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BZ Sferlea

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BZ 2017; 110(1): 149–168

Ovidiu Sferlea

La dynamique de la vie spirituelle chez


saint Jean Climaque: un bref regard
comparatif avec saint Grégoire de Nysse
Abstract: This article aims to make a comparison between the teaching of St.
John Climacus and that of St. Gregory of Nyssa, with a specific focus on the
complex of ideas related to perpetual progress. While one must proceed with
caution, a number of close and significant parallels can nevertheless be indi-
cated: a dynamic concept of spiritual perfection, the definition of virtue as li-
mitless, the idea of a perpetual growth in love, and the inclusion of the angels in
this progress. I suggest that the best way for explaining these analogies is to
admit a (direct) influence of Gregory on John. As a consequence, John Climacus
must be counted with a group of Eastern authors holding similar views that
includes (Pseudo‐)Macarius, Maximus the Confessor, Symeon the New Theolo-
gian, Gregory of Sinai, Gregory Palamas and Kallistos Angelikoudes. These aut-
hors appear in fact to be witnesses of a tradition of thought that stems back to
Gregory of Nyssa.

Adresse: Assist. Dr Ovidiu Sferlea, University of Oradea, Faculty of Orthodox Theology


«Episcop Dr Vasile Coman», str. Remenyik Sandor 2, 410167 Oradea, Romania;
ovidiusferlea@gmail.com

1. Grégoire de Nysse et sa postérité


La conception de la perfection spirituelle comme un progrès sans fin, ici-bas et
dans l’au-delà (epektasis),¹ fut sans doute un des aspects qui ont le plus suscité

Je remercie chaleureusement Alain Le Boulluec pour ses observations.


 C’est dans ce sens, délibérement plus large, que j’utiliserai par la suite le mot épectase. Pour
les besoins de la présente recherche, il ne m’a pas semblé indispensable d’entrer dans le détail
des débats dont il fait l’objet parmi les spécialistes de Grégoire. Voir, par exemple, J. Daniélou,
Platonisme et théologie mystique. Essai sur la doctrine spirituelle de saint Grégoire de Nysse.
Paris 1944, surtout 291– 307; W. Völker, Gregor von Nyssa als Mystiker. Wiesbaden 1957, surtout
202– 215; D. L. Balas, Metousia theou. Man’s participation in God’s perfection according to Saint
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l’intérêt des chercheurs s’étant penchés sur l’œuvre de Grégoire de Nysse. En


revanche on peut affirmer avec tout autant d’assurance que la postérité de cette
théorie n’a pas eu droit aux mêmes égards jusqu’à présent. C’est un fait que l’on
ne peut que regretter: autant les études sur l’épectase grégorienne abondent,²
autant les recherches sur l’écho que sa théorie a pu susciter chez les auteurs
patristiques postérieurs restent encore peu développées. Tant et si bien qu’il n’y a
pas si longtemps on pouvait être enclin à croire que la théorie de Grégoire n’avait
pratiquement pas eu de réception notable chez ses héritiers grecs. Ainsi n’était-il
pas étonnant de voir, par exemple, le P. Placide Deseille écrire dans un article
de référence consacré à la question: «Assez rares sont ceux qui, […] sous son
influence directe ou indirecte, ont admis l’existence d’un progrès dans la par-
ticipation aux biens divins au sein même de la béatitude». De fait, les seuls
auteurs cités à l’appui sont Jean Scot Érigène et Guillaume de Saint-Thierry. En
essayant d’avancer une explication pour cet état des choses, le P. Deseille
estimait que «la thèse du progrès sans fin se heurtait […] aux affirmations de

Gregory of Nyssa. Rome 1966; E. Mühlenberg, Die Unendlichkeit Gottes bei Gregor von Nyssa.
Gregors Kritik am Gottesbegriff der klassischen Metaphysik. Göttingen 1966, 152– 196; R. E.
Heine, Perfection in virtuous life. A study in the relationship between edification end polemical
theology in Gregory of Nyssa’s De Vita Moysis. Cambridge, MA 1975; Th. Böhm, Theoria – Une-
ndlichkeit – Aufstieg. Philosophische Implikationen zu De Vita Moysis von Gregor von Nyssa.
Leiden 1996; W. Smith, Passion and paradise. human and divine emotion in the thought of
Gregory of Nyssa. New York 2004. J’ai proposé une discussion de quelques unes de ces mo-
nographies dans l’article: On the Interpretation of the theory of perpetual progress (epektasis):
taking into account the testimony of eastern monastic tradition. Revue d’histoire ecclésiastique
110 (2014) 564– 587.
 En plus des ouvrages déjà cités, on peut lire également J. Daniélou, Mystique de la té-
nèbre chez Grégoire de Nysse. Dictionnaire de spiritualité ascetique et mystique II.2. Paris 1953,
1182– 1186; G. S. Bebis, Gregory of Nyssa’s ‘De Vita Moysis’: a philosophical and theological
analysis. Greek Orthodox Theological Review 12 (1967) 369 – 393; E. Ferguson, God’s infinity and
man’s mutability: perpetual progress according to Gregory of Nyssa. The Greek Orthodox The-
ological Review 18 (1973) 59 – 78; idem, Progress in perfection: Gregory of Nyssa’s Vita Moysis, in:
Studia Patristica 15. Berlin 1976, 307– 314; V. E. F. Harrison, Grace and human freedom accor-
ding to St. Gregory of Nyssa. Lewiston 1992, 61– 131; F. Dünzl, Braut und Bräutigam: Die Aus-
legung des Canticum durch Gregor von Nyssa. Tübingen 1993; A. Lévy, Aux confins du créé et de
l’incréé: les dimensions de l’épectase chez Grégoire de Nysse. Revue des sciences philosophiques
et théologiques 84 (2000) 247– 274; L. Karfiková, Die Unendlichkeit Gottes und der unendliche
Weg des Menschen nach Gregor von Nyssa. Sacris erudiri 40 (2001) 47– 81; R. Williams, The
wound of knowledge. Christian spirituality from the New Testament to St. John of the Cross.
Cambridge, MA ²2001, 62– 77; K. Rombs, Gregory of Nyssa’s doctrine of epektasis: some logical
implications, in: Studia Patristica 37. Leuven 2001, 288 – 293; M. Laird, Gregory of Nyssa and the
grasp of faith. Union, knowledge and divine presence. Oxford 2004; M. Ludlow, Gregory of
Nyssa –ancient and [post‐]modern, Oxford 2007, 125 – 134; L.-F. Mateo-Seco, Epektasis, in L. F.
Mateo-Seco / G. Maspero (ed.), The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa. Leiden 2010, 263 – 268.
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 151

l’Écriture qui orientent vers une conception plus statique de la béatitude: celle-ci
est un repos, un »sabbat«, un »achèvement«. Par ailleurs, il remarquait qu’une
conception comme celle élaborée par Grégoire avait été critiquée par Maxime le
Confesseur en Orient et par Augustin en Occident à partir d’arguments sem-
blables: alors que dans cette vie on peut toujours davantage s’approcher de
Dieu, la béatitude des bienheureux sera un état final que rien ne pourra plus
enrichir. Le P. Deseille était ainsi amené à conclure: »cette conception restera
classique parmi les auteurs spirituels, qui s’accorderont à voir dans le progrès
incessant la loi de la perfection ici-bas, mais ici-bas seulement«.³ Il renvoyait
enfin pour illustration aux Chapitres théologiques, gnostiques et pratiques de
Syméon le Nouveau Théologien (949 – 1022).
Sans aller jusqu’à nier tout bien-fondé à cet argumentaire, le lecteur de
Grégoire ne pourra se résoudre à considérer la théorie de l’épectase comme une
simple curiosité dans l’œuvre de l’évêque de Nysse. En particulier, l’exemple de
Syméon le Nouveau Théologien n’est pas bien choisi: loin d’être un tenant de la
conception que le P. Deseille appelle «classique», Syméon envisage au contraire
l’état eschatologique sous un mode épectatique. D’ailleurs, le passage même que
le P. Deseille cite à l’appui ne va pas dans son sens. Syméon y parle en effet de
«l’inhabitation de la divinité en trois personnes dans les parfaits, qui se produit
d’une manière perceptible à la conscience». Or il décrit ainsi cette inhabitation,
qui survient grâce à l’observance des commandements évangéliques (cf. Jn 14,
21– 23):⁴

[Elle] n’est pas la satisfaction du désir, mais l’origine et la cause d’un désir plus vif et plus
grand; désormais cette présence ne laisse plus un instant de repos à celui qui en jouit; elle
le pousse, comme dévoré et consumé par le feu, vers la flamme d’un désir de plus en plus
fort de la divinité. L’esprit humain ne peut trouver une limite dans l’objet poursuivi, ni le
saisir entièrement; il ne peut non plus fixer une limite à son désir ni à son amour, mais
dans son effort pour atteindre et posséder cette fin sans limites, il nourrit en soi un désir
toujours insatisfait et un amour inassouvi.⁵

