Kafka Par Crumb
Kafka Par Crumb
Kafka Par Crumb
Robert Crumb
I<afka
Titre original:
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Kafka essaya de transformer cette terreur intime, parfois dlicieusement dcrite - de lui-mme, dchir et mutil - en un conte destin
aux autres. Il n'avait aucun point de vue sur le monde faire partager, aucun principe philosophique, seulement des rcits blouissants
issus d'un inconscient extraordinairement prcis. Au mieux, une
ambiance s'exhale de ses textes, mystrieuse et difficile dfinir.
C'est ce qui a autoris les "charcutiers" de la culture moderne le
rduire un adjectif.
O!JI,
LA SITUATtON
LA-SAS EST TRES
k4FkJYNNE EN
CE MOMENT...
Sous ses pieds reposaient, ensevelis l depuis sept sicles, les ossements et les mes
de mystiques juifs, d'rudits hassidiques, de
kabbalistes secrets, d'astronomes, d'astrologues, de rabbins fous et autres visionnaires
qui, en leur temps, n'avaient que trs rarement le droit de vivre en dehors du ghetto
ou mme de le quitter.
Ces affrontements
au sein de la communaut juive
taient monnaie
courante pour
le jeune Kafka,
qui a grandi au
cur d'un des
plus vieux ghettos
d'Europe.
Cette Prague-l avait ses propres saints talmudiques, dont aucun ne fut plus clbre ou
plus rvr que le rabbin Judah Loew ben
Bezalel (1512-1609), surnomm le "Maharal"
(acronyme de "plus vnr de tous les professeurs et de tous les rabbins"), qui fut le grand
sage et le guide spirituel du ghetto la fin
du XVI" sicle. Philosophe, astronome, naturaliste, astrologue, Loew fut l'archtype mme
de l'humaniste de la Renaissance.
Le "cercle troit" de Kafka, connu sous
le nom de Josefov, s'enroulait dans un
rseau complexe de rues et d'alles (Judengassen) sombres et tortueuses qui s'tendaient depuis les limites du Vieux Carr
de Prague jusqu'au fameux pont Charles
qui enjambe la Vltava
(Moldau). Dans sa jeunesse, il y avait six synagogues dans ce quartier
surpeupl, et de magnifiques btiments baroques accots des taudis
infests de rats.
.+a
if\~
-- ..
+)+
Ces critures interdites figurent dans une des lgendes les plus clbres
de Prague, qu'on associe invariablement - tort ou raison - au
rabbin Loew.
"N'OtIbli~],j4M4is uf
ivilwH~"f. QI/ il Soif
S~ ft'4wsfrmH~I"~" "'''~
{oI"U d~sftuc.ft'iu.
Avssi, ft'4ifo"s 4V~C.
fJ1'Ud~"u u 1"'i ~sf {ol"f,
fot,tf c.olHlH~ "OUS
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S4fJI4U."
.........
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Cependant, une fois entam le plan de nettoyage "sanitaire", beaucoup parmi les juifs les plus pauvres refusrent de partir. Aussitt
que les murs d'enceinte menaaient de s'crouler, ils dressaient des
grillages mtalliques pour les remplacer.
",,-Ilo.a;a~
Mais ce que
Meyrink nota
aussi, et ce avec
quoi Kafka luimme grandit,
fut la dmolition
d'une partie du
ghetto en 1906.
Plus tard,
Kafka
parlera
du ghetto
comme de
"ma cellule
- ma forteresse".
Pour Meyrink,
le ghetto de Prague
avait t un "monde
souterrain dmoniaque,
un lieu d'angoisse, un
quartier ncessiteux
et fantasmagorique
dont l'tranget semblait
l'avoir men sa
___ dmOl:alisatioU:.
--
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_-..
Ce qui excitait Kafka, et qui eut coup sr un impact sur ses histoires,
fut le versant mystique, antirationnel du hassidisme, o s'exprimait une
continuit entre la ralit terrestre et la ralit cleste, o la valeur
mystique tait trouver dans les dtails de la vie quotidienne, o Dieu
tait partout et facile contacter.
Pour le jeune Kafka, ces occasions furent "les esquisses prliminaires faites
en enfer en vue de la vie future dans
un bureau".
"
_~
u,_ _
........
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11
H''f 4 ft:lS
~is
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"QU'AI-JE DONG DE
GOMMUN AVEG LES JUIFS '?
