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Régionalisation

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Direction des Etudes et des Prévisions Financières

Division de l’Information
Service de la Documentation

Dossier documentaire
La régionalisation

Avril 2010
SOMMAIRE 
 

I. EUROPE  
1. LA REGIONALISATION ET L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE EN EUROPE : 
UNE REVOLUTION POLITIQUE EN FAVEUR D'UN PARTENARIAT 
TRANSATLANTIQUE ? 
2. LE BILAN ET LES PERSPECTIVES DE LA REGIONALISATION EN EUROPE PAR 
MONSIEUR PHILIPPE DE BRUYCKER 
3. POLITIQUE REGIONALE EUROPEENNE  
a. FRANCE 
1. POLITIQUE ECONOMIQUE ET SOCIAL REUNIFICATION 
2. L’invention de la régionalisation « à la française » (1950‐1964) 
b. ESPAGNE 
1. L’ORGANISATION TERRITORIALE EN Espagne 
2. Régionalisation L’expérience de la Catalogne 
c. ALLEMAGNE 
1. L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET LA POLITIQUE REGIONAL EN 
Allemagne 
2. L'ORGANISATION TERRITORIALE ET ADMINISTRATIVE DE LA REPUBLIQUE 
FEDERALE D'Allemagne 
II. CANADA 
1. PRESERVER LA DISCIPLINE BUDGETAIRE AU CANADA 
2. Estimation du produit intérieur brut régional des 17 régions 
administratives du Québec 
3. LA POLITIQUE QUÉBÉCOISE DE RÉGIONALISATION DE L’IMMIGRATION: 
ENJEUX ET PARADOXES 
III. MAROC 
1. LA PORTEE DE LA REGIONALISATION AU MAROC 
2. RAPPORT SUR LE CADRE CONCEPTUEL, LEGISLATIF ET REGLEMENTAIRE 
DES PROCESSUS DE DECENTRALISATION ET DE REGIONALISATION AU 
MAROC 

 
Source : Site web : diploweb Géopolitique de la Grande Europe

Web : http://www.diploweb.com/forum/hillard2.htm

LA REGIONALISATION ET L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE EN EUROPE : UNE


REVOLUTION POLITIQUE EN FAVEUR D'UN PARTENARIAT TRANSATLANTIQUE ?

En 2003, l’élaboration d’un projet de Constitution européenne sous l’égide de Valéry Giscard
d’Estaing accélère considérablement l’émergence d’un pôle continental. Certes, de nombreuses
étapes sont encore nécessaires afin d’aboutir à une Europe unifiée. Cependant, des éléments-clefs
permettent déjà de cerner l’ampleur du projet comme la coopération transfrontalière, la
régionalisation et l’aménagement du territoire. En effet, de nombreux documents ont été élaborés
au sein de divers instituts européens posant ainsi les fondements d’une Europe fédérale des
régions.

Le système obéit à une logique. Chaque texte pris isolément présente certes un intérêt majeur,
mais il ne prend toute sa mesure qu’associé à un ensemble de décisions. La réunion de l’ensemble
nous aide à mieux saisir l’enjeu qui anime les partisans d’une Europe unie selon le modèle fédéral.
Inévitablement, se pose la question du degré de partenariat avec les Etats-Unis qui, au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale, ont été favorables à l’émergence d’une entité européenne forte
capable de s’opposer à l’Union soviétique. L’effondrement de l’URSS, en 1991, a conduit à
repenser ce partenariat.

En effet, tout le problème est de savoir si l’Europe doit s’intégrer encore plus à une architecture
transatlantique resserrée ou si elle doit définitivement rompre avec le Nouveau Monde. La
politique des acteurs européens et américains doit nous permettre de répondre à cette question.
1. Vers la disparition des frontières en Europe

Actuellement, la volonté d’aboutir à un marché unique en Europe conduit au démantèlement des


frontières nationales. L’inspiratrice de cette politique s’appelle l’Assemblée des Régions
Frontalières Européennes (l’ARFE) s’appuyant sur un document européen : la convention-cadre
sur la coopération transfrontalière ou charte de Madrid. Créé en 1971, cet institut européen est en
réalité allemand par ses fondateurs et ses dirigeants. Située en Allemagne à Gronau, l’ARFE
poursuit l’objectif d’effacer de plus en plus les frontières étatiques afin de pouvoir procéder à des
coopérations transfrontalières et interrégionales renforcées. Environ 160 régions frontalières (ou
eurorégions : entités territoriales de part et d’autre de la frontière) sont sous l’autorité de cet
institut.

Son but est, selon les textes officiels, le suivant : « l’objectif de l’action menée au sein des régions
frontalières et le but poursuivi au travers de la coopération transfrontalière sont la suppression
des obstacles et des facteurs de distorsion existant entre ces régions, ainsi que le dépassement de
la frontière, tout au moins la réduction de son importance à une simple frontière
administrative »1[1]. Cet objectif dont les conséquences politiques, géopolitiques et sociales sont
énormes touche toute l’Europe et en particulier depuis les années 1990 les pays d’Europe centrale
qui doivent intégrer l’Union européenne (UE) le 1er mai 2004. La carte de la coopération
transfrontalière de l’ARFE élaborée en 2000 révèle toute l’étendue de cette politique en Europe1
http://www.diploweb.com/cartes/regionsarfe.pdf. 1 [2].

Pour une vision plus précise d’un exemple type d’eurorégions, la carte concernant les territoires
frontaliers autour de l’Allemagne est particulièrement significative.1
http://www.diploweb.com/cartes/zusamm1.htm . 1[3].

Elle montre entre autres que les eurorégions le long des frontières germano-polonaises et
germano-tchèques mordent en partie sur des territoires allemands jusqu'en 1945. Il est bon de
souligner que les eurorégions du côté tchèque correspondent au territoire des anciennes
implantations sudètes, population germanique expulsée en 1945 et en 1946 suite aux décrets
Benes.

Quelles conséquences ?
Dans cette dissolution des frontières, les conséquences sont doubles.

D’abord, en raison de la reconnaissance du phénomène ethno-linguistique au sein des instances


de l’UE (charte des langues régionales ou minoritaires, convention-cadre pour la protection des
minorités et charte des Droits fondamentaux - en particulier les articles 21 et 22 - incluse dans la
future constitution européenne), les groupes ethniques n’auront plus à subir une partition due à
l’existence d’une frontière nationale inamovible. Ce n’est d’ailleurs pas l’effet du hasard si l’ARFE
est dirigée depuis 1996 par un Espagnol, ou plus exactement, par un Catalan : Joan Vallvé. Ce
dernier, Président de l’Intergroupe langues minoritaires du Parlement européen, poursuit une
politique de promotion des « langues moins répandues »1 [4].

Ensuite, dans la volonté de créer un marché économique unique, la levée des barrières
frontalières permet d’approfondir les échanges (économiques, technologiques, les transports,
mais aussi de favoriser l’uniformisation administrative et fiscale par exemple entre l’Alsace et le
Pays de Bade1 [5] ou encore de favoriser la création d’un eurodistrict Strasbourg/Kehl ...) comme
le promeut l’ARFE dans son rapport intitulé « Principes fondamentaux d’une opération-cadre
régionale par INTERREG IIIC »2[6] (sigle allemand : RRO).

Trois axes

Ce projet, consistant à promouvoir la coopération entre régions et communes frontalières et


transnationales en Europe et à effacer progressivement les problèmes d’ordre administratif ou
législatif, s’articule autour de trois axes : L’opération-cadre régionale, des projets ciblés et des
réseaux. Comme le souligne le rapport de l’ARFE lors de son trentième anniversaire : « Il faut
toutefois considérer les multiples structures et particularités régionales comme la richesse de
l’Europe, les maintenir et les développer. L’introduction cohérente de l’idée de régionalisation
dans la Constitution des Etats d’Europe profite aussi directement à la collaboration
transfrontalière régionale. C’est pourquoi une meilleure coordination et une collaboration
intensive des décideurs locaux, régionaux, nationaux et européens restent indispensables pour
résoudre les problèmes des régions frontalières et transfrontalières. La collaboration
transfrontalière contribue à la suppression des déséquilibres et obstacles économiques dans les
régions frontalières voisines, en partenariat avec les Etats nationaux et les instances européennes,
dans le cadre régional appréciable. Il s’agit de contrer les effets centralisateurs croissants du
travail, des services et du capital dans les centres industriels d’Europe par des politiques
régionales et d’aménagement du territoire nationales et européennes adaptées »3[7].

Comme le souligne justement ce document, cette coopération transfrontalière n’est possible qu’à
la condition de favoriser la régionalisation et l’aménagement du territoire en Europe. C’est dans
cette perspective qu’il faut comprendre l’inscription du principe régional et le renforcement de la
décentralisation par le vote du Congrès réuni à Versailles le 17 mars 2003. En réalité, la montée
en puissance du fait régional et de son corollaire, l’aménagement du territoire, est orchestrée
partout en Europe.

2. La région, l’acteur incontournable de la construction européenne

Le 26 juin 2003, le Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin a rencontré le Chancelier


allemand Gerhard Schröder à Berlin, accompagné de quatre présidents de régions (trois de droite
et un de gauche) dont Gérard Longuet, président de l’Association des régions de France
(l’ARF)4[8]. L’objectif affiché était de renforcer la coopération entre les régions françaises et les
Länder allemands. Affirmant que la stratégie franco-allemande devait s’appuyer sur une légitimité
populaire, le Premier ministre a ajouté que « C’est très important pour la construction de la
Grande Europe (...). Pour ce faire, nous avons besoin des Länder, nous avons besoin des régions
(...). C’est le début d’une coopération annuelle entre les régions et les Länder ». Une telle
déclaration en faveur du fait régional ne peut se comprendre qu’en raison du lancement de la
recommandation 34 (1997) du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux d’Europe5[9].

Qui était le ministre-président ?

En effet, ce texte fondateur de la régionalisation en Europe a été présenté pour la première fois, à
l’initiative du gouvernement du Land de Basse-Saxe, à Hanovre le 22 mars 1996. Le ministre-
président à cette époque s’appelait Gerhard Schröder. Par ailleurs, le rapporteur Peter Rabe,
député socialiste au Land de Basse-Saxe, avait pour président du groupe de travail Llibert
Cuatrecasas, ministre délégué aux affaires de Catalogne. L’Allemagne, cherchant à mettre en place
une régionalisation proche de son système politique, s’entoure de politiques rebelles à l’autorité
centralisatrice. Dans cette affaire, la présence d’un ministre catalan se comprend fort bien.
Constitué de 28 articles, le projet de Charte de l’autonomie régionale fait la part belle aux régions
qui sont en mesure de s’émanciper politiquement de l’autorité nationale au profit des instances
supranationales de Bruxelles. A la lecture de ce projet, on relève entre autres l’octroi aux régions
d’« un pouvoir de décision et de gestion dans les domaines qui relèvent de leurs compétences
propres. Ces pouvoirs doivent permettre l’adoption et l’exercice d’une politique propre à chaque
région » (art. 4), ou encore l’adoption d’un « système de financement (fournissant) un montant
prévisible de recettes proportionnées à leurs compétences, leur permettant de mener une
politique propre » (art. 14). Cette montée en puissance de la région se double du renforcement
des liens entre l’autorité politique régionale et les instances supranationales de Bruxelles. Ainsi,
depuis le 1er janvier 2003, la représentation régionale d’Alsace peut traiter directement avec
Bruxelles pour la gestion des Fonds structurels sans en référer à Paris. Ce principe devrait être
étendu à l’ensemble des régions françaises.

En France, la recomposition du mode de scrutin en sept grandes régions (la huitième concerne
l’outre-mer) accentuera la primauté de la région dont le député européen sera l’élu direct
contournant ainsi l’autorité nationale. Ce projet présenté par Michel Barnier (commissaire
européen) en 19986[10] a recueilli les faveurs du gouvernement Raffarin. Cependant, ces profondes
modifications prendront une dimension nouvelle avec l’application de l’article 8 du projet de
charte de l’autonomie régionale intitulé : « Relations inter-régionales et transfrontalières ». Cet
article stipule que : « Dans les domaines qui relèvent de leurs compétences, les régions sont
fondées, le cas échéant dans le respect des procédures établies par le droit interne, à entreprendre
des actions de coopération inter-régionale ou transfrontalière (...). Les régions appartenant à un
espace transfrontalier peuvent se doter, dans le respect du droit de tous les ordres juridiques
nationaux concernés et du droit international, d’organes communs de type délibératif et/ou
exécutif ».

"Amollir" la frontière nationale en une frontière administrative

On comprend mieux l’importance de l’ARFE qui préalablement, « amollissant » la frontière


nationale en frontière administrative et favorisant l’unification fiscale, administrative
transfrontière etc ..., ouvre la voie à des refontes de frontières régionales en fonction de critères
ethniques (le préambule du projet de charte de l’autonomie régionale reconnaît l’obligation de
protéger les minorités) ou économiques, les deux se confondant parfois. D’ailleurs l’article 16
intitulé « Protection des limites territoriales des régions » autorise ces déplacements de frontières
régionales en des termes très nets : « La modification du territoire d’une région ne peut intervenir
qu’après que celle-ci ait marqué son accord, sans préjudice des procédures de démocratie directe
qui peuvent, le cas échéant, être prévues à cet égard par le droit interne. Dans le cas d’un
processus général de redéfinition des frontières régionales, l’accord exprès de chaque région peut
être remplacé par une consultation de l’ensemble des régions concernées, le cas échéant selon les
procédures prévues par le droit interne ». Jean-Pierre Raffarin a donné la possibilité d’organiser
des référendums locaux qui autorisent la mise sur pied de cet idéal7[11].

Au sein des instances européennes, le regroupement des régions en fonction d’intérêts


économiques est déjà un fait accompli comme le révèle la carte élaborée par la Commission
européenne en liaison avec l’ARFE et décrivant les actions de coopération transnationale.1
http://www.diploweb.com/cartes/interreg.pdf 1 [12].

Comme le stipule les textes officiels : « Interreg IIIB regroupe désormais toutes les actions de
coopération transnationales impliquant les autorités nationales, régionales et locales et les autres
acteurs socio-économiques. L’objectif est de promouvoir l’intégration territoriale au sein de
grands groupes de régions européennes y compris au-delà de l’Union des Quinze, de même
qu’entre les Etats membres et les pays candidats ou autres voisins, et à favoriser ainsi un
développement durable, équilibré et harmonieux de l’Union. Une attention particulière est
accordée notamment aux régions ultrapériphériques et insulaires »8[13].

En résumé

Récapitulons le fil de cette politique : 1) Disparition progressive de la frontière nationale au profit


d’une frontière administrative « amovible », 2) Montée en puissance des régions à qui il est
transféré une autorité politique où émerge un président ayant le poids, toute proportion gardée,
d’un gouverneur d’un Etat américain, mais traitant de plus en plus avec Bruxelles, autorité
supranationale, et non avec l’autorité nationale, enfin, 3) Possibilité de regroupement de régions
en fonction de critères économiques et/ou ethniques. Dans cette affaire, le regroupement en
France des régions en sept grandes zones métropolitaines pour les élections régionales et
européennes offrent déjà un cadre fort attractif.
3. Une régionalisation à l’échelle continentale

Cependant, cette régionalisation ne concerne pas uniquement les Quinze Etats de l’Union. En
réalité, c’est toute l’Europe qui se fragmente en vue de permettre l’extension à l’Est de l’Union
européenne. Cet objectif est largement défini au sein d’un institut européen, l’Assemblée des
Régions d’Europe (l’ARE). Créé en 1985 par des Français, des Espagnols et des Portugais, cet
institut a été repris en 1987 par les Allemands qui procédèrent à une refonte complète du
système, en particulier sous l’égide de Heinz Eyrich qui fixa les nouveaux statuts de l’ARE à
Mannheim en 19929[14].

Désormais, des principes fédéralistes, régionalistes et ethnicistes ont été insufflés dans les
structures de cet institut qui élabora tout un corps de doctrine fidèle à la spiritualité politique
germanique. Tous les documents, tous les textes et tous les rapports élaborés par l’ARE
constituent une base de travail qui a influé sur les travaux de la Convention en charge d’élaborer
une constitution pour l’Europe grâce en particulier à l’action de sa présidente autrichienne, Lise
Prokop, mais aussi en raison du soutien de son Vice-président et président de la région Alsace,
Adrien Zeller. Or, l’ARE a élaboré en 2002 une carte de l’Europe entièrement régionalisée10[15].
Cette carte souligne d’abord que tout semble préparé d’avance. Cette régionalisation ne se
contente pas de fragmenter l’Europe centrale, mais aussi la Russie dont les frontières régionales
s’étendent vers la Sibérie.

Et la Turquie ?

Surtout, cette carte révèle que le projet d’intégration de la Turquie est déjà accompli.
Indirectement, cette carte montre que les débats officiels pour ou contre l’intégration de la
« Sublime Porte » sont vains aux yeux des autorités européennes, sauf retournement
extraordinaire de la situation. S’obligeant de respecter les critères de Copenhague (Etat de droit,
respect des droits de l’homme, protection des minorités, ...), la Turquie s’est engagée dans des
réformes afin de montrer « patte blanche » en vue de son intégration à l’UE. En raison de ses
nombreuses minorités, essentiellement kurde, les composantes ethniques de ce pays sont en
mesure de réclamer des droits ethno-linguistiques. Il ne faut pas oublier aussi que des minorités
comme les Kurdes peuplent aussi l’Iran, l’Irak et le nord de la Syrie. L’émergence de régions à
l’Est de la Turquie bénéficiant d’une autonomie politique large - indépendante d’Ankara car elles
traiteront elles aussi directement avec Bruxelles - et assurant une reconnaissance identitaire aux
Kurdes risquent, en plus de détruire l’unité de l’Etat, d’attiser les volontés de ces populations
éparses de se souder en une seule entité. Par ailleurs, les peuples de Turquie seront en mesure de
réclamer des droits religieux qui, compte tenu de la très forte majorité musulmane au sein de la
population, risquent d’entraîner l’émergence du fondamentalisme.

Malmené dans ses frontières et sa Constitution, l’Etat laïc d’Atatürk sera déstabilisé par ses
changements. Bien des troubles sont à prévoir et l’UE risque d’avoir pour longtemps un porteur
de troubles à ses flancs si elle intègre ce pays. Cependant, ces risques ne semblent pas perturber
les dirigeants européens qui poursuivent leur politique dans le cadre de l’aménagement du
territoire.

4. L’aménagement du territoire européen : une vision continentale

L’aménagement du territoire est un concept largement méconnu mais dont les conséquences
touchent les politiques économique, sociale, culturelle et écologique. Cet aménagement du
territoire prend un relief extraordinaire à partir du moment où il s’additionne à l’effacement des
frontières nationales et à la primauté donnée aux régions. D’une certaine manière, tout
s’additionne.

C’est à partir des années 1960 que l’Assemblée parlementaire et la Conférence permanente
(devenue Congrès en 1994) des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE) du Conseil de
l’Europe ont décidé d’entreprendre une grande politique d’aménagement du territoire.
L’Allemagne fut le moteur de ce projet. En effet, l’idée de convoquer une Conférence
Européenne des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire (CEMAT) a été lancée
devant les Etats Généraux des Communes d’Europe, en 1964, par M. Lücke, Ministre fédéral
allemand de l’Intérieur11[16]. Ce dernier fit d’ailleurs remarquer que son gouvernement portait un
grand intérêt à l’organisation de cette Conférence.

Les objectifs

Par la suite, le rapport « Aménagement du territoire - Problème européen », sous la direction de


Gerhard Flämig, rapporteur au nom de la commission des pouvoirs locaux, fut soumis à
l’Assemblée en 196812[17]. Ce rapport, résultat de trois ans d’enquêtes et de recherches, soulignait
les grands objectifs d’une politique européenne de l’aménagement du territoire. Il s’ensuivit deux
recommandations adoptées par l’Assemblée (Recommandations 525 et 526) « en instituant à cet
effet une conférence ministérielle permanente chargée de donner les grandes orientations
politiques et d’assurer l’harmonisation des politiques nationales ». Un comité des hauts
fonctionnaires chargé d’organiser cette conférence posa les premiers jalons lors de la réunion à
Strasbourg du 10 au 12 juin 1969. Le président de ce comité, M. Toyka, directeur au ministère de
l’Intérieur et chef de la délégation de la République fédérale d’Allemagne, proposa M. Essig, chef
de la délégation française, comme vice-président, sur proposition de la délégation allemande13[18].

Enfin, le gouvernement allemand proposa que la première réunion de la CEMAT se tienne à


Bonn les 9 et 11 septembre 1970. Ces réunions se sont succédées par la suite sous la direction de
différents pays comme l’Autriche (1978), l’Espagne (1983), la Suisse (1988) ou déjà la Turquie
(1991).

Le critère fédéral

Dans le cours de cette politique, une première étape fut franchie avec l’élaboration de la Charte
européenne de l’aménagement du territoire (appelée aussi Charte de Torremolinos)14[19]. Cette
Charte fut adoptée lors de la Conférence de la CEMAT en Espagne. Selon ce document, les
principes retenus pour l’aménagement du territoire doivent être démocratiques, globaux,
fonctionnels et prospectifs. Tout en poursuivant le développement socio-économique,
l’amélioration de la qualité de vie, la gestion des ressources naturelles, la protection de
l’environnement et l’utilisation rationnelle du territoire, cette Charte annonçait par avance les
documents germano-européens (les chartes de l’autonomie locale et régionale et la convention-
cadre sur la coopération transfrontalière) qui sont en train de remodeler le corps européen selon
le critère fédéral et régional.

La Charte de Torremolinos rappelle qu’il convient de faire en sorte que « les diverses autorités
concernées par la politique de l’aménagement du territoire soient dotées de compétences de
décisions et d’exécution ainsi que de moyens budgétaires suffisants. En vue d’assurer une
coordination optimale entre le niveau local, régional, national et européen, aussi en ce qui
concerne la coopération transfrontalière, ces autorités doivent tenir compte dans leur action des
mesures prises ou prévues à l’échelon inférieur ou supérieur et par conséquent s’informer
réciproquement et de manière régulière »15[20]. Pour les promoteurs de cette politique, il se dégage
quatre axes :

1) « Au niveau local : coordination des plans d’aménagement des pouvoirs locaux devant tenir
compte des intérêts de l’aménagement régional et national.

2) Au niveau régional : cadre le mieux approprié pour la mise en œuvre d’une politique
d’aménagement du territoire : coordination entre les instances régionales elles-mêmes, les
instances locales, nationales et entre régions de pays voisins.

3) Au niveau national : coordination des différentes politiques d’aménagement du territoire et


des aides aux régions et concertation entre les objectifs nationaux et régionaux.

4) Au niveau européen : coordination des politiques d’aménagement du territoire en vue de


réaliser les objectifs d’importance européenne et un développement général équilibré »16[21].

La Grande Europe : jusqu'à Vladivostock

Cependant, ces objectifs restaient limités du fait de la coupure de l’Europe partagée entre les
Etats-Unis et l’URSS. En novembre 1989, la chute du mur de Berlin a bouleversé la donne. C’est
lors de la réunion de la CEMAT à Hanovre (les 7 et 8 septembre 2000) qu’un nouveau et
ambitieux chapitre a vu le jour. En effet, c’est sous le titre « Principes directeurs pour le
développement territorial durable du continent européen » que cet institut a élaboré tout un
ensemble de paramètres codifiés par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, le 30 janvier
2002, sous la forme d’une recommandation (Rec (2002)1). L’aménagement du territoire atteint
une ampleur sans précédent puisque les objectifs s’étendent jusqu'à Vladivostock comme le
présente la carte élaborée par le Conseil de l’Europe
1 [22]
http://www.diploweb.com/cartes/cemat.pdf .

Il est vrai que la Russie a intégré le Conseil de l’Europe en février 1996 offrant des perspectives
nouvelles. Cette vision continentale s’appuie sur un grand nombre de documents européens qui
encadrent et prolongent la politique d’aménagement du territoire. Comme le rappellent les textes,
« Les Principes directeurs tirent les enseignements d’un grand nombre de documents du Conseil
de l’Europe.

Parmi eux figurent la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des


collectivités ou autorités territoriales, la charte de Torremolinos de 1983, les travaux d’analyse
pour un schéma européen d’aménagement du territoire (ndlr : adopté lors de la Conférence de la
CEMAT, à Lausanne, en 1988), la charte de l’autonomie locale et le projet de charte européenne
de l’autonomie régionale. Sont également pris en compte dans le document le Schéma de
développement de l’espace communautaire (SDEC, ndlr : adopté lors du Conseil informel des
ministres de l’aménagement du territoire à Potsdam, en Allemagne, en mai 1999), l’Agenda 21
pour la Baltique ainsi que les stratégies de développement territorial élaborées actuellement pour
des sous-ensembles du continent européen, telles que les conceptions territoriales pour le bassin
de la Baltique, Vasab 2010 (coopération entre onze Etats), l’esquisse de structure du Bénélux
(coopération entre trois Etats) et la stratégie pour un développement territorial intégré en Europe
centrale, adriatique et danubienne (Vision Planet - coopération actuellement entre douze Etats,
(ndlr : adopté lors du 4è séminaire des groupes de projets, Vienne, janvier 2000) »17[23].

L’accumulation d’un si grand nombre de documents révèle l’arrière-fond de cette politique


fédéralo-régionale tendant à créer un pôle européen soudé. Désormais, la question majeure que
l’on peut se poser est la suivante : forte d’un partenariat transatlantique né au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, l’Europe doit-elle approfondir ce lien ou le rompre afin d’apparaître
aux yeux du monde comme une force incontournable, désignée par certains sous l’expression
« Europe puissance » ?

5. Le partenariat transatlantique, « je t’aime, moi non plus »

Au cours de l’année 2002 et durant les premiers mois de l’année 2003, les relations
transatlantiques ont connu une forte houle au sujet de l’intervention militaire américaine et
anglaise en Irak. La France et l’Allemagne ont manifesté une opposition qui a rallié la Russie et la
Chine. Dans cette affaire, la France a été la figure de proue et a recueilli un soutien très large chez
les Français comme dans de nombreux pays de part le monde. Pourtant, à y regarder de plus près,
on se rend compte que la France s’est trouvée bien isolée.

En effet, la Russie et la Chine ont louvoyé pour, finalement, adopter une politique plus
conciliante à l’égard des Etats-Unis après la chute de Bagdad. Mais c’est notre voisin d’outre-Rhin
qui a eu le comportement le plus insolite. A l’origine, au cours de sa campagne électorale durant
l’été 2002, le chancelier Schröder n’a pas hésité à refuser tout engagement de l’Allemagne en Irak
« avec ou sans mandat de l’ONU ». Cette attitude a permis de rallier les voix de nombreux
pacifistes qui lui ont permis de gagner les élections d’une courte tête, c’est-à-dire avec l’appoint de
6000 voix. Par la suite, le Chancelier Schröder a continué à manifester son refus de toute
intervention en Irak. Cependant, la position allemande n’a pas été aussi franche que l’on pense. Il
est même possible d’évoquer le terme de "duplicité".

Quelques exemples

En effet, des troupes allemandes NBC (nucléaire, biologique, chimique) stationnaient au Koweït
depuis janvier 2002. Ces troupes NBC furent renforcées début mars 200318[24], alors qu’on était en
pleine crise irakienne, appuyées par la présence de blindés allemands Fuchs (Fuch-Spürpanzer)
stationnés au Koweït19[25]. A cela, il fallait ajouter l’existence de drones (appareils de
reconnaissance sans pilote : Luna-Aufklärungsdrohnen). Des équipages allemands ont servi dans des
avions Awacs d’observation au niveau de la frontière turco-irakienne avec un sauf-conduit de la
Cour constitutionnelle20[26]. Le gouvernement de Berlin a livré plus de 100 missiles Patriot, fournis
officiellement à Israël, mais servis par un personnel américain21[27].

Enfin, depuis la fin de la guerre en Irak, un groupe d’élite paramilitaire allemand, le GSG 9
(Grenzschutzgruppe 9), directement sous les ordres du ministère de l’Intérieur d’Allemagne dirigé
par Otto Schilly, s’active à protéger les diplomates et les centres d’intérêts allemands. Le GSG 9
est utilisé comme « source d’information indispensable » au service des missions
d’espionnage22[28]. Force est de constater que la position allemande pratiquait et pratique encore la
politique du grand écart entre les Etats-Unis et la France.

Un rapprochement entre l'Allemagne et les Etats-Unis ?

Cependant, on observe depuis de quelques mois un rapprochement significatif entre Berlin et


Washington. Le coup d’envoi officiel fut lancé le 9 mai 2003 lors du centième anniversaire de la
fondation de la Chambre de commerce américaine à Berlin. Lors de son discours, le chancelier
Schröder s’est employé à exprimer la fidélité totale de l’Allemagne à l’égard des Etats-Unis,
désigné sous le terme « d’amitié vitale » (vitale Freundschaft).

Pour le Chancelier, l’initiative de son pays ainsi que de la France, de la Belgique et du


Luxembourg en faveur d’une coopération militaire étroite ne remet absolument pas en cause
l’OTAN. Fait capital dans ces relations germano-anglo-saxonnes, Gerhard Schröder a évoqué la
nécessité d’établir une nouvelle répartition du travail (eine neue Arbeitsteilung) au sein de
l’Alliance atlantique23[29]. Cette « répartition du travail » est un élément capital à retenir. En
effet, du fait de l’extension de l’UE et de l’OTAN à l’Est, de la réussite de la politique allemande à
insuffler son modèle fédéral et régional dans la construction européenne, un nouveau réglage au
sein du partenariat transatlantique s’avère indispensable. Ceci est d’autant plus vrai qu’au cœur de
la brouille transatlantique durant l’hiver 2002/2003, le gouvernement américain a dépêché un
émissaire républicain auprès du gouvernement allemand pour traiter de la politique de sécurité en
Europe.

Echéances pour l'OTAN et l'UE

Selon le Financial Times Deutschland, les Etats-Unis souhaitent un plus grand engagement de
l’Allemagne dans cette politique d’extension. Le projet d’une « Europe libre et unie » doit obéir
aux modalités suivantes. Les préparatifs permettant l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN doivent
commencer en 2004, suivis de la Serbie en 2005 et de la Croatie et de l’Albanie en 2007. Pour
2007, les Etats-Unis souhaiteraient l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Selon le
Financial Times Deutschland, « l’intégration complète des Balkans et de l’Ukraine dans les
institutions euro-atlantiques doit être achevée pour 2010 »24[30].

Cette politique commence à se matérialiser puisque le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, a
signé le 2 mai 2003 à Tirana, une « Charte de l’Atlantique » avec l’Albanie, la Macédoine et la
Croatie, destinée « à faciliter l’intégration de ces trois pays balkaniques aux institutions euro-
atlantiques ». Comme le précise Colin Powell, « Cette charte servira comme un guide pour leur
intégration euro-atlantique, ainsi que comme un guide pour nos efforts collectifs visant à les aider
à atteindre leur objectif. Elle (la charte) souligne l’importance que (les Etats-Unis) accordent à
leur éventuelle intégration complète à l’OTAN et à d’autres institutions européennes (...), (elle)
permettra le renforcement des liens à la fois entre les peuples de la région et avec les Etats-
Unis »25[31].

Cette volonté américaine d’amorcer l’extension de l’UE et de l’OTAN vers l’Est en liaison avec
Berlin accompagne les projets européens de régionalisation de toute l’Europe comme le prouve la
carte de l’Assemblée des Régions d’Europe.

6. Une Europe fragmentée au service des Etats-Unis

La classe politique américaine est largement au courant du processus de fragmentation régional


du continent européen. Ce fait fut manifesté officiellement par le Président Clinton le 2 juin 2000
lorsqu’il reçut la plus haute distinction eurofédéraliste : le Prix Charlemagne. Ce prix remis pour
la première fois en 1950 à Richard Coudenhove-Kalergi (1950, le fondateur de la Paneurope), fut
par la suite attribué par exemple à Jean Monnet (1953), Winston Churchill (1955), Georges C.
Marshall (1959), Henry Kissinger (1987), Tony Blair (1999) ou encore à Valéry Giscard d’Estaing
(2003). Au cours de son discours, le Président Clinton a rappelé la nécessité d’une relation
transatlantique étroite en soulignant les mutations profondes de l’Europe.

Le Président américain a dit en effet ceci : « L’unité de l’Europe est en train d’engendrer quelque
chose de véritablement neuf sous le soleil : des institutions communes plus vastes que l’Etat-
nation parallèlement à la délégation de l’autorité démocratique aux échelons inférieurs. L’Ecosse
et le Pays de Galles ont leurs propres parlements. L’Irlande du Nord, dont ma famille tire son
origine, a retrouvé son nouveau gouvernement. L’Europe est pleine de vie et résonne à nouveau
des noms d’anciennes régions dont on reparle - la Catalogne, le Piémont, la Lombardie, la Silésie,
la Transylvanie, etc - non pas au nom d’un quelconque séparatisme, mais dans un élan de saine
fierté et de respect de la tradition. La souveraineté nationale est enrichie de voix régionales
pleines de vie qui font de l’Europe un lieu garantissant mieux l’existence de la diversité (...) »26[32].

Dans cette affaire, les Etats-Unis ont tout intérêt à voir l’émergence politique des régions traitant
directement avec Bruxelles, mais aussi avec tous les lobbies anglo-saxons, sans passer par les
Etats nationaux. Le processus de démantèlement des Etats est bien engagé puisque le journaliste
Peter M. Huber de Die Welt n’a pas hésité à donner comme titre à son article, commentant le
projet de constitution de Valéry Giscard d’Estaing, « la destitution des Etats-nations »27[33].

7. Un partenariat transatlantique mieux réglé

Malgré les différents violents qui ont pu exister des deux côtés de l’Atlantique, il est utile de
rappeler que le très emblématique ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, Joschka Fischer,
prône un renforcement du lien transatlantique. Même si certains obstacles demeurent comme par
exemple l’obligation de recourir à l’unanimité des membres d’une Europe à 25 dans les domaines
touchant la politique étrangère et la fiscalité, il n’en reste pas moins qu’il se dégage une volonté
affirmée de la part de Berlin d’aboutir à un resserrement du lien transatlantique.

11.01.2001, H. Vedrine (France) et J. Fischer (Allemagne). Crédits: Ministère des Affaires


étrangères

Les propos d’un Joschka Fischer sont particulièrement significatifs à ce sujet : « Pour nous
Européens, l’objectif est clair : nous voulons une Union européenne économiquement et
politiquement intégrée qui, en partenariat avec les Etats-Unis, garantisse à l’Europe sa stabilité
intérieure et apporte une contribution substantielle au développement de la paix et de la justice
dans le monde. Nous voulons un partenariat étroit avec une présence durable de l’Amérique en
Europe. L’Union de l’Europe et le partenariat entre l’Europe et l’Amérique ne sont pas des
processus opposés, mais complémentaires et cumulatifs. Plus d’Europe est la condition préalable
du partenariat de l’avenir »28[34].

Think tanks

Cette affirmation relaie les volontés exprimées au sein des Think tanks germaniques comme la
Fondation Bertelsmann, la Fondation Sciences et Politiques (Stiftung Wissenschaft und Politik,
SWP) et le Centre de recherche de politique appliquée (Centrum für angewandte
Politikforschung, CAP). Ces Think tanks allemands pèsent lourds dans le paysage politique
outre-Rhin pour deux raisons. D’abord, ils travaillent en étroite liaison avec des Think tanks
américains, en particulier le German Marshall Fund. Ensuite, les résultats de leurs travaux décidés
en amont se retrouvent, sauf exceptions, en aval dans les décisions du gouvernement Schröder.
Aussi, il est très intéressant d’évoquer le séminaire organisé par la Fondation Bertelsmann en
juillet 2003 en liaison avec le CAP. Parmi les nombreux participants, on peut citer : Walter
Stützle, secrétaire d’Etat au ministère allemand de la défense, John Hamre, Président du Center
for Strategic and International Studies (CSIS) Etats-Unis, Caio Koch-Weser, secrétaire au
ministère allemand des finances, Fred Bergsten de l’Institute for International Economics, Etats-
Unis, Paul Achleitner, président d’Allianz AG, Jim Steinberg, représentant de la Brookings
Institution, Etats-Unis, le conseiller pour les affaires économiques et extérieures du Président
Poutine, Andrei Illarionov et Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France.

« USA-UE : recommandations stratégiques pour une nouvelle alliance globale »

C’est sous le titre « USA-UE : recommandations stratégiques pour une nouvelle alliance globale »
que ce séminaire a débattu des relations transatlantiques. Comme le rapporte la Fondation : « Le
symposium transatlantique de la Fondation Bertelsmann exclut tout retour au statu quo ante. Au vu
des défis globaux, il n’y a pas d’autre alternative qu’une alliance transatlantique. Le diagnostic est
posé et la thérapie doit commencer. Qui veut positivement changer le monde, doit utiliser le
potentiel transatlantique. Le partenariat transatlantique reste la force décisive qui façonne la
politique mondiale »29[35].

Telle est la conclusion de ces experts réunis au sein de deux groupes : « Sécurité » et « Economie,
Commerce et finance ». Werner Weidenfeld, Président du CAP et membre du praesidium de la
Fondation Bertelsmann a résumé la situation en insistant sur le fait que « Nous ne pouvons pas
nous permettre une érosion continue de ce partenariat si nécessaire. Une rupture civilisationnelle
avec l’Amérique aurait des conséquences catastrophiques dans les domaines politiques, de la
sécurité et économiques ». Fait particulièrement révélateur, les représentants lors de ce séminaire
ont bien fait comprendre à Jean-claude Trichet, gouverneur de la Banque de France et prochain
président désigné de la Banque centrale européenne (la BCE), que « l’Europe a la chance de se
positionner en tant qu’acteur global sérieux uniquement comme partenaire et non comme rivale
des Etats-Unis ». A bon entendeur ... salut !

Le renforcement de la coopération entre les Américains et les Européens

Au cours de ces débats, les différents experts se sont tous finalement engagés dans la même voie,
celle du renforcement de la coopération entre les Américains et les Européens : développement
en commun du droit international, du principe interdisant l’emploi de la violence au sein d’une
architecture globale de sécurité, de la nécessité de développer une convention transatlantique sur
l’emploi de la force dans les relations internationales ainsi qu’un système de contrôle international
luttant contre les armes de destruction massive et leur dispersion ... Selon ces experts : « Un
engagement commun dans les secteurs de crise doit être pris en compte à côté des aspects de
politique de sécurité comme à côté des aspects financiers et économiques. Les Etats-Unis et
l’Union européenne devraient poursuivre de ce fait un but commun, provoquer une
transformation démocratique profonde qui s’appuierait sur des fondamentaux sociaux et
économiques solides ».

Conclusion

Finalement, nous assistons à la volonté de mettre en place un pilier américain et un pilier


européen unis sur des principes communs. En réalité, nous devrions plutôt dire un pilier
européen assujetti à l’Imperium américain car dans cette affaire les Etats-Unis et leurs alliés anglais
restent les maîtres-d’œuvre d’une vision planétaire. Pour la réalisation de cette politique, on
comprend donc mieux la nécessité pour l’Europe d’amoindrir le rôle des Etats et de favoriser
l’émergence des régions au profit d’une autorité supranationale dont la légitimité, dans les affaires
internationales, trouve déjà sa racine dans l’article 6 du projet de Constitution de Valéry Giscard
d’Estaing : « L’Union est dotée de la personnalité juridique ».

L’Allemagne, à l’origine des textes fondateurs de la construction européenne (charte des langues
régionales ou minoritaires, convention-cadre pour la protection des minorités, chartes de
l’autonomie locale et régionale, convention-cadre sur la coopération transfrontalière,
aménagement du territoire dans le cadre de la CEMAT, projet de Code civil européen unique
sous la direction du juriste Christian von Bar), est en mesure d’atteindre un niveau lui permettant
de jouer un rôle majeur.

Cependant, l’histoire nous enseigne que sur Terre rien n’est acquis, rien n’est éternel. Minée par une
démographie suicidaire, comme partout en Europe, l’Allemagne connaît de graves difficultés
économiques. Certes, elle souffre d’une trop grande rigidité dans son organisation économique à
laquelle le gouvernement Schröder tente de remédier. Cependant, aucune politique aussi subtile
soit-elle, s’appuyant sur des rêves de partenariats mondiaux, ne peut perdurer si les décès
l’emportent sur les naissances. L’hiver démographique qui touche toute l’Europe lui interdit à
plus ou moins long terme toute « politique puissance », à moins d’un réveil brutal de l’instinct de
survie. Enfin, le partenariat germano-anglo-saxon qui semble s’affermir doit affronter la réalité du
terrain et les menaces qui ne manquent pas : le terrorisme islamique, une Russie aux problèmes
économiques, sociaux, démographiques, de santé etc. ... Les divorces font partie de la vie
humaine. Tout le problème est de savoir si les élites de ces deux mondes sauront s’entendre dans
la répartition des rôles et tenir le choc afin d’aller jusqu’au bout de cet idéal prométhéen.

Pierre Hillard

Source : Site web : du Sénat

Web : http://www.senat.fr/colloques/france-japon/france-japon3.html

LE BILAN ET LES PERSPECTIVES DE LA REGIONALISATION EN EUROPE


PAR MONSIEUR PHILIPPE DE BRUYCKER

Professeur de droit public à l'Université Libre de Bruxelles,


Expert consultant auprès du Conseil de l'Europe et secrétaire général de l'ARCOLE
(Association pour la Recherche sur les Collectivités Locales en Europe)

Je vais tenter, dans mon exposé, de vous présenter un bilan et aussi quelques perspectives pour la
régionalisation en Europe. Comme je suis belge et non pas français, je vais diviser mon propos en
trois et non pas en deux parties, comme c'est la coutume en général en France.

Dans une première partie, je tenterai de définir autant que faire se peut, la notion de région. Dans
une deuxième partie j'envisagerai l'évolution de la régionalisation dans les Etats européens et
enfin je tenterai, dans une troisième partie, de conclure sur l'impact de l'intégration européenne
sur la régionalisation.

Premièrement, peut-on définir la notion de région ?


La réponse à cette question est assurément en grande partie négative. Il n'y a pas en Europe de
modèle pour la régionalisation. On se trouve en présence d'une très grande diversité qui se
cache derrière la notion de région, une grande diversité masquée quelque peu par cette notion
couramment employée.
Cependant, je crois qu'il faut insister sur un élément important, à savoir que s'il n'y a pas de
définition univoque de la notion de région, il y a néanmoins un minimum ; un minimum qui
doit être la qualité de la collectivité dont on parle pour qu'on puisse véritablement la qualifier
de région. Pour ma part je n'adhère pas à certaines présentations qui parlent de régionalisation,
tout en insistant dans le même temps sur l'inexistence d'un véritable échelon régional.

Quel est ce minimum nécessaire pour qu'on puisse qualifier une collectivité de région ?

Je crois que ce minimum se compose de deux éléments : il faut d'abord que l'on se trouve en
présence d'une collectivité territoriale qui se dote d'organes élus et il faut que cette collectivité
et ces organes jouissent d'une certaine autonomie.
Dans cette définition extrêmement sommaire, le fait de bénéficier pour la collectivité
d'organes élus est, à mon sens, le minimum incompressible. Si l'on ne se trouve pas en
présence de cet élément, je ne pense pas que l'on puisse véritablement parler de région. On se
trouvera en présence de structures déconcentrées, peut-être d'une forme d'organisation
régionale de l'administration d'Etat, mais pas véritablement d'une région. Je n'emploierai pas
non plus ce mot pour désigner des établissements publics ou pour désigner des organes de
coopération intercommunale alors que parfois l'expression de région est employée en ce sens,
par exemple aux Pays-Bas.
Par contre, l'élément d'autonomie dont j'ai également parlé, est un élément qui est variable. Je
crois qu'on se trouve là en présence d'une question de degré : le degré d'approfondissement
variable de la régionalisation. Pour éclairer quelque peu ce degré, je crois qu'on peut distinguer
deux sortes de régions. Je qualifierais les premières de régions décentralisées et les secondes de
régions à vocation fédérale.
Je crois que le critère qu'on peut employer pour distinguer les régions décentralisées et les régions
à vocation fédérale est au fond assez simple même si bien entendu il élimine un grand nombre de
nuances.

Je crois que le critère qui permet de faire la distinction entre ces deux sortes de régions, tient à
l'organisation du pouvoir législatif au sein de l'Etat concerné. Si le pouvoir dans l'Etat est un, s'il
est unitaire, les régions qui existeront dans ce type d'Etat, seront des régions plutôt décentralisées
disposant de prérogatives d'auto-administration.
Par contre si le pouvoir législatif est éclaté, s'il est partagé, dans ce cas-là, on se trouvera en
présence de régions à vocation fédérale. J'entends par régions à vocation fédérale, non seulement
les entités fédérées donc membres d'un Etat fédéral, mais également des régions politiques
disposant du pouvoir législatif, comme par exemple les régions italiennes ou les communautés
autonomes en Espagne. Dans ce cas-là, on n'est plus en présence d'un Etat unitaire, mais en
présence d'un Etat composé, soit fédéral, soit régional.
Ainsi définie avec cette courte typologie, on s'aperçoit évidemment que la notion de région
recouvre des réalités extrêmement hétérogènes. Cette hétérogénéité étant véritablement une
caractéristique de la notion en Europe. Le seul point commun à toutes ces régions, c'est au fond
qu'elles se situent au niveau intermédiaire dans l'Etat. Il s'agit de la collectivité intermédiaire entre,
d'une part, le pouvoir central et, d'autre part, les collectivités locales.
Mais encore cette notion de pouvoir intermédiaire dans ce cas-là, est plutôt entendue au sens
géographique, c'est-à-dire au niveau où elle se trouve véritablement, entre les collectivités locales
et le pouvoir central de la collectivité la plus vaste au sein de l'Etat, ce qui par exemple en France
permet d'exclure les départements de la notion de région.
Après cette très rapide introduction conceptuelle, je voudrais maintenant rapidement tâcher de
passer en revue les tendances de la régionalisation dans les Etats européens et je vais utiliser pour
ce faire la classification que je viens d'ébaucher devant vous en distinguant les Etats à vocation
fédérale des Etats unitaires. Dans un troisième temps, dans cette seconde partie, je tâcherai de
faire le point sur l'évolution en Europe centrale et orientale.
Premièrement, le groupe des Etats à vocation fédérale.
Il y a incontestablement, une tendance à l'approfondissement de la régionalisation en Europe au
travers du fédéralisme. Si l'on observe ce qui s'est passé depuis la Seconde Guerre mondiale, on
voit qu'au cas de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Suisse, sont venues s'ajouter l'Italie, l'Espagne
et la Belgique ; sans compter le cas très particulier du Royaume-Uni, depuis les projets de
dévolution qui sont actuellement mis en oeuvre dans ce pays au profit de l'Ecosse et du Pays de
Galles, dans une moindre mesure d'ailleurs qu'en Ecosse. Sans doute est-il extrêmement
audacieux de rattacher le Royaume-Uni à la catégorie des Etats composés, mais on se trouve là,
manifestement en présence d'un Etat qui démembre le pouvoir législatif du Parlement de
Westminster.

Le nombre d'Etats composés en Europe, en cinquante ans, a doublé, ce qui est tout de même
significatif, même si incontestablement la catégorie des Etats unitaires reste dominante.
Néanmoins, la tendance à la régionalisation dans ces pays fédéraux ou à vocation fédérale, est la
plus achevée et s'inscrit dans un contexte particulier, puisque les nouveaux Etats qui tendent au
fédéralisme, sont des Etats qui s'inscrivent dans un schéma de dissociation, alors que le mode
traditionnel de formation de l'Etat fédéral relève de l'association. Le régionalisme dans ces Etats a
été le plus souvent une réponse à des préoccupations identitaires, avec des régions à fortes
connotations linguistiques ou culturelles comme la Flandre en Belgique, la Catalogne en Espagne
et également l'Ecosse au Royaume-Uni.
Quel est l'un des plus importants débats en cours actuellement dans ces Etats à vocation fédérale

Le débat qui présente le plus d'intérêt aujourd'hui, est, je crois, le débat sur la péréquation
financière entre les régions. C'est un débat récurrent dans les Etats fédéraux comme la Suisse.
C'est un débat qui d'ailleurs s'est renouvelé en Allemagne où un certain nombre d'experts ont
remis en cause le niveau trop important de péréquation entre les länder, considérant qu'en réalité
cette péréquation, certes extrêmement efficace et organisée, avait, malheureusement aussi dans
certains cas, pour résultat de décourager un certain nombre de länder de lever encore certains
impôts.

C'est un débat qui dans ce pays a bien entendu été renouvelé en raison de la réunification avec les
länder d'Allemagne de l'Est, et c'est un débat aussi qui devient de plus en plus dur, dans un
certain nombre de pays comme l'Italie, entre le Nord et le Sud, mais aussi la Belgique, où la
question porte véritablement sur le partage des richesses, et plus uniquement à travers le système
fiscal, mais également à travers le système social, puisqu'il y a en Belgique des tensions qui se
manifestent entre les régions pour ce qui est de l'organisation de la sécurité sociale, bien que ce
système réalise normalement une solidarité interpersonnelle, et non pas inter-régionale.

Deuxièmement, le groupe des Etats unitaires.


C'est évidemment le reste des Etats, groupe extrêmement vaste, trop nombreux, et que l'on
pourrait tâcher de diviser en sous-groupes. Je ne vais pas vous parler de la France dont mon
collègue Hugues Portelli va vous entretenir tout à l'heure en vous décrivant l'évolution de la
régionalisation dans ce pays. On pourrait tâcher d'utiliser un certain nombre de critères pour
distinguer l'état de la régionalisation ou les différents types de régionalisation parmi les Etats
unitaires.

On pourrait par exemple, retenir le critère du nombre de niveaux. Bien entendu ce nombre est en
général de trois, mais il y a un certain nombre de pays, comme la France, où on peut considérer
qu'il y a quatre niveaux, si on tient compte du niveau étatique. C'est également le cas, depuis peu,
de la Pologne qui a renouvelé son niveau intermédiaire.
Un autre critère serait de voir comment les différents niveaux de collectivités locales s'articulent
entre eux. Le système français est un système égalitaire, où il n'y a pas de prédominance d'un
niveau de collectivité sur un autre niveau de collectivité, alors que plus classiquement le niveau
intermédiaire dans nombre d'Etats, est appelé à jouer un rôle soit de coordination, soit de
contrôle des collectivités locales.
Finalement, l'un des critères le plus intéressant tient au mode de désignation des élus régionaux et
permet d'opposer aux autres pays ce que j'appelle un modèle scandinave. Il s'agit notamment,
dans le cas de la Finlande, de régions qui sont construites à partir des collectivités locales et qui
procèdent véritablement des communes dans la mesure où les élus communaux siègent en qualité
d'élus indirects dans les collectivités intermédiaires que sont les comtés. En Suisse et en Norvège
ceux-ci s'appellent « communes du Conseil général. Très curieusement aussi, je fais là une petite
incise concernant l'Europe orientale, on peut aussi rattacher au modèle scandinave la Slovénie qui
a également organisé ses collectivités intermédiaires à partir des collectivités locales de base.

Dans les groupes des Etats unitaires, je crois qu'il faut encore mentionner un certain nombre
d'Etats qui n'ont pas de véritables régions. Outre la Turquie, il s'agit du Portugal, pays dans lequel
les régions sont inscrites dans la Constitution de 1976, mais dont le projet de régionalisation a été
repoussé par un référendum du 8 novembre 1998 avec 64 % des voix, de sorte qu'il n'existe dans
ce pays que deux régions insulaires : Madère et les Açores. Il n'existe pas non plus de véritable
niveau régional en Grèce où l'on se trouve en présence d'organes déconcentrés.

Je signalerai aussi le cas assez particulier de l'île de Malte. Il s'agit au fond, d'un Etat extrêmement
petit appartenant à la catégorie des micro-Etats dans laquelle on considère en général que la
régionalisation n'a pas de raison d'être, ou n'a pas de sens, comme Monaco, le Liechtenstein,
Andorre, Saint-Marin, le Luxembourg. Pourtant l'île de Malte approfondit la décentralisation en
son sein, non seulement au profit des communes, mais également au profit des trois îles qui la
composent, et qui à Malte sont parfois présentées comme des régions.
J'en viens au groupe des pays d'Europe centrale et orientale qui viennent d'accéder à la
démocratie, groupe que je présente de manière générale, mais qui est bien évidemment également
en voie de diversification. Le processus de décentralisation dans ces pays a d'abord concerné les
collectivités locales, les collectivités à la base de l'organisation, donc au niveau communal. Il s'est
agi de reconstruire un système de décentralisation, après la parenthèse centralisatrice qu'a été la
période communiste. Par contraste avec le niveau communal, le niveau intermédiaire reste dans
ces pays, soit inexistant, soit extrêmement faible parce qu'il relève plutôt de la déconcentration.

Il y a cependant je crois, quatre exceptions à cette situation.


Premièrement, la Pologne. La Pologne qui a renouvelé son niveau intermédiaire en 1999, en
ramenant les 49 "voïvodies" au nombre de 16 "voïvodies". Deuxièmement, la Hongrie qui a
également réorganisé un niveau intermédiaire qui s'appelle le "comitat" en 1994. Il y a également
deux autres pays dans lesquels on peut déceler l'existence d'un véritable niveau régional. Il s'agit
d'une part de la Moldavie où une loi de 1998 a créé 9 "judets" autonomes à la place des 37
arrondissements déconcentrés qui existaient antérieurement, et de la Croatie où il existe ce que
l'on appelle des "zupania". Mais dans ces deux derniers pays, la Moldavie et la Croatie, je crois
qu'il faut constater que le niveau intermédiaire est beaucoup plus faible pour ce qui est de ses
compétences et de ses finances que dans le cas de la Pologne et de la Hongrie.

Par contre, dans les autres pays de l'Europe centrale et orientale, il n'existe pas de véritable niveau
régional, dans la mesure où on se trouve en présence d'un niveau déconcentré. C'est le cas en
République tchèque, bien que 14 régions devraient éventuellement se mettre en place, si le projet
aboutit au cours de l'année 2000. Par contre en Slovaquie les projets de régionalisation sont
bloqués depuis le début des années 90.
La Bulgarie est un des rares pays dans lequel il existe des projets de décentralisation au niveau
intermédiaire, mais qui auraient pour conséquence, ce qui en fait une exception par rapport à la
tendance générale en Europe, qu'en Bulgarie on projette d'augmenter le nombre de collectivités
intermédiaires et non pas de les réduire.
Les Etats baltes, Lituanie et Lettonie en particulier, restent eux, par contre, très marqués par des
tendances unitaires, le caractère unitaire de l'Etat étant dans ces pays considéré comme un
obstacle à la régionalisation, ce qui pourtant ne se vérifie pas dans les pays d'Europe occidentale.
De même, il y a des projets de régionalisation en Ukraine, mais qui n'ont jusqu'à présent pas
abouti.

Pour conclure je voudrais vous dire quelques mots de l'impact de l'intégration européenne sur le
processus de régionalisation en Europe, pour la raison que ces deux mouvements entretiennent
des relations extrêmement étroites. Cela peut paraître évidemment un petit peu surprenant, voire
même contradictoire, qu'un processus de centralisation au niveau européen ait pour conséquence
de contribuer simultanément à un processus de décentralisation et de régionalisation dans les
Etats membres.
Mais je crois en réalité, qu'il s'agit effectivement de mouvements non pas contradictoires, mais
complémentaires, de la même manière que nous assistons aujourd'hui au niveau de la planète à un
mouvement de mondialisation, de globalisation, nous assistons aussi à un phénomène de
localisation ou de territorialisation.
Au départ pourtant, la régionalisation qui a vu le jour en Europe au cours des années 70, en
Belgique, en France, au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne, n'était pas due à l'intégration
européenne, mais répondait à des problèmes spécifiques. Mais c'est cependant durant la période
des années 70 que les politiques communautaires vont commencer à se territorialiser avec, bien
évidemment, la création en 1975 de la politique régionale, qui va notamment amener un certain
nombre de régions européennes à ouvrir un certain nombre de bureaux de représentation à
Bruxelles et faire du lobbying auprès des institutions communautaires pour obtenir la meilleure
part des fonds affectés à la politique régionale.
C'est aussi la politique régionale communautaire qui va faire s'instaurer une concurrence, non plus
seulement entre les Etats membres, mais également entre les régions des Etats membres et au
sein des Etats membres entre les différentes régions. On peut constater qu'en réalité, si la
Communauté européenne n'a pas de compétences institutionnelles pour ce qui est de
l'organisation des Etats membres, les politiques qu'elle développe ont néanmoins des
conséquences institutionnelles dans les différents Etats membres.

De manière générale, on peut dire que la construction communautaire en Europe a pour


conséquence d'entraîner une réorganisation du cadre régional, lorsqu'il existe, dans les différents
pays, même si un certain nombre de pays ne disposent pas de régions. C'est notamment le cas de
la Grèce et du Portugal, la construction n'ayant donc pas véritablement pour conséquence
d'entraîner la création de régions dans des Etats qui n'en disposent pas.

Il y a aussi bien entendu, un effet de recentralisation qui s'est fait sentir avec l'intégration
européenne, qui s'est d'autant plus fait sentir qu'il concernait les Etats les plus décentralisés et
notamment les Etats fédéraux, de sorte que dans ces Etats, la construction européenne a eu pour
conséquence une relance de l'autonomie locale ou, en tout cas, un regain d'un certain nombre de
revendications d'autonomie régionale.
Que ce soit sur le plan interne, au sein même de l'Etat, c'est par exemple le cas en Belgique ou en
Allemagne, où concomitamment au processus d'intégration européenne, les länder en Allemagne,
les régions, les communautés en Belgique ont revendiqué la possibilité de jouer un rôle dans la
définition de la position que leur Etat adopte au niveau européen.
Mais également, ces revendications régionales se sont faits sentir au niveau européen. Par
exemple, en 1992 avec la signature du Traité de Maastricht, autorisant les Etats qui le souhaitent,
à permettre à leur niveau d'entité fédérée, leurs régions, à être représentées au sein du comité des
ministres. Ceci est quand même tout à fait remarquable lorsqu'on songe que le comité des
ministres constitue pourtant un échelon de représentation des Etats membres.

Et bien entendu, il y a eu la création au même moment du Comité des régions.

Je ne vais pas m'intéresser aux compétences du Comité des régions, vous savez qu'il s'agit de
compétences d'avis qui doivent obligatoirement être recueillies dans un certain nombre de
matières.

Je crois qu'il est très intéressant de passer très rapidement en revue la composition du Comité des
régions. Vous ne serez pas étonnés d'entendre que la composition du Comité des régions est
évidemment extrêmement diversifiée pour ce qui est des représentants qui y siègent. A tel point
qu'on peut dire que l'appellation de Comité des régions est totalement abusive.
Voilà un organe qui est censé représenter au travers d'une assemblée unique (une seule assemblée
organisée en une seule chambre) à la fois les plus petites collectivités, comme par exemple les
communes françaises qui comptent parfois moins d'une centaine d'habitants et les plus grandes
collectivités, comme par exemple les Länder allemands qui, s'ils étaient indépendants en terme de
population, se classeraient parmi les premiers Etats membres de la Communauté européenne.

Le général de Gaulle avait qualifié l'ONU de "machin", je vous laisse le soin de deviner la manière
dont il aurait pu lui-même qualifier le Comité des régions s'il avait été confronté à l'émergence de
cette institution. Cette institution est extrêmement hétérogène, c'est une donnée fondamentale
qui est d'ailleurs parfois décriée au sein même du Comité des régions qui considère qu'il s'agit
pour lui d'un signe de faiblesse.
Qu'en est-il des débats sur l'évolution de la régionalisation au niveau européen en termes
institutionnels, et notamment ce fameux serpent de mer de l'Europe des régions ?

J'ai assez tendance à considérer qu'en termes institutionnels tout débat sur une Europe des
régions débouche sur une impasse, qu'il s'agit d'une voie sans issue, dans la mesure où il est
extrêmement difficile d'imaginer que la Communauté européenne pourra disposer un jour de
compétences institutionnelles pour organiser ou participer à l'organisation des collectivités
territoriales des Etats membres.
Comment cela pourrait-il se faire alors qu'on en n'est même pas au stade où la Communauté
européenne dispose de compétences institutionnelles pour ce qui la concerne elle-même, dans la
mesure où les conférences intergouvernementales disent bien ce dont il s'agit lorsqu'il est
question de revoir les institutions européennes. Je crois que c'est en raison même de la puissance
de la machine communautaire que les Etats vont encore pour très longtemps refuser de
soumettre leur organisation politico -administrative à la Communauté européenne.
J'ai personnellement l'impression et le sentiment que tout débat sur la nécessité d'harmoniser ou
d'uniformiser le système de collectivité territoriale des Etats membres en Europe est un débat
inutile, un débat vain, dès le moment où le droit communautaire est d'application directe et
unitaire dans l'ensemble des Etats membres.
Par contre, je crois, et je terminerai par là, qu'il y a un besoin de plus en plus fort de définir un
certain nombre de principes communs en matière de décentralisation locale ou en matière de
régionalisation. Je terminerai en évoquant à ce sujet les travaux du Conseil de l'Europe, qui a
rédigé en 1985 une charte européenne de l'autonomie locale, qui est d'application dans près de
trente Etats européens membres du Conseil de l'Europe et qui a également produit au cours des
années 90 un projet de charte européenne de l'autonomie régionale qui a été élaboré au sein du
Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe et qui est actuellement examiné par le
Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. Je crois que ces projets-là sont des projets
intéressants dans la mesure où il s'agit de définir à travers un certain nombre de principes, un
cadre pour l'autonomie régionale mais, dans le même temps, de respecter la diversité de la
régionalisation dans les différents Etats membres.
Voilà, Monsieur le Président, ce que j'ai essayé de faire en une vingtaine de minutes, j'espère être
arrivé à relever le défi qui consistait à vous présenter la régionalisation en Europe de cette
manière et je vous remercie de votre attention.

Source : Site web : de l’union européenne

Web : www.delmar.ec.europa.eu

POLITIQUE REGIONALE EUROPEENNE : INTRODUCTION

Politique régionale : introduction

Dans un monde où les échanges s'effectuent désormais à l' échelle de la planète, les territoires et
les activités qu'ils génèrent entrent de plus en plus en concurrence aussi bien sur le territoire
communautaire qu'en dehors. Or toutes les régions ne bénéficient pas des mêmes conditions
économiques, sociales, géographiques pour pouvoir rivaliser sur un pied d'égalité.
Longtemps, les écarts de développement et de niveau de vie entre régions - qui existaient bien
avant la création de la Communauté - n'ont bénéficié que d'un traitement spécifiquement
national. Les efforts progressifs de l'Union pour réduire ces écarts ont apporté de nettes
améliorations. Mais de fortes disparités demeurent encore aujourd'hui : les dix régions les plus
dynamiques ont un produit intérieur brut (PIB) près de trois fois plus élevé que les dix régions les
moins développées. La politique régionale de l'Union reste donc nécessaire afin de favoriser un
développement harmonieux de l'espace communautaire. Son action doit permettre à l'ensemble
des régions européennes de tirer pleinement parti des opportunités du marché unique et
contribuer à la réussite de l'Union économique et monétaire (UEM).
La politique régionale européenne est avant tout une politique de solidarité : stimuler au
niveau communautaire les interventions qui permettront aux territoires les plus en difficulté
de mieux surmonter leurs handicaps. Pendant la période 2000-2006, un tiers du budget
communautaire (213 milliards d'euros) issu de la contribution des États membres sera alloué à
la politique régionale et redistribué vers les régions qui en ont le plus besoin. Les États
membres, à travers leurs propres aides régionales, et l'Union européenne poursuivront leur
effort pour réduire les écarts de développement, participer à la reconversion des zones
industrielles en difficulté, à la diversification des campagnes ou encore à la revalorisation des
quartiers en crise.
La politique régionale est également une politique concrète, visible aux yeux de tous les citoyens
européens, eux -mêmes premiers bénéficiaires des interventions. Elle aide en effet ces derniers à
trouver du travail et à mieux s'adapter aux mutations du marché de l'emploi notamment par la
formation. Cette politique permet à chacun de mieux vivre dans sa région en participant
financièrement aux efforts des autorités publiques qui se dotent de nouvelles infrastructures et
aident les entreprises à être plus compétitives. Des autoroutes, des aéroports, certains trains à
grande vitesse ont été construits ou rénovés grâce au cofinancement des Fonds européens, dits
"Fonds structurels", et dans le respect des mesures européennes en faveur de l'environnement.
Des petites et moyennes entreprises (PME) se créent et se maintiennent dans des régions
éloignées. La soci été de l'information p énètre dans les espaces ruraux et reculés. De nouveaux
services d'éducation, de santé et de loisirs s'installent dans des banlieues qu'on réhabilite. Autant
d'exemples concrets qui rendent l'action de l'Union visible aux yeux des citoyens.

Base Juridique
Le traité instituant la Communauté européenne prévoit aux articles 2 et 3 que la mission de la
Communauté est, entre autres, de "promouvoir dans l'ensemble de la Communauté un
développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d'emploi
et de protection sociale élevé (…), le relèvement du niveau de vie, la cohésion économique et
sociale et la solidarité entre les États membres".
Plus particulièrement, le titre XVII (articles 158 à 162) intitulé "Cohésion économique et sociale"
stipule que la Communauté vise à réduire l'écart entre les niveaux de développement des diverses
régions et le retard des régions ou îles les moins favorisées, y compris les zones rurales. Il
présente la participation de la Commission à l'effort de cohésion par l'action qu'elle mène à
travers les fonds à finalité structurelle.
En outre, l'exécutif européen est tenu de présenter tous les trois ans un rapport sur les progrès
accomplis dans la cohésion économique et sociale et éventuellement assorti de propositions
appropriées sur les actions futures de la politique régionale.
Procédure de Décision
Conformément à l'article 161 du traité instituant la Communauté, le Conseil statue à l'unanimité
sur proposition de la Commission, après avis conforme du Parlement européen et après
consultation du Comité économique et social et du Comité des régions sur les points suivants qui
concernent aussi bien les Fonds structurels que le Fonds de cohésion :
- les missions, les objectifs prioritaires et l'organisation des fonds;
- les règles générales applicables aux fonds;
- les dispositions nécessaires à assurer l'efficacité des fonds, la coordination entre eux et avec les
autres instruments financiers
existants.
Le traité de Nice de décembre 2000 apporte des modifications à la procédure décisionnelle. Le
Conseil statuera à la majorité qualifiée dans le domaine des Fonds structurels et du Fonds de
cohésion (article 161) à partir de janvier 2007. L'unanimité s'appliquera donc au Conseil lors du
vote des perspectives financières de la prochaine période de programmation (2007 -2013) .

Instruments
Quatre Fonds structurels permettent aujourd'hui à l'Union européenne d'octroyer des aides
financières à des programmes pluriannuels de développement régional négociés entre les régions,
les États membres et la Commission ainsi qu'à des initiatives et actions communautaires
spécifiques. On distingue :
- le Fonds européen de développement régional (FEDER) qui finance des infrastructures, des
investissements productifs pour créer de l'emploi, des projets de développement local et des aides
aux PME;
- le Fonds social européen (FSE), qui favorise l'adaptation de la population active aux mutations
du marché de l'emploi ainsi que l'insertion professionnelle des chômeurs et des groupes
désavantagés, notamment en finançant des actions de formation et des systèmes d'aide à
l'embauche;
- le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA - section orientation) qui
finance des actions de développement rural et d'aide aux agriculteurs, principalement dans les
régions en retard de développement mais aussi dans le cadre de la politique
agricole commune (PAC) dans le reste de l'Union;
- l' Instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP), qui finance la réforme structurelle du
secteur de la pêche.
En outre, un fonds spécial de solidarité, le Fonds de Cohésion , a pour but de financer des
projets liés à l'environnement et à l'amélioration des réseaux de transport dans les États membres
de l'Union dont le PIB est inf érieur à 90% de la moyenne européenne. 11. Dans les dix
nouveaux États membres, les besoins des sont énormes : infrastructures, industrie, services,
PME, agriculture, environnement. Pour la période 2000-2006, l'Union a préparé progressivement
l'entrée de ces pays en instaurant avec eux des "partenariats pour l'adhésion", documents
stratégiques de programmation des aides que financent deux nouveaux Fonds :
- l' Instrument structurel de pré-adh ésion (ISPA) qui intervient dans les dix nouveaux pays sur le
modèle du Fonds de cohésion pour financer des projets de transport et en faveur de
l'environnement;
- l' Instrument agricole de pré-adh ésion (SAPARD) cr ée pour soutenir la préparation des pays à
la politique agricole commune (PAC).

Historique

La nécessité d'assurer un développement harmonieux en réduisant l'écart entre les différentes


régions et le retard des moins favorisées figurait dès 1957 dans le préambule du traité de Rome.
Celui-ci prévoyait déjà la création du FSE destin é à promouvoir l'emploi et à favoriser la mobilité
des travailleurs au sein du territoire communautaire ainsi que de la Banque européenne
d'investissement (BEI). Les autres instruments d'aide au développement pour les États membres
virent le jour au fur et à mesure de la construction européenne et de l'arrivée de nouveaux
membres.
En 1962, lors de l'accord sur la politique agricole commune, la Communauté créa le FEOGA qui
continue aujourd'hui à soutenir et à stimuler la production agricole dans la Communauté. En
1964 le FEOGA fut divisé en une section « garantie » et une section « orientation ». La section «
orientation » est celle qui contribue aux dépenses pour la réforme structurelle de l'agriculture et
pour la prise en compte d'un autre mode de développement rural.
Suite à l'adhésion du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark en 1973, le FEDER vit le jour
en 1975. Ce Fonds servit dans un premier temps à la reconversion des régions en déclin industriel
du Royaume-Uni et à compenser, pour cet État membre, le peu de « retour » qu'il recevait de la
PAC. Après l'adhésion de la Grèce puis de l'Espagne et du Portugal, les prérogatives de ce Fonds
s'étendirent progressivement à l'ensemble des régions en retard de développement.
L'Acte unique introduisit pour la première fois en 1986 un titre spécifique au concept de
cohésion économique et sociale et jeta les bases d'une véritable politique régionale solidaire. Dans
la foulée, les perspectives financières du "paquet Delors" proposèrent de doubler les dépenses
structurelles entre 1988 et 1993 de manière à représenter 31% des dépenses communautaires.
En 1992, le traité de Maastricht sur l'Union européenne fit de la cohésion économique et sociale
un objectif prioritaire de la Communauté, parallèlement à l'Union économique et monétaire et au
Marché unique. En fixant les critères de convergence économique et budgétaire
pour les États membres, ce traité imposa notamment la maîtrise des déficits publics. Pour les pays
les moins riches, cela signifiait la mise en oeuvre d'une politique budgétaire stricte et une
augmentation des investissements dans les infrastructures pour accélérer leur développement.
Pour l'Espagne, la Grèce, l'Irlande et le Portugal un tel effort n'était envisageable qu'avec l'appui
de l'Union. À ce titre, la Communauté a mis en place un fonds spécial de solidarité, le Fonds de
cohésion destiné à ces quatre États membres. Son but était d'aider ces pays à rentrer dans l'UEM
dans les meilleures conditions en cofinançant des projets dans les domaines de l'environnement
et des transports.
Le Conseil européen d'Édimbourg de décembre 1992 décida d'une nouvelle augmentation de
40% des crédits réservés aux actions structurelles pour la période 1994-1999. En outre,
l'Instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP) vit le jour l'année suivante suite à la crise
du secteur de la pêche au début des années 1990 avec pour objectif l'accompagnement de la
restructuration de ce secteur.
En 1997, le traité d'Amsterdam a confirmé l'importance stratégique de la cohésion. Parallèlement
ce traité inclut un titre spécifique sur l'Emploi afin de mettre à l'avant-plan la nécessité d'agir au
niveau européen pour réduire le chômage.
Au Conseil européen de Berlin en mars 1999, les chefs d' État ou de gouvernement conclurent un
accord politique sur l'Agenda 2000, un programme d'action dont les objectifs principaux étaient
de renforcer les politiques communautaires et de doter l'Union européenne d'un nouveau cadre
financier pour la période 2000-2006 qui a tenu t compte de l' élargissement du 1er mai 2004.
Dans ce contexte, l'Agenda 2000 a présent é également la réforme des Fonds à finalité structurelle
. Un nouveau cadre juridique pour les Fonds structurels et le Fonds de cohésion a ainsi vu le jour,
il restera normalement valable jusqu'en 2006. Ce cadre se fonde sur les principes de concentration
des interventions, de clarification et de décentralisation des responsabilités entre les États
membres et la Commission.
.
En novembre 2002, l'Union européenne a créé le Fonds de solidarité de l'Union européenne (
FSUE ). Ce fonds est destiné à venir en aide aux États membres - et dans certaines conditions à
des régions de ces États - qui sont victimes de catastrophes naturelles majeures. Il est notamment
intervenu pour soutenir la reconstruction urgente d'infrastructures ainsi que la relance
économique des régions touchées par les inondations en Europe de l'Est (été 2002), victimes de
la catastrophe du p étrolier Prestige et atteintes par la sécheresse comme au Portugal (été 2003).

Perspectives

À l'heure actuelle, la politique régionale est confrontée à trois défis majeurs :


- la concurrence qui s'est fortement accrue suite à la libéralisation du commerce. Les entreprises
s'installent où elles trouvent les conditions pour augmenter leur compétitivité (infrastructures et
services de qualité, travailleurs qualifiés). Pour être attrayantes, il faut veiller à ce que les régions
puissent améliorer leur attractivité en se dotant d'infrastructures d' équipement et en offrant des
services de qualité ;
- la révolution technologique et la société de l'information qui impliquent une adaptabilité
croissante des hommes, des entreprises et des territoires. Grâce aux réseaux de
télécommunications et où qu'ils se trouvent, les citoyens doivent partout pouvoir accéder à un
savoir-faire avancé, à l'innovation et à une formation de qualité ;

-L'élargissement , qui a représenté à la fois une opportunité et un défi sans précédent pour
l'Union. Celle-ci s'est ouverte en effet à de nouveaux pays dont les conditions économiques et
sociales sont souvent plus défavorables que celles des régions les moins développées de l'UE à
15. Ce paramètre remet dès lors en cause le fonctionnement actuel de la politique de cohésion.
La réforme de la politique régionale décrite dans les perspectives financières de l'Agenda 2000 a
favorisé la concentration des aides structurelles sur les régions en retard de développement ainsi
qu'une mise en oeuvre simplifiée des politiques. Plus à même de connaître les spécificités et la
réalité du terrain, les États et les régions sont désormais davantage en mesure de prendre leur
avenir en main et de gérer directement les fonds de l'Union, qui n'intervient plus que pour
coordonner et contrôler la conformité de l'utilisation des financements européens. La politique de
cohésion, outre sa contribution à la lutte contre les disparités régionales, a eu le mérite d'établir
un partenariat Union européenne/État membre/autorités locales/secteur privé autour de
stratégies de développement définis à partir d'objectifs communautaires. En ce sens, des contrats
et des conventions tripartites d'objectifs sont envisagés entre l'Union européenne, les États
membres et les autorités régionales afin de définir le rôle et les compétences de ces trois niveaux
dans le cadre de la future politique régionale.
Avec l'élargissement, le défi de la cohésion économique et sociale s'accroît et se déplace vers l'Est.
L'adhésion des dix nouveaux États membres a remis en cause le modèle actuel de la politique
régionale actuelle en lui posant plusieurs enjeux majeurs :
- les disparités en termes de PIB par habitant entre les vingt-cinq États membres sont
considérables. En 2003, les niveaux de PIB sont compris entre 41% de la moyenne de l'UE en
Lettonie et 215% au Luxembourg. Dans touts les nouveaux États membres, le PIB par habitant
est inférieur à 90% de la moyenne de l'UE-25, alors qu'en Pologne, en Lettonie, en Lituanie, en
Estonie, ainsi qu'en Roumanie et en Bulgarie (les deux pays candidats pour l'élargissement de
2007), il n'atteint pas la moitié de ce niveau.
- Le centre de gravité de la politique de cohésion se déplace vers l'Est : les pays du Sud qui
bénéficient du Fonds de cohésion s'interrogent sur la manière dont ils seront considérés; Plus
que l'existence même de la politique de cohésion économique et sociale, c'est la nature des
interventions qui est remise en cause face à de tels défis. Nul doute que la réflexion sur
l'avenir de la politique régionale dépasse le simple cadre des mécanismes financiers et touche
les fondements mêmes du projet communautaire. Le deuxième Rapport sur la cohésion
économique et sociale en Europe fait le bilan de la politique régionale et ouvre des pistes de
réflexion sur son avenir.

Source : Site web : Union démocratique bretonne

Web : http://www.udb-bzh.net/International/index.htm

POLITIQUE ECONOMIQUE ET SOCIAL REUNIFICATION

Langue bretonne Environnement International


· L'autonomie ?
Projet de Statut particulier pour la Bretagne
Ce texte est la version définitive du projet de statut particulier pour la Bretagne que la convention
nationale de l'Union démocratique bretonne (UDB) a adopté, le samedi 29 mai 1999 à
Planvour/Ploemeur.
La principale modification au texte initial, rendu public en juillet 1998, consiste à délivrer
automatiquement - c'est-à-dire sans condition d'ancienneté - la citoyenneté bretonne, qui ouvre le
droit de vote et l'éligibilité aux élections locales et régionales, à tous les ressortissants de l'Union
européenne qui ont leur résidence principale en Bretagne. Par conséquent, un Ecossais ou une
Andalouse, aussi bien qu'un Bourguignon ou une Lorraine, obtiendront automatiquement la
citoyenneté bretonne dès lors qu'ils pourront justifier de leur résidence principale en Bretagne. Il
convient de noter que cette proposition constitue une avancée démocratique importante par
rapport au droit français puisque les citoyens de l'Union européenne résidant en France ne
peuvent voter qu'aux élections municipales et européennes et qu'ils ne peuvent être élus que
simples conseillers municipaux sans aucune délégation.
Pour les résidents non ressortissants de l'Union européenne (p.e. Suisses, Hongrois, Américains,
Marocains ou Sénégalais), l'acquisition de la citoyenneté bretonne reste conditionnée à un délai de
résidence légale d'au moins cinq ans et à une démarche volontaire auprès du Service de la
citoyenneté bretonne (voir article 2, alinéa 3 du statut). Dans ce cas aussi, l'UDB propose une
avancée démocratique considérable puisque les personnes étrangères qui résident en France et qui
n'ont pas la nationalité d'un des Etats membres de l'Union européenne n'ont aucun droit
politique.
Préambule
1 - DU PEUPLE BRETON ET DE LA CITOYENNETE BRETONNE
2 - DES COMPETENCES DE LA REGION AUTONOME DE BRETAGNE
3 - DES POUVOIRS DE LA REGION AUTONOME DE BRETAGNE
4 - FINANCES ET PATRIMOINE
5 - DE LA REFORME DU STATUT PARTICULIER DE LA BRETAGNE
6 - DE LA PROCEDURE D'ADOPTION DU PRESENT STATUT

PREAMBULE
Tous les Etats membres de l'Union européenne qui comptent plus de 20 millions d'habitants ont
opté pour une organisation fédérale (l'Allemagne), pour une régionalisation très avancée aux
limites du fédéralisme (l'Espagne) ou pour l'octroi de statuts particuliers à des territoires
métropolitains dont les populations expriment une identité spécifique (l'Italie - cinq régions à
statut particulier dont le Val d'Aoste francophone - et récemment le Royaume Uni avec les statuts
différenciés de l'Ecosse, du Pays de Galles et de l'Irlande du nord). Dans tous ces Etats une,
plusieurs, voire toutes les régions disposent d'un pouvoir normatif, c'est-à-dire d'un pouvoir
législatif et réglementaire dans divers domaines qui touchent principalement l'économie,
l'environnement, l'éducation et la culture. Dans ces Etats la part des budgets régionaux dans le
budget public global varie de 15% à 40% alors qu'elle n'est que de 3% en France où le niveau
départemental, créé par le pouvoir central au lendemain de la Révolution pour quadriller le
territoire, est toujours privilégié.
Plusieurs Etats de moindre dimension ont également opté pour l'une des trois formules évoquées
ci-dessus: l'Autriche et la Belgique sont des Etats fédéraux (*), le Danemark a octroyé une très
large autonomie aux îles Féroé (48.000 habitants), leur garantissant un statut particulier vis a vis
de l'Union européenne, et une autonomie culturelle à la minorité allemande du sud du Jutland
tandis que la Suède a reconnu officiellement la minorité de langue finnoise (4% de la population)
en 1994. Aux Pays-Bas la Frise (600.000 habitants) dispose d'un statut de co-officialité pour la
langue frisonne. La Finlande présente la particularité d'être un Etat binational en raison de la
présence d'une minorité suédoise qui représente 6% de la population; les îles Aaland (60.000
habitants) disposent d'un statut particulier qui fait même du suédois la seule langue officielle.
Depuis 1992 les Saami (Lapons) disposent d'un statut officiel en Suède et en Finlande où ils sont
respectivement 18.000 et 6.000. En Norvège (Etat non membre de l'Union européenne) les
Saami, au nombre de 45.000, disposent depuis 1989 de leur propre Parlement, le Samediggi.
Preuve s'il en est que le droit constitutionnel, dès lors qu'il cesse d'opposer droits individuels et
droits collectifs, peut s'adapter à toutes les situations et répondre aux aspirations des
communautés humaines même les plus petites.
Dans cet environnement politique et juridique qui influe déjà et influera demain plus encore sur
notre quotidien, la France, 60 millions d'habitants, fait figure d'exception puisque seuls les TOM
du Pacifique disposent d'une faculté, encore très limitée, à légiférer. Le futur statut de la Kanaky
(Nouvelle-Calédonie) constitue à ce titre une véritable révolution juridique et prouve que les
évolutions institutionnelles ne sont pas la manifestation d'une volonté divine mais dépendent
seulement du bon vouloir du politique. Mais ni les DOM ni a fortiori les régions métropolitaines
n'ont cette faculté de s'organiser librement dans les domaines qui les concernent en propre. Il s'en
suit un déficit de responsabilité, d'adaptabilité et d'innovation qui peut s'avérer rapidement
désastreux dans un contexte socio-économique marqué par la mondialisation des échanges et, ce
faisant, par une recherche vitale d'autonomie d'une part, par le besoin de repères identitaires
d'autre part. La France devra répondre à ces deux exigences de notre temps.
La Bretagne, région dotée d'une identité culturelle et linguistique spécifique et singulière dans le
cadre politique français, ainsi que d'une situation géographique qui présente de riches
opportunités mais aussi des risques par rapport au processus, toujours en cours, de concentration
des richesses au centre de l'Europe, ressent le besoin et a le droit de revendiquer un statut
politique particulier. Ce statut particulier doit répondre aux principes de l'autonomie interne,
c'est-à-dire l'auto-organisation et la libre intervention dans un certain nombre de domaines définis
d'un commun accord avec l'Etat.
Le texte qui suit, largement inspiré par les statuts existants en Europe pour des régions de taille
comparable, tient compte aussi de la situation singulière de la Bretagne à la pointe du continent
européen, de ses besoins et de ses attentes dans les domaines économique, social, culturel et
environnemental.
(*) Pour couper court à certains fantasmes, il n'est pas inutile de souligner qu'en Belgique, la
Justice et la gendarmerie qui ont tant défrayé la chronique ces trois dernières années ne sont pas
régionalisées et relèvent d'une administration unique nationale-belge.

1- Du peuple breton et de la citoyenneté bretonne

Article 1
Le peuple breton se définit comme une communauté d'êtres humains qui, Bretons d'origine ou
Bretons d'adoption, ont en commun une identité originale et particulière dans ses dimensions
historique, géographique, culturelle, linguistique et sociale. Le peuple breton, pour garantir la
pérennité de son identité et accéder à l'autogouvernement dans les domaines qui le concernent en
propre, se constitue en communauté politique autonome dans le cadre de la République française
sous le nom de Région autonome de Bretagne.

Article 2
1. Il est créé une citoyenneté bretonne qui complète celles de la République et de l'Union
européenne. La citoyenneté bretonne est accordée à toute personne de dix-huit ans révolus, dont
la résidence principale se trouve sur le territoire de la Région autonome de Bretagne, sous réserve
que cette personne soit:
a) ou de nationalité française,
b) ou ressortissant/e de l'Union européenne,
c) ou résident/e légal/e sur le territoire de la Région autonome de Bretagne depuis au moins cinq
ans. Dans ce dernier cas la personne devra faire la demande de citoyenneté bretonne par écrit
auprès des autorités compétentes (service de la citoyenneté bretonne).
2. La citoyenneté bretonne donne le droit de vote et confère l'éligibilité aux élections locales et
régionales.
3. Un Service de la citoyenneté bretonne sera créé dans un délai de deux ans après l'adoption du
présent statut et placé sous la double autorité du président de l'exécutif de la Région autonome de
Bretagne et du ministre de l'Intérieur de la République française.
Article 3
La Région autonome de Bretagne est constituée des départements actuels des Côtes d'Armor, du
Finistère, de l'Ille-et-Vilaine, de la Loire-Atlantique et du Morbihan.
Article 4
La désignation du siège des institutions communes de la Région autonome de Bretagne est de la
compétence du Parlement régional.
Article 5
L'emblème de la Région autonome de Bretagne est le gwenn-ha-du et son hymne est le Brogozh
ma zadoù.
Article 6
1. La langue bretonne, en tant que langue spécifique de la Bretagne, aura, comme le français,
le statut de langue officielle sur le territoire de la Région autonome, et tous ses habitants
auront le droit de la connaître et de l'utiliser.
2. Le gallo, en tant que parler roman propre à la Haute-Bretagne, est reconnu comme
composante du patrimoine linguistique breton et fera l'objet d'une promotion active de la part de
la Région autonome dans les domaines de l'enseignement et des moyens de communication.
3. Nul ne pourra être discriminé en raison de sa langue de communication.
4. La Région autonome de Bretagne pourra créer les outils nécessaires à la préservation du
patrimoine linguistique breton et à l'application réelle du principe de non discrimination.
Article 7
1. Les droits et devoirs fondamentaux des citoyens de la Région autonome de Bretagne sont
établis dans la Constitution de la République.
2. Les pouvoirs publics de la Région autonome de Bretagne, dans le cadre de leur compétence:
a) veilleront au respect et garantiront l'exercice des droits et devoirs fondamentaux des citoyens,
b) adopteront les mesures destinées à promouvoir les conditions et à lever les obstacles pour que
la liberté et l'égalité des personnes soient effectives,
c) faciliteront la participation de tous les citoyens à la vie politique, économique, culturelle et
sociale de la Bretagne.

2- Des compétences de la région autonome de Bretagne

Article 8
La Région autonome de Bretagne a compétence exclusive dans les matières suivantes:
1. L'organisation et le fonctionnement de ses institutions d'autogouvernement prévues par le
présent statut.
2. Les délimitations des territoires communaux et des subdivisions régionales.
3. L'organisation administrative du territoire de la Région autonome et la distribution
géographique des compétences de ladite Région.
4. La législation électorale intérieure qui intéresse le Parlement régional et les collectivités locales
du territoire régional.
5. La législation électorale qui intéresse les représentants directs de la Bretagne au Parlement
européen.
6. Le régime local et le statut des fonctionnaires de la Région autonome de Bretagne et de son
administration locale.
7. Les biens du domaine public et les biens patrimoniaux qui relèvent de la Région autonome de
Bretagne, ainsi que les servitudes publiques qui s'attachent à ses compétences.
8. Les eaux et forêts et l'exploitation forestière.
9. L'agriculture et l'élevage en accord avec l'organisation générale de l'économie.
10. La pêche dans les eaux intérieures et les cultures marines en accord avec l'organisation
générale de l'économie. La chasse et la pêche fluviale.
11. Les équipements hydrauliques, les canaux et les terres irrigables quand les eaux ne parcourent
que le territoire de la Région autonome de Bretagne.
12. Les eaux minérales, thermales et souterraines.
13. Les installations de production, de distribution et de transport d'énergie quand ce transport
n'intéresse que le territoire de la Région autonome de Bretagne et n'affecte pas une autre région.
14. L'assistance et l'aide sociales, la politique de l'enfance et de la jeunesse, la politique en faveur
des personnes âgées.
15. L'insertion des personnes handicapées dans la vie professionnelle et dans la vie de la cité.
16. Les fondations et associations à caractère éducatif, culturel, artistique, humanitaire ou
assimilé, dans la mesure où elles développent principalement leurs activités en Bretagne.
17. L'enseignement maternel, élémentaire, secondaire et supérieur ainsi que la formation initiale et
continue, en coordination avec l'Etat.
18. La recherche scientifique et technologique en coordination avec l'Etat.
19. La culture et les arts. Les spectacles.
20. Le patrimoine historique, artistique, monumental, archéologique et scientifique, en accord
avec la législation nationale et européenne relative à la protection dudit patrimoine contre
l'exportation et le vol.
21. Les archives, les bibliothèques et les musées qui ne sont pas la propriété de l'Etat.
22. Les chambres de commerce et d'industrie, les chambres des métiers et les chambres
d'agriculture ainsi que tout autre organisme similaire à caractère professionnel, sans préjudice de
la compétence de l'Etat en matière de commerce extérieur.
23. Les coopératives et les mutuelles non intégrées au système de sécurité sociale.
24. Le secteur public et parapublic propre à la Région autonome de Bretagne.
25. Le développement économique et la planification de l'activité économique en Bretagne en
accord avec l'organisation générale de l'économie.
26. Les institutions de crédit à vocation régionale, en accord avec l'organisation générale de
l'économie et la politique monétaire dans le cadre de l'Union européenne.
27. Le commerce intrarégional, sans préjudice de la politique générale des prix et de la libre
circulation des biens et des marchandises sur le territoire de l'Union européenne. Les foires et
marchés à caractère régional. Les appellations d'origine et la publicité en collaboration avec l'Etat.
28. La défense du consommateur et de l'usager, en rapport à l'alinéa précédent.
29. L'industrie, à l'exclusion de l'installation, du développement et du déplacement des industries
soumises à des normes spéciales pour des raisons de sécurité, d'intérêt militaire ou sanitaire et qui
relèvent d'une législation nationale particulière.
En matière de restructuration industrielle, il revient à la Région autonome de Bretagne d'exécuter
les plans adoptés par l'Etat.
30. L'aménagement du territoire et du littoral, l'urbanisme et le cadre de vie.
31. Les transports terrestres (routes, chemins de fer), les transports maritimes et fluviaux (ports,
canaux), les aéroports et les héliports d'intérêt régional. Les centres administratifs et les terminaux
de chargement en matière de transports.
32. Les réseaux électroniques et informatiques d'intérêt régional.
33. Les services météorologiques.
34. Les ouvrages publics qui n'ont pas un caractère d'intérêt national et dont la réalisation
n'affecte pas une autre région.
35. Les casinos, les jeux d'argent et les loteries à caractère régional.
36. Le tourisme et les loisirs.
37. Le sport amateur et professionnel. Les fédérations sportives de la Région autonome de
Bretagne seront habilitées à présenter des sélections officielles lors des compétitions nationales et
internationales.
38. Les services statistiques et d'études économiques pour l'exercice des compétences de la
Région autonome.
Article 9
Il est de la compétence de la Région autonome de Bretagne d'appliquer sur son territoire la
législation de base de l'Etat et de pouvoir la compléter dans les matières suivantes:
1. L'environnement et l' écologie.
2. Les médias radiophoniques et audiovisuels. La Région autonome de Bretagne sera habilitée à
créer et organiser un service public régional de radio et télédiffusion.
3. L'organisation du crédit et de la banque.
4. L'organisation de la sécurité sociale et du système de santé.
5. Les procédures d'expropriation ainsi que les contrats et les concessions administratifs passés
dans le cadre des compétences et du système de responsabilité propre à l'administration de la
Région autonome de Bretagne.
6. La sécurité maritime et les pollutions industrielles ou contaminantes qui affectent les eaux
territoriales de la République correspondant au littoral breton.
Article 10
Sans préjudice des prérogatives du représentant de l'Etat en Bretagne, il est de la compétence de
la Région autonome de Bretagne de veiller à la mise en oeuvre et au respect sur son territoire de
la législation de l'Etat dans les matières suivantes:
1. La législation pénitentiaire, en veillant au respect des droits fondamentaux de la personne en
milieu carcéral et à la formation des personnels pénitentiaires pour garantir les meilleures
conditions de sécurité.
2. La législation du travail, en veillant à améliorer les conditions de travail et à promouvoir la
qualification des travailleurs en développant la formation continue.
3. Les registres du commerce. Les agences de change et les bourses. Les assurances.
4. La propriété intellectuelle et industrielle.
5. Les pièces et monnaies.
6. Le secteur public étatique sur le territoire de la Région autonome de Bretagne.
7. Les ports et aéroports d'intérêt national.
8. L'organisation des transports de personnes et de marchandises qui ont leur origine ou leur
destination sur le territoire de la Région autonome de Bretagne.
9. La sécurité civile. Les fonctionnaires de police et les pompiers professionnels officiant sur le
territoire de la Région autonome seront recrutés et formés sur le territoire breton selon les lois de
la République.
10. Les services fiscaux. Les personnels du Trésor Public officiant sur le territoire de la Région
autonome seront recrutés et formés sur le territoire breton selon les lois de la République.
11. La Poste et les télécommunications. Les personnels des établissements publics ou parapublics
opérant dans ces domaines sur le territoire de la Région autonome seront recrutés et formés sur
le territoire breton.
Article 11
1. La législation et la réglementation émanant des institutions de la Région autonome de Bretagne
dans les matières relevant de sa compétence exclusive (cf. article 8 du présent statut) s'appliquent
de préférence à toute autre, celles de l'Etat ne s'appliquant que par défaut. La législation et la
réglementation émanant des institutions de la Région autonome de Bretagne dans les matières
relevant d'une compétence partagée avec l'Etat (cf. article 9 du présent statut) sont réputées
s'appliquer trente jours après leur parution au Journal Officiel de la République sauf contestation
par le Parlement ou le Gouvernement de la République devant le Conseil constitutionnel.
2. Le droit communautaire s'applique par obligation sauf infirmation par la Cour de Justice des
Communautés européennes. En cas de litige avec les instances communautaires, le
Gouvernement régional peut de sa propre initiative, ou à la demande du Parlement régional, saisir
la Cour de Justice des Communautés européennes pour faire valoir le droit régional
Article 12
1. La Région autonome de Bretagne peut passer des conventions avec d'autres régions de la
République pour la gestion et la prestation de services découlant de ses compétences exclusives.
Lesdites conventions, avant leur mise en oeuvre, doivent être communiquées au Parlement de la
République. Si dans un délai de trente jours aucune des chambres n'a manifesté son désaccord, la
convention peut s'exécuter. En cas de désaccord exprimé dans les délais, le Conseil
constitutionnel est appelé à statuer sur la base du présent statut et des textes constitutionnels.
2. La Région autonome de Bretagne peut conclure librement des accords de coopération avec des
autorités nationales ou régionales étrangères dans le cadre de ses compétences exclusives (art. 8)
et dans les domaines relevant d'une compétence partagée avec l'Etat (art. 9). Dans ce dernier cas,
lesdits accords, avant leur mise en oeuvre, doivent être communiqués au Parlement de la
République. Si dans un délai de trente jours aucune chambre n'a manifesté son désaccord,
l'accord de coopératon peut s'exécuter. En cas de désaccord exprimé dans les délais, le Conseil
constitutionnel est appelé à statuer sur la base du présent statut et des textes constitutionnels.
Article 13
1. L'administration civile de l'Etat sur le territoire de la Région autonome de Bretagne s'adaptera à
l'organisation administrative propre à ladite Région autonome et tiendra compte de ses évolutions
(cf. article 8, alinéas 2 et 3 du présent statut).
2. Le représentant de l'Etat dans la Région autonome de Bretagne est habilité à faire valoir la
législation et la réglementation de l'Etat et à veiller à leur application avec le concours des
institutions de la Région autonome et de leur administration, conformément au présent statut (cf.
articles 9 et 10) et aux textes constitutionnels.

3- Des pouvoirs de la région autonome de Bretagne

Chapitre préliminaire
Article 14
1. Les pouvoirs de la Région autonome de Bretagne s'exercent au travers de ses institutions que
sont le Parlement régional, le Gouvernement régional et la Chambre régionale des comptes.
2. Le Parlement et le Gouvernement de la Région autonome de Bretagne peuvent d'un commun
accord déléguer certaines de leurs compétences à des collectivités locales conformément au
présent statut (cf. article 8, alinéa 3).
Chapitre premier
Des pouvoirs du Parlement régional
Article 15
1. Le Parlement régional exerce le pouvoir législatif dans les matières qui relèvent de la
compétence exclusive de la Région autonome (cf. article 8) ou d'une compétence partagée avec
l'Etat (cf. article 9).
2. Le Parlement régional est inviolable.
Article 16
1. Les membres du Parlement régional sont élus au suffrage universel, libre, direct et secret. Le
mode d'élection et la fixation du nombre des membres du Parlement régional ainsi que la durée
de leur mandat, qui ne pourra excéder cinq années, sont de la compétence dudit Parlement
conformément au présent statut (cf. article 8, alinéa 4).
2. La première élection des membres du Parlement régional se fera dans le cadre d'une
circonscription régionale unique et à la proportionnelle intégrale.
3. Le mandat des premiers membres du Parlement régional sera de quatre ans.
4. Les critères d'inéligibilité et d'incompatibilité avec la charge de membre du Parlement régional
seront provisoirement ceux définis pour l'élection des conseillers régionaux. Une loi électorale du
Parlement régional fixera ultérieurement lesdits critères dans le respect des principes
constitutionnels.
5. Les membres du Parlement régional voteront et s'exprimeront librement dans l'exercice de leur
charge.
6. En cas de poursuite judiciaire pour des actes délictuels commis durant leur mandat, les
membres du Parlement régional ne pourront pas être détenus avant leur jugement, sauf en cas de
flagrant délit. En cas de condamnation définitive par la Justice dans le temps de son mandat, tout
membre du Parlement régional est tenu de démissionner de sa charge.
Article 17
1. Le Parlement régional élira parmi ses membres un Président, un Bureau, une Commission
permanente et des bureaux de commission. Le Parlement régional adoptera un règlement
intérieur qui devra être approuvé à la majorité absolue de ses membres. Le Parlement
régional adoptera son budget de fonctionnement et le statut de son personnel.
2. Les périodes de session ordinaire dureront au minimum huit mois par an
3. Le Parlement régional pourra se réunir en session extraordinaire à la demande du
Président, de la Commission permanente ou du tiers des membres du Parlement. Les
sessions extraordinaires devront être convoquées sur la base d'un ordre du jour précis et
seront closes quand celui-ci aura été épuisé
4. Les membres du Parlement régional disposent d'un droit d'initiative législative
conformément au présent statut (cf. articles 8 et 9). Le Gouvernement régional peut saisir
le Parlement régional d'un projet de loi. Le Parlement régional est libre d'inscrire ou non
l'examen de ce projet de loi à son agenda et doit se prononcer en assemblée plénière sur
le principe de cet examen dans un délai de soixante jours
5. Les membres du Parlement régional pourront, tant en séance plénière qu'en commissions,
formuler des demandes, des questions, des interpellations et des motions dans les termes
fixés par le règlement intérieur (cf. premier alinéa du présent article)
6. Les citoyens de la Région autonome de Bretagne pourront saisir le Parlement régional d'une
proposition de loi, conformément au présent statut (cf. articles 8 et 9), sur la base d'une pétition
signée par au moins cent mille citoyens clairement identifiés. Le Parlement régional sera tenu de
répondre à cette saisine dans un délai de quatre-vingt dix jours.
7. Les lois votées par le Parlement régional seront promulguées par le Président du
Gouvernement régional, lequel ordonnera leur publication au Journal Officiel de la République
sous un délai de quinze jours. Leur entrée en vigueur interviendra à la date de leur publication.
Article 18
Il est aussi de la compétence du Parlement régional:
a) d'organiser l'élection des représentants de la Région autonome de Bretagne au Sénat de la
République. Le mode d'élection devra revêtir un caractère proportionnel afin d'assurer le
pluralisme des opinions.
b) de défendre les intérêts de la Région autonome de Bretagne devant le Conseil constitutionnel.
Chapitre deuxième
Des pouvoirs du Gouvernement régional
Article 19
Le Gouvernement régional est un organe collégial qui exerce les fonctions exécutives et
administratives de la Région autonome.
Article 20
Les attributions du Gouvernement régional et son organisation, basée sur un Président et des
Conseillers, de même que le statut de ses membres, seront fixés par le Parlement régional.
Article 21
1. Les fonctions du Gouvernement régional prennent fin a) avec l'élection d'un nouveau
Parlement régional, b) en cas de censure par le Parlement régional ou c) à la suite de la démission
ou du décès de son Président.
2. Le Gouvernement régional ainsi démis assure la continuité du pouvoir jusqu'à la nomination
d'un nouveau Gouvernement.
Article 22
1. Le Gouvernement régional répond politiquement de ses actes, de façon solidaire, devant le
Parlement régional, sans préjudice de la responsabilité directe de chaque membre pour sa gestion
personnelle.
2. En cas de poursuite judiciaire pour des actes délictuels commis durant leur mandat, le
Président du Gouvernement régional et ses Conseillers ne pourront pas être détenus avant leur
jugement, sauf en cas de flagrant délit. En cas de condamnation définitive par la Justice dans le
temps de son mandat, tout membre du Gouvernement régional est tenu de démissionner de sa
charge. La condamnation du Président du Gouvernement régional met fin aux fonctions du dit
Gouvernement.