 P. Deseille, Epectase. Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique IV.1. Paris 1960, 785,
suivi par M. Canévet, Saint Grégoire de Nysse. Dictionnaire de spiritualité ascetique et mystique
VI, Paris 1967, (971– 1011) 1008, ainsi que par Th. Špidlík, La spiritualité de l’Orient chrétien 2:
La Prière. Roma 1988, 227– 228.
 Capita practica et theologica I, 6 (SC 51, 41).
 Capita practica et theologica I, 7 (SC 51, 42): Ἡ γνωστῶς καὶ εὐαισθήτως γινομένη ἐνοίκησις
τῆς τρισυποστάτου θεότητος ἐν τοῖς τελείοις οὐ πλήρωσις πόθου ἐστίν, ἀλλὰ μᾶλλον ἀρχὴ καὶ
αἰτία σφοδροτέρου καὶ μείζονος πόθου. Ἔκτοτε γὰρ οὐκ ἐᾷ τὸν ὑποδεξάμενον αὐτὴν ἠρεμεῖν,
ἀλλ’ ὡς ὑπὸ πυρὸς ἀεὶ ἐκκαιόμενον καὶ πυρούμενον ἐπαίρεσθαι εἰς φλόγα πόθου θειοτέρου ποιεῖ.
Κατάληψιν γὰρ καὶ τέλος τοῦ ποθουμένου εὑρεῖν ὁ νοῦς μὴ δυνάμενος οὐδὲ μέτρον τῷ πόθῳ καὶ
τῇ ἀγάπῃ δύναται δοῦναι, ἀλλὰ τῷ ἀτελέστῳ τέλει φθάσαι καὶ καταλαβεῖν βιαζόμενος ἀτέλεστον
152 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

Ce texte témoigne d’une conception qui comporte des ressemblances frappantes


avec celle de Grégoire de Nysse. La perfection dans la vie spirituelle est à
comprendre comme un progrès incessant dans la vertu et dans la jouissance de
la présence divine. Pourtant, rien ici ne permet d’affirmer que Syméon réserve ce
progrès à la vie présente. On serait au contraire enclin à supposer qu’il sera plus
encore la loi de la béatitude future. Or c’est précisément de cette manière que
Syméon s’exprime dans ses Hymnes, par exemple. À propos de la condition
eschatologique des bienheureux, il affirme que leur progrès dans la contem-
plation de la splendeur divine «sera sans fin, au long des siècles (οὐδὲ γὰρ τέλος
ἔσεται προκοπῆς εἰς αἰῶνας)», et qu’il n’est pas possible que Dieu devienne
jamais objet de satiété, «lui dont nul ne peut se rassasier (ὁ ἀκόρεστος πᾶσιν)».⁶
Il est donc clair que sur ce point Syméon professe un enseignement largement
comparable à celui de Grégoire et que, par conséquent, il doit être rattaché à la
même tradition de pensée. Mais il se trouve que Syméon n’est pas le seul, en
Orient, à s’inscrire dans le sillage de l’évêque de Nysse sur la question du
progrès spirituel.
On sait que l’idée maîtresse de Grégoire a eu un certain écho chez quelques
théologiens de langue latine. C’est le cas notamment de Jean Scot Érigène, qui
fut aussi traducteur de Grégoire, et de Guillaume de Saint-Thierry.⁷ Mais l’épec-
tase semble avoir connu une carrière encore plus remarquable chez les Pères
grecs et les théologiens byzantins. Du moins peut-on identifier en Orient toute
une lignée d’auteurs parmi les plus importants qui, sans reprendre Grégoire sur
tous les points, ni même en dépendre directement, envisagent de manière très
proche la vie spirituelle comme un progrès sans fin dans la participation pré-
sente et eschatologique à la vie de Dieu. À côté de Syméon le Nouveau Théo-
logien, il s’agit de Macaire-Syméon, Maxime le Confesseur, Grégoire le Sinaïte,
Grégoire Palamas et Calliste Angélikoudès. À défaut d’être exhaustive, puisque
d’autres noms restent vraisemblablement à découvrir, cette liste est déjà signi-
ficative et donne à penser que l’influence de Grégoire de Nysse, au moins sur la
question envisagée ici, fut bien plus importante qu’on ne le dit en général. Il est
bien entendu que chacun des noms précités mériterait une discussion à part,
afin de déterminer ce qu’il doit, directement ou indirectement, à Grégoire de
Nysse. Quelques contributions en ce sens existent déjà, mais beaucoup reste
encore à faire tant pour découvrir les contours de cette tradition que pour établir

ἀεὶ τὸν πόθον καὶ ἀπλήρωτον τὴν ἀγάπην ἐν ἑαυτῷ περιφέρει. Voir, dans le même sens, Hymnus
23, 321– 345 (SC 174, 210); Catechesis 23, 158 – 200 (SC 113, 24– 28).
 Hymnus 1, 177– 192; cf. v. 213 – 214 (SC 156, 172– 174): ὡς ἔσεται ἀτέλεστος ἡ τούτων τελειότης
καὶἡ τῆς δόξης προκοπὴ ἀένναος ὑπάρξει.
 Voir J. Déchanet, Guillaume de Saint-Thierry: aux sources d’une pensée. Paris 1978.
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 153

la relation entre les divers auteurs qui s’y rattachent et la pensée de Grégoire.⁸ La
visée de cet article est cependant plus restreinte, puisque je me bornerai à
examiner le cas d’un seul auteur, Jean Climaque, afin de le joindre à la liste
donnée ci-dessus et de discuter ses liens avec Grégoire.
Situé d’un point de vue géographique aussi bien que spirituel à la charnière
des monachismes égyptien et palestinien, saint Jean Climaque marque un
achèvement dans l’histoire de la spiritualité monastique orientale. À la suite de
F. Nau, on a longtemps pensé qu’il avait vécu à peu près entre 579 et 649,⁹ alors
que des études récentes plaident pour considérer Jean davantage un auteur du
VIe siècle.¹⁰ On ignore tout ou presque tout de son lieu de naissance et des
événements de sa vie. On sait néanmoins qu’il fut higoumène du Monastère de

 Voir W. Jaeger, Two rediscovered works of ancient Christian literature: Gregory of Nyssa and
Macarius. Leiden 1954, surtout 208 – 230, et P. M. Blowers, Maximus the Confessor, Gregory of
Nyssa and the concept of perpetual progress. Vigiliae Christianae 46 (1992) 151– 171. Pour des
rapprochements avec Grégoire Palamas, voir M. Canévet, Saint Grégoire de Nysse (voir ci-dessus
note 3) 1007– 1008; J. Meyendorff, Introduction, in: Gregory Palamas, The Triads. New Jersey
1982, 14– 15; T. Tollefsen, Gregory Palamas, in: The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa (voir ci-
dessus note 2) 234– 235. Voir aussi O. Sferlea, Syméon le Nouveau Théologien comme témoin
de la tradition spirituelle de Grégoire de Nysse. Studia Monastica 54 (2012) 235 – 251, et idem,
Réception de la théorie du progrès perpétuel au XIVème siècle byzantin: Grégoire Palamas et
Calliste Angélikoudès. New Europe College Yearbook 2014– 2015, 117– 141.
 Voir F. NAU, Note sur la date et la mort de S. Jean Climaque. BZ 11 (1902) 35 – 37. Par exemple,
H.-G. BECK, Kirche und Theologische Literatur im Byzantinischen Reich. München 1959, 451–
452; K. WARE, Introduction, in: John Climacus, The Ladder of divine ascent, traduction anglaise
et notes par C. Luibheid / N. Russell, London 1982, 1– 6; J. Chryssavgis, John Climacus: from the
Egyptian desert to the Sinaite mountain. Aldershot 2004, 15 – 20 et 42– 44.
 A. Müller, Das Konzept des geistlichen Gehorsams bei Johannes Sinaites. Tübingen 2006,
33 – 56. Selon Müller, Jean est né autour de 520 – 525 et serait devenu higoumène en 599. Ces
dates se rapprochent de celles proposées par K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen
Litteratur von Justinian bis zum Ende des oströmischen Reiches (527– 1453). München 1897, 143,
qui plaçait la naissance de Jean en 525 et sa mort en 600. Les arguments de Müller sont écartés
de façon sommaire par J. L. Zecher, The symbolics of death and the construction of Christian
ascetism: Greek patristic voices from the fourth through seven centuries, Thèse de doctorat,
Université de Durham 2011, 185, et ne sont plus mentionnés dans la version publiée de cette
dissertation (The role of death in the Ladder of Divine Ascent and the Greek ascetic tradition.
Oxford 2015, 31– 33). M.-J. Pierre, Unité de lieu dans la vie et l’œuvre de Jean Climaque:
éléments de topographie sinaïtique et d’histoire religieuse, in M.-A. Amir-Moezzi et al. (éd),
Pensée grecque et sagesse d’Orient. Hommage à Michel Tardieu. Turnhout 2009, 455 – 475 (461),
ignore elle aussi la discussion de Müller et avance comme une hypothèse que Jean serait né
avant 579 et aurait reçu la tonsure monastique avant 599. Cette chronologie est reproduite dans
une contribution que M.-J. Pierre a publiée plus récemment, avec C.G. Conticello / J.
Chryssavgis, Jean Climaque, in C.G. Conticello (éd.), La théologie Byzantine et sa tradition, I,1.
Paris 2015, 204.
154 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

Batos (Sinaï), plus tard le Monastère de Sainte Cathérine, et on devine, d’après


l’épithète de «Scholastikos» aussi bien que d’après les raffinements rhétoriques
que trahit son écriture, qu’il a reçu une bonne formation intellectuelle.¹¹ En
Orient la popularité de sa Scala Paradisi (SP) n’a jamais été égalée,¹² et au-
jourd’hui encore elle constitue une lecture obligée dans les communautés mo-
nastiques orthodoxes pendant le Grand Carême. Mais loin de passer pour un
livre que l’on qualifierait de «mystique», chez nombre d’auteurs modernes
l’Échelle évoque plutôt une certaine austérité, que l’on a parfois du mal à bien
comprendre.¹³ Cette réputation n’est qu’en partie justifiée car, s’il est vrai que
Jean prend très au sérieux la discipline ascétique, il reste avant tout un auteur
profondément spirituel. L’idée selon laquelle la vie spirituelle est une progres-
sion continue dans l’acquisition des vertus, ayant vocation à culminer dans
l’amour, occupe une place importante dans son enseignement. Cet amour est lui-
même conçu par Jean comme un état qui connaît une croissance sans arrêt aussi
bien dans l’existence présente que dans la vie à venir. On y reconnaît aisément
une conception semblable à celle de Grégoire de Nysse. La question que je
voudrais aborder dans cet article est donc la suivante: peut-on déceler des in-