CEST PEINE SI J'AI QUELQUE
Gl-tOSE DE GOMMUN AVEG
MOI-MME 1" _ _- -
...
c~
QUI, 1>ANS
Le 1>N IbReMeNT
PLEIN D'HUMOUR
De SOI-MME,
eST EX/lCJPfifEIY7'
ce QU'IL AVAIT
eN COMt-AUN
Avec Les JUlFS
Ceux qui ont bien connu Kafka avaient l'impression qu'il vivait derrire un "mur de verre". Il tait
l, souriant, bienveillant, auditeur attentif, ami
fidle, et malgr tout inaccessible. Vritable paquet
de complexes et de nvroses, il parvenait donner
une impression de distance, de grce, de srnit et
parfois mme de saintet.
Hermann Kafka
(1852-1931)
Sa capacit refouler
sa peur des autres, et
la retourner contre
lui-mme plutt que
vers ce qui en tait la
cause, est la matire
de toute son uvre.
Elle n'apparat nulle
part mieux que dans
ses relations avec cet
homme ...
Ainsi pendant
les repas ...
REUREUSSM6NT,
Je N'Al BESOIN D
peg.5ONNE poug. VOIR ClAIR
EN T01, MONSIeUR
MoN FILS!
AUJOURD'HUI,
MONSIeUR MON FILS,
VAr, APPReND~e
LA g,RA~SE !
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3:.-'9-
e;,,....... ~.
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lo --:....--...:.
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Mais il ressentit aussi la honte et les complexes d'tre un strotype vivant du juif: genoux cagneux, poitrine rentre, couard, dont
l'intellect primait sur le corps. Adulte, Kafka suivra des douzaines
de programmes "d'hygine", rgimes, cours de mise en forme, etc.,
afin de lutter contre cette image.
Dans le mme temps, il tait suffisamment solide pour nager dans
la Moldau en plein hiver, faire de longues marches puisantes en
montagne, monter cheval. Pour accentuer encore la contradiction,
ses amis le dcrivent comme un dandy d'une lgance raffine,
presque un don Juan.
Mais l'ide fixe tait plus forte que les faits. Son manque de
~onfiance physique s'tait grav en lui ds l'enfance et le poursuivit
Jusqu' la fin.
rI':
}jls Gresor
Samsa ein.eS
Morgen.s aus
unrol.thijen
Trawnen el'....
wahte, fand
eT' sih. in sei -
nem.13ett zu
ein.em un.jheu-
ren. Ungeefer
veT'w/naelt."
l,
1
-:.
~ ..
--
..
Samsa, voyageur
de commerce,
pourvoyait aux
besoins de sa
famille. Grce lui,
son pre avait pu
prendre sa retraite,
et sa sur comptait
tudier le violon au
conservatoire.
PA~II
t}
Dsormais, le monde
de Gregor s'altrait
de faon sensible.
Sa vision dclinait
au point qu'il ne
reconnaissait plus
la rue par la fentre
de sa chambre, qui
s'ouvrait maintenant
"sur un paysage
d'un autre monde,
o le ciel et la terre
se seraient confondus dans une seule
et mme grisaille".
On lui enlevait
tout ce qui lui tait
cher... Il remarqua,
accroche trs visiblement sur le mur dj
mis nu, l'image de
la dame aux fourrures.
Cette gravure-l au
moins, personne ne
la lui prendrait.
Il grimpa jusqu'
elle toute allure
et se plaqua sur
le verre de l'encadrement. Il tait
coll la gravure
et n'en bougerait
pas. Plutt sauter
au visage de
Grete ! Sa mre
dcouvrit "l'norme tache brune
qui s'talait sur
le papier peint
fleurs" et
tomba vanouie
sur le canap.
&RETE COURUT
l-tORS DE LA Cl-tAMSRE
Cl-tERCl-tER DES SELS
POUR SA. MRE. &RE00R,
EN PROIE . LA PA.N IQUE
ET LA CONFUSION,
LA SUIVIT.
Se prcipitant
dans la chambre
de Gregor, Grete
claqua la porte,
l'abandonnant
seul dans la salle
manger.
