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Tradition et traditions
Tradition et traditions, le thme qui s'inscrit dans le jeu subtil
de cette majuscule et de cette minuscule est immense, puisqu'il a fait nagure l'objet de deux livres importants du P. Congar, prcis- ment sous ce titre 1 . Dans ce bref expos, je voudrais proposer sim- plement des lments premiers de discernement, tant sur les sens de ces deux mots que sur les ralits qu'ils recouvrent. Il y a quelques annes encore, la tradition n'avait pas bonne presse : elle tait volontiers identifie au culte du pass, au conservatisme, bref tout ce qui s'oppose au progrs de notre temps tourn vers l'avenir. On souponnait l'appel la tradition de couvrir le souci inavou que rien ne change en notre monde, parce que l'ge d'or est derrire nous et que toute volution ne peut tre qu'une rgres- sion. Aujourd'hui la tradition redevient un thme d'actualit. Sans doute ce retour est-il le signe d'un monde particulirement dsem- par, qui prouve le vertige de quiconque perd ses racines et ressent le besoin de retrouver son identit en tenant ton aux valeurs reues. Comme souvent, le mouvement de balancier va d'un extrme l'autre : d'un refus primaire et sans nuance on passe un certain culte de la tradition. Le terme de traditionaliste, invent au XIX e sicle pour voquer les doctrines de Joseph de Maistre ou de Louis de Bonald, refait surface et devient mme l'tendard de certains groupes ecclsiaux. I. - Quelques prcisions de vocabulaire II nous faut distinguer tout d'abord, comme le titre de ce propos nous y invite, entre traditions avec un t minuscule et le plus sou- vent un s marquant le pluriel, et Tradition avec un T majuscule, gnralement considre au singulier. Dans le premier cas le terme de tradition veut dire coutume ou habitude reue des gnrations prcdentes et marquant la manire de penser, de vivre et d'agir d'un groupe social. Nous connaissons tous des traditions villageoises, voire urbaines, qui structurent le 1. Y.M.J. CONGAR, La 'Tradition et les traditions. I. Essai historique. II. Essai thologique, Paris, Fayard, 1960 & 1963. TRADITION ET TRADITIONS 571 cycle des saisons et des ftes de l'anne. Le mariage par exemple est une clbration qui respecte un grand nombre de traditions. Les socits dites traditionnelles leur donnent une place particulirement importante. Je pense la force de la tradition en Afrique, tradition de la dot par exemple. Le vie des socits industrielles modernes a fait sauter beaucoup de ces traditions et laisse l'individu souvent perdu dans une civilisation de masse, o aucune tradition ne vient plus baliser son espace culturel et lui permettre de trouver sa place. La tradition entendue en ce sens est comme la langue d'Esope, la meilleure ou la pire des choses. Elle joue dans la socit le rle qui est celui de l'habitude dans la vie individuelle. Aucun de nous ne peut vivre sans habitude; pourtant nous savons tous qu'il y a de bonnes et de mauvaises habitudes. Il y a aussi de bonnes et de mauvaises traditions. Il existe galement des traditions qui taient bonnes en un temps, mais qui se trouvent du fait de l'volution historique inadaptes aux situations nouvelles. En fait, les traditions bougent lentement mais srement avec le temps, si on les considre non pas l'chelle de la dure d'une vie humaine, mais celle d'une plus longue squence de gnrations. Aucun d'entre nous ne vou- drait vivre selon les traditions de nos anctres les Gaulois. Dans le domaine religieux ce type de traditions a tout fait sa place. Car toute socit religieuse a besoin de repres stables, d'us et coutumes, en particulier dans le domaine du rituel liturgique. Il y a ainsi dans l'Eglise un nombre considrable de traditions, qui obissent la loi de l'volution lente, par adaptation continue aux conditions nouvelles des cultures dans l'histoire. Ces traditions ont sans doute besoin d'tre rgules par l'autorit, pour viter la confu- sion ou l'anarchie. Mais le crdit qu'elles reoivent du fait de leur approbation ne saurait prtendre reprsenter un absolu. Leur con- frer ce rle peut conduire des comportements absurdes, injustifis, voire franchement injustes. Jsus lui-mme nous en avertit dans l'Evan- gile, quand il rpond aux pharisiens qui lui reprochent, lui et ses disciples, de prendre leur repas sans s'tre lav les mains. Les pharisiens invoquaient ce sujet la tradition des anciens, qui obli- geait un grand nombre de rites de purification au moment de man- ger. Jsus leur rpond: Vous laissez le commandement de Dieu pour vous attacher la tradition des hommes... Vous rejetez bel et bien le commandement de Dieu pour observer votre tradition (Me 7, 8-9). Il leur reproche en particulier d'invoquer une tradition des anciens permettant, sous le couvert d'une offrande sacre, de refuser toute aide financire ses vieux parents dans le besoin. Vous 572 B. SESBO, S,J, annulez la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez (Mt 15, 6). Tout