 Voir Chryssavgis, John Climacus (voir ci-dessus note 9) 25 – 31, et, pour une analyse plus
approfondie, H. R. Johnsén, Reading John Climacus: rhetorical argumentation, literary con-
vention and the tradition of monastic formation. Lund 2007. Le titre de scholastikos désigne à
l’époque une personne ayant suivi un enseignement rhétorique solide. Assez souvent, il est ce
que l’on pourrait appeler aujourd’hui un juriste et peut également, dans certaines circonstances,
exercer le métier d’enseignant-grammatikos. Voir M. Loukaki, Σχολαστικός. Remarques sur le
sens du terme à Byzance (IVe–XVe siècles). BZ 109 (2016) 41– 72, part. 46 – 55.
 N. Corneanu, Contributions des traducteurs roumains à la diffusion de ‘l’Echelle’ de saint
Jean Climaque, in: Studia Patristica 8. Berlin 1966, 340 – 355; D. Bogdanović, Jean Climaque
dans la littérature byzantine et la littérature serbe ancienne. Belgrade 1968 (en serbo-croate,
avec un résumé en français aux 215 – 225); J. Gribomont, La Scala Paradisi, Jean de Rhaïthou et
Ange Clareno. Studia Monastica 2 (1960) 345 – 358; M. Heppell, The Latin translation of the
Ladder of divine ascent of St John Climacus. Mediterranean Historical Review 4 (1989) 340 – 344;
H. Teule, L’Echelle du Paradis de Jean Climaque dans la tradition syriaque: premières investi-
gations. Parole d’Orient 20 (1995) 279 – 293; Chryssavgis, John Climacus (voir ci-dessus note 9)
233 – 238; A. Rigo, Giovanni Climaco a Bisanzio, in S. Chialà / L. Cremaschi (éd.), Giovanni
Climaco e il Sinai. Atti del IX Convegno internazionale di spiritualità ortodossa – sessione
bizantina. Magnano 2002, 195 – 205. Voir aussi très récemment J. L. Zecher, The angelic life in
desert and Ladder: John Climacus and the re-formulation of Ascetic Spirituality. Journal of the
Early Christian Studies 21 (2013) 111– 112, n.ote 1.
 Par exemple, M. Viller / K. Rahner, Aszese und und Mystik in des Väterzeit. Freiburg im
Breisgau 1939, 158; ou encore Th. Merton, L’Echelle qui mène à Dieu. Contacts 21 (1969) 128 et
130 – 134. Il faut pourtant aller au-delà des «histoires lugubres» qui entourent l’Echelle et le
monachisme ancien en général, comme le conseillait déjà C. Luibheid, Preface, in: John Cli-
macus (voir ci-dessus note 9) XIV–XXI.
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 155

dices d’une influence de Grégoire sur Jean? Sans fournir une réponse inconte-
stable, les quelques rapprochements textuels précis que je vais indiquer par la
suite me semblent cependant pointer vers l’affirmative.

2. Jean Climaque et Grégoire de Nysse sur la


dynamique de la vie spirituelle
Jean est proche de Grégoire d’abord par sa vision de la perfection spirituelle
comme un état dynamique et à jamais inachevé. Un premier parallèle sur ce
point peut être indiqué entre l’Échelle et le traité de Grégoire Sur la perfection. À
la fin de ce traité, Grégoire nous livre une brève réflexion sur la propension au
changement qui définit la nature humaine, et, contrairement à l’opinion cou-
rante qui tenait le changement pour une cause de malheur, l’évêque de Nysse
enseigne pour sa part d’y voir plutôt une chance, puisque cette propension a
vocation à déboucher sur un parcours sans fin dans la vie vertueuse.

Qu’il ne se chagrine donc pas celui qui voit dans sa nature cette propension au change-
ment; qu’il accepte de tourner dans le sens du bien, en se laissant en tous points trans-
former et en se métamorphosant «de gloire en gloire» (cf. 2 Co 3, 18), en devenant par les
progrès quotidiens en tout meilleur et toujours plus parfait, sans jamais atteindre le terme
de la perfection. Car c’est cela la vraie perfection, ne jamais cesser de progresser vers le
bien et ne pas assigner de limite à la perfection.¹⁴

On a suffisamment de fois souligné combien cette thèse était insolite par rapport
aux idées sur la perfection vertueuse tenues par les diverses écoles philoso-
phiques grecques pour qu’il soit encore besoin d’y insister.¹⁵ Mais même du côté

 Gregorius Nyssenus, De perfectione Christiana 213, 23 – 214, 5 (GNO): μὴ τοίνυν λυπείσθω ὁ


βλέπων ἐν τῇ φύσει τὸ πρὸς τὴν μεταβολὴν ἐπιτήδειον, ἀλλὰ πρὸς τὸ κρεῖττον διὰ παντὸς
ἀλλοιούμενος καὶ ἀπὸ δόξης εἰς δόξαν μεταμορφούμενος οὕτω τρεπέσθω, διὰ τῆς καθ’ ἡμέραν
αὐξήσεως πάντοτε κρείττων γινόμενος καὶ ἀεὶ τελειούμενος καὶ μηδέποτε πρὸς τὸ πέρας
φθάνων τῆς τελειότητος. αὕτη γάρ ἐστιν <ἡ> ὡς ἀληθῶς τελειότης τὸ μηδέποτε στῆναι πρὸς τὸ
κρεῖττον αὐξανόμενον μηδέ τινι πέρατι περιορίσαι τὴν τελειότητα (trad. M. Devally, in: Gré-
goire de Nysse, Ecrits spirituels. Paris 1990, 60.) Cf. Symeon Novus Theologus, Hymnus 23, 413
(SC 174, 214): ἀτελὴς ἡ τελειότης.
 Par exemple, J. Daniélou, Introduction in H. Musurillo (éd.), From glory to glory: texts from
Gregory of Nyssa’s mystical writings. New York 1961, 48 – 48; A. Spira, Le temps d’un homme
selon Aristote et Grégoire de Nysse: stabilité et instabilité dans la pensée grecque, in: J.-M.
Leroux (éd.), Le temps chrétien de la fin de l’antiquité au Moyen Âge, IIIe–XIIIe siècles. Paris
1984, 283 – 290, ou encore C.W. MacLeod, The preface to Gregory of Nyssa’s Life of Moses. The
Journal of Theological Studies 33 (1982) 188.
156 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

chrétien elle ne s’est pas toujours imposée comme étant la position la plus
évidente. Tel est le cas de Didyme l’Aveugle, par exemple, aux yeux duquel le
progrès perpétuel et la perfection s’opposent, puisqu’il a tendance à associer
étroitement la perfection dans la vertu à un point d’arrêt, à une limite.¹⁶ Didyme
semble également penser que le progrès ne peut coexister avec la béatitude
éternelle et qu’«il faut bien que ce progrès s’arrête un jour, au moment où l’on
arrive à l’achèvement, indiqué sous le nom de ‘maison’. Il n’est, en effet, ni
possible ni naturel que l’on progresse indéfiniment, sans jamais arriver à un
établissement final, appelé ‘maison’».¹⁷ Cette conception se rapprocherait de
celle que le P. Deseille appelle «classique», mais seule une recherche plus
approfondie pourrait l’établir avec certitude.¹⁸ Il n’y a aucune ambiguïté chez
Jean Climaque, en revanche, chez lequel on retrouve un écho clair de l’idée
maîtresse de Grégoire. Dans la section qui traite «du ciel terrestre, c’est-à-dire de
l’impassibilité qui imite Dieu, de la perfection et de la résurrection précédant la
résurrection commune», Jean parle lui aussi de manière paradoxale de «cette
parfaite perfection inachevée des parfaits (αὕτη οὖν ἡ τελεία τῶν τελείων

