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ESSAI D'INTERPRETATION DE LA STELE
INDECHIFFREE D'AMBILOBE
par J.-C, HEBERT
Membre associé de !Académie Makgache,
Madagascar n'a jamais livré a l'archéologue, ni statues antiques ni stéles
portant des inscriptions datables de plusieurs sidcles?. Il n'est pas dit que de tels
objets n’existent pas ou n'aient pas existé, mais s'ils existent encore, ils sont
certainement rarissimes.
La rareté des vestiges anciens nous fait un devoir de présenter une ébauche
d'étude de I'un d'entre eux, une sidle d'époque ignrée, dont la phatographie a été
présentée plusieurs fois aux lecteurs de la Reoue de Madagascar, et qui a été
trouvée, ily a quelques années déja, par M. le Professeur Millot dans Ja région
d'Ambilobe.
Cette stéle est actuellement entreposée avec d'autres objets
ethnographiques dans les batiments de 1'O.R.S.T.0.M., section Sciences
Humaines, 4 Tananarive. Aucune étude, a notre connaissance n‘a jamais été
entreprise, signalant ou soulignant 'énigme des graffitis qui y sont tracés.
Le fait que cette stéle de basalte porte des traits mystérieux,
indubitablement tracés de main humaine, est d'importance. Nous ne savons pas si,
avant de connaitre l'écriture arabe, les Malgaches ont connu et utilisé un autre
systéme d’écriture. Mais I'hypothése doit étre examinée.
Le pasteur Otto Chr. Dahl a été le premier, croyons-nous, a lancer cette
idée dans son ouvrage Melgache et Meanjan (p. 7):
“IL n'y a aucune trace, dit-il, A Madagascar d'une littérature antérieure &
Timmigration musulmane. Mais comme on écrit en Indonésie sur des feuilles de
palinier ou sur des bambous, les manuscrits périssent facilement. Le manque de tels
manuscrits A Madagascar ne prouve donc rien”.
“Le nom de l'écriture arabe, Tmnr. sora-be “grande écriture”, semble ancien.
Siil est antérieur a I'introduction de I'éeriture européenne, ce terme indique quill y
2 eu ume autre écriture de laquelle il fallait distinguer I'écriture arabe". Quelle
1 Léléphant de pice d'Ambohitsara n‘apparait pas tellement antique (origine arabe ?}; en tout
4, il n¢ comports aucune inscription, sinon des graffiti récents.
XLVIL6t6 cette écriture, antérieure a l'écriture arabe, on ne sait.! Il n’en est apparemment
pas resté traces. Et cependant, il faut souligner avec Dahl que les premiers
Malgaches venant d'Indonésie connaissaient I'écriture, puisque le mot malgache
signifiant “écriture’, Mer. soratra, Tmr. soratri est le méme que celui connu dans
toute l'Indonésie : surat < INC. tulat? Bien plus, Dahl fait remarquer qu’en
malgache comme en batak (Bornéo) et en makassar (Célébes), on désigne la
consonne par l'expression "mére-écriture" (en malgache, respectivement
renisoratra et zana-tsoratra). Peut-8tre y a-t-il simple phénoméne de
convergence ? L'hypothése d'un rapprochement culturel semble cependant
meilleure. Dans ce cas, on devrait pouvoir retrouver & Madagascar des traces de
Tancienne écriture, qui serait vraisemblablement d'origine indienne.
Cette écriture était certainement perdue lorsque les Arabes ont fait
connaftre les caractéres arabes. Sinon les sera-be en feraient mention, et si elle
avait été encore en usage, elle aurait df nous parvenir comme nous sont parvenus
Jes sorabe, sur papier antaimoro, ou sur parchemin.
Reste la ressource des iriscrij rupestres, et des stéles. Quant aux
inscriptions, celles d'Ambatosoratra, ferre aux écritures" que M. Devic a
Studiées en pays betsileo, sont ‘les plus cél@bres.3 Malheurcusement, il y
a de fortes chances pour ces dues inscriptions, dont certaines lettres
rappelleraient les caractéres h: rites du fabuleux royaume de Saba, soient
Toeuvre du ruissellement lié aux fantaisie.de la nature. Les linguistes se sont
montrés fort sceptique sur l'identification de alphabet employé 4, et en tout cas le
texte est resté indéchiffré.
Quant aux stéles, il en existe qui ont été déchiffrées telles celles ramenées
d'Anorotsangana, sur la cdte nord-ouest de Madagascar, par la mission Waterlot,
ily a une trentaine d’années ; gravées en relief sur calcaire corallien, elles portent
des épitaphes arabes en inscription neskhi, et concernent des Grand-Comoriens
déc&dés en terre malgache. mais elles sont trés récentes, puisque sur plusieurs
d'entre elles, ont été relevées des dates se situant entre 1868 et 1870 (1284 H et
1286 H) .
Pour la sttle qui nous intéresse, nous dirons tout de suite que les signes
gravés nous sont restés indéchiftrables.