autre est la ralit de la Tradition au grand sens chrtien du terme. Cette tradition n'est rien d'autre que la transmission de l'vangile. J'emprunte cette dfinition au grand thologien allemand de Tbingen au XIX e sicle, Johann Adam Moehier: l'Evangile vivant, prch dans l'Eglise avec tout ce que cet enseignement com- porte, n'est rien d'autre que la Tradition. Evangile et Tradition, c'est tout un, dit-il encore: L'Eglise, l'Evangile et la Tradition tom- bent ou persistent ensemble 2 . La Tradition est la grande mmoire de l'Eglise, celle qui lui assure son identit, l'instar de nos mmoi- res individuelles. Comme celles-ci galement, elle est vivante et nous tourne vers l'avenir. Nous sommes donc ici dans un autre ordre de ralit, qu'il nous faut examiner de prs en trois tapes, avant d'en tirer par manire de conclusion quelques enseignements concer- nant la situation actuelle de l'Eglise. II. - La Tradition de l'vangile et de la foi 1 e tape: le fondement ultime de la Tradition, la livraison du Christ Pour comprendre la ralit de la Tradition chrtienne dans son principe et fondement, il faut remonter trs haut, jusqu' la mission du Christ, c'est--dire l'envoi du Fils par le Pre. Tradere, mot latin qui correspond au grec paradidonai, veut dire transmettre, mais aussi livrer. Le mot tradidit est employ dans le Nouveau Testa- ment pour signifier l'acte par lequel le Pre nous livre son Fils, de mme que l'acte par lequel le Christ se livre, tradidit semetipsum, pour nous. Cette tradition du Fils par le Pre, cette tradition de soi du Fils, sur laquelle Augustin mditait en la distinguant bien de la trahison de Judas, pour laquelle le mme mot est employ, tradidit, est l'acte par excellence de don de soi du Fils, qui nous a aims et s'est livr pour nous jusqu' la mort et la mort de la croix. Ce don conduit au don de soi de l'Esprit, qui a t rpandu par Jsus ressuscit. Dans son origine premire le terme de tradition prend un sens inpuisable : il nous dit que le cur du mystre chr- tien est un vnement de communication dans l'amour, d'auto- communication de Dieu, selon l'expression de K. Rahner. 2. J.A. MOEHLER, L'unit dans l'glise ou le principe du catholicisme d'aprs l'esprit des P res des trois premiers sicles, coll. Unam Sanctam, 2, Paris, Cerf, 1938, p. 77. TRADITION ET TRADITIONS 573 Cette tradition a un pass, elle est fonde dans l'vnement pascal de Jsus; elle a un prsent, elle s'actualise continuellement dans la vie de l'Eglise, en particulier travers la clbration de l'Eucharistie, cur de la Tradition, o le Christ se livre nous, nous donne son corps et son sang manger et boire; enfin elle s'ouvre sur un avenir qui sera la tradition, la transmission, le don de tous les hom- mes Dieu. Car si Dieu en son Fils s'est livr nous, c'est pour que nous nous livrions lui notre tour dans un don total de nous- mmes. Cette tradition en retour des hommes Dieu s'accomplit elle aussi dans l'Eucharistie. Mais elle n'est pas acheve: elle nous oriente vers l'avenir. Cette tradition de Dieu aux hommes passe par l'incarnation de la Parole de Dieu, du Verbe mme du Pre dans un homme, le Christ Jsus. En lui la parole de Dieu devient parole humaine, la communication que Dieu nous fait de lui-mme respecte la loi de la communication entre les hommes. Ce don de Dieu, Jsus l'accom- plit la fois par sa prdication, transmise de bouche oreille, et par son agir, dont la forte signification symbolique permet de dire qu'il est le langage de sa vie et de son corps. Ceci a valeur de pro- gramme; cela veut dire que dsormais le don de Dieu aux hommes passe par une transmission humaine, celle de l'homme Jsus ses disciples, puis par la parole des tmoins de l'vnement fondateur. L'vnement de la Pentecte, marqu par la transmission de l'annonce vanglique que chacun pouvait comprendre en sa langue, en est le symbole. Mais cet vnement de parole n'enlve rien au fait que la transmission de l'Evangile, don de Dieu aux hommes, est chez les Aptres aussi un acte de don d'eux-mmes, de tradition et de livraison de soi jusqu'au martyre. En grec, le tmoignage se dit marty- rion: le tmoin est devenu le martyr. Cette loi de la livraison de soi fut celle de la prdication originelle. Comme le dit Pascal, nous croyons des tmoins qui se sont fait gorger. L'Eglise ne peut son tour transmettre l'Evangile, faire acte de tradition vivante, sans obir la mme loi. 2 e tape: la transmission vivante de l'Evangile dans l'Eglise Nous arrivons la deuxime tape de la tradition, toujours enve- loppe par la premire, qui demeure prsente dans la vie de l'Eglise. Pour en parler, je ne peux viter de citer le tmoignage d'Irne de Lyon, un Pre de l'Eglise de la deuxime moiti du II e sicle, qui est le docteur par excellence de la Tradition. Le Concile Vati- can II le cite abondamment, en particulier dans sa Constitution Dei 574 B. SESBO, SJ. Verbum sur la Rvlation. Car, paradoxalement, ce qui a paru nou- veau Vatican II, comme s'loignant un peu