 Didymus Caecus, Commentarii in Psalmos 5, 1– 9 (éd. Gronewald): καὶ ὥσπερ ἰατρὸς ἀεὶ μὲν
ἰατρός ἐστιν ἀφ’ οὗ τὴν τέχνην ἔχει καὶ ἐς ὅσον δὲ αὐτὴν πράττει ἰατρὸς ἀρχὴν ἔχει καὶ τέλος,
τοῦ δὲ κάμνοντος ἀρχὴν ἔχει καὶ τέλος τοῦ ἔτι ἐκείνου ἰατρὸς εἶναι, ὅταν εἰς εὔεικτον ὑγίειαν
ἀχθῇ καὶ εἰς εὔεικτον ἕξιν, τὰ αὐτὰ καὶ περὶ διδασκάλων ἐρεῖς. ἔστιν τις διδάσκαλος ἀφ’ οὗ
ἐπιστήμην ἀνείληφεν. γίνεται δὲ τοῦδε διδάσκαλος ὅταν προσέλθῃ αὐτῷ· καὶ ὅταν ἐκεῖνος
παιδευθῇ καὶ ἄκρως ἀναλάβῃ τὴν ἐπιστήμην ὡς ὁ διδάσκαλος, πέπαυται τοῦ εἶναι αὐτοῦ
διδάσκαλος. καὶ ἀρετή ἐστίν πως διδασκάλου τὸ ποτὲ παύσασθαι ἀπὸ τοῦ τῶνδε διδάσκαλος
εἶναι· τελειώσας γὰρ αὐτούς, οὐκέτι. εἰ δὲ ἀεὶ μένοι διδάσκαλος τοῦδε, οὐδεὶς τελειοῦται κατὰ
τὴν διδασκαλίαν ὑπ’ αὐτοῦ. Ce passage a été signalé comme une critique à l’encontre de Grégoire
par G. Maturi, Introduzione, in: Gregorio di Nissa, Paradiso precoce [= De infantibus praema-
ture abreptis]. Roma 2004, 30. Qu’il s’agisse ou non d’une allusion critique faite à dessein, il
n’est pas douteux qu’elle témoigne d’une conception différente de celle de Grégoire.
 Didymus Caecus, Commentarii in Zachariam V.163 – 164 (SC 85, 1062): «Μακάριοι πάντε̣ ς̣ οἱ
κατοικοῦντες ἐν τῷ οἴκῳ σου, εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰώνων αἰνέσουσίν σε.» Τελεῖται γὰρ εἰς τοὺς
αἰῶνας τῶν αἰώνων ἡ ὑμνῳδία τοῖς με̣ τὰ πᾶσαν προκοπὴν ἐπὶ τὸν οἶκον ὃν ὁ Θεὸς ἐθεμελίωσεν
<ἐλθοῦσιν>. Περὶ τῶν τοιούτων οὐσῶν νοητῶν σκηνῶν ᾄδων ὁ σοφός φησιν· «Φωνὴ̣ ἀγαλ-
λιάσεως καὶ σωτηρίας ἐν σκηναῖς δικαίων.» Καὶ ὁ παροιμιαστής φησιν· «Οἶκοι δικαίων
διαμένουσιν»· «σκηναὶ δὲ κατορθούντων σ̣ τήσονται.» Δεῖ γάρ ποτε στῆναι τὴν προκοπήν, τοῦ
τέλους διαδεξαμένου, οἴκου καλουμένου. Οὐ γὰρ οἷον καὶ πρεπῶδες ὑπάρχει ἀεὶ προκόπτειν
μηδαμῶς ἐρχόμενον ἐπὶ τελευταίαν κατάστασιν, οἶκον προσαγορευομένην, ἐν ᾗ οἱ γνήσιοι Θεοῦ
θεραπευταὶ τὰς πνευματικὰς λατρείας ἐκτελοῦντες εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰώνων αἰνοῦσι καὶ
δοξ̣ολογοῦσιν εὐχ̣α̣ρ̣ιστικῶς Θεὸν ἐπὶ τοῖς ὑπάρξασιν τελείοις καὶ πληρεστάτοις δικαιώμασι.
 Par exemple, R. A. Layton, Didymus the Blind and his circle in late antiquity: virtue and
narrative in biblical scholarship. Illinois 2004, 47, estime quant à lui que Didyme «est capable de
décrire le but [de la vie spirituelle] en termes d’un progrès infini». Layton ne fait pas mention de
Grégoire de Nysse, pas plus qu’il ne discute les rapports éventuels entre Grégoire et Didyme.
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 157

ἀτέλεστος τελειότης)»¹⁹ qui sanctifie l’intellect et l’elève vers la contemplation


des réalités immatérielles. L’âme de celui qui est parvenu à l’impassibilité, dit
Jean dans la même section, «est toujours tendue vers le Seigneur (πρὸς αὐτὸν ἀεὶ
ἐπεκτεινομένης)»,²⁰ une allusion transparente à Phil. 3, 13, texte auquel Grégoire
de Nysse fait volontiers appel pour illustrer d’un témoignage inspiré sa théorie
du progrès sans fin.²¹ Si en SP 29.2 ce texte n’est, peut-être, pas employé de la
même façon que chez Grégoire, il n’est pas douteux que Jean conçoit lui aussi la
croissance vertueuse comme un parcours n’ayant pas de point final. Ainsi parle-
t-il un peu plus loin de celui qui, parvenu au degré supérieur de l’impassibilité,
«s’enrichit insatiablement (ἀπλείστως πλουτεῖ) dans les vertus».²² Mais une
confirmation encore plus claire de leur proximité sur ce point est à trouver en SP
26.
Le vingt-sixième degré de l’Échelle traite «du discernement dans les pensées,
les vices et les vertus». Or, dans la deuxième partie de cette section, Jean dresse
un contraste entre, d’un côté, une part des réalités créées, qui ont comme trait
spécifique la finitude, et, de l’autre, la vertu qui, elle, s’inscrit dans un horizon
sans fin.

Les réalités créées se sont vu assigner par le Créateur une place, un commencement et
même, pour quelques-unes, une fin, mais la vertu a la limite illimitée. J’ai vu la limite de
toute perfection, dit le Psalmiste, mais ton commandement est très vaste et sans limite (Ps
118, 96).²³

C’est une idée entièrement cohérente avec la conception de Jean sur la


perfection. Or s’il s’agissait d’identifier dans la littérature patristique grecque
d’avant Jean Climaque un parallèle de ce texte, le plus évident serait, à ma

 Scala Paradisi 29, 1 (PG 88, 1148C). Ce rapprochement a déjà été proposé par Chryssavgis,
John Climacus (voir ci-dessus note 9) 197.
 Scala Paradisi 29, 2 (PG 88, 1148C).
 Par exemple, In Sextum Psalmum 187, 8 (GNO): καὶ οὕτως ἀεὶ τοῖς ἔμπροσθεν ἐπεκτει-
νόμενος οὐδέποτε τῆς ἀγαθῆς ἀνόδου παύσεται ἀεὶ διὰ τῶν ὑψηλῶν νοημάτων πρὸς τὴν τῶν
ὑπερκειμένων κατανόησιν ὁδηγούμενος; In Canticum Canticorum 6. 174, 12– 15: ὡς καὶ ἐν τούτῳ
τὸν ἀποστολικὸν ἀληθεύεσθαι λόγον διὰ τῆς τῶν ἔμπροσθεν ἐπεκτάσεως ἐν λήθῃ γινομένων
τῶν προδιηνυσμένων; In Canticum Canticorum 12.366, 14 (GNO): διὰ τοῦτο πάντοτε τοῖς
ἔμπροσθεν ἐπεκτεινομένη οὐ παύεται, ou encore De vita Moysis 4– 8 (voir ci-dessous note 25)
 Scala Paradisi 29, 4 (PG 88, 1148C): Ἔστιν ἀπαθὴς, καὶ ἔστιν ἀπαθοῦς ἀπαθέστερος. Ὁ μὲν
γὰρ ἰσχυρῶς μισεῖ τὰ πονηρὰ, ὁ δὲ ἀπλείστως πλουτεῖ ἐν ἀρεταῖς, καὶ ἡ ἁγνεία ἀπάθεια λέγεται,
καὶ εἰκότως.
 Scala Paradisi 26.II, 37 (PG 88, 1068A).
158 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

connaissance, un autre texte de Grégoire de Nysse. Dans sa Vie de Moïse, en


effet, l’idée que nous venons de rencontrer chez Jean figure à la place d’honneur.
Grégoire y traite précisément la question de la vertu, en se demandant en par-
ticulier s’il est possible d’atteindre la perfection, au sens d’un point final, dans la
vie vertueuse. La thèse qu’il expose dès le Prologue se rapproche beaucoup de
celle formulée par Jean Climaque: alors que l’on peut assigner des limites à toute
chose qui relève du sensible,²⁴ la vertu quant à elle n’a pas de borne, car sa
source, Dieu lui-même, est infinie. La perfection spirituelle est de manière
constitutive liée au mouvement; c’est tendre sans cesse à un degré supérieur de
vertu, à un «bien» toujours plus grand. Aussi le parcours dans lequel s’engage
celui qui la poursuit est-il sans fin. Il est éclairant de mettre en miroir les deux
passsages en grec.

Scala Paradisi De vita Moysis ²⁵


Τάξιν μὲν καὶ ἀρχὴν, τινὰ δὲ καὶ τέλος Ἡ τελειότης ἐπὶ μὲν τῶν ἄλλων ἁπάν-
παρὰ τοῦ πεποιηκότος τὰ γεγονότα των ὅσα τῇ αἰσθήσει μετρεῖται πέρασί
ἐσχήκασιν, ἡ δὲ ἀρετὴ ἀπέραντον τὸ τισιν ὡρισμένοις διαλαμβάνεται, […]
πέρας κέκτηται· Πάσης γὰρ, φησὶν ὁ Ἐπὶ δὲ τῆς ἀρετῆς ἕνα παρὰ τοῦ ᾿Aπο-
Ὑμνῳδὸς, συντελείας εἶδον πέρας· στόλου τελειότητος ὅρον ἐμάθομεν, τὸ
πλατεῖα δὲ καὶ ἀπέραντος ἡ ἐντολή σου μὴ ἔχειν αὐτὴν ὅρον· ὁ γὰρ πολὺς ἐκεῖ-
σφόδρα. νος καὶ ὑψηλὸς τὴν διάνοιαν ὁ θεῖος
᾿Aπόστολος ἀεὶ διὰ τῆς ἀρετῆς τρέχων
οὐδέποτε τοῖς ἔμπροσθεν ἐπεκτεινόμε-
νος ἔληξεν·[…]
Οὐκοῦν ἄπορόν ἐστι παντάπασι τοῦ τε-
λείου τυχεῖν, διότι ἡ τελειότης, καθὼς
εἴρηται, ὅροις οὐ διαλαμβάνεται, τῆς δὲ
ἀρετῆς εἷς ὅρος ἐστὶ τὸ ἀόριστον·

 Une discussion sur cette idée chez Grégoire et sur son contexte philosophique plus général
est à trouver chez Böhm, Theoria (voir ci-dessus note 1) 38 – 46.
 Gregorius Nyssenus, De vita Moysis 4– 8: (SC 1bis: 2– 4): «La perfection, dans toutes les
choses qui sont d’ordre du sensible, est comprise dans certaines limites déterminées […]. Mais,
s’il s’agit de la vertu, nous avons appris de l’Apôtre lui-même que sa perfection n’a qu’une
limite, c’est de n’en avoir aucune. Cet homme en effet à l’esprit étendu et profond, ce divin
Apôtre en courant dans la voie de la vertu, ne cessa jamais de »se tendre vers ce qui était en
avant« (Ph. 3, 13) […] Et donc, il est tout à fait impossible d’atteindre la perfection, puisque
comme on l’a établi, la perfection n’est pas comprise dans les limites et que la vertu n’a qu’une
limite, l’illimité.»
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 159