Article 23
1. Le Parlement régional élit parmi ses membres le Président du Gouvernement régional.
2. Le Président du Gouvernement régional choisit les Conseillers et dirige leur action.
3. Le Président du Gouvernement régional représente les intérêts de la Région autonome de
Bretagne sur le territoire de la République comme à l'étranger.
4. Le Parlement régional fixera par la loi le mode d'élection du Président du Gouvernement
régional et ses attributions ainsi que les relations interinstitutionnelles.
Chapitre troisième
Des pouvoirs de la Chambre régionale des comptes
Article 24
La Chambre régionale des comptes a le statut d'institution régionale. Elle est en charge de veiller
au bon usage des deniers publics et de prévenir les gaspillages.
Article 25
Les magistrats de la Chambre régionale des comptes sont des fonctionnaires assermentés et
indépendants du pouvoir politique. Leur nomination et leur révocation relèvent du Conseil
supérieur de la magistrature. Ils sont recrutés sur le territoire de la Région autonome de Bretagne.
Article 26
1. La Chambre régionale des comptes dispose d'un pouvoir d'autosaisine et d'investigation dans la
comptabilité de toutes les institutions, collectivités locales et organismes publics ou parapublics
de la Région autonome. Elle organise librement son pouvoir d'autosaisine et d'investigation.
2. La Chambre régionale des comptes peut être saisie d'une demande de conseil par les
institutions, collectivités locales et organismes publics ou parapublics de la Région autonome. Elle
est tenue de répondre dans un délai raisonnable aux demandes de conseil qui lui sont adressées.
Article 27
La Chambre régionale des comptes évalue les moyens humains et matériels nécessaires au bon
accomplissement de ses missions et établit chaque année un projet de budget qu'elle transmet au
Parlement régional. Le Parlement régional a le devoir de lui assurer les moyens nécessaires au bon
accomplissement de ses missions.
Article 28
La Chambre régionale des comptes rendra public chaque année un rapport d'activités. Ledit
rapport fera l'objet d'un débat public en séance plénière au Parlement régional.
Chapitre quatrième
Du contrôle des pouvoirs de la Région autonome de Bretagne
Article 29
1. Les lois du Parlement de la Région autonome de Bretagne sont soumises au contrôle de
constitutionnalité par le Conseil constitutionnel. Le Parlement régional est habilité à faire valoir
les intérêts de la Région autonome de Bretagne devant le Conseil constitutionnel, conformément
au présent statut (cf. article 18 b).
2. Les actes réglementaires émanant des organes exécutifs et administratifs de la Région
autonome de Bretagne sont susceptibles d'être contestés devant la juridiction administrative de la
République.

4- Finances et Patrimoine
Article 30
1. Pour l'exercice adéquat et le financement de ses compétences, la Région autonome de Bretagne
disposera de ses propres ressources.
2. Les ressources propres de la Région autonome de Bretagne seront constituées d'une quote-part
d'impôts d'Etat, directs et indirects, payés par les contribuables bretons. Cette quote-part sera
évaluée chaque année par une commission mixte composée à parité de représentants du
Gouvernement de la Région autonome de Bretagne et du Gouvernement de la République et
soumise à l'approbation du Parlement régional et de l'Assemblée nationale dans le cadre des
débats budgétaires.
3. L'organisation des services fiscaux en Bretagne répondra aux principes suivants:
a) les services fiscaux sur le territoire de la Région autonome de Bretagne continueront à
dépendre de l'administration de l'Etat.
b) pour tenir compte de la nouvelle réalité institutionnelle en Bretagne, les personnels des services
fiscaux officiant sur le territoire de la Région autonome de Bretagne seront recrutés et formés sur
le territoire breton selon les lois de la République.
Article 31
1. Seront intégrés au patrimoine de la Région autonome de Bretagne tous les droits, biens et
servitudes de l'Etat ou des organismes publics ou parapublics affectés par les services ou
compétences assumés par ladite Région autonome.
2. Une loi du Parlement régional régira l'administration, la protection et la conservation du
patrimoine de la Région autonome de Bretagne.

5- De la reforme du statut particulier de la Bretagne

Article 32
Toute réforme fondamentale du présent statut suivra la procédure suivante:
a) l'initiative reviendra au Parlement régional, à la demande d'un tiers au moins de ses membres,
du Gouvernement régional ou de l'Assemblée nationale de la République.
b) la proposition de réforme devra être approuvée par le Parlement régional à la majorité absolue.
c) la réforme devra faire l'objet d'une loi organique adoptée par l'Assemblée nationale de la
République.
d) l'adoption finale de la réforme reviendra aux citoyens de la Région autonome de Bretagne
selon la procédure du référendum.
Article 33
Dans la mesure où le projet de réforme du présent statut ne remettrait pas fondamentalement en
cause l'organisation des pouvoirs de la Région autonome et n'affecterait pas les relations entre
ladite Région autonome et l'Etat, la procédure suivante pourra s'appliquer:
a) élaboration du projet de réforme par le Parlement régional.
b) consultation de l'Assemblée nationale et du Gouvernement de la République.
c) si dans un délai de trente jours à partir de la réception du projet de réforme aucun des
organes consultés ne se déclare affecté par ladite réforme, un référendum sera convoqué
en Bretagne sur le texte proposé. d) si l'un des organes consultés conformément à l'alinéa
précédent se déclare affecté par la réforme, il conviendra d'appliquer la procédure prévue
par l'article 32.

6- De la procédure d'adoption du présent statut


Article 34
1. L'Assemblée nationale de la République, saisie du présent projet de statut particulier pour la
Bretagne, devra l'adopter à la majorité absolue. Elle élaborera et adoptera une loi organique qui
aura pour objet d'assurer la constitutionnalité du dit projet. Le Sénat devra adopter le statut
particulier et la loi organique à la majorité absolue.
2. Dans un délai de trois mois après l'adoption du statut particulier et de la loi organique par le
Parlement de la République, les citoyens des cinq départements actuels des Côtes d'Armor, du
Finistère, de l'Ille-et-Vilaine, de la Loire-Atlantique et du Morbihan seront convoqués pour se
prononcer par référendum sur ledit projet pour une adoption définitive.
Dispositions transitoires
Premièrement. A partir de l'adoption définitive du statut particulier par les citoyens des cinq
départements précités (cf. article 34, alinéa 2), le Gouvernement de la République convoquera,
dans un délai de trois mois, des élections pour le Parlement régional. Le mode d'élection des
premiers membres du Parlement régional sera conforme au présent statut (cf. article 16, alinéa 2).
Après la tenue des élections, le Gouvernement de la République convoquera le Parlement
régional nouvellement élu dans un délai de trente jours pour qu'il procède à l'élection du
Président du Gouvernement régional. L'élection du Président du Gouvernement régional
nécessitera au premier tour la majorité absolue des suffrages et, le cas échéant, la majorité simple
aux tours suivants.
Deuxièmement. Une commission mixte, composée à parité de représentants du Gouvernement
de la Région autonome de Bretagne et du Gouvernement de la République, se réunira dans un
délai de trente jours à compter de la constitution du Gouvernement de ladite Région autonome
pour établir les procédures de transfert des compétences qui correspondent au présent statut et
les moyens humains et matériels nécessaires à leur bon exercice.
Le transfert des compétences garantira aux fonctionnaires et aux autres personnels relevant
précédemment des services de l'Etat la permanence de leurs statuts.
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 1

L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964)

Romain PASQUIER

« Une France bigarrée, haute en couleurs, c’est par quoi doit débuter toute histoire
« sincère » de la France. Sans fin cette France plurielle sous-jacente aura contredit la
France une qui la domine, la contraint, essaie de gommer ses particularismes tout en
concentrant sur elle-même, abusivement, les lumières de l’histoire. » Fernand Braudel,
L’identité de la France, Tome 1, Paris, Fayard, 1982.

L’essentiel des études approfondies sur la genèse du processus de régionalisation français se


concentre sur l’émergence puis l’échec du « régionalisme fonctionnel » instauré par la réforme
régionale de 1964 (Quermonne 1963 ; Grémion 1976 ; Grémion et Worms 1968). Dès lors une
interprétation dominante de ce processus s’est imposée. Les régions françaises résulteraient de
la politique de planification et d’aménagement du territoire élaborée et mise en oeuvre par
l’administration centrale à partir du début des années soixante ; les mobilisations régionales,
quelle que soit leur nature, n’ayant eu qu’une influence très limitée sur l’évolution du
processus.

Cette contribution entend revisiter cette interprétation top down en analysant les conditions
d’émergence de la régionalisation « à la française », de l’après-guerre au début des années
soixante, à partir de données empiriques originales1. Il semble en effet que ce processus est
plus complexe que ce que l’on veut bien admettre généralement. Loin d’être les simples
destinataires d’une politique centralisée technocratique, les acteurs régionaux ont joué un rôle
actif dans la formulation et la mise en œuvre de cette politique dans les années cinquante et au
début des années soixante. Il s’agit donc de montrer comment la régionalisation « à la
française » s’invente sur la base d’interactions et d’échanges entre des élites et des groupes
politiques sociaux qui agissent aussi bien dans l’arène politique centrale que dans des arènes
plus périphériques (configurations régionales).

A la fin des années quarante, la question régionale resurgit à travers le problème de la


spatialisation des activités économiques, c’est-à-dire de l’aménagement du territoire. Dans ce
processus, le mouvement fédéraliste français, mouvement politique très influent dans l’après-
guerre, joue le rôle d’un « réseau de consolidation » à l’intérieur duquel élites modernisatrices
et élites régionales objectivent progressivement des visions de l’aménagement du territoire et
des « problèmes » régionaux (Dulong 1997, p. 11). On peut décomposer cette dynamique en

1
Les éléments empiriques mobilisés ici sont issus de mon travail de thèse (Pasquier 2000). L’étude
sur le mouvement fédéraliste français et le Comité d’études et de liaison des intérêts bretons
(CELIB) s’appuie sur des données collectées à partir de certaines archives de ces organisations (ou
plutôt ce qu’il en reste), du dépouillement de l’ensemble des numéros des organes internes (Le
bulletin fédéraliste et le XXe siècle fédéraliste pour le mouvement fédéraliste et La vie bretonne
pour le CELIB), ainsi que sur une campagne d’archives orales menée en direction des acteurs
« survivants » de ces organisations et des hauts fonctionnaires de l’administration centrale en
charge, à l’époque, de la politique de planification et d’aménagement du territoire.
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 2

plusieurs étapes. Tout d’abord la mouvance fédéraliste participe aux côtés des élites
planificatrices à la diffusion de nouvelles représentations du territoire national et de ses
problèmes. La mobilisation des élites régionales au début des années cinquante autour de cette
thématique, en particulier en Bretagne où se structure une organisation d’une ampleur
exceptionnelle le Comité d’études et de liaison des intérêts bretons (CELIB), ouvre la voie à
l’organisation d’un mouvement national des comités d’expansion économique qui devient
l’interlocuteur des élites modernisatrices. Progressivement élites modernisatrices et élites
régionales adoptent un langage commun et gèrent conjointement les débuts de la régionalisation
« à la française ». Cependant, l’avènement de la Ve République et la prise en main du
processus de régionalisation par l’administration gaulliste change radicalement la configuration
initiale.

Aménagement du territoire et question régionale dans l’après-guerre

Dans l'immédiat après-guerre la question régionale resurgit à travers celle de


l'aménagement du territoire. Ce débat est mené dans la société d’après-guerre par d’un côté le
mouvement fédéraliste et de l'autre les élites étatiques planificatrices. Les préoccupations de
ces groupes qui appartiennent à des univers différenciés vont se croiser dans la mesure où ils
plaident conjointement pour la constitution d’un nouvel ordre social et une organisation
rénovée de l’Etat.

La mouvance fédéraliste et la réforme de l’Etat

La contribution du mouvement fédéraliste français - La Fédération - pour rendre la


question régionale à nouveau légitime dans l’espace politique après l’épisode vichyste est
largement méconnue. Quelques rares politistes et historiens l’ont évoqué sans la développer
jusqu’à son terme (Greilsammer 1974 ; Ohnet 1996). Ce groupe d’influence en diffusant à
l’échelon local, régional et national de nouvelles formes d’organisation, en suscitant des débats
dans divers cercles sociaux, apparaît comme une organisation politique clé pour comprendre la
mise sur l’agenda politique de certaines questions institutionnelles dans l’immédiat après-
guerre comme la construction européenne ou la question régionale. En étudiant la genèse du
mouvement fédéraliste français on prend la mesure d’une entreprise politique originale,
véritable réseau de réseaux dont les objectifs principaux sont complémentaires : diffuser auprès
des élites politiques et économiques de l’après-guerre de nouveaux principes d’organisation de
la société et initier ou soutenir de nouvelles formes de mobilisation à l’échelon local et régional.

La Fédération- « Centre d’études institutionnelles pour la réforme de la société française »,


voit le jour le 15 octobre 1944 à l’initiative d’un groupe de militants (André Voisin, Jacques
Bassot, Jean Daujat, Max Richard, Jean Bareth, Jean-Maurice Martin) dont les trajectoires
biographiques sont restées très proches depuis le début des années trente 2. Ce groupe

2
Les militants fondateurs de La Fédération se rencontrent au début des années trente, à l’Ecole
normale d’Auteuil. André Voisin (André Bourgeois), Jean Bareth, Max Richard et Jean-Maurice
Martin, âgés de seize à dix-huit ans, s’engagent dans des expériences de rénovation de l’Action
française après la condamnation papale de 1926. Ils participent à divers cercles consacrés à la
doctrine sociale de l’église comme le cercle Fustel de Coulanges qui prône les idées du catholicisme
social de René de La Tour du Pin, et ambitionne de diffuser les positions de l’Action française au
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 3

fondateur appartient au milieu corporatiste proche de l’Action française de l’entre-deux-


guerres, mais très rapidement s’y greffe un groupe d’intellectuels issu de ce que Jean-Louis
Loubet del Bayle (1969) a appelé, selon leur propre dénomination « les non-conformistes des
années trente ».3. Ainsi, au fil des rencontres et des échanges s’associent progressivement un
courant de droite influencé par la doctrine des corps intermédiaires et un courant socialiste
proudhonien, dont les piliers doctrinaux sont respectivement Max Richard et Alexandre Marc.
Ce groupe élabore une nouvelle doctrine dite du fédéralisme intégral, qui se présente comme
une doctrine fondée sur une conception organique de la société, destinée au perfectionnement
et à l’épanouissement de la personne humaine par le libre exercice des responsabilités au sein
des cellules fondamentales de la société que sont la famille, l’entreprise, la commune, la
région4. Ce fédéralisme postule de nouvelles règles de répartition des fonctions et des
responsabilités : « Ce qui est communal à la commune, ce qui est régional à la région, ce qui est
national à la nation »5.

La contribution de La Fédération à l’émergence des initiatives européennes est bien connue


(Greilsammer 1974 ; Gouzy 1968). Son action politique à l’échelle nationale l’est beaucoup

sein de la profession enseignante. Instituteurs, ces jeunes gens continuent de militer dans le milieu
corporatiste de l’avant-guerre et fondent l’Union corporative des instituteurs. A cette époque
d’effervescence intellectuelle et de recherche d’une alternative à la société capitaliste, ces
militants corporatistes de droite fréquentent également d’autres mouvances intellectuelles,
notamment les animateurs de Jeune droite issus de l’Action française tels que Jean de Fabrègues,
Thierry Maulnier ou Jean-Pierre Maxence (Auzepy-Chavagnac 1995 ; Loubet del Bayle 1969).
Après la défaite de 1940, André Voisin et ses compagnons accueillent favorablement la Révolution
nationale. Ces militants se retrouvent dans des organismes de formation et de promotion du
corporatisme sous Vichy, en particulier à l’Institut d’études corporatives et sociales créé en 1934
par l’Union des corporations françaises. A partir de 1943, Voisin et ses amis prennent leurs
distances avec certaines dérives du régime et entre en contact avec des éléments de la Résistance
du Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (MNPGD) dans le cadre du
Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre. Concernant l’action militante, les
membres de ce groupe n’attendent pas la Libération pour se réorganiser. En 1943, ils créent sous
le patronage de Martial Buisson le Centre technique d’organisation professionnelle (CTOP),
organe d’action corporative qui s’engage dans la rechristianisation du rapport au travail et le
développement des libertés professionnelles, locales et régionales. A la Libération, les dirigeants du
CTOP, notamment Voisin, Bassot et Daujat décident de continuer leur oeuvre en substituant au
vocabulaire corporatiste et à la doctrine des corps intermédiaires une rhétorique fédéraliste.
3
L’arrivée aux côtés du groupe fondateur d’un groupe d’intellectuels (Alexandre Marc, Robert
Aron, Denis de Rougemont, Jean de Fabrègues, Thierry Maulnier etc.), côtoyé dans les années
trente, permet à La Fédération d’affiner sa doctrine et de proposer un projet alternatif
d’organisation de la société française. Dans cette nébuleuse, on peut distinguer un groupe
personnaliste plutôt classé à gauche autour de la revue Esprit dirigée par Emmanuel Mounier ; deux
groupes de Jeune droite dont les itinéraires se croisent dans les années trente et qui restent très
perméables l’un à l’autre, l’un de la Jeune droite catholique animé par de Jean de Fabrègues, et
l’autre plus fascisant autour de Jean-Pierre Maxence et Thierry Maulnier ; et enfin un autre groupe
personnaliste autour de la revue Ordre nouveau, (Dandieu, Robert Aron, Alexandre Marc, Denis de
Rougemont, Henri Daniel-Rops) attaché à une ligne doctrinale, ni droite ni gauche, et à la
recherche d’une synthèse plus globale d’inspiration proudhonienne. A l’exception du groupe Esprit
qui finit par s’opposer avec fermeté aux fédéralistes français, tous les acteurs de ce mouvement
intellectuel entrent en contact et collaborent plus ou moins activement à l’action de La
Fédération.
4
Dès les années trente, pour beaucoup des intellectuels d’Esprit ou d’Ordre nouveau la
décentralisation et le fédéralisme apparaissaient comme des solutions possibles pour susciter une
régénérescence spirituelle de la France (Loubet del Bayle 1969).
5
La Fédération, n°39, 1948.
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 4

moins. A partir des années 1946-47, La Fédération6 fonctionne à la fois comme un centre de
réflexion doctrinale et comme une structure d’action politique7. visant à influencer certaines
décisions politiques. Comme sa raison sociale l’indique - Centre d’études institutionnelles
pour la réforme de la société française - cette organisation se présente d’abord comme un
centre de réflexion destiné aux élites politiques et économiques. Dans ce but, le mouvement
multiplie les commissions d’études, les conférences, les dîners débats, les sessions de
formation sur tous les problèmes de la vie économique, politique et sociale : la famille, la
formation de la jeunesse, les rapports sociaux dans l’entreprise, la sécurité sociale, la
construction européenne, les problèmes de la décolonisation, la réforme constitutionnelle, la
décentralisation, la régionalisation, la coopération communale, etc. La Fédération fournit un
cadre de discussions et d’échanges à des acteurs politiques et sociaux venus d’horizons divers.
Les publications du mouvement comme Fédération, Le Bulletin fédéraliste, ou XXe siècle
fédéraliste8 dont Max Richard et Jacques Jira sont les principaux rédacteurs en chef, mais aussi
les ouvrages éditées par les éditions Le Portulan, dirigées par Jacques Bassot, contribuent à la

6
Les effectifs de La Fédération ont connu des hauts et des bas de 1944 jusqu’au milieu des années
soixante dix. A sa création, elle connaît un départ fulgurant et compte en 1947 de 4 à 5000
membres avant de connaître un chute de ses effectifs à la fin des années quarante suite à
l’opposition avec les unionistes (Greilsammer 1974). L’apogée de cette organisation se situe au
milieu des années cinquante où elle compte de 7500 à 8000 membres, beaucoup de personnes étant
séduites par ces thèses sur l’Afrique du Nord et la possibilité de rattacher l’Algérie à la France dans
un cadre fédéral. Elle perd subitement la plus grande part de sa clientèle en 1961-62, et au départ
du général de Gaulle La Fédération n’est plus qu’un petit cercle d’études fédéralistes.
7
La Fédération créé des associations autonomes dans un certain nombre de secteurs avec à leur
tête les principaux leaders du mouvement. Ces organisations finissent souvent par s’autonomiser
de la maison mère mais décuplent l’influence du mouvement. Les travaux de Hyacinthe Dubreuil,
membre de La Fédération, prônant l’organisation des entreprises en ateliers autonomes suscitent
la création de groupes autour de Jacques Bassot qui rapprochent patronat et syndicalistes
anticommunistes (Léon Jouhaud pour la CGT et Jacques Teissier pour la CFTC). Les travaux de
ces groupes donneront lieu à la création des comités Hyacinthe Dubreuil autour de l’économiste
Jacques Rueff, ainsi qu’à la fondation de la Jeune chambre économique par Yvon Chotard, jeune
permanent de La Fédération. Jean-Maurice Martin s’investit dans les relations avec les anciens
combattants, il participe à la naissance de la Fédération européenne des anciens combattants
(FEDAC) et devient président de l’Union nationale des combattants (UNC). Jean Bareth se
consacre au développement des libertés communales, il invente la formule des jumelages et créé
avec l’appui de Jacques Chaban Delmas le Conseil des communes d’Europe en 1951. Par
l’intermédiaire du Conseil des communes d’Europe, La Fédération s’attache à sensibiliser les
institutions européennes sur l’idée régionale. Quant à André Voisin, il se consacre plus directement
aux contacts avec les milieux politiques français. Il créé le Mouvement national des élus locaux
(MNEL) dont il assure le secrétariat général de 1953 à 1982.
8
Fédération est une revue mensuelle publiée à partir de janvier 1947 à octobre 1956 qui prend la
suite de La Circulaire intérieure, premier essai de publication du mouvement. Surnommée « la
revue verte » à cause de la couleur de sa couverture, Fédération se présente comme une revue de
recherche et d’élaboration doctrinale Son comité de rédaction est composé de Daniel Halévy,
Maxime Leroy, Gabriel Marcel, Robert Aron, Hyacinthe Dubreuil, Bertrand de Jouvenel, Thierry
Maulnier, Pierre Serant, Georges Vedel, André Voisin et Max Richard, le rédacteur en chef.
Fédération aborde un ensemble de problèmes politiques, économiques et sociaux dans une
perspective fédéraliste et rencontre une grande audience dans les milieux universitaires et
intellectuels et parmi les dirigeants politiques et responsables économiques des années cinquante.
Le Bulletin fédéraliste, mensuel de quatre pages publiées d’octobre 1948 à décembre 1953, est un
bulletin d’information et de propagande qui vient compléter Fédération et qui rapporte l’ensemble
des événements organisés par les fédéralistes en France et en Europe Il est remplacé en janvier
1954 par le XXe siècle fédéraliste, toujours publié à ce jour.
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 5

diffusion des idées fédéralistes parmi les élites des années quarante et cinquante. Sur la plan
politique, le « grand dessein » d’André Voisin était de constituer une force d’influence
s’appuyant sur Jacques Chaban-Delmas, Antoine Pinay et Roger Duchet, membres de La
Fédération. Cette stratégie place La Fédération à droite de l’échiquier politique mais ne
l’empêchait pas d’entretenir un réseau de relations partisanes très étendu, à l’exception des
communistes9. Profitant de la perméabilité du régime aux groupes de pressions, de
l’indiscipline des partis politiques et la tendance à gouverner au centre, le mouvement
fédéraliste rassemble par delà les clivages partisans des hommes politiques influents. Ce réseau
inter-partisan permet à La Fédération de mobiliser des décideurs politiques sur des thèmes qui
lui sont chers.

« Paris et le désert français »

La thématique de l’aménagement du territoire pour les fédéralistes, est le moyen de


poursuivre sous une autre forme le combat pour une autonomie locale et régionale. La diffusion
et la popularisation du concept d’aménagement du territoire vers les décideurs politiques doit
beaucoup à ce mouvement.

La Fédération s’attache à promouvoir et à diffuser les idées qui correspondent de près ou de


loin à sa doctrine. Par l’intermédiaire de sa maison d’édition, La Fédération soutient des essais
qui mettent en exergue les nouveaux défis auxquels l’Etat doit répondre. L’un de ces essais va
devenir particulièrement emblématique et donner à la question régionale une nouvelle légitimité.
En effet, les éditions du Portulan inaugurent leur collection avec l’ouvrage de Jean-François
Gravier (1947), Paris et le désert français10, dans lequel le géographe pointe les graves
inégalités régionales de développement économique entre les régions françaises. La région
parisienne qui a bénéficié d’une centralisation politique et économique séculaire concentre
désormais l’essentiel des capitaux et des élites, alors que le reste des régions françaises souffre
de dénatalité et de l’écrasement des industries locales. En réponse, Gravier, sympathisant de
La Fédération11, propose les bases d’un aménagement régional du territoire à la mesure de
9
Outre Jacques Chaban-Delmas, Antoine Pinay, Roger Duchet et René Coty, La Fédération
compte dans ses rangs dans les années cinquante et soixante plusieurs hommes politiques
d’envergure : François Mitterrand, Raymond Marcellin, Jean Lecanuet, Roger Gondon, Maurice
Schumann, président de La Fédération en région Nord, ou encore Germaine Peyrolles, vice-
présidente de l’Assemblée nationale.
10
La Fédération poursuivra cette oeuvre de popularisation d’une certaine philosophie
décentralisatrice en publiant le second livre de Jean-François Gravier Mise en valeur de la France
(1949) où il plaide clairement pour une réforme profonde des structures institutionnelles calquée
sur le projet fédéraliste avec la disparition du département et la mise en place de deux nouveaux
échelons : l’arrondissement et la région. Les éditions Le Portulan publieront également les
ouvrages de nombreux fédéralistes : Principes du fédéralisme d’Alexandre Marc et Robert Aron,
L’Equipe et le Ballon de Hyacinthe Dubreuil, Six études sur la Propriété Collective de Louis
Salleron ou Quelle Europe ? de Bertrand de Jouvenel.
11
Jean-François Gravier fait la connaissance d’André Voisin dans les années trente dans le cadre du
cercle La Tour du Pin. Agrégé d’histoire et de géographie en 1938, Gravier fréquente comme
Voisin le milieu de la Jeune Droite dans l’entre-deux-guerres et collabore avec François Mitterrand
à la revue Combat, dirigé par Thierry Maulnier et Jean de Fabrègues. Pendant la guerre il enseigne
à l’Ecole des cadres d’Uriage et entre à la fondation Alexis Carrel où il y rencontre Jean Vergeot
qui deviendra l’un des premiers collaborateurs de Jean Monnet (Drouard 1992). Jean Vergeot fait
entrer Gravier au ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme auprès de Raoul Dautry et après
la parution de Paris et le désert français, il fait partie du cabinet Pflimlin alors ministre de
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 6

l’homme. Cet ouvrage s’inscrit dans un contexte où le départ du général de Gaulle en janvier
1946, la résurrection de l’appareil administratif centralisé d’avant-guerre et l’abandon de
certains projets de la Résistance suscitent un débat sur l’organisation de l’Etat (Bloch-Lainé et
Bouvier 1986). Deux anciens commissaires de la République, Michel Debré et Francis-Louis
Closon, choisissent cette même année pour présenter, à partir de leurs expériences respectives,
les grands axes d’une réforme de l’organisation territoriale de l’Etat qui, à leurs yeux, s’avère
nécessaire12.

Paris et le désert français met de nombreux mois à sortir de l’anonymat. N’en déplaisent à
ceux qui veulent en faire le moment fondateur de l’aménagement du territoire, la diffusion de
l’ouvrage de Gravier ne franchit pas la limite d’un petit cercle d’initiés avant la fin 194813.
Jean-François Gravier doit le succès de son ouvrage à l’action de deux personnalités proches de
La Fédération (Gravier 1970). D’une part à Thierry Maulnier qui fait un compte rendu
flatteur dans une de ses chroniques du Figaro, et d’autre part, au député Claudius-Petit qui,
séduit par la thèse de Gravier, cite à plusieurs reprises l’ouvrage à la tribune de l’Assemblée
nationale, avant de devenir un an plus tard, en 1948, ministre de la Reconstruction et de
l’Urbanisme : « Claudius-Petit n’était pas adhérent de La Fédération mais on entretenait de
très bons contacts avec lui. A plusieurs reprises, il est venu à des réunions publiques et des
conférences que l’on a organisées »14

Les planificateurs et la genèse de l’aménagement du territoire

Dans le même temps, au tournant des années quarante et cinquante, l'aménagement du


territoire émerge en tant problème publique sous l'impulsion des deux organismes en charge de
la reconstruction et de la planification : le service aménagement du ministère de la
Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU) et le Commissariat général au Plan (CGP). Ces
segments des élites « planificatrices » se sensibilisent aux « problèmes » régionaux, et intègrent
progressivement une dimension territoriale à la planification en inventant une nouvelle
politique publique, l’aménagement du territoire15.

l’Agriculture, avant d’entrer au début des années cinquante au Commissariat général au plan
(entretien Jean-François Gravier, juillet 1997).
12
Les remèdes qu’ils préconisent sont très différents. Michel Debré (1947) dans La Mort de l’Etat
républicain récuse la validité du cadre régional et le perçoit comme une menace pour l’unité
nationale et plaide pour l’instauration de quarante sept « grands départements ». A l’inverse,
Francis-Louis Closon (1947) dans La région : cadre d’une administration moderne défend
l’oeuvre des commissaires de la République et préconise une réorganisation de l’Etat sur une base
régionale.
13
L’ouvrage de Gravier connaîtra un second succès encore plus important lors de la réédition de
l’ouvrage aux éditions Flammarion en 1958. Il devient alors la bible des hauts fonctionnaires de
l’administration gaulliste chargée de l’aménagement du territoire dans les années soixante.
14
Entretien Jacques Jira (avril 1998).
15
Stanley Hoffman (1963, p. 50) fait remarquer à juste titre qu’en France « les bases de la
transformation de la société d’après-guerre furent jetées pendant les années de guerre ». Dans
l’entre-deux-guerres, un courant déconcentrationniste et technicien s’est développé dans
l’administration française sous l’impulsion de hauts fonctionnaires ou de ministres réformateurs
comme Clémentel (Veitl. 1992 ; Pollet 1999). Ce courant est particulièrement actif sous le régime
de Vichy et est à l’origine de réformes administratives inédites comme l’instauration des préfets de
région (Baruch 1996). En matière de planification, Henry Rousso (1986, p. 9) fait également
remarquer qu’elle « est le fruit d’une longue réflexion sur le rôle de l’Etat en matière économique,
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 7

Dans l’après-guerre, une concurrence s’installe entre le CGP et le MRU pour la maîtrise de la
politique d’aménagement du territoire :« L’aménagement du territoire est né quai de Passy
parce que M. Claudius-Petit y a pensé avant Jean Monnet. Son inventeur a rapidement
constaté qu’à travers cette notion il risquait d’évoquer toute la planification. Il l’a donc tournée
principalement vers l’urbanisme. Ses successeurs ont éprouvé comme lui la tentation du
débordement. Pour discrets qu’aient été leurs services, ils n’ont pu éviter quelques conflits
avec le Plan, quand celui-ci, un peu tardivement, s’est préoccupé de régionaliser ses prévisions.
La réunion dans une même main des études et propositions relatives au développement par
secteurs et au développement par région paraît désormais nécessaire » (Bloch-Lainé 1962, p.
869)

Formellement il s’opère un partage des compétences entre le service aménagement du MRU et


le CGP, le premier s’occupant de la reconstruction des villes et le second de la reconstruction
économique, mais concrètement les deux organismes développent deux conceptions
antagonistes de l’aménagement du territoire, l’une urbanistique et sectorielle pour le MRU,
l’autre économique et inter-sectorielle pour le CGP (Voldman 1997). Cette opposition
« philosophique » repose en grande partie sur les trajectoires distinctes des hommes qui
composent ces deux administrations de planification (Massardier 1996). La garde rapprochée
de Jean Monnet provient d’espaces sociaux éloignés de la fonction publique puisqu’ils ont
souvent effectué, pour une grande majorité, leur carrière dans le privé, en particulier dans les
banques, avant que la Résistance et l’engagement auprès du général de Gaulle ne les amènent à
la fonction publique à la sortie de la guerre (Fourquet 1980). A l’inverse le segment aménageur
du MRU provient des services de l’Urbanisme de Vichy, la DGEN formant à la Libération
l’ossature du MRU dirigé par Raoul Dautry16.

La période 1945-1953 constitue la période d’expansion des velléités planificatrices du MRU.


Greffée au problème de la reconstruction des villes, la décentralisation industrielle devient,

qui s’inscrit en pointillé depuis la première guerre mondiale dans l’évolution des pratiques
politiques et administratives, avec comme temps forts le planisme des années trente et les
anticipations du régime de Vichy ». Ainsi, les premiers essais de planification de 1941 à 1945
influencent les pionniers de l’après-guerre que ce soit au MRU ou au CGP. Les premières réflexions
sur une politique d’aménagement du territoire sont menées au sein de la Délégation générale à
l’Equipement national (DGEN) chargée du plan d’équipement et de la coordination des questions
d’urbanisme au ministère de l’Economie nationale de Vichy. En 1942, le secrétaire général de la
DGEN, Henri Giraud, charge un groupe de géographes, d’historiens, d’économistes et d’industriels
dirigé par Gabriel Dessus de mener une réflexion sur la « décongestion des centres industriels ». Les
résultats, très influencés par la pensée planiste des années trente, jettent les bases d’un
aménagement conçu à trois différentes échelles d’analyse (locale, régionale et nationale) Les
travaux menés fournissent un vivier d’idées, d’expériences, de structures dans lesquels l’équipe de
Jean Monnet et du MRU puisent leur inspiration (Mioche 1987 ; Voldman 1997). Nombre de
personnalités comme Frédéric Surleau, Gabriel Dessus, Pierre George, Alfred Sauvy ou Jean-
François Gravier qui ont participé aux groupes de réflexion au sein de la DGEN participent
également aux commissions spécialisées du CGP.
16
Robert Paxton (1973, p. 325) note à ce sujet que « c’est dans l’administration publique, dans la
modernisation et la planification économique que les mesures - et le personnel - de Vichy se
perpétuent avec le plus d’évidence ». Au MRU, la filiation vichyste est particulièrement claire
tous les anciens hauts fonctionnaires du Commissariat à la reconstruction immobilière de Vichy
entrent à la direction de l’aménagement du territoire du MRU comme André Prothin, Pierre
Randet, Jean Kerisel, Yves Salaûn etc. (Massardier 1996, p. 109).
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 8

sous l’impulsion de Pierre Randet et Jean Faucheux, le cheval de bataille du MRU. L’arrivée de
Eugène Claudius-Petit au MRU en 1948, marque le renforcement de cette démarche. Le 3
février 1950 Claudius-Petit, lors d’une communication au conseil des ministres, demande que
le gouvernement prenne l’initiative d’un plan national d’Aménagement du territoire pour sortir
de la crise du logement et maîtriser le développement économique. Les principes sont
rassemblés dans une plaquette éditée par le MRU, préfacée par Claudius-Petit, et désignée
familièrement sous le nom de « brochure verte ». Cette brochure donne le signal d’une large
réflexion sur l’aménagement du territoire. La loi du 8 août 1950, créé le Fonds national
d’aménagement du territoire (FNAT). De même, une commission centrale d’études pour le
plan d’aménagement se crée par arrêté du MRU le 5 avril 1950. Des économistes, des
géographes, hauts fonctionnaires comme François Closon, directeur général de l’INSEE, Jean-
François Gravier, Pierre Randet, contrôleur général à la direction générale à l’aménagement du
territoire (DAT) sont sollicités par la Commission et plusieurs publications17 viennent
jalonner ces travaux et viennent nourrir la réflexion sur les possibilités d’aménager le territoire
(Voldman 1997).

Ainsi, de par les efforts conjugués de groupes politiques comme les fédéralistes et de segments
de la haute fonction publique engagés dans la reconstruction, l’aménagement du territoire
devient au tournant des années quarante et cinquante à la fois un enjeu politique et un
problème publique. Dès lors des groupes d’acteurs régionaux profitent de cette opportunité
politique pour réclamer une territorialisation de la planification nationale.

La régionalisation coproduite : mouvement régional et élites modernisatrices

La structuration du CELIB au tout début des années cinquante en Bretagne apparaît


comme une expérience pionnière de part son ampleur et sa capacité à imposer à
l’administration centrale de prendre en compte les besoins régionaux dans la planification
nationale. Plus largement, sous l’impulsion de La Fédération l’expérience bretonne ouvre la
voie à l’organisation d’un mouvement régional qui devient l’interlocuteur légitime des élites
modernisatrices.

La structuration du CELIB ou les prémisses de la régionalisation à la française

En 1950, le CELIB se constitue autour d’un constat alarmant : l’hémorragie


démographique et le retard économique de la Bretagne (Martray, 1983). En effet, cette région
est passée à côté de la révolution industrielle et s’est transformée en réservoir de main d’œuvre
pour les riches régions industrielles, notamment la région parisienne18. C’est le travail
17
Voir MRU, 1950, L’aménagement du territoire. Premier rapport, Paris, Imprimerie nationale,
et MRU, 1952, L’aménagement du territoire. Deuxième rapport, Paris, Imprimerie nationale.
18
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, face aux contraintes de la reconstruction, les
pouvoirs publics, soucieux de maximiser leur effort d’investissement, localisent leurs interventions
là où elles sont susceptibles d’avoir le maximum de rentabilité, c’est-à-dire dans les régions qui
disposent déjà d’un appareil industriel. Si bien que le premier plan (1947-1953) contribue
implicitement à aggraver les disparités régionales (Drevet 1988). Pour la période 1951-53, la
Bretagne est la région française qui a l’indice du revenu et de la dépense par habitant les plus
faibles, respectivement 68 et 48 par rapport à 100 pour la moyenne nationale Le niveau de vie
breton est le plus faible de France après celui de la Corse (Krier et Ergan, 1976).
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 9

d’entrepreneurs politiques pour construire de nouvelles modalités d’action autour d’une


représentation périphérique de la Bretagne qui permet d’expliquer le succès rapide de cette
coalition.

Genèse du CELIB

La Fédération met en place à partir de 1946-47 un réseau de permanents et d’adhérents


en province pour susciter un mouvement au plus près des élus et des acteurs économiques et
sociaux et ainsi dynamiser les initiatives locales. Ces permanents 19 ont pour mission de
promouvoir le projet fédéraliste auprès des entrepreneurs et des hommes politiques locaux en
organisant des conférences et des réunions publiques. Joseph Martray, fondateur du CELIB,
est de ceux-là. Correspondant du mouvement fédéraliste pour l’ouest de la France20, Joseph
Martray, est déjà en 1950 un « vieux » militant de la cause bretonne. Rédacteur de préfecture,
il se manifeste à la fin des années trente par son militantisme pour le « renouveau » culturel et
politique de la Bretagne. Journaliste pendant la guerre, il collabore aux journaux vichystes
dirigés par Yann Fouéré21, La Bretagne et La Dépêche de Brest, dont il est un temps rédacteur
en chef (Fréville 1979). Joseph Martray devient membre à partir de 1942, au titre de délégué
régional adjoint à la Jeunesse et de président de l’Union folklorique de Bretagne, du comité
consultatif pour les question culturelles créé par le préfet de région vichyste, Jean Quenette
(Barral 1974 ; Gicquel 1960)22. A la Libération, il poursuit sa carrière journalistique à Paris en
animant un quotidien pour les bretons de Paris, Vent d’ouest, puis une revue trimestrielle à
partir de 1948, Le Peuple breton23. En juillet 1947, il publie un ouvrage, La Bretagne et la
réforme de la France24, où il fait le diagnostic des retards économiques et démographiques de
la Bretagne et plaide pour une décentralisation accrue.

19
Au début des années cinquante, il y a deux permanents dans le Nord, un dans l’Est, un autre à
Troyes, Marseille et Toulouse, deux à Lyon .Ils facilitent la constitution de groupes régionaux de
La Fédération à Paris, Strasbourg, Metz, Nancy, Lille, Angers, Tours, Vichy, Troyes, Rouen,
Bordeaux, Nantes, Rennes, Lyon, Marseille, ou Nice (Entretien avec Jacques Jira, avril 1998).
20
Durant l’hiver 1948, il est contacté par les dirigeants de La Fédération pour qu’il rencontre
Jean-François Gravier. Quelques mois plus tard, Joseph Martray devient membre du comité
directeur de La Fédération puis rédacteur en chef du Bulletin fédéraliste. Sous l’égide de ce
mouvement, il créé en octobre 1949, au Palais de Chaillot, l’Union fédéraliste des communautés et
régions européennes avec le président Aguire, président en exil du premier gouvernement
autonome basque sous la République espagnole et Charles Plisnier, Prix Goncourt 1937 (Cressard
2000).
21
A la Libération Yann Fouéré est jugé par contumace pour ses activités journalistiques et
condamné aux travaux forcé à perpétuité et à la dégradation nationale. Joseph Martray,
initialement inculpé lors du procès du journal La Bretagne, bénéficie d’un non-lieu.
22
En effet, aux marges de la politique du régime de Vichy, le préfet « régionaliste », Jean
Quenette, crée par arrêté un comité consultatif pour les questions culturelles, linguistiques et
folkloriques. Le préfet entend limiter l’action du comité à la promotion de la langue et du folklore
mais les membres les plus actifs de ce comité vont jusqu’à élaborer un projet d’autonomie
provinciale avec assemblée régionale élue (Barral 1974).
23
Cette revue se présente comme l’organe du « mouvement breton tout entier et développe des
thèmes comme la modernisation, l’industrialisation, la construction de l’Europe » (Nicolas 1982,
p. 138).
24
Cet ouvrage sort deux semaines avant celui de Jean-François Gravier (1947), Paris et le désert
français.
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 10

Militant fédéraliste et européen 25, c’est dans le cadre de la promotion de ce projet que Joseph
Martray entreprend de nouer des contacts avec les élus bretons au cours de l’année 1949. Il a
pour ambition de redonner une nouvelle virginité au régionalisme en Bretagne : « J’avais dans
l’idée de créer un organisme dans un esprit totalement différent de ce qui avait été fait jusqu’ici
en Bretagne. Je ne critiquais pas l’ancien mouvement breton mais je pensais qu’il était
complètement à côté de la plaque sur un point. On ne résoudra pas le problème breton contre
la France ! »26 Joseph Martray organise différentes réunions en Bretagne sur le thème des
libertés communales et noue des contacts avec un petit noyau de maires, de conseillers
généraux et de membres des milieux économiques27. Ceux-ci l’incitent à passer à l’action 28 et le
22 juillet 1950, Joseph Martray et Joseph Halleguen, maire RPF de Quimper, lancent un appel
à des centaines d’élus bretons, aux responsables des associations culturelles bretonnes, aux
membres des assemblées consulaires et des organisations professionnelles. Seule une petite
centaine se déplace mais le CELIB voit le jour.

Celui-ci vivote pendant quelques mois avant qu’une fenêtre d’opportunité politique favorable
ne s’ouvre. René Pleven, qui entre dans une période phare de sa carrière politique29, prend la
présidence du CELIB. Proche de Jean Monnet et du Commissariat général au Plan (CGP),
Pleven est sensible aux arguments de Martray sur le déclin économique et démographique de la
Bretagne. Le leadership politique de René Pleven donne une impulsion décisive à la
consolidation du CELIB en ralliant à la « cause régionale » l’ensemble des parlementaires
MRP, formation politique dominante en Bretagne à cette époque (Bougeard 1994).

La stigmatisation du « retard breton » et la croyance dans les possibilités de développement


régional constituent le cadre cognitif qui permet la mobilisation de tous les secteurs de la
société régionale. Le CELIB renouvelle profondément le répertoire régionaliste en se déclarant
« apolitique » et en se réclamant d’un régionalisme « moderne » respectueux du cadre national
à l’opposé du mouvement régionaliste et nationaliste de l’entre-deux-guerres : « (...) Nous
pensons que la formation de vastes ensembles géographiques suppose la protection et la
restauration des groupements fondamentaux les plus élémentaires de la société européenne (...)
Dès lors c’est la région qui s’impose et non pas certaines circonscriptions récentes et
artificielles, comme en France le département. Sous des noms divers, en tous pays - du moins

25
Dans Le Peuple Breton d’octobre 1948, Joseph Martray lie le projet fédéraliste et la cause
bretonne : « L’idée bretonne se confond pour nous avec l’idée européenne. Il s’agit d’une seule
préoccupation et d’un seul combat (...). Le fédéralisme ne résout pas seulement le problème breton
: il lui restitue sa véritable place parmi les grands problèmes du XXe siècle. La résurrection de la
Bretagne dépend aujourd’hui d’une cause plus vaste qui est celle de la paix et de la liberté. Notre
chance est européenne » (cité dans Cressard 2000, p. 26-27).
26
Entretien Joseph Martray (janvier 1997).
27
Parmi les élus on retrouve notamment Joseph Halleguen, maire RPF de Quimper, M. Julien
Lepan, maire de Lorient, le duc Alain de Rohan, Alexis Méhaignerie, député et président du conseil
général d’Ille-et-Vilaine.
28
Joseph Martray, lance en 1950 un mensuel, La Vie bretonne, qui n’est au départ qu’un
supplément du Bulletin fédéraliste mais qui devient l’organe du CELIB.
29
René Pleven est président du Conseil de juillet 1950 à février 1951, puis d’août 1951 à février
1952. Le parti politique qu’il dirige, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR),
est l’un des partis charnières de la Troisième Force (Williams 1971). René Pleven est président du
CELIB de 1951 à 1972. Le dernier président du CELIB « historique » est Georges Lombard,
sénateur-maire de Brest, de 1972 à 1974
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 11

en Europe occidentale - la région forme une réalité permanente (...).Reconnues ou actuellement


méconnues, ces unités régionales s’affirmeront dans l’Europe nouvelle parce qu’elles
correspondent en même temps qu’aux plus anciens tracés de l’histoire, à des affinités
psychologiques culturelles, économiques, particulièrement tenaces »30. Non pas que le CELIB
se désintéresse des choix politiques qui pouvaient affecter la Bretagne, bien au contraire, mais
un dépassement des préférences politiques ou localistes apparaît indispensable au
fonctionnement de cette structure et à la constitution d’une commission parlementaire inter-
partisane, chargée de défendre auprès du gouvernement central les intérêts de la Bretagne.
Ainsi, au sein de cette organisation, se côtoient Hervé Budes de Guébriant, tout puissant
président de l’Office centrale de Landerneau et François Tanguy Prigent, député socialiste,
ancien ministre du Front populaire et grand défenseur des salariés agricoles.

Dès 1951-52, cette coalition stabilise des relations de confiance et de coopération entre acteurs
publics et intérêts privés pour promouvoir le développement économique régional. Pour la
première fois depuis la seconde guerre mondiale une structure organisée à l’échelle régionale
s’émancipe des tracés administratifs31 et se transforme en représentant légitime d’une région :
« Le CELIB peut entreprendre aujourd’hui avec l’autorité suffisante l’une des tâches
essentielles pour lesquelles nous l’avons mis sur pied. Par-delà le cadre départemental trop
étroit, il peut poser les problèmes d’ensemble de la Bretagne, promouvoir une politique
régionale de modernisation et d’équipement, défendre la part de notre province dans les
grands équipements régionaux »32 L’étendue du soutien que reçoit le CELIB peut être estimée
à partir de la publication de la liste de ses adhérents. A son apogée au milieu des années
soixante, le CELIB regroupe l’ensemble des parlementaires bretons, les quatre conseils
généraux, 1200 communes dont les maires des grandes villes bretonnes, les syndicats paysans,
l’ensemble des syndicats ouvriers (CGT, CFDT, FO, CFTC), les organisations patronales, les
chambres de commerce et d’industrie, les chambres de métier, les universités et les associations
de défense de la culture et de la langue bretonne33.

Le CELIB et le régionalisme économique

30
Joseph Martray « Le régionalisme est-il rétrograde ? », La Vie bretonne, n°7, mai 1951, p. 1.
31
Cette émancipation n’est, cependant, que relative. En effet, lors de la phase d’élaboration de ce
plan, le CELIB renonce à travailler dans le cadre de la Bretagne « historique », c’est-à-dire la
Bretagne des Ducs qui intègre Nantes et une partie de la Loire Atlantique à l’ensemble breton. Le
CELIB reprend le tracé de la VIe région économique (regroupements régionaux des chambres de
commerce qui s’en tient aux quatre départements et n’intègre pas Nantes à la Bretagne). Ce choix
permet d’avancer rapidement dans l’élaboration du premier plan breton et d’éviter des
concurrences entre les deux pôles économiques dominants en Bretagne, Rennes et Nantes. Malgré
les démonstrations symboliques de rapprochement entre Nantes et Rennes, sous l’égide du CELIB,
cette séparation est entérinée par les découpages régionaux successifs.
32
La Vie bretonne, juin 1952, n°14, p. 2.
33
Parmi les autres adhérents, on trouve une cinquantaine de syndicats de producteurs ou de
négociants en produits agricoles ou en produits de la mer, une trentaine de sociétés industrielles,
une dizaine de banques. Mis à part les élus, tous sont représentants d’organismes économiques,
sociaux ou culturels de Bretagne. Le CELIB réunit chaque année une assemblée générale que la
presse régionale et nationale surnomme rapidement les « Etats-généraux de Bretagne. Pour la
remise officielle du plan breton, le 30 mars 1953, le CELIB réunit pour la première fois, à St-
Brieuc, 400 personnalités bretonnes représentant l’ensemble des secteurs d’activités de la région
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 12

En quelques années, le CELIB élabore une véritable stratégie de régionalisme


économique. L’enjeu central pour cette coalition est d’inciter l’Etat à prendre en compte les
besoins économiques et sociaux spécifiques de la Bretagne dans les politiques de planification
nationale et d’aménagement du territoire.

Sur le temps long des mobilisations, cette coalition construit un rapport singulier à l’Etat tout
à la fois coopératif et antagoniste dans lequel se succèdent séquences de luttes et de
collaboration. La « bataille de la Bretagne » se fait contre l’Etat mais avec l’Etat (Hayward
1969).

Tout au long de la IVe République et durant la première législature de la Ve République, le


CELIB adopte une stratégie de lobbying territorial qui assure l’interface entre l’administration
centrale et les acteurs locaux. L’absence de majorité stable et l’alternance rapide des ministères
sous ce régime sert le CELIB qui s’appuie sur le soutien des parlementaires bretons. La
commission parlementaire est la principale arme du CELIB. Créée le 14 novembre 1951, elle se
compose de l’ensemble des députés et des sénateurs bretons à l’exception des communistes.
Le président de la commission est choisi à chaque nouvelle législature parmi l’une des forces
politiques les mieux représentées de l’Assemblée nationale afin d’accroître son audience34.
Chaque séance de cette commission se déroulait selon un ordre du jour précis avec un
rapporteur qui était souvent le secrétaire général du CELIB en liaison avec les collectivités
locales et les groupes d’intérêts bretons. La commission procédait à l’audition des chefs de
service et une délégation de la commission rencontrait le ministre concerné35. L’ordre du jour
des premières réunions de la commission parlementaire du CELIB est révélateur des usages
qu’en font, dans un premier temps, ses différentes composantes : électrification rurale,
réouverture du marché anglais aux primeurs, situation de l’industrie de la conserve. Avec la
transformation des représentations des « problèmes bretons », cette action de lobbying permet
d’amplifier la politique de décentralisation industrielle menée par l’administration
planificatrice36 avec l’implantation en Bretagne de plusieurs grandes usines (Citroën, Olida, le
Joint Français), de centres de recherches (pôle de télécommunications de Lannion, Ecole
nationale de la Santé publique à Rennes).

La capacité politique du CELIB s’appuie sur cette stratégie de lobbying mais surtout sur la
production d’un ensemble de représentations alternatives des « problèmes bretons » 37 en
relation avec les élites planificatrices.
34
La présidence de la commission est successivement assurée par le socialiste Tanguy Prigent, le
MRP, Paul Ihuel, trois RPF-UNR, Yves Estève, Gabriel de Poulpiquet et Jean Hamelin, le radical
Pierre Bourdellès, deux indépendants, Jean Crouan et Yves du Halgouët, et le centriste Edouard
Ollivro.
35
La réponse ministérielle était rendue publique dans la presse, en particulier dans Ouest-France
dont le président directeur général, Paul Hutin-Desgrées était député du Morbihan et membre du
CELIB (Cressard 2000).
36
Ainsi, en avril 1955, un éditorial de La Vie bretonne, souligne qu’« en s’appuyant sur
l’ensemble des collectivités bretonnes et sur une représentation parlementaire unie, le CELIB a
pour première mission d’obtenir en faveur des départements bretons les crédits qui leur sont
indispensables pour rattraper le retard de leur équipement ».
37
L’histoire du CELIB est jalonné de publications concernant le développement régional :
« Rapport d’ensemble sur un plan d’aménagement, de modernisation et d’équipement de la
Bretagne » en 1953 ; « Inventaire des possibilités d’implantation industrielle en Bretagne » en
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 13

Les conceptions du CELIB en matière de développement régional et d’aménagement du


territoire apparaissent à cette époque comme une expérience pionnière avec notamment la
réalisation du premier plan régional, en 1953, avant que le concept de planification régionale ne
soit officialisé (Dulong 1975). Si le cadre des relations entre le CELIB et les gouvernants est
émaillé de rapports de force, il se caractérise également par un apprentissage mutuel de la
concertation et de la négociation. Durant les années cinquante et soixante, les élites régionales
apprennent à négocier avec le Commissariat général au Plan (CGP), la direction de
l’Aménagement du territoire du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), puis
avec la DATAR. En juillet 1952, les première commissions sectorielles entre le CELIB et les
services de l’administration planificatrice sont organisées dans le cadre de l’élaboration du plan
breton38 : « Je suis allé au Plan en leur demandant est-ce que vous accepteriez de nous aider à
préparer une sorte de programme régional, je ne sais pas si j’ai utilisé le mot plan. Est-ce que
vous accepteriez qu’une délégation du Plan vienne en Bretagne pour voir où en sont les choses
? Mes interlocuteurs m’auraient foutu à la porte si je n’étais pas venu de la part de Pleven. Je
me souviens du premier entretien, c’était avec des adjoints de Jean Monnet. Ils m’avaient reçu
parce que je venais de la part du président et ils m’ont dit : vous savez, monsieur, vos
histoires de programme régional sont ridicules, vous ne comprenez rien à ce qu’est le Plan, le
Plan c’est le charbon, c’est l’acier. Ceci dit, si le président le demande, on veut bien qu’une
délégation du Plan aille en Bretagne »39. Au sein du CELIB, la commission d’expansion
économique présidée par Michel Phlipponeau40, joue le rôle d’un bureau d’étude chargé
d’analyser les problèmes, d’imaginer et de mettre au point les solutions, d’élaborer des
programmes. (Phlipponeau 1970). Organisée à l’image du commissariat général au Plan sur la
base de grandes commissions sectorielles, la commission régionale d’expansion constitue un
centre d’échanges et de diffusion des idées, de connaissances, de réflexion pour les cadres et les
animateurs des organisations qui composent le CELIB. Les universitaires, les centres de
recherche41, les chefs d’entreprise, les hauts fonctionnaires et tous les experts intéressés par le
développement de la Bretagne participent à la commission régionale d’expansion. Ces
membres relaient dans les différents univers sociaux d’où ils proviennent les nouvelles
représentations des intérêts régionaux et du développement régional.

Ainsi le CELIB est plus qu’un lobby territorial. Cette organisation est un lieu de socialisation
unique pour les élites bretonnes. Les activités du CELIB et de ses commissions produisent une
« révolution psychologique » chez les élites bretonnes dont l’importance est décisive pour le

1957 ; « Une loi-programme pour la Bretagne » en 1962, « Bretagne une ambition nouvelle » en
1971.
38
Les ministres concernés saisis par Pleven et la commission parlementaire, avaient demandé à
leurs services centraux et régionaux de prêter leur concours. Cf. La Vie bretonne, décembre 1952,
n°15, p. 1.
39
Entretien Joseph Martray (janvier 1997).
40
Michel Phlipponeau entre au CELIB en 1952. Proche de Gaston Deferre dans les années
soixante, il préside le comité Horizon 80 de Bretagne qui est à l’origine du club Bretagne et
Démocratie, véritable creuset régional de la gauche socialiste. Après son départ du CELIB, il
s’engage dans les années soixante-dix, dans le combat politique municipal. Il est aux côtés
d’Edmond Hervé lorsqu’il conquiert la mairie de Rennes et devient son premier adjoint et
président du district urbain.
41
En particulier l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le Centre régional
d’études et de formation économique (CREFE) et l’Institut de géographie.
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 14

développement économique de la Bretagne. C’est au CELIB que les élites régionales se


familiarisent avec les principaux « problèmes » du développement économique breton (sous-
équipement, sous-industrialisation, enclavement) ainsi qu’aux réponses possibles
(décentralisation industrielle, aménagement du territoire, internationalisation de l’économie
régionale). A travers cette capacité d’expertise, le CELIB opère une régionalisation des intérêts
catégoriels. Dans l’agriculture en particulier, les élites paysannes bretonnes, formées pour
l’essentiel à la jeunesse agricole chrétienne, s’investissent dans le « combat » régional en
prenant conscience que les difficultés des paysans bretons se rattachent à un problème plus
large, celui d’une région sous-équipée. Les responsables paysans bretons donnent
progressivement des problèmes de l’agriculture une interprétation « régionaliste » et
deviennent dans les années soixante les principaux animateurs du CELIB (Berger 1975).

Pour la première fois dans l’histoire de la planification française, les inégalités régionales sont
prises en compte. Il n’est donc pas surprenant que les dirigeants du CELIB, en particulier
René Pleven, jouent un rôle central dans l’élaboration des décrets Pflimlin et Mendès-France
de 1954 et 1955 sur l’agrément officiel des comités régionaux d’expansion économique et la
mise en place de programmes régionaux d’action régional42.

Le mouvement des comités d’expansion et les élites modernisatrices

L’expérience bretonne ouvre la voie à un mouvement plus large sur l’ensemble du


territoire national. La Fédération s’attache à structurer au sein d’une organisation commune les
groupes qui, à l’échelon local ou régional, appellent à une redistribution des ressources au
profit de la périphérie. Pour le mouvement fédéraliste, cette mobilisation constitue une
opportunité pour développer sur l’ensemble du territoire national de nouvelles formes
d’association et de développer un courant d’opinion favorable à la décentralisation.
Concrètement élites régionales et élites étatiques modernisatrices coproduisent les débuts de la
régionalisation « à la française ».

La Conférence nationale des comité d’expansion

La Fédération, regroupe et soutient tous ceux qui, depuis la guerre, développent de


nouvelles formes d’association et de mobilisation. La Fédération prend contact avec le
« Comité d’étude et d’aménagement de Reims », créé en 1943 sous l’égide de Paul Voisin, et
avec le « Comité d’aménagement et du plan de la Moselle » créé et animé en 1947 par Bertrand
de Maudhy (Teissier 1955). En effet, le régime de Vichy avait incité les industriels à se
regrouper au sein de comités d’expansion dans certaines villes, notamment à Reims et à Rouen.
Le premier se constitue à Reims en 1943 à l’initiative d’un groupe de pionniers soucieux de
promouvoir selon la rhétorique corporatiste « un harmonieux épanouissement de leur petite

42
René Pleven s’est employé à convaincre Edgard Faure et Pierre Pflimlin de la nécessité
d’engager sur le long terme une action pour les régions françaises (Martray 1983). Michel
Phlipponeau (1970, p. 29) souligne que « le CELIB a joué un rôle important dans la phase
d’élaboration de ces décrets, en définissant des mesures dont beaucoup ont été reprises dans le
texte gouvernemental. Certains de ces décrets intéressaient directement la Bretagne (primes pour
la recalcification des sols, l’arasement des talus). La presse nationale les surnomme d’ailleurs, « les
décrets-CELIB ».
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 15

patrie » (Gauer 1955). Ces structures, débarrassées de leurs oripeaux corporatistes, perdurent
et se développent après-guerre. En 1946, en vue de l’exécution du premier plan de
modernisation et d’équipement qui allait comporter des investissements particuliers pour la
Moselle, le CGP crée en liaison avec le conseil général le « Comité départemental du plan de
modernisation et d’équipement » qui se transforme en décembre 1951, en « Comité
d’aménagement et du plan d’équipement de la Moselle ». De son côté, le Conseil général de
Meurthe-et-Moselle constitue en 1948 une « Commission départementale d’équipement et
d’aménagement du territoire » qui, en avril 1951, est prise en charge par la Chambre de
commerce et devient le « Comité d’aménagement et du plan d’équipement de Meurthe-et-
Moselle » (Teissier 1955, p. 595). Ils ont tous la particularité de réunir élus et représentants
socioprofessionnels autour d’un projet de reconstruction et de développement économique.

Après la création, en 1950, du premier comité d’expansion économique à l’échelle régional, en


l’occurrence le CELIB de Joseph Martray, La Fédération décide d’inciter les acteurs sociaux,
et économiques à s’organiser en comités d’aménagement du territoire sur l’ensemble du
territoire national : « C’est quand Martray a créé le CELIB qu’on a eu l’idée de développer les
comités d’aménagement du territoire et il y a eu la jonction avec le comité Maudhuy et celui de
Reims »43

Sous l’effet de la vulgarisation de la notion d’aménagement du territoire un nombre croissant de


structures régionales et locales émerge. Le succès est tel que La Fédération prend l’initiative
d’organiser à Reims les 2 et 3 février 1952 les « Journées nationales de la mise en valeur des
régions de France » où elle réunit sous la présidence d’honneur du ministre de la
Reconstruction et de l’Urbanisme, Claudius-Petit, l’ensemble des représentants des comités
d’expansion économique et d’aménagement du territoire pour faire le bilan des déséquilibres
régionaux entre Paris et le désert français. Outre Claudius-Petit, des hommes politiques de
premier plan sont présents comme Pierre Pflimlin, président du comité d’action de l’économie
alsacienne, René Pleven, président du CELIB, ainsi que de nombreux hauts fonctionnaires qui
représentent les secteurs de l’administration intéressés par l’aménagement du territoire et la
planification : André Prothin, directeur général de l’Aménagement du territoire au MRU, Pierre
Randet, contrôleur général de l’Aménagement du territoire au MRU, Jean-François Gravier
pour le CGP. Lors de la motion finale de ces journées Claudius-Petit forme le vœu que :« (...)
soit prise toute mesure tendant à assurer la mise en valeur des régions de France par
l’établissement d’une étroite liaison entre les pouvoirs publics, les services officiels, les comités
local, départemental, les comités régionaux de mise en valeur, ceux-ci ayant pour tâche de faire
des inventaires, suggestions et démarches qui doivent faciliter l’essor de la vie régionale [et
propose] la formation immédiate d’une conférence des comités régionaux pour la mise en
valeur de la France »44.

Dès lors, un vaste mouvement incarnant un ensemble de dynamiques locales ou régionales se


structure sous l’impulsion de La Fédération. Dès le 21 février 1952 se réunit la première
« Conférence nationale des comités régionaux d’études pour la mise en valeur de la France »

43
Entretien Jacques Jira (avril 1998).
44
Compte rendu dans Le Bulletin fédéraliste.
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 16

dont le secrétaire général est Gilbert Gauer45, délégué général de La Fédération46. Elle se fixe
plusieurs objectifs : « la création entre ses membres de liens de confiance réciproque » ; « la
confrontation des expériences, l’examen de leurs méthodes d’action et la recherche d’un
développement rationnel des régions » ; « la constitution de commissions spécialisées » ; « la
recherche de la manifestation d’une communauté de vues dans les problèmes intéressant
l’ensemble des comités afin de coordonner leur action », « la liaison avec les pouvoirs publics »
; « l’information de l’opinion publique au sujet des problèmes d’aménagement du territoire de
la mise en valeur des régions » (Teissier 1955, p. 597). Cette Conférence nationale des comités
régionaux prend la forme d’une association selon la loi de juillet 1901 en octobre 1952. Elle
deviendra à la fin des années cinquante le Conseil national des économies régionales et de la
productivité (CNERP)47.

Ces nouvelles élites territoriales accusent la centralisation administrative comme facteur de


sous-développement économique. En septembre 1955, lors du congrès de l’association des
présidents des conseils généraux, Bertrand Motte, président de la Conférence nationale,
exprime l’opinion des dirigeants des comités concernant les inégalités de développement sur le
territoire français : « La centralisation administrative a une responsabilité première dans la
stagnation où l’agonie que connaît aujourd’hui la France provinciale. En effet, à partir du
moment où l’Etat qui s’est adjugé au cours des cent dernières années un nombre toujours
croissant de compétences, confère tous les pouvoirs de décisions aux seules administrations
parisiennes, il déclenche une brutale réaction en chaîne qui s’étend à tous les domaines ; il
détermine une attraction d’une progressivité irréversible de la province vers Paris, il prive
peu à peu nos régions des moyens de tous ordres qui leur permettraient de se développer, de
se renouveler ou de renaître (...) » (Teissier 1955, p. 598).

Le mouvement des comités régionaux d’expansion économique s’impose comme le principal


interlocuteur de l’administration centrale dans le cadre de la planification et de la politique
d’aménagement du territoire (Lanversin 1970). D’une centaine en 1954, ils sont 170 en 1958.
En 1956, la Conférence nationale se dote d’un organisme d’étude, l’Institut français des
économies régionales. Cet institut publie les Cahiers de l’expansion régionale qui diffuse
auprès des élites politiques et des décideurs économiques les attentes et les besoins de ces
nouveaux acteurs. En 1957, une association des cadres permanents des Comités d’expansion
s'organise. Ces comités régionaux se réunissent annuellement pour débattre et prendre position
sur des questions qui concernent l’expansion régionale et l’aménagement du territoire. En mars
1954, lors de son congrès annuel, la Conférence nationale s’intéresse aux économies régionales
et aux moyens de réanimer le « désert français » par le développement régional dans le cadre du

45
Engagé à la Libération dans des mouvements de jeunesse de la Résistance, Gilbert Gauer devient
comme Jacques Jira membre à La Fédération en 1946. Maire de Meudon, conseiller général, il a
été membre de section du Conseil économique et social au titre des économies régionales, et
membre également du Conseil économique et social d’Ille de France. A la mise en place de la
conférence nationale des comités d’aménagement du territoire sont associés également Bertrand
Motte et Joseph Martray tous deux membres actifs de La Fédération et animateurs de comités
d’expansion.
46
Tout au long des années cinquante, La Fédération conserve une influence sur le fonctionnement
de la Conférence nationale des comités régionaux. Plusieurs de ses dirigeants occupent la
présidence comme Bertrand Motte de 1955 à 1956 et Bertrand de Maud’huy de 1957 à 1960.
47
Puis en 1979, le Conseil national des économies régionales (CNER).
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 17

Plan. En 1956, à St-Brieuc, la Conférence étudie le plan breton élaboré par le CELIB et plaide
pour la mise en place de pouvoirs régionaux d’expansion économique. En 1958, à Marseille,
elle s’interroge sur l’intégration des régions françaises dans l’espace européen.

Jusqu’au début des années soixante, les décisions gouvernementales concernant l’aménagement
du territoire sont le plus souvent annoncées lors des assemblées annuelles de cette Conférence
nationale.

Les planificateurs et l’institutionnalisation du cadre régional

A partir du milieu des années cinquante, le CGP apparaît comme le principal


interlocuteur de ce mouvement régional. Sa conception économique et statisticienne de
l’aménagement et de la planification dans une perspective inter-ministérielle et globale
s’impose face à la conception urbanistique du segment aménageur du MRU (Antoine 1958). A
la suite des décrets de juin 1955, le CGP est chargé de coordonner le travail d’élaboration des
programmes d’action régionale dans les 21 régions programmes. Progressivement les élites
planificatrices entendent donner un cadre universel aux initiatives locales et régionales. Elles
ont en effet au début des années cinquante des intitulés différents : « comité d’étude et
d’aménagement », « comité d’aménagement du plan », « comité d’études et de liaison » etc.
Afin de donner un cadre universel à ce foisonnement d’initiatives privées à l’échelon local,
départemental ou régional et de répondre aux exigences d’équipement, l’administration centrale
reconnaît officiellement ces comités par un décret du 11 décembre 195448. Le gouvernement de
Pierre Mendès-France autorise la création de comités d’expansion économique régionaux,
départementaux ou interdépartementaux. Cette officialisation de ces nouveaux partenaires
territoriaux prend la forme d’arrêtés d’agrément de comités préexistants. Leur composition est
très ouverte : élus locaux, représentants des activités économiques, organisations syndicales,
universitaires peuvent y participer. La plupart des comités d’études se transforment en
comités d’expansion économiques.

Par ailleurs, l’établissement de programmes d’action régionale en 1955-56 donne lieu à un


découpage régional de la France dans une perspective essentiellement économique et
rationalisatrice. L’élaboration de ce cadre géographique est confié en 1955 à un groupe de
synthèse du CGP présidé par Jean Vergeot, commissaire général adjoint au Plan (Gravier
1970). Durant une année le groupe essaye de concilier divers facteurs : « La formation
historique, dans la mesure où les anciennes provinces devaient leur existence et leur
configuration à des réalités profondes et séculaires » ; « le rayonnement des grandes villes car
aucun phénomène n’est plus caractéristique ni plus décisif que leur croissance et leur
irradiation » ; « les particularités agricoles » enfin la « carte universitaire future » (Vergeot et
Antoine 1958, p. 15-16). Plusieurs découpages sont envisagés en dix neuf, puis vingt-deux
régions de programme, c’est finalement le chiffre de vingt et un que l’on retient49. Pour

48
Dans la genèse de ces décrets, Pierre Pflimlin, ministre des finances du gouvernement Faure joue
un rôle fondamental. Animateur du comité d’expansion d’Alsace avec son collaborateur
strasbourgeois, René Uhrich, membre de La Fédération, Pierre Pflimlin est une des figures
marquantes avec René Pleven du mouvement régional qui se structure autour de la Conférence
nationale des comités d’expansion.
49
Toutes les réformes régionales ultérieures, en 1960 pour la création des circonscriptions
administratives régionales, en 1964 pour les CODER, en 1972 pour les EPR ou en 1981 lors des
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 18

délimiter le découpage final entre ces regroupements (Lajugie 1963). De nouvelles régions
apparaissent comme le Centre ou les Haute et Basse-Normandie (Pasquier 2000).

L’administration gaulliste et la centralisation de la régionalisation « à la française »

Le passage de la IVe à la Ve République marque une césure profonde dans le processus


de régionalisation. Si jusqu’au début des années soixante, l’aménagement du territoire et
planification régionale sont gérés conjointement par les élites « modernisatrices » et les élites
régionales, la donne change sous le régime gaulliste. La régionalisation planificatrice et
l’aménagement du territoire sont au centre du projet modernisateur du régime. Alors que sous
la IVe République les élites « modernisatrices » des années cinquante occupaient des positions
relativement marginales dans le champ administratif, leurs représentations de la société et de
l’action publique constituent le socle du projet modernisateur du régime gaulliste (Dulong
1997 ; Gaïti 1998). La planification, cette « ardente obligation » selon l’expression du général
de Gaulle doit faire de la France une grande puissance économique et contribuer à la rénovation
des rapports Etat/société (Fourquet 1980). Cet idéal planificateur et modernisateur du régime
est tout à la fois une ambition économique et « une tentative de rénovation de la démocratie
par la participation des groupes socioprofessionnels à la définition de l’intérêt général »
(François 1999, p. 14).

Ce projet est mis en oeuvre à travers deux réformes : une refonte de la planification et de
l’aménagement du territoire et l’institutionnalisation de la région entant que cadre de dialogue
avec les forces vives. La haute fonction publique de l’administration gaulliste pilote
l’intégralité de ce projet (Dubois et Dulong 1999).

L’aménagement du territoire devient une priorité du régime gaulliste. Cette politique vise à
incorporer la périphérie, c’est-à-dire les régions sous-développées, en répartissant
équitablement les équipements et le développement économique pour éviter que des inégalités
flagrantes ne se transforment en revendications politiques (Hayward 1981). On assiste à une
refonte des outils de planification et des objectifs de l’aménagement du territoire hérités de la
IVe République. Avec les décrets du 14 février 1963, le MRU perd sa responsabilité dans la
mise en oeuvre de la politique d’aménagement du territoire50 (Pouyet 1968). Le CGP, toujours
rattaché au Premier ministre, reçoit la charge de concevoir la politique d’aménagement du
territoire et d’intégrer ces objectifs dans le plan, assisté dans cette tâche par la Commission
nationale d’aménagement du territoire (CNAT). La principale innovation est la création d’un
nouvel organisme : la Direction à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR).
Rattachée directement au Premier ministre51, la DATAR a pour mission, à partir des objectifs

lois de décentralisation reprennent ce tracé originel. A deux exceptions près : la fusion des régions
Rhône et Alpes lors de la création par le décret du 2 juin 1960 des circonscriptions d’action
régionale, et le détachement de la Corse de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur-Corse, le 9
janvier 1970.
50
Le changement de dénomination de la direction de l’Aménagement du territoire en une
direction de l’Aménagement foncier et de l’urbanisme est très significatif à cet égard.
51
Lors de la séance du 25 janvier 1963 à l’Assemblée nationale, le député Catroux, rapporteur
spécial pour le budget souligne la signification politique de ce rattachement : « Le Commissariat au
Plan et à la productivité comme la Délégation à l’Aménagement du Territoire sont rattachés
directement au Premier ministre, ce qui traduit la volonté du chef de l’Etat et du gouvernement, à
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 19

généraux définis par le CGP, de coordonner les actions de l’ensemble des ministères techniques
en ce qui concerne l’aménagement du territoire et l’action régionale52. Sous l’impulsion
d’Olivier Guichard, la création de la DATAR s’accompagne d’une refonte des objectifs de
l’aménagement du territoire. Les aménageurs des années cinquante entendaient rééquilibrer les
rapports entre la ville et les campagnes. Il s’agit de créer ou de consolider sur l’ensemble du
territoire national des pôles urbains ayant le potentiel technologique et humain suffisant pour
contrebalancer l’influence de Paris, et ayant la capacité de rivaliser avec leurs homologues
européens (Guichard 1965). Ces « métropoles d’équilibre » doivent être suffisamment
attractives sur le plan des équipements et des activités économiques, sociales et culturelles
pour que leur dynamisme se diffuse53 au-delà de l’agglomération urbaine.

Cet objectif fonctionnel de l’Etat aménageur se double d’un objectif proprement politique :
nouer le dialogue avec les nouvelles couches sociales qui émergent, ces « forces vives » dont le
régime est soucieux de s’assurer le soutien. Ce projet suppose d’établir un cadre de négociation
entre l’Etat et ces nouveaux partenaires. Le cadre régional apparaît alors comme le plus
approprié. La région est conçue comme un espace fonctionnel d’études, de délibération de
participation54 qui dénie au département toute pertinence pour appréhender les
transformations économiques et sociales. La régionalisation planificatrice cherche à mettre un
terme au saupoudrage clientéliste du gouvernement départemental particulièrement prégnant
sous la IVe République. Ce « régionalisme fonctionnel » (Quermonne 1963) destiné à engager
un dialogue constructif entre l’Etat et les forces vives débouche sur la réforme de 1964 qui
réorganise les services de l’Etat autour du préfet de région et instaure des structures régionales
de délibération sur l’ensemble du territoire national, les CODER55

Cette réforme apparaît également comme un moyen de contrôler les comités régionaux
d’expansion économiques, souvent trop revendicatifs. Les élus locaux, très inégalement
présents selon les régions dans ces comités, contestent à ces associations de droit privé le droit
de parler au nom de populations entières. Les parlementaires et les élus locaux mais aussi les

l’aube de la seconde législature de la Vème République, de mettre l’accent sur la modernisation de


notre démocratie, à la transformation profonde de notre économie dans les années à venir (...) »
(J.O. du 25 janvier, p. 1895).
52
L’expérience avortée - elle n’a duré que trois semaines - d’un grand ministère de l’aménagement
du territoire lors du premier gouvernement Pompidou, en avril 1962, a visiblement porté ses
fruits. La création de la DATAR se veut rassurante, elle ne remet pas en cause la répartition des
attributions entre les différents ministères.
53
Les soubassements théoriques de cette politique sont à rechercher chez François Perroux qui est
l’un des grands inspirateurs de la pensée économique en matière d’aménagement du territoire. Sa
réflexion sur les espaces économiques l’amène en 1955 à la description des « pôles de croissance ».
Pour Perroux, la croissance économique n’émerge pas partout mais en certains points à partir
desquels elle se diffuse vers d’autres espaces. Cette théorie de la polarisation est développée et
approfondie par Jacques Boudeville (1972). Par ailleurs, François Perroux insistait sur le rôle de
l’Etat qui devait lutter contre les déséquilibres de croissance qui n’allaient pas manquer d’apparaître
(Claval 1983).
54
Le cadre régional doit avant tout servir à l’élaboration du Ve plan (1965-1970) qui marque une
véritable régionalisation des procédures de planification, les régions étant associées à l’élaboration
détaillée du plan national.
55
La CODER est la principale innovation. Structure consultative, la CODER émet des avis sur les
questions relatives à la mise en oeuvre du développement économique et social et de
l’aménagement du territoire de la circonscription régionale. Ces CODER ont une composition
mixte qui assurent la représentation des collectivités locales et des intérêts économiques
Romain Pasquier — L’invention de la régionalisation « à la française » (1950-1964) 20

organismes professionnels élus (chambres de commerce, d’agriculture et des métiers) mettent


en cause leur monopole de consultation qui faisait de ces comités l’interlocuteur unique de
l’administration. Les oppositions se précisent durant l’année 1963 au cours de l’expérience des
« tranches opératoires » des plans régionaux, où les élus locaux au congrès de l’Association des
maires de France en mars 1963 et au congrès de l’Association des présidents de conseils
généraux en mai et octobre 1963, dénoncent la représentativité des comités régionaux56. Enfin
et surtout, les milieux politiques de la majorité sont inquiets de voir « certains de ces comités,
comme le CELIB en Bretagne, s’ériger en assemblées politiques d’opposition » (Grémion
1992, p. 496).

Ainsi, les comités d’expansion sont écartés de la politique régionale et ne conservent leurs
attributions qu’en ce qui concerne les syndicats d’initiative, les organes de prospection, de
recherche et de propagande économique. Seuls quelques-uns uns continuent à jouer un rôle en
matière d’action régionale. C’est le cas en Bretagne où le CELIB malgré des difficultés
croissantes à partir du milieu des années soixante conserve un rôle de porte-parole des élites
bretonnes. Si sa commission parlementaire devient quasi inopérante du fait du nouveau jeu
politique et institutionnel qui s’instaure, le CELIB s’appuie sur les syndicats agricoles bretons
pour poursuivre le travail de désenclavement et d’équipement de la Bretagne. Cependant pour
l’essentiel, à partir de 1963-64, le destin de la régionalisation « à la française » est
exclusivement entre les mains du régime gaulliste et de sa haute administration.

***

Cette analyse révèle donc une histoire de la régionalisation française moins linéaire que
l’interprétation généralement admise. L’invention de la régionalisation « à la française » n’a pas
concerné exclusivement les élites modernisatrices mais un éventail plus large d’acteurs au
niveau national et régional. Par ailleurs, au terme de cette étude, il est possible de repérer
différentes phases dans le processus de régionalisation « à la française ».

La première phase qui se déroule de l’après-guerre à l’avènement de la Ve République est


largement coproduite. Au tournant des années quarante et cinquante la mouvance fédéraliste
français joue un rôle clé dans la mise sur l’agenda politique de l’aménagement du territoire et la
montée en puissance de mobilisations locales et régionales. Progressivement, sous la pression
d’un « mouvement régional », dont l'aiguillon est le Comité d'études et de liaison des intérêts
bretons (CELIB) les élites « modernisatrices » intègrent des variables territoriales à la
planification nationale La seconde phase, à partir du milieu des années soixante, voit le
processus de régionalisation se centraliser sous l’impulsion de l’administration gaulliste. Pour
mener à bien son projet modernisateur l’administration gaulliste opère une centralisation et une
monopolisation de la formulation des politiques d’aménagement du territoire et de
régionalisation. La coproduction de la régionalisation « à la française » avait vécu. Il faudra

56
Une motion, adoptée par l’Association des maires de France, invite même les assemblées locales
à supprimer toute subvention aux comités d’expansion.
Journée d’études AFSP/Groupe Local et politique, IEP de Rennes/CRAP — 8 février 2002 21

attendre les années soixante-dix pour des mobilisations culturelles et politiques ouvre la voie à
une nouvelle séquence du processus de régionalisation.

Romain Pasquier
CRAP/IEP de Rennes
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PREMIERE
INSEE
N°1055 - DÉCEMBRE 2005
PRIX : 2,20 €

Les produits intérieurs bruts


régionaux en 2003
Forte concentration spatiale
et dynamismes contrastés
Adeline Béoutis, Hélène Casset-Hervio, Élodie Leprevost,
division Statistiques régionales, locales et urbaines, Insee

E
n 2003, trois régions produisent régions produisent 45 % de la valeur ajoutée :
45 % du produit intérieur brut (PIB) : l’Île-de-France (20,5 %), Rhône-Alpes (12,2 %),
l’Île-de-France, Rhône-Alpes et Nord - Pas-de-Calais (6,4 %) et Pays de la Loire
(5,9 %). Pour la construction, quatre régions
Provence - Alpes - Côte d’Azur. Les au-
réalisent 43 % de la valeur ajoutée :
tres régions contribuent chacune pour l’Île-de-France (18,5 %), Rhône-Alpes (10,8 %),
moins de 6 % à la production nationale. Le Provence - Alpes - Côte d’Azur (7,3 %) et Pays
secteur tertiaire est le plus concentré. de la Loire (6,3 %). L’agriculture est le secteur le
Entre 1990 et 2003, les services mar- moins concentré ; trois régions sont à l’origine
chands ont contribué le plus fortement à d’un quart (26 %) de sa valeur ajoutée : Aqui-
taine (9 %), Bretagne (8,7 %), Pays de la Loire
la croissance du PIB. Les régions de
(8,6 %).
l’Ouest, du Midi et du Sud-Est du territoire Depuis 1990, le poids respectif des régions est
sont les plus dynamiques. Les Pays de la stable, et ce dans tous les secteurs. Au cours
Loire ont enregistré la plus forte progres- de la période 1990-2003, la contribution de
sion. Les régions où la croissance a été su- chaque région au PIB varie peu d’une année
périeure à la moyenne comptent aussi sur l’autre. Ces fluctuations se compensent sur
l’ensemble de la période.
parmi celles qui ont la plus grande diversi-
té sectorielle. L’écart entre l’Île-de-France
et la province s’atténue si l’on rapporte le
PIB à l’emploi ou à la population. En ter-
mes de PIB par habitant, les régions de
 Le « croissant périphérique »
dynamique
l’Ouest et du Nord ainsi que la
Franche-Comté se caractérisent par une
croissance soutenue.

L’Île-de-France joue un rôle prépondérant pour


l’ensemble des secteurs, excepté l’agriculture.
Elle contribue ainsi à plus d’un tiers (35,6 %) de
la valeur ajoutée nationale du tertiaire marchand
et même à plus de 40 % dans trois secteurs
(activités financières, services aux entreprises
et services aux particuliers). Suivent Rhône-Alpes
(9 % de la valeur ajoutée totale) et Provence -
Alpes - Côte d’Azur (7 %) ; ces trois régions
induisent plus de la moitié (52 %) de la valeur Taux de croissance annuel moyen du PIB de 1990 à 2003
ajoutée du tertiaire marchand. (en % par an)
L’industrie et la construction sont aussi des 1,3 - 1,6 1,6 - 1,9 1,9 - 2,4 2,4 - 2,8
secteurs concentrés en Île-de-France, mais à Province = 1,92
un degré moindre : un cinquième de leur valeur
ajoutée y est produit. Dans l’industrie, quatre Source : comptes régionaux base 2000, Insee
INSEE
PREMIERE
Diversité des profils Haute-Normandie (24,0 %), Alsace Entre 1990 et 2003, le PIB a augmenté de
économiques (22,5 %) et Picardie (21,8 %). 43 % dans les Pays de la Loire contre moins
Le poids de la filière agricole (agriculture de 20 % en Bourgogne, en Auvergne, en
En 2003, les trois quarts de la valeur et industrie agroalimentaire) est le plus Lorraine et en Champagne-Ardenne. Les
ajoutée nationale sont produits par le ter- élevé en Champagne-Ardenne (13 % plus fortes croissances se situent dans les
tiaire. Les activités marchandes dominent contre 4,5 % au niveau national). La Bre- régions de l’Ouest, du Midi et du Sud-Est de
largement (71 % de la valeur ajoutée du tagne et Poitou-Charentes sont aussi la France. Ce « croissant périphérique »
secteur), notamment les activités financiè- davantage marquées que les autres dynamique, allant de la Bretagne à la
res et immobilières (45 %). Les services régions par cette filière, qui représente Franche-Comté, s’oppose à une France du
l’emportent dans toutes les régions. Leur 8,5 % de la valeur ajoutée régionale. Nord et du Centre où le PIB a augmenté
poids dépasse même 80 % en moins vite que la moyenne nationale
Île-de-France, Corse, Provence - Alpes - (carte 1).
Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon. Les
L’Ouest, le Midi et le Sud-Est : Dans les régions de l’Ouest (Pays de la
régions les plus spécialisées dans les ser- les plus dynamiques Loire, Bretagne, Aquitaine, Midi-Pyré-
vices marchands sont l’Île-de-France entre 1990 et 2003 nées et Poitou-Charentes), la croissance
(68 % de la valeur ajoutée régionale) et s’appuie principalement sur les activités
Provence - Alpes - Côte d’Azur (56 %). En En 13 ans, le PIB métropolitain a aug- immobilières, les services aux entrepri-
revanche, la part du tertiaire marchand ne menté de 28 % en volume, soit une ses et la construction. Dans les Pays de
dépasse pas 41 % du total régional en hausse de 1,9 % par an en moyenne la Loire et en Bretagne, le commerce, l’in-
Champagne-Ardenne et en Franche-Comté. (tableau 1). Cette croissance est due, pour dustrie agroalimentaire et les industries
En 2003, l’industrie génère 16 % de la les deux tiers (63 %), aux services mar- des biens d’équipement et des biens
valeur ajoutée nationale. Ce secteur chands. L’industrie et les services non intermédiaires comptent également
occupe une place relativement impor- marchands y contribuent chacun pour parmi les secteurs dynamiques. C’est
tante en Franche-Comté (26,6 %), 18 % et l’agriculture pour 1 % seulement. dans ces deux régions que la croissance a
été la plus forte au cours de la période : le
PIB y a progressé de 2,8 % et 2,5 % en
moyenne par an.
Œ Les PIB régionaux entre 1990 et 2003 Le Languedoc-Roussillon et Provence -
Alpes - Côte d’Azur possèdent un sec-
PIB en 1990 PIB en 20031 Taux de crois- Part dans le Part dans le teur tertiaire très développé. Favorisés
(millions (millions sance annuel du PIB national PIB national par une forte croissance démographique
Régions
d'euros d'euros PIB en volume en 1990 en 2003
courants) courants) (%) (%) (%)
entre 1990 et 2003, les secteurs liés à
l’économie résidentielle sont les plus
Alsace 29 630 44 187 1,85 2,9 2,8
Aquitaine 43 575 70 931 2,30 4,2 4,5 dynamiques. Pour le Languedoc-Rous-
Auvergne 19 741 28 419 1,39 1,9 1,8 sillon, il s’agit du commerce, de l’hôtel-
Basse-Normandie 20 598 30 796 1,81 2,0 1,9 lerie-restauration, de l’administration
Bourgogne 25 358 36 045 1,40 2,5 2,3 publique et de l’éducation, auxquels s’a-
Bretagne 39 793 66 817 2,51 3,9 4,2
joute le secteur agricole. En Provence -
Centre 39 039 57 067 1,69 3,8 3,6
Champagne-Ardenne 22 105 30 989 1,32 2,1 2,0 Alpes - Côte d’Azur, ce sont surtout l’im-
Corse 3 382 5 455 1,80 0,3 0,3 mobilier, les activités récréatives, culturel-
Franche-Comté 17 026 25 584 1,99 1,7 1,6 les et sportives et la santé.
Haute-Normandie 28 697 41 893 1,77 2,8 2,6 Rhône-Alpes et Franche-Comté ont en
Île-de-France 293 114 448 933 1,82 28,5 28,3
revanche un profil plus industriel. En
Languedoc-Roussillon 29 593 49 510 2,41 2,9 3,1
Limousin 10 577 15 408 1,49 1,0 1,0 Rhône-Alpes, les industries des équipe-
Lorraine 34 528 49 343 1,35 3,4 3,1 ments électriques et électroniques ainsi
Midi-Pyrénées 37 643 61 464 2,29 3,7 3,9 que les transports ont un poids et une
Nord - Pas-de-Calais 55 186 81 532 1,61 5,4 5,1 croissance très supérieurs à la moyenne
Pays de la Loire 46 292 78 522 2,78 4,5 5,0
nationale. En Franche-Comté, la crois-
Picardie 27 343 39 245 1,52 2,7 2,5
Poitou-Charentes 22 822 36 394 2,24 2,2 2,3 sance de la valeur ajoutée s’appuie sur
Provence - Alpes - Côte d'Azur 70 191 112 095 1,96 6,8 7,1 la filière automobile (industrie automo-
Rhône-Alpes 97 330 149 563 2,04 9,5 9,4 bile, industries des équipements méca-
Métropole 1 013 563 1 560 192 1,92 98,5 98,4 niques, métallurgie) et la construction.
Départements d'outre-mer 2
14 376 24 190 2,36 1,4 1,5 Dans les régions du Nord et du Centre,
Hors territoire3 768 790 - 1,90 0,1 0,0 excepté en Île-de-France, l’industrie, voire
France 1 028 707 1 585 172 1,93 100,0 100,0 l’agriculture, représentent une part relati-
vement importante de la valeur ajoutée
1. Les PIB métropolitains 2003 sont des données « semi-définitives » établies selon une méthode particulière (cf. Sources). totale. Les services s’y développent moins
2. Les PIB des Dom sont des données très provisoires estimées à partir des comptes en base 95 et sous l'hypothèse d'un poids
vite qu’au niveau national. À cela s’ajou-
constant depuis 2001.
3. Agents de l'administration française travaillant à l'étranger. tent parfois des baisses importantes de
Source : comptes régionaux base 2000, Insee valeur ajoutée dans des secteurs

INSEE - 18, BD ADOLPHE PINARD - PARIS CEDEX 14 - TÉL. : 33 (0) 1 41 17 50 50


INSEE
PREMIERE
traditionnellement très présents : l’industrie La diversité des activités : marqué dans les régions agricoles où les
textile dans le Nord - Pas-de-Calais, la un facteur de dynamisme évolutions heurtées de l’agriculture se
métallurgie en Lorraine, l’industrie agroa- répercutent souvent sur l’industrie agro-
limentaire en Picardie. Les régions où la croissance du PIB a alimentaire. En Champagne-Ardenne par
Des dynamismes régionaux sont ainsi été supérieure à la moyenne entre 1990 exemple, entre 2000 et 2003, les valeurs
contrastés. Cependant les structures ini- et 2003 comptent aussi parmi les plus ajoutées de l’agriculture et de l’industrie
tiales sont tellement différentes que, au diversifiées en termes de tissu productif agroalimentaire ont chuté de 27 % et
final, les mouvements entre 1990 et (carte 2). Sur cette période, une forte 12 % (contre –- 10 % et + 1 % sur la
2003 affectent peu la place de chaque spécialisation a été un facteur de fragi- France), faisant perdre à la région
région. lité. Ce phénomène est particulièrement 3,6 points de croissance en trois ans.

 Disparités des régions selon le PIB par habitant et par emploi en 2003 Disparité du PIB par habitant
plus élevée que pour le PIB
Régions
PIB par habitant en 2003 PIB par emploi en 2003 par emploi
euros courants Métropole = 100 euros courants Métropole = 100
Alsace 24 713 95,1 60 968 95,0 Pour s’affranchir de l’effet taille d’une
Aquitaine 23 373 89,9 60 410 94,2 région donnée – plus une région compte
Auvergne 21 455 82,5 54 077 84,3 d’habitants ou d’emplois, plus elle est
Basse-Normandie 21 371 82,2 54 544 85,0 susceptible de créer un PIB important –,
Bourgogne 22 313 85,8 55 901 87,1
Bretagne 22 281 85,7 55 771 86,9
il est nécessaire de rapporter le PIB
Centre 23 045 88,7 57 949 90,3 d’une région à sa population ou à ses
Champagne-Ardenne 23 280 89,6 58 456 91,1 emplois (tableau 2). En 2003, le PIB par
Corse 20 149 77,5 55 984 87,3 emploi s’élève à 58 600 euros pour les
Franche-Comté 22 633 87,1 56 551 88,2 régions de province ; il est supérieur de
Haute-Normandie 23 248 89,4 59 907 93,4
Île-de-France 39 960 153,7 83 625 130,4
40 % en Île-de-France (carte 3). Le PIB
Languedoc-Roussillon 20 279 78,0 58 861 91,8 par emploi est un indicateur de la pro-
Limousin 21 638 83,3 54 195 84,5 ductivité, mais cet indicateur est très
Lorraine 21 209 81,6 58 054 90,5 approximatif : il est fortement dépendant
Midi-Pyrénées 23 003 88,5 57 853 90,2 de la structure économique de la région.
Nord - Pas-de-Calais 20 269 78,0 56 521 88,1
Pays de la Loire 23 556 90,6 56 969 88,8
Pour les régions de province, le PIB par
Picardie 20 939 80,6 58 641 91,4 emploi varie de 54 100 euros en
Poitou-Charentes 21 645 83,3 55 727 86,9 Auvergne à 63 700 euros en Provence -
Provence - Alpes - Côte d'Azur 24 096 92,7 63 729 99,3 Alpes - Côte d’Azur. Les disparités sont
Rhône-Alpes 25 504 98,1 61 892 96,5 plus fortes pour le PIB par habitant : en
Province 22 775 87,6 58 634 91,4
Île-de-France, il est supérieur de 75 %
Métropole 25 991 100,0 64 151 100,0 à la moyenne des autres régions
Source : comptes régionaux base 2000, Insee

‚ Spécialisation des régions ƒ Disparité des PIB régionaux métropolitains


métropolitaines en 2003 par emploi en 2003

Coefficient de Gini PIB par emploi


Base 100 métropole
0,13 - 0,16 84 - 88
0,16 - 0,20 88 - 92
0,20 - 0,24 92 - 100
0,24 - 0,28 130,4
Province = 91
Lecture : les coefficients de Gini, qui mesurent la spécialisation sectorielle, ont été cal- Source : comptes régionaux base 2000, Insee
culés au niveau régional et à parti de la répartition de la valeur ajoutée en 36 branches .
Ces coefficients sont compris entre 0 et 1. Plus le coefficient est élevé, plus la région
est spécialisée.
Lorsque ces indices sont calculés sur des zones géographiques étendues et à un ni-
veau de nomenclature relativement agrégé, il est normal que la production soit diver-
sifiée. Cela explique le niveau assez peu élevé des coefficients calculés ici. Ceux-ci
permettent néanmoins d’établir une hiérarchie des régions.
Source : comptes régionaux base 2000, Insee

INSEE - 18, BD ADOLPHE PINARD - PARIS CEDEX 14 - TÉL. : 33 (0) 1 41 17 50 50


INSEE
PREMIERE
(22 800 euros). L’écart entre régions de habitant évolue plus favorablement que données rétropolées (années 1990 à 2001)
la moyenne. On distingue ainsi au sein du ont été estimées en appliquant la structure
province est plus limité : le PIB par habi-
régionale des branches à la valeur ajoutée
tant est compris entre 20 100 euros en « croissant dynamique » les régions dont nationale en base 2000. Cette méthode est
Corse et 26 000 euros en Rhône-Alpes. le PIB augmente plus que la moyenne, cohérente avec celle appliquée pour les an-
Le PIB par habitant n’est pas un indica- mais pas suffisamment par rapport à l’ac- nées courantes.
teur de richesse ou de revenu par habi- croissement de la population. En particu- Les données relatives à 2003 sont
lier, le Languedoc-Rousillon est pénalisé « semi-définitives », elles sont calculées à
tant. D’une part, il ne tient pas compte
partir des évolutions de la productivité et de
des revenus de transfert. D’autre part, par sa très forte croissance démographique. l’emploi.
un nombre non négligeable d’emplois Ces mouvements, peu perceptibles en Les comptes des départements d’outre-
dans une région peut être occupé par raisonnant sur les valeurs annuelles, lais- mer (Dom) sont établis directement par les
des résidents d’une autre région, ce qui sent le « trio de tête » inchangé. Toute- services de l’Insee dans les Dom, de ma-
augmente le PIB par habitant de la pre- fois, compte tenu de l’ampleur des nière plus complète que pour les régions
métropolitaines. Actuellement, les dernières
mière région et le revenu par habitant de différences de croissance (plus de 20 données définitives disponibles se rapportent
la seconde. points d’écart entre les deux régions extrê- à l’exercice 2001 en base 1995. Les valeurs
mes), le positionnement des autres de 1990 à 2003 en base 2000 sont des esti-
régions en termes de PIB par habitant est mations : elles sont provisoires et suscepti-
PIB par habitant : considérablement modifié. bles d’être notablement modifiées.
croissance soutenue
à l’Ouest et dans le Nord
Sources
Bibliographie
L’évolution du PIB par habitant entre
1990 et 2003 met en évidence quatre
Les comptes régionaux sont désormais pu-
ensembles géographiques nettement
bliés en base 2000. Les produits intérieurs Colussi C., Jacquier J., Kirthichandra A.,
différenciés. L’Ouest (Bretagne, Pays de bruts régionaux sont établis en conformité « Les produits intérieurs bruts régionaux en
la Loire, Poitou-Charentes, Aquitaine, avec le système européen des comptes 2000 », Insee Première n° 800, août 2001.
Midi-Pyrénées) et la Franche-Comté 1995 (SEC95). L’estimation des valeurs Friez A., Mordan G., « Les comptes de la
connaissent des augmentations du PIB ajoutées régionales repose sur l’utilisation Nation en 2004 - Une reprise tirée par la de-
des fichiers des comptes des entreprises mande », Insee Première n° 1017, mai
et du PIB par habitant supérieures à la
intégrés dans le système unifié de statisti- 2005.
moyenne. Le Sud-Est (Languedoc-Rous- ques d’entreprises (SUSE) et des déclara- Insee, « Dossier base 2000 », www.insee.fr
sillon, Provence - Alpes - Côte d’Azur, tions annuelles de données sociales (cliquer sur « Les grands indicateurs » puis
Rhône-Alpes) enregistre une hausse (DADS) et, si nécessaire, du répertoire « Comptes nationaux annuels », « Docu-
soutenue du PIB, mais le PIB par habitant Sirene. Pour les plus grandes entreprises, mentation », et « Méthodologie »).
les montants comptables sont examinés en Insee, « Comptes régionaux annuels : les
y croît moins que la moyenne. Dans le
détail via le système intermédiaire d’entre- séries de la base 2000 (1990-2003) »,
« Centre-Est » (Auvergne, Bourgogne, prises (SIE). La structure des valeurs ajou- www.insee.fr (cliquer sur « La France en
Centre, Île-de-France, Picardie, Cham- tées régionales déterminée sur cette base Faits et Chiffres » puis sur « Territoire » et
pagne-Ardenne, Lorraine et Alsace) et la est appliquée au PIB national pour l’estima- « Données détaillées »).
Corse, les deux indicateurs varient plus tion des PIB régionaux. Insee, « Les comptes économiques des
La méthode est la même pour les bases Dom - Années 1993-2000 - Base 95 », Cé-
lentement. Dans les autres régions
1995 et 2000 ; l’impact du changement de dérom et www.insee.fr (espaces régionaux
(Basse-Normandie, Haute-Normandie, base provient donc essentiellement des va- des Dom : cliquer sur «Publications» puis
Nord - Pas-de-Calais, Limousin), le PIB leurs de la comptabilité nationale qui ser- sur «Données sur disquettes et cédé-
augmente moins vite mais le PIB par vent de calage à la régionalisation. Les roms»).

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Date : __________________________________ Signature
Source : Ambassade d’Espagne en France

Web :
http://www.administracion.es/portadas/portal_internacional/sistema_politico/index_francaise.

html

L’ORGANISATION TERRITORIALE EN ESPAGNE

Index

Introduction
L´Administration Générale de l´Etat
Le Gouvernement Régional
o Pouvoirs
Le Gouvernement Local
o Le Municipalité
o La Province

Introduction

La Constitution de 1978 représente un pas en avant avec le modèle d´organisation territoriale


centralisée. Grâce à lui, en seulement 20 ans, un transfert important et continu des pouvoirs de
l´Administration Générale de l´Etat aux Communautés Autonomes s´est produit. Pour cette
raison, l´Espagne est devenue l´un des pays les plus décentralisés d´Europe.
Les principes basiques sur lesquels s´appuie cette forme d´organisation territoriale sont les
suivants : égalité de tous les citoyens indépendamment du territoire dans lequel ils résident,
l´unité de la nation espagnole, la solidarité entre les Communautés Autonomes et la capacité
des différentes nationalités et régions à exercer leurs propres pouvoirs, c´est à dire
l´autonomie. Tous ces principes sont gouvernés par un fondement à caractère général, à savoir
celui de la loyauté constitutionnelle.
Les différentes compétences gouvernementales sont distribuées entre l´Etat et les 17
Communautés Autonomes. Ces compétences sont divisées en trois catégories : compétence
exclusive sur les matières pour lesquelles l´Etat ou la Communauté Autonome impliquée
possède les pleins pouvoirs législatifs et exécutifs ; compétence partagée pour les matières
pour lesquelles l´Etat ou la Communauté Autonome impliquée possède les pouvoirs législatifs
et exécutifs partagés ; et compétences concurrentes pour les matières sur lesquelles l´Etat ou
les Communautés Autonomes peuvent agir.
Le Tribunal Constitutionnel a la juridiction pour résoudre tout conflit qui peut surgir entre
l´Etat et les Communautés Autonomes quant à leurs pouvoirs. Cependant, il existe d´autres
formes de coopération entre les administrations publiques qui aident à éviter ce type de
conflits. Un exemple de ceci sont les Conférences Sectorielles, composées par les plus hautes
autorités tant de l´Etat que des Communautés Autonomes, capables de réviser n´importe
quelle matière. Du point de vue de l´organisation, les Mairies représentent des institutions de
gouvernement et d´administration, tandis que les Députations Provinciales forment les
organismes équivalents dans les provinces. Le Maire est élu à la majorité absolue des votes
émis par les Conseillers Municipaux. Les citoyens espagnols ainsi que les citoyens européens
résidents en Espagne ont des droits actifs et passifs de vote aux élections municipales.

1- L´Administration Générale de l´Etat

L´Administration Générale de l´Etat a pour mission de mettre en pratique la politique


administrative de l´Etat du Gouvernement. Afin de parvenir à ce but, l´Administration
Générale de l´Etat est organisée en Ministères (actuellement ils sont 15, dont un Ministre sans
matière particulière) dont le siège central est basé à Madrid avec certains services
périphériques dans tout le territoire national. Il s´agit d´agences, d´organismes publics qui
possèdent une autonomie et qui sont sous la charge des différents Ministères.
En ce qui concerne le système de distribution des pouvoirs entre l´Etat et les Communautés
Autonomes, l´actuelle fonction de l´Administration Générale de l´Etat est fondamentalement
relative à l´application de la législation et de la planification dans différents secteurs d´activité
: dans les relations avec l´Union Européenne, dans la Coopération avec les Communautés
Autonomes et les autorités locales, etc.
L´objectivité, l´impartialité et l´efficience des actions entreprises par les Administrations
Publiques sont assurées par la Constitution Espagnole et sont mises en pratique à travers la loi
commune des procédures administratives. Cette loi gouverne l´action de l´Administration, ce
qui inclut la validité de l´utilisation des ordinateurs et des moyens télématiques dans sa
relation avec la citoyenneté. Ladite loi régule également les conditions formelles de l´action
administrative ainsi que les différentes procédures dans toutes les administrations publiques.

