DONALD M. FRAME - Ed.columbia Montaigne Conference Papers
DONALD M. FRAME - Ed.columbia Montaigne Conference Papers
DONALD M. FRAME - Ed.columbia Montaigne Conference Papers
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Editors R.C. LA CHARITE and V.A. LA CHARITE
EDITED BY
DONALD M. FRAME
AND MARY
B. McKINLEY
MARIANNE S. MEIJER
"Des postes" et "Des pouces" :
Plaisanteries ou points de repre?
FRANCOIS RIGOLOT
La Pente du "repentir": Un exemple de
remotivation du signifiant dans les Essais
de Montaigne
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Claude Blum
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Les Essais de Montaigne: Les
signes, la politique, la religion
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les traces d'un grand nombre d'idologies contemporaines qui,
traversant le texte, cessent de s'exclure pour produire l'uvre. De ce
point de vue, il se pourrait bien que les Essais soient le premier
texte qui numre avec clart certaines des conditions d'criture de
l'uvre littraire moderne. On remarquera l'insistance avec laquelle
Montaigne rappelle son incomptence en tous sujets: il ne traite
d'aucune "matire" particulire. Au-del de l'esquisse de "l'honnte
homme" des classiques, les Essais annoncent le rgne d'une uvre
qui s'affirme dans le refus de ce qui constituait jusqu'alors des
modles d'criture, refus dont elle fait la source mme de son
autonomie: l'Histoire, les "histoires" fictives, la narration de
confessions, les "sciences." La thologie, dont Montaigne assure se
tenir distance, et le thologien, avec qui il n'a rien de commun,
sont les emblmes de cette dmarche cratrice. On pourrait situer
les attaques incessantes contre les sciences traditionnelles du
langagela dialectique, la grammaire, la rhtoriquedans cette
perspective. Montaigne manifeste par l que les Essais ne tiennent
plus aucune d'entre elles, qu'ils n'en mettent en scne que
l'impuissance et la contradiction. La reprsentation du langage dans
les Essais s'inscrit sur le fond de ce refus crateur: elle emprunte
videmment aux courants de son temps mais devient autonome au
point o elle commence les utiliser pour tracer les limites de son
propre projet.
Si la reprsentation du signe qui se dgage des Essais peut
difficilement, sans mutilation, tre rattache telle thorie
philosophique ou thologique contemporaine, on peut la dire, dans
sa plus grande extension, mtaphysique et chrtienne. La
smiotique montaignienne repose sur un tripartisme caractristique
de cette mentalit. Elle distingue la chose en essence, domaine du
savoir divin; la chose en vrit, reprsentation de la chose en
essence, domaine possible de la connaissance humaine; le signe de
la chose en vrit.
L'"essence" d'une "chose" (I, 51, 292; II, 12, 436a, 479ac, 562b,
563a, 583a; III, 11, 1003c) est ce que la chose est "de soy" (II, 12,
426a); autrement dit, ce qui fait qu'une "chose" est ce qu'elle est.
Elle n'est accessible qu' "la majest divine" (II, 12, 426a; cf. I, 23,
120a). Montaigne emploie le terme
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On dduira tout d'abord de ce qui prcde que Montaigne met en
scne dans les Essais deux types de connaissance accomplies, la
fois incompatibles et complmentaires: si son "imperfection"
interdit absolument la crature la connaissance "en essence," la
connaissance "en vrit" lui est, en revanche, accessible dans toute
sa plnitude: les deux connaissances sont lies entre elles non par
un rapport de reprsentationce qui inclue-rait que l'une soit, en
quelque sorte, 1'"ombre" de l'autre, mais de participation. Les
"facults" qui permettent l'Homme de connatre la vrit,
Montaigne, d'une faon tout fait traditionnelle, en distingue trois:
la "raison naturelle," la "grce," la "foi" (II, 12, 425a; cf. II, 12,
424a). La "grce" et la "foi" sont bien, dans la tradition chrtienne,
des Evangiles jusqu'en plein cur du XVI e sicle en passant par les
thorisations augusti-nienne et thomiste, des "facults" de
connaissance; les resituer dans cette perspective, on apprhende
peut-tre mieux la singularit des dplacements qui affectent leurs
relations dans les Essais: "[nos discours] ont quelque corps," lit-on
dans l'"Apo-logie," "mais c'est une masse informe, sans faon et
sans jour, si la foy et la grace de Dieu n'y sont joinctes" (II, 12,
425a; cf. II, 12, 424a). Cela explique que la connaissance des
Anciens acquise par la seule "raison naturelle" soit incomplte,
ampute, en attente d'un accomplissement. 3 L'cart compris entre la
"vrit" de la chose et sa reprsentation est le lieu d'exercice de la
libert de la crature. Il est par l mme le lieu du pch en acte,
l'espace o s'inscrit l'Histoire: "luy seul [l'homme], de tous les
animaux, [a] cette libert de l'imagination et ce deres-glement de
penses, lui reprsentant ce qui est, ce qui n'est pas, ce qu'il veut, le
faux et le veritable ... de la naist la source principale des maux qui
le pressent: pch, maladie, irresolution, trouble, desespoir" (II, 12,
437a). Le pcheur recherche dans le signe non plus la "vrit" des
choses qu'il reprsente, "parfaictement" adapte "sa nature" mais
leur "essence"; il veut "con-noistre les choses" (III, 11, 1003c; cf. II,
17, 618a); acte mtaphorique par lequel il refuse son tat de
crature pour tenter de "s'gale[r] Dieu" (II, 12, 429a).
L'"orgueil," le "cuider," la "presumption," la "curiosit," la "vanit"
sont les noms divers d'une mme libert dvoye, "flaux de notre
me" (I, 27,
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181a; cf. II, 12, 467a; III, 11, 1004b; III, 13, 1044b), "sentier de
perdition":4 "Les Chrestiens ont une particulire cognois-sance
combien la curiosit est un mal naturel et originel en l'homme. Le
soing de s'augmenter en sagesse et en science, ce fut la premiere
ruine du genre humain; c'est la voye par o il s'est prcipit la
damnation ternelle. L'orgueil est sa perte et sa corruption" (II, 12,
477-78a). C'est par ce dtour que l'Homme apparait, dans les
Essais, comme un crateur de "non-tre" et de mort puisqu'il ferme
les yeux sur ce qu'il "est" pour partir la qute de ce qui, pour lui,
proprement, n'est pas; il aime "mieux estre regent et prcepteur
d'erreur et de mensonge, que d'estre disciple en l'eschole de vrit." 5
L'Homme se met la place des "choses" pour se contempler dans
les signes; le signe devient alors son propre miroir dans un
mouvement d'auto-rfrence qui l'enferme sur lui-mme et le spare
de la "vrit." Les signes naissent, vieillissent et meurent, et leurs
significations changent selon le sicle et le climat (II, 12, 559abc);
comme "l'estre" de l'Homme, ils deviennent "tousjours autre d'un
autre" (II, 12, 586a; cf. I, 23, 115a): "Nostre parler a ses foi-blesses
et ses dfauts comme tout le reste" (II, 12, 508a); "la crmonie
nous emporte, et laissons la substance des choses." 6 Tel est aussi le
mouvement du discours qui se dploie en se repliant sur lui-mme:
"il y a plus affaire interpreter les interpretations qu' interpreter les
choses" (III, 13, 1045b; cf. II, 12, 569a). "Ainsi va tout ce
bastiment, s'estoffant et formant de main en main; de manire que le
plus esloign tesmoin en est mieux instruict que le plus voisin, et le
dernier inform mieux persuad que le premier. C'est un progrez
naturel" (III, 11, 1005a). La rupture gnrale du signe et du rfrent
entrane une lente drive de tous les signes et leur prolifration sans
fin: la "varit," la "dissemblance," la "confusion" dont les Essais
nous tracent l'affligeant, le curieux ou le sduisant spectacle ont
cette origine smiotique (I, 23, 121b; II, 2, 321a; II, 12, 489a, 49697c, 521-22abc). Et c'est ce mme mouvement pervers que suspecte
Montaigne lorsque la science se donne pour objet le langage: "un
Rhtoricien du temps pass disoit que son mestier estoit, de choses
petites les faire paroistre et trouver grandes" (I, 25, 143a; cf. I, 26,
142a, 172a; I, 52, 294b; I, 54,
Ce n'est pas dire qu'il n'y ait pas une "vrit" de la "nature," que la
"nature" n'ait pas des "loix"; mais les "signes" que nous en
percevons ne renvoient plus la "chose," "cette belle raison
humaine brouillant et confondant le visage des choses selon sa
vanit et inconstance" (II, 12, 564b).
On tirera de toutes ces donnes, provisoirement, plusieurs
conclusions. La conception du signe que l'on rencontre dans les
Essais emprunte ses lments de multiples courants d'ides
dont nous avons essay de dmler la complexit ailleursparce
qu'elle participe d'une mentalit qui englobe ces courants et se
trouve structure par eux.7 Il n'y a, dans les Essais, nulle prise de
position systmatique sur le langage; on y rencontrera plutt des
opinions, sorte de savoir commun aux milieux cultivs de l'poque.
Leur ensemble constitue une reprsentation dont la cohrence
s'appuie sur un certain nombre d'idologmes fondateurs de la
mtaphysique chrtienne. Remarquons ce propos combien cette
reprsentation est loigne du platonisme, combien elle recourt, par
contre, certaines donnes de base du christianisme, systmatises
pour la premire fois par saint Augustin, commentes par la
thologie pendant huit sicles et actualises par la scolastique
mdivale. Premire diffrence considrable; contrairement au
platonisme, les Essais voient dans le signe un intermdiaire
"naturel" entre l'immortel et le mortel. Tel est le sens, par exemple,
des crmonies religieuses:
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Or, c'est prcisment parce que 1' "essence" de la chose est inacessible l'Homme que Montaigne, comme Augustin, soutient la
plupart du temps le caractre arbitraire du signe: "Il y a le mot et la
chose." Si on relit dsormais le clbre passage dans cette
perspective, le rapport direct qu'il aurait avec le nomina-lisme se
nuance singulirement.9
Retenons du statut du signe dans les Essais cette affirmation
toujours rpte: le signe ne permet pas d'atteindre la vrit des
choses: au terme de toutes ses drives, il n'est jamais que le signe
du pch de l'Homme et de son salaire, la mort. Reprsentation
avorte de la vrit, il est bien la reprsentation accomplie de la
nature de l'Homme, son "miroir" parfait:
quoy que nous aprenons, il faudroit tousjours se souvenir que c'est l'homme qui
donne et l'homme qui reoit: c'est une mortelle main qui nous le prsente, c'est une
mortelle main qui l'accepte. (II, 12, 546b; cf. II, 12, 487c)
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Si le "signe" n'a pas de rapport d'existence la chose, les
significations qu'il communique prennent "forme" en passant par le
corps et l'esprit de celui qui les met et de celui qui les reoit
lorsqu'il s'agit d'un change entre hommes, du rcepteur seul
lorsque la relation unit un homme au reste de la "Nature." Or, les
signes ne parviennent au jugement que par les "sens" qui l'
"informent"; "tout ce qui se connoist, il se connoist sans doubte par
la facult du cognoissant; car, puisque le jugement vient de
l'opration de celui qui juge, c'est raison que cette operation il la
parface par ses moiens et volont. Or, toute cognoissance
s'achemine en nous par les sens" (II, 12, 571a; cf. I, 14, 50a; I, 50,
290c). Les sens, quant eux, non seulement sont limits (II, 12,
572-73a), mais dpendent des "mouvemens et alterations du corps
lesquelles alterations sont continuelles" (II, 12, 547a), mouvements
essentiellement internes, ceux de la maladie, du lent travail de la
mort, et des passions (II, 12, 551a; cf. III, 11, 1005c). Nous voici
alors revenus cet cart entre le signe et la vrit que le Pch
travaille creuser de toute son paisseur: "nostre estt accomodant
les choses soy et les transformant selon soy, nous ne savons plus
quelles sont les choses en vrit" (II, 12, 584a. Cf. I, 14, 50a; I, 50,
290c; II, 12, 547a, 55lac, 585-86a); "nostre jugement est en main a
la maladie mesme et a la perturbation" (II, 12, 551a). Il reoit
l'impression des choses de "la folie et de la tmrit" (ibid.). Ainsi
"pip," l'entendement pipe son tour les sens, enchanement sans
fin o la vrit s'loigne toujours plus (II, 12, 584ab). Ces
dveloppements sont aux antipodes d'une attitude nomina-liste; en
soutenant l'arbitraire des signes puis en rattachant la production des
signifis l'esprit de l'homme, et son corps, Montaigne emprunte
un courant d'ides vivant son poque, le conceptualisme, jadis
illustr avec profondeur par Ablard.10
L'exprience ne peut pas davantage aider une recherche de la
vrit car, achemine par les sens, elle est la conclusion de leur
garement: "les sens sont aux uns plus obscurs et plus sombres, aux
autres plus ouverts et plus aigus. Nous recevons les choses autres et
autres, selon que nous sommes et qu'il nous semble" (II, 12, 583a).