des coutumes et tradi- tions que nous connaissions, constitue en fait un vritable retour aux grandes vises de la Tradition ancienne. Voici ce que dit Irne : Le Seigneur de toutes choses a en effet donn ses Aptres le pouvoir d'annoncer l'Evangile, et c'est par eux que nous avons connu la vrit, c'est--dire l'enseignement du Fils de Dieu... Cet vangile, ils l'ont d'abord prch,^ ensuite, par la volont de Dieu, ils nous l'ont transmis dans des critures pour qu'il soit le fondement et la colonne de notre foi 3 . Ce texte est trs important; il parle d'un d'abord et d'un ensuite: d'abord, c'est la prdication orale, vivante, le tmoignage donn dans la transmission d'une parole dont vit le tmoin et qui est capable de faire vivre celui qui l'coute et la reoit. C'est l'Evan- gile du salut (Ep 1, 13) qui est puissance de Dieu pour le salut de tout croyant (Rm 1, 16) selon saint Paul. Cette transmission ou tradition est une sorte de contagion vanglique, qui va de la foi la foi. C'est une communication humaine, mais qui est porteuse d'une ralit divine. La Tradition est ce mouvement incessant de transmission de l'vangile travers les ges, par lequel l'Eglise ne cesse de recevoir et de donner. La loi de l'incarnation voulait que la Tradition de l'Evangile aux hommes ft porte par la personne vivante de Jsus de Nazareth. La mme loi veut que l'Evangile soit toujours port par un peuple qui en vit et le transmet au prsent, dans la puissance de l'Esprit qui lui est donn. Laiss lui-mme, un livre est toujours une lettre morte. en irait de mme de l'Ecriture, si elle n'tait sans cesse lue et annonce par un peuple qui la garde, afin qu'elle le garde dans la foi. Cet Evangile vivant, transmis par le tmoignage d'une foi vivante, grce au don de l'Esprit, se concrtise ds le Nouveau Testament dans des confessions de foi, par exemple: Je vous ai transmis en premier lieu, ce que j'avais moi-mme reu: Christ est mort pour nos pchs, selon les Ecritures. Il a t enseveli, il est ressuscit le troisime jour, conformment aux Ecritures (1 Co 15, 3-4). Il s'expri- mera plus tard dans la formulation des Symboles de foi, c'est--dire du Credo, auquel la tradition ancienne a donn, travers bien des variantes de formulation, une structure la fois trinitaire et christo- logique. Mais mme crits, les Credo restent de l'ordre de la parole 3. IRNE DE LYON, Contre les hrsies. Dnonciation et rfutation de la gnose au nom menteur, III, 1, 1, trad. Ad. ROU SSEAU , Paris, Cerf, 1984, p. 276. TRADITION ET TRADITIONS 575 orale, par opposition l'Ecriture, qui demeure fixe jamais. Le Credo est en effet l'expression d'une foi toujours dite au prsent de l'indicatif: c'est ici et maintenant que la communaut ecclsiale rassemble professe son Credo, par exemple au cours de la clbra- tion eucharistique, ou lors de la tradition du Symbole dans l'Eglise ancienne, c'est--dire la passation de celui-ci au catchumne. U ne parole orale est une parole vivante ; la tradition est donc essen- tiellement vivante. Elle se fait toujours au prsent, il n'y a pas de transmission qui se fixe en un pass. Le Credo connatra donc une vie au cours des ges; il se modernisera en fonction des besoins de l'histoire par un certain nombre d'ajouts. Nous y reviendrons. La Tradition s'inscrit principalement dans le Credo, appel souvent rgle de foi, mais aussi dans l'administration des sacrements, prin- cipalement le baptme et l'Eucharistie, de mme que dans la struc- ture de l'Eglise. Ensuite, nous dit Irne, les Aptres ont transmis l'Evangile dans des Ecritures. A cette occasion, pour la premire fois dans l'histoire, l'vque de Lyon nous livre le nom des quatre vanglistes : Mat- thieu, Marc, Luc et Jean. Ces derniers nous ont donn des formes crites d'Evangile; autrement dit, pour aider une Tradition ou transmission toujours authentique de l'Evangile, tout fait fidle l'enseignement de Jsus, ils ont consign par crit l'essentiel de ce qu'a dit et fait celui-ci. Irne insiste sur le fait que Matthieu et Jean sont bien des Aptres et des tmoins de Jsus, que Marc nous a crit l'Evangile prch par Pierre, un Aptre, et enfin que Luc tait le compagnon de Paul, l'Aptre des paens. Cette prsenta- tion thologique est trs intressante. Car elle souligne que les van- giles crits s'inscrivent dans une Tradition vivante, qui remonte Jsus lui-mme. Irne nous dit ainsi de manire spontane et nave la priorit de la Tradition vivante sur l'Ecriture et l'enveloppement de celle-ci par celle-l. En effet, l'Ecriture prend sens dans le corps des croyants qui la lisent avec une foi vivante. Sinon elle serait lettre morte. Nous savons aujourd'hui encore tout ce que l'on peut tirer de l'Ecriture, si on ne la lit pas avec la rgle du Credo chrtien. Rgle de foi vivante et texte crit sont articuls l'un l'autre et se portent mutuel- lement: la rgle de foi est toujours en acte d'interprter l'Ecriture; mais elle est aussi soumise son tmoignage. C'est ce que signifie la dtermination du canon des