Iconog Le Concile de Trente Et La Art
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Le concile de Trente et lart
La discussion du rapport entre le concile de Trente et lart est un sujet maintes fois
abord depuis plus de 450 ans, comme le montre labondante bibliographie dont la premire
rfrence date de 1564, soit peine un an aprs la clture du concile
1
. Nous allons essay
dtablir ltat de la question sans analyse duvres particulires sauf, tout au plus, quelques
allusions des exemples accessibles et connus de tous. Il sagit en effet de sen tenir au plan
de lhistoire des ides, toute autre orientation excderait les limites dune confrence et
demanderait presque un cycle annuel.
Dans un premier temps, nous allons faire un bref survol historique pour bien situ le
cadre historique de notre discours et prsenter le concile de Trente. Dans un second temps,
nous nous arrterons brivement sur les arts au XVIe sicle. Enfin, nous tenterons dtablir le
rapport entre ces deux ralits.
Bref rappel historique : le concile de Trente
Ds la fin du XVe sicle, une crise intellectuelle, morale et spirituelle remet en cause
un certain nombre dides car la transition entre la pense mdivale et la pense moderne est
difficile dans un monde boulevers par les grandes dcouvertes, par lvolution
psychologique place sous le signe fort de laffirmation de lindividu et par les mutations
1
Andrea Fabriano, Dialogo degli errori dei pittori, Jean Molanus (1533-1585), De picturis et
imaginibus sacris, tractans de vitandis circa eas abusibus et de earundem significationibus, Lovanii, apud H.
Vellaeum, 1570, 226p. Gabriele Paleotti (1522-1597), Discorso intorno alle imagini sacre et profane, diviso
in cinque libri, dove si scuoprono varii abusi loro, Bologna, A. Benacci, 1582, 280 p. Paul Sarpi (1552-
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Jacques Bnigne Bossuet (1627-1704), Fragments sur diverses matieres de controverses, Arras, imp. du Pas-de-
Calais, 1881, 85 p. Charles Dejob (1847-1916), Linfluence du concile de Trente sur la littrature et les
Beaux-arts chez les peuples catholiques, Paris, E. Thorin, 1884, 415 p. Eugne Mntz (1845-1902), Histoire
de lart pendant la Renaissance, 3 vol, Paris, Hachette, 1889-1895. Andr Michel (1853-1925), Histoire de
lart depuis les premiers temps chrtiens, Paris, Colin, 1905, 2 vol. Heinrich Wlfflin (1864-1945),
Renaissance und Barock, eine Untersuchung ber Wesen und Entstshung des Barokstils in Italien, 1907 ; trad.
fr. Guy Ballangu, Paris, Monfort, 1992, 169p. Corrado Ricci (1858-1934), Vita barocca, Roma, Modes,
1912, 384 p. Emile Mle (1862-1954), Lart religieux aprs le concile de Trente. Etude sur liconographie de
la fin du XVIe sicle, du XVIIe et du XVIIIe sicles. Italie, France, Espagne, Flandres, Paris, Colin, 1932, 832 p.
Werner Weisbach, Des Barock als Kunst der Gegenreformation, Berlin, 1921. Werner Weisbach, Die
Kunst des Barocks in Italien, Frankreich, Deutschland und Spanien, Berlin, 1924. Pierre Francastel (1900-
1970), A travers lart italien du XVe au XXe sicle, IV : La contre-Rforme et les arts en Italie la fin du XVIe
sicle, Paris, Boivin, 1949. Jean Rousset (1910-2002), La Littrature de lge baroque en France, Paris,
J.Corti, 1954, 313 p. Germain Bazin (1901-1990), Destins du baroque, Paris, Thames & Hudson, 1970, 288
p. Emmanuel Andr (1826-1903), Les jsuites Namur, ch. VIII : Le concile de Trente et lart, Namur,
Presses universitaires, 1991, 243 p. Edith Weber, Le concile de Trente et la musique, Paris, Champion, 2008.
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sociologiques et socitales. Diverses solutions ce questionnement inquiet sont proposes,
par exemple, par la thocratie florentine de Savonarole ou par la Devotio moderna des Frres
de la Vie commune qui duqueront Erasme et Luther.