Pendant quelques minutes, tout fut tranquille, mais son pre, qui
avait t contraint de renoncer sa retraite pour trouver un nouvel
emploi, rentra alors la maison. Gregor devait prsent tenter de
l'adoucir. Il rampa rapidement vers la porte et s'y pressa, pour
montrer qu'il tait plus que dispos y retourner calmement.
MAMAN
~'E,r VANOUIE,
MAI~
ELLE VA
bJ MIEUX."
&~&O~ ~'E~r
CHAPP!
JE M'Y ATfENPAlS !
JE VOUS L'AVAIS g,EN
DIT, MAIS VOU? AUT1Z.ES
FEMMES, VOUS NE
VOULEZ JAMAIS
1Z.IEN
ENTEND1Z.E !
,"
MAIS LE PRE
N'TAIT PAS
D'I-tUMEUR
ENTENDRE
GES FINE-'JSES.
" ,
lb es PeTITes pOMMes
ROuC?es ROULAIeNT
Tem eN se RURTM!, COMME Lec'OOses. L'UNe D'l.LSS,
~ce SANS FORce, --=:..... _7/~..-FROLA Le DOS De
GReGOR, r GLISSA
SANS LUI FAIRE: DE
M.PJ..,
RVMcRe,
Un mois passa.
Mfaibli par sa blessure,
la pomme suppurant
dans son dos, Gregor
tait prsent "couvert
de bouts de fil, de
cheveux, des restes de
mangeaille qui s'taient
accrochs son dos
et ses flancs ... ".
Sa sur bien-aime
jadis ne prenait plus
la peine de nettoyer
sa chambre.
Gregor, entendant la
belle musique, s'approcha en rampant dans
la pice. "Un animal
aurait-il t mu ce
point par de la
musique ?"
NOUS PE1l.SCLlTE
TOUS !!
"'-
W~,
er $O~
DMI6R SOUFFLE
S'EXl-tAlA. De ~$ ~AAJ.N~S.
Cl
Au matin la femme
de mnage le trouva.
Quand il se mit crire srieusement, Kafka fantasma sur un lieu de travail idal, coup du monde:
une cave isole o la nourriture lui serait apporte
et place derrire la porte la plus loigne. il n'aurait
qu' parcourir une courte distance pour la ramasser
et la manger avant de relancer sa crativit que les
contacts humains n'entraveraient plus. C'est ce qui
arrive au "je" du Terrier (Der Bau), une des rares
uvres de Kafka crites la premire personne. La
crature s'est construit un terrier avec des tunnels
qui s'entrecroisent, des monceaux de viande entreposs et un calme de forteresse.
Me~E
exraueuRS. IL y AALlS$l
DES eN"~E.MJ5 D~S LES
ENTRAIllES DE LA 'feRRE.
ON peuT
eNTe~[)RE
LeuRS
GRIFFeS
&AA1TER,
Le $Oos-
SOL, cerre
TERRE: QUI
EST LeuR.
TERRITOIRe',
er ALORS
ON" seNT
QU'O.N EST
PSRI>US.
Un tel "ennemi"
semble l'avoir
traqu, et le "je"
l'entend dans les
murs, il sait qu'il
est condamn. Il
sera pig, dchiquet
(comme toujours)
et n'aura pas la force
de rsister plus longtemps, bien qu' la
fin, il ne puisse tre
sr que la bte ait
rellement conscience
de sa prsence.
En raction
aux effets de la
maladie il eut
recours, tout au
long de sa vie,
divers remdes
et cures naturelles
qu'on trouvait
souvent dans les
clbres sanatoriums
d'Europe centrale,
si nom breux
l'poque. Il s'initia
la mthode
Mueller - exercices
de gymnastique
devant une fentre
ouverte - qu'il
pratiqua durant
de nombreuses
annes.
Dans beaucoup de sanatoriums, le nudisme
tait la rgle. Mais il y avait une exception:
.\\1/
.." , \ \
.. "
,1
" \ \1,
,"
nO
Kafka, petit-fils
de boucher casher,
devint galement
vgtarien,
affirmant que
la viande le faisait
se sentir comme
"une salet
trangre dans
(s)on lit".
'.
"
(Ir
r~
--
'
Ce qui, bien
sr, avait le
mme retentissement dans
d'autres groupes
plus sinistres,
qui exaltaient
"discipline et
virilit".
Felice vivait et travaillait Berlin et, bien qu'il n'y et que six heures de train jusqu' Prague, ces kilomtres taient pour Kafka une
protection suffisante. Il est parfaitement vident que, et-elle vcu
Prague, il n'y aurait pas eu de liaison.