On observe sans mal la similitude de l’enchaînement des idées, à ceci près que le
style de Jean est plus lapidaire. La finitude des réalités créées est mise par les
deux auteurs en contraste avec le caractère illimité du parcours vertueux. Les
deux citent à l’appui de cette thèse une autorité biblique: Jean fait appel au Ps
118, 96,²⁶ alors que Grégoire pense à Ph 3, 13. Du texte de Grégoire j’ai omis la
partie qui établit de manière formelle l’infinité de Dieu, sans équivalent dans le
fragment de Jean. Il faut remarquer qu’à la différence de Grégoire, l’assertion
tirée de SP n’est pas accompagnée d’une quelconque élaboration. La corre-
spondance presque mot par mot des séquences soulignées devient ainsi d’autant
plus significative et fait penser que nous pourrions bien avoir affaire chez Jean à
une paraphrase soigneusement travaillée du texte de Grégoire.
Cette manière de s’approprier les idées et les textes de ses prédécesseurs est
d’ailleurs bien attestée chez Jean Climaque. C’est un des acquis les plus inté-
ressants de l’analyse entreprise par Henrik Johnsén que d’avoir montré qu’en
rédigeant l’Échelle Jean avait très probablement sous les yeux des textes qu’il
réutilisait au gré de ses besoins argumentatifs sous forme de citation ou, le plus
souvent, de paraphrase, pour les intégrer dans une synthèse qui lui est propre.
Johnsén a été ainsi en mesure d’indentifier dans l’Échelle des citations ou des
paraphrases de Marc le Moine, Diadoque de Photicé, Jean Cassien, Evagre le
Pontique, Ephrem, Grégoire de Nazianze, ainsi que bon nombre de récits tirés
des Apophtegmes des Pères, du Pré Spirituel de Jean Moschus encore de l’Histoire
Lausiaque de Pallade d’Hélénopolis, qui souvent ne sont pas signalées comme
telles par l’auteur. Qui plus est, Jean n’hésitait pas à réutiliser son propre texte,
en le reproduisant tel quel, en le modifiant légèrement ou en le paraphrasant,
selon le cas.²⁷ On peut regretter que Johnsén ne se soit pas aussi penché sur les

 Sur ce point le contraste avec Didyme mérite une fois de plus d’être remarqué. Dans son
commentaire sur le Psaume 24, Didyme cite le même verset (Ps 118, 96) pour illustrer la thèse
opposée, i. e. le progrès vertueux ne peut se poursuivre sans terme. Mais puisque la finale de ce
verset va directement à l’encontre de l’idée qu’il veut soutenir, Didyme choisit de n’en citer que
la première moitié. Voir Didymus Caecus, Commentarii in Psalmos 68, 18 – 21 (éd. Grone-
wald): οὗτός ἐστιν ὁ ἀναβαίνων διὰ προκοπῆς. ἡ προκοπὴ δὲ ἄνοδός ἐστιν. ἡ στάσις ἡ ἐν τῷ
τελείῳ. ὅταν τις γένηται «τέλειος ὡς ὁ πατὴρ ὁ οὐράνιος», ἔστη ἐν τῷ ἁγίῳ τόπῳ, εἰ μὴ ἄρα
ὑπερβῇ τὴν ὅλην τοιαύτην κατάστασιν καὶ ἀρχὴν λάβῃ ἄλλης· διὸ καὶ ἐν ψαλμοῖς λέγε-
ται· «πάσης συντελείας εἶδον πέρας». Voir aussi le commentaire très utile de A. K. Geljon,
Didymus the Blind: Commentary on Psalm 24 (23 LXX). Introduction, translation and comm-
entary. Vigiliae Christianae 65 (2011) 67– 69.
 Johnsén, Reading John Climacus (voir ci-dessus note 11) 200 – 204. Comparer, par exemple,
Scala Paradisi 8, 3 (PG 88, 828C): Πραότης ἐστὶν ἀκίνητος ψυχῆς κατάστασις, ἐν ἀτιμίαις καὶ
εὐφημίαις ὡσαύτως ἔχουσα, avec Scala Paradisi 24, 2 (PG 88, 980D): Πραΰτης ἐστὶν ἀμετάθετος
νοὸς κατάστασις, ἐν τιμαῖς καὶ ἀτιμίαις ὡσαύτως ἔχουσα; ou encore Scala Paradisi 14, 21 (PG 88,
160 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

rapports du texte de l’Échelleaux écrits de Grégoire de Nysse, mais les rappro-


chements que nous sommes en train de discuter dans cet article me semblent
relever des pratiques d’appropriation tout à fait similaires de la part de Jean.
La suite immédiate du passage qui vient d’être cité nous permet de proposer
un troisième parallèle intéressant. Après avoir précisé que le progrès dans la
vertu n’a pas de limite, Jean affirme que ce progrès trouve son accomplissement
dans l’amour, et place la dynamique spirituelle qui en résulte dans une per-
spective eschatologique explicite.

Si, en bons ouvriers, quelques-uns passent de l’activité pratique à l’activité contemplative,


et que l’amour ne cesse jamais (1 Co 13, 8); si le Seigneur garde l’entrée de ta crainte (cf.
Prov. 9, 10), et la sortie de ton amour (Ps 120, 8), la limite de l’amour sera donc sans limite;
nous ne cesserons jamais de faire des progrès dans l’amour ni dans cette existence, ni dans
celle à venir, puisque nous ajouterons lumière de la connaissance à la la lumière.²⁸

Ce texte me semble encore devoir être mis en rapport avec un lieu célèbre de
Grégoire de Nysse. Dans la quatrième partie du dialogue Sur l’âme et sur la
résurrection, en effet, on trouve une longue dissertation sur la condition de l’âme
après la résurrection.²⁹ Il y est dit notamment qu’après la purification des pas-
sions, l’âme n’aura plus besoin de sa faculté de désirer pour contempler Dieu,
car elle sera désormais «totalement dans le beau», et que c’est la jouissance
(ἀπόλαυσις) qui lui succède.³⁰ Grégoire trouve un appui dans l’affirmation de
saint Paul selon laquelle l’amour est au-dessus de la foi et de l’espérance (1 Co
13, 8). Dans l’interprétation qu’il en propose, ce texte biblique signifie que les
pratiques relevant de la vertu (l’effort ascétique, l’application, les bonnes œu-
vres etc.) prennent fin une fois présent ce que l’on espérait. Le désir et l’espé-
rance laissent la place à l’amour (ἀγάπη).³¹ Au commencement, la vie vertueuse

868A): Ὁ τὴν ἑαυτοῦ θεραπεύων γαστέρα, καὶ πνεῦμα πορνείας νικῆσαι βουλόμενος, ὅμοιός ἐστι
τῷ μετὰ ἐλαίου σβεννύοντι ἐμπρησμόν, avec Scala Paradisi 15, 39 (PG 88, 888C): Ὁ μετὰ
γαστριμαργίας καὶ κόρου τὸν τῆς πορνείας νικῆσαι βουλόμενος δαίμονα, ὅμοιός ἐστι τῷ μετὰ
ἐλαίου σβεννύοντι ἐμπρησμόν.
 Joannes Climacus, Scala Paradisi 26.II, 38 (PG 88, 1168 A). Le grec est donné ci-dessous, à
note 32.
 Gregorius Nyssenus, De anima et resurrectione, PG 46, 88D–97A.
 Grégoire s’exprimera de manière différente plus tard. Voir par exemple In Canticum Canti-
corum 1.31– 32 (GNO), où le désir ne cesse d’accompagner la jouissance.
 Gregorius Nyssenus, De anima et resurrectione, PG 46, 96B: Ἐπειδὰν δὲ ἔλθῃ τὸ ἐλπιζόμενον,
τῶν ἄλλων εὐτηρεμόντων πάντων, ἡ κατὰ τὴν ἀγάπην ἐνέργεια μένει, τὸ διαδεχόμενον αὐτὴν
οὐχ εὑρίσκουσαν. Διὸ καὶ προτερεύει τῶν τε κατ’ ἀρετὴν κατορθουμένων ἁπάντων, καὶ τῶν τοῦ
νόμου παραγγελμάτων. «Lorsqu’arrive ce qu’on espère, tout le reste s’immobilise, mais l’activité
de l’amour continue car elle ne trouve rien pour lui succéder. C’est d’ailleurs pourquoi elle
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 161

signifie donc le combat contre les passions (aspect négatif) et l’acquisition


progressive des dispositions opposées. Mais, au fur et à mesure que l’on se
purifie des passions et des mauvais penchants, le chemin devient de plus en
plus léger à tel point qu’il ne reste plus de l’effort vertueux que l’amour. Pour les
pécheurs cette purification n’intervient qu’après la mort, mais leur parcours sera
similaire en fin de compte. Or le progrès dans l’amour ne connaîtra pas de fin ni
ici-bas, ni dans l’existence éternelle, puisque la source même de cet amour,
Dieu, est infinie (ἀπέραντόν τε καὶ ἀόριστον), donc inépuisable.