Ecritures au II e sicle, acte de Tradi- tion par excellence, mais acte de l'Eglise post-apostolique. Car nous 576 B. SESBO, S.J. ne devons jamais oublier que la liste des livres qui appartiennent aux Ecritures n'est pas dans l'Ecriture. L'criture ne donne pas sa table des matires. C'est l'Eglise qui la donne, dans un acte qui est la fois un acte d'autorit et un acte d'obissance, un acte de rcep- tion. Le canon des critures est objet de la Tradition, d'une part parce que c'est la Tradition des Aptres qui a constitu les livres qui en font partie, d'autre part, parce que c'est la Tradition post- apostolique qui les a reconnus, conservs et transmis. Nous ne dispo- sons de bonnes bibles, avec tablissement de texte et abondance de notes, que parce qu' travers les sicles l'Eglise nous a sans cesse transmis ce livre, ou plutt cette bibliothque de livres. On comprend ds lors la rponse qu'Irne donne la grande ques- tion de son temps, sans cesse pose par les gnostiques qui prten- daient tailler dans les Ecritures leur guise au nom d'une tradition sotrique, c'est--dire secrte: O trouver la vrit de l'Evangile? Cette vrit, rpond-il, on la trouve dans les Eglises prsides par ceux qui les Aptres ont confi l'origine les Eglises et leurs successeurs. Les vques sont ainsi les garants de cette Tradition vivante et authentique qui comporte la fois la succession publique et offi- cielle depuis les Aptres, le charisme de la charit et une conserva- tion des Ecritures impliquant trois choses: un compte intgral, sans addition ni soustraction, une lecture exempte de fraude et, en accord avec ces Ecritures, une interprtation lgitime, approprie, exempte de danger et de blasphme 4 . Et Irne clbre avec admiration la merveille de l'unit de la foi travers la diversit des peuples: Cette prdication... et cette foi... (l'Eglise) leur donne sa foi de manire semblable, comme si elle n'avait qu'une me et qu'un cur; c'est avec harmonie qu'elle annonce ces choses, les enseigne et les transmet, comme si elle n'avait qu'une seule bouche. Car bien que les langues soient diffrentes travers le monde, cependant la puis- sance de la Tradition est unique et la mme. Les Eglises fondes en Germanie n'ont pas d'autre foi, ni une autre Tradition; ni celles qui se trouvent en Espagne, chez les Celtes, en Orient, en Egypte, en Libye, ou au milieu du monde. De mme que le soleil, crature de Dieu, est unique et le mme dans le monde entier, de mme la pro- clamation de la vrit brille partout et illumine tous les hommes qui veulent venir la connaissance de la vrit 5 . Par consquent, les deux signes de la Tradition authentique sont l'apostolicit et la catholicit. Il n'y a pas de Tradition vraie en dehors de l'unanimit dans la foi et de la communion entre les Eglises. Selon 4. Ibid., IV, 33, 8, p. 519. 5. Ibid., I, 10, 2, p. 66. TRADITION ET TRADITIONS 577 le P. Congar, l'Eglise est le sujet de la Tradition vivante, tandis que le Saint-Esprit en est le sujet transcendant. 3 e tape: la Tradition vivante est ncessairement cratrice S'il appartient la Tradition d'tre vivante, elle ne peut donc tre purement immobile. Elle doit invitablement faire face des situa- tions nouvelles et engendrer des langages nouveaux. Elle ne peut se contenter de rpter sans cesse les mmes paroles, sans chercher les actualiser, dire leur sens pour la foi de chaque poque. Sinon ce serait du psittacisme, c'est--dire parole de perroquet. Cette proposition peut sembler trange, parce que nous avons tou- jours dans l'ide que la Tradition consiste dans la conservation du pass. Mais le mystre chrtien qui nous est transmis est paradoxal: il est la fois pass, prsent et avenir, comme le disait, propos de l'Eucharistie, la clbre ancienne de saint Thomas: O sacrum convivium in quo Christus sumitur; recolitur memoria passionis eius, mens impletur gratia, et futurae glonae nobis pignus datur. L'Eucha- ristie est comme la rcapitulation du mystre chrtien. Elle est essen- tiellement mmorial: mmorial d'un vnement qui est la fois pass, prsent et futur. Le pass, c'est le mystre de la mort et de la rsur- rection qui est arriv une fois pour toutes dans l'histoire. Le prsent, c'est l'actualit du mystre rendu prsent dans la clbration et travers lequel notre rdemption s'accomplit sans cesse. L'avenir, c'est la gloire de la fin des temps, le retour du Christ pour notre rsurrec- tion l'image de la sienne. Le Christ ne sera compltement ressus- cit que lorsque l'Eglise tout entire le sera avec lui. En clbrant l'Eucharistie, nous faisons paradoxalement mmoire d'un vnement qui pour une part est un avenir. Nous sommes en chemin, appuys sur l'vnement du pass, vivant dans sa grce notre prsent et tout tendus vers l'avenir. Or l'Eucharistie est un objet central de la Tradi- tion; saint Paul emploie les mmes formules devant les Corinthiens pour l'Eucharistie et pour la confession de foi: Voici ce que j'ai reu du Seigneur et que je vous ai transmis (1 Co 11, 23). Toute la