Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Kafka Par Crumb

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 89

La collection Actes Sud BD est dirige

par Thomas Gabison et Michel Parfenov

David Zane Mairowitz

Robert Crumb

I<afka

Titre original:

Kafka for Beginners


Editeur original: !con Books Ltd, Cambridge
David Zane Mairovitz, 1993 pour le texte

Robert Crumb, 1993 pour les illustrations


Adaptation franaise de Jean-Pierre Mercier
revue par Karine Herv
avec la collaboration de Grgoire Rouchit

Actes Sud, 1996, 2007


pour l'dition franaise
ISBN 978-2-7427-6573-7
Direction artistique:
Thomas Gabison

...
-:......
.',

... ... -

~ ~

..". .,
,

>

-".

Durant presque toute sa vie, Franz Kafka imagina sa disparition


au moyen de dizaines de mthodes soigneusement labores. Celles
qu'il a consignes dans ses journaux parmi des plaintes triviales sur sa
constipation ou sur ses migraines sont souvent les plus frappantes:

Kafka essaya de transformer cette terreur intime, parfois dlicieusement dcrite - de lui-mme, dchir et mutil - en un conte destin
aux autres. Il n'avait aucun point de vue sur le monde faire partager, aucun principe philosophique, seulement des rcits blouissants
issus d'un inconscient extraordinairement prcis. Au mieux, une
ambiance s'exhale de ses textes, mystrieuse et difficile dfinir.
C'est ce qui a autoris les "charcutiers" de la culture moderne le
rduire un adjectif.

O!JI,

LA SITUATtON
LA-SAS EST TRES
k4FkJYNNE EN
CE MOMENT...

Aucun crivain contemporain, et sans doute aucun depuis Shakespeare,


n'a t ce point dcortiqu et tiquet. Jean-Paul Sartre l'a proclam
existentialiste, Camus voyait en lui un crivain de l'absurde, Max Brod,
son ami et diteur, a convaincu des gnrations d'tudiants que ses
paraboles s'inscrivaient dans la qute minutieuse d'un Dieu hors
d'atteinte.
Comme ses romans Le Procs et Le Chteau traitent de l'inaccessibilit
d'une autorit suprieure, l'adjectif "kafkaen" a fini par tre associ
au systme bureaucratique sans visage que le trs efficace Empire
austro-hongrois a lgu au monde occidental. De toute faon, celui-ci
a acquis notre poque des proportions quasi mythiques, irrvocablement li des fantasmes de perte et de mlancolie, escamotant le
trs subtil humour juif qui imprgne pourtant le cur de l'uvre.

Avant mme de devenir un "adjectif", Franz Kafka (1883-1924)


tait un juif de Prague, n au sein d'une tradition toujours maintenue
de conteurs et de fantaisistes, d'habitants du ghetto et d'ternels
rfugis. Sa Prague, "une petite mre" avec des "griffes", tait un
lieu qui l'touffait, mais o nanmoins il choisit de vivre toute sa
vie, exception faite des huit derniers mois de son existence.
Prague, au moment de la naissance de
Kafka en 1883, faisait encore partie de
l'empire des Habsbourg de Bohme, o
de nombreuses langues et tendances sociopolitiques coexistaient et mme s'entremlaient pour le meilleur et pour le pire.
Pour quelqu'un comme Kafka, Tchque
de langue allemande, qui en ralit n'tait
ni Tchque ni Allemand, se constituer une
identit claire n'tait pas des plus facile.

Il va sans dire que, pour un juif, la vie tait un quilibre difficile


trouver dans un tel environnement. On s'identifiait d'abord la
culture allemande, mais on vivait parmi les Tchques. On parlait
allemand parce que c'tait proche du yiddish et que c'tait la langue
officielle de l'Empire. Le nationalisme tchque prenait l'ascendant
sur la domination allemande et, de faon gnrale, les Allemands
traitaient les Tchques avec mpris. Et bien sr, tout le monde hassait
les juifs.

y compris, videmment, de nombreux juifs "assimils" qui, comme


le pre de Kafka, ne voulaient pas que leurs cousins plus pauvres
de Pologne ou de Russie, les Ostjuden, leur rappellent leur statut
d'trangers. De nombreux juifs aiss deviendront plus tard sionistes
et apprendront l'hbreu, rejetant le yiddish, qu'ils considreront
comme une langue btarde.
Le mouvement sioniste, fond en 1897 par Theodor Herzl, affirmait
que les juifs, disperss autour du globe, devaient fonder nouveau
leur patrie en Palestine. Au milieu des nombreux mouvements
nationalistes alors que svissait un antismitisme rampant, ce sionisme
naissant joua un rle essentiellement protecteur qui attira beaucoup
des contemporains de Kafka.

Sous ses pieds reposaient, ensevelis l depuis sept sicles, les ossements et les mes
de mystiques juifs, d'rudits hassidiques, de
kabbalistes secrets, d'astronomes, d'astrologues, de rabbins fous et autres visionnaires
qui, en leur temps, n'avaient que trs rarement le droit de vivre en dehors du ghetto
ou mme de le quitter.

Ces affrontements
au sein de la communaut juive
taient monnaie
courante pour
le jeune Kafka,
qui a grandi au
cur d'un des
plus vieux ghettos
d'Europe.

Cette Prague-l avait ses propres saints talmudiques, dont aucun ne fut plus clbre ou
plus rvr que le rabbin Judah Loew ben
Bezalel (1512-1609), surnomm le "Maharal"
(acronyme de "plus vnr de tous les professeurs et de tous les rabbins"), qui fut le grand
sage et le guide spirituel du ghetto la fin
du XVI" sicle. Philosophe, astronome, naturaliste, astrologue, Loew fut l'archtype mme
de l'humaniste de la Renaissance.
Le "cercle troit" de Kafka, connu sous
le nom de Josefov, s'enroulait dans un
rseau complexe de rues et d'alles (Judengassen) sombres et tortueuses qui s'tendaient depuis les limites du Vieux Carr
de Prague jusqu'au fameux pont Charles
qui enjambe la Vltava
(Moldau). Dans sa jeunesse, il y avait six synagogues dans ce quartier
surpeupl, et de magnifiques btiments baroques accots des taudis
infests de rats.

.+a

if\~

-- ..

+)+

Ces critures interdites figurent dans une des lgendes les plus clbres
de Prague, qu'on associe invariablement - tort ou raison - au
rabbin Loew.

LE &OLEM EST, EN EfFET,


LE fRAN~ENSTE'N JUIF,
UN AMAS D'AR01LE ANIM
PAR SON GRATEUR, DOT
D'UNE PUISSANGE 01&ANTEsaUE DONT IL N'EST
GAPAgLE DE SE SERVIR
QUE DANS DES LIMITES
PRDFINIES. LA L0ENDE
VEUT QUE LE RMglN
LOEW, AFIN DE DONNER
LA VIE GE TAS DE gOUE
INERTE, AIT INSGRIT
LE SI0NE I-tgREU EMtT/-I
(VRIT) SUR SON FRONT.

LE &OLEM DEVINT ALORS


UNE SORTE DE SEfotVITEUR
ET DE PfotOTEGTEUfot DU 0l-tEno.
MAIS ~N NE LUI PERMIT PAS,
glEN SUR, DE TRAVAILLER
LE JOUR DU SASgAT ET,
TOUS LES VENDREDIS SOIR,
LE RMglN DEVAIT EfFAGER
LA PREMIRE LEnRE, ALEP'"
LAISSANT MEM ET T.4W;
QUI ENSEMgLE SI0NIFIENT
MW (MORT) EN I-tgREU.
MAIS LE SAMEDI O LE
MAI-tARAL OUgUA D'EfFAGER
LA PREMIRE LEnRE...

A son gendre et son disciple, avec qui il avait


fabriqu le Golem, Loew dit :
LE lW>SIN
LOEW AARIVA
LA SYNA&ObUE
JUSTE TEMPS
POUR EfFAc..ER
TOUfES lES
lEITRES, ET
AINSI lUI
TER LA VIE.

"N'OtIbli~],j4M4is uf
ivilwH~"f. QI/ il Soif

l'OUI" vOUS "'''~ I~o'"

MilH~ I~ Go/~1H l~ flvs

fJ4rf4if, d 1."'i 4 ~fi


do"" 14 vi~ fJOtIl""OUS

fJI7>fi9~r; fJ~uf 4isilH~"f

S~ ft'4wsfrmH~I"~" "'''~

{oI"U d~sftuc.ft'iu.
Avssi, ft'4ifo"s 4V~C.
fJ1'Ud~"u u 1"'i ~sf {ol"f,
fot,tf c.olHlH~ "OUS

"ovs

i"di"o"s 4V~C. bowfi

~f fJ4fi~"u v~1"S fot,tf

u 1"'i ~sf f4ibk r~


c.hos~ 4 SOIF ~lHfJS

S4fJI4U."

.........
~..............

Ce ne fut pas la fm du Golem.


On rapporte que ses restes
furent dposs dans le grenier de la synagogue Altneu
(ancienne-nouvelle), l'un des
btiments dont l'apparence
est la plus sinistre du ghetto
de Prague, o, parat-il, la
dfunte crature reposerait
encore aujourd'hui, l'entre
de la pice o il se trouve
tant scelle pour l'ternit.
Juif non pratiquant et non
religieux, mentionnant rarement les lgendes du ghetto
dans ses uvres, Kafka ne
pouvait pas chapper l'emprise fantastique qu'elles
exeraient sur la mmoire
sociale d'un juif de son milieu
et de son poque.

Toutefois, malgr les connotations


de l'adjectif, ce n'est pas Kafka
qui donna sa "sinistre" rputation
littraire au ghetto, mais plutt
un non-rsident et un non-juif
nomm Gustav Meyrink. Le roman
mlodramatique et laborieux
de Meyrink, Le Golem (1913),
parle de meurtre et d'intrigues,
de sombres alles malsaines o
le Golem est un personnage
terrifiant qui apparat tous les
trente-trois ans, " l'afft, tapi
dans l'ombre... de la terrible et
inaltrable devise du ghetto".

Cependant, une fois entam le plan de nettoyage "sanitaire", beaucoup parmi les juifs les plus pauvres refusrent de partir. Aussitt
que les murs d'enceinte menaaient de s'crouler, ils dressaient des
grillages mtalliques pour les remplacer.

",,-Ilo.a;a~

Mais ce que
Meyrink nota
aussi, et ce avec
quoi Kafka luimme grandit,
fut la dmolition
d'une partie du
ghetto en 1906.

Plus tard,
Kafka
parlera
du ghetto
comme de
"ma cellule
- ma forteresse".

Pour Meyrink,
le ghetto de Prague
avait t un "monde
souterrain dmoniaque,
un lieu d'angoisse, un
quartier ncessiteux
et fantasmagorique
dont l'tranget semblait
l'avoir men sa
___ dmOl:alisatioU:.

--

,-

_-..

Quand Hermann Kafka ouvrit son magasin de nouveauts en 1882,


ce fut dans la rue Celetna, juste en dehors des limites du ghetto. Selfmade-man ayant connu l'extrme pauvret, il fit tout ce qu'il put pour
prendre ses distances avec la communaut juive, allant mme jusqu'
dclarer officiellement sa famille comme tchque. Ce qui ne l'empcha pas de faire passer sa bar-mitsva son fils, et de le traner avec lui
dans ses sorties de convenance la synagogue, deux ou trois fois l'an.

Le mouvement hassidique moderne fut fond en Pologne au XVIII" sicle


par Ba'al shem Tov, qui appelait une renaissance spirituelle, pas
seulement par la prire, mais aussi travers le chant, la danse et
la joie extatique.

Ce qui excitait Kafka, et qui eut coup sr un impact sur ses histoires,
fut le versant mystique, antirationnel du hassidisme, o s'exprimait une
continuit entre la ralit terrestre et la ralit cleste, o la valeur
mystique tait trouver dans les dtails de la vie quotidienne, o Dieu
tait partout et facile contacter.

Pour le jeune Kafka, ces occasions furent "les esquisses prliminaires faites
en enfer en vue de la vie future dans
un bureau".

"

/Z.. tSAA.L BEN EL/EZER.


(/698-/760 ENVIRON)
PLUS GONNU SOUS LE NOM DE

BA'AL ~I-lEM (gir/sser) rov


EXERfAIT LA PROFESSION
DE GOLPORTEl1R D'AMULETTES.

Le rapport qu'entretenait Kafka avec ses origines juives resta ambigu,


except vers la fin de sa vie quand il envisagea srieusement de
s'enfuir en Palestine. Contrairement ce qu'en disent certains critiques,
il ne montra en fait que peu, voire aucun intrt pour le judasme
en tant que religion (ni pour la religion en tant que telle d'ailleurs) .

_~

u,_ _

........

~ _

Pour tout jeune juif


qui vivait Prague
au tournant du sicle,
il tait impossible
d'oublier la froce
haine antismite
qui l'entourait.

Les rcits de Kafka contiennent peu de rfrences manifestes au


judasme, et si son environnement l'influena, il semble pour l'essentiel l'avoir gard pour lui-mme. Cependant, l'anive Prague d'un
petit thtre yiddish venu de Pologne allait le marquer profondment.

1>ieu 4de 14 J 4HU 4u f4r4dis

11

H''f 4 ft:lS

~is

dejuifs dei- 7u/:

4 vetlf dire, 14be1!e ttff4ire,

QJ ils SOI1fbieH plus HOrl17nUX surferre.

Que -fous les prtlVes debonHe ftlMille


Leurbrisenfle crdHe CiJf'rlMe (,(He <;otpille.
~r les Choses 11JHfbieH Mieux
54HfJ UH si/juifdev4nf HOS$UX.

Les Westjuden de Prague ne voulaient pas entendre parler de ce


Schmalz outr (sentimentalisme mlodramatique juif -littralement
"graisse" ou "gras"), rappel brutal de la vie du ghetto. Pour la plupart, ils ddaignaient les comdiens yiddish. Non seulement Kafka
alla les voir presque tous les soirs, mais il commena mme tudier leur tradition, et s'intressa au yiddish en tant que langue. Et s'il
~__Jait konsent d_e 'exagration de leurs intrigJ,!~e~s~il~e~'t~a~it~n~~a~nm=o:::.l~
n~s

On attribuait aux juifs toutes les


horreurs imaginables - vampirisme
::.co~m:.::!:p~n::::
s_-.:";;::ch~a:::c:un:::::e~s.:::.e~n::o~u~m~ s~s~an~t~d=-e_

En avril 1899 (Kafka avait


alors seize ans), juste l'poque
de Pessakh (pque juive), on
dcouvrit en Bohme le cadavre
d'une jeune chrtienne de dixneuf ans, la gorge tranche.
Immdiatement le bruit se rpandit
qu'on l'avait "rendue casher"
(littralement "prte l'usage",
en accord avec les rgles dittiques juives). Un cordonnier
juif, Leopold Hilsner, fut
dnonc sans preuve et sur
faux tmoignage, puis jug
et condamn mort. La peine
fut ensuite commue en prison
vie. Pour Kafka, dont le grandpre avait t boucher casher,
ces clameurs de meurtre rituel
ont d avoir quelques rsonances ...