Sur le plan strictement religieux, la crise focalise sur quelques points scandaleux qui
divisent, comme : la vie mondaine des clergs haut et bas, laffaire des indulgences, la non-
rsidence des curs et des vques, lignorance des clercs, la superstition et la lascivit des
arts ; sans oublier la contestation lourde de lemploi du latin qui rend la liturgie totalement
incomprhensible la majorit des fidles. Ces critiques manent de Jrme Savonarole
(1452-1498) en Italie, dErasme (1469-1536), de Martin Luther (1483-1546) en Allemagne,
de Ulrich Zwingli (1484-1531) en Suisse almanique, de Martin Bucer (1491-1551) en
Alsace, de Jean Calvin (1509-1564) en France et en Suisse romande, de John Collet (1467-
1519) en Angleterre, etc ; tous en appellent une rforme radicale de lEglise romaine. Ds le
dbut du XVIe sicle, cet appel la rforme est repris par le pape Lon X Mdicis qui runit,
entre 1512 et 1517, le concile du Latran
2
qui dbouche finalement sur laffirmation dun
certain nombre de bonnes intentions qui restent cependant lettres mortes. Quest-ce quun
concile ? Selon le Dictionnaire thologique et portatif, un concile est lassemble des
vques, des abbs et gnraux dordre et de docteurs en thologie, qui
se [runissent] ou pour affermir les vrits de la foi lorsque les hrtiques les
ont branls ou pour examiner et dcider les questions qui regardent la foi et les
murs
3
.
Si la runion des cardinaux constituent le divinus senatus, lassemble des vques fonctionne
dans lorganigramme de lEglise romaine comme une chambre basse, charge dtablir la loi.
Pour sa part, le concile de Trente, 17
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du genre, se veut une rponse aux thses de Luther,
Zwingli et Calvin et entend porter la rforme gnrale de lEglise catholique sur des points de
dogme, de pratique religieuse et de discipline et vie ecclsiastique.
2
Le concile de Latran V est convoqu par Jules II pour faire pice au concile de Pise (1511) qui sest tenu sur
linitiative de Louis XII de France et de lempereur qui veulent sopposer lautorit temporelle des pontifes. Il
se tient du 3 mai 1512 au 16 mars 1517 dans la basilique du Latran Rome et rassemble 431 pres conciliaires
dont un tiers de non-italiens. Au terme de douze sessions, le concile reconnat limprimerie comme un don de
Dieu mais il la soumet, sous peine dexcommunication, lautorit du pape, des vques et de linquisition (ce
rgime de censure aboutira en 1559 la cration de lIndex). Sur le plan disciplinaire, ce concile lance la rforme
de la Curie en rappelant les cardinaux leurs devoirs, en tentant de limiter la simonie, en fixant un ge minimum
pour les vques (30 ans), en interdisant la commende et le cumul des bnfices et en restreignant les
exemptions. Sur le plan pastoral, le concile rcuse le caractre usuraire des monts-de-pit et soumet les
prdicateurs lautorit de lordinaire et dnonce les discours apocalyptiques. Sur le plan politique, le concile
ratifie le concordat de Bologne (18 aot 1516) entre Lon X et Franois 1
er
, qui fonde le gallicanisme.
3
Paris, Didot, 1756, p. 102.
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Aussitt aprs lchec de Latran V, Luther en appelle la tenue immdiate dun
concile gnral ; il sera soutenu en 1518 par luniversit de Paris et en 1530 par lempereur
Charles-Quint. La mme anne 1517, sont placardes Wittenberg les thses de Luther qui
sont condamnes par le pape ds lanne suivante ; en 1520, la bulle Exsurge Domine ordonne
que les ouvrages luthriens soient livrs au feu ; en 1521, la bulle Decet romanum pontificem
prononce lanathme contre Luther et quiconque soutiendrait ses ides. Ds lors, Luther
assist de Philippe Melanchthon (1497-1560) fait rayonner la Rforme sur les terres
impriales dAllemagne. Les trois principes fondateurs sont la sola gratia, la sola fide et la
sola scriptura : seule la grce divine peut sauver lhomme du mal, seule la foi du fidle peut
lui apporter la grce divine donc les uvres sont secondaires, seule lEcriture sainte fait
autorit en matire de dogme donc la Tradition, les gloses des docteurs de lEglise ne sont que
des commentaires humains qui nont pas plus de valeur. Au plan disciplinaire, Luther veut
tablir une Eglise intelligible pour les fidles qui se fonde sur la responsabilit personnelle et
sur le sacerdoce universel. A partir de l, il va uvrer purifier la pratique religieuse en
refusant le culte des images et en dveloppant une liturgie en langue vernaculaire [cest en
1534 quil termine sa traduction en allemand de la Bible] o la musique joue un rle de tout
premier plan : la vogue des chorals est lance.