Tradition, avec un grand T, est habite par cette tension vivante entre le pass et l'avenir. Ancien et Nouveau Testament Ceci ouvre invitablement la voie un certain conflit entre le nou- veau et l'ancien. Ce conflit commence avec celui de la nouvelle Alliance par rapport l'ancienne. Le Nouveau Testament relgue en quelque sorte le premier Testament au statut d'Ancien, objet de dbat dou- 578 B. SESBO, S.J. loureux avec la tradition juive. C'est ce que dit l'ptre aux Hbreux en citant Jrmie, ch. 31, le beau texte qui annonce non plus le renouvellement de l'Alliance, mais une Alliance nouvelle: En par- lant d'une alliance nouvelle, il a rendu ancienne la premire; or ce qui devient ancien et qui vieillit est prs de disparatre (He 8, 13). La limite de la tradition juive, malgr toute sa grandeur, est en quel- que sorte de n'avoir pas su rester assez vivante pour pouvoir intgrer la nouveaut du Christ, qui ne la contredisait pas, mais au contraire l'accomplissait. L'accomplissement de ce qui est transmis apparat toujours nouveau. Cela s'est traduit dans la communaut chrtienne primitive par un clbre dbat : fallait-il circoncire les paens convertis au christia- nisme, et plus gnralement leur imposer les observances du judasme ? Les tendances judo-chrtiennes rpondaient spontanment oui, au nom de la tradition : c'est ce que l'on avait toujours fait ! Paul rpon- dit vigoureusement non. On n'a pas le droit d'imposer ce fardeau aux paens. De plus, ce serait considrer que c'est la Loi qui nous sauve et non l'vnement de salut de Jsus-Christ. Que les judo- chrtiens continuent respecter les observances juives, afin de ne pas scandaliser, soit: Paul fera ainsi circoncire Timothe, dont la mre tait juive. le fait par respect pour des mentalits, mais en refusant toute porte salvifique un tel geste. Nous imaginons mal aujourd'hui le choc provoqu par la dcision de ce que l'on a appel le Concile de Jrusalem dans les communauts venues du judasme. Je ne peux m'empcher de me demander, avec l'anachronisme que cela comporte, de quel ct se serait trouv un Mgr Lefebvre dans un tel conflit? Certainement du ct des judo-chrtiens. Seulement cette poque tout le monde a refait l'unit autour de la dcision collgialement prise: les paens ne seront pas circoncis. On saisit l'enjeu d'une telle dcision pour l'avenir du christianisme, dcision inspire par l'Esprit. Nous ne serions sans doute pas chrtiens aujourd'hui, au cas o la dcision contraire aurait t prise. Le conflit de Carthage au III e sicle Ds l'origine donc, l'Eglise s'est heurte au problme de la nou- veaut concilier avec l'hritage religieux dans une synthse qui n'est pas un syncrtisme, mais une marche en avant, dans l'obissance la rvlation qui vient de Dieu. Ce type de conflit va se reproduire priodiquement, chaque fois qu'une situation historique ou cultu- relle imprvue va poser de nouvelles questions. J'en prends quelques exemples tirs de la vie de l'glise post-apostolique et m'arrte tout TRADITION ET TRADITIONS 579 d'abord au conflit entre rigoristes et misricordieux au III e sicle Carthage. Des perscutions sauvages avaient svi. Des chrtiens en masse avaient sacrifi aux idoles et donc apostasie. La perscution termine, ils deman- daient, non moins en foule, tre rintgrs dans l'Eglise. Deux partis taient en prsence. Certains voulaient une Eglise pure et refu- saient la rintgration des faillis (lapsi), comme on disait. D'autres voulaient une rconciliation presque immdiate. Cyprien volua dans son attitude. Dans un premier temps, il imposa aux faillis une pni- tence sine die. On ne disait pas si et quand ils seraient rconcilis l'Eglise. Puis voici qu'une nouvelle perscution menace : que feront tous ces gens, qui se sont montrs faibles une premire fois ? Cyprien estime alors qu'il doit les rconcilier et les admettre l'Eucharistie. Pourquoi? Parce que ceux qui sont faibles ont besoin du corps du Christ pour pouvoir tenir dans la nouvelle perscution. Cette belle attitude pastorale tait l'poque une petite rvolution dans la disci- pline ecclsiastique. Je n'entre pas dans les dtails, mais ce fut le point de dpart de tensions qui aboutirent un schisme particulire- ment compliqu. Le conflit de Nice Je prends un nouvel exemple avec la runion du Concile de Nice. Sur quoi se battait-on? Sur rien de moins que la divinit du Christ. Arius, au nom du monothisme, tenait que le Christ tait, par rap- port au Pre, une crature, trs leve sans doute et divine nos yeux, mais une crature. Il enseignait cette doctrine, tout en respec- tant la lettre du Credo, dont il trahissait l'esprit. Le Concile de Nice ne trouva qu'une seule solution: ajouter dans le Credo lui-mme des mots nouveaux qui excluent l'interprtation d'Arius, et explici- tent le sens authentique de la formule traditionnelle. Seulement ces mots nouveaux ne viennent pas de l'Ecriture, mais de la philosophie, juge dangereuse pour la foi. Scandale! A-t-on le droit de faire une telle innovation? D'autant