"La raison a tant de formes, que nous ne savons laquelle nous
prendre; l'exprience n'en a pas moins"
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NOTES
1. On notera ce propos de quelle faon Montaigne dplace le sens de la formule
platonicienne "Que philosopher c'est apprendre mourir."
2. II, 12, 584a; cf. II, 12, 418a, 479-80a, 535a, 544, 545a, 562b, 583a; III, 13, 1044b.
La chose connue "en vrit" est "la chose en soy." Cf. III, 4, 812b. Le mem bre de phrase "car
le vulgaire, n'ayant pas la facult de juger des choses par elles mesmes" se rfre cette
connaissance "en vrit" des choses (II, 12, 416a).
3. "Les actions vertueuses de Socrates . . . demeurent vaines et inutiles pour n'avoir
eu leur fin et n'avoir regard l'amour et obissance du vrai crateur de toutes choses: et pour
avoir ignor Dieu" (II, 12, 425a).
4. II, 12, 477a. Cf. R. Lebgue, "Le Cuyder avant Montaigne et dans les Essais"
CAIEF, No. 14 (1962), 275-84.
5. II, 12, 478a. Les causes mtaphysiques et morales de ce comportement
s'enchafnent, dans les Essais, d'une faon traditionnelle: l'orgueil en est la cause premire; le
"manque de foi" qui le suit entrane la "crainte" et la "peur"; pour les vaincre, l'Homme ne
peut que crer de nouveaux signes qui en cachent la vraie "raison": "les noms mesme de quoy
ils appellent les maladies en adoucissent et amollissent l'aspret" (III, 12,1017b);ainsien est-il
de la mort (I, 14, 50a; I, 20, 82a).
6. II, 17, 615a. D'o le principe d'ducation montaignien qui fait passer les "choses"
avant les "mots": "Mais que nostre disciple soit bien pourveu de choses, les parolles ne
suivront que trop; il les tranera, si elles ne veulent suivre" (II, 26, 168a).
7. Sur ce point on se reportera notre ouvrage, Montaigne, les signes, la politique et
la mort, paratre.
8. De Trin., X, 1, 1 ; Princ. dialect., ch. V; De mag., 9, 26. Voir Claude Blum, "De la
mthode de rsoudre les controverses: Le Trait du Concile de Duplessis-Mornay," dans La
Controverse religieuse, Actes du Colloque Jean Boisset, Montpellier, 1980, pp. 117-27. Dans
le courant platonicien, la reprsentation des "choses" par les signes, caractristique de la
connnaissance terrestre, est l'expression de la puissance de la matire et de la prsence de la
mort en l'Homme. La reprsentation suppose toujours, dans le platonisme, deux termes:
l'Ide et ce qui la reprsente. On lit, dans le Time, que le reprsentant tente d'imiter le mieux
possible "l'objet" qu'il reprsente, mais qu'il n'est l, finalement, que pour s'effacer, et laisser
place la prsence vraie (Time, 51c). Le Phdre enseigne que, seules, la dialectique et la
philosophie permettent l'approche, ici-bas, de la vrit partir de la reprsentation de
ressemblance, Vhomoiosis, et non d'imitation (Phdre, 277e, 278a). La logique et le bon sens
aideront faire le partage entre ces deux types de reprsentation pour viter que Vhubris
n'entrafne l'Homme sur le chemin du "simulacre" et du "non-tre" (Ph-
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dre, 275d et suiv.). La reprsentation par imitation ne mnera jamais la "chose" puisqu'elle
ne l'ait que la simuler (Time, 51c). Par contre, la reprsentation de ressemblance permet au
philosophe dialecticien de s'lever, travers la "ressemblance," jusqu' l'Ide. Dbarrass du
poids de la matire et de l'intermdiaire de la "reprsentation," le philosophe contemplera
prsence vraie de l'Ide. Cette dmarche est, pour Platon, une vritable mort.
9. Les dtours par lesquels Montaigne passe pour arriver ce lieu commun de
l'poque que le signe introduit pour "l'homme ordinaire" (voir plus loin, pp. 21 et
ss.) une distance avec la vrit au lieu de la "reprsenter," ne sont pas indiffrents. En
tenir compte permettrait de repenser la place que notre tradition universitaire donne
au platonisme dans la fondation du discours occidental (les travaux de J. Derrida en
sont fortement marqus). La coupure radicale entre "l'essence" et la "vrit" qu'in
staure la spiritualit chrtienne, la valeur positive qu'elle donne la "reprsentation"
(qui n'est nullement son origine un acte de mort) et l'crit (qui n'est pas loignement du vrai mais aussi une Parole au plus prs de celui-ci), toutes ces donnes fon
datrices constituent autant de possibilits d'volution internes au systme dont Mon
taigne va jouer pour instaurer un nouveau type d'criture.
10. Voir J. Jolivet, Arts du langage et thologie chez Ablard (Paris, 1969). Des
affirmations telles que celles-ci sont purement conceptualistes: "nostre ame se glorifie, de
ramener sa condition tout ce qu'elle conoit, de despouiller de qualitez mortelles et
corporelles tout ce qui vient elle, de renger les choses qu'elle estime dignes de son
accointance, desvestir et despouiller leurs conditions corruptibles, et leur faire laisser part
comme vestements superflus et viles, l'espesseur, la longueur, la profondeur, le poids, la
couleur, l'odeur, l'aspret, la pollisseure, la duret, la mollesse et tous accidents sensibles,
pour les accommoder sa condition immortelle et spirituelle, de manire que Rome et Paris
que j'ay en l'ame, Paris que j'imagine, je l'imagine et le comprens sans grandeur et sans lieu,
sans pierre, sans piastre et sans bois" (II, 12,460-61a).
11. Cf. K. Werner, /. Duns Scotus (Vienne, 1881), pp. 372 et suiv.
12. Sur les deux premires, cf. M. Foucault, Les Mots et les choses (Paris, 1966), pp.
19-91.
13. II, 12, 493c. Utilise par saint Paul, la mtaphore du miroir qui reflte la Vrit
d'une faon imparfaite, per speculum in aenigmate, fut privilgie au Moyen Age pour
illustrer le rle du Monde. A travers saint Augustin, elle domina les rflexions sur les
rapports entre l'homme et les "signes" pendant plus de mille ans.
14. C'est par de telles disjonctions que le monde profane et laie devient peu peu
pensable, gagne son autonomie, dans un ensemble mental o les valeurs religieuses restent
dominantes; nullement en s'afArmant par le coup d'clat de quelque voie solitaire.
15. "Avant que les principes qu'Aristote a introduits fussent en credit, d'autres
principes contentoient la raison humaine, comme ceux-cy nous contentent cette heure" (II,
12,554a).
16. Remarquer leur prsence tait l'objet d'une tude expose au Congrs
international d'tudes montaignistes de Bordeaux 1980, paratre dans Actes, 1981.
17. I, 23, 115a, 119, 120b; I, 54, 298a; I, 56, 308-09abc; II, 12, 467c, 486-87abc,
492-93abc, 565a; II, 16, 608b; III, 1, 781bc; III, 4, 813b; III, 5, 831ac; III, 6, 876b; III, 13,
1051b, 1075b.
18. On distinguera ce propos, dans les Essais, les dveloppements moraux sur
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Vutile, qui participent d'un exercice rhtorique cher aux liuiiiiitiislos (iiiuiuol un essai
entier, "De l'utile et de l'honneste," est consacr), des rflexions il caiaclere pistmologique qui, seules, nous arrtent ici.
19.Voir notre tude, "L"Apologie de Raimond Sebond' et le dplacement de
l'apologtique traditionnelle la fin du XVle sicle," paratre. Cf. I, 5, 28a; II, 12,
416ab.
20.On retrouve l'influence platonicienne chez saint Augustin dans la faon
dont celui-ci envisage, partir de la reprsentation terrestre, de rejoindre la Vrit.
Il s'agit, pour lui, travers les "traces" et les "vestiges" de la vrit que contient la
reprsentation terrestre, de s'lever vers la Vrit. Voir A. Nygren, Ers et Agap, 3
vols. (Paris, 1944-52), III, 5 et suiv. Montaigne, tout au contraire, estime que ce
n'est pas un mouvement d'ascension de l'Homme (celui de Vrs) qui permet ce
progrs, mais une intervention particulire de Dieu, qui descend vers les hommes
(celle de l'agap). Il suit l les Evangliques, beaucoup plus que les Mystiques du XVe
sicle.
21.". . . le vulgaire n'ayant pas la facult djuger des choses par elles mesmes,
se laissant emporter la fortune et aux apparences" (II, 12, 416a). Cf. I, 23, 109b;
II, 12, 554a, 562ab.
22. Cf. P. Mesnard, L'Essor de la philosophie politique au XVle sicle (Paris,
1969), pp. 17 et suiv.
23.On notera ici, par parenthse, l'importance de cette nouvelle donne pour
la naissance de l'anthropologie moderne dont les Essais sont un des lieux privilgis.
24."Je propose ... ce que je discours selon moy, non ce que je croy selon
Dieu, comme les enfans proposent leurs essais" (I, 56, 309c).
Craig B. Brush
Montaigne's Surprises
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Craig B. Brush
ourselves, we imagine ourselves alive and vigorous. The average
eighteen-year-old seldom takes seriously the possibility that he
might die. Nor do we give much weight to the fact that we will age
one day. The average forty-five-year-old regards aging as
something in front of him, although he is having the prescription
for his eyeglasses changed every eight months. The verities of our
corporeal nature are indeed ones that the imagination resists, and
they are ones that Montaigne dwells on at length and most
interestingly. Pain, illness, aging, and death recur frequently in the
Essais, as Montaigne reminds both us and himself of their reality.
The imagination resists these reminders, or forgets these home
truths; but it does not reject them outright, and so I would not count
them among Montaigne's surprises.
The first such surprise is simply that ultimately men are not able
to control the course of their lives by planning and foresight. This
runs counter to our experience and our imagination. We know that
we can affect events. When we push on a door, it opens; and more
important matters depend just as much on our initiative, we believe.
In spite of this Montaigne maintains that the outcome of events is
entirely out of our hands. It is in the hands of fortune, which
"maintient toujours la possession des evenemens" (I, 24, 125).
There is no doubt Montaigne was constantly preoccupied with
fortune; he uses the word at least three hundred times, in all three
books, at every period.5 Sometimes it appears just, sometimes
vengeful, sometimes it is mere chance, sometimes it is providential.
But always it is in charge of events, of the outcome of our
deliberations. "Divers evenemens de mesme conseil." "Different
outcomes from the same plan." Anyone who takes the title of I, 24
seriously must conclude that human wisdom or prudence amounts
to nothing in the last analysis. When things go wrong, men gladly
blame fortune; but when things work out as planned, we are loath to
admit that it is because fortune intervened in our favor. We simply
refuse to accept that our deliberations do not determine events. The
logic of the imagination whispers, "Je suis maftre de moi comme de
l'univers."6 Montaigne disagrees.