Cest le pape Paul III Farnse qui lance une premire bulle de convocation du concile
en 1536 pour une ouverture le 7 mai 1537, mais cela reste sans suite. En 1541, le colloque de
Ratisbonne, prsid par le cardinal Gasparo Contarini, fait une ultime tentative de conciliation
entre thologiens catholiques et thologiens protestants ; mais cest lchec sur la question de
la justification, puis cest la rupture. Lultime conciliation ayant choue, les forces dures de
lEglise contraignent Paul III annoncer louverture du concile car il importe, dabord, de
bloquer le rayonnement de la Rforme et, ensuite, de restaurer la confiance des catholiques
envers leur Eglise, branle par les critiques des Rforms. Finalement, le 13 dcembre 1545,
parat le dcret douverture du concile gnral Trente, ville politiquement impriale et
gographiquement italienne, pour une premire session le 7 janvier 1546.
Initialement, le concile de Trente sinscrit dans la continuit du colloque de
Ratisbonne donc il se veut une dmarche conciliante qui aurait tent de prserver lunit de
lEglise en accordant des sauf-conduits aux thologiens luthriens mais ceux-ci ont dj t
excommunis par la bulle Decet romanum pontificem et, comme ils craignent pour leur vie,
ils refusent de venir Trente. Ils nont peut-tre pas tort puisque, dans le mme temps, on
rgle par les armes lhrsie vaudoise de Provence qui est passe au fil de lpe, soit plus de
4 000 personnes massacres dans les bourgades de Cabrires et de Mrindol qui sont rases.
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Sur le fond, les protestants se refusent participer un synode convoqu par le pape qui les
a dj condamns et prsid par les lgats pontificaux cest--dire plac sous lautorit de la
Curie romaine.
Finalement, les catholiques dcident de se mettre au travail seuls sans plus
attendre. Au terme de 10 sessions
4
, en 1549, le concile est transfr Bologne sous prtexte
que la peste serait Trente, en fait, cette ville appartient aux Etats de lEglise et la Curie
espre peser plus srieusement sur les travaux conciliaires. La seconde phase bolonaise dure
du 1
er
mai 1551 au 28 avril 1552 sur 6 sessions
5
, mais llection de Paul IV Carafa hostile au
concile suspend les travaux. Avec llection de Pie IV, le concile est reconvoqu le 29
dcembre 1560 par la bulle Ad ecclesiam regimen. Il peut reprendre Trente pour une
troisime phase qui, du 18 janvier 1562 au 4 dcembre 1563, porte son terme, en 9
sessions
6
, lexamen des dcrets.
4
Les dcrets [qui sont des dcisions des pres] et les canons [qui sont des rgles] des 10 premires sessions sont
enregistrs en date des :
13 dcembre 1545 (Dcret douverture du concile),
7 janvier 1546 (Dcret sur le mode de vie et autres choses observer dans le concile),
4 fvrier 1546 (Rception du symbole de la foi catholique),
8 avril 1546 (Rception des Livres saints et des traditions des aptres ; Edition de la Vulgate et manire
dinterprter la sainte Ecriture),
17 juin 1546 (Dcret sur le pch originel ; Dcret sur lenseignement et la prdication),
13 janvier 1547 (Dcret et canons sur la justification ; Dcret sur la rsidence des vques et des autres clercs
infrieurs),
3 mars 1547 (Dcret et canons sur les sacrements ; Dcret sur la rforme),
11 mars 1547 (Dcret sur le transfert du concile),
21 avril 1547 (Dcret de prorogation de la session),
2 juin 1547 (Dcret de prorogation de la session).
5
Les dcrets des 6 sessions bolonaises sont enregistrs en date des :
1
er
mai 1551 (Dcret sur la reprise du concile),
1
er
septembre 1551 (Dcret de prorogation de la session),
11 octobre 1551 (Dcret et canons sur le trs saint sacrement de lEucharistie ; Dcret et canons de rforme ;
Dcret prorogeant la dfinition de quatre articles sur le sacrement de lEucharistie et sauf-conduit ; Sauf-
conduit donn aux protestants allemands par le saint concile de Trente),
25 novembre 1551 (Doctrine concernant les saints sacrements de pnitence et dextrme-onction ; Canons
sur le trs saint sacrement de pnitence ; Canons sur le sacrement dextrme-onction ; Dcret de rforme),
25 janvier 1552 (Dcret prorogeant la publication des canons ; sauf-conduit donn aux protestants
allemands),
28 avril 1552 (Dcret de suspension du concile).