2- Le Gouvernement Régional

La Constitution proclame l´union indissoluble de la nation mais reconnaît et garantit le droit à


l´autonomie des nationalités et régions qui composent l´Etat. Il existe actuellement 17
Communautés Autonomes : l´Andalousie, l´Aragon, les Asturies, les Baléares, Les Canaries,
Cantabria, Castille et León, Castille-La Mancha, Catalogne, Estrémadure, Galice, Madrid,
Région de Murcie, Communauté de Navarre, Pays Basque, La Rioja et la Communauté de
Valence. En outre, Ceuta et Melilla se sont constituées en deux villes avec un statut
d´autonomie propre.
Chaque Communauté a sa propre capitale et une structure politique basée sur une Assemblée
Législative Unicamérale élue par suffrage universel. Cette Assemblée élit un président entre
ses membres, correspondant au plus haut représentant de la Communauté. Les pouvoirs
exécutifs et administratifs sont exercés par le Conseil du Gouvernement, dirigé par le
président et le responsable devant l´Assemblée. Les membres du Parlement sont élus par vote
direct et secret des citoyens de la propre Communauté Autonome qui ont tous droit au vote.
Parmi les fonctions du Parlement Autonome, on note celle de choisir le président de la
Communauté Autonome, d´adopter la législation nécessaire dans les matières de sa
juridiction, d´approuver les budgets de ses Communautés et, finalement, de contrôler l´action
des Gouvernements Autonomes.
Ce Gouvernement Autonome est composé par un président et un cabinet qui a pour mission
d´exercer tous les pouvoirs administratifs et exécutifs qui ont été transférés aux Communautés
Autonomes.

Pouvoirs
Comme conséquence du pouvoir pour s´auto-organiser conféré aux Communautés
Autonomes, elles ont le droit de structurer leurs administrations publiques respectives de la
manière qui leur paraît appropriée, à condition qu´elles agissent dans le cadre établi par les
régulations basiques déterminées par le Gouvernement National.
La division des pouvoirs entre les régions autonomes et le Gouvernement Central est décrite
dans les articles 148 et 149 de la Constitution.
Les domaines appartenant à la juridiction exclusive du Gouvernement National incluent : la
politique extérieure ; la défense ; la justice ; la législation criminelle, commerciale et du
travail ; le commerce extérieur et les impôts ; la planification économique ; les finances et la
sécurité publique. Le processus de transfert qui a eu lieu pendant ces 20 dernières années, a
été tellement important qu´aujourd´hui, les Communautés possèdent un contrôle total sur les
matières d´une importance particulière pour les sociétés modernes, telles que l´éducation et la
culture, la santé, l´agriculture, l´industrie, les politiques d´emploi et la propre infrastructure de
leurs territoires. Le processus de décentralisation s´est étendu à tel point qu´aujourd´hui, 42%
des fonctionnaires du service public et 35% de la dépense de toutes les administrations
publiques, correspondent aux Communautés Autonomes.
La Constitution reconnaît le droit des Communautés Autonomes à leur autonomie financière
"pour le développement et l´exécution de leur autorité" (art. 156 CE). Ces Communautés
reçoivent des apports directs et indirects de la part du Gouvernement Central, en plus de leurs
propres impôts et recettes locales. De même, elles peuvent accéder aux crédits. La
Constitution déclare que l´autonomie financière des Communautés doit être exercée en
coordination avec les politiques du Gouvernement Central, qui, en dernière instance, est
responsable des impôts et de garantir l´égalité d´opportunités entre tous les citoyens.
Les relations entre l´Administration Générale de l´Etat et les Communautés Autonomes sont
gouvernées par le principe de coopération entre les administrations publiques qui s´exprime à
travers une série d´instruments tels que les Accords Administratifs, les Conférences
Sectorielles et les Commissions de Coopération Bilatérale. Dans chacun de ces organismes
sont débattus et décidés d´importants thèmes qui concernent toutes les administrations
publiques.

3- Le Gouvernement Local

La Constitution garantit l´autonomie des municipalités. Elles ont la pleine personnalité


juridique.
Leur gouvernement et administration resteront dans les mains des Mairies composées par le
Maire et les Conseillers Municipaux. Les Conseillers Municipaux seront élus par les citoyens
de la municipalité par suffrage universel, égal, libre, direct et secret, selon les dispositions de
la loi. A leur tour, les Maires seront élus par les Conseillers ou par les citoyens. La loi établira
les conditions selon lesquelles un conseil ouvert à la participation de tous les citoyens peut
avoir lieu. Il existe 50 provinces et plus de 8.000 municipalités avec des grandes différences
de population. Seules 118 municipalités dépassent les 45.000 habitants.
4. La Municipalité

Les municipalités ont des pouvoirs exécutifs relatifs à un grand nombre de services, tels que
le transport, les services sociaux, la santé publique et la circulation. C´est ainsi parce qu´elles
sont les organes de l´administration publique les plus proches de la citoyenneté. Dans tous les
cas, leurs pouvoirs administratifs doivent être exercés à l´intérieur du cadre des pouvoirs
législatifs de l´Etat et de la Communauté Autonome, selon le sujet traité. Les responsabilités
des municipalités varient selon la taille de leur population. Les gouvernements municipaux
partagent les responsabilités avec le Gouvernement Régional dans les matières telles que la
santé et l´éducation.
Tant le Gouvernement central que le Gouvernement Régional, peuvent déléguer des pouvoirs
additionnels aux Municipalités. Au niveau municipal, le gouvernement est administré par un
Conseil Municipal dont les membres sont élus directement par suffrage universel en accord
avec un système de représentation proportionnel. Le nombre de membres du Conseil est
déterminé par la population de la municipalité (la loi en requiert un minimum de cinq). Il
n´existe pas de limite au nombre de fois qu´un conseiller peut être réélu. En cas de décès, de
démission ou de disqualification, ils seront remplacés par la personne suivante dans la liste
électorale de leur parti politique. Il n´y aura pas d´élections partielles.
Le Conseil est élu chaque quatre ans et ne peut être dissout. Il se charge du budget et il est
capable d´augmenter les impôts dans le but de compléter les contributions des Gouvernements
Central et Régional. Chaque Conseil Municipal est dirigé par un Maire, élu entre les membres
du Conseil après les élections locales.

Les municipalités qui dépassent les 5.000 habitants ont une Commission Municipale pour
aider le Maire dans l´exercice de ses devoirs. Dans ces cas, l´administration municipale est
divisée en départements et districts dont les leaders sont responsables en dernière instance
devant le Maire.

5. La province
La province est une entité locale qui a une personnalité légale propre, formée par un groupe
de municipalités et une division territoriale désignée pour réaliser des activités de l´Etat.
Toute altération aux limites provinciales doit être approuvée par le Parlement moyennant une
loi organique. Le Gouvernement et l´Administration Autonome des provinces seront à la
charge des Députations Provinciales ou des autres corporations à caractère représentatif.
Le Gouvernement Provincial est administré par le Conseil Provincial, formé par les députés
élus entre les propres Conseillers Municipaux. Ils font partie du Conseil Provincial pour une
période de quatre ans et pourront être réélus tant qu´ils continuent comme Conseillers
Municipaux. De même que les Conseillers Municipaux, les Conseillers Provinciaux n´ont pas
la capacité pour proposer des grandes lois.
Chaque Conseil Provincial est dirigé par un Président élu par tous les membres du Conseil. Le
Président est responsable du Gouvernement et de l´Administration de la Province.
Le Gouvernement Provincial est administré de manière différente dans les provinces de Pays
Basque, dans les Îles Baléares, dans les Canaries et dans les Communautés Autonomes
formées par une seule province. Les provinces basques ont des privilèges encore plus
importants dû à leur statut de "Territoire historique", c´est pourquoi leurs Conseils
Provinciaux ont un pouvoir plus important que ceux des autres provinces.
Les Communautés Autonomes formées par une seule province assument tous les pouvoirs et
responsabilités provinciales, ce qui rend inutile la présence d´autres institutions provinciales.
Etant donné la séparation géographique existante entre les groupements d´îles, le
Gouvernement et l´Administration Locales ont été conférés aux Conseils insulaires qui
jouissent de pouvoirs plus importants que leurs homologues provinciaux.
rubriques
international

Régionalisation
L’expérience
de la Catalogne
Une nouvelle organisation

L
a régionalisation de la santé est deve-
Emmanuelle Salines nue un débat récurrent en France [1, Elle est d’essence beveridgienne [18]
Médecin inspecteur de santé publique, 14, 15]. La région apparaît comme et repose sur une division du territoire
direction départementale des Affaires un niveau convenable de déconcentration en zones géographiques correspondant
sanitaires et sociales de l’Essonne d’une politique nationale de santé et de à 250 000 habitants. Ces zones sont
Pierre-Henri Bréchat l’orientation stratégique des ressources. Il elles-mêmes divisées en aires basiques
Médecin inspecteur de santé publique, s’agit d’élaborer des politiques régionales de santé. Ce découpage permet à toute
Ddass du Doubs, chargé de recherches, en cohérence avec un programme-cadre personne de bénéficier d’un temps d’accès
Laboratoire d’analyse des politiques national et tenant compte des besoins à un centre de soins primaires inférieur à
spécifiques de la région [10]. 30 minutes.
sociales et sanitaires (LAPSS), ENSP
De nombreux pays de l’Union européenne Quatorze ans après le vote de la loi géné-
Françoise Schaetzel ont déjà réalisé la régionalisation de leur rale de santé, on peut relever quelques
Arlette Danzon système de santé, dont l’Espagne [20]. caractéristiques d’ensemble :
Professeurs, département Politiques et Cette dernière a donné la possibilité aux ● ce système couvre 98 % de la popu-
Institutions (Politiss), ENSP régions d’élaborer leur politique de santé. lation,
La Catalogne gère l’un des systèmes con- ● l’offre de soins est essentiellement
sidérés comme les moins chers et les plus publique,
performants d’Europe [15]. ● les usagers du service public ne paient
Après une description En 1986, la loi générale de santé crée le qu’une partie du prix des médicaments
du système de santé système de santé national espagnol, formé (40 %), excepté les retraités et les patients
par les systèmes de santé de chacune atteints de certaines maladies chroniques
catalan, resitué dans des régions autonomes. Cette régionali- qui bénéficient de la gratuité,
sation permet à sept « Autonomias » (dont
son contexte national la Catalogne) d’opter pour la gestion de
leur système de santé [16, 20]. L’Insalud,
Contexte de l’étude
et historique, cet organe de gestion du service national, prend Douze médecins inspecteurs de
en charge les communautés qui n’ont pas santé publique (MISP) ont réa-
article s’attache à en encore les pleines compétences en matière lisé en septembre 2000, au cours
faire apparaître les de santé [5]. d’une étude sur site en Catalo-
Cette loi impose à chacune des régions gne, une exploration comparée
points d’intérêt pour autonomes d’organiser son propre système des systèmes de santé français
de santé, en leur demandant d’intégrer les et catalan [12]. Cette étude fait
la régionalisation du grands principes suivants : suite à leur formation à l’ENSP
● offrir une approche globale de la pendant laquelle, notamment, ils
système de santé plus santé, ont pu s’intéresser à l’approche
● développer les soins de santé pri- comparative des systèmes de
généralement… maire, la promotion de la santé et la pré- santé [11, 3].
vention.

adsp n° 37 décembre 2001 61


rubriques
international

● le financement du système, histori- générale de santé et sépare les fonctions du système de santé puisque, tant l’es-
quement basé sur des cotisations sociales de financeur des fonctions de gestionnaire pérance de vie que les taux de natalité
(salariés-employeurs), repose exclusive- de l’offre de soins. En effet, cette loi crée, à et de mortalité résultent de déterminants
ment sur l’impôt [20] : l’État espagnol côté de l’ICS, qui devient l’instance gestion- multiples où les facteurs sociaux et éco-
(gouvernement fédéral) reverse à chaque naire de l’offre de soins, le Service catalan nomiques jouent une part prépondérante.
région autonome une part de celui-ci (en se de santé (SCS) chargé du financement et Mais ils témoignent de populations dont
basant notamment sur le nombre d’habi- de la planification du système de santé l’état de santé est comparable et dont
tants), [19]. les besoins de soins sont donc du même
● la planification et la régulation du ser- Parallèlement à ce nouveau modèle per- ordre.
vice national de santé, les choix prioritaires siste encore une offre de soins privée issue On est alors frappé de la performance
en matière de santé publique constituent de l’ancien système, en particulier dans économique du système qui, pour un coût
un domaine de responsabilités partagées la ville de Barcelone. Cette offre de soins, bien moindre qu’en France, propose une
entre l’État et les communautés autono- beaucoup plus onéreuse, est souvent le densité médicale supérieure.
mes. Il existe un plan de santé national, des fait des générations les plus anciennes
plans de santé régionaux adoptés par les de médecins, les plus jeunes étant attirés Organisation de l’administration
communautés autonomes et un plan établi par les centres de santé. L’adhésion à une de la santé de Catalogne
par l’Insalud, pour les dix communautés qui mutuelle permet l’accès sans paiement Ce qui fait l’originalité du système de santé
n’ont pas encore les pleines compétences supplémentaire aux structures ayant con- catalan est l’existence d’une séparation
en matière de santé. Les plans nationaux tracté avec ces mutuelles. Il n’y a alors nette entre le principal pourvoyeur de soins :
sont approuvés par le Parlement espagnol. ni prise en charge financière publique des l’ICS [2] (qui gère les structures apparte-
Les plans régionaux sont approuvés par soins délivrés au patient, ni avance de frais. nant à la sécurité sociale ou au gouverne-
les Parlements régionaux [5]. Il s’agit donc là d’une démarche volon- ment de Catalogne et quelques institutions
taire d’une partie de la population qui en a ayant un statut parapublic : hôpitaux et
Le système de santé catalan les moyens financiers. En Catalogne, cela dispensaires gérés par des organisations
Le statut autonome de la Catalogne est représente 25 % de l’offre de soins, le plus à but non lucratif), et le SCS qui lui achète
édicté en 1979. important pourcentage d’Espagne. les soins. Ce dernier, dans certaines limi-
En 1981, le gouvernement de Catalogne tes, peut imposer des priorités de santé
reçoit les transferts de compétence en Les éléments du contexte publique (dont la prise en compte est liée
matière de santé. géodémographique à une partie du financement) et opérer un
En 1983, création de l’Institut catalan Le tableau 1 fait apparaître des indica- choix entre services équivalents. La relation
de la santé : ICS (qui à l’heure actuelle teurs de santé comparables pour la France, est contractualisée régulièrement.
compte 33 000 salariés et 68 structures du l’Espagne et la Catalogne. Ces chiffres, Les prestataires sont :
réseau XHUP [Xarxa hospitalaria d’utilizacio bien entendu, ne peuvent être interprétés ● les structures de soins publiques,
publica] dont 11 hôpitaux, et les centres de comme des indicateurs de performance directement gérées par l’ICS : les centres
santé primaire de 33 directions d’attention
primaire [DAP]). À sa création, cette institu- tableau 1
tion était à la fois financeur et gestionnaire Données comparatives géodémographiques
d’une grande partie de l’offre de soins
France Espagne Catalogne
catalane (sécurité sociale).
En 1985, création d’un réseau d’hôpi- Population (millions) 61,0a 39,3a 6,2b
taux d’utilité publique : XHUP. Il regroupe Superficie (km²) 551 000a 504 782a 32 000b
l’ensemble des structures hospitalières, de Densité de population
droit public et privé, autorisées à dispenser (habitants au km²) 106a 78a 191b
des soins aux bénéficiaires de la sécurité Dépense annuelle de santé
par habitant en euros 1 982c 762c
sociale, et financées à ce titre par l’ICS.
Depuis 1990, le financement est assuré PIB /habitant en dollars 25 000a 13 778a 17 223
(équivalent en euros) (28 032) (15 831)
par le Service catalan de la santé. En 1985,
Médecins pour
également, les principes de la loi générale 1 000 habitants 3,0 ‰ 4,3 ‰b 4,35 ‰b
de santé promouvant les soins de santé
Espérance de vie (ans)
primaire trouvent leur application en Cata- Hommes 74,9 74,4 75,8
logne avec la mise en place d’une équipe Femmes 82,4 81,7b 82,4b
d’attention primaire dans chaque centre Taux de natalité 12,6 ‰ 9,1 ‰b 9,3 ‰b
d’attention primaire (CAP) — au moins un Taux de mortalité 9,2 ‰ 9,1 ‰b 9,0 ‰b
CAP dans chaque aire basique de santé a. Bailly A., Fremont A. L’Europe et ses États. Une géographie. Paris : Datar, La Documentation française,
(ABS). 2000.
En 1990, la loi d’organisation sanitaire de b. Institut d’Estadistica de Catalunya www.idescat.es 1999.
la catalogne (LOSC), votée par le Parlement c. [2].
régional, poursuit la mise en œuvre de la loi

62 adsp n° 37 décembre 2001


figure 1 Les centres d’attention primaire
Organisation de l’administration de la santé Chaque aire basique de santé (ABS) prend
en charge 5 000 à 25 000 habitants, excep-
Gouvernement de Catalogne
Exécutif tionnellement 40 000 habitants pour les
grandes villes.
Dans chaque aire, il y a au moins un
Département de la santé et de la sécurité sociale centre de santé d’attention primaire (CAP).
Ces centres fonctionnent 24 heures sur
Service catalan de la santé Institut catalan de la santé Institut d’études de la santé
24 et 365 jours sur 365.
Division territoriale Division territoriale Une équipe de personnels salariés est
en huit régions en quatre régions composée de :
● médecins de famille (1 pour 1 750 à
Deux grandes missions : Gestion de l’offre de soins Aide technique aux services
planification et financement publique et para-publique du gouvernement : recherche, 2 500 habitants de plus de 14 ans). Ce
du système de soins sous contrat formation en santé sont des spécialistes en médecine géné-
rale. Ils réalisent des consultations sur
place et à domicile, ainsi que des actions
d’attention primaire, les structures médico- nelle, paiement direct par les patients, etc. de prévention plus individuelles que col-
sociales, les hôpitaux, les réseaux de soins — ils financent les structures privées en lectives,
dédiés à des prises en charge particulières totalité ou en partie (quand une contrac- ● pédiatres (1 pour 1 250 à 1 500 habi-
(soins palliatifs…) ; tualisation existe avec le SCS). tants de moins de 14 ans),
● les structures de soins privées tradi- ● infirmières (1 par médecin),
tionnelles : elles dépendent de congréga- Les structures de soins ● dentistes (1 pour 11 000 habitants),
tions religieuses, de mutuelles, d’asso- en Catalogne ● assistantes sociales (1 pour 25 000
ciations à but non lucratif, de fondations La LOSC a établi en 1990 les principes de habitants),
privées qui en assurent la gestion ; soins de santé intégrés : centres de santé ● personnel administratif,
● le Xarxa Hospitalaria d’Utilizacio primaire qui, dans un même lieu, œuvrent ● spécialistes médicaux intervenant
Publica (XHUP) : il s’agit du réseau des dans le domaine de la prévention, du soin, sous forme de consultations (en fonction
structures publiques ou privées qui consti- et prennent en compte également la dimen- des besoins).
tue l’offre de soins de la Catalogne acces- sion sociale et de la répartition équitable Un vétérinaire peut intervenir en parte-
sible gratuitement à tout citoyen. C’est le sur tout le territoire (proximité, accessibilité) nariat avec les médecins de famille. Les
SCS qui organise cette offre de soins en des structures de soins. vétérinaires ne dépendent pas de l’aire de
passant des contrats avec les structures Le système de santé repose donc sur santé (ils ne font pas partie de l’équipe
privées pour compléter l’offre de soins les centres de santé ou centres d’atten- des soins primaires), ils appartiennent au
publique qui serait quantitativement insuf- tion primaire (CAP) à partir desquels le réseau de santé publique municipal. Cette
fisante. patient est orienté vers des structures prise en compte des problèmes d’hygiène
Les acheteurs sont : plus spécialisées comme les hôpitaux où et de risques sanitaires liés aux animaux
● d’une part les fonds publics : il s’agit sont prodigués les soins spécialisés, les domestiques est intéressante [12].
de l’enveloppe provenant de l’impôt national structures médico-sociales, psychiatriques Le directeur de cette équipe est toujours
et répartie par Madrid entre les régions ou les réseaux permettant des prises en un médecin aidé d’une infirmière adjointe.
d’Espagne. Elle peut théoriquement être charge particulières. Les médecins, toutes disciplines confon-
augmentée d’un impôt régional complé-
mentaire décidé par le Parlement de la figure 2
Catalogne. Cette possibilité est peu utilisée
Financement de l’offre de soins
car assez impopulaire. C’est, en Catalogne,
le Service catalan de la santé (SCS) qui Financeurs Prestataires
finance toutes les structures sanitaires Institut catalan de la santé
délivrant les soins gratuitement à tous les (CAP, hôpitaux)
citoyens. Une évaluation annuelle est réa-
lisée par le SCS portant sur l’atteinte des public
objectifs du contrat en termes de volume
d’activité, de qualité et de coordination des
Service catalan de la santé
Fonds publics
Autres (médico-social,
psychiatrie, toxico)
75 %
soins et de satisfaction des usagers. Elle
conditionne le renouvellement du contrat
et peut entraîner des bonifications ou des Structures privées
pénalités en fonction des écarts consta-
tés ; Institutions privées
sous contrat
privé
Fonds privés
● d’autre part, les fonds privés : d’ori- Structures privées hors contrat
25 %
gines diverses — mutualiste, confession-

adsp n° 37 décembre 2001 63


rubriques
international

figure 3 les usagers peuvent à tout moment venir


Organisation territoriale du système de santé catalan pour les soins de santé se renseigner.
primaire Depuis 1981, le ministère de la Santé
de la Catalogne pilote un programme d’ac-
créditation des hôpitaux [23].
Service catalan
de la Santé
Les orientations de santé publique
8 régions sanitaires et les plans de santé
La LOSC de 1990 a affirmé le principe de
43 secteurs sanitaires (directions d’attention primaire) la participation démocratique des citoyens
à la définition de la politique de santé et la
338 aires basiques de santé (centres d’attention primaire) maîtrise de son application par sa représen-
tation à tous les niveaux de l’administration
de la santé.
Depuis 1993, trois plans triennaux de
dues, ont sensiblement le même salaire. présentait plusieurs aspects intéressants, santé, approuvés par le Parlement, ont
Cette équipe bénéficie d’une formation pour la plupart liés au caractère récent de été mis en place par le Service catalan de
continue. l’architecture et de l’immobilier et à une la santé. Leur élaboration repose sur un
Les urgences de nuit et de week-end gestion par un organisme privé à but non travail de collaboration entre administration
sont assurées sur la base du volontariat lucratif. Le regroupement sur un même de la santé, professionnels, usagers, élus,
des médecins. Il s’agit de gardes sur place niveau de tous les lits d’hospitalisation représentants syndicaux. Ces plans, qui
dans les CAP et d’astreintes. Le médecin permet des économies d’échelle, une intègrent les objectifs de l’Organisation
peut se déplacer au domicile du patient meilleure sécurité et une répartition plus mondiale de la santé (OMS), à savoir « La
si besoin. facile des patients et des médecins. Cet santé pour tous en l’an 2000 », et qui
Certains centres sont fournisseurs de hôpital est construit en trois blocs, ce qui se sont construits à partir des besoins
services pour d’autres, notamment en ce optimalise la traçabilité, l’efficience et l’ef- de la population, sont considérés par les
qui concerne la radiologie, le laboratoire, les ficacité des soins : le premier bloc regroupe autorités comme l’instrument fondamental
urgences, le suivi des grossesses (gynéco- les services de chirurgie, de biologie et de la planification de l’offre de soins. Ils
logues et sages-femmes ne sont pas gérés de radiologie qui sont organisés autour sont évalués tous les ans et une évaluation
par l’aire de santé mais par un organisme des urgences ; le deuxième est en prolon- plus complète va être réalisée à la fin du
qui leur est propre). Certains services gement du premier et regroupe les lits troisième plan.
sont communs à plusieurs aires de santé, d’hospitalisation dont l’appartenance à une Les grandes orientations de ces plans
comme la pharmacie ou la psychiatrie. discipline est en flux tendus ; le troisième sont [7, 8, 9] :
Les secteurs sanitaires possèdent un bloc, situé au-dessus du bloc des urgences, ● l’accent particulier mis sur la préven-
hôpital de référence qui intervient en concerne les services administratifs. Des tion, l’information, l’éducation à la santé
seconde intention à partir du CAP, notam- espaces sont réservés aux patients, aux et la promotion de la santé,
ment pour la prise en charge des urgen- familles, aux rencontres familles-patients ● la surveillance épidémiologique,
ces. et médecins-familles. Il est à noter que ● la coordination entre les différents
Des enquêtes de satisfaction des usa- les rares espaces prévus pour servir de niveaux de soins,
gers (dénommés « clients ») sont orga- bureaux aux médecins sont vitrés et que ● le développement de l’évaluation,
nisées régulièrement. Du personnel est
dédié spécifiquement à cette mission (unité
d’attention au client).

Le secteur médico-social [21, 22]


Il comporte des lits (soins de longue durée,
soins palliatifs, convalescence, pour per-
sonnes atteintes du sida) et des unités fonc-
tionnelles interdisciplinaires spécialisées
(UFISS) dans un domaine particulier : la
gérontologie, les soins palliatifs, la démence,
ou les insuffisances respiratoires.
Les équipes des programmes de soutien
à domicile (Pades) travaillent en appui à
ces unités.

Les hôpitaux
Le seul centre hospitalier de référence visité CAP Florida CAP Sant Ildefons

64 adsp n° 37 décembre 2001


● la recherche d’une meilleure satis- médecine générale. Cette spécialité est pharmacie. La population est couverte dans
faction des usagers basée sur la qualité, acquise par 6 années d’études de tronc son ensemble, sans conditions particuliè-
l’accessibilité et la sécurité. commun, plus 3 années de spécialisa- res. Il n’y a pas d’inégalité de répartition
Chaque région sanitaire a une certaine tion. géographique de l’offre de soins.
latitude pour adapter le plan catalan. D’emblée la prise en charge apparaît Il existe une réelle politique de prise
globale : en compte de l’intérêt de l’usager. Il y a
Discussion ● Le médecin de famille exerce dans les une direction spécialisée dans ce domaine
Au terme de cette étude sur site, un para- CAP. Il est toujours consulté en première au niveau de l’administration du secteur
doxe se dégage : nous étions à la recherche intention, avec un rôle de « gate keeper » sanitaire. Une évaluation est régulièrement
d’un système national à travers l’étude contrôlant l’accès au spécialiste. réalisée par enquêtes de la satisfaction
d’une région, or il nous apparaît que la Cata- ● La gynécologie et la pédiatrie, ainsi des usagers : patients et public extérieur.
logne s’intéresse plus à son propre sys- que l’odontologie, bien qu’exercées par des Il commence à y avoir des enquêtes pour
tème de santé qu’à un système de santé médecins spécialisés sont intégrées dans connaître les organisations de soins sou-
régional au sein d’un dispositif national. les CAP et ces spécialistes travaillent en haitées par les usagers. À l’hôpital, il y a de
Cela pose la question des inégalités inter- équipe avec les médecins de famille. nombreux endroits réservés : notamment
régionales induites par la régionalisation ● La présence de professionnels para- des bureaux de conciliation prévus spé-
du système de santé au moment où, en médicaux permet la réalisation d’une pré- cialement pour les rencontres médecins-
France, il est constaté que, même si notre vention primaire en partenariat avec le familles.
système de santé est dans l’ensemble médecin de famille. Elle permet également Les professionnels de santé semblent
performant, il présente des dysfonction- de prolonger les soins si nécessaire. satisfaits de leur statut. Etant fonctionnai-
nements, des inégalités de qualité et ne ● La prévention primaire est intégrée res, ils ne sont pas soumis au système du
prend pas suffisamment en compte les dans les missions et les CAP. La prévention paiement à l’acte et au lien monétaire avec
inégalités sociales et les inégalités inter primaire individuelle est systématiquement le patient. Les candidatures de médecins
et intra-régionales [13]. réalisée par le binôme infirmière-médecin aux postes des CAP, par exemple, dépas-
Nous avons donc replacé les éléments de famille lors de chaque consultation. Un sent l’offre disponible.
recueillis dans une approche pouvant ali- guide des bonnes pratiques a été réalisé C’est un système qui semble se remettre
menter les diverses questions qui se au niveau régional à cette intention [9]. régulièrement en cause et rester évolutif. Il
posent actuellement dans notre pays sur La prévention primaire collective n’est pas est peu onéreux et sa planification permet
l’évolution du système de santé et notam- systématique. une bonne couverture de la distribution des
ment de sa régionalisation [15]. ● La prévention tertiaire est réalisée soins. Les professionnels de santé parti-
dans les hôpitaux de référence des sec- cipent à la planification grâce aux résultats
Les aspects à valoriser dans la réflexion teurs sanitaires au moment des soins de de leurs recherches.
actuelle réadaptation. Des aspects intéressants sont notés
La médecine générale jouit d’une véritable ● Participation de travailleurs sociaux en ce qui concerne la pharmacie et les
reconnaissance sous forme d’une spécialité (rappelant les centres locaux de santé com- médicaments :
dite de médecine de famille, indispensable munautaires [CLSC] québécois [11]). ● Les pharmaciens exercent dans un
(pour les nouvelles générations) à l’exer- ● Le dossier du patient est individualisé centre public mais font partie du secteur
cice dans les structures de base, alliant et de plus en plus souvent informatisé. privé. Les officines de pharmacie ont un
activités de recherche et d’enseignements Il contient l’ensemble des informations contrat avec le SCS qui finance 60 % du prix
spécifiques, et animée par un collège de utiles, avec une clé d’accès spécifique pour des médicaments, les 40 % restants étant
les soignants, garantissant une certaine à la charge du patient. La rémunération
confidentialité. du pharmacien correspond à 14 % du prix
● La santé scolaire et la santé au travail payé par le patient.
sont prises en compte par les équipes des ● Il existe, comme en France, une poli-
centres d’attention primaire. Il n’existe tique de promotion du médicament géné-
pas de services spécifiques de médecine rique avec intéressement des pharmaciens
scolaire. La médecine du travail relève par la rémunération, mais plus dynami-
d’une législation spécifique qui n’a pas été que.
approfondie dans le cadre de ce travail. ● Il est aussi prévu une rémunération
● Les professionnels peuvent s’occuper forfaitaire du pharmacien valorisant son
aussi de recherche et de formation. Les acte d’accompagnement des prises en
résultats de ces recherches peuvent être charge des traitements de substitution, à
intégrés directement dans les travaux de la Méthadone® par exemple.
planification sanitaire. Une véritable politique de santé publique
L’accessibilité aux soins de base est est définie au niveau régional, avec des
garantie à l’usager. Il n’y a pas d’avance priorités précises, s’imposant à la fois aux
de frais. Le principe de la gratuité pour structures de base et à l’hospitalisation.
CAP Sant Just Desvern tous est réalisé, à l’exception notable de la Le rôle de Madrid se limite à définir les

adsp n° 37 décembre 2001 65


rubriques
international

grands axes et à octroyer une enveloppe Quand une politique de santé expérimen- enquêtes de satisfaction, celui-ci semble
budgétaire fléchée sur la santé. C’est le tale s’avère positive dans une région, le supporter les inconvénients habituels d’un
Parlement de Catalogne qui détermine les niveau national peut la mettre en œuvre système étatisé, qui n’est pas non plus la
grandes orientations de santé publique dans les autres régions. Le système de panacée pour tous les professionnels de
de la province : cela apparaît comme un santé espagnol se transforme aussi sous soins. En effet :
avantage de la régionalisation par la proxi- l’impulsion de la périphérie [19]. ● L’enveloppe santé est déterminée une
mité des intérêts de l’usager appuyée sur Le système nous apparaît ainsi avoir fois pour toutes, puis attribuée par le gou-
une légitimité démocratique. une bonne capacité de remise en cause vernement fédéral. La Région ne prend pas
Ainsi les usagers peuvent faire pression et donc d’évolutivité. le risque de lever des impôts supplémen-
pour imposer une priorité dans un domaine taires pour compléter ses ressources dans
précis : programme de vaccination contre Interrogations et réserves ce domaine, mais elle le pourrait. On se
la méningite pour les personnes âgées, Malgré l’attention affichée pour l’usa- situe donc clairement dans une régulation
par exemple. ger-« client », en particulier à travers les comptable. Le symptôme le plus évident

références
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66 adsp n° 37 décembre 2001


est l’existence de listes d’attente pour les L’organisation des urgences apparaît parfois amenées à renoncer à certains
opérations chirurgicales. d’une cohérence et d’une efficacité impar- traitements.
● Si l’usager semble avoir à sa disposi- faites. Il existe un double système de garde ● Au niveau national, une inégalité appa-
tion un système de santé globale, acces- le soir et le week-end entre les dispensaires raît entre les régions d’Espagne. Certaines
sible et de qualité [15] qui assure la con- (un de garde par secteur) et les hôpitaux. Il d’entre elles, plus riches, comme la Cata-
tinuité des soins, il peut voir sa marge de est très peu payé (environ 250 F par nuit) logne, ont la possibilité de voter un impôt
manœuvre réduite dans les CAP. Le libre et repose sur le volontariat. L’urgence est complémentaire régional pour améliorer
choix du médecin est limité. Cependant, il le seul mode d’entrée direct et rapide leur système de santé alors que d’autres
est possible à l’usager d’en changer. Cette dans l’hôpital, et les services concernés régions n’auront pas cette possibilité.
question du choix du médecin semble tou- sont dépassés par une inflation régulière Le système se remet en cause régulière-
tefois moins importante pour les usagers- des admissions. Des systèmes totalement ment et témoigne d’une capacité d’adap-
« clients » que l’accessibilité au système de privés, efficaces mais chers, se dévelop- tation et d’évolution à laquelle le niveau de
santé. L’usager catalan subit la contrainte pent, notamment pour la clientèle étran- déconcentration régional n’est à l’évidence
de devoir se rendre au dispensaire de son gère. Enfin, l’organisation des transports pas étranger.
secteur, mais en revanche le système lui est compliquée par la sous-traitance à des En tenant compte de ces forces et de
permet de se présenter à moins de gui- organismes de type Croix-Rouge. ces faiblesses, l’exemple de la Catalogne,
chets (le médecin généraliste, l’infirmière, le entre libéralisme et technocratie, peut servir
pédiatre, le radiologue sont dans le même Conclusion de base à une réflexion pour l’élaboration
lieu) que l’usager français. L’accessibilité Le système de santé catalan est l’un des d’une régionalisation du système de santé
aux soins en est accrue. La consultation systèmes de santé les moins chers et les français.
moyenne du médecin de famille est très plus performants d’Europe [2, 15], que
courte, mais elle est complétée et enrichie ce soit au niveau de la couverture des
par celle de l’infirmière. Cela permet aussi besoins ou des indicateurs de santé. Il
une prévention individuelle systématique offre une approche intégrée de la santé
qui existe peu en France. Il n’a pas d’accès allant jusqu’aux aspects de prise en charge
direct au spécialiste ni à l’hôpital, sauf en sociale et de prévention. Il promeut la santé
cas d’urgence. Dans la majorité des cas, publique [2], mais semble ne pas échapper
les dépenses pharmaceutiques restent totalement aux difficultés des systèmes
à sa charge (40 %), sauf pour certaines étatisés : accès difficile à certaines pres-
populations comme les personnes âgées tations spécialisées, lourdeurs adminis-
par exemple. Le problème de l’accessibilité tratives et réactivité aux urgences.
aux soins pour les personnes qui ne peu- La régionalisation offre ici l’avantage de
vent payer ce tiers payant se pose donc. la gestion locale d’une enveloppe globale
● La situation des médecins n’apparaît de soins contrôlée par les élus et l’admi-
Remerciements
pas favorable sous tous les aspects. Leur nistration de la région. La région paraît
En France
salaire moyen reste modeste (l’équivalent être un bon niveau pour la détermination Nous remercions les MISP de la promotion « Jacques
d’environ 15 000 F par mois, plus 1 000 F des priorités de santé, en particulier pour Brel » 1998/1999 qui ont participé à cette enquête :
s’ils participent à des objectifs de santé). y associer largement les usagers. Catherine Descamps, Dominique Delettre, René
Le système étatique est peu stimulant, il y a Les objectifs d’équité du système de Faure,Jean-Pierre Nicolas, Isabelle Nicoulet, Alain
Ohayon et Grégory Ruck, et tout particulièrement
peu d’incitations positives ou négatives. La santé catalan semblent globalement atteints
Didier Mathis.
démographie médicale galopante les met [6] et le rôle financier de la puissance publi- Nous remercions Jacques Raimondeau, responsable
en position de faiblesse. Nombre d’entre que est ici renforcé en parallèle à une libé- de la filière des MISP à l’ENSP, et Pascal Chevit,
eux sont à l’écart du système d’État et ralisation de la prestation [17, 19]. Mais les directeur de l’ENSP, qui ont soutenu ce travail.
n’ont pas de statut stable : remplacements avancées en matière d’accès aux soins et
dans les dispensaires et hôpitaux, méde- d’équité, soucis permanents en Catalogne, En Espagne
cine privée (pas du tout couverte par des semblent plutôt redevables au système de Gloria Pujol (infirmière, adjointe au directeur et res-
ponsable des relations publiques, Direcció d’Atenció
remboursements). type « National Health Service » anglais Primària, Baix de Llobregat Centre à Cornellà, Institut
● La prévention dans les structures de tempéré d’une contractualisation avec l’offre Català de la Salut), Josep Lluis Ibanez (directeur,
base reste préférentiellement individuelle ; de soins publique et privée avec « achat » Direcció d’Atenció Primària, Baix de Llobregat Centre
les professionnels de soins ne reçoivent de services et mise en concurrence. Cornellà, Institut Català de la Salut), David Gervilla
Valladolid (responsable du personnel, Direcció d’Aten-
pas vraiment de formation dans ce domaine Quelques réserves sont à faire toute-
ció Primària, Baix de Llobregat Centre à Cornellà,
et il n’y pas de temps ni de moyens spé- fois : Institut Català de la Salut), Maria Pilar Gonzàlez
cifiques impartis dans les dispensaires, ● En Catalogne, les personnes à faibles Serret (responsable de l’unité d’attention à l’usager,
encore moins d’évaluation des actions de revenus qui ne bénéficient pas de l’exoné- Direcció d’Atenció Primària, Baix de Llobregat Centre
prévention. ration du ticket modérateur pour l’achat à Cornellà, Institut Català de la Salut), Joan Parellada
Sabate (cap de Compra de Serveis, L’Hospitalet de Llo-
● Enfin, des secteurs spécifiques parais- des médicaments ne peuvent pas toujours bregat, RegiÓ sanitària Costa de Ponent, Servei Català
sent poser problème dans le paysage financer les 40 % à leur charge et sont de la Salut), Jaume Grau (directeur, Hospital Comarcial
actuel : de l’Alt Penedès, Vilafranca del Penedès).

adsp n° 37 décembre 2001 67


Source : Groupement d’études et de recherches /sous la direction Jacques Delors

Web : http://www.notre-europe.asso.fr/IMG/pdf/Ute.pdf

L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET LA POLITIQUE REGIONAL EN ALLEMAGNE


Président : Jacques Delors

L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET LA POLITIQUE


REGIONALE EN ALLEMAGNE

Vers une européanisation en douceur ?

Ute GUDER

Document de travail
Octobre 2003
ETUDE DISPONIBLE EN FRANÇAIS

© Notre Europe, octobre 2003

Cette publication a bénéficié d’un soutien financier de la Commission européenne. Cependant, elle
n’engage par son contenu que son auteur. La Commission européenne et Notre Europe ne sont pas
responsables de l’usage qui pourrait être fait des informations contenues dans le texte.

La reproduction est autorisée moyennant mention de la source.


AVANT PROPOS

L'organisation fédérale de l'Etat allemand rend les questions d'aménagement du territoire et de


développement régional d'une particulière sensibilité puisqu'elles interfèrent directement avec
la répartition des pouvoirs et des compétences entre les différents niveaux géographiques.
Notre Europe remercie Ute Guder d'avoir accepté de démêler, autant que faire se peut, cet
écheveau de responsabilités.

Les impératifs de la reconstruction après 1945, l'évolution du partage de l'espace liée à la phase
d'industrialisation qui a suivi, puis le nouveau choc de la réunification qui a ravivé la question
des disparités géographiques, n'ont pas entamé la réticence traditionnelle des allemands quant
aux interventions de l'Etat fédéral dans des domaines qui touchent à la vie, aux cultures et aux
pouvoirs locaux. La politique régionale, s'en est la mieux sortie, en s'adossant aux mécanismes
de péréquation financière entre Länder et collectivités territoriales dont la nécessité n'est pas
contestée. Elle a du cependant payer son tribut aux mécanismes complexes des "flux
réciproques" qui caractérisent la formation des consensus sous le régime du fédéralisme
coopératif.

Par contre, la politique d'aménagement du territoire, terme qui se traduit mal en allemand, n'a
pas pu, comme dans d'autres pays, prendre le train de la politique régionale et y puiser une
légitimité qui lui fait défaut. Elle en sort en assez mauvais état, incapable d'imposer des
arbitrages aux politiques sectorielles qui se disputent l'utilisation de l'espace, considérée au
mieux comme une référence rhétorique par les politiques régionales, et de surcroît
régulièrement remise en cause dans son principe même. Tout ceci n'est pas bien grave tant que
prévaut l'harmonie spatiale qui caractérise traditionnellement l'Allemagne. La chose devient
plus problématique lorsqu'elle se trouve confrontée à des déséquilibres manifestes, tels que par
exemple ceux hérités de la réunification.

Ce travail aurait un intérêt purement documentaire si l'Union européenne n'était pas sur le point
de s'engager dans la redéfinition de ses politiques structurelles et spatiales dans le cadre de
l'agenda 2007 – 2013 qui devra permettre de relever le défi de la cohésion dans une Union qui
sera élargie à 25 membres dès le début de la période. De par sa structure fédérale, l'Allemagne
constitue une référence naturelle pour la conception de ces politiques. Le paradoxe est que cette
structure fédérale en fait également l'un des Etats les plus réticents à l'intervention de l'Union
dans ces domaines, réticence qui rejoint de surcroît la dimension financière de la question, pour
laquelle l'Allemagne est aux premières loges. C'est dire si, comprendre la problématique du
débat interne allemand et la façon dont elle intègre la dimension européenne, peut être
important dans la période qui s'ouvre.

Notre Europe
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 1
Définition des termes 2

I – AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET PLANIFICATION SPATIALE EN


ALLEMAGNE 4
1.1 Historique de l’aménagement du territoire en Allemagne 4
La période de l’après-guerre 5
Les années 1960 : implications de l’état fédéral 6
De nouveaux défis à partir de 1990 7

1.2 Le système institutionnel de planification spatiale en Allemagne (Raumplanung) 7


La loi-cadre fédérale 8
Un état des lieux : le rapport sur l’aménagement du territoire 10

1.3 Quels instruments « traditionnels » au niveau des länder 12

1.4 Une compétence élargie de l’aménagement : les programmes et projets pilotes


initiés par l’état fédéral 13

1.5 Quel rôle pour la politique d’aménagement du territoire en Allemagne ? 15

II – LA POLITIQUE REGIONALE 18
2.1. Quelques éléments historiques de la politique régionale en Allemagne ? 18
2.2. L’instrument majeur : « la mission commune pour l’amélioration de la
structure économique régionale » 20
Les interventions au titre de la mission commune 21
Les conflits avec la politique européenne 22

2.3. Le système de péréquation financière avec les länder 23


Le pacte de solidarité et la loi sur les investissements : « Reconstruction Est » (Aufbau Ost) 26
2.4. Et l’aménagement du territoire ? 26

III- LA POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT SPATIAL AU NIVEAU EUROPEEN 29


3.1 L’émergence d’une politique d’aménagement du territoire au niveau européen 29
La position allemande 32

3.2 le SDEC 33
Les objectifs 34
La mise en oeuvre du SDEC 34

3.3 Quels impacts sur la politique allemande 36


3.4 Quel rôle pour la politique de développement spatial au niveau européen ? 38
3.5 Perspectives 40

CONCLUSIONS 43

BIBLIOGRAPHIE 45
INTRODUCTION

La signification de la notion d'aménagement du territoire varie selon les différents pays


européens. Lors du processus d’élaboration du Schéma de développement de l’espace
européen (SDEC), les Etats membres de l’UE se sont rendu compte qu’ils ne parlaient pas
tout à fait de la même chose. Ce ne sont pas uniquement des problèmes linguistiques qui sont
à la source de certains malentendus, les différences de conceptions sont parfois très profondes.
Elles sont d'abord le résultat de problématiques différentes relevant de la structure spatiale et
géographique des pays, mais aussi de la tradition historique, administrative et politique propre
à chacun d'eux. Les logiques de l’aménagement du territoire, le fonctionnement institutionnel
et ses instruments, ainsi que l’interprétation du terme, dépendent largement du contexte
national. Le souci fondamental est à peu près le même partout : promouvoir un
développement équilibré du territoire et corriger les disparités entre les régions. Par contre, la
manière dont la politique d’aménagement du territoire a été institutionnalisée et la façon dont
elle est mise en œuvre varient beaucoup selon les différents pays. En Allemagne, la politique
d’aménagement du territoire s’inscrit dans le cadre fédéral de l'Etat.

Au moment où l’intégration européenne se poursuit, une meilleure coordination des politiques


d’aménagement du territoire semble être devenue indispensable. Les problèmes de
l’environnement, de la densité relativement élevée de la population en Europe, sa répartition
ainsi que les migrations, les disparités économiques et sociales qui persistent entre les régions,
amènent les Etats nationaux à réfléchir de plus en plus à une échelle européenne. Après
l'ouverture des frontières à la libre circulation des personnes et des produits, l’aménagement
du territoire doit franchir davantage les frontières, lui aussi. Dans ce contexte, la coopération
transfrontalière devient de plus en plus importante. La politique régionale européenne, le
marché intérieur, les politiques structurelles communautaires et la coordination des politiques
économiques influencent de plus en plus la structure spatiale des Etats membres. Ceci a
provoqué l’ouverture d’une large discussion sur la nécessité et la possibilité d’une politique
européenne d’aménagement du territoire. 1 Lors du processus d’élaboration du SDEC,
document commun définissant les lignes directrices du développement spatial en Europe, les

1
Krautzberger, Michael : Brauchen wir noch Raumordnungspolitik ? in: Schmals, Klaus M. (Hrsg.) Was ist
Raumplanung ? Dortmunder Beiträge zur Raumplanung 89, Dortmund (1999), p. 126

1
Etats membres ont mis en place un système de coordination volontaire de leurs politiques.
Celui-ci n’est pas encore devenu très opérationnel.

Ce travail tentera de clarifier jusqu’à quel point peut aller l’engagement européen dans ce
domaine et quelles conséquences en tirer pour la politique d’aménagement du territoire
nationale allemande.

Définition des termes


La loi allemande ne définit nulle part le terme de Raumordnung (aménagement du territoire).
Selon la compréhension allemande, Raumordnung désigne une planification et une
organisation spatiale ayant une vocation de synthèse. 2 C'est à dire, qu'elle regroupe plusieurs
domaines et se réfère toujours à un territoire supérieur à la commune, en général le territoire
national ou celui d‘un Land. Le terme peut être compris soit comme description de la
structure territoriale existante, soit - dans une acception plus large - comme résumant
l’ensemble de mesures engagées pour parvenir à une structure souhaitée du territoire.
La Raumordnung définit les lignes directrices et les principes de l’organisation et du
développement d’un espace déterminé, ainsi que les mesures particulières qui sont nécessaire
à son exécution. Le trait caractéristique de l'aménagement du territoire fédéral est notamment
sa fonction de coordination et de concertation, verticale et horizontale, préalable à toute
planification. Il s’agit donc d’un domaine transversal qui est censé assurer la coordination
entre plusieurs politiques ayant un impact spatial et entre plusieurs niveaux d’administrations
chargées de l’aménagement. Mais la Raumordnung ne désigne toutefois pas les interventions
de la puissance publique pour la mise en œuvre des opérations d’aménagement, elle ne dit
rien sur l’affectation concrète de l’espace. C’est la notion de planification spatiale, la
Raumplanung (ou Landesplanung – planification des Länder) qui désigne les interventions
visant à coordonner les différentes fonctions consommatrices d’espace, au niveau du Land, de
la région et de la commune. 3

Contrairement à la conception française de l’aménagement du territoire, qui se définit avant


tout par une approche géographique, la compréhension allemande part d’une approche plus
générale. La terminologie allemande, pas plus que celle des autres langues, n’a pas été utilisé
et traduite systématiquement dans les documents officiels. L'utilisation des termes de la

2
Gatawis, Siegbert : Grundfragen eines europäischen Raumo rdnungsrechts, Beiträge zur Raumplanung und zum
Siedlungs- und Wohungsbau, Münster (2001), p. 6

2
Raumplanung et de la Raumordnung semble être indifférente mais, en général, on peut
constater une tendance à l'utilisation du terme plus global de «développement spatial » au
niveau européen et d’ailleurs de plus en plus en Allemagne.

3
I - AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET PLANIFICATION SPATIALE EN
ALLEMAGNE

Le système de planification spatiale en Allemagne se présente, par comparaison avec ceux de


ses voisins européens, comme relativement nuancé. Un bref chapitre sera consacré à son
évolution historique. Nous verrons ensuite au niveau du contenu, quels sont les orientations
globales et les principes fondamentaux de l'aménagement du territoire et de quels moyens
dispose le niveau fédéral pour influencer le développement spatial. Comme la politique
d'aménagement est fortement marquée par l'organisation fédérale de l'Etat, il conviendra de
préciser le rôle des Länder et les instruments à leur disposition. Un autre chapitre traitera du
rapport entre la politique d'aménagement du territoire stricto sensu et les planifications
sectorielles à impact spatial, notamment la politique régionale, souvent considérée étant "la
partie économique de l’aménagement". 3

1.1. Historique de l'aménagement du territoire en Allemagne

Les racines de l'aménagement du territoire remontent au début du 20ème siècle, quand il a fallu
répondre aux transformations spatiales de la période de l'industrialisation. Cette nouvelle
situation concernait les grandes agglomérations industrielles, essentiellement les régions de
Berlin et de la Ruhr, où l’implantation de nouvelles industries avait favorisé une croissance
rapide de la population et de l'espace urbanisé. Cette croissance spontanée, peu ou non
maîtrisée, a incité les responsables locaux à réagir par la mise en place d'une coordination
allant au delà des limites communales. C'est par association volontaire qu'a été créé en 1911 le
premier syndicat "fonctionnel" de planification qui a réuni Berlin et les communes de ses
environs (Zweckverband Gross-Berlin). En 1920, la région de la Ruhr a suivi l'exemple
berlinois en créant le syndicat d'agglomération du district minier de la Ruhr
(Siedlungsverband Ruhrkohlenbezirk). La coopération intercommunale se basait
essentiellement sur une conception physique de la planification spatiale, qui s'est imposée
durablement dans l'aménagement du territoire en Allemagne. 4 Lors les années 1920, d'autres

3
Toepel, Kathleen :Evaluation in der Regionalpolitik, Vierteljahreshefte zur Wirtschaftsforschung, 69. Jahrgang,
Heft 3/2000, p. 395
4
Marcou, Gérard / Kistenmacher, Hans / Clev, Hans-Günter : L’aménagement du territoire en France et en
Allemagne, La Documentation Française, Paris (1994), p. 15

4
villes et communes se sont réunies afin de mettre en place des coopérations régionales,
comme par exemple les régions de "Gross-Hamburg" ou de la "Saxe-Ouest".

L'aménagement du territoire en Allemagne a été conçu à l'échelle régionale. Son extension au


niveau national s’est faite sous le régime des nationaux-socialistes, à partir de 1935, avec la
création du Bureau Impérial d'aménagement du territoire (Reichsstelle für Raumordnung). Ses
compétences s'étendaient sur l'ensemble du territoire allemand, dictées par les besoins
d'espace correspondant aux objectifs militaires. Elles s'imposaient à toute planification
sectorielle et concernaient également des espaces de petite dimension, en faisant disparaître
l'autonomie locale. 5

La période de l'après-guerre
Au lendemain de la guerre, le besoin urgent d'une politique coordonnée pour l'ensemble du
territoire s’est fait sentir afin d’assurer la reconstruction des logements et des infrastructures.
Cependant, le concept de Raumplanung avec sa connotation national-socialiste, était
discrédité par l'action autoritaire de l'Etat durant le IIIème Reich. Au cours des années 1950, un
nouveau débat a été engagé autour d'une politique d'aménagement du territoire national. La loi
fondamentale de 1949 n’a donné qu'une compétence cadre à la Fédération en cette matière, en
laissant aux Länder la compétence pour la mise en œuvre et l'organisation. Les Länder se sont
dotés les uns après les autres de leurs propres législations, les lois de reconstruction
(Aufbaugesetze) précisant des règles applicables à la reconstruction et à la planification
régionale. Les communautés régionales ont continué à se développer sur une base volontaire.
Bientôt, la nécessité d'une meilleure coordination s'est manifesté, non seulement horizontale
(entre les Länder) mais également verticale (entre ces Länder et le niveau fédéral). En 1955,
un comité d'experts pour l'aménagement du territoire (Sachverständigenausschuss für
Raumordnung) a été créé et a recommandé en 1961 la mise en place d'une politique
d'aménagement au niveau fédéral, avec des compétences limitées. Toujours en 1955, le
comité interministériel pour l'aménagement du territoire (interministerieller Ausschuss für
Raumordnung - IMARO), rattaché au ministère de l'Intérieur, a été mis en place avec la
mission d'assurer une meilleure coordination des actions à impact spatial du gouvernement. 6

5
Marcou / Kistenmacher / Clev (1994), p. 16
6
Neumann, Wolfgang / Uterwedde, Henrik : Raumordnungspolitik in Frankreich und Deutschland, Deutsch-
französisches Institut Ludwigsburg (Hg.), Stuttgart (1994), p. 30

5
Les années 1960 : implication de l'Etat fédéral
La période de reconstruction des années 1950 a été marquée par la prédominance des Länder
dans le domaine de l'aménagement du territoire et par une progression lente et hésitante vers
une politique fédérale. Ce processus s'est achevé par l'approbation de deux lois fédérales. En
1960, la loi fédérale sur la construction a établi un lien juridique entre l'aménagement du
territoire et l'urbanisme. Puis, en 1965, la première loi cadre fédérale sur l'aménagement du
territoire (Raumordnungsgesetz ROG) a été adoptée. Elle définit les principes applicables
aussi bien à l'action de la Fédération qu'à celle des Länder. Cette loi contient en particulier
l'obligation pour les Länder d'adopter une planification de leur territoire et de préciser les
orientations pour les collectivités régionales et locales, chargées de la mise en œuvre. La loi-
cadre fédérale a également instauré la conférence des ministres de l'aménagement du territoire
(Ministerkonferenz für Raumordnung) comme instance de médiation entre l'Etat fédéral et les
Länder. Ainsi, pour la première fois, la coopération entre l'Etat fédéral et les Länder a été
institutionnalisée.

A partir de 1969, la conférence des ministres a essayé de concrétiser les principes généraux de
la loi fédérale (notamment l'équivalence des conditions de vie sur tout le territoire) par
l'élaboration d'un premier programme d'aménagement du territoire pour l'ensemble du
territoire allemand (Bundesraumordnungsprogramm-BROP), qui a été une tentative de
prolonger la planification spatiale par une planification économique et financière au niveau
national. 7 Ce programme national n’a été adopté que 7 ans plus tard, en 1975. Comme les
Länder ne sont pas parvenus à des positions communes, le processus d'élaboration a revêtu de
plus en plus un caractère technocratique et son contenu - par définition sans aucune force
juridique - est resté flou et n'a pratiquement eu aucun impact. 8 Ce programme a été la seule
tentative, à ce jour, d'assurer une coordination à la fois horizontale (entre les politique
sectorielles) et verticale (entre la Fédération et les Länder) et d'intégrer les différentes
politiques sectorielles dans un plan fédéral d'aménagement.

La période qui va de 1975 à 1990 a été marquée par une grande crise de l'aménagement du
territoire : Les approches globales, fondées sur l'analyse empirique d'un ensemble
d'indicateurs afin de parvenir à l'objectif d'équilibrage n'ont guère trouvé de soutien.
L'opposition traditionnelle entre villes et zones rurales s'étant en partie affaibli, les objectifs

7
Marcou / Kistenmacher / Clev (1994), p. 16
8
Neumann / Uterdedder (1994), p.46

6
écologiques ont gagné en résonance politique. Puis, l'aménagement du territoire s'est retrouvé
"entre les deux chaises" de la politique économique et de la politique de l'environnement. 9 Par
la suite on s'est orienté vers une conception plus libérale de l'Etat fédéral, en favorisant
davantage les initiatives des niveaux inférieurs, plus « proches du terrain », notamment le
niveau communal. Les années 1980 ont été ma rquées par ce que l'on pourrait appeler le
"réveil" des Länder. 10

Des nouveaux défis à partir de 1990


Les années 1990 ont offert de nouveaux défis pour l'aménagement : la réunification allemande
a redonné en quelque sorte une nouvelle raison d’être à la politique d’aménagement du
territoire. Le problème des disparités régionales et de l’équilibre territorial, notamment entre
les nouveaux et les anciens Länder, s’est imposé de nouveau comme sujet d'intérêt politique.
En même temps, les thèmes écologiques et environnementaux ont beaucoup gagné en
actualité. La stratégie du "développement durable", introduite par la Conférence de Rio en
1992, a fait son entrée dans l'aménagement du territoire, en devenant l’orientation principale
inscrite dans la loi cadre fédérale. Les effets de la globalisation et l'intégration européenne,
qui deviennent de plus en plus importants pour les politiques nationales, nécessitent depuis les
années 90 des réflexions et une révision, au moins partielle, des orientations et des principes
de la politique d’aménagement du territoire.

1.2. Le système institutionnel de planification spatiale en Allemagne (Raumplanung)

La planification spatiale repose sur un système hiérarchique de coordination et de prise de


décision : l'Etat fédéral définit les orientations et principes applicables à l'ensemble du
territoire, inscrites dans la loi fédérale. Sur cette base, les Länder adoptent leurs propres lois
sur l'aménagement du territoire. Ils en concrétisent les principes et définissent les objectifs
pour leur territoire dans les plans et programmes de développement du Land
(Landesentwicklungspläne / - programme). Ils définissent également la manière dont la
planification spatiale se poursuit au niveau des régions, dans les plans et programmes
régionaux de développement. Ces derniers servent ensuite de cadre pour les plans directeurs
d'urbanisme des communes qui concernent, en vertu de la libre administration communale,
l'utilisation concrète des espaces communaux. Pour cela, les collectivités locales mettent en

9
Ziele der Raumordnung und Regionalpolitik; www.regiosurf.net
10
Marcou / Kistenmacher / Clev (1994), p. 17

7
œuvre des plans d'occupation des sols (Flächennutzungsplan) qui servent de documents
préparatoires à l'élaboration des plans de construction (Bebauungsplan). Ces deux instruments
sont prévus par la loi fédérale sur la construction (Baugesetzbuch - BauGB).

L'aménagement du territoire au niveau fédéral relève de la compétence du Ministre des


transports, de la construction et du logement. De caractère informel, la conférence des
ministres de l'aménagement du territoire réunit le ministre fédéral et les ministres des Länder.
L'Etat fédéral et les Länder travaillent en étroite coopération selon le principe des « flux
réciproques » (Gegenstromprinzip), inscrit dans la loi cadre fédérale, afin d’assurer la
coordination entre tous les niveaux de planification. 11 Les décisions prises par la conférence
des ministres ont un caractère de recommandations.

Au niveau technique et scientifique, le ministère fédéral est assisté par le bureau fédéral de la
construction et de l'aménagement du territoire (Bundesamt für Bauwesen und Raumordnung),
qui dispose d’un système détaillé d’observation de l’espace et publie régulièrement un
rapport. Il apporte également un soutien technique et logistique lors de l’élaboration des
« projets modèles ». De plus, le ministère est assisté par le Conseil pour l'aménagement du
territoire (Beirat für Raumordnung), qui prend position sur les questions conjoncturelles. Il est
constitué d’experts et de personnalités qui sont nommés pour la durée d'une période de
législature.

La loi-cadre fédérale
L'article 75 de la loi fondamentale n'attribue qu'une compétence cadre à l'Etat fédéral. Ainsi la
législation fédérale doit se contenter de fixer les "orientations de l'aménagement du territoire"
(§1, Leitvorstellungen) qui fournissent les bases pour l'élaboration et les "principes" (§2,
Grundzüge) de l'aménagement, en laissant aux Länder des marges d'interprétation. La loi
fédérale de 1965 n’a été substantiellement modifiée qu’une trentaine d’années après sa
création, en 1998. La nouvelle version fait du développement durable l'unique orientation, le
leitmotiv, de l'aménagement en Allemagne. Cela implique la réconciliation des besoins
sociaux et économiques de l'espace avec ses fonctions écologiques afin de parvenir à un
équilibre durable. Le développement durable du territoire doit garantir le libre

11
le principe des "flux réciproques", inscrit dans la loi fédérale, consiste d'un côté dans l'obligation d'inscrire le
développement, l'ordre et la préservation de chaque territoire dans le cadre des exigences de l'ensemble du
territoire et de l'autre côté, l'obligation de prendre en compte lors du développement de l'ensemble du territoire la
situation des territoires inférieurs.

8
épanouissement de l’individu dans la communauté et celui des futures générations. Il doit
protéger et développer les bases naturelles de la vie, créer les conditions favorables au
développement écono mique, protéger la diversité des territoires, et y assurer des conditions de
vie équivalentes. La loi fixe également l’objectif de rétablir l’équilibre structurel et spatial
entre les nouveaux et les anciens Länder et de créer des conditions pour la cohésion
territoriale au sein de l'Union européenne ainsi que dans un espace européen plus large.

Ces principes doivent être appliqués en référence au concept de développement durable. Ils se
réfèrent à différentes catégories d'espaces ainsi qu’à certaines politiques sectorielles. Ces
principes généraux, essentiellement à portée de long terme, voire illimitées, concernent
notamment la préservation et le développement de la structure décentralisée de l’urbanisation,
en garantissant un équilibre entre zones urbanisées et zones naturelles. Les prescriptions
relatives à certaines catégories d’espaces concernent, d’une part les agglomérations urbaines,
qui doivent être préservées comme lieux centraux pour l’habitat, les services et la production,
d’autre part, les territoires ruraux, où il s’agit à promouvoir un développement endogène afin
de stabiliser l’économie et la population. Enfin la loi cadre accorde une priorité à
l'amélioration des conditions de base dans les régions en retard de développement.

Les autres dispositions de la loi se réfèrent d'une manière générale à la protection de la nature
et du paysage, et à l’objectif de parvenir à une structure économique compétitive et équilibrée.
La loi crée pour la première fois un lien entre le secteur de l’agriculture à « structure
paysanne » et sa contribution à la protection de la nature et du paysage. Concernant le secteur
du logement, elle met l’accent sur la nécessité d’une implantation des logements en fonction
des lieux de travail. Elle vise une utilisation des moyens de transport compatible avec la
protection de l'environnement (voies ferrées et navigables). Enfin, le texte législatif précise
que toute action d’aménagement doit respecter les héritages historiques et culturels des
territoires.

La nouvelle législation souligne l'importance accrue de la région comme niveau de


planification et de mise en œuvre, entre autres par l’introduction d'un nouvel instrument, celui
du plan régional d’affectation des sols (Regionaler Flächennutzungsplan), destiné à améliorer
la coordination intercommunale. Les responsables au niveau des Länder et des régions sont
appelés à intensifier leur coopération afin de pouvoir mieux assurer la mise en œuvre des
plans d’aménagement du territoire. Pour la première fois, la loi fédérale définit les

9
compétences de l’Etat fédéral en matière d’aménagement en précisant qu’il peut élaborer des
lignes directrices pour le développement du territoire fédéral et qu’il est chargé, en
coopération avec les Länder, d’assurer la coopération avec les autres Etats membres au niveau
européen.

Un état des lieux : le rapport sur l’aménagement du territoire


Le ministre chargé de l'aménagement présente régulièrement son rapport au Bundestag. Le
plus récent date de 2000 et se réfère à la période 1991 - 1998. Il fournit un état des lieux
précis des tendances du développement spatial et des mesures engagées durant cette
période :12

§ Les disparités régionales en Allemagne se sont atténuées.


Les modes de vie urbain et rural se sont rapprochés ; la migration du début des années 1990
issue notamment des Länder de l'Est s'est stabilisée, même si les pertes de population les plus
importantes sont toujours enregistrées dans les nouveaux Länder. Cette baisse de la
population concerne également les centre-villes des agglomé rations.

Le marché du travail s'est consolidé dans certaines régions aux structures précaires (taux de
chômage élevé et structure économique peu diversifiée). Il s’agit essentiellement des zones de
vieilles industries, notamment le charbon et l’acier et des zones rurales à prédominance
agricole, même si l'on constate des évolutions importantes de la politique agricole vers une
politique de développement rural. 13

Concernant le marché du travail, à part des écarts persistants entre l'Est et l'Ouest, on constate
toujours un écart Nord-Sud dans les anciens Länder, avec un taux de chômage plus élevé au
Nord. Le niveau des infrastructures est en général très élevé, les nouveaux Länder se situant

12
Bundesamt für Bauwesen und Raumordnung (BBR): Raumentwicklung und Raumordnung in Deutschland,
Kurzfassung des Bundesraumordnungsbericht 2000, Bonn (2001)
13
Empfehlung des Beirates für Raumordnung zum zukünftigen Verhältnis von Raumordnung und
Strukturpolitik, 11.12.2001, disponible sur le site www.bbr.bund.de

10
souvent à un niveau comparable à celui des anciens. 53 % des moyens financiers à impact
spatial investis par l'Etat fédéral sur la période de 1991 - 1998 ont été attribués aux nouveaux
Länder.14

§ L'harmonisation des conditions des vies sur tout le territoire n'est pas encore atteinte.
Notamment les régions rurales et périphériques montrent encore des faiblesses, ce qui ne veut
toutefois pas dire qu’elles soient défavorisées. Le rapport précise qu’il y est important de
trouver le "bon mélange" entre les facteurs économiques "durs" (notamment les
infrastructures de transport) et les facteurs sociaux, écologiques et culturels "doux" (la qualité
de l'environnement, les potentiels pour les loisirs) qui favorisent l'implantation d'activités. Les
régions rurales à faible densité de population, éloignées d'une ville importante ou situées près
de la frontière, sont particulièrement touchées par cette problématique (notamment le Nord-
Est).

Dans les agglomérations, on constate une augmentation des nuisances. En ce qui concerne les
zones rurales, le rapport propose un renforcement du potentiel (par exemple la qualité de
l'environnement), considérant la nature, le paysage et le développement d'un "tourisme doux"
comme opportunités de développement.

§ Le système polycentrique des villes garantit la compétitivité du "Standort Deutschland"


Les fonctions de métropole sont réparties sur plusieurs grandes villes, qui se sont spécialisées
dans certains secteurs. Cette structure de la "concentration décentralisée" s'est révélé efficace
pour un développement équilibré du territoire. Elle assure l'accès aux équipements pour
l'ensemble de la population et elle s'appuiera également à l'avenir sur la diversité au lieu de
promouvoir un centre unique supérieur.

§ La croissances des villes vers leur périphérie se poursuit


Le rapport constate la poursuite des flux migratoires venant des centres villes-vers les
périphéries urbaines. Ceci concerne notamment la population d’âge moyen (entre 30 et 45
ans) aussi bien que les entreprises de production, les services et les commerces. Les tendances
à la « suburbanisation » accélèrent la consommation d'espace, entraînent une augmentation de

14
L'Etat a contribué notamment au financement des projets d'infrastructure routière, au soutien économique
(notamment en faveur des PME), à différentes mesures en faveur des villes (urbanisme et construction de
logements), à la création de pôles universitaires et de recherche et à des mesures de soutien dans les domaines de
l'agriculture et de l'environnement.

11
la circulation routière et rendent difficile le développement des centres villes. La politique
d'aménagement en Allemagne favorise le modèle des "villes de petites distances" : afin de
réduire les nuisances de la circulation individuelle, l'urbanisation doit se concentrer sur les
points les mieux desservis par les transports publics. En même temps, il faut renforcer les
centres villes, au moyen de programmes tels que "la ville sociale", lancé par l'Etat fédéral et
les Länder.

1.3. Les instruments "traditionnels" au niveau des Länder

La loi fédérale impose aux Länder l'élaboration d'un plan de développement pour l'ensemble
de leur territoire, en laissant une large liberté pour l'organisation et la mise en œuvre du
contenu. Dans cette organisation, la compétence clé en matière d'aménagement du territoire
relève du niveau des Länder, qui définissent les objectifs concrets de l'aménagement 15 .

La plupart des Länder ont actualisé leurs plans et programmes d'aménagement du territoire
lors des années 90 et les nouveaux Länder en ont adopté pour la première fois. Leur contenu
est concrétisé et complété par des plans régionaux qui couvrent en général le territoire de
plusieurs Kreise. Dans les anciens Länder, les plans régionaux couvrent presque l'ensemble
du territoire, ce qui n'est pas encore le cas pour les Länder de l'Est.

Les plans qui relèvent de la compétence des Länder (y compris le niveau régional)
comportent les instruments les plus importants de l'aménagement du territoire.
- Ils sont fondés sur un système des "lieux centraux" qui sert de base pour la localisation
des services publics, les projets d'aménagement à impact spatial, comme par exemple la
localisation des commerces à grande surface. Ils constituent également la base pour la
définition de la péréquation communale à l'intérieur du Land, pour l'attribution des
subventions publiques et pour la mise en place des infrastructures de transport. Dans les
zones rurales à faible densité, les lieux centraux assurent un équipement minimum en
matière de services publics afin de réduire l'exode des personnes vivant dans ces régions.

- Ils fixent les axes de développement pour la concentration des infrastructures (transports
et autres) et des zones urbanisées. Ainsi, le système des axes est destiné à organiser la

15
Akademie für Raumordnung und Landesforschung (ARL) (Hrsg.): Handwörterbuch der Raumordnung,
Hannover (1995), p. 784

12
croissance urbaine dans les agglomérations et renforce les potentiels de développement
dans les zones rurales.

- Enfin, ils déterminent des « zones d'affectation prioritaire » (Vorraggebiete), dédiées à


certains utilisations de l’espace, comme la protection de la nature et du paysage, les
loisirs, l’agriculture ou la protection des matières premières.

La nouvelle version de la loi fédérale vise notamment à intensifier la coopération


interrégionale par l'introduction d'un instrument nouveau, le plan régional d’occupation des
sols. Les responsables pour l'aménagement du Land et de la région sont obligés de procéder à
une meilleure concertation entre tous les acteurs - publics et privés - concernés lors de
l'élaboration des plans de développement. 16

Ce système d’organisation de plans et programmes aux différents niveaux de planification a


été complété dernièrement par de nouveaux instruments informels et volontaires afin de
permettre une réaction plus souple au changement. Par exemple le schéma de développement
régional (Regionales Entwicklungskonzept REK), qui est un outil à l'aide duquel les différents
groupements d'intérêts et le secteur public se mettent d'accord sur des objectifs et des actions
concrètes. Ces nouveaux instruments se voient attribuer une importance accrue. 17

1.4. Une compréhension élargie de l'aménagement : Les programmes et projets


pilotes initiés par l'Etat fédéral

Au delà des missions «traditionnelles » (cadre d'orientation, principes et lignes directrices,


organisation institutionnelle), la fonction d'aménagement évolue de plus en plus vers une
compréhension davantage orientée vers la mise en œuvre des objectifs et les approches
innovantes. Le nouveau mot d'ordre est « davantage d'actions et de projets au lieu de
programmes et de plans ». 18 Avec ses « projets pilotes d'aménagement du territoire »
(Modellvorhaben der Raumordnung), le ministère fédéral chargé de l'aménagement du
territoire incite et soutient la mise en œuvre d’approches et d'instruments innovants en
apportant son soutien financier et en assurant un accompagnement des initiatives et projets par

16
BBR (2001) : Kurzfassung des Raumordnungsberichts 2000, p. 43
17
BBR (2001) : Kurzfassung des Raumordnungsberichts 2000, p. 44
18
www.bbr.bund.de

13
le Bureau fédéral de la construction et de l'aménagement du territoire. Le rôle de ce dernier
est de choisir des approches prometteuses qui deviendront des modèles, de les accompagner,
d'en tirer des conclusions applicables à d'autres projets et, sur cette base, de donner des
conseils pour des modifications du cadre général fixé par l'Etat. La réalisation de ces « projets
pilotes » est coordonnée avec les Länder qui apportent également une participation
financière. 19

Les « projets pilotes » relèvent pour une part de sujets spécifiques comme la création de
réseaux de villes ou des stratégies pour une utilisation moins consommatrice d’espace. D’un
autre côté, vu que les tâches de planification dépassent aujourd'hui les frontières communales,
les « projets pilotes » essayent d'explorer des modes et des processus de coopération entre
collectivités locales qui se trouvent souvent en concurrence pour attirer certaines utilisations
d'espace.

Deux nouveaux programmes, lancés conjointement par l’Etat fédéral et les Länder, se
concentrent sur des problématiques fortes des villes: Le programme contre l’exclusion sociale
et territoriale dans les villes, intitulé « la ville sociale » (Die Soziale Stadt), a été lancé par le
Bund et les Länder dès 1996. Il est destiné à éviter la polarisation des villes en soutenant
les« quartiers avec besoins spécifiques de développement ». 20 L’autre programme important,
intitulé « réaménagement Est » (Stadtumbau Ost), lancé en 2002 par le ministère fédéral,
concerne la situation de déclin démographique et de sous utilisation du parc de logements
auxquelles sont confrontées les villes des nouveaux Länder. Dans un premier temps, le
ministère a organisé un concours fédéral concernant l’élaboration de stratégies intégrées pour
le développement urbain, qui permettront ensuite aux villes de bénéficier des subventions
issus du programme fédéral. Les moyens financiers attribués à ce programme s’élèvent à 2,7
milliards d’euros, dont 1,2 milliards financés par l’Etat, pour la période de 2002 à 2009. 21

19
www.bbr.bund.de
20
Jusqu’en 2002, 767 millions d’euros ont été mobilisés par le Bund, les Länder et les communes. Les résultats
de la première étape de ce programme ont été publiés dans le rapport : Deutsches Institut für Urbanistik (Hrsg.) :
Die Soziale Stadt – eine erste Bilanz des Bund-Länder Programms « Stadtteile mit besonderem
Entwicklungsbedarf – die soziale Stadt, Berlin, mai 2002
21
Les résultats du concours « Stadtumbau Ost « ont été publié dans le rapport : Bundsministerium für Verkehr,
Bau- und Wohnugnswesen : Dokumentation zum Bundeswettbewerb «Stadtumbau Ost » - für lebenswerte
Stâdte und attraktives Wohnen, Bonn, mars 2003

14
Par la focalisation sur le niveau de la mise en œuvre, l’Etat fédéral, à travers le ministère
chargé de l’aménagement, montre davantage présence en attirant l’attention sur les
problématiques fortes d’aménagement et sur le renforcement de la coopération entre les
régions, les villes et les communes. Les activités diverses des dernières années ont suscité
beaucoup d’intérêt et ont démontrés de grands progrès à ce niveau.

1.5. Quel rôle pour la politique d'aménagement du territoire en Allemagne ?

Au cours des années 1950 et 1960, au moment du développement d'une politique


d'aménagement du territoire au niveau fédéral, l'ancienne République Fédérale disposait d'un
niveau élevé d'industrialisation et d'une structure polycentrique assez équilibrée. Cette
situation de départ, combinée avec le refus général de toute planification dirigée par l’Etat,
s'est traduit par une politique d'aménagement du territoire indicative et peu volontariste.

Le système fédéral de planification est organisé sur plusieurs niveaux avec une multitude
d'implications verticales et horizontales dont les mécanismes de coordination sont en gé néral
orientés vers le consensus. Il vise en particulier l’organisation de la coordination : verticale,
sous forme du système des « flux réciproques » et horizontale, c’est à dire avec les politiques
sectorielles. La coordination verticale entre le Bund, les Länder, les régions et les communes
permet l’élaboration d’un ensemble de plans très cohérents, couvrant systématiquement
l’ensemble du territoire. Concrètement, dans son sens le plus étroit, "il s’agit d’une
planification physique des utilisations de l’espace, c’est, littéralement, une « mise en plan »
des différentes occupations concurrentes d’un espace défini et limité, et elle recourt,
d’ailleurs, largement aux documents graphiques et cartographiques dans son expression ». 22

La coordination horizont ale reste cependant un point faible : Les objectifs globaux sont
définis à long terme et restent assez généraux, ce qui rend difficile leur application aux
politiques sectorielles, dont l’intervention concerne des projets plus concrets. Pour mieux faire
valoir les objectifs d’aménagement, il faut que les orientations et principes soient précisés,
notamment l’orientation principale du principe du développement durable, qui en soi, sans
concrétisation ou précision sur son application opérationnelle, n’apporte que peu d’éléments à
la concertation entre politiques sectorielles.

22
Marcou / Kistenmacher / Clev (1994), p. 10

15
Pour l'opinion publique, la notion d'aménagement est souvent assimilée à celle de
« réaménagement », visant à créer une nouvelle organisation spatiale. Cela suppose que des
déficits structurels d’espace existent, afin de pouvoir réorienter la structure existante de façon
plus « équilibrée ». En France, par exemple, le déséquilibre manifeste entre Paris et la
Province (« Paris et le désert français ») a toujours fonctionné comme point de départ pour
des interventions volontaristes en matière d'aménagement du territoire. L’ancienne
République Fédérale, par contre, dispose d’une structure spatiale équilibrée et la politique
d’aménagement du territoire perd en dynamique. La préservation et le renforcement de la
structure existante ne sont pas considérés comme le résultat de la politique d’aménagement..
Depuis la réunification, la réduction des disparités entre l’Est et l’Ouest domine toutes les
politiques allemandes, mais la politique d’aménage ment en soi reste relativement « discrète »
par rapport aux autres, notamment les politiques qui engagent des transferts financiers
considérables vers les nouveaux Länder. Il faut pourtant reconnaître que les orientations
globales et les dispositifs de la loi cadre fédérale ont su renforcer le système polycentrique
allemand, par contraste avec le développement spontané dans les nouveaux Länder à partir de
1990. Les communes de l’ancien RDA sont entrées très vite dans uns situation de concurrence
pour la consommation d’espace (notamment pour rechercher des recettes fiscales), avant que
les responsables de l’aménagement ne soient en mesure de fournir un cadre cohérent pour le
développement régional. 23

Pourtant, le terme d’aménagement du territoire n’apparaît que peu dans la vie politique ou
dans les médias et il n’y a pas en Allemagne un ministère dénommé « ministère de
l’aménagement du territoire ». Ce portefeuille, formant un département auprès du ministère
des transports, de la construction et du logement, est souvent perçu comme une politique
complémentaire, à l’ombre des politiques sectorielles.

Pour renforcer le rôle de l’aménagement du territoire, la politique fédérale doit s’orienter


davantage sur les instruments et les processus de mise en œuvre des objectifs spatiaux.
L’intérêt accru accordé aux régions et aux nouvelles procédures de planification vont dans
cette direction et montre bien la transition de la Raumordnung au sens étroit vers une
approche plus nuancée et stratégique de la Raumentwicklung, du développement de l'espace,
et vers la mise en œuvre de programmes, stratégies et projets Un bon exemple a été

23
Müller, Bernhard : Stand und Erfahrungen der Regionalplanung in den ostdeutschen Ländern, in : Institut für
Stadtebau (Hg.) : Regionalplanung – Sachstand und Perspektiven, Berlin (1998), p. 35

16
l’exposition internationale de la construction (IBA) « Emscher Park », qui a réuni une
panoplie de projets ayant tous pour objet le renouvellement écologique et économique d’une
ancienne région industrielle. 24 Les projets pilotes favorisés par l’Etat fédéral, soutiennent
également les approches régionales ou thématique et visent notamment la mise en place de
nouvelles structures de coordination intercommunale et interrégionale.

Ces nouvelles orientations ne remettent en question ni la nécessité d’une planification au


niveau supérieur, ni les instruments traditionnels. La question est de savoir comment se
positionnera dans l’avenir la politique na tionale entre, d’un côté les tendances à la
régionalisation et l’opérationnalité, et de l’autre côté, l'européanisation de l'espace.

24
l'exposition internationale de la construction « IBA Emscher Park » a été organisé entre 1989 et 1999 en
s'étendant sur environ 120 lieux et projets différents dans la région de la Ruhr. L'objectif a été d'améliorer la
qualité de vie et de l'habitat, de contribuer à la restructuration économique de cette région d'anciennes industries
par des projets architecturaux, urbains, sociaux et écologiques afin de parvenir à une structure durable pour son
développement dans l'avenir.

17
II - LA POLITIQUE REGIONALE

Afin d'assurer la coordination prévue par la loi cadre fédérale, les politiques sectorielles
doivent prendre en considération les orientations de l'aménagement du territoire dans leurs
objectifs et programmes et respecter les objectifs inscrits dans les plans de développement des
Länder. 25 En l’absence d’un budget propre, le rôle de la politique d’aménagement du territoire
consiste à orienter, influencer et coordonner les politiques sectorielles et à mettre en œuvre les
objectifs d'aménagement à travers celles-ci. Par conséquent, ce n'est pas la politique
d'aménagement du territoire elle- même, qui agit sur l'espace, mais les politiques sectorielles.
Les discussions et controverses politiques sur le développement spatial concernent des
domaines comme l’urbanisme, la croissance urbaine, la politique régionale, les transports ou
encore la fiscalité foncière. De plus, depuis un certain temps, la politique de l’environnement
remplit des fonctions, qui auparavant, faisaient partie des préoccupations de la politique
d’aménagement du territoire. 26

La politique régionale allemande, par sa nature redistributive, influence fortement le


développement spatial. Elle est souvent considérée comme étant le volet économique de
l'aménagement du territoire. 27 Après une brève présentation historique, sera examiné
l'instrument majeur, la « mission commune » de l'Etat fédéral et des Länder intitulée
« l’amélioration de la structure économique régionale ». Ensuite, le système allemand de
péréquation financière sera esquissé brièvement, qui, bien que peu associé à l’aménagement
du territoire , remplit une fonction importante d’équilibrage territorial.

2.1. Quelques éléments historiques de la politique régionale en Allemagne

La réticence envers une politique fédérale d'aménagement du territoire durant la période de


l'après-guerre ne signifie pas que l'Etat n'a pas du tout agi en faveur d'un développement
spatial : ses activités de soutien financier étaient notamment ciblées sur la reconstruction des
régions et villes sinistrées par la guerre ainsi que sur les régions situées le long de la frontière
de l'Est, avec la RDA et la Tchécoslovaquie. Le premier programme de politique régionale en

25
Marcou / Kistenmacher / Clev (1994), p. 116
26
Krautzberger (1999), p.125
27
Toepel, Kathleen (2000), p 395

18
faveur des « régions sinistrées » à été lancée en 1951, suivi, en 1953, par un programme
particulier de soutien des régions situées le long de la frontière Est (Zonenrandgebiete).
Parallè lement, les Länder ont mis en place leur propre politique en faveur de certaines zones
défavorisées. La politique régionale de cette époque a été menée en l'absence d'une politique
nationale d'aménagement du territoire. Au cours des années 1950, elle était caractérisée par la
coexistence de programmes initiés par le niveau fédéral et de ceux engagés par les Länder.

Au début des années 1960, le manque de cohérence entre les programmes nationaux et ceux
des Länder est apparu de plus en plus problématique. Comme l'Etat fédéral et les Länder
n’ont guère coordonné leurs priorités d'intervention, la politique régionale n'avait que peu de
rapport à l'ensemble du territoire national. 28

La récession des années 1960 a fait apparaître des déficits structurels dans d'autres zones que
celles bénéficiant traditionnellement des aides d'Etat. Jusque là, seules les zones rurales et
périphériques étaient visées. Mais les régions des industries minières se sont vu confrontées à
davantage de problèmes structurels. Cet élargissement de la problématique a entraîné une
volonté accrue de coopération de la part des Länder. Elle a abouti à la création des
programmes d'action régionaux qui ont regroupé pour la première fois les moyens financiers
des Länder et de l'Etat fédéral. 29

A la fin des années 60, quand les disparités économiques entre les régions d'Allemagne se
sont aggravées, la révision de la loi fondamentale de 1969 a introduit l'instrument majeur de la
« mission commune pour amélioration de la structure économique régionale » (Gemein-
schaftsaufgabe Verbesserung der regionalen Wirtschaftsstruktur »), issu des expériences des
programmes d'action régionaux. Désormais, il s'agissait d'une politique régionale menée et
financée conjointement par l'Etat fédéral et les Länder. Juridiquement, la politique régionale
relève de la compétence des Länder, l'Etat fédéral y apporte un concours financier.
Néanmoins, l'Etat est en mesure d'exercer une influence en déterminant les objectifs globaux,
en fixant le montant des moyens accordés ains i qu’en définissant les instruments à mettre en
œuvre et les critères d'éligibilité. 30

28
Neumann / Uterwedder (1994), p. 47
29
Toepel, Kathleen (2000), p 396
30
Marcou / Kistenmacher / Clev (1994), p. 242

19
La réunification allemande et le processus de transformation qui a suivi ont modifié
profondément la donne. Les nouveaux Länder et l'objectif d'harmonisation des conditions de
vie se trouvent au centre d'intérêt de la « mission commune ». Dix ans après la chute du Mur
de Berlin, malgré la forte concentration des programmes d'aides d'Etat sur les nouveaux
Länder, le processus de rattrapage économique n'est pas encore achevé. 31 Cette situation
exceptionnelle a amené la politique régionale à intervenir sur « deux niveaux » : Les
disparités prédominantes entre l’Ouest et l’Est cachent souvent celles qui persistent à
l’intérieur des régions de l’Ouest ou de l’Est, car les problèmes structurels des régions des
Länder de l'Ouest n'ont pas disparu, parfois ils se sont même aggravés. 32

2.2. L'instrument majeur : la « mission commune pour l'amélioration de la structure


économique régionale »

La « mission commune » prévoit que l'Etat fédéral et les Länder élaborent conjointement un
plan cadre qui est révisé annuellement. L’élaboration de ce plan cadre constitue la tâche
principale du comité de planification (Planungunsausschuss), constitué des ministres fédéraux
de l'économie et des finances ainsi que des ministres de l'économie des Länder responsables
de la politique régionale, sous la direction du ministre fédéral de l'économie. La parité au sein
du comité de planification impose une procédure fortement consensuelle. 33 Le Bundestag fixe
préalablement le montant de la contribution globale de l'Etat fédéral dans le cadre de la loi de
finances annuelle, qui sera complétée par la contribution des Länder. Le comité de
planification décide ensuite de la répartition de l’enveloppe entre les différents Länder.

Le plan cadre comporte la délimitation des zones éligibles, les objectifs globaux, une liste des
mesures et les moyens budgétaires pour chaque Land et chaque année. Le plan cadre en cours
est le 31ème, il a été arrêté en novembre 2001 et concerne la période allant de 2002 à 2005. 34

31
Pour la période de 1991 à 2001, les aides payées au titre de la "mission commune" (le cofinancement national
pour les aides payées au titre du programme européen FEDER inclus) se sont élevé à 30,9 milliards d'euros, dont
presque 90 % ont été attribués aux nouveaux Länder. ; Röhl, Klaus-Dieter : Regionalförderung in Deutschland :
was hat der ostdeutsche Mittelstand davon ?, p.2
32
Deutscher Bundestag : 31. Rahmenplan der Gemeinschaftsaufgabe "Verbesserung der regionalen
Wirtschaftsstruktur für den Zeitraum 2002 bis 2005, p 8
33
Marcou / Kistenmacher / Clev (1994), p.242
34
31ème plan cadre de la mission commune

20
Les interventions au titre de la mission commune
La « mission commune » mène deux types d'actions : d'une part elle attribue des aides directes
aux entreprises qui investissent dans les zones éligibles, sous forme de subventions
d'investissement, de prêts, de bonifications d'intérêts et de garanties d'emprunt. D'autre part,
elle assure des aides indirectes pour le financement des infrastructures nécessaires au
développement des entreprises.

Les aides sont assurées conformément à trois objectifs fondamentaux:


- L'objectif de croissance : Le soutien de la croissance économique;
- L'objectif de stabilité : le développement des potentiels endogènes des régions;
- L'objectif d'équilibre : la réduction des disparités régionales, en particulier au niveau des
35
revenus et des équipements.

Ces aides ne peuvent être attribuées qu'à des régions nettement en dessous de la moyenne
fédérale. Seules les aides indirectes peuvent être attribuées en dehors du zonage. Avant 1990,
trois catégories de zones étaient éligibles aux programmes de la « mission commune »: (1)
Berlin et les zones situées le long de la frontière Est, (2) les zones rurales en déficit structurel,
(3) les zones en reconversion industrielle. La troisième catégorie a gagné progressivement de
l'importance par rapport aux zones rurales.

Après la réunification, les nouveaux Länder et Berlin- Est y ont été ajoutés, dans un premier
temps pour une période de 5 ans. 36 Aujourd'hui l'ensemble des nouveaux Länder fait toujours
partie des zones éligibles, ce qui a été confirmé par le comité de planification de mars 1999. A
l'intérieur des nouveaux Länder, le montant des aides est pondéré en faveur des régions les
plus faibles. Les territoires des nouveaux et des anciens Länder sont toujours évalués
séparément afin d’éviter que les anciens Länder perdent toute éligibilité.

La carte des zones éligibles est révisée tous les trois à quatre ans. Le zonage se base sur une
gamme d'indicateurs régionaux, qui incluent des données relatives au marché de travail, aux
revenus et à l'équipement. La dernière délimitation remonte au 1er janvier 2000. 37

35
Neumann / Uterwedder (1994), p. 47
36
traité de l'unification 1990, art.
37
La population des nouveaux Länder, entièrement éligibles au programme de la "mission commune",
représente 17,16 % de la population allemande (chiffres du 31.12.1997). Dans les anciens Länder, les zones
aidées représentent 17,73 % de la population allemande.

21
Les conflits avec la politique européenne
Les aides accordées aux entreprises au titre des politiques régionales des Etats membres sont
soumises au contrôle de la Commission européenne qui veille à ce qu'elles soient conformes
aux règles du marché unique et aux dispositifs de la politique de concurrence. Les Etats
membres ont l'obligation d'informer la Commission de chaque modification de leur
programme. Aucune mesure ne peut être engagée sans accord de la Commission.

La délimitation des zones éligibles nécessite également l'accord de la Commission, qui, dans
ses lignes directrices relatives aux aides à finalité régionale, fixe un plafond nationa l (la part
de la population qui vit dans les zones éligibles par rapport à la population totale). Depuis
janvier 2000, les zonages et les systèmes d'aides doivent être conformes aux lignes directrices
de la Commission.

En principe, l'Etat fédéral et les Länder approuvent les orientations européennes. Les
Allemands ont toutefois fait des critiques en souhaitant préserver une marge de manœuvre
autonome, car les lignes directrices vont trop loin dans les détails. 38 Au centre de la critique
allemande se trouve la procédure employée par la Commission pour fixer le plafond des zones
éligibles dans les Etats membres. Afin de maintenir le plafond global de 42,7 % de la
population pour l'ensemble de l'UE, l'augmentation du plafond octroyé à certains Etats
membres a entraîné sa réduction dans d’autres, dont l'Allemagne, exclusivement au détriment
les anciens Länder. 39 L'Allemagne s’est opposée à une telle réduction et a fait appel auprès de
la Cour européenne de Justice, car, selon le comité de planification, cette décision va à
40
l'encontre des besoins en Allemagne de l'Ouest.

En ce qui concerne la coordination avec la politique régionale de l’UE et la réforme des fonds
structurels pour la période après 2006, la proposition allemande favorise un système de
péréquation financière (Nettofonds), fondé sur un critère d'éligibilité calculé sur le niveau du
PIB national au lieu du PIB régional. 41 Ce modèle ferait bénéficier uniquement les Etats

38
31ème plan cadre de la mission commune, p. 25
39
Après la réduction du plafond en 2000, le taux de la population vivant dans les zones éligibles a été ramené de
23,4 % à 17,6 %.
40
31ème plan cadre de la mission commune, p. 17/18
41
Emmerling, Thea : von der Strukturpolitik zum europäischen Finanzausgleich ?, Centrum für angewandte
Politikforschung, Münschen (2002)

22
membres les plus pauvres des fonds structurels européens. En contrepartie, la position
allemande réclame une marge de manœuvre plus grande soit laissée aux Etats pour intervenir
au titre de la politique régionale nationale. Ce modèle de péréquation entraînerait une baisse
de la contribution nette allemande au budget de l'UE. 42 C'est pour cette raison que la position
de l'Etat fédéral est également soutenue par les Länder « riches ». La conférence des ministres
présidents des nouveaux Länder plaide, par contre, pour le maintien de l'approche européenne
régionale, au moins jusqu'à ce que la question des compensations nationales pour perte
d'éligibilité soit réglée définitivement. 43

2.3. Le système de péréquation financière entre les Länder

La péréquation financière représente un instrument majeur de la politique d'équilibrage et de


l’organisation de la solidarité des Länder allemands. Il s’agit d’un système de redistribution
équilibrée des recettes fiscales aussi bien verticale qu'horizontale, c'est à dire, d'une part entre
l'Etat fédéral et l'ensemble des Länder et d'autre part entre les différents Länder. Les
mécanismes sont définis par l'article 107 de la loi fondamentale et se justifient par l'objectif
d’harmonisation des conditions de vie dans tous les territoires, défini par cette même loi44 ,
constituant également le principe de base de l'aménagement de territoire. L'objectif de cette
redistribution est que tous les Länder et toutes les communes soient en mesure de proposer à
leurs citoyens des prestations publiques de quantité et de qualité comparables.

La péréquation financière s’effectue en plusieurs étapes : La réforme fiscale de 1969 a


instauré un système d’impôts communs d’un côté, et d’impôts séparés pour le Bund et les
Länder de l’autre. La péréquation primaire consiste à répartir les impôts communs entre l'Etat
fédéral et les Länder (et communes): il s'agit de l'impôt sur les revenus (Einkommenssteuer),
la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux (Zinsabschlagsteuer), de l'impôt sur les sociétés
(Körperschaftssteuer) et de l’impôt sur le chiffre d'affaires, la TVA (Umsatzsteuer). Plus de
85% des recettes fiscales des Länder proviennent de leur participation au produit des impôts

42
Arnaud, Jean-Louis / Guder, Ute : compte rendu du séminaire : Quel avenir pour les fonds structurels et la
politique de cohésion, organisé par Notre Europe, février 2002
43
Position der Landesregierung Mecklenburg-Vorpommern : Zukunft der EU-Strukturpolitik nach 2006, p. 3
44
Edith Müller (Landtag NRW): Die Neugestaltung des Länderfinanzausgleiches: Überlegungen zu einer grünen
Positionierung, 11.12.2000

23
communs 45 . Les quote-parts de l’Etat fédéral et des Länder sont repartis comme suit au 1er
janvier 2002:46

Etat fédéral Länder Communes


impôt sur le chiffre d'affaires 49,6 % 50,4 %
(TVA)
impôt sur les sociétés 50 % 50 %
impôt sur les revenus 42,5 % 42,5 % 15 %
impôt sur les revenus de 44 % 44 % 12 %
capitaux

La péréquation secondaire, la "véritable péréquation entre les Länder", concerne la répartition


du produit de la TVA et se fait en deux étapes : dans un premier temps, au moins 75% des
recettes fiscales de l'ensemble des Länder sont distribués en fonction du nombre d'habitants,
le solde, soit au plus 25 %, est utilisé pour amener les Länder, dont les ressources fiscales par
habitant sont inférieures à la moyenne, à un niveau de 92 % de la moyenne. Puis, la
péréquation au sens strict s'y ajoute (la péréquation horizontale) afin de corriger les inégalités
de potentiel fiscal au regard des besoins à satisfaire : après comparaison des recettes fiscales
et des besoins financiers de chaque Land, ceux qui se trouvent en dessous de la moyenne sont
amenés à un niveau de 95 % de la moyenne de tous les Länder. 47 Ce calcul inclut les
dispositifs spécifiques pour les charges portuaires des Länder du littoral (Hambourg, Brême,
Mecklembourg Poméranie Antérieure, Schleswig-Holstein) et prend en compte les besoins
spécifiques des villes-Etats (Stadtstaaten: Berlin, Hambourg, Brême).

Ce système est complété par un mécanisme vertical : L'Etat verse des subventions
complémentaires (Ergänzungszuweisungen), par lesquelles le potentiel financier par habitant
des Länder les plus pauvres est élevé à un niveau de 99,5 % de la puissance financière
moyenne de l'ensemble des Länder. Ces subventions complémentaires bénéficient notamment
aux petits Länder, qui compensent ainsi leurs dépenses administratives relativement élevées
par rapport à leur petite taille, ainsi que les nouveaux Länder qui reçoivent une

45
Marcou, Kistenmacher, Clev (1994), p. 191
46
Lenk, Prof. Dr. Thomas, Universität Leipzig, 2002
47
On y compare un indice de produit fiscal (Finanzkraftzahl), qui intègre 50 % du produit fis cal perçu par les
communes et un indice de péréquation (Ausgleichsmesszahl), qui reflète le niveau des besoins, calculé sur la
base du nombre d'habitants.

24
compensationpour les charges supplémentaires dues à la séparation allemande. Les plus
pauvres parmi les anciens Länder bénéficient d'une dotation supplémentaire dégressive. 48

L'ensemble de ces dispositions a pour effet que les inégalités de ressources entre les Länder
sont compensées presque entièrement. La péréquation horizontale représente alors un transfert
net des Länder riches vers les plus pauvres. Toutefois, le montant des subventions
supplémentaires attribuées dans le cadre de la péréquation verticale par l'Etat fédéral aux
Länder atteint un niveau plus élevé que celui de la péréquation horizontale entre les Länder. 49

Le système de péréquation financière semblait être plus ou moins intouchable, même si la


répartition des recettes fiscales donnait régulièrement place à des négociations âpres entre
l'Etat fédéral et les Länder, notamment depuis que les nouveaux Länder ont été intégrés au
système en 1995, ce qui a transformé la situation de certains anciens Länder devenus
contributeurs, alors qu’auparavant ils étaient bénéficiaires. En 1999, la Cour fédérale de
justice a dû trancher sur ce sujet, car des Länder contributeurs 50 ont mis en question certains
aspects de ce système de redistribution. Les points forts de leur critique ont été que le système
actuel ne donnait de motivation, ni aux bénéficiaires ni aux contributeurs, à la performance et
à la mobilisation des ressources propres mais que, au lieu d'illustrer une politique fiscale
innovante et réussie, celle-ci était même pénalisée. Suite à la décision de la Cour de Justice, le
gouvernement a été obligé de réviser et de renégocier certaines parties du système de
péréquation. En 2001, on est parvenu à un compromis qui prévoit de modifier certains calculs
de base de redistribution. Les Länder contributeurs pourront désormais garder une plus grande
partie de leurs recettes fiscales, sans toutefois que le système de solidarité territoriale soit mis
en question.

Les communes se voient attribuer une quote-part des impôts communs, fixée par la loi
fédérale. A leurs recettes, provenant également des impôts et taxes locaux, s’ajoutent des
sommes provenant d’un fonds de péréquation géré au sein de chaque Land. 51

48
Bundesregierung: Der Länderfinanzausgleich und wie er funktioniert, site du gouvernement allemand :
www.bundesregierung.de
49
En 2000: 22,064 milliards DM reparties dans le cadre de la péréquation horizontale, 26,091 milliards DM de
subventions complémentaires de l'Etat fédéral, dont 14 milliards DM en faveur des nouveaux Länder.
Bundesministerium der Finanzen: Steuern und Bundesergänzungen 1995 - 2000,
www.bundesfinanzministerium.de
50
la Bavière, le Hesse et le Bade-Wurtemberg
51
Hergenhan, Jutta : le fédéralisme allemand et la construction européenne, Notre Europe : problématiques
européennes n°5, janvier 200

25
Le pacte de solidarité et la loi sur les investissements "Reconstruction Est" (Aufbau Ost)
La réunification a crée un déséquilibre régional d’une ampleur jusqu’alors inconnue. Plus de
10 ans plus tard, les disparités économiques et sociales persistent, bien qu’elles soient
réduites. Le compromis entre le gouvernement et les Länder sur la péréquation financière
inclut également un accord sur le montant des aides supplémentaires qui seront attribuées aux
nouveaux Länder pour la période 2005 - 2019. Le premier pacte de solidarité (1995 - 2004)
sera poursuivi par une deuxième édition, le pacte de solidarité II, qui assurera l'attribution de
subventions supplémentaires pour les Länder de l'Est jusqu’en 2019. 52 Après cette échéance,
le système de péréquation financière sera renégocié pour s'intégrer à un système unique pour
tous les Länder allemands.

Les aides financières attribuées aux nouveaux Länder depuis 1995 dans le cadre de la loi sur
les investissements "reconstruction Est", dédiées notamment aux investissements
d’infrastructures, font partie de l'enveloppe globale du pacte de solidarité. 53 Depuis 2001, ces
aides sont mises à disposition par le biais de la péréquation financière, en tant que dotations
supplémentaires, ce qui évite l'affectation spécifique de ces moyens et en allége
considérablement la gestion.

2.4. Et l'aménagement du territoire ?

En ce qui concerne l'objectif global d’harmonisation des conditions de vie, les finalités de la
politique financière fédérale se recouvrent avec celles de la politique d'aménagement du
territoire qui vise un développement équilibré du territoire. Le système financier soutient
l’objectif global d’aménagement, l’équilibrage, mais il n’est pourtant pas considéré comme
étant un instrument d’aménagement. Il constitue plutôt le cadre pour la solidarité entre les
territoires, élément fortement symbolique de l'organisation fédérale de l'Etat.

Dans ce système, le potentiel et la performance économique et fiscal des Länder n’ont pas
d’influence sur le développement de recettes fiscales des Länder et des communes. La
péréquation financière ne stimule pas, ou peu, la concurrence entre les Länder, les régions et

52
l'enveloppe globale du pacte de solidarité en faveur des nouveaux Länder s'élèvera entre 2005 et 2019 à 156,5
milliards d'euros.
53
enveloppe globale du pacte de solidarité 1995-2004: 20,6 milliards DM par an, dont 14 milliards DM en tant
que subventions complémentaires dans le cadre de la péréquation financière et 6,6 milliards DM au titre de la loi
sur les investissements "reconstruction Est".