plus que le fameux terme de consubstan- tiel, qui est toujours dans notre Credo, apparat peu clair, ambigu, donnant prise des interprtations douteuses. U ne crise de cinquante ans va s'ouvrir ce sujet et diviser l'Eglise en de multiples partis. Au bout du compte on s'aperoit que le souci de maintenir la lettre ancienne du Credo tait en fait habit par le dsir d'en changer le sens. Au contraire, ceux qui voulaient insrer les termes nouveaux le faisaient au service du maintien du sens ancien. La vritable fid- lit passait par l'acceptation d'une nouveaut. Mais, cette fois 580 B. SESBO, S.J. encore, bien des chrtiens sont tonns et inquiets. Basile de Csare, qui prendra le relais d'Athanase d'Alexandrie dans ce combat, est lui-mme interrog de manire trs inquite par de bons moines, que l'on appellerait aujourd'hui traditionalistes. Ceux-ci se proccu- pent de l'authenticit de sa foi et il leur rpond: J'ai jug logique, tant donn la diversit de l'impit seme par le dmon, d'carter par des vocables opposs ou mme de ruiner les blasphmes qu'on avanait; quitte changer de termes suivant les diffrents cas, selon que le besoin des malades m'y contraignait, et me servir souvent de mots absents de l'Ecriture, du moment qu'ils n'taient pas trangers l'intention religieuse de l'criture. Car souvent l'Aptre n'a pas refus de se servir de termes paens, selon son propre but... U n combattant et un agriculteur ne prendraient pas en mains les mmes instruments (autres en effet sont les outils de ceux qui travaillent en scurit aux ncessits de leur propre vie et les armures de ceux qui se prparent la guerre); de mme, celui qui prche selon la saine doctrine et celui qui rfute les contradicteurs ne parlent pas le mme langage. Autre la forme du discours contra- dictoire, autre celle du discours d'exhortation 6 . La liturgie On pourrait prendre bien d'autres exemples au cours de l'histoire de l'Eglise, capables de nous faire mieux comprendre ce qui se passe depuis Vatican II. J'voque d'un mot l'volution de la liturgie. La deuxime prire eucharistique promulgue par Paul VI est une adap- tation de la prire eucharistique que l'on trouve dans la Tradition apostolique d'Hippolyte de Rome. Ce recueil liturgique est trs vn- rable; aprs la Didach, beaucoup plus embryonnaire, c'est le pre- mier rituel un peu prcis, qui nous rend compte de l'tat de la litur- gie la fin du II e sicle en Orient et au dbut du IIP Rome. Le reproche de protestantisme, qui a t fait cette prire, apparat donc assez badin. L'humour de l'histoire veut que l'vque Hip- polyte, qui a rassembl ces documents en un recueil, tait en conflit avec le pape Callixte pour des raisons de traditionalisme. Il voulait en particulier que l'on garde le grec comme langue liturgique Rome, au lieu de commencer employer cette langue bassement vernacu- laire qu'tait le latin. De tous temps la liturgie a t un lieu privilgi de conflit entre anciens et modernes. En fait elle a donn lieu des adaptations conti- nuelles et a connu de grandes diversits. Les liturgies ont t et demeu- rent nombreuses en Orient. Elles ont t peut-tre moins diversifies en Occident, mais elles y ont davantage volu. Le Pape Pie V 6. BASILE DE CSARE. De F ide. dans PG 31. 677 b - 680 c. TRADITION ET TRADITIONS 581 aprs le Concile de Trente a fait exactement la mme chose que le Pape Paul VI aprs Vatican II: un aggiornamento de la liturgie, qui la fin du Moyen Age donnait des signes de dcadence. Je conclus cette brve mise en perspective de la Tradition chr- tienne en soulignant son rapport l'Ecriture et au Magistre. Par rapport l'Ecriture elle n'est pas une autre source, mais l'organe concret de sa transmission vivante et de son interprtation. Elle est la prsence vivante de l'Evangile dans l'Eglise, un Evangile toujours en marche vers son accomplissement plnier, vers l'avenir. Le Magis- tre est l'instance ministrielle qui dans l'Eglise discerne la Tradition et la formule chaque fois que cela est ncessaire. III. - Rflexions conclusives Les critres de la Tradition Je viens d'exposer la ralit de la Tradition chrtienne au sens fort que ce mot prend dans la vie de l'Eglise. J'avais soulign en commen- ant qu'il y a aussi des traditions lgitimes dans l'Eglise. Comment ds lors discerner l'une et les autres? Ce problme est d'autant plus dlicat que le plus souvent la Tradition, c'est--dire la transmission de la foi, s'exprime travers des attestations qui ne peuvent se con- fondre avec elle. Quelquefois mme la grande Tradition est vhicule travers tout un jeu de traditions. Mais la Tradition vivante trans- cende tous ses moments crits. Dj on ne peut identifier purement et simplement les Ecritures avec la Parole de Dieu : la Bible est l'attes- tation authentique de cette Parole, elle est le monument o s'inscrit la Rvlation. U ne distance de mme ordre existe entre les tmoigna- ges de la Tradition et celle-ci, en tant qu'elle est la ralit thologale de la transmission de la foi dans le