6
Les dcrets des 9 dernires sessions sont enregistrs en date des :
18 janvier 1562 (Dcret sur la runion du concile),
26 fvrier 1562 (Dcret sur le choix des livres et sur tous ceux qui sont inviter au concile sous la foi dun
sauf-conduit ; Sauf-conduit donn aux Allemands en Congrgation gnrale le 4 mars 1562),
14 mai 1562 (La publication des dcrets est proroge),
4 juin 1562 (La publication des dcrets est proroge jusqu la prochaine session, dont la date est fixe),
16 juillet 1562 (Doctrine sur la communion sous les deux espces et la communion des enfants ; Canons sur
la communion sous les deux espces et la communion des enfants ; Dcrets de rforme),
17 septembre 1562 (Doctrine et canons sur le trs saint sacrifice de la messe ; Canons sur le trs saint
sacrifice de la messe ; Dcret sur ce que lon doit observer et viter dans la clbration de la messe ;
Dcret de rforme ; Dcret sur la demande de concession du calice),
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La mthode de travail des pres conciliaires consiste en des runion de congrgations
cest--dire des commissions restreintes o quelques vques, assists de thologiens, sont
chargs de digrer les matires avant quon les propost toute lassemble ; ou
quand les matires toient en trop grand nombre ou de diffrentes espces, on
assignoit pour ces diffrentes matires autant de diffrentes congrgations
7
.
Ensuite, les runions plnires ou sessions ne sont plus que des tapes dapprobation ou, pour
le dire avec Sarpi :
que la session nest plus quune simple crmonie pour publier ce qui t arrt
8
.
Le travail du concile a pour finalit ultime de faire pice aux affirmations hrtiques des
protestants, il est donc dcider de procder ainsi :
que dans les matires de doctrine lon tireroit des livres des luthriens les
articles contraires la foi orthodoxe, pour les donner examiner et censurer aux
thologiens, sur les avis desquels on prpareroit la matire des dcrets ; que ces
dcrets ensuite seroient proposs la congrgation, o ils seroient examins par
les prlats, dont on prendroit tous les suffrages ; que ce qui auroit t ainsi
dtermin seroit ensuite publi dans les sessions
9
.
La session qui nous intresse plus particulirement est la dernire. On y aborde dans
lurgence toute une srie de points qui font problme et soulvent la polmique et que, par
consquent, lon a repouss au plus tard possible. Dans le mme temps, le royaume de France
est rduit un tat misrable par les guerres de religion et le roi presse les pres conciliaires
den finir avec le concile pour ventuellement apporter remdes aux divisions, troubles et
guerres intestines. Sarpi raconte :
les lgats, qui souhaitoient extrmement de voir bien tt la fin du concile,
proposrent dexpdier ce qui restoit des matires de foi, de linvocation des
saints et du Purgatoire, de la manire qui parotroit la plus facile et la plus
courte
10
.
15 juillet 1563 (Doctrine vritable et catholique sur le sacrement de lordre pour condamner les erreurs de
notre temps ; Canons sur le sacrement de lordre ; Dcret de rforme),
11 novembre 1563 ( Doctrine sur le sacrement de mariage ; Canons sur le sacrement de mariage ; Canons sur
la rforme concernant le mariage ; Dcrets de rforme),
3-4 dcembre 1563 (Dcret sur le purgatoire ; Dcret sur linvocation, la vnration et les reliques des saints,
et sur les saintes images ; Dcret sur les rguliers et les moniales ; Dcret de rforme gnrale) et le
second jour de la session (Sur les indulgences ; Sur le choix des aliments, sur les jenes et sur les jours de
fte ; Sur lIndex, le catchisme, le brviaire et le missel ; Sur la place des ambassadeurs ; Sur la rception
et lobservation des dcrets du concile).
7
Paul Sarpi (1552-1628), Histoire du concile de Trente, d. Marie Viallon et Bernard Dompnier, Paris,
Champion, 2002, Lib. II, XXX, p. 263-264.
8
Idem, Lib. II, XXX, p. 264.
9
Idem, Lib. II, p. .
10
Idem, Lib. VIII, XXVI, p. 1131.
