Dan Jaffe, Les Sages Du Talmud Et L'évangile Selon Matthieu
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18. Cf. L. Blau, art. « Gilyonim », dans The Jewish Encyclopedia, New
York/Londres, 1925³, vol. V, p. 668.
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24. Il faut donc avoir recours aux manuscrits ainsi qu’au corpus de
R. Rabbinowicz, Diqduqé Soferim, Variae Lectiones in Mishnam et in Talmud
Babylonicum, Munich, 1868-1886, traité Sabbath, p. 260. Dans la variante de ce
passage, R. Rabbinowicz note de Rabbi Meir ce qui voudrait dire qu’il s’agit non
de R. Meïr lui-même mais de l’école de R. Meïr. Ceci reviendrait à dater ce dictum
à une date plus tardive.
25. Notons que cette glose n’apparaît pas non plus dans les éditions courantes.
Voir R. Rabbinowicz, Diqduqé Soferim, p. 260 note 60. Le mot « Evangila » appa-
raît sous différentes formes dans les manuscrits suivants : dans le Ms. 324 fond
hébreu (ancien fond Sorbonne 220) on trouve aven guilayon avec une rature ;
dans le Ms. 2087 (Catalogue De-Rossi 1324) de la bibliothèque de Parme, la
mention est avenilosh ; dans le Ms. Vat. ebraico 138 (ancien Palatin) du Vatican,
on lit ivenguilosh ; dans le Ms. Oriental 5975 du British Museum de Londres, le
Ms. Elkan N. Adler 1621 de la bibliothèque du Jewish Theological Seminary de
New York, le Ms. du Jewish Theological Seminary de New York, les éditions du
Talmud de Vilna et les éditions du Talmud de Soncino on trouve avenguila. Voir
A. Darmesteter ; D. S. Blondheim, Les gloses françaises dans les commentaires
talmudiques de Raschi, Paris, 1929, vol. I, p. 62 no 454.
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38. Cf. Justin de Naplouse, Dialogue avec le juif Tryphon, 10, 2 ; 100, 1 (trad.
G. Archambault ; L. Pautigny, Paris, 1994, p. 113 ; 255 ; P. Bobichon, Justin Mar-
tyr, Dialogue avec Tryphon, Fribourg, 2003, vol. I, p. 209). Le premier passage
met ce terme dans la bouche de Tryphon qui traite les commandements de « ce
qu’on appelle l’Évangile » (έν τω λεγομένω εύαγγελίω) avec respect, alors que
dans le second, ce terme est utilisé afin d’introduire un propos de Jésus. Notons que
ce procédé se trouve également en 2 Clem 8, 5 et 1 Apol 15-17.
39. Comme il a déjà été remarqué, Justin fait usage du pluriel εύαγγέλια
(euaggelia) en 1 Apol 66, 3. Cependant, dans ce cas il peut s’agir d’un document
individuel. Voir à ce propos O. Piper, « The Nature of the Gospel according to
Justin Martyr », dans Journal of Religion 41 (1961), p. 155 ; 162-163. Selon
P. Bobichon, Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon, vol. II, p. 607 note 6, ce
terme désigne non pas les « sources de l’histoire du Christ » mais plutôt l’Évangile
du Seigneur, évoqué dans la Didaché (8, 2 ; 15,4) qui contenait essentiellement
des instructions pratiques dont le but était de fixer la conduite des individus et des
communautés en diverses circonstances.
40. Cf. C. H. Cosgrove, « Justin Martyr and the Emerging Christian Canon :
Observations on the Purpose and Destination of the Dialogue with Trypho », dans
Vigiliae Christianae 36 (1982), p. 221-223.
41. Cf. H. Koester, Ancient Christian Gospels, p. 37-39 ; C. H. Cosgrove,
« Justin Martyr and the Emerging Christian Canon », p. 225.
42. Cf. H. Koester, Synoptische Überlieferungen bei den Apostolischen
Vätern, Berlin, 1957, p. 6-12 ; H. Koester, « From the Kerygma-Gospel to Written
Gospels », dans New Testament Studies 35 (1989), p. 361-381 ; H. Koester, Ancient
Christian Gospels, p. 1-43.
