-dessus formule des lments nouveaux par rapport aux autres
extraits analyss prcdemment : la mort du Christ, explique comme sparation de lme
et du corps, est traite ici en dyptique avec la rsurrection, expose comme runification du
compos humain. En outre, le schma anthropologique qui sert de soubassement toute
largumentation est dichotomite, en rponse la trichotomie dApolinaire. Grgoire vise
expliquer ici au niveau de la humaine comment la divinit peut demeurer vivante dans
2510
toutes les parties de lhumanit du Christ pendant la mort et provoquer la rsurrection .
Pour ce faire, la dmonstration procde en deux temps. Premirement, la mort est
dfinie comme tant la sparation de lme et du corps (
). Lenjeu pour Grgoire est alors de prouver par
des arguments scripturaires que la divinit du Christ ne se spare ni de lme, ni du corps
2510
Grgoire semble reprendre ici un schma argumentatif dj dvelopp dans une uvre antrieure lAntirrheticus,
le Dialogue sur lme et la rsurrection (selon G. May, ce dialogue date au plus tard de 380, terminus post quem,
Die Chronologie des Lebens und der Werke , art. cit., p. 57). Grgoire y expliquait que lme chappe la
dissolution dans la mort en raison de sa simplicit. Il dmontrait alors que lme tait rpandue et unie chaque
lment du compos humain dans la mort :, , ,
, ,
,
591
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dans la mort. Secondement, la mort est dfinie comme tant la dissolution de ce qui est
compos ( ). Puisque la divinit est par nature simple et non
compose ( ), non seulement elle ne peut pas tre dissoute, mais
puisquelle demeure dans chaque partie du compos humain, dissolu dans la mort, elle
possde la capacit de runifier ce qui a t dissolu dans la mort (
). Grgoire confirme son raisonnement en
comparant la rsurrection du Christ celle de Lazare (Jn 11, 43). Ce dernier revient la
vie sous leffet dune puissance extrieure ; la divinit dans le Christ est la puissance mme
qui redonne vie. Luvre rdemptrice est ainsi opre, comme Grgoire le formule in fine,
en reprenant Eph 1, 7.
propos de ltat du Christ dans la mort , RSPT, 46, 1962, p. 629-649 ; 47, 1963, p. 161-180. Cf. aussi les analyses plus
rcentes, mais de R. Winling, La rsurrection du Christ dans lAntirrheticus adversus Apollinarem , REAug., 35/1, 1989, p. 39-42.
2512
2513
Ltat du Christ dans la mort daprs Grgoire de Nysse , Historisches Jarhbuch, 77, 1958, p. 63-72.
J. Danilou, art. cit., p. 71 : dans le Contre Apolinaire I, PG 26, 1117 C : au moment de la mort du Christ, la divinit reste
Cf. Trid. Spat . , GNO IX, p. 291, 11-12 : Pour moi, je connais aussi une autre interprtation, dont jai eu connaissance. Si
vous voulez, je vous lexposerai brivement (trad. J. Danilou, Ltre et le temps, p. 176). Cf. J. Lebourlier, art. cit., RSPT 46, p. 648.
2515
592
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2516
### ##### ######### ## ###, ### ##### ####### # #####, #### ### #####
######### ####### #### ## ## ###, #### ## ### #####, #### ## ###### ####
### ### ###### ### ###### ## ######### ############. Et ainsi prit le corps,
ainsi sopra la dissolution, mais Dieu le Verbe garda sans changement sa
relation au corps, sa relation lme, sa relation lui-mme tel quil est dans le
2518
sein du Pre, prsentant son immutabilit.
Cest, comme chez Grgoire, limpratif sotriologique qui commande cette explication :
pour accomplir son uvre salvifique, le Verbe a d rester uni son corps aussi bien qu
son me.
2519
De ces deux traits, dont J. Lebourlier prouve quils sont de deux auteurs diffrents ,
il ressort que lindissoluble union du corps du Christ au Verbe est formule dans un contexte
anti-apolinariste mais que cet argument nest pas propre Grgoire. Toutefois, la faon dont
il est formul par ce dernier dans lAntirrheticus, dans lhomlie De Tridui Spatio et dans
la Lettre 3 montre une divergence fondamentale entre lutilisation de Grgoire et celle du
Pseudo-Athanase. Tandis que dans les deux traits du Pseudo-Athanase, le mystre de la
2520
descente aux enfers commande leur perspective , il est totalement nglig par Grgoire
et supplant par une autre dynamique, qui ressort de la parole au larron sur le Paradis.
En effet, le rapprochement des passages du Nyssen qui expliquent la permanence
de la divinit dans la mort du Christ, malgr sa bilocation, avec ceux des traits contre
Apolinaire du Pseudo-Athanase met en vidence un trait propre largumentation de
2516
2517
2518
Contre Apolinaire II, 17, PG 26, 1161 B, trad. revue de J. Lebourlier, propos de ltat du Christ dans la mort ,
Cf. art. cit., RSPT 46, p. 642-643. Rfutant les hypothses de F. Loofs, Paulus von Samosata, TU 44/5 Leipzig, 1924, p.
139 n. 3 (qui postule une source commune aux deux traits), J. Lebourlier propose de considrer que lauteur du Second trait est un
disciple de lauteur du Premier trait. Parmi les diffrences notoires entre les deux crits, il faut noter la conception anthropologique : le
Contre Apolinaire I rfute un apolinarisme trichotomite, alors que le Contre Apolinaire II rfute un apolinarisme dichotomite. Nous avons
vu dans le premier chapitre, comment lhypothse de J. Lebourlier nest pas unanimement accepte par la critique, cf. H. Chadwick,
Les deux traits contre Apollinaire attribus Athanase , art. cit., p. 251.
2520
Cf. Contre Apolinaire I, 7, 12, 14 ; PG 26, 1105 A-B ; Contre Apolinaire II, PG 26, 1160 C-D.
593
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dassumer une humanit intgre pour racheter lhomme. Il met en relation les trois textes de Grgoire, lAntirrheticus, le De Tridui
spatio, et la Lettre 3, mais ne commente pas le rapprochement scripturaire.
2523
J. Reynard, Lutilisation de lcriture dans le De Tridui Spatio , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de
Die Drei Tage zwischen Tod und Auferstehung unseres Herrn Jesus Christus, Leiden, 1982, p. 116-135 : lauteur, comme
J. Danilou, donne les principaux textes antrieurs Grgoire de Nysse, qui voquent la tripartition du Christ dans la mort pendant
le Triduum pascal, et situe linterprtation de Grgoire dans la tradition patristique.
2525
2526
Cl. Alex., Extraits de Thodote, 62, 3, SC 23, d. Fr. Sagnard, Paris, 1970, p. 182
Commentaire sur Jean, XXXII, 395-396 (Jn 13, 33), SC 385, d. C. Blanc, Paris, 1992, p. 356-358 : Origne fait tat dun
dbat propos du lieu o est le Christ pendant le Triduum (Mt 12, 40 parle du cur de la terre alors que Lc 23, 43 parle du Paradis).
Mme dveloppement dans le frg. 248 du Commentaire de Luc, GCS Origenes Werke, Band 9, d. M. Rauer, Berlin, 1959, p. 332 ;
Commentaire sur Matthieu 12, 3, GCS, Origenes Werke, Band 10, d. E. Klostermann, Leipzig, 1935, p. 72, 33-73, 2.
2527
2528
J. Lebon, Une ancienne opinion sur la condition du Christ dans la mort , RHE 23, 1927, p. 5-42.
Pour J. Danilou, il sagit non plus de lieux, mais dtats du Christ , Ltat du Christ dans la mort , art. cit., 1958, p. 69 ;
594
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2529
endroits, dans le cur de la terre (Mt 12, 40) , dans le paradis avec le larron (cf.
2530
Lc 23, 43) et dans les mains du Pre (cf. Lc 23, 46) .
Dans la suite de son argumentation, Grgoire montre que la multilocation du Christ dans
la mort se rduit une bilocation puisque le paradis correspond au mme endroit que les
mains du Pre , exactement comme dans lAntirrheticus.
Cette quivalence entre le paradis et la main du Pre est fonde sur un verset,
Is 49, 16. En la dveloppant, Grgoire se positionne par rapport une tradition interprtative
qui considrait le Christ divis en trois, le corps, lme et le pneuma, qui correspondent
2531
la terre, au Paradis et au ciel, comme latteste lHomlie pascale attribue Hippolyte .
Origne aussi, dans son Entretien avec Hraclide, se servait d1 Th 5, 23 pour prouver
son anthropologie trichotomite, et expliquait comment au moment de la Passion, les trois
lments taient spars, le corps dans le tombeau, lme aux enfers, et lesprit entre
2532
les mains du Pre . Grgoire, au contraire, en rduisant ltat du Christ dans la mort
une sparation de lme et du corps refusait la conception trichotomite de lanthropologie,
quApolinaire dans le sillage dOrigne. On peut alors se demander si le dveloppement
2533
du De tridui spatio, qui daprs la majorit des critiques est postrieur lAntirrheticus
, est spcialement rig contre Apolinaire. En effet, puisque ce dernier considre que Dieu
est , il identifie le du verset Lc 23, 46 ( Pre, entre tes mains je remets
mon esprit () ) au Verbe lui-mme. Cela laisserait entendre quil conoit la mort du
2534
Christ comme une sparation du Logos davec son corps, comme les ariens .
Il explique la prsence de la divinit du Christ la fois aux enfers et au paradis de la
manire suivante :
;
, ,
, ,
2529
2530
Homlies pascales, I, 56, SC 27, d. trad. P. Nautin, red. 2003, p. 184-185 : que les cieux aient ton esprit (), le
Paradis ton me () car il dit : Aujourdhui je serai avec toi dans le paradis (Lc 23, 43), et la terre ton corps () .
2532
Entretien avec Hraclide, 7, d. J. Scherer, SC 67, rd. 2002, p. 70-72. Analyses de ce passage dans J. Danilou, Ltre
et le temps, p. 177-178.
2533
Pour la question du rapport chronologique de ces uvres de Grgoire, cf. chapitre I, datation de lAntirrheticus, p. 70-73.
La Lettre 3 daterait de 381, le De Tridui spatio aurait t rdig vers 390 daprs L. R. Wickham et H. R. Drobner.
2534
Cf. Eusbe de Csare : Pre, je remets mon esprit entre tes mains : ainsi lui-mme, par lui-mme, spontanment et
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(
),
,
,
,
,
.
,
,
.
,
,
,
.
.
,
,
,
,
.
,
,
,
.
Comme dans la rfutation dApolinaire, Grgoire insiste sur le fait que la divinit du Christ
sadapte tout le compos humain et quelle ne peut sen sparer en vertu de la fidlit
divine envers lhomme (preuve allgue : Rm 11, 29). Par consquent, dans la mort, elle est
unie au corps dans lHads ; le dlivrant ainsi de la mort, elle est unie lme, lui ouvrant
laccs au paradis (Lc 23, 46). La vise sotriologique prside ce premier dveloppement.
Dans le deuxime temps, Grgoire rappelle que la divinit, qui est indivisible, ne sest
pas spare des lments disjoints, et sa nature simple et indissoluble qui produit la
rsurrection par la runification de lme et du corps.
Lettre 3
Dans la lettre 3, vraisemblablement antrieure lAntirrheticus, le schma argumentatif
fond sur Lc 23, 43, Lc 23, 46 et Mt 12, 40 revient au cours dun dveloppement o
Grgoire prouve limpassibilit divine aux deux extrmits de lincarnation, au moment de
la conception virginale et au moment de la mort du Christ. De mme que dans la naissance,
lincarnation ne connat pas la corruption de la concupiscence, de mme, dans la mort, le
corps ne connat pas la corruption de la dcomposition :
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tant donn que les arguments de Grgoire sont les mmes que dans lAntirrheticus et
dans lhomlie pascale ou la Lettre 3, la critique sest demand sil fallait voir dans lexgse
de la triade scripturaire un trait propre la christologie de Grgoire ou, plus prcisment
encore, une mise au point doctrinale spcialement conue contre Apolinaire. Selon cette
hypothse, Grgoire se serait dj confront lapolinarisme, lpoque de la Lettre 3 (vers
381). Nous avons dj discut ce point dans la premire partie de notre travail : rien ne
prouve avec vidence que les discussions thologiques voques par Grgoire dans sa
2539
lettre 3 concernaient les apolinaristes . Avec plus de prudence, on doit reconnatre que
Grgoire reprend dans son Antirrheticus des lments de sa thologie de la rsurrection
quil avait dj noncs auparavant, mais il les dveloppe plus amplement dans son trait
contre Apolinaire, parce quils rpondent trs bien la doctrine apolinarienne.