26
les communes. Les régions, considérées par la politique d’aménagement comme étant le
niveau le plus adapté pour la mise en œuvre de ses objectifs, ainsi que les communes
devraient être incitées davantage à valoriser leurs propres potentiels. Puis, pour renforcer le
système polycentral et la compétitivité des régions, il faudrait que celles-ci disposent, outre de
la capacité de planification et de conception, de moyens financiers et des marges de
manœuvre pour la mise en œuvre de leurs programmes et projets. Ici apparaissent les
contradictions qui existent entre d’un côté l’objectif de l’harmonisation des conditions de vie
et la politique visant la réduction des disparités et, de l’autre, les conceptions de la
régionalisation, de la décentralisation et de la concurrence entre territoires, car ces dernières
pourraient même créer des disparités plus grandes. La politique d’aménagement devra
réinterpréter cette formule de l’harmonisation des conditions de vie et adopter une vision plus
nuancée des différents territoires.

La politique régionale, plus fortement liée à la politique d’aménagement, complète l'objectif


de l'équilibre par ceux de la stabilité et de la croissance. Ses interventions influencent
directement le développement du territoire. Le plan cadre pour la « mission commune »
précise que toutes les mesures à impact spatial de l'Etat fédéral et des Länder doivent être
préparées en étroite coopération et concertation avec les autres politiques sectorielles. Cela
implique une orientation des interventions selon les principes d'aménagement ainsi que la
coordination des mesures et de la localisation des investissements aidés au titre de la
« mission commune » avec les exigences de l'aménagement du territoire et, plus
concrètement, avec les dispositions des plans de développement des Länder, ainsi qu'avec les
autres politiques sectorielles (environnement, recherche et technologies, éducation etc.…)

Lors de la procédure d'élaboration du plan cadre, les Länder définissent leurs priorités et les
transmettent au comité de planification pour qu’elles soient intégrées dans le document
national. Les priorités, notamment en matière d'infrastructures, de localisation des « zones
d’action prioritaires » (Schwerpunktbereiche) ou des pôles de développement font
effectivement souvent référence aux plans régionaux de développement. Mais même si la
prise en considération des objectifs et exigences de la politique d'aménagement du territoire
est théoriquement assurée, l'Etat fédéral n'a aucun instrument transversal à sa disposition, qui
lui permettrait de les imposer aux politiques sectorielles, traditionnellement autonomes. Le
manque d'articulation entre la politique d'aménagement et la politique régionale dans le cadre
de la « mission commune » est considéré comme une lacune essentielle de la politique du

27
développement spatial. En pratique, les priorités découlent essentiellement des exigences
sectorielles et non d'une vision spatiale d'ensemble. 54 La coordination dépend largement du
consensus et se fait par conviction. Comme les objectifs de la politique régionale ne sont pas
toujours les mêmes que ceux de la politique d'aménagement, la tâche n'est pas toujours
évidente et conduit à la remise en cause périodique de la seconde, surtout quand il s'agit
d'attirer des investissements, souvent plus «concrets » que les principes d'aménagement qui
restent assez généraux et abstraits.

54
Neumann / Uterwedde (1994), p. 45

28
III - LA POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT SPATIAL AU NIVEAU EUROPEEN

Même si l'aménagement du territoire ne relève pas des compétences communautaires, la


notion « d’espace européen » est de plus en plus présente au fur et à mesure que l’intégration
politique progresse. Celle ci et les instruments des politiques communautaires qui exercent
une grande influence sur le développement spatial du territoire européen imposent une vision
qui va au-delà des frontières. Il s’agit notamment de la politique régionale, dotée de moyens
financiers considérables, mais également de la politique agricole commune, la politique de la
concurrence, les réseaux transeuropéens, la politique environnementale et la politique de
recherche, technologies et développement. L’objectif de la politique régionale européenne est
avant tout celui de réduction des disparités économiques régionales, en s’appuyant sur le
niveau du PIB régional comme critère d’éligibilité aux fonds structurels. La coopération entre
les Etats membres en matière de développement spatial s'est développée notamment à partir
de la fin des années 80, en décidant d'améliorer la coordination de leurs politiques nationales
et de mettre en place un système d'échange d’informations. L’étape la plus importante de cette
coopération a été l’adoption en 1999 du Schéma de Développement de l'Espace
Communautaire (SDEC), qui propose une première vision commune du territoire européen. 55

3.1. L'émergence d'une politique d'aménagement du territoire au niveau européen

Les premières approches vers une coordination européenne n'ont pas été initiées au niveau de
la Communauté européenne mais au Conseil d'Europe. Après avoir considéré dès 1961 que
l'aménagement du territoire européen constituerait une des tâches principales pour l'avenir, la
conférence des ministres responsables de l'aménagement du territoire au niveau du Conseil
d'Europe (CEMAT) a été créée en 1970. La "charte de l'aménagement du territoire européen",
publiée en 1983, est considérée comme le document le plus important issu des consultations
au sein de la CEMAT. Elle fixe les objectifs et principes d'aménagement du territoire
européen et propose d'intensifier la coopération entre les Etats. Il s’agit d’un document

55
Commission Européenne: SDEC Schéma de développement de l'Espace Communautaire, Vers un
développement spatial et durable du territoire de l'Union européenne, approuvé au Conseil informel des
Ministres responsables de l'aménagement du territoire à Potsdam, mai 1999

29
indicatif, dont le contenu reste assez abstrait et qui n'a pratiquement pas eu d'effets notables
sur les politiques nationales. 56

Dans la Communauté européenne, la prise de conscience de la dimension spatiale européenne


ne s’est faite qu'après la mise en place de la politique régionale en 1975. Le Parlement
européen a été en pointe sur ce sujet. Disposant d'un comité pour l'aménagement du territoire,
il a proposé en 1983 d’élaborer un "p lan européen d'aménagement". La réalisation du marché
unique a redonné de l'actualité à cette idée : en 1990 le Parlement a proposé une politique
concertée d'aménagement du territoire au niveau de la Communauté européenne. Un an plus
tard, il s'est prononc é en faveur d'une évolution de la politique régionale vers une politique
européenne d'aménagement du territoire, respectant le principe de subsidiarité. 57

En 1989, c'est à l'initiative des Français qu'a eu lieu la première rencontre informelle des
ministres responsables de l'aménagement du territoire à Nantes, en présence du Président de la
Commission, Jacques Delors et du commissaire chargé de la politique régionale. Le motif a
été de donner une plus grande légitimité à la politique structurelle européenne. A cette
occasion, Jacques Delors a insisté sur la nécessité d'une vision commune pour le
développement de l'espace communautaire. 58 Le souci le plus urgent de la plupart des Etats
membres était de compenser le retard des territoires périphériques, victimes d'une
concentration de la croissance sur la partie continentale de l'Union européenne, souvent
décrite comme « modèle de la banane bleue ». Un autre problème, évoqué avec insistance par
les Pays du Nord-Ouest de l'Europe, concernait les nuisances de plus en plus fortes dans les
grandes agglomérations.

Depuis 1989 sont organisées régulièrement des rencontres informelles entre les ministres
chargés de l'aménagement du territoire. La Commission européenne a crée en 1989 une unité
en charge, entre autres, de l'aménagement du territoire. 59 En 1991, elle a présenté son premier
document sur les « perspectives de développement du territoire communautaire », intitulé

56
Gatawis (2000), Grundfragen eines europäischen Raumordnungsrechts, Reihe Beiträge zur Raumplaung und
zum Siedlungs- und Wohnungswesen, Band 196, Münster (2000), p. 15/16
57
Gatawis (2000), p. 17
58
Schön, Karl Peter : Das Europäische Raumentwicklungskonzept und die Raumordnung in Deutschland, in
Akademie für Raumordnung und Landesplanung (ARL): Informationen zur Raumentwicklung Heft 3/4.200
59
Gatawis (2000), p. 17

30
« Europe 2000 », soumis auparavant aux Etats membres, au Parlement européen, au Comité
économique et social et à d’autres experts.

« Europe 2000 » proposait, entre autres, la création d'un comité de développement spatial
(CDS), constitué de hauts fonctionnaires issus de chaque Etat membre ainsi que de
représentants de la Commission, chargé d'explo iter les informations et de favoriser la
concertation entre les Etats membres et la Commission. 60 Le comité a vu le jour lors de la
rencontre à La Haye en 1991, sa présidence tournante est liée à celle du Conseil européen.
L'élaboration du « Schéma de développement de l'Espace Européen » (SDEC), remonte à une
décision prise en 1993. Un premier document a été présenté un an plus tard, contenant les
principes politiques du développement européen, qui insistait sur le rôle l'aménagement du
territoire pour contribuer à la cohésion économique et sociale. Il soulignait le caractère non-
obligatoire des orientations européennes en la matière et le respect du principe de subsidiarité.

Le document « Europe 2000 » a été suivi en 1994 par le rapport « Europe 2000+ - coopération
pour le développement du territoire européen ». Dans cette communication, destinée au
Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions, la
Commission souligne l'importance d'un renforcement de la coopération en matière
d'aménagement du territoire et identifie les tâches pouvant être mieux réalisées au niveau de
l'Union européenne (en particulier une coopération visant à rendre le territoire européen plus
compétitif et plus viable, notamment par la création de réseaux transeuropéens de transports,
d'énergie, de télécommunication et d'information). 61

Le SDEC, présentant une première vision commune des 15 Etats membres du développement
spatial en Europe, a été adopté en 1999 à Potsdam après un large processus de concertation. Il
est souvent décrit comme « document historique » et a suscité beaucoup d'attention, bien qu'il
ne s'agisse que d'un document d'experts, sans statut formel. Son processus d'élaboration a été
marqué par plusieurs divergences durables :
- Celle entre les Etats disposant d'une tradition nationale d'aménagement du territoire et
ceux qui n'en disposaient pas,

60
Gatawis (2000), p. 26
61
Bulletin UE 07 - 1194 Cohésion économique et sociale (1/30), www.europa.eu.int

31
- celle entre un modèle basé sur l'intervention financière et directe de l’Etat et un autre
modèle comprenant l'aménagement du territoire comme transversal et indicatif,
s'appuyant sur une hiérarchie de plans d'aménagement.

L’autre préoccupation concernait la question du partage des compétences et du rôle qui sera
attribué à une politique de développement spatial au niveau européen.

La position allemande
Dans les années 1980, l'Allemagne a défendu une position très ferme, selon laquelle la
politique d'aménagement du territoire relevait exclusivement des Etats membres. Par
conséquent, les politiques communautaires devaient poursuivre les objectifs nationaux
d’aménagement. Comme forum de discussion à l'échelle européenne, l'Allemagne a préféré
longtemps la CEMAT du Conseil d'Europe.

La position de l’Allemagne en tant que contributeur net le plus important au budget de l’UE,
les désaccords avec la Commission concernant le partage des compétences en général, pas
seulement dans le domaine du développement spatial, et la lutte pour une liberté de manœuvre
plus grande pour la politique régionale nationale dominent sa position vis-à-vis des approches
d’une politique communautaire d’aménagement de territoire. Ce climat général de méfiance et
d’opposition aux institutions et interventions de l’UE s’est exprimé également lors du
processus d'élaboration du SDEC, l'Allemagne s’opposant à toute ambition de la part de la
Commission de renforcer son rôle. En faisant référence à son expérience fédérale
d'aménagement du territoire et au principe de subsidiarité, l'Allemagne a insisté sur une
politique prenant en considération les particularités régionales: les visions de l'aménagement
du territoire et du développement doivent être élaborées «à la base », c'est à dire dans les
territoires et dans les Etats membres. 62

Néanmoins, l'Allemagne a manifesté un intérêt accru pour une coordination


intergouvernementale, en y voyant également une possibilité de renforcer le rôle de la
politique fédérale vis à vis des Länder et notamment des politiques sectorielles,
traditionnellement prédominantes. En contrepartie, les responsables des politiques sectorielles

62
Faludi, Andreas: Der EUREK-Prozess, in : Akademie für Raumordnung und Landesplanung (ARL):
Europäisches Raumentwicklungskonzept, Hannover (2001), p. 20

32
ont toujours manifesté leur opposition à une intervention européenne en matière
d’aménagement, susceptible de limiter les propres marges de manœuvre.

Aujourd'hui la politique allemande d'aménagement du territoire a pris conscience de la


nécessité d’une dimension européenne. Le SDEC, en tant que document informel, fournit des
informations et des objectifs supplémentaires qui complètent les documents de planification
allemande. Informations et orientations qui peuvent, de plus, fonctionner comme contrepoids
à la position dominante des politiques sectorielles et des Länder. 63 La nouvelle loi cadre
fédérale sur l'aménagement a pris en compte cette évolution en précisant que l'Etat fédéral, en
coopération avec les Länder, est responsable pour la coordination avec les autres Etats
membres.

3.2. Le SDEC

Le SDEC reprend les objectifs fondamentaux des politiques communautaires, qui visent à
assurer un développement équilibré et durable 64 :
• Le renforcement de la cohésion économique et sociale,
• La préservation des bases naturelles de la vie et du patrimoine culturel,
• une compétitivité plus équilibrée du territoire européen.

Une première partie examine la contribution de la politique de développement spatial au


développement durable et équilibré de l'espace européen. La deuxième partie, plus
descriptive, présente les tendances, les perspectives et les défis du territoire européen. En
décrivant le territoire comme nouvelle dimension de la politique européenne, le SDEC met en
avant que les tendances à long terme sont influencées par trois facteurs : l'intégration
économique qui nécessite un renforcement de la coopération entre les Etats, l'importance
croissante des collectivités locales et régionales en matière de développement spatial,
l'élargissement aux pays de l'Europe centrale et orientale (PECO) et l'évolution des relations
avec les voisins. 65

63
Faludi (2001), p. 31
64
Commission Européenne: SDEC (1999), n° 18
65
SDEC (1999), n° 6

33
Les objectifs
Le SDEC vise à assurer la cohérence et la complémentarité des stratégies des Etats membres
et une meilleure prise en considération du développement spatial dans les politiques
communautaires. Trois principes directeurs communs ont été définis:
• Le développement d'un système urbain équilibré et polycentrique et une nouvelle relation
ville-campagne,
• L'égalité d'accès aux infrastructures et au savoir,
• Le développement durable, la gestion intelligente et la préservation de la nature et du
patrimoine culturel.

Les institutions européennes, ainsi que les échelons nationaux, régionaux et locaux sont
appelés à poursuive conjointement ces objectifs. 66 Le document présente une soixantaine
d'options politiques relatives à ces principes fondamentaux, qui doivent être adaptées à la
situation économique, sociale et écologique des régions.

La mise en œuvre du SDEC


Le SDEC souligne l'impact croissant des politiques communautaires pour les territoires. Outre
les effets incontestablement positifs, ces politiques peuvent aggraver, involontairement, les
disparités régionales dans la mesure où elles se laissent exclusivement guider par des objectifs
sectoriels. 67

L'approfondissement et la mise en œuvre du SDEC relève de la responsabilité d'un grand


nombre d'autorités. La clef de cette politique intégrée est le développement de toutes formes
de coopération aussi bien horizontales que verticales. Le SDEC propose de procéder à une
évaluation systématique et périodique des impacts spatiaux des politiques communautaires. Il
s'agit de vérifier que les différentes politiques communautaires à impact spatial ne se
contredisent pas ou ne se neutralisent pas entre elles.

Les programmes INTERREG représentent un point central pour la mise en œuvre du SDEC.
Les Etats membres sont appelés à créer les conditions juridiques pour une meilleure
coordination transfrontalière et interrégionale, avec l'élaboration commune de conceptions du
développement spatial, ou des plans régionaux ou des plans d'utilisation des sols communs.

66
SDEC (1999), n°19
67
SDEC (1999), n° 61 et suivants

34
L’objectif est que le SDEC et ces options politiques soient pris en considération dans les plans
d'aménagement du territoire à toutes les échelles territoriales. L'application du SDEC se fait à
tous les niveaux selon un principe volontaire. Il ne s'agit pas d'un cadre juridiquement
contraignant, car son application nécessite la coopération, la consultation et le consensus des
responsables de tous les niveaux. 68

Enfin, les gouvernements soulignent l'importance du SDEC pour la coopération internationale


dans un cadre européen plus large, notamment avec le Conseil d'Europe. Pour cela, il pourrait
servir de base à un document comparable couvrant l’espace de tout l'Europe. En faisant
référence au SDEC, les ministres de la CEMAT se sont mis d'accord lors de leur conférence
de 2000 à Hanovre sur l'élaboration des « lignes directrices pour un développement spatial
durable sur le continent européen. »

Les trois principes directeurs du SDEC doivent s'appliquer également aux nouveaux Etats
membres, dont l’adhésion sera effective à partir de 2004. Dans ce contexte, un rôle important
est attribué à la coopération entre anciens et nouveaux Etats membres. L'initiative commune
INTERREG III doit en fournir la base programmatique et financière. Il est également prévu
de lier le SDEC avec les programmes PHARE et TACIS dans le cadre de la stratégie de
rapprochement des nouveaux Etats membres vers l'UE. 69

Le SDEC propose également de mettre en place une base de données et d'indicateurs et des
analyses et recherches sur les tendances transfrontalières, transnationales et européennes qui
influencent le développement spatial et la création d'un « observatoire en réseau de
l'aménagement du territoire européen », ORATE, associant les instituts de recherche spatiale
ainsi que des délégués politiques des Etat membres. La proposition a été reprise dans le cadre
du programme d'action de la réunion de Tampere et la décision de création a été prise en juin
2002, dans le cadre du Programme INTERREG III. 70 Cet observatoire a pour vocation de
promouvoir les propositions du SDEC, d’assurer la continuelle actualisation des évaluations
territoriales et de construire une expertise intégrée en matière d’aménagement et de
développement territorial à l’échelon européen susceptible d’éclairer et d’aider les acteurs et
les responsables politiques de l’aménagement du territoire. Ayant une forte dimension

68
SDEC (1999) n° 165
69
Gatawis (2001), p. 45
70
www.bbr.bund.de

35
opérationnelle, les missions qui lui sont confiées sont liées à l’avancement des principaux
dossiers de la politique communautaire ayant des implications territoriales : la promotion et
l’approfondissement du SDEC, la réforme des fonds structurels après 2006, La politique
agricole commune, La politique urbaine, le programme Interreg III , Les conséquences de
l’élargissement de l’Union à court, moyen et long terme et l’élaboration du 3ème rapport sur la
Cohésion. 71

3.3. Quels impacts sur la politique allemande ?

Les formulations employées dans le chapitre consacré à l'application du SDEC au niveau des
Etats membres, telles que « il est proposé aux Etats membres de tenir compte… » ou « les
Etats membres devraient … », confirment le statut informel du document. 72 Le SDEC laisse la
liberté aux Etats membres de prendre « le document en considération dans la mesure où ils le
souhaitent pour tenir compte des questions européennes de développement spatial dans sa
propre politique nationale. »73 Au vu des conflits sur la répartition des compétences entre
Etats membres et la Commission lors de l'élaboration du document, le résultat peut être
considéré comme une synthèse réussie entre intervention communautaire et politique
nationale. A ce stade de la coopération intergouvernementale, le SDEC n’aurait pas pu être
adopté sous une autre forme juridique. Mais c’est peut-être notamment grâce à sa nature
juridique non contraignante, qu'il sera davantage respecté. 74

Il influence d'une manière indirecte le développement national, régional et communal par le


biais de programmes européens dotés de moyens financiers importants, notamment les
programmes INTERREG, auxquels est attribué un rôle majeur pour la mise en œuvre des
options du SDEC. Pour l'Allemagne, du fait de sa situation géographique au centre de
l'Europe, ces programmes sont d'une importance particulière. 75 Ils contribuent
considérablement à la sensibilisation sur des problématiques européennes – pas seulement en

71
Cattan, Nadine / Grasland, Claude : ORATE/ESPON : un réseau de coopération pour un meilleur
aménagement du territoire, dans : DATAR : territoires d’Europe/Territoires du monde n°7, janvier 2003, p.141
_155
72
SDEC (1999), n° 184 et suivants
73
SDEC (1999), n°22
74
Battis, Ulrich : Zur Umsetzung des EUREK in die deutsche Raumordnung, in BBR (Hg.): Informationen zur
Raumentwicklung, heft 3/4 2000, p. 103
75
L’Allemagne participe à quatre sur sept programmes généraux de coopération dans le cadre du programme
INTERREG II C: Région de la mer du Nord, Aire métropolitaine de l'Europe du Nord-Ouest, Espace de
l'Europe Centrale, de l'Adriatique, du Danube et de l'Europe de Sud-Est (CADSES) et Région de la Baltique.

36
relation avec le développement spatial – et rendent visible l’utilité et la nécessité des
approches transnationales, interrégionales et transfrontalières.

La mise en œuvre d'actions au niveau européen ne peut cependant pas rester durablement sans
impact sur le système de planification allemand. Le cadre national d'orientation pour
l'aménagement du territoire (Raumordnungspolitischer Orientierungsrahmen), élaboré en
1992 par la conférence des ministres à la suite de la réunification, nécessite - dix ans plus tard
- une révision. Les objectifs du SDEC, qui vont souvent plus loin (en particulier en ce qui
concerne l'élargissement et la coopération transfrontalière) l'ont rendu quasiment obsolète.76
Le Conseil pour l'aménagement du territoire a recommandé l’élaboration d’une conception
nationale d’orientation qui prend en compte les dispositions du SDEC et qui pourrait servir de
médiateur entre les programmes de développement au niveau des Länder et le niveau
européen. 77

La loi cadre fédérale, amendée un an avant l'adoption du SDEC, se réfère surtout au processus
d'élaboration de celui-ci, en disposant que l'Etat fédéral et les Länder sont chargés d’assurer la
coopération avec les autre pays européens. Le rapport sur l'aménagement du territoire, publié
en 2000, traduit déjà des retombées du SDEC, en recommandant aux régions et aux
collectivité locales d'élaborer des lignes directrices de développement en collaboration avec
les pays voisins et de développer des formes de coopération en matière de planification et de
la mise en œuvre de mesures de développement. Il met l'accent sur la nécessité d'intégrer
d'une façon approfondie les nouveaux Etats membres afin de les préparer à leur adhésion à
l'UE. 78

Globalement, on peut constater que la dimension européenne a fait son entrée dans la
politique nationale. Les responsables de l'aménagement du territoire aux différents niveaux
déclarent vouloir la prendre de plus en plus en compte lors de leurs réflexions et interventions
et faire davantage référence au SDEC afin de faciliter et faire évoluer la coopération avec les
voisins européens. 79 Le SDEC ne s'adresse cependant pas aux seules administrations chargées
de l'aménagement du territoire. Mais comment inciter en particulier les politiques sectorielles

76
Battis (2000), p. 106
77
Empfehlung des Beirats für Raumordnung : "Auf dem Weg zu einer neuen Raumentwicklungspolitik" vom
11.12.2001, p. 7/8, disponible sur le site www.bbr.bund.de
78
BBR (2001) : Kurzfassung des Raumordnungsberichts, p. 45/46, 58 et suivants
79
Krautzberger (1999), p. 127

37
à poursuivre avec leurs interventions une vision globale de l’espace ? On peut s’attendre à un
débat beaucoup moins consensuel, quand il ne s’agira plus de définir des options politiques
globales et informelles mais de distribuer une enveloppe budgétaire importante, toujours très
disputée. L'intégration et la coordination des politiques sectorielles dans une véritable
politique de développement spatial constitue un grand défi pour l'avenir, aussi bien au niveau
allemand qu’au niveau européen.

3.4. Quel rôle pour la politique de développement spatial au niveau européen ?

Toute période de mutation offre un champ d'intervention pour la politique de développement


spatial. La no uvelle donne européenne, après la mise en place du marché intérieur et la
décision d’élargissement vers les pays de l’Est, entraîne de telles transformations. Dans ce
contexte, l'émergence d'une nouvelle politique communautaire, celle de développement
spatial, est souvent évoquée. Mais elle recouvre trois conceptions divergentes80 :

1. la première considère d'une manière pragmatique, que la gestion de la politique


structurelle a prouvé que les institutions européennes sont tout à fait en mesure d'en
appliquer el s instruments et de les faire évoluer, même en l'absence d'une conception
d'ensemble du développement spatial. Ainsi, l'on suppose une coopération efficace entre
les différentes directions générales, une interprétation cohérente des objectifs ainsi qu'une
coordination avec les autres politiques communautaires.

2. La deuxième fait référence au principe de subsidiarité et refuse toute compétence


européenne supplémentaire. Les instruments européens de la politique de développement
spatial devraient se référer aux objectifs nationaux. Les conceptions nationales
d'aménagement devraient être concertées sur la base d'une coopération
intergouvernementale entre les Etats membres.

3. La troisième conception tire les conséquences de la structure fédérale de l'Etat : la simple


addition des objectifs des différents territoires n'amène pas forcément à l'expression de
l'intérêt commun. D'autre part, la "coexistence coordonnée" entre différentes
administrations qui poursuivent leurs propres objectifs conduit souvent à l'inefficacité. Les

80
Treuner, Peter : Grundfragen einer zukünftigen Raumentwicklungspolitik der Europäischen Union, in
Weiland, Ulrike (Hg.) : Perspektiven der Raum- und Umweltplanung, Berlin 1999, p. 4

38
partisans de cette conception exigent la mise en place d'une compétence européenne
limitée et clairement définie, servant de base pour la conception et le déroulement des
politiques structurelles européennes.

Le Conseil d'experts du ministère fédéral considère que l'élaboration de dispositions cadres est
raisonnable, en soulignant le droit et l'obligation des institutions communautaires de formuler
des objectifs pour leurs interventions. Une conception cadre rendrait plus transparent le
développement spatial visé par la Communauté. Toutefois, le Conseil précise que cela
n'implique pas un élargissement des compétences communautaires. Une vision globale du
développement spatial fonctionnerait plutôt comme preuve ou justificatif que les compétences
existantes sont exercées d'une façon raisonnable. 81

Le SDEC pourrait constituer ce cadre de référence, à condition que ses principes soient
formalisés. Selon une déclaration conjointe du Conseil d'experts allemand et du Conseil
national de l'aménagement durable du territoire français (CNADT) 82 , une telle formalisation
pourrait préciser les priorités communautaires en matière de développement spatial (par
exemples, aires métropolitaines d'importance européenne, liaisons routières et ferroviaires
entre les centres, régions transfrontalières) et donner ainsi une orientation à la politique
régionale et aux autres politiques communautaires. Sans viser une «conception générale et
globale », cette approche se limiterait aux grandes priorités européennes et serait élaborée
selon le principe des « flux réciproques ».

La question est de savoir s'il sera possible d'éviter le «piège » dans lequel s'est retrouvé la
politique allemande d'aménagement du territoire lors des années 1970 : Vouloir diriger d'une
manière globale le développement spatial n'était politiquement pas acceptable et a finalement
discrédité l'intervention dans ce domaine. La DG REGIO a souligné à plusieurs reprises
qu'elle ne recherchait pas de compétence formelle pour l'aménagement du territoire. Elle
compte néanmoins assurer sa responsabilité pour la programmation et la coordination des
politiques communautaires à impact spatial. 83 La mise a jour du SDEC, nécessaire du fait de
l'élargissement, montera dans quelle mesure les Etats membres sont capables de concrétiser

81
Empfehlung des Beirats für Raumordnung vom 5.9.2002, p. 2
82
Beirat für Raumordnung / Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire : Die Zukunft
der europäischen Regionalpolitk und die räumlichen Auswirkungen der Gemeinschaftspolitiken, verabschiedet
am 28. Juni 2002 in Limoges, p.3/4
83
Sinz, Manfred (2002) : Brauchen wir eine europäische Raumordnung ?, P.1

39
son contenu, dans un cadre qui demeure pour l’instant celui de la coordination
intergouvernementale.

3.5 Perspectives

Il est devenu évident que l’Union européenne n'est plus aveugle en ce qui concerne la vision
spatiale de son territoire. La coopération entre les Etats membres et son résultat d'étape, la
version actuelle du SDEC, ont contribué à une meilleure prise en considération de l’espace
européen et d'une dimension européenne du développement spatial. Le SDEC a créé une
vision plus nuancée de cet espace que la distinction entre régions fortes et faibles, c'est à dire
éligibles ou non-éligibles.

Au niveau européen, faute d'instruments contraignants d’une politique d’aménagement, il


s'agit de susciter l'intérêt des autres politiques communautaires qui interviennent sur
l’espace européen. Pour cela, il faut préciser quel développement spatial est souhaité pour
ce territoire et mettre en évidence les conflits et développements négatifs auxquels les
interventions communautaires peuvent conduire. Pour l'instant, il n’est ni possible, ni
souhaité, que le SDEC débouche sur des plans juridiquement contraignants. Il est toutefois
utile en tant que contribution informelle à une compréhension commune des problématiques
européennes de développement spatial ainsi qu'en tant que catalogue de politiques et
d'instruments pour le traitement de ces problèmes. Il influence indirectement les conceptions
nationales et régionales qui, elles, comportent des plans opérationnels ou des initiatives
locales. Ainsi le SDEC peut servir de soutien politique et de ligne directrice pour tous les
niveaux d'administration de l'Union européenne.

Mais le SDEC ne peut remplir cette fonction qu’à condition, que les Etats membres
poursuivent et intensifient leur coopération et s'accordent sur le développement de l'Espace
communautaire, en associant les nouveaux Etats membres. Cela soulève un grand point

d’interrogation, car la coopération et la prise de décision entre 25 Etats membres promet de


devenir encore plus difficile qu’entre 15 et il ne semble pas évident que l’ensemble des Etats
membres puissent arriver à s’entendre sur un schéma de développement d’ensemble cohérent,
notamment si celui-ci est destiné – à moyen ou long terme - à fournir, un cadre pour la

40
programmation et la répartition des fond structurels et pour les autres politiques
communautaires ayant des implications spatiales.

Sans que le SDEC soit aujourd’hui devenu partie intégrale de la politique structurelle ou vice-
versa, l’on peut considérer que les deux instruments se sont confortés mutuellement. Ce
rapprochement est facilité par la structure institutionnelle de la Commission : En l’absence
d’une vraie compétence en matière d’aménagement du territoire, la DG REGIO, ayant
participé à l’élaboration du SDEC, se sent responsable pour les questions de développement
spatial. Ainsi le caractère transversal des interventions sur l’espace, souvent déploré dans la
politique nationale, semble être mieux assuré au sein des institutions européennes.

L’ORATE, réseau d'observation des chercheurs et des responsables politiques, représente une
approche prometteuse afin de parvenir à une meilleure compréhension et une meilleure
coordination des politiques nationales. Son mot d'ordre d’opérationnalité, pourrait apporter
des éléments importants pour la mise en œuvre du SDEC. Il faut cependant rappeler qu’on se
trouve au début de la réflexion et qu’il s’agit encore de trouver un langage commun, une base
de données et une évaluation commune des tendances spatiales du territoire européen. La
tâche est difficile, car d’un côté les travaux de l’ORATE portent sur le moyen et long terme,
alors que des demandes d’expertise à très court terme (2003) sont liées à la préparation du
3ème rapport sur la cohésion et aux dossiers de l’élargissement et de la réforme des fonds
structurels. Faute de résultats concernant ces dossiers urgents, la poursuite de l’expérience
sera incertaine après 2006. 84

Avant tout, il faut que les Etats membres parviennent à s'entendre au niveau politique sur la
réforme de la politique structurelle pour l'Union élargie, celle-ci pourrait constituer un modèle
de prise en compte d'une vision globale de l'espace dans les politiques sectorielles.
L'expérience fait cependant laisser entendre que les négociations politiquement délicates sur
la répartition du budget occuperont plus de place que le souci du développement d’une vision
globale du territoire. Les options politiques du SDEC peuvent fournir des éléments
supplémentaires au contenu d’une nouvelle programmation mais on peut s’attendre à ce que

84
Cattan / Grasland (2003), p. 154/155

41
les critères d’éligibilité seront définis, comme actuellement, sur des bases «objectives » et
chiffrables, que ce soit le PIB régional ou national, et non sur des critères conformes à une
vision globale de développement spatial.

Le SDEC peut contribuer à l’affinement de la vision globale du territoire européen,


accompagné par l’approfondissement des programmes d’initiative communes (PIC), comme
INTERREG, qui représentent un moyen très adapté pour contribuer à l’amélioration de la
coopération et la compréhension entre les régions européennes et Etats membres. Et pourquoi
pas corriger la répartition des moyens financiers des fonds structurels en faveur des « actions
innovatrices », auxquelles ne sont attribuées actuellement que 0,65 % de la dotation globale
(contre 69,7 % pour l’objectif 1) ? Les thèmes de travail retenus dans ce cadre pourraient
approfondir les sujets évoqués par le SDEC et, à moyen ou long terme, fournir des éléments
pour une future réforme de la politique structurelle de l’UE.

Jusqu’à présent, les Etats membres ont opposé à la Commission l’absence de compétence en
matière territoriale en se référant aux traités qui ne mentionnent que la cohésion économique
et sociale. Cette situation risque d’être complètement bouleversée si le projet de constitution
élaboré par la Convention est retenu au terme de la Conférence intergouvernementale. En
effet, ce projet fait référence explicitement à la cohésion territoriale comme objectif poursuivi
par l’Union européenne – les petits pas accomplis de manière informelle par le SDEC auraient
alors conduit sans s‘en rendre compte à un grand bond en avant.

42
CONCLUSIONS

La situation géographique de l’Allemagne et la multitude des coopérations dans le cadre


d’INTERREG déjà mises en place, ont contribué à ce que la dimension européenne soit
aujourd'hui reconnue par les acteurs nationaux, régionaux et locaux..

L’émergence d’une politique européenne de développement spatial soulève la question de la


répartition des compétences et a suscité des réflexions sur la façon dont elle se fait en
Allemagne. La question est de savoir si on se limitera à la Raumordnung, c'est à dire, à une
description générale des perspectives souhaitables, ou s'il faudra la faire évoluer vers une
politique plus volontariste, avec des objectifs plus détaillés et des éléments concrets de mise
en œuvre. En définissant ses propres objectifs, la politique d’aménagement ne doit pas se
limiter au rôle d'un modérateur neutre dans les conflits concernant des utilisations spatiales
concurrentes. Elle doit informer et conseiller les différents acteurs sur les impacts spatiaux
positifs ou négatifs de leurs décisions et contribuer à la recherche d'alternatives.

Pour influencer davantage des politiques sectorielles, il faut que les orientations soient mieux
définies et précisées. Pour cela, il est indispensable de poursuivre la recherche sur les
implications territoriales des différentes politiques, aujourd’hui encore peu étudiées, afin de
pouvoir répondre avec des outils adaptés aux différentes situations et problématiques.

La question déterminante pour l'avenir, aussi bien au niveau national qu'au niveau européen,
sera l'amélioration de la coopération et de la coordination à tous les niveaux, notamment avec
les politiques sectorielles. Cette exigence se retrouve à travers tous les documents de
planification, de chaque époque, ce qui montre qu'elle n’est pas facile à assurer et que, malgré
l’amélioration incontestable des structures de coopération, celles-ci n’ont pas encore atteint le
niveau souhaitable.

Disposant d’une grande expérience fédérale, l’Allemagne devrait avoir moins de problèmes
que d’autre Etats-membres pour intégrer le niveau européen en tant que niveau
supplémentaire d'un système de coopération verticale à « flux réciproques ». En revanche,
l’Etat fédéral, ne disposant que de peu de compétences en la matière, aura probablement des
réticences vis-à-vis d'une véritable politique européenne d’aménagement du territoire qui

43
s'appuierait sur l’objectif de cohérence territoriale retenu par un nouveau traité
constitutionnel. Tout dépendra du rôle et de la fonction que les Etats-membres seront prêts à
donner à cette nouvelle politique, en train d’évoluer en douceur.

44
BIBLIOGRAPHIE

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L'ORGANISATION TERRITORIALE ET ADMINISTRATIVE DE LA REPUBLIQUE FEDERALE


D'ALLEMAGNE

Répartition des pouvoirs entre Fédération (Bund) et Etats fédérés (Länder)

A l’opposé du modèle américain de l’Etat fédéral basé sur une stricte division des tâches entre
l’Union et les Etats, la répartition des compétences dans l’Etat fédéral allemand est caractérisée
dans la Loi fondamentale par un regroupement des tâches et une "interpénétration politique" qui
attribuent des priorités différentes aux pouvoirs publics au sein de la Fédération et des Länder.

Aux Etats-Unis, si un Etat fédéré est compétent dans un domaine précis, il promulgue des lois,
veille à leur application par les autorités et finance leur exécution sur ses propres ressources. En
cas de litige, ce sont également les tribunaux de l’Etat qui décident, et non les tribunaux fédéraux.
Ces règlements de compétence s’appliquent aussi inversement aux Etats-Unis pour la Fédération.

La Loi fondamentale allemande crée un système plus compliqué. Ce ne sont pas des domaines
tout entiers qui sont confiés à la compétence de la Fédération ou des Länder, mais seulement des
fonctions partielles pour le domaine concerné. La constitution allemande établit ainsi une liste de
compétences de la Fédération sous forme de catalogue. Lorsque ce n’est pas expressément la
Fédération qui dispose des compétences pour un domaine déterminé, ce sont les Länder qui sont
compétents. De manière générale, on peut dire que :

• la législation relève en grande partie de la compétence de la Fédération


• l’exécution des lois et l’administration relèvent en grande majorité de la compétence
des Länder
• dans le domaine de la jurisprudence, les compétences de la Fédération et des Länder
s’interpénètrent.

Répartition des compétences entre la Fédération et les Länder :

La Fédération est prioritaire pour la législation dans ce système compliqué qui comprend une
compétence législative exclusive de la Fédération et des Länder et des lois-cadres de la
Fédération.

En matière législative la Fédération est compétente pour les domaines :


• de la compétence législative exclusive (art. 71 et art. 73 de la Loi fondamentale)
• de la compétence législative concurrente (art. 72 et 74 de la Loi fondamentale)
• de la compétence législative pour des lois cadres (art. 75 de la Loi fondamentale) .

Les tâches administratives relèvent essentiellement de la compétence des Länder (articles 83 à 85


de la Loi fondamentale) qui partagent ces missions avec les communes.

La Fédération gère essentiellement les affaires étrangères, l’emploi, les douanes, la protection des
frontières fédérales et les Forces armées fédérales (Bundeswehr).

Ce sont très nettement les Länder qui ont le plus de fonctions administratives. Ils sont en effet
compétents pour l’ensemble de l’administration interne. Leur administration est aussi responsable
de l’exécution de la plupart des lois et règlements fédéraux.

L’administration des Länder recouvrent trois champs :

• les Länder se préoccupent en tant qu’administration du Land de tâches dont la


compétence exclusive relève des Länder (exemple: écoles, police, aménagement du
territoire).
• Ils ont en charge en règle générale "l’administration propre au Land sous le contrôle
fédéral". Dans ce cadre, l’administration s’occupe de l’application du droit fédéral en
tant qu’affaire propre et sous sa propre compétence (exemple: droit de la
construction, droit du commerce, protection de l’environnement).
• les Länder sont chargés d’appliquer le droit fédéral par délégation de la Fédération
(article 85 de la Loi fondamentale) (exemple: construction d’autoroutes fédérales, aide
à la formation).

Il convient également de mentionner ici, en dehors de l’influence des Länder sur la législation et
l’administration, d’autres formes de participation des Länder aux affaires fédérales.

Les Länder participent par exemple à l’élection du Président fédéral par l’Assemblée fédérale, à
l’élection des juges de la Cour constitutionnelle fédérale et des gouverneurs des banques centrales
des Länder qui font partie, en tant que membres du Conseil des banques centrales, de la Banque
fédérale allemande, la Bundesbank.

Tous les Länder disposent dans la capitale fédérale d’une "représentation du Land auprès de la
Fédération" que dirige le "plénipotentiaire" du Land concerné. Ces représentations des Länder
ont pour tâche de défendre les intérêts du Land auprès du Bundesrat, du Bundestag et du
gouvernement fédéral ainsi que d’assurer la représentation générale du Land dans la capitale
fédérale.
Source : Parlement du Canada

Web : http://www.parl.gc.ca/common/index.asp?Language=F

PRESERVER LA DISCIPLINE BUDGETAIRE AU CANADA

1- la situation économique actuelle

A. Le régime fédéral actuel

Le gouvernement fédéral joue un rôle important en contribuant à créer un climat propice à la


croissance et à la prospérité des entreprises et dans lequel les citoyens peuvent exploiter au
maximum leur potentiel et les occasions qui leur sont offertes. Par ses politiques, notamment en
matière de dépenses et de fiscalité, le gouvernement fixe les paramètres d’un cadre dans lequel
peuvent prospérer les entreprises et les citoyens.
Le budget fédéral de 2004 signalait que, selon les économistes du secteur privé, le taux de
croissance économique réelle du Canada devait s’établir en moyenne à 2,7 p. 100 en 2004; à ce
jour, le produit intérieur brut réel (PIB) a progressé de 2,7 p. 100 au premier trimestre de 2004, de
3,9 p. 100 au deuxième trimestre et de 3,2 p. 100 au troisième (taux annualisés). Le 16 novembre
2004, lorsqu’il a comparu devant le Comité permanent des finances de la Chambre des
communes pour présenter une mise à jour économique et financière, le ministre des Finances a
révélé que la croissance du PIB au premier semestre de 2004 avait frôlé les 3,4 p. 100. De plus, a-
t-il ajouté, les économistes du secteur privé s’attendaient à une croissance de 3 p. 100 en 2004 —
en progression par rapport aux 2,7 p. 100 prédits au moment du budget de 2004 — et de
3,2 p. 100 en 2005. La figure 1.1 illustre la croissance du PIB, réelle et prévue, pendant la période
de 2000 à 2006.
Source :
Statistique Canada et Ministère des Finances, Mise à jour économique et financière 2004, p. 68.
Entre 1997 et 2003, le Canada a été en tête des pays du G-7 pour la croissance économique
réelle par habitant1. Ces résultats tiennent en grande partie à la vigoureuse croissance de l’emploi
pendant cette période, puisque le taux d’emploi au Canada a augmenté deux fois plus rapidement
que le taux moyen des autres pays du G-72. En novembre 2004, le taux de chômage désaisonnalisé a
été de 7,3 p. 1003.

Au cours de l’année passée, l’économie canadienne a été touchée par l’appréciation


relativement rapide du dollar canadien par rapport à la devise américaine — sa valeur relative a
augmenté de 17 p. 100 entre janvier et décembre 2003 — et la lenteur de la reprise de l’économie
américaine au premier semestre de 2003. Depuis janvier 2004, la valeur de la devise du Canada a
poursuivi sa hausse par rapport au dollar américain, fermant régulièrement au-dessus de 80 cents
américains, ce qui ne s’était pas vu depuis des années4. L’évolution du taux de change entre les
devises canadienne et américaine est illustrée à la figure 1.2.
Source :
Banque du Canada.
Depuis le milieu de 2003, cependant, la croissance de l’économie américaine s’est accélérée.
La croissance réelle a atteint 4,8 p. 100 du deuxième trimestre de 2003 au deuxième trimestre de
2004. Comparaissant devant le Comité le 16 novembre 2004, le ministre des Finances a signalé que
les prévisionnistes du secteur privé entrevoyaient pour les États-Unis une croissance de 4,4 p. 100 en
2004 et de 3,5 p. 100 en 2005. La croissance de l’économie américaine, alliée à une forte croissance
en Asie et à des cours mondiaux plus élevés pour l’énergie et les produits de base, a permis de
compenser les conséquences négatives de l’appréciation du dollar canadien pour nos exportations.
Toutefois, comme le ministre des Finances l’a fait observer quand il a comparu devant nous, « [b]ien
qu'il semble que les exportateurs se soient bien ajustés au dollar canadien en 2003, il n'est pas clair
comment l'autre hausse de 10 ¢ survenue depuis mai touchera l'économie. De plus, il est très difficile
de prévoir les prochaines fluctuations du dollar5. »

Sur le plan intérieur, le taux d’augmentation des dépenses des ménages, facteur qui a le plus
contribué à la croissance de l’activité économique ces dernières années, n’est pas à négliger non plus.
Par le passé, la Banque du Canada a joué un rôle central pour influencer la demande intérieure en
abaissant le taux d’intérêt à un jour, ce qui a fait augmenter les emprunts des consommateurs, s’est
traduit par des économies nettes pour les sociétés commerciales et a stimulé la croissance dans le
secteur du logement. Même si, en septembre 2004, la Banque du Canada a relevé son taux à un jour
de 0,25 point pour le porter à 2,25 p. 100 et l’a augmenté encore d’autant en octobre 2004 pour
l’établir à 2,5 p. 1006, le loyer de l’argent reste relativement bas par rapport à ce qu’on a observé par
le passé.

Au deuxième trimestre de 2004, selon Statistique Canada, la valeur nette des ménages sur le
marché a progressé plus rapidement qu’au trimestre précédent, à la fois pour les actifs financiers et
non financiers, tandis que le ratio du crédit à la consommation et de la dette hypothécaire au revenu
personnel disponible s’est stabilisé à environ 103 p. 100 (taux désaisonnalisé). Statistique Canada a
signalé que le taux d’épargne des consommateurs avait établi un record à la baisse de 0,7 p. 100 au
troisième trimestre de 2003, avant de recommencer à augmenter, pour atteindre 1,5 p. 100 au
deuxième trimestre de 20047. La figure 1.3 illustre l’évolution du taux d’épargne des particuliers
pendant la période de 1983-2003.

Source :
Statistique Canada.
Pour certains ménages canadiens, la gestion de l’emprunt hypothécaire, de la carte de crédit
et d’autres dettes personnelles est source de préoccupations. Une étude publiée récemment et
réalisée par une institution financière canadienne a révélé que 70 p. 100 des répondants s’inquiétaient
de leur capacité de gérer leur endettement personnel dans le contexte d’une hausse des taux d’intérêt
et que près de 75 p. 100 d’entre eux n’étaient pas parvenus, ou à peine, à réduire leurs dettes ou à
accroître leurs épargnes pendant la dernière année8.

Bien que certains puissent craindre que le niveau d’endettement des particuliers ne présente
des risques graves pour les finances des particuliers et la croissance économique, RBC Groupe
financier a soutenu que « les pessimistes exagèrent le risque que la situation financière des ménages
présente pour les prêteurs ou pour l’économie9 ». À l’heure actuelle, le coût du crédit est
relativement faible.

Bien que des taux d’intérêt relativement faibles aient rendu abordable un endettement
relativement élevé, un endettement à la hausse et élevé pourrait rendre les consommateurs
vulnérables à un ralentissement de l’économie ou à des taux d’intérêt élevés et croissants.

Il faudrait considérer les taux d’épargne plutôt faibles des particuliers, ces dernières années, à
la lumière d’une augmentation relativement substantielle de l’épargne intérieure pendant la même
période. L’épargne intérieure totale englobe les particuliers, les sociétés commerciales et les
gouvernements. Or, cette épargne, en pourcentage du PIB, a dépassé 8,5 p. 100 en 2003, ce qui se
rapproche des niveaux atteints à la fin des années 1980, comme on peut le constater à la figure 1.4. Il
est vrai que les particuliers n’ont pas augmenté leur taux d’épargne depuis un certain nombre
d’années, mais les gouvernements et les sociétés le font depuis le milieu des années 1990.

Total des épargnes des gouvernements, entreprises et individus, excluant l’épargne des non-
résidents.
Source :
Statistique Canada.
Lorsqu’elle a porté son taux d’intérêt à un jour à 2,5 p. 100, en octobre 2004, la Banque du
Canada a fait savoir que, selon ses prévisions, l’inflation de base10 se situerait, d’ici la fin de 2005, au
taux cible de 2 p. 10011, ce qui est plus élevé que le taux actuel de 1,4 p. 100. Étant donné que la
croissance économique a été plus ferme que prévu et que l’inflation de base a atteint 1,9 p. 100 en
juillet 2004, la Banque du Canada a relevé deux fois son taux d’intérêt à un jour ces derniers mois
pour atténuer les pressions inflationnistes. L’évolution du taux d’intérêt à un jour de la Banque du
Canada de janvier 2002 à novembre 2004 est illustrée à la figure 1.5. La Banque a ajouté qu’il faudrait
peut-être encore relever le taux avec le temps pour maîtriser l’inflation.
Source :
Banque du Canada.
Le prix du pétrole a augmenté régulièrement au cours du deuxième trimestre de 2003. Il se
situait alors à environ 30 $ US le baril. Si le cours atteint 50 $ US ou plus et se maintient à ce niveau
un certain temps, l’économie canadienne, qui est à la fois productrice et importatrice de pétrole,
pourrait être touchée de façon appréciable.

B. Le point de vue des témoins


Au cours des consultations prébudgétaires que le Comité a menées, les témoins ont exprimé
les inquiétudes que leur inspirait l’augmentation rapide de la valeur relative du dollar canadien. Ils ont
fait remarquer que les exportateurs de produits finals étaient particulièrement touchés, car leurs gains
sont à la baisse et, contrairement à certains autres secteurs de l’économie canadienne, ils ne
bénéficient pas de l’augmentation des cours mondiaux — libellés en dollars américains — pour leurs
exportations.

D’autres témoins ont signalé que les actifs d’immobilisation importés des États-Unis
devenaient moins coûteux et que l’appréciation de la devise canadienne était pour les entreprises
canadiennes une excellente occasion d’importer des États-Unis ces actifs, comme des machines et du
matériel de haute technologie.

Enfin, on a dit au Comité que la Banque du Canada devrait intervenir pour s’assurer que la
hausse de la valeur relative de notre devise respecte les intérêts supérieurs des exportateurs
canadiens.

C. Le point de vue du Comité


Le Comité croit que l’économie canadienne est vigoureuse et en croissance. Nous félicitons
les gouvernements et des institutions comme la Banque du Canada de leurs décisions, qui nous ont
valu des taux d’inflation faibles, une diminution du rapport de la dette fédérale au PIB, une
augmentation de la valeur relative du dollar canadien, un raffermissement de la croissance de
l’emploi et une diminution des taux de chômage. Nous félicitons également les entreprises qui
produisent des biens recherchés par les consommateurs canadiens et étrangers et les employés, qui
sont indispensables à la production de ces biens et services. Nous estimons que la prospérité ne se
maintiendra — pour le pays, les entreprises et les citoyens — que si les gouvernements et leurs
organismes continuent de prendre des décisions favorables à une économie forte.

En conséquence, le Comité recommande de prendre des décisions prudentes qui nous


permettront de rester un pays fort, qui se distingue par des entreprises capables de fonctionner dans
un contexte où elles peuvent croître et prospérer et par des citoyens à qui sont acquis les outils
nécessaires pour exploiter à fond leur potentiel et les occasions qui s’offrent à eux.

2- Examen des dépenses et dépenses de programme fédérales

A. Le régime fédéral actuel


Depuis qu’on a entrepris un examen le moindrement exhaustif des programmes fédéraux, au
milieu des années 1990, le total des dépenses de programme fédérales — y compris les
transferts aux particuliers et à d’autres niveaux de gouvernement — est passé de son niveau le
plus faible, 102,3 milliards de dollars en 1996-1997, à 141,4 milliards de dollars en 2003-
2004, ce qui représente une augmentation de 38 p. 100 pendant cette période. Malgré cette
progression, les dépenses de programme fédérales, comme proportion du PIB, demeurent
relativement faibles. En 2003-2004, ces dépenses se situaient à 11,6 p. 100 du PIB, en recul
par rapport aux 12,2 p. 100 de 1996-1997. De plus, ces dépenses demeurent, comme
proportion du PIB, bien inférieures à la moyenne des 40 dernières années, comme la figure
1.6 le montre.

*
Les données datant d’avant 1983-1984 ne sont pas strictement comparables.
Source :
Ministère des Finances, Tableaux de référence financiers, Octobre 2004, Tableau 2.
En décembre 2003, le gouvernement fédéral a annoncé la création, au niveau du Cabinet, du
Comité sur l’examen des dépenses (CED). Les documents qui accompagnaient le budget fédéral de
2004 résumaient le mandat de ce comité :

[Le Comité sur l’examen des dépenses] fixera des normes sévères
auxquelles tous les ministères devront se conformer pour s’assurer que les
dépenses restent à un niveau adéquat et reflètent les nouvelles priorités des
Canadiens. Il ciblera en outre les activités d’envergure comme les
approvisionnements à l’échelle du gouvernement, la gestion des biens et les
technologies de l’information.

Le gouvernement prévoit que le processus d’examen des dépenses


permettra de dégager, au cours des quatre prochaines années, des
économies annuelles d’au moins 3 milliards de dollars. Ces économies
pourront être réinvesties dans les nouvelles priorités des Canadiens, comme
les soins de santé, l’apprentissage et l’innovation, les collectivités, ainsi que
les mesures visant les Autochtones et les personnes handicapées12.

Le budget fédéral de 2004 a défini sept critères pour évaluer les dépenses de programme
fédérales existantes13 :

•le critère de l’intérêt public — à savoir si le programme ou l’activité continue de servir l’intérêt
public;
•le critère du rôle du gouvernement — à savoir si le gouvernement fédéral a un rôle légitime et
nécessaire;
•le critère du fédéralisme — à savoir si le rôle actuel du gouvernement fédéral est approprié;
•le critère du partenariat — à savoir si l’activité devrait ou pourrait être transférée, en tout ou en
partie, au secteur privé ou au secteur bénévole;
•le critère de l’optimisation des ressources — à savoir si les impôts des contribuables sont utilisés
à bon escient;
•le critère de l’efficience — à savoir s’il est possible d’accroître l’efficience du programme ou de
l’activité, et comment;
•le critère de la capacité financière.
Après les élections fédérales de juin 2004, le CED est devenu le Sous-comité sur l'examen
des dépenses du Conseil du Trésor, et le ministre du Revenu national en a assumé la présidence.
Comparaissant devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes le 28
octobre 2004, le ministre du Revenu national a déclaré : « [Le] gouvernement a décidé de réduire de
12 milliards de dollars, sur cinq ans, ses dépenses dans des domaines secondaires pour réaffecter ces
sommes dans des secteurs hautement prioritaires. » Il a ajouté que le Sous-comité avait également
un autre mandat, « qui consiste à mettre au point un mécanisme permanent qui permette d'examiner
les dépenses chaque année, dans le cadre du cycle budgétaire normal14 ».

B. Le point de vue des témoins


De nombreux témoins se sont inquiétés d’une hausse trop rapide des dépenses fédérales et
ont préconisé l’imposition d’une limite à ces dépenses. Certains ont proposé que le gouvernement
fédéral plafonne la croissance annuelle des dépenses de programme à un taux correspondant au total
des taux d’inflation et de croissance démographique. Ce taux serait d’environ 3 p. 100 par année.
Selon d’autres, la croissance annuelle des dépenses de programme fédérales ne devrait pas dépasser
le taux prévu de la croissance du PIB. Ils soutiennent que des dépenses de programme qui croissent
à un taux supérieur à celui de l’économie ne peuvent être maintenues qu’au prix d’une augmentation
des revenus fiscaux ou non fiscaux, comme les frais imposés aux utilisateurs.

Tous les témoins ne sont pas pour autant d’accord pour dire qu’il faut limiter la croissance
des dépenses de programme fédérales. Ainsi, on a fait remarquer au Comité que le niveau actuel des
dépenses de programme fédérales, comme proportion du PIB, était actuellement faible, dans une
perspective historique.

En outre, il a été signalé que le gouvernement fédéral pourra continuer d’affecter de l’argent
frais à des priorités urgentes si les efforts actuels de réaménagement des dépenses fédérales en faveur
des secteurs les plus urgents portent fruit. En réalité, la plupart des témoins ont approuvé l’examen
en cours des dépenses du gouvernement fédéral et fait valoir la nécessité de réduire les dépenses
gouvernementales dans les domaines peu prioritaires pour les accroître dans les domaines plus
urgents.

De l’avis de bien des témoins, il ne faut pas que les nouvelles dépenses fédérales dans des
secteurs prioritaires se traduisent par des pressions insoutenables sur les finances du gouvernement
fédéral. Le Comité s’est fait dire que le Sous-comité sur l’examen des dépenses avait un rôle central à
jouer pour maîtriser les dépenses et garantir le maintien de l’équilibre budgétaire.

On a également dit au Comité que l’examen des dépenses devait se faire avec soin. Dans les
provinces et les territoires, des problèmes ont surgi dans l’application d’un système de financement
fondé sur le rendement.

C. Le point de vue du Comité


Le Comité croit, comme un certain nombre de témoins, que l’examen des dépenses revêt
une importance cruciale, et devrait devenir permanent et systématique. Notre monde se caractérise
par le changement et, lorsqu’il y a du changement, les gouvernements doivent, s’ils veulent faire un
usage responsable de l’argent des contribuables, entreprendre les consultations et les examens voulus
pour garantir que les fonds seront affectés aux programmes et services auxquels les Canadiens
attachent le plus de prix. Un examen constant visant à réduire les dépenses dans les domaines peu
prioritaires pour les accroître dans ceux qui le sont plus devrait devenir un élément permanent dans
le fonctionnement des gouvernements.

Les gouvernements sont tenus de veiller à ce que les recettes fiscales soient dépensées avec le
maximum d’efficacité et d’efficience, dans le respect des priorités des Canadiens. Fort simplement, le
Comité croit que nous ne pouvons nous permettre de financer des programmes et initiatives qui
n’ont plus d’utilité, qui n’assurent pas les avantages maximums de la façon la plus efficace et
efficiente et qui ne répondent pas aux besoins et aux vœux des Canadiens qui les financent. À notre
avis, les programmes et activités doivent respecter les critères suivants : ils doivent servir l’intérêt
public; confirmer qu’il y a pour le gouvernement un rôle légitime et nécessaire dans le domaine en
cause; répondre aux besoins des Canadiens de la façon la plus efficace et efficiente possible; donner
une bonne valeur en contrepartie de l’argent dépensé; être abordables dans le contexte budgétaire
fédéral et cadrer avec les activités que les Canadiens ont désignées comme des priorités.

Le Comité reconnaît la valeur du travail du Sous-comité sur l’examen des dépenses et


souhaite que son objectif annuel de 3 milliards de dollars soit non seulement atteint, mais aussi
dépassé, tout en sachant qu’il faudra faire des choix difficiles pour déterminer ce qui constitue un
domaine faiblement prioritaire en matière de dépenses. À cet égard, nous croyons que les sept
critères énumérés plus haut et provenant des documents du budget fédéral de 2004 sont utiles pour
cerner les domaines où des réaménagements doivent se faire. Nous appuyons en outre l’adoption
d’un mécanisme permanent pour examiner les dépenses fédérales et ainsi garantir que le
gouvernement, agissant de façon responsable, affecte les fonds aux programmes et activités auxquels
les Canadiens attachent le plus de valeur. C’est dans cette optique que le Comité recommande :

RECOMMANDATION 1
Que le gouvernement fédéral implante un mécanisme permanent d’examen
annuel de ses dépenses fiscales et dépenses de programme. Ce mécanisme
exigerait des consultations avec les Canadiens au sujet de leurs priorités,
dans le contexte des critères que sont l’intérêt public, le rôle du
gouvernement, le fédéralisme, le partenariat, l’optimisation des dépenses,
l’efficience et la capacité financière.

Quant aux taux d’augmentation des dépenses de programme fédérales, le Comité appuie
l’idée de taux cible. À notre avis, ce taux cible devrait servir de guide général pour garantir que les
dépenses n’augmentent pas trop rapidement, compte tenu du fait que des circonstances
extraordinaires et nouvelles peuvent exiger des dépenses plus élevées. Chose certaine, une limitation
de l’augmentation des dépenses de programme est une priorité pour certains de nos témoins, et elle
l’est également pour nous. En conséquence, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 2
Que le gouvernement fédéral veille à ce que les taux annuels d’augmentation
de ses dépenses de programme ne dépassent pas, sauf circonstances
extraordinaires, le taux de croissance nominal du produit intérieur brut.

3- Réserve pour éventualités, prudence économique et affectation des excédents


budgétaires fédéraux

A. Le régime fédéral actuel


L’utilisation explicite d’une réserve pour éventualités pour assurer une protection contre le
risque d’un déficit budgétaire fédéral qui serait la conséquence d’une conjoncture économique
négative imprévue et d’erreurs de prévisions remonte au milieu des années 1990, à l’époque de la
réforme du processus d’élaboration du budget fédéral. Outre la réserve pour éventualités, un horizon
de planification budgétaire de deux ans a été établi pour remplacer les prévisions quinquennales qui
avaient cours auparavant, et on a eu recours aux prévisionnistes du secteur privé, en rajustant leurs
données pour y ajouter une marge de prudence, au lieu d’employer les prévisions économiques
produites par le ministère des Finances.

Au départ, la réserve du gouvernement fédéral pour éventualités a été fixée à 2,5 milliards de
dollars dans la première année de l’horizon de planification de deux ans, et à 3 milliards pour la
deuxième. À compter du budget fédéral de 1997, la réserve a été établie à 3 milliards de dollars pour
les deux années de la période de planification. Avant l’élimination des déficits du budget fédéral, en
1997, la réserve, si elle n’avait pas été utilisée, servait à réduire le déficit fédéral. Au budget de 1998, la
politique a été modifiée. Maintenant, lorsque la réserve n’est pas utilisée, les fonds servent à réduire la
dette fédérale, comme il est précisé dans le Plan de remboursement de la dette du budget de 199815.

Une mesure de prudence économique explicite de 1 milliard de dollars pour la première


année de la période de budgétisation fédérale de deux ans a été ajoutée au plan budgétaire pour la
première fois à l’occasion du budget fédéral de 2000. Les budgets antérieurs comportaient aussi cette
mesure de prudence économique, mais ils le faisaient dans le calcul des prévisions de recettes et de
dépenses. En somme, une mesure supplémentaire de prudence a été ajoutée aux prévisions
moyennes du secteur privé dans les hypothèses économiques employées pour prévoir le solde
budgétaire fédéral. Par exemple, le budget de 1997 contenait des hypothèses prudentes au sujet de la
croissance nominale du PIB; elles étaient inférieures de 20 points de base à celles de la moyenne du
secteur privé, et de 60 points de base pour 199816.

Il faut saisir la différence théorique entre la réserve pour éventualités et la mesure de


prudence économique. Comme il est dit dans La mise à jour économique et financière de novembre
2004, « Si la réserve pour éventualités n’est pas utilisée, elle sert à réduire la dette fédérale (déficit
accumulé). Si la mesure de prudence économique n’est pas utilisée, elle est dégagée pour la
planification budgétaire17. »

Depuis 1998-1999, comme on peut le constater dans le tableau 1.1, le montant remboursé
sur la dette fédérale à partir de l’excédent budgétaire fédéral a toujours dépassé celui de la réserve
pour éventualités, sauf dans une année, 1998-1999. De la même façon, à compter du premier
exercice où la mesure de prudence économique a été prévue explicitement au budget, le montant du
remboursement sur la dette fédérale à partir de l’excédent budgétaire fédéral a dépassé les montants
prévus par le gouvernement fédéral pour la mesure de prudence économique. En outre, chaque
année, les dépenses en nouvelles initiatives stratégiques fédérales annoncées après le budget ont
dépassé les montants prévus pour prudence économique.

Tableau 1.1 — Réserve pour éventualités, prudence économique, remboursement de la dette


fédérale et initiatives stratégiques fédérales annoncées après le budget, de 1998-1999 à 2003-
2004

Exercice 1998-1999 1999-2000 2000-2001 2001-2002 2002-2003 2003-2004

Montants prévus
pour prudence (en milliards de $)
économique

Réserve pour
3 3 3 3 2 3
éventualités

Prudence
1 1 1
économique

Total 3 3 4 4 2 4

Résultats
budgétaires réels

Excédent fédéral
utilisé pour réduire 2,8 13,1 20,2 7,0 7,0 9,1
la dette fédérale

Initiatives
stratégiques
5,7 6,2 7,2 5,3 7,3 4,8
annoncées après le
budget fédéral
Total 8,5 19,3 27,4 12,3 14,3 13,8

Source : Toutes les sources sont celles du ministère des Finances.

Réserve pour Plan Plan Plan Exposé Plan Plan


éventualités budgétaire budgétaire budgétaire économique budgétaire budgétaire
et prudence de 1998 de 1999 de 2000 et mise à de de 2003
économique jour décembre
budgétaire 2001
de 2000

Excédent
fédéral utilisé
pour réduire Tableaux de référence financiers, octobre 2004, tableau 1
la dette
fédérale

Initiatives Plan Plan Exposé Plan Plan Mise à jour


stratégiques budgétaire budgétaire économique budgétaire budgétaire économique
annoncées de 1999 de 2000 et mise à de de 2003 et financière
après le jour décembre de 2003
budget budgétaire 2001
fédéral de 2000

Mise à jour Mise à jour Plan


économique économique budgétaire
de 2001 et financière de 2004
de 2002

* Il se peut que les totaux divergent parce que les données ont été arrondies

* Il se peut que les totaux divergent parce que les données ont été arrondies.
Il existe une certaine confusion au sujet des utilisations auxquels il est possible d’affecter les
excédents. En 2001, la vérificatrice générale du Canada a fait observer : « L'excédent de l'exercice ne
sert pas automatiquement à rembourser la dette. Il n'y a ni loi ou règle comptable qui l'imposent.
L'excédent du présent exercice a été appliqué dans plusieurs secteurs, dont la réduction de la dette.
Une partie de cet excédent a été utilisée, par exemple, pour financer des augmentations des actifs
financiers, tels que les prêts, placements et avances18. » Le tableau 1.1 confirme la véracité des
observations de la vérificatrice générale, car le gouvernement fédéral a à la fois réduit la dette fédérale
et affecté des fonds à de nouvelles initiatives depuis 1998-1999. Cette latitude qui a permis de
financer de nouvelles initiatives donne à penser que, de 1998-1999 à 2003-2004, les finances
fédérales comprenaient une marge de manœuvre supérieure aux montants prévus pour prudence
économique. Cette marge de manœuvre s’explique peut-être par une croissance économique plus
vigoureuse que prévue et par la nature même d’une planification prudente.

Dans La mise à jour économique et financière de 1997, le gouvernement fédéral a pris un


engagement au sujet de l’affectation des excédents budgétaires fédéraux prévus, en l’absence de toute
nouvelle initiative de dépenses de programme et de nouvelles réductions d’impôt. Il était notamment
proposé un partage par moitié pour, d’une part répondre aux besoins économiques et sociaux et,
d’autre part, réduire les impôts et la dette fédérale19.

C’est une tâche hérissée de difficultés que de chercher comment le gouvernement fédéral a
affecté les excédents budgétaires qui se seraient matérialisés en l’absence de toute nouvelle initiative
de dépenses de programme et de réduction d’impôt depuis 1997. Et les résultats dépendent dans une
grande mesure de la période de référence choisie et des hypothèses qui sont retenues. Cela dit, on a
estimé récemment que, pendant la période allant de 1998-1999 à 2003-2004 :


les recettes fédérales perçues en l’absence de toute réduction des impôts fédéraux auraient été de
57 milliards de dollars plus élevées;

le montant des dépenses de programme fédérales qui se seraient faites, en l’absence de toute
nouvelle politique se traduisant par une augmentation de ces dépenses, aurait été de 65 milliards
de dollars plus faible;

la dette fédérale a été réduite de 59 milliards de dollars pendant cette période20.
En somme, il a été estimé que, en l’absence de toute nouvelle initiative de dépenses de
programme ou de réductions d’impôt, le gouvernement fédéral aurait dégagé un excédent d’environ
181 milliards de dollars entre 1998-1999 et 2003-2004. De ce montant, 64 p. 100 ont servi à réduire
les impôts et la dette, tandis que les 36 p. 100 restants ont été utilisés pour financer des besoins
sociaux et économiques grâce à des dépenses de programme fédérales. Ce résultat n’est pas
compatible avec l’engagement à pratiquer une répartition moitié-moitié qui a été pris dans La mise à
jour économique et financière de 199721.

B. Le point de vue des témoins


Un grand nombre des témoins qui ont comparu devant le Comité souscrivent à la réserve
pour éventualités et à la mesure de prudence économique. Certains ont signalé que le Canada était le
seul pays du G-7 à incorporer ce type de réserves à sa planification financière et ont exhorté le
gouvernement à continuer d’affecter 3 milliards de dollars par an à la réserve pour éventualités et un
montant toujours croissant à la mesure de prudence économique.

Dans l’ensemble, les témoins considéraient comme suffisantes les sommes actuellement
allouées à la réserve pour éventualités et à la mesure de prudence économique, mais certains ont
recommandé que la première soit portée à 5 milliards de dollars. Les témoins s’entendaient aussi
pour dire que les sommes en question qui demeurent inemployées devraient être affectées à la
réduction de la dette fédérale.

Les avis étaient partagés quant à l’emploi de l’excédent budgétaire fédéral au-delà des
sommes prévues par mesure de prudence économique. Certains pensent qu’il faudrait en utiliser au
moins une partie pour réduire les impôts, estimant que ce type de mesure doperait la productivité et
la compétitivité de l’économie, ce qui stimulerait la croissance économique et, par voie de
conséquence, ferait augmenter l’assiette fiscale.
Pour d’autres, l’excédent budgétaire fédéral doit servir à financer des dépenses sociales et
culturelles et des dépenses d’infrastructure. Les témoins ont signalé que l’engagement du
gouvernement de consacrer la moitié de tout excédent budgétaire à des mesures d’ordre économique
et social et l’autre moitié à des allégements fiscaux et au remboursement de la dette n’avait pas été
respecté. D’après eux, seulement 22 p. 100 de l’excédent budgétaire qui aurait été enregistré en
l’absence de nouvelles dépenses de programme et de nouvelles réductions d’impôts depuis 1997 ont
servi à augmenter les dépenses de programme fédérales, ce qui est bien en deçà des 50 p. 100
promis. Pour eux, donc, le gouvernement fédéral devra affecter les excédents budgétaires futurs à de
nouvelles dépenses de programme pour respecter ses engagements.

D’autres encore prônent une approche plus équilibrée. Certains proposent que les excédents
budgétaires soient répartis entre les dépenses de programme et les allégements fiscaux; d’autres
voudraient que l’excédent serve à réduire les impôts, à rembourser la dette et à financer des dépenses
dans les secteurs de la recherche, de la formation et des infrastructures.

Enfin, des témoins ont dit estimer que le processus d’allocation de l’excédent budgétaire
devrait être plus transparent, peu importe la taille de l’excédent. Les témoins ont rappelé qu’il faut
d’abord des projections fiables pour prendre des décisions éclairées quant à l’emploi des excédents
budgétaires. Certains estiment que les informations budgétaires officielles du gouvernement fédéral
sont souvent trompeuses : le processus budgétaire repose toujours sur l’hypothèse que le
gouvernement fédéral ne dispose que d’une faible marge de manoeuvre financière pour financer de
nouvelles mesures et pourtant, tous les ans, l’exercice financier se solde toujours par un fort excédent
budgétaire. Plusieurs témoins ont recommandé que les prévisions budgétaires soient préparées par
un organisme indépendant, comme c’est le cas aux États-Unis, ou par le vérificateur général du
Canada.

C. Le point de vue du Comité


Comme certains des témoins, le Comité souscrit au principe d’une réserve pour éventualités
et d’une mesure de prudence économique, car il estime que les deux sont des éléments
indispensables de la planification financière responsable à laquelle les citoyens sont en droit de
s’attendre de la part de leurs gouvernements. Il est important que le gouvernement se munisse d’une
réserve pour faire face aux crises comme l’épidémie du Syndrome respiratoire aigu sévère, par
exemple, ou le cas de maladie de la vache folle ou les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Ce
sont précisément là le genre d’imprévus pour lesquels la réserve pour éventualités a été créée.

Selon le Comité, les fonds alloués à la réserve pour éventualités et à la mesure de prudence
économique constituent des éléments essentiels d’une planification financière prudente. Nous
sommes conscients de l’importance d’une réserve pour parer aux imprévus. Cependant, en l’absence
de circonstances exigeant l’emploi de la réserve pour éventualités — qui devrait d’après nous s’élever
à au moins 3 milliards de dollars — il faudrait continuer d’affecter celle-ci au remboursement de la
dette fédérale. Les prévisions financières n’étant pas une science exacte, nous sommes aussi pour
une mesure de prudence économique et estimons que les sommes inemployées devraient faire
partie du processus de planification budgétaire. En conséquence, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 3
Que le gouvernement fédéral continue d’intégrer à sa planification financière
une réserve pour éventualités d’au moins 3 milliards de dollars, de même
qu’une mesure de prudence économique suffisante tenant compte du fait que
plus la période de prévision est longue, moins les prévisions sont fiables.
4- Réduction de la dette federale et ratio de la dette federale au PIB

A. Le régime fédéral actuel


Depuis 1995-1996, grâce à une vigoureuse croissance économique et à la réduction de la
taille absolue de la dette fédérale, le rapport entre la dette fédérale nette et le PIB a été ramené d’un
sommet de 68,4 p. 100 à 41,1 p. 100 en 2003-2004, le plus bas niveau depuis 1983-1984. De plus, la
dette a été réduite de 61,4 milliards de dollars au cours des sept dernières années22. Dans le budget
fédéral de 2004, le gouvernement a annoncé qu’il se donnait comme objectif de ramener le ratio de
la dette au PIB à 25 p. 100 d’ici 10 ans. Le ministère des Finances a prévu qu’on pourrait atteindre
cet objectif en réduisant la dette fédérale de 3 milliards de dollars par année — ce qui, du moins par
le passé, a égalé la valeur de la réserve pour éventualités dans la plupart des années — compte tenu
du taux de croissance prévu sur cette période de 10 ans. Les 30 milliards de dollars sur 10 ans utilisés
pour réduire la dette fédérale représentent environ 2,5 p. 100 du PIB actuel. Par conséquent, la
majeure partie de la réduction du ratio entre la dette et le PIB proviendrait de la croissance
économique23.

Source :
Ministère des Finances, Tableaux de référence financiers, Octobre 2004, Tableaux 1 et 30.
Le coût du service de la dette a diminué de façon marquée au cours des huit dernières
années. Comme la figure 1.7 l’illustre, les frais du service de la dette fédérale comme pourcentage des
revenus budgétaires fédéraux sont passés de 33,6 à 19,2 p. 100 pendant la période de 1995-1996 à
2003-2004. Néanmoins, le ratio de la dette fédérale par rapport au PIB est légèrement inférieur au
double de celui de l’ensemble des provinces et territoires, et la comparaison est du même ordre pour
les frais du service de la dette. Il existe pourtant d’importants écarts entre les ratios des diverses
provinces, comme le montre la figure 1.8. L’Ontario et la Colombie-Britannique ont un ratio
relativement faible, l’Alberta enregistre des économies nettes, le Québec, la Nouvelle-Écosse et
Terre-Neuve-et-Labrador affichaient un ratio relativement élevé.
Source :
Marcelin Joanis et Claude Montmarquette, « La dette publique : un défi prioritaire pour le
Québec », Choix, Vol. 10, no 9, Octobre 2004, p. 3 (www.irpp.org).

B. Le point de vue des témoins


Le remboursement de la dette fédérale est une grande priorité pour de nombreux témoins :
tout versement qui réduit la dette est un investissement dans les générations futures. De nombreux
témoins sont d’avis que les portions inemployées de la réserve pour éventualités et de la mesure de
prudence économique devraient être affectées au remboursement de la dette, mais certains
privilégient des cibles plus précises et voudraient notamment que le gouvernement fédéral consacre
au moins 8 milliards de dollars au remboursement de la dette en 2005. D’autres ont recommandé
que le remboursement de la dette figure explicitement au budget et ne soit pas subordonné à d’autres
événements. Des témoins ont proposé qu’on institue un programme légiféré de réductions annuelles
de la dette fédérale représentant 5 p. 100 des revenus fiscaux annuels du gouvernement fédéral, ou
encore que le produit de la vente de biens de l’État, comme les actions de l’État dans Petro Canada,
soit affecté au remboursement de la dette.

D’autres témoins en revanche ne considèrent pas qu’il est prioritaire de rembourser la dette
fédérale et estiment que les sommes actuellement consacrées au remboursement de la dette devraient
plutôt être affectées au financement des priorités sociales des Canadiens comme les soins de santé,
l’éducation, la garde des enfants, l’infrastructure et d’autres besoins encore. Pour eux, une croissance
économique normale devrait suffire à réduire sensiblement le rapport de la dette fédérale au PIB, en
supposant que le gouvernement fédéral se contente d’équilibrer son budget. Certains témoins ont dit
au Comité que l’affectation des excédents planifiés, comme la réserve pour éventualités, au
remboursement de la dette contribue dans une bien faible mesure seulement à l’objectif de réduction
de la dette du gouvernement fédéral.

C. Le point de vue du Comité


Le Comité a deux observations à faire au sujet du rapport de la dette au PIB. Premièrement,
les économistes conviennent qu’il n’existe pas de rapport optimal. Par conséquent, tout objectif en la
matière est forcément un peu arbitraire. Deuxièmement, le rapport de la dette fédérale au PIB, qui
mesure essentiellement le coût du service de la dette du pays, peut être réduit de deux manières : par
une diminution du montant absolu de la dette — le numérateur — ou par la croissance
économique — le dénominateur.

C’est essentiellement la croissance économique qui explique la réduction du rapport de la


dette fédérale au PIB depuis que le gouvernement fédéral a équilibré son budget. Il reste cependant
qu’en agissant sur les deux fronts — progression du PIB et versements sur la dette — on atteindra la
cible visée plus rapidement et on réduira les frais de service de la dette, ce qui libérera des fonds qui
pourront alors être affectés aux dépenses de programme et aux réductions des impôts que souhaitent
les Canadiens. C’est en partie pour cette raison que le Comité a recommandé que la réserve pour
éventualités s’élève à au moins 3 milliards de dollars et que, dans tout le présent rapport, nous
formulons des recommandations qui, si elles sont mises en oeuvres, devraient d’après nous stimuler
la croissance du PIB. Nous recommandons d’agir à la fois sur le numérateur et sur le dénominateur,
car les deux sont importants. Il faudrait presque 170 ans pour éponger la dette fédérale si l’on se
contentait d’y affecter une réserve pour éventualités de 3 milliards de dollars.

À l’instar d’un certain nombre des témoins que nous avons entendus, nous continuons de
penser qu’il importe de chercher à réduire le rapport de la dette fédérale au PIB. Toute réduction du
niveau absolu de la dette fait baisser les paiements d’intérêt et l’argent ainsi épargné peut alors être
investi dans des secteurs prioritaires pour les Canadiens. En outre, les paiements d’intérêt sont plus
faciles à financer quand la croissance économique est soutenue, croissance qui est source de
prospérité. En dépit du fait que les économistes considèrent que le choix d’une cible et d’un délai
donné pour l’atteindre comporte une part d’arbitraire, nous estimons que ce type de démarche est
valable dans la mesure où il fixe un objectif autour duquel mobiliser les énergies du pays et par
rapport auquel mesurer les progrès, sur le plan intérieur et par rapport à ce qui se fait ailleurs.

Le Comité souscrit à l’objectif de 25 p. 100 concernant le rapport de la dette fédérale au PIB.


La baisse de ce rapport réduit les frais de service de la dette publique, et nous souhaitons que ceux-ci
diminuent de manière à libérer des fonds pour répondre aux priorités des Canadiens. Pour cette
raison, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 4
Que le gouvernement fédéral maintienne le rythme auquel il entend ramener
à 25 p. 100 du rapport de la dette fédérale au PIB.

5- Processus budgétaire fédéral et planification prudente

A. Le régime fédéral actuel


Pour préparer un budget, il faut faire des choix. Le gouvernement fédéral, lorsqu’il élabore
son budget, doit concilier des demandes voulant qu’on maintienne les dépenses et qu’on en fasse de
nouvelles dans divers domaines, et les propositions de modifications d’impôt diverses visant à
accroître la compétitivité de l’économie. Il doit également tenir compte de la nécessité d’agir de façon
responsable du point de vue financier et s’assurer que les dépenses d’aujourd’hui ne représentent pas
une charge déraisonnable pour les générations futures. Les consultations prébudgétaires annuelles
menées par le Comité permanent des finances sont un élément clé du processus, étant donné qu’elles
donnent aux Canadiens la possibilité de faire connaître au gouvernement leurs préférences sur le
plan de la fiscalité et des dépenses et leurs autres priorités.
On peut voir au tableau 1.2 les montants qui pourraient être disponibles pour la planification
du budget fédéral pendant l’exercice en cours et les cinq prochains, d’après la moyenne des
prévisions des excédents du secteur privé, dont il est fait état dans La mise à jour économique et
financière de novembre 2004. Ces montants comprennent : la réserve pour éventualités qui, par
principe, sert à réduire la dette fédérale si on n’en a pas besoin pour d’autres fins; les montants
prévus au budget par prudence économique, qui peuvent être disponibles pour la planification
fiscale, si on n’en a pas besoin par ailleurs; et le montant minimum que devraient permettre de
dégager les travaux du Sous-comité sur l’examen des dépenses, qui cherche à dégager des économies
de 3 milliards par an de dollars à réaffecter des secteurs peu prioritaires aux secteurs de priorité
élevée.

Tableau 1.2 : Montants éventuels disponibles pour affectation dans les budgets fédéraux, de

Tableau 1.2 : Montants éventuels disponibles pour affectation dans les budgets fédéraux,
de 2004-2005 à 2009-2010

Exercice financier 2004- 2005- 2006- 2007- 2008- 2009-


2005 2006 2007 2008 2009 2010
(montants en milliards de dollars)

Excédent budgétaire fédéral prévu (d’après


8,9 4,5 5,9 9,2 14 18,5
la moyenne des prévisions du secteur privé)

Réserve pour éventualités

3 3 3 3 3 3
(sert à réduire la dette fédérale si on n’en
pas besoin à d’autres fins)

Excédent budgétaire fédéral prévu, net de


tout remboursement possible de la dette 5,9 1,5 2,9 6,2 11,0 15,5
(politique)

Prudence économique (peut être disponible


1 2 3 3,5 4
pour planification budgétaire)

Sous-comité sur l’examen des dépenses


3 3 3 3 3
(montants disponibles pour réaffectation)

Montant qui pourrait être disponible pour


5,9 5,5 7,9 12,2 17,5 22,5
affectation budgétaire

Sources : Ministère des Finances, novembre 2004, La mise à jour économique et financière,
p. 78 et calculs de la Bibliothèque du Parlement.-2005 à 2009-2010
Sources :
Ministère des Finances, novembre 2004, La mise à jour économique et financière, p. 78 et calculs
de la Bibliothèque du Parlement.
Il existe néanmoins quelque inquiétude au sujet de l’approche actuelle de la planification
budgétaire fédérale : le gouvernement consulte des organismes du secteur privé qui font des
prévisions économiques pour établir ses propres prévisions budgétaires, retenant des hypothèses
relativement modérées et prévoyant une certaine mesure de prudence, sur un horizon de
planification de deux ans. Comme on le voit au tableau 1.1, l’excédent budgétaire du gouvernement
fédéral, ces dernières années, a toujours dépassé le montant de la mesure de prudence prévue, et
parfois considérablement.

Le 29 septembre 2004, le ministre des Finances a annoncé que Tim O’Neill, économiste en
chef et vice-président à la direction de BMO Groupe financier, « effectuera un examen approfondi
et indépendant des prévisions économiques et financières du gouvernement24 ». M. O’Neill
analysera les écarts entre les prévisions économiques et financières présentées dans les budgets
fédéraux et les résultats concrets obtenus au cours de la dernière décennie. Le but premier de cet
examen est de trouver des moyens d’améliorer la préparation et l’exactitude des prévisions
économiques et financières. L’examen « comparera également l’approche adoptée par le Canada à
l’égard des prévisions financières et celle utilisée par certains pays membres de l’Organisation de
coopération et de développement économiques25 ». L’examen devrait se terminer au début de 2005.

Enfin, un amendement apporté au discours du Trône d’octobre 2004 a recommandé « la


création d’un service parlementaire indépendant du budget chargé de fournir régulièrement des avis
sur les prévisions financières du gouvernement du Canada26 ».

B. Le point de vue des témoins


La plupart des témoins entendus par le Comité adhèrent au principe de prudence dans la
planification budgétaire et à l’engagement du gouvernement fédéral de présenter des budgets
équilibrés. Beaucoup considèrent d’ailleurs cette prudence essentielle pour la prospérité économique
du Canada dans la mesure où elle nous prémunit contre les déficits budgétaires. Nous avons appris
que, entre 1988 et 1997, de tous les pays de l’OCDE, trois seulement avaient enregistré une
augmentation des revenus par habitant plus faible qu’au Canada. La situation s’est grandement
améliorée depuis en raison des allégements fiscaux et des excédents budgétaires fédéraux.

C. Le point de vue du Comité


Le Comité considère que la prudence est — ou devrait être — à la base du processus
budgétaire puisque c’est en veillant à la santé financière de l’État que nous serons en mesure d’offrir
aux Canadiens les programmes, les allégements fiscaux et les autres mesures qu’ils souhaitent et dont
ils ont besoin. Depuis qu’il a réussi à équilibrer le budget en 1997-1998, grâce à une planification
prudente, le gouvernement fédéral a pu éviter de recourir au financement par déficit, réduire le
rapport de la dette fédérale au PIB et affecter des fonds à la réserve pour éventualités et à la mesure
de prudence économique tout en continuant de présenter des budgets équilibrés.

Le Comité souscrit à une planification budgétaire prudente qui doit selon lui reposer sur
l’information de qualité que procurent les meilleures méthodes de projection et les prévisions les plus
justes. En conséquence, il entend poursuivre en 2005 son étude des prévisions budgétaires fédérales.
Il tiendra des audiences et commandera à des spécialistes des prévisions budgétaires des exposés
trimestriels basés sur les données trimestrielles du compte du revenu national.

Comme les années passées et dans le contexte de ses travaux à venir sur les prévisions
budgétaires fédérales, le Comité continue de prôner la prudence en matière budgétaire. À l’instar de
nombreux témoins, nous estimons que le gouvernement fédéral ne doit pas financer ses activités
courantes par déficit. Ce serait agir de manière irresponsable et, qui plus est, infliger un camouflet
aux Canadiens, qui ont accepté des sacrifices pour sortir le pays du déficit. Il demeure prioritaire
d’éviter tout déficit budgétaire fédéral. En conséquence, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 5
Que le gouvernement fédéral maintienne sa politique de budgets équilibrés,
de manière à éviter tout déficit budgétaire.

6- Fédéralisme fiscal

A. Le régime fédéral actuel


La question de l’équilibre ou du déséquilibre fiscal au Canada est liée à d’autres enjeux :
comment concilier des normes nationales dans la prestation des services publics et l’autonomie des
provinces et des territoires, et comment répartir les revenus et les responsabilités en matière de
dépenses. Un débat intense se déroule en ce moment sur le cadre financier de la fédération
canadienne, et la position générale adoptée par les provinces et les territoires est qu’ils n’ont pas des
revenus suffisants pour assumer leurs responsabilités constitutionnelles tandis que le gouvernement
fédéral réalise des excédents budgétaires.

Pour sa part, le gouvernement fédéral a pour thèse que les deux niveaux de gouvernement
ont accès à toutes les sources principales de revenus et que les provinces et territoires ont de surcroît
des assiettes fiscales comme les redevances sur les ressources, le jeu et les alcools; le gouvernement a
par contre des compétences exclusives à l’égard de sources comme les droits de douane et les taxes
sur les non-résidants. Il a été avancé également que les réductions d’impôt des dernières années, dans
les provinces et les territoires, révèlent peut-être que les gouvernements provinciaux et territoriaux
avaient des revenus suffisants, et que, pendant les années des déficits budgétaires fédéraux, le
gouvernement fédéral n’a pas fait valoir au sujet du déséquilibre les types d’argument que les
provinces et territoires emploient aujourd’hui.

Ces opinions donnent lieu à des discussions pour savoir s’il existe un déséquilibre fiscal
vertical et, dans une mesure moindre, au sujet de l’existence d’un déséquilibre fiscal horizontal. Il y a
déséquilibre fiscal vertical lorsque les capacités financières de différents niveaux de gouvernement et
leurs responsabilités en matière de dépenses ne s’accordent pas. Il y a déséquilibre fiscal horizontal
lorsque les capacités fiscales des provinces et territoires ne sont pas identiques.

Le programme de péréquation et la formule de financement des territoires visent à corriger


les déséquilibres fiscaux horizontaux27. Le programme de péréquation a vu le jour en 1957 et il a
ensuite été consacré par le paragraphe 36(2) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui dispose : « Le
Parlement et le gouvernement du Canada prennent l'engagement de principe de faire des paiements
de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les
mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement
comparables28. »

Le programme vise à atténuer les inégalités fiscales entre les provinces en augmentant les
revenus des provinces les moins riches. Pour atteindre cet objectif, des paiements fédéraux sont
versés sans conditions aux provinces bénéficiaires pour qu’elles puissent offrir des services publics
relativement comparables sans avoir à percevoir des impôts excessifs. Le programme de péréquation
est renouvelé tous les cinq ans pour garantir l’intégrité de la formule sur laquelle les paiements se
fondent.
Les territoires ont quant à eux la formule de financement des territoires qui leur permet de
recevoir des subventions inconditionnelles. La capacité fiscale des territoires ainsi que les coûts
élevés et les circonstances propres au nord du Canada sont prises en considération. Comme dans le
cas du programme de péréquation, la formule est revue tous les cinq ans.

En octobre 2004, un nouveau cadre financier législatif a été établi pour le programme de
péréquation et la formule de financement des territoires, et il s’appliquera à compter de 2005-2006.
En 2005-2006, le financement s’élèvera à 10,9 milliards de dollars et à 2 milliards de dollars,
respectivement, pour le programme de péréquation et pour la formule de financement des
territoires; ces montants augmenteront de 3,5 p. 100 par année. Il y a également eu accord au sujet
d’un examen des niveaux globaux de financement après une période de cinq ans, et les rajustements
qui pourraient s’imposer seront apportés en 2009-201029.

Un groupe d’experts entreprendra un examen public des deux programmes. Il étudiera, pour
conseiller le gouvernement fédéral, les questions suivantes : la répartition entre les provinces et les
territoires du montant prévu chaque année pour les programmes; les mesures globales de l’évolution
des disparités fiscales entre les provinces, et l’évolution des coûts de la prestation des services dans
les territoires; la possibilité de doter le Canada d’un organisme indépendant et permanent pour
fournir des conseils au gouvernement fédéral sur la répartition de la péréquation et de la formule de
financement des territoires dans le cadre des niveaux législatifs30.

Le transfert canadien en matière de programmes sociaux (TCPS) et le transfert canadien en


matière de santé (TCS) visent à atténuer tout déséquilibre fiscal vertical qui pourrait exister entre les
niveaux fédéral et provincial-territorial de gouvernement31. Les transferts du gouvernement fédéral
vers les gouvernements provinciaux et territoriaux servent à financer les services de santé, dans le cas
du TCS, et l’éducation, l’aide sociale et d’autres services sociaux dans le cas du TCPS. Tandis que le
TCS doit être consacré à la santé, le TCPS peut être réparti au gré de la province ou du territoire
entre l’éducation, l’aide sociale et les services sociaux. Comme on le voit au tableau 1.9, les transferts
fédéraux en espèces et les transferts de points d’impôt en vertu du TCS et du TCPS devraient
augmenter au fil du temps32.
Source :
Ministère des Finances, Le plan budgétaire 2004.

B. Le point de vue des témoins


Plusieurs témoins ont fait état d’un déséquilibre fiscal vertical entre le gouvernement fédéral
et les gouvernements des provinces et des territoires. En fait, ils craignent que ce déséquilibre
s’aggrave progressivement du fait que les dépenses dans les domaines coûteux comme la santé,
l’éducation et les services sociaux relèvent principalement des provinces et des territoires. Suivant un
témoin, l’existence de ce déséquilibre fiscal est de plus en plus nette depuis 30 ans. Comme le
gouvernement fédéral y remédie essentiellement par la voie de transferts au profit des provinces et
des territoires, on se retrouve avec un problème de reddition de comptes, car un palier de
gouvernement dépense, pour s’acquitter de ses responsabilités constitutionnelles, des sommes
perçues par un autre. On a fait valoir au Comité que, en veillant à ce que les gouvernements des
provinces et des territoires disposent de la capacité fiscale voulue pour assumer les responsabilités
qui leur sont conférées par la Constitution, on renforcerait la responsabilisation politique au sein de
la fédération.

Des témoins ont rappelé au Comité qu’il est possible d’effectuer un transfert de capacité
fiscale du gouvernement fédéral aux provinces et territoires soit en réduisant les impôts au niveau
fédéral — ce qui permettrait aux provinces et aux territoires d’augmenter les leurs — soit en
transférant davantage de points d’impôt aux provinces et territoires. Quelqu’un a fait remarquer
qu’une des qualités du fédéralisme réside dans le fait que les provinces et les territoires assument
d’importantes responsabilités.

D’autres témoins s’opposent à ce que l’on confère une plus grande marge fiscale aux
provinces et territoires ou à ce qu’on leur cède des points d’impôt. Ceux-là souscrivent au système
actuel de transferts, qui permet au gouvernement fédéral de subordonner des transferts au respect de
certaines conditions et de garantir ainsi que toutes les provinces et territoires offrent des services
publics analogues.

Enfin, beaucoup de témoins ont fait valoir que le gouvernement fédéral doit collaborer avec
les provinces et les territoires pour veiller à ce qu’il y ait des fonds suffisants pour financer les
services offerts par tous les paliers de gouvernement et pour assurer la coordination de la prestation
de ces services. Ils ont fait état de nombreux cas où les divers paliers de gouvernement ont su
s’entendre pour concevoir et offrir de meilleurs programmes et services aux Canadiens.

C. Le point de vue du Comité


Pour le Comité, tous les gouvernements doivent s’entendre sur la meilleure manière de
répondre aux besoins des Canadiens puisque, en dernière analyse, il n’y a qu’un contribuable. Nous
sommes conscients de la distribution constitutionnelle des pouvoirs et des mesures et programmes
conçus pour remédier à ce qui peut être perçu comme des déséquilibres fiscaux horizontaux et
verticaux. À notre avis, au lieu d’argumenter sur l’existence et l’ampleur du déséquilibre fiscal, il
vaudrait mieux chercher ensemble la meilleure manière de répondre aux besoins des Canadiens.
C’est dans cet esprit que le Comité recommande :

RECOMMANDATION 6
Que le gouvernement fédéral entame des discussions avec les gouvernements
des provinces et des territoires sur le montant optimal des dépenses
consacrées à la santé, à l’éducation, à l’aide sociale et aux autres services
sociaux, ainsi que sur les mécanismes de reddition de comptes appropriés,
tout en tenant compte de la taille relative de la dette du gouvernement fédéral
et de celle des gouvernements des provinces et des territoires.

Ministère des Finances, La mise à jour économique et financière, 16 novembre 2004, p. 48 voir :
http://www.fin.gc.ca/budtocf/2004/ec04_f.html.

Ibid., p. 47.

Ibid., p. 37.

Pour connaître les taux de change, voir : http://www.banqueducanada.ca/fr/can_us_cloture-


f.htm.

Comité permanent des finances de la Chambre des communes, « Exposé du ministre des
Finances sur La mise à jour économique et financière », 16 novembre 2004.

Pour connaître le taux d’intérêt à un jour de la Banque du Canada, voir :


http://www.banqueducanada.ca/fr/index.htm.

Statistique Canada, L’Observateur économique canadien, septembre 2004.

Le sondage a été mené pour le compte de la Banque Manuvie du Canada par Maritz Research.
Les résultats ont été rendus publics en octobre 2004. Un communiqué a été publié à ce sujet.
Voir : http://www.manulife.com/corporate/corporate2.nsf/Public/fr_canada101304.html.

RBC Groupe financier, « Sept mythes à propos de la situation financière des ménages »,
Conjonctures, mars 2004. Voir : http://www.rbc.com/economie/marche/pdf/mythsf.pdf.
L’inflation de base est l’indice d'ensemble des prix à la consommation auquel on a soustrait les
huit éléments les plus instables et les effets des changements dans les impôts indirects.

Ce taux de 2 p. 100 se situe au milieu de la fourchette d’inflation visée par la Banque du Canada.

Ministère des Finances, Le plan budgétaire de 2004 – Une gestion financière responsable et
prudente, voir : http://www.fin.gc.ca/budget04/pamph/pafinf.htm.

Ministère des Finances, Le plan budgétaire de 2004, p. 57, voir :

http://www.fin.gc.ca/budtocf/2004/budlistf.htm.
ÉCONOMIE

Estimation du produit
intérieur brut régional des
17 régions administratives
du Québec

Cahier technique et méthodologique

André Lemelin
Professeur-chercheur, INRS-UCS

et
Pierre Mainguy
Consultant

Mars 2009
Pour tout renseignement concernant l’ISQ
et les données statistiques dont il dispose,
s’adresser à :
Institut de la statistique du Québec
200, chemin Sainte-Foy
Québec (Québec)
G1R 5T4
Téléphone : 418 691-2401

ou

Téléphone : 1 800 463-4090


(sans frais d’appel au Canada et aux États-Unis)

Site Web : www.stat.gouv.qc.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
1er trimestre 2009
ISBN : 978-2-550-55476-9 (version imprimée)
ISBN : 978-2-550-55477-6 (PDF)

© Gouvernement du Québec, Institut de la statistique du Québec

Toute reproduction est interdite


sans l’autorisation expresse
de l’Institut de la statistique du Québec.

Mars 2009
Avant-propos

La présente publication décrit la méthode utilisée pour estimer le produit intérieur brut (PIB) régional des
17 régions administratives (RA), des six régions métropolitaines de recensement (RMR) du Québec, d’un
territoire hors RMR et des trois territoires de conférence régionale des élus (CRÉ) de la Montérégie. Le
développement de cette méthodologie d’estimation spécifiquement adaptée au Québec est le fruit d’une
collaboration entre l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et l’Institut national de la recherche
scientifique (INRS), particulièrement du chercheur André Lemelin et du consultant Pierre Mainguy.

Le PIB est l’un des principaux indicateurs de la situation économique d’un pays ou d’une région. Le PIB
est la valeur sans double compte des biens et services produits dans le territoire économique du pays ou
de la région au cours d’une période donnée, peu importe le lieu de résidence de ceux qui en reçoivent le
revenu. Le PIB est donc différent du revenu personnel, soit le revenu des résidents d’un territoire donné,
peu importe où a lieu la production. Par ailleurs, on peut aussi mentionner que le PIB est égal à la somme
des valeurs ajoutées des diverses activités économiques, cette notion étant définie comme la valeur de la
production moins la valeur des intrants intermédiaires.

Cette publication s’adresse à tous ceux qui s’intéressent aux statistiques régionales, à l’expérience de
développement qui a rendu possible la production de telles statistiques et à la situation d’un pays ou d’un
territoire donné en étudiant les territoires qui le composent.

Le directeur général,

Stéphane Mercier

Produire une information statistique pertinente, fiable et objective, comparable, actuelle, intelligible et
accessible, c’est là l’engagement « qualité » de l’Institut de la statistique du Québec.
Cette publication a été réalisée par : Danielle Bilodeau, Réjean Aubé et
Yrène Gagné, économistes
Direction des statistiques économiques
et du développement durable

Avec l’assistance technique de : Marie-Ève Cantin, Esther Frève et


Danielle Laplante
Direction des communications

Sous la direction de : Marie-José Péan


Directrice par intérim des statistiques
économiques et du développement
durable

Pour tout renseignement concernant le contenu Direction des statistiques économiques et


de cette publication : du développement durable

Signes conventionnels Symboles

– Néant ou zéro $ Dollar


.. Donnée non disponible k En milliers
e Donnée estimée M En millions
ep Donnée estimée préliminaire G En milliards
er Donnée estimée révisée n Nombre
p Donnée provisoire % Pour cent ou en pourcentage
r Donnée révisée
x Donnée confidentielle
Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier les personnes suivantes :


• Danielle Bilodeau et Réjean Aubé, nos collaborateurs de tous les instants à l'Institut de la statistique
du Québec, qui ont pris en charge la production récurrente des estimations du PIB régional; sans leur
participation, ce projet n’aurait pas été possible;
• Yrène Gagné, de l'Institut de la statistique du Québec, pour la gestion et le suivi de nos besoins de
documentation tout au long du processus;
• Pierre Corriveau, de Revenu Québec, qui a toujours répondu généreusement à nos questions et dont le
service a consacré beaucoup de temps à produire les renseignements demandés;
• Sophie Brehain, de l'Institut de la statistique du Québec, qui a fait plusieurs recherches sur les
immobilisations et les permis de bâtir résidentiels auprès de Statistique Canada;
• Jean-Louis Leblond, de l'Institut de la statistique du Québec, qui nous a aidés à propos des données
sur les immobilisations;
• Stéphane Ladouceur et Rémy Thivierge, de l'Institut de la statistique du Québec, qui nous ont
transmis les données régionales sur les évaluations foncières municipales;
• Jean Berselli et Laval Tremblay, de l'Institut de la statistique du Québec, qui nous ont, entre autres,
communiqué les chiffres compilés à partir des microdonnées de l’Enquête sur les activités
manufacturières;
• Van Phu Nguyen, de l'Institut de la statistique du Québec, qui a été notre contact à propos des
tableaux des entrées-sorties;
• Raymond Beullac et Sophie Desfossés, de l’Institut de la statistique du Québec, qui ont préparé pour
nous les données du Recensement des mines, carrières et sablières.