43. Cf. H. Koester, Ancient Christian Gospels, p. 35-37 ; O. Cullmann, The
Early Church, Londres, 1956, p. 48 ; H. Von Campenhausen, The Formation of the
Christian Bible, Philadelphie, 1972, p. 153-156.
44. Cf. B. Metzger, The Canon of the New Testament, Oxford, 1987, p. 92.
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58. Cette glose est d’origine byzantine et se trouve citée par A. H. McNeile,
The Gospel According to St. Matthew, Grands Rapids, 1980², p. 56 ; voir égale-
ment sur ce verset S. T. Lachs, « Studies in the Semitic Background to the Gospel
of Mattew », dans Jewish Quarterly Review 67 (1977), p. 199-202 qui reprend briè-
vement ce dossier et propose d’intéressantes remarques philologiques.
59. On doit rappeler que l’inscription la plus courante sur les lampes byzan-
tines était : « La lumière du Messie brille pour vous » (Voir A. Mello, Évangile
selon Saint Matthieu, p. 118 note 1).
60. La version de Sebastian Münster est parue en 1537 à Basiliae sous le titre
Evangelium secondum Matthaeum in lingua Hebraica, cum versione latina atque
succinctis annotationibus. La version de Jean du Tillet est parue à Paris en 1555
sous le titre Evangelium Matthaei ex Hebraeo fideliter redditum. Elle fut traduite
en anglais par H. J. Schonfield sous le titre An Old Hebrew Text of St. Matthew’s
Gospel et publiée à Édimbourg en 1927. Voir l’étude consacrée à cette version
de G. Howard, « The Textual Nature of an Old Hebrew Version of Matthew »,
dans Journal of Biblical Literature 105 (1986), p. 49-63. Dans cette étude, Howard
parvient à la conclusion que la version de Jean du Tillet n’est pas la version du
Matthieu hébreu à laquelle font mention les Pères de l’Église.
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rêt pour la langue hébraïque propre au XVIe siècle, que les versions
traduites ont vu le jour61.
Il convient de souligner que la communauté de l’évangéliste
Matthieu semble appartenir historiquement au prolongement de
celle provenant de la « source des logia ». Selon U. Luz, la commu-
nauté matthéenne est judéo-chrétienne, née de l’œuvre des disciples
et messagers de Jésus, ceux-là même qui étaient dépositaires de la
tradition de la « source des logia » et qui s’établirent en Syrie posté-
rieurement à l’insurrection juive de l’année 66.
Selon ce critique, l’Évangile selon Matthieu proviendrait d’une
communauté judéo-chrétienne qui, à l’issue de la catastrophe de
l’année 70, se serait ouverte à la « Grande Église » pagano-chré-
tienne, tout en préservant son identité initiale62.
Selon A. J. Saldarini, la communauté matthéenne et son porte-
parole, l’auteur de l’Évangile de Matthieu, sont des juifs qui ont
cru en Jésus en tant que Messie et Fils de Dieu. Cette communauté
matthéenne représenterait une minorité précaire se considérant
comme juive, et encore identifiée à la communauté juive par les
autres. En dépit de ses violentes confrontations avec certains res-
ponsables de la communauté juive, le groupe matthéen est encore
pleinement juif. En outre, l’auteur de l’Évangile de Matthieu se
perçoit comme un juif détenteur de la véritable interprétation de la
Torah, fidèle à la volonté divine révélée par Jésus qu’il déclare être
le Messie et le Fils de Dieu. Il tente de promouvoir son interpréta-
tion du judaïsme en lieu et place de celle des autres responsables
juifs, de ceux qui mettent en œuvre le judaïsme rabbinique. L’évan-
géliste Matthieu maintient Israël à sa place parmi les nations bien
que son objectif soit d’ouvrir les frontières d’Israël afin d’accueillir
les païens croyant en la Torah et observant certaines pratiques
juives. En bref, il est possible de dire que pour Saldarini, l’Évangile
61. Cf. W. Horbury, « The Hebrew Matthew and Hebrew Study », dans
W. Horbury (ed.), Hebrew Study from Ezra to Ben-Yehuda, Edimbourg, 1999,
p. 122-131.