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Fin novembre 1563, on aborde enfin la question des images. Le dbat nest plus de
savoir si on accepte ou non la reprsentation anthropomorphique de la divinit puisque
lEglise estime que cest un fait acquis depuis le concile de Nice II en 787, mme si les
rforms ont une position radicalement contraire. En fait, la discussion surtout entre les
jsuites et les autres porte sur le caractre sacr des images cest--dire savoir si elles
doivent tre vnres pour ce quelles reprsentent (images de Dieu, scnes de la vie du Christ
ou de la Vierge, portraits des saints ou figurations de leurs martyres, ) ou si elles doivent
tre honores pour elles-mmes, faire lobjet dun culte, car elles sont bnites, bien que lon
dclare quelles nont ni saintet, ni divinit, ni vertu relle. De manire expditive, il est
dcid den rester la premire opinion, juge plus claire, qui retient honore et legitimo
imaginum usu, un usage lgitime des images conformment la doctrine de lEglise . En
fait, les pres ont assur le service minimum et, comme pour la question de lIndex des livres
interdits, les vritables dbats sont renvoys plus tard et dautres soins : ceux des vques,
de la curie et du pontife. On notera que rien nest dit propos de la musique, ni de la
littrature ; les arts ou expression artistique de la foi ne sont pas lobjet du dbat.
En fin de session, le concile est licenti et tous les dcrets du concile sont runis en un
unique document, confirm officiellement par le souverain pontife dans sa bulle consistoriale
Benedictus Deus du 26 janvier 1564 mais qui ne sera publie que le 30 mai 1564. Le bilan du
concile de Trente est une redfinition de toutes les positions de lEglise romaine en matire de
dogme et de pratique religieuse, en opposition aux thses luthriennes dsormais
dfinitivement condamnes, et une rorganisation des institutions. Ces dcrets sont publis
Rome, par Alde Manuce Le jeune et ils deviennent la source premire du droit canon jusquen
1917, date de la publication du Code du droit canon.
Le dbat
Dentre de jeu, il faut mettre en vidence toute lambigut de notre titre : le concile
de Trente et les arts. En effet, derrire les mots concile de Trente faut-il lire les
dcisions arrtes par le concile de Trente ? Dans ce cas, notre attention devra porter sur les
textes des dcrets. Ou bien, derrire les mots concile de Trente faut-il lire une rfrence au
dbat au temps du concile de Trente ? Dans cette hypothse, il sagit de porter tmoignage
dun tat desprit et dune volution des ides et de lart, en Europe, aux XVIe et XVIIe
sicles.
La premire possibilit que par commodit du discours nous qualifierons
dtroite nous demande de nous intresser aux textes des dcrets qui ne sont pas lgion,
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dans le champ qui nous concerne. Il sagit dlments du dcret de cette XXVe session du 3-4
dcembre 1563, intitul Dcret sur linvocation, la vnration et les reliques des saints et sur
les saintes images :
Le saint concile enjoint tous les vques et tous les autres ayant la charge et le
devoir denseigner que, conformment lusage de lEglise catholique et
apostolique, reu ds les premiers temps de la religion chrtienne, et
conformment au sentiment unanime des saints pres et aux dcrets des saints
conciles, ils instruisent diligemment les fidles, particulirement sur lintercession
des saints et leur invocation, les honneurs dus aux reliques et le lgitime usage des
images. []
De plus, on doit avoir et garder, surtout dans les glises, les images du Christ, de
la Vierge Marie Mre de Dieu, et des autres saints, et leur rendre lhonneur et la
vnration qui leur sont dus. Non pas parce que lon croit quil y a en elles
quelque divinit ou quelque vertu justifiant leur culte, ou parce quon doit leur
demander quelque chose ou mettre sa confiance dans des images, comme le
faisaient autrefois les paens qui plaaient leur esprance dans des idoles, mais
parce que lhonneur qui leur est rendu renvoie aux modles originaux que ces
images reprsentent. Aussi, travers les images que nous baisons, devant
lesquelles nous nous dcouvrons et nous prosternons, cest le Christ que nous
adorons et les saints, dont elles portent la ressemblance, que nous vnrons. Cest
ce qui a t dfini par les dcrets des conciles, spcialement du deuxime concile
de Nice, contre les adversaires des images.