Plusieurs autres personnes de l'Institut de la statistique du Québec nous ont fourni des réactions ou
commentaires sur le travail accompli : mentionnons Denis Belzile (secteur agricole), Serge Bernier
(secteur culturel) et Richard Barbeau (administration publique). Enfin, il ne faudrait pas oublier de
remercier le personnel de secrétariat pour l'appui qu'il nous a offert.
Liste des abréviations

AEE Autres excédents d’exploitation

BEA Bureau of Economic Analysis des États-Unis d’Amérique

BLS Bureau of Labor Statistics des États-Unis d’Amérique

CAEQ Classification des activités économiques du Québec

CRÉ Conférence régionale des élus

CTI Classification type des industries

DCI Division des comptes d’industrie de Statistique Canada

EERH Enquête de Statistique Canada sur l'emploi, la rémunération et les heures


travaillées

GSP Gross State Product (produit par le BEA)

INSEE Institut national de statistique et d’études économiques

ISQ Institut de la statistique du Québec

MinXEnt Minimum Cross-Entropy (minimisation de l’entropie croisée)

ONS Office for National Statistics du Royaume-Uni

PIB Produit intérieur brut

RA Région administrative

RMR Région métropolitaine de recensement

RNEI Revenu net des entreprises individuelles (aussi appelé revenu mixte)

RPA Revenus des particuliers en affaires

SCIAN Système de classification industrielle d’Amérique du Nord

SNA System of National Accounts des Nations unies

SRST Salaires et revenu supplémentaire du travail

TES Tableaux des entrées-sorties (aussi appelés tableaux intersectoriels)

VA Valeur ajoutée
Table des matières

Avant-propos 3

Remerciements 5

Liste des abréviations 6

Table des matières 7

Introduction 11

1. Grandes lignes de la méthode 13


1.1 Arrière-plan 13
1.2 Principes clés 16
1.3 Présentation sommaire du processus d’application de la méthode 16
1.4 Découpage territorial du Québec 17

2. Données cibles 23
2.1 Sources 23
2.1.1 Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec 23
2.1.2 Tableaux des entrées-sorties (TES) 25
2.1.3 Produit intérieur brut (PIB) par industrie en dollars courants 26
2.2 Ajustement des données des TES 26
2.3 Données cibles pour l’estimation du PIB régional des années récentes 28
2.3.1 Deuxième et troisième année précédant l’année de diffusion 29
2.3.2 Année précédant immédiatement l’année de diffusion 33

3. Construction des indicateurs de répartition 35


3.1 Données fiscales de Revenu Québec 35
3.1.1 Salaires 35
3.1.2 Revenu net des entreprises individuelles (RNEI) 36
3.2 Transformations préalables des données fiscales de Revenu Québec 38
3.2.1 Passage de la CTI au SCIAN 38
3.2.2 Transformation du lieu de résidence au lieu de production 40
8 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

4. Application des indicateurs de répartition aux composantes du PIB 43


4.1 Répartition de la rémunération des salariés, par industrie, en 30 territoires 44
4.2 Répartition géographique du RNEI par industrie 45
4.3 Répartition géographique des autres excédents d’exploitation (AEE) 48
4.4 Industries particulières 49
4.4.1 Pêche, chasse et piégeage (SCIAN 114) 50
4.4.2 Extraction de minerais métalliques et non métalliques (SCIAN 2122 et 2123) 50
4.4.3 Industrie de la construction (SCIAN 23) 51
4.4.4 Fabrication de produits du pétrole et du charbon (SCIAN 324) 52
4.4.5 Première transformation des métaux (SCIAN 331) 52
4.4.6 Bailleurs de biens immobiliers (SCIAN 5A03) 53
4.4.7 Logements occupés par leurs propriétaires (SCIAN 5A04) 53
4.5 Étalonnage final 55

5. Évaluation des estimations du PIB régional 57


5.1 Fiabilité des estimations 57
5.1.1 Évaluation a posteriori 57
5.1.2 Évaluation a priori 59
5.2 Schéma de confidentialité 61

Résumé et conclusion 63

Références 67
Documents 67
Sites Web 68

Annexe 1 – Classification des industries 69


Tableau A1.1 – Correspondance entre les agrégations à 63, 40 et 18 industries SCIAN 69
Tableau A1.2 – Classification type des industries (CTI) des données salariales de Revenu Québec 72

Annexe 2 : Utilisation des matrices de navettage 75


A2.1 Choix des données à utiliser pour différents types de revenus 75
A2.2 Préparation des matrices de navettage 77
A2.3 Conversion préliminaire, avant prise en compte des résidents hors Québec 80
A2.4 Prise en compte des travailleurs domiciliés hors Québec 82
A2.5 Application des indicateurs de répartition 83
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 9

A2.6 Implications de l’hypothèse sur les résidents hors Québec 84

Annexe 3 : Combinaison des données fiscales complètes et incomplètes du RNEI 87


A3.1 Fondements épistémologiques de la méthode MinXEnt 87
A3.1.1 Le « second principe » de Kapur et Kesavan (1992) 87
A3.1.2 Interprétation de l’entropie croisée de Kullback-Leibler (1951) 88
A3.2 Généralisation de la méthode par Junius et Oosterhaven (2003) 89
A3.3 Processus d’estimation du RNEI par industrie et par région 91
A3.3.1 Calcul du RNEI de l’ensemble des industries par territoire de production 91
A3.3.2 Hiérarchie de l’information 92
A3.3.3 Traitement parallèle selon le découpage géographique 92
A3.3.4 Ajustement 92
A3.4 Comparaison avec le critère des moindres carrés 94
Références de l’annexe 3 95

Annexe 4 : Répartition géographique des valeurs des débarquements des pêches maritimes 97
Introduction

Ce cahier technique présente la méthode utilisée pour estimer le produit intérieur brut des 17 régions
administratives (RA) et des six régions métropolitaines de recensement (RMR) du Québec, d’un territoire
hors RMR et des trois territoires de conférence régionale des élus (CRÉ) de la Montérégie.

Le premier chapitre présente les grandes lignes de la méthode. Celle-ci consiste à répartir la rémunération
des salariés et le revenu net d'entreprises indépendantes (RNEI) par industrie au Québec entre les régions,
au moyen d’indicateurs de répartition construits à partir des statistiques fiscales de Revenu Québec. Les
autres composantes de la valeur ajoutée sont ensuite réparties pour chaque industrie proportionnellement
à la somme de la rémunération du travail et du RNEI. Le point de départ du processus est le total
québécois à répartir entre les régions : le PIB par industrie et par composante de la valeur ajoutée, en
dollars courants, selon les Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec. Ce sont les
« données cibles ». Au deuxième chapitre, on explique comment sont élaborées ces données cibles. Au
chapitre 3, on expose la méthode de construction des indicateurs de répartition à partir des données
fiscales de Revenu Québec. La procédure d’application des indicateurs de répartition aux données cibles,
décrite au chapitre 4, aboutit au calcul du PIB régional par industrie. C’est aussi au chapitre 4 qu’on
donne des précisions sur l’estimation du PIB régional des industries dites « particulières », qui fait appel à
d’autres indicateurs de répartition que ceux qui sont utilisés pour l’ensemble des industries. Le chapitre 5
est consacré à un compte rendu du travail d’évaluation de la qualité des résultats. Le dernier chapitre
conclut en résumant le document.
1. Grandes lignes de la méthode

Le PIB régional est estimé par industrie ou groupe d'industries, suivant une méthode descendante, à partir
du PIB selon les revenus. Dans le Système de comptabilité nationale des Nations unies de 1993, celui-ci
est défini de la façon suivante : « Dans l’optique du revenu, le produit intérieur brut (PIB) est égal à la
rémunération des salariés, plus les impôts, moins les subventions, sur la production et les importations,
plus le revenu mixte brut, plus l’excédent d’exploitation brut. » (OCDE, 2001).

1.1 Arrière-plan

La première étape de l’élaboration de la méthode a consisté à recenser les expériences déjà tentées ailleurs
pour calculer le PIB régional, à juger de la valeur des méthodes recensées et à vérifier leur applicabilité à
la situation des régions administratives du Québec. Le lecteur intéressé trouvera un compte rendu plus
élaboré de ce survol des écrits dans Lemelin et Mainguy (2008).

On peut classer les méthodes en deux familles :


• Les méthodes dites « ascendantes » (de bas en haut) consistent à collecter les données économiques à
l’échelle de l’établissement, puis à progresser par addition jusqu’à obtenir la valeur régionale de
l’agrégat. Divers ajustements permettent ensuite d’aligner les données régionales sur les agrégats
nationaux.
• Les méthodes descendantes consistent à répartir un chiffre national entre les régions sans essayer
d’isoler l’établissement local. Le chiffre national est réparti à l’aide d’un indicateur aussi proche que
possible de la variable à estimer.

En pratique, évidemment, la plupart des méthodes sont mixtes, car, d’une part, avec la méthode
ascendante, les données présentent presque toujours des lacunes qui doivent être comblées par une
méthode descendante. D’autre part, les méthodes descendantes font aussi appel à des sources de données
exhaustives comme les méthodes ascendantes.

Il se trouve quelques exemples de calcul de PIB régional pour des territoires inférieurs à des États ou à
des provinces.

Au Canada, le Conference Board produit des estimations du PIB réel (en $ constants) aux prix de base des
RMR, par industrie, pour une soixantaine d’industries en utilisant les données mensuelles de l’emploi par
RMR selon les données de l’Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada. Puisque les
données d’emploi selon l’EPA sont estimées selon le lieu de résidence, les chiffres sont corrigés pour
tenir compte du navettage résidence-travail, au moyen de données du recensement de la population. On
14 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

obtient le PIB de chaque industrie en multipliant l’emploi dans la RMR par la productivité de la main-
d’œuvre de cette industrie à l’échelle de la province. Le PIB total de la RMR s’obtient en faisant la
somme sur les industries. La méthode appliquée par le Conference Board à l'estimation du PIB des
régions métropolitaines de recensement (RMR) est trop simple pour ne pas être très imprécise. En outre,
elle est inapplicable aux petites régions, à cause de la trop grande marge d'erreur des données de l'Enquête
sur la population active et de la présence de données qui sont masquées par intermittence selon les règles
de confidentialité de Statistique Canada.

Aux États-Unis, le Bureau of Economic Analysis (BEA) estime depuis peu le PIB des régions
métropolitaines, en plus du PIB des États. La méthode du BEA, selon une approche descendante,
distribue la production par industrie à l’échelle de l’État entre les régions métropolitaines en fonction des
revenus (earnings), qui sont enregistrés selon le lieu de travail. Les revenus, qui comprennent les
paiements de traitements et salaires, le supplément du revenu de travail et les revenus des propriétaires
(proprietors’ income, ou revenu mixte), sont estimés à partir des données du Quarterly Census of
Employment and Wages du Bureau of Labor Statistics (BLS). Par ailleurs, la méthode du BEA pour
estimer le Gross State Product (GSP) est une méthode mixte (ascendante-descendante), qui fait appel à
des données fiscales et administratives, à l'instar de celle qu’applique Statistique Canada à l’estimation du
PIB des provinces.

Au sein de l'Union européenne, l'application des règles de distribution des fonds structurels exige la
connaissance du PIB des régions des États membres. Les calculs sont encadrés par les principes communs
énoncés par Eurostat. Ce sont donc là des précédents qui se rapprochent de la problématique de
l’estimation du PIB des régions du Québec. Mais il ne faut pas perdre de vue que les régions des États
membres de l’Union européenne ont une taille bien plus considérable, en population et en poids
économique, que la plupart des 17 régions administratives du Québec. Nous avons examiné de plus près
les méthodes respectives de l'Institut national de statistique et d’études économiques (INSEE), en France,
et de l'Office of National Statistics (ONS), au Royaume-Uni.

L'ONS pratique une méthode très semblable à celles du BEA des États-Unis pour l’estimation des GSP et
de Statistique Canada pour l’estimation du PIB des provinces. Il semble cependant que le versant
descendant ait encore plus d'importance dans la méthode de l'ONS. La principale faiblesse de cette
méthode est que les revenus de travail sont répartis sur la base du lieu de résidence, plutôt que sur la base
du lieu de travail, comme l'exigerait le concept de produit intérieur brut. Par contre, les estimations
seraient faites annuellement selon la même méthode.

En France, l'INSEE applique une méthode qui est basée sur un système très complexe de données
d'entreprises; l'INSEE peut en outre s’appuyer sur des « comptables régionaux », dont la présence à
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 15

l’échelle locale et la connaissance du milieu permettent de mieux valider les données. La méthode de
l'INSEE est mixte à dominante ascendante. Elle semble plus précise que celle de l'ONS, mais aussi plus
exigeante. Aussi est-elle appliquée intégralement uniquement pour estimer les composantes du PIB
régional pour certaines années dites « de base », à partir desquelles on estime les valeurs des années
antérieures ou postérieures par projection.

Ce document expose la méthode élaborée pour l’estimation du PIB régional des 17 régions
administratives, de six régions métropolitaines du Québec, d’un territoire hors RMR et des trois territoires
de conférence régionale des élus (CRÉ) de la Montérégie. C’est une méthode descendante selon
l'approche du revenu, assez proche de celle de l’ONS, mais davantage conforme au concept de produit
intérieur brut (sur la base du lieu de production, plutôt que de résidence).

Le cadre à l'intérieur duquel la méthode a été élaborée a été établi à la lumière des travaux préliminaires.
• L'année des premières estimations a été fixée à 1997. C'est en effet depuis cette année-là qu'est utilisé
le Système de classification des industries d’Amérique du Nord (SCIAN). De plus, au moment où le
projet a été lancé, 1997 était l'année la plus récente pour laquelle on possédait les tableaux des
entrées-sorties (TES) et toutes les autres données pertinentes.
• La décision a été prise de fixer le niveau de détail sectoriel des calculs, selon le SCIAN, à 63
industries3. La méthode distribue le PIB en dollars courants de chaque industrie entre les régions. On
obtient ainsi une estimation du PIB régional par industrie. On s'attend néanmoins à ce que le PIB
régional de l’ensemble des industries, c'est-à-dire le produit intérieur brut régional global, soit plus
fiable que les résultats par industrie, à cause du simple jeu de la compensation des erreurs. Le détail
par industrie constitue néanmoins un sous-produit utile du calcul du PIB global des régions.
• Le PIB régional est estimé en dollars courants. Ce choix s’accorde avec l’objectif d’obtenir un PIB
régional cohérent avec les Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec4, qui sont en
dollars courants. En outre, comme nous le verrons plus loin, la méthode d’estimation utilise des
indicateurs de répartition basés sur des statistiques fiscales de Revenu Québec qui sont, évidemment,
en dollars courants.

3. Les résultats sont cependant diffusés suivant une classification en 40 industries. La classification à 63 industries
est plus exactement une nomenclature industrielle basée sur le SCIAN utilisée par Statistique Canada dans les
tableaux entrées-sorties. Pour alléger l’exposé, nous continuerons néanmoins à désigner les codes d’industrie de
cette classification comme des codes SCIAN. Pour plus de détails, voir l’annexe 1.
4 Publication annuelle téléchargeable gratuitement sur le site Web de l’ISQ, à la page des comptes économiques :
http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/comp-ann.htm
16 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

1.2 Principes clés

La méthode retenue consiste à répartir la rémunération des salariés et le revenu net d'entreprises
indépendantes (y compris agricoles) par industrie, pour 63 industries définies selon le SCIAN5, entre les
régions, au moyen d’indicateurs de répartition construits à partir des statistiques fiscales de Revenu
Québec. Les autres composantes de la valeur ajoutée sont ensuite réparties pour chaque industrie
proportionnellement à la somme de la rémunération du travail et du RNEI.

Huit des 63 industries font l’objet d’un traitement particulier. Ce sont :


• Pêche, chasse et piégeage (SCIAN 114)
• Extraction de minerais métalliques (SCIAN 2122)
• Extraction de minerais non métalliques (SCIAN 2123)
• Construction (SCIAN 23)
• Fabrication de produits du pétrole et du charbon (SCIAN 324)
• Première transformation des métaux (SCIAN 331)
• Bailleurs de biens immobiliers (SCIAN 5A03)
• Logements occupés par leurs propriétaires (SCIAN 5A04)

Des précisions quant à ces huit industries particulières sont données au chapitre 4.

1.3 Présentation sommaire du processus d’application de la méthode

Le processus d’application de la méthode est représenté à la figure 1.1. Il se résume de la façon suivante :
1. Le point de départ du processus est le total québécois à répartir entre les régions : le PIB, c’est-à-dire
la valeur ajoutée (VA), par industrie (63) et par composante (3), en dollars courants, selon les Comptes
économiques des revenus et dépenses du Québec. Ce sont les « données cibles ».
2. Les indicateurs de répartition sont construits à partir de données de répartition régionale obtenues de
Revenu Québec et tirées des déclarations de revenus des particuliers :
− salaires par territoire de résidence et par industrie selon la Classification type des industries (CTI);
− revenu net des entreprises individuelles (RNEI) par territoire de résidence et par industrie SCIAN.
3. Avant d’être utilisées comme indicateurs de répartition, les données fiscales de Revenu Québec
subissent deux transformations :
− Les données sur les salaires sont transposées au SCIAN.
− Les données selon le lieu de résidence sont transformées en données selon le lieu de travail au

5 À propos de la classification des industries, voir l’annexe 1.


Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 17

moyen des tableaux de navettage résidence-travail par industrie SCIAN (compilation spéciale de
Statistique Canada à partir des données du recensement).
Ces deux transformations ont été effectuées pour les années 1997-2000 dans l’ordre inverse de celui
qui est présenté ci-haut, parce que les données du recensement de la population de 1996 étaient
classées selon la CTI. En outre, avant 2001, les données de Revenu Québec sur le RNEI étaient
classées selon la CTI, comme les données sur les salaires; elles devaient donc elles aussi être
transposées au SCIAN.
4. Pour tirer pleinement parti de toute l’information contenue dans les données fiscales de Revenu
Québec sur le RNEI, tout en tenant compte des lacunes qu’elles comportent (un taux
d’indétermination élevé quant à l’industrie d’origine), on combine les données incomplètes avec les
données complètes, selon une méthode fondée sur les principes de la théorie de l’information.
5. Les salaires et le RNEI ajustés par industrie sont utilisés comme clés de répartition des autres
composantes de la VA que distinguent les TES :
− le supplément au revenu de travail est réparti proportionnellement aux salaires;
− la somme des autres composantes est répartie proportionnellement à la somme des salaires, du
supplément au revenu de travail et des RNEI.
6. On obtient le PIB régional en faisant la somme des composantes au sein de chaque industrie, puis la
somme de la valeur ajoutée des industries.

La méthode assure d'emblée que les estimations du PIB régional sont cohérentes avec les Comptes
économiques des revenus et dépenses du Québec. Le PIB régional par industrie est diffusé dans la
publication annuelle de l’ISQ Produit intérieur brut régional par industrie au Québec6.

1.4 Découpage territorial du Québec

Le territoire du Québec est découpé en 17 régions administratives. Quinze des 17 régions coïncident avec
le territoire d’une CRÉ, mais deux d’entre elles, la Montérégie et le Nord-du-Québec, en comportent trois
chacune. Deux régions administratives sont entièrement contenues dans la région métropolitaine de
recensement de Montréal, tandis que sept régions administratives chevauchent les limites d’une région
métropolitaine de recensement. De plus, Gatineau fait partie de la région métropolitaine de recensement
d’Ottawa-Gatineau, qui s’étend des deux côtés de la frontière Québec-Ontario.

6 Téléchargeable gratuitement sur le site Web de l’ISQ, à la page des comptes économiques :
http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/index.htm
L’édition 2008 est disponible sur le site Web de l’ISQ :
http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/pib_regions_ind2007.htm
18 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Étant donné l’objectif de fournir aux autorités locales une information pertinente pour l’élaboration d’une
stratégie de développement, il est souhaitable d’estimer le PIB pour les différents découpages territoriaux.
Pour ce faire, le Québec a été subdivisé en 30 territoires, que l’on peut agréger en régions administratives,
en régions métropolitaines de recensement ou en territoires de CRÉ7. Le découpage territorial est présenté
dans la carte de la figure 1.2 et la liste des 30 territoires est donnée au tableau 1.1. Les données cibles et
les données fiscales de Revenu Québec sont disponibles pour chacun des 30 territoires. Toutefois, les
données qui servent à calculer les indicateurs de répartition spécifiques des industries particulières ne sont
pas fournies selon le découpage en 30 territoires; elles sont fournies selon deux découpages : en 17
régions administratives, dont l’une est subdivisée en trois territoires de CRÉ et en six régions
métropolitaines de recensement et un territoire hors RMR. Cela évite d’alourdir indûment la charge de
travail qu’exige la compilation de ces données. L’estimation du PIB régional des industries particulières
se fait donc en parallèle, d’une part pour les régions administratives et les territoires de CRÉ de la
Montérégie, et d’autre part pour les six régions métropolitaines de recensement et le territoire hors RMR.
Nous verrons plus loin (section 4.2) que cela oblige à procéder en parallèle aussi pour les industries
régulières.

7 Sauf pour les trois CRÉ du Nord-du-Québec.


Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 19

Tableau 1.1 – Liste des territoires


RA RMR Description du territoire
1 01 h Bas-Saint-Laurent
2 02 408 Saguenay–Lac-Saint-Jean, partie incluse dans la RMR de Saguenay
3 02 h Saguenay–Lac-Saint-Jean, partie hors RMR de Saguenay
4 03 421 Capitale-Nationale, partie incluse dans la RMR de Québec
5 03 h Capitale-Nationale, partie hors RMR de Québec
6 04 442 Mauricie, partie incluse dans la RMR de Trois-Rivières
7 04 h Mauricie, partie hors RMR de Trois-Rivières
8 05 433 Estrie, partie incluse dans la RMR de Sherbrooke
9 05 h Estrie, partie hors RMR de Sherbrooke
10 06 462 Montréal
11 07 505 Outaouais, partie incluse dans la RMR d’Ottawa-Gatineau
12 07 h Outaouais, partie hors RMR d’Ottawa-Gatineau
13 08 h Abitibi-Témiscamingue
14 09 h Côte-Nord
15 10 h Nord-du-Québec
16 11 h Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine
17 12 421 Chaudière-Appalaches, partie incluse dans la RMR de Québec
18 12 h Chaudière-Appalaches, partie hors RMR de Québec
19 13 462 Laval
20 14 462 Lanaudière, partie incluse dans la RMR de Montréal
21 14 h Lanaudière, partie hors RMR de Montréal
22 15 462 Laurentides, partie incluse dans la RMR de Montréal
23 15 h Laurentides, partie hors RMR de Montréal
24 16 462 Territoire du CRÉ de Longueuil, partie incluse dans la RMR de Montréal
25 16 462 Territoire du CRÉ de Montérégie Est, partie incluse dans la RMR de Montréal
26 16 h Territoire du CRÉ de Montérégie Est, partie hors RMR de Montréal
27 16 462 Territoire du CRÉ de Vallée-du-Haut-Saint-Laurent, partie incluse dans la RMR de Montréal
28 16 h Territoire du CRÉ de Vallée-du-Haut-Saint-Laurent, partie hors RMR de Montréal
29 17 442 Centre-du-Québec, partie incluse dans la RMR de Trois-Rivières
30 17 h Centre-du-Québec, partie hors RMR de Trois-Rivières
20 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Figure 1.1 : Schéma de la méthode


Données fiscales de Territoire de résidence Indicateur de PIB par industrie
Agrégation des
Revenu Québec : → territoire d'emploi données par territoire
répartition de la en $ courants et
salaires par territoire CTI → SCIAN (matrices de navet- en RA/CRÉ ou en
rémunération du composantes de
de résidence et par tage du recensement, travail par industrie la VA par industrie
RMR
industrie CTI par industrie) (sauf ind. selon les Comptes
i liè ) économiques
Données fiscales de Territoire de résidence (données cibles)
Agrégation des
Revenu Québec : →terr. de production Indic. de répartition
données par territoire Ajustement
RNEI par territoire de (matrices de navettage du RNEI par industrie
en RA/CRÉ ou en MinXEnt
résidence, global et par du recensement, global (sauf ind. particul.)
RMR
industrie SCIAN et par ind. SCIAN)

Valeur des débarquements de poisson Indicateur de répartition du RNEI et des AEE de l'industrie de
par RA/CRÉ ou RMR la pêche, de la chasse et du piégeage

Salaires totaux de l’industrie selon le Recensement des mines, Indicateur de répartition de la rémunération du travail de
carrières et sablières, par RA/CRÉ ou RMR l'industrie de l’extraction de minerais métalliques Répartition de chaque
composante de la VA
Salaires totaux de l’industrie selon le Recensement des mines, Indicateur de répartition de la rémunération du travail de par industrie entre
carrières et sablières, par RA/CRÉ ou RMR l'industrie de l’extraction de minerais non métalliques RA/CRÉ ou RMR

Dépenses en immobilisations et réparations (sauf immob. et Indicateur de répartition de la VA de l'industrie de la


répartition en machinerie), par RA/CRÉ ou RMR construction

Microdonnées de
l'Enquête sur les activités manufacturières Indicateur de répartition de la VA de l'industrie de la
par RA/CRÉ ou RMR, années 2000 et 2001 fabrication de produits du pétrole et du charbon

Micro-données de l'Enquête sur les activités manufacturières, Indicateur de répartition de la rémunération du travail de
par RA/CRÉ ou RMR l'industrie de la première transformation des métaux

Données sur les valeurs foncières Indicateur de répartition du RNEI et des AEE de l'industrie
par territoire des bailleurs de biens immobiliers VA par RA/CRÉ
ou RMR
Microdonnées du recensement sur les ménages et les = rémunération du
logements, par territoire Indicateur de répartition de la VA de l’industrie des travail + RNEI + AEE
Logements occupés par leurs propriétaires
Données sur les permis de bâtir par territoire
2. Données cibles

Les données du PIB du Québec par industrie, pour 63 industries, et par composante, pour 3 composantes,
sont les « données cibles » du processus d’estimation du PIB par région administrative. Ces données
cibles ne proviennent pas d’une source unique; elles sont au contraire construites à partir de trois sources
principales :
• PIB aux prix de base, par composante, pour 18 activités économiques, estimé par l’Institut de la
statistique du Québec (Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec);
• Tableaux des entrées-sorties du Québec (Statistique Canada);
• PIB aux prix de base par industrie et par province, en dollars courants (Statistique Canada).

Il s’écoule, comme c’est normal, un certain délai entre une année et le moment où les données sources
relatives à cette année sont disponibles. C’est pourquoi le processus d’élaboration des données cibles des
trois années précédant l’année de diffusion du PIB régional est différent de celui qui s’applique aux
années antérieures (par exemple, en ce qui concerne les estimations diffusées en octobre 2008, seules
celles des années antérieures à 2005 peuvent s’appuyer sur les trois sources énumérées ci-haut).

Nous décrivons dans ce chapitre le processus de construction des données cibles. La section 2.1 présente
les sources des données cibles des années antérieures à la troisième année précédant la diffusion des
estimations du PIB régional. La section 2.2 décrit les ajustements qui sont faits aux données des tableaux
des entrées-sorties (TES) afin de remédier à certains problèmes de classification et d’étalonnage aux
Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec. La section 2.3, enfin, expose les méthodes qui
servent à établir les données cibles des trois années précédant la diffusion.

2.1 Sources

Les paragraphes qui suivent donnent une présentation plus détaillée des trois sources principales des
données cibles.

2.1.1 Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec

Les estimations fournies dans les Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec8 sont
cohérentes entre elles et avec les données du Système des comptes économiques nationaux et provinciaux
de Statistique Canada. Elles servent de repères pour les autres rapports que produit l’ISQ, y compris
l’estimation du PIB par région administrative, par RMR ou par territoire de CRÉ.

8 Publication annuelle téléchargeable gratuitement sur le site Web de l’ISQ, à la page des comptes économiques :
http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/comp-ann.htm
24 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Les Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec (ci-après Comptes économiques)
présentent notamment le produit intérieur brut aux prix de base selon les revenus (tableau 2.1) et sa
répartition industrielle en 18 activités économiques, au total et pour trois composantes du PIB
(tableaux 4.1 à 4.4)9 :
• la rémunération des salariés;
• l'excédent d'exploitation;
• le « revenu comptable net des exploitants agricoles au titre de la production agricole et le revenu net
des entreprises individuelles non agricoles, loyers compris », désigné dans le présent document
comme le revenu net des entreprises individuelles (RNEI).

Les Comptes économiques sont diffusés au premier trimestre de chaque année10. Les données vont
jusqu’à la deuxième année précédant l’année de publication (c’est-à-dire jusqu’à l’année t–2; par
exemple, dans les Comptes économiques publiés au premier trimestre de 2008, les données vont jusqu’à
2006). Les données de la répartition industrielle de la rémunération des salariés et du RNEI (tableaux 4.2
et 4.4) de l’année t–2 sont cependant des estimations, puisqu’elles ont été élaborées à un moment où les
données repères pertinentes de la Division des comptes des industries (DCI) de Statistique Canada
n’étaient disponibles que jusqu’en t–3. De plus, les chiffres de la répartition industrielle du PIB total
(tableau 4.1) de l’année t–3 sont des estimations et ceux de l’année t–4 demeurent provisoires. En effet,
l’ISQ doit en faire une ventilation estimative à partir de données disponibles à la Division des comptes
des revenus et dépenses de Statistique Canada.

Le PIB par activité du tableau 4.1 est estimé selon une méthode descendante, à partir du PIB selon les
revenus pour l’ensemble de l’économie québécoise (tableau 2.1). La méthode consiste à répartir le PIB
entre 18 activités définies en termes du SCIAN à deux chiffres11, à l’aide de plusieurs indicateurs : la
production brute par activité en dollars courants et en dollars enchaînés et les indices de prix implicites
correspondants, le PIB réel (en dollars enchaînés) par activité12, les coefficients entrées-sorties obtenus à
partir des tableaux en dollars courants, et la rémunération du travail et le RNEI par activité.

9 Une note au bas du tableau 4.1 précise que « Le produit intérieur brut aux prix de base estimé ici sous l’angle de
la valeur ajoutée n’est pas égal à celui qui est établi selon les revenus à la ligne 13 du tableau 2.1, même si selon
le concept, ils devraient être égaux. » À partir de 1998, cependant, les deux chiffres du PIB aux prix de base sont
égaux.
10 Une version préliminaire, où les tableaux 4.1 et 4.3 sont incomplets, est cependant diffusée au mois de décembre
précédent.
11 Le tableau de correspondance entre les nomenclatures à 18, 40 et 63 industries se trouve à la section A1.1 de
l’annexe 1.
12 Le PIB réel par industrie est diffusé dans la publication mensuelle de l’ISQ Produit intérieur brut par industrie
au Québec, téléchargeable gratuitement sur le site Web de l’ISQ, à la page des comptes économiques :
http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/pir.htm
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 25

L’excédent d’exploitation (tableau 4.4) est obtenu en soustrayant les deux autres composantes du total;
dans ce cas-là aussi, par conséquent, les chiffres des années t–3 et t–4 sont des estimations.

2.1.2 Tableaux des entrées-sorties (TES)

Dans le Système des comptes économiques de Statistique Canada, les tableaux entrées-sorties (TES),
aussi appelés tableaux intersectoriels, jouent le rôle de cadre intégrateur, tant à l’échelle du Canada qu’à
celle des provinces et territoires. Les TES, extrêmement détaillés, distinguent 300 industries. La valeur
ajoutée y est décomposée en huit éléments13 :
1. Impôts indirects sur les biens et services
2. Subventions sur biens et services
3. Impôts indirects sur la production
4. Subventions sur la production
5. Traitements et salaires
6. Revenu supplémentaire du travail
7. Revenu mixte
8. Autres excédents d'exploitation14

Les deux premiers éléments (taxes indirectes sur les biens et services, moins subventions aux biens et
services) sont exclus du calcul de la valeur ajoutée aux prix de base. De plus, il importe de préciser ceci :
sauf indication contraire explicite, ce qui est désigné dans ce document comme « autres excédents
d’exploitation » (AEE) comprend, outre cet élément, les taxes indirectes sur la production, moins les
subventions à la production; c’est donc la somme des éléments 3 et 8 de la liste, dont on soustrait
l’élément 4.

Les TES provinciaux sont produits sur une base annuelle et sont publiés en novembre chaque année avec
les tableaux nationaux. Ils présentent un décalage de 34 mois par rapport à l’année de référence15.

Par ailleurs, la classification des industries des TES distingue le secteur des entreprises et le secteur non
commercial, alors que ni les données du PIB régional par industrie, ni celles du PIB provincial par
industrie (voir ci-après) ne font cette distinction. Pour cette raison, l’ISQ demande à Statistique Canada

13 Voir par exemple Statistique Canada, La structure des entrées-sorties de l’économie canadienne, 2003-2004, no
15-201-X au catalogue, p. 309 ou Tableau 8-6 « Matrice d’utilisation (entrées), dollars courants (millions),
2004 - Québec ».
14 Outre les excédents bruts d’exploitation des sociétés (bénéfices nets + amortissement + intérêts payés), cet
élément inclut l’amortissement et les intérêts payés par les entreprises individuelles.
15 Voir http://www.statcan.gc.ca/nea-cen/about-apropos/io-es-fra.htm. Par exemple, les TES provisoires en dollars
courants de 2005 ont été diffusés par Statistique Canada le 6 novembre 2008.
26 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

une compilation spéciale des TES, où sont regroupées, le cas échéant, la partie d’une industrie qui
appartient au secteur des entreprises et celle qui appartient au secteur non commercial.

2.1.3 Produit intérieur brut (PIB) par industrie en dollars courants

Statistique Canada produit des données sur le PIB aux prix de base par industrie et par province16, en
dollars courants et en dollars enchaînés17. Les données en dollars courants sont déjà contenues dans les
TES, mais le PIB provincial par industrie en dollars enchaînés est projeté trois années au-delà des derniers
TES disponibles (années t–3 à t–1). De plus, comme nous l’avons déjà signalé, les TES séparent, pour
une même industrie, le secteur des entreprises et le secteur non commercial, ce qui n’est pas le cas du PIB
provincial par industrie. Ajoutons que les données du PIB par industrie telles que reçues par l’ISQ sont en
millions de dollars (au dixième de million près), tandis que celles des TES sont en milliers.

Les Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec sont cohérents avec le PIB du Québec par
industrie de Statistique Canada, et cette cohérence est maintenue au fil des révisions successives. Le PIB
par industrie est donc un bon point de départ pour l’estimation du PIB régional suivant une méthode
descendante.

L’estimation du PIB régional distingue 63 industries SCIAN18. À ce niveau de détail, cependant, les
données du PIB par industrie ne sont pas réparties entre les composantes de la valeur ajoutée. Si l’on s’en
tenait à ces données, cela forcerait à appliquer un seul indicateur de répartition régional à l’ensemble de la
valeur ajoutée de chaque industrie. C’est pourquoi les données du PIB par industrie sont utilisées
conjointement avec celles des deux autres sources décrites précédemment.

2.2 Ajustement des données des TES

Des ajustements sont apportés aux données des TES pour remédier à certains problèmes de classification
et d’étalonnage aux Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec, qui, comme nous l’avons
signalé, servent de repères pour assurer la cohérence interne des données produites par l’ISQ.

16 Statistique Canada, Produit intérieur brut provincial par industrie, 1997-2002 (15-203-XIF). Cette édition est la
dernière de cette publication, qui n’a pas été remplacée dans le catalogue de Statistique Canada. Les données
sont toutefois accessibles en tant que tableau 379-0025 dans CANSIM. On peut y accéder sur le site du Système
des comptes économiques nationaux :
http://www.statcan.gc.ca/nea-cen/index-fra.htm
(Aller à : Tableaux de données / Provinces et territoires / Entrées-sorties / PIB aux prix de base par industrie).
17 Les données en dollars « enchaînés » sont le résultat d’estimations selon des indices de volume « en chaîne » à
partir de données repères. Les données en dollars enchaînés remplacent ce que l’on appelait autrefois les données
en « dollars constants ».
18. Ce degré de détail industriel est utilisé dans les calculs d’estimation, mais les données sont diffusées selon une
nomenclature à 40 industries. Pour plus de détails sur la classification industrielle, voir l’annexe 1.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 27

Dans un premier temps, les chiffres en milliers de dollars de la valeur ajoutée des TES agrégés à
63 industries par compilation spéciale sont alignés sur les chiffres du PIB par industrie en millions,
auxquels sont harmonisés les Comptes économiques. Ensuite, pour chaque industrie, les huit composantes
de la valeur ajoutée des TES sont agrégées en trois composantes et ajustées proportionnellement, de
manière à ce que leur somme soit égale à la valeur ajoutée ajustée de l’industrie. Puisque les écarts entre
les TES et le PIB par industrie sont généralement des écarts d’arrondi19, cette opération a normalement
pour seul effet d’éliminer les écarts d’arrondi entre les données cibles et celles des Comptes économiques.

On procède ensuite à un ajustement supplémentaire pour que les données des TES soient cohérentes avec
celles des Comptes économiques, non seulement quant aux PIB des 63 industries, mais également quant à
la composition du PIB de chacune des 18 activités économiques des tableaux 4.1 à 4.4 des Comptes
économiques. La méthode utilisée consiste à ajuster les chiffres des TES, sans que la valeur ajoutée totale
par industrie soit modifiée et tout en s’éloignant le moins possible de la structure initiale des TES, de
manière à ce que, pour chacune des 18 activités, la somme de chacune des trois composantes sur
l'ensemble des industries qui constituent cette activité soit égale au chiffre correspondant des Comptes
économiques.

Concrètement, l’ajustement dépend de la façon d’opérationnaliser la notion d’« éloignement ». Le critère


retenu est la minimisation de l’entropie croisée (MinXEnt). Ce critère, tiré de la théorie de l’information,
s’interprète comme la minimisation de l’information nouvelle que le processus d’ajustement impose aux
données originales. C’est pourquoi, au lieu de « minimisation de l’entropie croisée », il est plus éclairant
de parler de minimisation de l’apport d’information. Les fondements épistémologiques de cette méthode
d'ajustement sont discutés au début de l'annexe 3. Sa représentation mathématique est donnée dans
l'encadré qui suit. Il est intéressant de noter que la méthode d’ajustement RAS, bien connue des
spécialistes des TES, conduit à des résultats identiques à ceux de la méthode de minimisation de l’apport
d’information lorsque cette dernière est appliquée sans autre restriction que le respect des totaux
marginaux, ce qui a été démontré notamment par Macgill (1977).

19 Il arrive, exceptionnellement, que les différences soient supérieures à des écarts d’arrondi. En 1997, par exemple, quatre
industries montraient un écart sensible entre la valeur ajoutée selon le TES et le PIB par industrie. Ces différences seront
vraisemblablement corrigées lorsque Statistique Canada procédera à une révision historique.
28 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Mathématiquement, les valeurs ajustées xij sont obtenues en résolvant le problème suivant :

⎛ xij ⎞

MIN ∑ ∑ xij ln⎜⎜ t ⎟
i∈K j ⎝ ij ⎠
sous contrainte que ∑ xij = vi et ∑ xij = ukj
j i∈K

où :
K est l'ensemble des industries i qui constituent l’activité k (k 1, 2, ..., 18);
xij est la valeur ajustée (a posteriori) de la composante j de l'industrie i;
tij est la valeur (a priori) de la composante j de l'industrie i dans les TES;
vi est le PIB de l'industrie i cohérent avec les Comptes économiques;
Il est à noter que l’ajustement des TES aux chiffres du PIB par industrie fait
antérieurement garantit que vi = ∑ tij
j

ukj est la valeur de la composante j du PIB de l’activité k des Comptes économiques.

2.3 Données cibles pour l’estimation du PIB régional des années récentes

Nous avons déjà indiqué que le processus d’élaboration des données cibles des trois années précédant
l’année de diffusion du PIB régional est différent de celui qui s’applique aux années antérieures, à cause
du délai entre une année et le moment où les données sources relatives à cette année-là sont disponibles.

Précisons aussi qu’au moment où est estimé le PIB régional, les données sources de la quatrième année
précédant l’année de publication (par exemple, 2004 pour les estimations diffusées en 2008) sont
disponibles, mais provisoires et sujettes à révision l’année suivante. C’est pourquoi les estimations du PIB
régional de la quatrième année précédant l’année de publication sont marquées comme « provisoires »20,
tandis que celles de l’année précédente (2003 pour les estimations diffusées en 2008) ont été révisées en
fonction de la révision des données cibles et sont marquées comme telles.

20 De façon plus précise, les données de PIB régional sont habituellement diffusées en juin; exceptionnellement,
lors d’une révision historique ou de la relâche des données du recensement, elles sont diffusées en octobre. Ces
données s’appuient sur les Comptes économiques de revenus et dépenses du Québec qui ont été publiées en mars
de la même année. Il s’ensuit qu’au moment de la publication en décembre de la version préliminaire des
Comptes économiques à paraître en mars de l’année suivante, les données de PIB régional qui ont été diffusées
en cours d’année ne sont pas harmonisées avec les chiffres les plus récents des Comptes économiques en ce qui
concerne la quatrième année précédant l’année courante. Par exemple, il y a un écart entre la somme du PIB des
régions en 2004 selon les données diffusées en 2008, et le PIB du Québec en 2004 selon la version préliminaire
des Comptes économiques de revenus et dépenses du Québec publiée en décembre 2008. Il n’y a aucune
divergence, par contre, en ce qui concerne les données relatives à 2003.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 29

Le PIB régional des trois dernières années précédant l’année de diffusion est estimé à partir de données
cibles estimées ou projetées, selon une procédure qui, chaque année successive, est adaptée à la
disponibilité des données. Les données du PIB sont ensuite révisées annuellement, jusqu’à ce que toutes
les données sources soient disponibles sous leur forme définitive21.

Voici, pour résumer ce qui précède, le statut des données de PIB régional diffusées en octobre 2008 :

Données relatives à l’année… Statut


2007 (t–1) estimées et préliminaires
2006 (t–2) estimées
2005 (t–3) estimées et révisées
2004 (t–4) provisoires
2003 (t–5) révisées
2002 (t–6) et avant définitives22
Cette section décrit les méthodes d’élaboration des données cibles des trois années précédant l’année de
diffusion, les années t–3, t–2 et t–1 (par exemple, en ce qui concerne les estimations diffusées en octobre
2008, il s’agit des années 2005, 2006 et 2007).

2.3.1 Deuxième et troisième année précédant l’année de diffusion

Afin d’alléger l’écriture, la deuxième et la troisième année précédant l’année de diffusion sont désignées
par les expressions « année t–2 » et « année t–3 » respectivement (par exemple, pour les estimations
publiées en 2008, 2006 est l’année t–2 et 2005 est l’année t–3). Les données de l’année t–2 sont dites
« estimées » et celles de l’année t–3, « estimées et révisées ».

Pour les années t–2 et t–3, ni les TES, ni le PIB provincial en dollars courants par industrie de Statistique
Canada ne sont disponibles23. L’élaboration des données cibles est basée sur une estimation du PIB aux
prix de base en 40 industries par la Direction des statistiques économiques et du développement durable
de l’ISQ.

21 L’expression « données définitives » désigne ici des données qui ont subi toutes les révisions régulières prévues
au calendrier. Mais elles pourraient éventuellement être modifiées lors de futures révisions historiques.
22 Ces estimations sont définitives, du moins pour ce qui est des données cibles utilisées. Mais il se trouve qu’en
2008, les estimations ont été révisées à partir du début (1997), pour tenir compte d’améliorations apportées a la
méthode d’estimation. Elles sont donc marquées comme « révisées », parce qu’elles ne sont pas inchangées par
rapport à la publication de l’année précédente.
23 Les chiffres de 2005 en dollars courants et ceux de 2007 en dollars enchaînés de 2002 (tableau 379-0025 dans
CANSIM : http://www.statcan.gc.ca/nea-cen/index-fra.htm) ont été diffusés par Statistique Canada le
6 novembre 2008. Les TES de 2005 ont été diffusés le même jour. Ces données n’ont donc pas pu être utilisées
dans l’estimation du PIB régional jusqu’en 2007 diffusée par l’ISQ le 1er octobre 2008. Cependant, des données
préliminaires (« Flash ») de 2007 en dollars enchaînés de 2002 ont été transmises à l’ISQ en avril 2008 et ont
donc été utilisées dans l’estimation du PIB régional diffusée en octobre 2008.
30 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Méthode d’estimation du PIB en 40 industries

Le PIB en 40 industries est estimé à partir du PIB en 18 activités des Comptes économiques des revenus
et dépenses du Québec (tableau 4.1), en ventilant deux des 18 activités, à savoir Agriculture, foresterie,
pêche et chasse et Fabrication, en 4 et 20 industries à trois chiffres du SCIAN respectivement. La
méthode utilisée est analogue à celle qui est appliquée pour estimer le PIB en 18 activités. La répartition
se fait à l’aide de plusieurs indicateurs : la production brute par industrie en dollars courants et en dollars
enchaînés et les indices de prix implicites correspondants, le PIB réel (en dollars enchaînés) par activité24,
les coefficients entrées-sorties, ainsi que plusieurs indices de prix d’intrants et d’extrants. Les chiffres du
PIB en 40 industries pour l’ensemble du Québec sont diffusés en même temps que leur répartition
régionale dans la publication de l’ISQ Produit intérieur brut régional par industrie au Québec25.

Une fois établies les estimations du PIB en 40 industries des années t–3 et t–2, il reste à ventiler le PIB,
d’abord entre les 63 industries auxquelles est appliquée l’estimation du PIB régional, et ensuite, pour
chaque industrie, entre les trois composantes de la valeur ajoutée, pour obtenir enfin les données cibles de
ces années-là. La ventilation en 63 industries comprend deux étapes, désignées ci-après comme les étapes
A1 et A2; la répartition du PIB de chaque industrie en trois composantes comprend trois étapes, désignées
comme B1, B2 et B3.

Méthode de ventilation du PIB en 40 industries à 63 industries


Parmi les 63 industries des calculs, on peut distinguer deux cas :
• il y a 32 industries qui se retrouvent telles quelles dans la classification à 40 industries;
• il y a 31 industries qui sont agrégées au sein d’une même industrie dans la classification à
40 industries; il y a 8 des 40 industries qui regroupent plus d’une industrie parmi les 63 et toutes les 8
se retrouvent telles quelles dans la classification en 18 activités.

Dans le premier cas, aucune ventilation supplémentaire n’est nécessaire. Dans le deuxième cas, on
procède en deux étapes :

24 Le PIB réel par industrie est diffusé dans la publication mensuelle de l’ISQ Produit intérieur brut par industrie
au Québec, téléchargeable gratuitement sur le site Web de l’ISQ, à la page des comptes économiques :
http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/pir.htm
25 Téléchargeable gratuitement sur le site Web de l’ISQ, à la page des comptes économiques :
http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/index.htm
L’édition 2008 est disponible sur le site Web de l’ISQ :
http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/pib_regions_ind2007.htm
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 31

A1. Pour chacune des 31 industries parmi les 63 qui fait partie avec d’autres dans la classification à
40 industries, on projette le PIB de l’industrie selon l’évolution de son PIB réel (en dollars enchaînés
de 2002).

A2. Pour chacune des 8 industries parmi les 40 qui regroupe plus d’une industrie parmi les 63, on ajuste
proportionnellement le PIB projeté des industries du groupe de façon à ce que la somme de leur PIB
soit égale au PIB du groupe.

La projection du PIB des industries regroupées utilise les estimations du PIB réel (en dollars enchaînés de
2002) de l’ISQ26. Les estimations du PIB réel par industrie sont construites selon des méthodes qui
s’apparentent à celles employées à l’échelle canadienne par Statistique Canada. Plus précisément, ce sont
« des estimations selon des indices de volume en chaîne dont l’année de référence est 2002. Cela signifie
que les estimations pour chaque industrie et agrégat sont obtenues à partir d’un indice enchaîné de volume
multiplié par la valeur ajoutée de l’industrie en 2002. » (Statistique Canada, Produit intérieur brut par
industrie, Août 2008, no 15-001 au catalogue, p. 6). Les niveaux annuels du PIB provincial par industrie
en dollars enchaînés publiés par Statistique Canada sont ainsi mensualisés et projetés en utilisant des
indicateurs connexes à la valeur ajoutée, tels que les données relatives à la production brute et à l’emploi.

Pour chacune des 31 industries concernées parmi les 63, l’étape A1 consiste à projeter son PIB selon la
formule :
PIB de l’industrie i PIB réel
PIB de l’industrie i
en dollars courants de l’industrie i en t–3
en dollars courants = selon les données × PIB réel
projeté à t–3
cibles de t–4 de l’industrie i en t–4

PIB de l’industrie i PIB réel


PIB de l’industrie i
en dollars courants de l’industrie i en t–2
en dollars courants = selon les données cibles × PIB réel
projeté à t–2
estimées de t–3 de l’industrie i en t–3

Étant donné que la projection du PIB par industrie à t–2 s’appuie sur le PIB par industrie des données
cibles estimées de t–3, il faut compléter l’étape A2 de l’élaboration des données cibles de t–3 avant de
faire la projection à t–2. C’est d’ailleurs la seule différence entre la méthode d’élaboration des données
cibles de l’année t–2 et celle des données cibles de t–3 : ces dernières s’appuient directement sur les
données de t–4 produites par Statistique Canada, tandis que celles de t–2 sont basées sur les données
cibles estimées de l’année t–3.

26 L’ISQ publie mensuellement le Produit intérieur brut par industrie au Québec, qui contient des données
mensuelles, trimestrielles et annuelles. Cette publication est téléchargeable gratuitement sur le site Web de l’ISQ,
à la page des comptes économiques : http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/cptes_econo/pir.htm
32 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Si le rapport du PIB en dollars courants sur le PIB réel de toutes les industries demeurait inchangé, c’est-
à-dire si l’indice de prix implicite de la valeur ajoutée de toutes les industries était constant, alors cette
projection serait théoriquement exacte : la somme du PIB projeté des industries parmi les 63 qui sont
regroupées au sein d’une même industrie parmi les 40 serait égale en principe au PIB du groupe. Mais en
réalité, les indices de prix implicites ne sont pas constants et, qui plus est, ils ne changent pas dans les
mêmes proportions d’une industrie à l’autre. Il s’ensuit qu’en pratique, la somme du PIB projeté des
industries de chaque groupe n’est pas égale en général au PIB du groupe. C’est pourquoi la deuxième
étape de la ventilation des 40 industries en 63 (étape A2) consiste à ajuster le PIB projeté des industries
regroupées : pour chacune des 8 industries parmi les 40 qui regroupe plus d’une industrie parmi les 63, on
ajuste proportionnellement le PIB projeté des industries du groupe de façon à ce que la somme de leur
PIB soit égale au PIB du groupe. On obtient ainsi le PIB par industrie en dollars courants selon les
données cibles estimées de t–3 et de t–2.

Répartition en trois composantes

Pour compléter l’élaboration des données cibles, il reste à répartir le PIB estimé de chacune des
63 industries entre les trois composantes de la valeur ajoutée : rémunération des salariés, autres excédents
d’exploitation et RNEI. Cela se fait en trois étapes :

B1. répartition du PIB par industrie entre les trois composantes de la valeur ajoutée, selon les données
cibles de l’année précédente;

B2. élimination des écarts d’arrondi dans les données des Comptes économiques sur le PIB par activité
économique et par composante de la valeur ajoutée;

B3. ajustement final des données cibles du PIB par industrie et par composante, pour 63 industries, aux
données des Comptes économiques (tableaux 4.1 à 4.4).

L’étape B1 consiste à faire une première répartition du PIB estimé de chacune des 63 industries, selon les
proportions des composantes dans les données cibles de l’année précédente. Cela implique qu’avant de
procéder à la répartition du PIB estimé des 63 industries pour t–2, il faut avoir complété toutes les étapes
de l’estimation des données cibles (PIB par industrie et par composante) pour t–3.

La troisième et dernière étape (B3) de la répartition en trois composantes consistera à ajuster les données
cibles à celles du PIB aux prix de base en 18 activités économiques et trois composantes des Comptes
économiques. Mais avant de procéder à cette troisième étape, il faut franchir l’étape B2 qui consiste à
éliminer les écarts d’arrondi dans les données des Comptes économiques, tel qu’exigé par les méthodes de
calcul de l’étape B3.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 33

Car les données de la répartition industrielle du PIB dans les Comptes économiques (tableaux 4.1 à 4.4)
sont arrondies au million de dollars près. Pour cette raison, lorsqu’on additionne les composantes de la
valeur ajoutée d’une industrie, il peut y avoir un écart d’arrondi entre la somme des composantes et le PIB
de l’industrie; de même, lorsqu’on additionne la valeur ajoutée des 18 industries pour une composante
donnée, il peut y avoir un écart d’arrondi entre la somme et le total; enfin, il peut même y avoir un écart
d’arrondi entre la somme du PIB des industries et le PIB du Québec, ou entre la somme des valeurs
ajoutées des trois composantes et le PIB du Québec. Or la méthode d’ajustement selon la minimisation de
l’apport d’information appliquée à la troisième étape ne s’accommode pas d’écarts d’arrondi. Ceux-ci
sont donc éliminés en effectuant les opérations suivantes :
• on ajuste proportionnellement les chiffres du PIB par activité pour que leur somme soit strictement
égale au PIB du Québec;
• on ajuste proportionnellement la valeur ajoutée par composante du total des industries pour que la
somme soit strictement égale au PIB du Québec;
• on applique la méthode RAS pour ajuster les chiffres de valeur ajoutée par industrie et par
composante de manière à ce que les sommes des lignes et des colonnes du tableau soient strictement
égales aux totaux marginaux correspondants.

Après élimination des écarts d’arrondi dans les données repères des Comptes économiques, la troisième et
dernière étape (B3) de la procédure d’estimation des données cibles des années t–3 et t–2 consiste à
ajuster la répartition obtenue à la première étape aux données repères. L’ajustement est fait au moyen de
la méthode de minimisation de l’apport d’information – techniquement, méthode de minimisation de
l’entropie croisée (MinXEnt) –, déjà mentionnée à la section 2.2.

Tel qu’indiqué précédemment, c’est seulement quand la répartition en trois composantes a été complétée
pour l’année t–3 que l’on peut procéder à la première étape de la répartition en trois composantes pour
l’année t–2 (étape B1).

2.3.2 Année précédant immédiatement l’année de diffusion

Afin d’alléger l’écriture, l’année précédant immédiatement l’année de diffusion est désignée par
l’expression « année t–1 » (par exemple, pour les estimations publiées en 2008, t–1 est l’année 2007). Les
données de l’année t–1 sont dites « estimées et préliminaires ». Pour l’année t–1, non seulement il
manque les TES et le PIB provincial en dollars courants par industrie de Statistique Canada, mais on doit
aussi se passer des données repères des Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec sur le
PIB par activité économique en trois composantes. Le seul repère disponible est le total du PIB aux prix
de base du Québec pour l’ensemble des industries.
34 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Les seules autres données disponibles sont le PIB réel par industrie. On fait donc une projection du PIB
en dollars courants par industrie de l’année t–2 selon la croissance du Produit intérieur brut par industrie
au Québec en dollars enchaînés de 2002 (PIB réel). La projection est faite pour chacune des 63 industries
utilisées dans le calcul, suivant la formule suivante :
PIB de l’industrie i PIB réel
PIB de l’industrie i
en dollars courants de l’industrie i en t–1
en dollars courants, = selon les données cibles × PIB réel
projeté à t–1
estimées de t–2 de l’industrie i en t–2
Le PIB projeté par industrie ainsi obtenu est ensuite ajusté proportionnellement de manière à ce que la
somme soit égale au PIB du Québec.

Contrairement aux données cibles des années précédentes, celles de l’année t–1 ne sont pas détaillées
entre les composantes de la valeur ajoutée par industrie. Le PIB total projeté de t–1 de chaque industrie
est donc simplement distribué entre les régions en utilisant celui de l’année t–2 comme indicateur de
répartition. Il serait inutile de procéder par composante, puisque l’ISQ ne dispose pas des données
nécessaires pour construire de nouveaux indicateurs de répartition pour l’année t–1 (voir le chapitre 3). En
effet, selon le calendrier convenu entre l’ISQ et Revenu Québec, les données fiscales de chaque année
sont transmises à l’ISQ treize mois après la fin de l’année concernée, ce qui permet à Revenu Québec de
produire des données fiscales de meilleure qualité, notamment quant à leur complétude.
3. Construction des indicateurs de répartition

Partant des données cibles décrites au chapitre 2, la méthode d’estimation du PIB régional consiste à
répartir la rémunération des salariés et le revenu net des entreprises indépendantes (y compris agricoles),
par industrie, entre les régions au moyen d’indicateurs de répartition. Les autres composantes de la valeur
ajoutée sont ensuite réparties pour chaque industrie proportionnellement à la somme de la rémunération
du travail et des RNEI.

Les indicateurs de répartition sont construits à partir de données de Revenu Québec tirées des déclarations
de revenus des particuliers sur les salaires et le revenu net des entreprises individuelles (RNEI), par
territoire de résidence et par industrie. Dans ce chapitre, on décrit les données fiscales de Revenu Québec
(section 3.1) et les transformations qu’on leur applique avant de les utiliser comme indicateurs de
répartition (section 3.2).

3.1 Données fiscales de Revenu Québec

Revenu Québec transmet à l’ISQ les données des salaires par territoire de résidence et par industrie selon
la Classification type des industries (CTI) et du revenu net des entreprises individuelles (RNEI) par
territoire de résidence et par industrie selon le Système de classification des industries de l’Amérique du
Nord (SCIAN)27. Pour respecter la confidentialité des données fiscales, les données des cellules
correspondant à moins de 10 particuliers sont supprimées. Les données de Revenu Québec sont détaillées
selon le découpage géographique en 30 territoires décrit à la section 1.4. Cette section présente
successivement ces deux ensembles de données.

3.1.1 Salaires

Les données de salaires proviennent des relevés R-1 de Revenu Québec. En combinant les montants de
rémunération des salariés des relevés R-1, le code d'industrie de l'employeur et le code postal résidentiel
de l'employé, on obtient une estimation de la masse salariale par activité et par territoire (selon le lieu de
résidence).

L’activité économique principale de l’entreprise employeur est codifiée selon la Classification des
activités économiques du Québec de 1984 (CAEQ)28. Au niveau d’agrégation utilisé pour l’estimation du
PIB régional, cette classification est identique à la CTI de 1980. Les données de Revenu Québec

27 Avant 2001, les données de Revenu Québec sur le RNEI étaient classées selon la CTI, comme les données sur
les salaires.
28. On peut consulter la CAEQ sur le site Web de l’ISQ : http://www.stat.gouv.qc.ca/clacon/caeq1984.htm
36 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

distinguent 63 industries CTI (voir la section A1.2 de l’annexe 1). La conversion des données à la
classification du SCIAN est expliquée à la section 3.2.

Les données fiscales sur les salaires fournies par Revenu Québec sont passablement complètes. En 1997,
par exemple, le Ministère a pu déterminer la région de résidence du contribuable et l’industrie qui
l’emploie pour 93 % des relevés R-1, comptant pour 95 % de la valeur totale des salaires. Il est intéressant
de noter que la valeur totale des salaires selon les données fiscales de Revenu Québec correspond d’assez
près à la composante Salaires et traitements du PIB selon les Comptes économiques : la valeur totale des
salaires rapportée par Revenu Québec en 1997 équivaut à 99,9 % des salaires et traitements selon les
Comptes économiques.

L’utilisation qui est faite des données fiscales de Revenu Québec se rapproche de la pratique de l'ONS du
Royaume-Uni. L’ONS construit cependant ses estimations à partir des données du « 1 % sample of tax
records » colligées par l’Inland Revenue; les données fiscales de Revenu Québec, par contre, ne
proviennent pas d’un échantillon, mais bien de la totalité des relevés R-1.

Notons que les salaires selon les données fiscales de Revenu Québec correspondent à la composante
Traitements et salaires de la comptabilité économique. Ils ne comprennent pas le Revenu supplémentaire
du travail. Il est cependant raisonnable – et c'est ce qui est fait – de répartir le Revenu supplémentaire du
travail en utilisant les Traitements et salaires comme indicateurs de répartition.

3.1.2 Revenu net des entreprises individuelles (RNEI)

Les données sur le RNEI sont fournies à l’ISQ par Revenu Québec. Pour respecter les règles de
confidentialité, Revenu Québec a supprimé les chiffres des cellules contenant moins de 10 observations
(particuliers).

Le revenu net des entreprises individuelles (RNEI), aussi appelé revenu mixte, correspond, dans les
déclarations de revenus des particuliers, au revenu net des particuliers en affaires (travailleurs autonomes,
entreprises individuelles ou sociétés de personnes). Ce revenu net provient du formulaire TP-1 de la
déclaration des particuliers. Quant au revenu comptable net des exploitants agricoles au titre de la
production agricole, il correspond aux revenus nets d'entreprises d'agriculture ou de pêche qui apparaît au
même endroit dans la déclaration de revenus des particuliers. En conséquence, il n'y a pas lieu de traiter
les revenus des exploitants agricoles différemment des autres composantes des revenus mixtes.

Notons que l’exercice financier d’une fraction importante des entreprises individuelles se termine à une
date autre que le 31 décembre, tandis que l’objectif est d’estimer le PIB régional pour l’année civile.
Toutefois, les entreprises individuelles sont tenues de déclarer un revenu net ajusté au 31 décembre. Cet
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 37

ajustement consiste à : (1) ajouter au revenu net un revenu supplémentaire estimatif (calculé selon le
nombre de jours entre la fin de l'exercice financier et le 31 décembre, divisé par la durée de l'exercice
financier se terminant dans l'année d'imposition) et (2) soustraire le revenu supplémentaire estimatif qui
avait été ajouté à la déclaration de l'année d'imposition précédente. Cette méthode d'ajustement, appliquée
par les particuliers selon les directives de Revenu Québec, pourrait évidemment créer des distorsions lors
de revirements rapides de conjoncture. Mais, d’une part, il est difficile d’imaginer une meilleure méthode
pour résoudre ce problème et, d’autre part, l’objectif principal de l’estimation du PIB régional est moins
de faire un suivi de la conjoncture à court terme que de suivre les tendances de l’évolution des régions.

En principe, les particuliers en affaires doivent joindre à leur déclaration de revenus le formulaire TP-80,
où l’on demande l’adresse du principal lieu d’exercice de l’activité économique et le code d’industrie.
Depuis 2001, les industries sont codifiées selon le SCIAN; la liste des codes est donnée au chapitre 10 de
la brochure Les revenus d’entreprise ou de profession (IN-155) de Revenu Québec. Les données de RNEI
sont fournies à l’ISQ par Revenu Québec selon la nomenclature de 63 industries SCIAN utilisée dans le
calcul du PIB régional.

Ces renseignements devraient permettre de classer les revenus des particuliers en affaires selon le SCIAN
et selon le territoire de production. En pratique cependant, l’adresse du principal lieu d’exercice de
l’activité économique n’est pas saisie et ne peut donc pas être exploitée à un coût raisonnable. Comme
pour les salaires, on retient donc le territoire de résidence. En 2003, le territoire de résidence du
contribuable était connu pour 99,7 % des contribuables ayant déclaré des revenus de particuliers en
affaires (RPA), comptant pour 99,7 % de la valeur totale des RPA déclarés.

Par ailleurs, en ce qui concerne le code d’industrie, le taux de réponse en 2003 n’était pas aussi
satisfaisant : l’industrie d’origine n’a pu être déterminée que pour 71,9 % des contribuables ayant déclaré
des RPA (70,6 % de la valeur totale des RPA déclarés). De plus, si l’on combine les deux critères,
territoire de résidence et code d’industrie, les données n’étaient complètes que pour 71,7 % des
contribuables ayant des RPA (70,4 % de la valeur totale des RPA déclarés). Le taux de réponse s’est
toutefois amélioré d’année en année à partir de 1997.

Ajoutons que, toujours en 2003, la valeur totale du RNEI selon les données fiscales de Revenu Québec
équivalait à 96,8 % des revenus mixtes selon le TES (une fois soustraits les loyers imputés aux
propriétaires occupant leur logement). Mais si l’on s’en tenait au RNEI des contribuables dont on connaît
la région de résidence et le code d’industrie, on n’aurait plus que l’équivalent de 69,3 % du RNEI des
TES.
38 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Si on n’utilisait que les données complètes, on se priverait de toute l’information relative aux
contribuables dont on connaît le lieu de résidence, mais pas le code d’industrie (28,0 % des contribuables
ayant déclaré des RPA en 2003). Pour tirer pleinement parti de toute l’information contenue dans les
données fiscales de Revenu Québec sur le RNEI, on combine donc les données complètes avec les
données qui sont incomplètes quant à l’activité économique, selon une méthode fondée sur les principes
de la théorie de l’information (section 4.2). En prévision de cette utilisation des données incomplètes, le
tableau des données fiscales de RNEI comporte une ligne par industrie SCIAN, plus une pour le RNEI par
territoire de résidence des contribuables dont l’activité économique est indéterminée.

3.2 Transformations préalables des données fiscales de Revenu Québec

Avant d’être utilisées comme indicateurs de répartition, les données fiscales de Revenu Québec doivent
subir deux transformations :
• Les données sur les salaires sont transposées au SCIAN.
• Les données selon le lieu de résidence sont transformées en données selon le lieu de travail au moyen
des tableaux de navettage résidence-travail par industrie SCIAN (obtenus par compilation spéciale de
Statistique Canada à partir des données du recensement).

Cette section décrit ces deux transformations, dans cet ordre, ce qui reflète fidèlement la procédure
appliquée depuis 2001. Mais il faut noter que, pour les années 1997-2000, ces deux transformations ont
été effectuées dans l’ordre inverse de celui qui est présenté ci-haut, parce que les données du recensement
de la population de 1996 étaient classées selon la CTI. En outre, avant 2001, les données de Revenu
Québec sur le RNEI étaient classées selon la CTI, comme les données sur les salaires; elles devaient donc
elles aussi être transposées au SCIAN.

3.2.1 Passage de la CTI au SCIAN

Pour passer de la Classification type des industries (CTI) de 1980 au Système de classification industrielle
d'Amérique du Nord (SCIAN), l’ISQ a construit une passerelle de conversion. Mais la conversion d’un
système de classification à l’autre n’est pas parfaite. Théoriquement, elle pourrait l’être à un niveau de
détail très fin. Cependant, compte tenu du niveau d’agrégation auquel les données fiscales de Revenu
Québec sont disponibles, la correspondance est forcément imparfaite, particulièrement en ce qui concerne
les industries de services. Bien que chaque industrie CTI corresponde majoritairement à une industrie
SCIAN en particulier et vice-versa, une industrie CTI se répartit la plupart du temps entre plusieurs
industries SCIAN; réciproquement, chaque industrie SCIAN est constituée de morceaux de plusieurs
industries CTI.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 39

On peut donc considérer le tableau des coefficients de conversion comme une matrice de probabilités
conditionnelles. Les lignes i de la matrice correspondent aux industries du SCIAN et les colonnes j, aux
industries de la CTI. Un élément typique pij de la matrice est la probabilité qu’un dollar de valeur ajoutée
provienne de l’industrie i du SCIAN, étant donné que ce dollar de valeur ajoutée a été produit par
l’industrie j de la CTI. La somme des éléments de chaque colonne j de la matrice doit donc normalement
être égale à 100 %; un total inférieur à 100 % voudrait dire qu'une fraction de l'industrie j de la CTI ne
serait affectée à aucune industrie SCIAN, tandis qu'un total supérieur à 100 % signifierait que le montant
qui serait affecté en appliquant cette répartition dépasserait le montant à affecter.

La plupart des données qui ont servi à élaborer la matrice de conversion viennent d’un tableau de
Statistique Canada basé sur les données de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures
travaillées (EERH). Il s’agit d’un tableau de conversion de la CTI (au niveau de détail de deux ou trois
chiffres) au SCIAN (au niveau de détail de deux à quatre chiffres) pour l’ensemble des industries. Il a été
construit à partir des données de l’enquête dans chaque province pour deux périodes de trois mois
consécutifs en 1998 et pour une autre période de trois mois en 1999, et à partir d’information tirée du
Registre des entreprises de Statistique Canada.

Mais cette matrice initiale contenait encore des colonnes dont le total était inférieur à 100 %. On a donc
complété les données de conversion basées sur l'EERH au moyen d'un autre tableau de conversion de
Statistique Canada. Il s’agit d’un tableau de conversion de la CTI (à deux chiffres) au SCIAN (à trois
chiffres) concernant uniquement les industries manufacturières et construit à partir de données de
livraisons manufacturières de l’année 199629. L'ajout des coefficients dérivés de ces données
supplémentaires a conduit, dans certains cas, à un total supérieur à 100 % : les coefficients (probabilités
conditionnelles) provenant des données supplémentaires ont alors été réduits au prorata de leurs valeurs,
de façon à revenir à un total de 100 %.

À la fin, les données des colonnes dont le total était encore inférieur à 95 % ont été estimées à la lumière
des tables de concordance à six chiffres de la CTI au SCIAN et du SCIAN à la CTI de Statistique
Canada30.

Les données selon le CTI sont converties au SCIAN par une simple multiplication matricielle, telle
qu’illustrée à la figure 3.1. Cette opération équivaut à distribuer le revenu engendré par chaque industrie
CTI entre les industries SCIAN suivant les coefficients de la colonne correspondante du tableau de

29. Ce tableau était présenté dans Le Quotidien de Statistique Canada, édition du jeudi 19 octobre 2000, qui demeure
accessible dans les archives du Quotidien :
http://www.statcan.gc.ca/daily-quotidien/001019/dq001019-fra.pdf
30. http://www.statcan.gc.ca/subjects-sujets/standard-norme/concordances/sice-ctie80_naics-scian97_6-fra.htm
40 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

conversion, puis, pour chaque industrie SCIAN, à additionner tous les revenus qui lui ont ainsi été
attribués. Depuis 2001, cette conversion est appliquée aux salaires seulement; auparavant, elle était
appliquée séparément aux salaires et au RNEI.

Figure 3.1 : Représentation schématique du passage


de la classification CTI à la classification SCIAN

1 Industrie CTI 66 1 Territoire 30 1 Territoire 30


1 1 1

Matrice des Matrice des

Industrie SCIAN
Industrie SCIAN

Matrice de conversion revenus revenus

Industrie CTI
de la classification CTI × par industrie = par industrie
à la classification SCIAN CTI SCIAN
et par et par
territoire territoire
63 63
66

3.2.2 Transformation du lieu de résidence au lieu de production

Une fois converties au SCIAN, les données sur les salaires et le RNEI par industrie selon le territoire de
résidence doivent être transformées en données selon le territoire de production. Cela est accompli au
moyen des tableaux des déplacements pendulaires résidence-travail selon l'industrie, pour différents types
de travailleurs. Ces tableaux proviennent de Statistique Canada, qui les compile à partir des données du
questionnaire long du recensement de la population, qui est adressé à un échantillon d’environ 20 % de la
population. Les déplacements des salariés correspondent à ceux des travailleurs rémunérés, tandis que
ceux des entrepreneurs indépendants correspondent à ceux des travailleurs autonomes sans entreprise
constituée en société.

L’utilisation des données sur le navettage est schématisée à la figure 3.2 et décrite en détail à l’annexe 2.
Mais le principe général est simple : sachant comment les résidents d’un territoire donné qui travaillent
dans une industrie donnée se répartissent entre les territoires quant à leur lieu d’emploi, le revenu total
gagné par ces résidents selon Revenu Québec est réparti entre les territoires de production dans les mêmes
proportions. L’hypothèse sous-jacente est donc que, pour une industrie donnée, le revenu moyen par
travailleur (salaire ou RNEI, selon le cas) est le même pour tous les résidents d’un territoire donné, peu
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 41

importe le territoire où ils travaillent. Plus formellement, la matrice de navettage des travailleurs de
chaque secteur industriel k est convertie en matrice des probabilités conditionnelles de travailler dans un
territoire j étant donné le territoire de résidence i; les revenus du territoire de résidence i sont répartis entre
les territoires selon ces probabilités, au moyen d’une multiplication matricielle, telle qu’illustrée à la
figure 3.2.

Puisque les matrices de navettage sont propres à chaque industrie et à chaque type de travailleur, on fait
donc deux calculs par industrie, un pour les salaires et un autre pour le RNEI. On fait aussi un calcul pour
le RNEI dont l’industrie d’origine est indéterminée, au moyen de la matrice de navettage des travailleurs
autonomes sans entreprise constituée en société pour l’ensemble des industries. On obtient le RNEI de
l’ensemble des industries, par territoire de production, en faisant la somme des 64 lignes du tableau du
RNEI, qui comporte une ligne par industrie, pour 63 industries, plus une ligne « Industrie indéterminée ».

Figure 3.2 : Conversion des données fiscales de Revenu Québec sur les salaires et le RNEI
selon le territoire de résidence en données selon le territoire de travail
(un calcul par industrie)

1 30
1 j
Pour une industrie k,
1 30 matrice des probabilités de 1 30
Revenus selon territoire de
résidence
× i travailler
=
Revenus selon territoire de
travail
dans le territoire j,
étant donné le territoire de
résidence i
30

Étant donné que les données sous-jacentes aux matrices de navettage proviennent du recensement de la
population, elles ne sont actualisées qu’aux cinq ans. Cela soulève la question de la stabilité des
comportements de navettage entre les recensements. En effet, on pourrait craindre que ces comportements
changent de plus en plus, à mesure que l’on s’éloigne dans le temps d’une année de recensement.

L’ISQ a mené un test pour évaluer l’effet potentiel de l’évolution des comportements de navettage. Le
PIB régional de l’année 2000, qui avait été estimé en utilisant les matrices de navettage du recensement
de 1996, a été estimé à nouveau en utilisant les matrices de navettage du recensement de 2001,
présumément plus proches du comportement en 2000. La comparaison entre les deux estimations est
quelque peu brouillée, du fait que, tel que mentionné au début de la présente section, la séquence des
42 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

opérations ne peut pas être la même quand les données du recensement sont classées selon le SCIAN
comme en 2001 et quand elles sont classées selon la CTI comme en 1996. Malgré cela, les différences
entre les deux estimations sont mineures. En outre, il n’y a pas d’hiatus dans les estimations entre l’année
2000, dernière année d’utilisation des matrices de navettage de 1996, et 2001, première année
d’utilisation des matrices de navettage de 2001. Il n’a pas été possible de faire le même test en 2005, étant
donné que le PIB régional des industries ordinaires est estimé selon le découpage en 30 territoires de la
figure 1.2 et que les limites des RMR ont changé en 2006, ce qui a eu pour effet de modifier le découpage
géographique. Les limites des RMR sont ajustées aux dix ans : il y aura donc une occasion de refaire le
test pour 2010, quand les données du recensement de 2011 seront disponibles.
4. Application des indicateurs de répartition aux composantes du PIB

Les données fiscales de Revenu Québec, après les transformations décrites au chapitre 3, prennent la
forme de deux tableaux des revenus par industrie SCIAN et par territoire de production, l’un pour les
salaires et l’autre pour le RNEI, tel que représenté schématiquement à la figure 4.1 (avec une 64e ligne
dans le tableau du RNEI, pour le RNEI dont l’industrie d’origine est indéterminée). La distribution des
salaires et celle du RNEI entre les territoires selon les données fiscales, par industrie, servent de clé de
répartition pour deux des trois composantes du PIB : la rémunération des salariés (somme des salaires et
du revenu supplémentaire du travail) et le RNEI. Après répartition de la rémunération des salariés et du
RNEI, les autres excédents d’exploitation (AEE) sont alloués entre les territoires proportionnellement à la
somme des deux composantes déjà réparties.

Figure 4.1: Représentation schématique des données de Revenu Québec après application
des transformations préalables

Territoire de production
1 30
1

Matrice des salaires


ou RNEI
Industrie SCIAN

par
industrie SCIAN
et par
territoire de production
(Source :
Industrie
indéterminée
Revenu Québec)
(pour les RNEI
seulement)
63
64

Huit des 63 industries font cependant l’objet d’un traitement particulier quant à la rémunération des
salariés, au RNEI ou à l’ensemble de la valeur ajoutée, selon le cas. Le tableau 4.1 ci-après donne la liste
des industries particulières et indique, pour chacune, quelles composantes de la valeur ajoutée sont
réparties au moyen d’un indicateur de répartition spécifique.
44 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Tableau 4.1 – Application d’indicateurs de répartition spécifiques à la répartition des


composantes de la valeur ajoutée des industries particulières
Rémunération
RNEI AEE
des salariés
Pêche, chasse et piégeage (SCIAN 114) X
Extraction de minerais métalliques (SCIAN 2122) X
Extraction de minerais non métalliques (SCIAN 2123) X
Construction (SCIAN 23) X X X
Fabrication de produits du pétrole et du charbon (SCIAN 324) X X X
Première transformation des métaux (SCIAN 331) X
Bailleurs de biens immobiliers (SCIAN 5A03) X X
Logements occupés par leurs propriétaires (SCIAN 5A04) X X X

Ce chapitre donne des précisions quant à l’application des indicateurs de répartition. La section 4.1 décrit
les modalités de la répartition de la rémunération des salariés et la section 4.2, celles de la répartition du
RNEI. Dans ce dernier cas, on présente aussi la méthode utilisée pour pallier les lacunes des données
fiscales et exploiter l’information incomplète sur les contribuables ayant déclaré des revenus de
particuliers en affaires, mais dont on ne connaît pas l’industrie (ligne 64 de la matrice schématique de la
figure 4.1). La section 4.3 traite de la répartition des autres excédents d’exploitation. La section 4.4
fournit des détails sur le traitement des industries particulières. Enfin, l’étalonnage final fait l’objet de la
section 4.5.

4.1 Répartition de la rémunération des salariés, par industrie, en 30 territoires

La rémunération des salariés de chaque industrie selon les données cibles est distribuée entre les
territoires au prorata des salaires de la même industrie selon les données fiscales. Techniquement, les
indicateurs de répartition sont construits à partir des lignes de la matrice de la rémunération des salariés
schématisée à la figure 4.1. Chaque ligne i de la matrice correspond à une industrie; chaque colonne j
correspond à un territoire. La rémunération des salariés de l’industrie i selon les données cibles est
distribuée entre les territoires en attribuant à chaque territoire j une part calculée comme le rapport de
l’élément [i, j] de la matrice sur le total de la ligne i.

Six industries, identifiées au tableau 4.1, font cependant exception : la rémunération de leurs salariés est
distribuée au moyen d’un indicateur de répartition spécifique. Pour trois de ces six industries, l’indicateur
de répartition spécifique s’applique à la valeur ajoutée tout entière, au sein de laquelle est fondue la
rémunération des salariés. Pour les trois autres, l’indicateur de répartition spécifique s’applique seulement
à la rémunération des salariés, et les deux autres composantes de la valeur ajoutée sont distribuées selon la
procédure standard décrite ci-après. On peut donc qualifier ces dernières industries de « semi-
particulières ».
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 45

4.2 Répartition géographique du RNEI par industrie

Le RNEI de chaque industrie selon les données cibles pourrait simplement être distribué entre les
territoires au prorata du RNEI de la même industrie selon les données fiscales, suivant la même procédure
que la rémunération des salariés. Les données fiscales sont cependant moins complètes à propos du RNEI
qu’à propos des salaires. Si on n’utilisait que les données complètes, on se priverait de toute l’information
contenue dans les 28,0 % des déclarations pour lesquelles on connaît la région de résidence, mais pas le
code d’industrie (voir 3.1.2).

Pour tirer pleinement parti de toute l’information contenue dans les données fiscales de Revenu Québec
sur le RNEI, on combine les données incomplètes avec les données complètes, selon une méthode fondée
sur les principes de la théorie de l’information. C’est en vue de cette utilisation des données incomplètes
que l’on a complété le tableau du RNEI par industrie et par territoire en y ajoutant une 64e ligne pour le
RNEI dont on ignore l’industrie d’origine. On obtient le RNEI de l’ensemble des industries, par territoire
de production, en faisant la somme des 64 lignes du tableau du RNEI.

En vue de combiner les données complètes et incomplètes, on commence par hiérarchiser l’information
selon son degré de fiabilité :
1. sont considérées comme les plus fiables les données cibles (chapitre 2) de RNEI par industrie au
Québec;
2. au deuxième rang, vient la répartition entre territoires de production du RNEI de l’ensemble des
industries entre territoires de production, calculée à partir des données fiscales de Revenu Québec
provenant de tous les contribuables déclarant des RPA dont on connaît le lieu de résidence;
3. au dernier rang, se trouvent les répartitions du RNEI par industrie entre territoires de production,
calculées à partir des données fiscales de Revenu Québec provenant des contribuables déclarant des
RPA dont on connaît à la fois le lieu de résidence et le code d'industrie.
46 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

La figure 4.2 offre une représentation schématique de la hiérarchie de l’information relative au RNEI.

Figure 4.2 : Hiérarchie de l’information relative au RNEI

1 Territoire de production 30

Information de premier rang : données cibles


1

du RNEI par industrie au Québec


Industrie SCIAN Information de troisième rang :
tableau du RNEI
par industrie SCIAN
et par
territoire de résidence

63
64 Information de deuxième rang : RNEI par
territoire, ensemble des industries Σ

La hiérarchie établie, on ajuste les données de chaque rang hiérarchique sur celles du rang supérieur, en
tenant compte toutefois du fait que l’ajustement ne porte pas sur les chiffres des 5 industries particulières
identifiées dans le tableau 4.1. Pour 3 de ces 5 industries, l’indicateur de répartition spécifique s’applique
à la valeur ajoutée tout entière, au sein de laquelle est fondu le RNEI. Pour les 2 autres, l’indicateur de
répartition spécifique s’applique seulement au RNEI; les deux autres composantes de la valeur ajoutée de
ces deux industries sont distribuées selon la procédure standard décrite en 4.1 et 4.3. On peut donc
qualifier ces deux industries de « semi-particulières ».

Pour exclure des calculs le RNEI de ces 5 industries particulières, il faut le soustraire du total par
territoire (ligne 64 du tableau schématique de la figure 4.2). Mais pour le faire à l’échelle des
30 territoires, il faudrait que le RNEI de ces 5 industries ait été préalablement réparti entre les territoires.
Or, comme il a été mentionné à la section 1.4, les données qui servent à calculer les indicateurs de
répartition spécifiques des industries particulières ne sont pas fournies selon le découpage en 30
territoires; elles sont fournies selon deux découpages : en 17 régions administratives, dont l’une est
subdivisée en trois territoires de CRÉ et en six régions métropolitaines et un territoire hors RMR.
L’estimation du PIB régional des industries particulières se fait donc en parallèle, d’une part pour les
régions administratives et les territoires de CRÉ de la Montérégie, et d’autre part pour les six régions
métropolitaines de recensement et le territoire hors RMR. Il en est de même, par conséquent, de
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 47

l’estimation du RNEI par région qui combine les données complètes et incomplètes. La procédure qui est
décrite ci-après s’applique donc deux fois : une fois aux 17 régions administratives, avec une région
subdivisée en trois territoires de CRÉ, et une autre fois aux six régions métropolitaines de recensement et
au territoire hors RMR. Dans ce qui suit, le terme « région » réfère à un espace géographique constitutif
de l’un ou l’autre de ces découpages.

La procédure de combinaison des données complètes et incomplètes comporte trois étapes :


1. Le total (la somme sur les industries) du RNEI selon les données cibles est réparti entre les régions au
prorata du RNEI par région calculé à partir des données fiscales de Revenu Québec pour l’ensemble
des industries. Les données de deuxième rang sont ainsi ajustées aux données de premier rang.
Ensuite, on retranche le RNEI des industries particulières31 du total du RNEI par région et du total du
RNEI pour l’ensemble des régions selon les Comptes économiques, puisque l’ajustement ne porte que
sur les autres industries. Cela fait, on supprime, dans la matrice du RNEI par industrie et par région,
les lignes qui correspondent aux industries particulières.
2. De même, le RNEI par industrie selon les données cibles est réparti entre les régions selon les données
fiscales de Revenu Québec par industrie et par région. Les données de troisième rang sont ainsi
ajustées elles aussi aux données de premier rang. La matrice du RNEI par industrie et par région qui en
résulte est donc construite selon la même procédure que celle des salaires par industrie et par région
décrite en 4.1. À cette étape cependant, la somme du RNEI par industrie d’une région n’est pas égale
au total du RNEI de la région calculé à l’étape précédente.
3. Les données de premier et de deuxième rang (les totaux par industrie et par région) jouent ensuite le
rôle de contraintes qui encadrent l’ajustement des données de troisième rang : le RNEI par industrie et
par région est ajusté de manière à ce que ces contraintes de totaux marginaux soient respectées, tout en
s’éloignant le moins possible de leur structure initiale (la structure « initiale » désigne ici la structure
telle qu’elle a été établie à la fin de l’étape 2).

Concrètement, l’ajustement dépend de la façon d’opérationnaliser la notion d’« éloignement ». Le critère


utilisé est la minimisation de l’entropie croisée (MinXEnt). Ce critère, tiré de la théorie de l’information,
s’interprète comme la minimisation de l’information nouvelle que le processus d’ajustement impose aux
données originales. C’est pourquoi, au lieu de « minimisation de l’entropie croisée », on parlera plutôt de
minimisation de l’apport d’information.

Les détails de la procédure d’ajustement sont donnés à l’annexe 5.

31. Il s’agit bien du RNEI des industries particulières qui résultent de l’application des indicateurs de répartition
propres à ces industries (voir 4.4). Il ne s’agit pas des RNEI de ces industries provenant des données fiscales de
Revenu Québec.
48 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Cinq industries, identifiées au tableau 4.1, font exception : leur RNEI est distribué au moyen d’un
indicateur de répartition spécifique. Pour trois de ces six industries, l’indicateur de répartition spécifique
s’applique à la valeur ajoutée tout entière, au sein de laquelle est fondu le RNEI. Dans l’industrie des
bailleurs de biens immobiliers, le RNEI est réparti conjointement avec les AEE au moyen d’un indicateur
de répartition spécifique; seule la rémunération du travail est distribuée entre les régions selon la
procédure appliquée aux industries ordinaires. Enfin, dans l’industrie de Pêche, chasse et piégeage,
l’indicateur de répartition spécifique s’applique seulement au RNEI et les deux autres composantes de la
valeur ajoutée sont distribuées selon la procédure standard décrite en 4.1 et 4.3.

4.3 Répartition géographique des autres excédents d’exploitation (AEE)

La troisième composante de la valeur ajoutée, les autres excédents d’exploitation (AEE), comprend :
• les bénéfices des sociétés avant impôt;
• les intérêts et revenus divers de placement;
• l’ajustement de la valeur des stocks;
• les impôts indirects, moins subventions, sur la production32;
• les provisions pour consommation de capital.

Bien qu’il existe des données fiscales de Revenu Québec relatives à certaines composantes des autres
excédents d’exploitation, il a été décidé de ne pas les utiliser pour l’estimation du PIB régional. Les
raisons de ce choix sont multiples. Par exemple, pour ce qui est de l'information relative aux sociétés
(bénéfices avant impôt, provisions pour consommation de capital), les statistiques fiscales des sociétés
provenant de Revenu Québec se rapportent à l'exercice financier de chaque société, plutôt qu'à l'année
civile, et, au contraire de ce qui est demandé aux particuliers qui déclarent des revenus de particuliers en
affaires, Revenu Québec ne demande pas aux sociétés de faire une estimation de leur revenu net sur la
base de l’année civile. En outre, les données des entreprises qui possèdent plus d’un établissement sont
souvent rattachées au siège social et ne peuvent pas aisément être attribuées au lieu de production.

Ajoutons que Statistique Canada, dans son évaluation qualitative des estimations provinciales du PIB
(Comptes économiques provinciaux annuels, no 13-213-PPB), juge que l'estimation des bénéfices des
sociétés avant impôt est tout juste « acceptable », c'est-à-dire au dernier rang d'une échelle de 1 à 3
(d’ailleurs, il en est de même du revenu net des entreprises individuelles non agricoles, loyers compris,
ainsi que de l'ajustement de la valeur des stocks).

32. Rappelons que seuls les impôts indirects, moins les subventions, sur la production sont pris en compte dans le
PIB aux prix de base, à l’exclusion des impôts indirects, moins les subventions, sur les produits (sur les biens et
services).
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 49

Compte tenu de ces difficultés, c’est la somme de la rémunération du travail et du RNEI par industrie,
préalablement répartie entre les régions, qui sert d’indicateur de répartition pour le reste de la valeur
ajoutée, sauf pour trois industries, identifiées au tableau 4.1 : Construction, Fabrication de produits du
pétrole et du charbon et Logements occupés par leurs propriétaires. Dans ces trois cas, c’est l’ensemble de
la valeur ajoutée qui est répartie entre les régions au moyen d’un même indicateur de répartition
spécifique33.

4.4 Industries particulières

Huit industries font l’objet d’un traitement particulier. Ce sont :


• Pêche, chasse et piégeage (SCIAN 114)
• Extraction de minerais métalliques (SCIAN 2122)
• Extraction de minerais non métalliques (SCIAN 2123)
• Construction (SCIAN 23)
• Fabrication de produits du pétrole et du charbon (SCIAN 324)
• Première transformation des métaux (SCIAN 331)
• Bailleurs de biens immobiliers (SCIAN 5A03)
• Logements occupés par leurs propriétaires (SCIAN 5A04)

Dans les cas de la Construction et des Logements occupés par leurs propriétaires, la méthode d’estimation
du PIB régional appliquée à l’ensemble des industries est d’emblée impraticable, pour des raisons qui
seront explicitées plus loin. C’est donc au moyen d’un indicateur de répartition spécifique à chacune de
ces deux industries que l’on distribue leur PIB entre les régions.

La décision de traiter les six autres industries comme particulières a été prise à la lumière des estimations
expérimentales, dont les résultats ont fait l’objet d’une évaluation critique, notamment quant à la stabilité
du PIB régional d'une année à l'autre. Cet examen a révélé des anomalies dans l’estimation du PIB
régional de ces six industries, ce qui a conduit à développer dans chaque cas un indicateur de répartition
spécifique.

Les paragraphes qui suivent passent en revue chacune des huit industries particulières.

33 Il est à noter qu’on pourrait, de façon mathématiquement équivalente, répartir séparément la rémunération du
travail et le RNEI au moyen du même indicateur de répartition spécifique, puis répartir les Autres excédents
d’exploitation au prorata des deux autres composantes.
50 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

4.4.1 Pêche, chasse et piégeage (SCIAN 114)

Dans les résultats de l’application expérimentale de la méthode d’estimation du PIB régional, les salaires
estimés par région de l’industrie Pêche, chasse et piégeage ne présentaient pas d'anomalie manifeste,
malgré l’attribution de petits montants de salaire à des régions où l’on ne s’attendrait pas à en trouver (il
pourrait s’agir d'erreurs de classification liées au fait qu’on aurait inclus la pisciculture dans cette
industrie, tandis qu’elle devrait être classée, tant selon le SCIAN que selon la CTI, dans l’industrie de
l’agriculture et de l’élevage).

Par contre, les résultats d’estimation concernant le RNEI étaient plus problématiques. En effet, dans les
données fiscales de Revenu Québec pour 2003, le montant du RNEI de l’industrie de la pêche, de la
chasse et du piégeage ne représentait que 0,9 % du RNEI de cette industrie selon les données cibles, alors
que celui-ci constitue 27,5 % de la valeur ajoutée de l'industrie. Il est clair que, dans ces conditions, les
données fiscales de Revenu Québec sur le RNEI de cette industrie ne sont pas suffisamment fiables pour
être utilisées comme indicateur de répartition.

C’est pourquoi il a été décidé de répartir le RNEI et les AEE de cette industrie au moyen d'un indicateur
de répartition particulier. Puisque l’essentiel de la valeur ajoutée de cette industrie vient de la pêche
commerciale, l’indicateur de répartition choisi est la valeur des débarquements de poisson par région
selon Pêches et Océans Canada34.

4.4.2 Extraction de minerais métalliques et non métalliques (SCIAN 2122 et 2123)

L’examen des résultats de l’application expérimentale de la méthode aux industries de l’extraction de


minerais métalliques et non métalliques a révélé des anomalies (notamment, une présence significative de
l’industrie minière dans une région où il n’y a pas de mines). Une analyse attentive a permis d’identifier
la source probable de ces anomalies : des erreurs de classification dans les données fiscales. La présence
de telles erreurs n’est pas particulièrement étonnante, puisque les données fiscales sont recueillies à des
fins administratives, plutôt qu’à des fins d’analyse économique. En outre, Revenu Québec est largement
tributaire des répondants des grandes entreprises, qui font eux-mêmes la classification de leur entreprise.
Le risque d’erreur de classification est d’autant plus grand entre des industries qui sont proches l’une de
l’autre. Par exemple, il peut être difficile pour un non-spécialiste de tracer la frontière entre l’extraction de
minerais métalliques et la première transformation des métaux.

34. Source : Les pêches maritimes du Québec. Revue statistique annuelle, Pêches et Océans Canada. Certains
ajustements ont dû être faits : voir l’annexe 6.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 51

Pour répartir les salaires des industries de l'extraction de minerais métalliques et de l'extraction de
minerais non métalliques, on utilise comme indicateur de répartition la rémunération des salariés
(employés à la production et autres) par région, selon les microdonnées du Recensement des mines, des
carrières et des sablières35. Ces données proviennent des enquêtes menées par l'Institut de la Statistique
du Québec en collaboration avec Ressources naturelles Canada.

Les données du Recensement des mines, des carrières et des sablières remplacent donc les données de
Revenu Québec sur les salaires dans les industries d’Extraction de minerais métalliques (SCIAN 2122) et
non métalliques (SCIAN 2123). Pour le reste cependant, ces deux industries sont traitées comme les
industries ordinaires : le RNEI est réparti entre les régions selon la procédure exposée à la section 4.2, et
les AEE selon la procédure de la section 4.3. On peut donc qualifier ces deux industries de « semi-
particulières ».

4.4.3 Industrie de la construction (SCIAN 23)

Même si les matrices de navettage des travailleurs de l'industrie de la construction ont été calculées, elles
n'ont pas été utilisées. En effet, comme on s'y attendrait, étant donné la nature de cette industrie, il y a
dans la construction un pourcentage élevé de travailleurs sans lieu fixe de travail et il serait inapproprié de
les répartir au prorata de ceux dont le lieu de travail est connu, parce que l’on ne peut pas présumer que le
comportement de ces derniers est représentatif de celui des premiers. D’ailleurs, même si la répartition
des travailleurs de la construction entre les régions de travail était connue pour les années de recensement
de la population, cette répartition change forcément d’année en année, au gré de l’ouverture et de la
fermeture de chantiers de construction; il ne serait donc pas justifié d’utiliser la matrice de navettage d’un
recensement pour convertir les données des années subséquentes en données selon le lieu de travail.

Le PIB de l’industrie de la construction est donc distribué entre les régions au moyen d'un indicateur de
répartition particulier : les Dépenses en immobilisation et en réparation, à l'exclusion des immobilisations
et réparations en machinerie, par région administrative36.

35 Source : Institut de la statistique du Québec, Recensement des mines, des carrières et des sablières. Comme
l’Enquête annuelle sur les manufactures et l’exploitation forestière (EAMEF), le Recensement des mines, des
carrières et des sablières ne donne pas d’information sur la consommation intermédiaire de services, de sorte
qu’il est impossible de calculer la valeur ajoutée. On utilise comme indicateur de répartition la rémunération
totale, plutôt que celle des seuls employés à la production, pour tenir compte aussi bien des sièges sociaux et
bureaux administratifs que des usines et autres établissements de production.
36. Immobilisations et réparations des secteurs privé et public, par région administrative, Québec, années 1997 et
suivantes, Institut de la statistique du Québec, Direction des statistiques économiques et du développement
durable. Source : Statistique Canada, Direction de l'investissement et du stock de capital. Compilation : Institut
de la statistique du Québec. Ces données sont consultables sur le site Web de l'Institut de la statistique du
Québec, dans la Banque de données des statistiques officielles sur le Québec (BDSO) :
http://www.bdso.gouv.qc.ca/.
52 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

4.4.4 Fabrication de produits du pétrole et du charbon (SCIAN 324)

Les estimations expérimentales relatives à cette industrie divergeaient de ce que l’on en connaît. On sait
en effet que le raffinage de pétrole représente au Québec environ 90 % à 95 % de l’industrie de la
Fabrication de produits du pétrole et du charbon et qu’il est concentré dans les régions de Chaudière-
Appalaches (région 12) et de Montréal (région 06), où se trouvent respectivement 40 % et 60 %, grosso
modo, de la capacité de raffinage du Québec. Or, l'application expérimentale de la méthode du PIB
régional conduisait à sous-estimer la part de Chaudière-Appalaches et à imputer une part notable du PIB
de l'industrie à des régions qui n’ont aucune capacité de raffinage (Mauricie – région 04).

Il a donc été décidé d’utiliser un indicateur de répartition spécifique pour cette industrie : sa valeur
ajoutée37 selon les microdonnées de l'Enquête annuelle sur les manufactures et l’exploitation forestière
(EAMEF)38. Cependant, de l’avis d’observateurs qui connaissent l’industrie du raffinage, l’application de
cet indicateur de répartition aux années 1997, 1998 et 1999 entraîne une surestimation de la production de
pétrole dans la région de Montréal (région 06) et une sous-estimation dans Chaudière-Appalaches; cette
distorsion dans les données disparaît à partir de l’année 2000. Le PIB de la fabrication de produits du
pétrole et du charbon des années 1997 à 1999 est donc réparti entre les régions au prorata de la moyenne
de la rémunération des salariés en 2000 et 2001, selon les microdonnées de l’EAMEF.

4.4.5 Première transformation des métaux (SCIAN 331)

L’examen des résultats de l’application expérimentale de la méthode à l’industrie de la première


transformation des métaux a révélé des anomalies. Une analyse attentive a permis d’identifier la source
probable de ces anomalies : des erreurs de classification dans les données fiscales. Les anomalies
détectées dans la première transformation des métaux semblaient d’ailleurs liées à celles observées dans
l’extraction de minerais métalliques.

Pour répartir les salaires de l’industrie de la première transformation des métaux, on utilise comme
indicateur de répartition la rémunération des salariés (employés à la production et autres)39 par région,
selon les microdonnées de l’Enquête annuelle sur les manufactures et l’exploitation forestière (EAMEF).

37 On aurait pu traiter cette industrie de la même manière que l’extraction de minerais métalliques et non
métalliques, comme une industrie semi-particulière. Mais dans le cas présent, les anomalies résultant de
l’application de la méthode standard ne pouvaient pas être aussi directement reliées aux traitements et salaires.
38 Cette enquête remplace l’Enquête annuelle sur les manufactures. Pour plus de renseignements, consulter le site
Web de Statistique Canada :
http://www.statcan.gc.ca/cgi-
bin/imdb/p2SV_f.pl?Function=getSurvey&SDDS=2103&lang=en&db=imdb&adm=8&dis=2
39 On utilise la rémunération totale, plutôt que celle des seuls employés à la production, pour les mêmes raisons que
dans le cas de l’extraction de minerais métalliques et non métalliques.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 53

Les données de l’Enquête annuelle sur les manufactures et l’exploitation forestière (EAMEF) remplacent
donc les données de Revenu Québec sur les salaires dans l’industrie de la première transformation des
métaux. Pour le reste cependant, cette industrie est traitée comme les industries ordinaires : le RNEI est
réparti entre les régions selon la procédure exposée à la section 4.2, et les AEE selon la procédure de la
section 4.3. On peut donc la qualifier de « semi-particulière », tout comme les industries d’extraction des
minerais métalliques et non métalliques.

4.4.6 Bailleurs de biens immobiliers (SCIAN 5A03)

Dans cette industrie, la rémunération du travail selon les estimations expérimentales évoluait avec une
certaine stabilité et ne montrait donc pas d’anomalie évidente. Par contre, le RNEI des estimations
expérimentales présentait une évolution en dents de scie dans certaines régions, passant d’une année à
l’autre de valeurs positives à des valeurs négatives, et produisant des fluctuations de la valeur ajoutée de
plusieurs centaines de millions de dollars. La sensibilité de la valeur ajoutée aux fluctuations du RNEI
s'explique partiellement par le poids relatif du RNEI par rapport à la rémunération du travail. En effet,
même si le RNEI de l’industrie des bailleurs de biens immobiliers a une importance comparable (7,6 %) à
celle qu’il a dans l’ensemble de l’économie (6,7 %), la rémunération du travail de cette industrie a un
poids relativement faible dans sa valeur ajoutée (7,3 %); il s’ensuit que les AEE comptent pour 85,1 % de
la valeur ajoutée. Étant donné la méthode de répartition des AEE (section 4.3) et le poids relatif important
du RNEI par rapport à la rémunération du travail, l’instabilité du RNEI s’en trouvait amplifiée à
l’ensemble du PIB des bailleurs de biens immobiliers, au point où, dans certaines régions, cela avait un
effet sensible sur le PIB régional.

Pour corriger cette instabilité, le RNEI et les AEE sont répartis conjointement entre les régions en
proportion des valeurs foncières totales40 en guise d’indicateur de répartition spécifique.

4.4.7 Logements occupés par leurs propriétaires (SCIAN 5A04)

Il n’y a pas de données fiscales (ni salaires, ni RNEI) de Revenu Québec correspondant à cette industrie,
précisément parce que les loyers imputés des logements occupés par leurs propriétaires sont des valeurs
imputées. Il s'agit donc forcément d'une industrie particulière, pour laquelle il faut trouver un indicateur
de répartition particulier.

La source privilégiée pour répartir les loyers imputés entre les régions est une totalisation personnalisée
préparée pour l’Institut de la statistique du Québec par Statistique Canada, sur la base de l’échantillon de

40. Source : la banque de données « Évaluations foncières des municipalités du Québec », fournie à l’Institut de la
statistique du Québec par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire
(MAMROT).
54 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

20 % de la population ayant répondu au questionnaire long du Recensement41. L’univers de référence est


l’ensemble des ménages privés dans les logements privés non agricoles hors réserve, au Québec et par
territoire, pour les 30 territoires du découpage géographique de la figure 1.2.

Mais le stock de logements évolue entre les recensements, à des rythmes différents d'une région à l'autre.
Pour tenir compte de ce phénomène, la valeur ajoutée de l'industrie des Logements occupés par leurs
propriétaires est séparée en plusieurs parties constitutives, de la façon suivante :
1. la première partie est constituée du PIB de cette industrie pour l'année du dernier recensement de la
population;
2. les autres parties sont constituées des tranches annuelles successives d'accroissement du PIB de cette
industrie entre l'année du dernier recensement et l'année courante (en 1997 et en 2002, une seule
composante s’ajoute; en 1998 et en 2003, ce sont deux composantes, etc.).

À chacune de ces parties est appliqué un indicateur de répartition différent :


1. pour la première partie, la répartition entre régions est au prorata de la valeur des logements occupés
par leurs propriétaires par région administrative selon le recensement de la population42;
2. pour la deuxième partie et les suivantes, la répartition entre régions est faite au prorata de la valeur des
permis de bâtir résidentiels de cette année-là et de l'année précédente, par région administrative43.

La croissance de chaque année est répartie proportionnellement à la somme de la valeur des permis de
l'année courante et de l'année précédente (ce qui équivaut à une répartition en proportion de la moyenne),
pour refléter la réalité de l'industrie de la construction résidentielle. Car entre l'émission des permis et la
prise de possession des logements neufs par leurs nouveaux propriétaires occupants, il peut s'écouler
plusieurs mois. L'utilisation de la moyenne est une manière expéditive d'en tenir compte.

Par exemple, pour 1998, on a divisé le PIB en trois tranches :


• PIB de 1996;
• différence entre le PIB de 1997 et celui de 1996;
• différence entre le PIB de 1998 et celui de 1997.