Scala Paradisi ³² De anima ³³


Εἰ πορεύσονταί τινες καλοὶ ἐργάται ἐκ Τοῦ δὲ τοῦ τοιούτου δόγματος καὶ ὁ
δυνάμεως πρακτικῆς εἰς δύναμιν θεῖος ᾿Aπόστολος ἡμῖν καθηγήσατο,

l’emporte sur toutes les réalisations de la vertu et sur les commandments de la loi» (trad. par B.
Pottier, in: Grégoire de Nysse, L’âme et la résurrection. Dialogue avec sa sœur Macrine.
Bruxelles 2011, 121).
 Joannes Climacus, Scala Paradisi 26, II.38 (PG 88, 1168A). Comparer la fin de ce texte avec
Gregorius Nyssenus, De anima et resurrectione PG 46, 96C: ἡ δὲ γνῶσις ἀγάπη γίνεται. Plusieurs
interprètes modernes ont remarqué, à propos du passage de Scala Paradisi 26 II, 38, des simi-
litudes avec Grégoire de Nysse, mais, pour la comparaison, ou bien ils ont proposé d’autres lieux
que celui de De anima 88D–97A, ou bien ils n’ont point donné de référence précise à un texte de
Grégoire. Le dernier cas est, par exemple, celui de D. Barsoti, Amore di Dio in S. Giovanni
Climaco. Rivista di vita spirituale 8 (1954) 183. Ware, Introduction (voir ci-dessus note 9) 57,
renvoie de manière générale à l’introduction d’une version anglaise de La vie de Moise (par A. J.
Malherbe / E. Ferguson, NewYork 1978) pour les deux sections de la SP discutées ici. De
même, J. Chryssavgis, The sources of St. John Climacus (c. 580 – 649). Ostkirchiche Studien 37
(1988) 3 – 13, se contente ( 11, note 35) d’une référence aux travaux de Jean Daniélou et Everett
Ferguson. Cet article est reproduit dans sa monographie (John Climacus, 31– 41; voir ci-dessous
note 9), sans modification en ce qui concerne la partie sur Grégoire. W. Völker, Scala Paradisi:
Eine Studie zu Johannes Climacus und zugleich eine Vorstudie zu Symeon dem Neuen The-
ologen. Wiesbaden 1968, 11 (note 2), rapproche d’abord Scala Paradisi 26.II, 38 d’un passage de
La vie de Moise auquel il renvoie par «Moses II, VII 1, 113, 4 ff» (= II 227, dans SC 1 bis): μηδαμοῦ
ἵστασθαι τῆς ἀνόδου […], ἀλλ’ ἅπαξ ἐπιβάντα τῆς κλίμακος ᾗ ἐπεστήρικτο ὁ Θεός […] εἰσαεὶ τῆς
ὑπερκειμένης βαθμίδος ἐπιβαίνειν. Plus loin dans sa monographie (261, note 5), il donne une
référence au dialogue De anima et resurrectione dans une édition qu’il dit (p. XI) de Werner
Jaeger (?). Je n’ai pas été capable d’identifier cette édition, pas plus que l’endroit du De anima
auquel il renvoie par «Gregor v. Nyssa, anima, III 2, 237, 26», sans par ailleurs donner le grec. Au
vu de sa connaissance de Grégoire (Gregor von Nyssa als Mystiker. Wiesbaden 1957), il est
toutefois probable que le passage auquel il renvoie ainsi correspond bien à celui de PG 45, 96B,
que nous sommes en train de discuter.
 Gregorius Nyssenus, De anima et resurrectione PG 46, 96B: «De cet enseignement, le divin
Apôtre nous a lui aussi montré la voie lorqu’il annonçait une espèce de cessation, d’arrêt de tous
nos efforts actuels vers le meilleur, alors qu’à l’amour seul il ne trouve pas de fin: ‘Les pro-
162 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

θεωρίας, καὶ ἡ ἀγάπη οὐδέποτε πάντων τῶν νῦν ἐν ἡμῖν καὶ ἐπὶ τῷ
λήγει· καὶ Ὁ Κύριος φυλάξει τὴν εἴσο- κρείττονι σπουδαζομένων παῦλάν τινα
δον τοῦ φόβου σου, καὶ τὴν ἔξοδον τῆς καὶ καταστολὴν προαγγείλας, μόνης δὲ
ἀγάπης σου, οὐκοῦν ἀπέραντον τὸ τῆς ἀγάπης οὐχ εὑρὼν τὸν ὅρον.
ταύτης πέρας, ἐν ᾗ προκόπτοντες Προφητεῖαι γὰρ, φησὶ, καταργηθήσον-
οὐδέποτε καταλήξομεν· οὐ κατὰ τὸν ται, καὶ γνώσεις παύσονται· ἡ δὲ
παρόντα, οὐ κατὰ τὸν μέλλοντα αἰῶνα ἀγάπη οὐδέποτε πίπτει·
φωτὶ φῶς γνώσεως προσλαμβάνοντες·

Les ressemblances entre les deux passages sont là encore évidentes, à com-
mencer par l’idée centrale qui les sous-tend: l’effort vertueux a vocation à cul-
miner et à être supplanté par l’amour. Cette fois il y a correspondance y compris
en ce qui concerne le texte biblique commenté (1 Co 13, 8). Si Jean ne mentionne
pas à cet endroit la contrepartie logique du progrès dans l’amour (l’infinité
divine), l’idée ne lui est toutefois pas étrangère, puisqu’il en fait état de manière
imagée ailleurs.³⁴ Enfin, les deux auteurs insistent sur la dimension eschatolo-
gique dans laquelle cet amour ne cessera pas de déployer sa dynamique as-
censionnelle.
Le passage de Scala Paradisi 26.II, 38 se poursuit par une brève réflexion sur
le parcours spirituel des anges, que Jean conçoit également sous un mode
épectatique.

Quoique cette affirmation puisse paraître quelque peu étrange aux yeux des gens com-
muns, je dirais cependant pour ma part que, selon la démonstration que je viens d’exposer,
même les natures spirituelles ne sont pas sans faire de progrès, mon bienheureux; j’af-
firme, au contraire, qu’elles ajoutent sans cesse gloire à la gloire (cf. 2 Co 3, 18b), et con-
naissance à la connaissance.³⁵

C’est une idée encore plus spéculative que celle du progrès perpétuel des
hommes, et Jean en a si bien conscience qu’il admet lui-même qu’on puisse la
trouver «étrange». Pourquoi les anges seront-ils eux aussi sujets d’un progrès
sans fin? On ne trouve pas d’élaboration supplémentaire de cette idée dans le
texte de l’Échelle. À ma connaissance, on ne trouve pas non plus d’auteur qui en

phéties, dit-il, disparaîtront, les connaissances cesseront, mais l’amour ne passe jamais’ (I Co 13,
8)» (trad. Pottier, 120).
 Scala Paradisi 30, 2 (PG 88, 1156B): ᾿Aγάπη ὁ Θεός ἐστιν, ὁ ὅρον δὲ τούτου λέγειν βουλόμενος,
ἐν ἀβύσσῳ τυφλώττων τὸν ψάμμον μετρεῖ.
 Scala Paradisi 26.II, 38 (PG 88, 1068B): εἰ καὶ ξένον πως τοῖς πολλοῖς τὸ λεγόμενον, ὅμως
κατὰ τὴν προλεχθεῖσαν ἡμῖν ἀπόδειξιν, ὦ μάκαρ, οὐδὲ γὰρ τὰς νοερὰς οὐσίας ἔγωγε ἀπροκόπους
εἶναι εἴποιμι ἂν, δόξαν δὲ μᾶλλον δόξῃ ἀεὶ προσλαμβανούσας, καὶ γνῶσιν ἐπὶ γνώσει ὁρίζομαι.
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 163

fasse état avant Jean Climaque, à l’exception encore une fois de Grégoire de
Nysse, chez lequel on peut recenser quelques éléments importants qui vont dans
ce sens.³⁶ C’est une des convictions de Grégoire, en effet, que les créatures
raisonnables (humaines ou angéliques) n’ont pas, d’un point de vue moral, le
centre de gravité en elles-mêmes et que, pour pallier cette incomplétude origi-
naire qui équivaut en fait à leur créaturalité, elles ont à se tourner vers la source
de tout bien véritable, qui est Dieu, pour y «participer» et s’épanouir. Or, puisque
d’autre part cette source est inépuisable, le progrès dans la participation peut
logiquement se poursuivre sans point d’arrêt. Cette pensée nous est livrée avec
beaucoup de clarté dans le Contre Eunome, par exemple.³⁷ On la retrouve éga-
lement dans ses Homélies sur le Cantique des Cantiques, où Grégoire est en train
de distinguer le mode d’existence de Dieu, qui est plénitude (sa nature «demeure
toujours identique à elle-même, supérieure à toute addition et incapable de subir
une diminution de biens»), et celui des créatures raisonnables («la nature
amenée à l’existence par création, qui regarde sans cesse vers la cause première
des êtres, qui se conserve dans le bien par sa participation à Celui qui l’emporte