2542
Notamment dans le fait que lme entre immdiatement au Paradis (Commentaire sur Jn, XXXII, 395-396 : nous
expliquons, au sens le plus simple, quavant de descendre dans ce quon appelle le cur de la terre , Jsus a peut-tre rtabli
au paradis de Dieu lhomme qui lui avait dit : souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume (trad. C. Blanc, SC 385,
p. 356-358).
2543
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quApolinaire confre lesprit humain et qui lui permet de substituer ensuite lEsprit divin
lintellect humain. En effet, si lesprit est distinct de lme, au moment de la mort du Christ
puisque celle-ci est sparation des lments du compos humain il se dissocierait de
lme et du corps humains du Christ au moment de sa mort, cest--dire quil dlaisserait la
nature humaine. Lenjeu de la dmonstration de Grgoire est de prouver comment la divinit
peut ne pas se sparer de ce quoi elle sest intimement unie, savoir tous les lments
du compos humain. Sur ce point, il soppose nettement la conception de lunion du divin
et de lhumain dApolinaire selon laquelle la prsence divine se restreint un des lments
seulement du compos humain.
Lenjeu principal pour Grgoire est dexposer une sotriologie au niveau de la
humaine. Cette dernire, qui consiste en un corps et une me, peut tre sauve par la mort
et la rsurrection du Christ dans la mesure seulement o celui-ci est uni substantiellement
chacune des parties du compos humain. Mme si Grgoire nest pas linstigateur de
la thorie selon laquelle la divinit est prsente dans chaque partie du compos humain
2544
dans la mort du Christ, puisquil dit lui-mme avoir t instruit par quelquun sur ce point ,
la particularit de son dveloppement dans lAntirrheticus et dans de De Tridui consiste
reprendre et dvelopper largument au niveau de la humaine, en montrant comment
la nature divine sintgre substantiellement chaque composant de la nature humaine et y
demeure de sorte quelle provoque la runification du compos humain (
2545
) .
Lexplication de ce quadvient la divine et celle de lhomme au moment de la mort
et de la rsurrection du Christ semble avoir t dveloppe par Grgoire pour contrer la
christologie dApolinaire du Logos-sarx. En dpit dune terminologie similaire, lintention
des deux auteurs est trs diffrente : l o, chez Athanase et Apolinaire, la chair humaine
tait dans le besoin dune transformation par linfusion de la divinit, l cest la nature
compose de lhomme qui a besoin de lincarnation pour surmonter sa tendance inhrente
2546
la dissolution . Il y a donc un renversement de perspective, ajouterions-nous : lunit
sur laquelle insiste Grgoire ne se situe pas tant entre la divinit et lhumanit, la fin
de son dveloppement, quentre le corps et lme, runis par la nature divine indivisible
2547
( ) . En outre, pour se prmunir de toute attaque de monophysisme, dont
on pourrait laccuser dans la mesure o il parle dune union insparable de la divinit
lhumanit, Grgoire opre clairement la distinction dans lAntirrheticus et le De Tridui
2548
2549
entre la nature divine incompose ( ) , incorruptible ( ) ,
2544
. Cf. H. R. Drobner, Die Drei Tage, op. cit., p. 119. Pour R. Wickam, Soul and Body : Christs Omnipresence
(De Tridui Spatio p. 290, 18-294 ,13) , il est aussi possible que cette phrase soit un simple trait de rhtorique et quelle soit un moyen
dasseoir lautorit de ce quil va dire, dans la mesure o le contenu serait novateur par rapport une tradition courante (The Easter
Sermons of Gregory of Nyssa, d. A. Spira et Chr. Klock, op. cit., p. 282). Pour ltat de cette question dans la critique en 1981, cf.
R. Wickam, ibid., p. 282-284.
2545
2546
2547
2548
2549
599
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2550
2551
simple ()
et la nature humaine ( )
2553
et sujette la corruption dans la mort ( ) .
, compose ()
2552
Cette rplique rejoint tout fait le point de vue dfendu par Apolinaire . Au fondement
de cette rflexion se trouve le principe de sympatheia, dont parlent les noplatoniciens
propos de lme et du corps, et qui est rutilis ici propos de la divinit et de lhumanit
2559
assume : la divinit est prsente dans la mort sans tre atteinte dans sa nature .
2550
2551
2552
2553
2554
Antirrh. 154, 5.
Antirrh. 153, 13-14.
Antirrh. 153, 27.
Antirrh. 153, 12.
Frg. 96, Antirrh. 223, 11-12, dont on peut douter de lexactitude textuelle. La prsence du montre que la phrase a plutt
t retouche par Grgoire, peut-tre mme simplifie sur le plan du contenu : ils disent que nous affirmons que cest lhomme qui
a souffert et non pas Dieu ( , ).
2555
Cf. la condamnation par Apolinaire des thologiens qui dissocient de la divinit le corps qui souffre et qui progresse comme
600
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2560
### ##### ####### #### ###### ### ##### ### ############# ######
#########, ## ######## ####### ### ########, ### ## #########, ## ####
#### ### #####, ##### #####, ####### ######## ## ### ########## #####.
La puissance divine se rpandant de faon gale travers toute la nature du
compos, de sorte quaucun des deux lments ne soit spar de la divinit, mais
quelle se trouve dans chacun des deux, jentends lme et le corps, comme il est
2562
normal, de faon approprie et adquate chacun .
lencontre dun schma christologique o Dieu et lhomme sont penss dans le Christ
comme deux lments distincts qui composent un tout, Grgoire revendique une conception
selon laquelle la divinit est rpandue dans tous les lments du compos humain (
), ds sa conception. Lhumanit du Christ est toujours
dcrite avec deux termes ( ), et non pas avec trois termes comme
chez Apolinaire. Cette explication au niveau de la ( )
selon laquelle la divinit est prsente dans chaque lment du compos est rige contre
le schma du , o Dieu constitue un seul lment du compos humain.
Grgoire conclut le premier temps du raisonnement en disant :
Grgoire. Dans lAntirrh. , elle se trouve prsente dans lexgse dEp 1, 7 qui suscite dabord un dveloppement sur la brebis
perdue cause du pch avant lexpos sur la rsurrection et labolition de la mort (Antirrh. 152-154) ; dans lexgse de Ph 2, 6-11,
o la dsobissance dAdam et lintrusion du pch dans lhomme sont formuls avant le dveloppement sur la rsurrection du Christ
et labolition du pch (Antirrh. 160-161).
2562
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2563
sans repentance , est-il dit (Rm 11, 29) , elle nest spare daucun des deux,
mais elle demeure continment. Car il ny a rien non plus qui puisse sparer de
2564
la conjonction avec Dieu, si ce nest le pch . Mais celui dont la vie est sans
2565
pch nest absolument pas priv de lunion Dieu.
Dans ce raisonnement, Grgoire explicite le paradoxe dun Dieu qui sapproprie la
souffrance sans pourtant la subir (
2566
) . Pour ce faire, il fait dabord allusion la conception virginale du
Christ et rappelle que la nature divine a t infuse dans chaque lment de la nature
humaine ( ) par le fait de son union elle (,
). Une fois uni lhomme, il ne sen retire plus, mme dans la mort. Le rapport
entre lincarnation et la mort-rsurrection du Christ nest pas une identit, mais une continuit
en ce sens que la divinit reste unie lhomme dans la mort selon une modalit diffrente
de la vie terrestre du Christ. Cette conception de ltat du Christ dans la mort va encore
une fois lencontre de la tradition thologique selon laquelle la mort du Christ est conue
2567
comme une sparation de la divinit davec le corps (humanit) . Grgoire fonde son
argument sur deux preuves : la premire est le mme verset Rm 11, 29 (au prix du mme
dtournement du sens originel), la seconde, nouvelle dans lAntirrheticus, est lide que rien
ne spare de Dieu sinon le pch. Comme lhomme Jsus est sans pch, il ne peut tre
spar de la divinit. Cest justement labsence de pch qui fait qu chaque instant de la
vie du Christ, lunion des deux natures en lui est parfaite, puisque rien nest en lui spar
2568
de Dieu . Derrire la doctrine de la bilocation du Christ pendant sa mort, apparat une
nouvelle perspective thologique : dans la mort par son corps, le Christ arrte la mort
2569
consquence du mal, par son me, il ouvre la vie qui absorbe la mort .
En somme, dans cette premire partie de raisonnement, Grgoire joue sur deux
niveaux la fois, le niveau de la et celui de lthique (lunion hypostatique dans
la mort est prouve par lintgrit morale du Christ). Grgoire ajoute dans ce mouvement
dmonstratif un nouvel argument pour prouver la persistance de lunion totale (ce qui spare
Dieu, cest le pch ; ce qui est sans pch na aucune raison de se dfaire de Dieu).
2563
2564
2565
2566
Cest notre avis ce que voulait dire Apolinaire dans le frg. 95, Antirrh. 219, 1-6, mais le langage thologique restitu par
Cf. Athanase, Contra arianos, III, 57, d. K. Metzler, Athanasius Werke, p. 370, 1 :
( [le Seigneur] avait le pouvoir, en tant que Dieu, de se sparer de son corps ). Mais pour Athanase, la
sparation du Logos davec son corps est une condition de possibilit et non une cause de la propre mort du Christ : ce nest
pas par une mort qui lui aurait t naturelle quil dposa son corpsmais il accepta celle qui lui venait des hommes pour la dtruire
compltement lorsquelle sen prit son corps (Trait de lincarnation, 22, 3, SC 199, p. 346, trad. Ch. Kannengiesser modifie par
M. Canvet, La mort du Christ et le mystre de sa personne , art. cit., p. 74). En somme Athanase ne rsoud pas la difficult de
comprendre la mort et la rsurrection du Christ. Contre les ariens, il affirme la divinit du Logos, avec eux, il pense que le Logos
se spare de la chair dans la mort (M. Canvet, ibid.).
2568
Lhumanit du Christ, comme toute crature, se trouve soumise ce que Grgoire appelle le diastma, lextension dans le temps
et lespace. Si la divinit est unie la totalit de lhumanit du Christ pendant sa vie, elle nest pas, avant sa mort, unie son humanit
totale (cf. analyses de M. Canvet, La mort du Christ et le mystre de sa personne , art. cit., p. 88).
2569
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Dans le deuxime temps de son raisonnement, Grgoire montre quon ne peut pas
isoler dun ct lhumanit du Christ et, de lautre, sa divinit, mais que la divinit sadjoint
chaque partie du compos humain. Il fonde nouveau sa thorie sur lexplication de la
rsurrection au niveau de la :
,
,
.
, ,
.
.
,
,
(
),
,
,
().
,
, ,
,
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Grgoire raffirme ici, dans un mouvement argumentatif identique ce quil avait dit
2577
propos dEp 1, 7
, la permanence de la divinit du Christ dans sa mort, et explique
son mode de prsence : parce que la substance divine est indivisible, elle ne peut se
disjoindre dans la mort de tous les lments humains dans lesquels elle tait prsente
pendant lIncarnation (
2578
) . Elle maintient la chair par sa prsence dans un tat
2579
dincorruptibilit ( ) , tout en ouvrant lme au paradis .
La particularit de cet argument cependant est quil sert aussi fonder le nom de
Christ . Puisque lhomme Jsus comprend la prsence divine dans tous ses composants,
ds sa conception, ds son incarnation humaine, il est Christ, et pas seulement aprs
lexaltation ( ). Sur le plan thologique, Grgoire
revendique la continuit de lconomie divine. partir de la mort du Christ, sa vie nest quun
dploiement dune incorruptibilit originelle travers lextension dans le temps et lespace
2580
de sa vie humaine .
Cest ce que le Cappadocien formule dans le troisime mouvement de sa
2581
dmonstration
o il rcapitule sa conception de la rsurrection comme point culminant
de luvre salvatrice du Christ par limage du roseau scind en deux morceaux que lon
rassemble ensuite :
(
) []
,
,
2577
Antirrh. 154. Le schma argumentatif est le suivant : 1. Au moment de la mort, le compos humain se dcompose, mais la
divinit, non compose par nature reste unie chaque lment humain ; 2. Preuves que Dieu ne se retire pas du compos humain ; a.
preuve physique : le corps reste dans lincorruptibilit entre le temps de la mort et celui de la rsurrection ; b. preuve scripturaire :
lme du Christ ouvre le paradis au larron (Lc 23, 43) ; 3. La divinit par sa puissance de runification ressuscite le compos dans
lequel elle tait. Preuve scripturaire (Rm 6, 4 ou Col 2, 12 ou 1 Th 1, 10 qui attestent de la rsurrection du Christ).