41.Le tableau s’intitule « Ménages privés dans les logements occupés selon le mode d’occupation (4) et le type de
construction résidentielle (8) montrant le nombre de ménages, la valeur moyenne du logement ou le loyer brut
mensuel moyen (3) ».
42. Compilation spéciale obtenue de Statistique Canada, consultable sur le site Web de l’Institut de la statistique du
Québec : http://www.stat.gouv.qc.ca/regions/recens2001_06/logements06/coutshab06.htm
43. Données de Statistique Canada, obtenues par l’Institut de la statistique du Québec; consultables sur le site Web
de l’ISQ, à l’onglet « Profils des régions et des MRC » :
http://www.stat.gouv.qc.ca/regions/profils/region_00/region_00.htm
Pour chaque région, dans le profil « Construction et habitation », on trouve le tableau « Valeur des permis de
bâtir selon le type de construction ».
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 55

La différence 1997-1996 a été répartie entre les régions au prorata de la moyenne de la valeur des permis
pour 1996 et 1997; la différence 1998-1997, au prorata de la moyenne pour 1997 et 1998.

La valeur ajoutée régionale de l'industrie des Logements occupés par leurs propriétaires est simplement
égale à la somme des parties constitutives.

4.5 Étalonnage final

Puisqu’il s’agit d’une méthode descendante qui consiste à répartir le PIB du Québec par industrie et par
composante entre les régions au moyen d’indicateurs de répartition, la méthode décrite dans ce chapitre
assure d'emblée que les estimations du PIB régional sont cohérentes avec les données cibles élaborées à
partir des repères déjà mentionnés :
• Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec;
• Tableaux des entrées-sorties du Québec (Statistique Canada);
• PIB aux prix de base par industrie et par province, en dollars courants (Statistique Canada).

Il n’y a donc pas lieu d’appliquer quelque procédure que ce soit d’étalonnage final.
5. Évaluation des estimations du PIB régional

Dans ce chapitre, on essaie d’évaluer la qualité des estimations du PIB régional qui résultent de
l’application de la méthode décrite dans ce document. On discute d’abord de la fiabilité des estimations
(section 5.1), puis on évoque brièvement les règles sous-jacentes au schéma de confidentialité qui régit la
divulgation des estimations (section 5.2).

5.1 Fiabilité des estimations

On peut examiner la fiabilité des estimations selon deux approches : on peut en faire une évaluation a
posteriori, en comparant le PIB régional estimé à d’autres indicateurs, ou on peut en faire une évaluation
a priori, par un examen critique de différents aspects de la procédure d’estimation.

5.1.1 Évaluation a posteriori

L’évaluation de la qualité des estimations n’est pas chose facile. Car il n’existe pas d’observations
auxquelles on pourrait confronter les estimations du PIB régional. La seule évaluation possible est une
évaluation indirecte.

Tel que mentionné à la section 4.4, les résultats de l’application expérimentale de la méthode d’estimation
ont fait l’objet d’une évaluation critique qui a conduit à la décision de traiter six industries comme
particulières (en plus des deux qui devaient l’être d’emblée). La démarche d’évaluation a d’abord consisté
à soumettre les estimations à des spécialistes sectoriels de l’ISQ et de la communauté des utilisateurs. Les
résultats ont aussi été comparés à d’autres estimations.

Comparaison du PIB régional des industries manufacturières avec les microdonnées de l’Enquête
annuelle sur les manufactures et l’exploitation forestière (EAMEF)

La distribution régionale du PIB manufacturier a été comparée à celle qu’on peut calculer au moyen des
microdonnées de l’Enquête annuelle sur les manufactures et l’exploitation forestière (EAMEF) des
années 1997-2000. À l’échelle de l’ensemble du secteur manufacturier, les distributions géographiques
étaient très semblables, bien que les divergences en pourcentage des parts régionales estimées aient été
plus importantes pour les petites régions. Les différences étaient toutefois plus notables quant à la
distribution géographique du PIB par industrie, et ces constatations ont contribué à la décision de traiter
certaines industries comme particulières.

Cela dit, l’existence de ces divergences n’est pas probante en soi, parce que certaines caractéristiques de
l’EAMEF font que ces données ne sont pas nécessairement les meilleurs indicateurs de la répartition du
58 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

PIB entre les régions. D'abord, le PIB estimé à partir des microdonnées de l'EAMEF est aux prix du
marché, alors que l’estimation du PIB régional est aux prix de base. Mais cette différence ne devrait pas
avoir un gros impact sur la répartition interrégionale. Ce qui doit inciter à la prudence dans l’utilisation
des données de l’EAMEF, par contre, c’est que le calcul de la « valeur ajoutée » dans les statistiques
principales des établissements ne tient pas compte des services achetés comme intrants : la valeur ajoutée
s'en trouve donc nettement surestimée. En soi, cela n'aurait pas d'importance si la part des services achetés
comme intrants était constante d'une région à l'autre au sein d’une même industrie. Mais il y a de bonnes
raisons de croire que tel n'est pas le cas. D'abord, la classification industrielle utilisée est suffisamment
agrégée pour qu'il y ait des variations dans la composition de chaque industrie d'une région à l'autre : il se
peut que ces variations de la composition des industries s'accompagnent de variations dans l'importance
relative des services achetés comme intrants. Ensuite, même au sein d'une industrie homogène, les
activités sont susceptibles de varier d'un établissement à l'autre : par exemple, on peut croire que les
établissements de production achètent moins de services comme intrants que les bureaux administratifs et
sièges sociaux. Or les bureaux administratifs et sièges sociaux tendent à se localiser dans les régions
urbaines, tandis que, pour certaines industries, les établissements de production sont situés hors des
grands centres. Pour toutes ces raisons, il est probable que le fait de ne pas soustraire les achats
intermédiaires de services dans le calcul de la valeur ajoutée entraîne des distorsions dans la répartition
régionale du PIB selon les microdonnées de l'EAMEF.

Étant donné toutes ces considérations, on ne peut pas affirmer que la répartition régionale du PIB par
industrie selon l’EAMEF est plus proche de la réalité que celle qui résulte de l’application de la méthode
décrite dans ce document.

Comparaison du PIB des régions métropolitaines de recensement avec les estimations du Conference
Board

Le PIB des régions métropolitaines de recensement estimé par l’ISQ a été comparé à celui du Conference
Board du Canada, qui produit des estimations annuelles du PIB en dollars constants de 2002 pour les
régions métropolitaines de recensement (RMR) du Canada44. La méthode du Conference Board consiste à
estimer le PIB réel (en dollars constants de 2002) aux prix de base par industrie pour une soixantaine
d’industries au moyen des données mensuelles d’emploi de l’Enquête sur la population active (EPA) de
Statistique Canada. La comparaison des estimations pour la période 1997-2004 et pour cinq des six

44 Ces estimations sont diffusées dans la publication trimestrielle Note de conjoncture métropolitaine/Metropolitan
Outlook. Pour une présentation un peu plus détaillée de la méthode du Conference Board, voir Lemelin et
Mainguy (2008). Il est à noter que les chiffres de l’ISQ qui ont fait l’objet de la comparaison étaient le résultat de
l’application expérimentale de la méthode d’estimation.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 59

RMR45 montre des différences modérées, qui s’expliquent en bonne partie par l’hypothèse de
productivité du travail uniforme sous-jacente aux estimations du Conference Board, ainsi que par la façon
différente de tenir compte des déplacements résidence-travail. La comparaison n’a pas fait ressortir
d’anomalies dans les estimations de l’ISQ.

5.1.2 Évaluation a priori

Étant donné les limites de l’évaluation a posteriori, il est recommandable de procéder à une évaluation a
priori. Une telle démarche peut s’inspirer du manuel des méthodes de comptabilité régionale de l’Union
européenne :

« La qualité des statistiques régionales est variable entre les régions à travers l’Union européenne,
mais peu de travail a été fait pour évaluer les erreurs d’estimation probables. Cela serait une tâche
difficile. En général, on peut dire que les statistiques des petites régions à faible densité de population
sont moins fiables que celles des régions plus grandes. Toutefois, il est vraisemblable que de faibles
différences entre les régions soient bien en deçà de la marge d’erreur des chiffres, surtout pour les plus
petites régions. La qualité dépend de trois choses : la taille de la région, la qualité des données et la
méthodologie. » (Eurostat, 1995, p. 10; traduction libre)46

Dans ce qui suit, on essaie de faire une évaluation a priori de la qualité des estimations du PIB régional, à
l’aide des trois critères énumérés dans le document d’Eurostat : taille des régions, qualité des données et
méthode. Pour ce qui est de la taille des régions, on peut donc s’attendre à ce que les estimations soient
plus fiables pour les régions dont le PIB est important et où la densité de population est forte. Le même
principe peut s’appliquer aux industries : l’estimation du PIB régional des industries qui représentent une
fraction importante du PIB du Québec est probablement plus précise que celle des petites industries et, au
sein d’une même industrie, l’estimation du PIB des régions où est concentrée cette industrie est
probablement plus fiable que l’estimation de celui des régions où elle n’a qu’une présence marginale.
Enfin, par le jeu de la compensation des erreurs, l’estimation du PIB régional de l’ensemble des industries
est vraisemblablement plus exacte que celle du PIB régional par industrie. Ces considérations devraient
être prises en compte dans l’utilisation des résultats : il faut se garder d’accorder trop d’importance à de
petites variations dans le temps ou entre les régions.

45 Dans les chiffres de l’ISQ, on estime le PIB de la RMR de Gatineau, qui est la partie québécoise de la RMR
d’Ottawa-Gatineau. On ne trouve pas l’équivalent dans les chiffres du Conference Board.
46 « The quality of regional statistics varies between regions across the European Union, but little work has been
done to assess likely errors in the estimates. This would be a difficult task. Generally we can say that statistics
for small, sparsely populated regions are less reliable than those for bigger regions. However it is likely that
small differences between regions are well within the margin of error of the figures, particularly for the smaller
regions. Quality depends on three things : region size, data quality and methodology. This document
concentrates on improving and harmonising methods, but the other aspects must not be forgotten. »
60 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Quant aux données utilisées, ce sont pour une bonne part des données officielles de l’ISQ et de Statistique
Canada. Ces données font l’objet d’évaluation par les agences statistiques qui les produisent. Les données
cibles, en particulier, peuvent être considérées comme très fiables. Par contre, les indicateurs de
répartition (sauf pour les industries particulières) ne proviennent pas principalement de données
officielles, mais ont été construits à partir de données fiscales de Revenu Québec. Ces données sont
collectées par un appareil qui s’appuie sur la force de la Loi et le Ministère déploie des efforts constants
pour s’assurer que les revenus déclarés soient conformes à la réalité. On peut donc croire que ces données
sont extrêmement fiables quant aux aspects qui ont une incidence sur la perception des impôts. Elles le
sont peut-être moins quant aux autres aspects, comme la classification industrielle des activités
génératrices de revenus. Et, en effet, on a détecté des erreurs de classification dans les données fiscales.
Ces erreurs ont été corrigées par l’application d’autres indicateurs de répartition lorsqu’elles avaient des
conséquences perceptibles sur l’estimation du PIB régional.

Afin d’évaluer la fiabilité des données de Revenu Québec comme indicateur de répartition, on a fait une
comparaison systématique entre les données fiscales sur les salaires de 1997 fournies par Revenu Québec
et le nombre de travailleurs rémunérés47 selon le recensement de la population de 1996. La comparaison
a été faite pour l’ensemble des industries et par industrie CTI. Cette comparaison était la seule qui puisse
être faite sans avoir à convertir les données fiscales au SCIAN. À l’échelle de l’ensemble des industries,
la seule différence notable concerne l’Outaouais et elle s’explique par le fait que les données du
recensement incluent tous les résidents de l’Outaouais, tandis que les données de Revenu Québec ne
comptent que les revenus des résidents qui travaillent au Québec, ce qui exclut tous ceux qui travaillent à
Ottawa (le gouvernement fédéral n’est pas tenu d’émettre de relevé R-1 pour ses employés qui vivent au
Québec); de toute façon, le revenu de ces travailleurs ne fait pas partie du produit intérieur brut du
Québec, qui réfère au lieu de production, et non au lieu de résidence. Les résultats de la comparaison par
industrie sont similaires, sauf pour les industries qui sont affectées de façon manifeste par les erreurs de
classification des données de Revenu Québec.

Pour ce qui est de la méthode, il faut reconnaître d’emblée qu’elle n’appartient pas, comme le préconise
Eurostat (1995, p. 14), à la famille des méthodes dites « ascendantes », qui consistent à collecter les
données économiques à l’échelle de l’établissement, puis à progresser par addition jusqu’à obtenir la
valeur régionale de l’agrégat. La méthode présentée dans ce document est au contraire une méthode
descendante, qui consiste à répartir les données nationales québécoises entre les régions, à l’aide
d’indicateurs aussi proches que possible des variables à estimer. Cela dit, on peut constater que la

47 Cela comprend les employés et les travailleurs autonomes en entreprise constituée en société.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 61

méthode de l’ISQ se conforme à plusieurs des recommandations d’Eurostat (1995, p. 15) pour améliorer
les méthodes descendantes. En particulier :
• les données fiscales de Revenu Québec utilisées comme indicateurs sont très étroitement liées aux
composantes de la valeur ajoutée qu’elles servent à répartir (rémunération du travail et RNEI);
• en particulier, ces indicateurs passeraient avec succès le « test d’inversion » : il serait tout à fait
plausible d’estimer les salaires ou le RNEI déclarés par région au moyen de données régionales sur la
rémunération du travail et le RNEI par industrie, si de telles données existaient;
• le PIB est réparti entre les régions, non pas globalement, mais par industrie et par composante, au
moyen d’indicateurs propres à chaque industrie; la nomenclature des industries est relativement
détaillée (63 industries).

On peut cependant identifier trois points de vulnérabilité dans l’estimation du PIB régional :
• la conversion des données salariales de Revenu Québec de la CTI au SCIAN;
• la transformation des données fiscales selon le lieu de résidence en données selon le lieu de
production;
• la distribution des autres excédents d’exploitation entre les régions, non pas en fonction de données
conceptuellement liées à cette composante, mais selon la répartition régionale des deux autres
composantes.

Malgré ces limites, la méthode d’estimation du PIB régional se compare avantageusement à celles qui
sont pratiquées par d’autres agences officielles (Lemelin et Mainguy, 2008), et on peut dire que les
résultats qu’elle produit sont crédibles.

5.2 Schéma de confidentialité

Dans le cadre de la Loi et pour préserver le lien de confiance entre les agences statistiques (Statistique
Canada et l’ISQ) et leurs répondants, les données diffusées ne doivent pas permettre d’identifier des
individus (personnes ou entreprises). Plus précisément, la Loi interdit à Statistique Canada de diffuser
quelque donnée que ce soit qui divulguerait de l’information, obtenue en vertu de la Loi sur la Statistique,
se rapportant à toute personne, entreprise ou organisation identifiable, sans que cette personne, entreprise
ou organisation en ait eu préalablement connaissance ou y ait consenti par écrit. Bien entendu, l’Institut
de la statistique du Québec est tenu de respecter cette interdiction dans l’usage qu’il fait des données
obtenues de Statistique Canada.

Au début des années 70, Statistique Canada a établi un ensemble de directives à appliquer pour
déterminer quelle information pouvait être rendue disponible, dans le respect de la Loi, quant aux données
d’industrie. Ces directives sont appelées « Règles de Duffett », du nom du Statisticien en chef de
62 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

l’époque, Walter Duffett, et elles sont toujours en vigueur. Les Règles de Duffett s’appliquent notamment
à la diffusion des estimations du PIB régional par industrie.

On distingue la confidentialité primaire et la confidentialité secondaire. Concrètement, sans entrer dans


les détails, on peut résumer les règles de confidentialité primaire en disant qu’une cellule d’un tableau est
masquée si l’une des conditions suivantes est réalisée :
• moins de trois répondants sont en cause;
• trois répondants sont en cause et, soit l’un d’eux contribue pour a % ou plus de la valeur, soit deux
d’entre eux contribuent ensemble pour b % ou plus de la valeur48;
• quatre répondants ou plus sont en cause et, soit l’un d’eux contribue pour c % ou plus de la valeur,
soit deux d’entre eux contribuent ensemble pour d % ou plus de la valeur49.

La confidentialité secondaire vise à éviter que l’on puisse déduire la valeur d’une cellule confidentielle
par différence : si une seule cellule est confidentielle dans une ligne ou une colonne, alors une ou
plusieurs autres doivent être masquées.

Le schéma de confidentialité des estimations du PIB régional par industrie a été élaboré avec le souci de
présenter un portrait aussi complet que possible de l’économie des régions, tout en respectant
rigoureusement les règles de confidentialité.

48 Les critères quantitatifs représentés par les symboles a et b ne sont pas divulgués.
49 Avec c > a et d > b. Les critères quantitatifs représentés par les symboles c et d ne sont pas divulgués.
Résumé et conclusion

Ce cahier technique présente la méthode utilisée pour estimer le produit intérieur brut par industrie des
17 régions administratives et de six régions métropolitaines de recensement (RMR) du Québec, d’un
territoire hors RMR et des trois territoires de conférence régionale des élus (CRÉ) de la Montérégie. C’est
une méthode descendante, qui consiste à répartir la rémunération des salariés et le revenu net d'entreprises
indépendantes (RNEI) par industrie au Québec, pour 63 industries définies selon le Système de
classification des industries d’Amérique du Nord (SCIAN), entre les régions, au moyen d’indicateurs de
répartition construits à partir des statistiques fiscales de Revenu Québec. Les autres composantes de la
valeur ajoutée sont ensuite réparties pour chaque industrie proportionnellement à la somme de la
rémunération du travail et du RNEI. Le point de départ du processus est le total québécois à répartir entre
les régions : les données cibles sont le PIB par industrie et par composante de la valeur ajoutée, en dollars
courants, selon les Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec.

Huit des 63 industries font l’objet d’un traitement particulier quant aux indicateurs de répartition utilisés
pour répartir leur PIB entre les régions. Ce sont :
• Pêche, chasse et piégeage (SCIAN 114)
• Extraction de minerais métalliques (SCIAN 2122)
• Extraction de minerais non métalliques (SCIAN 2123)
• Construction (SCIAN 23)
• Fabrication de produits du pétrole et du charbon (SCIAN 324)
• Première transformation des métaux (SCIAN 331)
• Bailleurs de biens immobiliers (SCIAN 5A03)
• Logements occupés par leurs propriétaires (SCIAN 5A04)

Les données cibles du PIB du Québec par industrie et par composante ne proviennent pas d’une source
unique; elles sont au contraire construites à partir de trois sources principales :
• PIB aux prix de base, par composante, pour 18 activités économiques, estimé par l’Institut de la
statistique du Québec (Comptes économiques des revenus et dépenses du Québec);
• Tableaux des entrées-sorties du Québec (Statistique Canada);
• PIB aux prix de base par industrie et par province, en dollars courants (Statistique Canada).

De plus, le processus d’élaboration des données cibles des trois années précédant l’année de diffusion du
PIB régional est différent de celui qui s’applique aux années antérieures, à cause du délai entre une année
et le moment où les données sources relatives à cette année-là sont disponibles. Le PIB régional des trois
64 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

dernières années précédant l’année de diffusion est estimé à partir de données cibles estimées ou
projetées, selon une procédure qui, chaque année successive, est adaptée à la disponibilité des données.
Les données du PIB sont ensuite révisées annuellement, jusqu’à ce que toutes les données sources soient
disponibles sous leur forme définitive.

Les indicateurs de répartition sont construits à partir de données de Revenu Québec tirées des déclarations
de revenus des particuliers sur les salaires et le revenu net des entreprises individuelles (RNEI), par
territoire de résidence et par industrie. Avant d’être utilisées comme indicateurs de répartition, les
données fiscales de Revenu Québec doivent subir deux transformations :
• les données sur les salaires classées selon la Classification type des industries (CTI) sont transposées
au Système de classification industrielle d'Amérique du Nord (SCIAN);
• les données selon le lieu de résidence de Revenu Québec sont transformées en données selon le lieu
de travail au moyen des tableaux de navettage résidence-travail par industrie SCIAN (obtenus par
compilation spéciale de Statistique Canada à partir des données du recensement).

Les données fiscales de Revenu Québec, après les transformations décrites ci-haut, prennent la forme de
deux tableaux des revenus par industrie SCIAN et par territoire de production, l’un pour les salaires et
l’autre pour le RNEI (avec une ligne supplémentaire dans le tableau du RNEI, pour le RNEI dont
l’industrie d’origine est indéterminée). Les données fiscales sont cependant moins complètes à propos des
RNEI qu’à propos des salaires : elles comportent un taux d’indétermination élevé quant à l’industrie
d’origine. Pour tirer pleinement parti de toute l’information contenue dans les données fiscales de Revenu
Québec sur les RNEI, on combine les données incomplètes avec les données complètes, selon une
méthode fondée sur les principes de la théorie de l’information.

La distribution des salaires et celle du RNEI entre les territoires selon les données fiscales, par industrie,
servent de clé de répartition pour deux des trois composantes du PIB : la rémunération des salariés
(somme des salaires et du revenu supplémentaire du travail) et le RNEI. Après répartition de la
rémunération des salariés et du RNEI, les autres excédents d’exploitation (AEE) sont alloués entre les
territoires proportionnellement à la somme des deux composantes déjà réparties.

Quel est le degré de fiabilité des résultats de cette estimation? Il n’existe pas d’observations directes
auxquelles on pourrait confronter les estimations du PIB régional. La seule évaluation possible est donc
indirecte. On peut aborder cette question suivant deux approches : on peut en faire une évaluation a
posteriori, en comparant le PIB régional estimé à d’autres indicateurs, ou on peut en faire une évaluation
a priori, par un examen critique de différents aspects de la procédure d’estimation.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 65

Suivant l’approche a posteriori, les résultats de l’application expérimentale de la méthode ont été soumis
à deux comparaisons :
• comparaison du PIB régional des industries manufacturières avec les microdonnées de l’Enquête
annuelle sur les manufactures et l’exploitation forestière (EAMEF);
• comparaison du PIB des régions métropolitaines de recensement avec les estimations du Conference
Board.

Dans le premier cas, la comparaison a permis d’identifier et de corriger des anomalies. Pour le reste,
quand il y a divergence, on ne peut pas déterminer avec certitude quelle estimation est la plus proche de la
réalité. Mais, hormis les anomalies mentionnées précédemment, les différences s’expliquent en général
par des différences conceptuelles dans les données dans le cas du PIB régional des industries du secteur
manufacturier de l’EAMEF, et par des différences de méthodes dans le cas du PIB métropolitain estimé
par le Conference Board.

On a également fait une évaluation suivant l’approche a priori, selon trois critères : taille des régions,
qualité des données et méthode. Selon le premier critère, on peut s’attendre à ce que les estimations soient
plus fiables pour les grandes régions et, pour le PIB par industrie, pour les industries importantes dans les
régions où elles ont une présence plus forte. Quant à la qualité des données, les données cibles sont des
données officielles de l’ISQ et de Statistique Canada, et elles peuvent être considérées comme très fiables.
Les données fiscales de Revenu Québec, pour leur part, sont certainement extrêmement fiables quant aux
aspects qui ont une incidence sur la perception des impôts. Elles le sont peut-être moins quant aux autres
aspects, comme classification industrielle des activités génératrices de revenus. Les erreurs de
classification détectées dans les données fiscales ont été corrigées par l’application d’autres indicateurs de
répartition lorsqu’elles avaient des conséquences perceptibles sur l’estimation du PIB régional. Le
troisième critère est la méthode elle-même; à cet égard, il faut reconnaître d’emblée qu’elle n’appartient
pas, comme le préconise Eurostat, à la famille des méthodes ascendantes. Mais la méthode de l’ISQ se
conforme à plusieurs des recommandations d’Eurostat pour améliorer les méthodes descendantes, bien
qu’on puisse identifier certains points de vulnérabilité dans l’estimation du PIB régional. Malgré ces
limites, la méthode d’estimation du PIB régional se compare avantageusement à celles qui sont pratiquées
par d’autres agences officielles et on peut dire que les résultats qu’elle produit sont crédibles.
Références

Documents

EUROSTAT (1995). Regional accounts methods. Gross value-added and gross fixed capital formation by
activity, Luxembourg, Office for Official Publications of the European Community.

INSTITUT NATIONAL DES STATISTIQUES ET DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES (INSEE) (2000). « Méthode de
calcul des valeurs ajoutées régionales par branche et des PIB régionaux - (Système européen des
comptes), années de base 1994-1996 », J. P. Delisle, avec la participation de C. LELONG et A.
KIRTHICHANDRA, document interne, Paris, novembre, 89 p. (NB16.doc).

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68 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Sites Web

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http://unstats.un.org/unsd/

http://unstats.un.org/unsd/nationalaccount/default.htm

http://unstats.un.org/unsd/sna1993/introduction.asp

http://unstats.un.org/unsd/sna1993/glossary.asp

Notons que la documentation offerte sur le site de la Division des statistiques des Nations unies en rapport
avec le SNA 1993 n'est offerte qu'en langue anglaise.

OCDE

http://www.oecd.org/EN/home/0,,EN-home-0-nodirectorate-no-no-no-0,FF.html

http://www.oecd.org/EN/search/0,,EN-search-3-nodirectorate-no-no--3,00.html
Annexe 1 – Classification des industries
La nomenclature à 63 industries présentée dans le tableau suivant n’est pas exactement conforme au SCIAN. Il s’agit plutôt d’une nomenclature
industrielle basée sur le SCIAN utilisée par la Division des comptes d’industrie (DCI) de Statistique Canada, notamment dans les tableaux entrées-
sorties50. Dans cette nomenclature, il se trouve des codes comprenant une lettre « A »; il s’agit d’industries entrées-sorties qui regroupent des
industries SCIAN à quatre ou cinq chiffres, mais selon une structure hiérarchique différente de celle du SCIAN. Il y a même une industrie
(Logements occupés par leurs propriétaires – 5A04) qui n’existe pas dans le SCIAN. Pour alléger l’exposé, nous avons néanmoins désigné les
codes d’industrie de cette classification à 63 industries comme des codes SCIAN. Cela dit, la classification à 63 industries est utilisée dans les
calculs d’estimation seulement : les données sont diffusées selon la nomenclature à 40 industries, qui, quant à elle, est authentiquement conforme
au SCIAN (sauf pour l’ajout des logements occupés par leurs propriétaires dans le groupe formé des industries SCIAN 52, 53 et 55).
Tableau A1.1 – Correspondance entre les agrégations à 63, 40 et 18 industries SCIAN

63 industries 40 industries51 18 industries52


Code SCIAN Titre Code Titre
111-112 Cultures agricoles et élevage 111-112 Cultures agricoles et élevage
113 Foresterie et exploitation forestière 113 Foresterie et exploitation forestière Agriculture, foresterie, pêche et
114 Pêche, chasse et piégeage 114 Pêche, chasse et piégeage chasse
115 Activités de soutien à l’agriculture et à la foresterie 115 Soutien à l’agriculture et à la foresterie
2122 Extraction de minerais métalliques
21 Extraction minière et extraction de Extraction minière et extraction de
2123 Extraction de minerais non métalliques pétrole et de gaz pétrole et de gaz
2199 Extraction minière non spécifiée
22 Services publics 22 Services publics Services publics
23 Construction 23 Construction Construction

50. http://www.statcan.gc.ca/imdb-bmdi/document/1401_D3_T1_V1-fra.pdf
51 Cette nomenclature est celle que l’on trouve dans la publication mensuelle de l’ISQ Produit intérieur brut par industrie au Québec et dans les tableaux par
industrie de la publication annuelle de l’ISQ Produit intérieur brut régional par industrie au Québec.
52 Cette nomenclature est celle des tableaux 4.1 à 4.4 des Comptes économiques de revenus et dépenses du Québec.
70 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Tableau A1.1 – Correspondance entre les agrégations à 63, 40 et 18 industries, suite


63 industries 40 industries 18 industries
Code SCIAN Titre Code Titre
311 Fabrication d’aliments 311 Aliments
312 Fabrication de boissons et de produits du tabac 312 Boissons et produits du tabac
313-314 Usines de textiles et de produits textiles 313-314 Textiles et produits textiles
315 Fabrication de vêtements 315 Vêtements
316 Fabrication de produits en cuir et de produits analogues 316 Produits en cuir et analogues
321 Fabrication de produits en bois 321 Produits en bois
322 Fabrication du papier 322 Papier
323 Impression et activités connexes de soutien 323 Impression et connexes
324 Fabrication de produits du pétrole et du charbon 324 Produit du pétrole et du charbon
325 Fabrication de produits chimiques 325 Produits chimiques
Fabrication
326 Fabrication de produits en caoutchouc et en plastique 326 Produits en plastique et en caoutchouc
327 Fabrication de produits minéraux non métalliques 327 Produits minéraux non métalliques
331 Première transformation des métaux 331 Première transformation des métaux
332 Fabrication de produits métalliques 332 Produits métalliques
333 Fabrication de machines 333 Machines
334 Fabrication de produits informatiques et électroniques 334 Produits informatiques et électroniques
335 Fabrication de matériel, d’appareils et de composants électriques 335 Matériel, appareils et composantes élect..
336 Fabrication de matériel de transport 336 Matériel de transport
337 Fabrication de meubles et de produits connexes 337 Meubles et produits connexes
339 Activités diverses de fabrication 339 Activités diverses de fabrication
41 Commerce de gros 41 Commerce de gros Commerce de gros
4A Commerce de détail 44-45 Commerce de détail Commerce de détail
484 Transport par camion
485 Transport en commun et transport terrestre de voyageurs
486-493 Autres industries du transport et de l’entreposage
481 Transport aérien
482 Transport ferroviaire 48-49 Transport et entreposage Transport et entreposage
483 Transport par eau
487 Transport de tourisme et d’agrément
488 Activités de soutien au transport
491-492 Services postaux et messageries et services de messagers
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 71

Tableau A1.1 – Correspondance entre les agrégations à 63, 40 et 18 industries, suite et fin
63 industries 40 industries 18 industries
Code SCIAN Titre Code Titre Titre
511 Édition
512 Industries du film et de l’enregistrement sonore Industrie de l'information et industrie Industrie de l'information et
51
513 Radiotélévision et télécommunications culturelle industrie culturelle
514 Services d’information et traitement des données
5A01, 5A06 Intermédiation financière
5A02 Sociétés d’assurance
Finance et assurances, services Finance et assurances, services
5A03 Bailleurs de biens immobiliers 52-53,
immobiliers et de location, gestion de immobiliers et de location, gestion
5A04 Logements occupés par leurs propriétaires 55
sociétés et d’entreprises de sociétés et d’entreprises
Services de location et de location à bail et bailleurs de biens incorporels
5A05
non financiers, sauf les œuvres
Services professionnels, scientifiques et Services professionnels,
54 Services professionnels, scientifiques et techniques 54
techniques scientifiques et techniques
561 Services administratifs et services de soutien Services administratifs, de soutien, de Services administratifs, de soutien,
56 de gestion des déchets et
562 Services de gestion des déchets et d’assainissement gestion des déchets et d’assainissement
d’assainissement
61 Services d’enseignement 61 Services d'enseignement Services d'enseignement
62 Soins de santé et assistance sociale 62 Soins de santé et assistance sociale Soins de santé et assistance sociale
71 Arts, spectacles et loisirs 71 Arts, spectacles et loisirs Arts, spectacles et loisirs
721 Services d’hébergement Hébergement et services de
72 Hébergement et services de restauration
722 Services de restauration et débits de boissons restauration
811 Réparation et entretien
81A Services personnels et services de blanchissage et ménages privés Autres services, sauf les administrations Autres services, sauf les
81
Organismes religieux, fondations, groupes de citoyens et organisations publiques administrations publiques
813
professionnelles et similaires
911 Administrations publiques fédérales
912 Administrations publiques provinciales 91 Administrations publiques Administrations publiques
913 Administrations publiques locales
72 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

Tableau A1.2 – Classification type des industries (CTI) des données salariales de Revenu
Québec53
Code CTI Secteur industriel
010 Industries agricoles
020 Services agricoles
030 Pêche et piégeage
040 Exploitation forestière
050 Services forestiers
061 Mines de métaux
062 Mines de minerai non métallique
080 Carrières, sablières et gravières
092 Services relatifs à l'extraction minière
100 Aliments
110 Boissons
120 Tabac
150 Produits en caoutchouc
160 Produits en matières plastique
170 Cuir et produits connexes
180, 190 Textile de première transformation et produits textiles
240 Habillement
250 Bois
260 Meubles et articles d'ameublement
270 Papier et produits connexes
280 Imprimerie, édition et industries connexes
290 Première transformation des métaux
300 Fabrication de produits métalliques (sauf machinerie et matériel de transport)
310 Machinerie (sauf électrique)
320 Matériel de transport
330 Produits électriques et électroniques
350 Produits minéraux non métalliques
71, 91, 360 Produits raffinés du pétrole et du charbon
370 Industries chimiques
390 Autres industries manufacturières
40-44 Construction
451 Transport aérien

53 À ce niveau d’agrégation, la CTI est identique à la Classification des activités économiques du Québec (CAEQ).
On peut consulter la CAEQ et le tableau de correspondance sur le site Web de l’ISQ :
http://www.stat.gouv.qc.ca/clacon/caeq1984.htm
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 73

Tableau A1.2 – Classification type des industries (CTI) des données salariales de Revenu
Québec (suite et fin)
Code CTI Secteur industriel
452, 455, 459 Services relatifs aux transports
453 Transport ferroviaire
454 Transport par eau
456 Camionnage
457-458 Transport en commun et autres industries du transport
460-470 Autres industries du transport et entreposage
480 Télécommunications, messagerie et services postaux
491-493 Production d’électricité et distribution d’électricité, de gaz et d’eau
499 Autres industries des services publics
Div.I Commerce de gros
Div.J Commerce de détail
700, 720, 740, 760 Intermédiaires financiers de dépôts et d’investissement
730 Assurances
750 Services immobiliers (sauf lotisseurs)
771 Services de placement et services de location de personnel
772 Services d'informatique et services connexes
773 Services de comptabilité et tenue de livres
774 Services de publicité
775 Bureaux d'architectes, d'ingénieurs et autres services scientifiques et techniques
776 Études d'avocats et de notaires
777 Bureaux de conseillers en gestion
779 Autres services aux entreprises
810 Services de l'administration fédérale
820 Services des administrations provinciales et territoriales
830 Services des administrations locales
840 Organismes internationaux et autres organismes extraterritoriaux
850 Services d'enseignement
860 Services des soins de santé et services sociaux
910 Hébergement
920 Restauration
960 Services de divertissement et loisirs
970 Services personnels et domestiques
980 Associations
990 Autres industries de services
Annexe 2 : Utilisation des matrices de navettage

Les données fiscales reçues de Revenu Québec sur les salaires et le RNEI par industrie selon le lieu de
résidence doivent être converties selon le lieu de production pour être conformes au concept de produit
intérieur brut (par opposition à produit national brut), ce qui se fait au moyen des tableaux des
déplacements pendulaires résidence-travail selon l'industrie, pour différents types de travailleurs. Ces
tableaux ont été obtenus comme compilation spéciale de Statistique Canada, qui les a produits à partir des
données du questionnaire long des recensements de la population de 1996, 2001 et 2006 (échantillon de
20 % de la population).

Cette annexe explique en détail comment sont utilisées les matrices de navettage. La section A2.1
identifie les données utilisées pour appliquer la conversion aux deux types de revenus concernés, les
salaires et le RNEI. Les quatre sections suivantes présentent le processus d’élaboration des matrices de
conversion des données fiscales de Revenu Québec selon le territoire de résidence en données selon le
territoire de travail (voir la figure 3.2 du chapitre 3). Les quatre étapes du processus sont :
• préparation des matrices : prise en compte des données relatives aux personnes qui vivent au Québec
et travaillent à l’extérieur du Québec, à domicile ou sans lieu de travail fixe (A2.2);
• conversion préliminaire des données fiscales selon le lieu de résidence en données selon le lieu de
production, avant prise en compte des résidents hors Québec (A2.3);
• prise en compte des travailleurs domiciliés hors Québec et conversion du lieu de résidence au lieu de
production (A2.4);
• application des indicateurs de répartition (A2.5).

La section A2.6 explicite algébriquement les implications de l’hypothèse sous-jacente à la méthode de


prise en compte des travailleurs domiciliés hors Québec qui travaillent au Québec.

A2.1 Choix des données à utiliser pour différents types de revenus

Les revenus à convertir du lieu de résidence au lieu de production sont de deux catégories : salaires et
RNEI. En s’appuyant sur les définitions du dictionnaire du recensement, on peut établir une
correspondance entre les types de travailleurs et les catégories de revenu :
• les salaires sont le fait des travailleurs rémunérés;
• le RNEI est le fait des travailleurs autonomes sans entreprise constituée en société.

Les travailleurs rémunérés comprennent les employés et les travailleurs autonomes en entreprise
constituée en société. Le cas des employés est sans ambiguïté. Quant aux travailleurs autonomes en
76 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

entreprise constituée en société, de quelle nature est le revenu qu’ils reçoivent? C’est aussi un salaire, ou
un revenu similaire (commission, par exemple)54. Par ailleurs, seule une entreprise qui n’est pas
constituée en société peut verser un revenu correspondant à la définition de revenu net d’entreprise
indépendante (RNEI); il s’ensuit que seuls les travailleurs sans entreprise constituée en société peuvent
recevoir un revenu mixte, c’est-à-dire un RNEI.

Il y a donc 127 matrices de navettage compilées à partir des données des recensements de 2001 et 2006,
une par industrie SCIAN (63 industries) et par type de travailleurs (2), plus, pour les travailleurs sans
entreprise constituée en société, la matrice de l’ensemble des industries55. Cette dernière sera utilisée
pour convertir les données de RNEI dont l’industrie d’origine est indéterminée (voir A2.5). Les matrices
de navettage des industries particulières ne sont cependant pas utilisées, sauf la matrice qui, dans le cas
des industries semi-particulières, correspond à celui des deux types de revenus (salaires ou RNEI) qui est
traité selon la méthode ordinaire (voir le tableau 4.1).

Les matrices de navettage 2001 et 2006 que reçoit l’ISQ sont détaillées au niveau de trois chiffres du
SCIAN (sauf pour l’extraction minière, détaillée à quatre chiffres). Les matrices sont ensuite agrégées
selon la classification à 63 industries de l’annexe A1.1. Cette classification à 63 industries est une
agrégation de la classification utilisée par la Division des comptes d’industrie (DCI) de Statistique
Canada, suivant laquelle sont organisés les TES et, par conséquent, les données cibles56. La classification
de la DCI est définie en termes du SCIAN au niveau le plus détaillé (W), mais comporte des différences
dans les regroupements des niveaux moins détaillés (M, L et S). La plupart des différences sont sans
importance ici, puisqu’elles disparaissent lors de l’agrégation en 63 industries. Mais deux cas demandent
une attention particulière : les sociétés d’assurance et activités connexes (SCIAN 524) et les services
immobiliers (SCIAN 531). L’industrie 524 du SCIAN se subdivise en (i) sociétés d’assurance (SCIAN
5241), qui appartient au 5A02 de la classification de la DCI, et (ii) agences et courtiers d’assurance et
autres activités liées à l’assurance (SCIAN 5242), qui appartient au 5A06. L’industrie 531 du SCIAN se
subdivise en (i) bailleurs de biens immobiliers (SCIAN 5311), qui appartient au 5A03 de la classification
de la DCI, et (ii) bureaux d’agents et de courtiers immobiliers (SCIAN 5312) et activités liées à

54. Ou, plus rarement, un dividende qui lui est versé à titre d'actionnaire. Qu’une petite fraction des travailleurs
rémunérés reçoivent leur rémunération sous forme de dividendes ne peut pas modifier de façon notable la
configuration des déplacements résidence-travail, même s'ils avaient des comportements de navettage différents.
55. Il est à noter que les matrices de navettage construites à partir des données du recensement de 1996 sont au
nombre de 133, puisque ces données sont classées selon la CTI (66 industries); l’exposé qui suit se transpose
sans difficulté, mutatis mutandis, à l’utilisation des matrices de navettage de 1996.
56 La concordance entre la classification de la DCI et le SCIAN se trouve à :
http://www.statcan.gc.ca/imdb-bmdi/document/1401_D3_T1_V1-fra.pdf
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 77

l’immobilier (SCIAN 5313), qui appartiennent toutes deux au 5A06 de la DCI. Les correspondances au
niveau de détail W de la classification de la DCI sont données au tableau A3.1.

Tableau A2.1 – Correspondance entre le SCIAN et la classification utilisée par la DCI,


au niveau de détail W, pour certaines industries
SCIAN DCI
5241 Sociétés d’assurance 5A02 Sociétés d’assurance
Agences et courtiers d’assurance et autres Agences et courtiers d’assurance et autres
5242 5A0620
activités liées à l’assurance activités liées à l’assurance
5311 Bailleurs de biens immobiliers 5A03 Bailleurs de biens immobiliers
Bureaux d’agents et de courtiers
5312 Bureaux d’agents et de courtiers
immobiliers 5A0640
immobiliers et activités liées à l’immobilier
5313 Activités liées à l’immobilier

La solution retenue est de créer deux matrices de navettage pour chaque type de travailleur de chacune
des industries SCIAN 524 et 531. On crée ainsi 8 matrices à partir des 4 matrices du recensement : à
partir de chacune des matrices originales, on en crée deux, en répartissant tous les flux résidence-travail
en proportion de la donnée pertinente de la paire d’industries DCI correspondantes selon les TES de 2001
ou 2006, au niveau le plus détaillé (W). Les données pertinentes sont : les salaires pour les matrices de
navettage des employés rémunérés et le RNEI pour celles des travailleurs sans entreprise constituée en
société. Par exemple, à partir de la matrice de navettage des employés rémunérés de l’industrie SCIAN
524, on a créé les matrices de navettage des employés rémunérés des industries 5A02 et 5A0620 de la
DCI en répartissant les chiffres de la matrice SCIAN 524 en proportion de la rémunération du travail des
industries DCI 5A02 et 5A0620.

A2.2 Préparation des matrices de navettage

On décrit dans cette section la préparation des 127 matrices de navettage. Les tableaux obtenus par
compilation spéciale de Statistique Canada contiennent des données sur les personnes qui vivent au
Québec et travaillent à l’extérieur du Québec, à domicile, ou sans lieu de travail fixe. Ces catégories
doivent être assimilées à d’autres pour que l’on puisse utiliser les matrices de navettage pour faire la
conversion des données par territoire de résidence en données par territoire de production.

La notation utilisée dans cet exposé se conforme à la convention en vigueur à l’Institut de la statistique du
Québec quant à l’orientation des matrices de navettage57 : les lignes correspondent au territoire de
résidence (origine) et les colonnes, au territoire de production (destination). Donc, en plus des lignes et
colonnes correspondant aux 30 territoires du découpage géographique de la figure 1.2 (chapitre 1), les
tableaux de Statistique Canada contiennent trois colonnes (régions de production) supplémentaires :

57. Notamment dans le contexte de travaux similaires réalisés au ministère des Affaires municipales, des Régions et
de l’Occupation du territoire (MAMROT) pour les MRC du Québec (Recensement de 2001).
78 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

31 Extérieur du Québec
32 À domicile
33 Sans adresse de travail fixe

et une ligne (région de résidence) supplémentaire :


31 Au Canada à l'extérieur du Québec58

Les matrices de navettage qui servent de points de départ aux calculs ont donc 31 lignes et 33 colonnes.

Soit donc m(k , t )i0, j le nombre de travailleurs de type t qui ont leur résidence dans la région i et qui

travaillent dans l'industrie k de la région j selon les tableaux de Statistique Canada, où


t = « Travailleurs autonomes sans entreprise constituée en société »
ou « Travailleurs rémunérés »;
i = 1,...,31, j = 1,...,33; et k = 1,..., n

avec
n = 63 pour travailleurs rémunérés;
n = 64 pour les travailleurs autonomes sans entreprise constituée en société.

Dans ce dernier cas, k = 64 correspond à l’ensemble des industries.

Dans ce qui suit, ces données initiales m (k , t )i0, j sont d’abord transformées en m (k , t )∗i , j pour tenir

compte des travailleurs à domicile, puis en m(k,t) , pour tenir compte des travailleurs sans lieu de travail
i,j

fixe :
1. D’abord puisque, par définition, les travailleurs à domicile (j = 32) travaillent dans leur région de
résidence, il faut les additionner à ceux de la même région qui travaillent dans leur région :

m (k , t )∗i ,i = m (k , t )i0,i + m ( k , t )i0,32 , pour i = 1,...,31 [A2-1a]

m(k , t )∗i , j = m(k , t )i0, j , pour i ≠ j et i, j = 1,...,31 [A2-1b]

On note que ce calcul s’applique également aux résidents hors Québec (i = 31). Dans la matrice des

m (k , t )∗i , j , on supprime ensuite la colonne 32.

58. Les travailleurs résidant à l'extérieur du Canada ne répondent pas au recensement. Les chiffres relatifs aux
personnes domiciliées à l'extérieur du Québec qui travaillent au Québec sont donc sous-estimés, parce qu’on ne
compte pas ceux qui sont domiciliés à l'extérieur du Canada (travailleurs transfrontaliers). Idéalement, il faudrait
trouver une façon d’estimer cette production dans le PIB des régions concernées, mais il n'y a guère de solution
évidente. Cependant, étant donné qu'il n'y a pas au Québec de grande ville frontalière, on peut croire que ce
phénomène n'est pas trop important.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 79

2. Pour ce qui est des travailleurs sans adresse de travail fixe (j = 33), on les répartit entre les régions de
production selon les mêmes proportions que les travailleurs ayant une adresse de travail fixe59. Alors,
pour i = 1,...,31 et j = 1,...,31, on a

m(k , t )∗i , j
m(k , t )i , j = m(k , t )∗i , j + 31 m(k , t )∗i ,33
∑ m(k , t )∗i,h
h =1
⎡ ⎤ [A2-2]
∗ ⎢ ∗ ⎥
∗ m(k , t )i ,33 ∗ ∗ ⎢ m(k , t )i ,33 ⎥
= m(k , t )i , j + 31 m(k , t )i , j = mi , j ,k 1 + 31
⎢ ⎥

∑ m(k , t )i,h ⎢ ∑ m(k , t )∗i ,h ⎥
h =1 ⎢⎣ h =1 ⎥⎦

On note que ce calcul s’applique également aux résidents hors Québec (i = 31). Pour que ce calcul soit
cohérent quand on l’applique aux résidents hors Québec, il importe de ne pas supprimer dans les

données originales l’élément m(k , t )031,31 , le nombre de résidents hors Québec qui travaillent hors

Québec.
Dans la matrice des m(k , t )i , j , on supprime ensuite la colonne 33.

3. Enfin, une fois franchie l’étape 2, on supprime la colonne 31 parce que les données fiscales de Revenu
Québec ne couvrent pas systématiquement les travailleurs dont le revenu est gagné à l’extérieur du
Québec :
− En ce qui concerne les salaires, Revenu Québec ne reçoit pas de relevés R-1 des employeurs
installés à l'extérieur du Québec, puisque ceux-ci ne tombent pas sous sa juridiction. Il s'ensuit que
les données fiscales de Revenu Québec sur les salaires n'incluent pas les salaires reçus de
l'industrie k par des travailleurs de type t résidents de la région i qui travaillent à l'extérieur du
Québec.
− En ce qui concerne le RNEI, ils sont déclarés dans la province où ils sont gagnés, et non pas dans
la province de résidence du déclarant. La colonne 31 est donc nulle.

Si, au contraire, les données produites par Revenu Québec couvraient systématiquement les revenus
gagnés à l’extérieur du Québec par des résidents du Québec, il faudrait conserver cette colonne 31
pour tenir compte de ce phénomène lors de la conversion des données selon la région de résidence en
données selon la région de production.

59. Cette façon de procéder ne serait pas appropriée pour l’industrie de la construction. Toutefois, puisque la
construction est traitée comme une industrie particulière, dont la valeur ajoutée est répartie au moyen d’un
indicateur de répartition spécifique, il n’y a pas lieu de s’en préoccuper ici.
80 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

De ces ajustements résulte une matrice dont l’élément représentatif m(k , t )i , j est le nombre de

travailleurs de type t domiciliés dans la région i qui travaillent dans l'industrie k de la région j selon les
matrices de navettage ajustées, avec i = 1,...,31 et j = 1,...,30.

A2.3 Conversion préliminaire, avant prise en compte des résidents hors Québec

Pour un territoire de résidence i donné, on peut calculer la fraction des travailleurs de type t de l’industrie
k dont le lieu de production se trouve dans le territoire j. Cette fraction est donnée par
m(k , t )i , j
30
, i = 1,...,30 et j = 1,...,30 [A2-3]
∑ m(k , t )i,h
h =1

On peut interpréter cette fraction comme la probabilité conditionnelle qu'un travailleur de type t de
l'industrie k travaille dans la région j, étant donné qu'il habite la région i et qu'il travaille au Québec :
m(k , t )i , j
p (k , t ) j i = 30 , i = 1,...,30 et j = 1,...,30 [A2-4]
∑ m(k , t )i,h
h =1

Les probabilités conditionnelles ne sont pas calculées pour les résidents hors Québec (i = 31). Toutefois,
on utilisera le nombre de résidents hors Québec qui travaillent au Québec dans chaque région et dans
chaque industrie, pour tenir compte de leur contribution au PIB québécois (voir plus loin, A2.4).

On a évidemment, en principe,
30
30 ∑ m ( k , t )i , h
∑ p (k , t ) j i = h30=1 =1 [A2-5]
j =1
∑ m ( k , t )i , h
h =1

En pratique, cependant, il peut arriver qu’une ligne d’un tableau de données obtenu de Statistique Canada
soit entièrement nulle. Cela voudrait dire qu’il n’y aurait aucun travailleur d’un type donné t* d’une
industrie donnée k* qui soit domicilié dans une région donnée i* :

( )0
m k ∗ , t ∗ i ∗ , j = 0 , pour j = 1,…,30. [A2-6]

La situation décrite par [A2-6] peut correspondre à la réalité, mais elle peut aussi se produire à cause du
jeu de l’arrondi aléatoire appliqué par Statistique Canada pour préserver la confidentialité des données du
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 81

recensement60. Or, lorsque le tableau de données originales comporte une ligne entièrement nulle, il en
est de même de la matrice de navettage ajustée, de sorte que le numérateur et le dénominateur de la
fraction [A2-3] sont nuls et la probabilité définie en [A2-4] est indéterminée. Si on attribue la valeur zéro
à toutes les probabilités de la ligne i*, la somme des probabilités sera nulle et [A2-5] ne sera pas
respectée. Cela aurait évidemment des conséquences sur la conversion des données fiscales selon le lieu
de résidence en données selon le lieu de production (voir ci-après) : si, dans les données fiscales de
Revenu Québec, il y a des revenus des travailleurs de type t* de l’industrie k* résidents de la région i*,
ces revenus ne seraient attribués à aucune région de production. Pour éviter cela, on recalcule les
probabilités conditionnelles en attribuant à la région i* la différence entre 100 % et la somme des
probabilités des autres régions :
p (k , t )i i = 1 − ∑ p (k , t ) j i [A2-7a]
j ≠i

p (k , t ) j i = p (k , t ) j i , pour j ≠ i [A2-7b]

Ces probabilités conditionnelles sont ensuite utilisées pour convertir les données fiscales de Revenu
Québec selon le lieu de résidence en données selon le lieu de production. Après que les données sur les
salaires aient été converties de la CTI au SCIAN, les données fiscales de Revenu Québec prennent la
forme de deux tableaux, l’un pour les salaires et l’autre pour le RNEI, de 63 et 64 lignes respectivement,
par 30 colonnes. Les 63 lignes correspondent aux 63 industries SCIAN, auxquelles s’ajoute, pour le
RNEI, une ligne « indéterminée »; et les colonnes correspondent aux 30 territoires de résidence.

Les revenus par industrie selon la région de résidence sont transformés en revenus par industrie selon la
région de production en deux étapes : une première conversion, préliminaire, est faite au moyen des
probabilités conditionnelles [A2.7], sans tenir compte des travailleurs domiciliés hors Québec qui
travaillent au Québec; on applique ensuite un facteur de correction pour en tenir compte.

Soit
r (k , t )i le revenu de type t gagné dans l'industrie k par des résidents de la région i, selon les données

fiscales de Revenu Québec;

60 « Chaque produit diffusé est soumis à des procédures élaborées en vue d'éviter la possibilité qu'on puisse
associer les données statistiques à une personne identifiable; les données font l'objet d'un arrondissement
aléatoire ou sont supprimées pour certaines régions géographiques. La méthode de l'arrondissement aléatoire
consiste à arrondir de façon aléatoire (vers le haut ou vers le bas) tous les chiffres d'une totalisation, y compris
les totaux, à un multiple de 5 et, dans certains cas, à un multiple de 10. » :
http://www.statcan.gc.ca/concepts/index-fra.htm
Aller à : Définitions, sources de données et méthodes / Recensement de la population / Sources de données et
méthodologie / Contrôle de la divulgation
82 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

v (k , t )0j le revenu de type t généré par l'industrie k dans la région de production j selon la conversion

préliminaire.

La conversion préliminaire se fait au moyen de la formule suivante :


30
v (k , t )0j = ∑ p(k , t ) j i r(k , t )i , i, j = 1,...,30 [A2-8]
i =1

Cette transformation, représentée à la figure 3.2 du chapitre 3, repose sur l’hypothèse implicite qu’en
moyenne, les travailleurs d’une industrie donnée qui sont domiciliés dans une région ont le même revenu,
quelle que soit la région où ils travaillent.

A2.4 Prise en compte des travailleurs domiciliés hors Québec

Ce ne sont pas les v (k , t )0j qui sont utilisés comme indicateurs de répartition pour répartir la valeur

ajoutée par industrie entre les régions de production; il faut auparavant ajuster cette répartition pour tenir
compte des personnes domiciliées hors Québec qui travaillent au Québec, puisque leur production fait
partie du PIB québécois. Cet ajustement consiste à corriger le montant du revenu attribué à chaque région
de production, par industrie et par type, en le multipliant par le facteur de correction suivant :

Nombre total de travailleurs de type t dans l’industrie k de la région j,


f (k , t ) j = y compris les travailleurs domiciliés hors Québec
Nombre de travailleurs de type t dans l’industrie k de la région j qui résident au Québec
(c’est-à-dire à l’exclusion de ceux qui sont domiciliés hors Québec)
ou, algébriquement,
31
∑ m(k , t )i, j
=1
f (k , t ) j = i30 ≥1 [A2-9]
∑ m(k , t )i, j
i =1

Cette correction repose sur l’hypothèse implicite que les résidents hors Québec qui travaillent dans une
région et une industrie données ont un revenu moyen égal à celui des résidents du Québec qui travaillent
dans la même région et la même industrie. Il sied peut-être d’expliciter les implications de cette
hypothèse, en combinaison avec celle, faite précédemment, que les travailleurs d’une industrie donnée qui
sont domiciliés dans une région ont le même revenu moyen, quelle que soit la région où ils travaillent :
ensemble, ces hypothèses présupposent que le revenu moyen des résidents hors Québec qui travaillent au
Québec dans une industrie donnée est une moyenne doublement pondérée des revenus moyens des
résidents du Québec dans cette industrie. Cette implication est démontrée à la fin de la présente annexe,
en A2.7.
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 83

Algébriquement, l’ajustement est donné par


⎛ 30 ⎞
v (k , t ) j = v (k , t )0j f (k , t ) j = ⎜⎜ ∑ p (k , t ) j i r (k , t )i ⎟⎟ f (k , t ) j [A2-10]
⎝ i =1 ⎠

L'utilisation de ce facteur de correction appelle les mêmes réserves que celles qui ont été exprimées à
propos de la sous-estimation des m (voir la note infrapaginale 57).
31,j

A2.5 Application des indicateurs de répartition

À partir de ces v (k , t ) j , on calcule les parts régionales :

v (k , t ) j
q(k , t ) j = 30 , j = 1,...30 [A2-11]
∑ v(k , t )h
h =1

La part q(k , t ) j est la fraction des revenus de type t de l’industrie k attribués à la région de production j.

Ces parts servent à distribuer entre les régions j les salaires et le RNEI selon les données cibles de chaque
industrie k, tel que décrit aux sections 4.1 et 4.2. On obtient alors les estimations
v (k , t ) j
v~ (k , t ) j = q(k , t ) j V (k , t ) = 30 V (k , t ) [A2-12]
∑ v(k , t )h
h =1


v~ (k , t ) j est le montant estimé de la composante t de la valeur ajoutée de l’industrie k dans la région de

production j;
V(k,t) désigne le montant de la composante t de la valeur ajoutée de l’industrie k au Québec selon les
données cibles.

Salaires

En ce qui concerne la rémunération du travail (salaires et rémunération supplémentaire du travail), cela


complète le processus d’estimation de cette composante du PIB régional. Dans le cas des RNEI, par
contre, il y a une étape supplémentaire.

RNEI : combinaison des données complètes et incomplètes

Il est signalé en 3.1.2 qu’il y a des lacunes dans les données fiscales de Revenu Québec sur le RNEI. Si on
n’utilisait que les données complètes, on se priverait de toute l’information contenue dans les 28,0 % des
84 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

déclarations pour lesquelles on connaît la région de résidence, mais pas le code d’industrie (voir 3.1.2).
Pour tirer pleinement parti de toute l’information contenue dans les données fiscales de Revenu Québec
sur le RNEI, on combine donc les données complètes avec les données qui sont incomplètes quant à
l’industrie, selon une méthode fondée sur les principes de la théorie de l’information, présentée à la
section 4.2 et, de façon plus détaillée, à l’annexe 3. Ainsi, la répartition régionale du RNEI de l’ensemble
des industries s’appuie sur des données dont la couverture est plus large, et qui sont pour cela jugées plus
fiables quant aux parts régionales.

C’est pourquoi le processus décrit ci-dessus a été appliqué aussi à la matrice de navettage de l’ensemble
des travailleurs autonomes sans entreprise constituée en société, toutes industries confondues, et
l’indicateur de répartition qui en est résulté a été appliqué aux données fiscales sur les RNEI dont
l’industrie d’origine est indéterminée.

A2.6 Implications de l’hypothèse sur les résidents hors Québec

L’application du facteur de correction défini en [A2.9] repose sur l’hypothèse implicite que les résidents
hors Québec qui travaillent dans une région et une industrie données ont un revenu moyen égal à celui des
résidents du Québec qui travaillent dans la même région et la même industrie. Il sied peut-être d’expliciter
les implications de cette hypothèse, en combinaison avec celle, faite précédemment, que les travailleurs
d’une industrie donnée qui sont domiciliés dans une région ont le même revenu moyen, quelle que soit la
région où ils travaillent : ensemble, ces hypothèses présupposent que le revenu moyen des résidents hors
Québec qui travaillent au Québec dans une industrie donnée est une moyenne doublement pondérée des
revenus moyens des résidents du Québec dans cette industrie. C’est ce qui est démontré dans ce qui suit.

Soit
Y(k,t) = le revenu agrégé de type t des m(k,t) résidents de la région i qui travaillent dans l’industrie
i,j i,j

k de la région j
Y (k , t )i , j
y(k,t) = , le revenu moyen de type t des m résidents de la région i qui travaillent dans
i,j m(k , t )i , j i,j,k

l’industrie k de la région j
30
∑ Y (k , t )i, j
j =1
y (k , t )i ,• = 30 , le revenu moyen de type t de l’ensemble des résidents de la région i qui
∑ m(k , t )i, j
j =1

travaillent dans l’industrie k, quel que soit leur lieu de travail.


Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 85

Notons que
30 30
∑ Y (k , t )i, j ∑ m(k , t )i, j y (k , t )i, j 30 m(k , t )i , j
j =1 j =1
y (k , t )i ,• = 30 = 30
= ∑ 30
y (k , t )i , j [A2-13]
∑ m(k , t )i, j ∑ m(k , t )i, j j =1
∑ m(k , t )i, g
j =1 j =1 g =1

est une moyenne pondérée des y(k,t) , où les poids sont proportionnels au nombre de ceux qui travaillent
i,j

dans la région j, parmi les résidents de la région i qui gagnent un revenu de type t dans l’industrie k.

On a fait l’hypothèse que les travailleurs d’une industrie donnée qui sont domiciliés dans une région ont
le même revenu moyen, peu importe la région où ils travaillent. Cette hypothèse affirme que :
y (k , t )i , j = y (k , t )i ,• , pour toute région de production j.

Par ailleurs, on a fait l’hypothèse que les résidents hors Québec qui travaillent dans une région et une
industrie données ont un revenu moyen égal à celui des résidents du Québec qui travaillent dans la même
région et la même industrie :
30
∑ Y (k , t )i, j
y (k , t )31, j = i =1 [A2-14]
30
∑ m(k , t )i, j
i =1

où l’on note que les sommations se font sur l’indice i, et non pas j.
30 ⎛ ⎞
∑ m(k , t )i, j y (k , t )i, j ⎜
30 ⎜ m(k , t )


y (k , t )31, j = i =1 30 = ∑ ⎜ 30 y (k , t )i , j ⎟
i, j
[A2-15]
i =1 ⎜ ⎟
∑ m(k , t )i, j ⎜ ∑ m(k , t )h, k ⎟
i =1 ⎝ h =1 ⎠

Étant donné la première hypothèse, cela équivaut à supposer que


⎛ ⎞
⎜ ⎟
30⎜ m(k , t )i , j ⎟
y (k , t )31, j = ∑ ⎜ 30 y (k , t )i ,• ⎟ [A2-16]
i =1 ⎜ ⎟
⎜ ∑ m(k , t )h, j ⎟
⎝ h =1 ⎠

c’est-à-dire
86 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

⎡⎛ ⎞ ⎛⎜ ⎞ ⎤
⎢⎜ ⎟ ⎟ ⎥
30 ⎜ m(k , t ) 30 ⎜ m(k , t ) ⎟
⎢ i, j ⎟ ⎥
y (k , t )31, j = ∑ ⎢⎜ 30 ⎟ ∑ ⎜ 30 ⎟ y (k , t )i , f
i, f
⎥ [A2-17]
⎜ ⎟
i =1 ⎢⎜
⎜ ∑ m(k , t )h, j ⎟⎟ f =1⎜ ∑ m(k , t )h, g ⎟

⎢⎝ h =1 ⎠ ⎝ g =1 ⎥
⎣ ⎠ ⎦

⎛ ⎞⎛⎜ ⎞
⎜ ⎟ ⎟
30 30 ⎜ m(k , t )
i , j ⎟⎜ m(k , t )i , f ⎟
y (k , t )31, j = ∑ ∑ ⎜ 30 ⎟⎜ 30 ⎟ y (k , t )i , f [A2-18]
i =1 f =1 ⎜ ⎟⎜ ⎟
⎜ ∑ m(k , t )h, j ⎟⎜ ∑ m(k , t )i , g ⎟
⎝ h =1 ⎠⎝ g =1 ⎠

Le revenu moyen y(k,t) est une moyenne doublement pondérée des y(k,t) où
31,j i,f

⎛ ⎞
⎜ ⎟
⎜ m ( k , t )i , f ⎟
⎜ 30 ⎟
⎜ ⎟
⎜ ∑ m ( k , t )i , g ⎟
⎝ g =1 ⎠

est la fraction des résidents de la région i qui gagnent un revenu de type t dans l’industrie k et dont le lieu
de travail se trouve dans la région f, et où
⎛ ⎞
⎜ ⎟
⎜ m ( k , t )i , j ⎟
⎜ 30 ⎟
⎜ m (k , t ) ⎟
⎜∑ h, j ⎟
⎝ h =1 ⎠

est la fraction des travailleurs de type t de l’industrie k dans la région j qui sont domiciliés dans la région
i.
Annexe 3 : Combinaison des données fiscales complètes et incomplètes du
RNEI

Il y a des lacunes dans les données fiscales de Revenu Québec sur le RNEI (voir 3.1.2 et l’annexe 2). Si
on n’utilisait que les données complètes, on se priverait de toute l’information contenue dans les 28,0 %
des déclarations pour lesquelles on connaît la région de résidence, mais pas le code d’industrie (voir
3.1.2). Pour tirer pleinement parti de toute l’information contenue dans les données fiscales de Revenu
Québec sur le RNEI, on combine les données incomplètes avec les données complètes, selon une méthode
fondée sur les principes de la théorie de l’information. Ainsi, la répartition régionale du RNEI de
l’ensemble des industries s’appuie sur des données dont la couverture est plus large, et qui sont pour cela
jugées plus fiables quant aux parts régionales.

Pour combiner les données, il faut les harmoniser. Cela oblige en quelque sorte à déformer l’information
véhiculée par les données que l’on combine. Selon la théorie de l’information, cette déformation elle-
même est de l’information supplémentaire, qui n’est pas contenue dans les données et qu’on leur impose.
Dire que l’on cherche à minimiser « l’apport d’information », c’est dire en fait que l’on cherche à
harmoniser les données en déformant le moins possible l’information qu’elles véhiculent. Le principe de
la minimisation de l’apport d’information se concrétise dans la méthode de minimisation de l’entropie
croisée (MinXEnt).

La première section de cette annexe présente les fondements épistémologiques de la méthode MinXEnt.
La deuxième section montre comment on peut généraliser cette méthode pour qu’elle s’accommode de
données négatives. La troisième détaille le processus d’estimation du RNEI par industrie, en particulier
l’emploi de la méthode MinXEnt généralisée pour combiner les données complètes et incomplètes du
RNEI selon les données fiscales de Revenu Québec. La dernière section présente une comparaison
sommaire de la méthode MinXEnt avec le critère des moindres carrés.

A3.1 Fondements épistémologiques de la méthode MinXEnt

A3.1.1 Le « second principe » de Kapur et Kesavan (1992)

Le contexte général d’application de la méthode MinXEnt est une situation où l'on dispose d'une
information considérée comme incertaine ou approximative, que l’on veut harmoniser avec une
information considérée comme certaine. On verra ci-après qu’en théorie de l’information, l’information
est représentée par une distribution de probabilité. L’information considérée comme incertaine est
désignée comme « la distribution a priori ». Le « second principe d’optimisation de l’entropie », qui
88 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

constitue le fondement de la méthode MinXEnt, est ainsi formulé par Kapur et Kesavan (1992) : « De
toutes les distributions de probabilité qui satisfont les contraintes imposées, on doit choisir celle qui est la
plus proche de la distribution donnée a priori. »61 Dans cet énoncé, les « contraintes imposées »
désignent l’information considérée comme certaine, à laquelle on veut harmoniser l’information a priori.
Selon les auteurs, ce principe est une généralisation d'une idée fondamentale d'abord énoncée par Jaynes
(1957) comme la traduction opérationnelle de la neutralité scientifique. Le même principe est mis de
l'avant par Golan, Judge et Miller (1996). Ces auteurs, et bien d'autres, soutiennent que les méthodes
d'estimation fondées sur la minimisation de l'entropie croisée sont de véritables méthodes d'estimation,
d'inspiration bayesienne, et non seulement des techniques pour attribuer des valeurs à des variables.

Plus concrètement, la méthode MinXEnt consiste à ajuster une matrice a priori – en l'occurrence la
matrice du RNEI par industrie et par région – de façon à respecter une information « dure », qui est
imposée comme contrainte et qui, dans le cas présent, est donnée par les totaux marginaux (la ligne des
totaux de colonnes et la colonne des totaux de lignes). Puisque les contraintes marginales fixent l'ordre de
grandeur des flux, l'ajustement porte sur la structure de la matrice. Cette structure est représentée par la
répartition du total entre les éléments, répartition qui est formellement assimilable à une distribution de
probabilité. Le second principe de Kapur et Kesavan (1992) consiste donc à choisir, parmi les matrices
qui respectent les contraintes marginales, celle qui est la plus proche de la matrice a priori.

L'application de ce principe exige donc la définition d'une mesure de différence. Celle-ci est donnée par la
mesure de l'entropie croisée de Kullback-Leibler (1951) :
⎛ pij ⎞

D( p : q) = ∑ ∑ pij log⎜⎜ q ⎟
[A3-1]
i j ⎝ ij ⎠

où les qij sont les probabilités a priori et les pij, les probabilités a posteriori (ajustées).

A3.1.2 Interprétation de l’entropie croisée de Kullback-Leibler (1951)

Dans son approche axiomatique à la théorie de l'information, Theil (1967 : 5) a montré que, pour un
événement aléatoire A de probabilité q, la quantité d'information contenue dans un message disant que
1 1
l'événement A s'est produit est mesurée par ln . Il s'ensuit que ln mesure réciproquement la quantité
q q
d'information qui manque, c'est-à-dire le degré d'incertitude qui subsiste lorsqu'on ne connaît que la
probabilité d'occurrence q de A. Soit maintenant un ensemble exhaustif d'événements mutuellement

61.Traduction libre de Kapur et Kesavan (1992 : 12).


Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 89

exclusifs {Ai}62 auxquels sont associées des probabilités pi. Il découle de ce qui précède que l'incertitude
que laisse subsister cette distribution de probabilités est mesurée par l'espérance mathématique de la
quantité d’information contenue dans un message qui dirait lequel des événements mutuellement exclusifs
s'est produit :
⎛ 1 ⎞
E= ∑ pi log⎜⎜ p ⎟ = − ∑ p log p
⎟ i i
[A3-2]
i ⎝ i⎠ i

C'est la mesure d'entropie de Shanon. La même définition axiomatique de l'information entraîne par
ailleurs ceci : si l’on veut mesurer la quantité d'information d'un message disant que la probabilité de A,
que l’on croyait initialement égale à q, est plutôt égale à p, alors il faut la mesurer par la différence entre
l'information manquante ex ante et l'information manquante ex post, une fois reçu le message que la
probabilité est de p, non pas de q. Cela donne
1 1 p
ln − ln = ln [A3-3]
q p q

Et quelle quantité d'information est contenue dans un message qui dit qu'une distribution de probabilités
est donnée désormais par la distribution a posteriori {pi}, plutôt que par la distribution a priori {qi}?
Cette quantité d'information est forcément mesurée par l'espérance mathématique
⎛p ⎞
D( p : q) = ∑ pi ln⎜⎜ qi ⎟⎟ [A3-4]
i ⎝ i⎠

C'est la mesure de Kullback-Leibler pour une distribution unidimensionnelle. La méthode MinXEnt


utilise la version bidimensionnelle de la même mesure.

Là se trouvent donc les assises épistémologiques de la méthode : la minimisation de l'entropie croisée est
très rigoureusement la minimisation de l'information « injectée » dans la distribution a priori par le
processus d'ajustement aux contraintes. Cette méthode est donc bel et bien la traduction opérationnelle du
principe de la neutralité scientifique. Et, dans l'esprit de l'approche bayesienne, les probabilités a priori
sont révisées, mais en s'en éloignant le moins possible, à la lumière de l'information nouvelle (les
contraintes).

A3.2 Généralisation de la méthode par Junius et Oosterhaven (2003)

La procédure pour combiner les données complètes et incomplètes de RNEI est détaillée plus loin, à la
section A3.3. Elle peut se résumer en 2 étapes :

62.On aura minimalement A et ~A.


90 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

1. On calcule d’abord le RNEI par région de l’ensemble des industries selon les données fiscales en
faisant la somme du RNEI des 63 industries et de celui d’industrie indéterminée.
2. On harmonise ensuite ces données avec les données cibles et entre elles.

La méthode MinXEnt intervient à la deuxième étape. Mais son application à l’ajustement du RNEI pose
un problème de taille : pour certaines industries dans certaines régions, la valeur du RNEI selon les
données fiscales de Revenu Québec est négative, ce qui est économiquement possible, bien sûr. Mais la
présence de valeurs négatives n’est pas compatible avec la méthode MinXEnt, où la matrice à ajuster est
interprétée comme une distribution et transformée en tableau de probabilités, lesquelles ne peuvent pas
être négatives.

Junius et Oosterhaven (2003) proposent une approche qui permet d’appliquer le principe de minimisation
de l’entropie croisée en dépit de la présence de données négatives. Essentiellement, cette approche
consiste à considérer la matrice initiale comme le produit terme à terme de deux matrices :
• la matrice des signes (positifs ou négatifs) des données;
• la matrice des valeurs absolues des valeurs.

La première matrice est traitée comme de l’information intangible (certaine), tandis que la seconde joue le
rôle de matrice a priori et se prête directement à l’application du principe de minimisation de l’entropie
croisée (ou minimisation de l’apport d’information ou, dans le langage de Junius et Oosterhaven, de
minimisation de la perte d’information : apport ou perte, il s’agit d’une distance entre l’information a
priori et l’information a posteriori).

Suivant la voie tracée par Junius et Oosterhaven, le problème d’optimisation tel que reformulé par
Lemelin (2008) et transposé à l’ajustement du RNEI par industrie et par région, est le suivant :
⎧ ⎛∑∑ a ⎞⎫
⎪⎪ ⎡ ⎛ x ⎞ ⎛ x ⎞ ⎤ ⎜ ij ⎟⎪
MIN ⎨
1
⎢∑ ∑ a ⎜ ij ⎟ ln⎜ ij ⎟⎥ + ln ⎜ i j ⎟⎪
⎟⎬
ij ⎜ a ⎟ ⎜ a ⎟
[A3-5]

⎪ ∑ ∑ xij ⎢⎣ i j ⎝ ij ⎠ ⎝ ij ⎠⎥⎦ ⎜ ∑ ∑ ij ⎟ ⎪⎪
x
⎪⎩ i j ⎝ i j ⎠⎭
sous contrainte que : ∑ xij = ui et ∑ xij = vi [A3-6]
j i

où :
aij est le montant a priori du RNEI de l’industrie i dans la région j selon les données fiscales de
Revenu Québec;
xij est le montant ajusté (a posteriori) du RNEI de l’industrie i dans la région j;
ui est le RNEI total de l’industrie i dans l’ensemble des régions selon les données cibles;
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 91

vj est le montant total du RNEI de l’ensemble des industries dans la région j selon les données de
Revenu Québec, une fois celles-ci ajustées au grand total du RNEI selon les données cibles pour
que ∑ v j = ∑ ui
j i

De façon plus compacte, on peut écrire le problème d’optimisation sous la forme :


⎡1 c ⎤
MIN ⎢ ∑ ∑ aij zij ln zij + ln ⎛⎜ ⎞⎟⎥ [A3-7]
⎢⎣ d i j ⎝ d ⎠⎥⎦

sous contrainte que : ∑ aij zij = ui et ∑ aij zij = vi [A3-8]


j i


xij
zij = ; [A3-9]
aij

c= ∑ ∑ aij [A3-10]
i j

d = ∑ ∑ xij [A3-11]
i j

A3.3 Processus d’estimation du RNEI par industrie et par région

Cette section détaille le processus d’estimation du RNEI par industrie et par région décrit en 4.2.

A3.3.1 Calcul du RNEI de l’ensemble des industries par territoire de production

En vue de combiner les données incomplètes de Revenu Québec avec les données complètes, on a ajouté
une 64e ligne au tableau du RNEI par industrie et par territoire de résidence, pour le RNEI dont on ignore
l’industrie d’origine (voir la sous-section 3.1.2). Ce tableau du RNEI par industrie et par territoire de
résidence a ensuite été transformé en un tableau par industrie et par territoire de production, selon la
procédure décrite en 3.2.2 et à l’annexe 2. Cela fait, on calcule le RNEI de l’ensemble des industries par
territoire de production, selon les données fiscales de Revenu Québec, en faisant la somme des 64 lignes
du tableau, c’est-à-dire la somme du RNEI des 63 industries SCIAN, plus le RNEI dont l’industrie est
indéterminée. On obtient ainsi une répartition régionale du RNEI de l’ensemble des industries qui
s’appuie sur des données dont la couverture est plus large, puisqu’elle est calculée à partir des données
fiscales de Revenu Québec provenant de tous les contribuables déclarant des revenus de particuliers en
affaires (RPA) dont on connaît le lieu de résidence. C’est pourquoi cette répartition régionale du RNEI est
jugée plus fiable.
92 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

A3.3.2 Hiérarchie de l’information

Une fois calculé le RNEI de l’ensemble des industries par région de production, on hiérarchise
l’information selon son degré de fiabilité :
1. sont considérées comme les plus fiables les données cibles de RNEI par industrie au Québec
(chapitre 2);
2. au deuxième rang, vient la répartition entre territoires de production du RNEI de l’ensemble des
industries calculée à partir des données fiscales de Revenu Québec (A3.3.1);
3. au dernier rang, se trouvent les répartitions du RNEI par industrie entre territoires de production,
calculées à partir des données fiscales de Revenu Québec provenant des contribuables déclarant des
RPA dont on connaît à la fois le lieu de résidence et le code d'industrie.

Cette hiérarchie est représentée dans le schéma de la figure 4.2.

A3.3.3 Traitement parallèle selon le découpage géographique

Dans la procédure décrite ci-après, on exclut des calculs le RNEI des cinq industries identifiées au
tableau 4.1 qui sont traitées comme particulières quant au RNEI. Mais pour le faire selon le découpage en
30 territoires, il faudrait que le RNEI de ces cinq industries ait été préalablement réparti entre les
territoires. Or, comme il a été mentionné à la section 1.4, les données qui servent à calculer les indicateurs
de répartition spécifiques des industries particulières ne sont pas fournies selon le découpage en 30
territoires; elles sont fournies selon deux découpages : en 17 régions administratives, dont l’une est
subdivisée en trois territoires de CRÉ et en six régions métropolitaines de recensement, et un territoire
hors RMR. Il s’ensuit que la procédure d’ajustement est exécutée en parallèle, d’une part pour les régions
administratives et les territoires de CRÉ de la Montérégie, et d’autre part pour les six régions
métropolitaines de recensement et le territoire hors RMR. La procédure s’applique donc deux fois : une
fois aux 17 régions administratives, avec une région subdivisée en trois territoires de CRÉ, et une autre
fois aux six régions métropolitaines de recensement et au territoire hors RMR. Dans ce qui suit, le terme
« région » réfère à un espace géographique constitutif de l’un ou l’autre de ces découpages.

A3.3.4 Ajustement

La procédure consiste à ajuster les données de chaque rang hiérarchique à celles du rang supérieur. Elle
comporte quatre étapes :
1. D’abord, les données de deuxième rang sont ajustées aux données de premier rang : le RNEI total par
région, tel que calculé à partir des données fiscales de Revenu Québec pour l’ensemble des industries
(A3.3.1), est ajusté proportionnellement pour que la somme sur les régions soit égale au total (la
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 93

somme sur les industries) du RNEI selon les données cibles; cela équivaut à utiliser le RNEI par
région de l’ensemble des industries calculé à partir des données fiscales comme indicateur de
répartition pour répartir entre les régions le total du RNEI selon les données cibles.
2. Ensuite, on retranche du RNEI de l’ensemble des industries, par région et pour l’ensemble des régions,
le RNEI des cinq industries identifiées au tableau 4.1 qui sont traitées comme particulières quant au
RNEI63, puisque l’ajustement ne porte que sur les autres industries. Cela fait, on supprime, dans la
matrice du RNEI par industrie et par région, les lignes qui correspondent à ces mêmes cinq industries.
La suite du calcul porte donc sur 58 industries (63 moins 5).
3. Les données de troisième rang sont ajustées elles aussi aux données de premier rang : le RNEI par
région de chaque industrie selon les données fiscales de Revenu Québec est ajusté
proportionnellement pour que la somme sur les régions soit égale au RNEI de cette industrie selon les
données cibles; cela équivaut à utiliser le RNEI par région et par industrie des données fiscales comme
indicateur de répartition pour répartir entre les régions le RNEI par industrie des données cibles. La
matrice des RNEI par industrie et par région qui en résulte est donc construite selon la même
procédure que celle des salaires par industrie et par région décrite en 4.1. À cette étape cependant, la
somme du RNEI régional par industrie (58 industries) n’est pas égale au RNEI régional total, calculé à
l’étape précédente, des 58 industries qui ne sont pas traitées comme particulières quant au RNEI.
4. Finalement, les données de troisième rang, après l’ajustement préalable de l’étape 3, sont ajustées aux
données de premier et de deuxième rang (les totaux par industrie et par région) : le RNEI par industrie
et par région est ajusté au moyen de la méthode MinXEnt, de manière à ce que les sommes de lignes et
de colonnes soient égales aux totaux marginaux correspondants, tout en s’éloignant le moins possible
de la structure initiale des données (la structure « initiale » désigne ici la structure telle qu’elle a été
établie à l’étape 3).

C’est à cette quatrième étape qu’intervient la solution proposée par Junius et Oosterhaven (2003) (section
A3.2), grâce à laquelle on peut appliquer une procédure d’ajustement MinXEnt au tableau du RNEI par
industrie et par région malgré le fait qu’il comporte des données négatives. Dans l’application de la
méthode MinXEnt, les données de premier et de deuxième rang (les totaux par industrie et par région)
jouent le rôle de contraintes qui encadrent l’ajustement des données de troisième rang.

Soulignons que la troisième étape, celle qui consiste à aligner les données de troisième rang sur les
données cibles, n'est pas indispensable à l'application de la méthode MinXEnt. Cependant, cette façon de

63. Il s’agit bien du RNEI des industries particulières qui résultent de l’application des indicateurs de répartition
propres à ces industries (voir 4.2). Il ne s’agit pas des RNEI de ces industries provenant des données fiscales de
Revenu Québec.
94 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

faire rapproche le traitement du RNEI de celui des salaires : avant de procéder à l'ajustement MinXEnt,
on utilise les données fiscales de RNEI comme indicateur de répartition régional du RNEI par industrie
selon les données cibles comme on le fait pour les données sur les salaires. Dans le cas des salaires,
cependant, cette étape complète le processus d’estimation de la rémunération du travail par industrie et
par région. Dans le cas du RNEI, on obtient ainsi une matrice a priori plus vraisemblable avant de
procéder à l’ajustement final. Il faut cependant savoir que la procédure d’alignement préalable n'est pas
sans influencer les résultats. Car elle a pour effet de modifier les valeurs a priori de RNEI par industrie et
par région (les aij dans l’énoncé mathématique de la section A3.3). Or, c’est par rapport à cette structure-
là (la structure a priori représentée par les aij), que la procédure MinXEnt minimise la distance. Le
résultat est donc différent de ce qu’il serait si la distance était minimisée par rapport à la structure par
industrie et par région des données fiscales originales de Revenu Québec.

A3.4 Comparaison avec le critère des moindres carrés

Avant qu’il soit décidé d’emprunter la voie proposée par Junius et Oosterhaven, des essais ont été faits
pour ajuster les données selon l’approche de la minimisation de la somme des carrés des écarts entre les
valeurs a priori et les valeurs a posteriori. Ce critère a été appliqué initialement parce qu’il s’accommode
d’emblée de données négatives.

L’application du critère des moindres carrés consiste à résoudre le problème suivant :

(
MIN ∑ ∑ xij − aij 2 ) [A3-12]
i j

sous contrainte que : ∑ xij = ui et ∑ xij = vi [A3-6]


j i

où :
aij est le montant a priori du RNEI de l’industrie i dans la région j selon les données fiscales de
Revenu Québec;
xij est le montant ajusté (a posteriori) du RNEI de l’industrie i dans la région j;
ui est le RNEI total de l’industrie i dans l’ensemble des régions selon les données cibles;
vj est le montant total du RNEI de l’ensemble des industries dans la région j selon les données de
Revenu Québec, une fois celles-ci ajustées au grand total du RNEI selon les données cibles pour
que ∑ v j = ∑ ui
j i
Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique 95

On peut comparer la méthode des moindres carrés avec l’approche MinXEnt de Junius et Oosterhaven
(A3.2), représentée par la fonction objectif [A3-5]. Les contraintes [A3-6] sont les mêmes. Il s’ensuit que
les deux approches respectent les données cibles, et la répartition interrégionale globale à laquelle elles
conduisent est conforme à la répartition de l’ensemble des RNEI de Revenu Québec (y compris ceux dont
l’industrie est indéterminée).

Mais, avec la méthode MinXEnt généralisée, les déviations par rapport aux données initiales semblent
lissées comme on s’y attendrait avec le critère de la minimisation de l’entropie croisée. La comparaison
avec les résultats de l’application du critère des moindres carrés fait ressortir le caractère radical de ce
dernier : en ce qui concerne plusieurs industries dans plusieurs régions, le montant estimé des RNEI est
nul. Il est vrai, cependant, que les ajustements seraient moins violents si l’on appliquait le critère des
moindres carrés aux déviations relatives. Cela n’a pas été fait, puisque le critère de minimisation de
l’apport de l’information repose sur des fondements épistémologiques qui font défaut aux moindres
carrés.

Références de l’annexe 3

GOLAN, Amos, George JUDGE et Douglas MILLER (1996). Maximum Entropy Econometrics. Robust
Estimation with Limited Data, John Wiley & Sons.

JAYNES, E. T. (1957). « Information Theory and Statistical Mechanics », Physical Review, vol. 106 : 620-
630; vol. 108 : 171-190.

JUNIUS, Theo, et Jan OOSTERHAVEN (2003). « The Solution of Updating or Regionalizing A Matrix with
Both Positive and Negative Entries », Economic Systems Research, vol. 15, no 1, mars, 87-96.

KAPUR, J. N., et H. K. KESAVAN (1992). Entropy Optimization Principles with Applications, San Diego
(CA), Academic Press, 405 p.

LEMELIN, André (2008), « Further comments on the GRAS method : The return of Kullback-Leibler », à
paraître.

THEIL, H. (1967). Economics and Information Theory, Chicago, Rand McNally & Company, « Studies in
mathematical and managerial economics », no 7, 488 p.
Annexe 4 : Répartition géographique des valeurs des débarquements des
pêches maritimes

Pêches et Océans Canada répartit les statistiques de débarquement du secteur de la pêche maritime au
Québec entre quatre régions : Côte-Nord, Îles-de-la-Madeleine, Gaspésie et Saint-Laurent. Cependant, ces
régions ne coïncident pas avec les régions administratives du Québec. Aux fins du calcul du PIB des
régions administratives du Québec, il a fallu établir des modalités de répartition des données régionales de
Pêches et Océans Canada entre les régions administratives québécoises.
1. La région Côte-Nord : Cette région ne pose pas de problème, puisqu’elle correspond intégralement à la
région administrative de la Côte-Nord (09).
2. La région Îles-de-la-Madeleine : Cette région ne pose pas de problème non plus, puisqu’elle doit être
intégrée en totalité à la région administrative de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (11).
3. La région Gaspésie : Cette région se situe en majeure partie dans la région administrative de la
Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (11), mais également en partie dans la région administrative du Bas-
Saint-Laurent (02). Il faut donc établir un critère de répartition des valeurs de débarquement de cette
région de Pêches et Océans Canada entre les deux régions administratives québécoises en question.
La région Gaspésie se subdivise, selon Pêches et Océans Canada, en quatre sous-secteurs pour
lesquels les valeurs de débarquement sont connues : Gaspé-Nord, Gaspé-Est, Gaspé-Sud et Baie-
des-Chaleurs. Les trois derniers sous-secteurs sont entièrement dans la région administrative de la
Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (11), et seul le sous-secteur Gaspé-Nord doit être réparti entre la
région administrative du Bas-Saint-Laurent (02) et la région administrative de la Gaspésie–Îles-
de-la-Madeleine (11). Le secteur Gaspé-Nord reçoit une part connue des valeurs débarquées de la
région Gaspésie, soit environ 20 %. Il s’étend du Bic, dans la région administrative du Bas-Saint-
Laurent (02) à Sainte-Madeleine-de-la-Rivière-Madeleine dans la région administrative de la
Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (11). Selon la carte des sous-régions, ce secteur semble se répartir
moitié-moitié entre les deux régions administratives.
98 Lemelin et Mainguy – Estimation du PIB régional – Cahier technique et méthodologique

4. La région Saint-Laurent : Cette région affiche des statistiques de débarquement marginales (1 % des
valeurs) par rapport aux autres régions définies par Pêches et Océans Canada. Elle s’étend quand
même sur deux régions administratives québécoises, ce qui nous oblige à établir un critère de
répartition.
Selon la description de Pêches et Océans Canada, elle se subdivise en une partie sur la Rive-Nord,
qui va d’un point bien à l’est de la ville de Québec jusqu’à Tadoussac, qui se trouve donc
intégralement dans la région administrative de la Capitale-Nationale (03), et une partie sur la
Rive-Sud, qui va de Montmagny-L’Islet jusqu’à Cap-à-l’Orignal (Le Bic), qui se trouve donc
intégralement dans la région administrative du Bas-Saint-Laurent (02). Les deux parties
présentent des étendues assez semblables.

Tenant compte de l’information qui précède, il a été décidé d’établir les correspondances suivantes entre
les régions administratives québécoises et les régions de débarquement de Pêches et Océans Canada
(POC) :
1) région administrative de la Côte-Nord (10) = Côte-Nord (POC)
2) région administrative de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine =
Îles-de-la-Madeleine (POC) + Gaspésie (POC) – 50 % * GNt * Gaspésie (POC)
où GNt = la part en pourcentage du secteur Gaspé-Nord par rapport aux valeurs totales de
débarquement en Gaspésie (POC) pour l’année t
3) région administrative du Bas-Saint-Laurent = 50 % * GNt * Gaspésie (POC) + 50 % Saint-Laurent
(POC)
4) région administrative de la Capitale-Nationale = 50 % Saint-Laurent (POC)

Source : Les pêches maritimes du Québec. Revue statistique annuelle, de 1996-1997 à 2002-2003, Pêches
et Océans Canada.
ÉCONOMIE

« L’Institut a pour mission de fournir des informations statistiques qui


Estimation du produit
soient fiables et objectives sur la situation du Québec quant à tous les
aspects de la société québécoise pour lesquels de telles informations
sont pertinentes. L’Institut constitue le lieu privilégié de production
intérieur brut régional des
et de diffusion de l’information statistique pour les ministères et
organismes du gouvernement, sauf à l’égard d’une telle information que
ceux-ci produisent à des fins administratives. Il est le responsable de la
17 régions administratives
réalisation de toutes les enquêtes statistiques d’intérêt général. »

Loi sur l’Institut de la statistique du Québec (L.R.Q., c. I-13.011)


du Québec
adoptée par l’Assemblée nationale du Québec le 19 juin 1998.

Cahier technique et méthodologique


La régionalisation de l'immigration

Recherche sociographiques, XXXVII, 3, 1996: 439-469

LA POLITIQUE QUÉBÉCOISE DE RÉGIONALISATION DE


L’IMMIGRATION: ENJEUX ET PARADOXES*

MYRIAM SIMARD

Depuis la fin de la décennie 1980, la régionalisation de l’immigration


est devenue une des préoccupations de l’État, celui-ci souhaitant une
distribution spatiale plus équilibrée de l’immigration. À partir de l’historique

de cette politique et de son évolution (1987-1996), l’auteure amorce une


première analyse critique, relevant tant les objectifs sous-jacents que les

notions et stratégies centrales. Elle dégage l’interrelation d’enjeux


multiples, aussi bien territorial que démographique, politique et

économique. Située dans le contexte de mondialisation de l’économie, de


restructuration néo-libérale et de crise globale de l’État, l’analyse s’attarde
sur les notions de décentralisation et de partenariat, centrales dans la

politique, afin de saisir le sens de ce nouveau mode de régulation étatique


de l’immigration. Certaines ambiguïtés et limites sont soulignées,
notamment quant au rôle de l’État dans le développement global des
2

régions, au pouvoir des acteurs locaux et au statut des noyaux régionaux


de communautés culturelles.

Préoccupé par une distribution interrégionale peu équilibrée de l’immigration sur le


territoire québécois, l’État a mis récemment en place une politique de régionalisation de
l’immigration destinée à faciliter et à encourager l’établissement d’immigrants en dehors
de la région de Montréal. La tendance à la concentration spatiale de la majorité des
immigrants dans la seule région métropolitaine de Montréal, soit 88 % de ceux-ci en
19911, risquait en effet d’entraîner de lourdes conséquences à long terme dont,

notamment, de priver les régions des bénéfices de l’immigration internationale et


d’accentuer le dualisme de la société québécoise entre Montréal, multiethnique et
pluriculturel, et le reste du Québec, fortement homogène.

Les premières réflexions systématiques sur le sujet s’amorcèrent réellement il y a


moins de dix ans, soit en 1987. C’est dire qu’il s’agit d’une politique encore récente. Au
total, six documents sont produits au cours des années 1987-1996 afin d’élaborer et de
préciser le contenu de la politique. Bien qu’il soit encore trop tôt et que le recul s’avère
insuffisant pour pouvoir vraiment effectuer une analyse approfondie de la politique de
régionalisation de l’immigration, l’objectif de cet article est de poser un premier regard
critique sur celle-ci afin de suggérer quelques pistes de réflexions pour l’avenir. Nous
nous inspirons, à cet effet, de nos propres expériences de recherche sur la
régionalisation de l’immigration, à savoir une première étude sur le processus d’insertion
d’entrepreneurs agricoles immigrants européens dans la société rurale québécoise (M.

Simard, 1994) et une seconde sur la main-d’œuvre agricole saisonnière, immigrante ou


native, transportée quotidiennement dans les régions avoisinantes, à partir de Montréal
(Simard, 1996).
3

Après un court rappel historique, nous ferons dans une première partie un rapide
tour d’horizon des six documents clés, cherchant à en dégager aussi bien les principaux
objectifs que les notions et stratégies fondamentales, à travers l’évolution de la politique.
Nous nous attarderons, dans la deuxième partie, à la complexité et à la pluralité des
enjeux, tant territorial que démographique, politique et économique. Enfin, nous
examinerons dans la troisième partie les ambiguïtés et paradoxes de la régionalisation
de l’immigration, à la lumière de la crise globale de l’État et des nouveaux modes de
régulation étatique. Le sens et la portée de la décentralisation / régionalisation et du
partenariat, inscrits dans la redéfinition actuelle des rapports entre l’État et la société
civile, seront particulièrement scrutés.

1. Les réflexions de l'État (1987-1996)

L’intérêt pour la «démétropolisation» 2 de l’immigration s’est manifesté au Québec

bien avant le premier Avis officiel sur cette question en 1987, puisque déjà dans les
années 1950 l’exemple de l’Ontario était cité, alors que cette province recrutait des
agriculteurs d’Angleterre pour reprendre des terres laissées en friche. À cette époque,
l’idée d’établir des immigrants en région paraît davantage liée au développement du
secteur agricole même si on évoquait également le potentiel des milieux ruraux pour la
mise en place d’industries nouvelles par les «étrangers» (Manègre, 1993, p. 85-86; J.F.
Simard, 1994, p. 40).

L’idée refait surface dans les années 1970, étroitement articulée à l’immigration
agricole de même qu’à la francisation des immigrants (Girard et Manègre, 1989, p. 4;
Manègre, 1993, p. 97). La volonté politique à l’égard de la régionalisation de l’immigration
s’affirme de plus en plus. Quelques services destinés aux immigrants en région sont
4

implantés tels les Centres d’orientation et de formation des immigrants (COFI) et le


Service aux immigrants entrepreneurs, qui comprend un volet de promotion agricole3.

En 1979-1980, le Québec connaît sa première véritable expérience de


régionalisation de l’immigration avec, outre l’établissement d’entrepreneurs agricoles
immigrants, l’arrivée massive des réfugiés indochinois4. Des mesures de parrainage

collectif et de jumelage sont instaurées, en continuité avec les programmes déjà


existants au fédéral. À la suite du bilan relativement négatif de cette expérience, l’idée
de régionalisation de l’immigration est à nouveau oubliée pendant quelques années. Elle
refait surface en 1987, lors des audiences de la Commission de la culture sur les niveaux
d’immigration, alors que plusieurs organismes réclament une répartition plus équilibrée de
l’immigration sur le territoire du Québec.

Le ministère des Communautés culturelles et de l'immigration (MCCI) demande


un avis au Conseil des communautés culturelles et de l’immigration (CCCI), en 1987, sur
l’opportunité de s’engager dans une politique de régionalisation, ainsi que sur les objectifs
et mesures à prévoir. Cet avis, déposé en 1988, recommanda au MCCI de se donner
une politique permanente de régionalisation de l’immigration. Il convient de s’attarder sur
cet avis puisqu’il s’avère capital, imprégnant l’évolution subséquente de la politique par
les balises qui y sont énoncées. On y propose un double objectif, lié au développement
régional et à l’intégration à la majorité francophone:
Le but de cette politique devra être de faire partager par d’autres régions
les bénéfices économiques et démographiques de l’immigration, qui

profitent exclusivement à Montréal depuis fort longtemps. Elle visera aussi


à favoriser l’intégration à la majorité francophone (Avis, 1988, p. 27).
5

Une articulation étroite avec la politique du développement régional est


recommandée, articulation qui apparaîtra ultérieurement à la fois comme le nerf central
et le talon d’Achille de la politique de régionalisation de l’immigration. En outre, l'avis
suggère que la politique soit d’abord «modeste» et expérimentale, se concentrant sur
trois métropoles régionales (Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières). La déqualification
des régions moins centrales, où la disponibilité d’emplois et de services paraît moins
favorable, se remarque déjà dans cet avis. Le caractère strictement incitatif et nullement
coercitif d’une politique de régionalisation de l’immigration est clairement exprimé.

Trois types de mesures sont proposées pour assurer le succès de la politique: 1)


planification des interventions de l’État et concertation avec les divers organismes
intéressés (ministères provinciaux et fédéraux, acteurs socio-économiques locaux et
régionaux, associations ethniques...); 2) information sur le potentiel des régions et
sensibilisation des immigrants, de la population d’accueil et des conseillers à
l’immigration; 3) soutien et suivi par une panoplie de services tels l’accueil en région,
l’appui dans la recherche d’emploi, les cours de langue, les activités multiethniques... Le
partenariat avec des organismes non gouvernementaux (ONG) figure ici comme mesure
privilégiée pour faciliter l’entrée des nouveaux arrivants dans la société locale. À noter
l’insistance sur la concertation et le partenariat dans ce premier document, de même que
la proposition de favoriser le développement de noyaux de base de communautés
culturelles en région pour y attirer et retenir les immigrants.

L’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, déposé par le

MCCI en 1990, fit de la régionalisation de l’immigration un de ses objectifs stratégiques5.

Il constitue, à notre connaissance, le premier engagement officiel de l’État portant sur


une répartition spatiale plus équilibrée de l’immigration. Le texte signale la complexité de
la question, en raison de la liberté de circuler et des disparités dans la capacité d’accueil
6

des régions. Une fois de plus, est clairement affirmée la nécessité d’«inscrire dans le
cadre d’une politique de développement régional» les actions de régionalisation
(Énoncé, 1990, p. 64). La «volonté régionale» et la «concertation» avec les
principaux décideurs socio-économiques locaux y sont centrales, l’État manifestant
clairement sa préférence pour les projets répondant aux besoins du milieu (Énoncé,
1990, p. 65). La priorité est accordée à la catégorie des immigrants indépendants
(travailleurs et gens d’affaires). L’intention de maximiser les retombées de l’immigration
économique dans les régions désireuses d’accueillir des immigrants est ici évidente.

Certaines mesures proposées en 1991 dans le Plan d’action gouvernemental en


matière d’immigration et d’intégration, à la suite de la consultation publique sur l’Énoncé,

témoignent de la volonté étatique d’intervenir quant à la régionalisation de l’immigration.


Elles concernent des aspects variés, en continuité avec les mesures déjà proposées
dans l’avis du CCCI: 1) concertation avec les municipalités et les MRC ainsi que mise
en œuvre de projets-pilotes d’établissement d’immigrants en région en collaboration avec
les partenaires locaux...; 2) promotion des régions, information sur les besoins
régionaux de main-d’œuvre, sensibilisation des milieux à l’apport de l’immigration au
développement régional...; 3) développement des services d’accueil et d’insertion socio-
économique des directions régionales du MCCI (Québec, Sherbrooke, Hull), support à
l’établissement d’entrepreneurs immigrants agricoles, soutien accru aux organismes des
communautés culturelles en région pour leur permettre d’agir comme forces d’attraction
et d’intégration des immigrants... (Plan d’action, 1991, p. 10-12, 42-45).

Des Orientations pour une répartition régionale plus équilibrée de l’immigration de


même que des Mesures favorisant la régionalisation de l’immigration viennent apporter,

en 1992, plus de précisions sur les visées de l’État. Ces documents constituent la pierre
d’assise de la politique et la concrétisation du projet initial de démétropolisation de
7

l’immigration. La régionalisation de l’immigration y est clairement définie comme


«l’objectif d’une politique gouvernementale ayant pour but une répartition spatiale plus
équilibrée de la population immigrante du Québec», sans caractère coercitif
(Orientations, 1992a, p. 9). Trois orientations générales inspirent l’action de l’État:
d’abord la recherche «d’opportunités concrètes» offertes par les régions sur le plan des
emplois disponibles ou des occasions d’affaires; ensuite, le développement des
conditions favorisant «l’établissement durable» d’immigrants en région (famille, noyaux
communautaires ethniques, appui des populations locales, services d’accueil et
d’intégration de l’État...); enfin, le partenariat avec les régions en cohérence avec la
«philosophie d’accompagnement» sous-jacente à la récente politique de développement
régional6, et impliquant la volonté et l’engagement des décideurs locaux de même que la

collaboration des communautés culturelles déjà établies en région (Orientations, 1992a,


p. 19-25).

Dans la mise en œuvre de la régionalisation de l’immigration, le potentiel supérieur


des régions centrales est reconnu 7. L’immigration en régions périphériques demeurera

«modeste», compte tenu des capacités d’attraction limitées, même si elle sera possible
lorsque «justifiée et bien intégrée aux réalités locales» (Orientations, 1992a, p. 21).
Cela contribue à consacrer la spécialisation prioritaire des interventions de l’État vers les
régions centrales et à créer une dualisation / hiérarchisation entre ces dernières et les
régions périphériques, comme nous le verrons plus loin.

L’approche que choisit l’État pour encadrer ses actions sur la régionalisation de
l’immigration se veut graduelle, souple et réaliste. Les contraintes structurelles du
développement régional, la recherche et la promotion de secteurs d’activités dynamiques
ainsi que la nécessité de sensibiliser l’ensemble des partenaires obligent à n’envisager
des résultats significatifs qu’«à long terme» (Orientation, 1992a, p. 21 et 25).
8

La prépondérance des facteurs économiques, notamment sous le volet emploi et


projets d’affaires, se distingue clairement dans cette politique, d’autant plus que la
priorité accordée aux indépendants dans l’Énoncé de 1990 se trouve ici réaffirmée avec
vigueur. En outre, le rôle de l’État se précise, l’État- providence laissant place à l’État-
accompagnateur centré sur l’engagement et l’imagination des acteurs régionaux:
Il [le Ministère] intervient pour appuyer, pour faciliter, pour inciter, en

prenant appui sur le dynamisme, les possibilités et l’engagement des


régions (Orientations, 1992a, p. 25 - l’italique est de nous).

Après avoir effectué une tournée en région, à l’automne 1992, pour présenter la
nouvelle politique de régionalisation et entendre les commentaires des principaux
partenaires socio-économiques locaux, la ministre des Communautés culturelles et de
l’Immigration crée l’année suivante une Direction de la régionalisation. Cette dernière est

chargée notamment de concevoir et de mettre en œuvre un Plan d’action pour la


régionalisation de l’immigration.