 Blowers, Maximus the Confessor (voir ci-dessus note 8) 160, attirait l’attention sur quelques
endroits où Pseudo-Denys parle lui aussi d’un mouvement incessant (ἀεικινησία) des anges (De
caelesti hierarchia VII.1 [PG 3, 205C] et XIII.4 [PG 3, 305A]), mais on ne voit pas bien si ce
mouvement devrait se comprendre aussi comme un progrès. R. Roques, À propos des sources de
Pseudo-Denys. Revue d’histoire ecclésiastique 56 (1961) 456 – 457, par exemple, affirmait que
l’idée d’un progrès perpétuel n’a pas marqué la pensée de Pseudo-Denys. La question meriterait,
peut-être, d’être reprise à nouveaux frais.
 Gregorius Nyssenus, Contra Eunomium I, 290 – 291 (GNO): ἕως γὰρ ἂν ἐν τῷ ἐλάττονι ᾖ, διὰ
τὸ ἀγαθὸν τῆς φύσεως τοῦ ὑπερκειμένου ἄπαυστόν τινα πρὸς ἑαυτὸ τὴν ὁλκὴν τοῖς ὑποδεε-
στέροις φυσικῶς ἐντιθέντος, οὐδενὶ τρόπῳ ἡ τοῦ πλέονος ἔφεσις στήσεται, ἀλλὰ πρὸς τὸ μήπω
ληφθὲν ὑπερτεινομένης ἀεὶ τῆς ὀρέξεως πάντοτε τὸ ἐλαττούμενον τοῦ πλέονος ὀρεχθήσεται καὶ
ἀεὶ πρὸς τὸ μεῖζον ἀλλοιωθήσεται καὶ οὐδέποτε πρὸς τὸ τέλειον φθάσει, τῷ μὴ εὑρίσκειν τὸ
πέρας, οὗ δραξάμενον στήσεται τῆς ἀνόδου. ἐπειδὴ γὰρ ἄπειρον τῇ φύσει τὸ πρῶτον ἀγαθόν,
ἄπειρος ἐξ ἀνάγκης ἔσται καὶ ἡ μετουσία τοῦ ἀπολαύοντος, ἐσαεὶ τὸ πλέον καταλαμβάνουσα καὶ
πάντοτε εὑρίσκουσα τοῦ καταληφθέντος τὸ περισσότερον καὶ μηδέποτε παρισωθῆναι αὐτῷ
δυναμένη, τῷ μήτε τὸ μετεχόμενον περατοῦσθαι μήτε τὸ διὰ τῆς μετουσίας ἐπαυξανόμενον
ἵστασθαι. – «En effet, tant qu’une nature est déficiente en regard du bien, la nature supérieure
exercera naturellement sur elle une attraction incessante; et l’élan vers le meilleur ne s’arrêtera
d’aucune manière, mais, puisque le désir tend toujours vers ce qu’il n’a pas encore saisi,
l’inférieur désirera à jamais le supérieur, s’altérera incessamment vers le meilleur et n’arrivera
jamais à l’achèvement, du fait qu’il ne trouvera pas de limite à partir de laquelle s’arrête l’action
de monter. Puisque, en effet, le Bien Premier est dans sa nature infini, la participation de celui
qui en jouit sera nécessairement infinie elle aussi: plus elle en saisit davantage, plus elle
trouvera quelque chose à saisir encore et ne pourra jamais égaler son objet, du fait que, d’un
côté, le participé n’a pas de limite, et, que d’un autre côté, celui qui augmente par la partici-
pation ne s’arrête pas (d’augmenter).»
164 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

sur tout»). La nature de ces dernières, «de quelque manière, est créée sans cesse,
puisque changée en quelque chose de toujours plus grand par sa croissance
dans les biens, en sorte qu’aucune limite ne s’aperçoive en elle et qu’aucune
borne ne mette un terme à sa croissance vers le meilleur, mais que le bien
présentement possédé par elle, quelque grand et parfait qu’il paraisse, soit
toujours le point de départ de quelque chose plus élevé et plus grand […]».³⁸ Un
peu avant, dans les mêmes Homélies sur le Cantique, Grégoire lit dans Ct 2– 7 («Je
vous ai fait jurer, filles de Jérusalem, par les puissances et par les forces du
champ, d’éveiller et de réveiller l’amour jusqu’à ce qu’il veut») une exhortation
adressée aux âmes humaines de prendre les anges pour modèle, et l’exprime
ainsi:

C’est pourquoi l’épouse affermit, par le serment qu’elle leur fait prêter, les âmes qu’elle
enseigne, en sorte que leur vie qui se réalise en ce champ regarde vers les puissances, en
imitant par l’impassibilité la pureté angélique: car c’est ainsi que, l’amour étant éveillé et
réveillé, c’est-à-dire s’élevant et se développant sans cesse par de nouveaux accroisse-
ments, notre texte peut dire que le généreux vouloir de Dieu est accompli sur la terre
comme au ciel (cf. Mt 6, 10), du fait que l’impassibilité angélique se réalise également en
nous.³⁹

Les hommes doivent donc s’efforcer d’acquérir la stabilité spirituelle et l’im-


passibilité des anges. Mais celles-ci n’épuisent pas la vérité de l’application
vertueuse, puisqu’elles ont simplement le rôle de permettre à l’âme, une fois
libérée du poids des passions, de déboucher sur un progrès perpétuel dans
l’amour. Ou, pour le dire autrement, la stabilité dont il est question s’avère en
fait être dynamique. Telle sera aussi la béatitude éternelle: une croissance in-
interrompue dans l’amour qui est Dieu. Comme ce texte le laisse clairement

 In Canticum Canticorum 6.174, 5 – 12 (GNO): ἡ δὲ διὰ κτίσεως παραχθεῖσα εἰς γένεσιν πρὸς τὸ
πρῶτον αἴτιον ἀεὶ βλέπει τῶν ὄντων καὶ τῇ μετουσίᾳ τοῦ ὑπερέχοντος διὰ παντὸς ἐν τῷ ἀγαθῷ
συντηρεῖται καὶ τρόπον τινὰ πάντοτε κτίζεται διὰ τῆς ἐν τοῖς ἀγαθοῖς ἐπαυξήσεως πρὸς τὸ
μεῖζον ἀλλοιουμένη, ὡς μηδὲ ταύτῃ τι πέρας ἐνθεωρεῖσθαι μηδὲ ὅρῳ τινὶ τὴν πρὸς τὸ κρεῖττον
αὔξησιν αὐτῆς περιγράφεσθαι ἀλλ’ εἶναι πάντοτε τὸ ἀεὶ παρὸν ἀγαθόν, κἂν ὅτι μάλιστα μέγα τε
καὶ τέλειον εἶναι δοκῇ, ἀρχὴν τοῦ ὑπερκειμένου καὶ μείζονος (trad. A. Rousseau, in: Grégoire de
Nysse, Homélies sur le Cantique des Cantiques. Bruxelles 2008, 143).
 In Canticum Canticorum 4.134, 17– 135, 6 (GNO): διὰ τοῦτο τὴν διὰ τοῦ ὅρκου βεβαίωσιν
ἐμποιεῖται ταῖς ψυχαῖς τῶν μαθητευομένων ἡ νύμφη, ὥστε τὴν ζωὴν αὐτῶν τὴν ἐν τῷ ἀγρῷ
τούτῳ κατορθουμένην πρὸς τὰς δυνάμεις βλέπειν, μιμουμένην διὰ τῆς ἀπαθείας τὴν ἀγγελικὴν
καθαρότητα· οὕτω γὰρ ἐγειρομένης τῆς ἀγάπης καὶ ἐξεγειρομένης (ὅπερ ἐστὶν ὑψουμένης τε καὶ
ἀεὶ διὰ προσθήκης πρὸς τὸ μεῖζον ἐπαυξομένης) τὸ ἀγαθὸν εἶπε θέλημα τοῦ θεοῦ τελειοῦσθαι ὡς
ἐν οὐρανῷ καὶ ἐπὶ γῆς τῆς ἀγγελικῆς καὶ ἐν ἡμῖν ἀπαθείας κατορθουμένης (trad. Rousseau, 117).
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 165

entendre, les hommes ne feront ainsi que d’imiter les anges.⁴⁰ On notera aussi
dans le passage de SP 26.II, 38 l’allusion transparente à 2 Co 3, 18b, un texte qui
fut pour la première fois utilisé pour illustrer l’idée d’une croissance spirituelle
sans fin par Grégoire de Nysse.⁴¹

Remarques finales
L’objectif de cet article était de proposer une comparaison entre Jean Climaque
et Grégoire de Nysse sur la façon dont chacun des deux auteurs conçoit la
dynamique de la vie spirituelle, afin d’établir l’appartenance de Jean à une
tradition de pensée qui remonte à Grégoire. On ne devrait pas interpréter cette
démarche comme une tentative maladroite de ramener l’enseignement de Jean,
qui est riche et original par ailleurs, à celui de Grégoire. L’intention était surtout
de voir s’il est possible de découvrir chez les deux auteurs un complexe d’idées
et un modèle communs, tout en veillant à ne pas projeter les intuitions de l’un
dans les écrits de l’autre. Or il nous est apparu que ce modèle existe, et que Jean
est proche de Grégoire à plusieurs égards significatifs: une conception dyna-
mique de la perfection, l’idée que le progrès vertueux n’a pas de limite, l’iden-
tification de l’étape culminante de la vie spirituelle avec l’amour épectatique et
l’idée que ce progrès aussi bien présent qu’eschatologique est aussi le lot des
anges. Ces similitudes sont trop étroites et nombreuses pour ne pas exiger une
explication. Elles concernent en outre des concepts qui ont un profil bien par-
ticulier, car il ne s’agit pas simplement de l’idée générale de progrès spirituel,
mais d’un progrès spirituel qui est sans fin. Plus que des coïncidences, ces
similitudes me paraissent donc indiquer une familiarité de Jean avec Grégoire,
puisque la théorie de l’épectase est la marque inconfondable de l’évêque de
Nysse, le premier à l’avoir élaborée et employée de façon systématique. Reste
alors à déterminer si cette filiation d’idées fut directe ou indirecte. À la faveur de
la deuxième hypothèse, on pourrait postuler dans la culture monastique