62. Voir U. Luz, « L’évangéliste Matthieu : un judéo-chrétien à la croi-
sée des chemins. Réflexions sur le plan narratif du premier évangile », dans
D. Marguerat ; J. Zumstein (Éds), La mémoire et le temps, Genève, 1991, p. 77-
92. Il est des plus souhaitables de considérer les propos de S. C. Mimouni, « Le
cas de l’Évangile selon Matthieu, un Évangile à la croisée des chemins », dans Le
judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 108-110, sur la pré-
sentation de ce travail.
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73. Cf. S. C. Mimouni, « Qui sont les Jesséens dans la notice 29 du Panarion
d’Epiphane de Salamine ? », dans Novum Testamentum 43 (2001), p. 292.
74. Cf. A. F. J. Klijn, Jewish-Christian Gospel Tradition. Supplements to
Vigiliae Christianae 17, Leyde, 1992, p. 26. Notons également que Jérome fait
référence à un Évangile selon Matthieu en hébreu en mentionnant de même un
Évangile des Hébreux. Il est en outre bien malaisé de distinguer ces deux corpus
chez Jérome. Voir à ce titre G. Howard, The Gospel of Matthew according to a
Primitive Hebrew Text, p. 158-159.
75. W. D. Davies ; D. Allison, A Critical and Exegetical Commentary of the
Gospel according to Matthew, Edimbourg, 1988-1996, Vol. I, p. 7-58.
76. Voir R. M. Grant, Introduction historique au Nouveau Testament,
Paris, 1969, p. 99-100 ; C. H. Schelkle, Introduction au Nouveau Testament,
Paris, 1965, p. 49-50. H. Conzelmann ; A. Lindemann, Guide pour l’étude du
Nouveau Testament, Genève, 1999, p. 356-359, semblent nier l’origine hébraïque
de l’Évangile selon Matthieu, de même qu’ils voient en Matthieu un Juif de
naissance connaisseur de la Loi, plutôt qu’un judéo-chrétien scrupuleux envers
l’observance rituelle.
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tion, d’une réécriture en grec dans un milieu plus ouvert à des ten-
dances universalistes77.
Un passage du Contre les Hérésies (1, 26, 2) d’Irénée de Lyon
peut-être considéré comme une pièce supplémentaire au dossier
de l’Évangile de Matthieu. Dans ce passage, Irénée consacre une
notice aux ébionites en ces termes :
Ceux qu’on appelle ébionites admettent que le monde a été fait par
le vrai Dieu, mais, pour ce qui concerne le Seigneur, ils professent les
mêmes opinions que Cérinthe et Carpocrate. Ils n’utilisent que l’Évan-
gile selon Matthieu, rejettent l’apôtre Paul qu’ils accusent d’apostasie
à l’égard de la Loi. Ils s’appliquent à commenter les prophéties avec
une minutie excessive (curiosius). Ils pratiquent la circoncision et per-
sévèrent dans les coutumes légales et dans les pratiques juives, au point
d’aller jusqu’à adorer Jérusalem, comme étant la maison de Dieu.78
Soulignons d’emblée que cette notice a une importance particu-
lière : c’est le plus ancien des témoignages hérésiologiques conser-
vés et il a exercé une forte influence sur la tradition subséquente.
Ce passage, important à plus d’un titre, fait mention d’un élément
crucial pour notre dossier, à savoir l’emploi exclusif de l’Évangile
de Matthieu. Si la valeur de cette information est fiable historique-
ment, nous sommes ici avec un texte reflétant une des caractéris-
tiques du judéo-christianisme au IIe siècle.
Conclusion
77. Cf. F. Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chré-
tien (30-135), Paris, 2001, p. 101-102.
78. Cf. Irénée de Lyon, Contre les hérésies, I, 26, 2, p. 117.
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