Mais aucun mythe antismite n'tait plus


rpandu en Europe que celui du ...

,.'

Mais de faon plus immdiate pour lui et sa famille, dans le sillage


de l'affaire Hilsner se dveloppa une vague de boycottages, accompagns d'meutes antismites et d'attaques de magasins juifs.

L'ide tait que,


afin de fabriquer
leur matzos (pain
azyme qu'on mange
surtout lors de
la pque juive),
les juifs utilisaient
du sang chrtien
plutt que de l'eau
pour lier la pte.

Kafka n'a jamais t de ceux


qui se faisaient harceler ou
agresser dans la rue parce qu'il
tait juif ou qu'il en avait l'air.
Cependant, mme en tentant
de s'abstraire du contact direct
avec ces vnements, il lui tait
impossible, comme la plupart
des juifs, de se dissocier du
destin collectif.

"QU'AI-JE DONG DE
GOMMUN AVEG LES JUIFS '?
CEST PEINE SI J'AI QUELQUE
Gl-tOSE DE GOMMUN AVEG
MOI-MME 1" _ _- -

A l'instar des nombreux juifs


assimils, l'une des choses qu'il
avait d "assimiler" tait une "salubre"
dose d'antismitisme. Beaucoup de
juifs de cette poque (ou de n'importe
quelle autre) absorbaient la menace
quotidienne de l'antismitisme et
la retournaient ensuite contre euxmmes. Pour ce qui est de la haine
du juif envers lui-mme, Kafka
n'tait pas une exception...

"'IL ME PREND PARfOIS DES ENVIES


DE FOUFtRER TOUS LES JUIFS (MOI
c..OMPRIS) DANS LE TIROIR D'UN
COFFRE UNbE... PUIS DE L'OUVRIR
POUR VRIFIEFt
QU'ILS SONT
TOUS ASf'l..tyXIS..."

...

c~

QUI, 1>ANS

Le 1>N IbReMeNT
PLEIN D'HUMOUR
De SOI-MME,
eST EX/lCJPfifEIY7'
ce QU'IL AVAIT
eN COMt-AUN
Avec Les JUlFS

Mais tt ou tard, le plus


extrme des juifs qui se
dtestent eux-mmes doit
faire volte-face et rire de soi.
Chez Kafka, cette dualit
entre la mlancolie la plus
noire et l'humiliation de
soi est presque toujours
l'uvre. Le sentiment
"kafkaen" est le plus
souvent un amalgame
de terreur, d'angoisse
et d'amertume. Mais les
histoires de Kafka, bien
que sinistres, sont galement
presque toujours ... drles.

Ceux qui ont bien connu Kafka avaient l'impression qu'il vivait derrire un "mur de verre". Il tait
l, souriant, bienveillant, auditeur attentif, ami
fidle, et malgr tout inaccessible. Vritable paquet
de complexes et de nvroses, il parvenait donner
une impression de distance, de grce, de srnit et
parfois mme de saintet.

Hermann Kafka
(1852-1931)
Sa capacit refouler
sa peur des autres, et
la retourner contre
lui-mme plutt que
vers ce qui en tait la
cause, est la matire
de toute son uvre.
Elle n'apparat nulle
part mieux que dans
ses relations avec cet
homme ...

Kafka ~cut ~hez. ses parents pratiquement toute sa vie (y compris


quand Il devmt fmancirement indpendant et aurait pu dmnager), dans des pices confines, o son hypersensibilit au bruit tait
chaque jour mise l'preuve. Pour Kafka senior, taill comme un
gant, son f!ls tait un :at, un Schlemiel (bon rien, en yiddish) et,
pour tout dIre, une temble dception. Il ne manquait jamais de le lui
rappeler.

Ainsi pendant
les repas ...

La terreur que, toute sa vie, Kafka ressentit face au pouvoir, et que


les romans Le Procs et Le Chteau rendirent clbre, a pour origine
Hermann Kafka. Franz, qui craignait ses professeurs autant qu'il
les hassait, devait se rsoudre les considrer comme des Respektperson, des gens qu'il faut respecter pour l'unique raison
qu'ils sont en position d'autorit.
Mais il ne se rebella jamais. fi transforma plutt sa peur en haine de
soi ou en maladie psychosomatique. A chaque confrontation avec
l'autorit, il se plaa en position de coupable. Bien plus, comme dans
la relation classique entre matre et esclave, il se mit se voir travers
les yeux de son pre.

REUREUSSM6NT,

Je N'Al BESOIN D
peg.5ONNE poug. VOIR ClAIR
EN T01, MONSIeUR

MoN FILS!

VIENS DONC AVEC


TA FlANCE ET TU VE~MS
COMMENT JE VAIS
LA REGEVOIR !!!

Si Kafka tait en marge de son pays, de son environnement, de sa


famille, il tait galement tranger son propre corps. Trs tt la
honte marcha ses cts.

Ce ne fut pas la seule fois o Kafka fit en


sorte de se faire condamner mort. C'tait
ainsi. Le suicide n'tait pas possible.

AUJOURD'HUI,
MONSIeUR MON FILS,
VAr, APPReND~e
LA g,RA~SE !

,u

Mais la mort elle-mme


prenait trop de temps. Pour
Kafka, il y avait toujours une
autre solution: parvenir
disparatre. Les variations sur
ce thme sont multiples, bien
qu'il s'agisse toujours pour
lui de rapetisser. Son existence
en tant que telle tait une
offense la nature. Il se voyait
comme un objet, par exemple
un schelinge en bois pos
au milieu d'une chambre.

- ,,-"', '.--= '. ': ~ ~. '.-_::"


.;:;.
~

,-'

-.---- -

3:.-'9-

e;,,....... ~.

,,--

Ou encore: "L'image de mon


existence... est bien rendue
par celle d'un poteau inutile
couvert de neige... plant
lgrement et de travers
dans le sol, sur un champ
retourn ... la lisire d'une
grande plaine vu par une
sombre nuit d'hiver."

_ .... _.

lo --:....--...:.
....

Mais il ressentit aussi la honte et les complexes d'tre un strotype vivant du juif: genoux cagneux, poitrine rentre, couard, dont
l'intellect primait sur le corps. Adulte, Kafka suivra des douzaines
de programmes "d'hygine", rgimes, cours de mise en forme, etc.,
afin de lutter contre cette image.
Dans le mme temps, il tait suffisamment solide pour nager dans
la Moldau en plein hiver, faire de longues marches puisantes en
montagne, monter cheval. Pour accentuer encore la contradiction,
ses amis le dcrivent comme un dandy d'une lgance raffine,
presque un don Juan.
Mais l'ide fixe tait plus forte que les faits. Son manque de
~onfiance physique s'tait grav en lui ds l'enfance et le poursuivit
Jusqu' la fin.

C'est particulirement vrai


pour ce qui est du sexe,
avec lequel il ne sera jamais
l'aise, sauf peut-tre dans les
nombreux bordels de Prague...

rI':

}jls Gresor

Samsa ein.eS

Morgen.s aus
unrol.thijen

Trawnen el'....
wahte, fand
eT' sih. in sei -

nem.13ett zu

ein.em un.jheu-

ren. Ungeefer
veT'w/naelt."

l,
1

-:.

~ ..

--

..

Qu'y avait-il faire avec ce corps trop maigre, dgingand, gauche,


une honte pour les yeux et, de plus, encombrant pour les autres?
11 fallait le rduire, l'affamer, le cacher ou simplement le transformer
en une bestiole, de prfrence de celles dont le ventre touche le sol
et peut dtaler sans causer au monde trop de dplaisir.

JE M'HABIL.L.E roUI J)E -SUlrE,


J'EMBAL.L.E ME'> GHANIIL.L.ON'>
Er J''! VAl'>... JE vou'> '>UI'>
rEL.L.EMENr OBL.I&, MON'>IEU~
MON GHEf, vou'> L.E '>AVEZ
fo~r BIEN !... NE ME
~NJ)EZ PM L.A GHO'>E PLU'>
J)lffIGIL.E, EL.L.E L.'E'>r
J)J -SUffl'>AMMENr.
AU BU~AU, vou'>
vou'> J)EVEZ J)E
P~NJ)~ MON

Samsa, voyageur
de commerce,
pourvoyait aux
besoins de sa
famille. Grce lui,
son pre avait pu
prendre sa retraite,
et sa sur comptait
tudier le violon au
conservatoire.

PA~II

t}

Pour cette raison, la premire


personne, avec sa famille, tre
tmoin de sa transformation fut
le grant de sa firme qui s'tait
prsent parce que Gregor,
pour la premire fois de sa vie,
tait en retard son travail.

Dsormais, le monde
de Gregor s'altrait
de faon sensible.
Sa vision dclinait
au point qu'il ne
reconnaissait plus
la rue par la fentre
de sa chambre, qui
s'ouvrait maintenant
"sur un paysage
d'un autre monde,
o le ciel et la terre
se seraient confondus dans une seule
et mme grisaille".

Grete s'tait mis


en tte de retirer
tous les meubles
de la chambre, qui
pouvaient gner
les mouvements
de Gregor. Mais
elle n'tait pas en
mesure de le faire
. toute seule.

Dans l'immdiat, sa priorit tait


d'pargner le spectacle de sa vie
sa sur: "Il transporta un jour
son couvre-lit sur son dos jusque
sur le canap et le disposa de
telle sorte que lui-mme serait
dsormais entirement cach."

On lui enlevait
tout ce qui lui tait
cher... Il remarqua,
accroche trs visiblement sur le mur dj
mis nu, l'image de
la dame aux fourrures.
Cette gravure-l au
moins, personne ne
la lui prendrait.

Il grimpa jusqu'
elle toute allure
et se plaqua sur
le verre de l'encadrement. Il tait
coll la gravure
et n'en bougerait
pas. Plutt sauter
au visage de
Grete ! Sa mre
dcouvrit "l'norme tache brune
qui s'talait sur
le papier peint
fleurs" et
tomba vanouie
sur le canap.

&RETE COURUT
l-tORS DE LA Cl-tAMSRE
Cl-tERCl-tER DES SELS
POUR SA. MRE. &RE00R,
EN PROIE . LA PA.N IQUE
ET LA CONFUSION,
LA SUIVIT.

Se prcipitant
dans la chambre
de Gregor, Grete
claqua la porte,
l'abandonnant
seul dans la salle
manger.

Pendant quelques minutes, tout fut tranquille, mais son pre, qui
avait t contraint de renoncer sa retraite pour trouver un nouvel
emploi, rentra alors la maison. Gregor devait prsent tenter de
l'adoucir. Il rampa rapidement vers la porte et s'y pressa, pour
montrer qu'il tait plus que dispos y retourner calmement.

MAMAN

~'E,r VANOUIE,
MAI~

ELLE VA
bJ MIEUX."

&~&O~ ~'E~r

CHAPP!

JE M'Y ATfENPAlS !
JE VOUS L'AVAIS g,EN
DIT, MAIS VOU? AUT1Z.ES
FEMMES, VOUS NE
VOULEZ JAMAIS
1Z.IEN
ENTEND1Z.E !

,"

MAIS LE PRE
N'TAIT PAS
D'I-tUMEUR
ENTENDRE
GES FINE-'JSES.
" ,

lb es PeTITes pOMMes
ROuC?es ROULAIeNT
Tem eN se RURTM!, COMME Lec'OOses. L'UNe D'l.LSS,
~ce SANS FORce, --=:..... _7/~..-FROLA Le DOS De
GReGOR, r GLISSA
SANS LUI FAIRE: DE

M.PJ..,

RVMcRe,

ceLLe QUI SUIVIT


s'y eNFONA
LITrAAl.MENT.

l.A SOUfFRANc.E TAIT ATROGE, INGROYASLE.


DERNIRE GI-tOSE QUE &RE(:,OR VI] AVANT
~~ S'VANOUIR FUT "SA MRE SE PREGlPlfANT
GONTRE l.E PRE... ET LE SUPPLIANT DE LA''>SER
LA VIE SAUVE SON FILs".

Un mois passa.
Mfaibli par sa blessure,
la pomme suppurant
dans son dos, Gregor
tait prsent "couvert
de bouts de fil, de
cheveux, des restes de
mangeaille qui s'taient
accrochs son dos
et ses flancs ... ".
Sa sur bien-aime
jadis ne prenait plus
la peine de nettoyer
sa chambre.

Gregor maintenant incapable


de subvenir ses besoins, la
famille fut contrainte de prendre
trois locataires. Le penchant
pour l'ordre de ces hommes
srieux conduisit entreposer
le mobilier inutile et les dchets
dans la chambre de Gregor.

Gregor, entendant la
belle musique, s'approcha en rampant dans
la pice. "Un animal
aurait-il t mu ce
point par de la
musique ?"

A NE l'EliT fl.1i~ DliIl.EIl. .'


IL FAUT SE DBAR.RASSER DE~ GE MONSTRE!
ON A FAIT TOUT GE QUI ETAIT
I-tUMAINEMENT PO-SSIBLE POUR
L'AIDER. ON N'A RIEN SE
REPROUlER. !
NOUS DEVONS
OUBLIER QU'IL S'AbiT DE
&REbOR. -SI (..'TAIT &REbOR,
IL Y A LONbTEMPS QU'IL
SERAIT PAAll DE LUI-MME...
TANDIS QUE GEnE grE

NOUS PE1l.SCLlTE
TOUS !!

"'-

L REPeNSA SA. FAMILLe Avec MCfl0N


T'AMOUR. SOtl SENTIMEtlT CONc.E:RNAN1'
lA. Nc~SIT lMPAAItVE DE SA. Pll.OrRe
D'SPAAITIO~ TAIT, S'Il. se peUT, PlUS VIF
ENGORE; QUE caUI DE SA suR. IL DEMEURA
DANS CT' TAT DE VAWIT MDITATIVE er
SeREINE JUSQU' GE QUE lA. TRoISIME
I-lEU~ DU JOUR. eT SD.NN AJJ ClOCfl6R,
et' VCUT Etlcoj?S Le POWT DU JOUR. PU}$
SATTE F.ETOMSA SAbiS QU'IL PT L'E1'l

W~,

er $O~

DMI6R SOUFFLE

S'EXl-tAlA. De ~$ ~AAJ.N~S.

Cl

Au matin la femme
de mnage le trouva.

Etre dbarrass de la "chose"


insuffla une nouvelle vigueur
la famille. Ils allrent prendre
le tramway pour filer la
campagne. L'harmonie
de la nature tait
rtablie.