sujet qu'est l'Eglise. Pour un tel discernement il existe des critres qui permettent de reconnatre les attestations authentiques de la Tradition dans l'Eglise. U n thologien orthodoxe, Kallistos Ware, reprenait rcemment son compte ce texte issu d'un dialogue entre anglicans et orthodoxes : L'Ecriture est le critre principal auquel se rfre l'Eglise pour dter- miner si des traditions font vraiment partie de la sainte Tradition ou non 7 . Les Symboles de foi ou Credo sont aussi des monuments capitaux pour la Tradition: il est bien plus important de voir la conception virginale de Jsus affirme ds les toutes premires formules iA/'1001l AC..A 582 B, SESBO, S.J. de foi que d'attendre qu'elle soit dfinie par un concile. Les sacre- ments et la structure ministrielle de l'Eglise appartiennent aussi vi- demment la Tradition de la foi. Quand il s'agit d'un point plus particulier de la foi ou de la vie de l'glise, un critre capital est celui du consensus de l'glise. C'tait celui de Vincent de Lrins (V e sicle): Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est Ce qui a t cru partout, toujours et par tous. Car l'Eglise, considre dans son corps universel, est infaillible dans la foi, comme l'a rappel Vatican II (Z.G, 12). Le consensus des Pres de l'glise, c'est--dire de ces hommes qui appar- tiennent l'poque dificatrice de celle-ci (en gros les sept premiers sicles) et qui l'ont marque par la saintet de leur vie et la qualit de leur doctrine, est galement un critre classique. Mais on doit reconnatre que sur certains points le discernement de la Tradition n'est pas vident et peut donner lieu des doutes. Cela ne doit pas choquer. Les thologiens, titre scientifique, ont leur rle jouer dans ce domaine. Mais en dfinitive le discernement autoris et donc autoritaire de la Tradition revient au Magistre de l'Eglise. La succes- sion des interventions des conciles, de celles des vques dans leur magistre ordinaire, et du pape dans son magistre ordinaire ou extraor- dinaire, compte tenu de l'autorit propre qui revient chaque dcla- ration, peut tre considre comme une suite d'actes de discerne- ment de l'authentique Tradition de la foi. Il s'agit, pour prendre la suite de Gadamer cette analogie juridique, d'autant d'actes de jurisprudence, interprtant la loi fondamentale que constitue l'Ecri- ture. Le magistre est situ dans l'Eglise; il est un lment de sa structure vivante ; car une Tradition vivante doit correspondre un Magistre vivant. L'interprtation de la foi n'est jamais acheve. Le Concile de Vatican II est, pour notre sicle, un temps fort de l'exer- cice du Magistre vivant de l'Eglise, au cours duquel certaines don- nes de la foi ont t rexprimes, reformules, transmises, dans une fidlit cratrice et dans une recherche de vrit plus totale. C'est pourquoi nous ne pouvons pas vivre aujourd'hui dans l'Eglise de la Tradition de la foi sans recevoir les enseignements de Vatican II ni sans leur donner vie et force dans la pratique quotidienne de l'glise. Cela me conduit des rflexions davantage lies notre situation actuelle. Vatican II au regard de la Tradition Depuis Vatican II nous vivons dans l'Eglise un processus de rcep- TRADITION ET TRADITIONS 583 tion du Concile, c'est--dire un moment de la Tradition en acte, qui est loin d'tre achev et qui a donn lieu quelques turbulences. Il faut savoir discerner celles-ci et, tout d'abord, ne pas les dramati- ser. Ce processus correspond celui qui s'est passe aprs presque tous les conciles prcdents. U n concile amne invitablement une nouveaut dans l'Eglise. Et il y a toujours eu des gens pour brandir les conciles anciens contre le concile nouveau. De mme que dans notre vie nous avons priodiquement faire face des difficults nouvelles, des problmes qu'il faut rsoudre sur frais nouveaux, de mme dans la vie de l'Eglise il y a certains tournants prendre au service de la foi et de la mission dans le monde. Cela demande une adaptation, qui est plus ou moins facile raliser. 1. La premire chose est de savoir discerner l'essentiel du contin- gent. Tout n'a pas la mme valeur dans l'Eglise. En elle ce qui est fondamentalement le don de Dieu ne change pas, mme si les formes d'expression de ce don changent. Certaines formes liturgiques peu- vent bien changer, la ralit de l'Eucharistie et des sacrements ne change pas. Je ne vois pas en quoi Vatican II reprsenterait un renie- ment de la Tradition de l'Eglise, telle que je viens de la dfinir. Le danger du traditionalisme est de sacraliser galement tout, de tout considrer comme galement intouchable, et d'oublier la loi de l'incar- nation. La Parole de Dieu et le don de Dieu ont t remis entre les mains des hommes et respectent les lois de la transmission humaine. L'Eglise est la fois divine et humaine : ne pas le reconnatre revient tomber dans un monophysisme ecclsial. 