Finalement, le dernier document approuvé en décembre 1993, Le Plan d’action


pour la régionalisation de l’immigration, situe au coeur de ses interventions le volet
attraction des immigrants en région jusqu’ici peu abordé comparativement au volet
rétention / intégration sur lequel l’État s’était d’abord concentré. Visant un accroissement

significatif du nombre d’immigrants en région, les mesures du Plan énumèrent non


seulement des actions à mener à l’étranger dans le processus de sélection ou auprès de
clientèles cibles, mais également des initiatives à Montréal et en région susceptibles de
produire un déplacement d’immigrants en région8. L’ensemble des acteurs intéressés ou

pouvant jouer un rôle en matière de régionalisation de l’immigration sont associés à cette


démarche d’attraction, de même que les directions régionales du Ministère9, en
9

collaboration avec les partenaires régionaux (Plan d’action, 1993b). Le partenariat,


perceptible dès le premier avis du CCCI, s’implante définitivement avec ce Plan d’action.

À sa suite, plusieurs activités furent développées pour seconder la régionalisation.


Outre la décentralisation des services ainsi que l’information sur les perspectives
d’emploi ou d’affaires et sur la qualité de vie offerte en région, il faut mentionner des
mesures d’incitation et de recrutement auprès de gens d'affaires immigrants désireux de
s’établir en région, notamment en agriculture, des projets-pilotes dans certaines régions,
et des démarches de sensibilisation auprès des principaux partenaires (municipalités,
organismes des communautés culturelles et de la société d’accueil, Services
d’Immigration du Québec [SIQ], conseillers à l’étranger...)10.

Plus récemment, au printemps 1996, l’État organise une vaste réflexion collective
sur les mesures à prendre pour assurer une meilleure répartition de la diversité
ethnoculturelle dans l’ensemble des régions du Québec. Les Conseils régionaux de
développement (CRD) sont consultés, afin d’élaborer et de conclure des ententes
spécifiques destinées à concrétiser l’établissement d’immigrants en région. Cherchant à

arrimer davantage sa politique avec celle du développement régional, l’État s’efforce


d’impliquer activement les acteurs locaux dans l’accueil et l’intégration des immigrants.

Que conclure de ce rapide survol des principaux documents reliés à la politique de

régionalisation de l’immigration et couvrant près de dix ans? S'observent à la fois la


constance de quatre paramètres fondamentaux et le déplacement de deux axes majeurs

d’actions.

D’une part, à travers tous les textes examinés, l’État réaffirme et consolide les

assises essentielles de sa politique, à savoir la répartition interrégionale plus équilibrée


10

des apports variés de l’immigration, l’intégration à la majorité francophone, le partenariat


avec l’ensemble des acteurs socio-économiques, y compris leur sensibilisation et leur
engagement dans les services d’accueil et de soutien, et enfin les liens étroits avec la
politique du développement régional. Dans tous les cas, le caractère incitatif et non
coercitif de la nouvelle politique est assuré. Également, les actions de l’État se veulent
graduelles, les effets escomptés étant davantage à long terme et liés aux régions
centrales, compte tenu des contraintes structurelles du développement.

D’autre part, un double déplacement caractérise cette politique, l’un concernant


les notions de rétention et d’attraction, l’autre ayant trait à des catégories différentes

d’immigrants, soit les réfugiés et les immigrants indépendants (travailleurs et gens


d’affaires). Les questions de l'attraction et de la rétention sont, en fait, au centre de la
politique de déconcentration spatiale des immigrants, outre celles du développement des
régions et de l'intégration à la majorité francophone. D’abord axées sur la rétention des

immigrants en région, les actions de l'État se déplacent, une fois les services
d'intégration bien implantés en région avec les directions régionales, vers de nouvelles
initiatives plus directement orientées vers l'attraction. Ce déplacement s'amorce
clairement avec le Plan d'action pour la régionalisation de l’immigration de 1993 alors

que diverses mesures de promotion, de sensibilisation et de concertation sont


entreprises pour attirer et accroître le nombre d'immigrants en région.

Le deuxième déplacement se fait sentir par une diversification accrue des


catégories d'immigrants se dirigeant en région. Alors que depuis les 15 dernières
années les régions du Québec s'étaient surtout spécialisées dans l'accueil des réfugiés,

à l’instar de plusieurs pays11, l'État devient plus actif dans la décennie 1990 auprès des
indépendants dont le pourcentage en région avait diminué depuis la fin des années
197012, notamment les gens d'affaires. Les immigrants ayant des qualifications
11

professionnelles ou des projets d'affaires correspondant aux besoins régionaux sont


particulièrement sollicités et encadrés. Le volet agricole devient un élément important

dans cette stratégie à l'égard des gens d'affaires immigrants, compte tenu de la pénurie
de main-d’œuvre agricole qualifiée et de l’insuffisance de relève. En témoignent les
activités suivantes: campagnes de recrutement auprès de paysans européens en 1993
et 1996, accueil et soutien lors des voyages de prospection, production d'une
documentation sur l'agriculture au Québec, projets-pilotes organisés par le milieu local
concernant des entrepreneurs agricoles immigrants dont le profil correspond à des
perspectives régionales... Cette diversification fait suite aux résultats mitigés de
l’établissement des réfugiés indochinois dans les régions québécoises, au début des
années 1980, ce qui obligea l’État à effectuer des réajustements, en raison de la faible
persévérance des «réfugiés de la mer» à demeurer en région et de leur plus grande
vulnérabilité.

L’évolution de la politique de régionalisation de l’immigration traduit l’influence de


nombreux facteurs, dont l’enchevêtrement de plusieurs enjeux et la crise globale de
l’État. Il convient donc d’examiner ces aspects afin de dégager le sens de cette politique
et d’éclairer ses contradictions, ambiguïtés et paradoxes.

2. Complexité des enjeux

Une première analyse de la politique québécoise de régionalisation de


l’immigration révèle une pluralité d’enjeux étroitement interreliés. Afin de mieux en saisir
la complexité, un examen des quatre principaux enjeux sera effectué, soulevant au
passage certaines interrogations critiques.
12

a. L'enjeu territorial

De prime abord, l’enjeu territorial est le plus apparent dans la politique. Il domine
le discours de l’État, ce dernier manifestant à maintes reprises son intention d’effectuer
une répartition spatiale plus équilibrée de l’immigration. Liée à la concentration de la
population immigrante à Montréal et au danger de créer un fossé entre une région
montréalaise pluriethnique et le reste de la province monoethnique, la politique, avec son
référent territorial, veut contribuer à diminuer la dualisation socioculturelle et économique
de la société québécoise susceptible d'engendrer de nouvelles tensions et
contradictions 13. Cette conception d’un Québec coupé en deux, issue de réflexions du

Conseil des affaires sociales entre 1989 et 1992, domine en effet la scène politique et
économique et commande des actions de l’État pour dynamiser des régions en perte de
croissance et y attirer une partie des immigrants. Afin de contrer le clivage entre
Montréal et le reste du Québec, l’État cherche donc à développer des initiatives ancrées
territorialement destinées à atténuer les écarts et à encourager la dispersion des
immigrants sur l’ensemble de l’espace québécois. Une restructuration des modes
d’implantation spatiale des immigrants est ainsi amorcée, où les régions auront à jouer
un nouveau rôle de relais. Cet enjeu soulève cependant la question des disparités et

iniquités territoriales, exacerbées par l’absence d’une politique énergique de


développement régional, comme on le verra plus loin à l’examen de la crise de l’État.

b. L'enjeu démographique

La faible croissance de la population québécoise est une réalité bien connue, le


Québec affichant un des plus faibles taux de fécondité des pays industrialisés14. La
13

stagnation démographique et la chute de la natalité, amorcées dans les années 1960,


entraînent un dépeuplement et un sous-développement socio-économique dans les
régions de même que de sombres pronostics pour l’avenir (Conseil des affaires
sociales, 1989; Mathews, 1984).

Avec la politique de régionalisation de l’immigration, il devient clair que


l’immigration en région représente une des solutions pour pallier ce déclin
démographique, alors que le vieillissement de la population suscite des inquiétudes quant
à la vitalité future des localités sans jeunes. En lien avec l’enjeu territorial, l’immigration
permet également de repeupler des zones rurales ou urbaines de moindre densité et,
sous le volet agricole, d’occuper de bonnes terres abandonnées faute de relève. En
outre, elle contribue à maintenir le poids non seulement démographique mais aussi
politique du Québec dans l’ensemble canadien, poids risquant de s’amoindrir avec une
baisse de la population et d’entraîner conséquemment un affaiblissement de la présence
du fait français au Canada 15. L’interaction avec l’enjeu politique est ici évidente.

Certes, le discours de l’État soutient le rôle de l’immigration dans le redressement

démographique du Québec. Mais plusieurs interrogations subsistent, à la lecture de la


politique de régionalisation de l’immigration. Quelles seront les chances des régions

périphériques de bénéficier de cet apport démographique alors qu’elles sont plus


vulnérables en ce qui concerne l’attraction et la rétention et qu’elles connaissent l’exode

de leurs jeunes? Comment des régions en train de vivre sinon l’agonie, du moins une
dévitalisation peuvent-elles prétendre attirer un nouveau potentiel de population? Il est
illusoire de penser atteindre une stabilisation démographique au Québec sans une

politique familiale soutenant véritablement l’ensemble des parents et sans une politique
de développement régional vigoureuse créant des emplois. À eux seuls, les immigrants
en région ne peuvent répondre à ce défi de dénatalité au Québec.
14

c. L'enjeu politique

L’enjeu politique s’inscrit dans l’histoire des rapports du Québec avec le Canada
ainsi que dans les débats actuels sur la question nationale. Lié à l’affirmation de la
francophonie québécoise, il concerne principalement l’intégration des immigrants à la
société francophone. Derrière le discours de l’État se profilent des choix politiques et
idéologiques axés sur l’avenir et la survie de la société francophone en Amérique, la
construction d’une identité nationale québécoise, ainsi que le maintien d’une cohésion
sociale.

La politique de régionalisation apparaît comme un mode d’action étatique destiné


à favoriser et soutenir le développement d’un sentiment d’appartenance des immigrants
au Québec francophone, en cohérence avec les politiques antérieures québécoises
d’intégration des immigrants 16. Une meilleure répartition spatiale de l’immigration

permettra à l’État de contrer l’assimilation des immigrants à la communauté anglophone


par l’immersion dans un environnement régional plus francophone et homogène. Tant

l’enracinement des immigrants sur le territoire du Québec que leur participation au projet
collectif québécois et le renforcement du fait français sont ici visés. La politique

contribue ainsi à consolider et rehausser la vitalité de la collectivité francophone, en lien


avec les enjeux démographique et territorial.

Cette stratégie étatique de francisation reste cependant muette sur les délicates
questions de la dualité linguistique au Québec et des statuts asymétriques de l’anglais et

du français, surtout dans le contexte actuel de la mondialisation où le statut international


de l’anglais s’affirme de plus en plus au détriment du statut plus local du français. En
15

outre, elle passe sous silence les contradictions entre les politiques canadienne et
québécoise de gestion de la diversité ethnique, laissant ainsi subsister les ambiguïtés sur
les conceptions et modalités d’intégration des immigrants17.

d. L'enjeu économique

L’enjeu économique est, sans contredit, un des aspects cruciaux de la politique en


raison notamment du lien positif postulé entre le développement régional et l’immigration
en région. Celle-ci constitue un atout et une force dynamisante dans les stratégies
étatiques de développement, visant à réduire les inégalités et les exclusions par ses
retombées multiformes, notamment économiques. Ainsi, l’entrepreneuriat ethnique local
et les valeurs sous-jacentes telles que la détermination, l’esprit d’initiative, l’autonomie,
l’innovation... sont valorisés par l’État comme solutions au dépérissement des régions.
Apport en capital financier et en ressources humaines qualifiées, augmentation du bassin
des consommateurs, élargissement des réseaux de contacts et d’informations
stratégiques, contribution au rayonnement international du Québec et des régions... sont
autant de facteurs conduisant à la prospérité des régions et de l’ensemble du pays.

Une telle conception apparaît réductrice, véhiculant une vision avant tout
instrumentale de l’immigration où les considérations économiques deviennent
primordiales dans le nouveau contexte de mondialisation des marchés. L’immigration y
est définie davantage comme une ressource subordonnée aux intérêts économiques des

pays d’accueil. Exacerbée par le contexte actuel de crise économique et de crise de


l’emploi, cette vision laisse peu de place aux besoins plus diversifiés de l’immigrant et aux
aspects sociaux de l'immigration18.
16

La politique de régionalisation de l’immigration mise donc sur l’immigration en


région pour répondre au défi de revitalisation et de restructuration des milieux régionaux
ou ruraux. D’abord lancé par les États généraux du monde rural, en 1991, ce défi avait
été repris par la suite par la nouvelle politique de développement régional centrée sur
une démarche «d’accompagnement» du dynamisme des régions (États généraux du
monde rural, 1991; SAR, 1992). Ceci renvoie aux concepts de décentralisation et de
partenariat, cruciaux pour la compréhension de l’enjeu économique, et que nous allons
maintenant considérer en rapport avec la crise de l’État-providence.

3. Crise de l'État et ambiguïtés de la régionalisation de l'immigration

Dans le contexte contemporain de la mondialisation de l’économie et du passage


au néo-libéralisme où le libre jeu du marché figure comme principe directeur, le rôle de
l’État et la régulation sociale et économique se transforment. L’État-providence se
restructure et s’amoindrit, exhortant de nouveaux acteurs sociaux à une
responsabilisation accrue dans le développement global. Ce désengagement de l’État

est lié à une crise multiforme et structurelle de l’État, tant économique (crise fiscale)
que politique (crise de légitimité et de rationalité) et socioculturelle (crise de motivation)

(Jalbert, 1991; Habermas, 1978; O’Connor , 1973; Poulantzas, 1977; Rosanvallon, 1981,
1995). Il oblige conséquemment à une redéfinition des rapports de l’État avec la société
civile19, à une reconfiguration des rôles entre sphères privée et publique dans le système

global de régulation, à une recomposition des rapports entre l'État et le territoire et une
réorganisation de la société civile sur le plan local. Les régions sont alors appelées à

devenir plus actives et décisives dans la planification du développement territorial.


17

Ancrés dans cette ère de restructuration économique internationale, de néo-


libéralisme et de mutation du rôle de l’État, la décentralisation et le partenariat

apparaissent alors comme des éléments fondamentaux des politiques étatiques 20. Ces

nouveaux modes de régulation étatique permettent en effet de mieux s’adapter à un


environnement concurrentiel et de concrétiser la réarticulation des rapports entre la
société civile et l’État, induite par la crise de l’État. Ils constituent des pivots cruciaux de
la nouvelle régulation néo-libérale des rapports socio-économiques. C’est ici que se
situe le discours de l’État québécois sur le partenariat privé / public et «l’État-
accompagnateur», central dans les politiques de développement régional et de
régionalisation de l’immigration.

Les notions de décentralisation et de partenariat ne sont pas nouvelles au Québec


puisque déjà vers la fin des années 1970 apparaissait l’idée de concertation avec les
milieux locaux en réaction au mode de régulation technocratique, centralisateur et
autoritaire du développement régional issu de la Révolution tranquille. Qu’on se
souvienne des premières expériences de planification régionale du Bureau
d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) en 1966 et des schémas régionaux de
l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) en 1975, alors que
l’État détenait un rôle moteur et de cohésion pour moderniser les économies régionales
et corriger les disparités territoriales. Y succédèrent une série de politiques plus
flexibles, axées sur le partenariat et l’esprit d'entreprise local, et destinées à consolider
une stratégie endogène de développement ainsi qu’à encourager l’émergence de

dynamismes régionaux (Ministère du Conseil exécutif, 1977; Loi sur l’aménagement et


l’urbanisme, 1979; G endron, 1983; OPDQ, 1988).

Le document Développer les régions du Québec de 1992 (dit rapport Picotte),


puis à sa suite le récent Livre vert de 1995 intitulé Décentralisation, un choix de société
18

ne viennent donc que confirmer les orientations précédentes de décentralisation


adoptées par l’État. Les décideurs régionaux sont invités à planifier les axes
stratégiques de développement économique alors que l’État précise sa «démarche
d’accompagnement» du dynamisme des régions. À une première phase de
centralisation coïncidant avec l’expansion du keynésianisme et de l’État-providence,
succéda ainsi une deuxième phase marquée par l’idéologie néo-libérale, le repli de l’État
ainsi que le partage des responsabilités avec des partenaires locaux21. Éléments

supplémentaires dans la remise en question des interventions providentialistes, ces


documents consacrent, en fait, le «remplacement de l’État-providence par l’État-
accompagnateur», pour reprendre l’expression d’un auteur (Klein, 1995a, p. 139). La
politique de régionalisation de l’immigration n’est d’ailleurs pas étrangère à ce
mouvement puisqu’elle contribue à le prolonger par son insistance sur un partenariat
entre l'État et les régions où des acteurs diversifiés sont interpellés (agents socio-
économiques, communautés culturelles en région, familles de jumelage, population
locale...) afin d’établir un environnement favorable et attrayant pour les immigrants en
région. L’État-accompagnateur fait ici appel aux solidarités locales pour concrétiser la
régionalisation de l’immigration tout comme pour le développement régional.

Cette approche décentralisatrice comporte cependant des limites et des


ambiguïtés fréquemment soulevées dans la littérature (Dionne, 1995; Hamel, 1995;
Jalbert, 1991; Klein, 1995a et b). En général, deux positions émergent sur le sens à
donner à la décentralisation et au partenariat. Pour certains, il s’agirait d’une stratégie
néo-libérale de retrait de l’État dominée par la privatisation du développement et le

transfert des responsabilités étatiques aux paliers locaux. Pour d’autres, ce serait
davantage, sous certaines conditions, une stratégie porteuse de démocratisation de la
gestion publique à travers des compromis sociopolitiques et institutionnels en matière de

redistribution territoriale du pouvoir. Personne n’y voit une panacée ou une solution
19

miracle à la crise de l’État et à la reconfiguration des responsabilités individuelles et


collectives. En dépit d’éléments novateurs et positifs, telle la remobilisation des acteurs
autour d’enjeux locaux et territoriaux, ce bilan ambivalent laisse subsister certaines
interrogations critiques, entre autres, autour de l’équité, des disparités territoriales, des
risques de marginalisation des régions périphériques et d’acteurs spécifiques. Nous
nous concentrerons ici sur trois aspects qui nous paraissent particulièrement
problématiques, à savoir le rôle attribué à l’État dans les deux politiques connexes de
régionalisation de l’immigration et de développement régional, le rôle et le pouvoir des
acteurs locaux et, enfin, le rôle et le statut des noyaux de communautés culturelles en
région.

a. Rôle de l’État

Un paradoxe majeur émerge de l’examen de la politique de régionalisation de


l’immigration. Celle-ci apparaît dans un contexte de crise où l’État se désengage, entre
autres, dans le développement régional, alors qu’elle doit nécessairement s’appuyer sur

une politique de développement régional vigoureuse pour attirer et retenir les immigrants
en région. Dans quel type de communautés locales vont alors venir s’insérer les

immigrants? Comment une telle politique peut-elle prétendre subsister sans une étroite
articulation à une politique énergique de développement régional? Certes, ce lien est

constamment reconnu et mentionné dans les divers documents gouvernementaux, mais il


semble peu matérialisé par des mesures fermes et des moyens financiers adéquats22.

Est-il réaliste d’espérer une régionalisation, même graduelle, de l’immigration si celle-ci

ne s’accompagne pas d’une intervention étatique plus directe pour vivifier les régions et
corriger les iniquités et disparités régionales? Ces questions renvoient, en outre, à la
position des régions périphériques, oubliées et perdantes, à notre avis, dans la stratégie
20

étatique de déconcentration spatiale de l’immigration. Plusieurs auteurs dénoncent


d’ailleurs la ségrégation / exclusion des régions moins centrales et leur représentation
négative (Bonneau, 1993; Chiricota et al., 1993; Côté et al., 1995; J.F. Simard, 1994, p.

16).

Le rôle de l’État, traversant les deux politiques connexes mentionnées


précédemment, paraît contradictoire et incohérent par rapport aux intentions initiales.
D’un côté, un État minimaliste s’appuyant principalement sur les initiatives locales, de
l’autre une tâche colossale de redressement pour contrer non seulement la
métropolisation de l’immigration mais également le dépérissement démographique,
économique, social et culturel de plusieurs régions. Se retrouve ici l’éternel dilemme
entre les objectifs de rattrapage des régions en difficulté et ceux de croissance
économique des pôles prometteurs, entre les objectifs sociaux et ceux strictement
économiques du développement régional.

La faible articulation entre la politique de régionalisation de l’immigration et la


politique de développement régional a été maintes fois déplorée, à juste propos. Ainsi,
l’UPA émet rapidement des doutes sur le «réalisme» de la régionalisation de
l’immigration puisque le Québec n’a pas encore de stratégie globale de développement
régional. Pourtant, une telle stratégie est «essentielle» pour attirer les immigrants en
région et compter avec eux pour une relance économique. Cet aspect constitue le
«gros point faible» de la politique, selon l’UPA (UPA, 1991). Le Conseil de la famille et

le CCCI abondent dans le même sens, faisant d’une véritable politique de développement
régional une condition clé de la régionalisation, outre les services complets et
permanents en région, les solidarités d’accueil et la sensibilisation de la population locale
(Conseil de la famille et CCCI, 1995, p. 71-72). Quant à la CSN, elle se réfère à
l’«utopie» des perspectives de régionalisation de l’immigration, affirmant la nécessité
21

d’établir une politique de développement aussi bien pour Montréal, principal foyer
d’accueil des immigrants, que pour le reste du Québec (CSN, 1991).

Développement global des régions

Plusieurs auteurs ont déjà fait ressortir la complexité, la multiplicité et


l’interpénétration des facteurs, tant économiques que sociaux et culturels, conduisant à
un développement global des régions (Côté et al., 1995; Dionne, 1995; Klein, 1995b;

Proulx, 1996; Vachon, 1995). Richesses naturelles, ressources financières et


économiques, main-d’œuvre qualifiée, densité des liens sociaux et du sentiment
d’appartenance, initiatives locales, créneaux particuliers, emplois diversifiés, réseaux
d’informations stratégiques, vitalité des groupes communautaires, créativité et
innovations, cultures locales, programmes de formation variés, synergies interterritoriales
et internationales... sont autant d’aspects sur lesquels l’État doit miser pour arriver à un
développement régional réellement dynamique. Cela constitue la condition première et
incontournable, à notre avis, pour attirer et retenir les immigrants en région par la suite.
Tout le spectre des activités régionales doit être considéré pour éviter le piège d’une
vision restrictive, rigide et uniforme du développement territorial.

Ce modèle de développement global implique un dépassement du discours


entrepreneurial actuel de l’État, axé davantage sur le développement d’entreprises que
sur celui de communautés locales dynamiques, puisqu’il a comme conséquence inévitable

de ne favoriser et de ne stimuler que les régions les plus performantes. Plutôt, il faudra
déborder cette approche économique et chercher à atteindre un «entrepreneuriat
social»23 destiné à créer un milieu de vie attrayant pour tous, au-delà d’un simple milieu

de travail. Services variés, activités socioculturelles et récréatives, système de transport


22

adéquat, disponibilité d’emplois diversifiés, qualité des institutions d’enseignement... sont


autant d'éléments constitutifs d’une qualité de vie en région. Ils représentent, selon nos
recherches récentes auprès d’immigrants, les conditions de base que ceux-ci exigent
pour s’établir en région24. En outre, il faudra diversifier davantage les groupes ciblés

dans la politique de régionalisation pour ne pas miser quasi exclusivement sur les seuls
immigrants entrepreneurs et générateurs «d’occasions d’affaires». Une politique de
régionalisation de l’immigration sans politique énergique de développement régional
risque de renforcer la vision fonctionnelle et instrumentale de l’immigration et de faire
reposer sur les seuls gens d'affaires immigrants, ou détenant une expertise en demande,
la concrétisation de la régionalisation. La politique paraît alors ne s’adresser qu’à l’élite
immigrante. L’État se priverait, ainsi, de l’apport d’immigrants désireux25 d’aller s’établir

en région avec leur famille et pouvant s’insérer dans des secteurs occupationnels variés
sans nécessairement y apporter investissements majeurs, initiatives entrepreneuriales,
créneaux innovateurs et qualifications rarissimes. Il ne faut pas oublier que l’immigrant,
sa conjointe et ses enfants représentent un facteur de dynamisation de la vie locale,
allant bien au-delà des activités professionnelles, par leur enracinement dans le milieu et
leur participation polyvalente à la vie communautaire (M. Simard, 1994).

Le modèle de développement global suppose également l'adoption d'un rôle plus

actif et dynamique de la part de l’État, destiné à renforcer certaines régions en difficulté


et réduire les inégalités territoriales. Sinon, la politique actuelle de l’État risque

d’accentuer davantage la dualisation de la société qu’elle cherche pourtant à diminuer,


ainsi que d’entraîner la périphérisation des régions éloignées et de consacrer de façon
définitive la banalisation des spécificités et disparités territoriales. Le mouvement de

désengagement de l’État, reflet de la crise globale, ne peut faire abstraction de cette


responsabilité primordiale d’équité qui subsiste, en dépit des contraintes économiques et
politiques de la fin du XXe siècle. Il faut donc dépasser la démarche prudente et
23

attentiste actuelle de l’État, où une trop grande dépendance à l’égard des initiatives
externes risque d’entraîner de nouvelles tensions quant à la répartition non seulement
des effets bénéfiques de l’immigration mais également du pouvoir, comme nous le
verrons dans la prochaine section. Des actions étatiques souples et modulées aux
spécificités territoriales seront, par conséquent, capitales pour permettre à toutes les
régions de constituer des milieux de vie de qualité et attrayants non seulement pour les
immigrants mais pour l’ensemble des citoyens. Une réelle répartition équilibrée des
immigrants entre les régions et la métropole montréalaise ne peut se réaliser sans
intervention énergique de l’État pour atténuer les disparités et améliorer l’égalité des
chances des divers territoires.

b. Rôle et pouvoir des acteurs locaux

Ce deuxième aspect renvoie tant à la restructuration des rapports entre l'État et la


société civile, associée au déclin de la période keynésienne et à la crise de l’État, qu’au
discours étatique actuel sur la responsabilisation des régions et des acteurs locaux. Il

concerne directement l’enjeu de mobilisation des individus, soupçonnés de dépendance


et d’apathie, à la suite des interventions providentialistes des décennies précédentes.

Les revendications d’autonomie et de participation, auxquelles sont liées celles de


décentralisation, étaient d’ailleurs portées depuis plusieurs années par des groupes

régionalistes, en réaction à la gestion technocratique et uniformisatrice de l’État. Ceux-ci


exhortaient à un élargissement de la démocratie par la réappropriation collective du
pouvoir et la redéfinition des priorités de développement par le milieu lui-même26.

Avec cette réarticulation des rapports entre l'État et la société civile, s’amorce le
désengagement de l’État et le transfert de responsabilités financières et
24

organisationnelles à la société civile, comme nous l'avons déjà mentionné. Celle-ci se


voit chargée de nouvelles fonctions susceptibles d’entraîner un dynamisme régional sur
lequel viendront s’appuyer, ultérieurement, les efforts d’attraction et de rétention des
immigrants en région. Principal moteur du développement régional, les initiatives et
solidarités locales deviennent ainsi cruciales, l’État se limitant à un rôle d’appui axé sur la
concertation et l’accompagnement.

Plusieurs interrogations surgissent au sujet du sens et de la portée de ce


transfert. Y a-t-il réellement gain d’autonomie et nouvelle répartition du pouvoir au profit
des acteurs locaux? Comment susciter, cerner et définir la volonté régionale? Quels
intérêts y sont dominants? Certains groupes, moins bien organisés, ne risquent-ils pas
d’être exclus dans cette renégociation? Est-ce le début d’une ère nouvelle caractérisée
par le retour des acteurs? Est-ce une utopie portée par une idéalisation de la société
civile27? Ce mouvement se solde-t-il par un rapprochement véritable entre l'État et les

communautés locales ou est-il l’occasion de nouvelles tensions engendrées par un


«étatisme autoritaire, plus subtil»28? Cela renvoie, finalement, à la question de la

démocratisation de la société.

Privatisation du développement et réappropriation collective

Sans nier le potentiel mobilisateur, démocratique et même «subversif»29 sous-

jacent au transfert de responsabilités à des acteurs locaux, nous ne pouvons faire


abstraction ici des réflexions critiques concernant la tendance actuelle de privatisation du

développement régional auquel est liée la politique de régionalisation de l’immigration. La

banalisation des inégalités territoriales au profit d’une stratégie uniforme de promotion


des initiatives entrepreneuriales y est dénoncée (Dionne, 1995; Klein, 1995a et b). La
25

politique de décentralisation / régionalisation, qui se veut mobilisatrice de plusieurs


partenaires, oublie et occulte les rapports inégaux de pouvoir. À la limite, un déséquilibre
des forces se constate, où l’État retranché dans un rôle minimal d’accompagnateur, les
intérêts privés et les divers acteurs locaux s’affrontent inégalement autour de
l’élaboration de projets de développement régional ou de régionalisation de l’immigration.
Cette inégalité est d’autant plus manifeste que, parallèlement à cette privatisation,
s’effectue une remétropolisation du développement puisque les régions favorisées et qui
gagnent sont les grandes agglomérations, phénomène perceptible dans les pays
industrialisés (Côté et al., 1995, p. vi-vii; Dionne, 1995, p.106; Proulx, 1995, p. 170-171).

Il en résulte une plus grande marginalisation des régions périphériques. La politique de


décentralisation / régionalisation demeure donc controversée quant à sa capacité de
démocratisation et présente certains déficits, notamment en ce qui a trait à la
représentation de tous les intérêts, au partage effectif du pouvoir et à la persistance des
inégalités sociospatiales. Elle n’entraîne pas automatiquement la démocratisation de la
gestion publique (Dionne, 1995; Hamel, 1995; Jalbert, 1991).

Nous ne pouvons également faire abstraction des analyses sur les liens de la
décentralisation et de la régionalisation avec la conjoncture néo-libérale actuelle et la
crise globale de l’État, comme nous l'avons vu précédemment. La réforme
décentralisatrice, à laquelle s’associe la responsabilisation locale, figure alors comme
une «stratégie de sortie de crise», selon la formule de Lizette Jalbert30. Sous le couvert

d’autonomiser les acteurs locaux, et de valoriser le pluralisme démocratique, la

décentralisation / régionalisation vise en fait à diminuer les dépenses de l’État, à réduire


les déficits budgétaires, à redonner confiance dans les institutions étatiques par une
participation complémentaire et conformiste, à dissimuler le contrôle de l’État sur les

citoyens-partenaires (Jalbert, 1991; Dionne, 1995). Les régions deviennent alors des
instances intermédiaires et des relais d’une même logique entrepreneuriale de
26

croissance, devant contribuer, entre autres, à solutionner les problèmes de concentration


spatiale de l’immigration à Montréal.

Le principal défi pour les régions et les acteurs locaux, dans le contexte des
multiples contraintes structurelles de la fin du XXe siècle, sera donc de reconquérir, à
partir d’une volonté collective émancipatrice, la réelle maîtrise du développement global
des collectivités locales, de se réapproprier l’autonomie et le pouvoir dans une
perspective d’autodéveloppement où l’immigration aura sa place. Il faudra alors cesser
de parler de déclin et de déstructuration paralysante des régions pour s’attaquer aux
recompositions les dotant de nouveaux atouts, créer des milieux fertiles et diversifiés
d’activités sociales, culturelles et économiques, combinant chacun, de façon originale, les
facteurs favorables au développement global et à la revitalisation (Côté et al., 1995, p. xi;

Proulx, 1996, p. 129-130).

. Rôle et statut des noyaux de communautés culturelles en région

La politique de régionalisation de l’immigration aborde, à plusieurs reprises et

dans les divers documents, la question des noyaux de communautés culturelles en région
sans, toutefois, définir clairement le statut précis de ces noyaux. Est-ce une condition

première et incontournable pour attirer et retenir les immigrants en région? Les


différentes mesures annoncées dans la politique, destinées à offrir du support aux
organismes des communautés culturelles implantées en région, ne permettent pas de
lever les ambiguïtés et de cerner à quel point l’enracinement de tels noyaux constitue une
priorité pour l’État.
27

À travers les divers documents, se perçoit la préoccupation constante de l’État,


voire l’anxiété, de ne pas reproduire l’expérience, en partie négative, de l’établissement
de réfugiés indochinois dans les régions québécoises au début des années 1980. La
politique paraît teintée par cet essai de régionalisation de l’immigration. Les noyaux
communautaires ethniques régionaux seraient-ils, pour l’État, une protection contre un tel
résultat mitigé à propos de la rétention, une stratégie-cuirasse en quelque sorte lui

permettant de prévenir et d’éviter un taux élevé de déperdition? À notre avis,


l'expérience bien particulière des réfugiés indochinois, compte tenu de leur situation
économique, linguistique et professionnelle, n’autorise pas à généraliser pour tous les
immigrants même s’il faut en dégager des leçons pour l’avenir. Elle démontre la
complexité de l’insertion permanente d’immigrants en région et l’interaction de multiples
facteurs, tels des emplois adéquats, les connaissances linguistiques, la capacité
d’accueil et de soutien des régions, les réseaux de sociabilité ethniques et non
ethniques... (Chagnon et Boisclair, 1980; Deschamps, 1982; Deschamps et Lebel, 1981;
Dorais, 1989; Girard et Manègre, 1989; Lafortune et Piotte, 1980; Piotte, 1981)31. De plus,

elle peut expliquer en partie les stratégies ultérieures de l’État, entre autres sa prudence
et son étapisme, permettant de faciliter l’adhésion aux réformes par une sensibilisation
accrue de tous les acteurs sociaux concernés et de préparer graduellement les milieux

locaux à l’intégration des immigrants.

La question du rôle et du statut des noyaux de communautés culturelles en région


est objet de débats parmi les chercheurs, certains considérant ces noyaux comme les
assises de l’établissement d’immigrants en région et une condition sine qua non alors

que d’autres posent un diagnostic plus nuancé, selon les circonstances de l’immigration,
la proximité culturelle, les catégories d’immigrants et leurs caractéristiques socio-

économiques. Certains y voient, outre des relais importants facilitant l’intégration des
28

immigrants, des canaux privilégiés d’échange d’informations permettant ultimement un


meilleur contrôle de l’État.

Il faut rappeler que le recours aux communautés et réseaux ethniques n’est pas
automatique chez les immigrants, comme l’ont révélé les recherches sur l’élite immigrante
qualifiée où se constate une plus grande indépendance par rapport au groupe ethnique
(Portes et Manning, 1985) 32. Ainsi, faut-il relativiser le rôle d’un noyau d’immigrants en

région, leur absence ne paraissant pas un obstacle structurel décisif dans l’établissement
d’immigrants hors des métropoles, tel que le démontrent certaines études au Québec
(Bonneau, 1993; Klein et Boisclair, 1993; Laroche, 1993; M. Simard, 1994, 1996; Zins
Beauchesne, 1992). Tant la satisfaction des immigrants de vivre en région et leur
appréciation de la qualité de vie que leur intégration au milieu local et leur aspiration à
demeurer en région y furent relevées. L’emploi et la disponibilité de services variés
(éducation, transport, loisirs...) paraissent déterminants. Aucune base factuelle
sérieuse ne vient donc appuyer l’hypothèse de la nécessité de la présence de
communautés culturelles en région pour y réaliser l’intégration permanente d’immigrants.

Un des défis de la régionalisation de l’immigration sera donc d’aborder la question


de l’attraction et de la rétention des immigrants en région avec imagination et créativité,
refusant les idées préconçues et les formules dogmatiques et uniformes à propos,
notamment, d’une masse critique obligée d’immigrants en région. En l’absence d’un
bassin d’immigrants important et d’un réseau de parenté, d'autres solutions pourraient
être conçues, en particulier pour les catégories d’immigrants plus vulnérables et plus

éloignés culturellement. Diverses formules de jumelage entre individus de la société


d’accueil et immigrants (familles, enfants, adolescents...), des stages en région pour
des immigrants désireux d’explorer la possibilité de s’établir hors des grandes villes, la
création d'organismes multiethniques, le parrainage informel33... pourraient être explorés
29

comme stratégies aptes à compenser cette absence et assurer une transition et une
intégration en douceur dans les régions. Sinon, une vision rigide faisant de la présence
d'un noyau important d'immigrants en région une condition essentielle et irremplaçable
d'attraction et de rétention risque d'entraîner l’exclusion de plusieurs territoires, pourtant
porteurs de possibilités pour les immigrants et leurs familles.

*
* *

L’analyse de la politique de régionalisation de l’immigration ne peut donc pas


s’abstraire du contexte actuel de mondialisation de l’économie et de crise globale de
l’État. Les multiples contraintes qui en résultent, notamment celles liées à la restriction
de l’emploi et des ressources financières et aux disparités territoriales, ne sont pas sans
affecter l’essor de cette politique. Celle-ci est loin d’aller de soi, devant faire face à des
incertitudes et des obstacles structurels majeurs. Des nuances et réserves sont donc
appropriées.

Certes, des progrès significatifs ont été accomplis depuis le début, somme toute
peu lointain, de la politique. Des structures d’accueil et d’intégration socio-économique
des Néo-Québécois sont maintenant disponibles en région, alors que se constate une
ouverture accrue des régions à l’immigration à la suite des diverses mesures de
sensibilisation. Une redéfinition inédite des rapports entre les territoires du Québec et

l’immigration émerge clairement, à l’aube du XXI e siècle.

Afin de poursuivre l’expansion de la politique de régionalisation de l’immigration, il

faudra cependant, à notre avis, dépasser la démarche attentiste actuelle de l’État et


30

adopter une stratégie active de développement global des régions. La politique de


régionalisation de l’immigration, telle que formulée par l’État, tout en étant pertinente et
intéressante, se révèle en effet incomplète et insuffisante pour entraîner un véritable
mouvement d’établissement d’immigrants en région. L’État devra articuler davantage
cette politique à une politique de développement régional forte et dynamique, seul gage
de succès puisque les deux ne sont aucunement indépendantes l'une de l'autre. Sans
une telle articulation étroite et un support mutuel, la politique de régionalisation risque de
demeurer une utopie. Il est donc illusoire d’espérer qu’à eux seuls les immigrants, si

entreprenants et branchés soient-ils sur des créneaux innovateurs et des réseaux


internationaux, pourront contrer le déclin et la dévitalisation et repeupler les campagnes
et zones intermédiaires.

À la limite, la démarche actuelle de l’État nous semble élitiste, et concerner


surtout les immigrants entrepreneurs ou hautement qualifiés. Pourtant, d’autres
catégories d’immigrants pourraient s’avérer intéressés à s’établir en région. L’articulation
à une politique de développement régional permettrait ici une plus grande ouverture à
l’égard de catégories supplémentaires d’immigrants en créant des milieux régionaux
dynamiques. Certaines balises sont à respecter, en particulier la création d’emplois en
région, l’accessibilité de services variés dont la formation professionnelle, le maintien du
rôle de l’État dans l’équité.

Sans prétendre avoir épuisé toutes les réflexions critiques à propos de la politique

de régionalisation de l’immigration, nous espérons apporter une contribution modeste aux


débats et susciter des discussions originales et fécondes, à partir des enjeux et
paradoxes dégagés dans cet article. Une analyse comparative avec les expériences des
autres provinces canadiennes ou d’autres pays, sous cet aspect, pourrait s’avérer
stimulante. Également, des études diachroniques supplémentaires portant sur des
31

catégories d’immigrants diversifiées, outre les réfugiés et les immigrants agriculteurs,


pourraient jeter un nouvel éclairage sur le processus d’insertion des immigrants en région
et les facteurs d’attraction et de rétention.

Myriam Simard

Groupe de recherche culture et société - Région,


INRS-Culture et société.
32

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1992

TABLEAU 1

Importance de la population immigrée dans les régions métropolitaines


de recensement du Canada, 1991

Rang Région métropolitaine Population immigrée Population totale Part de la


de recensement population
immigrée*
1 Toronto 1 468 625 3 863 110 38,0
2 Vancouver 476 530 1 584 115 30,1
3 Hamilton 139 560 593 800 23,5
4 Kitchener 75 980 353 110 21,5
5 Windsor 53 825 259 295 20,8
6 Calgary 151 745 748 215 20,3
7 Victoria 55 410 283 630 19,5
8 St. Catharines-Niagara 67 870 359 990 18,9
9 London 70 655 376 720 18,8
10 Efmonton 152 810 832 155 18,4
11 Winnipeg 113 165 635 610 17,5
12 Oshawa 40 845 238 025 17,2
13 Montréal 520 535 3 091 115 16,8
14 Ottawa-Hull 134 750 912 095 14,8
. Ottawa 122 5 45 686 780 17,8
. Hull 12 205 225 315 5,4
15 Thunder Bay 16 235 122 860 13,2
16 Regina 15 900 189 445 8,4
17 Saskatoon 17 120 207 830 8,2
18 Sudbury 12 840 156 120 8,2
19 Halifax 20 785 317 630 6,5
20 Saint John 5 290 123 605 4,3
21 Sherbrooke 5 165 136 710 3,8
22 St. Jonh’s 4 770 169 810 2,8
23 Québec 14 020 637 755 2,2
24 Trois-Rivières 1 720 134 890 1,3
25 Chicoutimi-Jonquière 1 170 159 600 0,7

* Importance de la population immigrée dans la population de chaque région.


47

Source: Statistique Canada, Recensement 1991, catalogue 93-316 et compilation


spéciale, Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (MCCI).

Tiré de: Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (MCCI),


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Recensement 1991: données ethnoculturelles, Direction des études et de la
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48

TABLEAU 2

Importance de la population immigrée dans les régions métropolitaines


de recensement du Québec, 1991

Région Population Population totale Part de la


métropolitaine de immigrée population
recensement immigrée*

Nombre % Nombre %

Montréal 520 535 88,0 3 091 115 45,4 16,8

Québec 14 020 2,4 637 755 9,4 2,2

Hull 12 205 2,1 225 315 3,3 5,4

Sherbrooke 5 165 0,9 136 710 2,0 3,8

Trois-Rivières 1 720 0,3 134 890 2,0 1,3

Chicoutimi- 1 170 0,2 159 600 2,3 0,7


Jonquière

Total, Québec 591 210 100,0 6 810 300 100,0 8,7

* Importance de la population immigrée dans la population de chaque région.

Source: Recensement 1991, compilation spéciale, Ministère des Communautés


culturelles et de l'Immigration (MCCI).

Tiré de: Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (MCCI),


Population immigrée recensée dans les régions du Québec en 1991,

Recensement 1991: données ethnoculturelles, Direction des études et de la


recherche, octobre 1993a, p. 18. (Statistiques et indicateurs, 4.)
50

NOTES
*
Je tiens à remercier mes deux collègues de l'INRS-Culture et société, Denise Lemieux et Léon Bernier
pour leurs commentaires sur la première version de ce texte. Je remercie également les évaluateurs choisis par
Recherches sociographiques pour leurs critiques et suggestions.
1
. Ce taux de concentration de la population immigrée est le plus élevé des grandes métropoles canadiennes.
Au recensement de 1991, il étai t de 62 % pour Vancouver et de 59 % pour Toronto, comparativement à 88 % pour
Montréal. Cependant, l'inverse se constate quant à la proportion de la population immigrée par rapport à la
population totale dans ces villes: Montréal est loin derrière avec 17 % comparativement à Toronto (38 %) et
Vancouver (30 %) (tableau 1). En fait, des 12 % d'immigrants vivant hors Montréal en 1991, la moitié (6 %)
résident dans d'autres centres urbains (Québec, Hull, Sherbrooke, Trois-Rivières, Chicoutimi, Jonquière), et
l'autre moitié (6 %), dans les autre régions du Québec (tableau 2). Cela démontre l'énorme force d'attraction de
Montréal. La métropolisation de l'immigration n'est toutefois pas propre au Québec, puisque ce phénomène se
constate dans tous les pays d'immigration.
2
. En raison d'une connotation négative et coercitive rattachée à la notion de «démétropolisation», celle-ci
sera remplacée à la fin de la décennie 1980 par le terme de «régionalisation», perçu plus positif (Avis, 1988, p.
3).
3
. En 1975, cinq COFI sont répartis sur le territoire québécois en dehors de la région métropolitaine:
Chicoutimi, Hull, Québec, Trois-Rivières et Sherbrooke. Rappelons qu'en dépit d'une juridiction conjointe en
matière d'immigration, reconnue par la constitution canadienne, un ministère de l'Immigration ne fut créé au
Québec qu'en 1968. Des ententes subséquentes avec le gouvernement fédéral viendront préciser les pouvoirs du
Québec sur la sélection des immigrants désireux de s'établir sur son territoire. À cette époque, l'idée de
«revivifier» l'arrière-pays par une politique de l'immigration était également présente au Canada (Conseil
canadien de l'aménagement rural, 1975).
4
. En 1979 et 1980, le Québec accueillait 12 696 réfugiés dont 5 822 étaient parrainés par des
groupes. Près de la moitié de ces réfugiés furent orientés en région, majoritairement dans des petites ou
moyennes villes (Québec, Hull, Sherbrooke, Trois-Rivières...). Une minorité s'installa dans des localités
rurales. Une étude de cette première véritable expérience québécoise de régionalisation met en évidence
la faible rétention de ces réfugiés en région. Après deux ans, la majorité a déménagé à Montréal ou a
quitté la province. L'auteur évalue à un tiers le pourcentage des réfugiés partis ailleurs au Canada
(Deschamps, 1985, p. 79-85).
5
. Rappelons qu'avec cet Énoncé apparaît le principe nouveau de contrat moral, à la base du processus
d'intégration. Trois composantes, liées aux choix de société d'un Québec moderne, délimitent ce pacte réciproque
entre l'immigrant et la société d'accueil: 1) une société dont le français est la langue commune de la vie publique;
2) une société démocratique où la participation et la contribution de tous sont attendues et favorisées; 3) une
société pluraliste ouverte aux multiples apports dans les limites qu'imposent le respect des valeurs démocratiques
fondamentales et la nécessité de l'échange intercommunautaire. Ces trois volets figurent comme les conditions
nécessaires à une intégration réussie (Énoncé, 1990, p. 15-18).
6
. Voir Secrétariat aux Affaires régionales (SAR), Développer les régions du Québec, 1992 [dit Réforme
Picotte]. Cette politique en matière de développement régional, adoptée en 1991, a retenu notamment deux défis à
relever par des actions intersectorielles: 1) la concentration de la population immigrante dans la région
métropolitaine de Montréal; 2) la déstructuration des milieux ruraux. Voir également le récent Livre vert
Décentralisation, un choix de société, où l'État propose de poursuivre la réflexion collective en matière de
décentralisation avec l'ensemble de la population du Québec. Le projet de société exprimé au cours des audiences
de la commission Bélanger-Campeau en 1990-1991 et de celles des commissions régionales et nationales sur
l'avenir du Québec en 1995 est, en effet, étroitement lié à la mise en œuvre d'une décentralisation venant
concrétiser une nouvelle répartition de pouvoirs et des responsabilités (Ministère du Conseil exécutif, 1995, p.
71). Ces deux documents se veulent une réponse concrète à la volonté des régions de prendre en main leur propre
développement, dans une perspective de concertation et de partenariat.
51

7
. Le MCCI fait ici référence aux régions intermédiaires entre la région métropolitaine de Montréal et les
régions périphériques. Les régions centrales comprennent Québec, Chaudière-Appalaches, Mauricie–Bois-
Francs, Estrie, Outaouais, Montérégie, Laurentides et Lanaudière (exclusion faite des territoires appartenant à la
région métropolitaine de Montréal, pour les trois dernières régions). Ces régions centrales, comptant pour 42 %
de la population du Québec en 1986, représentent une assiette économique relativement large et diversifiée.
Quant aux régions périphériques, regroupant 13,7 % de la population, elles comprennent la Gaspésie, les Îles-de-
la-Madeleine, le Bas -Saint-Laurent, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, l'Abitibi -Témiscamingue, la Côte-Nord et le
Nord-du-Québec (MCCI, 1992a, p. 11-12).
8
. Ces mesures concernent des activités tant de promotion que de sensibilisation, d'identification de
clientèles cibles ainsi que de concertation avec les communautés culturelles et les organismes du milieu. Parmi
les principales, il convient de mentionner: 1) promotion de créneaux de développement économique et
d'occasions d'affaires; 2) insertion du volet «immigration» dans les plans stratégiques régionaux; 3)
augmentation de la sélection d'immigrants indépendants se destinant en région; 4) appui à l'immigration des
entrepreneurs agricoles; 5) création d'un point de service d'information et d'animation sur les régions à la
Direction régionale de Montréal; 6) augmentation de l'établissement en région d'étudiants étrangers. Des
activités de recherche exploratoire et de développement expérimental sont également prévues auprès de certains
types de clientèles: travailleurs temporaires, immigrants de Montréal prestataires de la Sécurité du Revenu,
réfugiés... (Plan d'Action, 1993b).
9
. Il s'agit des directions régionales de Québec, de l'Outaouais et de l'Estrie (incluant le bureau de Trois-
Rivières) créées en 1990 pour offrir des services d'accueil, de francisation et d'intégration socio-économique aux
immigrants en région. À ces trois directions régionales s'ajoutent, pour la périphérie de Montréal, les bureaux
régionaux Rive -Nord (Laval, Laurentides, Lanaudière) et Rive -Sud (Montérégie) en 1994. Cette régionalisation
des activités du Ministère permet non seulement d'améliorer l'accessibilité et la disponibilité des servi ces aux
immigrants en dehors de Montréal, mais favorise également la concertation avec les partenaires locaux tout en
constituant des pôles majeurs d'intervention en région pour l'attraction et l'intégration des immigrants.
10
. Il s'agit, entre autres, d'un bulletin d'occasions d'affaires, de brochures sur les régions, de visites
économiques de régions, de l'ouverture d'un point de service «région» et de la création d'un Fonds de
développement de l'Immigration en région (FDIR) dont l'objectif est de permettre la réalisation de projets
novateurs ayant comme résultat concret l'augmentation de l'immigration en région.
11
. En fait, les initiatives de régionalisation de l'immigration concernent généralement le groupe des réfugiés
dans différents pays, tels les États-Unis, l'Australie, le Royaume-Uni, la Belgique et les pays nordiques,
notamment en raison de la possibilité de leur assigner un lieu d'établissement.
12
. De 1968 à 1977, les indépendants (travailleurs et gens d'affaires) représentaient 50 % de ceux qui se
rendaient en région. De 1978 à 1986, leur proportion tombe à 28 %, au profit des réfugiés qui constituent 30 %
du total pour cette période, et jusqu'à 43,6 % pour les années 1985 à 1989. Alors que la catégorie gens d'affaires a
connu l'expansion la plus forte des dernières années, leur présence en région est minime en raison notamment de
la baisse d'établissement en agriculture (MCCI, 1992a, p. 13-14).
13
. Le résultat du récent référendum de 1995 rappelle d'ailleurs un des aspects de la division profonde entre
les régions et Montréal, alors que les francophones ont majoritairement manifesté le désir d'accéder au statut
d'État souverain par contraste aux non-francophones de la grande région de Montréal qui ont massivement soutenu
le maintien du système fédéral.
14
. Ce taux est au Québec de 1,4 enfant par femme en âge de procréer en 1986 comparativement à 1,7 en
Ontario pour la même année. L'indice nécessaire au renouvellement de la population est de 2,1 (Conseil des
affaires sociales, 1989, p. 4-5).
15
. Le facteur démographique est ici crucial quant aux rapports de pouvoir et d'influence au sein de la
Fédération canadienne. Entre 1971 et 1986, le poids relatif du Québec a chuté de 2,1 %, passant de 27,9 % à
52

25,8 % alors que celui de l'Ontario a augmenté légèrement passant de 35,7 % à 36 % (Conseil des affaires
sociales, 1989, p. 3). Mathews parle d'une «lente et inexorable minorisation du Québec» (Mathews, 1984, p.
151-157).
16
. Pour un aperçu historique de ces politiques, voir entre autres Gres (1992), Helly (1994), Labelle et al.,
1995). Ces derniers auteurs remettent en question le réalisme du développement d'un sentiment d'appartenance
des immigrants à la société québécoise, dans le cadre politique actuel de la Confédération canadienne, puisqu'une
telle allégeance peut apparaître «comme une exigence moralement inacceptable, presque une trahison à l'endroit
du Canada» (Labelle et al., 1995, p. 239).
17
. Pour un examen de ces contradictions et ambiguïtés, voir notamment Labelle et al. (1995). Comparant
les politiques canadiennes du bilinguisme et du multiculturalisme, à la politique québécoise d'intégration des
immigrants, ces auteurs montrent les confusions et obstacles multiples posés par des stratégies étatiques
simultanées de constitution d'une identité nationale «canadienne» et «québécoise».
18
. Cette vision restrictive considérant l'immigrant uniquement comme un outil de régulation du
développement économique fut à plusieurs reprises critiquée. Voir, dans une perspective régionale, Klein et
Boisclair (1993, 137-138) et Chevalier (1994, p. 22-24). Voir également un article de l'auteure traitant de
l'impact global de l'immigration agricole sur le développement régional, où sont mises en évidence les incidences
diversifiées de l'immigration, tant sociales que culturelles, politiques et économiques, de même que
l'enracinement de la famille agricole immigrante en milieu rural (Simard, 1995).
19
. Sur ce rapport entre l'État et la société civile, voir entre autres Robert Fossaert (1981). L'auteur fait un
intéressant rappel historique sur les concepts d'État et de société civile, soulignant l'insuffisante maturation des
idées de Marx et de Engels sur ces deux notions et s'attardant sur la contribution de Gramsci. Il y aborde la
dialectique complexe entourant le rapport entre l'État et la société civile. Voir également Thériault (1985).
20
. Klein définit la décentralisation comme une «tendance aussi lourde que la globalisation... dans le
contexte de la crise de la société fordiste et de la désuétude des instruments keynésiens qui servaient à sa gestion»
(Klein, 1995b, p. 42). Présent dans plusieurs pays occidentaux, le mouvement de décentralisation se manifeste
dans différents secteurs, tel celui de la santé et des services sociaux.
21
. Pour un aperçu de l'évolution des politiques de développement régional depuis la Révolution tranquille,
voir Dionne (1995, p. 99-104) et Klein (1995b, p. 48-55). Dionne constate une transformation majeure, le
passage d'une intervention étatique «descendante» à une sollicitation étatique de mobilisation entrepreneuriale et
locale «ascendante». Il conclut: «De la stratégie distributrice de richesse propre à l'État-providence moteur de
développement, nous passons à une stratégie accompagnatrice et gestionnaire des initiatives entrepreneuriales à
susciter ou à consolider» (Dionne, 1995, p. 103-104).
22
. Pourtant, les ressources financières autonomes sont une condition essentielle à un véritable exercice de
responsabilisation locale. Voir, entre autres, M.-U. Proulx qui en fait un des enjeux de la décentralisation (1996).
23
. Selon Klein, la réforme actuelle du développement régional est incomplète. Subsiste la nécessité
d'effectuer une «mobilisation sociale» de l'ensemble de la communauté locale et son «habilitation
institutionnelle» par la création d'institutions fortes et permanentes facilitant la gestion du territoire par les
communautés elles-mêmes, d'où la notion d'«entrepreneuriat social» (Klein, 1995b, p. 51-52). Une stratégie
inspirée davantage du principe du développement local que de celui du développement régional doit donc être
adoptée (Klein, 1995a, p. 139). Dionne abonde dans le même sens et prône, par opposition à la logique actuelle
technogestionnaire, une logique de style communautaire où «l'ancrage territorial» du développement est crucial.
Identité locale, qualité des milieux de vie, développement local flexible et ajusté aux besoins socioculturels des
communautés, création de nouvelles socialités... participent à cette nouvelle logique (Dionne, 1995, p. 106-107).
24
. Les entrepreneurs agricoles immigrants européens manifestent une attitude favorable à l'égard d'une
politique de régionalisation, à condition de trouver des emplois, des services et des conditions de vie convenables
en région et non «d'y aller faire le pionnier», comme le déclara l'un d'eux. Pour certains, une origine rurale serait
53

même souhaitable. Tout en demeurant attachés au caractère non coercitif d'une telle politique, la plupart affirment
que celle-ci offre l'avantage de favoriser l'intégration et d'éviter la création de ghettos ethniques. Ces résultats
sont cohérents avec ceux de deux études sur les immigrants dans la région du Saguenay, alors que le «frottement»
et les «interactions» entre les immigrants et la collectivité locale facilitent clairement l'intégration (Chevalier,
1995; Klein et Boisclair, 1993). Les travailleurs agricoles immigrants saisonniers démontrent la même tendance
positive. Une partie de ces immigrants urbains seraient désireux de déménager en région si des emplois et une
qualité de vie décente leur étaient offerts. Un «discours vert» traverse les entrevues, certains immigrants
manifestant une lassitude de l'agitation montréalaise et une volonté d'aller élever leur famille dans un espace
tranquille, sécuritaire et plus près de la nature.
25
. La question de l'attitude positive et du «désir» de l'immigrant d'aller vivre en région nous paraît
essentielle dans une politique de régionalisation de l'immigration, d'où la nécessité de maintenir son caractère non
coercitif. Les chartes des droits et libertés de la personne du Canada et du Québec garantissent d'ailleurs la libre
circulation sur le territoire, renforçant cette nécessité de volontariat. Les immigrants désireux de s'établir en
région et provenant d'autres espaces que les grandes agglomérations (milieu rural, petites et moyennes villes)
pourraient ainsi être davantage ciblés selon nous, à la condition toutefois de donner des garanties sur l'accueil et
les possibilités d'insertion économique et communautaire comme le soulignait une chercheure (Séguin, 1993, p.
131).
26
. Il ne faut pas confondre régionalisme avec régionalisation, cette dernière prenant «sa source dans une
offre d'État plutôt que de constituer une réplique à une mobilisation et politisation de la société civile» (Jalbert,
1991, p. 253).
27
. Hugues Dionne avance cette idée, à propos des tendances récentes de la politique du développement
régional: «Le discours de l'État est tel qu'il en vient à idéaliser la société civile elle-même dans des postulats de
convivialité, de confiance, de dialogue et de concertation pour asseoir une décentralisation “à tout prix”»
(Dionne, 1995, p. 104).
28
. Pour reprendre l'expression de Nicos Poulantzas (1978). Cet auteur définit l'étatisme autoritaire par
«l'accaparement accentué, par l'État de l'ensemble des domaines de la vie économico-sociale articulé au déclin
décisif des institutions de la démocratie politique et à la restriction draconienne, et multiforme, de ces libertés
dites «formelles» dont on découvre, maintenant qu'elles s'en vont à vau-l'eau, la réalité» (p. 226). Cet étatisme
autoritaire est lié à la concentration du pouvoir dans l'exécutif (p. ex. les cabinets ministériels) aux dépens de la
représentation parlementaire et de la représentation locale ou régionale.
29
. Des effets pervers et des risques liés à l'ouverture du système politico-administratif peuvent se
manifester, en raison des débordements et résistances entraînés par la réforme de décentralisation /
régionalisation malgré les balises rigides déterminées par l'État (Jalbert, 1991, p. 254 et 267).
30
. Analysant la décentralisation, l'auteure énonce ainsi l'hypothèse à la base de son approche: «... il s'agirait
d'une réforme répondant aux difficultés croissantes de l'État bureaucratique et centralisé, propre à soulager les
finances publiques, à améliorer l'efficacité du système et à favoriser l'intégration sociale. Une réforme, enfin, où
la dimension démocratique se verra réduite à l'autonomie administrée et à la participation encadrée» (Jalbert,
1991, p. 253-254).
31
. Le bilan de certaines études à propos des initiatives étrangères en matière de répartition régionale de
l'immigration est intéressant à cet égard. Voir notamment Dumont (1991). L'auteure y observe que
l'établissement durable en région dépasse la simple dimension économique. Quatre «conditions favorables» à la
rétention sont identifiées: 1) capacité du marché du travail d'absorber les nouveaux venus; 2) disponibilité de
services complets et permanents (logements, santé, formation, emploi...); 3) accueil de la population locale; 4)
présence d'une communauté ethnique (p. 61-62). Voir également Séguin (1993) qui confirme les mêmes
facteurs, insistant sur l'emploi et les mesures d'insertion économique, les services spécialisés, les réseaux
d'entraide locaux et ethniques de même que sur un partenariat mixte entre l'État et les groupes locaux bénévoles où
l'État doit nécessairement aider financièrement le milieu local (p. 129-131).
54

32
. Nos résultats de recherche auprès d'entrepreneurs agricoles immigrants européens mettent en évidence le
faible recours au réseau ethnique dans quatre régions agricoles du Québec, la majorité préférant ne pas s'appuyer
sur de telles ressources pour éviter la création de ghettos. Lorsqu'il y a recours au réseau ethnique, celui-ci n'est
pas exclusif puisque les autres réseaux de la communauté locale sont conjointement utilisés: réseau
institutionnel, réseau de voisinage, réseau professionnel, réseau associatif (M. Simard, 1994).
33
. Une pratique de «parrainage informel» est d'ailleurs déjà utilisée au Québec par les entrepreneurs
agricoles immigrants d'origine européenne. Il s'agit essentiellement d'une stratégie d'entraide bénévole entre
individus de même occupation et généralement de même origine ethnique et destinée à faciliter les premières
étapes de l'établissement professionnel et social de l'immigrant. Elle permet non seulement d'avoir une porte
d'entrée plus chaleureuse dans la société d'accueil, mais également d'obtenir des informations stratégiques sur le
milieu et de contrer les abus. Cette stratégie est temporaire, ne durant habituellement que la première année pour
être relayée par la suite par les divers réseaux locaux (M. Simard, 1994, p. 60-61). Le parrainage informel
pourrait, dans une politique de régionalisation de l'immigration, déborder le groupe ethnique et impliquer par
exemple un individu natif et un nouvel arrivant de même catégorie occupationnelle. L'entraide s'établirait d'abord
sur la base d'affinités liées à une même affiliation professionnelle.
Source : Maroc Hebdo

Web : http://www.maroc-hebdo.press.ma/MHinternet/Archives_444/html_444/autorite.html

LA PORTEE DE LA REGIONALISATION AU MAROC


AUTORITÉ ET TERRITOIRE
Dans l'État régional, l'autonomie accordée aux régions va plus loin qu'une simple décentralisation
de l'administration. La régionalisation administrative, que l'on rencontre en France ou au Maroc
par exemple, n'instaure aucune compétence normative au profit des régions. La régionalisation
politique, elle, débouche sur une dualité de sources normative, sur la reconnaissance d'un pouvoir
législatif régional.

Par Mustapha SEHIMI

Ahmed Midaoui, ministre de l’Intérieur.

La crédibilité de la politique de régionalisation au Maroc peut se faire, peu ou prou, à travers


l'évaluation du fonctionnement institutionnel actuel. Ce qui est en cause, tout d'abord, c'est la
viabilité organisationnelle des régions instituées en 1996 lesquelles n'ont pas encore donné de
résultats probants à cet égard. Ce qui doit être relevé, ensuite, c'est les limites significatives à leur
autonomie: les régions n'ont pas vraiment de capacité à prendre des décisions de façon
discrétionnaire, sans en être empêchées par des contrôles externes. Leur fonctionnement 
programmatique est également à prendre en considération – référence étant ici faite à leurs
politiques et à leurs programmes, autrement dit à leurs outputs. Enfin, les régions bénéficient-
elles du soutien du corps électoral?

Telle qu'elle est, il faut bien faire ce constat à propos de la régionalisation; elle n'a pas fait sa place
comme système d'articulation et de distribution des pouvoirs publics ni comme processus de
participation et d'implication des citoyens.

Décentralisation

L'État-nation au Maroc paraît avoir achevé sa phase de consolidation après une phase historique
longue de démembrement et de fragmentation illustrée en particulier par le protectorat franco-
espagnol. Est-ce aujourd'hui la phase de la différenciation? La perspective d'une régionalisation “à
la carte” en faveur des provinces sahariennes du Royaume constitue, à n'en pas douter, un test
exceptionnel pour apprécier, in situ, la problématique actuelle de la régionalisation.
Le projet de décentralisation constituait une avancée démocratique dans la perspective d'une
gestion par les citoyens de leurs affaires locales, provinciales et régionales; mais il se proposait
également de mettre en valeur une meilleure intégration de la région, et en particulier des
provinces sahariennes récupérées et de leurs habitants.

Cette vision-là allait ainsi être institutionnalisée avec cette réforme de 1996. Mais elle avait été
déjà expliquée dans le discours historique du regretté Souverain d'octobre 1984, à Fès, lequel
prônait pratiquement le modèle allemand des Länder.

Reconnaissance

En droit comparé, ce modèle a été dégagé à partir du système italien, espagnol, portugais – le
régionalisme y étant limité à Madère et aux Açores – et belge (avant la transformation de la
Belgique en État fédéral en 1997). On peut encore en rapprocher la Grande-Bretagne depuis la
“dévolution des pouvoirs” à l'Écosse et au Pays de Galles en 1997. En tant que “modèle”
théorique, l'État régional peut être discuté; mais il se caractérise par la reconnaissance d'une réelle
autonomie politique reconnue au profit des entités régionales et notamment d'un pouvoir
normatif autonome.

A cet égard, il correspond à la prise en compte de certaines spécificités, qu'elles soient ethniques,
culturelles, linguistiques, religieuses, et il se rapproche de l'État fédéral. Mais, à la différence de ce
dernier, la structure étatique reste unitaire même si elle peut être appelée à évoluer.
Dans l'État régional, l'autonomie accordée aux régions va plus loin qu'une simple décentralisation
de l'administration. La régionalisation administrative, que l'on rencontre en France ou au Maroc
par exemple, n'instaure aucune compétence normative au profit des régions. La régionalisation
politique, elle, débouche sur une dualité de sources normative, sur la reconnaissance d'un pouvoir
législatif régional.

Cette autonomie régionale se trouve en outre garantie par la Constitution. Elle est également
protégée par les cours constitutionnelles. La mise en œuvre de l'autonomie a conduit, tant en
Espagne qu'en Italie, à la création d'institutions quasi politiques: un exécutif avec à sa tête un
président, une assemblée avec certains pouvoirs législatifs.

A noter cependant que le schéma institutionnel espagnol a prévu des communautés autonomes
de premier rang avec une assemblée législative élue au suffrage universel direct (à la
représentation proportionnelle) ainsi qu'un “conseil de gouvernement” et un “président de la
communauté”, mais il a également institué des communautés autonomes de second rang dont
l'organisation n'est pas précisée par la Constitution.

Si la région instituée et constitutionnalisée au Maroc en 1996 reprend elle aussi cette articulation –
un conseil régional, un président – elle ne se caractérise pas par une dualité de pouvoirs législatifs,
et par conséquent, d'ordres juridiques. Rappelons en effet qu'en Italie, chaque région peut
adopter des “lois régionales” et qu'en Espagne, alors que la constitution ne prévoit expressément
un pouvoir législatif qu'aux communautés autonomes de premier rang, la pratique et la
jurisprudence ont étendu ce pouvoir aux communautés de second rang.

Hiérarchie

Le pouvoir législatif des régions s'exerce dans le domaine prévu par la Constitution. La loi
autonome a la même force juridique que la loi étatique; leurs rapports sont résolus non pas par
l'application du principe de hiérarchie, mais par l'application du principe de compétence; prévaut
la loi – étatique ou autonome- qui est compétente pour régir telle matière donnée.
Dans l'État régional, il n'existe qu'une seule constitution, les collectivités territoriales existantes
n’ayant pas un pouvoir constituant – à la différence des États fédérés. L'État régional a un statut
législatif, fixé formellement donc par des lois de l'État. C'est aussi un statut concerté dont le
projet a été élaboré initialement par une assemblée ad hoc composée de tous les parlementaires
élus dans les circonscriptions concernées par la création de la communauté.

Contrôle

Quelle que soit la nature et la portée de la régionalisation au Maroc, l'autonomie locale, si elle
implique le principe de libre administration, n'en commande par moins la préservation du
caractère unitaire de l'État et son principe d'indivisibilité.

Le critère de la libre administration tient dans l'élection des assemblées délibérantes des
collectivités territoriales, en l'occurrence le conseil régional. Il s'agit là d'un “suffrage politique”
auquel le citoyen participe en tant que citoyen, membre de corps politique et non en tant
qu'individu caractérisé par son appartenance à telle communauté ou collectivité.
En outre, les élections locales ne sont pas sans lien avec l'exercice de la souveraineté nationale
puisque les membres des assemblées locales qu'elles désignent participent, dans chaque région, au
collège électoral qui élit les conseillers, membres de la seconde Chambre du Parlement, organe
d'expression de la souveraineté nationale au même titre que la Chambre des Représentants. Il
s'agit là d'une représentativité globale, autrement dit d'une indivisibilité de la représentation des
collectivités locales, contrairement à la représentation des États membres d'un État fédéral au
sein de la seconde Chambre où chaque État est représenté en tant que sujet particulier. À noter
ici qu'en réalité, la représentation des collectivités locales ne se situe pas au sein de la seconde
Chambre elle-même mais dans le collège électoral qui, dans chaque région, élit les Conseillers.
Cela dit, le principe d'indivisibilité précité marque bien les frontières de l'autonomie locale. On
peut en dégager trois aspects principaux.

L'indivisibilité de la souveraineté: cela veut dire que le Maroc est un État unitaire et qu'il ne doit
exister qu'une seule source de souveraineté s'exerçant sur la totalité du territoire. La souveraineté
est ainsi indivisible parce qu'elle réside dans la collectivité étatique envisagée globalement, sans
tenir compte de la diversité des aspirations locales ou de la variété des multiples collectivités qui
forment l'État. Il s'ensuit que le pouvoir normatif trouve sa source première dans l'État: il n'y a
donc pas de pouvoir normatif autonome local. L'activité normative des autorités des collectivités
locales découle de l'exercice d'attributions que la loi leur a conférées; elle ne saurait se déployer
sans intervention d'une loi préalable.
D'une autre côté, le contrôle de l'État sur les collectivités territoriales est une exigence
constitutionnelle qui vient limiter la libre administration. Ce contrôle peut d'ailleurs revêtir une
forme assez poussée: celle d'un pouvoir de substitution du représentant de l'État. Enfin, le
contrôle de l'État ne saurait évidemment anéantir la libre administration des collectivités locales.
Sur la base du principe qu'une collectivité locale s'administre et qu'elle ne gouverne pas, il est
évident que la libre administration doit s'exercer dans le respect des attributions du législateur. De
même, rien ne fonde constitutionnellement les collectivités locales à se voir reconnaître la qualité
d'autorité souveraine ou de personne de droit international. N'étant pas sujets de droit
international, les collectivités territoriales marocaines ne peuvent ainsi développer des relations
avec d'autres collectivités de même nature que dans le cadre fixé par le législateur. L'État
conserve donc le monopole de la conduite des relations internationales.

Droits

L'indivisibilité du territoire signifie au Maroc que le territoire du Royaume est intangible. Il pousse
aussi à considérer que ce principe s'oppose à une différenciation trop poussée des droits
applicables sur les différentes parties du Royaume, notamment en matière de libertés publiques.
Ce qui veut dire que les libertés doivent être égales partout et pour tous. L'unité du régime
juridique des libertés publiques se trouve ainsi pleinement préservée, ce qui tend à conforter le
caractère unitaire de l'État. Ce dernier découle aussi de l'indivisibilité du peuple marocain laquelle
interdit toute différenciation entre citoyens constituant un même peuple.
Ensuite, l'indivisibilité du peuple: la Constitution ne connaît qu'un seul peuple, le peuple
marocain, composé de tous les citoyens marocains sans distinction d'origine, de race ou de
religion. Il s'ensuit qu'un tel principe conduit à interdire au législateur la reconnaissance de
“minorités” sur le territoire national, auxquelles seraient attachés des droits spécifiques dans le
domaine culturel, religieux ou linguistique par exemple.

Il en découle aussi le refus de toute division entre citoyens. Pourquoi? Pour deux raisons liées
entre elles d'ailleurs: l'une, c'est l'unité du corps politique qui interdit toute division par catégorie
des électeurs ou des éligibles ainsi que toute discrimination fondée sur les attaches territoriales;
l'autre, c'est l'unité de la représentation du peuple – le peuple étant le titulaire collectif de la
souveraineté, l'indivisibilité de la souveraineté se trouve garantie par l'indivisibilité du peuple. En
combinaison avec le principe d'égalité, le principe d'indivisibilité s'oppose ainsi à toute division au
sein du peuple marocain et concourt par là même à assurer l'homogénéité du corps politique et
l'unité de sa représentation.

Voilà qui conduit à s'interroger à propos de la régionalisation appliquée au Sahara, sur le bien-
fondé de ceux qui, ces derniers mois, mettent en avant l'idée d'une décentralisation particulière,
fondée sur la recherche d'une “troisième voie”, entre le rattachement au Maroc et l'indépendance.
Source : Rapport 50 de développement humain

Web : http://www.rdh50.ma/fr/pdf/contributions/GT10-6.pdf

RAPPORT SUR LE CADRE CONCEPTUEL, LEGISLATIF ET REGLEMENTAIRE DES PROCESSUS DE


DECENTRALISATION ET DE REGIONALISATION AU MAROC
Rapport sur le cadre conceptuel,
législatif et réglementaire des
processus de décentralisation
et de régionalisation au Maroc

Introduction .............................................................................................................177
1. Le cadre constitutionnel ................................................................................177
2. Le cadre conceptuel .......................................................................................179
3. Évolution historique de la législation relative aux collectivités
locales ................................................................................................................181
I. Le cadre juridique actuel de la centralisation ................................................184
1. La commune .....................................................................................................184
1.1. L’amélioration du fonctionnement des organes communaux ...........184
1.1.1. Le renforcement du rendement des organes
communaux .....................................................................................184
1.1 2. La rationalisation du travail administratif ...................................184
1.1 3. La stabilité de l’exécutif communal .............................................185
1.2. L’élargissement des compétences et ses limites ...............................185
1.2.1. Les compétences des conseils communaux ..............................185
1.2.2. Les attributions du président du conseil communal..................185
1.3. L’instauration d’un statut de l’élu ...........................................................186
1.3.1. Les autorisations d’absence et les garanties
accordées aux élus salariés dans leur activité
professionnelle.................................................................................186
1.3.2. Les indemnités allouées aux titulaires de certaines
fonctions communales................................................................... 186
1.3.3. La responsabilité pénale de l’élu ................................................. 186
1.3.4. La protection civile et pénale de l’élu .........................................187

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1.4. Le retour à l’unité de la ville : le régime particulier des
communes urbaines de plus de 500.000 habitants ...........................187
2. La province ......................................................................................................188
2.1. Caractéristiques générales de l’organisation provinciale ...............188
2.1.1. Le conseil provincial est élu au suffrage indirect .....................188
2.1.2. La loi donne un rôle central au gouverneur ...............................189
2.2. Les nouveautés introduites par la charte provinciale ......................189
2.2.1. Le renforcement relatif de la place du président
du conseil provincial ......................................................................189
2.2.2. L’institution d’un statut de l’élu .....................................................189
2.2.3. La clarification des attributions du conseil provincial .............189
3. La région ..........................................................................................................190
3.1. Organisation du conseil régional .........................................................190
3.2. Attributions du conseil régional ...........................................................190
3.3. Les compétences du président du conseil régional..........................190
3.4. Les attributions du gouverneur du chef-lieu de région
(Wali de la région) ..................................................................................191
II. Décentralisation et développement ...............................................................191
1. Les grands piliers ...........................................................................................191
1.1. Le nouveau concept de l’autorité ........................................................191
1.2. Les principes de la gouvernance locale .............................................193
1.2.1. Définition des principes.................................................................193
1.2.2. Les techniques de gestion ............................................................194
1.3. Le rôle des tribunaux administratifs ....................................................196
1.3.1. Le rôle de clarification du droit collectivités locales................196
1.3.2. Le rôle de protection des acteurs économiques
locaux ...............................................................................................199
1.4. Les cours régionales des comptes ......................................................199
2. Les grands secteurs ......................................................................................201
2.1. Les compétences communales.............................................................201
2.1.1. L’originalité de la technique de répartition des
compétences...................................................................................202
2.1.2. La nouvelle approche de la lutte contre la pauvreté
et l’exclusion....................................................................................202
2.1.3. La coopération et le partenariat...................................................203
2.2. Les zones défavorisées ..........................................................................204
2.3. Le rôle de la femme .................................................................................208
2.3.1. Les enjeux ........................................................................................208
2.3.2. Les solutions ....................................................................................209

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III. Appréciation générale ....................................................................................211
1. Les observations critiques........................................................................... 211
1.1. Les compétences des collectivités locales ....................................... 211
1.2. Le processus de prise des décisions .................................................. 212
1.3. Les problèmes relatifs à la gestion des services
publics ......................................................................................................213
1.4. L’absence du cadre juridique des interventions
économiques des collectivités locales............................................. 214
2. Les propositions ou recommandations .................................................... 214
2.1. Les réformes nécessaires pour améliorer
la décentralisation administrative en général.................................... 214
2.2. Les réformes nécessaires pour améliorer
la décentralisation communale en particulier ................................. 215

MOHAMMED EL YAÂCOUBI
ABDALLAH HARSI

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Introduction

La décentralisation administrative a été considérée par le Maroc comme un choix stratégique au lendemain
de l’indépendance.

1. Le cadre constitutionnel

Dès leur création, les collectivités locales ont vécu au sein de la sphère constitutionnelle à l’exception de la
parenthèse constituée par la période de l’état d’exception (1965-1970). Les constitutions adoptées depuis
l’indépendance (1962-1970-1972-1992-1996) contiennent des dispositions relatives aux administrations
locales qui sont désignées sous des dénominations quasi-identiques qui font référence à une forme de
liberté. On retrouve dans tous les textes constitutionnels les termes de collectivités locales et de gestion
démocratique.
Les concepts modernes du droit des collectivités locales sont donc en place dès 1962 et n’ont pas formel-
lement évolué. L’expression de « décentralisation » n’est jamais utilisée dans les différents textes constitu-
tionnels et il lui est préféré celle plus symbolique de « gestion démocratique ». Peut-être que l’expression de
« libre administration » utilisée par la constitution française est plus claire. Il n’empêche qu’on peut estimer
que les deux expressions sont quasi – synonymes. D’ailleurs, la loi relative à l’organisation de la région
affirme dans son article premier, alinéa 2, que « les affaires de la région sont librement gérées par un conseil
démocratiquement élu. »
Les dispositions constitutionnelles concernées demeurent néanmoins relativement peu développées et se
contentent d’affirmer des principes généraux et abstraits et sont, de ce fait, d’une assez grande imprécision.
Il est important de constater d’ailleurs que malgré le renforcement de la décentralisation que le Maroc a
connu depuis 1976, le cadre constitutionnel n’a pas subi d’évolution sensible et qu’il peut s’adapter aussi
bien à une centralisation poussée qu’à la décentralisation.
Les principes constitutionnels sont essentiellement contenus dans les articles 46, 100 et 101. Le premier
dresse la liste des matières relevant de la compétence du législateur parmi lesquelles on trouve le régime
électoral des assemblées et conseils des collectivités. L’article 100 consacre les collectivités locales exis-
tantes et prévoit que la loi pourra créer d’autres catégories de collectivités. Alors que l’alinéa 1 de l’article 101
précise de façon conséquente et logique que ces collectivités « élisent des assemblées chargées de gérer
démocratiquement leurs affaires », l’alinéa 2 affirme que les gouverneurs exécutent les délibérations des
assemblées provinciales, préfectorales et régionales dans les conditions déterminées par la loi ».
La consécration constitutionnelle permet de garantir la décentralisation d’un triple point de vue : la garantie
d’existence de la collectivité locale, la garantie de l’autonomie locale et la garantie d’une autonomie politique
limitée.
Il faut relever que les diverses collectivités n’ont pas nécessairement le même statut. La différenciation
est l’œuvre directe du constituant. La constitution consacre en fait deux groupes des collectivités locales.

177
Les unes sont énumérées explicitement par le texte constitutionnel : les régions, les préfectures, les pro-
vinces et les communes, les autres devant être créées par la loi.
Ces collectivités locales créées par la loi n’ont pas, en principe le même statut constitutionnel que les pré-
cédentes. Il y a une différence au niveau des garanties d’existence. Les régions, les préfectures, les pro-
vinces et les communes étant prévues par la constitution ne peuvent donc être supprimées en tant que
catégories de collectivités territoriales.
Les autres collectivités dont la création appartient au législateur constituent en quelque sorte un second
cercle de collectivités locales puisque, créées par la loi, elles peuvent évidemment être supprimées par la loi.
Ce sont des collectivités locales à statut législatif.
La constitution prouve que les collectivités locales « élisent des assemblées chargées de gérer démocra-
tiquement leurs affaires dans les conditions par la loi ». Cet article consacre officiellement la gestion démo-
cratique au niveau des entrées décentralisées.
En effet, la gestion démocratique de la collectivité suppose d’abord son existence et la consécration de
cette dernière dans l’ordre juridique, c’est-à-dire la personnalité morale de la collectivité. Une collectivité
locale est nécessairement une personne juridique.
Les trois chartes parlent de collectivités territoriales de droit public dotées de la personnalité morale et de
l’autonomie financière. Le principe doit rester l’autonomie : la gestion implique la possibilité de décider. Il n’y
a aurait plus de « gestion démocratique » si des agents extérieurs à la collectivité avaient, pour ce qui
concerne les affaires de celle-ci, plus de compétences que ses représentants. Il n’y aurait également pas de
« gestion démocratique » si les décisions pouvant être réformées par une autorité extérieure étaient plus
nombreuses que celles ne le pouvant pas.
La constitution marocaine tire donc logiquement deux conséquences : Elle parle de conseils d’assemblées
élues, de régime électoral... Il ne peut donc y avoir de collectivités locales sans assemblée élue. En outre,
cette assemblée ne peut être limitée à un rôle purement consultatif sinon elle ne gérerait pas.
L’existence constitutionnelle des collectivités locales va jusqu’à leur reconnaître une représentation parti-
culière dans les institutions du Royaume.
Pour illustrer ce point, je cite une seconde fois l’article 38 : « La chambre des conseillers comprend, dans la
proportion des 3/5, des membres élus dans chaque région ».
On peut donc soutenir que l’article 2 qui traite de la souveraineté et notamment son exercice indirect
concerne aussi bien les élections aux assemblées de l’État que les élections communales. En effet, ces der-
nières servent de base à l’élection indirecte des 3/5 qui participent à l’exercice de cette souveraineté.
L’article 3 renforce certainement la position des collectivités locales. Les élus locaux sont considérés par la
Constitution au même titre que les partis politiques, les organisations syndicales et les chambres profes-
sionnelles légalement représentées au Parlement comme des structures fondamentales concourant à la
représentation des citoyens.
Il est possible de remarquer qu’il y a une échelle dans la consécration constitutionnelle de la démocratie
locale semble qu’il y a un parti – pris du pouvoir constituant vis-à-vis des différents niveaux de décentralisa-
tion,
La consécration constitutionnelle n’a pas la même signification selon qu’il s’agit de telle ou telle catégorie
d’entités décentralisées : la protection constitutionnelle se caractérise par une certaine relativité dans la
mesure où la province ou préfecture et les régions ne sont pas tarifées sur le pied d’égalité avec la com-
mune. Il suffit ici de citer deux éléments significatifs.
Tout d’abord, jusqu’à la révision constitutionnelle de 1996, seuls les conseils communaux ont été considé-
rés, avec les partis politiques, les organisations syndicales et les chambres professionnelles, comme des
structures qui concourent à l’organisation et la représentation des citoyens (article 3 de la constitution).
Ensuite et surtout, la constitution précise dans son article 101 alinéa 9 que les gouverneurs exécutent les

178
délibérations des assemblées provinciales, préfectorales et régionales. Il s’agit là d’une limite organique qui,
comme on va le voir, limite largement la dose d’autonomie au niveau provincial ou préfectoral.
Le message constitutionnel adressé au législateur est clair : la décentralisation provinciale et régionale n’a
pas à être aussi développée que la décentralisation communale..
Et le législateur a bien compris cette directive. D’une part, il a été plus attentif aux communes qu’aux pro-
vinces et régions puisque la décentralisation à cet égard a déjà fait l’objet de trois réglementations (1960-
1976-2002) ; d’autre part, du point de vue du fond, la décentralisation communale est réglementée d’une
manière beaucoup plus libérale que la décentralisation provinciale.

2. Le cadre conceptuel 1

La constitution parle explicitement de collectivités locales. Il est donc évident que ces entités sont les ins-
truments du concept de décentralisation, mais comme dans tous les pays au monde ce concept est insépa-
rable de la notion de déconcentration : il s’agit là de deux modèles d’organisation complémentaires puisqu’ils
contribuent tous les deux à la réalisation du développement local.
Sur le plan étymologique les deux mots déconcentration et décentralisation auraient le même sens. Dans
les deux on retrouve le préfixe « dé » et le terme « centre ». Les deux concepts impliquent un mouvement
du centre à la périphérie.
Mais avec le temps, il a fallu distinguer les deux mots pour les faire correspondre à deux systèmes locaux
fondamentalement différents même si la déconcentration demeure un terme plutôt hermétique et même
incompréhensible pour les citoyens surtout lorsqu’on l’oppose à la décentralisation.
La décentralisation est la reconnaissance de l’existence juridique des collectivités secondaires qui, dotées
de la personnalité juridique, ont vocation à gérer leurs propres intérêts par l’intermédiaire d’organes issus
d’elles mêmes 2.
La déconcentration n’est pas la délocalisation. Cette dernière consiste en de simples transferts physiques,
géographiques d’institutions de la capitale vers la périphérie. À l’inverser de la déconcentration elle n’entraîne
pas de transferts de pouvoirs. Les deux notions peuvent parfois coïncider car toutes deux s’inscrivent dans la
problématique de l’aménagement du territoire.
La déconcentration n’est pas non plus la décentralisation bien qu’elle entretienne avec des rapports ambi-
gus. La seconde vise à transférer des pouvoirs préalablement définis par le législateur aux collectivités
locales en vertu du principe de « la gestion démocratique » posé par la constitution 3 alors que la première est
une redistribution des pouvoirs au sein de l’État.
Du point de vue de la science administrative on peut définir la déconcentration comme la politique ayant
pour objet de rationaliser l’exercice des compétences de l’État en aménageant les rapports entre les adminis-
trations centrales et les échelons territoriaux dans le sens d’une plus grande délégation de responsabilités
consenties à ces derniers.
La philosophie profonde des deux théories n’est donc pas la même. Si la décentralisation est une tech-
nique démocratique de gestion des affaires locales la déconcentration demeure une technique de comman-
dement.

1. Contribution au colloque international organise par le Ministère de l’Intérieur et du développement local Tunisien et le centre de formation
et d’appui à la décentralisation les 24-25-26 juin 2004 sur « gouvernance locale : déconcentration et décentralisation », non publiée.
2. M. Rousset. J. Garagnon, Droit administratif marocain. Édition la Porte 2003, p.34
3. M. EL Yaâgoubi, La notion constitutionnelle de « gestion démocratique » des collectivités locales au Maroc, REMALD 2002 no 42 p.9

179
Longtemps les deux notions de décentralisation et de déconcentration furent opposées. La déconcentra-
tion était souvent considérée comme un substitué à la décentralisation.
Cette réalité était évidente durant la période du protectorat où des mesures de déconcentration était pré-
sentées comme relevant de la décentralisation. Après l’indépendance et jusqu’en 1976 la déconcentration
prédominait la décentralisation et constituait un préalable à une décentralisation véritable. Ainsi le dahir du
23 juin 1960 relatif à l’organisation des préfectures des provinces et de leurs assemblées relève beaucoup
plus de déconcentration que de la décentralisation. Le parallèle entre la réforme communale de 1960 et celle
de 1976 et la lecture de la réforme provinciale de 1963 1 confirment largement cette remarque générale.
Ce lien entre déconcentration et décentralisation allait être progressivement inversé par les textes notam-
ment le dahir de 1976 précité, la loi régionale de 1997 2 et surtout les réformes communale 3 et provinciale ou
préfectorale de 2002 4.
Les deux notions ne sont désormais plus substituables. La déconcentration est devenue le corollaire de la
décentralisation. L’une devrait en principe renforcer l’autre malgré leur contradiction inhérente.
Plusieurs facteurs sont de nature à consolider la complémentarité des deux modèles d’organisation admi-
nistrative.
Le premier est lié aux nombreuses similitudes entre les deux concepts : le pouvoir central prédomine dans
les systèmes d’organisation ; dans les deux cas il y a un transfert de compétences du centre à la périphérie
mais ce transfert est partiel pour deux raisons : il ne porte que sur les affaires territoriales et il ne s’étend pas
à toutes ces affaires. Les deux procédés semblent avoir des objectifs communs comme le rapprochement
de l’administration des administrés, l’efficacité, l’adaptabilité et la rapidité du processus décisionnel. Les
deux notions mettent à l’honneur le « local » et le management dans la gestion publique et impliquent la res-
ponsabilisation des décideurs locaux. Toutes les deux assurent une double représentation : celle de l’État et
celle des entités décentralisées à travers le dédoublement fonctionnel des exécutifs locaux ; enfin les deux
concepts sont basés sur une conception originale de l’État à travers les principes de territorialité, de subsidia-
rité et d’inter ministérialité.
Toutes ces ressemblances et ces traits communs feraient de la décentralisation et de la déconcentration
un système administratif autonome par rapport aux administrations centrales. Certains auteurs sont allés
même jusqu’à inventer un nouveau concept pour désigner cette réalité locale complexe : il s’agit de la décen-
tration.
Le deuxième facteur qui impose la complémentarité de la déconcentration et de la décentralisation est
constitué par la crise de l’État.
L’État traditionnel est en crise face aux évolutions économiques et sociales qui ont affecté le pays depuis
le début des années quatre vingt dix : l’internationalisation des échanges matériels et immatériels, le mouve-
ment de dérégulation qui prédomine de plus en plus, la complexification des politiques publiques qui rognent
la légitimité de l’État et affectent le rôle de régulateur social qu’il a toujours joué au Maroc. L’administration
est exposée à trois critiques : la diminution de sa légitimité démocratique, la baisse de ses capacités tech-
niques en particulier en matière sociale et la crise de motivation des agents publics. À cela on peut ajouter
l’efficacité comparée des systèmes publics qui devient un critère important de la compétitivité d’un pays.
Le traitement horizontal des grands problèmes devient le mode de plus en plus fréquent de l’intervention
publique. Les problèmes de société comme le chômage, l’intégration, le traitement de la délinquance
dépassent les compétences sectorielles des administrations concernées. Or l’État est mal organisé face à

1. – Dahir du 23/6/1960 B.O. 1960 p.1230; Dahir du 12/8/1963. B.O. 1963 p.1469; Dahir du 30/8/1976, B.O. du 1.10.1976 p.1051.
2. loi no 47.96 relative à l’organisation de la région, B.O. du 304.1997 p. 292..1
3. loi du 3/10/2002 B.O. du 21/11/2002 p. 1351
4. Loi relative à l’organisation préfectorale et provinciale B.O. du 21/11/2002 p.1371.

180
cette évolution, car ses services sont très cloisonnés : au plan national, le découpage des ministères en
administrations centrales est trop fin, et la multiplication des organismes autonomes (établissements publics,
autorités administratives indépendantes, associations participant à un service public) complique encore la
situation ; au plan local, la multiplicité des services déconcentrés reflète l’organisation administrative centrale.
Même à l’intérieur d’un service, la division en unités distinctes renforce le phénomène de cloisonnement.
Le troisième facteur réside dans la volonté affichée des pouvoirs publics d’instaurer un système adminis-
tratif local où la décentralisation et la déconcentration devraient aller de pair.
Ainsi l’ancien ministre de l’intérieur Driss Basri dans un discours prononcé au 4è colloque national des col-
lectivités locales tenu à Casablanca en 1989 avait précisé que « s’il faut chercher une origine aux difficultés
de la décentralisation qui subsistent encore c’est souvent de l’avis des élus, bien moins dans cette direction
que dans les rapports avec les représentants techniques de l’État. Le sentiment partagé par les collectivités
locales est que la déconcentration a bien mal suivi la décentralisation dont elle entrave le développement.
Plusieurs présidents ont en effet souligné les nombreuses difficultés auxquelles ils se heurtent du fait de
cette réalité. Le partenaire technique local est généralement dépourvu des pouvoirs et des moyens
qu’implique un réel partenariat local : de même qu’il faut en référer aux services centraux pour un grand
nombre d’affaires locales qui gagneraient dans la plupart des cas à relever des échelons territoriaux les plus
bas ».
De même dans une lettre adressée au ministre de l’intérieur le 19 novembre 1993 Feu le Roi Hassan II
avait affirmé que le système de la décentralisation « serait resté incomplet si parallèlement nous maintenions
notre capitale comme seul centre des décisions administratives. Ce paradoxe qui aurait vidé de tout contenu
réel notre politique de décentralisation ne nous a guère échappé. Ainsi avons-nous constamment invité nos
ministres au niveau central d’abord d’avoir des délégations régionales aussi étoffées que possible puis d’élar-
gir au maximum sans nuire au bon fonctionnement de l’administration les compétences de ces dernières ».
Quelle est la signification du rapport de l’évolution respective de la décentralisation et de la déconcentra-
tion ?
Il est difficile de donner un jugement à sens unique.
En réalité le système administratif local marocain se caractérise par l’ambiguïté et la complexité. D’un côté
on remarque que les pouvoirs publics ont privilégié la décentralisation au détriment de la déconcentration
mais en même temps on relève une évolution bien que lente et limitée vers le renforcement de la déconcen-
tration.

3. Évolution historique de la législation relative aux collectivités


locales

Le Maroc a opté pour la décentralisation dès les premières années de l’indépendance, acquise en 1956.
Deux lois sont successivement promulguées : la première, en 1960, est relative à l’organisation communale ;
la seconde, en 1963, est relative à l’organisation préfectorale et provinciale.
La décentralisation étant à ses débuts, le dahir du 23 juin 1960, tout en faisant place à la notion d’auto-
nomie communale, l’a encadrée par de sérieuses limites : une tutelle assez contraignante et une place pré-
pondérante réservée à l’agent d’autorité face au président du conseil communal. Il s’agissait surtout, à cette
époque, de familiariser les populations avec l’institution communale, et donc de décentraliser sans porter
atteinte au pouvoir de l’État.
Le dahir du 12 septembre 1963 relatif à l’organisation provinciale et préfectorale est plus rigoureux. Il

181
donne au gouverneur, représentant de l’État, la qualité d’organe exécutif de l’assemblée provinciale ou pré-
fectorale.
Le 16 juin 1971, une loi est intervenue pour créer 7 régions économiques. Il s’agit de simples circonscrip-
tions administratives sans personnalité juridique, destinées à être un cadre d’études et d’action économique.
En fait, sous l’empire de la loi de 1971, la région a beaucoup plus servi comme cadre de préparation et d’exé-
cution du plan de développement économique et social, et de conception de la politique d’aménagement du
territoire.
Après la Marche Verte et la récupération par le Maroc de ses provinces sahariennes, un nouveau climat
politique est né, marqué par le renforcement de l’unité nationale. Ce qui a conduit à l’évolution du processus
démocratique en général, et de la décentralisation communale en particulier, avec l’idée que les problèmes
vécus par les populations doivent être résolus par leurs représentants élus.
C’est dans ce cadre que le texte de 1960 est abrogé et remplacé le 30 septembre 1976 par une nouvelle
charte communale, qui constitue un pas en avant en la matière. Elle fait du président du conseil communal
l’organe exécutif de la commune et opère à son profit un large transfert des pouvoirs de police administra-
tive, auparavant exclusivement détenus par les représentants locaux de l’administration centrale.
Avec la réforme constitutionnelle de 1992, un nouveau pas est franchi : la région devient une collectivité
locale. La loi qui fixe son organisation et ses attributions est intervenue le 2 avril 1997. Elle opère un subtil
équilibre entre le gouverneur, autorité exécutive de la région et le président du conseil régional. Mais, sur-
tout, elle donne à la région une vocation essentiellement économique, suite à une nouvelle conception de la
répartition des compétences entre les différentes collectivités publiques.
Enfin, et dans le cadre de cette même conception, deux nouvelles lois viennent remplacer, le 3 octobre
2002, celle de 1963 relative à la province et la préfecture et celle de 1976 sur l’organisation communale.
La nouvelle charte communale de 2002, mieux rédigée et plus détaillée, élargit les attributions des
conseils communaux, établit un statut des élus et institue un statut spécial pour les grandes agglomérations
urbaines. Quant la nouvelle loi sur les provinces et les préfectures, et tout en gardant au gouverneur la qualité
d’autorité exécutive, pose également un statut des élus et précise les attributions des assemblées élues.
L’ensemble de la réforme constitue une avancée importante de la décentralisation territoriale.
De cette brève évolution historique, il apparaît que la décentralisation a constitué pour les pouvoirs publics
marocains, dès le début, un choix stratégique. Ce choix a été progressivement renforcé, parallèlement au
renforcement du régime représentatif national, dont l’aboutissement a été l’institution d’une seconde
chambre au parlement, dans laquelle les collectivités locales sont largement représentées par la voie du scru-
tin indirect. L’ensemble de ces efforts tend à la réalisation d’un objectif majeur, l’affermissement du système
démocratique.
Le processus de décentralisation au Maroc a été marqué par l’émergence d’une nouvelle conception du
rôle de l’État, visant à décharger le pouvoir central de deux manières : le désengagement de l’État de l’écono-
mie au profit de l’initiative privée pour toutes les activités considérées comme « privatisables » – politique
des privatisations déjà entamée et toujours en cours – d’une part ; une nouvelle répartition des tâches de
développement économique et social entre les différentes collectivités publiques, basée sur la coopération
et le partenariat, d’autre part. Pour ce dernier point, et dans le cadre d’une problématique centrale axée sur
les moyens institutionnels à même de permettre la réalisation du développement économique, la question
s’est posée de savoir comment faire participer de manière efficace les collectivités territoriales au développe-
ment économique. Les pouvoirs publics ont opté pour la régionalisation.
C’est ainsi que l’on peut distinguer dans ce processus entre deux phases différentes, avec pour chacune
des objectifs précis assignés à la décentralisation. La première phase est celle de l’apprentissage de la démo-
cratie locale, avec deux échelons de décentralisation : communal et provincial ou préfectoral ; elle se situe
entre 1960 et 1997. La seconde est celle de l’utilisation de la décentralisation comme moyen de développe-

182
ment économique et social, avec la création de la région comme troisième échelon territorial, qui fonctionne
depuis 1997, date de l’élection des premiers conseils régionaux. La région est considérée comme le niveau
territorial le plus important, non pas uniquement de la décentralisation, mais également de la déconcentration
administrative. C’est à partir de ces considérations qu’on peut analyser le contenu, la portée et les perspec-
tives de la décentralisation territoriale au Maroc.
Le développement de la décentralisation a été accompagné par une politique de déconcentration adminis-
trative. Certes, et malgré la volonté maintes fois réitérée par les pouvoirs publics, la déconcentration est peu
développée au Maroc.
Théoriquement, la déconcentration est une technique d’aménagement de l’exercice du pouvoir administra-
tif appliqué particulièrement au sein de l’État. Elle consiste de la part des autorités placées à la tête de l’admi-
nistration (autorités centrales) à transférer une partie du pouvoir de décision à des autorités hiérarchiquement
inférieures (organes locaux). Ce transfert consiste en une délégation de pouvoirs, opérée soit par textes
législatifs, soit par des actes réglementaires.
La déconcentration à l’avantage de rapprocher l’administration des administrés et de désencombrer le pou-
voir central pour certaines affaires. Elle a également pour avantage de permettre aux organes décentralisés
d’avoir sur place des interlocuteurs habilités à les aider dans l’accomplissement de leurs tâches. C’est à ce
titre que la déconcentration est considérée comme le corollaire de la décentralisation.

Au Maroc, l’évolution de la politique de la déconcentration est marquée par deux étapes principales :
– Suite à une lettre royale au ministre de l’intérieur, relative à la décentralisation et la déconcentration, trois
séries de mesures ont été prises. En premier lieu, la création auprès des gouverneurs d’un comité tech-
nique provincial ou préfectoral destiné à renforcer le rôle de coordination du gouverneur de l’action des
services locaux de l’État dans la province ou la préfecture (Dahir du 6 octobre 1993 modifiant le dahir du
15 février 1977 relatif aux attributions du gouverneur). En second lieu, compétence est donnée aux
ministres de déléguer aux gouverneurs la signature ou le visa de tous les actes concernant les activités
de leurs services extérieurs (Dahir du 6 octobre 1993 complétant le dahir du 10 avril 1957 relatif aux
délégations de signature des ministres, secrétaires d’État et sous-secrétaires d’État). Enfin, et pour la
première fois, un texte général est édicté : c’est le décret du 20 octobre 1993 relatif à la déconcentration
administrative. Ce décret fixe les principes généraux de la répartition des attributions et des moyens
entre les services centraux et les services extérieurs. Il crée également une commission permanente de
la déconcentration. Présidée par le Premier ministre, cette commission est chargée de proposer la poli-
tique gouvernementale en matière de déconcentration et assurer le suivi de l’exécution de cette poli-
tique.
L’ensemble de ces mesures n’ayant pas donné les résultats escomptés, une autre initiative importante a
été prise récemment par S.M. le Roi.
– Il s’agit de la lettre royale du 9 janvier 2002 relative à la gestion déconcentrée des investissements,
adressée au Premier ministre. Elle comporte la décision de créer, sous la responsabilité des walis de
région, des centres régionaux d’investissement, ayant deux fonctions essentielles (chacune corres-
pondent à un guichet) : l’aide à la création d’entreprises et l’aide aux investisseurs. La seconde décision
est relative au transfert des pouvoirs nécessaires de la part des ministres aux walis des régions pour
conclure ou étudier au nom de l’État des actes liés au secteur économique (dont la liste est donnée par
la lettre). Enfin, la lettre prévoit le transfert au profit des walis d’une partie du pouvoir de tutelle pour
approuver certains actes des collectivités locales.

En application de ces instructions, plusieurs centres d’investissements ont été créés et des textes régle-
mentaires de délégation de pouvoirs ont également été pris.

183
I. Le cadre juridique actuel de la centralisation

Nous examinerons successivement la commune, la préfecture ou province et enfin la région.

1. La commune

Les principaux apports de la nouvelle charte communale (loi du 3 octobre 2002) consistent en quatre séries
de mesures : l’amélioration du fonctionnement des organes communaux, l’élargissement des compétences,
l’instauration d’un statut de l’élu et le retour à l’unité de la ville.

1.1. L’amélioration du fonctionnement des organes communaux

Les améliorations introduites à ce niveau concernant des domaines divers et visent à assurer un meilleur
rendement des organes communaux, une rationalisation du travail administratif ainsi qu’une meilleure stabi-
lité de l’exécutif communal.