Il semble qu'ils se soient - lors d'une de leurs rares rencontres adonns la "maladie des instincts" et que cela n'ait pas provoqu
chez Kafka le dsir de recommencer. En aot 1917, alors qu'il
avait pendant cinq ans tent d'chapper son pre par le mariage,
il devait prsent chapper au mariage. Un paragraphe isol de
son journal intime cette poque dit:
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-~
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- ~ ~~-,:::::a,.. _...-.,
...~ -~
~---.
. . . -.;.'
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--=--::-"_-:': -~-~
-.
--:- ~-
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, -- .:...:;:::.-;..~-=~
--"'"\-~
::...... ~ -
Au cours des
.cinq annes de
leur correspondance, ils ne se
virent en tout
et pour tout que
quelques semaines. Une fois
mme, alors
qu'ils taient
ensemble, elle
entreprit, son
grand dsespoir,
de remettre "
l'heure" sa montre
qui avait avanc
d'une heure et
demie (ce qui
l'avait rendu
heureux) depuis
trois mois.
-'. -
-~
La seule
solution tait
alors une sorte
d'autohypnose
ou "migration
intrieure", qui
lui permettait
la fois de
se couper du
monde et de
l'apprhender
tout entier...
"G/2.IRE ...
EST UN PLUS
PROFOND SOMMEIL
QUE LA MORT...
I>E MME QU'ON
N'EXTIRPE PAS
UN GORPS DE
SA TOMSE,
JE NE PEUX PAS
TRE A/2.RAGI-I
MON SUREAU
LA NUIT."
~ LA [OlONIE OIS[IPLINAIAE
(IN DER STRAFKOLONIE)
CEoSr UN APPAREIL
TRS tURIEUX...
QU'EoST-tE
{)ONt?
.-~
C'ESTUNE
MACHINE
REMARQUABLE!
Un voyageur arrivant
dans un camp pnitentiaire situ sur une le
des tropiques est pri
d'assister l'excution
d'un soldat condamn
mort pour "indiscipline
et outrages suprieur".
Ce soldat, qui a t
surpris endormi pendant
son service, ne connat
pas sa propre sentence,
ne sait mme pas qu'il
a t condamn et,
naturellement, n'a pas
eu l'occasion de se
dfendre devant un
tribunal.
Le commandant, qui
est galement le juge
attitr de la prison,
part du principe que
la faute est toujours
certaine. (Dans son
roman Amrique, Kafka
explique tout fait
clairement le principe
de cette "loi" fondamentale: en Europe tout
comme en Amrique
"les dcisions sont
prises comme la colre
les dicte aux juges
dans les premiers
L'officier, sachant
que ce type de peine
capitale tait pass
de mode, cherchait
l'approbation et
l'aide du voyageur.
Il le pressa de prendre
la dfense de la
machine.
Sortant un papier
de son portefeuille
de cuir, il le montra
au voyageur.
L'officier
grimpa nu
sur le "lit", et
se laissa lier par
le condamn
et le soldat ,
acceptant mme
le tampon de
feutre dans la
bouche.
M(iis quelque
chose se drgla.
Dans le mme temps, le nationalisme tchque prenait son essor, ses leaders
voyant dans la guelTe une chance d'chapper aux griffes rpressives de
l'Empire. Les nationalistes taient traditionnellement antismites et ils asso-
Kafka ne prit jamais parti, et n'avait que "haine pour les combattants,
qui je souhaite passionnment le pire". (Il semble pourtant que
plus tard il ait envisag de s'engager pour chapper au mariage qui
approchait!) La plupart des juifs pragois soutenaient les Allemands
contre les Allis (Angleterre, France, Japon, Russie, Belgique, Serbie
et Montngro), une ironie de l'Histoire qui allait se retourner contre
eux, une dcennie plus tard.
'-l=- -
'-
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i~}
;\~l
_ ,t
~:
,\l',l '
.~'-i~ ILL~'-;
VOU~
TES
~A Y RE'>SEMgLE., ,
EN ETAT
MAISPOUWUOI?
D'ARRESTATION, ..
JE NE SU IS PAS
AUTORIS
VOUS LE DIRE...