Kafka ne voulait pas que l'on reprsente l'insecte. A propos de la


couverture de la premire dition, il crivit son diteur, Kurt
Wolff: "Pas a, tout mais pas a. L'insecte lui-mme ne peut pas tre
reprsent. Il ne doit mme pas tre montr de loin." Ce qui a peuttre t sa manire de contenir l'horreur de la transformation.

Mais le plus extraordinaire de ses animaux, et celui qui est dot de


la conscience la plus aigu est sans doute la crature semblable
une taupe dans l'histoire claustrophobe intitule...

Plus probablement, la frontire entre ses sentiments concernant son


corps sous forme humaine et son statut d'insecte n'tait pas claire du tout.
Il est vrai galement que la mtamorphose de Gregor Samsa n'est
pas miraculeuse et peine effrayante pour le protagoniste lui-mme.
Elle advient, et il n'a pas d'autre choix que de s'y adapter. Ce qui
compte le plus dans cette fable formidable, ce n'est pas tant les souffrances de Gregor que celles qu'il inflige incidemment ses parents
et sa sur, refltant les propres sentiments d'inadaptation de
Kafka envers sa famille. (La description de l'appartement de Samsa
rappelle celui de Kafka dans la Nikolasstrasse.)
Il ne cessera jamais de se transformer en diffrents animaux, avec
une prdilection pour ceux qui peuvent ramper et dcamper en un
clin d'il, alors mme qu'il prouvait une terreur insense des souris.
Cependant, aucune de ces "mtamorphoses" n'est plus rpugnante
que celle de Gregor Samsa. Parmi les talents les moins reconnus de
Kafka, il y a celui d'crire des histoires animalires, en investissant
le point de vue de l'animal.
Plus tard Kafka se changera en chien (Les Recherches d'un chien) ; en
singe devenu plus ou moins humain (Communication une acadmie) ; en une souris qui chante (Josphine la cantatrice), etc.

Quand il se mit crire srieusement, Kafka fantasma sur un lieu de travail idal, coup du monde:
une cave isole o la nourriture lui serait apporte
et place derrire la porte la plus loigne. il n'aurait
qu' parcourir une courte distance pour la ramasser
et la manger avant de relancer sa crativit que les
contacts humains n'entraveraient plus. C'est ce qui
arrive au "je" du Terrier (Der Bau), une des rares
uvres de Kafka crites la premire personne. La
crature s'est construit un terrier avec des tunnels
qui s'entrecroisent, des monceaux de viande entreposs et un calme de forteresse.

En fait, Kafka allait dcouvrir des dizaines de


moyens de se dbarrasser de lui-mme, jusqu' la
fm, quand la tuberculose s'est charge de lui, alors
qu'il voulait enfm vivre.
N'ayant rien de l'hypocondriaque traditionnel,
Kafka fit non seulement de la maladie une mtaphore de son existence complique, mais en plus,
un moyen supplmentaire de se dtacher de sa
famille et bien sr de lui-mme. De faon trs
classique, il localisa son problme dans ce conduit
par o entre et sort la nourriture, parlant d'une
rupture dans la communication "entre l'estomac
et la bouche". Et quand cet ulcre d'allure trs
juive se calmait, la tension se dplaait vers le
haut, sous forme d'insupportables maux de tte.

E NE .$UlS PAS SEULEM.ENT'


PAIl. DES ENNeMIS

Me~E

exraueuRS. IL y AALlS$l
DES eN"~E.MJ5 D~S LES

ENTRAIllES DE LA 'feRRE.

JE N"E LES ~I J.M.A1$ WS i


lU ~NI' LEGENDAIRES,
MAIS J'y CROIS.

ON peuT
eNTe~[)RE

LeuRS
GRIFFeS

&AA1TER,

Le $Oos-

SOL, cerre

TERRE: QUI
EST LeuR.
TERRITOIRe',
er ALORS
ON" seNT

QU'O.N EST

PSRI>US.

Un tel "ennemi"
semble l'avoir
traqu, et le "je"
l'entend dans les
murs, il sait qu'il
est condamn. Il
sera pig, dchiquet
(comme toujours)
et n'aura pas la force
de rsister plus longtemps, bien qu' la
fin, il ne puisse tre
sr que la bte ait
rellement conscience
de sa prsence.

Il souffrait galement d'insomnie, de problmes


respiratoires, de douleurs rhumatismales dans
le dos, d'irritation de la peau. La calvitie, la dficience visuelle ou son orteil lgrement difforme
le paniquaient compltement et son hypersensibilit aux bruits le mettait dans un tat d'puisement presque constant.

En raction
aux effets de la
maladie il eut
recours, tout au
long de sa vie,
divers remdes
et cures naturelles
qu'on trouvait
souvent dans les
clbres sanatoriums
d'Europe centrale,
si nom breux
l'poque. Il s'initia
la mthode
Mueller - exercices
de gymnastique
devant une fentre
ouverte - qu'il
pratiqua durant
de nombreuses
annes.
Dans beaucoup de sanatoriums, le nudisme
tait la rgle. Mais il y avait une exception:

.\\1/

.." , \ \
.. "

,1

" \ \1,

,"

Tandis que sa famille mangeait des schnitzels et des Sauerbraten,


il se nourrissait surtout de lgumes, de noix et de fruits et, comme
si cela ne suffisait pas pour exasprer Hermann Kafka, Franz
dcouvrit galement les ides d'un Amricain nomm Horace
Fletcher, pour qui la panace tait la mastication. Chaque bouche
devait tre mche plus de dix fois.

nO

Kafka, petit-fils
de boucher casher,
devint galement
vgtarien,
affirmant que
la viande le faisait
se sentir comme
"une salet
trangre dans
(s)on lit".

'.

"

On peut galement penser


que la mortification trs
juive que Kafka s'infligeait
lui-mme accentua son
4" l'PoQue ~e L'ltYC11he.
manque de confiance en
rac.lale eT ~e l'euc,I'lISMe}
soi autant que sa relation
le corPS ne DOiT pa~ Tre
n~bllc, caUIJe l)e son
problmatique son
,"reLueT
! te QIAI raiT \An
corps. En fait, l'poque
Hcw.tM~ n'~T ni ~ 8oL.\CH~1
de l'veil d'une conscience
nI son cerVeau, ni sa MoraLlT~,
sioniste, dont quelques'MIS sa Dt5CtPlfN !
l'louS revenl>JQUot1~
uns de ses amis les plus
ltA VIFt{LI, JUIVE f"
proches se faisaient les
proslytes, Max Brod
inclus, Kafka s'intressa
vivement cet appel
pour un corps nouveau.
En 1912, le magazine 1\1',//1' 1 \
sioniste Selbstwehr
1 . ~\ 1 i
(que Kafka dvorait)
se rpandait en injures
contre "nous autres
juifs, et l'importance
que nous accordons
aux choses de l'intellect. .. ~
notre nervosit excessive "
et notre faiblesse
physique... toutes ces
squelles du ghetto... ".
l

La maladie seule ne pouvait librer Kafka


de l'crasant poids psychologique de son pre.
De 1912 jusqu'aprs la fin de la Premire
Guerre mondiale, il envisagea une autre voie
de "libration", croyant pendant un temps
qu'il pourrait mme vouloir se marier
et fonder sa propre famille.
r:=Ij~ -

(Ir

r~

--

'

Ce qui, bien
sr, avait le
mme retentissement dans
d'autres groupes
plus sinistres,
qui exaltaient
"discipline et
virilit".

La premire - et la plus durable victime de ce fantasme fut Felice


Bauer (1887-1960), avec qui il
se fiana deux fois - et par deux
fois rompit - entre les annes
1912 et 1917. Il crivit d'abord
son propos : "visage osseux
et inexpressif qui expose clairement sa vanit". Il n'eut besoin
de voir Felice qu'une seule fois,
et pour quelques heures seulement, avant de se dcider la
"conqurir" - du pur Kafka.

Qu'elle soit devenue


le mur blanc sur lequel,
tour tour, il traait
puis effaait les graffiti
de son obsession matrimoniale est vident au
regard de l'extraordinaire
masse de lettres qu'il
lui adressa. Elles constituent un document
littraire aussi dense
et alerte que n'importe
lequel des romans qu'il
crivit par la suite.

Au cours de sa vie, il eut


d'importantes relations avec
quatre femmes dont trois
- Felice Bauer, Grete Bloch
et Milena Jesensk - presque
exclusivement pistolaires.
"Ecrire des lettres, comme
il l'affirmera plus tard, est
un commerce avec les fantmes,
pas seulement avec celui du
destinataire, mais encore avec
le sien propre, qui merge
d'entre les lignes des lettres
qu'on crit... Les baisers
crits n'atteignent jamais
leur destination, mais sont
bus en route par ces
fantmes-l. "

Felice vivait et travaillait Berlin et, bien qu'il n'y et que six heures de train jusqu' Prague, ces kilomtres taient pour Kafka une
protection suffisante. Il est parfaitement vident que, et-elle vcu
Prague, il n'y aurait pas eu de liaison.

Il semble qu'ils se soient - lors d'une de leurs rares rencontres adonns la "maladie des instincts" et que cela n'ait pas provoqu
chez Kafka le dsir de recommencer. En aot 1917, alors qu'il
avait pendant cinq ans tent d'chapper son pre par le mariage,
il devait prsent chapper au mariage. Un paragraphe isol de
son journal intime cette poque dit:

De toute faon, ds sa deuxime


lettre, il se mit dcrire ses
"maladies", et lui fournit des
milliers d'exemples de son peu
de valeur, prparant son retrait
alors mme qu'il tait en train
de la courtiser.
"(,Afl,. FINALEMENT
TU E-S UNE JEUNE FILLE.
ru VEUX UN J.tOMME, PAS
UN VER DE TE~RE."
~

-~~
-~
- ~~
--~

~_

- ~ ~~-,:::::a,.. _...-.,
...~ -~
~---.
. . . -.;.'
. ~ =--"-~,~-;~-.- 'T ;Il... ~----..
--=--::-"_-:': -~-~

-.
--:- ~-

-~

, -- .:...:;:::.-;..~-=~
--"'"\-~
::...... ~ -

~~---'-'"' J"-~- ~"3-' ~~~


~ ...:--~ .-:--~-=-~-.~ ._~-=- -~ -_
-7 ---::::......-.....~

Au cours des
.cinq annes de
leur correspondance, ils ne se
virent en tout
et pour tout que
quelques semaines. Une fois
mme, alors
qu'ils taient
ensemble, elle
entreprit, son
grand dsespoir,
de remettre "
l'heure" sa montre
qui avait avanc
d'une heure et
demie (ce qui
l'avait rendu
heureux) depuis
trois mois.

-'. -

-~

Quelques jours aprs a, "les griffes de la sirne" durent atteindre


leur but. Kafka fut trop lche pour avouer Felice que tout tait
fini, mais une f'oudaine hmorragie pulmonaire - premier signe de
la tuberculose qui devait l'emporter sept ans plus tard - le fit sa
place.

Quand il devint vident pour


Kafka qu'il tait condamn
crire, "tout se prcipita en
ce sens" alors que "tout ce
qui avait le got du sexe, du
boire, du manger, de la philosophie et par-dessus tout de
la musique s'atrophiait" en
lui. Ecrire, pour lui, tait
la fois une chappatoire et
une revanche sur son pre.
Mais il s'agissait bien sr
de beaucoup plus - et de
beaucoup moins - que cela.

....J'AVAIS fAlT UN gOUT D


CI-t.MIN' GRC MS SEULS
EFFORT?, MM SI CETT
AVANCE RAPPELAIT L VER
DE TERRE QUI, L'AAAlR
DU CORPS COINc SOUS
LE PIED QUI L'CRAS,
S'AAAA.CRE LE DEVAAT
ET SE TRANE L'GAAT."

pour un homme d'affaires comme Hermann Kafka, il n'y avait pas


plus grande perte de temps que les griffonnages de son fils. Mais
pour Kafka aussi, il ne fut jamais question pas mme un instant
d'en faire profession. Il ne voulait pas gagner d'argent avec l'criture. Il avait tudi le droit l'universit Charles de Prague, ce qui
l'avait prpar essentiellement un travail de fonctionnaire. Il
tait devenu "Herr Doktor Kafka". Peu aprs, il obtint un poste
qu'il conserva pratiquement jusqu' la fin de sa vie.

Son emploi, Prague, l'Office d'assurances des accidents du travail


du royaume de Bohme, o il fut l'un des deux juifs tolrs dans
une compagnie aux critres de recrutement trs stricts, fut tout
la fois un cauchemar et une bndiction. D'un ct, il y consacrait
beaucoup de temps, au dtriment de l'criture, mais cet emploi lui
procurait un revenu rgulier et un peu de respect de soi. A un
poste o il avait pouvoir dcisionnel, il contribua rduire le taux
des accidents industriels en Bohme.

Les ouvriers de l'industrie taient traditionnellement victimes


d'accidents pouvantables. Dans la juridiction de Kafka ...

_"."LES bENS COMME IVRES TOMgENT DEPUIS l>ES


ECI-IAFAUDAbES DANS DES MACI-IINES, l>ES POUTRES
S'EFFONDRENT... DES CI-IELLES bUSSENT ET EXPLOSENT
AU SOL, QUOI QUE CE SOIT QU'ON I-IISSE SE RETROUVE
PAR TE~RE, QUOI QUE CE SOIT QU'ON RPANDE
AU SOL OCCASIONNE DES CI-IUTES ET ON ATTRAPE
DES MlbRAINES EN PENSANT rOUTES LES JEUNES
FILLES DES FABRIQUES DE PORCELAINE QUI
DbRIN<':,OLEN} DANS LES ESCAliERS, LES gRAS
CI-IARbES D'ENORMES PILES DE VAISSELLE."

Le temps que Kafka passa


l'Office concida avec une
attention accrue porte aux
rgles de scurit, en contrepartie
des indemnits d'assurance.
Se mettant instinctivement
du ct de l'opprim, Kafka
supervisa la mise en place
de nombreuses mesures,
et fut ainsi personnellement
l'origine de centaines de
vies sauves, principalement
dans les scieries.

PESSINS EXTRAITS DU RAPPO/?,T


DE KAF~A SUR LES CONDITIONS
DE TRAVAIL INDUSTRIEL, MONTRANT
LES PIGES DE MAC/-tINES
DFECTUEUSES RESPONSAgLES
D'ACCIDENTS ET DE DIFFRENTS
TYPES DE MUTILATIONS AUX MAINS.

Son emploi tait aussi un moyen de calmer son pre, contraint


de trouver d'autres arguments pour traiter son fils de bon rien.
Travailler voulait dire crire la nuit dans l'troit appartement o
il vivait toujours avec ses parents et ses trois surs. Ce qui ne
favorisait pas la concentration...

