Span 540
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6 | 1984
Le sacrifice V
Christian Bertaux
Éditeur
École pratique des hautes études.
Sciences humaines
Édition électronique
URL : http://span.revues.org/540 Édition imprimée
DOI : 10.4000/span.540 Date de publication : 1 avril 1984
ISSN : 2268-1558 Pagination : 117-130
ISSN : 0294-7080
Référence électronique
Christian Bertaux, « La technique des prescriptions sacrificielles dans la géomancie bambara (région
de Ségou, Mali) », Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 6 | 1984, mis en ligne le 05 juin 2013,
consulté le 24 février 2017. URL : http://span.revues.org/540 ; DOI : 10.4000/span.540
dérivés et emboîtés les uns dans les autres (sanw, litt. "années") et,
enfin, par ses codes sacrificiels (saraka b?, litt. "sortir les offran-
des") .
Lorsque le devin (tièndala) fait sortir de la bouche de la terre
des figures qui se répètent, il appréhende un "bavardage" (kuma caaman,
litt. "parole nombreuse") générateur d'événements. Or ce bavardage cal-
ligraphique des enfants du sable renvoie à celui que produisent les
puissances oraculaires, maîtres mystiques de la brousse, à savoir les
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huit personnes (mogo segin) et les huit djinns (jinè segin) , invoqués
avant toute consultation par le devin. Le géomancien bambara suit dans
sa gestuelle — selon un espace orienté de la brousse vers le village
et de l'est vers l'ouest — le flux des événements engendrés par des
signes. C'est parce qu'il dégage sur le sable ces signes issus de la
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parole des puissances oraculaires qu'il peut "voir" (flèli) les pro-
blèmes et modifier la production des événements.
L'emboîtement des trois tableaux géomantiques se déroule dans la
pratique du devin comme une parole créatrice (kuma) qui, en roulant la
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terre , produit et développe les récoltes d'une suite d'années (sanw) .
Fig. 1
Les trois étapes de la parole (kuma)
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dans le déroulement des tableaux géomantiques
— cola blanche, cola rouge, cola à tête de cheval, cola qui rigole,
cola ni rouge ni blanche, petite cola, vieille cola, Cola qui a la
forme d'une noix de karité...
— poulet blanc, poulet noir, poulet vautour, poulet mouton, poulet
tourterelle, poulet noir à poitrine blanche, poulet de toutes les cou-
leurs, poulet qui n'a pas encore crié...
Il s'agit là de matériaux concrets, d'usage "quotidien, qui per-
mettent de retravailler — selon telle ou telle figure et en fonction
de telle ou telle maison précisant un problème — des flux oraculaires
Les relations qu'il y a entre la sortie (b?) des figures de géo-
mancie sur le sable et la sortie des offrandes sacrificielles (saraka)
n'obéissent pas à un savoir taxinomique rigide. Les correspondances
changent d'un devin à l'autre et même d'une consultation à l'autre
chez les même devin. Plusieurs solutions sont souvent possibles. Les
devins répugnent à produire des systèmes complets et à parler de ma-
nière spéculative des entités oraculaires.
Fig. 2
musa kuma caaman
(le bavardage extrême de musa)
logées en seize lieux sur le sable divinatoire qu'on appelle des mai-
sons (sow). Il y a, lors de la construction du tableau, toujours au
moins une répétition des figures. C'est sur le repérage des répéti-
tions que s'organisent principalement, en pays bambara, la notion de
"bavardage" des figures et l'identification des problèmes. Au cas où
quatre musa (4 fois 2222) "sortent" dès le départ, le bavardage est
extrême, car quatre musa produisent seize musa sur le tableau divina-
toire. Un tel bavardage est dangereux pour la communauté, indépendam-
ment de la sémantique de la figure (2222). Celle-ci a peu d'importance
en pays bambara (est même parfois inconnue des devins). Au niveau de
la pratique arabe de la géomancie (différente de la pratique bambara),
cette figure est traditionnellement associée à jemaa, la "communauté".
La géomancie bambara utilise, à' la différence des géomancies
européenne et gourmantché, un ordre associant les figures aux maisons
(qu'on trouve également dans les oeuvres de Ez Zénati). janfa almani
(1121) est ainsi maître de la maison de l'âme (ni), alimangusi (2221)
de la tombe (bogo), musa (2222) de la "fin des choses" (laban), etc.