2578
2579
2580
2581
604
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Les tudes qui traitent de la christologique anti-apolinariste de Grgoire, que nous avons cites, se concentrent sur le
long dveloppement qui explique le mcanisme de la rsurrection en Antirrh. 153-154 (cf. J. Zachhber, op. cit., p. 221-223 etc.).
R. Winling, cependant, accorde une place ce passage dans son article La rsurrection du Christ dans lAntirrheticus , REAug.,
35/1, 1989, p. 30 ; M. Canvet en propose une traduction (cf. Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, op. cit., p. 160). Nous y
consacrons aussi une analyse dans notre article : Connaissances naturalistes chez Grgoire de Nysse dans ses traits thologiques :
fonctions et dynamisme argumentatifs , dans La cultura scientifico-naturalistica nei padri della chiesa -I-V sec.), Studia Ephemeridis
Ausgustinianum, 101, 2007, p. 179-196.
2587
2588
Co 15, 45-47, qui permet darticuler protologie et eschatologie (comme le fait si souvent Paul dans ses ptres).
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2589
Antirrh. 226, 6.
Juste aprs lexplication de lanalogie avec le roseau, Grgoire aborde le thme du baptme, qui signifie dans la tradition
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III. Bilan
Le point de dpart de notre rflexion tait de comprendre lorigine de laccusation selon
laquelle Apolinaire prtendait que la divinit du Christ est atteinte par la mort, puis
dexaminer comment Grgoire rfutait la thse quil prtait son adversaire. Le thme de la
mort de Dieu a conduit prsenter la faon dont Grgoire explique ltat du Christ dans la
e
mort et comment sa rflexion sur ce point constitue une avance thologique au IV sicle.
Mais dans lAntirrheticus et dans les textes contemporains, tels lhomlie De Tridui spatio,
la Lettre 3, le Discours catchtique, il est apparu que, chez Grgoire, la comprhension
du rapport entre la divinit et lhumanit du Christ au moment de sa Passion et de sa
mort allait de pair avec une explication sur le mcanisme de la rsurrection. En effet, la
sparation de lme et du corps dans la mort ne peut pas tre conue indpendamment de
leur runification au moment de la rsurrection.
Une telle tude aura mis en relief limportance de ltape de la mort du Christ dans
la rflexion sur lunion hypostatique. En cherchant voir dans les fragments dApolinaire
ce qui pouvait susciter lattaque de ses adversaires, il est apparu que ces derniers sen
prenaient aux implications produites par son systme christologique dune union humanodivine dans une seule nature. En effet, force de lutter contre un dualisme christologique,
Apolinaire conoit une union si troite de lhomme et de la divinit dans le Christ quil
deviendrait incohrent dans son systme de parler encore dune sparation de la divinit
davec lhumanit au moment de la mort. Ses adversaires en concluaient que mme la
divinit du Christ tait atteinte par la mort. Une telle analyse nous invite mettre quelques
2593
2594
rserves face au jugement de certains critiques, tel R. Winling
ou J. Danilou , pour qui
Grgoire rfute la conception dApolinaire selon laquelle la mort du Christ serait produite par
le fait que la divinit se retire de son humanit. Ce point dogmatique nest nullement formul
2595
explicitement dans les fragments doctrinaux dApolinaire . En revanche, cest la thse
que les auteurs anonymes des traits Contre Apolinaire lui prtent : elle dcoule encore
2596
de lapplication du modle anthropologique la christologie . Cette seconde accusation
semble provenir encore dune assimilation dApolinaire aux ariens qui conoivent lunion de
lhumain et du divin selon le schma Logos-sarx, et la mort comme sparation du Logos
2597
et de la sarx .
Quant la rponse de Grgoire de Nysse, deux types darguments sont prsents
dans lAntirrheticus. Le premier se situe au niveau trinitaire. Le Cappadocien rutilise
2593
2594
2595
Les critiques prtent Apolinaire cette thse en se fondant sur les reproches faits par les auteurs des deux traits Contre
Apolinaire (PG 26, 1125 B) qui parlent dune de la divinit. Dans les fragments de lApodeixis, rien ne prouve quApolinaire
formulait lui-mme cette thse.
2597
Si le Christ est conu comme lunion du Logos la sarx, sur le modle anthropologique, puisque la mort est la sparation
de lme et du corps, alors la mort du Christ est la sparation du Logos et de la sarx. Le schma trichotomite de lanthropologie
apolinariennepourrait tre trait selon la mme logique.
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Les analyses ont fait ressortir des constantes thologiques dun texte lautre, peu
prs contemporains, plus quune volution doctrinale. Sur ce point, nous rejoignons lavis
de B. Pottier qui, la suite de M. Canvet, considre quil est difficile de dceler une
2601
volution dans la pense de Grgoire sur la question de la Passion-rsurrection . Ce
critique distingue nanmoins deux groupes parmi les uvres qui traitent de la double union.
La lettre 3, la Rfutation dEunome, et le Discours catchtique connaissent lessentiel de la
thse, mais ne la dveloppent gure. LAntirrheticus et le Tridui spatio sont plus abondants
et prcis, mais la pense est la mme : rien de neuf si ce nest lusage de Rm 11, 29
et la comparaison roseau, propre lAntirrheticus,qui ne modifient rien la thse mais
2602
lamplifient .
Dun point de vue thologique, la question de la mort du Christ et de sa rsurrection
rvle que dans la pense christologique de Grgoire, il y a une extension progressive de
lunion de Dieu la totalit de la nature humaine du Christ jusquaux profondeurs extrmes
du mal dans la mort. Parce quil se produit dans la mort la divinisation ultime du corps du
Christ, qui se rvle parce que son corps ne se corrompt pas et que son me ouvre lentre
du Paradis, cest l et l seulement que se rvle la surabondance de la prsence divine.
Cest dans la mort quclate le paradoxe de la personne du Christ, parce que la mort est
vaincue par la vie. Le fait que Grgoire analyse ltape de la mort par rapport celle de
sa naissancemontre que pour lui, il ny a pas de progrs dans lunion puisque celle-ci est
demble parfaite, puisque le Christ naccueille pas le pch. Mais il y a une extension de
cette union la totalit de la personne du Christ jusqu un comble atteint dans sa mort.
e
Dans lvolution de la rflexion thologique au IV sicle, entre le Pseudo-Athanase
des deux traits Contre Apolinaire et Grgoire de Nysse, on passe de lide que le Christ
ne se spare ni de son me ni de son corps, pour rendre possible sa mort et expliquer sa
rsurrection, lide quil ne peut pas se diviser, ni remettre en cause son unit. Grgoire
dit que cest lindivisibilit de la divinit dans le Christ qui est principe de runion du corps
et de lme spars par la mort, au niveau de la personne du Christ et celui de lhumanit
universelle. Lessentiel de sa rfutation contre Apolinaire est condens dans limage du
roseau, tout fait originale, qui fait le lien entre lexplication physique de la rsurrection
et la sotriologie.
Le mode de prsence et laction de la divinit dans la mort et la rsurrection sont
donc une question capitale pour comprendre lunion humano-divine dans sa dynamique
sotriologique.
De notre synthse sur les points doctrinaux abords par Grgoire dans lAntirrheticus,
plusieurs lignes de force se dgagent, et lon comprend mieux prsent selon quelle
logique argumentative le trait contre Apolinaire est labor. Cest sur cet aspect que nous
voudrions dresser un premier bilan.
En effet, les analyses des fragments de lApodeixis, mis en lumire par les autres
fragments doctrinaux, et confronts la rfutation de Grgoire, ont montr que dans la
littrature de controverse, les uvres se rpondent lune lautre la faon de prismes
dformants. Elles donnent connatre la doctrine adverse, condition de faire la part des
2601
M. Canvet, La mort du Christ et le mystre de sa personne , art. cit., p. 80, n. 24, voque la varit des genres littraires
qui modifient lutilisation des arguments chaque fois et ladaptation des arguments aux polmiques dans lesquelles Grgoire les
utilise.
2602
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laccusation porte contre Apolinaire soit due lassimilation avec la doctrine arienne. Mais
l encore, il nous est apparu que Grgoire, comme ses contemporains qui accusent tous
Apolinaire sur ce point, sen prenaient une deuxime consquence logique qui dcoulait
de lapplication stricte du modle anthropologique la christologie. Si la divinit constitue
une mme substance avec la chair et que la chair est affecte par la mort, la divinit lest
aussi dune manire qui compromet son essence propre. Cest ce que Grgoire reproche
Apolinaire, alors que, paradoxalement, sur la question de la divinit du Christ dans la
Passion, nous avons trouv des formulations trs proches entre Grgoire et Apolinaire, lun
et lautre dclarant que la divinit du Christ est prsente dans la mort, dans la mesure o elle
est unie au corps. Cest dire que les attaques violentes et rcurrentes de Grgoire contre
Apolinaire portent dabord sur les consquences thologiques de la doctrine de lunique
nature.
Le troisime cart entre la doctrine dApolinaire et la faon dont Grgoire la prsente
dans lAntirrheticus concerne lexpression d homme cleste ( ).
Elle est applique au Christ par le Laodicen partir de 1 Co 15, 45-47 et de Jn 3, 13.
Pour railler son adversaire, Grgoire prend la formule hors de son contexte, la lettre.
Elle dsignerait un homme qui viendrait directement du ciel, revtu dune chair cleste.
Mais Apolinaire la dveloppe contre les formes de christologie inspire pour affirmer la
pleine incarnation de Dieu. Il reprend pour ce faire les langages paulinien et johannique,
dans un sens diffrent du contexte originel, afin de rendre compte de lunion intime entre
lhumanit et la divinit dans le Christ. Selon lui, lexpression prouve, par son autorit
scripturaire, lidentit du Logos prexistant et de lhomme Jsus. Sa thologie de lIntellect
en chair ( ) nen est que lapplication anthropologique. En effet, dans
le Christ, lesprit divin (), quil interprte comme un synonyme dintellect (),
vient sintgrer au compos humain la place de son lment hgmonique, afin de le
diriger, titre de principe hgmonique infaillible, et de racheter ainsi lhumanit dchue.
La notion d homme cleste chez Apolinaire signifie donc un homme dont lesprit, en
tant que facult, vient du ciel, cest--dire est divin. Mais il se sert de lantithse de Paul
en 1 Co 15, 45, o le Premier Adam est appel me vivante et le Second Adam,
esprit vivifiant , pour prouver la diffrence de nature entre le Christ, dorigine cleste,
et lhomme commun, dorigine terrestre. Grgoire, pour sa part, rfute le sens donn
homme cleste par Apolinaire, en le dformant au moyen dargumentations par
labsurde. Mais sous ces dehors polmiques, Grgoire laccuse sur la consquence quil
tire de 1 Co 15, 45-47 : la diffrence de nature entre ltre humain commun, terrestre, et le
Christ, qui serait dune nature intermdiaire entre lhomme et Dieu. La rfutation de Grgoire
pose alors cette question : dans quelle mesure le Christ peut-il racheter lhumanit sil est
dune nature humaine diffrente ?
En plus de ces trois dformations de la christologie dApolinaire dues au contexte
polmique, Grgoire rduit la thologie de lIntellect en chair ( ) une
composition de trois parties, dont deux, humaines, et une, divine. La thologie dApolinaire
est toujours aborde sous langle dune division en parties de ltre du Christ, alors quil la
conue tout autrement. LIntellect divin, en effet, est la puissance de vie, le principe actif qui
vient animer la chair, passive par nature. Rduire une addition de parties la vision de ltre
du Christ par Apolinaire fait disparatre le dynamisme ontologique quil concevait dans le
Logos incarn, au profit dune description statique, vue comme une opration darithmtique
et moque par limage du bouc-cerf ou du minotaure, o sont unies une substance parfaite
et une substance imparfaite dans un tre hybride. Mais derrire cette ironie mordante,
Grgoire veut dire que lunit de la divinit et de lhumanit en Christ nest pas rductible
un schma formel, un modle philosophique.