The first way in which he palliates this distasteful fact lies in the
way he shifts his stress in the direction of the strength of
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fortune and away from the weakness of men. Humans are willing to
accept fortune's power because each of us began life as a child quite
aware that our fate was determined by huge, powerful beings, deaf
to entreaty, blind to justice, and capricious in their judgment,
namely our parents. The logic of the imagination lives comfortably
with these superior forces, which appear so frequently in literature
and folk wisdom. "Man proposes; God disposes." "The best laid
schemes o' mice and men gang oft a-gley." Perhaps this is why
fortune is usually personified in Montaigne and elsewhere, for the
logic of the imagination does not resist the idea of a person
intervening against us. "La Fortune mesme n'est pas plus diverse et
variable que nostre raison, ny plus aveugle et inconsidre" (II, 12,
497). What is intolerable is the idea that fortune is impersonal or
mechanical, as Cocteau sees when he summarizes the Oedipus
legend as La Machine infernale.
In other passages, speaking of his own experience, Montaigne
adopts various strategies for presenting the disagreeable truth. He
may play the weakling and find advantages in this role. "Je prise
peu mes opinions, mais je prise aussi peu celles des autres. Fortune
me paye dignement. Si je ne reoy pas de conseil, j'en donne encore
moins ... et ne sache nulle entreprinse publique ny prive que mon
advis aie redresse et ramene" (III, 2, 792). Most important, he
may seek to turn fortune's omnipotence to very positive advantage.
For powerful as it is, fortune is an exterior force and does not affect
our minds if we are on the alert to maintain their independence. On
occasion Montaigne will note that fortune's grip extends even to our
minds. "Je dis plus, que nostre sagesse mesme et consultation suit
pour la plus part la conduicte du hazard" (III, 8, 912). But far more
frequently he stresses what Donald M. Frame calls the "happy
paradox" that it lies within man's power to control his attitudes and
reactions to fortune's events.7
This brings us to the next topic: human free will. In this matter
"la logique de l'imagination" speaks clearly and categorically. It
says that man is free to think what he wishes, to choose as he
wishes between different beliefs, different attitudes, different
courses of action. Our vital experience tells us
35
Craig B. Brush
unequivocally that we exercise our freedom constantly, in small
matters as in great ones. Each morning we decide what to have for
breakfast, and that is a purely personal decision, expressive of our
will. No one can take that away from us. This matter of free will is
an ideal candidate for surprises. The imagination stubbornly asserts
that our will and our reason are within our control; there is,
however, evidence, sometimes strong evidence, to the contrary.
To my knowledge, nobody has treated Montaigne's views on this
thorny question systematically, and for a variety of reasons. It is a
complex matter, on which it is hard to talk sense, perhaps because
the voice of the imagination is so intransigent here. Furthermore,
Montaigne seldom addresses himself directly to the freedom of the
will. Voltaire felt that the question "Is the will free?" was beside the
point. For him the real question was "What is in my power to
change, free will or not?" If we look at things from this
perspective, Montaigne's answer would seem at first to be clear and
distinct. We cannot count on changing events at all; but we can
change ourselves, especially our attitudes and beliefs regarding
events. These two statements often accompany each other making
up a composite truth that is apparently fundamental in Montaigne's
thinking. "Ne pouvant reigler les vnements, je me reigle moymesme, et m'applique eux, s'ils ne s'appliquent moy" (II, 17,
627).
The freedom of the mind pervades his thought: "parce que les
effects et executions ne sont aucunement en nostre puissance, et
qu'il n'y a rien en bon escient en nostre puissance que la volont: en
celle l se fondent par ncessit et s'establissent toutes les reigles
du devoir de l'homme" (I, 7, 32). Human freedom is not an issue at
stake in his view, and only twice does Montaigne touch on
philosophical or theological arguments concerning the existence of
the free will. At one point, very briefly, he repeats and apparently
endorses Augustine's position that God's foreknowledge of human
deeds does not limit man's freedom to act, for God foresees that
men will decide freely to sin (II, 29, 687). Elsewhere, he tackles the
logical riddle of the man balanced between two equally strong
impulses-thirst which propels him toward a bottle of wine and
hunger which
36
propels him with equal force toward a leg of ham. Which way will
he go? or will he be immobilized by his contrary desires?
Montaigne finds this "une plaisante imagination" and concludes
wryly that "il n'y auroit sans doute remde que de mourir de soif et
de fain" (II, 14, 595). The essayist is not particularly concerned to
solve this riddle, but he does suggest that the perplexity probably
reposes on an impossible assumptionin actual fact the two
impelling forces would never be absolutely equal. We may note in
passing that his answer is not "la libert d'indiffrence," but rather
that circumstances are so diverse that one temptation is inevitably
more attractive than another, and that liberty of indifference is
never likely to apply.
Here as elsewhere, if Montaigne comes down heavily on one
side of the question, he does not neglect the evidence on the other
side. He reveals clearly the powers that can enslave the freedom of
the will: habit, passion, imagination, temperament, education, and
the force of circumstances. He recounts how he resists the inroads
of all of these, going to fairly extreme measures on occasion; for
his program strives as much to preserve the will's freedom as to
exercise it. Of habit, he says that its principal effect is to so
entangle us that we are unable to free ourselves from its clutches in
order to return to ourselves and to reason over its commands (I, 23,
114), that habit is so strong it becomes a second nature, no less
powerful than our original nature (III, 10, 987), that habit is Circe's
potion, which diversifies our nature as it deems fit (III, 13, 1058). 8
In a second matter, less surprising, he constantly reflects on how he
has resisted the bondage of the passions by fleeing them at their
first appearanceotherwise they would have grown to control him.
He even gave up dice games because he found he became too
passionately involved in them. In the same way, he is aware that his
imagination is so strong that it is hard for him to resist its forcein
the presence of a sick man he feels ill. Likewise, his temperament
(his forme sienne, his complexion) imposes limits on him, as on
every man, that neither education nor reason can counter. Either
vices (as in "Du repentir," III, 2) or virtues (as in "De
l'yvrongnerie," II, 2) may be simply the result of temperament, not
of free will's exercise. Education, too, can form
Craig B. Brush
37
38
39
Craig B. Brush
Montaigne himself expresses how difficult it is to be persuasive
in this matter: "je voy les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent
exprimer leur gnrale conception en aucune manire de parler: car
il leur faudrait un nouveau langage. Le nostre est tout form de
propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies: de faon
que, quand ils disent: 'Je doubte,' on les tient incontinent la gorge
pour leur faire avouer qu'aumoins assurent et savent ils cela, qu'ils
doubtent" (II, 12, 508).
Now obviously there is not space enough here to outline the
rhetorical tactics Montaigne employs to humble reason. In the
"Apologie de Raimond Sebond" (II, 12), against his usual practice
and contrary to his own protestations, he writes as a philosopher
and theologian, and at great length. This technician's garb is one in
which he appears somewhat uncomfortable. Even so, he repeats the
technical arguments of philosophers and of theologians. But clearly
his argument goes far beyond theoretical debates and engulfs
technical matters in other considerations. There are several major
stratagems in his defense of skepticism. One is the appeal to
religious authority in various forms. He quotes the Bible frequently.
He assumes the general transcendency of religion over philosophy,
of revelation over reason, of mystery over doctrine, of God over
man. A second technique is his penchant for transforming
epistemological questions into matters of ethics. Human
presumption is based largely on our pride in our reasoning capacity.
So he attacks presumption as much as he does reasoning. A sizable
part of this ploy is the long section on animals early in the
"Apologie." The tactic here is obviously a compilation of anecdotes
(or exempla). Everyone likes a good animal story, and this is one
way to present an unpopular truth palatably. The most obvious of
his procedures in the "Apologie" is the ponderous accumulation of
examples of human reason at work as it proves or disproves any
and every possible proposition. The diversity of philosophical
positions maintained over the past and in the present is enough
proof for Montaigne that human reason cannot find the bean in the
cake. The essayist finds diversity everywhere and is willing to live
with it. Here it demonstrates that reason is hardly universal, except
in the sense that every human reasons.
40
That is in part the point. Every human reasons. But a wise man
will not take the reasoning itself seriously. The more I reflect on
Montaigne's skepticism, the more I feel that we cannot appreciate
his point of view unless we are capable of seeing reasoning as a
comic thing for a man to do. Puny man presumes to reason on how
the skies function, or deduce what the true being of the universe is,
or what nature can and cannot do. How very amusing that man
should try this, and how very amusing that we listen respectfully.
One of Montaigne's most peculiar opinions derives from such an
attitude. When he considers the ancient philosophers, such as Plato,
Democritus, or Aristotle, he says he cannot believe that they took
their own theories seriously. Plato did not really believe in the Ideas;
Democritus could not have taken his atoms literally. Montaigne
would rather believe that they presented these doctrines in the spirit
of exercise or play (II, 12, 491-93, 527). Though he could find
similar ideas expressed in his favorite classical authors, such as
Seneca and Plutarch, the essayist goes far beyond his sources in his
view that every philosopher, even the most dogmatic, could not
genuinely believe in the worth of his own conclusions. 9 Montaigne
expresses this unique view more than once. All of philosophy,
properly conceived, is no more than play according to the essayist;
but his reader's imagination balks at the idea of laughing whenever
it encounters a man reasoning.
The final stratagem of Montaigne's skepticism is his tendency to
analyze the processes of reasoning like any other piece of human
behavior, to study its form not its content. Here he is at his best,
perhaps his most persuasive, and here we see his comic vision of
l'homme raisonneur. For example, we regard reason as a way of
finding the truth. Starting from doubt or perplexity, we reason until
we reach a conclusion, as Descartes does in the Mditations. As far
as Montaigne is concerned, that is not necessarily how it happens.
We often do the reverse, start from the conclusion and then find the
reasons to support it. This is one of the ways he pokes fun at
credulity in "Des boiteux" (III, 11), where he mentions witches who
have confessed to killing people later found alive and well. "Je
ravassois prsentement, comme je faicts souvant, sur ce, combien
l'humaine raison est
41
( r a i n B. Brush
un instrument libre et vague. . . . Nostre discours est capable
d'estoffer cent autres mondes et d'en trouver les principes et la
contexture. Il ne luy faut ny matire ny baze; laissez le courre: il
bastit aussi bien sur le vuide que sur le plain, et de l'inanit que de
matire" (III, 11, 1003-04). As the essayist says elsewhere, there is
no need to furnish him with long chains of reasoning. Give him the
conclusions alone; he will find the arguments for them if need be. It
is not that reason is infertile ; quite the opposite, it is promiscuous
and will cohabit with any proposition whatsoever, giving birth to
any species of idea. Montaigne uses himself as evidence of this on
occasion. "Maintes-fois (comme il m'advient de faire volontiers)
ayant pris pour exercice et pour esbat maintenir une contraire
opinion la mienne, mon esprit, s'applicant et tournant de ce cost
l, m'y attache si bien que je ne trouve plus la raison de mon
premier advis, et m'en despars. Je m'entraine quasi o je penche,
comment que ce soit, et m'emporte de mon pois. Chacun peu prs
en dirait autant de soy, s'il se regardoit comme moy" (II, 12, 549).
This perspective, that men are humorous as they reason, and that
we learn more about psychology than about the truth when we
observe men reasoning, is much more frequent in the 1588 material
and later than in the first form of the "Apologie" and other chapters
in which reason is attacked.
We come now to the last surprise, and perhaps the greatest of all.
Toward the end of "De l'inconstance de nos actions" we find the
clincher sentence "et se trouve autant de difference de nous nous
mesmes que de nous autruy" (II, 1, 321). It is difficult to conceive
anything harder for the logic of the imagination to swallow. Has
anyone ever said to himself, "why, come to think of it, I am as
different from myself as I am from my father, or my wife, or my
lawyer?" Such a thought is almost literally unthinkable. Shall we
call it a boutade on Montaigne's part? A paradox? How can we
account for his having such an idea? It is so unusual that it would
not be surprising if some psychologist solemnly declared that such
insecurity about one's personal identity is characteristic of a certain
type of psychosis in its more extreme manifestations. This idea is
especially startling when it comes from Montaigne, who is
constantly touted as the apostle of the self, the greatest literary
example of
42
Craig M. Urusli
43
44
45
( r a i n U Unish
trouve autant de difference de nous nous mesmes que de nous
autruy" (II, 1,321). Montaigne puts this startling view in the plural
we are as different from ourselves as from others. The collective
and somewhat anonymous pronoun nous (is it a replacement for
moil) gives rise to a mental picture of a pool of people representing
a spectrum of qualities and avoids the more unbelievable
formulation in singular form, "I am more different from myself
than from others" or the totally unacceptable form "you are more
different from yourself than from others."