 Cf. Scala Paradisi 27.26 (PG 88, 1101B): οὔποτε παύσονται τῇ ἀγάπῃ προκόπτοντες ἐκεῖνοι·
(la référence est aux anges), et 30.18 (PG 88, 1160A): ἀγάπη ἀγγέλων στάσις· ἀγάπη προκοπὴ τῶν
αἰώνων. Le thème du progrès perpétuel des anges chez Jean est discuté aussi par Jonathan
Zecher, qui toutefois ne fait pas le lien avec Grégoire de Nysse. Voir Zecher, The angelic life (voir
ci-dessus note 12) 133 – 135.
 Par exemple, De perfectione christiana 213, 25 (GNO); In Canticum Canticorum 5.160, 3 – 4
(GNO); In Canticum Canticorum 6.186, 6 – 12 (GNO). Voir aussi M. Harl, L’interprétation de 2 Co
3, 18b par Grégoire de Nysse et la liturgie baptismale, in eadem, Le déchiffrement du sens.
Études sur l’herméneutique chrétienne d’Origène à Grégoire de Nysse. Paris 1993, 307– 311.
166 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

orientale l’existence d’un répertoire d’idées communes sur le cheminement


spirituel, répandues de manière plus ou moins diffuse, parmi lesquelles se soit
trouvé aussi la théorie de l’épectase. Jean Climaque y aurait puisé, sans forcé-
ment savoir que cette théorie venait à l’origine de Grégoire de Nysse. Assurément
une telle possibilité n’a rien d’invraisemblable, même si on aimerait bien que la
situation qu’elle imagine soit davantage attestée par les textes. La correspon-
dance des maîtres de Gaza (Barsanuphe et Jean), par exemple, dont Jean Cli-
maque fut proche aussi bien spirituellement que géographiquement,⁴² montre
que vers le milieu du VIe siècle certains theologoumena attribués au Nyséen
étaient bien discutés dans leur entourage. Mais il s’agit uniquement de la
question du salut universel («l’apocatastase»), alors que la théorie de l’épectase
n’y apparaît pas.⁴³ En fait, à ma connaissance, seul le Corpus Macarianum (fin du
IVe siècle) fait état d’une théorie semblable avant Jean Climaque. Pour autant, il
n’est pas possible d’établir entre Jean et ce corpus des parallèles textuels aussi
précis que celles que nous venons de constater entre Jean et Grégoire de Nysse.⁴⁴
L’hypothèse d’une influence directe expliquerait probablement mieux ces simi-
litudes, même s’il faut en même temps admettre que le contact littéraire entre les
deux auteurs reste difficile à prouver.
Que Jean ait pu connaître les textes de Grégoire ne devrait d’ailleurs pas
nous étonner. Quoi de plus naturel au fond que l’intérêt des moines sinaïtes pour
un écrit comme la Vie de Moïse, qui illustre la perfection chrétienne dans la vertu
à partir de l’image de l’ascension de Moïse sur le Sinaï?⁴⁵ Il est vrai que le nom
de l’évêque de Nysse n’est jamais mentionné dans l’Echelle, contrairement à
celui de Grégoire de Nazianze, par exemple.⁴⁶ Mais ce détail n’est pas en soi très
significatif. Il peut s’expliquer en partie par la réputation théologique de Gré-
goire, laquelle put apparaître douteuse aux yeux de certains dans le sillage
immédiat de Chalcédoine (451) et Constantinople (533).⁴⁷ Il y a aussi, peut-être,
une raison d’ordre différent. Comme beaucoup d’auteurs patristiques, Jean ne
s’intéresse pas spécialement à l’histoire d’une idée ou de telle autre, mais avant

 Völker, Scala Paradisi (voir ci-dessus note 32) 7.


 Barsanuphius et Joannes Gazae, Epistula 604 (SC 451, 814– 824).
 J’ai brièvement touché à la conception de Macaire-Syméon dans: On the Interpretation (voir
ci-dessus note 1) 577– 580.
 Müller, Konzept (voir ci-dessus note 10) 148.
 Scala Paradisi 21, 1 (PG 88, 949A) et 26.II.19 (PG 88, 1164A).
 A. Meredith, Influence of Gregory of Nyssa. The Brill Dictionary (voir ci-dessus note 2) 42,
indique deux raisons pour cette relative méfiance: 1) certaines des expressions de Grégoire ont
trouvé cours chez les monophysites et 2) un nombre de ses textes fait état de la théorie du salut
universel, condamnée à Contantinople en 553.
O. Sferlea, La dynamique de la vie spirituelle … 167

tout à leur valeur de vérité pour la foi. Il peut donc reprendre le thème du
progrès perpétuel sans souci particulier d’en mentionner la source, pour la seule
et bonne raison qu’à ses yeux cette idée fournit une esquisse véridique de ce que
sera la béatitude eschatologique des hommes et des anges, en parfaite concor-
dance avec sa propre expérience spirituelle.
Il est donc clair que Jean doit être rattaché à un groupe plus large d’auteurs
qui, quelles que soient par ailleurs leur différences, partagent pour l’essentiel la
vision de Grégoire de Nysse sur la dynamique sans fin de la vie spirituelle. Mais
l’importance de Jean dans le cadre de cette tradition de pensée mérite, peut-être,
d’être soulignée davantage. Par sa présence dans l’Échelle, une idée spéculative,
voire audacieuse, comme dut apparaître celle de Grégoire, reçut la sanction
d’une autorité spirituelle sans faille aux yeux de la postérité, et la garantie de la
meilleure pratique et tradition monastique. D’une certaine manière, cela vaut
également pour la réception de cette idée chez Maxime le Confesseur. On en
discerne mal encore toutes les conséquences, mais, si l’on rappelle qu’après
l’Écriture elle-même l’Échelle fut le livre le plus copié et lu à Byzance, ces con-
séquences ne peuvent pas avoir été anodines. Pour finir, je me borne ici à
mentionner deux auteurs qui font état de l’idée du progrès perpétuel et dont on
peut être raisonnablement certain qu’ils avaient une connaissance directe de
l’écrit de Jean: Syméon le Nouveau Théologien († 1022) et Grégoire le Sinaïte (†
1346). Syméon mentionne une fois Grégoire de Nysse, sans que l’on puisse
conclure qu’il l’avait aussi lu.⁴⁸ Son disciple, Nicétas Stéthatos, nous apprend en
revanche que Syméon fut un lecteur assidu de l’Échelle. ⁴⁹ On en a la confir-
mation dans le fait que Jean et l’Échelle sont bel et bien cités dans les Cath-
écheses de Syméon.⁵⁰ D’autres rapprochements, qui montrent la grande fami-
liarité de Syméon avec Jean, ont été relevés.⁵¹ Quant à Grégoire le Sinaïte, il
connaît lui aussi très bien Jean Climaque, puisqu’il le mentionne et le cite de

 Symeon Novus Theologus, Catechesis 5, 643 (SC 96, 432).


 Nicétas Stéthatos, Vita sancti Symeonis 6 (Βίος καὶ πολιτεία τοῦ ἐν ἁγίοις πατρὸς ἡμῶν
Συμεὼν τοῦ Νέου Θεολόγου, ed. S. P. Koutsas. Nea Smyrne 1994, 60).
 Symeon Novus Theologus, Catechesis 4, 540 (SC 96, 358) et 30, 141 (SC 113, 204).
 K. Ware, The spiritual father in Saint John Climacus and Saint Symeon the New Theologian,
in: Studia Patristica 18/2. Leuven 1989, 299 – 316; Chryssavgis, John Climacus (voir ci-dessus
note 9) 206 – 208; H. Alfeyev, Saint Symeon the New Theologian and orthodox tradition. Oxford
2000, 208 – 269; I. Perczel, Saint Symeon the New Theologian and the theology of the divine
substance. Acta Antiqua Hungarica 41 (2001) 144– 146. Jean Climaque apparaît donc comme un
intermédiaire plus sûr que Pseudo-Macaire entre Grégoire de Nysse et Syméon, contrairement à
ce que j’avais suggéré dans un article précédent (Syméon le Nouveau Théologien, see ci-dessous
note 8, 250).
168 Byzantinische Zeitschrift Bd. 110/1, 2017: I. Abteilung

manière littérale à de nombreuses reprises dans ses divers écrits.⁵² Jean pourrait
bien être donc la source d’une remarque sur le progrès perpétuel des hommes et
des anges, que Grégoire le Sinaïte nous livre dans ses Capita per achrostichidem
et qui ressemble bien à une paraphrase de l’Echelle 26.II, 38.⁵³

 Par exemple, Gregorius Sinaita, Capita de quietudine et duobus orationis modis 2, 3 (Jean est
mentionné à côté de Syméon le Nouveau Théologien), 4, 8,9,11 (PG 150, 1316C–1324D) etc.;
Quomodo oporteat sedere hesychastam ad oratione 5 (PG 150, 1333B) etc.
 Gregorius Sinaita, Capita valde utilia per achrostichidem disposita 54 (PG 150, 1253D): Ἐν τῷ
μέλλοντι οἱ ἄγγελοι καὶ οἱ ἅγιοι, φασί, προκόπτοντες ἐν τῇ τῶν χαρισμάτων προσθήκῃ οὐδέποτε
λήξουσιν ἢ ἐνδώσουσι τῶν ἀγαθῶν ἐφετῶς ἔχοντες. ὕφεσιν γάρ ἢ μείωσιν ἀπὸ τῆς ἀρετῆς ἐπὶ
κακίαν ἐκεῖνος οὐκ ἔχει ὁ αἰὼν. «On dit que dans le siècle futur, les anges et les saints ne
cesseront jamais de progresser dans l’accroissement des dons spirituels, et jamais ils ne man-
queront d’avoir le désir des biens. En effet, cette existence-là ne comporte pas de déficience ou
de diminution de la vertu à cause du péché.» On retrouve une idée similaire chez Grégoire
Palamas († 1359), disciple de Grégoire le Sinaïte (D. Balfour, Was St Gregory Palamas St Gregory
the Sinaite’s pupil? St Vladimir’s Theological Quarterly 28 (1984) 115 – 130), qui parle lui aussi du
«progrès ininterompu vers des visions de plus en plus claires que dans le siècle sans fin
connaissent les saints et les anges (ἡ τῶν ἀγγέλων καὶ τῶν ἁγίων ἐν ἀπείρῳ αἰῶνι διηνεκὴς ἐπὶ
τὰ φανότερα τῶν θεαμάτων προκοπή)» (Gregorius Palamas, Pro hesychastis II, 3, 56; Chrestou
I, 590, 16 – 18).

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