"JE VEUX GRllaE ET IL Y A UN TREMSLEMENT GONSTANT


SUR MON FRONT. JE SUIS A-SSIS DANS MA Gl-tAMSRE QUI
EST LE CENTRE NVRAlblQUE DE TOUT LE SRUIT t>E
l/APPARTEMENT. PARTOUT LES PORTES GLAQUENT... PRE
ENFONGE LA PORTE DE MA GJ..tAMBRE QU/IL TRAVERSE
VTU DE SA ROSE DE GJ..tAMSRE QUI TRANE SUR SES
TALONS. VALU J..tUIQE DEPUIS L'ANTlGJ..tAMBRE GOMME
DANS UNE RUE DE PAAIS POUR DEMANDER SI LE GJ..tAPEAU
1>E MON PRE A T BR~S. LA PORTE D/ENTRE bRINGE
GOMME DANS UN RLE. QUANt> ENFIN MON PRE EST
P~l\ 1 }-OMMENGE lE PPIEMENT PLUS TENDRE ET PlUS
DE-sESPEAANT DES J>EUX GANARIS."

La seule
solution tait
alors une sorte
d'autohypnose
ou "migration
intrieure", qui
lui permettait
la fois de
se couper du
monde et de
l'apprhender
tout entier...
"G/2.IRE ...
EST UN PLUS
PROFOND SOMMEIL
QUE LA MORT...
I>E MME QU'ON
N'EXTIRPE PAS
UN GORPS DE
SA TOMSE,
JE NE PEUX PAS
TRE A/2.RAGI-I
MON SUREAU
LA NUIT."

Nous sommes en 1914. Si Hermann


Kafka est toujours une des causes des
fivreux crits nocturnes de son fils,
ceux-ci vont bien au-del des banalits
de leur guerre dipienne; des influences
plus profondes se manifestent. Kafka
crit sur le pouvoir et la soumission.
L'humiliation. Le pouvoir suprieur
qui force, comme nous l'avons vu,
sa victime dsirer se transformer
en quelque chose de petit qui peut
s'enfuir sur son minuscule abdomen.

Dans le mme temps, autour de lui s'organisent les vnements


qui conduiront le xx e sicle vers sa course l'horreur. L comme
ailleurs, Kafka indique l'heure bien avant qu'elle ne sonne au cadran.

~ LA [OlONIE OIS[IPLINAIAE
(IN DER STRAFKOLONIE)

CEoSr UN APPAREIL
TRS tURIEUX...
QU'EoST-tE
{)ONt?

.-~

C'ESTUNE
MACHINE

REMARQUABLE!

Un voyageur arrivant
dans un camp pnitentiaire situ sur une le
des tropiques est pri
d'assister l'excution
d'un soldat condamn
mort pour "indiscipline
et outrages suprieur".
Ce soldat, qui a t
surpris endormi pendant
son service, ne connat
pas sa propre sentence,
ne sait mme pas qu'il
a t condamn et,
naturellement, n'a pas
eu l'occasion de se
dfendre devant un
tribunal.

Le commandant, qui
est galement le juge
attitr de la prison,
part du principe que
la faute est toujours
certaine. (Dans son
roman Amrique, Kafka
explique tout fait
clairement le principe
de cette "loi" fondamentale: en Europe tout
comme en Amrique
"les dcisions sont
prises comme la colre
les dicte aux juges
dans les premiers

Cette procdure - ou plutt son


absence - se trouve galement
l'uvre dans Le Procs, ceci
prs que la victime, Joseph K.,
la contestera, et protestera contre
elle. Dans A la colonie disciplinaire, Kafka envoie encore des
agneaux ahuris l'abattoir: "Au
reste, le condamn affichait une
soumission tellement canine que,
selon toute apparence, on aurait
pu le laisser courir librement
flanc de coteau et qu'il suffirait
de le siffler l'heure fixe
pour l'excution pour le
faire revenir."

POUR QUE CI-lAWN


PUISSE VRIFIER QUE
LA SENTENCE A SIEN T
EXWTE, LA !-tERSE
EST EN VERRE...

L'officier, sachant
que ce type de peine
capitale tait pass
de mode, cherchait
l'approbation et
l'aide du voyageur.
Il le pressa de prendre
la dfense de la
machine.

Sortant un papier
de son portefeuille
de cuir, il le montra
au voyageur.

Aprs avoir soigneusement pos la feuille


dans la dessinatrice
l'officier retira ses '
vtements en hte
Le voyageur savai~ 'bien
ce ~u~ allait se passer,
maIS Il n'avait pas
le droit d'empcher
l'officier de faire
quoi que ce ft.

L'officier
grimpa nu
sur le "lit", et
se laissa lier par
le condamn
et le soldat ,
acceptant mme
le tampon de
feutre dans la
bouche.

M(iis quelque
chose se drgla.

LA bUE/2.RE GLATAIT PARIOUT


AUTOUR DE LUI, ET L'EMPIRE J>ES
HAgSgOURb N'ALLAIT PAS '>URVIVRE
-SON ULTIME DfAITE QUATRE ANS
PLUS TARD. IOUTE LA I-tAINE CONTENUE
ENTRE LES DifFRENTES NATIONALITS
TOUGI-tA -SON PAROXYSME, ET LA
PRAbUE DE KAF~A ALLAIT S'EN
TROUVER CAANbE POUR TOUJOURS.
J>EPUIS SA FENTRE, IL MSISTA
UN DFIL "ORbANIS PAR LES
I-tOMMES D'AfFAIRES JUIFS, QUI
TAIENT ALLEMANDS UN JOUR ET
ICI-tQUES LE LENDEMAIN".

Dans le mme temps, le nationalisme tchque prenait son essor, ses leaders
voyant dans la guelTe une chance d'chapper aux griffes rpressives de
l'Empire. Les nationalistes taient traditionnellement antismites et ils asso-

Kafka ne prit jamais parti, et n'avait que "haine pour les combattants,
qui je souhaite passionnment le pire". (Il semble pourtant que
plus tard il ait envisag de s'engager pour chapper au mariage qui
approchait!) La plupart des juifs pragois soutenaient les Allemands
contre les Allis (Angleterre, France, Japon, Russie, Belgique, Serbie
et Montngro), une ironie de l'Histoire qui allait se retourner contre
eux, une dcennie plus tard.

Au milieu de ces vnements, Kafka


s'assit une nuit et crivit ce qui est sans
doute la seconde phrase d'ouverture la
plus clbre de la littrature moderne:
"On avait srement calomni Joseph K.,
car sans avoir jamais rien fait de mal,
il fut arrt un matin."

Commenc en 1914, il s'agit sans doute de son ouvrage le plus


clbre, qui fournit les bases au concept populaire de "kafkaen".
Ce que cette histoire illustre le mieux propos de Kafka l'crivain
nocturne est la prcision, l'humour et l'absence d'motion manifeste
avec lesquels il est capable de dcrire ses propres cauchemars.
- lt=,.-=-__ ;;-~~

'-l=- -

'-

, l'

i~}

;\~l
_ ,t

~:

,\l',l '

.~'-i~ ILL~'-;

Il n'apprendra rien. Comme


Gregor Samsa, tout ce que
peut faire Joseph K., c'est
affronter la situation. Avec
cette diffrence que non
seulement il accepte son sort,
mais tente de le comprendre
et va jusqu' rassembler des
renseignements sur son cas.
A la fin, il n'est pas plus sage,
et un abb (qui pourrait aussi
bien tre un rabbin talmudique)
qui travaille pour le tribunal
lui raconte une parabole.

Dsormais, il sera "K.",


et s'veillera pour trouver
d'tranges hommes tournant en rond dans la
pension de famille o il vit,
tout comme Gregor Samsa
se rveille, et met en
branle "la mtamorphose"...

VOU~

TES
~A Y RE'>SEMgLE., ,
EN ETAT
MAISPOUWUOI?
D'ARRESTATION, ..

JE NE SU IS PAS
AUTORIS
VOUS LE DIRE...
LA PROCDURE
EST EN&A0E,
VOUS APPI2.ENl'REZ TOUT AU
MOMENT
VOULU.,.

-.

UNE SENTINELLE EST POSTE


DEVANT LA LOI. UN ~OMME
DE LA CAM.PAbNE VIENT ET
DEMANDE PNT~R DANS
LA LOI ... LA SENTINELLE LUt
DIT QU'ELLE NE PEUT PAS
LE LAI'>SER ENT~R. L'HOMME
DEMANDE S'IL POU~RA
ENT~ER PLU'> TARD...

INALEMENT, SA. VUE


S'AfFAlgUT, MAIS
IL DISGERNE DANS
L'OMBRE L'~GLAT
D'UNE LUMIERE QUI
gRILLE TRAVERS
LES POI?-TES DE
LA LOI.

'!-tOMME SE DGI))E ATTEN))RE JUSQU'


GE QU'ON LUI PERMETTE D'ENTI?-ER...
LA SENTINELLE LUI DONNE UN TABOURET
ET L'AUTORloSE S'AoSSEOl1? GT DE LA PORTE.

'i-tOMME DE LA CAM.PAbNE,
ASONDAM.MENT POURVU DE
PROVISIONS, ESSAIE DE SOUDOYER LA SENTINELLE, QUI
ACCEPTE TOUT.

'PENDANT TOUTES CES ANNES,


l'i-tOMME NE GESSE D'OSSEI?-VER
LA SENTINELLE. TEL POINT
Ql!.E, DEVENU VIEUX, Il CONNAT
MEME lES PUGES DE SON COL
EN FOUI?-RURE.

-S'IL VOU-S PLk'f,

S'IL VOUS PLAIT...

INTERVENEZ EN MA
FAVEUR !!!

TOUT lE MONDE
Gi-tERGi-tE GONNATRE lA lOI ...
c..OMMENT SE
FAIT-Il QUE
PERSONNE
D'AUTRE QUE
MOI NE T'AIT
' , ,'-:"".----""ll
DEMAND
~ S~'
D'ENTI?-ER? ." ~
"""7

~'''~~

Le soir, lorsque les bourreaux de


Joseph K. viennent le chercher, il
ne proteste plus et n'essaie mme
pas de comprendre. Kafka nous
pargne toute grandiloquence :

ES DEUX !-lOMMES c..OUC!-lRENT


K., ET _LUI POSF,ENT UNE PIERRE
DEf2.RIERE LA rETE.

-~..,...-.....

(JLS NtRIVRENT RAPIDEMENT !-lORS


DE LA VILLE
o ILS AHE1(;'NIRENT
UNE PErlTE
CNtRIRE
D~Ef2. TE ...

-. ,

oMARC!-lAIT
ENTRE EUX,
TOUr RAIDE.
ILS RALISAIENT
UNE COHSION
QU'ON NE PEUT
(;,URE OBTENIR
QU'AVEC.. DE
LA MATIRE
MORTE.

'UN DES DEUX l-tOMME~


OUVRIT SA RED 1N(;,OTE ET EN
SORTIT UN LON(;, ET MINGE
COUTEAU DE gOUCl-tER. LE
TENANT EN L'AIR, IL L'EXAMINA
A LA LUEUR DE LA LUNE.

~AVAIT TRS glEN QUE SON


DEVOIR AURAIT T DE Pf2.ENDRE
LU I-MME LE COUTEAU Er I>E
'JE L'ENFONCER DANS LE CORPS.
AU LJEU DE GELA, IL TOURNA
LA TErE ET RE(;'ARDA LE DERNtEf2.
TA(;'E I>E LA MAISON L'AUrf2.E
gOUT DE LA CAf2.RIRE.

CH INSTANT PRCIS,
LES DEUX gATTANTS D'UNE
FENTRE S'OUVRIRENT
L-I-tAUT, ET UNE SILI-tOUETTE SE PENC/-tA SOUDAINEMENT AU-DEI-tORS EN
TENDANT LES gRAS
VERS L'AVANT.

AIS L'UN DES DEUX /-tOMMES


VENAIT DE LE SAISIR LA bORbE,
L'AUTRE LUI ENFON-A LE COUTEAU
DANS LE CUR ET LE RETOURNA
PAR DEUX FOIS...

UI TAIT-GE '?'?
UN AMI '? UNE gONNE
ME '? QUELQU'UN QUI
VOULAIT L'AIDER '?
'i AVAIT-IL UN RECOURS '?
EXISTAIT-IL DES
OgJECTIONS QU'ON
N'AVAIT PAS ENCORE
SOULEVES '?
C-ERTAINEMENT...

TAIT LE JUbE
QU'IL N'AVAIT JAMAIS VU '?
o TAIT LA HAUTE tOUR
lAQUELLE IL N'TAIT
JAMAIS PARVENU '?
IL LEVA LES MAINS.

;TAIT GOMME SI LA !-tONTE


I>UT LUI SURVIVRE.
Lo~sque Kafka lisait haute voix des passages du Procs ses

amIs, on rapporte qu'il riait de faon incontrlable.

Quand la guerre s'acheva en 1918, l'essentiel du monde dans


lequel Kafka avait grandi s'tait compltement transform, ou
avait t emport par l'effondrement de l'Empire. Ceux que les
combats n'avaient pas tus furent achevs par la grippe espagnole,
rponse du xx e sicle la peste noire. Elle fit quelque vingt millions
de victimes, pour la plupart jeunes et apparemment en bonne sant.
L'tat de sant de Kafka a d s'affaiblir encore plus dans cette
atmosphre malsaine.

La ville de Prague elle-mme s'tait transforme d'une faon trs particulire. Elle ne faisait plus partie du royaume de Bohme, mais de la
nouvelle rpublique de Tchcoslovaquie, dans laquelle les nationalistes tchques taient enfm en mesure de rendre les coups. Les
Allemands de Bohme tellement dtests ne constituaient plus la classe
dominante, position avantageuse dans laquelle ils avaient dirig la
bureaucratie du pays, prenant bien soin que la masse de la population
tchque active soit maintenue au-dessous du niveau allemand. Et,
invitablement, la langue allemande fut une des victimes du nouvel
ordre des choses. Un jour, alors que Kafka se rendait au bureau ...

LI

SOIJ:12

,.

7J!ANSTAlT

eNIIJfJIA18

-*G-' , "~
----=- ~-=-

Les Tchques germanophones taient sommairement congdis, sauf


Kafka qui, parlant tchque
et n'ayant jamais pris
parti pour un bord
ou l'autre, fut pargn
par miracle.

Kafka y
assista.

Les Allemands taient


prsent attaqus
dans la rue et leurs
boutiques dvalises.
Et bien sr, pour les
Tchques, quels meilleurs .
"Allemands" sur qui -:
prendre une revanche,
sinon les juifs ?
En novembre, une
foule provoqua une
meute qui dura trois
jours, forant les portes
du Thtre national
allemand et de l'htel
de ville juif, dont elle
dtruisit les archives.
Signe prcurseur d'vnements venir, on brla
d'anciens manuscrits
hbreux au pied de la
synagogue Altneu,
pour ainsi dire sous
le nez du Golem. Le
nouveau maire tchque
de la ville en parla
comme d'une "manifestation de la conscience
nationale".