What to conclude from this brief, all-too-rapid survey? I would
suggest that Montaigne is full of surprises, more perhaps than we
expect, and also that, consciously or not, he tries generally to
present them in a way that is not unsettling or jolting. Many of
them, perhaps all, reflect his attempt to strip man of the illusion of
his importancenote how the ones mentioned here all tend in the
direction of unseating human vanity: men cannot affect events, men
are free only if they strive to avoid various forms of bondage,
human reason is worthless, even comic; finally we are not really
single individuals, able to remain somehow the same in all
circumstances. It is hardly a revelation that Montaigne declares war
on human presumption, hoping to kill it with derision, but it is
worthwhile repeating a point he makes, namely that his modest
view of human value in general squares with his claims to take a
modest view of his own worth. In this study "surprises" are defined
as ideas about human nature that men resist instinctively. On
second thought, it should come as no surprise that our unthinking
view of ourselves is flattering and false.
NOTES
1. Henri Bergson, Le Rire: Essai sur la signification du comique, 233rd d.
(Paris: Presses Universitaires de France, 1967), p. 32.
2. This is not to imply that Montaigne is in some sense a Bergsonian in his
outlook. This view has been maintained by Albert Thibaudet, in part four of his
Montaigne, ed. Floyd Gray (Paris: Gallimard, 1963), and can well be maintained,
46
though my intention here is neither to agree or disagree with it. Nor is il iny wish to
say that Montaigne has a fundamentally comic vision of man, though I believe this to
be true.
3. Rosalie L. Colie, Paradoxica Epidemical The Renaissance Tradition of Paradox (Princeton: Princeton University Press, 1966).
4. Walter J. Kaiser, Praisers of Folly: Erasmus, Rabelais, Shakespeare (Cambridge: Harvard University Press, 1963).
5. See Zoe Samaras, "Le Rle de la fortune dans la pense de Montaigne,"
Bulletin de la Socit des Amis de Montaigne, 5th Ser., No. 10-11 (1974), 71-77 for a
concise survey. Also available is Daniel Martin, Montaigne et la fortune: Essai sur le
hasard et le langage (Paris: Champion, 1977), more detailed, more diffuse, less easy
to use.
6. Pierre Corneille, Cinna, V, iii, 1696.
7. Donald M. Frame, Montaigne's Discovery of Man: The Humanization of a
Humanist (New York: Columbia University Press, 1955), pp. 85-90.
8. Montaigne's originality in assessing the force of habit has not perhaps been
sufficiently appreciated. Albert Thibaudet gives it consideration at several points in
his notes published as Montaigne, op. cit.
9. Ancient philosophical works frequently include claims that ultimate certainty is not attainable in many questions. The dialogue form, so widely used after
Plato's example, lends itself to the expression of conflicting ideas and often finishes
without resolving the conflicts raised. In his notes to these pages of II, 12, Villey
cites passages to which Montaigne may be alluding, noting that Montaigne's memory,
being somewhat hazy, leads him to overstate a position expressed in Plutarch. See
vol. IV of the dition municipale (Bordeaux: Imprimerie Nouvelle F. Pech et Cie,
1920), pp. 240-43, notes to pp. 232-41 of vol. II. Pascal's conviction that "se moquer
de la philosophie c'est vraiment philosopher" (Penses 513) conveys Montaigne's
conclusion and attitude well. See especially Penses 533, which probably shows the
infuence of the essayist. I follow Lafuma's numbering, as in Blaise Pascal, Oeuvres
compltes, ed. Louis Lafuma (Paris: Seuil, 1963).
Antoine Compagnon
48
49
Antoine ('ompiiHiion
Premier mouvement donc: l'exaltation de la diversit individuelle, son exaspration et son emballement. Pour le rsumer:
tandis que les divers nominalismes suspendent la dmarche ngative une consistance de l'individu, Montaigne la poursuit jusqu'
dnier mme toute unit individuelle, toute cohrence singulire.
Non seulement le monde et le discours sont labiles, et il n'y a rien
de tel qu'un universel, mais l'individu aussi, et il n'y aurait non plus
rien de tel que l'individu.
Montaigne y vient par plusieurs biais, par exemple dans une
rfrence la relation du macrocosme et du microcosme, qu'il
nomme "petit monde": "Considrons un peu ce qu'elle [la science]
dit de nous mesmes et de nostre contexture. Il n'y a pas plus de
rtrogradation, trepidation, accession, reculement, ravissement aux
astres et corps celestes, qu'ils en ont forg en ce pauvre petit corps
humain. Vrayement ils ont eu par l raison de l'appeler le petit
monde, tant ils ont employ de pieces et de visages le maonner
et bastir. . . . Ils en font une chose publique imaginaire" (II, 12,
518-19a). C'est une annonce de la transition entre la critique du
savoir et celle de la raison dans 1'"Apologie." "Pieces et visages,"
ce sont les lments constitutifs de l'homme, et ils sont pars, sans
cohrence. L'homme, petit monde l'image du grand, ds lors que
tout ordre est dni au grand, reflte et reproduit son dsquilibre:
"ils ne le peuvent rgler, qu'il ne s'y trouve quelque cadence ou
quelque son qui eschappe leur architecture, toute norme qu'elle
est, et rapice de mille lopins faux et fantastiques" (II, 12, 519a).
Le topos du microcosme est dtourn du principe d'harmonie
universelle auquel il prside traditionnellement; il devient argument pour l'parpillement conjugu du monde et de l'homme. Mais
il s'agit ici encore de l'homme en tant qu'espce, "une chose
publique imaginaire," telle tant la conception de l'universel selon
Montaigne.
L' "Apologie" introduit plus franchement l'inconsistance de
l'individu la suite de la critique du savoir, son principe du
savoir de l'homme sur soi, corps et me, et lorsqu'il convient d'en
trouver le motif dans une critique de l'instrument, la raison.
50
51
Antoine (\>inpiinnon
d'une contexture si informe et diverse, que chaque piece, chaque
momant faict son jeu. Et se trouve autant de difference de nous
nous mesmes, que de nous autruy" (II, 1, 321a). Les termes qui
dcriront l'homme comme microcosme sont prsents, et le
"momant" remplace le "visage," avec une rfrence au temps, pour
dfinir les lments de l'homme: pices et visages, pices et
moments pars dans l'espace et le temps. La leon est identique:
l'individu n'a pas plus d'unit que l'espce.
C'est au terme de 1' "Apologie" que Montaigne tire la consquence la plus extrme du morcellement contradictoire de l'individu. S'il n'est pas un mais toujours plusieurs, si un "mesme
homme diverses heures" est aussi diffrent que "divers hommes,"
alors, pas plus que l'espce, l'individu n'existe. Telle est la
consquence rigoureuse des Essais de 1580. Montaigne dveloppe
cette thse en dmarquant peu prs mot mot deux longues pages
de la traduction par Amyot d'un texte de Plutar-que, Que signifie ce
mot Ei.x Plutarque y opposait la stabilit des dieux et la mutabilit
des hommes, non sans distinguer pourtant, chez ces derniers, le
corps, dpendant du devenir, et l'me, participant l'tre.
Montaigne, ainsi que la traduction d'Amyot y incite, omet cette
distinction et entame sa copie: "Nous n'avons aucune
communication l'estre, par ce que toute humaine nature est
tousjours au mileu entre le naistre et le mourir" (II, 12, 586a). Il et
t plus fidle Plutarque de parler seulement de la nature
prissable de l'homme, c'est--dire de sa partie corporelle. De fait,
toutes les initiatives de Montaigne contribuent galement dvier
le texte vers un mobilisme intgral. L o Plutarque invoquait
seulement Heraclite, Montaigne dresse plaisir l'inventaire des
mobilistes anciens, et l'allonge dans les ditions successives. Il
s'emporte, ainsi qu'en tmoigne, dans ce panorama familier, un
exemple qui sort de l'ordinaire, une addition de 1588 qui prend acte
de la consquence du mobilisme, en tant qu'il affecte aussi
l'individu: "Epicharmus [disait] que celuy qui a piea emprunt de
l'argent ne le doit pas maintenant; et que celuy qui cette nuict a est
convi venir ce matin disner, vient aujourd'huy non convi,
52
attendu que ce ne sont plus eux: ils sont devenus autres" (II, 12,
586b). L'exemple est aussi emprunt Plutarque, mais un autre
texte, Pourquoy la justice divine diffre quelquefois la punition des
malfices, et Montaigne l'exploite rebours de Plutarque. Celui-ci
le donnait pour un sophisme illustrant l'absurdit du mobilisme, et
lui permettant d'affirmer par contraste la ncessit d'un principe
d'unit dans le devenir humain, l'me. L'exemple tait ainsi
introduit: "c'est autant comme qui vou-droit faire d'un homme
plusieurs."2 C'est ce que ne veut pas Plutarque, c'est ce que fait
Montaigne. Avec Epicharme, le nominalisme est dbord puisque le
crdit et l'emprunt, ses deux formes montaires dcisives au XVie
sicle, perdent tout fondement.
Si l'individu est autre tout instant, cela commande de repenser
la mort. Montaigne, suivant Plutarque, identifie aussitt la vie,
comme suite de changements et traverse de contradictions, une
succession de morts dont aucune ne diffre essentiellement des
autres: "Et puis nous autres sottement craignons une espce de
mort, l o nous en avons desj pass et en passons tant d'autres"
(II, 12, 587a). La mort fournit la preuve par l'absurde de l'absence
de subsistance de l'individu, une mort dsormais incessante: "n'y a
rien qui demeure ne qui soit tous-jours un." Est ainsi tabli le
syllogisme qui, prenant cette proposition pour majeure, rfute le
plus formellement l'existence de l'individu: "et ce qui souffre
mutation ne demeure pas un mesme, et, s'il n'est pas un mesme, il
n'est donc pas aussi. Ains, quant et l'estre tout un, change aussi
l'estre simplement, devenant tousjours autre d'un autre." Selon un
argument typique de tout nominalisme, rien ne saurait tre la fois
un et plusieurs, et ds lors que le temps est conu comme pluralit,
rien n'est sinon l'instant.
Il n'y a rien de tel qu'un sujet: c'est l que je voulais en venir
dans un premier temps. Ni l'espce ni l'individu n'existent, ou tous
deux sont des universaux. L'individu comme tel, celui-ci, n'est
qu'une extension de traits contingents et htrognes, d'existences
diverses et contradictoires, une multiplicit incom-
53
AnloiiK' Compulsion
prhcnsible de sujets instantans, autant de "je" que de hic et nunc
et qui ne se subsument sous aucun Ego. Un "mesme homme
diverses heures" quivaut "divers hommes," car il est une
pluralit de sujets sans communaut dans lesquels un individu se
produit. "Nous sommes doubles en nous mesmes" (II, 17, 603a), et
cependant, tel est le fond du paradoxe, nous portons un seul et
mme nom: Michel de Montaigne. Le nom est le leurre qui permet
d'ignorer qu'un "mesme homme diverses heures," ce sont
plusieurs individus.