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Conclusion
Conclusion
Au terme de cette tude sur largumentation de Grgoire de Nysse contre Apolinaire, nous
pouvons prciser les termes et les enjeux du dbat qui anime les deux auteurs, les lignes
de force de leur doctrine respective ainsi que leurs mthodes thologiques.
Dabord, il est particulirement intressant de voir que dans la polmique qui les
oppose, les deux thologiens ont fondamentalement le mme souci de lunit de personne
du Christ et de son action salvatrice. Mais chacun lexprime diffremment, selon une
approche qui lui est propre, et aussi dforme par ladversaire. Les deux auteurs partent de
limpratif sotriologique, mais Grgoire conoit la question de lunit du Christ en relation
constante avec la vise du salut universel, alors que daprs les fragments de lApodeixis,
tels quils sont cits et comments par Grgoire, Apolinaire rflchit sur le mode dunion
de la divinit et de lhumanit de faon autonome par rapport la sotriologie. En effet, il
conoit le rapport entre les deux lments selon un dynamisme vital et personnel dans le
Christ. En somme, Apolinaire propose une solution mtaphysique de lunion de lhumain
et du divin : il explique lunit du Christ au niveau de sa constitution anthropologique, en
laborant le modle du ou Intellect incarn , selon lequel lintellect divin
se substitue la raison dans le compos humain assum par le Christ. Grgoire, quant lui,
ne cherche pas rsoudre dun point de vue ontologique le paradoxe dun Dieu fait homme,
mais conoit la question de lunit du Christ selon une approche seulement sotriologique,
qui engage une rflexion sur le mouvement dynamique de lincarnation.
Mais, ce faisant, propose-t-il une solution thologique de lunit humano-divine ? Il pose
la juste perspective, il qualifie lhumanit et la divinit de nature , mais rpond-il vraiment
la question qua lance Apolinaire, qui porte, elle, sur le mode dunion des deux lments ?
Il semble que Grgoire choisisse dlibrment de ne pas expliquer le comment dun
paradoxe insaisissable selon lui, mais de rpondre Apolinaire par le pour quoi de
lunion de Dieu lhomme. Dans sa rfutation, il montre que rsoudre au niveau ontologique
le paradoxe dun Dieu fait homme, pour garantir lunit de personne, conduit une aporie.
Au mieux, on peut expliquer par sa finalit sotriologique lassomption de lhumanit par le
Logos. Telle est, nos yeux, la rponse de Grgoire Apolinaire, la constante argumentative
expose tout au long de lAntirrheticus.
Une telle approche ne lui est pas propre, mais elle garantit, selon lui, la justesse dune
rflexion sur lunion des deux natures dans le Christ. B. Meunier dclare propos de Cyrille
dAlexandrie : La question du salut nest donc pas un dtour pour la christologie, mais
2604
un passage oblig, et probablement la porte dentre elle-mme . Et pourquoi ne pas
ajouter que chez Grgoire, daprs son argumentation anti-apolinarienne, elle est aussi la
porte de sortie, en ce sens que le salut est lenjeu thologique sur lequel toute sa rflexion
au sujet de lunion humano-divine du Christ doit dboucher ?
Mais si les approches christologiques dApolinaire et de Grgoire sont si diffrentes,
cest, daprs les rsultats de notre tude, que les problmatiques thologiques qui les
sous-tendent ne sont pas les mmes. Daprs largumentation de Grgoire et les fragments
de lApodeixis, la christologie dApolinaire dcoulait dune exigence, peu voque dans
2604
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Conclusion
ces images, nous avons constat que cest par elles aussi que Grgoire renouvelle
lenseignement thologique reu de la tradition. Et surtout, plusieurs reprises, dans leur
analyse dtaille, nous avons pu voir comment elles craient un dynamisme argumentatif
dans la mesure o elles confraient aux dveloppements spculatifs une force de figuration,
par le fait que Grgoire utilisait les concepts abstraits de la thologie dans la description
du phnomne naturaliste (comparant), et au contraire, appliquait lobjet thologique
(compar) les termes concrets, relatifs limage. Cette mthode thologique, qui consiste
exploiter la force de visualisation des images par le transfert du lexique concret dans les
raisonnements abstraits, donne se reprsenter les paradoxes christologiques dans les
limites de lanalogie, sans encourir le risque de rduire le contenu de la foi une expression
formelle. Elle provient aussi dune conviction philosophique de lauteur, selon laquelle le
langage ne peut ni atteindre ni signifier Dieu. Les images, dans les limites de lanalogie
2606
donne une direction, un sens. Elles suggrent le mystre tout en le respectant comme tel .
Sur ce point, la mthode argumentative semble tre proche de celle quexploitera ensuite
2607
Cyrille dAlexandrie .
En outre, la richesse de largumentation de Grgoire tient au fait quil articule les images
un vocabulaire conceptuel, qui provient, en partie, de la tradition philosophique. Comme
en tmoigne la fluctuation des emplois dans son argumentation, il semble que les outils
2608
terminologiques de la christologie ne soient pas fixs son poque . Le meilleur exemple
en est que lexpression de deux natures propos de la divinit et de lhumanit est rare
dans lAntirrheticus, et pourtant, elle est sous-jacente dans toute largumentation. Grgoire
prfre utiliser des expressions dissymtriques, telles la nature humaine et le divin ou
substance divine. Cependant, un des apports importants de largumentation de Grgoire
dans lAntirrheticus nous semble tre lintgration dans le discours sur ltre du Christ des
concepts du mlange total ou intime, repris des thories philosophiques, afin de qualifier
lunion de la divinit et de lhumanit. Mais, puisque chez Grgoire, lunit est dcrite selon
une dynamique thologique qui intgre toujours la rsurrection et qui relie le temps de
lincarnation celui de leschatologie, les notions philosophiques quil reprend des thories
du mlange, telles , , loccasion du traglaphe, lexception de la
notion de qui ne dit pas lunion assez intime, sont dotes dune teneur nouvelle.
Grgoire privilgie, en effet, les mots constitus du prfixe - () ou (), pour marquer lintimit du mlange de lhumain et du divin dans le Christ,
ou encore, majoritairement, le prfixe -, dans les notions , ,
qui sont de loin les mots de prdilection de Grgoire avec le schme /. Ces
derniers associent lide dunion celle dlvation. Cela prouve que Grgoire ne conoit
pas le mlange de lhumain et du divin dans le Christ indpendamment de llvation de
lhumanit au rang de Dieu. Dune certaine manire, il rend prsente la vise sotriologique
dans le lexique de lunit par le prfixe -. Au contraire, chez Apolinaire, daprs notre
analyse, il ny a pas dinflexion aussi marque que chez Grgoire dans la reprise des
outils philosophiques, en dehors de linsistance sur le mlange humano-divin comme union
2606
2607
Cf. ltude sur le langage et Dieu par M. Canvet, Grgoire de Nysse et lhermneutique biblique, p. 50-58.
M.-O. Boulnois conclut sur la mme importance des images dans le discours thologique de Cyrille (cf. Le paradoxe
B. Meunier conclut propos de la christologie cyrillienne, plus tardive que celle de lAntirrheticus, en dclarant que les
e
outils conceptuels dans la premire moiti du V sicle taient encore imprcis (a fortiori lpoque de Grgoire) et que le facteur
humain et le facteur divin apparaissent invitablement dans une sorte de concurrence (op. cit., p. 284). Cette dernire rflexion nous
semble applicable aussi la controverse apolinarienne.
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Conclusion
intime : le terme de prdilection quil emploie pour rendre compte de lunit du Christ est
celui d, qui tend mettre en relation gale le divin et lhumain.
On voit donc trs bien comment les modles philosophiques du mlange repris par
Grgoire portent sur la finalit de lincarnation et non pas sur ltre personnel du Christ en
tant que tel, alors que pour Apolinaire, ils servent doutil pour dpeindre le mode dunion
individuel de la divinit et de lhumanit dans le verbe incarn.
En outre, ce point christologique dbattu invite Grgoire rflchir sur la question de
lunion humano-divine dans lAntirrheticus dune faon plus large, que la postrit patristique
2609
dveloppera encore . En effet,en dehors des notions du mlange, Grgoire qualifie lunion
de participation rciproque des deux natures, comme nous lavons vu dans le cas du
traglaphe, mais galement comme une appropriation, ce que nous avons constat dans
lexgse linaire de lHymne aux Philippiens etdans largumentation concernant laction de
la divinit dans la Passion et la mort. On voit trs bien, dans ces diffrentes caractrisations
des rapports entre divinit et humanit dans le Christ, que la rflexion thologique de
Grgoire procde par approches successives, qui affinent les paradoxes de la foi sans
chercher les rsoudre : lunion de deux natures, limpassibilit de Dieu dans la mort du
Christ, le Christ devenu homme par une conception virginale.
Par ailleurs, lun des intrts majeurs de lAntirrheticus dans luvre doctrinale de
Grgoire provient, selon nous, de la faon dont il remploie et ajuste dans sa controverse
anti-apolinarienne largumentaire christologique labor dabord dans le troisime livre de
son trait contre Eunome. Mme si une tude comparative systmatique mriterait dtre
engage pour mieux comprendre les rapports entre les deux polmiques, mais aussi entre
Apolinaire et les ariens, selon nos enqutes, il est apparu que les arguments qui taient
utiliss contre Eunome propos des rapports intra-trinitaires entre le Pre et le Fils se
trouvaient remploys contre Apolinaire propos des rapports de la chair et du Logos.
Les outils argumentatifs qui tendaient prouver, contre Eunome, la fois lunit de nature
et la distinction des personnes entre le Pre et le Fils, sont repris contre Apolinaire pour
dmontrer la fois lunion de lhumain et du divin dans le Christ et en mme temps la
distinction des deux natures. Puisque la question est toujours de trouver un quilibre entre
unit et distinction, un certain nombre darguments formels peut tre repris. Cependant, le
socle scripturaire de la controverse a volu. Lenjeu pour Grgoire, nous semble-t-il, est
prcisment darticuler des schmas argumentatifs quil avait mis au point contre Eunome
sur un dossier scripturaire nouveau contre Apolinaire, qui comprend notamment Lc 1, 35,
1 Co 15, 45-47, 1 Th 5, 23, et dautres versets pauliniens sur lesquels reposent la thologie
du .
Comme la montr lexgse de Lc 1, 35, lanalogie de la gnration humaine, qui tait
utilise pour faire comprendre la gnration ternelle du Fils par le Pre, est dsormais
employe pour expliquer lunion du divin la chair humaine au moment de la
conception du Christ. Lanalogie du feu, qui tait utilise dans le Contre Eunome pour faire
comprendre visuellement comment la divinit, en assumant lhumanit, llevait jusqu
divinit, est reprise dans lAntirrheticus pour dcrire le mouvement du char de feu dlie
comme prfiguration du mouvement de condescendance dans lincarnation du Fils. On
retrouve bien les mmes outils argumentatifs, agencs pourtant diffremment, au gr de
la vise dmonstrative, mais aussi des arguments de ladversaire. Limage du feu est en
effet associe au personnage dlie dans lAntirrheticus en raison de lutilisation de ce
personnage par Apolinaire pour illustrer la christologie adoptianiste.
2609
Cf. B. Meunier, Le Christ de Cyrille dAlexandrie, op .cit., p. 271-275, qui analyse la terminologie de la participation et de
lappropriation pour exprimer les rapports du Verbe son humanit, qui est au service de lunit de sujet dans le Christ chez Cyrille.
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Peut-on dire que le discours christologique sur lunit du Christ se soit affin dans
la polmique contre Apolinaire par rapport celle dEunome ? Daprs nos diffrentes
enqutes, il semble que la rflexion de Grgoire sur lincarnation soit fondamentalement
la mme dans les deux polmiques. De nos analyses, il est ressorti que lessentiel de la
thologie dans lAntirrheticus est dj prsent dans le Contre Eunome. Mais il y a un point,
daprs nous, sur lequel la rflexion dans lAntirrheticus nous parat nouvelle par rapport au
Contre Eunome, parce quelle est rige en raction la doctrine dApolinaire. Il sagit de
lexplication au niveau physique de la sotriologie : la humaine, qui consiste en
un corps et une me, ne peut tre sauve que par la mort et la rsurrection du Christ, autant
quil est uni chaque lment du compos humain. Cette thorie, labore pour lutter contre
une conception de lunion humano-divine la faon dun divin unie la , qui
sen sparerait au moment de la mort, se trouve dj prsente dans la Lettre 3, antrieure
lAntirrheticus, mais qui fait probablement tat dune controverse anti-apolinariste, mais
cest surtout dans le trait contre Apolinaire quelle est dveloppe le plus amplement,
reprise ensuite dans le Discours catchtique et le De Tridui Spatio,postrieurs notre
trait. Il semble donc quon puisse considrer ce point comme un acquis dmonstratif de la
christologie de Grgoire, dorigine anti-apolinariste.