Les vques enseigneront avec soin que, par le moyen de lhistoire des mystres
de notre rdemption reprsents par des peintures ou par dautres moyens
semblables, le peuple est instruit et affermi dans les articles de foi, quil doit se
rappeler et vnrer assidment. Et lon retire aussi grand fruit de toutes les images
saintes, non seulement parce que sont enseigns au peuple les bienfaits et les dons
que lui confre le Christ, mais parce que, aussi, sont mis sous les yeux des fidles
les miracles de Dieu accomplis par les saints et les exemples salutaires donns par
ceux-ci : de la sorte, ils en rendent grces Dieu, ils conforment leur vie et leurs
murs limitation des saints et sont pousss adorer et aimer Dieu et cultiver
la pit. Si quelquun enseigne ou pense des choses contraires ces dcrets : quil
soit anathme.
Si certains abus staient glisss dans ces saintes et salutaires pratiques, le saint
concile dsire vivement quils soient entirement abolis, en sorte quon nexpose
aucune image porteuse dune fausse doctrine et pouvant tre loccasion dune
erreur dangereuse pour les gens simples. Sil arrive parfois que lon exprime par
des images les histoires et les rcits de la Sainte Ecriture, parce que cela sera utile
pour des gens sans instruction, on enseignera au peuple quelles ne reprsentent
pas pour autant la divinit, comme si celle-ci pouvait tre vue avec les yeux du
corps ou exprime par des couleurs et par des formes.
On supprimera donc toute superstition dans linvocation des saints, dans la
vnration des reliques ou dans un usage sacr des images ; toute recherche de
gains honteux sera limine ; enfin toute indcence sera vite, en sorte que les
images ne soient ni peintes ni ornes dune beaut provocante. []
Pour que cela soit plus fidlement observ, le saint concile statue quil nest
permis personne, dans aucun lieu ni glise, mme exempte, de placer ou faire
placer une image inhabituelle, moins que celle-ci nait t approuve par
lvque.
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Ces bribes de dcret que nous avons soulignes par commodit font le constat de la
polmique entre catholiques et protestants autour de la question des images. Dun ct,
dfendu par les catholiques, il est affirm que lon peut retirer grand fruit du lgitime usage
des images qui peuvent instruire et affermir le peuple dans les articles de foi et peuvent tre
utiles pour des gens sans instruction ; on en revient la mtaphore de la biblia pauperum
du Moyen-Age. De lautre ct, soutenu par les protestants, les images peuvent devenir des
idoles, porteuses de superstition et de fausse doctrine et elles peuvent tre loccasion dune
erreur dangereuse pour les gens simples ; cest la reprise du second commandement du
Dcalogue
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que le catchisme catholique ampute de cette rfrence aux images.
Ds linstant o lide dutiliser les images est conserve par les pres conciliaires, le
texte du dcret se contente den appeler la dcence, de prohiber toute beaut provocante et
toute image inhabituelle. Contrairement ce qui est trop souvent et trop rapidement affirm,
le dcret conciliaire ne cherche pas normer, rglementer ou limiter liconographique
religieuse car sa motivation profonde est ailleurs, elle est de rpondre laccusation
didoltrie lance par les rforms. Cest pourquoi la question des images apparat comme un
lment marginal du culte des saints : lart en soi nintresse pas les pres conciliaires qui
renvoient la question tous les vques qui devront rsoudre les problmes de dcence et
dorthodoxie artistique.
Dailleurs, les exemples sont l.
Cest lInquisition piscopale de Bologne que Le Tasse, atteint partir de 1575 de
maladie de la vie religieuse (selon les mots du critique Giorgio Petrocchi) et de psychose,
soumet inlassablement ses uvres qui craint entaches dhrsie. Cest le tribunal de
lInquisition de Venise qui convoque Vronse, le 18 juillet 1573, pour son tableau intitul La
sainte cne, destin au rfectoire des dominicains, car on lui reproche la prsence de
personnages qui ne sont pas cits dans les Ecritures et qui dparent la scne o le Christ a
institu leucharistie : un chien, deux hallebardiers allemands, un noir, un homme qui se cure
les dents avec une fourchette, un serviteur qui saigne du nez, un bouffon avec un perroquet,
. Condamn modifier son tableau dans les trois mois, Vronse et le prieur contournent
11
Giuseppe Alberigo (d.), Les conciles cumniques, tome II-2 : Les dcrets de Trente Vatican II, Paris, Ed.
du Cerf, 1994, p. 1573 sq.