Une addition de 1588 au chapitre "De l'inconstance de nos
actions" dmle les tenants et aboutissants de l'inexistence de
l'individu de la manire la plus frappante. "Non seulement le vent
des accidens me remue selon son inclination, mais en outre je me
remue et trouble moy mesme par l'instabilit de ma posture; et qui y
regarde primement, ne se trouve gure deux fois en mesme estt"
(II, 1, 318-19b). Dans une premire tape, la diversit de l'individu
est reconnue. "Toutes les contrarietez s'y trouvent selon quelque
tour et en quelque faon. Honteux, insolent; (c) chaste, luxurieux;
(b) bavard, taciturne; laborieux, dlicat; ingnieux, hebet; chagrin,
debonaire; menteur, veritable; (c) savant, ignorant, et liberal, et
avare, et prodigue, tout cela, je le voy en moy aucunement, selon
que je me vire; et quiconque s'estudie bien attentifvement trouve en
soy, voire et en son jugement mesme, cette volubilit et
discordance." La seconde tape passe de la diversit la
contradiction, et Montaigne accumule les antithses, il en ajoute
dans les marges du volume. Le sens propre de la "volubilit" est
certes le mouvement et sa facilit, mais il est indissociable, en latin
et dj en franais au XVI e sicle, du sens figur appliqu la
langue et la parole, leur tournoiement torrentueux. La
"discordance" est d'abord un fait de discours, la succession de
qualits contraires, de mots inconciliables en une logique de la
contradiction. Montaigne en vient du reste aussitt au discours: "Je
n'ay rien dire de moy entirement, simplement et solidement, sans
confusion et sans meslange, ny en un mot. DISTINGO est le plus
universel membre de ma logique" (II, 1, 319c). Troisime tape: de
la diversit et de la contradiction, "volubilit et discordance," se
dduit l'inexistence de l'individu. A la diffrence de l'"Apo-
54
Antoine Coinptinnoii
55
56
Antoine Compiigiion
57
58
sont naturelles; ... ce a est merveille moy mesmes de les rencontrer, par cas d'adventure, conformes tant d'exemples et
discours philosophiques. . . . Nouvelle figure: un philosophe impremedit et fortuite!" (II, 12, 528c).
Nombreux sont les termes qui voquent le hasard: "rencontrer,"
"par cas d'adventure," "impremedit et fortuite." C'est en effet
seulement dans l'ala, l'aventure et la rencontre, que le "tout est dit"
est admissible. Une criture qui ne se serait pas prtendue
imprmdite et fortuite, et t improbable. "De quel regiment
estoit ma vie, je ne l'ay appris qu'aprs qu'elle est exploite et
employe" (II, 12, 528c), c'est--dire aprs coup, aprs le livre.
Bref, du nominalisme extrme qui alla jusqu' nier l'existence
non seulement de l'espce mais de l'individu, la retrouvaille d'un
universel dans la compltude de la langue et du discours, du
dictionnaire et de l'encyclopdie, la condition du passage fut le
livre, sa lecture plutt que son criture. Dans le tout, les
circonstances s'vanouissent, les individus se confondent. Ou
encore: tous n'en font qu'un. Evoquant, dans la marge de
l'exemplaire de Bordeaux, son indiffrence l'authenticit des faits
rapports par le discours, Montaigne crira: "en l'estude que je
traitte de nos meurs et mouvemens, les tesmoignages fabuleux,
pourveu qu'ils soient possibles, y servent comme les vrais" (I, 22,
104c). Le virtuel et l'actuel se mlent dans la totalit des possibles,
le couple du possible et de l'impossible remplace, dans le discours,
celui du vrai et du faux, avec ce corollaire: "Advenu ou non
advenu, Paris ou Rome, Jean ou Pierre, c'est tousjours un
tour de l'humaine capacit." Le souci de la diffrence dans l'espace
et le temps est ni par le livre fait, le nominalisme est rvoqu. La
diversit du discours et la division de l'individu, dont on a vu
plusieurs reprises qu'elles taient proportionnelles selon Montaigne,
et que celle-l tait mme le motif de celle-ci, sont concurremment
dmenties. Les noms de lieux et de personnes se dtachent de leurs
rfrences casuelles, du reste inadquates, et 1'"humaine capacit,"
avec la valeur d'universel qui lui est dsormais reconnue, au sens de
Antoine Coinpiigiion
59
NOTES
1. Plutarque, Les Oeuvres morales et mesles, 3e d. (Paris, 1575), f356 v.
2. Ibid., f264 r.
3. Voir La Seconde Main ou le travail de la citation (Paris: Seuil, 1979).
4. Ces pages rsument la thse centrale du livre paru peu aprs, Nous, Michel
de Montaigne (Paris: Seuil, 1980).
DoiiiiUI M. l'iime
Donald M. Frame
Let me confess from the start that throughout this article I shall use
the name Michel de Montaigne to refer not only to the historical
Michel de Montaigne (Micheau to his father), who was born in
1533, married in 1565, served thirteen years in the Parlement de
Bordeaux and two two-year terms as mayor of the city, and at his
death in 1592 left one daughter and one book,not only to him, but
also to the writer of that book, and thirdly and finally to the person
whom that writer in that book refers to as je and as moi and
describes as clumsy, inept, slow-witted, and indeed rather dull. I
recognize of course that even without making any doctrinal
assumption, one may note here a marked difference between author
and subject; and I shall return later to the question of the three
personae. Meanwhile I want to present a theory that bears on at
least two, and perhaps all three, of these personae; and to use any
other term for any one of the three seems to me hopelessly
awkward and artificial. In the seventy-odd years since the
publication of the evolutionary theories of Strowski and Villey
about Montaigne and his book (Montaigne, 1906; les Sources et
l'volution des Essais de Montaigne, 1908), many critics have
studied his self-portrayal in the context of his developing attitudes
and ideas, whereas none
61
have written about his motivation and timing. Yet 1 think we have
much evidence on both questions; and I intend to examine it here.
I see his general motivation for the self-portrait as lodged close
to the center and heart of his entire temperament in a great complex
of views centered in his overpowering need (craving is too weak a
term) for truth, and thus closely related to his second-greatest need,
for communication. Truth he calls "la premiere et fondamentale
partie de la vertu," and he says of it: "Il la faut aymer pour elle
mesme" (II, 17, 631c). And the converse is equally true: "Le
premier traict de la corruption des murs, c'est le bannissement de
la vrit; car, comme disoit Pindare, l'estre veritable est le
commencement d'une grande vertu, et le premier article que Platon
demande au gouverneur de sa rpublique" (II, 18, 249ac). (Gide, by
the way, in adopting this phrase as his own, misreads it to mean
"true being" instead of simply "being truthful"; but no matter here.)
For Montaigne falsity, rather (I think) like injustice for Plato in the
Republic, and like anything that is badly askew, causes severe
discomfort until corrected. Another source of discomfort is the bad
conscience experienced by any decent person who by masquerade
or disguise tries seriously to deceive others (II, 5, passim); which
reminds us how indispensable was truthfulness in any negotiations
(to which Montaigne was often called) between members of
opposite parties in the religious civil wars that darkened his mature
years. And in a time of constant danger from lawless men on either
side, the good conscience of the truthful man, such as Montaigne,
gives him the assurance that, as he says, lets him "marcher par tout
la teste haute, le visage et le cur ouvert" (III, 1, 769b). In
negotiations especially it is of course vital that the parties not take
us for what we are not; wherefore Montaigne has always, he says,
"curieusement vit qu'ils se mesprinssent en moy et s'enferrassent
en mon masque" (III, 1 768b).
Lying is both cowardly and abject, the mark of an ignoble
nature; for any "cur gnreux" wants to be seen as it truly is (II,
17, 630a). It is also very dangerous, since it can destroy our
humanity and the very fabric and network of all human relation-
62
ships: "Nostre intelligence [mutual u nd e i s l a i ul i i i gl se conduisant par la seule voye de la parolle, celuy qui la lauee, trahit la
socit publique . . . S'il ["la parolle" is now "le truchement de
nostre ame"] nous faut, nous ne nous tenons plus, nous ne nous
entreconnoissons plus. S'il nous trompe, il rompt tout nostre
commerce et dissoult toutes les liaisons de nostre police" (II, 18,
650a). In short, lying is the great enemyof truth, of communication, of all human association. Conversely, truth is indispensable to communication; and this, I repeat, is Montaigne's
other greatest need. He tells us this again and again: "Je suis
sociable jusques excez" (III, 9, 960c); "ma forme essentielle est
propre la communication et la production; je suis tout au dehors
et en evidence, nay la socit et l'amiti" (III, 3, 801b). Or yet,
still more to the point: "Nul plaisir n'a goust pour moy sans
communication. Il ne me vient pas seulement une gaillarde pense
en l'ame qu'il ne me fche de l'avoir produite seul, et n'ayant qui
l'offrir" (III, 9, 965). He has badly missed a friend as companion on
his travels, and approves the idea of Archytas, that heaven itself
would be no fun without a companion. Perfect communication is
found only in perfect friendship, and thus is just as rare. It rests on
the deepest sounding of one another's motives ("sonder jusqu'au
dedans," II, 1, 321a), so that each knows the other inside and out,
like Blossius and Gracchusor like La Botie and Montaigne (I,
28, 188a). And although such a perfect friendship will not come
againto Montaigne or anyone elsein his lifetime, still he hopes,
by the communication his book opens with his readers, to meet one
more true friend, some "honneste homme" whom he may like and
who may like him (III, 9, 959b).
Now although only a perfect friend can have perfect knowledge
of anyone else, any man who is able and willing to "s'espier de
prs" (II, 6, 357a) can gain a comparable knowledge of himself and
may possibly lodge it in a book. When Montaigne reads, he says,
he always looks for the author behind the book, and seeks not his
subject-matter but his faon (how he has fashioned it: III, 8, 906c);
even as he pursues "la communication" of some famous mind "non
pour qu'il m'enseigne, mais pour que je le cognoisse" (ibid.). He
feels sure that he can know his authors
63
Donald M. Frame
from their books (111, 8, 919-21 be; and II, 10, passim). He sees
much in common between books, as our brain-children, and our
flesh-and-blood children, and says he would as soon leave behind a
perfect child of his brain as one of his loins (II, 8, 380-8la, 383b).
He tells at some length the story of one Labienus in Caesar's time in
Rome. When his enemies had all the books he had written burned
(and thus, presumably, utterly destroyed), he soon afterward buried
himself alive in his family tomb, much as Greuntius Cordus was to
do later (II, 8, 381-82a); and I see nothing in Montaigne's account
of either suicide to suggest scorn or even dismay that a "faiseur de
livres" should take such a step; I see only sympathy for the
bereaved author-parents and indignation at the enlargement of the
field for cruelty.
In the many instances when he thinks about his own book as his
child, it seems to be as a reminder and enduring witness (a bit like a
memory bank) of what he, the author, did and what he was. "A
cettuy cy, tel qu'il est," he writes, "je donne purement et
irrvocablement, comme on donne aux enfans corporels; ce peu de
bien que je luy ay faict, il n'est plus en ma disposition; il peut
savoir assez de choses que je ne say plus, et tenir de moy ce que
je n'ay point retenu et qu'il faudroit que, tout ainsi qu'un estranger,
j'empruntasse de luy, si besoin m'en venoit. Il est plus riche que
moy, si je suis plus sage que luy." 1
From that long but relevant excursus let us return at last to
Montaigne's needone of his greatestfor communication. Much
of Book III of the Essais, especially of the chapter "De la vanit"
(III, 9), from which I drew my earlier quotation on the subject,
shows that this need, and Montaigne's loneliness, grew ever
stronger with time and reached one peak on his Italian trip of 158081, on which he seems to have had little in common with his four
young noble companions. He even experienced physical harm one
day when the act of writing to a mutual friend put him in mind of
La Botie, and he could not shake off his sadness for some time
(Journal de voyage, La Villa, May 11, 1581, p. 1270). The need to
communicate, and openly, pervades "Sur des vers de Virgile" (III,
5), where he describes his mini-campaign for sexual candor as a
form of public confession that goes beyond those of Augustine,
Origen, and Hippocrates, and
64
65
Donald M. Frame
bly also had some experience already of the fate of the moderate
attacked on either side by fanatics.) For what followed the attempt
on his friend's memory, Montaigne left numerous leads in the
Essais, and Roger Trinquet's masterly article "Montaigne et la
divulgation du Contr'un" (BSAM, 3rd Ser., 29 [1964], 3-13; RHLF,
64 [1964], 1-12) fills out what may well be the definitive story.