Si la doctrine christologique de Grgoire dveloppe dans lAntirrheticus est conforme
aux lignes directrices prsentes dans les uvres de la mme poque, et si les lments
fondamentaux de sa thologie dont dj mis en place dans sa rflexion contre Eunome, en
revanche, la polmique contre Apolinaire suscite une recherche nouvelle sur le matriau
scripturaire, qui mrite attention. Cest mme sur ce point, en effet, quapparat le plus
clairement la personnalit dcrivain de Grgoire.
Nous avons pu constater quel point le matriau biblique demeurait le socle essentiel
de la controverse apolinarienne, en tudiant successivement les usages des versets dans
largumentation et en analysant les exgses les plus riches de la rfutation.
En observant la faon dont Grgoire insrait lcriture dans son argumentation,
nous avons dcouvert une varit demplois, allant de la simple coloration du discours
dogmatique au statut de canevas partir duquel est labore largumentation thologique.
La diversit des fonctions de la citation scripturaire a mis en lumire lefficacit de la
rfrence biblique sur les vises dmonstrative et persuasive de l'uvre. En effet, les
analyses au niveau stylistique sur la polyphonie du discours ont montr comment le matriau
scripturaire pouvait avoir dans largumentaire thologique un rle darbitrage fort. Elles ont
rvl combien la rflexion sur lcriture et son insertion trs travaille dans largumentation
tait le ressort le plus caractristique des controverses thologiques par rapport aux crits
de controverse philosophique, non seulement en raison de lobjet du dbat, mais aussi en
raison des potentialits littraires quelle offre et que Grgoire exploite.
Si lAntirrheticus ne dit presque rien de la technique exgtique dApolinaire, en
revanche, il laisse entrevoir le corpus biblique dont se servait cet auteur pour tablir sa
doctrine dans lApodeixis. Apolinaire utilisait, dune part, des versets dbattus dans les
autres polmiques, tels Ph 2, 6-11 et Ac 2, 36, repris de la polmique arienne. Il employait
dautre part des versets compils qui circulaient son poque dans les discussions
doctrinales comme des sries de preuves bibliques, telle lnumration de versets qui
comportent le terme . Enfin, il introduisait de nouveaux versets dans le dbat
christologique, comme Za 13, 7 dans la version dAquila, et, partant, enrichissait le corpus
danalyses du dbat christologique.
Grgoire, quant lui, reprend essentiellement les preuves scripturaires de son
adversaire comme support de sa rfutation. Cela nous permet de prciser lorigine du dbat
618
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Conclusion
interprtatif entre les deux adversaires, qui tient un principe hermneutique rcurrent :
Apolinaire comprend des expressions bibliques, et spcialement les concepts pauliniens,
au niveau ontologique, l o Grgoire les interprte un niveau moral. Non que lun prenne
au sens littral un verset que lautre comprend au sens moral ou spirituel, mais les deux
auteurs envisagent le sens premier du texte biblique diffremment.
Cette diffrence de perspective dans la comprhension de versets bibliques, dont on a
dcel quelle tait souvent due au mme problme mthodologique, dcoule, selon nous,
de lenjeu mme de la polmique. Cest parce quApolinaire cherche rsoudre au niveau
ontologique lunion de lhomme Dieu quil interprte au niveau anthropologique les termes
bibliques qui sy prtent. Le dossier scripturaire de la controverse anti-apolinarienne met
donc trs bien en vidence comment le phnomne selon lequel le mode de lecture de la
Bible dans une controverse est dabord rgi par la finalit dmonstrative de chaque auteur,
quand bien mme pour Grgoire, le raisonnement du thologien doit tre infod au
de lcriture.
Loriginalit littraire et thologique de Grgoire nest donc pas dans le choix des
preuves bibliques, puisquil reprend le dossier de rflexion de son adversaire, mais dans
leur traitement. Lun des intrts majeurs de lAntirrheticus est d la richesse et la varit
des exgses proposes par lauteur, mais aussi leur statut : elles sont souvent conues
par Grgoire comme des ouvertures propice une rflexion plus personnelle sur lcriture.
Si lexgse est le lieu dexamen privilgi de la doctrine adverse en raison de lautorit
reconnue de lcriture, elle est aussi loutil argumentatif par le biais duquel Grgoire soctroie
de grandes liberts dans la faon de mener sa rflexion.
En effet, certains versets, qui semblent avoir eu du poids dans largumentation
dApolinaire, tels Ph 2, 6-11, Ep 1, 7 ou les passages relatifs la vie dlie, donnent lieu des
exposs personnels de la part du Cappadocien, qui prennent parfois lallure de digressions.
Cela prouve quil attribue lexgse un statut presque indpendant de lobjet mme de
la polmique, mme si les dveloppements qui paraissent digressifs ont toujours un lien
indirect avec le cours de la rfutation.
En outre, lexgse est le creuset des innovations thologiques de Grgoire. Cellesci proviennent des montages scripturaires, comme la montr lexgse de Dn 3, 86, o,
selon lauteur, la dichotomie entre les esprits et les mes des justes dsigne les
hommes et les anges et non pas deux instances du compos humain, comme chez
Apolinaire. La dmonstration est fonde uniquement sur le rapprochement avec deux autres
versets au prix dune dcontextualisation. Les combinaisons scripturaires personnelles,
pour rpliquer aux arguments de ladversaire, permettent un renouvellement de lexgse
au service de lobjet de la polmique et invitent lauteur utiliser une grande diversit de
procds hermneutiques, comme la montr lexamen du dossier scripturaire des preuves
anthropologiques reprises dApolinaire.
Par ailleurs, la densit de lexgse de Grgoire, comme nous avons pu lobserver,
est due au fait que le discours doctrinal est construit non pas seulement par la mise
2610
en symphonie
de plusieurs versets en vue dune laboration thologique innovante,
mais parfois aussi partir dune superposition de plusieurs longs passages scripturaires
qui servent de trame la dmonstration. Tel est le cas de limage de la brebis perdue,
dveloppe par Grgoire selon le schma argumentatif du chapitre 2 de lptre aux
Hbreux, du chapitre 15 de Luc, du chapitre 10 de lvangile de Jean. Chacun des
2610
Cf. M.-O. Boulnois, Le cercle des glorifications mutuelles dans la Trinit selon Grgoire de Nysse : de linnovation
619
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passages bibliques, surajouts lun lautre, contribue crer un rseau dense de thmes
thologiques dont le discours doctrinal exploite les rsonances. Lcriture, comme les
images, lorsquelle sert de trame argumentative, est toujours au service dun discours
sur lincarnation dvelopp selon son mouvement dynamique, en fonction dune vise
sotriologique.
De plus, la fcondit thologique du travail littraire entrepris par Grgoire sur le
matriau scripturaire, contre la doctrine dApolinaire, tient lenrichissement dune analyse
biblique par des lments de la tradition philosophique, selon une combinaison originale.
En effet, nous constatons que le Cappadocien ne sinscrit jamais dans un seul sillage
interprtatif de tel ou tel verset par ses prdcesseurs, mais opre une synthse partir
dlments dorigines diffrentes. Cest ce que nous avons vu dans lexgse dense
d1 Th 5, 23, o, par un montage scripturaire, lauteur rattache les appellations pauliniennes
dhomme psychique , charnel et spirituel aux degrs de la progression dans
la vertu, tels quils sont dcrits par Philon. Mais il les roriente selon une conception de
la perfection chrtienne, dont le modle est lascte, illustr par la figure notestamentaire
du pauvre Lazare . De mme, propos de Rm 7, 23, utilis par Apolinaire comme
preuve de lanthropologie trichotomite, lanalyse de Grgoire se situe la confluence de
traditions biblique et philosophique. Il ragit en effet avec les armes de son adversaire en
interprtant au niveau ontologique le langage paulinien qui porte sur lthique, comme le
pratique souvent Apolinaire. Mais, paradoxalement, il ne dnature pas lorientation premire
du texte du Paul. Au contraire, par lintrusion du concept de conforme lemploi
aristotlicien, il donne une envergure nouvelle et un fondement philosophique au combat
de la chair contre lesprit dont parle laptre. La rfrence scripturaire, taye par une
rflexion dorigine philosophique, a une autorit dautant plus grande dans largumentation
de Grgoire face celle de son adversaire. La technique est tout aussi fconde sur le plan
dmonstratif que persuasif.
Le renouvellement de lexgse tient donc lenrichissement du langage biblique
par des concepts, hrits de la philosophie. Ces observations tendent prouver que
Grgoire ne conoit pas le raisonnement philosophique et lanalyse exgtique de faon
cloisonne. Pour exposer la vrit, selon lui, toutes les ressources de la raison humaine
ou de la Rvlation que recle lcriture peuvent tre exploites. Une telle unit apparat
dans les moyens dmonstratifs mis en uvre. Comme le dit Fr. Vinel, lcriture est
premire parce quelle dit la Parole, mais, au prix dune hermneutique largement hrit
dOrigne, le langage philosophique sert [aux thologiens] de traduction pour sortir de la
diversit des interprtations et rpondre aux positions quils jugent errones et contraires
2611
la foi chez leurs adversaires . Ces points de rencontre, de passage entre deux
2612
modes dexpression , mais aussi de mthode entre les deux univers, philosophique
et biblique, mriteraient dtre approfondis partir dune tude comparative de la pratique
du commentaire par Grgoire, qui porte sur lcriture dans ses controverses, et les
commentaires philosophiques, notamment no-platoniciens, qui portent sur les textessources ; entre la technique du commentaire philosophique et celle de la rfutation linaire.
En effet, les phnomnes dinteraction et les similitudes de mthode nous sembleraient
intressants analyser en dtail, pour prciser encore la nature des crits de controverse
thologique par rapport aux techniques de controverse philosophique lpoque de
Grgoire.
2611
2612
e
Fr. Vinel, Du commentaire biblique laffirmation dogmatique : lexprience thologique au V sicle , art. cit., p. 161.
Fr. Vinel, ibid.
620
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Conclusion
Enfin, daprs nos analyses sur lexgse de Grgoire et son statut dans lAntirrheticus,
nous avons remarqu un phnomne rcurrent qui aide dfinir cet crit : la citation
scripturaire, comme limage, sert de pivot, dans le trait de Grgoire, entre une
argumentation strictement rfutative, dont la tonalit est polmique, et une rflexion sur
le contenu de la foi, non plus oriente spcifiquement contre Apolinaire, mme si elle
est rattache de faon tnue la polmique. Ces observations nous semblent mettre en
vidence ce qui fait la particularit des crits de controverse rdigs par Grgoire : une
alternance entre des dveloppements qui rpondent aux arguments dApolinaire, et des
argumentations plus libres, qui dbordent le cadre de la controverse, o lauteur sadonne
un expos de sa christologie, sur le ton proche de lhomlie, comme en tmoigne le Amen
qui clt le long commentaire exgtique de Ph 2, 6-11. Cela est lindice que, lorsquil nonce
le contenu de la doctrine chrtienne, Grgoire ne conoit pas de cloisonnement ferme entre
les diffrents genres littraires quil exploite, mais quil envisage la controverse comme
un creuset dlaboration de sa thologie. Telle est la raison pour laquelle lAntirrheticus
prsente plusieurs tonalits selon les passages, tantt purement polmique et ironique,
tantt spirituelle, homiltique, voire catchtique lorsquil commente les paroles de la liturgie
du baptme. Il semble que Grgoire ne conoive pas ses traits de polmique sans des
ouvertures spirituelles pour un lecteur quil veut convaincre ou rassurer dans la foi
2613
en un Christ pleinement homme, pleinement Dieu .