1 Ce pourrait dire simpkement 'écriture sur le sable du sikidy alana. Simple hypothése.
2 IL est vrai que M. Dez, dans son article "lapport lexical de l'indonésien cornmun 3 la langue
malgache” pari av Bull. de Madogascar, janvier 1963 (n° 200), p. 75, souligne qu*il semble
plutét que le terme soratra ait éé emprunté par les différentes langues indonésiennes i T'arabe",
3 Revue de Madagascar, woisitme wimeswe 1953, Jean Devic. Ivolamena : Je roc dr.
+ Revue du monde musulman. 1824, 1. 58, p. 272. Planche avec photos.Voit compte-rendy de
Faubles, in Documents dOutre-Mer, 1954.
XLVELLes graffiti de la stéle sont observables d'un cSté seulement, sur la partie
lisse, la "face", par conséquent ; le "dos" présente une surface moins plane sans
traces de signes.
La stéle peut étre orientée normalement de haut en bas du fait de la
courbure sommitale, ce qui indique que la pierre devait étre dressée ou fichée en
terre (2). La base n'est pas réguliére et ne parait pas avoir été travaillée.
IL y a deux séries de signes ; la premiare, tras nette sur une bande
horizontale qui traverse la pierre dans sa largeur, sur‘une hauteur d'une dizaine de
centimétres. certainement, il ne peut s'agir d'un travail naturel da a I'érosion. On
reconnait A I'examen les traces d'un outil, genre gouge, qui a laissé en plusieurs
endroits deux fins sillons en creux, paralléles, espacés d'un millimetre environ.
L’emploi d'un outil sur cette surface plane ne peut s’expliquer que par Vintention de
graver une inscription!
La deuxidme série de signes, de moindre importance, est reconnaiteaple sur
Ja partie biseaurée de l'arrondi sommital. les signes sont moins nombreux (trois
fort nets, et quelques autres imparfaitement tracés). De prime abord, on pourrait
cToire que ce sont des coups de burin déstinés a casser la pierre pour en obienir le bel
arrondi actuel. Mais cette opinion ne semble pas pouvoir'étre retenue. L'arrondi de
Ja pierre a sans doute été oeuvre de la nature. Lorsqu’on observe les signes tracés
sur cette partie biseautée, on reconnait les deux fins sillons parallales de la gouge,
utilisée pour la gravure de la surface plane. A mon avis, il s‘agit donc bien d’un
complément de Vinecription précédente.
A. Graffiti de ta surface plane. It est bien difficile de reconnaftre dans ces
graffiti les signes d'un alphabet quelconque ; mais on est frappé de la régutarité de
certains traits verticaux tous profondément tracés. Il y a ainsi cing barres
verticales qui couvrent une bande horizontale de 10 centimétres de large. Seul le
trait (en partant de Ja gauche) est interrompu en son milieu ; les autres
présentent un tracé uniforme, trés faiblement dévié en haut vers la droite.
Léécartement des barres est sensiblement le ‘méme, quoique la largeur des
intervalles semble aller légérement en diminuant de la gauche vers la droite,
comme gi le sculpteur avait craint de manquer de place.
Fait inattendu, ces espaces sont également divisés en moitiés, puis en
quarts. Les traits figurant les moitiés sont plus épais, plus profondément tracés que
ceux figurant les quarts, Les premier et deuxidme intervalles (en partant de la
gauche) sont ainsi normalement divisés en moitiés et en quarts ; mais le troisiéme
n’a qu'une marque centrale (une moitié), un éclat de la pierre pouvant toutefois étre
1M. le Paneur E. Vernier, & qui nous avions communiqué notre travail, exprimait un pinion
quelque pen différenie en précisant que si Jes lignes tracées 2 des emplacemenss
fyaica! Gé "pour la plupart fait ay busin”, d'gutes loi evaient donné "Timpression davoir 6 le
reaulist d'une pereussion, comme si I'on avait fendu on caseé du bois sur cette stile et que ie for de
hache ait entamé le basalte” (communication percoanelle, février 1962).
XLIXle résultat d'un coup de gouge destiné A un trait de quart ; le quatriéme intervalle a
un trait de moitié et un trait assez mince (il semble que le sculpteur ait craint de
provoquer un éclat comme précédemment, d'autant plus que la barre voisine est
déja plus épaisse que les autres par suite vraisemblablement d'un accident de la
pierre).
@) Graffiti sur la surface biseaubée du sommet arrondi de lo st#le.
ay
4) Graffiti cue lo surface plone.