Originally, says Trinquet, Montaigne had planned to publish the
Discours de la Servitude volontaire (hereafter SV) either before or
together with his friend's other, shorter works, and he brought it
along with them when he came to Paris in 1570 to do so. There,
naturally enough, he showed the masterpiece to the prospective
dedicatees of the lesser worksMichel de L'Hospital, Paul de Foix,
Louis de Lansac, Henri de Mesmes all experienced political
hands who probably warned him that it might well prove
inflammatory if published immediately. Henri de Mesmes must
have borrowed it, no doubt to make a copy; for it was in his library
that it was seen by one Corbinelli in 1571 and later copied by
Protestants or other subversives, whose publication of it in the
1570s, first in part then in full, caused Montaigne to drop his plan
to publish it at the heart and center of his own book, in his chapter
on friendship.2
But let me turn at last to my main texts. About two-thirds of the
way through "De la vanit," in one of his many digressions from his
travels to his book, Montaigne gives the following explanation for
writing his book in French, not Latin: "J'escris mon livre peu
d'hommes et peu d'annes. Si 'eust est une matire de dure, il
l'eust fallu commettre un langage plus ferme" (III, 9, 960-61).
This, he says, is why he has put in various private matters, however
limited and ephemeral their interest. Then he goes on: "Je ne veux
pas aprs tout, comme je vois souvent agiter la mmoire des
trespassez, qu'on aille deba-tant: 'il jugeoit, il vivoit, ainsin;. . . s'il
eust parl sur sa fin, il eust diet, il eust donn; je le connoissois
mieux que tout autre.' Or, autant que la biensance me le permet, je
faicts icy sentir mes inclinations et affections; mais plus librement
et plus volontiers le faits-je de bouche quiconque desire en estre
inform. Tant y a qu'en ces mmoires, si on y regarde, on trouvera
que j'ay tout diet, ou tout design. Ce que je ne puis exprimer, je le
66
Donald M. I'rame
67
so although lie later crossed the whole thing out, 1 think we may
properly use as evidence of a sort not only its ultimate deletion but
also its temporary existence on the page.3 In short, the passage in its
entirety tells us that Montaigne once said, and never denied though
he later crossed out, three important things about himself and his
book: 1) He had once had to defend the memory of a dead friend,
which but for him would have been distorted and torn into a
thousand pieces. 2) He knew he would leave behind at his own
death no friend ready and qualified, as he had been for La Botie,
to do the same if necessary for him. 3) This is why he "deciphers
himself with such care. As I hinted earlier, he also knew that not
only the dead were exposed to conflicting misinterpretation. We
remember his account (III, 12, 1021b) of his dismal experience, as
a moderate exposed to fanatics on both sides, in the summer of
1586 during the siege by a League-led army of the Protestant-held
stronghold of Cas-tillon just a few miles from his chteau, of which
he writes: "Je fus pelaud toutes mains: au Gibelin j'estois
Guelphe, au Guel-phe Gibelin." This can hardly have been his first
experience of such a plight.
This then is my theory. Although much of this last part rests on
the notion of a unitary, not a trinitary, Montaigne, I think my
conclusion applies equally to the private person and the writer; and
I still see no clear reason not to apply it also to the subject of the
book.
Even in our re du soupon, even after all the valuable studies of
fiction in self-portrayal that have taught us not to take all
Montaigne's statements as Gospel, we need not fly to the opposite
extreme and simply assume duplicity-or triplicityin the fictionwriter Montaigne,4 but should rather examine his case, like all
others, on its merits as we see them. Of all such interpreters, who
complicate the picture of Montaigne by multiplying his personae, I
think he might well have remarked, as he did about those who
interpreted his openness in negotiation as simply a shrewd ploy:
"lis font ma finesse trop fine" (III, 1, 773b).
68
Donald M. l'iinu-
NOTES
1. II, 8, 383b. If this metaphor (of the book as his child) seems in generational
contradiction with his other favorite that equates it to himself, this is only on a literal level;
for both metaphors show the book as a reliable and enduring witness.
2. The first, partial publication, almost simultaneously in French, Latin, and Dutch,
was in February or March 1574 in Le Rveille-Matin des Franois; the second -and the first
complete-was in French alone, in 1577 in vol. Ill of the Mmoires de l'Estat de France. (We
do not know when and in what order Montaigne learned of each of these.) Then on May 7,
1579 (just two days before the date of the royal privilege to publish Montaigne's first
Essais), the Parlement de Bordeaux, in which both La Botie and Montaigne had served for
years, ordered that the Mmoires de l'Estat de France be publicly burned, on the nearby
Place de l'Ombrire. Some time before 1580, but presumably after 1574, Montaigne decided
not to publish the SV in his own book after all. Presumably he had already written his
statement of intent to do so (I, 28, 181-82) and decided to leave it as it was. In place of the
SVhe offered the reader (in the new chapter 29) twenty-nine French sonnets by La Botie
addressed to his wife, and added the following explanation as the new ending of the chapter
on friendship (I, 28, 193a): "Parce que j'ay trouv que cet ouvrage a est depuis mis en
lumire, et mauvaise fin, par ceux qui cherchent troubler Testt de nostre police, sans se
soucier s'ils l'amenderont, qu'ils ont mesl d'autres escris de leur farine, je me suis ddit de
le loger icy. Et affin que la mmoire de l'auteur n'en soit intresse en l'endroit de ceux qui
n'ont peu connoistre de prs ses opinions et ses actions, je les advise que ce subject fut traict
par luy en son enfance, par manire d'exercitation seulement, comme subject vulgaire et
tracass en mille endroits des livres. Je ne fay nul doubte qu'il ne creust ce qu'il escrivoit, car
il estoit assez conscientieux pour ne mentir pas mesmes en se jouant. Et say d'avantage que,
s'il eut eu choisir, il eut mieux aim estre nay Venise qu' Sarlac. Mais il avoit un'autre
maxime souverainement empreinte en son ame, d'obeyr et de se soubmettre trs
religieusement aux loix sous lesquelles il estoit nay. Il ne fut jamais un meilleur citoyen, ny
plus affectionn au repos de son pais, ny plus ennemy des remuements et nouvelletez de son
temps. Il eust bien plustost employ sa suffisance les esteindre, que leur fournir dequoy
les mouvoir d'avantage. Il avoit son esprit moul au patron d'autres sicles que ceux-cy. Or,
en eschange de cet ouvrage srieux, j'en substitueray un autre, produit en cette mesme saison
de son aage, plus gaillard et plus enjou."
3. For all this material on self-decipherment, besides the edition of reference, see
Essais, Edition Municipale, III, 255 and 255n; Edition Phototypique (Paris: Hachette, 1912,
1024 plates), plate 895.
4. Although such a responsible critic as Wayne Booth places Montaigne among the
writers of fiction, I find his explanation for doing so disappointing (The Rhetoric of Fiction
[Chicago: University of Chicago Press, 1961], p. 228 and pp. 226-37, passim). Where
Montaigne had frankly acknowledged that one cannot bring out the self (to portray it)
without affecting it, Wayne Booth, with a little help from Cotton's translation (rendering
Montaigne's "testonner, . . . ordonner et renger," II, 6, 458c, by "curl, set out and adjust," p.
228) proceeds to prove Montaigne a fiction-writer largely
if not solely
from our
experience as readers of four modern writers of
Donaltl M. Frame
69
fiction: "We need," he says, "no research into the facts of life to know it [that he does curl
and adjust himself |, we who have learned to read behind the curling and adjusting of the
self-conscious narrators of Proust, Gide, Huxley, and Mann." This, to my mind, is not Wayne
Booth at his best.
104
and Virgil's "irarumque omnes effundit habenas" (Aeneid XII, 499) is the quotation preceding
the long quotation from Lucretius (850b).
11. Erasmus, Praise of Folly, trans. Betty Radice, ed. A.H.T. Levi (Baltimore:
Penguin Books, 1971), p. 76.
12. Montaigne's words recall the tradition growing from the Pauline expression per
speculum in aenigmate. The literature on that tradition is vast, but an excellent article that
examines St. Augustine's treatment of it and briefly surveys its later fol lowers is Joseph
Mazzeo's "St. Augustine's Rhetoric of Silence: Truth vs. Eloquence and Things vs. Signs,"
ch. 1 of Renaissance and Seventeenth-Century Studies (New York: Columbia University
Press, 1964).
13. For an examination of such a non-conclusion in the "Apologie" see Mary B.
McKinley, "The City of God and the City of Man: Limits of Language in Montaigne's
'Apologie de Raimond Sebond,'" Romanic Review, 71 (1980), 122-40.
Marianne S. Meijer
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que ici? Voil ce qui compte. L'essai prcdent, I, 44, "Du
dormir," dcrit plusieurs exemples de grandes personnalits au
caractre solide, qui sont capables de dormir des moments
critiques et de faire preuve de calme aux plus hautes entreprises, et
cet essai se termine par des descriptions de bataille. L'essai "De la
bataille de Dreux" ajoute un autre exemple d'une bataille, et d'un
commandant qu'on a critiqu. L'association thmatique semble
claire. Montaigne a vu un rapport entre le rcit de Plutarque et la
bataille de Dreux, et entre la bataille de Dreux et les batailles qu'il a
numres dans l'essai "Du dormir." La bataille de Dreux est
ajoute la srie. Dans ce contexte, le duc de Guise rejoint ceux
qui ont fait preuve de vraie grandeur, mais si on isole ce chapitre de
son contexte, on se demande ce que vient faire le duc de Guise
dans les Essais.
Les essais I, 50 I, 54 traitent de la vanit humaine: nous ne
nous contentons pas de ce que nous avons; nous cherchons toujours
des choses inconnues. Nous sommes attirs par les choses rares,
nouvelles, difficiles, curieuses, ce qui amne Montaigne, dans le
chapitre I, 54, "Des vaines subtilitez," parler d'un jeu qu'il joue
chez lui o l'on cherche des "choses qui se tiennent par les boutz
extremes" (I, 54, 477 DM), dont il donne plusieurs exemples. Le
petit essai suivant, I, 55, "Des senteurs," en donne un autre
exemple: ne pas sentir est sentir bon, ou comme le dit la citation de
Martial qui termine cet essai:Posthume non bene olet, qui bene
semper olet ("Posthumus, qui sent toujours bon, ne sent pas bon")
(I, 55 481 DM). Les additions des couches b et c, qui ont doubl la
longueur de cet essai, ont fini par placer cette citation rvlatrice en
plein milieu de l'essai, ce qui rend le lien avec l'essai prcdent
moins vident. Mais en 1582 Montaigne ajoute un paragraphe au
dbut de l'essai suivant, I, 56, "Des prires," qui raffirme la liaison
entre I, 54 et I, 56: la dernire remarque de l'essai I, 54 concerne les
Essais, et le paragraphe de 1582 qui ouvre l'essai I, 56 traite aussi
des Essais. Il en ressort encore plus clairement que l'essai "Des
senteurs" est une digression sur un point particulier de l'essai
prcdent. Comme les ajouts de 1582 sont relativement rares et
concernent surtout des corrections stylistiques et grammaticales,
l'addition de ce paragraphe est particulirement intressant, et laisse
sup-
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Marianne S. Meijer
L'essai suivant, II, 22, "Des postes," commence par une histoire
d'un autre roi non-fainant, le roi Cyrus. Pour amliorer le systme
de communication dans son empire, il avait tabli des relais de
chevaux, calculs selon la capacit maxima d'un cheval. A premire
vue ce chapitre d' peine une page mais qui deviendra deux fois plus
long, pourrait sembler sans grand intrt; c'est une simple
enumeration de quatre exemples de courriers royaux. Mais dans le
contexte des essais prcdents, qui louent les empereurs actifs et
conscientieux, cet essai est une illustration supplmentaire et une
variation sur le mme thme, car il dveloppe la remarque de l'essai
prcdent que les hommes "se mettent en peine & en hazard pour le
service de leur prince" (II, 21, 491 DM) pourvu que ce roi ne soit pas
fainant. Les additions ultrieures largissent le sujet au moyen
d'exemples de courriers qui n'taient pas au service de rois ou qui se
servaient d'autres moyens de communication, comme d'hirondelles
ou de pigeons. Le chapitre II, 21, "Contre la fainantise," a donn
des exemples de rois qui se dvouent pour leurs peuples; le chapitre
II, 22, "Des postes," donne des exemples de gens qui se dvouent
pour leur roi. Quoiqu'un souvenir de lecture en soit l'entre en
matire"je lisois a cet'heure que le roi Cyrus" l'insertion cet
endroit du livre est d au contexte: les quatre exemples constituent
un commentaire sur le chapitre prcdent que le lecteur doit distiller
de ces exemples, un peu comme on dchiffre les emblmes. Une
addition ultrieure rend ce message plus clair: un de ces hommes qui
se dvouent pour leur roi, c'est Montaigne lui-mme, et son exemple
est mis en tte de l'essai en 1588: il tait bon courrier autrefois mais
maintenant il a dpass l'ge, car il faut tre jeune pour cette tche
puisante. Mais il y a aussi mystification et nous avons ici un
exemple intressant de la mthode de Montaigne. Car s'il est la fois
auteur et objet du livre, il est aussi continuellement lecteur du livre,
relisant et ruminant sans cesse son texte. Le commentaire personnel
de la couche b par lequel s'ouvre cet essai de nos jours a l'air de
tomber des nues: "Je n'ay pas est des plus foibles en cet exercice,
qui est propre gens de ma taille, ferme et courte; mais j'en quitte le
mestier; il nous essaye trop pour y durer long temps" (II, 22, 661).