Argumentation composite, voire bigarre, par la varit des exgses, par les images
parfois polmiques, ailleurs plus spirituelles, par les raisonnements tantt pousss
labsurde, tantt constitus denfilade de syllogismes, o alternent apologies et accusations
sur lunit du Christ : que retient la postrit patristique de cette rfutation de Grgoire
contre Apolinaire ? Le bouc-cerf est rest clbre pour fustiger les tenants dun Christ la
manire dhomme-Dieu, intermdiaire entre lhomme et Dieu. Mais naurait-on retenu que
lironie brillante de Grgoire contre Apolinaire ? Sil est vrai que la rflexion thologique
dApolinaire a jou un rle de pivot dans lhistoire de la doctrine chrtienne, parce quelle
fait basculer lintrt des auteurs patristiques de la question trinitaire la christologie,
la rfutation de Grgoire a-t-elle eu du mme coup daussi grandes rpercussions dans
les dbats ultrieurs ? Il serait intressant dexaminer comment et dans quelle mesure
largumentation du Cappadocien a t reprise par les auteurs postrieurs. Puisque le trait
de controverse de Grgoire contre Apolinaire est la premire manche dune polmique sur
le mode dunion de la divinit et de lhumanit dans le Christ, il serait intressant de prciser
ce qui, dans sa rfutation,sert de point de rfrence pour la rflexion christologique des
gnrations postrieures. Les thologiens ont-ils trouv formuls dans lAntirrheticus les
principes fondamentaux mais aussi les limites de la connaissance de ce qui sera appel
lunion hypostatique
2613
Nous reprenons les mots de M. Alexandre, La variante de Lc 11, 2 dans la troisime Homlie sur lOraison dominicale de
Grgoire de Nysse et la controverse avec les pneumatomaques , Grgoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours,
p. 189.
621
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2614
Exorde
La grande cit d'Alexandrie nest pas seulement pleine de la sagesse du monde, mais
les sources de la sagesse vritable jaillissent aussi chez vous depuis trs longtemps. C'est
pourquoi, mon avis, il est normal que ceux qui ont une plus grande capacit faire le bien
2615
s'allient notre combat pour la vrit du mystre . En effet, mme le sublime vangile dit
2614
2615
Cette seconde partie du titre est vraisemblablement le titre dorigine. Tous les manuscrits lindiquent.
Lexpression ne se trouve que dans cette lettre. dsigne ici le mystre
de la foi (cf. Bas. 114, 17 : ). Nous avons volontairement traduit littralement cette expression
pour marquer sa singularit par rapport aux autres formules utilises par Grgoire, telles que (An. et
res., PG 46, 145 B).
623
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2616
quelque part : celui qui il a t donn beaucoup, il lui sera demand davantage .
Il serait donc juste que toute la puissance, qui vous vient, ton glise et toi, de la grce
2617
divine, lutte contre la soit-disant connaissance
de ceux qui trouvent toujours quelque
innovation contre la vrit. Par leur fait, lharmonie voulue par Dieu est brise, le grand et
2618
vnrable
nom de chrtiens est rduit au silence
2616
2617
Lc 12, 48.
L'exorde de cette lettre est construit partir de l'opposition entre la sagesse profane et la sagesse chrtienne, puis entre la
vrit et de la gnose mensongre. : expression reprise d1 Tm 6, 20, verset souvent utilis dans la polmique
anti-gnostique, puis plus largement dans toutes les controverses doctrinales, pour dsigner lhrsie par opposition la vraie foi
() : Eus. Hist. eccl. III, 32, 8, GCS Eusebius II, 1, p. 270, etc. ; Or. Contre Celse, III, 11,SC 136, p. 34 ; emplois abondants chez
Cl. Alex., Strom. VII, 41, 3, 2, SC 428, p. 144 ; piphane, Pan. Haer. I,23, 2, 1, GCS Epiphanius I, p. 250, 3 ; 25, 2, 1, p. 268, l. 18;
26, 2, 2, p. 277, 1 propos de lhrsie gnostique ; Bas., De Spi. Sanct., 9, 23, 3, SC 17 bis, p. 330 ; Gr. Nys., prol. Abl. , 37, 10. Cf.
A. Le Boulluec, La notion dhrsie dans la littrature grecque, op. cit., I, p. 100-101 ; II, p. 401-414 etc.
2618
: cf. Maced. 101, 23 ; Eph., Pan. Haer. Prol., I, 2, 1, GCS Epiphanius I, p. 156, 11.
624
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2619
et l'glise est divise selon des appellations humaines . Et le plus terrible de tout,
c'est que les hommes se rjouissent d'tre dsigns du nom de ceux qui les guident dans
2620
la voie de l'garement . Si seulement il tait possible que s'accomplisse radicalement la
prire du Prophte, que les pcheurs et les impies disparaissent de la terre pour qu'ils
2621
n'existent plus , un tel fait serait prfrable tout. Mais puisque les propos des impies
ont le dessus par l'action de l'Ennemi et qu'ils sont puissants contre la vrit, il suffirait au
moins de rduire les maux et d'empcher que n'augmentent et ne croissent plus encore
des choses bien pires.
Accusation des apolinaristes
Que veux-je donc dire? Les chefs de file qui propagent les doctrines d'Apolinaire tentent
d'imposer leurs propres ides par des calomnies contre nous, tablissant ainsi que le Verbe
2622
est charnel, que le Fils de l'homme est l'auteur des sicles
et que la divinit du Fils
2623
est mortelle . En effet, ils exposent que certains de l'glise catholique invoquent dans
2624
la doctrine
deux Fils, l'un qui l'est par nature, l'autre qui l'est devenu plus tard par
2625
adoption
(je ne sais chez qui ils ont entendu une chose pareille
2619
Grgoire dcrit la situation ecclsiale comme Paul au dbut de sa Premire ptre aux Corinthiens, Moi, je suis de
Paul, moi dApollos, moi de Cphas etc. (cf. 1 Co 1, 12-13). propos de la participation des fidles aux controverses religieuses,
qui expliqueraient ces factions que dnonce Grgoire, cf. M.-Y. Perrin, propos de la participation des fidles aux controverses
doctrinales dans lAntiquit tardive : considrations introductives , Antiquit Tardive 9, 2001, p. 179-199 ; N. McLynn, Christian
Controversy and Violence in the Fourth Century , Kodai 3, 1992, p. 15-44. propos du phnomne des rpercussions ecclsiales des
dbats doctrinaux, cf. aussi ltude rcente de M. Cassin, Sur la divinit du Fils et de lEsprit et sur Abraham : thologie et politique
ecclsiale , communication donne au colloque international sur les Opera dogmatica minora de Grgoire de Nysse (Tbingen,
septembre 2008), paratre. Mme si la Lettre Thophile est indniablement moins riche sur ce point que le discours Sur la divinit
du Fils et de lEsprit prononc Constantinople au moment du concile, on note un point commun : Grgoire exploite dans son exorde
les effets ecclsiaux dune dissidence doctrinale. Largument de sectes lintrieur de lglise, dont on se revendique avant de se
dire chrtien, ne peut quavoir un impact persuasif plus fort sur le destinataire, vque dAlexandrie. Largument utilis par Grgoire
dans lexorde est lunit de lglise.
2620
. Cf. la rflexion sur le nom de chrtien et ses consquences sur le plan thique en De Prof. Christ., GNO VIII/1,
Seul emploi de Ps 103, 35 repre dans un contexte polmique, chez Grgoire, et non pas dans un commentaire
exgtique.
2622
Par lexpression johannique Fils de l'homme (cf. Jn 3, 13), Grgoire entend l'homme Jsus, par opposition au Verbe
prexistant. La doctrine accuse ici est celle de la prexistence de la chair du Christ, attribue Apolinaire. Cette thse aurait pour
consquence de rapporter lhumanit de Jsus ce qui est relatif sa divinit en dehors du temps de lconomie.
2623
2624
Cf. Apolinaire, frg .95, Antirrh. 219, 1-6 ; Gr. Naz., Lettre 202, Nectaire, 16, SC 208, p. 92.
est utilis selon diffrentes acceptions dans la mme phrase, dune part au pluriel pour dsigner la doctrine des
apolinaristes (cf. Antirrh. 185, 27 ; 144, 23 ; 215, 9 ; 136, 15. Selon le mme emploi, dsigne plus largement la doctrine des
hrtiques, dans les controverses, cf. Eun. I, 407, GNO I, 145, 27 ; I, 675, GNO I, 220, 19), dautre part, au singulier, le terme dsigne la
doctrine chrtienne que Grgoire reconnat orthodoxe (cf. Eun. III, 3, 69, GNO II, 133, 12 ; Ref. 114,GNO II, 360, 18 ; Abl. 38, 14 etc.).
2625
Cf. frg. 42, Antirrh. 162, 17-19 ; frg. 81, Antirrh. 199, 18-20 ; frg. 92, Antirrh. 216, 10-12 ; Gr. Naz. Lettre 101, Cldonius,
625
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et quel fantoche ils s'en prennent : car je ne connais encore personne qui ait lucubr
de telles ides). Mais puisqu'ils ont mis en avant cette ide contre nous, et que semblant
combattre cette aberration, ils renforcent en ralit leurs propres conceptions, il serait
2626
bon que ta perfection dans le Christ, autant que l'Esprit Saint te le fait comprendre ,
2627
limine les prtextes de ceux qui cherchent des prtextes contre nous , et convainque les
2628
dlateurs qui accusent
calomnieusement l'glise de Dieu de soutenir ces ides, qu'une
2629
telle doctrine ne se trouve pas et ne sera jamais proclame chez les chrtiens .
2626
Daprs le Liddell Scott, signifie mettre quelque chose dans la pense de quelquun ; la mention
de ce passage de lAd Theoph. se trouve dans une rubrique du Lexicon Gregorianum, o sont rpertories les expressions
/ qui signifient mettre, conduire dans un tat : par ex., ( conduire la rsurrection ) signifie
ressusciter (). Dans loccurrence de la Lettre Thophile, il est possible que Grgoire joue aussi sur la distinction entre
le divin et le humain, qui est abondamment exploite par Apolinaire, comme nous lavons vu.
2627
2628
626
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2629
Linsistance avec laquelle Grgoire emploie le terme chrtien est lindice que la lettre a t rdige une poque
o les apolinaristes ont t officiellement exclus de lglise. Le dbut de la lettre est construit partir dune opposition entre ceux
qui se revendiquent de telle ou telle obdience religieuse, sans plus se dire chrtien, et Grgoire, qui au contraire, tend souligner
lunit doctrinale qui rassemble les chrtiens. Un tel argument ecclsiologique met nouveau en valeur les rpercussions des dbats
doctrinaux dans lorganisation des glises.
2630
2631
2632
Cf. He 1, 2.
Ba 3, 38 ; cf. Ps.-Gr. Nys., Testimonia adversus Judaeos, PG 46, 200 D.
cf. 1 Tm 3, 16 : il s'est manifest dans la chair ( ). Grgoire sappuie sur une citation scripturaire
quil modifie : il s'est manifest travers la chair ( ) . On peut aussi comprendre comme : au moyen
de la chair . La chair est le moyen par lequel Dieu se rvle lhomme, selon Grgoire, et non pas ltat qui qualifie la divinit du
Logos. La modification de Grgoire pourrait sexpliquer par le fait quApolinaire se fonde sur 1 Tm 3, 16 pour laborer sa christologie
du .
2633
Cf. frg. 38, Antirrh. 155, 18-25, qui reflte linterprtation apolinarienne sur les titres du Christ dans lptre aux Hbreux.
Daprs nos analyses (cf. partie IV, chapitre 2 Lunit du Christ ), Apolinaire avait le souci de prouver sur le plan ontologique que
le Logos prexistant tait le mme sujet que lhomme Jsus. En montrant que Dieu tait le ou du Christ, il dmontrait
comment Jsus et le Logos ntaient pas deux personnes un dans un autre , mais un mme esprit () qui sunissait la
chair pendant lincarnation.
2634
: en rhtorique classique, le terme dsigne toutes les formes de mise en uvre, depuis les recherches
purement formelles jusqu largumentation et la confirmation (cf. L. Pernot, La rhtorique de lloge dans le monde grco-romain,
I, Paris, 1993, p. 341). Mais le terme peut avoir le sens plus prcis de confirmation par opposition (cf. Aelius Thon,
Progymnasmata, 66, 32, CUF, d. M. Patillon, G. Bolognesi, p. 10) ; ou encore celui de preuve , qui est le sens que nous avons
retenu ici (cf. Or. Contre Celse, IV, 89 ; SC 136, p. 406).