LA PROCDURE
EST EN&A0E,
VOUS APPI2.ENl'REZ TOUT AU
MOMENT
VOULU.,.
-.
'i-tOMME DE LA CAM.PAbNE,
ASONDAM.MENT POURVU DE
PROVISIONS, ESSAIE DE SOUDOYER LA SENTINELLE, QUI
ACCEPTE TOUT.
INTERVENEZ EN MA
FAVEUR !!!
TOUT lE MONDE
Gi-tERGi-tE GONNATRE lA lOI ...
c..OMMENT SE
FAIT-Il QUE
PERSONNE
D'AUTRE QUE
MOI NE T'AIT
' , ,'-:"".----""ll
DEMAND
~ S~'
D'ENTI?-ER? ." ~
"""7
~'''~~
-~..,...-.....
-. ,
oMARC!-lAIT
ENTRE EUX,
TOUr RAIDE.
ILS RALISAIENT
UNE COHSION
QU'ON NE PEUT
(;,URE OBTENIR
QU'AVEC.. DE
LA MATIRE
MORTE.
CH INSTANT PRCIS,
LES DEUX gATTANTS D'UNE
FENTRE S'OUVRIRENT
L-I-tAUT, ET UNE SILI-tOUETTE SE PENC/-tA SOUDAINEMENT AU-DEI-tORS EN
TENDANT LES gRAS
VERS L'AVANT.
UI TAIT-GE '?'?
UN AMI '? UNE gONNE
ME '? QUELQU'UN QUI
VOULAIT L'AIDER '?
'i AVAIT-IL UN RECOURS '?
EXISTAIT-IL DES
OgJECTIONS QU'ON
N'AVAIT PAS ENCORE
SOULEVES '?
C-ERTAINEMENT...
TAIT LE JUbE
QU'IL N'AVAIT JAMAIS VU '?
o TAIT LA HAUTE tOUR
lAQUELLE IL N'TAIT
JAMAIS PARVENU '?
IL LEVA LES MAINS.
La ville de Prague elle-mme s'tait transforme d'une faon trs particulire. Elle ne faisait plus partie du royaume de Bohme, mais de la
nouvelle rpublique de Tchcoslovaquie, dans laquelle les nationalistes tchques taient enfm en mesure de rendre les coups. Les
Allemands de Bohme tellement dtests ne constituaient plus la classe
dominante, position avantageuse dans laquelle ils avaient dirig la
bureaucratie du pays, prenant bien soin que la masse de la population
tchque active soit maintenue au-dessous du niveau allemand. Et,
invitablement, la langue allemande fut une des victimes du nouvel
ordre des choses. Un jour, alors que Kafka se rendait au bureau ...
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Et, pour autant qu'on puisse juger de telles choses, elle fut sans
doute la seule femme qu'il ait rellement aime. On le sent dans sa
correspondance. Les Lettres Milena ne ressemblent pas celles
qui taient adresses Felice, grande littrature mimant l'amour, o
nn
~Ql113Jion inif
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Il lUI GRIT :
PWP~. AUCUN
cuoses
~:,&w-
Une fois encore, Kafka tait convaincu que "nous ne vivrons jamais
ensemble, dans la mme maison, coude coude, la mme table,
jamais, pas mme dans la mme ville... " mais "au lieu de vivre
ensemble, nous pourrons au moins nous tendre heureusement l'un
contre l'autre afin de mourir".
Quelle qu'ait t son influence sur lui, on peut avancer que Milena
a servi de modle au personnage de Frieda dans le grand roman
inachev de Kafka ...
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Hl SIEN VOUS
TES EN RETAAD...
O SONT LES INSTRUMENTS '?
Incapable de trouver un
logement dcent, puis et
avide de sommeil, il est conduit
vers une autre auberge par
une jeune paysanne, Olga,
"une grande gaillarde".
60N ~Rs'APPUYA.
Intrigu,
K. demande
Frieda si
elle connat
Klamm, l'un
des influents
messieurs
du Chteau.
LEUR SERVE
DE LA
BIRE!
Q<?.J v.
ON c-l-\1ZJ ! MON
pOX c,\t1ZJ" c-\-\llc-l-\01A\T...
LL, SWS ~M ~'fOUc-"E12.
l'., SlMrLMt:rn: 'fNPU
SU12. Lb DOS EN rAMOISOf'l,
Q{.{
c-w..N'l'Nltf
U~ c-~50NNer'l'
PEUT-~T~E EST-IL
C,AGI-tE LA-DE-SSOUS...