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Mamadou Diabaté, un jeune devin réputé de Ségou, un devin soma ,
attentif à la prolifération des paroles que déclenche la sortie quatre
fois répétée du calligramme de musa, va faire également un sacrifice
(saraka bo), mais sans tenir compte du contexte (bonheur ou malheur).
Il s'agit d'"éviter de laisser ces calligrammes sur le sol". La com-
munauté serait prise de discussions incessantes, indice certain de
graves problèmes. Il est donc nécessaire de sortir les calligrammes
en effectuant un saraka b?.
dans la génération des calligrammes. C'est ce travail qui est une des
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grandes caractéristiques de la géomancie bambara .
de l'enfant" qu'il tend à réclamer dans la passe 1-5 (janfa veut dire
trahison). On doit pour cela aller en brousse (G ) pour "sortir" le
flux calligraphique (G) de la communauté. Dessiner le calligramme de
janfa almani sur l'écorce du jatigifaga. Faire une incantation (kilisi)
pour que janfa almani se satisfasse de ce mode de trahison dans le
"monde des enfants" (une trahison d'"arbre-enfant").
Fig. 3
-1
Flux sémiologique G et contre-flux G
(l'enfant-arbre, en tuant son logeur, va détourner
l'avènement de la trahison de la maison des enfants)
Fig. 4
La racine aux cauris
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11. "On ramasse sur le sol quatre pierres de petite taille. On fait
une incantation sur ces quatre pierres. On jette ensuite les pierres
une à une. Une pierre en avant. Une pierre en arrière. Une pierre à
gauche. Une pierre à droite. Le djinn disparaît alors." (Mamadou
Diabaté, Ségou, 1980).
12. On peut se demander si l'absence des outils sacrificiels à un lieu
de jonction important du consultant n'est pas une propriété générale
de la divination. Dans la tradition géomantique de Cattan (XVIe
siècle), un thème de géomancie ne doit pas être interprêté lorsqu'il
y a en maison 1 cauda draconis (le couteau) ou rubeus (le sang).
Les prescriptions sacrificielles dans la géomancie bambara 127
Fig. 5
Prescription sacrificielle liée
au développement de la parole (kuma) de alimangusi
passant de la maison 2 à la maison 10
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calligramme a sa bouche. Dans cette invocation , il commence par une
parole d'évacuation (tu bisibilay), puis il nomme les deux maîtres
mythiques de la géomancie bambara, Djitoumou Bala et Nongonforokoro.
Il peut alors faire appel à l'entité du calligramme "autel", puis aux
maîtres des figures de géomancie, les huit personnes (m?g? segin) et
les huit djinns (jinè segin). Ainsi, l'ajustement à la source de l'en-
gendrement sémiologique se fait sous la protection du calligramme "au-
tel" et des deux grands maîtres mythiques de la divination. L'arti-
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culation G/G se retrouve dans la relation que ces derniers entre-
tiennent entre eux. La technique bambara des prescriptions sacrifi-
cielles est plus particulièrement liée à Nongonforokoro. Chacun con-
naît son histoire. Voici ce que Mamadou Lamine Traoré écrit à ce sujet :
13. Les devins bambara qui ont pu entrer en contact avec l'islam in-
sistent sur le fait que les paroles produites dans la géomancie bambara
ne sont pas des prières. S'il s'agissait de prières au sens théologique,
cela entraînerait directement la mort du devin en quelque sorte sacri-
fié aux entités oraculaires priées. Il y a donc une différence essen-
tielle entre les paroles géomantiques bambara et les prières théolo-
giques, entre les invocations (ou les incantations) et les paroles de
la prière musulmane. L'invoquant doit se "ramparder" face aux puis-
sances dangereuses qu'il réveille. Les offrandes d'eau faites sur le
sable divinatoire permettent également au géomancien de conserver une
distance vis-à-vis d'un sable desséchant (représenté comme antérieur
au règne des terres cultivées) qui pourrait emporter sa forme, son ja
("double").
14. Mamadou Lamine Traoré, Vers une pensée originelle africaine. Exposé
géomantique. Critique de la négritude et du consciencisme (Thèse de
doctorat de troisième cycle, Université de Pairs IV, Année 1978-79).
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jatigifaga étranglant un baobab