On ne sait pas de quel mtier
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ceux qui ne voulaient pas servir cette grandeur romaine, et l'essai
"De ne contrefaire le malade" donne un nombre d'exemples de gens
qui feignent des maladies, qui contrefont le borgne ou le boiteux et
qui font semblant d'avoir la goutte ou de loucher pour viter le
service militaire. Le petit essai II, 26, "Des pouces," continue cette
chane d'ides, car un autre moyen d'viter le service militaire, c'est
de ne pas avoir l'usage de son pouce. Le pouce tant indispensable
au port d'armes, les Anciens excusaient du service militaire ceux qui
taient blesss au pouce. Alors certains se mutilaient exprs, allant
parfois jusqu' se couper le pouce, ou jusqu' couper les pouces
leurs enfants. On coupait mme les pouces ses ennemis pour les
mettre hors de combat jamais. Il ne s'agit plus ici de contrefaire la
maladie, mais d'une mutilation relle qui met fin toute activit
militaire. L'importance du pouce est souligne par des anecdotes
tires de Tacite, par une tymologie latine et une tymologie
grecque, par une opinion mdicale, par des citations de Martial, de
Horace et de Juvnal. L'essai est construit en ordre inverse: les
exemples de mutilation en tant qu'chappatoire viennent la fin de
l'essai; les exemples qui soulignent l'importance du pouce sont au
dbut de l'essai qui commence par les mots: "Tacitus recite," une
entre en matire livresque qui nous est familire. De nouveau, je
suis convaincue que l'allusion Tacite sert d'entre en matire
plutt que de sujet mditer. Le sujet se trouve dj dans l'essai
prcdent, et "Des pouces" continue traiter cette mme matire: le
moyen d'chapper au service militaire. Si on lit l'essai en tant
qu'unit indpendante, on croit lire une leon de choses: tout ce qu'il
y a savoir sur le plus gros et le plus court des doigts de la main. Si
on lit cet essai dans la suite des essais, il s'agit d'un autre moyen
d'viter le service militaire, un moyen officiel puisque "les Romains
dispensoient de la guerre ceux qui estoient blesss au pouce, comme
s'ilz n'avoint plus la prise des armes assez ferme" (II, 26, 506 DM).
Les anecdotes et les citations qui prcdent cette affirmation
montrent que cette loi romaine avait de bonnes raisons d'tre.
Suivent ensuite les exemples des mauvais moyens dont certains se
servaient pour profiter de cette loi. L'essai "Des pouces" se rattache
aux essais prcdents et pourrait s'intituler: Des mauvais
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Marianne S. Meijer
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NOTES
1. Il est vrai que dans l'dition de la Pliade, les couches sont indiques, mais c'est la
dcision d'Albert Thibaudet plutt que de Maurice Rat. Voir page 8 de cette dition.
2. Une exception, cependant. Voir les belles analyses de Raymond C. La Charit,
"Montaigne's Early Personal Essays," Romanic Review, 62 (1971), 5-15.
3. Pierre Villey, Les Sources et l'volution des Essais de Montaigne (1908;
rimpression New York: Burt Franklin, 1968), II, 151.
4. Jacob Zeitlin, The Essays of Michel de Montaigne, 3 vols. (New York: Knopf,
1934-36), 111,413.
5. Zeitlin, II, 584.
6. Michel Eyquem de Montaigne, Essais, reproduction photographique de l'dition
originale de 1580, d. Daniel Martin, 2 vols. (Genve: Slatkine, 1976). Toutes les citations
des Livres I et II seront empruntes cette dition, indique dornavant par le sigle DM.
7. Les Essais de Michel de Montaigne, d. Fortunat Strowski et al., 5 vols.
(Bordeaux: Pech & Co., 1906-33), V, 45.
8. Sem Dresden, "Het herkauwen van teksten," Forum der Letteren, 34 (1971), 14272.
9. Il s'agit bien d'une association de pense, mme si elle est parfois suscite par une
image, une mtaphore, ou un mot. Dans cette tude, j'ai voulu souligner les associations
thmatiques.
10. Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues (1611;
rimpression Columbia, S.C.: University of South Carolina Press, 1950).
11. The Complete Essays of Montaigne, trans. Donald M. Frame (Stanford: Stanford
University Press, 1976), p. 515.
10. Jacob Zeitlin, II, 584.
Franois Rigolot
Tout "suffisant lecteur" (I, 24, 126a) aura not, d'ailleurs non sans
surprise, le parti pris pour la rfrentialit qui s'instaure au dbut du
chapitre "Du repentir" (III, 2, 782). Par rfrentialit il faut
entendre ici la capacit du langage reprsenter le monde des
choses, autrement dit renvoyer une ralit non smioti-que (le
rfrent).1 Cette position s'explique dans une large mesure par le
type de discours que choisit Montaigne : la reprsentation du
"cours de sa vie." Dans cet essai tardif o, contrairement aux
premiers essais, le poids de l'autobiographie pse si lourd, il s'agit
d'obtenir une adhsion totale du lecteur la vracit, la fidlit du
portrait: cette "approbation publique" qu'il recherche, quitte
concder plus loin qu'elle est "un trop incertain et trouble
fondement" (785b).
Le narrateur se dclare "heureux outre [son] mrite" s'il peut
"faire sentir aux gens d'entendement" cette conformit du livre
son auteur. Le projet autobiographique rclame donc, pour tre
crdible, une dmonstration de fiabilit; et cette fiabilit
120
sera d'autant plus grande que Montaigne se sera donn publiquement un visage priv, par, si l'on peut dire, des dfauts qui le
rendent vridique. Tel est le "pathos" montaignien de l'authenticit
narrative.2
De l, en ce dbut d'essai III, 2, le recours la banalisation du
portrait qui sert de complmenttout en l'explicitantau
particularisme de l'individu "reprsent": "Je propose une vie basse
et sans lustre, c'est tout un" (782b). Une "vie populaire et prive,"
nous assure-t-on, reflte aussi bien la nature humaine qu'une "vie
de plus riche estoffe" car "chaque homme porte la forme entire de
l'humaine condition" (ibid.). Cette protestation d'humilit prend la
forme du rabaissement tout au long de cet essai: "vie basse et sans
lustre" (782b), "ce bas exemple" (786c), "ces actions basses et
prives" (787b), cette "vie retire" (ibid.), cette "exercitation basse
et obscure" (ibid.).
Si Montaigne insiste sur la modestie, la mdiocrit de sa vie
en la comparant celle de son projet littraire, s'il nous dtourne
des "actions esclatantes" (787b) pour considrer la banalit d'un
quotidien sans hrosme, c'est pour mieux nous acheminer vers
l'intrieur, vers ce fameux "dedans" auquel tend toute la rhtorique
des Essais. Une "vie basse" refuse toute nostalgie des sommets
("L'homme ne peut estre que ce qu'il est," II, 12, 501a). Elle se
satisfait du rase-motte, trop contente de rester, tel Panurge, sur le
plancher des vaches. Montaigne a horreur des lvations, des
ascensions; elles lui donnent le vertige. Il cherche constamment des
points d'appui o il puisse trouver une assise stable. Puisque "le
monde n'est qu'une bran-loire perenne" (782b) et que "la constance
mesme n'est autre chose qu'un branle plus languissant," alors tous
les stratagmes sont bons pour trouver quelque asseurance, quelque
position de repli soustraite la drive universelle. Ecrire les Essais,
c'est en un sens mettre l'preuve, un un, ces stratagmes. Devant
l'impossibilit congnitale de l'homme se rsoudre, Montaigne va
tenter de s'essayer, de se saisir dans ses mouvements les plus
fugaces pour les fixer sur le papier: "Si mon ame pouvoit prendre
pied, je ne m'essaierois pas, je me rsoudrais; elle est tous-jours en
apprentissage et en espreuve" (782b).
Comme l'a rappel opportunment Jean Starobinski, Mon-
Franc,ois Rigolot
121
taignc sait que l'me c'est l'me, une substance fluide, perptuellement changeante; et que le corps c'est le corps, matire
pesante, opposant son inertie aux exigences de l'me. 3 L'expression
"si mon ame pouvoit prendre pied" signifie au figur: "si je pouvais
me rsoudre une bonne fois pour toutes"; mais, au propre, elle
correspond vouloir transformer l'me en corps, la dfaire de sa
fluidit pour lui donner une pesanteur corporelle. C'est l, bien sr,
une impossibilit, voire une absurdit. On pense au mot de
Mascarille: "Mon cur est corch depuis la tte jusques aux
pieds." La ractivation de la mtaphore, sa "dlexicalisation,"
signale la fois le dsir d'arrter l'phmre, de fixer l'vanescent,
et la reconnaissance quasi comique, c'est--dire humaine, de son
impossibilit.4
Aussi lorsque Montaigne dclare: "Je propose une vie basse et
sans lustre," donne-t-il sa prfrence pour un tat symbolique o
l'me et le corps sembleront le moins cartels possible, les plus
proches de la symbiose harmonieuse laquelle il donnera le nom
de "rglement" (787b):
C'est une vie exquise, celle qui se maintient en ordre jusques en son priv, Chacun peut avoir
part au battelage et reprsenter un honneste personnage en l'eschaffaut, mais au dedans et en
sa poictrine, o tout nous est loisible, o tout est cach, d'y estre rgl, c'est le poinct. (786b)
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La vie "basse et sans lustre" est promise, en somme, une glorification future, grce "l'approbation publique" garantie par la
rhtorique de la rfrentialit, ce "coup de force" de la mimsis.
Comme le dira plus tard Pascal, "nous sommes embarqus"; et
Montaigne fait tout ce qu'il peut pour crer les conditions optimales
de cet embarquement. Dans un alongeail tardif, par exemple, il
emploie la premire personne du pluriel pour lier le lecteur son
entreprise d'abaissement. Et c'est le fameux: "Abattons ce cuider"
(426c). Ce "nous" communautaire peut d'ailleurs s'employer
ironiquement en sens inverse: pour tourner en drision l'effort de
cet "autre," de cet "outre cuydant" nomm l'homme qui, tel la
grenouille de la fable, "s'enfle et se travaille" au point d'en crever
(mais ici c'est Montaigne qui crve le ballon qu'il vient de gonfler):
"Estirons, eslevons et grossissons les qualitez humaines tant qu'il
nous plaira!" (512b). L'interpellation la seconde personne prendra
encore mieux partie cet tre drisoirement prsomptueux, en
mimant comi-quement son enflure grotesque: "Enfle toy, pauvre
homme, et encore, et encore, et encore" (ibid.). Rabaissement
ironique que viendra sceller le vers satirique d'Horace: Non, si te
ruperis, inquit [Non, pas mme si tu en crevais, dit-il].5
Mieux vaut donc, selon Montaigne, s'en tenir "aux crances
communes et legitimes" (784b) et vivre "une vie prive qui n'est en
montre qu' nous" (785b). Autrement dit, ne pas monter sur
"l'chaffaut" (l'estrade), ne pas grimper sur "les hauts throsnes"
(788c) comme il dit, mais se sou met tic au mouvement, au
"branle" universel qui, paradoxalement, individualise et particularise dans le temps toute "essence" humaine.