Que signifient ces séparations par traits verticaux, portées sur une.méine
ligne horizontale au-dessous d'autres signes, la plupart obliques ou horizantaux,
qui remplissent plus ou moins bien 'espace libre entre les barres ? S'agit-il d'un
canevas destiné A séparer des lettres et des mots ? Avouons qu’aucune inscription
connue n’a jamais rien présenté de tel. D'autre part, les intervalles apparaissent
réguliers.
La premiére hypothése qui vient a l'esprit est qu'il pourrait s'agir d'un
alphabet. On sait que sur Je pourtour de la Méditerranée ant été découvertes ainsi
des tablettes, des poteries, portant a la suite les lettres de l'alphabet grec, de
Valphabet étrusque, des alphabets italiques, etc. Il existe méme quelques
syllabaires du type b, a ba, ga ga qui sont parmi jes tous premiers documents que
nous révélent l'archéologie.
Toutefois, en ce qui conceme la ste d'Ambilobe, on est étonné de rencontrer
une division quadripartite dans laquelle il semble difficile d'inclure un alphabet
quelconque. D’autre part si les colonnes centrales englobent des signes, tout a faiténigmatiques, et si a la rigueur on peut en apercevoir sur la partie gauche de la
stle, les colonnes de la partie droit en apparaissent dépourvues. L'alphabet, $i
alphabet y avait, serait tronqué.
Cest pourquoi, de toute évidence, nous avons affaire ici & un systéme non
pas alphabétique mais mathématique. Or, ce systéme n’est pas décimal mais
quaternaire ; nous avons quaire intervalles divisés eux-mémes en quatre (bien que
deux divisions de quart ne soient pas tracées et que deux autres soient hors
intervalle).
Crest peut-étre le lieu de rappeler ici que le chiffre huit (8) et son double
(16) ont une particuliére importance en malgache. Pour pénétrer dans un doany
sakalava (case contenant les reliques royales) il faut donner en argent au porticr *
roay valo parata “deux fois huit piastres, c'est-a-dire (60 francs). Lors des grands
_ Sacrifices de booufs pour les fetes commémoratives royales comme celles qui ont
lieu annuellement au doany de Majunga, il faut sacrifier deux fois huit boeufs, huit
le premier jour et huit le dernier.
Le plus puissant des talismans en pays sakalava, aprés celui dénommé vy
lava isy roy ("lame de fer qui n'a pas sa pareille") était le manjeka valo taona
(‘celui qui regne huit ans"). C'était Yuody du roi Andriamisara et l'eody des rois
Volamena *
Dans le systéme monétaire le plus ancien, “huit" était une division
majeure dénommée sasunangy, “moitié de machoire", la machoire devant
correspondre a seize, moltié de la dentition complete ; 8 était donc une unité de
compte ; et pour 10, on devait dire 8 + 2 pour 12, 8 + 4, jusqu'a I'unité majeure :
mangy.
Cotrélativement, dans le systme numérique ancien, bien que ce sysiéme
soit décimal, valo (8) possédait une place particuligre. On disait valomaro en
betsimisaraka pour désigner "beaucoup’. Grandidier, aprés avoir rapporté
Fexpression, prise au lexique de Houtman ?: walle maro : "de huit sortes", cest-A-
dire valo maro : “beaucoup de huit", explique que “dans Est, on compte, ou du
moins on comptait autrefois par 8 et non par 10. Aussi disait-on valo mar
(ittéralement beaucoup de 8) comme nous dirions “beaucoup de dizaines", et vaio
raiky (litt, un seul 8) pour “huit fois seulement”. ce mode de numération des
Malgaches des cdtes tient, dit Grandidier, a ce qu’'ils comptent sur les doigts,
laissant de'cbté les deux pouces, qui étant naturellement sépards des autres,
} Melis. Velamena et Volafotsy.,p. 54 et 14. Ce talisman serait le méme que celui indiqué par
Decary sous le nom de manjaka betany (“qui gouverne un grand pays") in Revue d'thno. 9¢
année, deuxiéme et quatriéme trimestre 1928.
2 Grandidior., 1 de Ja Collection des Ouvrages anciens concernant Madagascar. Nangy ou mangy
“michoite’. Nangy, a du étre jadis une unité de aumération. Aujourd'hui, le mot est deveru
ivial, on ne sait pourquoi.
uldoivent suivant eux etre tenus a 1ecart. Sans doute, cette explication est-elle
exacte ? .