Au cours de ces annes,


plus de six mille juifs
quittrent le pays pour
la Palestine. Kafka luimme flirta avec cette ide
jusqu' la fm de sa vie.

Il tait sur la longue


route qui conduit
la mort. Mais il fit
en chemin un arrt
essentiel. ..
Elle l'appelait Franck...

Milena Jesenska (1896-1944) rencontra Kafka en 1919, dont le


travail n'tait connu essentiellement que des groupes d'intellectuels
qui frquentaient le caf Arco de Prague.
H'

Salon littraire parmi les plus rputs du continent o l'on pouvait


lire la littrature d'avant-garde de l'Europe entire, l'Arco comptait
Kafka parmi ses Stammgiiste (habitus), mme si celui-ci se considrait
plus comme un observateur. De leur ct, des crivains bilingues tels
que Franz Werfel et Max Brod tentaient, eux, de trouver un terrain
d'entente entre le tchque et l'allemand.
L'un des "piliers" de l'Arco tait l'intellectuel et grand viveur Ernst
Polack, dont la jeune pouse fut fortuitement prsente Kafka,
qui n'en conserva d'ailleurs qu'un vague souvenir.

~
s::? cm::>
.=

"-."0-.

<>

CJID

.;;;::::::;....- -

<P

Des annes plus tard, elle devint sa


traductrice tchque, et sa premire et
unique Shiksa (petite amie non juive),
l'une des rares parmi les "gentils"
jouer un rle important dans sa vie.
~I
Ne quand Kafka lui-mme avait treize.
. 1 !1
ans, il considrait sa .naissance comme
son cadeau de bar-mItsva.
\\ \\ \

Bien entendu, le vieux doute de soi, sinueux et labyrinthique,


est toujours prsent. Dans une entre de son journal date de
1922, il crit...

/Ij /

II/ !f$Ut: //

/
<~~i\'
17~
~~tI)~i~~
~
-~~
--========-~

"'"
VJI'

1lfl;1~

~'t

~
.~

\I
j
Et, pour autant qu'on puisse juger de telles choses, elle fut sans
doute la seule femme qu'il ait rellement aime. On le sent dans sa
correspondance. Les Lettres Milena ne ressemblent pas celles
qui taient adresses Felice, grande littrature mimant l'amour, o
nn

~Ql113Jion inif

r.isp.lp. 1::1 fp.mme cie ses rves clans un bloc de Dierre._---"-...'lisl)IIiI;....._~~_

,
.

___=_

~,

~~,

y
.;

~.

~_.-.~~t\
.~
. ".,

~'\

9J

~I

Mais, dans l'ensemble, les lettres Milena sont directes, et moins


marques par l'ambigut et l'auto-accusation. Par-dessus tout, on
sent qu'elle l'oblige prendre conscience de ses propres envies, et
qu'il la dsire vraiment. ..

Il lUI GRIT :

"JE 5UIS 5ALE, MllEN"A,


INffJ'llMENT SALE,
VOIL POU~UOI JE
SUIS OS$D PM LA

41.]) epuis 1ueje f't:{iMe ... j't:{iMe le MOl1de

PWP~. AUCUN

CItANT N.'Esr PLUS


PUR QUE catit
ENTONN DANS
Les PROFON[)EU~S
DE L'ENFER."

el1fier, ce 1"I il1duf fOI1 pt:{ule 9t:{uche


-11011, d't:{bord celle de droife (sois t:{sseZ
gel1hle povr refirer ft:{ cheMise) ... ef
fOI1 vist:{ge t:{v-dessus de Moi dt:{l1s It:{ forf
1ut:{l1dje Me repose sur fOI1 seil1 pres1ve I1U."

PLUS TARI> EllE


GRIIlA BROI> :
"JE CROIS pUCrf
QUE C'eST' .NOUS TOUS,
lE MOm>E ENTJER
E.'r 1'005 LES rRes,
QUl SOMM.ES MM.AJ>S
ET QUE Wl ST LE
SEUL ~ 5AIN,
CCMPRtNJ>% T'
SENTIR. te$
CCMM LLS SO.NT."

cuoses

Milena tait galement crivain


et journaliste, et une sorte de
fministe avant l'heure. Si Kafka
avait vu auparavant les femmes
comme des vampires ou des walkyries, symbolisant la souillure
de l'acte sexuel abhorr, celle-ci
l'obligeait regarder en face
les dangers de la fminit et
affronter ses propres peurs.
Quand elle suggra qu'ils
mergent en chair et en os de
leurs lettres afin de se rencontrer
Vienne, il fut pris de panique
comme toujours et dploya mille
excuses pour ne pas s'y rendre.
La rponse de Milena cela fut
de lui demander s'il tait juif.

~:,&w-

Une fois encore, Kafka tait convaincu que "nous ne vivrons jamais
ensemble, dans la mme maison, coude coude, la mme table,
jamais, pas mme dans la mme ville... " mais "au lieu de vivre
ensemble, nous pourrons au moins nous tendre heureusement l'un
contre l'autre afin de mourir".

Qu'ils aient ou non, et jusqu' quel point, succomb "la


maladie des instincts" que redoutait Kafka, Milena en parlait
comme de "cette histoire masculine... cette demi-heure au lit".
Et sur ce plan, elle semblait le connatre mieux que quiconque.

"J'AI CONNU SA PEUR. AVANT DE LE CONNATR.E


LUI-MME... l>UR.ANT LES QUATR.E JOUR.S QUE
FR.ANC/C. A PA5SS MES GTS IL L'A PER.DUE.
NOUS NOUS SOMMES MOQUS D'ELLE... IL NE
SE POR.TEAA JAMAIS glENI ALl5S1 LONbTEMPS
QU'IL ALlAA CETTE PEUR.. ELLE NE ME CONCER.NE
PAS UNIQUEMENTI ELLE CONCER.NE TOUT CE
QLlI VIT SANS PUDEUR.I PAR. EXEMPLE LA OIAIR..
LA CI-lAIR. EST TR.OP DNUE DE VOILEI
IL NE SLJPPOR.fAIT PAS DE LA VOIR.. QUAND
IL R.E5SENTAIT CETTE PEUR. I IL ME R.EbAR.M/T
DANS LES YEUX I NOUS ATTENDIONS DEPLlIS
UN MOMENT... ET CELA PA5SAIT...
fOUf TAIT SIMPLE fT CLAIR.... "

"JE L'AI TRAN SLiR. LES COLLINES! DE~R.IR.E


VIENNE ET J'AI COLiR.Li DEVANT PAAGE QLi'IL
MARD-lAIT SI LENTEMENT! TOLiJOLiR.S MA
TRANE. -SI JE FER.ME LES YELiX! JE VOIS
ENCOR.E SA GI-lEM ISE gLANGI-lE ET SON COli
I-lL ET LE MAL QLi'IL SE DONNAIT. rOLiTE
LA JOLiR.NE! IL EST MONT( IL EST DESCENDLi!
EN PLEIN SOLEIL! N'A PAS TOLiSS LiNE SELiLE
FOIS! A MAN& ET glEN DOR.MI. fL TAIT
EN PLEINE FOR.ME ET IL NoliS A SEMgL
QLiE SA MALADIE N'TAIT ALi PLUS
QLi'LiN PETIT R.I-lLiME. "

Quelle qu'ait t son influence sur lui, on peut avancer que Milena
a servi de modle au personnage de Frieda dans le grand roman
inachev de Kafka ...

L TAlT TAAD QUAAD


l. AARlVA DANS LE VILWE
ENFOUI SOUS LA ~IC;.
LA NUIT er LE BWUILLAAD
CAGAA!ENT lA GOLLlN DU
cJ.lTAU QU'AUCUNE LUMIRE
N'lND1QUAIT. ~. S'~A
UN LON(ry MOM.NT SUR
Le PONT DE gOIS QUI MNAIT
t>e LA C,AAND-ROUTE AU
VILL..AC76, Les yeux LEVs
VRS Des lW1TURS QUI
seMBWsm VIDES.

~~~~J;~~~:~.

==

---,

~,,~,~~
~,\"
;;-..~'\~
~'"
~I'

,s

li

....\

\
l' ~
--,_ ~ ,'--.,""
~
iP.
" , :,!,,'
'\'1''; -

-:;

.,

.,.#.'
~",
Ir~

""'/

,.

e'

Le Chteau a t interprt jusqu' la nause, les commentaires


critiques sur ce seul roman couvrent des centaines de volumes,
dans une douzaine de langues diffrentes. C'est, dans une certaine
mesure, parce qu'il est inachev et donc ouvert l'interprtation
des intentions de Kafka.
Mais le premier paragraphe montre qu'il s'est embarqu dans un
conte de fes (toute sa vie Kafka a lu et aim les contes de fes)
qui sera labyrinthique. L'arpenteur "K." (pas mme "Joseph K.",
mais juste "K."), comme l'errant classique, a apparemment t
appel au village par la toute-puissante autorit du Chteau, l'invisible comte Ouestouest. Il est clair ds le dbut qu'il n'atteindra
jamais le Chteau, et que l'habituelle et rigide hirarchie du pouvoir
anantira toutes ses tentatives.

{te l1ENDEMAIN
MATIN...

HI!

IJ;
'l~~(i;:jJ~\n \

. ~:;. "',

La plupart des messieurs du Chteau sont aussi distants que le comte,


et les villageois eux-mmes sont tenus distance. K. rencontre
l'instituteur local.

VOU'> CONNAt'>SEZ LE
COMTE, SIEN SR... '?

~ ,.... -.

~~,

.~~

~---

~~~~V:i
i"v' ..
. . . ....
,

.,-Iq ..

....'"

...........<fI!:-

Bien que la prsence de K. soit due une confusion bureaucratique


concernant le besoin d'un arpenteur - une demande remontant
fort longtemps et apparemment annule -, le Chteau lui envoie
deux "aides", Arthur et Jrmie, deux idiots, des Dupont et Dupond
tout droit sortis du thtre yiddish.
c;I

Hl SIEN VOUS
TES EN RETAAD...
O SONT LES INSTRUMENTS '?

Incapable de trouver un
logement dcent, puis et
avide de sommeil, il est conduit
vers une autre auberge par
une jeune paysanne, Olga,
"une grande gaillarde".

60N ~Rs'APPUYA.

g~OLG~Ift li'JZ ~~ ~:T

1<. iJA.Rcl-lE.1{'A,Ir AGRAS


SENTI T'fA. CON A. Ses G ~8..Le
QU'L'feNT l>T~8 CE OTES.
MJ\IS IL ~UI pR,ogNFO.R..T
-MALGR ~ R.SIST. UR/ur
E TOUT. ~

A l'auberge, K. est inform


par le patron que toutes
les chambres "sont exclusivement rserves ces
messieurs du Chteau" et
qu' "il ne peut avoir accs
qu'au bar".

Intrigu,

K. demande
Frieda si
elle connat
Klamm, l'un
des influents
messieurs
du Chteau.

, Frieda invite K. observer Klamm


travers un petit trou dans une
porte toute proche. Il voit un
homme bedonnant, d'ge moyen,
passivement assis son bureau.

vous AVEZ VOS SECRETS


ET C'EST NATUREL... PEUT-TRE
POURRIONS-NOUS PARLER
UN MOMENT LOIN DE TOUS
CES YEUX QUI VOUS
OSSERVENT ? PUISJE PASSER LA
NUIT ICI?

Olga, pendant ce temps,


s'est mise cabrioler
avec plusieurs paysans,
des hommes plutt petits qui,
au premier coup d'il, ont
l'air de tous se ressembler.

LES DOMESTIQUES DE kJ..AMM...


JE NE CONNAIS RIEN DE
PLUS RPUbNANT ET DE PLUS
MPRISABLE. ET
Il FAUT QUE JE

LEUR SERVE
DE LA
BIRE!

"Elle les conduisit travers


la cour puis dans l'curie."
K., entendant des pas dans
le vestibule, se cacha derrire
le comptoir.

Q<?.J v.

ON c-l-\1ZJ ! MON
pOX c,\t1ZJ" c-\-\llc-l-\01A\T...
LL, SWS ~M ~'fOUc-"E12.
l'., SlMrLMt:rn: 'fNPU
SU12. Lb DOS EN rAMOISOf'l,

5ES gAAS fU2-S, EN N. 'tEMPS


SN15 rl~ Q' Ei-PRlt#'J'f SON

w.oU~ JoYEl1X, 500PlMN'f


PLU1''f

Q{.{

c-w..N'l'Nltf

U~ c-~50NNer'l'

PEUT-~T~E EST-IL
C,AGI-tE LA-DE-SSOUS...
NON! lL N'EST
PAS LA...

U1S, VoYAA'f
A~SO~$ PM ses
PENses, eLLe
L T\AAIGLA
coMM UN

et'lFAN't

~S HeU~5 rA5SRe~T,

1>S J.\eURES DUAANT LESQUELLes JLS RSPIRRe~T

l'UNISSO~, LEURS eu~


gA1'1'JRe~T E~SeMgLE, bES
HEURe5 DUAAN'T LESQUELLES
1'. SENTI1' QU'IL se PERDAIT
ou QU'IL EP-AAlT DAf'lS
UN PAYS rAAN&E o
AlIC.UN TRE (..lUMAJ~ ~e
S''rAIT JAMAIS AVE~TUR6
AVMr, U~ rAYS o L'AIR
rAIT SI DlfF~ De caU1..
1>e SO~ PAYS ~ATAL QUE'
L'o~ poUVAIT SUffOQUll..
D~S CE'T'l'e IRAAGET,

En une nuit, Frieda deviendra


la fiance de K., et le quittera
le jour suivant (partant avec
l'un de ses aides n. Mais il ne
manquera jamais de compagnie
fminine, et la tension rotique
sous-jacente ne se relche
jamais. Il n'y a pas de "sexe"
proprement parler chez
Kafka, mais les variations
psychologiques sont infinies.

es -yeux VINRENT
se poseR SUR
AMALIA, IL DVAIT
LeveR Le R&AAD
VERS ELLE QUl TAIT
~nN PLUS "'RANDe

Que

lUI.

er POURT~T '1'ELLeME~T

""AAYA~T Que L'O~ Ne

POUVAiT Que S'y ENFONcER


DAVANTAt:1 T' S'y PERDRe...

Ces bats sont brusquement


interrompus par "une voix
profonde, autoritaire, et impersonnelle", en provenance de la
chambre de Klamm, rclamant
Frieda. Pour K., elle arrive
comme un soulagement plutt
que comme un choc. Il rveille
Frieda, lui transmettant l'appel.

.....

e SU1S AVec

LfAAPe~TEUR~'

CRIA-T-6LLe, FAAPPAm'
LA PORTe AVe; SON
periT

POl~(?