2635
L'argument des thophanies de lAT comme prophtiesdu Christ a t abondamment utilis dans les polmiques
antrieures la controverse anti-apolinariste, et spcialement dans les discussions anti-juives. Pour une tude dtaille sur le dossier
des testimonia de lAT, cf. S. Morlet, L'apologtique chrtienne l'poque de Constantin, La dmonstration vanglique d'Eusbe de
Csare, thse de doctorat de lUniversit Paris IV, prsente sous la direction d'O. Munnich, novembre 2006 ; id., Lintroduction
de lHistoire ecclsiastique dEusbe de Csare (I, II-IV) : tude gntique, littraire et rhtorique , REAug., 52, 2006, p. 57-95.
Pour notre part, nous ne revenons pas sur les citations chez les auteurs antrieurs de ces versets mentionns par Grgoire, dans la
mesure o les citations vtrotestamentaires appartenaient des collections dont se sont abondamment servis les Pres, tels Justin,
Dialogue avec Tryphon, d. Ph. Bobichon, coll. Paradosis, Frigourg, 2003, p. 349-353 ; Tertullien, Adversus Praxean (d. A. Kroymann,
E. Evans, CCL II, 2, Turnhout, 1954, p. 1159-1205) ; Novatien, De Trinitate, d. G. F. Diercks, CCL IV, Turnhout, 1972, p. 42-78).
Largument des thophanies nest pas original en lui-mme, mais la faon dont Grgoire le rexploite pour rpondre laccusation
de confesser deux Fils est inattendue. En effet, il se sert des nombreux versets qui taient utiliss comme prophties du Christ, afin
de pousser jusqu labsurde le grief apolinariste : si on fait du Logos prexistant et de lhomme Jsus deux personnes distinctes, il
faudrait confesser autant de Fils quil ny a de manifestation du Fils dans lAT.
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2636
: manifestation de Dieu pour qualifier lincarnation du Fils. Cf. par ex., Justin, Apol. 32, 2, SC 507, p. 212) ;Ath.
p. 233 sq.).
2640
Ex 3, 2 : allusion l'pisode du buisson ardent. Cf. Dm. v., V, 13-14 (GCS, p. 236-237).
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2643
dos . Il sera aussi encore un autre Fils, celui qui a combattu aux cts du successeur
2644
2645
de Mose , et celui qui a parl Job au milieu du tourbillon , celui qui est apparu
2646
Isae sur un trne lev , celui qui est dcrit sous une forme humaine dans le rcit
2647
2648
d'zchiel , puis celui qui a bloui Paul dans la lumire , et avant lui, celui qui, sur la
2649
montagne, est apparu aux compagnons de Pierre, dans une gloire plus sublime encore .
Mais s'il est aberrant et totalement impie de distinguer les thophanies diverses et
varies du Fils unique pour tablir une pluralit de Fils, c'est d'une aberration tout aussi
grande que de faire de la manifestation par la chair le prtexte pour prouver lexistence dun
autre Fils.
2641
En Ex 20, 21, il est dit au contraire que Mose vint dans la nue, mais que Dieu n'tait pas dans la nue. Cf. Eus. Dm.
Ex 13, 21 : passage de la mer Rouge. Autre allusion aux nues : Ex 19, 16 ; 19, 9 ; Nb 12, 5 ; Ex 33, 9-10. Cf. Eus.
Fr. Mller renvoie Ex 14, 19 (pisode de la traverse de la mer rouge o l'ange de Dieu se trouve derrire l'arme). Mais
il est plus vraisemblable qu'il s'agisse d'une allusion ici Ex 33, 22, lorsque Dieu se rvle de dos Mose dans sa grotte ( J'carterai
ma main et tu verras mon dos : mais ma face, on ne peut la voir ).
2644
2645
2646
2647
Jos 5, 13.
Jb 38, 1.
Is 6, 1.
Ez 1, 26. Dans le texte de la LXX, c'est qui est employ. La mme formule que Grgoire est utilise par Eusbe,
Ac 9, 3.
cf. Mt 17, 1 : pisode de la Transfiguration. Origne, Contre Celse, IV, 16, SC 136, p. 220-221, utilise ce passage pour
montrer le rapport entre la manifestation divine et lavancement dans la connaissance de Dieu (dbutant, progressant, perfectionnant).
Cf. Aussi Contre Celse II, 64, SC 132, p. 436 : Origne explique pourquoi le Christ ne sest pas montr transfigur tous. Cf. pour
lpisode de la transfiguration dans ce passage, cf. ltude de B. Pottier, Dieu et le Christ selon Grgoire de Nysse, op. cit., p. 258.
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Cf. Philon, De Abrahamo, 124 ; De migratione, 38 ; Origne, fragments du Commentaire sur la Gense, PG 12, 124 C
( ) : les thophanies sont les rcompenses rserves ceux qui sen taient rendus dignes par leur niveau spirituel.
Nous reprenons les rfrences cites par S. Morlet, Lintroduction de lHistoire ecclsiastique dEusbe de Csare , art. cit., p. 71.
2651
L'ide dune rvlation progressive de Dieu en fonction de la puret de cur des hommes est dj dveloppe par Eusbe,
Dm. Ev., V, 14, (GCS, p. 238, l. 8-10). Il explique par exemple, propos des thophanies de lAT, comment le peuple ne voyait pas
Dieu, mais simplement une nue, tandis que Mose pouvait contempler Dieu : Car il appartenait des parfaits de pouvoir voir par
avance son apparition dans la chair qui devait advenir un jour chez tous les hommes; comme l'ensemble du peuple ne pouvait pas la
contenir, c'est juste titre qu'il leur apparaissait (
, , ).
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2652
que, lors de l'conomie par la chair , il se manifeste au monde ; mais, parce que tous,
2653
comme dit le prophte, avaient dvi et taient corrompus , et qu'il n'y avait plus
2654
personne capable de comprendre et de rechercher la sublimit de Dieu , comme il est
crit, alors le Fils Unique, afin de se manifester une gnration plus charnelle, devint chair
(Jn 1, 14), stant rduit lui-mme la petitesse de celui qui le reoit, ou plutt, comme le
2655
dit l'criture, stant ananti lui-mme , pour que notre nature puisse le recevoir selon
2656
sa capacit . En effet, la condamnation de cette gnration en comparaison de celles qui
l'ont prcde, nous lavons apprise clairement de la voix du Seigneur, lorsquil a rvl que
2657
les habitants de Sodome et de Ninive
seraient moins svrement condamns que ses
contemporains et que le Seigneur a dcrt que la reine du Midi jugerait cette gnration
2658
lors de la rsurrection .
Si tous avaient pu, comme Mose, se trouver l'intrieur des tnbres, o Mose vit
2659
l'invisible
ou bien si, comme le sublime Paul, ils avaient pu tre levs au-dessus
des trois cieux et apprendre, dans le paradis, les mystres indicibles concernant les ralits
2660
qui excdent la parole , ou si, comme lie brlant de zle, ils avaient t emports par
2661
le feu dans une rgion cleste sans tre alourdis par le fardeau du corps , ou bien si,
comme zchiel et Isae, ils pouvaient voir sur son trne de gloire celui qui sige au-dessus
2662
des Chrubins ou qui est glorifi par les Sraphins , il n'y aurait certainement pas eu
besoin dune manifestation de notre Dieu par la chair, parce que tous auraient t comme
ces voyants. Mais, puisque, selon la parole du Seigneur, la gnration d'alors tait une
2652
(Antirrh. 183, 12). Ces trois expressions ont le mme sens : elles servent dnommer lincarnation.
Dans la controverse contre Apolinaire, ces formules sont utilises pour marquer la distinction entre la nature divine et ltat charnel qui
nappartient quau temps de lincarnation. Selon le Lexicon Gregorianum, la plupart des emplois du mot dans un contexte
o il sagit de prouver que le Christ est pleinement homme et pleinement Dieu se situe dans les controverses anti-apolinarienne et
anti-eunomienne (cf. Eun. III, 1, 92, GNO II, 35, 17 ; Eun. III, 2, 55, GNO II, p. 70, 25 ; Eun. III, 1, 54, GNO II, p. 22, 25). Cf. emplois
similaires en Tit. Ps , II, VIII, 42, SC 466, p. 330 : Simpl. 63, 1 et 16 ; Cant. , GNO VI, 254, 14.
2653
Ps 13, 3.cf. Rm 3, 12. L o Eusbe, dans sa Dmonstration vanglique, expliquait le retard de lincarnation ( 17-23)
aprs avoir pass en revue les testimonia qui annonaient le Christ dans lAT, Grgoire justifie la venue du Verbe dans la chair, aprs
lnumration des thophanies, par le fait que le mal avait atteint son point culminant. Ce thme est abondamment utilis par Grgoire
(cf. Or. cat. XXIX, l. 15-30, SC 453, p. 276 ; Antirrh. 171, 10-13), mme sil ne lui est pas propre (cf. Ath., De Inc., 8, 2, SC 199, p.
90). Cf. les tudes de J. Danilou, Ltre et le temps chez Grgoire de Nysse, op. cit., p. 186-204 ; Comble du mal et eschatologie
chez Grgoire de Nysse , Festgabe Josef Lortz, d. E. Iserloh, P. Manns, t. II, 1958, Baden Baden, p. 27-45.
2654
2655
2656
rcurrente chez les auteurs patristiques. Cf. Antirrh. 159, 23-24 ; Cyr. Alex., Dial. Christ. Le Christ est un, 753, SC 97, p. 430-432.
2657
2658
2659
2660
2661
GNO X/1, p. 114, 2 ; Or. Cat. X, l. 13, SC 453, p. 206 ; Antirrh. 209, 28.
2662
Cf. Is 6, 1 ; Ez 10, 1.
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2663
2663
2664
2665
Mt 12, 39 ; 16, 4.
1 Jn 5, 19.
Limage du Christ-mdecin tient une place de premire importance dans la doctrine sotriologique de Grgoire. Elle est
souvent lie lide que le mal, telle une maladie, avait alors atteint son comble et que le seul remde appliquer tait lincarnation
de Dieu lui-mme. Cf. Antirrh. 160, 16-27 (dans une exgse de Ph 2, 7) ; 171, 20-24 ; 226, 4. Cf. aussi Or. dom. VII/2, p. 46, 10 et
14 ; Or. cat. , XXVI, l. 78-80, SC 453, p. 264 ; 30, l. 18, SC 453, p. 276. Cf. ltude de M. Canvet, Nature du mal et conomie
du salut chez Grgoire de Nysse , RechSR, 1968, p. 87-95 ; J.-R. Bouchet, La vision de lconomie du salut selon S. Grgoire de
Nysse , RSPT,52, 1968, p. 613-644. Cf. aussi M.-A. Vannier, Limage du Christ mdecin chez les Pres , Les pres de lglise
face la science mdicale de leur temps, op. cit.,p. 525-534.
2666
Le substantif est un terme notestamentaire : cf. Mt 14, 14 ; Mc 6, 5 et 13 ; 16, 18 ; 1 Co 11, 30. Chez Grgoire,
est utilis pour dsigner et la maladie qui affecte le corps et celle du pch qui affecte lme (cf. Eun. I, 4,GNO I, p. 23,
15 ; Eun. II, 617, p. 406, 22 ; Eun. III, 4, 31, GNO II, p. 146, 3.7.8).
2667
Mt 26, 41.
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2668
2669
Cf. Ph 2,7
Cf. Jn 1, 5.
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2670
2671
toute opinion
digne de Dieu , exempte de changement et de mutabilit, est observable
dans le Fils unique dune faon constante, et que le mme est toujours tel qu'il est gal
lui-mme, comment nous contraint-on nommer dualit de Fils la manifestation advenue
par la chair, comme si lun, antrieur aux sicles, tait un Fils, et lautre, engendr par Dieu
dans la chair, un autre Fils ?
2672
Pour notre part, en effet, nous avons appris et nous croyons d'aprs le mystre
la nature humaine a t sauve par son union avec le Verbe ;
2670
que
Nous avons traduit par opinion en rfrence Eun. II, 140, GNO I, p. 266, 15 :
: cf. Maced. GNO III/1, 92, 33 ; Or. cat. , XVI, l. 24,SC 453, p. 222.
dsigne ici la connaissance rvle. Au sens de rvlation , il est trs utilis par les Pres. Cf. Irne,
Haer., III, 12, 9, SC 211, p. 216-217, rtroversion grecque et frg. 21 ; Cl. Alex., Paed. III, 1, 2, 1, SC 153, p. 14 ; Athanase, Contra
arianos, I, 41, 2, Athanasius Werke, I, 1, 2, d. K. Metzler, op. cit., p. 150 ; Gr. Nys., Eun. III, 3, 52, GNO II, p. 126, l. 10 ; Maced. p.