Vig rapporte de son odté que le chiffre 8 s'emploie dans les formules de
‘voeu en betsileo. Pour un voeu de bonheur, on faite souhait suivant :
“Huit poules dans le poulailler, huit bocufs @ létable, huit fils dans la
maison” et Vig s'en étonne alors que dans le systéme de divination fahavalo
désigne “les brigands, les ennemis, les incendiaires’, car c'est la huitiéme case du
sikidy'.
Nous sommes donc amenés a faire la remarque que dans le sihidy qui a
donné la langue malgache les mots fehavalo "brigands’ et fakasivy
“amulettes" dans leur acceptation magique, il y a seize cases, qui elles aussi se
divisent en deux séries de huit. Fakevalo (a huitiéme) et fahasizvy (la
neuvidme) marquent précisément la coupure. Or, croyons-nous, cest vers le sikidy
quiil faut se retourner pour avoir la clef des signes de la stéle. La géomancie,
appelée & Madagascar sikidy (ou sikily) a eu jadis une importance considérable
dans notre grande fle. I ne serait pas surprenant qu'un maitre-sorcier ait fait
graver sur pierre, & I'usage de ses élaves, ou méme son usage personnel pour
Taider dans ses consultations, un “mémento’ portant en abrégé les seize cases du
sikily car nous avons bien Iu,'c'est 16 intervalles correspandant aux 16 figures que
nous avons.
Sans doute les points caractéristiques de chaque figure du stkidy n'y sont
pas tracés. mais s'il s'agit seulement d'un moyen mnémotechnique, les traits
suffisent pour délimiter les intervailes ot le nom de diaque figure n'a pu étre
inscrit.
Pourquoi donc la division quadripartite ? Hl est nécessaire ici de connaitre
quelques régles intemes de la géomancie.
Les séize figures peuvent étre réparties en deux séries de huit, méles ou
femelles ; elles peuvent aussi étre réparties en quatre sérig de quatre selon les,
quatre éléments primordiaux (eau, feu, terre, air (ou vent), ou selon les points
cardinaux.
Chaque figure doit en effet s'insérer dan$ un tableau idéal portant 16
cases. Aux 16 cases correspondent 16 figurent prédéterminées (mais a la position
variable selon les systémes géomantiques considérés), or, & Madagascar Ja
répartition des figures selon les quatre points cardinaux n'est pas toujours la mame
Au lieu de quatre séries de quatre dans 'ordre suivant : est-nord-sud-ouest, comme
chez les Antaimoro, ou chez les Sakalava cing séries dont deux de quatre, deux de
trois, et une série supplémentaire de deux, qui suit le soleil (a l'Est le matin, &
TOuest le soir). Le mémento de Ja stéle pourrait peut-éire reproduire cette
, Nordisk missiontidsskurt. 1903,
ceedivision en cing séties qui est caractéristique de la géamancie de la cote Ouest et
Nord-Ouest sakaiava!, Sil en était ainsi, chaque groupe comporterait les figures
énoncées 4 notre tableau ci-dessous : *
Dest possible aussi que le mpisikily ait voulu figurer dans son mézento les
correspondances entre les figures du sikidy au nombre de 16 et les signes du
zodiaque au nombre de 12. on sait en effet que les noms des douze constellations du
zodiaque se retrouvent dans la géomancie (si certains manquent dans la géomancie
malgache, ils sont par contre au complet dans la géomancie comorienne.
Ceci pourrait expliquer que les signes supéricurs ne remplissent que les
trois premiers intervalles entre les grandes barres. Si ces signes pouvaient étre lus
Par un arabisant, peut-étre nous apporteraient-ils la clef du probléme : indication
des quatre directions cardinales, ou indication des douze signes zodiacaux ? En ce
domaine, il est prudent de n'avancer aucune conclusion.
DENOMINATIONS DES 16 FIGURES ET ORDRES DE CLASSEMENT
DANS LA REGION N.O. DE MADAGASCAR
Traduction
Sakalava- Sakalava- apres "arabe
Points cardinaux ‘Ambongo Analalava | (sauf betsivongo
(Hébert) (Dandouau) qui est un mot
malgache)
alohomora alahomaro fe bélier (ou
EST adabara adabaran rouge)
alitsimay alitsimay ‘e taureau
ja rencontre
adalo adato le verseau
NORD aimizana alihijana Ja balance
alibehavo alabiavo le biane
karja karija entrée.
1 Cf Notre dude "Analyse structurale des géomancies comorieanes, malgaches ct afticaines"
parce au Journal des Africanistes ; ct lémde de Dandowau sur le “sikidy sakalave”, Antaropos, T.
EX, Vienne : 1914.
un
Ferrand, Gabriel. 1893. Les Musulmans À Madagascar Et Aux Comores. Deuxième Partie. Zafindraminia, Antambahoaka, Onjatsy, Antaiony, Zafikazimambo, Antaivandrika Et Sahatavy.