NON! lL N'EST
PAS LA...
U1S, VoYAA'f
A~SO~$ PM ses
PENses, eLLe
L T\AAIGLA
coMM UN
et'lFAN't
~S HeU~5 rA5SRe~T,
es -yeux VINRENT
se poseR SUR
AMALIA, IL DVAIT
LeveR Le R&AAD
VERS ELLE QUl TAIT
~nN PLUS "'RANDe
Que
lUI.
er POURT~T '1'ELLeME~T
.....
e SU1S AVec
LfAAPe~TEUR~'
CRIA-T-6LLe, FAAPPAm'
LA PORTe AVe; SON
periT
POl~(?
Progressant
toujours plus
dans le labyrinthe,
K. rencontre Pepi,
qui remplace Frieda
comme serveuse.
Elle l'invite brlepourpoint vivre
avec elle et les
femmes de chambre,
Henriette et Emilie,
dans une petite
chambre en bas :
"Il y fait chaud et
c'est tout petit",
et les filles "se
serrent les unes
contre les autres".
--.j
....
HIER, TU AS T
ASSez AAR00ANT
POUR ME PARlER
DE MA ROSE!
Le texte original,
tel que Kafka l'a laiss,
~P.
tp.rminp.
~llr c:e~
mots.
Aucun de ces personnages fminins ne semble avoir d'existence propre, mais jaillit de son imagination afin de distraire K. ou Joseph K.,
pour le tenter et le sduire. La terreur du sexe qu'prouvait Kafka
est sans cesse mise l'preuve, mme si ces mmes femmes proposent quelque chose de plus.
r,
::
1
~,/
~
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- .......-
......
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-'./.....
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.~
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F----
EN RALIT, IL S'ASSIED
SU~
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gO~Ct-lE
./
'" Et c'est alors qu'il ralisa que le dgot et la salet taient une
partie ncessaire de l'exprience et que "ce petit geste, ce petit
. . . ._ _m_o....:t_"---.:::..:t=-al~ent prcisment ce qui l'excitait.
1
~
, "-
1
l>ANS SA VIE PERSONNELLE,
LES FEMMES TAIENT
POUR LUI UN REFUbE
C.ONTRE SON PRE,
EN TIE DESQUELLES
SE TROUVAIT SA SUR
C.ADEITE, OTTLA, au 1 SE
C.l-tARbEAIT LE MIEUX DE
GETTE TC.l-tE l-tERC.ULENNE.
(JJJ
"~II
'V' -.
\jc~
(~
Pendant un temps,
il envisagea mme de
devenir cultivateur
de pommes de terre...
~-~
... Et si a
n'avait pas
march, il
y avait toujours
la Palestine...
"JE RVAIS DE PARTIR
EN PAlESTINE COMME
FERMIER OU ARTISAN ...
POUR TROUVER UNE
VIE SENSE PLEINE DE
SCURIT ET DE SEAUT...
J'AIME L'ODEUR DU SOIS
RASOT, LE C!-tANT DES
SCIES, LES CLMUEMENTS
DES MARTEAUX... LE
TM,VAIL INTELLECTUEL
VOUS AlINE !-tORS
DE LA COMMUNAUT
!-tUMAINE."
- ----. -===$'-~~
-.--..
::...-""::-::-"
<3>
,.,..
-J'
,.,
La Terre promise ne serait jamais rien de plus pour lui qu'un rve
mais, bien sa faon, il crivit qu'il pouvait au moins la toucher du
doigt sur la carte.
.1
~~1in,1923.
r~): /~
Trois jours plus tard, dans son oraison, Milena Jesensk le dsigna
Comme "un homme condamn voir le monde avec une telle clart
aveuglante qu'il ne put le supporter et s'achemina vers sa mort".
-~.
"
.. ---.
--- -::-=;. ~ ,:. :.:-=-:~::J::0-=.::.... -..~ --<. ;) . ...>"S..-..
" - --..
_o"~ ~......)~ . _~
~
>---- >
-'.-~
-.
PRS CELA,
UN TOAST TAIT
PORT AU PUBLIC,
PRTENDUMENT
INSPIR l'IMPRESARIO, DANS UN
SOUPIR, PAR
l'ARTISTE.