2. Nous retrouvons ici la diffrence entre Tradition et coutume. Nous avons reu beaucoup de coutumes (ou de traditions au pluriel), dont certains s'imaginent qu'elles ont toujours exist, alors qu'elles sont seulement plus anciennes que notre enfance. La Tradition, c'est tout autre chose que la coutume de mon enfance. Pourquoi ces cou- tumes n'auraient-elles pas besoin de progresser, de se convertir en ce qu'elles ont de moins bon, en tout cas de s'adapter aux conditions nouvelles de notre vie? La soutane, pour prendre un exemple tout extrieur, comme costume de ville pour les prtres, ne remonte pas au del du milieu du XIX e sicle. Si je ne m'abuse, l'aumnier qui a accompagn Louis XVI sur l'chafaud tait habill la franaise. La soutane tait un habit liturgique, sorti de l'glise sous Pie IX. On en trouve un signe Rome: lorsqu'un prtre est invit une crmonie o il doit revtir la soutane, le carton d'invitation porte abito piano. 584 B. SESBO, S.J. 3. Le discernement doit aussi faire appel au sens de l'histoire. Or on oublie que les grandes nouveauts de Vatican II sont en fait des retours la Tradition ancienne de l'Eglise, par del le Moyen Age. Le P. Congar l'a justement remarqu. Vatican II a exerc une purification des coutumes de l'Eglise, alourdies et figes par le temps, en revenant le plus possible aux grands traits de la Tradition ancienne. C'est en ce sens un concile minement traditionnel, d'autant plus que les tudes thologiques, historiques et patristiques des cent cin- quante dernires annes nous donnent une connaissance infiniment suprieure de la Tradition ancienne celle que le Concile de Trente par exemple pouvait avoir. 4. Si la liturgie s'avra le point de cristallisation d'un certain nombre de difficults aprs Vatican II, c'est parce que la rforme liturgique a t l'vnement le plus spectaculaire atteindre le peuple des paroisses. C'est la liturgie qui a vhicul pour beaucoup Vatican II dans le peuple chrtien. Sans doute a-t-on oubli que l'on touchait ainsi l'affectivit religieuse, point intime qui, en chacun d'entre nous, n'aime pas tre bouscul. Plus de prudence, plus de transi- tion aurait t sans doute prfrable. Il y eut des erreurs pdagogi- ques, et aussi des excs. Mais ne jugeons pas d'une rforme aussi importante par ses excs. N'oublions pas l'immense majorit des parois- ses o la transition s'est faite srieusement et o la vie liturgique a t vraiment renouvele par une meilleure participation des fidles. 5. Nous devons tre lucides enfin sur une certaine complicit du traditionalisme catholique actuel avec le mouvement contempo- rain de retour au pass, considr comme source scuritaire ou comme point d'appui d'une recherche d'identit. Les gnalogistes connais- sent un grand succs aujourd'hui; beaucoup prouvent le besoin de connatre la gnalogie de leur famille pour reprendre conscience de leur identit. Cela traduit une peur du prsent et de l'avenir. Dans le mme esprit, bien des gens de grande culture, mais qui n'ont plus la foi, demandent l'Eglise de ne pas toucher sa liturgie et sa musique, parce que c'tait beau. Sans s'en rendre compte, ils lui demandent de devenir gardienne de muse. On ne peut oublier galement certaines options politiques qui sous-tendent bien des reven- dications traditionalistes. Pour conclure, rappelons cette merveilleuse formule d'Irne qui rcapitule cet expos et demeure tout un programme: Cette foi, TRADITION ET TRADITIONS 585 que nous avons reue de l'Eglise, nous la gardons avec soin, car sans cesse, sous l'action de l'Esprit de Dieu, telle un dpt de grand prix renferm dans un vase excellent, elle rajeunit et fait rajeunir le vase mme qui la contient 8 . F -75015 Paris Bernard SESBO, S.J. 128, rue Blomet Sommaire. En raison de la conjoncture actuelle, marque par une nostalgie ambigu des traditions et les revendications dans l'Eglise des tra- ditionalistes, l'article essaie de discerner le vritable sens de la Tradition ecclsiale. Il opre d'abord quelques clarifications de vocabulaire, en distin- guant bien les traditions ou coutumes de la grande Tradition. Il analyse ensuite ce concept en trois tapes : en remontant pour commencer l'acte de livraison (= tradition) du Christ lui-mme (car la Tradition est d'abord don de soi et tmoignage), en exposant ensuite partir d'Irne les deux temps de l'acte originel de la Tradition qui vient des Aptres, (Tradition orale d'abord, puis crite), en montrant enfin que la tradition vivante dans l'Eglise est ncessairement cratrice. Des rflexions conclusives reviennent alors sur les critres de la Tradition et situent les nouveauts de Vatican II au regard de la vraie Tradition. 8. IRNE, Contre les hrsies, cit n. 3, III, 24, 1, p. 394 s.
Doulcet. Essai sur les rapports de l'Église chrétienne avec l'État romain pendant les trois premiers siècles; suivi d'un memoire relatif à la date du martyre de Sainte Félicité et ses sept fils et d'un appendic épigraphique. 1882.
A. Vanneste - La Préhistoire Du Décret Du Concile de Trente Sur Le Péché Originel (Partie 1) La+préhistoire+du+décret+du+Concile+de+Trente+sur+le+péché+originel+ (À+suivre)