JE N'Y VAIS PAS...


JE N'IRAI JAMAIS PLUS
AVEC- LUI. ..

Olga restera une compagne


permanente, et K. se plongera
dans l'trange histoire de sa sur
Amalia qui, en refusant les avances
d'un des messieurs du Chteau,
entrana la chute de sa famille.

Progressant
toujours plus
dans le labyrinthe,
K. rencontre Pepi,
qui remplace Frieda
comme serveuse.
Elle l'invite brlepourpoint vivre
avec elle et les
femmes de chambre,
Henriette et Emilie,
dans une petite
chambre en bas :
"Il y fait chaud et
c'est tout petit",
et les filles "se
serrent les unes
contre les autres".

ELLES SERONT CONTENTES


D'AVOIR UN 1-I0MME GOMME
AIDE ET p~TEGrEUR ... c..EGI DOIT
RESTER -sEc..RET, ET c..E -sEGRET
NOUS LIERA PLUS INTENSMENT
QUE JAMAIS,:.-:.;..'

--.j
....

K. a juste le temps d'accepter


cette offre en or, d'une chambre
utrine, qu'une autre des femmes
extraordinaires du roman,
l'aubergiste, entre en scne
pour l'entraner dans une autre
direction, celle d'un rotisme
refoul et extravagant. ..

AUG-UN SOUVENIR '?!


NON SEULEMENT TU ES
UN INSOLENT, MAIS
TU ES UN LG-J.tE AUSSI!
ru N'AS AUG-UN DROIT
DE G-RITIQUER
MES VTEMENTS!

HIER, TU AS T
ASSez AAR00ANT
POUR ME PARlER
DE MA ROSE!

QUAND,? .. L'I-IIVER EST TRS


LON0 ET MONOTONE", MAIS PA~ IGI,
ON NE S'E~ ~AIT PAS POUR A
ON EST PROTE0ES GONTRE L'I-IIVER...
OUI, UN JOUR, LE PRINTEMPS ARRIVE,
IL NE DURE JAMAIS PLUS
DE DEUX JOURS,
ET MME LE PLUS
SEAU JOUR,
PARFOIS
LA NEI0E
VIENT
TOMgER,

L'htelire le conduit prsent


dans une petite pice, domine
par une norme armoire.

rOI NON PLUS !


JE SAIS SIEN QUE
TU ES AUSERblSTE
MAIS TU PORTES
DES TOILETIES QUI
NE GONVIENNENT PAS
UNE AUSERblSTE
ET QUE PERSONNE
NE PORTE AU VILLAbE.
ELLES SONT DMODES,
USES JUSQU' LA
GORDE ET DPLAG-ES
POUR rON bE ET
DANS TA POSITION

ru SAIS GE QUI EST


LA MODE ? ru VAS
M'TRE TOUT FAIT INDISPENSASLE, PARGE QUE
JE DOIS ADMETTRE QUE
J'AI UN FAISLE
POUR LES SELLES
TOILETTES.

VOIGI MES ROgES... L'TA0E,


DANS MA G!-tAMgRE, J'AI DEUX
AUTRES ARMOIRES, GI-IAWNE
AUSSI 0RANDE QUE GELLE-GI
ET TOUTES DEUX
REMPLIES DE
~~gES ... -A
T ETONNE ? ...

Le texte original,
tel que Kafka l'a laiss,
~P.

tp.rminp.

~llr c:e~

mots.

Selon Max Brod, il


existe une fin diffrente
dans laquelle on trouve
K. sur son lit de mort,
quand du Chteau
arrive la nouvelle
qu'il aura la permission de vivre et de
travailler au village.
La critique a conjectur l'infini sur une
fin plausible, ou sur
le point de savoir
pourquoi Kafka
n'a jamais termin
le roman. Mais, en
fait, comment aurait-il
pu le terminer ?

Une fois engag


dans cette voie
labyrinthique,
l'crivain en lui
autant que l'Homme
en train de mourir
n'eurent jamais
l'intention d'en
voir la fin ou, si
ce fut le cas, ne
purent simplement
pas y parvenir.
N'importe quelle
"fin" aurait gch
l'un des plus
grands "voyages"
littraires de
notre poque.

K. ne renonce jamais sa qute pour atteindre le Chteau, bien


que celui-ci s'loigne toujours un peu plus de lui. Si dans Le Procs
et dans A la colonie disciplinaire la loi jugeait et punissait, dans Le
Chteau celle-ci est totalement inexistante et invisible.
Kafka extrait des personnages de sa propre existence, un professeur, son patron, son pre bien sr, et les met en scne comme des
rouages impntrables de la roue du Chteau. Mais la plupart du
temps, K. l'crivain nocturne s'amusait et n'avait probablement
lui-mme aucune ide de la destination vers laquelle l'acheminait
ce voyage, aussi vers le mois d'aot 1922, puis par la maladie et
incapable de "retrouver le fil", il condamna K. demeurer jamais
au village, en qute d'acceptation, avant d'tre finalement, tel le
juif errant, rejet.

Le Chteau, comme les autres romans de Kafka, fait dfiler devant


le lecteur une distribution apparemment illimite de "seconds rles"
fminins, et rejoue l'trange dpendance du personnage principal
leur gard. Rien en cela de fministe, car Kafka apprhende toujours ces personnages d'un point de vue masculin, ne faisant d'emble aucun mystre de sa position, fort traditionnelle. "Les femmes
sont des piges qui guettent les hommes de tous cts, pour les
entraner vers leur propre finitude", aurait-il dclar.

Aucun de ces personnages fminins ne semble avoir d'existence propre, mais jaillit de son imagination afin de distraire K. ou Joseph K.,
pour le tenter et le sduire. La terreur du sexe qu'prouvait Kafka
est sans cesse mise l'preuve, mme si ces mmes femmes proposent quelque chose de plus.
r,

La plus honte de ces "sductrices", et celle qui entrane "K." le


plus loin, ~,~~ l~ pe.r,so~,a~e de Leni ~ans Le Procs: Offic~ellement,
elle sert d mflrmIere a 1avocat, maIS semble aUSSI fourmr des distractions rotiques tous les hommes accuss par le tribunal, et particulirement ceux qui manifestent un sentiment de culpabilit...

::

1
~,/
~

.'

- .......-

......

'-

-,,,'i..;.
-'./.....

.
.~

~.

'

Aprs presque chaque scne dans laquelle le hros doit trouver


son chemin dans le labyrinthe - dans la pension, chez l'avocat,
l'auberge, au tribunal-, l'une de ces femmes l'attend pour lui proposer un "confort" particulier. C'est le rle que jouent Olga et Pepi
dans Le Chteau et la femme de J'huissier dans Le Procs.

F----

-A N'EST PAS CELA...


LE l'ROSLME C'EST QUE
VOUS NE M'AIMEZ PAS
ET QUE PROSASLEMENT
IL EN SERA TOUJOURS
DE MME...

EN RALIT, IL S'ASSIED
SU~

UNE Cl-tA1SE DE c.uISINE,


SUR LAQUELLE ON POSE UNE
VIEILLE COUVERTURE DE (..HEVAL.
MAIS NE POUVEZ-VOUS PENSER
QU' VOTRE PROCS?

-------

LL6 CARTA L6 MA.J6UR T


L'ANNULAlR D LA MAlN DRoIT
NTRe LeSQULS LA PeAU AVAlT
POUSSE JUSQU'AU gOUT D LA
DeUXlM PllALAN&...

_A

gO~Ct-lE

ouveRTE, elLe &RIMPA.

A LA l-tATE SUR '>ES 0ENOUX.

K. LA R(?AA1)A D'UN AIR CONSTERN...


UNe ODEUR FORTE, PROVoCANTe
CO.Mf.AE ceLLE DU PONR, MANA1T
D'elLe...

Ce qui se dgage de ces relations est rarement de l'ordre de l'intime


(Leni tant une exception) et a plus voir avec le pouvoir qu'avec
les sentiments personnels. Le talent de Kafka est davantage de suggrer une rencontre rotique, plutt que de laisser ses personnages
s'adonner un acte qu'il jugeait "rpugnant et parfaitement inutile".
Cependant, parce qu'il est Kafka, c'est prcisment l'aspect repoussant d'une telle rencontre qui l'attire. A nul autre endroit, il n'est
plus clair sur ce point que dans une lettre Milena o il dcrit la premire exprience sexuelle de sa vie avec une jeune vendeuse de Prague.
Cette fille avait apparemment fait ou dit "quelque chose de lgrement
obscne (pas besoin d'en dire plus)" l'htel...

./

'" Et c'est alors qu'il ralisa que le dgot et la salet taient une
partie ncessaire de l'exprience et que "ce petit geste, ce petit
. . . ._ _m_o....:t_"---.:::..:t=-al~ent prcisment ce qui l'excitait.

1
~
, "-

1
l>ANS SA VIE PERSONNELLE,
LES FEMMES TAIENT
POUR LUI UN REFUbE
C.ONTRE SON PRE,
EN TIE DESQUELLES
SE TROUVAIT SA SUR
C.ADEITE, OTTLA, au 1 SE
C.l-tARbEAIT LE MIEUX DE
GETTE TC.l-tE l-tERC.ULENNE.

(JJJ

"~II

'V' -.
\jc~

(~

Elle est l'''autre'' femme de


la vie de Kafka - sans doute
celle qui compta le plus pour
lui et qui reprsente l'envers
de l'obsession "sale" de
l'crivain. Elle est galement
son double fminin sur le plan
physique. Les photos o
ils sont ensemble montrent
une troublante ressemblance
des traits du visage.

Pendant un temps,
il envisagea mme de
devenir cultivateur
de pommes de terre...