11
ru
-r~
PAROlES. MAIS DANS SES YEUX
A/J. REbARD CASS SUBSISTAIT
LA DTERMINATION, FERME
DFA/J.T D'TRE ENCORE
FIRE, DE POURSUIVRE
SON JENE...
ME
LES SPECTATEURS
LES PLUS MOU/hS
FURENT SOULAbS
DE VOIR SONDIR
ceTTE CRATLIRE
SALlVAbE DANS
UNE CAbE QUI
AVAIT T SI LONbTEMPS VIDE DE VIE.
l-ES bAADIENS
LUI APPORTAIENT
SANS TROP SE
POSER DE QUESTIONS LA NOU~RI
TLlRE QLlI LUI
PLAISAIT.
llE NE PARAISSAIT
MME PAS REbRETTER
SA LIBERT PERDUE :
ON A/J.RAIT DIT QUE
CE ~O.slE GRPS,
bAVE A EN ECLATER
DE TOUT CE QU'Il lUI
FAlLAIT, PRTAIT A/J.SSI
SA LIBERTE AVEC lUI i
QU'EllE PARAISSAIT
S'TRE lObE QUELQUE
PS\RT DANS SA
MACI-tOIRE j ET DE
SON (,OSIER JAilLISSAIT
UNE JOIE DE VIVRE SI
ARDENTE QU'Il N'TAIT
PAS FACILE A/J.X
SPECTATEURS DE LUI
TENIR TTE. MAIS
ILS SE ~EPRIRENT,
ENTOURERENT LA CAbE,
ET NE VOULURENT
PLUS S'EN DTACI-tER
DU TOUT.
~.
~TFAC-E:
Un artiste du jene est l'un des rares rcits que Kafka pargna
dans les instructions qu'il laissa Max Brod de faire brler toute
son uvre, manuscrits et papiers, aprs sa mort. Ainsi, il tentait
encore de disparatre; bien que, comme l'a judicieusement fait
remarquer l'crivain J. L. Borgs : s'il voulait vraiment un bcher,
pourquoi n'a-t-il pas lui-mme craqu l'allumette?
Quoi qu'il en soit, comme nous le savons, Brod n'obit pas, et se
mit ranger ce qui tait, l'poque, un inextricable fouillis: chapitres non numrots et en dsordre, versions multiples, morceaux
raturs, uvres sans titre (beaucoup des titres que nous connaissons furent plus tard invents par Max Brod).
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Une edltlOn compltement revue par des
spcialistes de Kafka est parue enfin en
Allemagne, fonde sur des interprtations
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K. lui-mme
allait lentement
devenir le
fameux adjectif,
connu de beaucoup plus de
gens que le cercle de ses lecteurs ... Bien sr
- soyons francs la sonorit de ce
nom magnifiK
y est pour beaucoup, avec des
"K" typiKement
germaniKs,
Koupant Komme
des Kouteaux
dans notre
Konscience
Kollective.
EMgLME DU CI-IOUCAS
{'(..AWA EN TCI-IQUE)
UTILIS COMME EN- TTE PAR.
I-IER.MANN l'-AFI'-A POUR. SON
COMMER.a DE MER.aR.IE
ET D'TOFFES.
Nanmoins, le premier
et le meilleur des
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Les journaux intimes de Kafka, tenus entre les annes 1910 et 1923,
remplis de fragments d'observations personnelles, sont loin d'atteindre l'inquitant niveau de dvoilement personnel qu'on trouve
dans la Lettre au pre. Car ce document n'est pas simplement un
catalogue - tabli l'ge adulte - de reproches adresss un
parent, derrire le bouclier d'un timbre-poste. De faon typique,
en accusant son pre, Kafka trouve d'innombrables prtextes pour
s'accabler lui-mme tout autant.
Il lui tait impossible de passer l'attaque, son instinct l'aurait
immdiatement transfonn en reproches contre soi-mme...
"(,/-tAQUE JOUR
J'AI BESOIN
D'CRIRE AU
MOINS UNE lIbNE
DIRlbE CONTRE
MOI-MME."
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~, ~ A cette poque
l~~\ il tait devenu,
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"') ~. "une mmoire
J vivante", et sa
comprhension
de sa propre
histoire et de sa
nvrose est
sans doute sans
~~, quivalent dans
~.' la littrature
~ moderne.