102, 6, etc. Dans la polmique contre Apolinaire, dsigne la plupart du temps lincarnation du Verbe (cf. Antirrh. 135, 30 ;
193, 24 ;215, 6 ; 216, 6). Mais il peut dsigner aussi la divinit du Verbe incarn. Cf. lemploi par lapolinariste Valentin, Apol. 5, Lietz.
p. 289, 13 (la chair a revtu le voile du mystre cach , en rfrence 1 Tm 3, 16).
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mais un Fils de Dieu charnel considr en propre pour lui-mme, nous ne l'avons pas
appris ni ne sommes amens le concevoir par dduction logique ! Ce n'est pas parce qu'il
2673
est devenu pch et maldiction pour nous , comme le dit l'Aptre , ni parce qu'il a
2674
pris sur lui nos faiblesses , selon la parole d'Isae , qu'il a laiss sans remde le pch,
2675
la maldiction et la faiblesse : mais ce qui tait mortel a t englouti par la vie , celui
2676
qui a t crucifi en raison de sa faiblesse, a repris vie par sa puissance , la maldiction
2677
a t transforme en bndiction , et tout ce qui, de notre nature, tait faible et prissable
a t ml la divinit pour devenir ce qu'est la divinit. Alors, sur quoi se fondera-t-on pour
2673
2674
2675
2676
2677
2 Co 5, 21 ; Ga 3, 13.
Cf. Is 53, 12.
2 Co 5, 4. Cf. aussi 1 Co 15, 55 ( : la mort a t engloutie pour la victoire ).
2 Co 13, 4.
Cf. 2 Esd. 23, 2.
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concevoir une dualit de Fils, comme si on tait amen par je ne sais quelle ncessit
2678
laborer une telle conception
du fait de lconomie dans la chair ?
2679
Celui qui est toujours dans le Pre, qui a toujours le Pre en lui
et qui est uni
2680
lui , est et sera comme il tait auparavant, et un autre Fils que lui nexistait pas ni na
exist ni nexistera. Mais les prmices de la nature humaine, assumes par la divinit toute2681
puissante
pour utiliser une image, telle une goutte de vinaigre mle l'ocan infini se trouvent dans la divinit, mais non pas dans leurs proprits particulires. Ainsi, en effet,
pourrait-on supposer logiquement une dualit de Fils,
2678
Pour le sens de chez Grgoire, cf. les analyses du vocabulaire de la connaissance par M. Canvet, Grgoire
de Nysse et l'hermneutique biblique, p. 42-45. Le terme peut dsigner toute conception labore par opposition lintuition, ou
dans un sens plus gnral, la simple conception ne directement de la sensation. dsignait chez les stociens un jugement
port sur la reprsentation qui ne produit pas par elle-mme lassentiment indispensable la comprhension (cf. frg. 548, SVF III,
op. cit., p. 147, 4 : l peut tre faible ou mensongre, cf. frg. 994, SVF II, p. 291, 26). Ce sens chez les stociens explique
lemploi banal du mot chez Grgoire au sens dopinion errone, ce qui est le cas dans Lettre Thophile.
2679
2680
2681
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2682
si dans la divinit indicible du Fils tait reconnue une nature d'un autre genre
avec
des caractristiques particulires, de sorte qu'existeraient conjointement la faiblesse, la
petitesse, la corruptibilit, l'phmre et la puissance, la grandeur, l'incorruptibilit, l'ternit.
Mais puisque tous les attributs qui sont considrs globalement dans l'lment mortel ont t
transforms dans les proprits de la divinit, si bien que pour chacun d'entre eux on ne peut
plus percevoir de distinction (ce que l'on peut voir du Fils est divinit, sagesse, puissance,
2683
saintet, impassibilit), comment pourrait-on diviser l'un en une double acception , alors
qu'on ne fait aucune distinction numrique ?
2682
: le terme est employ rarement comme adjectif, daprs le Lexicon gregorianum. Il est aussi rapport
et en Eun. II, 275, GNO I, 307, 14 ; Eun. I, 103, GNO I, 172, 3, dans un contexte trinitaire o il sagit de prciser le paradoxe
de la diffrence des personnes et de lunit de substance ( ).
2683
: lexpression est utilise par Grgoire dans un tout autre contexte dmonstratif en Antirrh. 185, 26,
lorsque Grgoire oppose le schma anthropologique dichotomite la trichotomie apolinarienne. Il fait alors rfrence l'homme
intrieur et l'homme extrieur dont parle Paul en 2 Co 4, 16. Dans la Lettre Thophile, o lenjeu est christologique, il sagit de
montrer limpossibilit, voire l'absurdit, de nommer avec deux appellations distinctes ce qui constitue une unit ontologique.
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2684
2684
2685
2686
Ph 2. 9.
Ph 2, 9.
Le doublet n'est pas une formule biblique littrale, mme si souvent les deux termes se trouvent souvent employs
proximit (1 P 2, 13 ; 2 Pi 1, 11 ; 1 Tm 6, 15 ; Ap 17, 14 ; 19, 16 ( roi des rois, Seigneur des Seigneurs ). Il est aussi frquent
comme attribut divin dans la littrature classique : cf. Plut. Sur la fortune ou la vertu dAlexandrie, 326 e 10, uvres morales, CUF,t.
V/1, d. Fr. Frazier, Chr. Froidefond, Paris, 1990, p. 115 ; Isis et Osiris, 370 d 4, uvres morales, CUF, t. V/2, d. Chr. Froidefond,
Paris, 1988, p. 220 ; etc. ; Philon, De Josepho, 7, 3, d. J. Laporte, uvres de Philon, 21, Paris, 1964, p. 43 ; De somniis, II, 99,
3 ; d. P. Savinel, op. cit., p. 170.
2687
2688
Ac 2, 36.
Cf. Perf. , GNO VIII/2, p. 176, 17-177, 7 : Grgoire explique que le Christ, signifie l'Oint et qu'il est roi, parce qu'il a reu
l'onction d'ordinaire confre aux rois : Par l'appellation de Christ, ce qui est signifi en premier et en propre, c'est le pouvoir royal
( ).
2689
: le verbe est utilis par Aristote pour parler des changes de mouvement entre l'eau et l'air (Phys. 209 b 25 ;
CUF, p. 127 ; 211 b 27, ibid. p. 132) ; Meteor. II,366 b 20, CUF, d. P. Louis, Paris, 1982, p. 92. Ni Lampe ni le TLG ne rpertorient
demploi pour parler de lchange des proprits en christologie en dehors de ce passage.
2690
L'ide d'une communication des noms divins et humains dans le Christ, en vertu de lunion de Dieu et de la chair, telle
quelle est expose ici par Grgoire, est un point important de la doctrine d'Apolinaire. Cf. De unione , 4, Lietz. p. 186-187 :
,
( il n'y a pas de sparation ni de fait ni en parole,
lorsque le Seigneur est appel esclave et lorsque lincr est nomm faonn par sa conjonction avec la forme d'esclave (cf. Ph 2,
7) et le corps faonn . Largument est dvelopp de faon lgrement diffrente par les deux auteurs. L o Grgoire parle des
deux natures en termes de divin et dhumain (, ), Apolinaire exploite la dichotomie cr-incr (,
). Cela sous-entend quil conoit lontologie du Christ sur le modle Esprit-chair, la diffrence de Grgoire.
Apolinaire conclut en dclarant que le corporel est dit de lensemble, et le divin, de lensemble aussi (
), De unione, 17, Lietz. p. 192. Chez les deux auteurs, Ph 2, 6-11 reste le fondement scripturaire
pour comprendre lunion du divin et de lhumain dans le Christ.
2691
1 Co 2, 8. Cf. lexgse dApolinaire sur les versets propos de la gloire du Christ dans le De unione , 7, Lietz. p. 188 :
Et lorsqu'il dit glorifie-moi, la parole profre par le corps et la glorification sur le corps, sont dites sur l'ensemble, parce que
l'ensemble est un. Et inversement, en disant : la gloire que j'avais auprs de toi avant que le monde ft (Jn 17, 1), il montre la divinit
glorifie depuis toujours, et ce qui convient en propre la divinit est appliqu cependant l'ensemble (
, , , .
, ,
, ).
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2692
et que celui qui est ador par toute la cration, au ciel, sur terre et aux enfers ,
2693
est appel Jsus. En effet, dans ces paroles, la vraie et indivisible union est exprime
par le fait que la gloire de la divinit est dsigne par l'appellation de Jsus, chaque fois
2694
que toute chair et toute langue confessent que Jsus Christ est Seigneur , et que
celui qui a endur les souffrances de la croix, qui a t fix par des clous, transperc par la
2695
lance, est appel par Paul Seigneur de gloire . Si donc son humanit non plus n'est
2696
pas dsigne dans les proprits de la nature , mais qu'elle est Seigneur de gloire , on
2692
2693
Ph 2, 10-11.
Pour cet emploi de au sens d tre exprim, vouloir dire , cf. Lexicon Gregorianum : Eun. II, 28, GNO I,
p. 234, 21 ( propos du mot ) ; Eun. III, 6, 37, GNO II, 199, 8 ; Ref. 94, GNO II, p. 351, 1. Le verbe est utilis dans ce sens
dans lexgse dun verset (cf. Eccl. VI, 8, SC 416, p. 328, propos d1 Co 3, 12 : Cant. GNO VI, 336, 18, propos de Cant. 5, 4, etc.).
2694
2695
2696
Ph 2, 11.
1 Co 2, 8.
Il sagit de la nature humaine.
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n'oserait pas parler de deux Seigneurs de gloire, sachant qu' unique est le Seigneur Jsus
2697
Christ, par lequel tout a t fait . Sur quoi donc se fondent ceux qui nous reprochent
une dualit de Fils en profrant cette accusation contre nous comme un prtexte spcieux
2698
pour tablir leurs propres conceptions ?
Proraison
Voil donc ce que nous disons pour notre dfense. Mais nous cherchons aussi auprs
de ta perfection dans le Christ un alli qui renforce et parachve notre combat pour la
vrit, afin que n'aient aucune prise pour accuser l'glise ceux qui imposent leurs propres
2699
conceptions par des calomnies contre nous .
2697
2698
1 Co 8, 6.
Antirrh. 128, 13 : problme de ponctuation dans le texte dit par Fr. Mller. Il est prfrable, sur le plan syntaxique,
de mettre une ponctuation forte devant la question au style direct, qui ouvrirait une nouvelle phrase (
;). Cf. la leon du manuscrit syriaque, qui ajoute un (ou un , selon la rtroversion grecque) aprs le .
Une telle conjonction soulignerait une rupture syntaxique avec la phrase prcdente. En outre, en Antirrh. 126, 11, o la syntaxe
est similaire, Fr. Mller fait une phrase indpendante de la proposition interrogative introduite par
.
2699
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Bibliographie
I. Textes et traductions
A. Grgoire de Nysse
1. ditions
Abl. : Ad Ablabium, quod non sint tres dei : d. Fr. Mller (GNO III/1), Leiden, 1958.
Adv. Arium : Adversus Arium et Sabellium : d. Fr. Mller (GNO III/1), Leiden, 1958.
An. et res. : De anima et resurrectione : PG 46, 11 A-160 C.
Antirrh. : Antirrheticus adversus Apolinarium ; d. Fr. Mller (GNO III/1), Leiden, 1958.
Ascens. : In Ascensionem Christi oratio, d. E. Gebhart (GNO IX), Leiden, 1967.
Bas. : In Basilium fratrem : d. O. Lendle (GNO X/1), Leiden, 1990.
Beat. : De beatitudinibus : d. J. F. Callahan (GNO VII/2), Leiden, 1992.
Cant. : In Canticum canticorum : d. H. Langerbeck (GNO VI), Leiden, 1960.
De deit. : De deitate Filii et Spiritus sancti : d. E. Rhein (GNO X/2), Leiden, 1996.
De diff. et ess. : De differentia essentiae et hypostaseos : d. Y. Courtonne (Lettres,
Basile, CUF, t. I), Paris, 1957.
De inf. : De infantibus praemature abreptis : H. Hrner (GNO III/2), Leiden, 1987.
De prof. christ. : De Professione Christiana : W. Jaeger (GNO VIII/1), Leiden, 1963.
Diem lum. : In diem luminum : d. E. Gebhardt (GNO IX), Leiden, 1967.
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