Au sein de la famille Kafka,


Ottla fut toujours son seul
rconfort et, aux premiers
temps de la maladie, il alla
vivre avec elle dans sa ferme
,.A!'!T~.,::::-~ . / ~_
~~_:/. :cr:.....;.::..- -_ ~
de Zrau, au nord de 1a
~ ;:17~%,~~~;::::--;:=
~
~~~_/~....... --;.. ............. ...~/.- "/
Bohme. En ce lieu, selon
~ ~~~~~?~~~
~,
--:~~Z":.- /~% ~_---_ ::::-:
ses propres mots, il s lorme"'~-;..--:~~~.!'~...:::-~::;::::;k~
~.&:- ~!3-:::;:::'~~ . . .
rent un co~ple modeste
~~::~~~_~
et doux, IOID de toute
""~0~~~ 2~~
. 1ence, maIS
" SUIvant ~~~~.-%~;.-~~-..:-::::-;::;-;::;;:-~"
VIO
- .,
son petit bonhomme ~~
de chemin.
!f:3:{,-:;': ='>

~-~

... Et si a
n'avait pas
march, il
y avait toujours
la Palestine...
"JE RVAIS DE PARTIR
EN PAlESTINE COMME
FERMIER OU ARTISAN ...
POUR TROUVER UNE
VIE SENSE PLEINE DE
SCURIT ET DE SEAUT...
J'AIME L'ODEUR DU SOIS
RASOT, LE C!-tANT DES
SCIES, LES CLMUEMENTS
DES MARTEAUX... LE
TM,VAIL INTELLECTUEL
VOUS AlINE !-tORS
DE LA COMMUNAUT
!-tUMAINE."

- ----. -===$'-~~
-.--..

::...-""::-::-"

<3>

,.,..

-J'

,.,

La Terre promise ne serait jamais rien de plus pour lui qu'un rve
mais, bien sa faon, il crivit qu'il pouvait au moins la toucher du
doigt sur la carte.

Kafka trouva nanmoins


une paix trange au cours
des derniers mois de sa vie.
Qu'il ait rellement chang,
ou enfin trouv une femme
avec qui il pouvait vivre,
le fait est qu'il partit pour
Berlin en 1923 avec Dora
Diamant age de dix-neuf ans.
Venant d'une famille juive
orthodoxe, elle manifesta
assez d'indpendance
pour chapper au monde
du ghetto. Pour elle, Kafka
se replongea avec intrt
dans le judasme et tudia
mme le Talmud.
,\1

.1

La tuberculose l'obligea quitter son emploi dans les assurances en


1922, l'ge de trente-neuf ans. Il retourna un temps sous l'aile
d'Ottla mais, pour l'essentiel, la maladie le tuait lentement, coups
d'hmorragie interne.

Kafka semble s'tre


vritablement adapt
la vie avec Dora,
sans doute parce qu'il
n'eut pas la crer
sa propre image
- comme il l'avait fait
avec Felice - ni lui
envoyer des lettres :
"Toute la misre de
ma vie a t cause
par les lettres ... "
Ensemble, le couple
rva de partir pour
Tel-Aviv. Ils y auraient
ouvert un restaurant
juif, Dora aurait
cuisin et Kafka
- mais oui - aurait
assur le service !

~~1in,1923.

Quand il arriva Berlin, Kafka eut le sentiment d'avoir chapp aux


fantmes qui l'obligeaient crire: "ils ne cessent de chercher aprs
moi mais, pour l'instant, ils ne m'ont pas trouv." C'taient les mmes
fantmes qui "buvaient les baisers" qu'il dcrivait dans ses lettres et qui
semblaient vampiriser ses mots et ses penses. Bientt, il demanda
Dora de bruler beaucoup de ses manuscrits. Mais les fantmes revinrent
et une nuit l'obligrent crire - avec beaucoup d'-propos - Le Terrier.

Pendant tout ce temps,


la tuberculose remonta
des poumons vers le larynx
et, les derniers mois, il ne
pouvait plus communiquer
que par notes crites et
pouvait peine manger.
En avril 1924, on le transfra dans un sanatorium
prs de Vienne, mais son
tat ne cessa plus d'mpirer
jusqu'en juin. VersJa fin,
il insista pour que le
docteur qui le suivait lui
donnt de la morphine
contre la douleur.
Quand Kafka reprit conscience pour la dernire fois, il aurait
t, semble-t-il, un sac de glace qu'on avait plac sur son cou et
l'aurait jet terre.

r~): /~

Trois jours plus tard, dans son oraison, Milena Jesensk le dsigna
Comme "un homme condamn voir le monde avec une telle clart
aveuglante qu'il ne put le supporter et s'achemina vers sa mort".

En juin 1924, ses fantmes veillrent - avec leur ironie habituelle-,


tandis qu'il mourait d'inanition, ce qu'il corriget les preuves
d'un chef-d'uvre appel ...

'INTRT DU PUSlIG POUR LES PRESTATIONS


D'ARTISTES DU JENE A SEAUGOUP DIMINU AU
GOURS DE GES _DERNIRES Df-ENNIES. EN GES TEMPS-L,
LA VILLE ENTIERE NE SE PREOc..GUPAIT QUE DE L'ARTISTE
ET DE SON JENE. c..ERTAINS AGl-lETAIENT MME
DES TIG~ETS POUR LA SAI?ON, ET LA NUIT LA SGNE
SAI0NAIT DANS LA LUMIERE DES TORGl-lES.
DES 0ROUPES DE VOYEURS,Pg.OF~SSIONNELS, EN 0NAAl
DES SOUGl:IERS, FURENT DEPEGl-lES POUR LE SURVEILLR
AU GAS OU IL AURAIT EU QUELQUES GAc..l-lEllES SEGRETES
POUR LA NOUFtRITU~E. MAIS, DURANT ~SON JENE,
L'ARTISTE N'AURAIT, A AUGUN PRIX, MEME SOUS LA
GONTRAINTE, AVAlE LE PLUS PETIT MORCEAU ; SON
l-lONNEUR D'ARTISTE LE LUI INTERDISAIT. LUI SEUL
SAVAIT GE QUE LES AUTRES 10NORAIENT : JENER
TAIT LA Gl-lOSE LA PLUS SIMPLE DU MONDE.

...:: .... ~~\

-~.

"

.. ---.
--- -::-=;. ~ ,:. :.:-=-:~::J::0-=.::.... -..~ --<. ;) . ...>"S..-..
" - --..

_o"~ ~......)~ . _~
~

>---- >

-'.-~

-.

JOURS, CEC.I PARCE QU'AU-DEL DE C.E TER.'v\E LE PUBLIC. Dc.LAAAIT


FORFAIT. ALORS, C.E QUARANTIME JOUR AVEC. UN PUBLIC. ENTI-IOUSIASTE QUI ENVAI-IISSAIT L'AMPI-IITI-ITRE ET UNE FANFARE MILITAIRE
QUI OFFIC.IAIT, DEUX JEUNES FEMMES SURVENAIENT POUR AIDER
L'ARTISTE DE LA FAIM S'EXTRAIRE DE LA C.AbE. ET, WAQUE FOIS,
C.ET INSTANT, L'ARTISTE JENEUR RSISTAIT... POURQUOI ARRTER
APRS SEULEMENT QUARANTE JOURS?? POURQUOI LE FRUSTRER DE LA
bLOIRE DE JENER PLUS LONbTEMPS ENc.oRE, DE DEVENIR LE PLUS
bRAND ARTISTE S JENE DE TOUS LES TEMPS, DE SE SURPASSER LUIMME JUSQU' L'INIMAbINABLE, C.AR IL SENTAIT EN LUI UNE c.APAc.IT
ILLIMITE ENDURER LA FAIM?

PRS CELA,
UN TOAST TAIT
PORT AU PUBLIC,
PRTENDUMENT
INSPIR l'IMPRESARIO, DANS UN
SOUPIR, PAR
l'ARTISTE.

11

AINSI, DANS LES !-toNNEURS QUE LUI


RENDAIT LE MONDE ENTlE~ i MAIS QUANT
LUI, LE PlUS SOUVENT, DANS UNE
SOMBRE MlANWlIE QU'ASSOMBRISSAIT
DAVANTAbE LE FAIT QU'ON NE L'AUTORISAIT
PAS JENER PLUS DE QUARANTE JOURS.
IL PASSA LE PLUS CLAIR DE SON TEMPS
DANS UNE !-tUMEUR DE TRISTESSE, ET
QUAND IL SE T~UVAIT UN BRAVE bARS
POUR LE PLAINDRE ET S'EfFORCER DE LUI
EXPliQUER QUE SA TRISTESSE N'TAIT SANS
DOUTE QU'UN EfFET DE SON AfFAMEMENT,
IL POUVAIT SE FAIRE QUE L'ARTISTE RPONDT
CELA PAR UNE CRISE DE FUREUR ET
SE MT SEWUER LES BARREAUX DE
SA CAbE WMME UNE BTE.

~..TVEC LE TEMP?, LE PUBLIC_COMMEN-A .?'INT~SSER D'AUTRES


N/lUSEMENTS, ET_SE REVOLTA BIENTOT WNTRE LES JEUNEl}RS PROFESSIONNELS.
l..'ARTISTE ~U JEUNE NE POU'{AIT PAS C!-tANbER DE METIE~, FANATIQUEMENT
VOU AU JEUNE WMME IL L'ETAIT. ALORS, PRENANT WNbE DE SON
IMPRESARIO, IL ?E FIT El'!.&A~EI3- PAR UN bRAND CIRQUE, O SA CAbE FUT
EXPOSE L'EXTERIEU~, A WTE DE CELLES DES ANIMAUX.

CONNAITRE LA DUREE DU JEUNE


AlORS EN COURS NE DONNAIT PLUS
DEPUIS LONC:>TEMPS QUE LA MME
INDICATION. GEnE TCI-lE (SI MINCE
FT-ELLE) AVAIT LMS LE PERSONNEL
DU CIRQUE. PLUS PERSONNE, ET PAS
MME LE JENEUR LUI-MME, NE
SAVAIT JUSQU' QUEL POINT IL AVAIT
POUSS SON EXPLOIT; ET SON CCEUR
DEVINT LOURD. ET QUAND, UN JOUR,
IL ADVINT QU'UN FlNEUR S'AARTA
PAR I-lASARD DEVANT LA
CAC:>E, IL S'ESCLAfFA DEVANT
CES VIEUX Cl-llfFRES,
L'ALW~T D'ESCRmJERIE,
CE FUT LE MENSONC:>E
LE PLUS I-lONT QUE
L'INDifFRENCE ET
LA MCI-lANCET
PUSSENT INVENTER...

ru

JENES TOUJOURS '?


QUAND c'E-SSEIZA-S-TU
ENFIN '? '?

PARCE QUE... PARCE QUE


JE N'AI JAMAIS PU TROUVER
LA NOU~RITURE QUE J'A/J.RAIS
AIME... SI JE l'AVAIS TROUVE,
CROIS-MOI, JE NE ME SERAIS
PAS DONN EN SPECTACLE!
JE M'EN SERAIS bAV,
COMME TOI ET COMME
TOUS lES A/J.TRES !

-r~
PAROlES. MAIS DANS SES YEUX
A/J. REbARD CASS SUBSISTAIT
LA DTERMINATION, FERME
DFA/J.T D'TRE ENCORE
FIRE, DE POURSUIVRE
SON JENE...

ME
LES SPECTATEURS
LES PLUS MOU/hS
FURENT SOULAbS
DE VOIR SONDIR
ceTTE CRATLIRE
SALlVAbE DANS
UNE CAbE QUI
AVAIT T SI LONbTEMPS VIDE DE VIE.
l-ES bAADIENS
LUI APPORTAIENT
SANS TROP SE
POSER DE QUESTIONS LA NOU~RI
TLlRE QLlI LUI
PLAISAIT.

llE NE PARAISSAIT
MME PAS REbRETTER
SA LIBERT PERDUE :
ON A/J.RAIT DIT QUE
CE ~O.slE GRPS,
bAVE A EN ECLATER
DE TOUT CE QU'Il lUI
FAlLAIT, PRTAIT A/J.SSI
SA LIBERTE AVEC lUI i
QU'EllE PARAISSAIT
S'TRE lObE QUELQUE
PS\RT DANS SA
MACI-tOIRE j ET DE
SON (,OSIER JAilLISSAIT
UNE JOIE DE VIVRE SI
ARDENTE QU'Il N'TAIT
PAS FACILE A/J.X
SPECTATEURS DE LUI
TENIR TTE. MAIS
ILS SE ~EPRIRENT,
ENTOURERENT LA CAbE,
ET NE VOULURENT
PLUS S'EN DTACI-tER
DU TOUT.

~.

~TFAC-E:

Un artiste du jene est l'un des rares rcits que Kafka pargna
dans les instructions qu'il laissa Max Brod de faire brler toute
son uvre, manuscrits et papiers, aprs sa mort. Ainsi, il tentait
encore de disparatre; bien que, comme l'a judicieusement fait
remarquer l'crivain J. L. Borgs : s'il voulait vraiment un bcher,
pourquoi n'a-t-il pas lui-mme craqu l'allumette?
Quoi qu'il en soit, comme nous le savons, Brod n'obit pas, et se
mit ranger ce qui tait, l'poque, un inextricable fouillis: chapitres non numrots et en dsordre, versions multiples, morceaux
raturs, uvres sans titre (beaucoup des titres que nous connaissons furent plus tard invents par Max Brod).

, . . '
Une edltlOn compltement revue par des
spcialistes de Kafka est parue enfin en
Allemagne, fonde sur des interprtations

~-~--------_ _Dlus--D.rcises~et.2ctualis~

Les manuscrits rests entre les mains de Dora Diamant


n'eurent pas autant de "chance", saisis dans une descente
son appartement berlinois en 1933. Ironiquement,
le vu de Kafka avait plus de chances d'tre
exauc par la Gestapo qui, elle, brlait
~. Il \
vraiment les livres..

? ,.',1

1/'/i1i'i:i 1~~\I\I

?)~\,~

t
\ '

Milena Jesensk et les trois surs de Kafka furent dportes et


m?ururent dans les camps de concentration. Otda se priva d'une
~ulte possible en divorant de son poux non juif, afin de ne pas
~t:e ,spare de sa famille. Et-il survcu, la Shoah aurait certainement
ete egalement le destin de Kafka.
Quant au ghetto de Kafka, Adolf Hitler eut l'ide de le transformer
en un "Mmorial une race disparue", aprs avoir ananti ladite
race. Le Muse juif est, d'une trange manire, son hritage.

lW

K. lui-mme
allait lentement
devenir le
fameux adjectif,
connu de beaucoup plus de
gens que le cercle de ses lecteurs ... Bien sr
- soyons francs la sonorit de ce
nom magnifiK
y est pour beaucoup, avec des
"K" typiKement
germaniKs,
Koupant Komme
des Kouteaux
dans notre
Konscience
Kollective.

EMgLME DU CI-IOUCAS
{'(..AWA EN TCI-IQUE)
UTILIS COMME EN- TTE PAR.
I-IER.MANN l'-AFI'-A POUR. SON
COMMER.a DE MER.aR.IE
ET D'TOFFES.

~AF~A .. AJ..I OUI~


J'AI LU LA
J'AI VU LE PROCB
MT.4/I101i!P1IO~
QUAND J'TAIS
... SIZAARE GOMME
TRUC. !
AU WLL(7E.
IL TAIT
TC..J..IGOSLOVAQUE,
JE CROIS.

Il existe maintenant une science littraire


appele la "kafkologie", et des professeurs
plastronnent sous le titre de "kafkologistes".
La littrature consacre Kafka lui-mme
compte des milliers de volumes. Beaucoup
expliquent sa qute de Dieu et du sens
dans un univers absurde, ou sa recherche
de l'individualisme l'ge de la bureaucratie. Un psychologue amricain, attribuant
Kafka tous les fantasmes possibles et
imaginables, y compris le dsir d'tre
sodomis par son pre, interprte la porte
de la loi dans Le Procs comme l'impossible
entre dans le vagin de sa mre.

(Dans son journal, il notait : "Je trouve


les K laids, et pourtant je les cris.")
Serait-il devenu ce puissant adjectif
- kafkaen - s'il s'tait appel Schwarz,
Grodzinski ou Blumenthal ?

L'adjectif a fini par signifier beaucoup de choses, ayant peu de


rapport avec Franz Kafka. On en fait souvent un crivain effrayant,
ou un auteur de mystres, ou encore une sorte de visionnaire prorwellien dressant la topographie des frontires entre la bureaucratie
et la dictature. Un film, qui eut l'indlicatesse de prendre son nom
comme titre, le fait pntrer dans le Chteau, o il dcouvre un
savant fou, pratiquant des lobotomies afin de dominer le monde.

D'un autre ct, il a inspir des textes pntrants


et extatiques comme Franz Kafka ou le Cauchemar
de la raison d'Ernst Pawel ; L'Autre Procs d'Elias
Canetti ; Kafka de Pietro Citati ; Seul comme
Franz Kafka de sa traductrice franaise Marthe
Robert, qui a fait un excellent travail sur les liens
de l'crivain avec Prague.

Nanmoins, le premier
et le meilleur des

./...::.___... .~::.'.'_ ~~

~~~I~~:s ~~~;iment ~l'A-:'--'~~"":~~.

tout ce que l'on a pu


dire ou crire sur son
compte se trouve dans
sa fameuse Lettre au
pre (1919), o il est
clair que rien
- absolument rien de sa propre vie n'a
chapp sa vigilance.

/~

7/ft:~ ---==~,;f---=.---=
'

.~, ~

. . ~ ,. ~

~,

"

Les journaux intimes de Kafka, tenus entre les annes 1910 et 1923,
remplis de fragments d'observations personnelles, sont loin d'atteindre l'inquitant niveau de dvoilement personnel qu'on trouve
dans la Lettre au pre. Car ce document n'est pas simplement un
catalogue - tabli l'ge adulte - de reproches adresss un
parent, derrire le bouclier d'un timbre-poste. De faon typique,
en accusant son pre, Kafka trouve d'innombrables prtextes pour
s'accabler lui-mme tout autant.
Il lui tait impossible de passer l'attaque, son instinct l'aurait
immdiatement transfonn en reproches contre soi-mme...

"(,/-tAQUE JOUR
J'AI BESOIN
D'CRIRE AU
MOINS UNE lIbNE
DIRlbE CONTRE
MOI-MME."

---------------/

--'"

/'"

-- ---"--- - --~

~- ~~

~~

'--\~

":'.

'~

~, ~ A cette poque
l~~\ il tait devenu,
__"") 1 selon ses pro" , pres termes,
"') ~. "une mmoire
J vivante", et sa
comprhension
de sa propre
histoire et de sa
nvrose est
sans doute sans
~~, quivalent dans
~.' la littrature
~ moderne.

S'il arrivait son pre d'ter ses bretelles et de les poser sur le dossier d'une chaise pour le battre, puis de l'pargner au dernier
moment, l'enfant se sentait en dette vis--vis de lui. Quand Hennann
Kafka tranait ses employs tchques dans la boue, c'est Franz qui
ressentait du remords sa place : "Et mme si, moi, insignifiante
crature que j'tais... je leur avais lch les pieds, cela n'aurait pas
compens la faon dont toi, le matre, tu les avais tancs."
En rsumant ainsi une vie entire de culpabilit sans limites face
son pre et de manque de confiance en soi, il fait cho la dernire
phrase du Procs, tandis que le couteau plonge dans la gorge de
Joseph K. : "C'tait comme si la honte dt lui survivre."
Bien sr, il fut incapable de remettre cette lettre en mains propres,
et il en laissa le soin sa mre. Aprs en avoir lu le contenu, celleci se ravisa, la retourna l'envoyeur, et la lettre n'atteignit jamais
son destinataire.