12
Le dcalogue (ou les dix paroles de Dieu Mose) est donn deux fois dans le Pentateuque : Exode, 20,2-
17 et Deutronome, 5,6-21. Le second commandement (20,4) nonce : Tu ne te feras point dimage taille, ni
de reprsentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont
dans les eaux, plus bas que la terre .
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lobstacle en modifiant le titre. Le tableau est dsormais connu sous le titre neutre et sans
problme de Un repas chez Lvi. Lorsque lon lit les minutes du procs
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, il nest jamais fait
rfrence au dcret conciliaire. On peut mme se demander si les juges du tribunal de
lInquisition ont bien voulu regarder ce tableau. En effet, ils interrogent Vronse :
Ignorez-vous quen Allemagne et autres lieux infects dhrsie ils ont coutume,
par des peintures pleines dobscnits et autres inventions, de dshonorer et
mpriser la Sainte Eglise catholique pour enseigner leur doctrine mauvaise aux
idiots et aux ignorants ?
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Mais, dans le mme temps, ny-a-t-il pas une certaine drision de la foi catholique peindre
dans une sainte cne des soldats allemands, immdiatement associs la Rforme, qui
mangent du pain et boivent du vin ? Ny-a-t-il pas un message dans ce serviteur, cet homme
de condition modeste, qui saigne ? Or, aucune question nest pose Vronse sur ces
vritables points de dbat.
Un autre cas connu est le scandale provoqu par le Saint Matthieu et lange du
Caravage. Peint vers 1592-95 pour la chapelle Contarelli (en fait, la chapelle du cardinal
Matthieu Cointrel) de lglise Saint-Louis-des-Franais, la premire version reprsente
lvangliste qui crit dans une pose trs banale, chauve, jambes nues, la vture pauvre et
nglige (il travaille la maison), le front pliss par leffort de lcriture dans ce lourd in-
folio, avec un ange dhanch qui semble corriger le texte en sappuyant familirement contre
lpaule du saint. Ceci a t juge vulgaire et inconvenant, et refus par les commanditaires
religieux, mais aucune rfrence une non conformit au dcret conciliaire, pas mme une
allusion une image inhabituelle du saint.
Cette hypothse troite qui cantonnerait le propos au seul plan rglementaire et
rattacherait troitement aux dcrets et canons de lEglise lvolution de tout lart chrtien
europen pendant les deux sicles suivants, apparat gure dfendable ; elle na dailleurs pas
t dfendue pendant le concile puisque le cardinal de Lorraine et le cardinal Giovanni
Morone se sont fermement opposs aux jsuites et au comte de Luna, ambassadeur espagnol,
qui avanaient cette opinion. En fait, stricto sensu, aucun dcret ne traite des arts car les
pontifes, cardinaux, vques et abbs sont, depuis des sicles, des mcnes qui savent
pertinemment que la seule loi valide en matire dart est : qui paie commande.
13
Archivio di Stato di Venezia, Santo Uffizio, 1572-73, Processi, 6, busta 33.
14
Idem, carta 4 : Interrogatus : Non sapete voi, che in Alemagna et altri luochi infetti di heresia sogliano con le
pitture diverse et piene di scurrilita, et simili inventioni diligare, vittuperar et far scherno delle cose della Santa
Chiesa Catholica per insegnar mala dottrina alle genti idiote et ignoranti.
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Notre seconde hypothse que par effet spculaire nous qualifierons de large nous
demande de nous intresser lvolution de lart, en Europe, aux XVIe, XVIIe et XVIIIe
sicles.
Outre les images, le dbat sur les arts implique la musique. Dans les dcrets touchant
la messe figurent quelques renseignements propos de la musique, de la XXIIe session du 17
septembre 1562
15
, de la XXIVe session du 11 novembre 1563
16
et de la XXVe session
17
; en
fait, les vraies questions hymnologiques sont renvoyes des synodes provinciaux, aprs le
concile. Voyons les textes :
15
Giuseppe Alberigo (d.), Les conciles cumniques, tome II-2 : Les dcrets de Trente Vatican II, Paris, Ed.
du Cerf, 1994, p.
16
Giuseppe Alberigo (d.), Les conciles cumniques, tome II-2 : Les dcrets de Trente Vatican II, Paris, Ed.
du Cerf, 1994, p.
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Giuseppe Alberigo (d.), Les conciles cumniques, tome II-2 : Les dcrets de Trente Vatican II, Paris, Ed.
du Cerf, 1994, p.
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