123
Franois Rigolot
("est pourquoi Montaigne refuse le repentir: "Excusons icy ce
que je dy souvent, que je me repens rarement" (784b). La formule
est frappante et la triple assonance en [en] lui donne valeur de
devise ou de rime dans un encadrement prosaque. Se repentir, en
effet, ce serait aller rebours du temps; ce serait refuser sa
temporalit pour grimper sur le trne de l'absolu. En tant qu'il
implique un "dsaveu" du pass (786b), le repentir est une attitude
anti-naturelle vis--vis de l'coulement de la vie, de la fluidit de
l'existence. Se repentir, ce serait en somme tenter de remonter la
pente du temps, chercher l'tre au lieu d'accepter le passage: "Je ne
peints pas l'estre. Je peints le passage" (782b).
Le "je" qui parle dans les Essais reprsente l'homme de l'instant
prsent, instant qui, autre paradoxe, s'ternise ds qu'il se peint sur
la page. Or le texte mme des Essais s'affirme aussi comme un
texte de l'instant prsent. Le point de vue de l'observateur s'y
dfinit, au cours des ditions, comme celui du moment de la
rcriture. Les additions successives, les fameux alongeails,
prononcent le caractre instable, la "branloire perenne" de l'essai
dont le terme mme est incertain. S'essayer, ce n'est pas se prendre
ou se saisir; c'est se goter, se tter, s'prouver autant de
synonymes sur lesquels joue l'auteur des Essais.
Il y a d'ailleurs une rhtorique de Yalongeail comme il y a une
rhtorique de l'authenticit. La phrase clbre: "J'adjouste, mais je
ne corrige pas" (941b) est manifestement fausse. Montaigne'se
corrige; il y a mme de nombreuses ratures, surtout aprs 1588. Et
sur ce point il faut noter la variante apporte tardivement au dernier
essai de 1580. Le texte original portait: "Je ne corrige point mes
premieres imaginations par les secondes" (736a). L'exemplaire de
Bordeaux ajoute aprs ces mots: "Ouy Fadventure quelque mot,
mais pour diversifier, non pour oster" (737c). C'est videmment
jouer sur les mots-pour imposer une "rhtoricit" au passage. En
criture aussi Montaigne "se repent rarement."
Le repentir est d'ailleurs inefficace. Il pse sur l'me inutilement.
"Il n'est personne," crit Montaigne, "s'il s'escoute, qui ne
descouvre en soy une forme sienne, une forme maistresse, qui
luicte contre l'institution" (789b). Or cette "forme" s'exprime aussi
en tant que pesanteur naturelle de l'tre ("Je me
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l'anois Kigolol
"saigne pied pied" (796b) sur le sujet observ, le texte doit
rapporter cette observation selon un mouvement semblable, en
suivant la mme pente. L'essai "Du repentir" se terminera donc en
associant vieillesse et repentir: "Au demeurant, je hay cet
accidentai repentir que l'aage apporte" (793b). Si Montaigne dteste
tant la vieillesse, c'est surtout parce qu'il a peur qu'elle n'altre ses
facults et ses dsirs tout en lui faisant se reprocher de n'en avoir
pas joui comme il fallait. Il voudrait pouvoir rester fidle luimme, sa "forme maistresse," toute sa vie; et il emploie un
adverbe prcisment driv du mot "forme" pour le dire: "Je me
veux presenter et faire veoir par tout uniformment" (794c). Il
aimerait pouvoir accepter la pente naturelle de la vie sans la
"repenser," sans la "re-peser"; en somme, sans se repentir: "J'en ay
vu l'herbe et les fleurs et le fruit [de la vie]; et en vois la scheresse.
Heureusement, puisque c'est naturellement" (ibid.). La vieillesse se
fait pressante; il rsiste le mieux qu'il peut ("Je soustien tant que je
puis," 796b). Il tente de s'embusquer contre elle dans toutes sortes
de "retranche-mens"-et la rdaction de ses Essais n'en est pas le
moindre. La mtaphore militaire prpare la chute finale de l'essai
qui est aussi celle du protagoniste: celui-ci tombe, plume en main,
comme un soldat au champ d'honneur: "A toutes avantures, je suis
content qu'on sache d'o je seray tomb" (796b).
Tels sont les derniers mots de l'essai "Du repentir." Le verbe
"tomb" signale la fois la mort du hros et l'arrt de l'criture.
Certes Hugo Friedrich avait raison de placer ce chapitre au nombre
des essais o Montaigne montrait qu'il tait "un matre de la pointe
ramasse."9 Mais en cet instant le livre n'est plus "consubstantiel
son autheur"; une bance s'ouvre entre le discours et le sujet qui
l'crit. De l le recours au futur antrieur ("d'o je seray tomb"),
projection d'un avenir dont il faut ncessairement parler au pass.
Ainsi, si Montaigne nous dit choisir "une vie basse et sans
lustre" c'est aussi par crainte de tomber avant la chute finale, la
mort de l'homme et la fin des Essais. Il ne veut pas ressembler ce
haut magistrat qui, rentrant chez lui, "laisse avec sa robbe ce rolle":
"il en retombe d'autant plus bas qu'il s'estoit plus haut mont"
(787b). Les -coups, les "secousses" comme il dit
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Franois Ritfolot
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Franois Ki^olol
la "repentance" serait une re-pesniicc ou uni* rc pcitsunce, ce qui
est finalement la mme chose.
L'tymologie populaire ou potique oliv, en outre, une confirmation insolite de cette dcomposition remotivante. Au premier
livre de ses Bigarrures, dans le chapitre 11 intitul "Des rebus de
Picardie," Tabourot des Accords rapporte l'anecdote suivante :
Le pape Clment interrogeant son maistre d'hostel, pourquoi il portoit la Pentecoste entaille
en une mdulle, il luy fit response: Perche il mio amore mi pente et mi coste, c'est dire,
pource qu'il se repentoit de ses amours, et qu'elles luy coustoient beaucoup. ls
Ce texte contemporain des Essais exhibe un exemple de plaisanterie sur la Pentecte (il y en a d'autres chez Rabelais) qui associe
verbalement, par le biais de la devise italienne, la "pente" au
"repentir." Or, si une telle remotivation peut tre comique, c'est
qu'elle fait appel des mcanismes primaires d'association,
aisment dcelables et donc communment perceptibles une
poque donne.
Deux remarques lexicologiques doivent tre faites ce sujet.
Tout d'abord il faut rappeler qu'on trouve, avant Montaigne, des
exemples dans la littrature franaise o les mots "pesance" et
"pentance" sont textuellement associs. Ainsi, dans sa traduction
des Ethiques d'Aristote, Nicole Oresme crit: "[Une fois la faute
commise] l'en a tristece, desplaisance, et pesance ou repentance."16
On peut rapprocher cette phrase de celle, dj cite, des Essais: "Si
la repentance pesoit sur le plat de la balance, elle en-porteroit le
pch" (791b). Il est d'ailleurs inutile de se demander si Montaigne
avait lu YAristote d'Oresme, encore qu'une lecture de ce genre soit
loin d'tre paradoxale chez un anti-aristotlicien notoire comme lui.
Mais la question des sources offre ici peu d'intrt. L'essentiel est
d'arriver tablir une configuration plausible de signifiants qui
rende compte, au moins dans une large mesure, de l'engendrement
du texte par remotivation smantiqueet cela, sans exclure les
exigences de la vraisemblance philologique.
Il faut rappeler ensuite que Montaigne est trs sensible la fois
l'tymologie latine des mots franais qu'il emploie et aux
ressemblances formelles, aux homophonies du langage en gn-
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l'ian^oiN Kip.nlnl
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NOTES
1. Pour la terminologie nous renvoyons au Dictionnaire raisonn de la thorie du
langage de A.J. Greimas et J. Courtes (Paris: Hachette, 1979). Lorsque la rfrence s'instaure
entre le texte et d'autres textes, il faut alors parler d'intertextualit.
2. C'est en ce sens que Jean Starobinski parle du "pathos de l'expression fidle." "On
ne s'tonnera donc pas de voir Rousseau reprendre Montaigne et aux pistoliers latins le
quicquid in buccam venit, pour lui attribuer, cette fois une valeur quasi ontologique: la
spontanit de l'criture, calque en principe sur la spontanit du sentiment actuel (lequel se
donne comme une motion ancienne revcue) assure l'absolue authenticit de la narration."
"Le Style de l'autobiographie," Potique, 3 (1970), 263.
3. "Montaigne en mouvement (Fin)," Nouvelle Revue Franaise, 86 (fvrier 1960),
260.
4. Les expressions o figure le mot "pied" sont nombreuses. Citons: "planter son
pied" (II, 17, 629b); "gaigner pied pied" (III, 2, 796b); "aller de la plume comme des pieds"
(III, 9, 969b).
5. Ibid. Voir aussi, pour une autre expression de l'enflure, III, 8, 920b ("Ils aymoyent
tant s'enfler") et III, 10, 989b ("Ils enflent et grossissent leur ame et leur discours la
hauteur de leur siege magistral").
6. Cf. Carol Clark, The Web of Metaphor: Studies in the Imagery of Montaigne's
Essais, French Forum Monographs, 7 (Lexington, Ky.: French Forum, Publishers, 1978), p.
96.
7. Au dbut du chapitre "Sur des vers de Virgile," le vice est encore considr parmi
les sujets "graves et qui grvent" (818b).
8. Article cit, Nouvelle Revue Franaise, p. 265.
9. Montaigne, trad. R. Rovini (Paris: Gallimard, 1968), p. 362.
10. Voir aussi I, 37, 225a: "Rampant au limon de la terre, je ne laisse pas de
remerquer, jusques dans les nues, la hauteur inimitable d'aucunes mes heroiques"; II, 17,
628b: "La plus basse marche est la plus ferme. C'est le siege de la constance"; I, 42, 258a:
"Ma hauteur m'a mis hors du commerce des hommes."
10. Penses et opuscules, d. Brunschvicq, section II, No. 63.
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12. Cf. M. Rat, Introduction l'dition de la Pliade, p. 6. Le mot de Gide est cit par
Guy Mermier dans son article, "L'Essai Du repentir de Montaigne," French Review, 41
(1968), 485-92.
13. Cf. J. Starobinski, Les Mots sous les mots (Paris: Gallimard, 1971), cjui offre un
commentaire aux dcompositions de Saussure et propose de voir dans l'anagramme une
"palilalie gnratrice" (p. 150 sq.).
14. Voir Albert Dauzat, Dictionnaire tymologique de la langue franaise (Paris:
Larousse, 1938) et O. Bloch et W. von Wartburg, Dictionnaire tymologique de la langue
franaise (Paris: Presses Universitaires de France, 1960).
15. Rimpression de la 5e dition (1586) avec quelques variantes de la 2e (1584)
(Bruxelles, 1866), p. 109.
16. Les Ethiques d'Aristote, mises en franoys et commentes par Nicole Oresme
(Paris: A. Vrard, 1488), p. 60. Termine en 1370, cette traduction est la premire en franais
de la Morale Nicomaque. Villey note que Montaigne a fait "une vingtaine d'emprunts cet
ouvrage aprs 1588" mais sans prciser quelle dition. Il ajoute, de faon quelque peu
sibylline: "on peut supposer qu'il possdait les Opera d'Aristote." Les Essais, d. P. Villey et
V.-L. Saulnier (Paris: Presses Universitaires de France, 1978), I, xlii, note 2.
17. Nous, Michel de Montaigne (Paris: Seuil, 1980); voir aussi notre Potique et
onomastique (Genve: Droz, 1977), p. 235 sq.
18. Cf. A.J. Greimas, Smantique structurale (Paris: Larousse, 1966).
19. Cf. U. Eco, "Peirce and Contemporary Semantics," Versus, 15 (1976), 49-72; M.
Riffaterre, "Smiotique intertextuelle: L'interprtant," Revue d'Esthtique, 1-2 (1979), 12850.
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