S'il arrivait son pre d'ter ses bretelles et de les poser sur le dossier d'une chaise pour le battre, puis de l'pargner au dernier
moment, l'enfant se sentait en dette vis--vis de lui. Quand Hennann
Kafka tranait ses employs tchques dans la boue, c'est Franz qui
ressentait du remords sa place : "Et mme si, moi, insignifiante
crature que j'tais... je leur avais lch les pieds, cela n'aurait pas
compens la faon dont toi, le matre, tu les avais tancs."
En rsumant ainsi une vie entire de culpabilit sans limites face
son pre et de manque de confiance en soi, il fait cho la dernire
phrase du Procs, tandis que le couteau plonge dans la gorge de
Joseph K. : "C'tait comme si la honte dt lui survivre."
Bien sr, il fut incapable de remettre cette lettre en mains propres,
et il en laissa le soin sa mre. Aprs en avoir lu le contenu, celleci se ravisa, la retourna l'envoyeur, et la lettre n'atteignit jamais
son destinataire.
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Mme dans Le Procs, dont l'action a pour cadre Prague (qui reste
innomme), la tristesse des dcors ne constitue certes pas un loge
de la clbre capitale. Ses superbes glises et monuments publics
ont l'air aussi lugubres que tout ce qui est dcrit par ailleurs dans
le roman.
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En 1963, l'occasion du quatre-vingtime anniversaire de sa naissance, un "Congrs Kafka" se tint Liblice prs de Prague, dans le
but explicite de rhabiliter l'crivain. Dans son discours inaugural,
le distingu critique Ernst Fischer dclara: "II y a du rattrapage
faire. Kafka est un crivain qui concerne tout le monde." Suivirent
de nombreuses communications remettant Kafka sa vraie place
dans la littrature europenne - de faon le rendre "casher" aux
communistes tchcoslovaques -, soulignant le fait qu'il avait t
membre du mouvement pragois de littrature germanique qui
avait nourri la tradition humaniste et combattu l'essor de l'imprialisme mondial.
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Dans la "Prague libre" des annes 1990, o ses livres n'taient plus
interdits (mais pas lus pour autant), on pouvait acheter des teeshirts Kafka tous les coins de rue du quartier touristique, ou son
portrait sur des plats en porcelaine, ou sur des sculptures artisanales en bois. On pouvait faire le circuit "Kafka" ("Djeunez avec
Kafka" - sic) et visiter tous les endroits o rde son fantme.
Bientt, comme Salzbourg avec Mozart, on croquera sa tte en
chocolat.
(L'un des antidotes bienvenus tout cela est la Socit Franz Kafka
qui a son sige dans le vieux quartier et tente avec srieux de faire
revivre l'hritage juif de Prague.)
...
Cette nouvelle Prague, avec sa culture touristique en pleine expansion, calque sur le modle amricain, commence ressembler au ...
THBATBE DE tA "NATUnE"
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L'oncle Jacob le prsente M. Pollunder, un riche et prospre NewYorkais qui l'emmne faire un tour en voiture, donnant Karl sa
premire vritable vision d'un paysage amricain vraiment curieux.
TU ME FAIS DE LA PEINE,
TU ES A'>SEZ JOLI bAADN ...
'>1 TU AVAIS APPRIS l JIU-JITSU,
TU M'AURAIS PROBAglEMENT
ROSSE!
S'tant dbarrass
de ces vagabonds,
Rossman est recueilli
par une autre des femmes "rconfortantes"
de Kafka, cette fois la
directrice de l'htel.
vous NE
VOUDRIEZ
PAS UNE
PLAGE DANS
GET I-tTEL ?
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TU Me
PARAI5
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.. TOI!
Rpondant
l'appel, Karl
s'y rend et se
prsente l'un
des deux cents
bureaux d'accueil
o l'on recrute
les nouveaux
membres. Quand
on lui demande
son nom, il donne
le surnom qu'il
avait dans son
emploi prcdent.
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C'est le thtre de la nature de Prague - quelque chose pour tous dans lequel Kafka trouve sa place au milieu du kitsch. Aprs des
annes o on l'a ignor, ou trait comme un paria, la Rpublique
tchque a dcouvert finalement son trange fils juif, qui n'est plus
une menace, mais soudain la plus lucrative des attractions touristiques. Il aurait pleinement got l'ironie de la chose...
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