La relation de Kafka sa Tchcoslovaquie natale tait (et reste)


ambigu, pour ne pas dire plus. Si Prague tait le centre de son
univers, la ville o il naquit et passa presque toute sa vie, elle n'apparat jamais en tant que telle dans ses textes. Il ne la nomme pas
et ne la dcrit jamais dans ses rcits.

l':/:. ~- '

rA4J//

Il '/:-/
)~~ il

~~

~~~

I/(/((/;

r.,''''''{I)

r;rr -

Mme dans Le Procs, dont l'action a pour cadre Prague (qui reste
innomme), la tristesse des dcors ne constitue certes pas un loge
de la clbre capitale. Ses superbes glises et monuments publics
ont l'air aussi lugubres que tout ce qui est dcrit par ailleurs dans
le roman.

' ~~.~
',,"

,....
-. <.
.

r ~:J.).,~~,
),

'1'

'JI~

.~ ~r#

ll'r '~,

,/,'fJ

Cette omission intentionnelle, allie au fait que Kafka continua


crire en allemand, mme aprs la cration de la Rpublique tchcoslovaque en 1919, ne le rendit pas sympathique aux Tchques. Au
cours de la dcennie qui suivit sa mort, pas un seul de ses livres
n'tait disponible pour les lecteurs de son pays d'origine. Et mme
ensuite, les traductions de ses uvres en tchque furent rares et
fort espaces dans le temps.

Aprs la Seconde Guerre mondiale, sous le rgime communiste


impos par Moscou en 1948, Kafka devint une pine dans le pied
collectif. Le trs influent critique marxiste Georg Lukacs a comment "son modernisme esthtique sduisant, mais dcadent", et
ses crits n'taient manifestement pas dans la ligne des dogmes
obscurs du prtendu "ralisme socialiste". Cet "isme" artistique,
fond sur l'opportunisme politique plus que sur une relle rflexion,
privilgiait une reproduction photographique de la ralit telle qu'on
devait la voir sous le socialisme.

Puisque le triomphe imminent du modle sovitique de socialisme


mondial avait dj frapp le bourgeois Kafka d'obsolescence, il
tait somme toute logique d'interdire la circulation de ses uvres.

En 1963, l'occasion du quatre-vingtime anniversaire de sa naissance, un "Congrs Kafka" se tint Liblice prs de Prague, dans le
but explicite de rhabiliter l'crivain. Dans son discours inaugural,
le distingu critique Ernst Fischer dclara: "II y a du rattrapage
faire. Kafka est un crivain qui concerne tout le monde." Suivirent
de nombreuses communications remettant Kafka sa vraie place
dans la littrature europenne - de faon le rendre "casher" aux
communistes tchcoslovaques -, soulignant le fait qu'il avait t
membre du mouvement pragois de littrature germanique qui
avait nourri la tradition humaniste et combattu l'essor de l'imprialisme mondial.

Mais le vrai danger, si des dissidents tchques avaient lu Kafka, est


prcisment qu'ils l'auraient pris pour un raliste. Les rares qui
pouvaient mettre la main sur un exemplaire du Procs entr en
fraude y trouvaient peu de diffrences avec la vie quotidienne de
la Tchcoslovaquie stalinienne et ses mouchards, ses dnonciations publiques et surtout ses "procs" spectaculaires d'anciens
dirigeants communistes s'accusant publiquement de crimes qu'ils
n'avaient Das commis.

---

----

--------~--~

, \1

Ce fugace moment de gloire ne survcut pas au Printemps de Prague de


1968 et son crasement sous les chenilles des chars sovitiques. De
nouveau, les livres de Kafka furent interdits, mme si sa tombe au cimetire
juif de Strasnice tait honore, vraisemblablement comme attraction
touristique.

------..
:::; ~: -~~9"
-

= -..

--;;>::

Dans la "Prague libre" des annes 1990, o ses livres n'taient plus
interdits (mais pas lus pour autant), on pouvait acheter des teeshirts Kafka tous les coins de rue du quartier touristique, ou son
portrait sur des plats en porcelaine, ou sur des sculptures artisanales en bois. On pouvait faire le circuit "Kafka" ("Djeunez avec
Kafka" - sic) et visiter tous les endroits o rde son fantme.
Bientt, comme Salzbourg avec Mozart, on croquera sa tte en
chocolat.
(L'un des antidotes bienvenus tout cela est la Socit Franz Kafka
qui a son sige dans le vieux quartier et tente avec srieux de faire
revivre l'hritage juif de Prague.)

...

Cette nouvelle Prague, avec sa culture touristique en pleine expansion, calque sur le modle amricain, commence ressembler au ...

THBATBE DE tA "NATUnE"
~

, _... ,

__

-al

...

.--...._~

... version tchque trs personnelle que Kafka donne du Nouveau


Monde, avec son principe du "A chacun selon ses besoins". Cette
vision, trs particulire au Vieux Monde, de promesses et de bonheur
sans limites constitue les derniers chapitres fragmentaires du roman
inachev Der Verschollene (en franais L'Oubli) crit entre 1912
et 1913, que Max Brod rebaptisa Amrique.
Kafka prvoyait d'crire un livre montrant "New York au fate de la
modernit". Tellement moderne en fait que le pont au-dessus de
l'East River relie la ville Boston sur l'autre rive! Mieux encore, ds
la toute premire page, le jeune hros Karl Rossman voit d'abord la
statue de la Libert brandissant "une pe qui s'tait leve haut
l'instant mme, et l'air libre soufflait autour de ce grand corps".

Karl Rossman avait t expdi


" New York par ses parents parce
que la bonne l'avait sduit et qu'il
l'avait mise enceinte". Comme la
vendeuse dans une autre histoire,
se passant dans un htel de Prague,
la bonne de la famille semble
avoir fait une de ces choses qui
ne "mritent pas d'tre mentionnes"
pour l'attirer dans son lit, accompagne de l'habituel mlange de
dsir et de dgot. On nous informe
de cette nouvelle ds la premire
phrase du livre, ne laissant ainsi
aucun doute: nous sommes bien
sur les terres de Kafka, le personnage central tant puni alors
mme qu'il n'a pas faut.
Pourquoi cette punition se nomme-t-elle Amrique et pourquoi Rossman
doit-il tre exil de sa Bohme natale sont affaire de supposition. Mais
elle donne Kafka, comme bon nombre d'crivains europens de sa
gnration, l'occasion de fantasmer sur cet endroit mythique qu'il ne
visitera jamais, et de le recrer son image.
Kafka affirma que son modle pour Amrique avait t David Copperfield,
mais Rossman est bien plutt un Pinocchio moderne, un exil aux yeux
grands ouverts, tchant de trouver son chemin dans un monde rel dmoniaque, proie rve de tous les arnaqueurs et autres vautours.
Sur le bateau quai
dans le port de New
York, Karl est accueilli
par son oncle Jacob,
immigrant enrichi
devenu snateur, qui
devient l'image de
l'autorit, d'une taille
assez comparable
celle d'Hermann Kafka.
Invitablement, malgr
lui, Rossman se montrera
dsobissant cette figure
parentale, ainsi qu'
d'autres dans le roman.

L'oncle Jacob le prsente M. Pollunder, un riche et prospre NewYorkais qui l'emmne faire un tour en voiture, donnant Karl sa
premire vritable vision d'un paysage amricain vraiment curieux.

..... LES ROUTES ET LES TROTTOIRS ENCOMSRS


PAR UN TRAFIC QUI CI-tAN(,EAIT DE DIRECTION
C!-tMUE INSTANT DONNAIENT L'IMPRESSION D'TRE
PRIS DANS UN VENT TOURSILLONNANT DE SRUlT,
DPARTI DE TOUTE I-tUMANIT, ET COMME EN('ENDR
PAR QUELQUE TRAN('E LMENT... EN DFINITIVE,
ILS DSOUCI-tRENT DANS UNE SANLIEUE, O LA
POliCE MONTE LES DTOURNA VERS DES ROUTES
PARALLLES CAUSE D'UNE MANIFESTATION
D'OUVRIERS MTAlLUR(,ISTES EN (,RVE... ET QUAND
LEUR VI-tIWLE MER(,EA, DEPUIS LES RUES SOMSRES
ET PERDUES, NOUVEAU SUR L'IMMENSE ARTRE
PRINCIPAlE, UNE PERSPECTIVE S'OFFRIT EUX, AUDEL DE CE QUE LEUR RE('ARD POUVAIT ATTEINDRE, DE
TROTTOIRS ENVAI-\IS PAR UNE POPULACE SE MOUVANT
TOUT PETITS PAS, ET DONT LE CI-tANT TAIT PLUS
INTENSE QUE LE SON D'UNE SEULE VOIX I-tUMAINE... "

Amenant Karl chez lui,


pollunder lui prsente
sa fille, Klara, personnification de l'image de
rve et de cauchemar
de la jeune fille
amricaine.

TU ME FAIS DE LA PEINE,
TU ES A'>SEZ JOLI bAADN ...
'>1 TU AVAIS APPRIS l JIU-JITSU,
TU M'AURAIS PROBAglEMENT
ROSSE!

Aprs s'tre brouill


avec son oncle, Karl
part sur les routes,
o il rencontre un
duo d'escrocs,
l'Irlandais Robinson
et le Franais
Delamarche, qui
entreprennent de le
soulager des quelques
possessions qui lui
restent, y compris
le salami de Vrone
que sa mre avait
emball pour lui.

S'tant dbarrass
de ces vagabonds,
Rossman est recueilli
par une autre des femmes "rconfortantes"
de Kafka, cette fois la
directrice de l'htel.

vous NE
VOUDRIEZ
PAS UNE
PLAGE DANS
GET I-tTEL ?

Dans la grande tradition


des romans de jeunes
ambitieux en Amrique,
il devient liftier. Dans cet
htel trs particulier, il n'y
a pas moins de trente ascenseurs ! Karl est contraint de
prendre des services de douze
heures d'affile et de dormir
debout. Il tire sur les cbles
afin de faire descendre ses
passagers plus vite, pour
ne pas se les faire prendre
par d'autres liftiers.

Il
l

Les grooms ont


au-dessus d'eux
le portier en
chef, tyran
sadique dont
l'unique fonction est de les
punir.

",-U DOIS ME SALUER


TOUTES lES FOIS QUE
TU ME GROISES, GI-tAQUE
FOIS, SANS EXGEPTION !
QUAND TU T'ADRESSES
MOI, TU DOIS TE TENIR
AVEG TON GALOT LA
MAIN! ,-U DOIS ME DIRE
MONSIEUR SANS JAMAIS
ME TUTOYER, ET TU DOIS
lE FAIRE Gl-tAQUE FOIS
- SANS AUCUNE
EXCEPTION !!"

'~'"
'III

lil/ln?1

Lorsque Karl commet une faute


pendant le service, il n'est pas
seulement congdi par le portier
en chef, mais galement maltrait
physiquement et verbalement. ..

TU Me
PARAI5
5ACRMeijT
5U5peCT
",

.. TOI!

Son seul refuge est la maison


o se cachent Robinson et
Delamarche, en compagnie
d'une grosse femme vulgaire
appele Brunelda. Un appartement
o, pour un temps, Karl se retrouve
pratiquement prisonnier.
VA DANS LA GI-tAMgRE,
FAIS lE LIT ET PRPARE TOUT
POUR LA NUIT! JE SUIS
FATl0UE !

Rpondant
l'appel, Karl
s'y rend et se
prsente l'un
des deux cents
bureaux d'accueil
o l'on recrute
les nouveaux
membres. Quand
on lui demande
son nom, il donne
le surnom qu'il
avait dans son
emploi prcdent.

Quoi qu'il en soit, Karl est engag - comme


touS les autres - et entame son voyage en
train, Kafka montrant une fois de plus son
sens singulirement europen de la gographie amricaine...

~te PREMIER JO~R, ILS TRAVERSRENT DE l-tAUTES


MONTAbNES... MEME EN SE CONTORSIONNANT PAR
LA FENTRE, IL TAIT IMPOSSIBLE D'APERCEVOIR LEUR
SOMMET... l>E LARbES TORRENTS APPARAISSAIENT,
SE JETANT AU FOND DES VAlLES, AVANT DE PLONbER
SOUS DES PONTS SUR LESQUELS LE TRAIN RUbISSAIT;
ET ILS TAIENT AlORS SI PROCl-tES, QUE LEUR l-tAlEINE
bLACE FIbEAIT LA PEAU DE LEURS VISAbES."

Dans le Thtre de la "nature" d'Oklahoma (le mot "nature" ayant


t choisi par Max Brod), les possibilits d'employer tout un chacun sont sans limites, des danseuses costumes en anges jouent de
la trompette face d'immenses tables de banquet. Si Kafka avait
achev le livre, affirme Brod, Rossman aurait retrouv, "comme
par miracle ... une profession, la libert, un soutien et ses parents".

,\

C'tait la version du conte de fes de l'Amrique invente par un jeune


juif tchque qui n'a jamais t plus loin que les lacs italiens, une
image qui semble resurgir dans la Prague postcommuniste, une ville
qui tente de rattraper des annes de rves briss, de rpression
sexuelle et d'absence de communication avec le monde extrieur.

La vieille ville compte maintenant une colonie amricaine avec ses


propres quotidiens, ses pizzerias estampilles d'origine contrle, ses
tee-shirts et une nouvelle race de Tchques post-rideau de fer bouffeurs de Mcdonald's, pour lesquels, aprs quarante ans de "rgime"
socialiste, ces cochonneries doivent ressembler de la haute cuisine.

Le rve amricain falsifi, o chacun peut s'octroyer tout ce qu'il


veut, o tout peut s'obtenir coups de carte de crdit, s'est, par certains cts, substitu au ralisme truqu qui fut impos cette ville
pendant de longues dcelmies...

C'est le thtre de la nature de Prague - quelque chose pour tous dans lequel Kafka trouve sa place au milieu du kitsch. Aprs des
annes o on l'a ignor, ou trait comme un paria, la Rpublique
tchque a dcouvert finalement son trange fils juif, qui n'est plus
une menace, mais soudain la plus lucrative des attractions touristiques. Il aurait pleinement got l'ironie de la chose...

----===-------=

---=-----.:'

1 ----=--

--~

--:::0=--- _ _

~....:::=::-----=--~

-_

-~

.....

:--

....

-.::?- -

CF-

_ ...... -

--

_--::

-----

~-

--

-..

--- ---

-~-

---

Cette dition reprend des extraits des uvres de Kafka publies


aux ditions Actes Sud dans la collection Babel sous le titre
LA MTAMORPHOSE, LA SENTENCE, LE SOUTIER ET AUTRES RCITS (Babel n 285)
A LA COLONIE DISCIPLINAIRE ET AUTRES RCITS JI (Babel n 352)
dans la traduction de Catherine Billmann et Jacques Cellard.

Pour les autres uvres cites


la traduction suit la version originale anglaise des auteurs.

Vous aimerez peut-être aussi