1.1.1. Le renforcement du rendement des organes communaux


Désormais, les fonctions de président de conseil communal sont devenues incompatibles avec celles de
président de l’assemblée provinciale ou préfectorale ou de président de conseil régional. En outre, ne
peuvent être élus président ni en exercer temporairement les fonctions, les membres du conseil communal
ne justifiant pas au moins d’un niveau d’instruction équivalent à celui de la fin des études primaires. Enfin, les
membres du conseil communal élisant résidence à l’étranger, du fait de leurs fonctions publiques ou de
l’exercice de leurs activités privées, ne peuvent être élus présidents ou adjoints. De même, le secrétaire et
son adjoint, et le rapporteur et son adjoint, doivent au moins savoir lire et écrire.

1.1.2. La rationalisation du travail administratif


Elle concerne essentiellement ce qui suit :
– La délégation par le président du conseil d’une partie de ses fonctions ne peut plus être accordée qu’à
ses adjoints, et au secrétaire général de la commune pour les actes de gestion administrative interne (Il
s’agit d’éviter les délégations abusives.) ;
– Les droits de la minorité sont précisés et entourés de garanties. Ainsi, tout conseiller ou groupe de
conseillers peut proposer par écrit au président l’inscription à l’ordre du jour des sessions de toute ques-
tion entrant dans les attributions du conseil. Le refus d’inscription de toute question ainsi proposée doit
être motivé et notifié sans délai aux parties intéressées ;
– La tenue et la conservation des procès-verbaux des séances sont également minutieusement régle-
mentées ; le président en est personnellement responsable.
– Enfin, les commissions sont présidées par un président, élu par ses membres du conseil au scrutin
secret à la majorité relative. Cette règle n’existe pas dans le texte actuel.

184
1.1.3. La stabilité de l’exécutif communal
Dans ce cadre, des solutions sont posées en cas de rejet du compte administratif : la délibération portant
rejet doit être motivée et si, après un nouvel examen, le conseil maintient sa décision, l’autorité de tutelle sai-
sit la cour régionale des comptes qui statue sur la question dans un délai de deux mois. La condition de la
motivation vise à éviter que le moment du vote du compte administratif ne devienne un moyen de chantage
à l’encontre du président
Cette stabilité est également assurée par la suppression des dispositions de l’article 7, figurant dans la
charte de 1976. Désormais, le président est élu pour toute la durée du conseil communal. Les pressions des
conseillers sur le président ne sont plus possibles.

1.2. L’élargissement des compétences et ses limites

Nous examinerons successivement les compétences des conseils, puis celles des présidents.

1.2.1. Les compétences des conseils communaux


C’est par analogie avec la loi sur la région que la charte communale a fixé les compétences des conseils
communaux, en trois catégories : les compétences propres, les compétences transférables (c’est-à-dire qui
peuvent être transférées par l’État) et les compétences consultatives.

Nous nous intéresserons ici aux compétences propres, en raison des observations d’ordre théorique et
pratique qu’elles soulèvent. Ces compétences concernent sept domaines, classés en rubriques comprenant
à leur tour plusieurs chefs de compétences. Il s’agit des domaines suivants :
– le développement économique et social ;
– les finances, la fiscalité et les biens communaux ;
– l’urbanisme et l’aménagement du territoire ;
– les services publics locaux et les équipements collectifs ;
– l’hygiène, la salubrité et l’environnement ;
– les équipements et action socioculturels ;
– et enfin la coopération et le partenariat.

Sans entrer dans le détail des articles de la loi, on peut dire que leur contenu comprend plus de cinquante
types de décisions ou mesures couvrant presque la totalité des matières pour lesquelles ont peut imaginer
une intervention communale.

1.2.2. Les attributions du président du conseil communal


Il s’agit en particulier des attributions du président du conseil communal en matière de police administra-
tive. C’est ainsi que la charte communale opère une meilleure présentation et une définition plus claire de
ces attributions par rapport à celles de l’autorité locale, ainsi qu’un élargissement certain, couvrant tous les
domaines de la tranquillité, de la salubrité et de l’hygiène publiques, introduisant aussi des domaines nou-
veaux comme la protection de l’environnement.

185
D’autre part, la nouvelle charte communale a confirmé les acquis de la charte de 1976. Le président du
conseil communal est à la fois l’organe exécutif de la commune collectivité locale et agent de l’État au niveau
de la commune. Il exécute les délibérations du conseil, gère et administre les biens de la commune, dirige
les services communaux. Il est le chef hiérarchique du personnel communal et nomme à tous les emplois
communaux. En sa qualité d’agent de l’État, il préside la commission administrative des élections et établit à
ce titre les listes électorales générales (art. 8 de la loi du 2 avril 1997 formant code électoral). Il est également
officier d’état civil. Il procède à la légalisation des signatures et à la certification de la conformité des copies à
leurs originaux. Enfin, il est chargé d’appliquer certaines législations à caractère national comme celles en
matière d’urbanisme où il est habilité à délivrer les permis de construire et les autorisations de lotir, par
exemple.

1.3. L’instauration d’un statut de l’élu

Il faut reconnaître que les dispositions relatives au statut de l’élu constituent l’un des plus importants
apports de la nouvelle charte communale. En effet, pour la première fois, sont réunies sous un même titre
les droits, les obligations et les situations juridiques que l’élu peut occuper depuis le début jusqu’à la fin de sa
fonction de conseiller. Les principales règles de ce statut concernent quatre domaines.

1.3.1. Les autorisations d’absence et les garanties accordées aux élus salariés dans
leur activité professionnelle

Les fonctionnaires et les salariés du secteur privé exerçant un mandat public communal bénéficient de
plein droit de congés exceptionnels ou permissions d’absence pour participer aux séances plénières du
conseil ou des commissions permanentes qui en dépendent. De plus, les fonctionnaires élus présidents des
conseils communaux peuvent bénéficier, de la priorité ou de facilités de mutation pour se rapprocher du
siège de leur commune. Ils bénéficient, en outre, de plein droit d’un congé exceptionnel ou permission
d’absence d’une journée ou de deux demi-journées par semaine, à plein traitement.

1.3.2. Les indemnités allouées aux titulaires de certaines fonctions communales

La gratuité des fonctions de conseiller est la règle, avec des exceptions en faveur de certains membres du
conseil. C’est ainsi que le président, les adjoints, le rapporteur du budget et le secrétaire du conseil bénéfi-
cient d’indemnités de fonction, de représentation et de déplacement. La nouveauté par rapport au texte
ancien est l’octroi des mêmes indemnités au rapporteur et au secrétaire, qui ne sont toujours pas considérés
comme membres du bureau. Les autres membres du conseil perçoivent des indemnités de déplacement
lorsqu’ils effectuent des missions pour le compte de la commune à l’intérieur ou à l’extérieur du Royaume.

1.3.3. La responsabilité pénale de l’élu


La charte communale a prévu deux types d’infractions mettant en cause l’intérêt personnel de l’élu et qui
traduisent le souci du législateur d’améliorer la transparence financière et administrative. Il s’agit :

186
Du délit d’ingérence : prévu par l’article 22 de la charte qui interdit, à peine de révocation et sans préju-
dice de poursuites judiciaires, à tout conseiller communal d’entretenir des intérêts privés avec la commune
dont il est membre.

Du délit d’exercice de fait de fonctions réglementées, prévu par l’article 23 de la charte, dans des
termes plus sévères : interdiction formelle est faite aux conseillers communaux, en dehors des présidents et
des adjoints, d’exercer au-delà de leur rôle délibérant au sein du conseil ou des commissions qui en
dépendent, des fonctions administratives de la commune.
Dans les deux hypothèses, des sanctions administratives sont prévues, sans préjudice des poursuites judi-
ciaires devant le juge compétent.
Les dispositions de l’article 23 mettent fin à une pratique qui était considérée comme légale, et qui per-
mettait aux conseillers d’intervenir dans le fonctionnement des services administratifs pour des objectifs qui
ne correspondent pas toujours à l’intérêt général. Cette règle est édictée parallèlement avec celle prévue
dans l’article 55 qui permet la délégation par le président de ses pouvoirs uniquement au profit des adjoints.
C’est une règle importante dans la mesure où elle fixe pour la première fois des limites aux conseillers, met
fin à l’usage abusif de leur pouvoir et évite les tensions qui résultent du rapport entre les conseillers et les
services administratifs.

1.3.4. La protection civile et pénale de l’élu


La protection civile de l’élu est désormais expressément prévue, bien qu’elle pouvait être déduite aupara-
vant de la jurisprudence administrative. Les communes sont responsables des dommages subis par les
membres des conseils communaux lorsqu’ils sont victimes d’accidents survenus à l’occasion des sessions
des conseils, des réunions des commissions dont ils sont membres ou de missions effectuées pour le
compte de la commune.
Cependant, la protection pénale de l’élu est indirectement prévue par le code pénal qui protège, dans ses
articles 263 et suivants, les fonctionnaires et les dépositaires de l’autorité publique (y compris les élus en
vertu de l’article 224 du Code pénal) contre les outrages, violences ou voies de fait, et prévoit les sanctions
applicables.

1.4. Le retour à l’unité de la ville : le régime particulier des communes


urbaines de plus de 500.000 habitants

Parmi les nouveaux apports de la charte communale, on trouve les dispositions particulières aux com-
munes urbaines de plus de 500.000 habitants.
Tout d’abord, il est mis fin à l’organisation des agglomérations urbaines en deux ou plusieurs communes
urbaines et en communauté urbaine. Ensuite, toute commune urbaine dont le nombre d’habitants dépasse
les 500.000 habitants, sera soumise en plus du droit commun, à des dispositions particulières édictées éga-
lement par la charte. Concrètement, ces communes seront gérées par un conseil communal et par des
conseils élus au niveau d’arrondissements dépourvus de la personnalité juridique, mais dotés d’une auto-
nomie administrative et financière.
Il est clair que la charte opère un retour à l’unité des villes qui avaient été découpées auparavant en plu-
sieurs communes, puis regroupées en communautés urbaines, établissements publics territoriaux chargées
d’exercer des compétences limitées. La consécration de la réunification des villes est une conséquence de
l’échec du système appliqué dont les objectifs n’ont pas été atteints.

187
En effet, dans les années 1990 notamment, la division des principales villes marocaines avait été justifiée
par l’idée de rapprocher l’administration des administrés. En réalité, il s’agissait d’une politique sécuritaire
visant un meilleur contrôle du territoire. En pratique, cela a porté atteinte de manière inacceptable au prestige
de villes importantes comme Fès, Meknès ou Marrakech par exemple, avec en outre la création de com-
munes portant des dénominations sans aucun fond historique. De plus, la multiplication des communes dans
une même ville a entraîné un véritable déséquilibre entre elles, tant du point de vue financier que du point de
vue des ressources humaines ou foncières. Cela a entraîné également une augmentation des dépenses de
fonctionnement au détriment des dépenses d’investissement. De même, les communautés urbaines n’ont
pu réaliser convenablement les tâches qui leur incombaient, et souvent elles entraient en contradiction avec
les communes qui en dépendaient en raison des nombreux conflits de compétences.
De ce point de vue, la suppression des communautés urbaines et la réunification des villes marocaines
constituent un simple retour à la situation précédente. La seule nouveauté réside dans le statut particulier
des grandes agglomérations, statut sur lequel on ne peut porter actuellement de jugement, mais dont on
peut dire que c’est un système compliqué, qui exige du temps pour être bien assimilé de la part de la popula-
tion et des acteurs politiques.
Les grandes agglomérations seront gérées par un conseil communal élu dans les conditions du droit com-
mun au niveau de l’ensemble de la commune qui bénéficie seule de la personnalité morale, qui sera en outre
divisée en arrondissements, simples circonscriptions administratives.
D’autre part, au niveau de chaque arrondissement est élu un conseil dont le président est choisi parmi les
membres du conseil communal élus au niveau de l’arrondissement. Il existe ainsi un lien organique entre le
conseil communal et le conseil d’arrondissement, qui permet au premier de contrôler le second.
Il existe également un rapport fonctionnel entre les deux conseils, dans la mesure où le conseil d’arron-
dissement exerce les compétences qui lui sont attribuées pour le compte et sous le contrôle et la responsa-
bilité du conseil communal. Un mécanisme de répartition des compétences est prévu, ainsi qu’une
répartition des biens et des ressources humaines et financières avec une primauté établie au profit du
conseil communal.

2. La province

Elle est actuellement organisée par la loi no 79.00 du 3 octobre 2002.

2.1. Caractéristiques générales de l’organisation provinciale

Le législateur n’a pas choisi un système avancé en matière de décentralisation provinciale, et ce malgré
l’expérience passée qui date de 1963. Le régime juridique de la province est moins avancé que celui de la
commune. Il s’en distingue à trois égards :

2.1.1. Le conseil provincial est élu au suffrage indirect, et non pas direct comme c’est le cas
pour le conseil communal. Il permet cependant la représentation de deux catégories de membres élus pour
six ans :

188
– des membres élus en son sein par un collège électoral composé des conseillers communaux de la pro-
vince ou la préfecture ;
– des membres élus en leur sein par les membres des chambres professionnelles (chambre de com-
merce, d’industrie et des services, chambre d’agriculture, chambre d’artisanat, chambre des pêches
maritimes.

2.1.2 La loi donne un rôle central au gouverneur, représentant de l’État, en faisant de lui l’autorité
exécutive de la province.
Le fondement du dédoublement fonctionnel dont jouit le gouverneur trouve son fondement dans la consti-
tution (art.101 et 102 déjà cités).
En tant qu’organe exécutif de la province, le gouverneur exécute le budget, fixe les taux des taxes et rede-
vances, conclut les contrats et les marchés, gère le domaine provincial.

2.2. Les nouveautés introduites par la charte provinciale

2.2.1. Le renforcement relatif de la place du président du conseil provincial


Il a un rôle très réduit. Il préside le conseil et représente la province dans tous les actes de la vie civile,
administrative et judiciaire.
La nouveauté réside dans le fait qu’il est aidé dans ses fonctions par un chef de cabinet et deux chargés
d’études recrutés par arrêté du président visé par le gouverneur. En effet, la province, en tant que collectivité
locale, ne dispose pas d’un corps de fonctionnaires particuliers. C’est pour cela que le législateur permet au
président du conseil de se faire aider dans l’exercice de ses attributions, par les services de l’État au niveau
provincial, par l’intermédiaire du gouverneur.

2.2.2. L’institution d’un statut de l’élu


La nouvelle charte provinciale établit pour la première un statut des élus qui fixe leurs droits et leurs obliga-
tions (indemnités, autorisations d’absence pour participer aux travaux du conseil, protection civile et pénale
des élus, responsabilité pénale en cas de délit d’ingérence, règles relatives à la démission volontaire ou
d’office). Ce même statut tend à rationaliser la gestion provinciale en rendant la fonction de président de
conseil régional incompatible avec celle de président de conseil communal ou régional.

2.2.3. La clarification des attributions du conseil provincial


La nouvelle charte provinciale opère un classement des attributions du conseil provincial pour les rendre
plus claires. Le conseil provincial exerce des attributions propres et des attributions qui peuvent être trans-
férées par l’État (création de collèges et lycées, d’hôpitaux et centres de santé, formation des agents des col-
lectivités locales et des élus).
Les attributions propres sont les plus importantes et concernent, à titre indicatif, les matières suivantes : le
vote du budget et du programme d’équipement, la promotion des investissements, de l’emploi, de la culture,
du sport et de l’action sociale, la création et la gestion des services publics, la création des entreprises
d’économie mixte, la gestion des biens de la province...

189
3. La région

Organisée par la loi du 2 avril 1997, la région est surtout considérée comme un « espace de développe-
ment économique et social » (exposé des motifs de la loi).
La délimitation de la région a pour finalité la constitution d’un ensemble homogène et intégré. Elle doit
répondre au souci de cohésion des composantes territoriales de la région, compte tenu des potentialités et
des spécificités économiques, sociales et humaines desdites composantes, de leur complémentarité et de
leur continuité géographique.
La région dispose d’un organe délibérant (le conseil régional), et est conjointement dirigée par le président
du conseil régional et par le gouverneur du chef-lieu de région qui en est l’organe exécutif.

3.1. Organisation du conseil régional

Le conseil régional est composé de représentants des collectivités locales, des chambres professionnelles
et des salariés élus au suffrage indirect pour une durée de six ans. Il comprend également les membres du
parlement élus dans le cadre de la région ainsi que les présidents des conseils provinciaux et préfectoraux
situés dans la région, qui assistant à ses réunions avec voix consultative.
Le conseil régional élit parmi ses membres, pour un mandat de trois ans renouvelable, un président et plu-
sieurs vice-présidents qui forment le bureau dudit conseil. La composition, le fonctionnement et les attribu-
tions des commissions permanentes sont fixés par le règlement intérieur du conseil régional.

3.2. Attributions du conseil régional

Le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région, et, à cet effet, décide des mesures
à prendre pour lui assurer son plein développement économique, social et culturel, et ce, dans le respect des
attributions dévolues aux autres collectivités locales.
Il exerce des compétences propres et des compétences qui lui sont transférées par l’État. Ces dernières
intéressent la réalisation d’hôpitaux, de lycées et d’établissements universitaires, la formation des agents et
cadres des collectivités locales, les équipements d’intérêt régional.
Les principales attributions propres du conseil régional sont les suivantes : le vote du budget, la fixation
des tarifs des taxes et redevances diverses, l’élaboration du plan de développement économique régional et
l’aménagement régional.
Ensuite, le conseil régional est habilité à engager toute action nécessaire à la promotion des investisse-
ments privés, de l’emploi, des activités socioculturelles et de solidarité sociale. Il est également compétent
pour proposer la création et les modes de gestion des services publics régionaux.

3.3. Les compétences du président du conseil régional

Le président préside le conseil régional. Il représente le conseil régional au sein des établissements publics
à vocation régionale. La région, collectivité locale, ne dispose pas d’un corps de fonctionnaires propres. Pour
se faire aider, le président nomme le secrétaire général de la région, des chargés d’études et des chargés de

190
mission (dont le nombre est fixé conjointement avec le gouverneur) par décision visée par le gouverneur du
chef – lieu de la région.

3.4. Les attributions du gouverneur du chef-lieu de région (Wali de la


région)

Le wali de la région exécute les délibérations du conseil régional. À ce titre, il procède à la conclusion des
divers contrats et marchés publics, exécute le budget et établit le compte administratif et fixe les taux des
taxes, redevances et droits divers. En outre, le wali de la région représente la collectivité régionale en justice.
Par ailleurs, la loi prévoit des procédures permettant au conseil régional d’être informé et de contrôler les
mesures d’exécution, prises par le wali de la région.

II. Décentralisation et développement

La relation entre décentralisation et développement repose sur de grands piliers et concerne des secteurs
déterminés.

1. Les grands piliers

Ils sont au nombre de quatre : le nouveau concept de l’autorité, les principes de la gouvernance locale, les
tribunaux administratifs et les cours régionales des comptes.

1.1. Le nouveau concept de l’autorité

Le nouveau concept de l’autorité a été annoncé et exposé dans ses grandes lignes par Sa Majesté le Roi
Mohamed VI dans un discours prononcé le 12 octobre 1999 devant les responsables des régions, wilayas,
préfectures et provinces du Royaume.
Sa Majesté a précisé notamment que « La responsabilité de l’autorité dans les divers domaines de ses
compétences consiste à assurer la protection des libertés, à préserver les droits, à veiller à l’accomplisse-
ment des devoirs et à réunir les conditions nécessaires qu’exige l’État de droit et ce à la lumière des choix
pour lesquels Nous avons opté, à savoir la monarchie constitutionnelle, le multipartisme, le libéralisme
économique et les obligations sociales tels que consacrés par la constitution et concrétisés dans la pratique.
Nous voudrions, à cette occasion, expliciter un nouveau concept de l’autorité et de ce qui s’y rapporte, un
concept fondé sur la protection des services publics, des affaires locales, des libertés individuelles et collec-
tives, sur la préservation de la sécurité et de la stabilité, la gestion du fait local et le maintien de la paix
sociale. Cette responsabilité ne saurait être assumée à l’intérieur des bureaux administratifs qui doivent au

191
demeurant rester ouverts aux citoyens, mais exige un contact direct avec eux et un traitement sur le terrain
de leurs problèmes, en les associant à la recherche des solutions appropriées ».
Le nouveau concept de l’autorité est une « nouvelle culture » du service public, une promotion originale
des droits de l’Homme, une nouvelle déontologie de tous les acteurs de la sphère publique.
Le nouveau concept de l’autorité met sur le pied d’égalité les droits et les libertés individuelles et collec-
tives et les droits des collectivités locales. Le respect de la décentralisation et des libertés locales est l’un
des fondements de la nouvelle conception de l’autorité. Il s’agit là de l’une des grandes originalités qui mérite
d’être relevée.
Cette particularité s’explique d’abord par le facteur constitutionnel. Selon l’article 19 de la constitution le
Roi est considéré comme le protecteur non seulement des droits et libertés des citoyens et des groupes
sociaux mais aussi des collectivités.
Par ailleurs, on ne doit pas oublier que la décentralisation administrative et les libertés locales qu’elle
implique sont consacrées et garanties par la constitution au même titre que les droits et libertés des
citoyens. Les collectivités locales bénéficient sur le plan constitutionnel d’une triple garantie : un garantie
d’existence puisque c’est la constitution qui fonde leur droit à l’existence, une garantie de l’autonomie locale
dans la mesure où l’alinéa 1 de l’article 101 précise que les collectivités locales « élisent des assemblées
chargées de gérer démocratiquement leurs affaires... », une garantie d’une autonomie politique puisque la
constitution leur reconnaît une représentation particulière au sein du Parlement.
En outre sur le plan administratif, les collectivités locales sont considérées par toutes les lois de décentrali-
sation comme des personnes juridiques au même titre que les citoyens pris individuellement comme per-
sonnes physiques. Elles jouissent des droits qui appellent la même protection que celle réservée aux droits
et libertés des citoyens.
La protection des affaires locales est complémentaire de celle qui concerne les droits individuels et collec-
tifs. Les citoyens ont beaucoup de droits à faire prévaloir vis-à-vis des autorités locales. La décentralisation
administrative est une démocratie de proximité. Elle vise la protection de droits concrets : salubrité, sécurité,
ordre, voirie, environnement, action sociale...
La reconnaissance par le nouveau concept de l’autorité des droits et libertés des collectivités locales
implique deux tendances complémentaires ou deux significations implicites. Positivement, on peut dire que
la protection des affaires locales devrait être assurée à un double niveau.
Il s’agit d’abord du rapport État-collectivités locales. Ces dernières ont trop souffert de la centralisation
excessive de l’État matérialisée par l’exercice de la tutelle de l’opportunité. Le législateur marocain prévoit en
effet l’utilisation par le pouvoir central de l’approbation préalable à tous les niveaux territoriaux de décentrali-
sation. En associant le pouvoir central au processus décisionnel local, l’approbation préalable aboutit à une
véritable codécision. Par ailleurs les collectivités locales ne maîtrisent pas leurs ressources. Enfin, en raison
de la faiblesse de la capacité institutionnelle des communes, ces dernières ne disposent pas des moyens
nécessaires pour l’exécution de leurs décisions. Elles doivent toujours recourir aux représentants de l’État.
Le nouveau concept de l’autorité implique logiquement la suppression ou du moins un allègement substan-
tiel et significatif de la tutelle de l’opportunité. Il signifie également et surtout que les collectivités locales
doivent bénéficier d’une grande autonomie administrative et financière, étant entendu que cette autonomie
doit être effective.
Le nouveau concept de l’autorité devrait entraîner, et il s’agit ici du revers de la médaille, un renforcement
des compétences des collectivités locales et par conséquent un accroissement de leurs responsabilités.
Le nouveau concept de l’autorité semble comporter dans sa logique interne une nouvelle conception de
l’État basée sur le principe de subsidiarité. La construction de l’État se ferait de la base au sommet. L’État ne
pourrait intervenir dans le futur que sur la base des défaillances et des insuffisances des collectivités locales

192
et de la société civile ; mais cette façon de voir ne signifie pas la démission de l’État au niveau local. Tout au
contraire, la sphère locale est appelée de plus en plus à devenir le cadre privilégié de l’action de l’État.
Le nouveau concept de l’autorité aboutit finalement à consolider la décentralisation en raison des avan-
tages qu’elle présente : fragmentation du pouvoir de décision, renforcement de la capacité d’initiative des
gestionnaires locaux, développement de la responsabilité des élus vis-à-vis des électeurs, épanouissement
des initiatives économiques locales, possibilité d’action plus grande de la société civile...
La protection efficace des affaires locales implique donc une réforme d’ensemble. C’est dans ce sens que
l’on peut comprendre le discours royal du 12 octobre 1999 dans lequel Sa Majesté le Roi Mohamed VI pré-
cise que « si Notre choix porté sur la décentralisation est inébranlable, et pour conférer à celle-ci une dimen-
sion nouvelle, Nous ordonnons à Notre gouvernement de soumettre à Notre appréciation un projet de loi
amendé permettant d’adapter le régime communal aux innovations de la vie locale et ce à la lumière des
recommandations du 7è colloque national qui ont reçu l’approbation de Notre vénéré père, que Dieu bénisse
Son âme ».

1.2. Les principes de la gouvernance locale

1.2.1. Définition des principes


La gouvernance se base d’abord sur l’approche territoriale.
On peut dire que le 21è siècle sera le siècle des territoires, des collectivités locales, des villes, de l’espace
local... Le local constitue désormais la pierre angulaire de la gouvernance.
On peut constater cette orientation pour le cas du Maroc qui connaît depuis le début des années 90 un
développement économique remorqué par des dynamiques territoriales. Il en est ainsi des grandes villes
comme Casablanca, Tanger, Laâyoune, Marrakech, Fès. Il en est de même des régions qui constituent des
pôles de développement économique et social.
Les politiques publiques sont de plus en plus saisies et élaborées dans le cadre d’une référence territoriale.
Les différents textes de décentralisation adoptés depuis 1960 confirment cette constatation.
L’approche territoriale dans la gestion des zones défavorisées se justifie aisément. La complexité de la réa-
lité qui nécessité la prise en considération des interrelations impose des réponses intégrées. Or celles-ci ne
peuvent être basées que sur la prise en compte des rapports des sociétés humaines avec leur environne-
ment.
L’approche territoriale devient incontournable pour deux raisons essentielles. Tout d’abord le local consti-
tue un niveau adéquat qui permet au gestionnaire d’évaluer les échanges entre la société humaine et son
environnement. En deuxième lieu, toutes les données qui paraissent théoriques et abstraites sur le plan
national comme « l’empreinte écologique », « le rapport entre le social et l’économique »,« la responsabi-
lité »« la citoyenneté » deviennent sur le plan local plus visibles parce que plus concrets et tangibles.
Le principe de la subsidiarité active est une partie intégrante de la primauté de l’approche territoriale. Selon
ce principe chaque niveau territorial ou chaque espace local est appelé à élaborer des réponses spécifiques à
des problèmes communs. Cette règle implique donc la collaboration nécessaire entre le centre et la péri-
phérie. Les problèmes épineux relatifs à l’éducation, la santé, l’eau, l’énergie, l’environnement, l’aménage-
ment du territoire, la cohésion sociale ne peuvent être correctement pris en charge que dans le cadre d’une
mobilisation des relations entre les différents niveaux territoriaux et les divers niveaux de gouvernance. Par
voie de conséquence la primauté de l’approche territoriale n’implique aucunement une quelconque auto-

193
nomie des territoires. Chaque espace est une partie intégrante du territoire national, mais chaque espace est
« confie » à une société sous condition de bonne gestion.
Deux grandes idées dominent le principe de subsidiarité.
Les différents niveaux de gouvernance assument une responsabilité commune. En ce sens l’importance
devrait être accordée non seulement à la manière dont chaque acteur exerce ses attributions mais aussi et
surtout à la façon dont les niveaux de gouvernance coopèrent entre eux. Chaque espace territorial doit par ail-
leurs élaborer les solutions particulières aux principes directeurs déterminés collectivement dans la mesure
où les collectivités et les sociétés affrontent des défis communs mais les réponses les plus adéquates sont
dans tous les cas spécifiques en raison de la diversité du local.
Le troisième principe est constitué par l’organisation des coopérations et des synergies entre les différents
acteurs. La gouvernance est de nature à donner un sens collectif à la communauté. Ce sont les pouvoirs
publics évidemment qui sont en mesure de susciter et d’organiser les dialogues et les collaborations entre
les acteurs de l’action locale.
Cette capacité de l’État à organiser les synergies conditionne largement la conduite rationnelle du déve-
loppement économique autour des projets communs. Ceci est plus évident sur le plan local car personne ne
peut contester les initiatives d’un président de région ou de commune qui voudraient réunir les différents
acteurs locaux.
L’organisation des coopérations des synergies et des partenariats nécessite toutefois un changement des
mentalités des gouvernants et des agents publics et une modification des procédures.
Le changement culturel dans les comportements se justifie par le fait que les pouvoirs publics croyant
détenir le monopole de l’intérêt général ont tendance à se situer au-dessus de la société dont ils sont pour-
tant issus. La coopération et le partenariat supposent l’idée d’égalité dans le langage et les catégories men-
tales, l’absence de contrainte et de procédures imposées. Ceci est particulièrement évident quand les
pouvoirs publics veulent dialoguer avec les représentants des zones défavorisées et avec la catégorie margi-
nalisée économiquement et socialement dont les catégories les plus éloignées du pouvoir et de ses codes.
La capacité à organiser et mobiliser les différents acteurs exige également un changement des procé-
dures.
Les procédures devraient être assouplies pour renfoncer la liberté d’adaptation des agents publics afin
qu’ils n’imposent pas à l’avance les modalités du dialogue. Le dialogue implique l’écoute et les influences
mutuelles surtout quand il s’insère dans un partenariat à long terme. Une véritable coopération autour d’un
projet commun nécessite une liberté de négociation et d’initiative des différents partenaires.
Le problème dans le partenariat qui implique par définition des échéances communes est que les pouvoirs
publics et les autres acteurs n’ont pas les mêmes rythmes et les mêmes horizons. Les rythmes des pouvoirs
publics sont déterminés par des procédures : le temps d’instruction des dossiers, le budget annuel, la pro-
grammation pluriannuelle, les échéances électorales... Par contre le rythme de la société relève à la fois de
l’urgence et du long terme. Le partenariat implique la nécessité pour les pouvoirs publics de s’adapter aux
rythmes des partenaires notamment par l’assouplissement des formalités et des procédures.
Ces grands principes de la gouvernance nous permettent de mieux saisir la souplesse et l’efficacité des
techniques de gestion particulièrement utiles dans le cas des zones défavorisées.

1.2.2. Les techniques de gestion


On peut signaler à titre de rappel les modes de gestion classique des services publics et sur lesquels il est
inutile de revenir dans le cadre de cette étude : il s’agit de la régie directe, de la régie dotée de l’autonomie
financière, de la régie intéressée, des établissements publics, de l’affermage, de la gérance, de la conces-
sion...

194
Une mention particulière doit être réservée à la gestion déléguée inscrite pour la première fois dans les
chartes communale et provinciale de 2002. Le concept de gestion déléguée ou délégation de service public
constitue une notion générique en ce sens qu’elle a été inventée par la doctrine pour regrouper l’ensemble
des montages juridico-financiers élaborés par les collectivités locales et les opérateurs privés. En d’autres
termes, la gestion déléguée recouvre à la fois les différentes modes de gestion préexistants comme la
concession, l’affermage, la gérance, la régie intéressée...et les différentes conventions de délégation dont
l’étendue se situe entre un maximum est un minimum.
Ce mode de gestion s’est imposé dans notre droit public en tant que conséquence logique et linéaire des
profondes mutations structurelles et fonctionnelles qui touchent l’ensemble des services publics nationaux
et locaux.
La gestion déléguée est de nature à renforcer le sens entrepreneurial des autorités locales décentralisées
en raison de ses atouts. Elle permet aux collectivités locales de dépasser le choix entre gestion publique et
gestion privée et de se libérer des soucis financiers tout en leur facilitant la maîtrise indirecte de la gestion du
service public. La collectivité locale peut chaque fois qu’elle manque de moyens recourir à des groupes pri-
vés capables de mobiliser une technologie moderne et de grands capitaux. La gestion déléguée est donc une
technique susceptible de contribuer à la création de nouveaux emplois.
Le législateur a procédé également au renforcement de la coopération des collectivités locales avec
comme objectif la consolidation de l’initiative des élus locaux pour la création des projets économiques. Les
communes, les préfectures ou provinces et les régions peuvent conclure entre elles des conventions de coo-
pération ou de partenariat pour la réalisation d’un projet d’intérêt commun ne justifiant pas la création d’une
personne morale de droit public ou privé. Les délibérations relatives à la création ou la participation à un grou-
pement fixent notamment de façon concordante après accord entre les parties associées l’objet, la dénomi-
nation, le siège, la nature ou le montant des apports et la durée du groupement.
On doit relever à cet égard deux dispositions importantes pour la bonne gestion des zones défavorisées. Il
s’agit des facteurs de nature à renforcer la coopération des entités locales favorisées avec des zones défavo-
risées.
En premier lieu le Premier ministre peut décider d’adjoindre d’office pour cause d’utilité publique, par
décret motivé, pris sur proposition du ministre de l’intérieur une ou plusieurs autres collectivités locales à un
groupement constitué ou à constituer, après consultation du ou des conseils élus concernés. Ce décret
détermine, le cas échéant, les conditions de participation du groupement des entités concernées.
En second lieu le législateur précise que les collectivités associées sont représentées au sein du conseil de
groupement au prorata de leur apport et au moins par un délégué pour chacune des entités membres. Il est
clair que le législateur a abandonné le principe de la représentation égalitaire au profit de la règle de la repré-
sentation proportionnelle en fonction des apports de chaque collectivité locale. L’objectif de cette règle est
de lutter contre les réticences des collectivités locales dotées de ressources économiques et financières et
d’éliminer les obstacles juridiques et psychologiques qui inhibaient les initiatives de coopération et des finan-
cements croisés.
Sur le plan régional, le législateur a prévu dans la loi du 2 avril 1997 les comités inter-régionaux de coopéra-
tion dont la structure et le régime juridique ressemblent à ceux des groupements de collectivités locales.
Les chartes de décentralisation ont mis en relief l’importance de l’association et du partenariat avec la
société civile.
Les conseils communaux, préfectoraux ou provinciaux et régionaux peuvent engager toutes les actions de
coopération d’association ou de partenariat de nature à promouvoir le développement économique social et
culturel des collectivités avec l’administration, les autres personnes morales de droit public, les acteurs
économiques et sociaux privés et avec toute autre collectivité ou organisation étrangère. Les conseils élus
examinent et approuvent notamment les conventions de jumelage et de coopération décentralisée. Ils

195
décident de l’adhésion et de la participation aux activités des associations des pouvoirs locaux et de toutes
formes d’échanges avec des collectivités territoriales étrangères après accord de l’autorité de tutelle et dans
le respect des engagements internationaux du Royaume.
La création de centres de prestations publiques regroupées (CPPR) constitue une technique originale de
gestion des zones défavorisées pour améliorer le cadre de vie des citoyens concernées 1. Les expériences
étrangères sont édifiantes à cet égard.
Ces centres se caractérisent par trois traits.
Il s’agit d’abord de regrouper plusieurs services en un lieu unique. L’implantation du centre doit être la plus
proche des zones défavorisées : zones rurales, quartiers périphériques, zones montagneuses ou arides...Il
peut être situé près des services d’une commune, d’une école, d’une coopérative. Le nombre des centres
sera essentiellement fonction de la densité de la population.
Les centres de services publics sont appelés à exercer une compétence polyvalente. Cette polyvalence
nécessite une coopération étroite entre les diverses structures administratives concernées ainsi que l’utilisa-
tion rationnelle de l’ensemble des moyens humains, matériels et financiers dont elles disposent. La diversité
des prestations de service public de ces institutions se matérialise par une gestion globale et particularisée
des problèmes et des besoins.
Le centre peut fournir des prestations administratives comme l’octroi des documents et des auto-
risations... des prestations sociales notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la pré-
voyance sociale...des prestations économiques dans les domaines du commerce, de l’investissement et du
développement en général.
Il est évident que ces centres de prestations publiques regroupées constituent une solution efficace aux
maux qui grèvent la gestion des zones défavorisées comme l’éloignement physique des services publics, le
saupoudrage des structures administratives, la sous-administration des zones arides ou montagneuses, des
quartiers périphériques et des bidonvilles...

1.3. Le rôle des tribunaux administratifs

1.3.1. Le rôle de clarification du droit des collectivités locales


Le développement économique et social implique au préalable que les compétences décentralisées soient
clairement définies et distinctes par rapport aux compétences de l’État. Or, les affaires locales dans le sys-
tème décentralisé marocain se caractérisent par l’imprécision et l’incertitude. Les dispositions qui attribuent
compétence aux organes élus sont d’une remarquable imprécision. Les chartes communales et régionales
affirment que le conseil communal et le conseil régional règlent les affaires locales.
Le cas des affaires régionales est plus problématique. Les compétences régionales présentent cette parti-
cularité d’être à la fois des compétences nationales et locales. Il suffit de revoir la liste des attributions confé-
rées à la région ; il s’agit particulièrement des affaires régionales suivantes : promotion de l’emploi, du sport,
des activités socioculturelles, protection de l’environnement.
Le juge administratif sur la base de recours juridictionnel direct ou à l’occasion de son contrôle sur la tutelle
de l’opportunité devrait en principe préciser les critères de différenciation ; autrement la région risque d’être
transformé en auxiliaire de l’État. Le développement local suppose une liberté d’action des collectivités
locales dans des secteurs clairement délimités.

1. A. Akla, Les centres de prestation publiques regroupées : services publics de proximité REMALD 2003 no 51-52 p.55

196
Par ailleurs, il est souhaitable que le juge administratif nous éclaire sur le sens exact des différentes for-
mules utilisées par le législateur pour conférer les compétences au conseil régional. Selon l’article 7 de la loi,
le conseil régional examine et vote...élabore... fixe ...engage...décide...adopte...veille.... Est ce que ces
expressions signifient pratiquement la même chose ou est ce que cette diversité de formules implique une
intensité variable dans l’exercice des différentes catégories de compétences ?
De même le juge administratif est appelé à clarifier l’une des grandes techniques de promotion du déve-
loppement local : il s’agit du contrat.
En effet les chartes de décentralisation et plus particulièrement la loi relative à l’organisation de la région
prévoient différents procédés qui impliquent des relations de nature contractuelle soit entre l’État et les col-
lectivités locales soit entre ces derniers et les opérateurs privés : il en est ainsi de la personnalité morale et
de l’autonomie financière de la collaboration, de la coopération, de la coordination, des compétences
conjointes comme l’environnement, le sport, l’emploi et la formation professionnelle...
La loi du 3 octobre 2002 portant charte communale met en relief la contractualisation progressive de
l’action locale. Certaines dispositions sont significatives. Ainsi, l’article 36 consacré au développement
économique et social précise que le conseil communal propose les actions à entreprendre en association ou
en partenariat avec l’administration, les collectivités locales ou les organismes publics et décide de la conclu-
sion de tout accord ou convention de coopération ou de partenariat, propres à promouvoir l’équipement et le
développement économique et social avec l’État, les collectivités territoriales, les organismes publics et les
acteurs sociaux.
Les collectivités locales utilisent la technique contractuelle dans le cadre des actions de partenariat, propre
à promouvoir l’équipement et le développement économique et social avec l’État, les collectivités territo-
riales, les organismes publics et les acteurs sociaux.
Les collectivités locales utilisent la technique contractuelle dans le cadre des actions de partenariat. Cepen-
dant cette floraison contractuelle devrait amener le juge administratif à répondre à un certain nombre d’inter-
rogations pour dissiper l’inquiétude et le doute de certains acteurs locaux. En effet, en quoi consiste la nature
de ces contrats ? Quels sont les conséquences de ces accords et les effets de la contractualisation ? Est ce
qu’on est en présence de véritables contrats ?
Il faut noter que certaines conventions conclues entre l’État et les collectivités locales ou entre les collecti-
vités locales et les établissements publics peuvent s’analyser beaucoup plus comme des déclarations
d’intention que comme d’authentiques contrats. Bien plus, certaines conventions s’apparentent à des
compromis politiques susceptibles d’être modifiés à tout instant. Or la relation contractuelle implique l’accep-
tation des parties à la suite d’une négociation où chacun des acteurs défend ses intérêts. Elle suppose égale-
ment des obligations pour ses signataires. La pratique montre néanmoins que les conventions de partenariat
restent parfois lettre morte ou sont appliquées partiellement.
Il est possible de penser que la nature de l’activité politique est plus ou moins allergique à la technique
contractuelle. On peut se demander si les personnes publiques peuvent par contrat lier leur compétence
pour l’avenir en renonçant à modifier ultérieurement leur politique ? Peuvent-elles être condamnées par le
juge si elles n’ont pas respecté leurs engagements contractuels pour des motifs d’opportunité politique ?
On ose espérer que le contentieux administratif local donnerait les solutions les plus adéquates pour favo-
riser encore le développement local.
Parmi les plus récents et les plus originaux ? du développement local, on peut citer la gestion déléguée.
Cette dernière a connu des applications à Casablanca et Fès. La gestion déléguée permet aux collectivités
locales de se retourner vers de grands groupes privés capables de mobiliser une grande technologie et de
grands capitaux à l’occasion de la gestion des services locaux.
Le projet de révision de la charte communale opère une consécration de principe de ce mode de gestion
des services publics et infrastructure de base. Il affirme que le Conseil Communal décide de la création et de

197
l’organisation des services publics communaux et de leur gestion soit par voie de régie directe, de création
ou d’association à des établissements publics communaux ou intercommunaux, de concession ou de toute
autre forme de gestion déléguée.
Or le concept de gestion déléguée n’est pas défini par le législateur. Plusieurs interrogations restent sans
réponse. La gestion déléguée est-elle réservée uniquement aux services publics industriels et commerciaux
ou bien concerne-t-elle également les services publics administratifs ? Par ailleurs, la liste des services
publics concernés prévue par le projet est-elle limitative ou indicative ?
De même comment délimiter la frontière entre marché public et gestion déléguée de service public ? En
effet l’article 2 du décret du 30 décembre 1998 fixant les conditions et les formes de passation des marchés
de l’État, qui est d’ailleurs applicable aux collectivités locales, exclut de son champ d’application les contrats
de concession de service public. Certes, il existe certains critères de différenciation : exécution même du
service public ou simple participation à ce dernier, redevances payées par les usagers calculées en fonction
des coûts assumés par l’entreprise et d’une marge acceptée par la collectivité, prestations répétitives ou
prestation individualisée, relations directes avec les usagers ou avec la collectivité contractante, autonomie
d’organisation du service ou exécution sous les ordres de services.... Or il faut remarquer que tous ces cri-
tères de délimitation ne sont pas déterminants.
Ainsi, selon le droit public français, on peut être en présence d’un marché public même si l’Administration
ne verse pas un prix. À l’inverse, il a pu exister des concessions sans redevance, perçues auprès des usa-
gers. De même la gestion déléguée de l’enlèvement des ordures ménagères implique comme le marché
public une relation directe avec la collectivité locale. Cela signifie que le versement d’une certaine somme au
cocontractant par la collectivité n’empêche pas le contrat de demeurer une convention de délégation de ser-
vice public.
Dans le même sens, le marché d’entreprise de travaux publics en France est considéré par certains
auteurs comme une gestion déléguée malgré les apparences d’appellation. Ce marché comporte une rému-
nération dont le calcul est basé sur les résultats de l’exploitation du service.
L’une des misions urgentes du juge administratif est de contribuer à la délimitation de ces deux instru-
ments fondamentaux du développement local. Les décideurs publics ne peuvent rester indéfiniment dans
l’expectative lorsqu’ils envisagent de déléguer tel ou tel service. Or la première des urgences est de définir
précisément ces contrats.
On ne devrait pas compter sur l’éventuelle intervention du législateur. La gestion déléguée est une notion
générique, et il y a le risque que celle-ci « noyaute » en quelque sorte une catégorie, celle des délégations
alors que la pratique actuelle invente divers montages juridico-financiers. Cependant, le législateur peut don-
ner une liste des modes de gestion qui relèvent de la catégorie, mais cette liste n’empêche pas les acteurs
publics locaux d’adapter leurs contrats à leurs besoins spécifiques.
Si on veut attendre que le juge administratif prenne position, il est certain qu’il procédera par étapes suc-
cessives, ce qui signifie que les éclaircissements seront étalés dans le temps.
Que la délimitation soit opérée par le législateur ou le juge administratif, on peut proposer deux possibili-
tés. Dans une première hypothèse, il est possibles de soumettre la gestion déléguée et les marchés publics
à un code unique, celui de l’achat public ou des contrats publics. Ce premier cas de figure confirme l’idée
d’un rapprochement des délégations et des marchés publics malgré les éléments de différence précités.
Cependant, le législateur ou le juge administratif sont invités à apporter davantage de clarification sans qu’il y
ait nécessairement une fusion totale des deux catégories juridiques. Autrement, l’identification de la gestion
déléguée dépendra d’un autre concept encore plus générique celui de « contrats publics ».
La seconde proposition qui est plus réaliste consiste pour le législateur ou le juge à donner une définition
simple et claire de la gestion déléguée afin de permettre aux collectivités locales d’engager des procédures
sans risque de recalcification des contrats conclus. La gestion déléguée pourrait se définir comme étant le

198
contrat par lequel une personne publique confie à une entreprise privée ou publique le soin de gérer un ser-
vice public, le cas échéant en assurant la maîtrise des travaux et investissements nécessaires au service, en
assumant la responsabilité financière, et en se rémunérant principalement sue le résultats de l’exploitation
(usagers, recettes complémentaires, recettes publicitaires, locations, aides...).

1.3.2 Le rôle de protection des acteurs économiques locaux


D’une façon synthétique, la protection des tribunaux administratifs s’est focalisée de façon très évidente,
en raison du grand nombre de décisions rendues, sur des domaines où le droit de propriété au sens large est
mis en jeu.
Il s’agit d’abord de la liberté d’entreprendre garantie par la constitution. Elle est visiblement bien protégée
par le juge administratif. Celui-ci annule les décisions qui limitent l’exercice d’un certain nombre d’activités.
C’est le cas du refus d’autoriser l’ouverture d’une officine pharmaceutique, du retrait d’autorisation d’une
école privée, de la fermeture d’une boulangerie, d’une saisie-arrêt, du retrait d’une exploitation d’un café
pour motif de violation des mesures d’hygiène, du refus d’autoriser le propriétaire de construire des locaux
commerciaux à la place du cinéma qu’il possède.
Le deuxième domaine concerné par la protection est celui des impôts et taxes. Les décisions de justice, à
cet égard, sont très nombreuses. Ainsi pour le tribunal administratif de Fès, les recours dirigés contre l’Admi-
nistration fiscale constituent 40,58 % des recours intentés durant la période allant du 23 mars 1994 au 26jan-
vier 1995.
Le juge administratif adopte des décisions qui donnent satisfaction aux requérants. Il en est ainsi de l’annu-
lation du refus de faire bénéficier le requérant d’une réduction d’impôt en matière d’investissements indus-
triels, de la soumission par erreur d’un immeuble à la taxe sur les terrains non bâtis. On peut mentionner
aussi le sursis accordé à l’exécution des mesures particulières de perception des taxes et redevances
comme l’état exécutoire. Il en est de même de la contrainte par corps, tant que cette procédure n’a pas
atteint le stade de l’exécution auquel cas c’est le tribunal de 1re instance du lieu de l’exécution qui devient
compétent.
Dans le même sens de libéralisme, le juge des référés a fait également preuve d’une grande audace en
décidant qu’il peut procéder lui-même à l’exécution d’un jugement annulant la décision de fermeture d’un
établissement commercial du moment que cette exécution ne dépend pas de l’intervention directe de l’admi-
nistration et que la fermeture engendre un dommage inévitable et irréparable

1.4. Les cours régionales des comptes

Les raisons qui expliquent et justifient la contribution des cours régionales des comptes à la démocratie
locale sont nombreuses et variées. Elles se caractérisent même par une véritable interdépendance, mais on
peut, malgré leur interconnexion les classer en deux catégories. Il y a des raisons qui sont plus explicites et
plus connues que d’autres.
La consécration constitutionnelle des cours régionales des comptes en 1996 s’explique en premier lieu par
les irrégularités financières qui ont caractérisé jusque là la gestion des finances locales.
Ce point de vue est confirmé par le discours politique. Ainsi Sa Majesté Le Roi Mohammed VI a affirmé
dans le discours susmentionné qu’il porte un intérêt éminent « au contrôle des deniers publics, en considéra-
tion du rôle important qu’assument ces instances au niveau de la rationalisation des dépenses publiques,
l’assainissement de la gestion de la chose publique et la moralisation de ses services, ce qui est de nature à

199
contribuer au renforcement des assises de l’État de droit, élargir le champ de la démocratie, généraliser les
principes de transparence et de contrôle, servir l’intérêt général et consolider la décentralisation et la
déconcentration en tant qu’instruments modernes de gestion administrative ». Sa Majesté Le Roi est encore
plus direct lorsqu’il précise qu’il s’agit de « prémunir l’action administrative contre tous les dérapages et
déviations et orienter les comportements des responsables dans la bonne direction fondée sur la bonne
moralité, le contrôle et le dévouement au service de l’intérêt général... »
La presse nationale s’est fait d’ailleurs l’écho des malversations, des détournements de deniers publics et
des actes de corruption, surtout depuis le début des années 90. Les juridictions financières sont donc appe-
lées à contribuer à la moralisation de la gestion financière des collectivités locales.
Cette contribution est d’autant plus positive que la gestion des collectivités locales se caractérise par deux
traits majeurs. En effet, les élus locaux sont souvent mûs par des soucis électoralistes qui pèsent négative-
ment sur la gestion publique. Par ailleurs, les élus sont de véritables gestionnaires de budgets. Même si
l’autonomie financière n’est pas réelle, la gestion financière constitue l’un des aspects majeurs de l’action
des acteurs locaux.
En second lieu, il semble que la contribution des cours régionales des comptes à la démocratie locale
s’explique aussi par l’insuffisance de la tutelle administrative. Ce contrôle s’exerce avant l’exécution d’un cer-
tain nombre d’actes comme les budgets, les emprunts, les ouvertures de nouveaux crédits, les marchés
publics... Or ce contrôle préalable n’est pas de nature à assurer une saine gestion des deniers publics. Une
fois les décisions sont approuvées, les autorités locales élues sont déliées pratiquement de tout contrôle et
la règle de droit n’est pas toujours respectée par les institutions locales au niveau de l’exécution.
L’intervention des cours régionales des comptes ne fera pas double emploi avec le contrôle de légalité
exercée par les autorités de tutelle et encore moins le contredit. L’approbation ne signifie pas certification de
la régularité de l’acte. Les cours régionales des comptes sont destinées à instituer la transparence financière
dans la gestion des finances locales. Ce sont des juridictions financières composées en principe de magis-
trats chargés d’appliquer une procédure de nature juridictionnelle... La transparence qui découlerait naturelle-
ment de l’intervention de ces juridictions dans la gestion financière et comptable complétera utilement et
heureusement la transparence administrative engendrée par l’intervention des tribunaux administratifs.
La troisième raison est plutôt de nature structurelle.
En effet, depuis 1976 la décentralisation administrative ne cesse de se développer. Bien plus, on assiste à
une évolution lente et profonde du processus décentralisateur. Toutefois, l’action locale devient de plus en
plus illisible en raison de la territorialisation et de la satellisation de l’action publique locale. Ce mouvement
constitue un obstacle au bon fonctionnement de la démocratie locale dans la mesure où ce dernier implique
la maîtrise par les élus des politiques qu’ils entendent conduire et l’information des citoyens, condition sine
qua none de leur participation à la vie locale.
Depuis les années 60 la gestion locale s’est caractérisée par une gestion de nature hiérarchique et verti-
cale, de l’État vers les collectivités locales. Cette gestion a tendance à devenir une gestion territoriale plus
horizontale où les besoins publics sont définis non plus au centre mais à la périphérie, sur des territoires
hétérogènes avec un pouvoir politique fragmenté. Le territoire plus que l’appareil d’État a tendance à consti-
tuer le lieu de la définition des besoins publics. La lisibilité de la politique publique locale devient de plus en
plus difficile à lire et à comprendre en raison de la dispersion du territoire.
L’administration locale s’est de plus en plus satellisée. Hors du budget, la gestion de plus en plus de ser-
vices publics locaux est confiée à des structures privées comme les sociétés privées délégataires de ser-
vices publics, les associations, les sociétés d’économie mixte...
Ce mouvement est consolidé par la nouvelle charte communale. Elle précise notamment que le conseil
communal « décide de la conclusion de tout accord ou convention de coopération ou de partenariat, propres

200
à promouvoir l’équipement et le développement économique et social avec l’État, les collectivités territo-
riales, les organismes publics ou privés et les acteurs sociaux ».
Les cours régionales des comptes seront appelées à exercer une régulation bénéfique à l’occasion de
l’examen de gestion des structures intercommunales et des satellites... Elles vont donc jouer un rôle positif
dans le changement local à travers notamment l’information des élus.
Un autre facteur explique l’opportunité de la création des cours régionales des comptes. Il s’agit du déve-
loppement de l’activité économique des collectivités locales. En effet, il est plus facile pour le contribuable
d’apprécier la gestion des services publics administratifs que celle des services publics de nature écono-
mique. On peut à la limite parler de paradoxe : la marge d’appréciation est plus difficile alors que les services
industriels ou commerciaux présentent plus de risques. La nouvelle charte communale a développé les res-
ponsabilités locales, ce qui implique logiquement un développement de l’interventionnisme économique. Il
suffit de jeter un coup d’œil sur la manière dont le projet a sérié les compétences et attributions des com-
munes. Il devient donc de plus en plus difficile pour les citoyens de mesurer les conséquences des décisions
prises.
Par contre l’absence de contrôle ne peut que faciliter les dérives de l’action publique locale. L’intervention
des cours régionales des comptes sera d’autant plus positive et déterminante qu’elle portera sur les secteurs
à risques les moins facilement mesurables par les citoyens locaux.
Les textes relatifs à la décentralisation mettent en relief le pouvoir juridiquement prédominant des assem-
blées délibérantes notamment les conseils communaux et les conseils régionaux. La raison réside dans le
fait que les conseils communaux sont élus au suffrage universel direct et que les conseils régionaux assu-
ment de grandes responsabilités économiques et sociales.
Mais en fait souvent la réalité du pouvoir est détenue par l’exécutif local, élu ou nommé. Le développe-
ment continu des responsabilités locales et les exigences de la gestion quotidienne ont renforcé la présiden-
tialisation du pouvoir local. Les affaires de corruption concernent surtout les exécutifs élus et rarement les
membres des assemblées locales.
L’implication des élus au sein de l’assemblée délibérante et des citoyens est nécessaire pour contrebalan-
cer un exécutif local aux responsabilités de plus en plus importantes afin d’assurer un meilleur fonctionne-
ment de la démocratie locale. Le contrôle sous ses différentes formes exercé par les cours régionales des
comptes est susceptible de faciliter l’information des élus de l’opposition et de la majorité. Or, ceci ne fera
que renforcer le contrôle de l’assemblée délibérante sur le pouvoir exécutif et éviter éventuellement la
confiscation du pouvoir local. Les cours régionales des comptes seront alors en mesure de déterminer les
dysfonctionnements de la démocratie locale qui accroissent les risques de gestion locale.

2. Les grands secteurs

Les grands secteurs de la décentralisation et du développement local sont au nombre de trois : les compé-
tences communales, les zones défavorisées et le rôle de la femme.

2.1. Les compétences communales

Les compétences communales constituent un secteur stratégique pour le développement local.


Le nouveau rôle du conseil communal se caractérise par les traits particulier suivants : l’originalité de la

201
technique de répartition des compétences, l’approche nouvelle de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion et
l’importance de la coopération et du partenariat.

2.1.1. L’originalité de la technique de répartition des compétences


Le législateur a appliqué la méthode adoptée dans la loi relative à l’organisation de la région pour la réparti-
tion des compétences. Il distingue les compétences propres et les compétences transférables. Ce procédé
constitue une approche dynamique. Le pouvoir central va participer à la détermination progressive du
contenu des compétences du conseil communal en se basant sur une adaptation quantitative et qualitative
en fonction de l’évolution économique et sociale de la décentralisation administrative.
Cette technique implique un aveu implicite de l’existence d’une série de compétences exercées à l’éche-
lon national qu’il est souhaitable de transférer aux entités communales pour réaliser l’adéquation et la rapidité
dans le processus décisionnel.
Les compétences transférées appellent quatre remarques : l’expression « notamment » utilisée par le
législateur signifie que la liste de ces compétences est une liste ouverte ; en d’autres termes les pouvoirs
publics peuvent étendre cette liste pour inclure d’autres attributions. En outre, le conseil communal ne peut
exercer les compétences transférées que par un transfert effectif de ces compétences par des décisions ; et
c’est l’État qui fixe le moment convenable et l’étendue réelle de ce transfert dans le cadre de son pouvoir dis-
crétionnaire. Par ailleurs la généralité des dispositions permet à l’État d’intervenir de deux façons pour opérer
le transfert : ou bien le transfert est effectué d’une manière globale dans un ou plusieurs domaines détermi-
nés au profit d’une ou de plusieurs communes, et ce procédé aboutit à l’abandon par l’État de ces domaines,
ou bien le transfert est réalisé par différentes tranches au profit d’une ou de plusieurs communes à l’exclu-
sion d’autres et cela dans certains secteurs et pour une durée déterminée. Enfin, on peut relever le caractère
positif de la position du législateur exprimée dans l’article 43 dernier alinéa de la charte communale selon
lequel « Tout transfert de compétences est accompagné obligatoirement par un transfert des ressources
nécessaires à leur exercice Il est effectué selon le cas, par l’acte législatif ou réglementaire approprié »

2.1.2. La nouvelle approche de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion


L’approche traditionnelle de la décentralisation a méconnu directement la question de la pauvreté. Aussi
bien la charte de 1960 que celle de 1976 n’ont pas attaché d’importance au rôle de la décentralisation en tant
qu’instrument de lutte contre la pauvreté. Mais cette insuffisance n’est en réalité que la conséquence
logique d’un phénomène plus global : la marginalisation du droit en tant que cadre d’amélioration des condi-
tions de vie du citoyen.
Il est certain que les chartes de 1960 et de 1976 font référence à la pauvreté mais d’une façon implicite
notamment à travers « l’étude et l’examen du plan de développement économique et social ». Si les disposi-
tions relatives à la continuité, la neutralité l’efficacité et l’adaptabilité des services publics sont rares ou
exceptionnelles, les mécanismes de protection des minorités au sens économique et social comme les
pauvres, les handicapés, les nomades, les habitants des bidonvilles ne sont pas prévus par les chartes préci-
tées. C’est de là que vient l’importance de la nouvelle charte communale. Le législateur adopte une approche
moderne du phénomène de la pauvreté et de l’exclusion. On a d’ailleurs constaté cette nouvelle orientation à
travers l’exposé des nouvelles attributions dans ce domaine. On peut dire qu’il s’agit effectivement de la pre-
mière loi de décentralisation qui comporte différentes dispositions relatives à la pauvreté et l’exclusion.
Il paraît que les pouvoirs publics sont devenus conscients des limites qui caractérisaient l’approche clas-

202
sique à cet égard et de la nécessité d’aborder cette question épineuse dans le cadre d’une approche intégrée
basée sur de nouveaux concepts dans le système de décentralisation.
La nouvelle charte se réfère à un certain nombre de notions et de concepts qui vont faire partie pour la pre-
mière fois du droit positif de la décentralisation administrative communale : il s’agit essentiellement du déve-
loppement de la conscience collective pour l’intérêt public local, de l’amélioration du cadre de vie, de la
prévention, de l’environnement, de la promotion de la solidarité, du développement du mouvement associa-
tif, des actions d’assistance, de soutien, de solidarité et de toute œuvre à caractère humanitaire et caritatif,
des programmes d’aide de soutien et d’insertion sociale des handicapés et des personnes en difficulté, de
lutte contre l’analphabétisme...
Même si la charte communale n’utilise pas les mots « pauvreté » et « exclusion », les concepts précités
impliquent ces deux notions. On peux relever particulièrement les termes suivants : solidarité, aide et sou-
tien, insertion sociale, œuvre humanitaire et caritative, personnes en difficulté...
Cette approche globale implique la nécessité de prendre en considération la totalité des droits qu’ils soient
civils, politiques, culturels ou économiques et sociaux et cela dans le but de réaliser une protection effective
et réaliste. Cette manière de voir correspond parfaitement au nouveau concept de l’autorité qui se caracté-
rise par l’interdépendance entre les droits et les différents intérêts à protéger.
Cette nouvelle approche de la décentralisation dans ses relations avec la pauvreté et l’exclusion va jouer un
rôle positif dans le renforcement des autres instruments juridiques créés par l’État pour lutter contre la pau-
vreté. Il s’agit de certaines techniques et institutions parmi lesquelles on peut citer particulièrement la loi
no 10.79 relative au micro-crédit qui constitue un moyen de lutte contre la pauvreté et d’intégration des
couches défavorisées et la loi no 12.99 portant création de l’Agence de développement social dont l’objectif
est de participer au financement des activités de développement social dans certain domaines vitaux comme
l’eau, l’électricité, les routes, l’alphabétisation...

2.1.3. La coopération et le partenariat


La nouvelle charte a mis en relief l’importance de la coopération et du partenariat puisqu’elle a consacré
tout un article à ces techniques d’action et d’intervention (article 42). La lecture attentive de cet article nous
permet d’affirmer que le législateur considère implicitement que la contractualisation est devenue un véri-
table levier pour le développement économique et social. Cet aspect est renforcé par la vivacité croissante
du phénomène associatif sur le plan local. Il y a une relation très étroite entre ces deux tendances. D’ailleurs
selon l’article 41 le conseil communal a pour mission de développer la conscience collective pour l’intérêt
public local, d’encourager le mouvement associatif, de développer la participation et le partenariat avec les
associations et organisations à caractère social et humanitaire.

Comment peut-on expliquer cette orientation nouvelle vers la contractualisation ?


Il y a d’abord une raison qui relève de la logique juridique : aucune norme constitutionnelle ou législative ne
s’oppose à ce que les communes passent des conventions avec les acteurs locaux. En outre le législateur
considère qu’il y a un rapport naturel entre la décentralisation et la contractualisation. Ces deux notions sont
basées sur deux principes communs : l’autonomie et la responsabilité. Dans le même sens il semble que
législateur a été encouragé par la mutation sensible et progressive de la conception même de l’autorité
publique. Se matérialisant essentiellement dans le déclin de la décision unilatérale au profit des techniques
de négociation la gestion par circulaires et par des ordres est appelée à se réduire pour laisser la place de
plus en plus à la négociation et à la contractualisation. La concertation devient de plus en plus une règle de
conduite en matière politique et administrative. La technique contractuelle qui devient l’instrument naturel de

203
concrétisation du partenariat est l’une des conséquences obligées du renforcement des compétences. La
nouvelle charte communale constitue un bel exemple à cet égard : le législateur, après avoir déterminé avec
un grand détail les compétences a réservé l’article 42 dans sa totalité à la coopération, l’association et le par-
tenariat. La contractualisation permet, entre autres, à la collectivité locale d’obtenir des financements exté-
rieurs pour ses propres projets en les adaptant de façon intelligente aux conditions précisées au départ par le
cocontractant
Il est important de noter que cette orientation générale constitue un indice absolu que la décentralisation
administrative connaît une évolution profonde au niveau de sa nature interne. ? Cette mutation réside dans le
passage progressif d’une décentralisation traditionnelle ou classique basée sur l’intervention de deux catégo-
ries d’acteurs à savoir l’élu local et le représentant du pouvoir central (le gouverneur) à une décentralisation
moderne fondée sur l’action conjuguée de plusieurs acteurs : les élus, le représentant de l’État, les acteurs
économiques et sociaux, les associations, la société civile, les citoyens...
Mais le législateur, pour étendre et renforcer les compétences du conseil communal, s’est inspiré certaine-
ment d’un ensemble de notions, de concepts qui ont constitué pour lui autant de piliers pour opérer cette
détermination spectaculaire des attributions.

2.2. Les zones défavorisées

La notion de zone défavorisée nous renvoie directement à deux éléments fondamentaux. Elle constitue
d’abord un espace, un territoire. Elle relève du local par opposition au national. Cette notion implique aussi
qu’il s’agit d’un espace désavantagé, handicapé par un certain nombre de facteurs en comparaison avec les
zones favorisées du territoire national.
Mais la notion de zone défavorisée correspond elle-même à une variété de situations, une diversité de ter-
ritoires et d’espaces.
On peut relever en premier lieu les zones désertiques. Ces régions s’étendent au sud de l’Atlas à la lati-
tude de Figuig dans le Maroc oriental mais sont nettement décalées vers le sud au-delà de l’Anti-Atlas le long
du littoral atlantique.
La zone défavorisée recouvre également d’autres espaces plus ou moins urbains : il s’agit particulièrement
des zones montagneuses, des zones rurales et au sein des zones urbaines on peut relever toute une série de
situations : les zones d’habitat anarchique, les quartiers périphériques, les bidonvilles...
Malgré leur diversité les zones défavorisées se caractérisent par des traits communs qui peuvent être
résumés en trois points : la faiblesse voire l’absence parfois des structures administratives d’encadrement,
l’insuffisance des prestations de service public et un sous-développement social suffisamment caractérisé.
L’insuffisante densité géographique des services publics essentiels est visible dans les zones urbaines.
Ainsi à titre d’exemples les services postaux, hospitaliers et éducatifs... ne sont pas en nombre suffisants en
raison de l’urbanisation accélérée que connaissent les villes marocaines. Le nombre des établissements
d’enseignement supérieur demeure inadéquat par rapport au nombre sans cesse croissant des étudiants
même si les pouvoirs publics ont commencé ces dernières années à rectifier le tir par la création de nou-
velles facultés.
Dans les zones péri-urbaines comme les bidonvilles les services publics fondamentaux ne sont pas suffi-
sants particulièrement dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la salubrité, des loisirs, de l’ordre
public.... Ces insuffisances sont encore flagrantes dans les zones rurales.
Même lorsqu’ils existent, l’implantation des équipements n’est pas dictée par la fréquence des besoins.
En outre les services publics ne sont pas rassemblés en des lieux judicieusement choisis pour assurer la

204
satisfaction adaptée des besoins éprouvés par la population. Les équipements publics comme la route ou la
piste, l’adduction d’eau et d’électricité, le dispensaire, l’école, la recette postale, le logement, le souk ou la
zone commerciale ou industrielle ne sont pas rationnellement implantés afin de permettre aux usagers de
mener une vie quotidienne équilibrée.
La crise des structures est encore plus visible dans les zones désertiques. Ces régions constituent cer-
tainement au Maroc le milieu le plus difficile. Outre l’éloignement des services publics ces zones se caracté-
risent par des chaleurs excessives, la violence des vents, la rareté de l’eau, le manque de protection
végétale, les inondations...
Tous ces handicaps représentent des facteurs limites qu’il est difficile de surmonter.
Ces défaillances qui caractérisent les zones défavorisées contredisent directement ou indirectement une
série de principes.
L’insuffisante densité géographique des services publics est en contradiction avec le principe d’égalité :
l’égalité des citoyens devant le service public. Le statut ou la loi du service doit être la même pour tous ; le
service public doit fonctionner dans les mêmes conditions à l’égard de tous les usagers mais l’éloignement
physique contredit surtout l’égalité de tous les citoyens à bénéficier des prestations publiques de l’État et
des collectivités locales.
Cet éloignement heurte indirectement la règle de la gratuité des services publics essentiels dans la
mesure où il entraîne des déplacements, et par conséquent des frais supplémentaires pour les administrés
qui veulent bénéficier des prestations publiques. La faiblesse des structures des services publics viole égale-
ment le droit du citoyen usager à l’adaptation constante du service public qui correspond au devoir des res-
ponsables du service de respecter une véritable loi du progrès.
Dans quelle mesure la décentralisation et la gouvernance favorisent-elles une gestion efficace et équilibrée
des zones défavorisées ? C’est à cette double question que l’on va essayer de répondre dans deux parties
distinctes.
Pour prendre en considération les particularités des zones défavorisées, le Maroc a opté pour la décentrali-
sation administrative. Ceci apparaît nettement sur les plans communal et régional. La décentralisation justifie
d’ailleurs la nécessité de développer les zones défavorisées sur la base de deux principes apparemment
contradictoires : le droit à l’égalité et le droit à la différence.
Plusieurs éléments montrent que les pouvoirs publics ont voulu par la décentralisation remédier aux pro-
blèmes aigus que connaissent les zones défavorisées.
En premier lieu on peut noter le fait que la première charte communale de 1960 dans son premier article
se réfère explicitement à la distinction entre commune urbaine et commune rurale. L’article 52 précise que
les communes rurales constituent les cellules de base pour les travaux ruraux. À ce titre elles bénéficient
d’attributions particulières dans les domaines administratif, économique, social et financier. La charte de
1976 n’a pas repris cette distinction entre commune urbaine et commune rurale. Le législateur a certaine-
ment misé sur la souplesse et l’adaptation de la gestion locale que procure la décentralisation.
La notion de zone défavorisée apparaît plus clairement mais en filigrane dans les attributions et les compé-
tences largement détaillées pour la première fois par la charte communale de 2002.
L’une des grandes particularités de ces compétences est qu’elles concernent la lutte contre le sous-
développement économique et surtout social des populations défavorisées. On se contentera de citer les
expressions les plus significatives : actions de proximité de nature à mobiliser le citoyen, à développer la
conscience collective pour l’intérêt public local, à organiser sa participation à l’amélioration du cadre de vie, à
la préservation de l’environnement, à la promotion de la solidarité et au développement du mouvement asso-
ciatif... Toutes actions d’assistance, de soutien et de solidarité et toute œuvre à caractère humanitaire et cari-
tatif... contribution à la réalisation des programmes d’aide, de soutien et d’insertion sociale des handicapés et

205
des personnes en difficulté, participation à l’exécution des programmes nationaux régionaux ou locaux de
lutte contre l’analphabétisme.
Le législateur a essayé de proposer des solutions pour résoudre les problèmes liés aux zones défavori-
sées.
Ainsi l’article 54 de la charte communale de 1976 prévoit l’institution de syndicats de communes : « Les
communes peuvent être autorisées à se constituer en syndicats pour la réalisation d’une œuvre commune,
d’un service d’intérêt intercommunal ou pour la gestion des fonds propres à chacune d’elles et destinés au
financement de travaux édilitaires et au paiement de certaines dépenses communes de fonctionnement ».
La multiplication des communes et la création des communautés urbaines depuis 1976 tirent leur philo-
sophie profonde de la volonté d’assurer le développement harmonieux de l’agglomération urbaine parti-
culièrement des zones périphériques. On estimait depuis 1976 qu’un seul conseil municipal n’était pas en
mesure de réaliser un développement général et intégré des grands ensembles urbains. En d’autres termes,
les prestations de service public de l’administration ne couvraient pas la totalité du territoire de la ville. On se
préoccupait davantage du centre ville au détriment des espaces périphériques. C’est ce qui a amené les res-
ponsables centraux à conclure à la nécessité de créer plusieurs communes en les coiffant par l’institution de
la communauté urbaine.
Malheureusement la technique de la communauté urbaine n’a pas donné les résultats escomptés. Elle est
devenue elle-même la source de tous les problèmes de la gestion urbaine : fragmentation de l’espace urbain,
émiettement des moyens, mauvaise répartition du personnel administratif, difficulté de coordination, prédo-
minance de la gestion quotidienne au détriment de la création de grands projets et surtout absence d’une
vision d’ensemble d’un développement intégré...
L’échec de la technique de la communauté urbaine est patent dans les grandes villes comme Casablanca,
Fès, Rabat, Tanger... Les quartiers périphériques des villes ont connu une dégradation et une aggravation
sans précédent. Ils constituent actuellement des zones de pauvreté qui encerclent les grandes aggloméra-
tions urbaines. La sécheresse des années 80 et l’exode rural qui en a résulté ont engendré les grands maux
de l’époque actuelle tels que l’extrémisme et le terrorisme.
Pour affronter ces problèmes, le législateur a opté dans la charte de 2002 pour le retour à l’unité de la ville.
Cette dernière concerne les villes de plus de 500.000 habitants pour lesquelles il est prévu une organisation
locale spécifique :le système des arrondissements, un conseil municipal unique épaulé par des conseils
d’arrondissements chargés de gérer les affaires de proximité. Cette organisation est basée sur l’idée de com-
mune unitaire et d’arrondissements. Ces derniers permettent d’encadrer une communauté infra communale.
Ils sont de nature à assurer une gestion globale et intégrée de la ville en tant qu’entité complexe.
Les différentes étapes de la régionalisation au Maroc dénotent aussi la volonté des pouvoir publics de pro-
mouvoir le développement des zones défavorisées.
Certes la notion de zone défavorisée n’était pas apparente avant 1912. C’est ce qui explique que la régio-
nalisation traditionnelle constituait un simple cadre d’organisation administrative et militaire du territoire
national. Après la signature du traité du protectorat l’idée régionale est reprise par les autorités françaises
mais avec la logique de la sécurisation et la pacification. Le Maroc était divisé en régions militaires et régions
civiles. Cette division binaire n’était pas apte à engendrer une organisation uniforme et une évolution équili-
brée des différentes régions. Avec l’indépendance en 1956 la région est évidemment abordée avec une nou-
velle logique. Il s’agit de lutter contre les inégalités régionales et de réaliser un développement économique
et social harmonieux. La région est même devenue une référence permanente dans les grandes décisions
de l’État dans plusieurs domaines : planification, aménagement du territoire, construction des barrages,
investissements réalisés par l’État et les établissements publics nationaux et régionaux, implantation des
établissements d’enseignement supérieur... . En 1971, on a voulu soumettre la régionalisation à l’épreuve de
la maturation. La région est considérée dans cette première étape comme un simple cadre d’action écono-

206
mique pour la réalisation des études et l’exécution des programmes. Cependant les insuffisances du sys-
tème régional instauré en 1971, son échec et certains facteurs internes et internationaux ont joué dans le
sens de la nécessité d’ériger la région au rang de véritable collectivité locale. C’est l’article 94 de la constitu-
tion de 1992 qui consacre pour la première fois la région en tant que collectivité locale.
La décentralisation régionale est de nature à assurer plus efficacement les objectifs visés : la résorption
des disparités entre les différentes régions, la revalorisation des zones désertiques, des zones rurales et des
zones périphériques, le dépassement de l’idée d’un Maroc utile et d’un Maroc inutile, le rejet du critère de la
rentabilité économique et financière dans la localisation des investissements, l’utilisation à une échelle plus
adaptée de certaines techniques comme l’aménagement du territoire.
La décentralisation régionale permet d’assurer une gestion équilibrée des régions défavorisées pour plu-
sieurs raisons.
Le découpage régional est basé sur les notions d’équilibre et d’égalité entre les régions. Il est censé faire la
synthèse entre « des paramètres d’ordre biogéographique, économique et sociologique dans le cadre d’une
démarche prudente qui tient compte de la nécessité de déboucher sur une entité stable qui servirait d’assise
territoriale à une collectivité humaine homogène et à une nouvelle collectivité territoriale décentralisée. La loi
organisant la région est expresse à cet égard. Son article 4 alinéa 2 affirme que « La délimitation de la région
a pour finalité la constitution d’un ensemble homogène et intégré. Elle doit répondre au souci de cohésion
des composantes territoriales de la région compte tenu des potentialités et des spécificités économiques,
sociales et humaines desdites composantes de leur complémentarité et de leur contiguïté géographique ».
La nature des compétences du conseil régional est également un facteur de développement intégré des
régions : il s’agit de l’élaboration du plan de développement économique et social de la région, du schéma
régional d’aménagement du territoire, des actions nécessaires à la promotion des investissements privés, de
l’encouragement à la réalisation de ces investissements notamment par l’implantation et l’organisation de
zones industrielles et de zones d’activités économiques, des mesures visant à rationaliser la gestion des res-
sources hydrauliques au niveau de la région, de l’établissement du plan directeur d’aménagement intégré
des eaux du bassin hydraulique, de la contribution à l’élaboration de la politique de l’eau au niveau national,
des actions de solidarité sociale et des mesures à caractère caritatif.
On peut noter aussi que les compétences régionales contrairement aux compétences communales et pro-
vinciales présentent une nature mixte : ce sont en même temps des compétences régionales et des compé-
tences quasi-nationales. Elles relèvent objectivement d’une catégorie hybride ; c’est la raison pour laquelle le
législateur impose expressément la collaboration de la région avec l’État pour certaines attributions. Ainsi
l’élaboration du plan de développement économique et social de la région et du schéma régional d’aménage-
ment du territoire et la promotion de l’emploi doivent se faire dans le cadre des orientations fixées à l’échelle
nationale. Pour d’autres compétences, les autorités régionales ne peuvent ignorer ce que fait l’État ; il s’agit
de secteurs qui interpellent conjointement la région et l’État comme l’investissement privé, le sport, l’envi-
ronnement, la gestion des ressources hydrauliques...
L’action conjuguée de ces deux catégories d’acteurs est d’ailleurs souhaitable pour éviter soit une trop
grande disparité entre les solutions admises localement soit un bouleversement de l’équilibre local par les ini-
tiatives nationales.

207
2.3. Le rôle de la femme

2.3.1. Les enjeux

La problématique consiste à répondre à la question suivante : Pourquoi faut-il renforcer la participation des
femmes et surtout leur présence en tant que membres des conseils communaux ?
On peut relever cinq enjeux dont certains sont liés directement à la femme alors que d’autres sont liés aux
rapports de la femme avec la chose publique.

A. Les enjeux liés à la femme elle-même


Il s’agit d’abord de rendre justice aux femmes.
Dans le discours Royal du 20 Août 1999 Sa Majesté le Roi affirme que « Comment espérer assurer progrès
et prospérité à une société alors que ses femmes qui constituent la moitié voient leurs droits bafoués et
pâtissent d’injustices, de violence et de marginalisation au mépris du droit à la dignité et à l’équité que leur
confère notre religion ? »
Les marocaines assument une large partie des devoirs qui découlent de la citoyenneté. La femme a joué
un grand rôle dans la lutte pour l’indépendance. Elle en a fait de même pour le parachèvement de l’unité terri-
toriale puisqu’elle a participé à la Marche Verte pour la récupération des provinces du Sud.
La femme se distingue parfois de l’homme à cet égard comme ce fut la cas de la manifestation de protes-
tation du 28 janvier 1986 organisée dans la ville occupée de Melilla par 200 femmes marocaines pour dénon-
cer la loi sur les étrangers adoptée par les autorités espagnoles.
Les marocaines travailleuses et dynamiques se caractérisent aussi par leur devoir de solidarité familiale
puisqu’elles contribuent à la survie de centaines de milliers de foyers. Les femmes paient également leurs
impôts dans les mêmes conditions que les hommes. Personne n’oserait affirmer, à moins qu’il ne s’agisse
d’un débile mental, que les femmes parce que « incapables » et « immatures » devraient être dispensées
d’impôts ou qu’elles devraient payer que la moitié de ce que paient les hommes.
Le deuxième enjeu est lié à la nécessité d’améliorer l’image de marque du Maroc. L’absence des femmes
dans les institutions électives et les instances d’exercice du pouvoir politique et administratif constitue une
véritable insuffisance. Les notions d’État moderne, d’État de droit, des droits de l’Homme impliquent néces-
sairement une présence effective de la femme dans les instances politiques et administratives.
La faiblesse de la participation de la femme signifie évidemment que beaucoup des potentialités
demeurent inexploitées. En effet la femme marocaine, malgré les entraves sociales et les préjugés réduc-
teurs, s’est imposée dans tous les domaines de la vie économique professionnelle, culturelle, artistique, litté-
raire et sportive. Personne n’oserait penser que la femme ne pourra pas faire de même en matière de
gestion des affaires publiques locales ou nationales.

B. Les enjeux liés aux rapports de la femme avec la chose publique


Le renforcement de la présence des femmes dans les communes se justifie aussi par le fait qu’elles ont
un sens aigu du social.
La femme qui constitue la moitié de la population est concernée par la gestion des services publics locaux
de la commune en tant que premier cadre de la vie sociale. La femme joue un rôle particulier dans la satis-
faction des besoins quotidiens de la famille : approvisionnement et achats, activités des enfants, santé,
démarches administratives et sociales... La faiblesse de la présence des femmes dans les centres de déci-

208
sion empêche ces derniers de donner une orientation sociale aux programmes élaborés et exécutés quasi
exclusivement par des hommes moins sensibles aux soucis quotidiens des femmes.
Cette tendance est confirmée d’ailleurs par une étude du Bureau International du Travail relative aux
femmes et l’exercice du pouvoir politique dans le monde : « On a pu estimer qu’une participation des
femmes de plus de 30 % à l’exercice de ce pouvoir est nécessaire aux niveaux supérieurs pour qu’une dif-
férence se manifeste dans la nature et la teneur des décisions »
La femme par sa nature aurait tendance à attacher plus d’importance à l’éthique sociale du développe-
ment, à l’emploi, l’éducation, la santé, les enfants, l’environnement, le dialogue et la paix. Cette remarque est
d’autant plus vraie que la nouvelle charte communale réserve tout un paragraphe aux attributions relatives au
développement social. Le renforcement de la présence de la femme dans les centres de décision est de
nature à moraliser davantage la vie politique.
En effet, la régularité et la transparence sont devenues les mots clefs en matière électorale depuis le
début des années 90. On parle depuis cette date de la nécessité de lutter énergiquement contre l’utilisation
de l’argent sale et les différentes pratiques de corruption. Certains estiment que les femmes peuvent jouer
un rôle réducteur de ces déviations.
Dans un discours Feu le Roi Hassan II est allé dans le même sens en pensant que la femme généralement
se caractérise par une plus grande intégrité et une certaine incorruptibilité même s’il ne s’agit pas d’une qua-
lité exclusive des femmes.

2.3.2. Les solutions


Pour garantir une bonne représentativité féminine dans les communes, il y a plusieurs moyens. On peut
distinguer les solutions juridiques et les solutions politiques.

A. Les solutions juridiques


Le premier procédé de nature juridique pourrait être basé sur un texte de loi qui imposerait le système des
quotas. Il s’agit d’imposer aux partis politiques un pourcentage fixe de candidatures féminines dans les listes
présentées.
Dans ce sens, on peut remarquer que le groupe de la CDT au sein de la chambre des conseillers avait
revendiqué la consécration d’un quota de 10 %. Mais le ministère de l’intérieur n’était pas du même avis
considérant cette affaire comme relevant des partis politiques.
La problématique du quota se retrouve également dans les autres pays démocratiques. Le gouvernement
français avait soumis en 1982 un projet de loi prévoyant l’adoption du quota de 25 % de candidatures fémi-
nines. Cependant ce texte a été qualifié d’inconstitutionnel par le conseil constitutionnel français. Le gouver-
nement italien avait adopté le même projet en 1993 mais il a été écarté par un arrêt de la chambre
constitutionnelle. Par contre, la Belgique a adopté en 1994 une loi électorale imposant l’application de 25 %
aux listes présentées par les partis politiques. Cette même loi prévoit l’augmentation de ce quota aux 2/3 en
1999.
Il est intéressant de signaler une formule originale prévue par le projet de loi adopté par le conseil des
ministres français en juin 1979 sur proposition de la Ministre chargée de la condition féminine. Son intitulé
relève d’ailleurs son objectif « Projet de loi modifiant certaines dispositions du code électoral en vue de favo-
riser la participation des femmes aux élections municipales ». Le procédé proposé se caractérise par la sim-
plicité. Il réside dans l’obligation de limiter à 80 % le nombre des personnes du même sexe sur les listes de
candidature.
Ce moyen présente deux avantages : il peut être adopté sans rien changer aux diverses règles qui pré-

209
sident aux élections ; par ailleurs, il s’agit d’une manière élégante et juridiquement irréprochable de dire que
ces listes de candidature doivent compter au moins 20 % de candidats féminins. Ce texte ne peut être taxé
d’inconstitutionnalité. Il ne met en cause ni la libre expression du suffrage, ni celui de la liberté de candida-
ture, ni celui de l’égalité des sexes. Les atteintes qui peuvent résulter de cette formule ne sont que celles
que le législateur a le droit d’édicter pour organiser l’exercice des libertés.
Le gouvernement propose toutefois de limiter cette obligation aux seuls communes de 9000 habitants et
plus et de ne l’appliquer que dans le cas où la totalité des sièges est à pouvoir, ce qui exclut les élections sim-
plement complémentaires ainsi que les seconds tours de ballottage partiel.

B. Les solutions politiques


La seconde voie est de nature politique ; ce sont les partis politiques eux-mêmes qui devraient imposer
l’application du quota. Les exemples étrangers ne manquent pas pour illustrer ce cas. Ainsi le parti socialiste
français a prévu dans ses statuts l’affectation de 30 % des candidatures aux femmes à l’occasion de toute
élection au moyen de la proportionnelle. De même le parti de la gauche démocratique et le parti des travail-
leurs en Irlande ont adopté le quota de 40 % au profit des candidatures féminines. Il en est de même du parti
travailliste hollandais qui réserve 33 % des postes aux femmes candidates sur les listes. Dans d’autres pays
comme la Suède et l’Allemagne les partis politiques appliquent une autre technique plus originale. C’est le
système fermeture éclair basé sur l’alternance des candidatures masculines et féminines au niveau de la
même liste.
La troisième procédure consiste à privilégier les femmes en leur attribuant une position favorable au
niveau des listes. C’est un procédé qui permet de faciliter la victoire d’un nombre minimal de candidatures
féminines. Il présente pratiquement le même avantage que le procédé de la liste nationale adopté à l’occa-
sion des élections législatives du 27 septembre 2003.
Certains partis politiques marocains comme l’Union Socialiste des Forces Populaires, le parti de l’Istiqlal, le
parti du Progrès et du Socialisme et le Rassemblement National des Indépendants ont adopté le principe du
quota de 20 % alors que le parti de la justice et du développement ont adopté le quota de 10 %. D’autres par-
tis politiques ont utilisé simultanément le quota et la désignation des têtes de listes.
Le Groupe National pour une présence réelle des femmes dans les collectivités locales a fait des proposi-
tions qui relèvent de cette troisième technique. Il a demandé aux partis politiques de veiller à ce qu’aucun
des deux sexes ne présente plus de 2/3 des candidatures féminines ou de consacrer au moins le tiers des
candidatures aux femmes, d’éviter l’inscription sur une même liste de trois candidats successifs du même
sexe et de permettre aux femmes d’être placées en tête de listes grâce notamment à un système d’alter-
nance. Le groupe a appelé également à présenter des candidatures dans 30 % des circonscriptions où est
appliqué le scrutin uninominal. Il va jusqu’à proposer d’autres quotas à appliquer après l’élection. Il estime
que les femmes élues devraient présider au moins le tiers des communes et des commissions afin de
concrétiser la présence féminine dans la prise de décisions.
Enfin, il souligne la nécessité de l’intégration du concept de « genre social » par la mise en place de méca-
nismes de planification et de gestion communale comme le plan communal de développement économique
et social, le budget communal...et par l’institution de mesures spécifiques pour promouvoir la situation de la
femme.
On peut conclure cette étude en soulignant que la femme devrait faire l’apprentissage de l’action politique.
Jusqu’à maintenant elle n’a pas vraiment eu l’occasion de se comporter en « animal politique ».
La démocratie locale est l’école idéale pour apprendre à se familiariser avec les affaires publiques. Il s’agit
là d’une étape importante pour cet apprentissage politique nécessaire. La femme dispose des atouts pour
assurer la gestion communale et assurer le mandant local basé sur la proximité et lé résolution des pro-

210
blèmes quotidiens. On ne doit pas oublier que la commune est la cellule de base de la démocratie et consti-
tue l’école principale de l’exercice des responsabilités collectives. Elle peut être le lieu où se réalisent les
conditions concrètes d’une plus réelle égalité d’accès de la femme à tous les niveaux auxquels se décident
les affaires de la cité.
On ne peut indéfiniment compter sur les techniques discriminatoires au profit de la femme. Comme le
souligne le discours royal précité du 10 octobre 2003 : « Jusqu’à quand allons-nous continuer à recourir à la
discrimination juridique positive pour garantir une large participation de la femme aux institutions ? La ques-
tion exige sans aucun doute un renouveau global par une transformation profonde des mentalités archaïques
et de la conscience collective. Elle requiert de laisser à la femme la faculté de s’insérer dans tous les rouages
de la vie de la nation ».
On peut souligner à cet égard l’importance qualitative des modifications apportées par le projet de réforme
de la Moudawana. Elles sont de nature à démocratiser davantage les relations au sein de la cellule familiale.
En outre, ces mêmes modifications concrétisent un principe fondamental de l’idée démocratique : c’est le
principe d’égalité.
Enfin, la réforme actuelle du statut personnel va jouer un rôle éminemment positif dans l’évolution des
mentalités et des mœurs. La famille est appelée à devenir la première cellule de la pratique démocratique.
Dans le discours royal d’ouverture de la deuxième année législative de la 7è législative prononcé le 10 octo-
bre 2003, Sa Majesté le Roi précise que « Nous considérons que la collectivité locale ne peut s’acquitter plei-
nement de sa mission qu’en conjuguant ses efforts avec ceux de l’école et de la famille, trois institutions sur
lesquelles se focalise Notre ferme volonté de réforme visant l’édification d’une société démocratique moder-
niste ».

III. Appréciation générale

1. Les observations critiques

Elles sont relatives à trois domaines : les compétences des collectivités locales, le processus de prise des
décisions, la gestion des services publics locaux.

1.1. Les compétences des collectivités locales

Les observations suivantes peuvent être émises tant en ce qui concerne le mode de détermination de ces
compétences qu’en ce qui concerne leur contenu :
– Bien qu’elles soient citées sous forme de liste, les compétences propres des communes ne le sont qu’à
titre indicatif, comme il ressort de la lecture de l’article 35 de la charte, qui utilise le mot « notamment »,
la compétence générale du conseil communal étant par ailleurs affirmée par l’alinéa premier du même
article. Ce qui peut poser un problème de chevauchement dans l’exercice des compétences par les dif-
férentes collectivités locales.
– En outre, l’expression « compétences propres » doit être entendue ainsi par rapport aux compétences
transférées et consultatives. Les compétences propres des communes, par exemple, ne sont pas exclu-

211
sives des interventions des autres collectivités locales portant sur les mêmes matières
Ces dernières demeurent également compétentes pour agir dans des secteurs comme le développe-
ment économique, l’investissement, l’emploi ou les équipements socioculturels. Ce qui pose le pro-
blème, non encore résolu par le législateur, de la délimitation des affaires communales, provinciales et
préfectorales et régionales.
– Malgré le nombre élevé des compétences attribuées aux conseils élus, seule une infime partie a un
caractère obligatoire, en vertu de textes spéciaux (hygiène, santé publique et autres services administra-
tifs pour les communes). Le reste, c’est à dire la majeure partie, regroupe les domaines possibles
d’intervention, reste tributaire des moyens financiers disponibles.
– D’autre part, certains modes de gestion de service publics comme la coopération et le partenariat sont
cités comme attributions. Or, il s’agit là de concepts imprécis et dont le cadre juridique n’est pas déter-
miné.
– Enfin, l’élargissement des compétences n’a pas été accompagné d’un allégement du contrôle. La tutelle
administrative est maintenue dans sa forme classique : contrôle a priori, couvrant la légalité et l’opportu-
nité, seuls les délais d’approbation ont été réduits, ce qui renforce l’idée que les réformes engagées ont
un caractère plus technique que politique.

Cependant, le principal grief que l’on peut relever ici est l’absence d’une force publique proprement com-
munale. Le président du conseil doit, pour faire exécuter ses décisions, faire appel à l’autorité locale qui,
seule, dispose de l’usage de la force publique, et qui peut le refuser. Malgré les justifications qui peuvent
être avancées à ce propos, cette situation entraîne souvent des conséquences inacceptables : une décision
administrative par définition exécutoire peut ne pas être exécutée.
Ce problème ne se pose pas pour les provinces et les régions puisque c’est le gouverneur, détenteur de
l’usage de la force publique, qui en est l’autorité exécutive.

1.2. Le processus de prise des décisions

Pour qu’elle soit réussie, toute action de développement nécessite la prise de décisions adéquates qui per-
mettent de fixer le coût, les avantages et l’impact des projets proposés. Or, si les provinces et les régions
bénéficient de l’expérience des administrations de l’État (parce qu’elles n’ont pas d’administration propre),
les communes urbaines et rurales qui se basent sur leurs propres services administratifs, ne disposent pas
des moyens nécessaires pour prendre de bonnes décisions. Cette insuffisance apparaît à quatre niveaux :

A. L’absence de formation des élus


Les élus ne sont pas nécessairement des spécialistes ou des techniciens, et ils ne sont pas censés
connaître la gestion des affaires administratives. Leur rôle est essentiellement politique et consiste à expri-
mer l’opinion des habitants. Ils peuvent certes avoir une conception déterminée du développement de la col-
lectivité qu’ils représentent, et décider de la réalisation de programmes de développement ou de modes de
gestion des services publics, sans disposer du savoir nécessaire pour l’étude des projets.
Or, si la gestion des affaires quotidiennes est une opération relativement aisée, le nouveau rôle dévolu aux
collectivités locales en matière de développement nécessite des compétences particulières. En consé-
quence, la formation des élus est devenue indispensable en raison de la complexité des dossiers qui, s’ils
sont mal préparés, risquent d’être rejetés par les autorités de tutelle. Dans ce cadre, il faut noter que les

212
chartes communale et provinciale, qui réservent un titre spécial au statut des élus, ne prévoient pas le droit
de ces élus à la formation.

B. l’absence au sein des collectivités locales d’organes chargés de la gestion du


développement
Si les régions et les préfectures et provinces bénéficient des services de l’administration d’État pour
accomplir leurs missions, les communes ne disposent pas d’une administration de même niveau.
Telle qu’elle est organisée actuellement, l’administration communale se compose uniquement des ser-
vices traditionnels comme la division technique, l’état civil, les services du plan, du personnel, de la police
administrative, le bureau municipal d’hygiène, le service des affaires culturelles et sociales et celui des res-
sources financières.
Parmi ces services, il n’existe aucune cellule administrative chargée de la réflexion en matière de déve-
loppement stratégique, d’imaginer de nouveaux modes d’action et disposant de cadres spécialisés dans la
planification. Cette insuffisance est apparue nettement lors de la préparation du plan de développement quin-
quennal actuellement en cours : toutes les communes se sont trouvées dans l’obligation de recourir aux ser-
vices administratifs préfectoraux ou provinciaux pour élaborer leurs plans locaux. D’autant plus que seules
les provinces et préfectures disposent des données statistiques nécessaires pour l’élaboration de ces plans.

C. L’inefficacité de la fonction publique locale


Cette observation concerne uniquement les communes qui disposent seules d’un corps de fonctionnaires
propre. La fonction publique communale se caractérise par son faible niveau et son inefficacité et cela pour
plusieurs raisons. Le recrutement dans les communes n’obéit pas à la règle de la concurrence ; c’est un
recrutement direct qui se fait sans concours. De plus, et à l’exception des cadres moyens administratifs et
techniques issus des Centres de formation administrative et des Instituts de formation technique du minis-
tère de l’Intérieur, la plupart des agents communaux sont recrutés directement dans de basses échelles de
rémunération et perçoivent des salaires médiocres, ce qui n’est pas de nature à les motiver, en plus du fait
qu’ils n’ont pas la formation adéquate pour accomplir leur travail.

1.3. Les problèmes relatifs à la gestion des services publics

Les chartes de décentralisation disposent que les conseils élus décident (ou proposent pour les régions) la
création et les modes de gestion des services publics locaux par voie de régie directe, de régie autonome, de
concession ou toute autre forme de gestion déléguée.
Or la pratique a montré que l’absence d’expérience ou la méconnaissance de certains modes étant donné le
vide juridique en la matière, pousse les collectivités locales, et notamment les communes, à choisir les
modes traditionnels de gestion qui sont la régie directe et l’établissement public (appelé improprement par le
législateur « régie autonome »). Ce n’est que récemment, et à l’initiative des autorités de tutelle, que cer-
taines communes urbaines ont délégué la gestion de certains services publics locaux aux entreprises privées
(assainissement et ramassage des ordures, distribution d’eau et d’électricité, par exemple).
L’absence de législation en ce domaine devient une source d’interprétations contradictoires, d’erreurs
dans la gestion et permet au pouvoir central d’exercer, par la voie des circulaires et de documents-types, un
véritable pouvoir hiérarchique sur les organes communaux, parfois appelé tutelle technique, ce qui rend indis-
pensable une action réformatrice dans ce sens.

213
1.4. L’absence du cadre juridique des interventions économiques des
collectivités locales

Les chartes des collectivités locales prévoient plusieurs modes d’interventions économiques et sociales
comme l’entreprise d’économie mixte, la coopération, les conventions et le partenariat. Or, il n’existe aucun
texte législatif ou réglementaire qui définit ces modes et en fixe le régime juridique ; ce qui peut conduire à
des problèmes lors de leur application concrète.

2. Les propositions ou recommandations

2.1. Les réformes nécessaires pour améliorer la décentralisation


administrative en général

Il s’agit en particulier des réformes suivantes :

A. L’uniformisation des trois niveaux de la décentralisation


Si la décentralisation est d’une même nature, le Maroc l’applique selon deux degrés différents : un degré
relativement avancé concrétisé par la décentralisation communale, et un degré beaucoup moins avancé qui
concerne la décentralisation provinciale (et préfectorale) et régionale.
À notre avis, il y a lieu d’uniformiser, du moins progressivement, ces trois échelons en adoptant l’élection
au scrutin direct de leurs conseils délibérants, et en attribuant la qualité autorité exécutive au président élu et
non plus au représentant de l’État.

B. L’édiction d’une loi générale sur l’administration territoriale et la décentralisation dont


l’objet sera, notamment, de : – répartir les compétences de façon plus claire ; – préciser les niveaux d’inter-
vention de chaque catégorie de collectivité locale dans les matières communes comme l’emploi, l’encou-
ragement des investissements, les actions sociales.

C. Le renforcement de la déconcentration
La déconcentration est généralement considérée comme le corollaire de la décentralisation. Elle fait béné-
ficier les organes décentralisés de l’action des services extérieurs, qui deviennent désormais des services
déconcentrés.
Le décret du 30 octobre 1993 qui régit la matière n’est pas une véritable charte de la déconcentration ; il
n’utilise même pas l’expression de services déconcentrés. Il faut noter à ce propos l’existence d’un projet
daté de 1999 qui n’a toujours pas vu le jour.
Dans ce cadre, la lettre royale du 9 janvier 2001 sur la gestion déconcentrée des investissements, ainsi
que les mesures d’application qui l’ont suivie, constituent un bon début qui doit être suivi d’une réforme
générale du système administratif marocain.

214
D. La définition du cadre juridique de la gestion des services publics et des interventions
économiques des collectivités locales
Il est devenu urgent d’édicter des textes législatifs ou réglementaires dans les domaines suivants :
– la gestion des services publics, pour définir le régime de la gestion déléguée dans toutes ses formes ;
– les interventions économiques des collectivités locales : la société d’économie mixte locale, les conven-
tions de coopération, le partenariat.

2.2 Les réformes nécessaires pour améliorer la décentralisation


communale en particulier

Elles sont de deux sortes :

A. Les réformes touchant la charte communale elle-même


La nouvelle charte communale ne constitue pas une avancée qualitative dans la mesure où deux probléma-
tiques centrales n’ont pas été résolues
Il s’agit tout d’abord de la nature de l’administration communale qui demeure une simple administration,
sans avoir la qualité de puissance publique. Il est devenu nécessaire de donner à l’exécutif communal le
moyen de faire exécuter les décisions prises soit par le conseil, soit par le président en créant une force
publique communale, au lieu que cette prérogative reste une affaire nationale. Nous pensons en particulier à
l’exécution des mesures de police administrative.
Il s’agit ensuite de la révision du système de contrôle des communes appliqué, qui est celui de la tutelle
administrative. La nouvelle charte communale n’apporte à ce sujet que des modifications mineures, relatives
notamment à la réduction des délais. La nouvelle charte est même allée plus loin, dans le sens contraire, en
utilisant ouvertement l’expression « tutelle administrative ». Le législateur aurait du, dans une première
étape au moins, limiter le contrôle administratif à l’aspect de la légalité, et supprimer ou du moins réduire de
manière significative le contrôle d’opportunité.

B. Les mesures d’accompagnement nécessaires


Pour améliorer la décentralisation communale, et permettre aux communes de jouer leur rôle de manière
efficace, trois séries de mesures concernant trois domaines essentiels doivent être prises :

Au niveau de la fonction publique communale


Malgré l’existence du décret de 1977 relatif aux fonctionnaires et agents publics communaux, celui-ci ne
constitue pas un véritable statut particulier, mais une somme de règles dérogatoires. Il y a lieu d’édicter un
véritable statut particulier, qui fixe les modes de désignation et les compétences des chefs de services et du
secrétaire général de la commune, et qui prévoit enfin des indemnités de nature à motiver le personnel com-
munal dans son ensemble.

Au niveau des ressources financières


Toute action de développement est liée à l’existence de ressources financières suffisantes. Dans ce cadre,
il est devenu également nécessaire d’opérer une réforme de la fiscalité locale. Il semble que malgré le grand
nombre de taxes locales, prévues par la loi 30-89, seule une infime partie entraîne des recettes importantes.

215
Il faut donc réviser cette loi, revoir le statut des régisseurs communaux et leur donner les moyens néces-
saires pour assurer le recouvrement des recettes, résoudre la problématique du reste à recouvrer et trouver
des solutions aux problèmes qui naissent de la répartition de la tâche du recouvrement entre les communes
et les services du ministère des Finances.
Il y va sans dire que les communes n’ont aucun pouvoir financier, puisqu’elles se limitent à agir dans le
cadre de la loi, et ne peuvent en aucun cas créer elles-mêmes des taxes nouvelles ou en supprimer.

216
Liens utiles

• Site du sénat www.publicsenat.fr

• Dahir (Loi)Relative à l'Organisation de la Région au Maroc


Http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/CAFRAD/UNPAN008497
.pdf

• La réforme de santé au Maroc s’inscrit dans le cadre d’un choix politique de


régionalisation www.sante.gov.ma

• Ambassade des Etats- unis www.amb-usa.fr

• Dans le centre de documentation DEPF Document de travail - CEPII-


Mondialisation et régionalisation : le cas des industries du textile et de l’habillement

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